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lJN i\POTRE HINDOU SlJNDAR SINGH PAF< M Ille A. PARKER missionnaire

Sâdhou Sundar Singh

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L'apôtre chrétien Hindou

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Page 1: Sâdhou Sundar Singh

lJN i\POTRE HINDOU

SlJNDAR SINGH PAF<

M Ille A. PARKER missionnaire ~

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SUNDAR SINGH

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Le Sâdhou Sundar Singh.

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UN APOTRE HINDOU

Le Sâdhou

SUNDAR SINGH PAR

rime A. PARKER

Traduit par Ch. ROCHEDIEU, pasteur

Sixième édition revue et augmentée.

Douzième mme.

ÉDITÉ PAR LE SECRÉTARIAT SUISSE DE LA MISSION AUX INDES

LAUSANNE, 35, RUE DE BOURG

BD ve.te dana les prbaclpalea Librairies et au Secrétariat.

TRADUCTION AUTORISÉE

t923

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Sahara AFRIOUE

~.Afl =z N /) '-_

NOTICE

sur le Comité suisse de secours pour la Mission aux Indes.

Fondé le I4 février I9I8 à Lausanne, ce Comité a pris à tâche de soute1z,ir les missionnaires suisses (jHi ' travaillent aux Mahrattes du Sud et au C anara du sud, sur la côte sud-ouest des Indes, régions autrefois évangélisées par la Mission de Bâle. Leur œuvre a pris aux Indes le nom de Mission canaraise évangélique.

Cette régilnz" grande à peu près C01nme la Suisse, et peuPlée par trois millions d'habitants, n'a pas d'autre mission protestante, sauf u'n ou deux postes de la Société pour la propagation de la foi, mission de l'Eglise anglicane.

La mission ca1wraise groupe 8,000 élèves dans ses écoles, tant pri11UJ-ires que supérieures et près de 1 I,oao chrétiens dans ses cO'l'nmunautés.

Au moment 01t ces lignes s'écrivent (I er mai 1922), il n'y a q1.(,e vingt-quatre personnes, mes­.sieurs, dames et demoiselles, pour diriger une aussi

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grande œuvre; ce vai,llant groupe de missionnaires -mérite t01tte la sy1npathie des amis du règne de Dieu; ils doivent diriger et sti1'nuler 1tn. personnel tndigène de cinq cents instituteurs} é'vangélistes et pasteurs.

Cette Missi01t demande à Die-lI. et aux disciples de J ésus-Christ} des missionnaires consacrés} des professeu,rs} des 1nédecins} des institutrices} des de­'nt-oiselles pour t évangélisation des fem1nes et des garde-tn.alades.

L}œuvre se poursuit en ville et à la ca1npagne} dans les hautes castes et dans les plus 1néprisées} chez les I-lindouistes et chez les Musul1nans.

Le C01nité publie to'us les deu.x mois u,n Bulletin: lvl ission aux Indes} re1nis à tout souscripteur qu,i ver se un 1nit~'l:111/111-n de 3 tr. par an.

Les dépenses prévues pou,r I923 sont de 350}000

francs. QUr'l: veu·t aider à les cou.vrir ? Le C o111,ité a'ltxil'l:aire de Zurich p'ltblie les Mittei­

lungen des sch\veizerischen Hilfskomitees für die ~fission in Indien, par les soins de M. le pasteur Rippma:nn, Hœnggerstrasse 52} Zurich 6.

Président du COtnité : M. le pasteur A. de Haller , lA Rosière} Chaussée M on-Repos} I~au.sanne. Se­crétaire gé1téral : :NI. le pasteur G. Secretan. Secré­tariat du Cont-ité} rue de Bourg 35} Lausanne. En­voyer les dons à tadresse : Mission suisse aux In­des} com.pte de chèques II 2°42. Sec,"étaire-ca.issier} .11;[. le pasteur 1.s Barbla1l.

.~.

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AVANT-PROPOS

Avant de rencontrer SUN,DAR SINGH} je ne savais trop que penser de cet ascète chrétien qui at­tirait partout les foules et dont on racontait bien des expériences miraculeuses. ~1ais après avoir as­sisté à la série de réunions qu'il a tenues à Calicut, au printemps 1918, et après avoir eu le privilège de l'avoir une fois à notre table et de pouvoir cau­ser tranquillement avec lui, je garde une profonde impression de ce jeune apôtre moderne.

Sa prédication est simple, sobre et directe, à la fois imag-ée et pratique. On sent qu'il croit réelle­ment à l'action vivante de Dieu, qu'il en fait j our­nellement l'expérience. Il raconte avec la plus grande simplicité, comme une chose toute naturelle, les miracles que Dieu a opérés à bien des reprises pour le protéger, le délivrer ou le guider, ou pour amener des pécheurs à la repentance. Ses paroles ont l'autorité de quelqu'un qui vit sa foi, qui a tout souffert et tout sacrifié, et qui est en cOlnmunjon constan.te avec le Père. Il rend témoignage à la puis­sance et à l'amour du Sauveur mort sur la croix,

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mais ressuscité, et il se dégage de sa personnalité comme une force attirant les âmes à Christ et les amenant à robéissance de la foi.

Ce n'est pas pour faire œuvre méritoire que Sun­dar Singh a choisi sa vie de renoncement complet. Je lui ai moi-même posé la question. Il m'a répondu qu'il voit simplement dans cette vie de sâdhou une méthode efficace pour répandre l'Evangile, méthode adaptée aux conditions spéciales des Indes, mais qu'on ne pourrait peut-être pas imiter partout. Il considère que Dieu lui a fait une grâce personnelle en l'appelant à ce ministère particulier, qui présente non seulement de nombreux dangers, mais aussi des tentations très réelles. Peut-être que la prodigieuse popularité qu'il a acquise depuis deux ans n'est pas ]a moindre de ses tentations; et plusieurs de ses meilleurs amis prient Dieu de le préserver aussi à l'avenir de tout orgueil. Jésus Lui-même ne redou­tait-Il pas la popularité, et ne se retirait-Il pas cons­tamment à l'écart quand les foules se pressaient au­tour de Lui?

Aujourd'hui, plusieurs chrétiens tâchent d'imiter Sundar Singh, parcourant le pays dans une pauvreté absolue, pour précher l'Evangile. Il est incontesta­ble que cette méthode, qui rappelle la façon dont Jésus envoyait ses disci pIes de village en village, œuvre de nouvelles perspectives pour l'évangélisa­tion des Indes. Mais comme le Seigneur a plus d'une fois mis à l'épreuve ou même découragé ceux qui offraient d'une façon trop irréfléchie de Le sui­vre. Sundar Singh n'encourage pas tout le monde à imiter son exemple. Il ne cherche surtout pas à faire des disciples personnels. A Calicut, quelques jeunes gens de nos écoles lui ont demandé la per­Inission de se j oindre à lui; mais il leur répondit:

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<,< .. ,4vant de vous lancer dans cette carrière~ qui res-· se'mble au 'vaste océan ag'ité par les vagues~ appre­nez à nager dans un éta·1"tg. Il y a autour de VOUSr

ici à C alicut ~ u 'ne quant-it é d'âmes qui périssent " CO'm1'nen,cez par sau,ver celles-là! »

Nous renonçons à faire ]a critique des pages qui suivent, croyant qu'elles méritent telles quelles no­tre confiance et tout notre intérêt. Il s'agit de sim­ples récits, écrits originairement en IvIayayalam, puis en anglais, par Mme Parker, de la Mission de l ... ondres, qui a bien voulu nous autoriser à les faire traduire en français. Ils se basent en grande partie­sur des conversations que Mme Parker a eues avec le sâdhou, qui a lu lui-même le volume terminé, pour en contrôler l' exacti tude. Dans une lettre' écrite en ourdou le 3 septembre 1918, il déclare avoir été frappe de la façon admirable dont l'Esprit de Dieu a soutenu et dirigé 1,'Ime Parker.

« Je suis sûr, continue-t-il, que ce petit ouvrage glorifiera Dieu et sera pour beaucoup un bienfait spirituel. Il sera une aide surtout pour ceux qui passent par des difficultés semblables à celles que' j'ai rencontrées; ils verront com.ment le Seigneur a sauvé un pécheur tel que moi et m'a dans son amour et sa grâce choisi pour son service.

» Après treize ans d'expérience, je puis dire au­j ourd'hui que Christ est encore- et sera à jamais le· u!ême (Hébr. 13: 8.).

» Je demande à Dieu de faire servir ces quelques mots à sa gloire et au bien spirituel de plusieurs. A-\men. »

Ce petit livre ne manquera pas d'attirer l'atten­tion des chrétiens de la.ngue française. Mais ne re­cherchons pas rextraordinaire, une sensation nou-­velle ou un nouvel idéal ascétique. Laissons-nous-

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·humilier et inspirer par l·'exemple de ce fidèJe té­moin de Celui qui s~est fa.it pauvre pour nous et qui ne savait où reposer sa tête. Apprenons, nous aussi, il. « nager dans notre étang», et mettons-nous à sauver les âmes qui périssent en si grand nombre autour de nous. Obéissons et prenons enfin l'Evan-.gile et les promesses de Dieu au mot., comme le fait le jeune apôtre dont cc volume voudrait parler, à -la gloire du Maître.

Dr P. DE BENOIT.

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INTRODuc'rrON

Une visite Les protestants de toutes les déno-mjnations représentées à 1.'rivandram (n'oublieront pas ce mois de février bénie.

1918, qui fut marqué par un évènement sans pré­-cédent, la visite bénie du sâdhou Sundar Singh. Un de nos missionnaires a pu dire que jamais encore personnalité pareille n'avait paru dans l'Eglise hin­doue, et chacun a eu le sentiment, après son passage, que Dieu avait visité son peuple.

Sa réputation l'avait précédé; quelques-uns avaient lu ce qui s'est déj à imprimé à son sujet, et plus d'un s'attendait à voir se lever un jour de mi­racles. 11ais la plupart désiraient le voir et l'enten­dre avant tout dans l'espoir d'en retirer quelques bénédictioI)s spirituelles. Et ils sont nombreux au­jourd'hui ceux qui peuvent attester que cette at­tente n'a pas été déçue.

A l'arrivée du train qui alnenait le sâdhou à Tri­vandram, un groupe de chrétiens hindous se tenait prêt à lui souhaiter la bienvenue avec les mission­naires et, lorsqu'ils furent arrivés au bâtiment oe la

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j\lission, ce ne fut pas sans peine qu'on parvint à l envoyer 1a foule pour permettre au sâdhou de se rafraîchir et de prendre quelque nourriture.

Pieds nus, vêtu d"une longue robe couleur de sa-fran, avec une écharpe de même couleur jetée sur

ses épaules et un turban assorti, bel homme de six pieds de haut, avec un visage aux traits réguliers et au teint clair, des yeux et des cheveux noirs, un vrai Sikh du type le plus pur, tel est le sâdhou Sun­dar Singh. Avec ses vingt-neuf ans seulement, son ai r gra.ve, son sourire captivant, ses manières a.i­sées, il eût pu servir de modèle à l'image du Christ du célèbre tableau intitulé « L'Espoir du Monde »,

ct cette impression va se renforçant à mesure qu'on arrête sur 1 ui son regard.

Il y a dans ce pays antique bien des choses qui nous aident à mieux comprendre la Bible. Mais nous n'avions jusqu'alors rencontré personne qui nous rendît pareillenlent vivant le Sauveur tel qu'on vouvai t de son temps le contempler dans ses péré­grinations. Tant que dura sa visite à Trivandram, dès que le sâdhou paraissait, des foules d'admira­teurs s'attachaient à ses pas. Les enfants eux-mêmes 5 "assemblaient derrière lui pour tâcher de toucher sa robe jaune, tandis qu on lui apportait des malades pour qu'il priât avec eux. C'est à peine si l'on par­vient ù convaincre les gens qu'il ne guérit pas les rnalades, même quand c'est lui qui le déclare.

Un jour, par exemple, se passa un incident qui l:OUS r-appela vivement ce qui se passait pour le Seigneur. A une grande réunion en plein air, quelques hommes survinrent, portant un malade couché sur un lit. Ils le déposèrent doucement sur le sol, de façon qu'il pût contempler le visage du sàdhou et entendre ses paroles. C'était un chrétien

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qui habitait dans un village distant d'environ onze kilomètres, et on l'avait apporté de nuit pour qu'il pût assister à cette grande réunion.

Au soir de cette même journée, il se passa un au­tre incident qui nous rappela la visi te de Nicodème. \1 ers deux heures, alors que tout le monde était plongé dans le sommeil, un léger bruit à la porte du sâdhou annonça l'arrivée d'un hôte nocturne; un homme d'une caste supérieure désirait le voir pour causer religion avec lui! Comme il expliquait qu'il aurait eu honte de venir de jour, le sâdhou répondit: « Jésus-Christ n'a pas eu honte de souffrir sur la croix pour vous en plein jour, et vous ne pouvez pas souffrir un peu pour Lui! » Le lendemain, au culte, ce personnage prit son courage à deux mains et se mêla à la foule des chrétiens pour écouter la prédication.

Le sâdhou Sunda.r Singh nous a apporté à tous com'me une vision nouvelle de Dieu et du Christ, et plusieurs parmi nous ont compris comment son in­time communion avec Christ et son obéissance par­faite à sa volonté l'ont rendu si semblable à son I\:faître que partout où il va l'on entend dire: « Comme il ressemble à Christ! »

On ne peut le voir et l'entendre sans être saisi d'un immense espoir quant à l'avenir de l'Inde. On ne peut s'empêcher de croire que le jour approche où l'Orient aura quelque révélation nouvelle à don­ner à l'Occident quant à la personne même du Sau­veur. Pendant trente ans, nous avons- attendu de voir surgir des hommes capables de pénétrer jus­qu'au cœur de l'Inde, et il ne s'en est certainement point encore trouvé qui s'en soit plus rapproché que cet humble adorateur du Crucifié ..

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Sâdhous et Il n'y a probablement pas de pays au monde où l'on attache plus d'im-

Sanyasis. portance aux manifestations de la piété qu'on ne le fait en Inde. Quiconque adopte une ,-ie de religieux peut être sûr d'y jouir d'une pro­fonde vénération. Depuis des siècles, les Hindous ont appris à mettre l'homme qui renonce au monde hien au dessus de celui qui le gouverne ou le con-­quiert.

Le pouvoir du prêtre est trop connu pour que nous en parlions ici. 1 'Ialgré tout ce qU"a fait l'édu­cation occidentale pour miner son influence, le prê­tre de la famille continue à régner en maître dans les intérieurs hindous, mais, en dehors même de la caste sacerdotale, il y a nombre d'hommes qui mè­nent une vie de religieux, en particulier ceux qu'on appelle les sâdhous et les sanyasis.

On confond souvent ces termes, qu'on suppose­identiques. La principale différence semble consis ­ter en ce que la vie du sâclhou est d'un bout à l'au­tre vouée à la religion, tandis que le sanyasi peut n'entrer que tard dans ce genre de vie.

Beaucoup d'Hindous en effet, désireux de consa­crer à la religion leurs dernières années, rompent tous les liens de famille, renoncent à toute ambi­tion mondaine, à toute responsabilité, et pratiquent pendant la fi n de leur vie terrestre les austérités de la vie de sanyasi. On admet généralement qu'ils ont rempli tous leurs devoirs et obligations ordinaires, ayant eu une famille et l'ayant élevée, ayant fait en un mot. leur part de travail dans ce monde.

Le sâdhou, en revanche, renonce au monde et à ses jouissances dès le début de la vie. Il ne se marie pas et ne se livre à aucune des occupations ordinai-­res de la vie.

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On comprend que pareille existence offre crim-­menses possibilités, mais aussi de terribles tenta­tions. Elle attire l'attention et le respect, comnle type de l'héroÏslne qui va jusqu'à la perte du monde­et de tout ce qu'il peut offrir. S'il se trouve un homme capable d'atteindre cet idéal, il n'y aura pas en Inde une tête trop fière pour s'incliner res­pectueuselnent et humblement devant lui.

Sanyasis et sâdhous adoptent la robe couleur­~afran, costume consacré par les siècles, qui leur ouvre toutes les portes de l'Inde. Ils vivent la vie­la plus simple, sans foyer et sans argent, les Hi 11-

dous considérant comme un acte méritoire de leur fournir le vivre et le couvert.

Dès les plus anciens temps, ce genre de vie a exercé un attrait particulier sur les Hindous pieux, qui ont volontiers tout sacrifié pour essayer, à force de privations et de renoncements, de satisfaire les rlésirs profonds de leur âme, de trouver la paix du cœur et de se perdre en Dieu.

Rien de plus COIllmUll, dans n'importe quelle ville­sainte de l'Inde, que de rencontrer un ou plusieurs sâdhous pratiquant les- austérités de. leur choix, se balançant au dessus d'un feu lent, ou maintenant le bras droit en l'air jusqu'à ce qu'il soit ankylosé et que les ongles aient crÎt détnesurément, ou s'as­seyant sur un lit garni de pointes, ou encore accom­plissant un vœu de silence et de méditation sur les rives de quelque fleuve sacré.

1.1alheureusement, ce genre de vie a donné lieu aux plus graves abus, et il n'y a guère au monde de spectacle plus répugnant que la vue de tel mendiant sordide, vêtu de safran, allant de maison en mai­son porter la terreur aux ignorants, en maudissant ceux qui lui refusent l'aumône.

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Quand on visite l'Inde en hiver, on ne peut qu'être frappé de voir tant d'Hindous en quête de Dieu et s'efforçant de le trouver en tâtonnant. Si l'on ne peut se défendre d'un sentiment de dégoùt .à la vue d'innombrables fakirs d'une saleté repous­~ante, aucun chrétien ne saurait voir les tortures que s'imposent maints sanyasis sans éprouver un désir intense de leur dévoiler le grand secret de la paix qu'ils recherchent avec tant de persévérance.

On peut vivre, en Inde, de fort peu de chose. Le climat permet de simplifier le vêtement à l'ex­trême et de passer en plein air la plus grande partie de son temps. Partout où l'exemple de l'Occident n'est pas venu apporter l'amour du luxe, les Hin­dous se contentent d'un régime très frugal. Aussi les âmes en quête de spirit.ualité ont-elles fort na­turellement adopté un genre de vie des plus écono­miques, en y ajoutant toutes sortes d'austérités de leur choix.

En Occident pareille simplicité de vic paraît vresq ue i ncompréhens ible.

Le vrai sâdhou ne va pas se réfugier dans un cou­vent où. le vivre et le couvert lui sont assurés. Il erre sans foyer de lieu en lieu, sans autre bien que ce qu'il a sur le corps.

Dans son livre The C1#OWtlr of I-J.i-nd'1tis1-n .• le Dr Farquhar écrit:

« Tant que durera le monde, on s'émerveillera des ~cètes de l'Inde. Leur calme renoncement à toutes les jouissances terrestres et leur incroyable endu­rance en face de toute espèce de souffrances seront Ene inspiration pour toutes les générations des Hindous qui savent penser. Depuis tantôt 3000 ans. les ascètes hindous ne cessent d'attester la supréma­tie de l-'esprit sur la chair. »

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Leur idéal a de la grandeur. Le christianiser, lui donner un but, le bien des autres, savoir «être dans le monde sans être du monde» et « s'imposer toutes sortes d'abstinences» dans l'ardent désir de sauver les âmes, quoi de plus noble ici-bas ?

On lisait récemment dans un jour­nal de l\1adras : «Le sâdhou Sundar Singh est l'incarnation d'une idée qui

-circule dans les veines de tout Hindou, comme l'hé­ritage d'un passé lointain. Sâdhou sans foyer dans le monde, ignorant d'où lui viendra son prochain repas, ne possédant rien, il fait revivre aux yeux des hommes de notre temps le grand idéal du re­noncement. »

Le sâdhou chrétien

~1ais cette fois cet idéal est réalisé à la perfec­tion, puisque ce n'est pas pour son propre salut, .mais pour celui des autres qu'il «regarde toutes choses comme une perte» ; et son complet renoncc­Inent, accompagné de souffrances inouïes, de priva­tions et de persécutions de tout genre, n'est que l'holocauste perpétuel dont il fait hommage au Sauveur qui a donné sa vie pour lui.

Par déférence pour les désirs de la mère bien-ai­mée qu'il avait perdue, il a bravé sans défaillance le courroux de ses parents, le mépris de ses frères en la foi, et l'hostilité de ses amis européens, pour de­venir un sâdhou. Trente-trois j ours après son bap­tême, n'étant encore qu'un garçon de seize ans, il s ' y résolut dans la conviction que Dieu l'y appelait. Dès lors, il n'a jamais cessé de reproduire en sa per­sonne la vie de Celui qui n'avait pas où reposer sa tête.

Dans ce pays où une vie de saint renoncement .attire la vénération, sa façon d'agir plaide puis-

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samment et avec une éloquence tout orientale la cause de l'Evangile. Cette méthode nouvelle n'a pas manqué de susciter des critiques en grand nombre, mais il répond qu'un Hindou aimerait mieux périr de soif que de boire dans un verre étranger, tandis qu'il acceptera volontiers la même eau si on la lui of f re dans son propre gobelet.

Le temps est peut-être venu où les chrétiens hin- · dous auront à essayer des forrnes nouvelles pour leurs entreprises spiri tuelles. Ils connaissent et les besoins et les préventions de leurs compatriotes, leurs traditions et leur menta.lité, il n'y a pas de doute que la manière nouvelle du sâdhou a été en bénédiction à un degré inouï à des milliers dans toute la péninsule.

En adoptant le costume admis d'un sâdhou, Sun­dar Singh s'est ouvert la porte non seulement de toutes les castes et de toutes les classes, mais même­celles des zénanas sacrées, où il a pu à mainte re­prise parler de son Sauveur aux grandes dames du pays. Il l'a déclaré lui-mêlne : «Le jour où je suis devenu un sâdhou, j'ai épousé ce costume et, pour autant ,que ce.la dépendra de moi, je ne divorcerai . . Jamais. »

On lui a souvent demandé cOlnbien de temps il comptai t mener cett.e vie de renoncement. «Tant. que je serai de ce monde, a-t-il répondu. Je Lui ct i voué ma vie et, moyennant Sa grâce, je ne rom-.. . pral Jamais ce vœu. »

Ne s'arrètant longtemps nulle part, il parcourt l'Inde de long en large, en contact avec des gens de toutes les condi tions, passant de la chaleur torride de Trivandram et de Ceylan àux glaces du Thibet. Sans jamais savoir d'un jour à l'autre ce qu'il aura à manger, de quoi il se vêtira, ni où il logera,

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n'ayant ni argent ni autres biens terrestres, il pour­suit son pèlerinage au service de ses semblables et pour la gloire de son divin Maître. Par le froid comme par le chaud, il porte toujours les mêmes ha­hi ts et ne met jamais de souliers, même sur le sol gelé du Thibet. Où qu'il aille, il a toujours sur lui son petit Nouveau Testament en langue ourdou, le seul obj et dont il ait besoin pour appuyer sa prédi­cation puissante, avec l'aide de ses talents naturels et de ses propres expériences.

Dans son volume intitulé L'Esprit du Maître, M. Fosdick dit que « Jésus doit avoir été l'homme le plus rayonnant de la Palestine de son temps. » La vue du sâdhou Sundar Singh aide à comprendre cette affirmation, tellement il semble heureux de souffrir pour Christ, et tellement son visage rayon­ne de paix céleste et de joie surabondante en son bien-aimé Sauveur.

Au c.ours des treize années de son existence de sâdhou, il a eu à endurer des épreuves et des persé­cutions de tout genre; comme son grand prédéces­seur Paul, il a été pressé de toutes manières ... , tour­menté, mais non désespéré, persécuté, mais non abandonné, abattu, mais non perdu; portant tou­jours avec lui dans son corps la mort du Seigneur Jésus, afin que la vie de Jésus soit aussi manifestée dans son corps. (2 Cor. 4 : 7-10.)

Dès notre première rencontre avec L'homme. Sundar Singh s'est imposé à notre

esprit le problème de la grande diffé­rence qu'il y a entre lui et la plupart des autres chrétiens: d'où lui vient son pouvoir extraordinaire pour attirer les hommes à Christ ? En partie sans doute de son renoncement abso1u à tout et de sa

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soumission parfaite à la volonté de Dieu, joints à un alnour intense pour son Sauveur.

C:omme au temps du Seigneur, «l'Evangile est annoncé aujourd'hui encore, aux pauvres», qui l'ac­cueillent et, par milliers, entrent en possession d'un bel héritage, d'une vie d'affranchissement. Dans certains cas, on peut parler de tracas, de pertes, même de persécutions, 1nais il est excessivement rare que quelqu'un subisse la perte de tout ce qu'il a pour avoir suivi le Sauveur.

Or, comme on le verra plus loin, la conversion de Sundar Singh ne lui a pas seulement valu la perte de tout ce qu'il avait, mais aussi de vraies persécutions et des mauvais traitements. Tout ce qu'il a gagné à devenir chrétien, c'est de posséder Christ; et ce don incomparable lui a si bien fait ou­blier tout le reste que, dès lors, pour Sundar Singh, 50uffrir avec et pour son Maître n'a été que délice et extase. Quand l'Inde verra d'autres de ses fils rlccepter le Sauveur dans cet esprit, son Eglise en­trera en possession de l'héritage auquel elle a droit et deviendra l'instrument puissant d'évangélisation qui amènera l'Inde à Christ.

A quoi tient ce pouvoir remarquable d'amener les âmes au Sauveur? Sundar Singh a eu dès l'enfance une conscience délicate, qui s'éveilla de bonne heure au sentiment de ce qui lui 1nanquait. Pendant long­tenlps, il chercha la paix dans les livres sacrés qu'il connaissait. Ne l'y trouvant pas, il finit par se tour­ner vers le Nouveau Testament. Qu'on se repré­sente l'impression produite sur son cœur encore vierge par l'histoire de Jésus telle que la rapportent les Evangiles, ce livre pour lui tout nouveau, et non pas un vieux . li vre, lu et connu dès l'enfance, et relu avec un esprit déj à blasé! Il croyait voir

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Christ marcher devant ses yeux, il croyait entendre sa voix; à chaque page, l'intérêt allait croissant, jusqu'à ce que, saisi, hanté par cette vision, il « re­garda toutes choses comme une perte afi n de gagner C~hrist et d'être trouvé par Lui. »

Aucun livre pour lui expliquer le Nouveau Tes­tament, ni pour lui en voiler le sens; rien que le Nouveau Testament, le Dieu vivant et sa propre âme divinement préparée, qui trouvait enfin là tout ce qu'elle avait cherché si longtemps et si désespé­rément, et y trouvait pl us encore.

On ne peut voir ce jeune Hindou assis solitaire sous un arbre, plongé dans la lecture de son N ou­veau Testament ourdou, sanglotant sur ces pages sa­crées, sans se sentir ému soi-même et sans se de­mander : «Est-ce ainsi que tu as appris Christ ? »

Dès lors, et jusqu'à maintenant, Sundar Singh a parcouru les Indes avec son Maître, son Nouveau Testament à la main, Christ dans le cœur et le re­flet de Christ sur son visàge.

Voici ce que dit le Rev. \'V. E. S. Holland dans l'he Goal of India :

«L'Inde est la mère spirituelle de la moitié de l'humanité... Tout ouvrage destiné à révéler à d'autres peuples le cœur de l'Inde ne saurait mettre au premier plan autre chose que la religion, la seule chose qui pour un Hindou ait une réelle importance, la seule qui puisse jamais satisfaire son âme. L'idéal religieux de l'Inde a pour dernier mot le renonce­ment. Dans ce mépris ' absolu du sâdhou pour la souffrance et les privations, il y a quelque chose de

· sublime. « C'est Christ qui vient relever l'antique idéal de

l'Inde; et l'Inde veut voir Christ, et non pas seule­rnent entendre parler de luL .. Ce qu'il lui faut, c'est

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tout simplement le chrétien qui lui dévoilera la beauté de Christ en menant une vie de douceur et de patience, d'amour désintéressé et d'humble dé­vouement. »

C'est bien là ce qui explique l'influence extraor­dinaire de Sundar Singh. Il a spiri tuaHsé et enno­bli l'antique idéal de renoncement, de telle façon qu'on voit chez lui un reflet du grand renoncement de Christ lui-même; non qu'il recherche la souf­france pour la souffrance, comme le font les ascètes de l'Inde, mais il l'accepte avec joie de la main de son Dieu.

Comme l'a dit Keshab Chandra Sen: «Voici Christ qui v.ient à nous en Asiatique ...

pour réaliser et rendre parfaite cette religion de communion avec Dieu après laquelle l'Inde a sou­piré, - oui, cette communion va enfin se trouver accolnplie en Christ.

Sundar Singh la réalise en sa propre personne, de sorte qu'en le voyant on s'écrie: «\' oici l'hom­me ! » l'Homme qui « s'est fait pauvre pour nous ».

Rien d'étonnant à ce que les foules accourent dès qu'il paraît. L'Inde sera gagnée à Christ par ses propres fils, et le cœur de n'importe quel I-lindou, qu'il soit chrétien ou non, ne peut qu'être touché à la vue de ce sâdhou, de son abnégation, de son dé­vouement, et à l'ouïe de sa prédication et du récit de sa conversion. Cet homme-là, on le comprend et l'on croit en lui; il tient dans sa n1aÎn la clef des cœurs de ses compatriotes, comme aucun étranger ne peut espérer la posséder jamais.

Parlant de lui, un Hindou distingué s'exprime aInsI :

« Un grand jeune homme à la toge flottante et .à la barbe noire proclame son message avec la

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flamme d'un prophète et l'autorité d'un apôtre! Tandis que ses paroles incisives jaillissaient de ses 1èvres, ce sâdhou nous apparaissait comme le sym­bole de la culture orientale illuminée par la splen­deur de l'Evangile. »

-Pa-

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CHAPITRE PRElviIER

ORIGINE ET NAISSANCE

Sundar Singh est un Sikh. Pour plus d'une rai­~on, cette nationalité est particulièrement intéres­sante.

A l'origine, les Sikhs étaient une secte réfor­matrice, désireuse de remettre en honneur un culte plus simple et plus pur; puis ils s'organisèrent en puissance militaire pour faire face à leurs persécu­teurs. Au cours des siècles, ils firent bien des expé­riences douloureuses, mais, aujourd'hui encore, ce qui les distingue, c'est la fierté de la race, l'amour des armes et un attachement inébranlable à leurs croyances religieuses.

