38
Irénée de Lyon Contre les Hérésies Dénonciation et réfutation de la gnose au nom menteur LIVRE I PREFACE Rejetant la vérité, certains introduisent des discours mensongers et « des généalogies sans fin, plus propres à susciter des questions», comme le dit l'Apôtre, «qu'à bâtir l'édifice de Dieu fondé sur la foi ». Par une vraisemblance frauduleusement agencée, ils séduisent l'esprit des ignorants et les réduisent à leur merci, falsifiant les paroles du Seigneur et se faisant les mauvais interprètes de ce qui a été bien exprimé. Ils causent ainsi la ruine d'un grand nombre, en les détournant, sous prétexte de «gnose», de Celui qui a constitué et ordonné cet univers : comme s'ils pouvaient montrer quelque chose de plus élevé et de plus grand que le Dieu qui a fait le ciel, la terre et tout ce qu'ils renferment ! De façon spécieuse, par l'art des discours, ils attirent d'abord les simples à la manie des recherches ; après quoi, sans plus se soucier de vraisemblance, ils perdent ces malheureux, en inculquant des pensées blasphématoires et impies à l'endroit de leur Créateur à des gens incapables de discerner le faux du vrai. L'erreur, en effet, n'a garde de se montrer telle qu'elle est, de peur que, ainsi mise à nu, elle ne soit reconnue; mais, s'ornant frauduleusement d'un vêtement de vraisemblance, elle fait en sorte de paraître — chose ridicule à dire — plus vraie que la vérité elle-même, grâce à cette apparence extérieure, aux yeux des ignorants. Comme le disait, à propos de ces gens-là, un homme supérieur à nous : « La pierre précieuse, voire de grand prix aux yeux de certains, qu'est l'émeraude, se voit insultée par un morceau de verre habilement truqué, s'il ne se rencontre personne qui soit capable de procéder à un examen et de démasquer la fraude. Et lorsque de l'airain a été mêlé à l'argent, qui donc, s'il n'est connaisseur, pourra aisément le vérifier ? » Or nous ne voulons pas que, par notre faute, certains soient emportés par ces ravisseurs comme des brebis par des loups, trompés qu'ils sont par les peaux de brebis dont ils se couvrent, eux dont le Seigneur nous a commandé de nous garder, eux qui parlent comme nous, mais pensent autrement que nous. C'est pourquoi, après avoir lu les commentaires des « disciples » de Valentin — c'est le titre qu'ils se donnent —, après avoir aussi rencontré certains d'entre eux et avoir pénétré à fond leur doctrine, nous avons jugé nécessaire de te manifester, cher ami, leurs prodigieux et profonds mystères, que « tous ne comprennent pas», parce que tous n'ont pas craché leur cerveau. Ainsi informé de ces doctrines, tu les feras connaître à ton tour à tous ceux qui sont avec toi et tu engageras ceux-ci à se garder de l'« abîme » de la déraison et du blasphème contre Dieu. Autant qu'il sera en notre pouvoir, nous rapporterons brièvement et clairement la doctrine de ceux qui enseignent l'erreur en ce moment même — nous voulons parler de Ptolémée et des gens de son entourage, dont la doctrine est la fleur de l'école de Valentin —, et nous fournirons, selon nos modestes possibilités, les moyens de les réfuter, en montrant que leurs dires sont absurdes, inconsistants et en désaccord avec la vérité. Ce n'est pas que nous ayons l'habitude de composer ou que nous soyons exercé dans l'art des discours ; mais la charité nous presse de te manifester, à toi et à tous ceux qui sont avec toi, leurs enseignements tenus soigneusement cachés jusqu'ici et venus enfin au jour par la grâce de Dieu : « car il n'est rien de caché qui ne doive être révélé, rien de secret qui ne doive être connue ». Tu n'exigeras de nous, qui vivons chez les Celtes et qui, la plupart du temps, traitons nos affaires en dialecte barbare, ni l'art des discours, que nous n'avons pas appris, ni l'habileté de l'écrivain, dans laquelle nous ne nous sommes pas exercé, ni l'élégance des termes ni l'art de persuader, que nous ignorons ; mais ce qu'en toute simplicité, vérité et candeur nous t'avons écrit avec amour, tu le recevras avec le même amour, et tu le développeras toi-même pour ton compte, car tu en es plus que nous capable : après l'avoir reçu de nous comme des « semences », comme de simples « commencements », tu feras abondamment « fructifier » dans l'étendue de ton esprit ce qu'en peu de mots nous t'avons exprimé et tu présenteras avec force à ceux qui sont avec toi ce que, bien insuffisamment, nous t'avons fait connaître. Et de même que, pour répondre à ton désir déjà ancien de connaître leurs doctrines, nous avons mis tout notre zèle, non Saint Irenee de Lyon - Livre 1 http://livres-mystiques.com/partieTEXTES/StIrenee/livre1.html 1 sur 38 22/11/2014 12:30