Dans son Histoire des Sikhs~ Cunningham écrit: « Au seizième siècle, alors que le Pendjab était

le théâtre de compétitions sans fin entre races di­verses avides de conquérir le pouvoir, la secte reli­gieuse des Sikhs, humble d'origine, sans prétentions au début, s'éleva silencieusement au milieu du cli-

,

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quetis des armes et, en dépit des persécutions, jeta les fondements d "un grand état. »

Ils habitent la « Région des cinq Fleuves» et ce qu'il y a de remarquable dans ce Pendjab, c'est le nombre relativement petit des Sikhs, les maîtres du pays. Ce n'est pas le nombre qui fait leur force, c~est leur union, l'énergie de leur zèle religieux et leur tempérament guerrier. Entreprenants et endu­rants, ils ne sont pas facilement découragés par l'insuccès ; ils attendent pleins d'espoir le j our où la double mission de Nanuk et Govind Singh sera devenue la religion dominante 1.

Telle est la souche d'Olt est issu Sundar Singh. Son père, Sirdar Sher Singh est, aujourd'hui en­core, un riche propriétaire de Rampur, dans l'Etat de Patiala. C "est là que naquit Sundar, le 3 sep­tembre 1889 ; bien que le cadet de la famille, il était youé à la plus haute destinée. Un de ses frères, Sir­dar Anath Singh, commande un contingent hindou dans un Etat Sikh, pendant que d'autres se sont élevés plus haut encore.

1 Le premier guru ou maître qui ait enseigné la religion aux Sikhs s'appelait , Nanu k. Né en 1649 à Rayapur, il fut dès son enfance porté vers la piété et incapable de' s'intéresser aux affaires de ce monde.

Nanuk, ayant adopté la robe safran, se soumit aux austérités d'une vie de sainteté et devint bientôt fameux pou r sa bon té d'âme.

Ses disciples formèrent une secte distincte et ils étaient connus sous le nom de Sikhs ou Disciples.

Dans ses écrits, Nanuk puise indifféremment dans les· Shastras et dans le Coran. Il a écrit lui-même maint chapitre de l'Adi Granth, en vers

Le dernier des dix grands chefs ou pontifes Sikhs, Govind Sin~h, a écrit une grande partie du dixièŒe livre du Granth. Il est prisé de ses disciples à l'égal de Nanuk ..

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Comme enfant, Sundar grandit au sein du luxe. Chaque année, quand venai t la saison chaude, il allait avec les siens passer l'été dans l'air frais de J'Himalaya, d'habitude à Simla.

Sa mère était une personne supérieurement douée et aux vastes horizons. En relations amicales avec les dames de la mission presbytérienne américaine,

. elle leur ouvrait volontiers sa tnaison. Dès sa ten­dre enfance, Sundar jouit de la plus affectueuse in­timité de sa. mère, comme étant le cadet; il ne la quittait guère, et elle lui disait souvent: « Il ne faut pas que tu sois insouciant et mondain comme tes frères. Il te faut chercher la paix de l'âme, aimer la piété, et un jour ou l'autre devenir un saint ~âdhou. »

Avec de tels propos maternels, fréquemment ré­pétés, il en vint à n'avoir plus d'autre ambitiçn que celle de réaliser ce désir. Il accompagnait partout sa mère, qui ne cessait de lui apprendre ce qu'elle savait de mieux. A l'âge de sept ans, il savait déj à d'un bout à l'autre, en sanscrit, le Bhagavadgîta. Il n'avait que quatorze ans quand il perdit sa ·plus précieuse amie terrestre; nul ne cOlnprit le vide immense qu'il en ressentit, mais aujourd'hui encore il n'en peut parler sans que sa voix s'attendrisse et QUe. son regard se trouble. Il est persuadé qu'elle se­rait contente de lui si elle était encore là ...

. ~.

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CHAPI'rRE II

LA VOIE DU SALUT

A la recherche Les grands hommes, on en a fait la relnarque, doivent beau-

de la paix. coup à l'éducation première qu'ils ont reçue de leur mère, et il en est bien ainsi du sâdhou Sundar Singh. Non seuletnent il accompa­gnai t sa mère au temple dès sa pl us tendre en­fance, mais elle sut lui inculquer la conviction que la religion est l'intérêt suprême de la vie. Il la voyait pleine de vénération pour les saints hommes qu'elle allait souvent consulter, et il en vint très tôt à con­sidérer la vie de sâdhou comme la seule digne d'être

, vecue.

Sa pieuse mère lui apprit aussi qu'il exis­tait une paix du cœur, la «shanti», qu'on ne peut acquérir sans la rechercher avec persévérance mais qui, une fois trouvée, est le plus précieux tré­sor du monde. Et son désir de la posséder alla gran­dissant. Lui qui, petit enfant, avait « touché de son iront la porte du temple» et s'était assis aux pieds

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des saints hommes de l'Inde~ le VOICI qui se met en <'!"lête de cet inestimable trésor ...

Il commence par lire et étudier le « Granth » des ~ikhs, les livres sacrés des Hindou&, voire même le Coran. Il lui arriva plus d'une fois de rester pen­ché sur ces pages saintes pendant que les siens dor­maient. Il en apprenait par CŒur maints passages, f.ans toutefois aboutir à autre chose qu'à accroître le trouble de son âme.

Les prêtres du temple, les sâdhous qu'il voyait souvent, même sa pieuse mère, ne parvinrent pas à lui procurer le repos du cœur au moyen des nom­breux passages de leurs livres sacrés qu'ils lui ci­taient. Il en était là lorsqu'il fut envoyé à l'école de la mission presbytérienne américaine du village. On y lisait et expliquait la Bible chaque jour, et . S undar entendit ainsi des choses qui éveillèrent dans son esprit les sentiments les plus contradic-+ . lQlres.

La première fois qu'on lui dit de lire la Bible, son sang de Sikh bouillonna: « Lire la Bible? Pour­quoi' donc? Nous sommes Sikhs, c'est le Granth qui est notre livre sacré. » l\.fais, avec un camarade de même rang, il finit par se laisser persuader d'obéir à la règle de l'école; il acheta même un Nouveau l""'estament et se mit à le lire. Son horreur ne fit que croître quand il s'aperçut que l'enseign~ment de la Bible bouleversait de fond en comble tout ce qu'il avait appris dès son enfance. Sa vénération in­née et presque fanatique pour sa religion le mit dans un état indescriptible. Il fut bientôt à la tête de la bande écolière des adversaires du christianisme. Il ùéchira ostensiblement les pages haïes de son Nou­veau Testament et les jeta au feu.

Quand son père l'apprit, il essaya de raisonner

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avec lui, assurant que la Bible était un bon livre, et ajoutant qu'il aurait dû la rendre au missionnaire plutôt que de la traiter de cette façon.

Là dessus Sundar revint à ses livres sacrés, le cœur plein de haine pour Christ et plus résolu que jamais à trouver cette paix dont lui avait parlé sa .. mere.

On le retira de l'école de la "tvlission pour l'en­voyer à celle du gouvernement, à une heure de mar­che de chez lui. Cette longue marche sous le soleil torride ne tarda pas à nuire à sa santé, et il devint bientôt évident qu'il lui faudrait retourner à l'école de la "Nlission s'il voulait achever son éducation.

Il ne cessait toutefois de chercher la paix, son cœur soupirait sans cesse après la «shanti », à la fois paix du cœur et pleine satisfaction de l'âmc. NIais plus il soupirait, plus il souffrait de ses per­pétuelles désillusions.

De retour à l'école de la 1tJission, Sundar se re­trouva l'Evangile à la main, obligé d'entendre cha­.que jour cet enseignement biblique. Sa haine aussi­~ôt de se réveiller, au point qu'il ne pouvait plus en­tendre sans colère le nom de Christ. Telle était la violence de ce sentilnent qu'un jour, l'ombre d'un Inissionnaire l'ayant frôlé, il mit une heure entière à se laver et se purifier de cette souillure.

Il parle de cette éJXXlue de sa vie commc d'un temps des plus douloureux, parce qu'il en était venu d'une part à constater la totale impuissance de sa religion, tandis que d'autre part sa haine du christianisme l'empêchait de chercher dans l'Evan-

x ».

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Appelé de Dieu.

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Heu,-eux CeftX qui ont faIm et S01.! de la jus-­tice, car ils sep'ont t'assasiés. (Matt. 5 : 6.) Venet à moi, •. et je vous donnerai du repos., (Matt. Il : 2~).

Jusqu'ici, Dieu avait mené Sundar par un chemin qu'il ne connaissait point et qui semblait ne le con­duire que dans une nuit plus noire. Après avoir étudié ligne après ligne toutes les religions qu'il connaissait, après avoir écouté tout ce que de nom­breux maîtres avaient à dire, il éprouvait un besoin toujours plus pressant de trouver à tout prix cette « shanti » désirée.

C'est alors que, dans le silence du sanctuaire de son propre cœur, surgit enfin la pensée qu'il trouve­rait peut-être quelque clarté dans ce livre mépr'isé­qu'il avait détruit avec tant de fureur, et il reprit la lecture du Nouveau Testament... Dans l'angoisse, qui le torturait et le désespoir qui le labourait, il 1 ut : « Venez à moi. .. et je vous donnerai du repos.» Son attention éveillée par ces mots, il poursuivit sa lecture avec un intérêt croissant. L'histoire de la croix le plongea dans l'émerveillement. Il ne pou­vait plus maintenant faire chorus avec les railleurs. Il s'entretenait parfois avec Je maître, tout tranquil­lement. On le remarqua, on en fit part à son père, mais celui-ci ne s'en émut point: sa mère l'avait trop solidelnent ancré dans la religion des Sikhs. ~~ieJ~Ta.ill e l'Evangile était entré dans son

cœur, et lorsqu'il arriva à la grande nouvelle que « Dieu a tant aimé le monde qu'Il a donné son Fils unique afin que quiconque croit en Lui ne périsse point, mais qu'il ait la vie éternelle », ce fut déjà comme un baume consolateur sur la plaie de son âme. Cependant, il était trop angoissé pour trouver '

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aussitôt le repos et une fois encore il jeta la Bible­au feu. Il sentit enfin qu'il fallait mettre un terme _ à cette lutte. Il résolut donc, un soir, de trouver la paix avant le jour, coûte que coûte, dans ce monde­ou dans l'autre. Il savait qu'à cinq heures du matin l'express de Ludhiana passait au fond du jardin, et sa conscience d'enfant hindou ne lui interdisait point de mettre fin à sa misère. __

Réveillé avant 3 heures, il se baigna d'abord, à la mode hindoue, puis il se retira dans sa chambre, décidé à passer le reste de la nuit dans la prière. Un peu avant l'aube, Sundar eut l'impression qu'une­nuée lumineuse remplissait la chambre; il vit, dans cette nuée, la radieuse figure de Christ et entendit sa voix lui parler avec amour. A ce moment, jaillit dans son cœur cette grande « shanti » si longtemps cherchée.

l .. a vision s'évanouit, Inais depuis ce moment-là C~hrist est resté avec lui, et la « shanti » a été dès lors son trésor le plus précieux.

Le cœur débordant de joie, Sundar alla dans la chambre de son père et lui annonça qu'il était chré­tien. Le père, ne pouvant croire que la chose fût sé­rieuse, l'envoya se coucher et se rendormit. Mais­en cette nuit mémorable, Sundar avait entendu l'appel de Jésus couronné d'épines, l'engageant à suivre ses traces; dès lors, parler du Christ vivant reste son thème préféré, jusqu'au jour où il sera­amené en présence de son Sauveur pour l'éternité.

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L ·'izomme aura pour ennemis ceux de sa pn)pre .Appelé à maison (Matt. 10 : 36). souffrir. Ca1~ il vous a éte fait la gl·âce, pa1' rapport à

Christ~ 11011 seulement de c"oiJ"{! Cn lui, mais aussi de sorl,ffri7' pour lui (Phil. 1 : 29)'

Je regarde toutes choses comme une perte . . . afin de Le con­naître ... et la communion de ses sou..Ûrances (Phil. 3 : 8·ro).

Les neuf mois qui suivirent, et qu'il passa encore dans la maison paternelle, ne furent que chagrin sur chagrin. douleur sur douleur; il eut à boire la coupe amt~.re jusqu'à la lie.

Les membres de sa famille trouvèrent odieux ·qu'il eût choisi Jésus pour 11aître. Ils ne pouvaient admettre que 1'un d'eux, appartenant à une famille .aussi fière et influente, pût rêver de faire partie de cette secte méprisée des chrétiens.

Le père, dans une conversation sérieuse et pleine de tendresse, supplia son fils de mettre de côté des idées aussi déshonorantes et insensées, de se rappe­ler sa situation et l'avenir qu'il avait devant lui. Il fit passer devant les yeux de Sundar des visions de richesses et d'honneurs, de brillantes positions; puis, voyant le peu de résultat qu'il obtenait, il lui représenta la honte que ce serait pour sa famille s'il persistait dans sa résolution. Le père connais­sait le cœur de son fils, son affection pour sa mère et tous les siens.

Personne, sinon Sundar Singh lui-même, ne pourra dire les affreuses tentations qu'il eut à sup­porter à ce moment-là. Quelle angoisse dans son âme à l'idée qu'il attirerait le blâme sur ceux qu'il aimait! il vit, étalés devant lui, les tentations, les ambitions comme le faste du monde e sentit une fois de plus la force séductrice des attraits et de l'amour terrestres.

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nIais Dieu n'avait pas retiré Sundar du désespoir et de la nui t pour le laisser devenir la proie des ten­tations. Il lui sembla que Jésus murmurait à son oreille: « Celui qui aime son père ou sa mère plus que moi n'est pas digne de moi, et celui qui ne prend pas sa croix et ne me suit pas, n'est pas digne de moi. » Quand il vit les larmes de son père, il sen­ti t son cœur se déchirer; cependant, tout en protes­tant de son amour filial, il reçut d'en haut la force de parler de l'amour plus grand encore qu'il avait voué à Celui qui lui avait ordonné de Le suivre, et auquel il ne pouvait désobéir.

Des scènes aussi tragiques ne peuvent se décrire tout au long.

Quand on vit Sundar absolument décidé à suivre Christ, on fit encore un tentative suprême pour le 1 essaisir et le ramener à son ancienne croyance. U 11

oncle, très riche et honoré, l'emmena un jour dans son immense demeure et le conduisit dans une cave profonde sous le bâtiment principal. Après l'avoir fait entrer, l'oncle referma la porte sur eux deux et Sundar se demandait déjà si sa dernière heure était venue, lorsque l'oncle s'avança, prit une clef, et ouvrit un grand coffre-fort. Une fois la porte ou­verte, le jeune garçon put voir des richesses telles qu'il n'en aurait jamais rêvé de pareilles. Il y avait des liasses de billets de banque, des bijoux d'un prix infini et de l'argent en quantité. Son oncle le supplia de ne pas déshonorer le nom de la famile en devenant un chrétien; et, ôtant son p'legga'ree de sa propre tête, il le déposa sur les pieds de Sundar comme la dernière et la plus humble des supplica­tions, en disant : «Tout ceci sera à toi si tu restes des nôtres. »

Sundar se sentit fortement tenté, car non seule-3

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ment ses yeux étaient éblouis par tant de richesses~ mais son cœur était douloureusement ému de voir son oncle condescendre à s'humilier de la sorte de­vant le plus jeune fils de la famille. Ses yeux se remplirent de larmes, tandis qu'il regardait le pug­garee posé sur ses pieds, représentant l'opprobre qu'il attirait sur ceux qu'il chérissait, et son oncle vénéré nu-tête devant lui.

Mais, à ce moment précis, son cœur se trouva rem-pli d'un tel amour, d'un tel dévouement pour Christ, que le refus vint aisément à ses lèvres, et en même temps il eut un tel sentiment de l'approba­tion divine et de l'acceptation de son Sauveur bien­aimé, que sa sainte résolution de Le suivre en fut aussi tôt puissamment forti fiée .

.LJ\.près cela, son père lui déclara catégoriquement qu'il n'était plus de la famille, mais un «hors caste».

Sundar et un camarade Sikh avaient tous deux trouvé Christ et le confessèrent dans leur famille. Les parents de rami de Sundar intentèrent un pro­cès aux missionnaires américains, les accusant d'a­voir usé de contrainte sur leur garçon. Amené de­vant Je juge, celui-ci rendit vaillamment témoi­gnage de sa foi; questionné, il tira de sa poche son Nouveau Testament et répondit en le montrant, la Inain tendue: « Ce n'est pas ce que n1~a dit le Padri Sahib, c'est la lecture de cet Ingil qui In'a fait croire en Christ; ainsi, laissez aller le Padri Sahib. » L'ac­cusation tombait, mais pendant un temps Sundar et son alni furent obligés de rester avec leurs fa­milles jusqu'à ce qu'ils fussent en âge de faire le pas décisif qui devait avoir pour eux de telles consé­quences.

Il est facile de con1prendre comment l'attitude ré­solue de ce jeune garçon devait soulever contre lui

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l'hostilité la plus acerbe de la part des siens. Son pire ennemi fut son propre frère, qui se mit à le persécuter journellement et à le faire amèrement souffrir. Nul propos ne lui semblait trop méprisant pour cet apostat et pour son « Jésus»; aussi devait­il se cacher et user de mille précautions pour lire son précieux Testament.

Il fut naturellement retiré de l'école de la Mis­sion, qui dut se fermer d'ailleurs à cause de la per­sécution. L'hostilité devint même telle dans le vil­lage que la petite communauté chrétienne, ne pou­vant plus rien acheter dans les magasins, dut se transporter dans un endroit plus accueillant, lais­sant Sundar seul et sans un ami.

Comme l'orage allait grandissant, Sundar com­prit qu'il lui devenait impossible de rester dans la maison paternelle, et il finit par se réfugier au Quartier général de la 11ission presbytérienne amé­ricaine, à Ludhiana, où il trouva l'accueil le plus affectueux. On pri t des mesures spéciales pour la préparation de ses aliments, afin de prévenir des réclamations de la part des siens, et Sundar entra à l'école supérieure pour continuer ses études.

Il se faisait une idée très élevée de ce que doit être un chrétien, et il s'aperçut bientôt que la plu­part de ses camarades n'étaient chrétiens que de nom. La conduite de certains d'entre eux le décida même à quitter la mission et à s'en retourner chez lui. Ses parents crurent naturellement, en le voyant revenir à Rampur, qu'il avait abandonné le chris­tianis111e et ils raccueillirent avec bonté. l\/Iais ils furent bientôt désill usionnés: il était pl us décidé que jamais à suivre Jésus.

C'est alors qu'il fit le pas décisif qui allait rom­pre les derniers liens qui pouvaient encore le ratta-

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cher aux siens et à leur religion: il coupa sa longue chevelure, montrant ainsi qu'il n'était désormais plus un Sa<h. Le Granth, leur livre sacré, interdit aux Sikhs de se couper les cheveux, de sorte qu'un vrai Sikh met sa gloire dans sa longue chevelure. Parmi les races diverses de 1 ~Inde, la longue touffe de cheveux est entourée d'un respect tout particu­lier; aussi est-ce la dernière trace d'hindouisme dont se défait un hOtnme attaché à sa caste en deve­nant chrétien.

En se coüpant les cheveux, Sundar prononçait contre lui-même une sentence d'ostracism,e et se déclarait du même coup disciple de Christ, se char­geant de sa croix. Il attirait ainsi sur lui l'opprobre suprême: renié par les siens, rejeté, hors caste, traité COlnme le dernier des derniers, et cela par ceux qui le chérissaient le plus. « Nous somlnes de­venus les balayures du monde », disait l'apôtre Paul et après lui, maintenant, ce garçon de seize ans, qui ne s'était pas encore donné comme vraiment chré­tien!

Dès lors on ne le reg-arde pl us comlne de la fa­rnille. On lui · sert ses repas hors de la maison comme à un paria ou à un pestiféré, et c'est là aussi qu'il [ui faut dormir. La première fois qu~i1 dut su­bir ce traitement, ses yeux s'emplirent de larmes; la croix lui semblait vrailnent trop lourde.

Peu de temps aprrès, un de ses beaux-frères, au service du Raja de l'Etat de Nabha, l'emlnena chez lui pour un jour ou deux, dans l'espoir de le faire changer d'avrs. C'est alors que le Raja entendit parler de l'affaire et assigna Sundar à comparaître devant le Durbar, ou l'assemblée de l'Etat, pour y rendl~e compte de sa conduite. En termes des plus persuasifs, le Raja lui fit des offres fort alléchantes.

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y joignit U11 appel austère à son orgueil de race, lui rappelant qu'il était un Singh (un lion) et que de­venir chrétien c'était devenir un chien. Sa réponse, (LUelle qu'elle ait été, lui fut « donnée à l'heure nlê­Ine », et ni raisonnements, ni appels, ni séductions ne purent ébranler sa résolution.

A son retour chez lui, toute la colère amassée clans le cœur de son père se déversa sur lui: le pau­vre garçon fut Inaudit, renié, et averti qu'il aurait ù quitter la maison de ses pères pour jamais dès le lendemain nla ti n.

Il se coucha donc ce soir-là pour la dernière fois sous la vérandah paternelle, le cœur saignant. Il ,fut expulsé à l'aube du lendemain, sans autre chose que les minces vêtements qu'il portait et juste assez d'argent pour prendre le train jusqu'à Patiala.

Il s"en alla ainsi dans le vaste monde, dépouillé de tout., ..sans foyer, sans ami.

J'a.i pris 1na croix pou·r te suiv're, o J és-us, pour être à toi.

Pr'l~'l1é de tout, C01nn~ent vivre ? .. . 1\11 ais tu, seras tou·t pour 'l'noi.

Appelé à Tu as été appelé, et... tft as fait une belle con­souffrir fession eu présence d'un grand nomb,"e de témoins encore. (1 Tim. 6 : 12).

Une fois ùans le vagon, Sundar se rappela qu'il y avait à Ropur une petite colonie de chrétiens, dont quelques-uns étaient même des réchappés de Rampur. Il y descendit donc et s'en al1a tout droit chez l'excel1ent pasteur hindou de l'endroit. Direction providentielle, car tôt après il tomba gra­vement malade, et il fallut chercher un médecin; on

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avait mis un poison mortel dans le dernier repas qu'il avait pris chez lui, dans l'espoir qu'il mourrait dans le train !

La femme du pasteur ne quitta pas son chevet de la nuit, le médecin ayant déclaré le cas désespéré et ayant promis de revenir le matin pour les funé­railles ...

Sundar souffrait atrocement, perdant rapidement ~on sang et ses forces. Toutefois, convaincu que Dieu ne l'avait pas arraché aux ténèbres pour le laisser mourir avant qu'il eût pu rendre témoi­gnage de sa foi, il se mit à prier, avec le peu de forces qui lui restaient.

Le matin venu, il était encore là, quoique extrê mement faible. Le médecin fut tellement émerveillé de le retrouver vivant qu'il emporta un Nouveau 'Testament pour l'étudier. C'est ainsi qu'il est de­venu un croyant, et qu'aujourd'hui il est à l'œuvre comnle missionnaire en Birmanie.

L'ami de Sundar passa par des expériences SelTI­blables. 1ifais, tandis que Sundar était encore entre la vie et la mort, son anli, empoisonné aussi, était rappelé dans la présence de son Rédempteur, pour être «avec le Seigneur à jamais». après ayoir pu donner son témoignage bien court, mais conlbien héroïque!

Dès que Sundar fut en état de supporter le voyage, il retourna à Ludhiana se placer sous les soins bienveillants des missionnaires américains.

Tant qu'il y fut, ses parents firent plusieurs ten­tatives d'enlèvement, une fois même de vive force ,. tellement qu'il fallut faire intervenir la police.

La tentative la plus douloureuse pour Sundar fut celle que fit son vieux père, venu pour lui adresser un dernier appel. La vue de ce pauvre père aux

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traits ravagés par le chagrin lui fit une impression profonde, et comme le vieillard lui parlait du tendre amour de sa mère et des jours heureux de son en­fance, un rapide panoranla passa devant son imagi­nation, lui retraçant tout le bonheur de la vie de fa­mille, du chez-soi, de l'amour dont il avait joui; ses larmes jaillirent et un violent combat s'engagea dans son cœur ... 1-1ais il ne se trouva pas seul pour cOlnbattre, il y en eut Un qui se tint à son côté pour fortifier la résolution de son âme et l'aider à se charger de sa croix pour Le suivre.

Quand son père repr i t le chemi 11. de la maison, le dernier grand sacrifice était fait et Sundar se trou­vait, comme aujourd'hui enCOl'e, dépouillé de tout ce que peut offrir la vie, mais accepté par son Sei­gneur.

Ces longs mois d'épreuves de tout genre avaient été l'effort suprêlne de l'ennemi, et chaque souf­france nouvelle ne pouvait plus qu'ajouter un peu de douceur et de fermeté à son caractère.

On jugea toutefois nécessaire de le mettre à l'abri des attaques perfides de ses ennemis, et on l'envoya à la 11ission médicale américaine de Sabathu, petite localité à 36 kilolnètres de Simla, pour qu'il pût se plonger sans distraction dans l'étude de son cher N Ol1veau Testan1.ent.

Dégagé de tous liens terrestres, il désirait ardem­ment confesser sa foi par le baptême. Après l'avoir deInandé à réitérées fois, il obtint enfin d'être bap­tisé le jour même de son seizième anniversaire, le J septembre 190 5, à Simla.

Il retourna dès le lendelnain à Sabathu, le cœur débordant d'allégresse à la pensée qu'il était « en­seveli avec Lui par le baptême ... , et ressuscité avec J_ui par la fOl.») (Col. 2: 12.) Toutes les pénibles

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luttes des Illois écoulés s~effaçaient devant cette JOIe - . nouvelle de porter le 110nl du 1 'Iaître bien-aitné pour qui il avait déj à tant souffert.

Son cœur dès lors brùla du désir de faire connaî­tre à d'autres le Sauveur à qui il s'était donné, et ses regards se portèrent sur la grande Œuvre à la­Huelle il allait vouer sa vie. Le jour était venu enfin où il pouvait s'abandonner corps et âme à Jésus­Christ: dès longtemps il se sentait attiré par la vie de sâdhou, et bien qu'il sût tout ce qu'ilnpliquait ce genre de vie, le sacrifice était fait.

Après avoir disposé de ses livres et de ses effets personnels - ce ne fut pas long - le 6 octobre J 90S, trente-trois j ours après son baptême, il adopta la simple robe de safran qui allait pour jamais faire de 1ui un homme voué à une existence de religieux. Pieds nus, sans rien pour vivre, son Nouveau Tes­tament à la main, son Seigneur à son côté, le sâ­dhou Sundar Singh partit pour sa campagne d'évan­gélisation qui dure encore ...

. ~.

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Appelé à servir.

CI-IAPITRE III

A L'ŒUVRE.

Il plut :à Celui ... qui m'a appelé pa," sa grâce de ,"évéler en moi S01l r~i/s, afin que je l'annon­çasse pa,"mi les païens (Gal. 1 : 15-16). Vous me servirei. de tbnoins (Actes 1 : 8).

Dès lors, Sundar se trouvait lancé dans une exis­tence d'abnégation et de souffrance telle que peu d'hommes au monde en ont une idée. Pour passer' de l'hindouisme à Christ, il avait suivi un sentier semé d'épines, mais après la vision qu'il avait eue de Jésus, et en possession de la paix que son Sau­veur lui avait donnée, aucun sacrifice ne lui parais­sait trop grand.

Aùra'is- je 1n.ê'1'1'ze tou,t le 1'1'l.onde J

Ce se'1~ait peu t'offrir encor: A ta tendresse si profonde J'aba.1'tdo1'tne tout mon trésor.

(D. V\Tatts.}

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Il ne fallait rien de moins pour satisfaire son âme ardente, et l'on comprend qu'en s'engageant dans cette vie de sâdhou dans cet esprit, il ait ré­solu, «moyennant sa grâce », comnle il le dit, de n'en vivre jamais d'autre. Tout jeune qu'il était, il -avait déjà un cœur de sâdhou rempli d'une passion di vine pour les âmes et dans son amour pour son Sauveur il choisit pour son premier champ de tra­vail son propre village, d'olt il avait été chassé si peu de mois auparavant.

Il parcourut ainsi de nouveau les rues familières de Rampur, rendant témoignage partout à la puis­sance du Sauveur et au bonheur qu'il avait trouvé en Lui. Et voici que même les portes des zénanas s'ouvrirent devant lui, de sorte qu'il put aller de maison en maison redire sa merveilleuse histoire. De là, il passa dans les villages des environs, pro­clamant partout et à tous son glorieux message de . paix.

Poursuivant sa route" il visita nombre d'autres villes et villages du Pendjab, se dirigeant vers l'Af­ghanistan et le Cachelnire, tournée longue et des plus pénibles pour un jeune homme qui n'était nul­lement accoutumé à cette existence de sâdhou. Il eut beaucoup à souffrir du froid et des privations. En outre, le terrain était dur et sa prédication n'éveil­"lait guère d'écho ùans l'Afghanistan. Ce fut cepen­dant dans l'antique ville de Jalalabad, dans l'Afgha­nistan, qu'il trouva quelques Pathans, qui, tout en ourdissant un complot contre lui, finirent par ac­-cueillir son message, comme on le verra plus loin.

Né et élevé dans l'extrême nord de la péninsule, et familier avec la région montagneuse de l'Hima­laya, Sundar se sentait attiré tout naturellement

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vers ces lieux sombres où l'on ne sait rien encore de Christ. N'était-ce pas là sa paroisse? ...

Jusqu'à ce moment, Dieu semblait avoir voulu peu à peu seyrer Sundar de tout ce qui donne du prix à la vie. Parents, fortune, foyer, il avait tout perdu pour Christ. Les quelques cOlnpensations qu'il avait trouvées dans l'accueil des chrétiens lui avaient été ôtées dès qu'il s'était trouvé aux prises avec des populations cntièrClnen t païennes.

Son Inince vêtement laissait passer le froid; épi­nes et cailloux lui lueurtrissaient les pieds. La nuit arrivait sans qu·'il süt où se blottir, alors qu'un vent glacé soufflait ou que la pluie le transperçait. Avec le jour revenaient la faim et des souffrances dont il n'avait jalnais eu l'idée. Son âme ardente était en­vahie par le découragement à la vue de ces misères <lui semblaient si inutiles, son message étant sou­vent repoussé avec dédain, et lui-mêlne chassé et obligé d'aller se tel-rer pour la nuit avec sa faim dans quelque caverne ou sous n'importe quel abri fourni par la jungle.

Son costume lui ouvrait bien toutes les portes mais souvent, sitôt qu'on découvrait qu'il était chrétien, on le chassait, affamé et prêt à périr.

NIais rien n'a pu le décourager. Incapable de re­culer devant le danger ou même la nlort, Sundar Singh continue sa sublime mission dans les plus sombres recoins des Indes et des régions environ­nantes. Il poursuit toute l'année son travail pour les âmes hunlaines, dans les Inontaglles et dans la plaine, dans les villes et les villages, parlui les po­pulations dispersées et les tribus nomades aux fron­tières de l'Inde.

S'il a beaucoup souffert parlni tous ces gens, il a eu aussi non seulement l'imnlense JOIe de faire con-

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naître le nom de Christ, mais d'amener des âmes à ~es pieds. Son plus grand travail s'accomplit parmi les païens et il sent que) à leurs yeux du moins, sa vocation est vraiment divine.

Appelé Je n'ai pas eu la pensée de savoù' parmi vous auh-e chose que Jésus-Christ, et Jésus-CI17-ist

à prêcher. ,' 17' (1 C ) cruclre or. ~ : 2 •

Très fatigué après sa longue tournée au travers du Pendjab, du Cachemire, du Béloutchistan et de l'Afghanistan, le sâdhou revint sur ses pas et arriva ~l Kotgarh, petite localité au-delà de Simla dans l'Himalaya, où il prit quelque repos.

Cet endroit restera toujours associé au nom de SundéU" Singh : il y a travaillé au début de sa car­rière missionnaire, et c'est encore là qu'il va cher­cher du repos entre ses campagnes ou avant de par­tir pour les rudes tournées qu'il entreprend dans les contrées voisines du Thibet ou du Népaul.

Au cours de l'été 1906, il rencontra wI. Stokes, en séjour près de Kotgarh. Ce riche Américain était venu en Inde pour consacrer ses labeurs à la popu­lation du pays et à la gloire de Dieu. Sa rencontre avec le sâdhou enflamma son zèle et lui inspira l'ardent désir de se joindre à Sundar en faisant, comme lui, l'abandon de tout. Après avoir examiné ce projet avec prières, il se décida à faire ce pas, et les deux sâdhous entreprirent ensemble une tour­née dans la vallée de Khangra. Ce ne fut pas sans peine qu'ils obtinrent le vivre et le couvert; mais le tt-avail fut encourageant et leur communion mu­tuelle fort douce.

C'est au cours de cette canlpagne que Sundar ~.ingh tomba Inalade. J~es deux sâclhous avaient

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couvert ensemble des centaines de kilomètres, par­tageant les Inêmes fatigues, fréquemment contraints de s'abriter dans des caravansérails sordides, man­quant souvent de nourriture, ou n'ayant à se parta­ger que des aliments répugnants.

Comme ils traversaient 4l1e région insalubre, Sundar fut saisi par la fièvre et par de violentes douleurs internes. Secoué de frissons, brûlant de fièvre, souffrant constamment, il ana se traînant jusqu'à ce qu'il lui fut impo~ible de faire un pas de plus. Il s'affaissa sur le sentier, presque sans connaissance, et ~1. Stokes dut le soulever pour l'asseoir dans une posture plus supportable, tout en lui demandant comment il se trouvait.

Jamais un sâdhou ne se plaint de quoi que ce soit, et NI. Stokes ne s'étonna pas de la réponse de Sundar, qui lui dit d'une voix faible, -en souriant: « Je suis très heureux. Qu~il est doux de souffrir pour Lui! » Ceux qui le connaissent le mieux sa­vent que c'est bien là la note fondatnentale de sa vie.

L'endroit était sauvage et désert, c'était dans la jungle, et M. Stokes était fort embarrassé. Il par­vint cependant à conduire son compagnon jusqu'à 1a maison d'un Européen, à quelques kilomètres de là; entouré de bons soins, il ne tarda pas à se remettre.

Cet hôte bienveillant avait vécu jusqu'alors dans la plus complète indifférence religieuse, mais ce qu~i] voyait et entendait chaque jour de la part de ce sâdhou lui donna à réfléchir, si bien qu'il se con­vertit. Ainsi cette maladie n'avait pas été stérile.

NI. Stokes ayant une lampe à projections lumi­neuses, Sundar la lui emprunta et s'en servit à Rampur et ailleurs pour les prédications du soir, (lui attiraient des foules. i\insi~ infatigables, les

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deux sâdhous allaient de lieu en lieu, marchant au-1ant que possible la nuit, parce que NI. Stokes mar­chant tête nue, ne supportai t pas le soleil tropical.

En 19°7, ils allèrent visiter l'asile des lépreux de Sabathu, et un peu plus tard, la même année, ils se rendirent à Lahore, au camp des pestiférés. Ils y travaillèrent sans répit, de jour et de nuit, ne s'ac­cordant que quelques heures de repos, qu'ils pas­saient étendus sur le sol au milieu des malades et des mourants. . ~

L'année suivante, :NI. Stokes s'en alla en congé en Amérique, et Sundar se trouva de nouveau seuL De Lahore, il se rendit à Sindh, reprenant le che­min du Nord par le Radjputana; puis, quand yint la saison chaude, il fit sa première campagne au pays clos du Thibet. Partout il annonç-ait l'Evangile et nul ne le rencontra sans apprendre que Jésus était venu dans le monde pour sauver les pécheurs.

A son retour du Thibet, il aurait beaucoup aimé aller en Palestine, dans la pensée que la vue des lieux où son Sauveur avait vécu et souffert lui don­nerait une inspiration nouvelle. Mais, arrivé à Bom­bay, il comprit que son proj et était irréalisable, de sorte qu'en 1909 il s'en retourna dans le Nord, en passant par les provinces du Centre, toujours prê­chant partout.

La preuve que Sundar Singh était alors déjà en­seigné de Dieu, c'est l'accueil fait à sa prédica­tion par les populations non chrétiennes, dès le dé­but de sa carrière. Tous ceux qui l'ont connu affir­ment qu'il était en possession d'un pouvoir singulier et que les foules étaient suspendues à ses lèvres lorsqu'il annonçait l'Evangile.

On en vint bientôt à désirer élargir le cercle de

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son influence en faisant aussi rentrer les commu­nautés chrétiennes dans son champ de travail, mais, pour cette tâche importante, une préparation parut nécessaire. En conséquence, il subit l'examen de­preInière année des étudiants en théologie, et entra d "emblée en seconde année au collège théologique de St-Jean, à Lahore. Les années 1909 et 1910 se­passèrent donc ainsi, sauf les vacances qu'il consa­cra à l'évangélisation.

Il portait toujours la robe safran. La notion d'un sâdhou chrétien était alors toute nouvelle et en ren­dait perplexes beaucoup. Mais jamais Sundar ne­fléchit dans sa résolution première, en dépit des cri­tiques qui lui firent paraître dures parfois ces an­nées d'études.

Pendant ce telnps, lVI. Stokes revint, après un voyage en Angleterre, où il lança l'idée d "une Fra­ternité travaillant exclusivement pour la gloire de Dieu et le bien des hommes, sous quelque forme que ce fût, et non pas uniquement par la parole. Plus le travail serait humble et rude, mieux cela vaudrait!

L'archevêque de Canterbury, consulté, parut ap­prouver ce proj et, de sorte qu'à son retour en Inde, :IVI. Stokes fonda cette Fraternité avec quatre autres personnes, Sundar Singh seul étant un Hindou. Un service solennel d'inauguration eut lieu dans la ca­thédrale de Lahore; deux des cinq prononcèrent les vœux, tandis que Sundar, déjà voué à la vie de, sâdhou pour l'amour de Christ, garda le rang de . nOVlce.

A la sortie du collège, Sundar fut recommandé pour le diaconat par le Conseil missionnaire du dio­cèse, et on lui accorda le droit de prêcher. Bientôt son cœur le poussa vers le Thi bet, Ot1 il alla passer les six mois de l'été pour retourner ensuite à Kot-

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garh, où il travailla quelque temps avec la Mission de l'Eglise anglicane .

. l\insi que le faisait John \t\Tesley, Sundar consi­dérait le monde entier comme sa paroisse; il p.rê­chait partout et à tous ceux qui consentaient à l'en­tendre. On ne tarda pas à cri tiquer ses méthodes. On lui déclara qu'il vaudrait mieux ne plus travail­ler de cette façon comme diacre, et qu'une fois con­sacré Ininistre, ce ne lui serait plus possible du tout.

Dans sa candide simplicité, il ne s"arrêta pas un instant à calculer les conséquences de son refus d'obéir. La vie d'un ministre consacré, avec tou­tes ses possi bil i tés, ne lui souriait nullement. Il trancha la question à genoux, dans le calme du tête­à-tête avec Dieu, et résolut de s'affranchir à jamais de toutes les dénominations ou sectes. Il renvoya à l'évêque sa licence de prêcher, en lui expliquant qu'il se sentait appelé à prêcher à n'importe qui, partout où Dieu l'enverrait. L'évêque Lefroy (aujourd~hur nlétropolitain pour l'Inde) eut le cœur assez large pour le comprendre.

C:e cap dangereux ainsi doublé, Sundar Singh se mit au service des chrétiens de tous bords, tout en se donnant librement à l'œuvre immense de l'évan­gélisation des populations non chrétiennes de rlnde entière.

Incidents CeluI qUI sauve une âme couvre une multi­de la vie tude de péchés (Jacq. 5 : :lolo

de sâdhou. Il y a de !a joie dan~ le ciel pOUt· un seul pécheur qUI se repent ~Luc 15 : (0).

Les années 191 [ et 1912 se passèrent en tournées dans le Garh\val, le Népaul, le Kulu, le Pendjab, et nombre de localités, tandis que les six mois d'été Sundar les passait dans le Thibet.

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\ 7oici quelques incidents qui donneront une idée de la vie et de l'œuvre de Sundar Singh à cette , epoque.

Un jour qu'il se rendait à un village, il aperçut devant lui deux hommes, dont l'un disparut sou­dain. Il rattrapa bientôt l'autre, qui l'accosta et lui montra à terre un corps enveloppé d'un drap en lui disant que c'était son ami, qui était mort en chemin, et qu'il n'avait pas d'argent pour l'enterrer. Sundar n'avait que sa couverture et deux piécettes qu'on lui avait données en vue du péage. Il les donna cepen­dant à cet homme et poursuivit sa route. Au bout d'un instant ce même hom.me le rejoignit en cou­rant pour lui dire au milieu de ses sanglots que son compagnon était réellement mort. Sundar ne com­prenant pas, l'autre lui expliqua qu'ils avaient l'ha­bi tu de de faire le Inort à tour pour exploiter le pu­blic, et cela depuis des années; mais que cette fois-ci il avait vainement appelé son ami et que, en soule­vant le drap qui le recouvrait, il avait été saisi d'horreur en constatant qu'il était vraiment mort.

Le malheureux venait donc implorer le pardon du sâdhou, persl~dé que c'était quelque grand saint qu'ils avaient dépouillé de tout . ce qu'il avait, de sorte que le courroux des dieux les avait atteints. Sundar alors lui parla du Maître de la vie, et le coupable repentant accepta le message du sâdhou qui l'envoya à une station nlÎssionnaire près de Garh­,val où, un peu plus tard, il fut baptisé.

Au cours d'une de ses longues pérégrinations dans les montagnes, son sentier se bifurquant, il ne sut pas quel chemin prendre et il prit le mauvais, si bien qu'arrivé dans un village, il découvrit qu'il s'était écarté de sa route de plus de dix-sept kilo­mètres. En retournant sur ses pas, il rencontra un

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hornmc avec qui il engagea la conversation. Comme il lui parlait de C:hrist, l'homme tira des plis de son vêtement un Nouveau Testa.ment et avoua qu'il l'a­vait caché à la vue du sâdhou, le prenant pour un sanyasi hindou. Il était tourmenté par des problè­mes qui lui semblaient insolubles, lnais Sundar Singh l'éclaira si bien qu'il arriva à la foi. Aussi, en parlant de cet incident., Sundar Singh put dire: « Je sais nlaintenant pourquoi je lne suis trompé de chenlin: c'est Christ qui m'envoyait au secours (rUne âlne en détresse. »

A 1.farkanda, trouvant quelques hommes occupés à moissonner, il s'approcha et se mit à leur parler de Jésus et des choses éternelles. Ils l'écoutèrent d~abord avec indifférence, puis leur attitude devint hostile: ils ne se souciaient nullement d'entendre parler d'une religion étrangère. On se mit à l'inju­rier et à le malmener; l'un d'eux Inême prit une pierre et la lui jeta à la tête, mais bientôt, saisi lui­même d'un violent mal de tête, il dut cesser le tra­vail ; sur quoi le sâdhou ramassa sa faux et se mi t à moissonner à sa place. Les cœurs s'adoucirent alors et, le soir venu, les Inoissonneurs l'invitèrent à les accornpagner chez eux. La paisible soirée lui fournit une excellente occasion de faire entendre son message .

.i\près son départ, les moissonneurs anîassèrent la récolte de la journée et constatèrent avec éton­nement qu'elle était plus considérable que d'habi­tude. Effrayés, ils se dirent qu'ils avaient eu évi­rlernment la visite d'un saint hOlTIlne, et se mirent à la recherche du sâdhou pour écouter plus attentive­ment son message, mais ils ne purent le retrouver.

L'incident a été raconté dans un journal de l'Inde septentrionale par l'un des moissonneurs, qui priait

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par ce moyen le sâdhou de vouloir bien revenir à eux.

Dans l'antique cité de ]alalabad, il se trouva au milieu d'une population cruelle et perfide qui, en dé­couvrant qu'il était chrétien, complota contre sa vie. Au moment où il prenait quelque repos, la chose yint à sa connaissance par J'entremise de quelqu'un de moins malveillant que les autres, mais, n'ayant rien fait qui pût justifier ce complot, Sundar Singh avait peine à y croire. II résolut néanmoins de cher­cher un abri plus sûr. Il ne lui restait que le cara­vansérai1, infesté de moustiques et de vermine; c'est là qu'il se réfugia.

Le lendemain matin, comme il avait allumé un teu pour sécher ses habits, arriva une bande de Pa­thans. A sa grande surprise, leur chef vint se jeter à ses pieds et lui raconta qU"ils venaient dans l'in­tention d "attenter à sa vie, mais qu'en le voyant ils avaient renoncé à leur projet, en constatant qu'au lieu d'être transi, comme ils s'y attendaient, il était en parfaite santé; il devait être un favori d'Allah, et ils le priaient de bien vouloir accepter l'hospita-1ité de leur toit.

Il passa avec eux une semaine des plus heureuses, car ils prirent à cœur ses enseignements, si bien que le sâdhou a bon espoir de moissonner quelque fruit de ses labeurs parmi ces endurcis .

. ~.

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CHAPITRE I\T

PREMIERES GRANDES EXPÉRIENCES

L'obéissance par la

souffrance.

Il a appris l'obéissance paJ' les choses qu'il a souffertes (Hébr. 5 : 8).

Sundar Singh seul peut savoir tout ce qu'il a eu à endurer pour son Maître au cours de ses années de ministère. Il admet qu'il manqua fréquemment de nourriture convenable, se trouvant réduit aux baies et autres produits de la jungle et, plus d'une fois, chassé des villages, il a dû passer la nuit sous un arbre ou dans quelque anfractuosité du sol. La plu­part des contrées qu'il a évangélisées ne compor­tent guère pareil genre de vie, et il n'y a rien d'é­tonnant à ce qu'il ait dû parfois partager son misé­rable gîte avec un serpent ou une bête sauvage.

Dans un village du district de Thoria, on se con­duisit si mal à son égard qu'il passa toutes ses nuits dans la jungle. Au soir d'une journée particulière­ment décourageante, la nuit étant fort noire, le sâ­dhou trouva une caverne, où il déploya sa couver­ture et s'endormit. A son réveil, au petit jour, il aperçut un énorme léopard endormi à côté de lui. A moitié paralysé d'effroi, il se glissa dehors et ne ré­fléchit qu'alors à la bonté de Dieu qui avait veillé

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sur lui pendant son sommeil. «Jamais encore, as­sure-t-il, une bête sauvage ne m'a fait de mal. »

Une autre fois, expulsé d'un village, il méditait, assis sur un rocher voisin d'une caverne. Absorbé dans sa contemplation, il n'aperçut pas d'abord une panthère noire qui Je guettait furtivement, non loin de là. Effrayé, nIais se confiant en Dieu, il se leva tranquillement et s'en alla comme si de rien n'était. Il arriva sain et sauf au village où, quand on sut à qHel danger il avait échappé, on le proclama un très saint homme, cette même panthère ayant dévoré plusieurs personnes; on vint alors écouter son mes­sage. Ainsi Sundar, lui aussi, «rendit grâces à Dieu et reprit courage ».

Un bon nombre de sâdhous étaient réunis un ma­tin sur les rives du Gange à un endroit nommé Rishi Kesch. Il y avait là une foule d'autres baigneurs et notre sâdhou, debout au milieu d'eux, son Testa­luent à la main, prêchait l'Evangile. Les uns écou­taient avec un bienveillant intérêt, tandis que d'au­tres se moquaient. Soudain un homme ramassa une poignée de sable et la jeta dans les yeux de Sundar Singh, cl la grande indignation d'un assistant qui le livra à un agent de police. Pendant ce temps, Sllndar Singh descendait au bord de l'eau pour se laver les yeux. A son retour, il demanda la grâce du coupable et se remit à prêcher. Surpris du procédé, cet homme se jeta à ses pieds pour implorer son pardon. Il exprima le désir d'entendre plus à fond les choses enseignées par le sâdhou, se mit à cher­cher avidement la vérité et acconlpagna plus tard Sundar Singh dans sa tournée, apprenant humble­luent de lui l'histoire de la rédemption.

Dans les premiers temps de son ministère itiné­l-a nt~ Sundar Singh arriva un soir dans un village

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appelé Doli\vala. La journée avait été rude, la mar­che prolongée, et le sâdhou arrivait épuisé et affa­mé. Tout en arpentant la rue, il demandait un gîte, mais dès qu'on apprenait qu'il était chrétien, on s'empressait de le chasser. Il tornbait une pluie abondante et glacée. A demi-mort de fatigue, Sun­dar se réfugia dans une hutte en ruine composée de deux pièces, sans portes ni fenêtres. Il y était du moins à l'abri de la pluie et, rendant grâces à Dieu, il étendit sa couverture dans l'endroit le plus sec et s'efforça d'oublier sa faim en dormant.

Il ne se réveilla qu'à l'aube frissonnante, dont la faible clarté lui fit voir à son côté un objet noir en­roulé dans sa couverture: c'était un gros cobra qui était venu se réchauffer contre lui. Le sâdhou sortit d'abord prestement de la hutte, laissant dormir le ~erpent. Puis, réflexion faite, il rentra, saisit un pan de la couverture, la secoua de façon à la débarrasser du dangereux reptile, qui s'en fut paresseusement dans un coin. Soulagé et reconnaissant envers le Dieu des délivrances, Sundar Singh put alors em­porter sa couverture et reprendre son labeur.

lJn distingué A.rya Samaj raconte qu'un jour, en descendant d 'une montagne, il rencontra un j eune sâdhou. Curieux de voir ce qu'il allait faire, il se posta dans un endroit d'où il pouvait suivre ses mouvements. Il le vit arriver au village, s'as­seoir sur un billot, essuyer son visage en sueur et entonner un cantique chrétien. La foule ne tarda pas à se fornler autour de lui, mais, comprenant qu'il parlait de l'amour de Christ, elle commença hientôt à s'exciter contre lui. lJn homme s'avança soudain et lui asséna un coup si violent qu'il le jeta ù terre en le meurtrissant à la joue et à la main. Sans mot dire, le sâdhou se releva, pansa la main

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meurtrie et se mit à prier pour ses ennell1is et à leur parler de l'amour et du pardon de Christ, tan­dis que le sang ruisselait sur son visage.

En racontant cet incident, ce personnage aj oute qu'à cette vue il se sentit lui-même « retiré du puits du mépris et amené à la source de vie ».

Quant à celui qui avait frappé le sâdhou, il se mit plus tard en quête de lui, espérant pouvoir être bap­tisé par « cette main meurtrie », nlais, n'ayant pu le retrouver, il se fit baptiser néanmoins, gardant l'es­poir de le retrouver un jour.

Un jeûne. Quand tu pn·es ... , prie tOH pèJ'e qui est dans le secret (Matth. 6 : 6).

Quand tu jeûnes ... , ne monh·e pas aux !tommes que tu jeûnes~ mais à tOn pè're qui e~t dans le lieu secret (Matth. 6: 17, I~).

\ !ers la fin de 1912, Sundar Singh se rendit au Bengale, où on lui proposa de l'envoyer au Canada comme missionnaire parmi le5 Sikhs de ce pays lointain. Il était disposé à entreprendre cette tâche; mais il se trouva qu'aucun Hindou ne pouvait alors obtenir rautorisation d'aller au Canada, de sorte qu'il fallut abandonner le projet.

Il partit donc de Calcutta dans la direction de Botnbay, pour retourner de là dans le Nord. Depuis son baptême, il nourrissait deux grands désirs: l'un était" comme nous l'avons dit, de visiter la Pales­tine et les lieux où notre Sauveur vécut et travailla; l'autre d'imiter Jésus en jeûnant 40 jours et 40 nuits; il espérait, par ce Inoyen, recevoir de nouvel­les lumières spirituelles.

Nous avons vu qu'en 1908, à Bombay, il dut re­noncer au voyage en_ Palestine. Quatre ans plus tard, après la proposition d'une visite au Canada, le sâdhou reprit son idée de retrai te dans la prière et

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le jeûne~ afin de se tnettre en communion plus inti ... me avec Dieu, et de le mieux servir.

A cette époque, il fit la connaissance d'un méde­cin catholique franciscain, le Dr S\vift; ils voya­gèrent ensen1ble vers le Nord et discutèrent l'idée de ce jeûne. Le docteur s'efforça de le dissuader, persuadé qu'il en mourrait, puis, voyant le sâdhou décidé malgré tout, il lui demanda l'adresse de ses principaux amis, afin de les tenir au courant. Après quoi ils se séparèrent, le docteur dans l'intention d 'entrer dans une congrégation catholique et le sâdhou décidé à chercher une retraite pour s'adon­ner à ce jeûne et à la prière. Sundar Singh s'en­fonça seul au loin dans la jungle, entre Hard\var et Dehra-Dun, afin d'avoir son tête-à-tête avec Dieu.

Les jours, les semaines se passaient et nul ne savait plus rien de lui. A la fin de la seconde se­Inaine, l'ami catholique, persuadé qu'il était mort quelque part dans la jungle, télégraphia la nouvelle à ses amis, auxquels, à mesure que le temps passait, elle paraissait plus vraisemblable. Des articles né­crologiques parurent dans divers journaux; on cé­lébra un service funèbre; on fit même une collecte pour une plaque comtnémorative, que l'on plaça dans l'église de Simla.

Pendant ce temps, le sâdhou restait dans la j un­gle sans manger, s'affaiblissant de jour en jour. Sa­chant ce qui pouvait lui arriver et en prévision de l'augmentation de sa faiblesse, il s'était muni de quarante pierres, et chaque jour il en laissait tom­ber une; mais bientôt sa faiblesse fut telle qu'il fut incapable de cOlnpter les jours. Il perdit la vue et l'ouïe, resta couché en extase, conscient de ce qui se passait autour de lui, mais - incapable de donner le plus petit signe de vie. Quand ses forces physiques

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furent absolument épuisées, il se sentit l'esprit vi­vifié, et alors sa dépendance absolue de Dieu et d'au­tres vérités spirituelles importantes lui furent révé­lées, chassant à tout jamais les doutes qui avaient ptt l' assaill i r.

Il fut trouvé dans cet état par des coupeurs de bambous qui, à la vue de sa robe couleur safran, le soulevèrent dans sa couverture et l'emportèrent à J:~ ishi Kesh et de là à Dehra Dun. On le transporta ensuite en voiture à Annfield.

Ses amis chrétiens ne le reconnurent pas, tant ses traits étaient changés, mais ils virent son nom dans son Nouveau Testament. Ils le soignèrent et le ra­Juenèrent à la vie, de telle façon qu'en mars il put reprendre ses voyages; à Simla il apprit l'histoire de sa mort supposée.

Cette terrible expérience procura au sâdhou les lumières spirituelles qu'il en avait attendues. Quoi­qu'il n'ait pas pu compter les jours et que certaine­ment le jeûne n'ait pas duré 40 jours, ces clartés nouvelles avaient failli lui coûter la vie.

Nouvelles Christ sera glo1·ifié daHS mon C01·pS ..• pérégrinations soit pal- ma VIe, soit par ma mort

et persécutions. (Phil. 1 : 20).

Une fois remis des suites de son jeûne, Sundar Singh retourna passer l'été de 1913 au Thibet et la saison froide dans le Nord de l'Inde. Au commen­cement de l'année suivante, il se trouvait de nou­veau au Bengale, et il arriva dans le Sikkim en se rendant à Darjeeling. Les petits états indigènes frontières, dont les principaux sont le Népaul, Sikkim et Bhutan, ont des principes autochtones et ne sont pas moins opposés au christianisme que le Thibet. Les populations croupissent dans les su-

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-perstitions et l'ignorance, et toute prédication d'une religion étrangère est strictement interdite dans -certains territoires.

En 1914, notre sâdhou pénétra dans le N épaul, _sachant qu'il risquai t sa vie. Il put toutefois, pen­dant un temps, en dépit de l'opposition et des me­naces, aller de lieu en lieu, proclamant la bonne nouvelle, mais arrivé à llom, il fut bientôt averti qu'il eût à cesser de prêcher s'il ne voulait pas aller au devant d'un malheur.

On lança un lnandat d'arrêt contre lui et, tandis qu'il prêchait, il fu empoigné et jeté en prison, en compagnie de voleurs et de lneurtriers. Quelle oc­casion de plaider pour son Nlaître ! Bientôt, il parle é1 ses malheureux co-détenus de la puissance de

-C~ hrist pour changer les cœurs et pour donner la paix aux consciences jusque dans les sombres murs dune prison. Un bon nombre d ·tentre eux acceptè­rent Christ, ce <-lui transforma ces j ours d'affliction ·en jours de bénédictions, aussi bien pour le sâdhou que pour ses compagnons d'infortune.

Le bruit de ces conversions étant parvenu en haut lieu, Sundar Singh fut transféré sur la place du marché, pour y subir une aggravation de peine. On 1e dépouilla de ses vêtelnents et on le contraignit à s'asseoir sur le sol nu; puis on lui mit les pieds et -]es mains dans des ceps, soit dans des planches dres­sées et percées de trous, et il fut condamné à rester dans cette posture douloureuse toute la journée et ]a nuit suivante. Pour ajouter à ses tortures, on appliqua sur son corps nu une quantité de sangsues, qui se mirent aussitôt à l'œuvre.

Aujourd'hui encore, il porte les n1arques de ce supplice et. il pourrait bien dire: « Je porte sur mon corps les marques de Jésus.» (Gal. 6: 17.) Une

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foule railleuse l'entourai t, sans que personne lui of­frît une goutte d'eau pour le soulager. En nous par­lant de cette expérience, Sundar Singh ajoutait: « Je ne sais comlnent cela s'est fait, mais j'avais le cœur si plein de joie que je ne pouvais m'empêcher de chanter et de prêcher. »

Le supplice dura toute la nuit; d'heure en heure 1a faiblesse allait croissant, à mesure que le sang s'en allait. Cependant, le matin venu, le malheureux vivait encore. A la vue de son visage si paisible, ses persécuteurs furent saisis d'une terreur supers­titieuse et, persuadés qu'il possédait quelque pou­voir mystérieux, ils le débal-rassèrent de ses entra­ves et lui rendirent la liberté. Il était tellement af­faibli qu'il tomba sans connaissance; ce ne fut qu'au bout d ' un certain temps et après plusieurs -vaines tentatives, qu'il parvint à se traîner loin de ces lieux.

Il y avait là quelques croyants rattachés secrète­lnent à la mission des sanyasis (dont il sera ques­tion plus loin). Ils recuei11irent avec bonté leur frère en détresse et prirent soin de lui jusqu'à ce qu'il eût recouvré ses forces.

On trouvera, dans un chapitre subséquent, un ré­cit fait par le sâdhou lui-même de ses jours de pri­son à Ilom. Comme on peut s'y attendre de sa part, il attribue sa grande j oie, dans ses moments d'an­goisse, à la présence et à la communion de rAmi divin qui ne fait jan1ais· défaut.

A Srinagar, dans le Garh'\val, il lui arriva quel­que chose de bien inattendu. Il savait qu'il était pé­rilleux d'y parler de Christ. Or, un j our qu'il prê­chait hors des murs, quelques jeunes gens le mirent au défi d'oser répéter sa prédication dans la ville. Il se sentit poussé à relèver le défi et, pénétrant

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dans ~es rues de la ville, il alla reprendre sa prédi­cation sur la place du marché. A cette vue, quelques auditeurs coururent avertir le «pandit» de l'en­rh-oit, dans l"'espoir qu'il saura.it fermer la bouche à ce prédicateur de l'erreur.

Le pandit, en effet, vint droit à Sundar Singh 11lais, devant tout le monde, il lui mit ses deux in­dex dans la bouche en disant: « Je fais cela pour Inontrer que nous sotnmes frères et non pas adver­saires , comme vous le supposez, car tous deux nous croyons en Jésus-Christ comme Sauveur.» Ce fut COlnme une décharge électrique dans la foule et, quelques instants après, les opposants du sâdhou avaient tous disparu. Il eut alors lui-même un des plus heureux moments de sa vie. En s'entretenant avec cet excellent homme, il apprit que ce pandit ne prolongeait son séjour dans cette local i té enténé­hrée que pour y apporter quelque lumière. Il avait déjà, par la grâce de Dieu, gagné seize âmes, et il cOlnptait poursuivre son œuvre aussi longtemps que Dieu le lui permettrait.

Obligé de traverser souvent des régions sauva­ges et inhospitalières, Sundar Singh fait parfois des expériences extraordinaires. C'est ainsi que dans les épaisses forêts de Bhulera, repaire favori des voleurs et des assassins, quatre hommes l'arrêtèrent soudain et l'un d'eux se précipita sur lui, son cou­teau nu à la main. Incapable de se défendre, il crut sa dernière heure venue et baissa la tête pour rece­voir le c.oup. Pris par surprise, le manant hésita, pnis finit par demander au sâdhou de lui donner tout ce qu'il avait. Ille fouil1a, mais ne trouvant pas d'argent, il se borna à lui prendre sa couverture et ù le laisser aller.