Saint Irenee de Lyon - Livre 1

Embed Size (px)

DESCRIPTION

Saint Irenee de Lyon

Citation preview

  • Irne de Lyon

    Contre les HrsiesDnonciation et rfutation de la gnose au nom menteur

    LIVRE I

    PREFACE

    Rejetant la vrit, certains introduisent des discours mensongers et des gnalogies sans fin, plus propres susciter des questions, comme le dit l'Aptre, qu' btir l'difice de Dieu fond sur la foi . Par unevraisemblance frauduleusement agence, ils sduisent l'esprit des ignorants et les rduisent leur merci,falsifiant les paroles du Seigneur et se faisant les mauvais interprtes de ce qui a t bien exprim. Ilscausent ainsi la ruine d'un grand nombre, en les dtournant, sous prtexte de gnose, de Celui qui aconstitu et ordonn cet univers : comme s'ils pouvaient montrer quelque chose de plus lev et de plusgrand que le Dieu qui a fait le ciel, la terre et tout ce qu'ils renferment ! De faon spcieuse, par l'art desdiscours, ils attirent d'abord les simples la manie des recherches ; aprs quoi, sans plus se soucier devraisemblance, ils perdent ces malheureux, en inculquant des penses blasphmatoires et impies l'endroitde leur Crateur des gens incapables de discerner le faux du vrai.L'erreur, en effet, n'a garde de se montrer telle qu'elle est, de peur que, ainsi mise nu, elle ne soitreconnue; mais, s'ornant frauduleusement d'un vtement de vraisemblance, elle fait en sorte de paratre chose ridicule dire plus vraie que la vrit elle-mme, grce cette apparence extrieure, aux yeuxdes ignorants. Comme le disait, propos de ces gens-l, un homme suprieur nous : La pierreprcieuse, voire de grand prix aux yeux de certains, qu'est l'meraude, se voit insulte par un morceau deverre habilement truqu, s'il ne se rencontre personne qui soit capable de procder un examen et dedmasquer la fraude. Et lorsque de l'airain a t ml l'argent, qui donc, s'il n'est connaisseur, pourraaisment le vrifier ? Or nous ne voulons pas que, par notre faute, certains soient emports par ces ravisseurs comme des brebispar des loups, tromps qu'ils sont par les peaux de brebis dont ils se couvrent, eux dont le Seigneur nous acommand de nous garder, eux qui parlent comme nous, mais pensent autrement que nous. C'estpourquoi, aprs avoir lu les commentaires des disciples de Valentin c'est le titre qu'ils se donnent, aprs avoir aussi rencontr certains d'entre eux et avoir pntr fond leur doctrine, nous avons jugncessaire de te manifester, cher ami, leurs prodigieux et profonds mystres, que tous ne comprennentpas, parce que tous n'ont pas crach leur cerveau. Ainsi inform de ces doctrines, tu les feras connatre ton tour tous ceux qui sont avec toi et tu engageras ceux-ci se garder de l' abme de la draison etdu blasphme contre Dieu. Autant qu'il sera en notre pouvoir, nous rapporterons brivement et clairementla doctrine de ceux qui enseignent l'erreur en ce moment mme nous voulons parler de Ptolme et desgens de son entourage, dont la doctrine est la fleur de l'cole de Valentin , et nous fournirons, selon nosmodestes possibilits, les moyens de les rfuter, en montrant que leurs dires sont absurdes, inconsistants eten dsaccord avec la vrit. Ce n'est pas que nous ayons l'habitude de composer ou que nous soyonsexerc dans l'art des discours ; mais la charit nous presse de te manifester, toi et tous ceux qui sontavec toi, leurs enseignements tenus soigneusement cachs jusqu'ici et venus enfin au jour par la grce deDieu : car il n'est rien de cach qui ne doive tre rvl, rien de secret qui ne doive tre connue .Tu n'exigeras de nous, qui vivons chez les Celtes et qui, la plupart du temps, traitons nos affaires endialecte barbare, ni l'art des discours, que nous n'avons pas appris, ni l'habilet de l'crivain, dans laquellenous ne nous sommes pas exerc, ni l'lgance des termes ni l'art de persuader, que nous ignorons ; maisce qu'en toute simplicit, vrit et candeur nous t'avons crit avec amour, tu le recevras avec le mmeamour, et tu le dvelopperas toi-mme pour ton compte, car tu en es plus que nous capable : aprs l'avoirreu de nous comme des semences , comme de simples commencements , tu feras abondamment fructifier dans l'tendue de ton esprit ce qu'en peu de mots nous t'avons exprim et tu prsenteras avecforce ceux qui sont avec toi ce que, bien insuffisamment, nous t'avons fait connatre. Et de mme que,pour rpondre ton dsir dj ancien de connatre leurs doctrines, nous avons mis tout notre zle, non