Reconnaissant d'avoir la vie sauve, Sundar Singh

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poursuivait sa route lorsqu'il s'entendit rappelé. « Cette fois, pensa-t-il, c'est la mort! » Il rebroussa chemin néanmoins et le bandit lui demanda qui il était et ce qu'il enseignait. Sundar répondit qu'il était un sâclhou chrétien et, ouvrant son Testament, il lui lut l'histoire du mauvais riche et de Lazare. L'autre l'écoutait attentivenlent ; quand le sâdholl lui demanda ce qu'il en pensait, il répondit que cette fin du riche le terrifiait et ajouta: «Si un péché aussi insignifiant est puni pareillement, quel sera le châ tinlen t de pl us grands pécheurs ? » Le sâdhou ne Inanqua pas de mettre à profit l'occasion, et com­me il découvrait à son interlocuteur les richesses de la grâce divine, celui-ci en eut le cœur profondé­ment remué. Pleurant et sanglotant, il fit l'aveu de sa misérable vie de péché. Puis il emmena Sundar Singh dans sa caverne, lui apprêta un repas et le pressa de manger. Après un nouvel entretien et une courte prière, ils se retirèrent tous deux pour la nuit.

De grand matin, le ci-devant bandit réveilla Sun­dar et l'emmena à une autre caverne pleine d'horri­bles ossements humains. Les lui montrant en pleu­rant tout haut: « \ T oilà mes crimes, fit-il; dites, est-ce qu'il y a encore de l'espoir pour un homme tel que moi ? » Touché de cette détresse morale et de ce repentir, le sâdhou lui parla du brigand par­donné sur la croix, puis ils s'agenouillèrent et le malheureux fit en sanglotant sa confession à Dieu.

Il entra aussitôt dans le chemin étroit, et ils se rendirent ensemble à Labcha, dans le Sakkum, où il fut confié aux missionnaires et bientôt baptisé. Ses trois camarades abandonnèrent aussi leurs mauvaises voies pour gagner leur vie honorable­ment.

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CI-IAP ITRE V

DANS LE THIBET

Le val Chambi, au nord de Darjeeling, est une sorte de petit paradis terrestre en même temps rJu'ul1e des entrées de la contrée la plus désolée et la plus inhospitalière de l'Asie, le Thibet.

Ce pays n'a pas toujours été fermé. Jusqu'à la fin du X\TIIIe siècle, Lhassa n'opposait aux étran­gers que des obstacles naturels. Des jésuites et des capucins y firent de longs séjours, encouragés Inêtne par le gouvernetnent thibétain. On sait que déjà en 1325 des voyageurs visitèrent ce pays, mais les prenliers Européens qui séjournèrent à Lhassa y arrivèrent en 1661. C'est que, il y a deux ou trois siècles, les Européens pouvaient parcourir les coins reculés de l'Asie avec plus de sécurité que de nos jours, parce que maintenant le blanc inspire l'effroi au lieu d'éveiller simplement la curiosité.

A la fin du XVIIIe siècle, les soldats du Népaul envahirent le Thibet, qui appela à son secours les (~hinois, et ceux-ci anéantirent presque les Gour­khas. A partir de ce moment ce fut, de fait, la Chine qui régna à Lhassa, et c"est de là que date la politique de stricte exclusion.

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Depuis le déclin de la puissance de la Chine, une' mission thibétaine, soi-disant religieuse, envoyée en Russie, a placé le Thibet plus ou moins sous l'in­fluence russe. Plusieurs lamas de Buriat ont été élevés en Russie, entre autres un certain Dorj ieff, chef de la mission russo-thibétaine de Igol. Avec d'autres, il formait le rêve d'un boudhisme renforcé, sous le contrôle spirituel du Dalai Lama, appuyé par la puissance luilitaire de ]a Russie. Ces lamas ignorants se figuraient que la Russie était bou­dhiste.

Le Thibet est un pays mystérieux qui jouit d'une civilisation fort ancienne, mais stationnaire. C'est le pays des drapeaux à prière flottant au vent et des moulins à prière qu'on fait tourner machinalement. Le gouvernement est moyenàgeux ; la sorcellerie, la magie et l'ordalie par le feu ou l'eau bouillante y fleurissent encore. On y compte environ six mil­lions d'habitants.

A Lhassa, la maison consacrée au Boudha et au Dalaï Lama est un bâtiment qui se dresse superbe­ment sur un rocher appelé le Potala. Ses nlurs Inassifs, ses terrasses et ses bastions s'élèvent ver­ticalemcnt de la plaine à la crête, couronnés de dô-mes, étincelants de turquoise et d~or. A ses pieds '" croupit dans la salcté la cité de Lhassa. Bien ql1e le Loudhislne déclare toute vie sacrée, il n'y a pas eu, (lans l'Europe du nloyen âge, de donjon ensanglanté qui ait vu autant de meurtres que ce sanctuaire de -la divine incarnation.

C'est uniquement la religion boudhiste qui Inaintient l'unité de la nation, chaque famille devant donner un de ses fils à l'ordre sacerdotal des lamas.

Il y a. quelques centaines d'années qu'un saint houdhiste a prédit qu'un jour le Thlbet serait en-

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vahi et conquis, et le boudhisme anéanti. Aussi une terreur aveugle s'unit au fanatisme pour tenir clo­ses toutes les portes du pa~ et, plus que toute au­tre chose, 1'enseignement d'une religion étrangère attire, sur qui s'en rend coupable, la persécution la plus acharnée et même la mort la plus cruelle.

Sundar Singh

pénètre dans le Thibet ..

Lorsque je fus arrzve.,. pour ["Évangile de Christ, le Seigneur m'ouv1·it u1Ieporte ... une grande porte ... et les adversaires sont nom­breux (2 Co r. :1 : 12; 1 Co r. 1 6 : 9). Ils ont les pzeds lége7's pOU7' 7'épand,'e le sang. ,. ; ils ne connaissent pas le chemin de la paix (Rom. 3 : 15, 17).

Il est fort naturel que l'esprit de Sundar Singh .se soit tourné vers ce pays fermé, dès qu'il se mit à prêcher l'Evangile. Il y avait plus d'un siècle que le vaste continent de l'Inde avait ses mission­naires ; des centaines de milliers d'Hindous avaient répondu à l'appel de Christ; beaucoup d'entre eux étaient à leur tour devenus des messagers de paix et, comme il le dit lui-même: « Il y en a beaucoup pour proclanler la vérité en Inde. » Aussi, lorsqu'il se tournait vers le Thibet et le Népaul, son cœur s'élançait vers ces populations plongées dans la nuit.

Les missionnaires étrangers trouvent la porte du pays verrouillée et c'est à peine s'il en est autre­ment pour un Hindou, car il doit faire face non seulement à un climat inhospitalier, mais à l'hos­tilité violente d'un peuple à demi-sauvage et des plus fanatique. Sundar Singh aime à souffrir pour son I\1aître et, sans se laisser arrêter par ce qui pou­vait l'attendre, il se mit en route pour essayer de pénétrer dans ce pays de bigoterie et de ténèbres.

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« Dans ces pays d' on~bres glacées Va, dit Jésus, va donc, 1non fils! »

Posant sur 1noi ses »1,G,ins percées, Il1ne consacre, et j'obéis.

l\tlalheureusement pour nous, Sundar Singh n'a point tenu de journal de ses diverses pérégrinations, de sorte que nous ne possédons que des récits fragmentaires et de ses souffrances et de ses succès. Lors de son premier voyage au Thibet, en 1908, il avait à peine dix-neuf ans. Il se mit en route seul et parfaitement ignorant de la langue thibétaine, aussi fut-il bien heureux de mettre à profit l'aide que lui offrirent deux missionnaires moraves sta­tionnés à Poo, petite ville frontière .. Il resta là une semaine, puis ils lui donnèrent un de ·leurs aides, qui dev"ait l'acconlpagner sur un certain parcours et lui apprendre quelque peu le dialecte populaire. A part ce qu'il savait de l'hostilité farouche des Thi­bétains à l'endroit de toute religion étrangère, le sâdhou ne connaissait guère ni le pays ni les gens; mais il n'allait pas tarder à faire la connaissance de ces derniers et à s'apercevoir de leurs sentilnents à l'égard de son enseignement. Où qu'il allât, il avait à faire à la plus· violente et haineuse opposi­tion, surtout de la part des lamas qui, particulière­ment venimeux et souvent menaçants, se tenaient au premier rang des foules qu'attirait la prédication du sâdhou.

Il parvint néanmoins sain et sauf jusqu'à la ville importante de Tashigang, où il eut l'agréable sur­prise d'être accueilli par le principal lama de l'en­droit. C'était un personnage important, qui avait sous ses ordres des centaines de lamas d'un rang­inférieur. Non seulement il reçut le sâdhou avec

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bienveillance, mais il lui offrit le vivre et le cou­vert et, comme il faisait atrocement froid, cette hospitalité arrivait au bon moment. En outre, il convoqua les gens à une réunion pour entendre le sâdhou, qui put ainsi prêcher l'Evangile d'un cœur plein de gratitude.

En partant de là, Sundar eut le bonheur d'arriver dans une vine dont le chef lama était un ami de celui de Tashigang, de sorte que là aussi il fut bien accueilli et écouté avec sympathie, mais, dans les villes et les villages qu'il visita ensuite, il eut af­faire avec une opposItion plus violente encore qu'au commencement de sa tournée. On lui enjoignait sans cesse avec menaces de quitter le pays. Sans se laisser intimider, il poursuivait joyeusement son travail en dépit des difficultés.

C'est ainsi que Sundar Singh «fit le siège de cette citadelle de la bigoterie et du fanatisme », non sans bien des tribulations. :NIais pour gagner une seule âme à son Sauveur, il comptait pour rien l'opprobre et la persécution. Comme le disait un de ses amis de Ceylan: « Sa décision de rester nu­pieds au milieu des neiges éternelles du Thibet était le signe de son invincible résolution d'amener des hommes à Christ coûte que coûte. »

Sundar Singh

au Thibet.

C -'est POU," l'œuvre de Christ qu'il a été p,-ès de la mo,-t, ayant exposé sa vie (Phil. 2 : 30). Je suis p,"èt, non seulement à êt,-e lié, mais encore à mou1·h· pour le nom du Seigneur J é­sus (Actes 21: 12).

Fermernent résolu à faire connaître le nom de Christ dans ce pays hostile, Sundar Singh pour­~uivait son ministère, tout en prévoyant que tôt ou tard il aurait à endurer de terribles persécutions~

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En effet, dans une ville nommée Rasar, il fut arrêté et mené devant le lama sous l'inculpation d'avoir pénétré dans le pays et d'y avoir prêché l'Evangile de Christ. Reconnu coupable" il fut conduit à l'en­droit consacré aux exécutions ca.pitales, au milieu d'une foule hostile.

Les deux genres usuels d'exécution consistent en ceci: ou bien l'on expose le condamné a.u soleil jusqu'à ce que mort s'ensuive, après l'avoir cousu cians une peau encore humide de yack; ou bien on le jette dans un puits à sec dont l'ouverture est solidement fermée par dessus sa tête. C'est cette dernière torture qu.i fut choisie pour le sâdhou. Ar­rivé à rendroit fatal, il fut dépouillé de ses vête­ments et jeté dans les profondeurs ténébreuses de cet horrible c:harnier après que son bras eut été brisé. Nombreux étaient ceux qui avaient déjà été enfermés dans ce puits sans en être jamais ressortis, et il tomba sur un amoncellement d'ossements et de chairs pourries. Toute autre mort eût paru plus douce. Où qu'il posât la main, il ne rencontrait que chair en putréfaction, dont l'odeur le suffoquait. « 110n Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandon­r!é ? » s'écriait-il à son tour.

La nuit vint sans qu'il fît plus sombre dans ces affreuses ténèbres et sans apporter le. sommeil au malheureux supplicié. Les heures s'écoulaient, mê­me les jours; il n'avait rien à manger, rien à boire; il sentait qu'il n'en avait plus pour bien longtemps.

La troisième nuit, comme il venait de crier de nouveau à Dieu sa supplication, il entendit certain bruit au-dessus de sa tête: quelqu'un était en train de soulever le couvercle de son affreuse prison. Il entendit tourner la clef et grincer la porte de fer; puis une voix lui dit de saisir la corde qu'on lui

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lançait. Dès qu'elle arriva jusqu'à lui, il s'en em­Pcï.ra avec tout ce. qui lui restait de force, et il se sen ti t doucement soulevé hors de cette prison in­fecte et amené à l'air frais. Alors le couvercle fut reluis en place et refermé à clef. Il eut beau -regar­der de tous côtés, il n'aperçut nulle part son libéra­teur; mais son bras cassé ne le faisait plus souffrir et l'air pur lui rendait la vie. Tout ce qu'il put faire, ce fut de bénir Dieu pour cette merveilleuse dé11-vrance.

Le matin venu, il se traîna jusqu'au caravansé­rail où il resta jusqu'à ce qu'il fût de nouveau en état de prêcher. Sa réapparition dans la ville y causa une immense commotion, et l'on s'empressa d'an­noncer au lama que celui que tous croyaient mort était bien portant et prêchait de plus belle.

Arrêté de rechef et ramené devant le tribunal du lama, le sâdhou dut faire le récit de sa merveil­]euse délivrance. Furieux, le lama déclara que quel­qu'un avait dû s'emparer de la clef pour venir à ~on aide! mais lorsqu'on se mit en quête de cette clef et qu'on la trouva suspendue à sa propre cein­ture, la surprise et l'épouvante lui fermèrent la bou­che. Il enjoignit alors à Sundar Singh de quitter immédiatement la ville et de s'en aller aussi loin que possible, de peur que le Dieu puissant auquel il appartenai t ne frappât le lama et ses gens de quel­que grand désastre.

Encore au Tbibet.

Je me glorifie~·ai bIen plus volontiers de mes faiblesses, afin que la puissa1lce de Ch~·ist repose sur moi ... C'est pou'-quoi je me plais ..• dans les persécutions, dans les déb'esses, pour Christ (2 Cor. 12 : 9, 10).

-Dans son dick écrit:

volume intitulé Jésus h01'1't1ne, M. Fos-

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« En face des gens hostiles, notre vraie attitude, ~elon Jésus, ne doit pas être seulement l'attitude né­gative de celui qui s'abstient de vengeance, mais rattitude positive de celui qui veut sauver les au­tres, qui prie pour ses ennemis et quï cherche leur bien dans un esprit de sacrifice. »

Telle est l'attitude de Sundar Singh au Thibet, comme dans tous les milieux les plus hostiles où il va porter l'Evangile. Il lui arrive fréquemment de tirer de ses propres expériences des illustrations frappantes. Voici, par exemple, comlnellt il fait comprendre le passage: «Celui qui perdra sa vie la sauvera" »

Un jour qu'il traversait les montagnes du Thibet par un froid excessif et une neige abondante, lui et son compagnon de route thibétain, à moitié gelés, commençaient à désespérer d'atteindre le but du voyage lorsque, arrivés à un précipice profond, ils trouvèrent un homme gisant qui semblait mort. Sundar proposa de le transporter jusqu'à un abri quelconque, mais le Thibétain s'y refusa sous pré­texte que, dans rétat où ils étaient, tout ce qu'ils pouvaient faire était de se tirer d'affaire eux-mê-mes. Et il passa outre. .

Le sâdhou, non sans peine, souleva le malheu­l-eux, parvint à le charger sur son dos et à avancer tant bien que mal avec ce lourd fardeau. L'effort ne tarda pas à le réchauffer, si bien que la chaleur se communiqua même au pauvre corps inanimé qu'il portait. Il n'avait pas fait un bien long trajet lors­qu'il retrouva son Thibétain étendu, mort de froid, en travers de la route ... A son arrivée au village, l'homme à demi-mort avait repris vie et ils purent ensemble rendre grâces à Dieu qui leur avait sauvé la vie à tous deux.

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Une autre fois, en escaladant des rocs escarpés, Sundar Singh arriva à une grotte où un homme était en prière. De peur de céder au sommeil, il avait attaché ses longs cheveux au plafond de la grotte et, les yeux clos, il s'efforçait de prier et de méditer des heures durant.

Sundar s'approche et lui demande pourquoi il s'impose de telles souffrances. Cet homlne lui expli­qua que, comme beaucoup d'autres, il avait long­temps mené une vie mondaine, mais avec la terreur ,. au fond de son être, d'un avenir terrible et mysté­rjeux. C'est cette hantise qui l'avait amené à aban­donner le monde et à se réfugier dans cette retraite, avec l'espoir d'y trouver enfin l'apaisement dans la prière et la nTéditation; sans succès, hélas!

Le sâdhou, alors, ouvrant son Testament, lit ce passage : <{ \ f enez à moi et je vous donnerai le re­pos », puis il expose l'unique chelnin de la paix en Jésus-Chri"st, tandis que le pauvre homme boit ces Inerveilleuses paroles et finit par s'écrier en se le­vant d'un bond: « A présent mon âme est en repos; faites de moi son disciple, conduisez-moi à Lui. » Il suppliait le sâdhou de le baptiser sur-le-champ, mais il consentit toutefois à l'accompagner jusqu'à la prochaine station missionnaire, où Sundar Singh le laissa aux bons soins des missionnai res.

V ne autre fois, alors que son nle~sage ne rencon­trait qu'une violente hostilité, ses ennemis furent changés en amis par un accident. En faisant l'as­cension d'une montagne abrupte, il glissa et fit une chute, ce-qui déplaça une grosse pierre et la fit rou­lel- au bas d'une paroi de rochers, où elle tonlba tout juste sur un énorme cobra, qui fut tué sur le coup. Un garçon qui gardait un troupeau vit l'incident pt s'empressa de venir le dire à Snndar Singh. ajou-

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tant que ce serpent-là avait déjà fait périr plusieurs habitants du village, de sorte que personne n'osait plus passer par là. Il courut ensuite le dire aux vil­lageois, qui en furent tellement réjouis et reconnais­sants qu'ils accueillirent le sâdhou et son glorieux Inessage.

Sundar S1ngh s~étant assis au bord de la route pour panser ses pieds meurtris, arrive un passant qui lui demande COlnment cela va. Au cours de la conversation , l'étranger apprend comment, pour l'amour de son Maître, ce sâdhou fait ainsi, nu­pieds, jour après jour, kilomètre sur kilomètl-e pour parler de Celui dont les pieds ont saigné sur la croix. Ah ! le doux entretien, lorsque Sundar Singh découvre que son interlocuteur, qui s'appelle Tashi, et qu.i soupire après le salut, est embarrassé par des pl-oblèmes dont il peut lui fournir la solution!

« A la vue de vos pieùs en sang, lui. dit ensuite Tashi, quelque chose m'a dit au fond du cœur qu'il devait y avoir une puissance surhumaine derrière cétte vie d'abnégation si heureuse. » Et il le supplia de rester quelque peu auprès de lui, de sorte que Sundar Singh demeura plus d'une semaine chez lui pour l'instruire et prier avec lui, après quoi il l'en­Yoya à un lama de ses amis, bien disposé à l'égard du christianisnl.e.

A son retour, il retrouva Tashi plein d'espoir et de joie; il avait trouvé Christ enfin, et il demandait le baptême, pour lui et les siens, tous ses cloutes ayant. disparu ... A.insi, avant de le quitter, Sundar Singh eut la grande joie de le baptiser avec sa fa­mille, neuf personnes en tout.

Etant le premier secrétai re du lanl.a de ce district et un personnage important, Tashi n'a pas été ap­pelé a souffrir pour sa foi; il lui a seulement été sé-

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vèrement interdit de faire aucune propagande en faveur de sa nouvelle croyance.

Que de fois il est arrivé à Sundar Singh de sen­tit- douloureusement l'isolement dont souffre néces­saireluent quiconque a consacré sa vie entière aux c.hose~ spi ri tuelles! Une réaction est inévitable après une grande exaltation qui a entraîné à sa suite une f0rte dépense d'énergie nerveuse. Les missionnaires et autres ouvriers ordinaires peuvent avoir un peu de répit en variant leurs occupations, ce qui est Ïtu­poss i ble à un sâdhou. Il peut changer de local ité, mais non pas de travail. Jour après jour il va à la recherche des âmes, inlassable, et qu'il se trouve dans des églises, dans des conventions chrétiennes ou parmi des païens, l'effort reste le même.

Un missionnaire disait de lui à Travancore : « Pour pouvoir y tenir, il faut qu'il vive bien près

de Dieu. » Tel est bien le secret de sa persévérance. Jamais impatient, jamais trop las pour accueillir quiconque le demande, toujours prêt à s'acquitter avec grâce, de nuit com.me de jour, de la tâche qui lui incombe, il est bien un vivant portrait de son Maître. Il partage et son esprit et son isolement.

Un jour qu'il était particulièrement fatigué, affa­nIé et souffrant de ses pieds meurtris, il fut accosté par un passant, qui l'entretint si agréablement qu'il en oublia peu à peu ses misères. Comme ils arri­vaient à l'entrée d'un villag-e, le sâdhou s'aperçut soudain qu'il était de nouveau seul. .. « Je sais main­tenant, dit-il, que c'était un ange du Seigneur qui m'avait été envoyé pour me fortifier et me soutenir il l'heure de la détresse. »

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Le sang des martyl's est la semence de Martyrs. l'Église, (Tertullien). Il a donné sa vie pOlU' nous; 1l0US aussI nous devons dOll­

lU! l' notl'e vie POIU" nos frères. (1 Jean 3 : 16).

Sundar Singh fait partie de la noble compagnie de ceux qui ont « gravi les pentes escarpées du ciel ». A plus d'une reprise, dans ses tournées au Thibet, il a pu constater des cas authentiques de rnartyre parmi les messagers de l'Evangile.

Chose curieuse, le premier venait, comme lui, de rEtat de Patiala. C'était un Sikh, du nom de I<ar-1ar Singh, d'une famille opulente, qui avait concen­tré sur lui toutes ses t:;spérances, comme seul héri­tler du nom. Comme Sundar, il avait été élevé dans le luxe et avait reçu une éducation des plus soi­gnées. Rien n'avait été négligé de ce qui pouvait faire de lui un honlme selon le vœu de son père. NIais, bien que la religion eût été mise complète­ment de côté dans son éducation, il éprouvait des besoins spirituels croissants, et quand il vint à en­tendre parler du christianisme et à en comprendre­peu à peu les exigences, il fut bientôt convaincu qu'il était la vérité. Plus il l'étudiait, plus il y trou­vai t la réponse à ses aspirations profondes, si bien qu'il finit par voir clairement qu'il ne lui restait plus qu'à entrer dans ce chemin étroit qui se pré­sentait à lui.

Lorsqu'il se déclara irrévocablement chrétien, les cœurs des siens furent bouleversés. On imagina toute espèce de pièges pour tâcher de le détourner de sa résolution. Son père alla jusqu'à lui envoyer la charmante jeune fille qui lui avait été destinée., eL qui vint toute en larmes le conjurer de ne pas lui briser le cœur par une décision flui Inettrait entre eux une barrière infranchissable. Son jeune co ur

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ne pouvait rester insensible à pa.reille désolation Inais, avec la force que Dieu lui donna, Kartar re­poussa tendrement la jeune Hindoue, en lui décla­rant que l'unique cœur dont il disposait appartenait dé j à à Christ, son Sauveur. Le cœur brisé, la jeune fille ne put qu'aller avouer à son futur beau-père l'insuccès de sa tentative.

Peu après, I(artar fut chassé de chez lui. Il prit alors du service chez un paysan, se soumettant vail­lamment aux plus rudes travaux pour gagner son pain. Bientôt, cependant, il se mit à prêcher, dans son. pays d'abord, parcourant villes et villages du Patiala, se préparant par un travail difficile à une tâche plus périlleuse encore. ,

Après avoir visité ainsi bon nombre de localités du Pendj ab, il dirigea ses pas vers les n10ntagnes qui bordent le ténébreux Thibet et, au bout de quel­ques semaines de fatigantes pérég-rinations, il se trouva dans ce pays de son choix.

I~e boudhisn1e du '[hibet n'a pas cl place pour Çhrist, dont le seul notn soulève l'opposition et la haine. I<.artar semble n "avoir guère renc _ ntré. de bienveillance, pas plus pour lui-rnême que pour son message, et pourtant il ne parait pas avoir jamais songé à reculer. Ces gens étaient sans Christ et ils avaient besoin de l .. uÎ. Or, si Christ avait donné sa ,-ie, I<artar étai t prêt à la donner aussi, ne fût-ce fi u' à titre de témoignage et pour mon trer son amour à ses persécuteurs. Bien qu'on fût en général touché de sa jeunesse et de sa ferveur, bien peu avaient le courage de Pl-encIre ouvertement son parti, et ce ne fut qu'après sa mort lue les résultats de ses labeurs vinrent au jour.

Comme avant lui le Sauveur, I{artar cOluprit que ·ce sentier épineux ne pouvait aboutir qu'au Cal-

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vaire. On essaya en vain de le chasser du pays; il ne cessa pas de prêcher de village en village, jusqu'au jour où il fut traîné devant le lama de Tsingham. sous l'inculpation de pénétration illicite dans le pays en vue d'y enseigner une religion étrangère. C'était la fin prévue. Il la regarda en face sans faillir, attendant de la grâce de Dieu le secours né­cessaire pour rendre fidèlement son témoignage j us­qu'au bout. A ce qu'apprit plus tard Sundar, I<artar ·écouta sans broncher sa sentence et s'en alla d'un pas ferme du tribunal au lieu du supplice. En che­-min, il pressa encore la foule des spectateurs de chercher sans tarder le salut en Jésus-Christ, et il y en eut un au nloins qui le prit à cœur et trouva le :::'auveur.

Arrivé au lieu de l'exécution, Kartar fut dé­pouillé de ses vêtements, cousu dans la peau en­core humide d'un yack et exposé au soleil, tandis qu'une foule railleuse jouissait de l'horrible specta­cIe: n se rétrécissant, la peau de yack exerçait sur ~on corps une pression telle que ses os craquaient et que peu il peu, très lentement, sa vic se retirait. Son Nouveau Testament, son unique réconfort aux jours de l'affliction, était resté à terre à côté de lui, sans que personne y fît la moindre attention. Le troisième jour, sentant que la fin approchait, il demanda qu'on voulût bien dégager un moment sa Inain droite. Cette faveur lui fut accordée, par cu­riosité plutôt que par commisél'ation. Rassemblant alors ses derni" l'es forces, Kartar é.cri vit son der­nier message sur la première page du v01ume.

En persan:

~4 Dieu, f' a.i de111andé la vte! pas 'Une fois, cent ,nille fO 'l:S.

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Afin de pouvoir auta-nt de fois la 'rendre à cet ~411'l,i.

o !{ hrasra'Lva., cet an~OUT po·'ur Lu,.i ne sera pas 'l'no-indre q'ue ceZ,ui de la fidèle épouse hi'ndoue,

qui su·y le bûcher en feu, attire son bt;en-a·i1'né sur son cœur et dépose sa 'vie à son côté.

En ourdou: La vie q1t·! l m'a donnée est tout ce q'ue je Lui ai

donné; Bien que j'aie tout fait, il· est certain que Je ne

pouva1:s pourtant tO'ut faire.

En anglais: Est-ce bien s'ur u·n lit de 1nort qu'est cO'ltché un

chrét·ien? Oui, mais 1"1,011, pas le sien: c'est la 1tlort 11tê'n1,e qU'i y expire.

Ses va illantes lèvres ne laissèrent pas échapper une plainte. Vers le soir, il rendit grâces à haute voix à Dieu de ses consolations et, avec son dernier soupir, ses derniers mots furent: ({ Seigneur Jésus, reçois mon esprit. » .

Dans cette foule qui assistait au martyre de Kar­tar Singh se trouvait le premier secrétaire du LaIna de Tsingham. Ayant remarqué le petit Testament dans lequel ce héros de la croix avait écrit son der­nier message, il le ramassa et l'emporta chez lui pour l'étudier. Sous l'impression profonde de ce qtt'il avait vu, son cœur était prêt à accueillir l'en­seignement du Livre, et bientôt une clarté nouvelle et joyeuse pénétrait dans son âme. Ces choses mer­veilleuses, à mesure qu'il y pensait, devenaient pour lui des réalités toujours plus réelles, si bien qu'il ne put garder son secret plus longtemps: il déclara un jour au lama son maître qu'il avait donné son cœur il Jésus.

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Pour lui aussi, c'était la mort. 11is en jugement, il fut condamné sans merci au même supplice que l{artar, mais, comme on ne le trouvait pas encore assez cruel pour faire comprendre aux spectateurs le danger de ces fausses doctrines, on lui enfonça dans le corps des brochettes rougies au feu. Puis, pour hâter la fin, qui paraissait trop lente à venir, on le retira de la peau de yack, on attacha une corde autour de son corps nlutilé et on le traîna dans les rues de la ville; en outre on lui enfonça des éclats de bois sous les ongles des pieds et des mains. En­suite, on jeta ce pauvre corps inanimé sur un tas d'immondices, hors de la ville. Le croyant mort, ses persécuteurs le laissèrent, leur vengeance enfin as­souvie. Peu à peu, toutefois, le malheureux revint à la vie, et finalement il fut en état de se traîner ailleurs. En le voyant remis de toutes ses tortures, ses concitoyens furent terrifiés, au point qu'on n'osa plus le molester. On est resté persuadé qu'il possède un pouvoir surnaturel. et c'est ainsi qu'il a pu ra­conter lui-même son histoire et celle de Kartar à Sundar Singh, ainsi également qu·'il continue à prê­cher hardiment Christ aux Thibétains.

Apprenant que le père de Kartar vivait encore, Sundar Singh alla plus tard à sa recherche et lui ra­conta cette mort héroïque, en lui parlant du grand anl0ur de Christ, qui avait comme porté son fils au travers de ses tortures. Le vieillard l'écoutait avec attendrissement et Sundar eut la j oie de l'entendre dire: « 1!Ioi aussi, je crois en Lui. »

On pourrait raconter d'autres traits encore re­cueillis par Sundar Singh au cours de ses pérégri­nations dans le Thibet et dans les contrées encore plongées dans l'ignorance. C'est vers ces populations que son cœur se sent particulièrement attiré, c'est

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là qu'il voit sa tâche spéciale. «C'est là, dit-il, le­champ .de travail que. Dieu m'a assigné. J'ai entendu son appel à Le servir dans ces provinces hostiles. Je n'ai pas peur des dangers, et j'y gagnerai la cou-· ronne du martyre. »

Tous ceux qui le connaissent et l'apprécient de­tuandent à Dieu de se servir de lui pour faire luire Sa Lumière dans ces sombres lieux, mais en Le sup­pliant aussi de protéger cette vie précieuse et de lui permettre de servir son Maitre et son peuple plutôt par de nouveaux travaux que par une mort violente.

.~.