    Saint Irenee de Lyon - Livre 1 http://livres-mystiques.com/partieTEXTES/StIrenee/livre1.html

    1 sur 38 22/11/2014 12:30

  • seulement te les manifester, mais encore te fournir le moyen d'en prouver la fausset, ainsi toi-mmetu mettras tout ton zle servir autrui selon la grce qui t'a t donne par le Seigneur, pour quedornavant les hommes ne se laissent plus entraner par la doctrine captieuse de ces gens-l. Cettedoctrine, la voici donc.

    PREMIERE PARTIE

    EXPOS DE LA DOCTRINE DE PTOLME1. CONSTITUTION DU PLRMEGense des trente Bons

    Il existait, disent-ils, dans les hauteurs invisibles et innommables, un Bon parfait, antrieur tout. Ceton, ils l'appellent Pro-Principe, Pro-Pre et Abme. Incomprhensible et invisible, ternel et inengendr,il fut en profond repos et tranquillit durant une infinit de sicles. Avec lui coexistait la Pense, qu'ilsappellent encore Grce et Silence. Or, un jour, cet Abme eut la pense d'mettre, partir de lui-mme, unPrincipe de toutes choses ; cette mission dont il avait eu la pense, il la dposa, la manire d'unesemence, au sein de sa compagne Silence. Au reu de cette semence, celle-ci devint enceinte et enfantaIntellect, semblable et gal celui qui l'avait mis, seul capable aussi de comprendre la grandeur du Pre.Cet Intellect, ils l'appellent encore Monogne, Pre et Principe de toutes choses. Avec lui fut miseVrit. Telle est la primitive et fondamentale Ttrade pythagoricienne, qu'ils nomment aussi Racine detoutes choses. C'est : Abme et Silence, puis Intellect et Vrit. Or ce Monogne, ayant pris conscience dece en vue de quoi il avait t mis, mit son tour Logos et Vie, Pre de tous ceux qui viendraient aprslui, Principe et Formation de tout le Plrme. De Logos et de Vie furent mis leur tour, selon la syzygie ,Homme et Eglise. Et voil la fondamentale Ogdoade, Racine et Substance de toutes choses, qui estappele chez eux de quatre noms : Abme, Intellect, Logos et Homme. Chacun de ceux-ci est en effetmle et femelle : d'abord le Pro-Pre s'est uni, selon la syzygie, sa Pense, qu'ils appellent aussi Grce etSilence ; puis le Monogne, autrement dit l'Intellect, la Vrit ; puis le Logos, la Vie ; enfin l'Homme, l'glise.Or, tous ces ons, mis en vue de la gloire du Pre, voulant leur tour glorifier le Pre par quelque chosed'eux-mmes, firent des missions en syzygie. Logos et Vie, aprs avoir mis Homme et glise, mirentdix autres ons, qui s'appellent, ce qu'ils prtendent : Bythios et Mixis, Agratos et Hensis, Autophyset Hdon, Akintos et Syncrasis, Monogens et Makaria. Ce sont l, disent-ils, les dix ons mis parLogos et Vie. L'Homme, lui aussi, avec l'glise, mit douze ons, qu'ils gratifient des noms suivants :Paracltos et Pistis, Patrikos et Elpis, Mtrikos et Agap, Aeinous et Synesis, Ekklsiastikos etMakariots, Theltos et Sagesse.