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CHAPITRE VI

LE CHRISTIANISME DE SUND AR SINOn

Le mysticisme du sâdhou.

L'étude ti'une personnalité comme celle de Sundar Singh ne peut qu'être intéressante et ins­

tructive. Dans un siècle matérialiste, voilà un hom­me que le matérialisme n'a jamais effleuré. Il a étu­dié dans son Nouveau Testament la vie de Christ tellement à fond et il l'a si constamment imité, qu'il vit tout naturellement dans une atmosphère qui n'est que dans de rares occasions celle dont jouissent les chrétiens ordinaires.

Dans un pays tel que l'Inde, sa vie errante dc pri va tions lui fourni t sans cesse l'occasion de recon­naître partout la main de son Père de sorte que souvent, là où d'autres ne verraient que les grâces communes de la vie journalière, il loue son Dieu pour un secours spécial à l'heure d'un besoin spé­cial. Les nloments de la plus douloureuse agonie ou de la joie la plus intense ne sont pas rares dans sa vie. Les nuits de prière alternent avec les longues journées d'incessant labeur. L'étude approfondie du Nouveau Testament se combine avec la communion la plus étroite avec ChrIst.

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Un ardent désir de sauver les âmes le pousse sans -cesse plus loin, en même temps qu'un amour pro­fond pour son Sauveur inonde son cœur de paix et fait rayonner son visage. Pour lui, les choses spiri­tuelles sont plus réelles que les choses temporelles. Il vit si près du monde spirituel que le ministère des anges lui paraît tout naturel. Il y voit comme le trésor divin préparé en vue des besoins immenses de ce monde, et quand il lui arrive à lui-même quel­que chose d'extraordinaire, il croit tout simplement que Dieu s~intéresse assez à chacun pour intervenir en faveur de chacun.

Les profonds mystères de la vie, de !a mort et du .grand au-delà ne le troublent nullement, et il n'en elnbarrasse point les esprits de ses auditeurs, bien qu'ils aient leur place au fond de son âme contem­plative, qui y trouve une source d'intime et d'infi­nie satisfaction.

Les récits de ses merveilleuses expériences le précédent presque partout. Les uns en sont préve­nus contre lui, tandis que d'autres s'attendent à des révélations ou même à des miracles, mais tous, en le voyant et en l'entendant, sont frappés de son en­~cignement bien équilibré. L'explication qu'il donne de ses délivrances parait si naturelle, en sortant de ses lèvres, qu'on a l'impression de se trouver tout simplement en présence d'un nouveau chapitre des ..:-'\ctes des Apôtres. En racontant ses expériences, Sundar Singh déclare que Dieu a étendu sa main pour le sauver quand tout moyen hunlain faisait défaut. Et c'est bien là l'explication la plus simple qu'on puisse donner du fait que ce sâdhou chrétien a pu continuer si longtemps à travailler au milieu des dangers et des difficultés de tous genres, spé­ciaux aux pays fermés du Thibet et du NépauL

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Quant à l'esprit dans lequel il jouit de ces délivran­ces, il apparaît dans les incidents du genre de ceux que VOICI:

Comme il prêchait dans un village du Népaul, il rencontra une violente opposition. Les villageois s'emparèrent de lui, l'enroulèrent dans une couver­ture et l'emportaient brutalement hors du village. quand un étranger qui passait par là prit son parti et le remit en liberté. Le lendemain, il prêchait de nouveau dans le même village. Furieux, les villa-geois l'attachèrent à un arbre par les pieds et par les mains, et l'abandonnèrent à son sort. La journée 1ui parut s'écouler lentement. Comme il défaillait, faute de nourriture, et jetait des regards affamés sur les fruits de son arbre, il finit par s'endormir, épuisé. A son réveil, le lel1demain matin, il cons­tata émerveillé que ses liens étaient détachés, qu'il était étendu au pied de l'arbre, et qu'il avait des frui ts à côté de lui ... Rendant grâces à Dieu de ce qu'il avait souffert pour Christ, il prit ces fruits d'un cœur reconnaissant et se remit en marche avec un courage renouvelé, t0uj ours plus décidé à prê­cher l'Evangile du Dieu d'amour.

Une autre fois, dans la ville de Teri on lui parla d'un certain village où l'on désirait fort entendre la prédication de l'Evangile, et on lui donna les indi­cations qui devaient l'amener à ce village. Ces direc­tions l'amenèrent dans une jungle marécageuse, où 11 erra longtemps sans apercevoir la moindre trace d'un village. Les broussailles allaient s'épaississant tellement qu'il finit par comprendre qu'il était égaré dans une jungle sans issue.

Arrivé au bord d'une rivière, il pensa qu'en la traversant il trouverait peut-être un sentier; mais, une fois dans l'eau, il constata que le courant était

6

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trop fort pour lui et qu'il risquai t sa vie en essayant de le franchir. Le jour touchait à sa fin et le sâ­dhou, assis sur la rive, se demandait, presque dé­couragé, cc qu'il y avait à faire. Les bruits de la jungle n'avaient rien de rassurant; la nuit venait rapidernent; les fauves allaient quitter leurs taniè­res en quête de chair fraîche ...

Comme il venait d'implorer le secours de Dieu, il aperçut sur l'autre rive à travers l'ombre croissante, un hOlnme qui lui criait: « Je viens à votI'e aide! »

et qui, ayant plongé dans la rivière, vint à la nage jusqu'à lui, le prit sur son dos et retraversa ainsi le courant à la nage. Arrivé sur la berge opposée, Sun­dar trouva un feu allumé, devant lequel il s'installa pour se sécher. A ce moment l'étranger disparut, le laissant méditer sur la façon merveilleuse dont la Providence lui était venue en aide.

Une autre fois, comme Sundar Singh avait prê­ché tout le jour à une population hostile sans obte­nir la moindre parcelle de nourriture il se trouva, à la nuit tombante, affamé et fort las, sans abri dans un endroit désert. Il se coucha épuisé sous un ar­bre et s'endormit. Vers minuit, il fut réveillé par quelqu'un qui le touchait et l'invitait à se lever et ù manger. Deux hommes se tenaient là avec de la nourriture et de l'eau. Il s'imagina que c'étaient des villageois qui avaient eu pitié de lui et il accepta avec reconnaissance ce qu'ils lui offraient, mais, quand il voulut échanger quelques mots avec eux, ils avaient disparu, sans qu'il pût deviner comment. Il ne put que rendre grâces à Dieu pour cette nou­velle marque de sollicitude.

Sans essayer d'explications, le sâdhou accepte ces délivrances comme venant de la main de Dieu. « Je sais seulement, dit-il, qu'Il a étendu sa main pour

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me sauver» et, que ce soit par le moyen des hom­mes ou autrement, il ne se trompe certainement pas.

Comment le sâdhouaime

la croix.

J.'ai été crucifié avec Christ •.. et si je vis maintenant dans la chair, je VIS dalls la foi au l-ïls de Dieu, qui m'a almé et qui s "est lil'l'é lui-même POUl" moi (Gal. 2 : 20).

Je me glodfie de la croix de 1'IOh"e Seigneur Jésus-Christ, par qui le monde est crucifié pour mQi~ comme je le suis pmu" le monde. (Gal. 6: 14).

Le thème constant de la prédication de Sundar Singh est Jésus-Christ. C'est sur la croix de Christ qu'il dirige les regards de tous, car c'est là qu'il a trouvé la paix, de sorte qu'il peut parler avec au­torité de la puissance salutaire de la croix. Il parle avec prédilection de ses expériences personnelles, répétant souvent: « Je puis affirmer que la croix porte ceux qui la portent, en attendant le jour où elle les fera arriver en présence du Sauveur. »

Comme Je disait récemment un mahométan à qui un missionnaire avait raconté la Passion: «Si vous exposez cette histoire à l'Inde comme à moi, l'Inde acceptera. » Ainsi le sâdhou a trouvé le chemin du cœur de l'Inde, et il lui offre la seule chose qui puisse apaiser" la faim de son âme, Jésus et sa croix. Il lui montre ce tableau à la façon du Nouveau Testament, en confirmant ses paroles par sa vie d'abnégation et de sacrifice, pendant que sa joie intense dans le Sauveur appuie mieux que toute au­tre chose ses enseignements.

La croix signifie la souffrance, et l'unique ambi­tion de Sundar Singh est de ressembler à son Maî­tre. Il écrivait un jour:

En Christ mon âme est si joyeuse Que la croix m'est délicieuse.

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A Trivandram, alors que les foules l'entouraient en délire et presque en adoration, son seul chagrin était de ne pas souffrir pour son 1vlaître. Il se peut que plus tard ses sentÏ1nents aient varié, quand il s'est vu bousculé d'un endroit dans un autre, pas­sant d'une réunion à l'autre sous les feux d'un été tropical, lui qui avait toujours joui, en été, de la fraîcheur des monts; ou encore quand il eut à voya­ger, tantôt sur l'eau, tantôt dans des chariots à buf­fles, tantôt de nui t, par chemin de fer, pour se met­tre à l'œuvre à peine débarqué. 11ais en en parlant à ses an"lis, il disait simplement: «C'est la volonté de Dieu. }) .

Dans l'affreuse prison d'Ilom, en compagnie de détenus pervers, il écrivait dans son Nouveau Tes­tament: «7 ju,in I9I4. La présence de Christ a changé ma prison en paradis; qu'en sera-t-il donc au ciel, ci-après? » Comme pour Paul et Silas, la prison est devenue le rendez-vous du Sauveur, et l'enfer avec Christ lui semblerait préférable au ciel sans Christ.

Cette présence constante de Christ est pour 1 ui une telle réalité qu'il n'a rien trouvé d'étonnant à l'incident que voici:

Comme il voyageait dans une partie sauvage du Thibet et qu'il ne pouvait pénétrer dans un village à cause de l'hostilité générale, il alla se réfugier dans une grotte. Il n'y était que depuis peu de temps lorsqu'il vit s'approcher une bande de villageois armés de bâtons et de cailloux. Ne doutant pas que ce ne fût son arrêt de mort, il recommandait son âme à Dieu, lorsque, à quelques mètres de lui, ces gens s'arrêtèrent brusquement et reculèrent même en échangeant entre eux quelques mots à demi-voix. Puis, s'approchant de nouvea.u du sâdhou: «Qui

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donc, lui demandèrent-Hs, qui donc est cet homme au costume resplendissant qui est avec toi, et tant d'autres qui vous entourent?» Sundar Singh ré­pondit qu'il étc1.it seul; mais ils insistèrent, épouvan­tés, assurant qu'ils voyaient tout autour de la grotte une armée d 'h0111meS étincelants. Ils le prièrent alors de les accompagner chez eu..x, et en route il leur parla de Christ de telle façon qu'ils eurent peur et crurent à sa. parole. Il comprit que Dieu avait en­voyé ses anges à la fois pour le protéger et pour fFayet la voie à son message.

Il écrivait il y a quelques années:

« Je bénis Dieu de ce. qu'Il m'a choisi dans ma jeunesse, indigne comme je l'étais" pour que je pusse mettre à ~on service les jours de ma vigueur. Dès avant mon baptême, je demandais à Dieu de me montrer ses voies, et ainsi Lui, qui est la Voie, la Vérité et la V-ie, s'est montré Lui-même à moi et m'a appelé à Le servir comme sâdhou et à prêcher Son saint nom. Et maintenant, bien qu'ayant souf­fert la faim et la soif, le froid, les chaleurs, la pri­son, les malédictions, les infirmités, la persécution ct des maux sans nombre, je Lui rends grâces, je bénis Son saint nom de ce que, par sa grâce, mon cœur est toujours débo.rdant de joie. Après dix ans d'expérience, je répète sans la moindre hésitation que la croix porte ceux qui la portent. »

Ce témoignage, Sundar Singh le confirme au­jourd'hui. Il espère, ajoute-t-il, que Dieu lui accor ... dera encore quelques années, de sorte qu'il puisse Lui consacrer la plénitude de sa vigueur en allant prêcher et 'souffrir partout où son Seigneur l'en­verra.

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Le sâdhou Il y .a incontestablement quelque et la mission chose de merveilleux dans cette va­des sanyasis. cation adressée à Sundar Singh pour faire de lui un sàdhou chrétien. Rien peut-être n'a fait sur les chrétiens, partout où il a passé, plus d'impression que l'étonnante humilité et la douce simplicité de son esprit de sâdhou, et personne n'est plus surpris que lui-même quand des foules se pres­sent autour de lui uniquelnent pour voir son visage et frôler sa robe safran. Cependant, c'est surtout dans son action sur les non-chrétiens qu'on peut constater l'importa.nce de son titre et de son carac­tère de sâdhou. C'est là, d'ailleurs, à ses yeux, son vrai chalnp de travail.

Naturellement sa robe safran lui ouvre des portes fermées à tout autre. C'est ainsi qu'il lui est arrivé fréquemment de rencontrer des types exceptionnels de sâdhous hindous, et qu'il a eu le privilège de faire connaître au monde un mouvement lner­veilleux des hommes les pl us pieux de l'Inde païen­ne vers le christianislne.

Le Rév. J. J. Johnson, de la Société missionnaire anglicane, récemment décédé, était en Inde un des hommes les plus versés dans l'étude du sanscrit. Sur la fin de sa vie, il avait été lnis à part pour une œuvre parmi les pandits érudits et les classes culti­vées de l'Inde, œuvre à laquelle il était admirable­ment préparé. C'est une histoire qu'il vaudrait la peine d'écrire. ... Lors de sa dernière visite, il nous disait qu'il y avait des Hindous en grand nombre, dans les castes supérieures, qui attendaient le mo­ment de se déclarer chrétiens, ce que des années de relations étroites avec les principaux hommes pieux de l'Inde lui permettaient d'affirmer. Or, il était

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réservé à notre sâdhou de fournir la confirmation éclatante de cette affirmation, et voici comment:

Vers la fin de 1912, étant allé à Sarnath, le pre­Inier endroit où le Boudha a prêché, il y trouva quelques hommes costumés en sanyasis. En causant avec eux, il découvrit qu'ils étaient chrétiens et qu'ils appartenaient à une organisation secrète, comptant environ 24.000 membres répandus dans toute l'Inde. Ils se divisent en deux catégories, les Shishyas et les S,vamis, ou les compagnons et les hérauts. Les premiers sont de simples membres, r~mplissant leurs devoirs habituels, tandis que les hérauts, au nombre d'environ 700 seulement, ha­billés en sanyasis, fonctionnent conlme prédicateurs bénévoles et président les cul tes des compagnons partout où l'occasion s'en présente.

Ils pratiquent le baptême et la cène. Il .s'en trouve dans toutes les parties de l'Inde, même dans les en­droits où l'on s'y attendrait le moins. C'est à la sollicitude affectueuse de quelques-uns d'entre eux que Sundar Singh dut d'être ramené. à la vie une fois qu'il avait été persécuté et emprisonné au Né­paul.

Ils s'assemblent de grand matin dans des « mai­~ons de prière» qui ressemblent extérieurelnent à des temples hindous, mais qui ne renferment ni sta­tues ni images d 'aucune sorte. Ils lisent la Bible et l'expliquent; ils font circuler des journaux chré­tiens. Ils retiennent scrupuleusement les usages orientaux, tels que le prosternement jusqu)à terre pour la prière. Ils sont persuadés qu'en priant avec une foi parfaite on aurai t constamment la VISIon du 1tfaître lui-même.

Divers sâdhous et erlnites d'une sainteté recon­nue appartiennent il cette confrérie chrétienne se-

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crète, dont un nombre considérable de membres sont des gens cultivés et riches des classes supérieures r

qui fournissent largement aux besoins de cette or­ganisation. Sundar Singh a fréquemment assisté à leurs cultes et a été pris plus d'une fois pour l'un d'eux. Il les a fortement sollicités de confesser Christ ouvertement et ils lui ont certifié que c'était bien leur intention de le faire quand le moment leur paraîtrait venu.

Comme il prêchait une fois au bord du Gange, ses auditeurs lui dirent que, s'ils l'aitnaient comme sanyasi, ils n'aimaient pas son message, et ils l'en­gagèrent à aller voir un grand prédicateur hindou qui demeurait dans le voisinage et qui attirait de grandes foules. Pendant trois jours en effet Sundar ne put pas approcher- de ce prédicateur à cause de la foule. Un jour enfin il put le voir et il apprit que c'était aussi un chrétien. Alors l'Hindou l'em­brassa en disant: « Nous travaillons à la même œuvre, frère.» Sundar Singh répondit, surpris, qu'il ne l'avait jamais entendu prêcher Christ. A quoi l'autre répliqua: « Y a-t-il un paysan assez fou pour semer sans préparer le terrain? Je m'ef­force d'abord d'éveiller dans les cœurs de mes au­diteurs le sentiment de ce qui leur manque, et quand ils ont faim et soif de justice, je leur présente Christ. L'année passée, j'ai baptisé dans cet anti­que fleuve douze Hindous cultivés. » Et il montrait au sâdhou la Bible qu'il porte partout sur lui.

Dans une des villes saintes de l'Inde, quelques­uns de ces croyants secrets Inenèrent Sundar Singh dans un vieux temple, où ils lui montrèrent un an­cien manuscrit sanscrit contenant une histoire du Pandit Viswa lvlitra, un des trois ::rvlages qui, revenu de Bethléem, était reparti plus tard pour la

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Palestine. alors que Christ avait commencé son mi­nistère. C'est de lui, prétendent-ils, que les disciples se plaignirent à leur :NIaître, l'empêchant de faire' des miracles, « parce qu'il ne nous suit pas. » Ce vé­nérable parchemin renferme aussi, en sanscrit mo­derne, l'histoire récente de la confrérie.

La mission des sanyasis ne paraît guère avoir été florissante jusqu'au tClnps de Carey, où quelques sanyasis l'entendirent prêcher l'Evangile et furent remplis d'une nouvelle ferveur. Dès lors, cette mis­sion a poursuIvI son œuvre avec une foi renouve­lée, et le nOlnbre des adhérents a commencé à s'ac­croître.

Dans une ville du Nord, Sundar Singh fut pré­senté à un fameux prédicateur hindou, regardé­comme particulièrement avancé dans l'étude des \ié­das. Il l'entendit donner une conférence sur les écri ts sacrés des Hindous et, vers la fin, demander : « Les Védas nous révèlent la nécessité d'une ré­demption du péché, Inais où est le rédempteur ? Ce « Prajapathi » dont parlent les \1 édas, c'est Christ, qui a donné sa vie en ranç,on pour les . pécheurs. »

Interrogé ensuite par les Hindous, il leur répondit: « C'est moi qui crois aux Védas plutôt que vous, puisque je crois en Celui que révèlent les \1 édas, et qui est Christ. »

En parlant de cela, Sundar Singh déclare que le­grand besoin de notre âge, c"est que l'Eglise ait un large horizon; que les chrétiens ne se laissent pas arrêter par les barrières élevées par les sectes et les confessions de foi, mais qu'ils apprennent à discer­ner et à reconnaître la présence de 1 'Espri t de Dieu sous quelque forme qu'elle se Inanifeste. Il croit fer­mement que cette mission des sanyasis est bénie de­Dieu et qu'en dépit de ses allures insolites, ses chefs

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sont en train de faire de grandes choses pour l'Inde, -par la grâce de D icu.

Le mot de passe de la confrérie est: «Yishu N asarath Ki J ai », « A Jésus de Nazareth la vic­toire ! »

Sundar Singh Il y a quelque telnps, on pou-· et le Maharishi vait lire ce qui suit dans un

de Kailash. journal du nord de l'Inde: « 1\Totre pieux frère, détaché du monde et du moi,

le sâdhou Sundar Singh, a découvert l'ermite chré­tien, le 11aharishi de Kailash, qui s'est retiré depuis des années dans les neiges de l'Himalaya pour prier -et intercéder pour le monde ... Vous avez révélé au inonde le secret d'un des melnbres de notre mission, le J\1aharishi de I<.ailash. »

Au cours de ses pérégrinations dans l'ouest du Thibet, Sundar Singh recherchai t constatnment ces solitaires pieux qui se retirent dans les cavernes de -ces monts neigeux et lointains pour y passer leurs derniers jours dans la contemplation. C'est là-haut, dans le silence auguste des neiges éternelles, que s'allonge le chaînon de l'Himalaya appelé le Kai­Jash. C'est dans ce chaînon éloigné que le puissant Indus a sa principale source, ainsi que son grand affluent, le Sutlej, qui arrose le pays natal de Sun­dar Singh. C'est là qu'à plus dc 2800 mètres d'alti­tude la gorge où bouillonne ce fleuve forme un ta­bleau dont l'horreur sublime fait une des merveilles du monde.

Sur l'une des sommités de la chaîne du Kailash se trouve un temple boudhiste abandonné et bien rarement visité des humains. C'est à quelques kilo­-mètres de ce temple qu'habite le grand saint connu

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sous le nom de 11aharishi de Kailash, dans une grotte située à quelque 4300 mètres d'altitude.

Toute cette région est comme l'Olympe de l'Inde, le siège de ses mythes sacrés, associé dans ses livres saints aux noms des grandes âmes pieuses de tous les temps. Notre sâdhou y a trouvé dans une grotte les squelettes de plusieurs saints inconnus qui y sont rnorts dans la méditation.

Le paysage est d'une grandeur impressionnante, au milieu des neiges éternelles. A trois jours de là se trouve le célèure lac sacré l\rlansaro\-var, d'une beauté exquise, peuplé de cygnes magnifiques, tan­dis <lue sur les rochers qui le surplombent sont pit­toresquement perchés d'antiques telnples et lTIOnaS­tères boudhistes. SUl1dar Singh en parle comme d'un des endroits les plus adtnirables <lu'il ait ja­mais vus, mais il ajoute que les tribus nomades des environs sont des plus cruelles, assassins à plaisir, transformant pour les voyageurs ce paradis en un lieu de terreur.

Dans l'été de 19 l 2, notre sâclholl passait par là tout seul, restauré souvent par la seule. beauté du paysage, mais plus souvent ene.ore épuisé par ses vains et pénibles efforts à la recherche des saints solitaires du pays. Jamais il n'oubliera le jour où, presque aveuglé par l'éclat de la neige, à demi-mort de fatigue, il se traînait en trébuchant sur la neige et les cailloux, sans même savoir où il allait, quand il perdit tout à coup l'équilibre et tomba ... Quelle ne fut pas sa surprise lorsque, en revenant à lui, et en ouvrant les yeux, il se trouva gisant à l'entrée d'une grande caverne, où le Nlaharishi de I(ailash était plongé dans une profonde médi tation.

Le spectacle que Sundar Singh contemplait lui parut si saisissant qu'il referma aussitôt les yeux

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et faillit s~évanouir. Peu à peu cependant, il s'aven­tura à examiner c.e qui était devant lui. C'était bien un être humain, Inais si âgé et la tête couverte d'une chevelure telle qu'on reüt pris d'abord pour un ani­mal. Aussi Sundar comprit-il que ses longues re­cherches avaient enfin abouti, et dès qu'il se sentit Inaître de sa voix, il adressa la parole au vieIllard. Celui-ci, troublé dans sa méditation, ouvrit les yeux, jeta sur le sâdhou un regard perçant, et le stupéfia presque en lui disant: «A genoux, et prions! }) Il prononç.a une vivante prière qui s'a­cheva sur le nom de Jésus, après quoi le NIaharishi déploya un volumineux exemplaire des Evangiles en grec, lut quelques versets du cinquième chapitre oe IVfatthieu et se mit à raconter à Sundar Singh sa vie merveilleuse.

Il se dit fort âgé, ce que confirmait bien son as­pect, et assura que le rouleau dans lequel il venait de lire provenait de François Xavier. Il était en effet écrit en lettres onciales grecques et pouvait étre de grande valeur pour des savants s'il tombait (;ntre leurs mains.

Né à Alexandrie de famille musulmane, le ~fa­harishi avait été un sectateur zélé du Prophète. A trente ans, il avait renoncé au monde et était entré au couvent. ::NIais, plus il lisait le Coran et priait~ plus il était malheureux ... C'est alors qu'il avait en­tendu parler d'un chrétien, un saint, venu des Indes ù Alexandrie pour y prêcher, et c'est de sa bouche qu'il avait entendu des paroles de vie qui avaient rempli de joie son âme désespérée. Quittant le cou­vent, il avait d'abord accompagné son maître dans ses tournées missionnaires; puis il avait obtenu la permISSion de prêcher lui-même l'Evangile partout

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où Dieu l'enverrait. Il avait ainsi entrepris une longue campagne d'évangélisation.

Fatigué enfin de ses travaux, il a.vait résolu de passer le reste de sa vie dans rendroit retiré où notre sâdhou l'avait découvert. Il y avait appris, au cours des ans, beaucoup de choses quant aux pro­duits des monts et des jungles qui l'entouraient, ce qui lui avait permis de subsister jusqu'à ce jour.

Comme Sundar Singh était transi jusqu'aux moelles, le saint lui fit manger des feuilles d'une certaine plante médicinale, dont l'effet fut extraor­dinaire : il se sentit aussitôt tout le corps réchauffé délicieuselnent. Il causa longuement a.vec le saint de sujets religieux, et apprit de lui maintes choses étranges. Plusieurs des illustrations frappantes qui émaillent ses prédications lui viennent de ce vieil­lard, qui se rattache à la mission des sanyasis. Ses visions étonnantes, telles qu'il les a racontées à Sun­dar Singh, formeraient une nouvelle Apocalypse par leur caractère étrange et mystérieux, et le sâdhou lui-même met en garde les auditeurs contre des in­terprétations ou conclusions hâtives, disant que le saint revêt ses pensées d'expressions qu'il ne faut pas prendre au sens littéraL

Il a eu trois fois l'occasion d'aller le voir.

Sundar Singh Là où il y a suffisamment de à une chrétiens, dans l'Inde méridio-

convention. nale, on a institué des conven­tions annuelles pour l'approfondissement de la vie spirituelle, et elles sont devenues fort populaires de­puis quelques années. Elles durent généralement une semaine, comme celle de ICes,vick, le program­me et les orateurs étant fixés d'avance. Notre sâ-

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dhou y a pris part à plus d'une reprise. C'est celle de Travancore qui a attiré le plus de monde.

L'Eglise du Malabar se fait gloire de son origine reculée, qu'elle fait remonter au travail mission­naire de l'apôtre Thomas. Cette antique Eglise sy­rienne se divise en trois branches, romaine, jacobite et de Nlar Thoma.

Vers le milieu de février 1918, Sundar Singh assistait à la convention de l'Eglise syrienne jaco­bite dans le Travancore septentrional, avec quelque 20,000 personnes. Ce fut un temps heureux et béni.

De là, à la fin du même mois, il se rendit à la convention de la branche de 1tlar 'rhoma, aussi dans le Traval1core nord. Il y fit une expérience inou­bliable.

La plus belle et la plus large rivière de la pro­vince passe à environ cent soixante kilomètres au nord de Trivandram. A la saison sèche el1e laisse à sec la plus grande partie de son lit. C'est ainsi qu'on peut chaque année dresser, sur une immense­île de sable, à un certain coude de la rivière, une vaste baraque de 25,000 places.

Pendant une semaine, il y a des réunions pendant la plus grande partie de la journée. Chaque matin, bien avant l'aurore, un homme à la voix de stentor parcourt le campement en criant: « Loué soit Dieu! Loué soit le Fils de Dieu ! » Peu après, commen­cent à retentir partout à la ronde des prières chan­tées sur d'antiques mélodies syriennes, et cela dure jusqu'au lever du soleil. Ainsi monte vers le ciel, en constant crescendo, l'invocation qui doit faire des­cendre la bénédiction sur les réunions de la journée.

Grâce à ]a présence du sâdhou, il y eut plus de monde que jamais, tellement qu'avant la. fin de la

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semaine il fallut agrandir la baraque, et la del-nièr~ réunion ne comptait pas moins de 32,000 auditeurs -

Le spectacle journalier défie toute description _ Au tiers à peu près du fond de la salle se trouvait une plateforme primitive de cinquante à soixante centimètres de hauteur. A l'une des extrémités il y avait deux sièges occupés par les deux évêques de l'Eglise syrienne de l\tIar Thoma, aux splendides robes de satin rouge ou pourpre, aux ceintures d'or et aux turbans étranges. Les autres ecclésiastiques étaient assis tout simplement sur le plancher de la plateforme, à la façon de tailleurs, et devant eux, dans la même posture, le sâdhou.

Quant aux immenses foules, elles étaient assises sur le sable, les femmes à gauche, toutes en blanc, les hommes au milieu et à droite. Par dessus cette mer de têtes, on apercevait quelques échappées de­la ri vière scintillante, avec ses singulières embarca­tions allant et venan t.

Impossible d'imaginer une foule plus recueillie_ Chaque matin les réunions commençaient par la prière. De temps à autre, l'évêque qui présidait indi­quait les sujets de prière; alors toutes les têtes de ~e baisser, tandis qu'un murmure presque impercep­tible allait croissant peu à peu jusqu'à devenir sem­blable au fracas de l'océan en furie. On ne peut se figurer quelque chose de plus saisissant.

La chaleur torride n'avait d'égale que le silence qui s'établissait dès que le sâdhou se levait pour parler. Il avait souvent entendu parler dans le nord des nombreux chrétiens du Travancore. Mais autre­c.hose était de les voir ainsi réunis; et il se deman­dait comment donc il se faisait que l'Evangile fût si longtemps resté confiné dans cette partie res­treinte de l'Inde.

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Il se mit à rappeler à cette multitude comluent D 'ieu, dans les siè.cles passés, avait confié à l'Eglise syrienne le dépôt de la. vérité, mais COlnment aussi, en gardant ce trésor pour eux, Hs avaient contraint Dieu à faire venir des messagers d'Amérique et d"Europe pour remplir la tâche qu'ils avaient né-gligée. Puis, faisant allusion au grand mouvement réformateur oommencé dans cette antique Eglise, il les pressa de répondre enfin à l'appel divin et de porter la lumière à ces millions qui meurent dans les ténèbres,

Il y a d'ailleurs quelques années déj à que l'Eglise syrienne de Travancore a commencé à prendre à cœur sa responsabili té, et à envoyer des mission­naires dans diverses parties de l'Inde.

Dès lors, Sundar Singh a répété ses appels ail­leurs encore, de façon à éveiller un intérêt tout nou­veau pour les missions. Il se rend clairement compte du devoir et du privilège que Dieu place devant l'Eglise hindoue en lui offrant , de s'associer à son plan d'amour. Tant par son exemple que par ses paroles, il presse ses compatriotes de prendre leur croix et de suivre Christ à tout prix jusqu'à la vic­toire finale.

La C'est pou.,' annoncer l'ÉJ1allgile que Christ prédication m'a enl'oye (1 Cor. 1 : 17).

J'al abondamment répandu l'Évangile de de Sundar Christ. Ei je me suis fait hOnneur· d'annoncer

Singh. l'Évangile là où Christ n'avait point encore été allnoncé .•. selon qu'il est écrit: Ceux ,l qui il n'avait point été annoncé verront et ceux qui 'J'en avaient point entendu parler compl"endront (Rom. 15 : 20, 21 1.

Il Y a sans contredit des sermons qui font plus d'impression à la lecture qu'à l'audition, tandis que

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le contraire est non nl0ins vrai et beaucoup plus fré­quent. On a souvent exprimé le désir de voir pu­blier les prédications de Sundar Singh 7 et déj à une édition en tamil est sous presse. 1fIais ceux qui le connaissent le mieux sont aussi ceux qui doutent le plus qu 1un ouvrage de ce genre puisse faire rendre pleine justice à la valeur de Sundar Singh comme orateur populaire.

Il parle vraiment bien, sans· perdre de temps en fioritures inutiles et en belles phrases. Sa parole est claire, concise, et court droit au but. Il va sans dire qu 1 i1 y va de toute son âme, et sans qu'un seul audi­teur puisse rester à se demander où il veut en venir. Rien de vague, rien qui risque d'affaiblir la portée de son discours. Il ne parle jamais sans avoir un rnessage venant directement de Dieu, et sa voix claire le fait parvenir jusqu'aux derniers rangs de l'auditoire, si grande que soit la foule. Le silence complet et l'attention soutenue du public font bien ~entir le pouvoir qu'exerce sa parole. Son attitude calme, digne et modeste, tandis qu'il parle, sort petit Nouveau Testament en ourdou dans ses mains jointes forme un contraste frappant avec son lan­gage énergique et passionné. Jamais un instant d'ennui ou de monotonie ne fournit aux auditeurs l'occasion de se distraire.

Il sait tirer de la nature ou de ses expériences personnelles des illustrations fort appropriées et souvent saisissantes. Quand il s'adresse à des non­chrétiens, il déclare que la religion est une affaire d'expérience et non de raisonnement, et il en donne des preuves convaincantes. Si mélangé que soit l'au­ditoire, nul ne peut s'en aller sans emporter l'im­pression d'avoir entendu la vérité.

Ceux qui aiment Jésus-Christ sont fortifiés dans 7

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leur foi, les insouciants sont contraints de réfléchir T

les non-chrétiens qui pensent en viennent à se de­Inander si Christ n'a pas des droits sur eux et, au tnoins dans quelques-cas venus à notre connaissance, plusieurs ont été an1enés aux pieds de leur Sauveur. Ce serait faire un travail intéressant que de recueil­lir et de publier les résultats d'une de ses tournées. d' évane-élisa tion .

Quant au contenu de la prédication du sâdhou J

c'est avant tout l'affirmation ou la confinnation triomphante de la réalité des choses éternelles dans le domaine spirituel. Ce message a ralnené la vie chez nombre de chrétiens qui, auparavant, ne con­naissaient que par ouï-dire la puissance vivifiante de Christ et pour qui la religion n·'était guère qu'un corps sans âme.

A la vue de Sundar Singh, de sa physionomie portant le sceau de la c.ommunion constante avec son Seigneur, de sa robe safran le distinguant des autres homlnes; il. 1 ~ ouïe de son message si pers ua­~if, si pressant, si attrayant, ces chrétiens de nonî n'ont. ptt résister au pouvoir conquérant d'un Sau­"eur presque oublié.

Le sâdhotl puise sa vie aux sources intarissables de la joie divine et il en comluunique quelque chose à ceux qui le voient et l'entendent, jusqu'à ce qu ·'à leur tour ils soient enflammés du désir de boire à la même source, (l'avoir part à son bonheur.

Il n est pas moins incisif en s'adressant aux vrais. chrétiens, leur mettant sur le cœur un idéal tou­jours plus élevé et plus noble, et lettr faisant sentir vivement leur responsabilité et le danger de s'habi­tuer à écouter sans obéir.

Quand il s'adresse à des non-chrétiens, il se garde bien d'attaquer leur religion ou d'employel-

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des termes peu fraternels à leur égard. En revan­che, il rend fidèlement son témoignage, sans peur d'être mal jugé, racontant la vanité de ses efforts dans sa recherche de la paix et de la j oie en dehors de la grande révélation de Dieu en Jésus-Christ. Il croit bien m~ins, pour amener les âmes à Christ, à l'argumentation philosophique qu'au témoignage humble et simple donné à la puissance rédemptrice et libératrice de l'Esprit de Christ. Il ramène aux vérités fondamentales de l'amour de Dieu, du té­lTIoignage rendu à cet amour par la vie et l'amour de Christ, du pouvoir infini de cet anlour pour sau­ver quiconque 1 taccepte, et surtout de Christ et de la croix. Il parle de Quelqu'un qu'il connaît intime­ment, dont il n'a cessé d'expérimenter la puissance depuis sa conversion, de Quelqu'un qui ne le quitte ni jour ni nuit et pour qui il a tout quitté. Ses au­diteurs sentent qu'ils ont devant eux quelqu'un qui 'Vit Christ aussi certainement qu'il Le prêche.

Ainsi, sa personnalité même donne du poids à son message. A une réunion du matin, quand il eut fini de parler, il s'assit pendant que son interprète continuait à le traduire; mais ce ne fut qu ' à grand' peine que celui-ci réussit , à retenir jusqu'au bout liattention de l'auditoire. Dès lors il est resté de­bout jusqu'à la fin de la traduction, et pas un re­gard ne le quitta avant qu'il se rassit.

C'est pour ainsi dire la combinaison de l'homme et du message qui exerce comme une fascination sur les foules.

L'auteur du Ecce H 01110 disait: « Le premier pas vers le bien est chez un homme la naissance d'un so­lide attachement pour quelqu'un. lv1ais que ce soit pour une personne d'une bonté évidente et mar­quante, il aura. constamment sous les yeux un idéal

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de ce qu'il peut devenir lui-même. L'exemple est une influence. »

Où qu'il aille, Sundar Singh a le pouvoir d'éveil­ler ce sentiment d'attachement personnel, et il ne s'en sert que pour attirer les âmes à Christ. Les foules qui se pressent autour de lui pour l'aperce­voir, les titres honorables qu'on lui décerne (tels que Mahatma et S"\vami, qui le désignent comme participant de la nature divine), attestent les sen­timents qu'on lui voue, mais qu'il cherche à utiliser pour entraîner ses auditeurs vers la source unique de la vie.

Sa tâche spéciale, celle qu'il regarde comme à lui confiée par Dieu lui-même, c'est d'atteindre ceux qui échappent à l'influence des Eglises. Il vient aus­si raviver la flamme des Eglises, stimuler leur zèle; mais, sans s'arrêter à constater le résultat de ses efforts, il poursuit sa route, en laissant simplement derrière lui son message enflammé et son souvenir comme une inspiration. La simplicité de sa vie fait honte à ceux qu'asservit l'amour de leurs aises, et sa façon de vivre son christianisme est bien faite pour corriger l'idée fausse que c'est là une religion bonne pour les seuls Occidentaux .

. ~.

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CHAPITRE VII

NOUVEAUX VOYAGES MISSIONNAIRES.

Tournée Bien qu'il ait consacré aux non-dans l'Inde chrétiens la pl us grande partie de

méridionale. sa vie, Sundar Singh n'a pas né­gligé les chrétiens, et il accomplit en ce moment~, parmi les peuplades christianisées de l'Inde, une œuvre unique. C'est l'Inde méridionale qui lui four­nit à cet effet un immense champ de travail, les au­diteurs affluant à ses réunions par milliers, sans distinction de sectes ou de credos.

Son travail est aussi varié qu'intense. Souvent, au cours de ces derniers mois, il se mettait à l'œu­vre dès l'aube ,1 usque tard dans la soirée, ayant à peine le temps de prendre ses repas, et même d'étu­dier son Nouveau Testament. Là où il avait passé plusieurs jours, ses auditeurs se reposaient après son départ comme aprës un repas copieux; mais nulle part on ne semblait se douter que le sâdhou lui-même eût besoin de repos.

A de longues journées fort remplies succédaient de fatigants traj ets nocturnes par bateau, par va-

l En 1918.

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gon à bœufs ou par chemin de fer. A peine arrive, le travail recommençait de bon matin, consistant non seulement dans des réunions publiques (matin et soir d'habitude), mais aussi dans des réceptions journalières. Durant des heures, des interviews étaient accordés à quiconque se présentait: conseils requis, problèmes religieux à résoudre, discussions et requêtes de la part des païens, tantôt isolés, tan­tôt en groupes nombreux, tout cela se présentait tour à tour.

Ce qui montre l'importance et la valeur de ces rencontres particulières, c'est le nombre croissant de ceux qui les recherchent, à mesure que se pro­longe le séjour du sâdhou dans une localité, et c~est aussi le télnoignage de ceux qui en bénéficient.

Dans un endroit où les gens venaient en foule ré­clamer les conseils du sâdhou, un étudiant logé dans le même hôtel que lui se fit un plaisir de lui servir pour ainsi dire de concierge. Il prit la clef de la porte de Sundar Singh, de façon à lui garantir un peu de répit et de liberté, au lTIoins pour ses repas et son culte personneL Aussi notre sâdhou regarda­t-il ce temps c.Olunle particulièrement reposant. Là où il y a un collège ' ou une école supérieure, il s'y rend entre les réunions du matin et du soir pour

'parler aux étudiants. Les invitations destinées à lui faire rencontrer de

nombreux chrétiens à table ne laissent pas que d'a­jouter encore à sa fatigue. C'est que dans le sud il a de plus à se débattre avec la difficulté de la langue. Là où l'anglais est suffisamment connu, cela va bien, mais il est nombre de cas où il faut un inter­prète, et il en est de plus ou moins capables. POUt

un tempérament aussi , ardent, pour un homme si plein de son message et si passionné dans son amour

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pour les âmes, l'obstacle provenant de la diversité des langues doit être des plus pénible, mais il n'y paraît guère, et ses auditeurs n'en sont pas moins heureux et reconnaissants d'obtenir quelque béné­diction, même au moyen d'un interprète.

JI ne cherche point à se créer des imitateurs ser­viles. Il maintient, non sans raison, que nul ne doit s'embarquer dans une vie de sâdhou sans y être clai­rement appelé par Dieu. Les conseils qu'il donne ~ont toujours pleins de sagesse, de pondération et de bon sens, toujours appropriés aux besoins. L'exem­ple de sa pieuse mère et de l'éducation qu'elle lui a donnée lui est d'un secours constant. dans ses en­tretiens avec les femmes. « Si une mère païenne a pu en faire autant pour son fils, aime-t-il à dire, combien pl us vous, n1ères chrétiennes. »

i\ttaché comme il l'est au Nouveau Testament, il parle de ceux qui raiment mieux que lui, puisqu'ils ne l'ont pas COlnme lui déchiré et jeté .au feu, mais ont appris à l'aimer et à le révérer. Qui sait com­bien de consciences ont été réveillées par des remar­ques de ce genr2 ? ...

Bien souvent. au cours de ce séjour au ·sud, des J-lindotls sont venus le voir pendant les heures si­lencieuses de la nuit, et c'est « très volontiers» qu'il « dépense et se dépense» pour les âmes pendant que d'autres dornlent. Il a aussi à faire face à une vaste correspondance, et le nombre de ceux qui réclament ses prières est légion. Aussi a-t-il visiblement mai­gri pendant cette tournée au sud, et il paraît sou­vent à bout de forces, quoiqu'il se dise bien portant et seulement fatigué par son grand travail.

Les milliers de chrétiens qui l'ont vu se rendent compte de ce que Dieu peut faire d'un homme qui s'abandonne corps et âme à son Sauveur, et ils ·

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ne se rassasient pas de le voir. Partout où il a passé!! on l'a accueilli avec allégresse, lui et son message, regrettant seulement qu il ne pût pas rester pour consolider son œuvre. Dieu seul sait quelle en est la profondeur et l'étendue, mais tous sont d'accord pour reconnaître qu'il est venu au bon moment, et <-lue c'est Dieu qui l'a envoyé mettre sous les yeux des hommes l'idéal vécu d'une vie d'entier abandon il Christ et de renoncement complet à soi pour son

" ~erVlce"

L Adh Les six semaines passées par Sun-e sa ou d S" h" Cl" . · Clar lng a ey an ont ete Si rem-

a e yan. 1" 1"1 p les et ont eu un te succes, au mel -leur sens du mot, qu'il faudrait bien des pages pour en rendre compte. Des ex trai ts de lettres don­neront quelque idée de ce qu'il a pu faire et de rimpression qu'il a laissée.

Ce qui ne contribua pas peu à ce succès, c'est le fait que sa visite avait été préparée par un comité d'organisation formé de missionnaires, de ministres et de laïques représentant t04tes les dénominations protestantes de Colombo.

M. R. \i\lïlson, la cheville ouvrière de ce comité, nous écrit:

« Les réunions ont attiré des auditoires immen­ses. Elles étaient annoncées pour six heures, mais on arrivait déjà à trois heures. Catholiques et païens venaient en foule; jamais assemblées politiques n'a­vaient attiré de semblables multi tudes. On venait de plus de soixante kilomètres de distance pour l'entendre, et il a laissé une impression profonde. »

Voici ce qu'en dit un autre ami : «La «mission» du sâdhou a attiré des foules

~normes, formées de mahométans, d'Hindous, de

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houdhistes, de catholiques et de protestants de tou­tes dénominations. I. .. 'impression produite par sa personnalité et par son message sur ceux qui l'ont vu et entendu est profonde. »

Le Rev. G. G. Bro,vn, de la mission américaine de Jaffna, essaye de préciser les raisons diverses de ce succès sans précédent :

« Depuis bien des mois, dit-il, la population de Jaffna, et spécialement la communauté chrétienne, ôttendaient la visite du sâdhou Sundar Singh. Il vient d'arriver et les foules affluent à ses réunions. On peut déjà se faire quelque idée de l'homme et de son message. Voici quelques-uns des points qui m'ont frappé:

» 1. Il a un aspect viril et sympathique, d'une' taille au-dessus de la moyenne, et qui ne saurait manquer d'attirer l'attention. Sauf sa robe jaune, il n'a rien d'un ascète.

}) 2. Il vit simplement, mais sans en faire parade, ni regarder son genre de vie comme spécialement vertueux.

}) 3. Il n~y a chez lui ni dans son message rien <l'un « sensationnalisme» à bon marché. Cela m'a­vait frappé d'emblée lors d'un interview d'une demi­heure qu'il m'avait accordé en Inde. Pas trace chez lui de verbiage religieux.

}) 4. Il a passé évidemment par une expérience religieuse profonde et même unique, mais il n'en parle pas volontiers, et jamais comme si elle devait être l'expérience normale des autres ou comme si chacun devait imiter son genre de vie.

» S. Son message est un appel direct à se conver­tir à une vie de justice et de piété, et à trouver en· Jésus le modèle à suivre et le pouvoir de se purifier. Il exalte de façon nette et catégorique la vie et l~

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caractère du Ivlaître. Il ne prêche pas Sundar Singh, il prêche Christ. Les leçons pratiques qu'il tire de l'Evangile sont justes.

» 6. Il exerce une action puissante sur les foules. J'ai remarqué nombre de personnes qui revenaient de loin jour après jour pour l'entendre. Je n'ai ja­mais vu à Jaffna de grandes réunions où il ait régné autant d'ordre et d'attention.

»7. La puissance d'attraction qu'il exerce pro­vient en partie de ce qu'il représente un type pure­ment hindou de vie et de mentalité. Il n'est nulle­ment «européanisé». Il est Hindou jusqu'aux moel­les. Nous languissions d'avoir un spécimen authen­tiquement hindou de mentalité chrétienne et d'idéal chrétien. Nous l'avons.

»8. Sans attaquer les autres religions, il a ce­pendant un message clair et précis pour ceux qui ont d'autres croyances. C est un homme doué d'une réelle puissance et qui accomplit une grande œuvre.»

En r entendant parler de la prière, un Hi ndou cultivé dit: « C~est vraiment un guru (maître) spi­-rituel, j'espère qu'il me donnera quelque lumière. »

Il tenait souvent trois réunions d'un jour, sans parler des intervie\-vs, et cependant il souffrait tel­leinent de la chaleur qu'en écrivant il un ami du nord, il se comparait à un morceau de sel en train

·de fondre, ajoutant qu'il s'y résignait de bon cœur, ::i seulCInent le sud en était salé.

A Cololnbo, ce fut par centaines que des gens ne purent même pas arriver jusqu'aux portes du local et que dès l'aube jusque tard dans la nuit ils vinrent lui demander aide et conseil. Les journaux étaient remplis de cOlnptes-rendus de ses réunions, et son nom était sur toutes les lèvres. Il n'y voyait, quant :à lui, qu"unc occasion Inagni fique de prêcher Christ.

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r\u prix de quelles fatigues? Il est seul à le savoir. Son calme au milieu de ceS multitudes qui envahis­saient jusqu'à ses heures de repos ne laissait ja­mais percer la souffrance que lui infligeait pareille publicité.

Dans les vastes solitudes des lIilnalayas neigeux, Sundar Singh a passé des mois dans le tête-à-tête .avec Dieu. ~1êlne ces plateaux inhospitaliers du Thibet, balayés par les vents, et dont les rares ha­bitants repoussent son message et le chassent af­famé dans le désert, lui fournissent l'occasion de jouir de ces expériences sublilnes dont il ne parle guère, mais qui scellent sa vocation divine et lui Inanifestent la sollicitude de Dieu quand les hon1-nles l'abandonnent.

Il a pendant des 1110i5 parcouru solitairement des régions rarelnent foulées par un pied humain; il a -appris à aimer ces pics sourcilleux où il contelnple les œuvres puissantes de Dieu et où il entend fré­quemlnent le murmure doux et léger. I l n'y a pas seulement contemplé des visions, il y a aussi re­cueilli de la puissance en vue de son grand minis­tère au miEeu des foules. Et tandis que son âme sensible tourne ses désirs vers c,es solitudes bénies, il passe indemne au travers d'innombrables tenta­tions, et au sein même de l"'adulation des hOlnmes, il garde intactes sa douceur et la simplicité de sa , .. ie de renoncement.

Dans son langage irnagé, il comparait l'Inde à un géant dont rHimalaya figurait 'ta tête et l'Inde méridionale les pieds. Mettant le doigt sUIt te point faible du ,christianisme méridional, il disait: « C'est avec les pieds des chrétiens du sud que le chris­tianisme devrait marcher et progresser; mais, hélas! si les pieds sont bien là, forts et en apparence bien

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conformés, ils ne sont pas capables de marcher. Ç)u'est-ce qui s'y oppose? C'est comme pour un homme que j'ai vu un j our en Cochinchine, il y a la lèpre à ces pieds, et cette lèpre c'est l'esprit de caste. »

Qui peut en parler plus sciemment que lui? COlnme Paul, qui se disait Hébreu né d'Hébreux, le sâc1hou peut se dire Sikh né de Sikhs; mais, par toute sa manière de vivre, il proclame aussi: « Loin de nIoi la pensée de me glorifier d'autre chose que de la croix de Jésus-Christ, par qui le monde est crucifié pour moi, comme je le suis pour le monde!»

Dans sa tournée à Ceylan et dans le sud de l'Inde, le sâdhou a fait retentir son appel, si puis­samment étayé de son exemple. « Soyez mes imi ta­teurs », au moins sur ce point spécial, a-t-il le droit de dire. Oh ! quand l'Eglise hindoue le comprendra­t-elle et se débarrassera-t-elle de ses chaînes sécu­laires pour jouir enfin de cette plénitude de vie dont parle constamment Sundar Singh et qui est sa vie? Alors seulement il lui sera possible d'accom­plir sa tâche glorieuse, de gagner l'Inde à son Sei­gneur.

La visite du sâdhou aux Eglises du sud est chose faite. Il est allé en voir d~autres. Des milliers ont eu le cœur touché et profondément relnué par son mes­sage et par sa personnali té. Jamais encore sans doute aucun homme n 'avait pareillement attiré l'at­tention et la sympathie des Eglises de l'Inde.

Que de gens l'ont supplié de prier pour eux, de visiter leurs tnalades, de bénir leurs enfants! C'ombien ont trouvé quelque soulagement en tou­chant simplement son vêtement! A mesure qu'il s'avançait dans sa tournée, pareilles requêtes allaient se multipliant, et le bruit des guérisons opérées

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par son attouchement ou par ses prières prit une telle consistance qu'il se vit obligé de refuser d'al­ler faire des visites à domicile, de peur de favo­riser la croyance superstitieuse en son pouvoir mi­raculeux. A ceux qui imploraient sa bénédiction, il répondait invariablement: «Comment ces mains pourraient-elles bénir, ces mains qui ont déchiré et brûlé la Parole de Dieu ? »

Les armes du sâdhou ne sont point charnelles. C'est par son message et par son vivant exemple qu'il s'efforce d'amener les autres à suivre ses tra­ces; c'est à force de tendre amour qu'il tâche de les persuader d'aller à leur Sauveur.

Plus puissant que la bénédiction de ses mains et que le charme de sa personnalité est le désir intense de son cœur d'aInener les chrétiens de l'Inde et de Ceylan à devenir enfin d'authentiques disciples de Jésus-Christ.

Levons-nous, et « par Sa grâce» soyons les imi­tateurs de Sundar Singh comme il l'est lui-même de Christ ...

A propos de cette tournée à Ceylan, 1.1. K. R. 'Vilson écrit:

« C'est le 29 mai 1918 que le sâdhou Sundar Singh est arrivé à Ceylan, et il en est reparti pour l'Inde le II juillet après une tournée d'environ six semaines, qui lui permit de visiter Jaffna, Colombo, I<andy et sept autres localités, puis de repasser par Colombo en repartant pour la péninsule.

» Il est probable que jamais les temps modernes n'ont vu les populations secouées dans leur torpeur par une œuvre d'évangélisation comme elles l'ont été par cet Hindou chrétien vêtu en sanyasi et prê­chant le simple message de Christ ressuscité. ·Chré-

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tiens ou non, les auditeurs accouraient en foule telle (lue partout les salles étaient trop petites.

» Il prêchait en ourdou, et on traduisait en an­glais et en tamil. Personne ne pouvant traduire di­rectement en cingalais, on fit un essai malheureux · de traduction de l'ourdou en anglais et de l'anglais en cingalais, et l'on comprit qu'il fallait renoncer aux réunions de Cingalais ne comprenant que leur langue.

» Outre les réunions publiques, il y eut un peu partout bon nombre de réunions de salons, ce qui permit à bien des gens de l'entendre qui ne l'au­raient pu sans cela.

» La remarquable personnalité du sâdhou éveil­lait partout un intérêt extraordinaire et donnait une grande puissance à ce qu'il disait. De sa personne se dégageait comme une émanation d'énergie spiri­tuelle qui le faisait aussitôt reconnaître pour un en­voyé de Christ chargé d'un message spécial. Il a provoqué, tant parmi les chrétiens que dans le reste de la population, un réveil dont il est impossible d'évaluer l'importance. Il n'y a pas de doute que rimpression profonde produite par la prédication du sâdhou portera du fruit en abondance, et déjà l'on en peut recueillir les prémices dans un senti­ment plus juste et plus profond de ce que doit être la piété. »

Parmi d'autres lettres et témoignages de recon­naissance, citons encore ces lignes datées de (~o­lombo, le 22 juin 1918 :

« On dirait vraiment le portrait d'un apôtre; il nous semble que c'est un second Jean-Baptiste, char­gé par Dieu de proclamer son message de salut pour l'Orient avant le retour du Seigneur. Si possible, tâchez de lui faire prolonger quelque peu son séjour

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..

- III -

dans notre île, avec la permission de Dieu, pour que­beaucoup puissent encore entendre cet homme de Dieu. Ce qu'il y a de beau chez lui, c'est qu'il est si humble, sans aucune prétention, et parfaitement oriental et naturel. On prie beaucoup pour lui, pour qu'il soit gardé dans Je creux de Sa main. »

En dehors En juillet 1918, le sâdhou-des frontières rentra aux Indes, où il fut pris

_ de l'Jnde. par la grippe. «Dieu, dit-il, m'a donné pendant la maladie le repos et le temps né­cessaires pour la prière, ce que je ne pouvais pas­avoir dans le Sud. »

Appelé à passer en Birmanie et aux Straits Sett­lements, il entreprit de délivrer son message en an­glais et étudia cette langue pour éviter les inconvé­nients des traductions. A Rangoon, on se préoccupa. de le faire aller en C~hine et au Japon. Il accepta ce proj et, mais avec la résolution de rester fidèle à la foi de sa jeunesse dans la parole de Jésus: «Ne soyez pas en souci pour votre vie de ce que vous mangerez et de quoi vous serez vêtus. » Il ne prit pas d'argent, et on vit des trains s'arrêter à des stations intermédlaires, et des bateaux retarder leur départ pour p<::>uvoir le prendre. Ses discours ont été traduits parfois par deux ou trois interprètes successifs en tamil, n1alais et chinois. «Il nous a appris à prier, écrit un auditeur, et nos prières sont complètement différentes lnaintenant. » Un journal écrit au même moment: « Son apologie passionnée­de la foi chrétienne gagne les cceu rs de ses nom-breux auditeurs. » _

C'est le 2 janvier 1919 que, pour la première fois, ~e trouvant à Singapoore devant un auditoire où personne ne pouvait le traduire de l'hindoustani, il

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-se hasarda à parler en anglais, ce qui lui a permis, par la suite, cl' exercer son action en tant de lieux.

Au Japon, il fut péniblement impressionné par le matérialisme et par l'indifférence générale à l'égard de la religion. Le pasteur japonais Takaharu Taka­matsu, d'Okasaki, écrit: «Il a communiqué un es­prit nouveau à beaucoup de Inissionnaires améri­cains, à Kioto, mais les pasteurs indigènes ont été je crois, encore plus impressionnés. »

En Chine, le sâdhou constata que le peuple était encore attaché à ses anciennes croyances, et capa­ble d'un plus grand développement spirituel. Il fut frappé de voir à quel point, dans ces deux pays, l'absence de la caste facilite la conversion, sociale­ment parlant.

Comme l'été avançait, le sâdhou rentra à Simla, et de là à Sabathou pour reprendre sa campagne annuelle d'évangélisation dans son pays d'élection, le Thibet, et pour se retrouver en présence de Dieu dans les régions neigeuses de l'Himalaya. Il était en compagnie d'un Thibétain chrétien du nom de Thaniyat.

Voici quelques lignes d'un rapport du sâdhou sur ce voyage : «Le 1 5 juillet 1919, nous sommes arrivés au col de Hangpu-La, qui a près de 6000 m. (19,000 pieds). A cause de l'altitude, nous pouvions à peine respirer, la tête et les poumons nous fai­saient mal et les battements de nos veines réson­naient à nos oreilles. Il y a là un grand glacier où beaucoup de voyageurs ont déjà perdu la vie. » Les périls n'ont pas été moindres pour la traversée des rivières, ou de la part des voleurs.

Les ermites du Thibet mènent la vie la plus ex­traordinaire qui se puisse imaginer; le sâdhou a pu ]eur laisser quelques feuillets de l'Evangile. Il es-

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père faire d'un jeune homme de ce pays un évangé­liste pour son peuple 1..

A son retour du Thibet, le sâdhou arriva le 10 octobre 1919 à Ludhiana, après avoir tra­versé le Pendjab; il se rendit dans son village natal de Rampur. Il y avait quatorze ans qu'il n'a­vait pas revu son père! Ce dernier avait fait plus d'une tentative pour ramener son fils à la foi de ses ancêtres. « Je n'ai pas besoin, lui écrivait-il un jour, de te demander ce que tu penses, mais je te donne l'ordre de te marier tout de suite. Ne peux­tu pas servir ton gourou (maître), le Christ, en étant marié ? La religion chrétienne enseigne-t-elle la désobéissance aux parents? » Le père de Sundar lui avait offert une forte sonlme d'argent, si seule­ment il voulait maintenir le nom de la famille et abandonner son accoutrement de mendiant. Aussi la reconnaissance ct l'émotion du sâdhou furent­elles profondes quand il apprit, à son arrivée à l~anlpur, que se~ prières étaient exaucées. Son père, blanchi par l'âge, le reçut avec joie et lui exprima le désir d'être baptisé par lui. Le sâdhou, qui avait refusé de le faire pour des milliers de personnes à travers l'Inde, ne crut pas pouvoir céder à cette émouvante requête.

Le sâdhou A !a fin de 19.1 9, quel1~es a~is du sadhou apprirent qu 11 proje­

en Angleterre. tait un voyage en Angleterre. Son père, en signe de joyeuse réconciliation, en paya les frais. Le sâdhou n'a pas manqué d'entendre les ob­jections de ceux qui ont demandé pourquoi il se détournait des Indes pour l'Europe. Il répond:

Ce jeune homme est en effet à l'œuvre aujourd'hui. 8

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« Une nuit, pendant que j'étais en prlere, j'ai en-­tendu un appel à aller prêcher en Angleterre. » Une seconde raison semble avoir été le désir de se ren­dre compte par lui-même si, comme on le lui disait aux Indes, le christianisme a vraiment perdu son empire en Europe.

Il quitta Bombay le 16 janvier 1920. Le séjour du sâdhou dans ]es divers milieux qui l'appelèrent en Angleterre produisit partout la même impres­sion, que ce fût chez les Quakers, dans leur collège missionnaire de Selly Oak, près Birmingham, chez l'archevêque de Cantorbéry, ou devant sept cent.. pasteurs de l'Eglise anglicane à Londres. 11. !Ioy­land, directeur du collège missionnaire de Selly Oak écrit: « Il n'est pas seulement au-dessus des natio­r.ali tés, mais aussi au-dessus des églises. Il ne trouve aucun intérêt dans' tous nos iS11'l.es.» Le Christ et la croix passent avant tout.

A la fin de mars, le sâdhou se rendit à Paris et pri t la parole dans deux réunions de la :NI ission de Paris. Il passa en Irlande et en Ecosse et revint en mai à Londres pour les grandes assemblées religieu­~es annuelles. L'assemblée de la l\tlission de l'Eglise anglicane groupa à Albert Hall 10,000 personnes et beaucoup durent rester dehors. Un enfant, quï avait entendu le sâdholl, disait: « Il parle en para­boles, comme Jésus- », et le Dr Garvie l'a caracté­risé par ces mots appliqués autrefois à J éSlls : «Il ne leur parlai t pas sans paraboles. »

1{. Jean Fleury, missionnaire à Sumaddi, dans les Mahrattes du Sud, aux Indes, ayant eu l'occasion de rencontrer le sàdhou à Londres, au printemps 1920, et de s'entretenir avec lui, écrivit les lignes suivantes:

« Cet homme est une prédication vivante. Je n'ai

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- Ils -

jamais rencontré personne qui autant que lui fasse L ~o-ir Jésus.