    Exgses gnostiques

    Tels sont les trente ons de leur garement, ces tres envelopps de silence, ces inconnus. Tel est leurPlrme invisible et pneumatique avec sa division tripartite en Ogdoade, Dcade et Dodcade. C'est pourcela, disent-ils, que le Sauveur car ils refusent de lui donner le nom de Seigneur a pass trenteannes sans rien faire en public, rvlant par l le mystre de ces Eons. De mme encore, disent-ils, laparabole des ouvriers envoys la vigne indique trs clairement ces trente Eons. Car certains ouvrierssont envoys vers la premire heure, d'autres vers la troisime, d'autres vers la sixime, d'autres vers laneuvime, d'autres enfin vers la onzime. Or, additionnes ensemble, ces diffrentes heures donnent letotal de trente :l+3 + 6 + 9 + 11 = 30. Ces heures, prtendent-ils, indiquent les Eons. Et voil ces grands,ces admirables, ces secrets mystres, produit de leur propre fructification, pour ne rien dire de toutesles autres paroles des Ecritures qu'ils ont pu adapter et accommoder leur fiction.

    2. PERTURBATION ET RESTAURATION DU PLRMEPassion de Sagesse et intervention de Limite

    Saint Irenee de Lyon - Livre 1 http://livres-mystiques.com/partieTEXTES/StIrenee/livre1.html

    2 sur 38 22/11/2014 12:30

  • Ainsi donc, ce qu'ils disent, leur Pro-Pre n'tait connu que du seul Monogne ou Intellect issu de lui ;pour tous les autres Eons il tait invisible et insaisissable. Seul, d'aprs eux, l'Intellect se dlectait voir lePre et se rjouissait de contempler sa grandeur sans mesure. Il mditait de faire part galement aux autresEons de la grandeur du Pre, en leur rvlant l'tendue de cette grandeur et en leur apprenant qu'il taitsans principe, incomprhensible et insaisissable pour la vue. Mais Silence l'en retint, par la volont duPre, car elle voulait amener tous les Eons la pense et au dsir de la recherche de leur Pro-Pre susdit.C'est ainsi que les Eons dsiraient semblablement, d'un dsir plus ou moins paisible, voir le Principemetteur de leur semence et explorer la Racine sans principe.Mais le dernier et le plus jeune on de la Dodcade mise par l'Homme et l'Eglise, c'est--dire Sagesse,bondit violemment et subit une passion en dehors de l'treinte de son conjoint Theltos. Cette passionavait pris naissance aux alentours de l'Intellect et de la Vrit, mais elle se concentra en cet Eon, qui enfut altr : sous couvert d'amour, c'tait de la tmrit, parce qu'il n'tait pas, comme l'Intellect, uni auPre parfait. Cette passion consista en une recherche du Pre, car il voulut, comme ils disent, comprendrela grandeur de ce Pre ; mais comme il ne le pouvait, du fait mme qu'il s'attaquait l'impossible, il setrouva dans un tat de lutte d'une extrme violence, cause de la grandeur de l'Abme, de l'inaccessibilitdu Pre et de son amour pour lui. Comme il s'tendait toujours plus vers l'avant, il allait finalement treenglouti par la douceur du Pre et se dissoudre dans l'universelle Substance, s'il n'avait rencontr laPuissance qui consolide les Eons et les garde hors de la Grandeur inexprimable. A cette Puissance ilsdonnent le nom de Limite. Par elle, donc, l'Eon en question fut retenu et consolid; ayant fait grandpeine retour lui-mme et persuad dsormais que le Pre est incomprhensible, il dposa, sous le coupde l'admiration, son Enthymsis antrieure avec la passion survenue en celle-ci.Certains parmi les hrtiques imaginent plutt de la faon suivante la passion et la conversion de Sagesse.Pour avoir entrepris une tche impossible et irralisable, elle enfanta, disent-ils, une substance informe,telle que pouvait en enfanter une femme. L'ayant considre, elle s'attrista d'abord cause du caractreinachev de son enfantement, puis elle craignit que ce fruit mme ne vnt disparatre; elle fut alorscomme hors d'elle-mme et remplie d'angoisse, cherchant la cause de l'vnement et la manire dont ellepourrait cacher ce qui tait n d'elle. Aprs avoir t plonge dans ces passions, elle accda laconversion et tenta de revenir vers le Pre ; mais, au bout d'un court effort, elle dfaillit et supplia le Pre; sa prire se joignirent les autres ons, principalement l'Intellect. C'est de tout cela, disent-ils, que tire sapremire origine la substance de la matire, savoir de l'ignorance, de la tristesse, de la crainte et de lastupeur.Le Pre alors, par l'intermdiaire du Monogne, mit en surplus la Limite dont nous avons dj parl; ill'mit sa propre image, c'est--dire sans couple, sans compagne. Car ils veulent tantt que le Pre aitSilence pour compagne, tantt qu'il soit au-dessus de la distinction de mle et de femelle. A cette Limiteils donnent aussi les noms de Croix, de Rdempteur, d'Emancipateur, de Dlimitateur et de Guide. C'estpar cette Limite, disent-ils, que Sagesse fut purifie, consolide et rintgre dans sa syzygie. Car,lorsqu'eut t spare d'elle son Enthymsis avec la passion survenue en celle-ci, elle-mme demeura l'intrieur du Plrme; mais son Enthymsis, avec la passion qui lui tait inhrente, fut spare,crucifie et expulse du Plrme par Limite. Cette Enthymsis tait une substance pneumatique,puisque c'tait l'lan naturel d'un on, mais c'tait une substance sans forme ni figure, car Sagesse n'avaitrien saisi; c'est pourquoi ils disent que cette substance tait un fruit faible et fminin.