Sa vie jntérieure se traduit sur son visage qui, en toute circonstance, est d'tHu rayonnement qu'on peut qualifier vraiment de céleste. Chaque fois que je l'ai entendu parler en public, chaque fois aussi sont revenus SUT ses lèvres les mots de « paix et de joie inexpritnables » pour décrire les beautés d'une vie complètelnent en communion avec Dieu, dé­vouée absolument à son service. La lumière inté­rie.ure jaillit de lui sans effort, parce qu'il n'a au­cune autre préoccupation que Dieu et sa volonté.

C'est un saint. 11ais cette affirmation l'attriste­rait, car à lui s'applique entièrement le: «Il faut qu'II croisse et que je diminue. »

La première chose qui m'ait frappé en effet chez Sundar Singh, avant même qu'il ouvrît la bouche r/our parler en public, c'est précisément son hUlni­lité. Elle se marquait déj à dans la façon dont il s'a,.. vançait sur l'estrade ou montait en chaire. Puis, sous l'avalanche d'éloges que les divers présidents de séances lui décernaient immanquablement, on pouvait le voir, la tête entre ]es deux mains, priant Dieu, sans doute., d~être gardé humble. Il s'efface, afin que ses auditeurs ne voient plus que Jésus seul.

Ce qui frappe ensuite, c'est la joie absolument inouïe qu'on peut lire sur son visage. Aucune pho­tographie ne dira la beauté de son sourire, ce mer­veilleux sourire dont le souvenir me poursuit.

S'il fait voir Jésus par une vive transparence de consécration absolue, il le rappelle aussi par certains traits extérieurs:

Je mentionnerai d'abord le même genre de vie. Sundar Singh va au j our le jour, par la foi. Il ne sait pas s'il aura un gîte le lendemain, ou. de quoi

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manger. Peu importe, il sait que son Père céleste y pourvoira, du moment qu'il s'est confié à Lui en­tièrelnent. On m'a dit qu'il avait eu faim quelque­fois à Londres (je ne sais trop ce qu'il y a de vrai là, mais c'est possible), ca.r il ne demande pas de nourriture. Si personne ne pense à l'inviter, il jeû­nera et voilà tout; il sera content d'être par là plus f.Jrès cIe son 11aître qui, lui aussi, eut faim. Si par contre on lui offre un repas, il l'acceptera avec re­connaissance et bon appétit. Il ne permet pas aux soucis pour le lendemain de troubler la sérénité de

" son ame. Sundar Singh est un. ascète, sans doute~ mais j'ai

été frappé de la sirnplicité de cœur avec laquelle il reçoit toute chose comme de la main de son Dieu. C~e n'est pas un ascète farouche qui s'en tiendrait strictement à une austère ligne de conduite tracée. Non, un trait frappant chez le sâdhou, c'est préci­sément son natu,rel extrême.

Je le revois à table à l' lnd'l".an Stu.dent J s I-Iostel } jouissant de la compagnie de ses compatriotes; il n'avait rien de gêné sur son visage ... Et je repense alors à Jésus mangeant et buvant avec ses disciples et si simplement heureux au milieu d'eux qu'il com­pare cette tablée à une noce où il aurait été l'Epoux (Nlarc 9 : 14 et 15)· Eh bien, le sâdhou est un peu comme celui qui se faisait traiter par les pharisiens d'alors, de « mangeur et buveur ».

Je le revois aussi, assis dans un fauteuil au coin du feu, devant la grande cheminée de l'Hostel et causant si naturellement avec tous ceux qui dési· raient lui parler, car Sundar Singh est un ascète gentleman, d'une vraie distinction naturelle, d'une exquise politesse ... Loin de sentir mon admiration pour lui s'amoindrir de cc fait-là, je me suis senti

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encore plus attiré par lui. Ce saint devenait tout J'un coup si humain, si près des autres homn1es, sans rien perdre pour cela de sa hauteur spirituelle. ()n sent que tout ce qu'il fait, il le fait à la gloire de Dieu, comme une action de grâces. Qu'il se re­cueille devant Dieu ou qu'il prenne un repas, c'est le même naturel; il fait tout avec joie et simplicité de cœur.

Lui, si humble, il parle avec autorité quand il s'agit de délivrer son message. Je ne puis parler de la prédication du sâdhou, car il déclare lui-même d'emblée: « Je ne prêche pas, je ne fais que rendre témoignage à mon Maître. » Il ne veut pas d'autre titre que celui de tén'l,oitt de Jésus-Christ. Il parle avec une grande simplicité. Je ne l'ai pas en­tendu donner de l'Evangile une interprétation iné­dite. Ce qu'il apporte, c'est ce vieux message que nous connaissons depuis notre enfance" dans nos pays christianisés, mais qui est toujours neuf pour les âmes assoiffées. Et puis, ce vieux message ac­quiert une force singulière et toute nouvelle dans la bouche de cet Oriental qui a lu le Nouveau Testa­ment comme un livre inexploré à l'âge où l'on est déjà capable de réfléchir et qui nous le rapporte présenté avec une compréhension étonnante.

Sundar Singh a un christianisme nettement ex­périmental. « Je proclame que l'Evangile de Jésus­Christ est la Vérité, dit-il, non pas parce que cela est écrit, mais parce que j'ai fait l'expérience que c'est bien la \T érité. » Il déclare que voilà la meil­le-ure position, la position vraiment forte, inébran­lable.

Ah ! son Christ, il ne faut pas que rien puisse le voiler aux yeux de ceux qui ne le possèdent pas encore! C'est pourquoi, répète-t-il sans cesse, nos

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vies doivent manifester que Christ est vivant, que Christ est une réalité présente, susceptible d'être vécue. Comment voulez-vous que votre prochain regarde à Christ et se donne à lui si votre vie ne le fait f)as voir? dira-t-il franchement à ses auditeurs.

Sur ce suj et de la vie de Christ en nous, Sundar Singh ne craint pas de revenir dans chacune de ses allocutions, sous des formes, avec des comparaisons différentes. Il emploiera, par exemple, l'image du fer rougi au feu (le feu reste dans le fer dans la mesure où ce fer reste dans le feu), illustrant de cette façon la loi spirituelle du « Demeurez en moi et moi je demeurerai en vous. »

... Mais le secret de l'attraction de Sundar Singh sur les foules ne réside pas dans son éloquence quel­que réelle qu'elle soit. Son secret, c'est simplement la lumière intense qui jaillit de sa personnalité et (lui n'est autre que la lumière de Jésus.

Sundar Singh n'est pas d'une mission ou d'une église, il est de Christ et voilà tout!

.~.

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CHAPI'rRE \ilII

LE VOYAGE D'ÉVANGÉLISATION DE SUNDAR SINGH EN SUISSE 1

Lorsque Sundar Singh était en Angleterre, pen­dant le printemps 1920, le Comité suisse pour la ~lission aux Indes reçut de lvL Paton, secrétaire des Etudiants chrétiens, l'organisateur de son voyage, la suggestion de l'inviter, pour encourager les amis des missions. Sundar Singh vint sur le continent, fit un rapide séjour à Paris, à la l\/Iaison des 1\1is­sions, mais ne put pas pousser jusqu'en Suisse par­ce que les invitations des Etats-Unis l'emportèrent. La nouve.lle de sa visite s'était répandue et l'on épt"ouva une vive déception à le voir s'éloigner; le livre de 1-11ne Parker, rapporté des Indes par le Dr de Benoit et traduit en français par 11. Ch. Rochedieu, avait provoqué une émotion religieuse inusitée. Le sâdhou promit alors que, s'il avait l'oc­casion de revenir en Occident, il se souviendrait des alnis des lnissions en Suisse.

1 Ces deux derniers chapitres ont été rédigés pour la cinquiènH~ édition par 1\1. le past. G. Secretan.

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Ce projet se réalisa enfin en mars 1922. Le lun­di 27 février, à deux heures et demie de l'après-tni­di, le Bureau de la 1'Iission aux Indes, MM. les pas­teurs de Haller, Métraux et Secretan, et quelques ~l1nis attendaient à Lausanne l'arrivée de l'express. de Genève; la veil1e~ le dimanche 26, le sâdhou avait débarqué à 6 h. du matin à 1 JIarseille, arri­vant de Palestine où il avait enfin pu réaliser un rêve longtemps caressé. A 1tIarseille, M. le pas­teur Hug- lui avait préparé deux cultes, l'un à l'E­glise suisse, le matin, l'autre à l'Eglise réformée de France, le soir _ Le sâdhou voyagea ensuite toute la nuit et fut accueilli en chemin, au nom du Co­nlité suisse, par 1l. le pasteur Francis Joseph.

A Lausanne, on n'était pas sans inquiétude. Que serait cette tournée d'évangélisation et de mission où tout devait être traduit? On disait le sâdhou difficile à traduire; lui-même doit d'abord penser en hindoustani, puis parler en anglais. Cet apôtre de­l'Inde n'aurait-il pas des idées, des procédés qui heurteraient nos habitudes routinières et feraient oublier son message? ... Il descend de wagon ... grand, élancé, coi ffé de son turban, un peu lent dans ses mouvements, les yeux à demi-clos, comme­un homme qui s'avance sur un terrain inconnu, se laissant conduire par un Guide invisible, pour évi­ter tout faux pas. Les présentations sont faites; un souhait de bienvenue et de bénédiction; un ai­mable sourire; point d'effusions; et c'est tout. Le sâdhou est installé dans une automobile et conduit ù Chailly, où la maison du Dr de Benoit lui est ou­verte, mais il n'a pas un regard JX>ur la ville, les montagnes, pas un mot JX>ur son entourage; il vit en dedans_ Nous sommes rléjà rassurés.

A cinq heures et demie, nous nous retrouvons

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a vec le plan de campagne dressé pour le mois de Inars à travers la Suisse; la carte est sur ]a table. _-\u bout d'un instant, le sâdhou a compris; il n'a pas pris de notes, tnais les dates et les lieux sont dans son esprit. Il accepte notre plan, qui lui avait été soumis dans ses grandes lignes avant son dé­part des Indes, mais il fait biffer certaines réu­nions: « Ne tne faites pas parler plus d'une fois par jour, sauf Je" dimanche; ce n'est pas la même chose que de donner une leçon à l'école; cela de­viendrait une affaire, comme de mettre des lettres à la poste, et il n ' y aurait pas de bénédictions; or nous voulons du fruit. .. » Nous prions ensemble. 1] prie comme nous, simplement. Nons sommes tout à fait rassurés et heureux.

Le lendemain de son arrivée .. le 28 février, le sâdhou comtnença ses réunions an temple de Bienne, où d'emblée il fit la conquête de ses auditeurs; d ' emblée aussi, ils se. pressèrent par milliers au­tour de lui. Son premier texte fut: « \ 1 enez à moi, vous tous qui êtes fatigués et chargés.» Le l el

O

mars, il s'arrêta à Tavannes, localité centrale du Jura bernois; les pasteurs de la région l'atten­daient et furent gagnés par l'à-propos, la bonne grâce, la profondeur de ses réponses. Le bruit de sa venue s'était répandu; il fut impossible de loger les visiteurs de Tavannes et des environs dans le temple; un train spécial depuis Tramelan les avait amenés par centaines 0 le fourgon postal lui-même en était plein; les directeurs des fabriques d'horlo­gerie autorisèrent leurs ouvriers à quitter le tra­vail et ils préférèrent le sâdhou ù leur gain, de sorte que la réunion, à 3 h., dut avoir lieu en plein air, les gamins juchés dans les arbres ... Un rayon ùe soleil éclaira la scène et tôt après la réu-

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nion, une nouvelle giboulée de neige s'abattit sur 'le pays. « Dieu, nous écrivit 1,1. le pasteur Houriet, avait été avec son serviteur. » Il avait prononcé là son beau sermon sur la vie en abondance.

Ensuite, le sâdhou se rendit à Gessenay, parce que :NI. le pasteur Lauterb~rg, chargé de le tra­duire dans le canton de Berne, désirait le faire d'abord dans sa paroisse. La neige couvrait cette vallée; les montagnards, recueillis, g"raves, rem­plissaient le temple; une place avait été ménagée pour les voisins du Pays d'Enhaut qui arrivèrent par train spécial. Ce fut une des belles soirées du voyage et quand le sâdhou rentra à Lausanne, le 3 mars, il nous sembla que quelque chose était ·changé dans son attitude; il se sentait chez lui. « J'aime les Suisses ... » nous dit-il. Le merveilleux trajet alpestre de Gessenay à Montreux lui avait 'aussi rappelé quelque chose de son pays.

L.e 3 mars, il eut à 5 h. sa première réunion à J~atlsanne, à l'église anglaise, heureuse occasion qui nous fut fournie de cO\llaborer avec nos frères -anglicans; il était d'ailleurs indispensable que le sâdhou accomplît cet acte de courtoisie.

Le dimanche matin, 5 mars, il participa au culte public de la petite église de Chailly et prit la pa­role après 1-1. le pasteur Métraux, sur ce texte: (" \,T eillez et priez! »

IJa présence -en chaire, au culte ordinaire, d'un chrétien sorti du monde païen, le témoignage clair, catégorique, chaleureux de sa foi produisirent sur les assistants une impression profonde. « J'ai eu, nous disait un audi teur, le cœur serré par l'émo­tion depuis le commencement jusqu'à la fin. »

Le sâdhou voulut bien s'adresser ensuite ' aux -enfants de l'école du dimanche; son allocution sur

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le jeune garçon qui fournit à Jésus les pains et les poissons a été sténographiée et publiée comme les autres discours. \r oilà une leçon que ces enfants n'oublieront pas, et rien n'était joli comme de les voir défiler devant Sundar Singh et lui donner leurs petites mains.

Restai t, pour cette journée mémorable, la pre-111ière assell1blée publique, annoncée spécialement pour les catéchumènes à 3 h. de l'après-midi.

Que serait cette assemblée, par un radieux soleil, avec la concurrence des promenadçs et des sports? Crainte vaine! C'était pour la jeunesse! Des cen­taines de personnes se sentirent jeunes pour l'occa­sion, s1 bien qu ' il fallut au dernier ITIOment quit­ter l'église de St-François pour se transporter de­vant le Tribunal fédéral.

Comment dire la beauté de cette assemblée de quatre mille personnes, debout, recueillies, immo­biles pendant une heure et quart, de ces chants enlevés avec élan, et là, en plein soleil, tête nue, ce fils de l'Inde exposant ce que c 'est que d'avoir les yeux de 1"âme ouverts pour connaître vraiment Jé­sus-Christ! La traversée de la ville, jusqu'au bu­reau de la ~1ission aux Indes, le sâdhou suivi de tous les enfants qui voulaient lui serrer la main, donnait une idée de ce qu'avait été le jour des Ra­mea ux à Jérusalem !

Le lundi 6 mars, pendant l'après-midi, assem­blée compacte dans le temple de Morges, décoré de fleurs; on se rappellera toujours la comparaison de la ~'fer morte, sans issue, et des chrétiens qui gardent Jésus-Christ pour eux! Les auditeurs avaient trouvé le temps de veni r de toutes les lo­calités environnantes quoique ce fût un Jour ou­vrable.

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I..Je. soi r, la pl us grande salle de réunion à J ___ au-sanne. fut si remplie qu'il fallut fermer les portes et qu'alors les gens entFèrent par les fenêtres, et finalement écoutèrent par centaines depuis dehors. I .. e recueillement était tel que la voix du sâdhou et celle de son traducteur NI. F. de Rougemont étaient entendues partout ; chacun emporta ce mot final : « l\1a voix ne. vous sera pas de grande utilité ; ren­trez chez vous et là écoutez la douce voix du Sau­veur lui-même. »

La séance la pl us belle comme appel aux con­sciences et comme spectacle religieux fut sans contredit celle du ï mars à la Cathédrale de Lau­sanne. Cette grande église, une des plus grandes en Suisse, remplie jusque dans ses derniers recoins d'adorateurs venus des Alpes, du Jura, de partout; un chrétien arraché au paganisme exposant devant ses frères les expériences que Dieu lui avait ac­cordées~ comme autrefois saint Paul, disant à An­tioche les merveilleuses conquêtes de l'Evangile en Asie; la réponse de l'assemblée et de l'orgue dans. des chants et des prières qui sortaient du CŒur ~ il était difficile de voir quelque chose de plus sim­ple et de plus profond ! Au pied de la chai re un v ieillard chantait le dernier cantique: «A toi la gloire ô l~essuscité ... » ; ses larmes coulaient com­me celles de Siméon; il ferma son 1ivre et s'écria. :1 haute voix: «Que c'est beau! » Quelques jours après, l1pUS étions pour une réunion de mission dans un halneau des Alpes, par l m. 50 de neige; un montagnard nous arrêta: «J'étais à la Cathé­draIe! C'est un jour qui marque dans ma vie. J'é­tais heureux, au milieu de mon peuple, avec ce frère venu de chez les païens, qui était en chaire.

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En entendant la prière, en entendant l'orgue, mon cœur étai t saisi ... »

Impossible de suivre ainsi le sâdhou dans cha­que localité, lnais il faut dire pourtant avec quel amour il a été reçu par tous les pasteurs et profes­seurs, même par ceux qui ont été amenés à une .conception di fférente du christianisme; ils ont pu être attristés par certaines affirmations du sâdhou relatives aux étu,des J surpris par son in­sistance sur certains points, comme le miracle ct la divinité de ]ésus-ChristJ mais tous ont salué en lui un frère, un disciple authentique du Christ au­quel Dieu a accordé des grâces et des expériences particulières, qui donnent à réfléchir et que l'on ne peut pas écarter sans examen. Cette impres­sion très forte a été ressentie à Lausanne dans une séance spéciale pour personnes engagées dans l 'œu­yre de l 'Eglise, et à Genève dans une séance de la

'Compagnie des pasteurs et du Consistoirç. Il nous faut savoir enrichir notre point de vue quand des expériences nouvelles sont apportées par des chré­tiens d'un Inilieu nouveau.

C~était frappant de voir ce chrétien encore jeune, sorti du paganisnle, tout ébloui de la lumière du -christianisme, au milieu d e docteurs vénérables, têtes grisonnantes, et leu!- répondant avec un à pro­pos, une amabilité, une franchise qui lui gagnaient la sympathie. A Zuric.h, 1v1. le pasteur Oscar Pfis­ter, qui avait publié une brochure très vive contre le sâdhou, déc.larant que son genre de vie était un retour à l'ascétisme du moyen âge, qu'il était un illuminé et un thaumaturge, a retiré ces apprécia­tions après l'avoir vu ct entendu. Dans une lettre personnelle adressée à 1,1. le pasteur J. Schlatter,

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président du Comité auxiliaire zurichois de la l\1is­sion canaraise, il écrit: «La piété vivante et l'élo­quence populaire de cette noble personnalité m'ont laissé une itnpression profonde; il produit même une itnpression beauc-Oup plus profonde que le li­vre de Schaerer 1. ne le faisait supposer. »

Il est regrettable que le man.que de temps, les (lifficultés de la langue, et l'indiscrétion du pu­blic aient empêché les pasteurs et les professeurs d'avoir avec le sâdhou des entretiens plus appro­fondis.

Au moins, la campagne d'évangélisation a pu se poursuivre avec un dévouement admirable de la part du sâdhou. A Genève, la vaste Salle de la Ré­fornmtion, où siègent les délégués de la Société des Nations, fut trop petite à deux reprises; un groupe de qu,atorze jeunes gens, venus de France, se tenait à la porte de la Salle centrale, lors d'une soirée réservée aux collectrices des missions. « Ne pouvons-nous pas entrer; nous sommes déjà venus une fois inutilement.» Naturellement, une place leur fut faite; à Berne, une jeune fille arriva de Lugano, et demanda à entrer; combien d'autres faits de ce genre on pourrait citer!

A Neuchâtel, le 13 mars, l'assemblée se réunit Ù. 8 h. du soir sur la place publique et pendant trois quarts d'heure attendit le sâdhou en chantant spon­tanélnent des cantiques. Le lendemain, à mille mè­tres d'altitude, à la Chaux-de-Fonds, avec la neige Sur les revers, à 8 h. du soir aussi, la réunion put de nouveau avoir lieu en plein air; au Locle, le" I50 mars, il en fut de même.

1 Biographie publiée par .M. le pasteur Schrerer, d'It­tigen, sous les auspices de la Mission suisse aux Indes ..

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Le 16 lnars, la campagne comn1ença dans la:. Suisse allemande, à Bâle, où le sâdhou fut accueilli par les Inissionnaires suisses revenus des Indes, et salué au nom de l'Eglise de Bâle par son président, M. le professeur Han~mann. Le premier discours ­du sâdhou fut un solennel avertissement sur ce tex­te: «lïens ferme ce que tu as, afin que personne ne te ravisse ta couronne. » Un missionnaire nous écrit: «Pour moi, ce fut très encourageant et im- ­pressionnant d'entendre de la bouche d'un enfant de ­J)ieu, du monde hindou, cet avertissement à écou­ter avec plus de soin la pa.role de Dieu.» La se­conde séance réunit trois mille personnes au Ve­reinshaus.

A Zurich, où le sâdhou s'arrêta un peu plus longtemps, il y eut tant de monde, le 19 mars à la Cathédrale, qu'on pria les auditeurs qui res­taient sur la place d'attendre un peu. Quand le dis­cours du sâdhou fut termill~, les auditeurs sorti­rent par une porte, et ceux qui attendaient sur la place entrèrent par une autre, de sorte que l'église ­se relnplit deux fois de suite, et que le sâdhou pro­nonça deux discours.

A Saint-Gall, à Aarau, à Schaffhouse, à Thoune, à Berthoud et enfin à Berne, ce jeune apôtre de l'In­de fut écouté avec le même elnpressement et le mê­me profit. Lors de la dernière séance à Berne, où les questions simples et pratiques furent posées au

sâdhotl sur la meilleure tnanière de prier, la joie du ciel, le rôle du paganisme dans la préparation spi­rituelle d'un converti aux Indes, les réponses furent particulièrement édifiantes. (Voir la brochure (La ' Chau,_t:'-de-F onds où les questions de Berne ont trou­vé place.) Mais quand nous avons demandé au sâ-­dhot! comment il se trouvait, il nous a répondu :.

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.« Je suis très fatigué », ce qui se comprend car une tournée de ce genre, unique probablement dans tes annales de l'évangélisation et du réveil en Suisse, ne se fait pas sans un effort intense, rendu plus fatigant encore par les habitudes de travail du sâ­dhou. Il n'écrit rien, mais s'impose une prépara­tion intérieure toujours renouvelée par la prière ~t la méditation. Il a donné au public chaque jour un texte nouveau, soigneusement développé dans un discours nouveau. On y trouve des idées domi-.,

nantes, des illustrations préférées, mais le discours lui-luême, le sujet n'est ni appris, ni répété; il sort de la vie intime du sâdhou ; il est puisé dans sa communion avec Dieu. De là sans doute son action sur les auditeurs, nlatgré, l'absence d'éloquence humaine.

Nous n 'avons pas pu voir le sâdhol1 quitter Berne le lundi 27 avril, pour l'Allemagne et la Suède, sans un serrement de cœur. Nous lui exprimons ici encore la profonde reconnaissance de milliers d'auditeurs qui ont été raffermis dans leur foi, arrêtés sur le chemin de l'étourdissement, et de­vant la conscience desquels la question religieuse s'est posée dans son sérieux. Nous demandons à Dieu que cette canlpagne d'évangélisation n'ait pas été seulenlent un sujet d'étonnernent, ou d'émo­tion, tnais le point de départ d'un réveil durable~ et la révélation d'un état supérieur de vie chré­tienne auquel nous devons parvenir .

. ~.

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CHAPI1.'RE IX

LA PERSONNALITÉ ET L'ENSEIGNEMENT DU SADHOU

Si nous revenons sur un sujet traité par d'au­tres dans ce livre et ailleurs, en particulier par le professeur Streeter, d'Oxford, c'est simplement pour ajouter à ces études le témoignage de ceux qui ont entendu le sâdhou en Suisse et retenir les }Joints où il peut nous être en exemple.

Il y a chez lui des talents qu'il doit à sa nais­sance, et d'autres qui lui ont été accordés en ré­ponse à ses efforts et à ses prières. Sera-t-il un jour le Patrick, le Colomban ou le Boniface de sa patrie? Une chose certaine, c'est qu'il a choisi le chemin étroit. Il pourra.it jouir aux Indes, s'il se lançait dans la politique, d'une Influence immense; mais il a préféré mettre ses forces et ses dons au service de Christ, et il a. des dons admirables. D'a­bord, il est très intelligent. · Il a appris l'anglais seulement par des conversations; il peut prêcher en sept langues aux Indes. Il a beaucoup étudié pendant sa jeunesse: le Coran, le Granth, les \,r é­das .. ; il en a appris de nombreuses pages par cœu r ;

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son père lui reprochait même de perdre les yeux et la tête dans ces études. Nous voudrions donc recotnmander aux jeunes gens de bien compren­dre ce qu'il a voulu dire au suj et des études de théologie qui devraient se faire avant tout par la prière aux pieds de Jésus; il reconnaît que le boud­hisme et le brahmanisme ont creusé des canaux où reau vive de Christ a pu couler plus tard; il dé­clare que le travail harlnonieux du cerveau et dl1 cœur donnent des résultats admirables. Son esprit toujours en éveil saisit ünmédiatement les situa­tions et l'on n'a pas besoin de lui expliquer deux fois les particularités morales d'un pays; il a un sens spirituel qui lui fait sentir immédiatement à qui il a à faire.

Sur un second point, il y a quelque - contra­diction entre sa conduite et ses recommanda­tions.. Il semble avoir condamné la trop grande activité des Occidentaux, mais il est difficile d~avoir une activité plus intense, plus tendue que lui. Nous l'avons vu se lever quand la conver-sation ne le concernait pas directement et dire: « Je perds mon telnps. » Quand il faut prendre le train, cet homme si calnle en apparence est le pre­nlÏer à donner le signal du départ. «Il faut faire, dit-il, chaque chose en son temps.» Ses lettres sont toujours brèves et écrites à la hâte. Il en re-· çoit de partout. Seulen1.ent, où il nous est incontes­tablement en exetnple, c'est dans l'énergie avec la­quelle il se défend contre l'envahissement des occu­pations inutiles, comme Jésus le recotnmandait à :Nlarthe; et surtout dans la part de son temps qu'il réserve infailliblement à la prière, debout quafld il fait encore nuit, pour pouvoir y vaquer.

Une des raisons de son action sur son entourage, c'est la distinction naturelle qu'il garde dans-

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toute son attitude malgré la vie de privations, de va-et-vient, d'incertitude à laquelle il est sou­mis; il donnera par exemple la main à une dame avec une amabilité parfaite; rien de gêné, d'appris. Il est comme l'enfant de Dieu qui partout se trouve dans la maison de son père. Sa mère doit avoir été une noble femme et on comprend le souvenir tlU'il a gardé d'elle; c'est d'elle peut-être qu'il a hérité la douceur qui frappe dans ses réponses et qu'il sait associer à une fermeté inflexible.

A côté de ces dons, pour ainsi dire naturels, qui sont aussi ceux de sa race et de sa caste et qui témoignent d'une édl1cation soignée, d'un héritage ~culaire, d'une civilisation vénérable, il faut relc­vcr tout ce qui lui vient du christianisme. Le point de départ de son développement, le point d'appui de ses convictions, l'orientation de sa vie lui ont été donnés par Jésus-Christ, dans l'apparition qu'il 1ui a accordée le 18 décembre 1904, quand il avait seize ans. Il était au fond d'un abîme moral sans issue, bien pire que le fameux puits du 'Thibet, et notre ' Sauveur lui est apparu, le regard bienvei l­Iant, rayonnant d'amour et de lumière; sa voix s'est fait entendre à lui: «Pourquoi me persécu­tes-tu ? ... » Dès lors, Sundar Singh a cru au par­don, à l'amour et à la puissance divine du Sau­vt:ur; une !tunière a resplendi sur son chemin; un amour a réjoui, consolé son pauvre cœur; tout son effort a consisté à persévérer dans cet amour et à y répondre. De là, son enseignement sur la divinité de Jésus-Christ. Jésus-Christ est puis­sant; Jésus-Christ intervient; Jésus-Christ sauve et délivre; Jésus-Christ est vivant; Jésus-Christ est la douceur, la joie de la vie, même au milieu des pires privations et des plus douloureuses souf­frances.

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Le sâdhou explique ce mystère par d'admirables images ; il ne veut pas de la doctrine de la trinité : « Nous ne pouvons pas croire à trois dieux; ce ne serai t pas la peine de rej eter la trinité hindoue, la tri1'HOu1·ti} Brahma, Vishnou et Shiva, pour en prendre une autre; cette doctrine est un obstacle au christianisme; d'ailleurs, Dieu ne meurt pas sur une croix.» Et pourtant, par son expérience, le sâdhou voit en Christ Dieu lui-même, mais il l'ex­plique par une comparaison: le soleil émet de la lumière; la lumière n'est pas le soleil, mais elle en provient et en est inséparable; de même la chaleur n'est pas la lumière; elle n'est pas le soleil non plus, mais elle en dépend, comme la lumière. Soleil, lu-mière, chaleur; Dieu, Jésus-Christ, le Saint Esprit ... Image qui nous permet d'avoir un pressentiment de ce mystère; le sâdhou a réconforté nombre d'â­mes en l'affirmant avec tant de joie.

Le bonheur que Sundar Singh trouve dans la communion directe de Jésus-Christ et de Dieu le fait mettre au rang des 1'nystiqu.es. Le mysticisme est la recherche ardente de l'amour de Dieu, et la prétention qu'elle peut être satisfaite. Posséder Dieu: le mystique ne demande rien de plus. Le christianisme, depuis longtemps, a quitté cette voie féconde pour devenir quelque chose d'appris; sans doute il y a parmi nous, il y a toujours eu, des chré­tiens dont Dieu est le bonheur suprême; néanmoins, ils sont des exceptions; lYI. B. H. Streeter a même pu écrire: « Entre les mystiques des siècles passés et nous, il y a toute la barrière créée par le temps et les circonstances qu'aucun effort d'imagination ne peut abattre. » L'honorable professeur d'Oxford parle pour les intellectuels ou pour une Eglise où la forme occupe trop de place; il Y a des milliers de chrétiens aujourd'hui pour lesquels Christ est yi-

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vant, présent, agissant et aimant, mais néanmoins, le christianisme est devenu une religion apprise et non pas vécue, de tête et non pas de cœur.