    Emission du Christ, de l'Esprit Saint et du Sauveur

    Aprs que cette Enthymsis eut t bannie du Plrme des Eons et que la mre de celle-ci eut trintgre dans sa syzygie, le Monogne mit encore un autre couple, conformment la providence duPre, afin qu'aucun des Eons ne subisse dsormais une passion semblable : ce sont Christ et Esprit Saint,mis en vue de la fixation et de la consolidation du Plrme. C'est par eux, disent-ils, que furent remis enordre les Eons. Le Christ, en effet, leur enseigna la nature de la syzygie et publia au milieu d'eux laconnaissance du Pre, en leur rvlant que celui-ci est incomprhensible et insaisissable et que personnene peut le voir ni l'entendre, sinon travers le seul Monogne ; la cause de la permanence ternelle desEons est ce qu'il y a d'incomprhensible dans le Pre, et la cause de leur naissance et de leur formation estce qu'il y a de comprhensible en lui, c'est--dire le Fils. Voil ce que le Christ nouvellement mis effectuaen eux. Quant l'Esprit Saint, aprs avoir galis tous les Eons, il leur enseigna rendre grces etintroduisit le vrai repos. Et c'est ainsi, disent-ils, que les Eons furent tablis dans l'galit de forme et de

    Saint Irenee de Lyon - Livre 1 http://livres-mystiques.com/partieTEXTES/StIrenee/livre1.html

    3 sur 38 22/11/2014 12:30

  • pense, devenant tous des Intellects, tous des Logos, tous des Hommes, tous des Christs ; et de mmepour les Eons fminins, tous des Vrits, des Vies, des Esprits, des Eglises.L-dessus, consolids et en parfait repos, les Eons, disent-ils, chantrent avec une grande joie un hymneau Pro-Pre, tout en prenant part une immense rjouissance. Et pour ce bienfait, dans une uniquevolont et une unique pense de tout le Plrme des ons, avec l'assentiment du Christ et de l'Esprit et laratification du Pre, chacun des ons apporta et mit en commun ce qu'il avait en lui de plus exquis etcomme la fleur de sa substance ; tressant le tout harmonieusement en une parfaite unit, ils firent, enl'honneur et la gloire de l'Abme, une mission qui est la toute parfaite beaut et comme l'toile duPlrme : c'est le Fruit parfait, Jsus, qui s'appelle aussi Sauveur, et encore Christ et Logos, du nom de sespres, et aussi Tout, car il provient de tous. En mme temps, en l'honneur des Eons, furent mis pour luides gardes du corps, qui sont des Anges de mme race que lui.