Le sâdhou reprend ces belles paroles de sai nt Paul: «Christ est ma vie ... ce n 'est plus moi qui vis, c'est Christ qui vit en moi ... Christ habite dans vos cœurs ... » Et ces paroles de Jésus : « Demeurez en moi.. . Je demeurerai en vous ... » Avec Sundar Singh nous voyons la lignée des mystiques se re­former, en plein vingtiènle siècle, dans un temps où le raiSOntle11tent semblait vouloir tout plier sous sa loi.

Il y a lieu de noter ici la sagesse de Sundar Singh. Tandis que nombre de mystiques, tant pro­testants que catholiques, ont décrit leur amour pour J ésus-Christ sous les images de l'arnour terrestre, et sont entrés dans une voie de sentimentalisme qui les a discrédités, qui a même révélé les dangers moraux de cette tendance, le sâdhou n'emploie ja­mais ces images et garde une sobriété remarqua­ble.

L'amour du sâdhou pour Jésus-Christ, l'adora­tion qu'il a pour lui, l'honneur qu'il lui réserve sont sa sauvegarde. D'abord, il reste JUlt1nble parce que Jésus-Christ est tout. Chacun a été frappé de son humilité. Il se comparera à l'âne qui por­tait Jésus-Christ et aurait été bien stupide de s enorgueillir des palmes mises sous ses sabots. ] 1 ne lit pas les journaux qui parlent de lui. Il estime n'avoir pas de message individuel pour les nombreux chrétiens qui veulent qu'il leur serre la nlain, qu'il prie avec eux, qu'il les guérisse; nous avons ll.ssisté à des faits lamentables qui révè­l(.nt le fond de superstition grossière qu'il y a nlême dans nos vieilles populations protestantes: des gens qui venaient demander -que le sâdhotl

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priât pour leur faire retrouver une bague per­due, ou que sais-je encore! J'ai dû transmet­tre une lettre adressée au Sâdh01tJ le Saint de l'Inde! Ah ! si le sâdhou avait voulu fonder une secte, ou guérir les malades, quel mouvement n'eût-il pas provoqué! 1/fais non. «Colnment ces mains qui ont déchiré la Bible pourraient-elles être im­posées à un tnalade ? .. Ecoutez la douce voix de Jésus-Christ... Je me sens chez des frères, dans toutes les Eglises chrétiennes où Jésus-Christ est aimé. » Quelle différence avec certains guérisseurs bruyants de notre temps! Plus le public l'entoure, plus il s'efface; il s'esquive nlême en toute hâte. A cet égard, il y a du Jean-Baptiste en lui. «Qu'il croisse et que je diminue. » Ah! si Jésus-Christ avait toujours été n1is en lumière, que d'erreurs, de sectes, d'ordres religieux, d'églises, de luttes eus­sent été évités. Le sâdhou ne veut pas même bapti­ser (1 Cor. 1: 17), sauf au Thibet où personne d'autre ne peut le faire. Christ d'abord! Et c'e3t aussi la raison pour laquelle il refuse de s'aventurer sur le terrain tentant de la politique, où il aurait une popularité si enivrante. Il a été appelé à une œuvre plus profonde. Poser le fondement, Christ ...

La joie du sâdhou, qui le soutient, la merveil­leuse paix qu'il proclame, qui brille sur sa person­\le et qui est une belle prédication, découlent égale­tuent de sa foi vivante au Christ vivant. Il sait, comme Saint Paul que «des liens et des persécu­tions l'attendent », mais il ne s'en nlet pas en peine. Ses courses pieds nus dans la neige du Thibet, par des cols de 6000 m., ~es jours sans nourriture sup­portés avec joie font plus que les sermons les plus étnouvants. Il est persuadé que les premiers mis­sionnaires en Europe ont agi de la même manière et que les missionnaires aux Indes auraient obten!..l

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de tout autres résultats par cette méthode. ~fais était-ce possible? La Réforme s'est propagée aussi par des persécutés, des fugitifs, des pauvres. «Les feuilles d·'arbres que j'ai mangées parfois étaient la plus délicieuse nourriture, parce que c'était pour Christ», nous disait le sâdhou.

Sa pauvreté absolue est une magnifique protes­tation contre tous les biens qui encombrent la vie des plus simples parmi nous. Il n'impose pas à d ·'autres ce dépouillement et ce célibat, mais il se sent appelé à servir Dieu de cette manière. Il a dé­barqué à Lausanne avec un petit sac qui contenait deux robes jaunes de rechange et un ou deux livres. Il n'avait pas un sou; pas de montre; nous lui en avons donné une; il l'a acceptée parce qu'en Europe il y a utilité à savoir l'heure, au moins pour les réunions. Notre Seigneur aussi était complètement dépouillé, et avait recommandé à ses disciples mê­me simplicité (11arc 6 : 7-10) .. :\u reste .. le sâdhou ne voit dans cet ascétisme aucun acte méritoire: -« Il n'y a pas de mérit.e, dit-il, à avoir faim ». Ce­pendant, il exerce sur lui-même une discipline bonne pour tous: il accepte à table de tout ce qu'on lui of­fre~ mais toujours avec une extrême sobriété; je citerai un petit fait qui montre que malgré son ascé­tisme, il ne fait pas d'imprudence et agit avec sa-gesse. Après la réunion de 110ntbenon, je lui ai of­fert un verre d'eau ... « Non, merci, pas d'eau froide après avoir parlé; ce ne serait pas bon pour la gorge. » Il sait que la voix est indispensable à son ministère.

A côté. de son atTIour pour le Christ vivant, de sa joie dans la souffrance et de sa discipline, ce qui frappe en lui, c'est la place qu'il fait à la prière; mais cette pratique s'explique aussi par son amour :pour Jésus-Christ. Le mot prière n'a pas le même

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sens pour lui que pour nous. Là encore, le sâdhou doit se rapprocher de Jésus ... qu'étaient ces heures, ces nuits de Jésus passées en prière? Pas simple­ment des séries de demandes ; voyez ce que le sâ­dhou dit de la différence entre prier et mendier et sa touchante comparaison de l'enfant heureux sur les genoux de sa mère (Qu,estio'ns de Berne, brochure N° 3). La prièl-e lui permet de s'approcher de Dieu, d'entrer en communion avec Jésus, de con­templer le ciel, d'entendre la voix d'en-haut, de re-cevoir un message. « Ce que je dis dans mes prédi­c.ations n'est peut-être pas agréable à entendre, mais je ne puis pas faire autrement, c'est un mes­sage qui m'est imposé. » Le sâdhou a retrouvé ain­si une source de connaissance directe, par la prière, indépendamment du livre, qui était négligée à cau­se de l'impatience moderne, mais où les prophètes et les saints d'autres temps ont su boire. Les IOi1gs emprisonnements de saint Paul à Césarée et à ROine, de saint Jean à Patmos, de John Bunyan et d'autres, nous ont valu les épîtres de la cap-tivité, l'Apocalypse, le Voyage du chrétien. Les prières du sâdhou, dans l'isolement qu'il s'impose, ou dans le silence de l'Himalaya, nous ont valu ses discours.

Est-ce à dire que la Bible n'ait pas d'importance pour lui ? Cette question lui a été posée à Lausan­ne. Au contraire, il la médite sans cesse, mais tou­jours pour y trouver Jésus-Christ et non pas pour y chercher des textes ou des mots détachés. L'ins­piration de la Bible n-'a pas consisté dans une dic­tée, mais dans une véritable inspiration. Quand nous lui avons posé une question sur ce point, il a répondu simplement: « 1/Iais Dieu n'a pas de lan­gue. » Nous avons été frappés de l'usage inattendu <]u'i1 fait de la Bible, exactement comme Jésus qui

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en tire des applications imprévues. L'inspiration, les directions de l'E,sprit, obtenues par la prière et par la lecture de la Bible, reçues de Jésus­Christ, donnent à la vie du sâdhou son orientation. I l est venu en Europe pour obéir à Dieu, con1me I-Jaul alla en ~Jiacédoine et quand il se refuse à faire telle c.hose Ou demande à fai r e telle autre, il a tou­jours une raison intime.

Il compte sur les avertissements secrets du Saint Esprit, sur les impulsions d'en-haut plus que sur les organisations humaines, sociétés et comités, pour faire avancer le Royaume de Dieu; nous n'a­VODS pas eu avec lui une difficulté, pas une seule divergence de vue tPendant son voyage en Suisse; il a accepté de bonne grâce ce que nous lui avons demandé, mais il sera heureux de rentrer aux Indes et d'être son maître. « Il faut de l'ordre; Dieu est un Dieu d'ordre; mais l'organisation poussée à un certain degré tue la vie... Si Jésus venait en Suisse vous constitueriez pour le recevoir un comité qui lui dirait: Demain tu iras dans tel endroit et prêcheras sur tel sujet; et ainsi de suite. » Il constate que souvent l'œuvre des grands initiateurs religieux, comme saint François d'As­sise, a été paralysée par leurs successeurs qui ont voulu organiser l'jmpulsion de ces prophètes.

Cette préoccupation constante de la vie, de la sincérité, cette crainte du formalisme, du machinis­me ne l'etnpêchent pas pourtant de fajre une œu­vre suivie au Thibef, où un instituteur a une petite école, en arrière de Lhassa, dont le sâdhou se sent responsable; il lui a fourni des livres; il a accepté à Genève une collecte Spéciale pour cette œuvre, mais il invite ce jeune homme à avoir tes mêmes principes d'entier abandon entre les mains de Dieu et à ne pas compter sur un traitement fixe.

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Le besoin du sâdhou de trouver des frères, sa joie de voir remplacer la famille que sa conversion lui a fait perdre aux Indes, par u.ne autre infini­ment plus nOlnbreuse, cette communion du cœur, immédiate, par dessus la barrière de la langue, de la race, des différences d'Eglises, est aussi une conséquence de son amour pour Jésus-Christ. «Comment pourrons-nous vivre ensemble dans le ciel si nous ne pouvons pas réaliser la conlmunion fraternelle sur la terre ? »

On a dit: le sâdhou ne nous apporte rien de nouveau! Grosse critique pour des chrétiens qui

.sont cornille les Athéniens de Saint Paul (Actes 17: 21) et qu'il faut toujours stimuler dans leur intérêt pour l'Evangile par quelque idée inédite! Rien de nouveau, oui et non! Sans doute, en un sens il n'a rien dit de nouveau; il l'a déclaré lui­même et personne ne le peut puisque la vérité est en Christ; mais toute la personne du sâdhou n'a_ t-elle pas été une illustration renouvelée de rEvan­gile ? La médaille avait perdu son relief en pas­sant de main en main; nos yeux s'étaient habitués à la clarté; cet ancien païen a pu nous dire que les païens vivent comme des bêtes; que toute notre ci­vilisation vient de Christ et que notre indifférence est la plus coupable des ingratitudes. I .... e sâdhou nous a fait penser à Jésus qui n'enseignait pas sans paraboles (l\1arc 4: 34); sa prédication a abordé 'les sujets les plus abstraits, mais a toujours quitté le domaine intellectuel JX>ur se fixer dans des exem-ples et se mettre à la portée des simples. l\.-lême les traducteurs qui l'accolupagnaient ont fait penser aux apôtres. ~!L le prof. Hadorn, dans un excellent article duKircltentre~l1'td fait remarquer qu'au dire ·de Papias, saint Pierre avait Marc pour interprê-te à Rome. «Quand on l'appelle un apôtre, dit

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1\1. Hadorn, il ne faut pas penser à ce que le mot d'apôtre a signifié plus tard, un homme qui pré­tendait à une autorité apostolique, mais à un apô­tre dans le sens primitif, c'est-à-dire à un pélerin, .à un missionnaire comme les disciples de Jésus. »

Personne n'a. ressenti auprès du sâdhou la tutelle que certains grands hommes font peser sur leur entourage; rien non plus d'apprêté, comme chez certains chefs de secte. Tout était simple, affec­tueux et naturel. Il n'expose même pas un ensei­gnement suivi, et pour avoir toute sa pensée, on doit conlpléter un discours par une conversation ou par un autre discours.

Chacun a été frappé de son bon sens, dans ses jugements sur les gens et les choses, de son à propos dans ses réponses. A cet égard, c'est un sage de l'Orient. Sa réponse à un questionneur à La Chaux-de-Fonds a été impressionnante. Un Améri­cain lui disait: « \10us n'avez sans doute pas sé­journé assez longtemps dans notre pays pour ap­précier tout ce qu'il contient. » _0- « Oh ! répondit le sâdhou , il ne faut pas si longtemps que ça pour sentir le parfum d une fleur.» Ses paroles sur le pardon des injures sont n"lerveilleuses ... « Un jeune garçon jeta des pierres à un pommier; je lui fis observer que l'arbre lui avait rendu une pomme pour ses pierres; ainsi dois-tou faire avec ceux qui t'inj urient D'ailleurs s'ils jettent des pierres, c'est qu'ils n'ont rien d'autre à donner. Et si vous re­cevez des pierres, c"est qu'il y a chez vous des fruits qu'on veut abattre. »

Pour nombre de chrétiens, le passage du sâdhou a été une douce, une émouvante récompense pour le travail fait depuis tant d'années avec sacrifices, avec prières, pour les païens. Nos missionnaires peuvent '3' être trompés nans leurs méthodes; le

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sâdhou l'a dit avec une rude franchise; mais ce travail a été accompagné de la bénédiction de Dieu et ce que nous attendions depuis si longtemps s'est produit: un enfant du monde païen a rendu son témoignage parmi nous. «Nous avons vu de nos yeux, nous avons entendu de nos oreilles que la semence n'a pas été perdue, mais a produit des fruits. magnifiques 1.» On comprend donc la joie de milliers de chrétiens; leurs prières étaient exaucées.

Le missionnaire Jvlaclean disait à Berne, dans une assemblée du Comité suisse pour la 11ission aux Indes : «Dieu bénira la Suisse pour la réponse qu'elle a faite à l'appel des Indes. » Et cette décla­ration s'est réalisée. La Suisse a reçu une bénédic­tion par le sâdhou. Aurions-nous osé l'appeler si nous avions repoussé l'appel de l'Inde en 1918 ? «Ce sont, nous écrit une amie des missions, des souve­nirs ineffaçables. Le pauvre monde sent le besoin de posséder le Christ, fils de Dieu, mort et re3-suscité, et d'un témoin comme le sâdhou. Béni soit J)ieu qui nous l'a envoyé. L'allégresse déborde. No­tre Christ est vivant. Il est à nous; gloire à Dieu! »

On a reproché au sâdhou ... Que ne lui a-t-on pas reproché? On lui a reproché de ne pas avoir visité nos hôpitaux, nos malades ; M. le professeur Ra­gatz lui a reproché ces grandes assemblées; il eût voulu le voir aller dans les logis des ouvriers et avoir des difficultés avec la police; on lui a repro­ché de ne pas parler davantage de la croix, et d'a­voir concentré son attention sur le Christ glorifié ... Il y aurait beaucoup à répondre à ces observations

1 ~I. J. Schlatter, pasto à Zurich, dans le r(irchen­freund.

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dans lesquelles il y a peut-être quelque chose de juste. La place nous manque. Le sâdhou n'est pas

le Christ. Il vaut mieux résumer en terminant, ce qu'il .

nous a apprIS : la foi du cœur, et non pas de l'intelligence; la connaissance de Christ acquise dans la prière

et dans la souffrance; l'importance de la sainteté, de l'obéissance; la joie en tout temps, mais surtout sous la croix la réalité de la communion avec Jésus-Christ; la nécessité du témoignage, autour de nous, et

chez les païens par les missions; la beauté de la pauvreté volontaire et de la con­

sécration sans réserve au Sauveur. G. S .

. ~. ,

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CHAPITRE X

LE SENS SPIRITUEL

Fragment d'un discours prononcé chez Nfadame de S", à GENEVE

Il y a quelque telnps, je fis la connaissance d'un homme de Dieu, avec lequel je parlai de vie spiri­tuelle. Lui ayant demandé à ce propos de quelle bé­nédiction il relnerciait Dieu plus particulièrement, je reçus cette réponse: «En tout prelnier lieu, je Le remercie de m'avoir donné la vie et, en même telnps, la capacité de sentir quelque chose de ce qui est au-delà. »

Nous avons cinq sens physiques, mais il y a aussi des sens intérieurs, spirituels qui nous font jouir de la présence de Dieu dans nos vies comme nos cinq sens nous pennettent de joui r des choses de ce monde. Nous nous trompons bien souvent, car, nous rendant compte qu'il nous manque quel­que chose, nous ne savons pas discerner si nos as­pirations 'sont spirituelles ou terrestres. Pour arri­ver à satisfaire ces désirs intimes de notre être, il faut absolument séparer ces deux domaines. Notre-

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faim, notre soif peuvent être apaisées par de la nourriture et de l'eau, mais les aspirations de no­tre âme ne peuvent pas être satisfaites par les biens de ce monde.

Les hommes sentent confusément le besoin d'une vie meilleure sans se rendre exactement compte de ce qui leur Inanque pour la posséder. Ils essaient de se contenter eux-mêmes, au moyen de la for­tune, du confort, ou encore en acquérant du pou­voir, de l'influence et cherchent ainsi à satisfaire les besoins de ce corps mortel, destiné à être man­gé des vers dans la tombe. Pendant ce temps, ils ignorent les besoins de l'âme, qui doit vivre à ja­mais. Ce qui importe avant tout, c'est de savoir discerner ce qui est besoin du corps et ce qui est aspiration spirituelle, car une fois râme satisfaite, tout le reste se changera pour nous en bénédiction.

J'essaierai de montrer ce qui résulte de nos ef­forts pour satisfaire l' espri t avec les choses de ce monde: Une maison commencait à brûler. Chacun

~

sait que l'eau peut éteindre le feu; aussi ceux qui étaient là s'emparèrent de vases pleins d'eau qui se trouvaient sur place. 11alheureusement, il y avait aussi là des vases remplis de pétrole et ils se trom­pèrent... Ils jetèrent le pétrole sur le feu. Le ré­sultat fut, naturellement, que la maison se trouva réduite en cendres au bout d'un moment. Il en est de même lorsque nous cherchons à éteindre la flam­me des aspirations de notre âme avec les choses de la terre. .

En comparant feau et le pétrole, nous ne trou­vons que peu de différence entre ces deux substan­ces; toutes deux sortent de la terre et pourtant l'une peut éteindre le feu alors que l'autre attise et nourrit la flamme. La différence est dans la nature~ dans le fond, non pas dans l'apparence.

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N os désirs intérieurs et spirituels ne peuvent être satisfaits que par l'Esprit de Dieu, notre Créateur. La difficulté vient de ce que nous ne réalisons pas cette vérité; nous ne la comprenons pas; nous ne prenons pas le temps d'y réfléchir. Les choses de ce monde peuvent être bonnes, puis­qu'elles ont été créées par un Créateur sage et bon, mais, lorsqu'elles sont mal employées, elles peu­vent aussi causer des destructions.

\ loyageant dans le Thibet, j'aperçus un jour des fleurs magnifiques et m'arrêtai pour les admirer mieux. Un Thibétain m'avertit alors qu'il était dangereux d'en respirer le parfunl. Je pensai qu'el­les étaient veneneuses, "mais mon interlocuteur m'expliqua que non, ce n'était pas cela. Ces fleurs n'empoisonnent pas, elles endorment, si bien que ceux qui s'endorment ainsi ne se réveillent plus; ils meurent au bout de douze jours environ, non pas directement à cause des fleurs, ·mais de faim et de soif. Leur long sommeil les amène à mourir d'i­nanition.

Les bonnes choses, les choses agréables de ce monde ont un parfum si suave qu'elles nous en­dorment bien vite et que nous ne pensons plus à ce qui concerne la vie de l'âme; nous sommes endor­mis spirituellement parlant. Notre corps est nourri, vêtu et~ pendant ce temps, notre âme meurt de faim. 1\'Iais, de même qu'il existe une autre plante qui empêche de tomber endormi, de même la plante de la prière nous sauve de la tentation .

. ~.

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CHAPITRE XI

ENTRETIEN AVEC QUELQUES ÉTUDIANTS

NEUCH·ATEL~ le 13 mars 1922, chez :NI. F. de R.

Qu,elle part la- joie doit-elle jouer dans notre vie? Est-elle u,ne part norl1l,ale de la voie -' O'l-t 11/ est-elle pas pouir ce 1nonde ?

Le sâdho'll, : La joie est le but auquel nous ten­dons, soit dans ce monde, soit pour le monde à ve­nir. Sans la joie, la vie n'est rien. Tous les efforts de l'homme tendent vers la joie. Si la joie n'est pas le but de notre vie, ce n'est pas la peine d'es­sayer de vivre, que nous allions au ciel ou en enfet·, c'est tout à fait la même chose.

y a-t-il certa·i-ltêS parties du, N o'ltveau Testa'l1'lCnt que VO'l-ts préférez à d-'a'utres ?

Le sâdhou : En somme, on ne peut pas faire de différence; chaque partie du Nouveau 'l~estament est itnportante. Dans notre corps, chaque membre a sa place. Ainsi dans le Nouveau Testament, cha­que partie présente Christ sous un angle différent. Je ne parle pas de l'expression même, du langage

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dans lequel s'exprime la pensée de Dieu dans la~ Bible. Pour moi, c'est la pensée intérieure qui est la: vraie, ce n'est pas la forme extérieure qui im­porte. On peut couper les- ongles et les cheveux sans nuire à la santé du corps. Le langage dont se­servent les auteurs sacrés n'est pas parfait.

N'ai1-nez-vous pas spécialement St-Jean?

Le sâdhou : Oui, parce que St-Jean semble avoir aimé Jésus-Christ plus que les autres. Les autres posaient des questions et étaient satisfaits, mais lui s'appuyait sur le cœur de Jésus. Je pense qu'il vou­lait quelque chose qui allât du cœur au cœur. Mais on trouve de l'aide et des forces nouvelles partout dans l'Evangile. Jean s'est efforcé plus que d'au­tres à exprimer la relation intérieure et personnel­le de nos cœurs avec le Christ.

Que -diriez-vous à quelqu'un qui 'voudrait CO'1'n-

1nence-r à prier? qui n'aurait pas été élevé dans u.ne fantille religieuse?

Le sâdhou: Il est très difficile de répondre à cette question. Il faut commencer à prier comme on peut ; on apprendra peu à peu. Ce ne sont pas les dons et les bénédictions qu'il faut rechercher, mais celui qui les donne. Il y a deux sortes de gens qui prient: les hommes de prière et les mendiants; ceux-ci ne sont pas des hommes de prière. Ils de­tuandent toute espèce de choses matérielles dont ils ont besoin, tandis que les hommes de prière par­lent comme avec un ami, ils réclament Dieu lui­même et non pas ses bénédictions extérieures

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Quel sens donnez-'l/o1tS à la résurrection? L~ en­visagez-vous con'L11te ?t·n fa-it q~t·i s~ est passé il y a .deux 1nille ans~ 011, un fait qu.i a encore son i1'npor­tance pour chacun de nOlts .?

Le sâdho'lt : C'est un fait vivant. Si Christ n'était pas mort et n'était pas vivant, le christianisme n'au­rait rien eu à apporter au monde de plus que les autres religions. C'est le Christ vivant qui consti­tue le christianisme. CetL"< qui ne croient pas à 'Ja résurrection de Jésus-Christ n'ont pas grand'cho­se de plus que les païens. Dans un sens ils sont pires que les païens, parce que ceux-ci n'ont jamais ·entendu parler de Jésus-Christ, et il se peut que Jésus-Christ soit encore révélé à eux.

C01'n'71·tcnt compre'nez-vous ce verset : «Le sang de ] éS'l-ts-Clrrl~st 11·01-l,S n,ettoie de tout Péché .'1 »

Le sâdlzo'H. : Dans le sens spirituel. Cette purifi­cation ne peut s'accomplir que par la foi; mais ceux qui n~aiment que discuter déclarent que tout cela, c'est de la bêtise: que le sang de Christ, on ne le voit pas, les péchés non plus, que cela n'a pas de sens. Tout dépend de la foi. Ce n'est pas ''le bois cie la croix qui a une vertu miraculeuse pour guérir du péché, mais c'est analogue à l'his­toire du serpent d'airain: ceux qui l'ont regardé ont été guéris, les autres, qui ont méprisé et nié, sont mort'3. Tout dépend de l'obéissance~ de la foi. 'La guérison du péché est accordée en réponse à la foi cIe ceux qui regardent le Sauveur sur la Croix.

Attrib'uez-v01ts 1tne 'valeur spéciale GU,,,1: p'rophètes .dans l~ A1'tC'l~en Testa11fent ?

Le sâdholt: L'importance des prophètes est

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grande. Dans les prophètes nous avons la prépara­tion de la venue de Jésus-Christ. La seule diffi­culté que cela présente, c'est que les hommes ne ront pas reconnu; ils étaient aveuglés spirituelle­ment. Ce fait est une preuve d'ailleurs de la valeu.r divine de la parole de Dieu. Il est important d'ac­corder de l'attention aux sIgnes que nous donne­D ieu dans la vie.

Doit-on dé'velopper SO"ll esprit da-'ns 1J ordll e sc-telt­tl/ique?

L,e sâdho1t : Oui, c'est utile, mais le danger est toujours que nous prenions un seul côté des choses.­I l faut en voir les deux côtés. Le danger, c'est d'être déséquilibré. Il y a eu des chrétiens vivants 'lui ont été en même temps de grands savants; d'autres hommes se sont bornés à faire des décou-­vertes et ont corn piètement perdu de vue le côté­de la vie spirituelle. Ils ont perdu leur vie. Il est essentiel de maintenir la vie spirituelle; si on perd la faculté spirituelle, elle ne revient pas.

Lorsque j'étais au Thibet, j'ai vu dans des grot­tes une espèce de souris qui avait des yeux, mais­était incapabe de voir. Ces souris ayant passé tou­te leur vie dans des cavernes ont perdu complète­ment l'usage de leurs yeux. Lorsque ces hommes de science parlent des choses religieuses, ils en par­lent comme d'absurdités, parce qu'ils ont perdu le­sens des choses religieuses. Ce n'est pas ces gens­là qu'il faut constùter. Il y a heureusem~nt des sa-­vants sincères et qui avouent franchement leur in­capacité en matière religieuse. J'ai entendu parler d'un savant aux Indes qui avait fait d'importantes­découvertes scientifiques. On lui demanda son opi­nion sur Jésus-Christ. 11 répondit: - « Allez trou-

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ver un pasteur, mOl je ne puis pas vous répondre. »

l'vIais d'autres croient que parce qu'ils sont savants dans un domaine, ils peuvent donner leur opinion sur · toutes choses, et ils font perdre leur foi aux autres. Ce savant renvoyait son interlocuteur aux théologiens; pour ma part je n'envoie j a­mais personne auprès des théologiens, parce que souvent ils ont perdu leur sens spirituel. Ils peu­vent expliquer le sens des mots grecs, etc., mais ils passent tout leur temps avec leurs livres, et ne sont pas assez avec le Seigneur. Je ne condamne pas les études théologiques et les théologiens en bloc, beaucoup de ceux-ci sont des saints, mais malheureusement cela d~vient la mode du jour de nlettre en doute et de nier, de cri tiquer le Christ, de nier sa divinité, etc. C'est contre cette mode que je proteste. Un pasteur me disait: « Quelques­uns de mes collègues et moi ne pouvons plus croi­re à la divinité de Christ et des millions de chré­tiens pensent comme nous. » Je lui répondis: «Ne nous envoyez pas des gens comme cela en Inde,. n011S ne saurions pas qu'en faire! »

C 01ttnzent compren.ez-vous la divinité de J ésus­(~hr1:st ?

Le sâdhou: Beaucoup de gens rejettent la doc­trine de la trinité, en particulier en Inde où les Hindous sont souvent choqués par cette doctrine qui veut que l'on adore trois Dieux. Ces gens ont souvent entendu des missionnaires qui n'ont pas compris la mentalité hindoue. Voici comment je présente la doctrine de la Trinité: Le soleil nous donne chaleur et lumière: La chaleur et la lumiè­re ne sont pas choses semblables, elles sont diffé­rentes, mais le soleil est à la fois lumière et cha-

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leur. Telle est la relation de Dieu, du F"ils et du Saint Esprit. «La Parole était Dieu, mais la Pa­role a été faite chair. » Dieu est descendu ve-rs nous. J'étais un jour au bord d'une rivière dans le Nord de l'Inde.II n'y avait là ni pont, ni gué, ni bateau. Comment vais-je passer là? pensais-je. Un indi­gène me dit: «Vous allez passer là par le moyen de l'air. » Il prit une outre, la gonfla bien d'air et en attacha fortement l'ouverture, puis il me fit asseoir là-dessus. J'ai pu passer. Dieu est esprit, insaisissable comme l'air que nous ne voyons ni ne palpons, mais qui existe. Pour qu'il puisse nous porter, il faut que l'air soit limité, une fois qu'il l'est, nous pouvons nous en servir. Ainsi Dieu, qui est Esprit, s'est limité, défini dans une forme hu­maine pour se rapprocher de nous.

Dans ce cas~ comm·ent er't;pliquez-vo'Z(,s les prières de J éS'l/.s-Christ à Die'l(' fi

Le sâdhou.: Son corps n'était pas Dieu, il avait sa personnalité humaine dans laquelle il a vécu trente-trois ans. Jésus a dit: «Le Père qui de­m.eure en moi fait les œuvres que je fais », ce qui veut dire: ce corps qui était faible et fatigué, qui avait faim et soif, cette personne n'était pas Dieu, mais Dieu était en elle et agissait par elle.

·Pa·

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TABLE DES rvlATIÈRES

Pages

Notice sur le Comité SUIsse de secours pour la mission aux Indes.

AVANT-PROPOS, par fil. Dr P. de Benoit.

INTRonucTloN

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1 1

CHAP. 1. Origine et naissance. 24

» Il. La voie du Salut. 27 » III. A l'œuvre 4 1

)) IV. Premières grandes expériences 52 » V. Dans le Thi bet 62 » VI. Le christianisme du sâdhou Sundar

Singh . 79 » V II. Nouveaux voyages mission naires . . 101

» VII. Le voyage d'évangélisation du sâdhou Sundar Singh en Suisse . . 1 19-

» IX. La personnalité et l'enseignement du sàdhou . 129-

» X. Le sens spirituel . » XI. Entretien avec quelques étudiants

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