    Exgses gnostiques

    Telles sont donc : la production qu'ils disent avoir t effectue au dedans du Plrme ; la msaventure decet on qui tomba en passion et faillit prir, comme dans une vaste matire, cause de sa recherche duPre ; l'assemblage hexagonal de celui qui est la fois Limite, Croix, Rdempteur, Emancipateur,Dlimitateur et Guide; la naissance, postrieure celle des Eons, du premier Christ et de l'Esprit Saintmis par le Pre la suite de son repentir ; enfin la fabrication, par une mise en commun de cotisations, dusecond Christ, qu'ils appellent aussi le Sauveur. Tout cela, sans doute, n'a pas t dit en clair dans lescritures, parce que tous ne comprennent pas leur gnose, mais cela a t indiqu en mystre par leSauveur, au moyen de paraboles, l'intention de ceux qui sont capables de comprendre. Ainsi les trenteEons ont t indiqus, comme nous l'avons dj dit, par les trente annes durant lesquelles le Sauveur n'arien fait en public, ainsi que par la parabole des ouvriers de la vigne. Paul, galement, les en croire,nomme manifestement et maintes reprises les Eons ; il garde mme leur hirarchie, lorsqu'il dit : ... danstoutes les gnrations du sicle des sicles . Nous-mmes enfin, lorsque nous disons au cours del'eucharistie : dans les sicles des sicles , nous faisons allusion ces Eons.Partout o se rencontrent les mots sicle ou sicles , ils veulent qu'il y soit question des Eons. L'mission de la Dodcade d'Eons est indique par le fait qu' douze ans le Seigneur a discut avec lesdocteurs de la Loi, comme aussi par le choix des aptres, car ceux-ci furent au nombre de douze. Quantaux dix-huit autres Eons, ils sont manifests par le fait que le Seigneur, aprs sa rsurrection d'entre lesmorts, a vcu durant dix-huit mois c'est du moins ce qu'ils disent avec ses disciples. Les deuxpremires lettres du nom de Jsus, savoir iota (= 10) et ta (= 8), indiquent aussi clairement les dix-huitEons. De mme les dix Eons sont signifis, disent-ils, par la lettre iota (= 10), qui est la premire de sonnom. Et c'est pour ce motif que le Sauveur a dit : Pas un seul iota ni un seul petit trait ne passera, quetout n'ait eu lieu. La passion survenue dans le douzime Eon est signifie, disent-ils, par l'apostasie de Judas, qui tait ledouzime des aptres, et par le fait que le Seigneur souffrit sa Passion le douzime mois : car ils veulentqu'il ait prch durant une seule anne aprs son baptme. Ce mystre est encore clairement manifestdans l'pisode de l'hmorrosse. C'est en effet aprs douze annes de souffrances qu'elle fut gurie par lavenue du Sauveur, aprs avoir touch la frange de son vtement, et c'est pourquoi le Sauveur dit : Quim'a touch ? , enseignant par l ses disciples le mystre survenu parmi les Eons et la gurison de l'Eontomb en passion...Car celle qui souffrit ainsi douze ans, c'tait cette Puissance-l : elle s'tendait et sasubstance s'coulait dans l'infini, comme ils disent ; et si elle n'avait touch le vtement du Fils, c'est--direla Vrit appartenant la premire Ttrade et signifie par la frange du vtement, elle se ft dissoute dansl'universelle Substance; mais elle s'arrta et se dgagea de sa passion : car la Vertu sortie du Fils laquelle serait Limite, ce qu'ils prtendent gurit Sagesse et spara d'elle la passion.Que le Sauveur, qui est issu de tous, soit le Tout, c'est, disent-ils, ce que montre la parole : Tout mleouvrant le sein... . Etant le Tout, ce Sauveur ouvrit le sein de l'Enthymsis de l'on tomb en passion,lorsqu'elle eut t bannie du Plrme. Cette Enthymsis, ils l'appellent encore Seconde Ogdoade, et nousen parlerons un peu plus loin. Paul lui aussi, d'aprs eux, a manifestement en vue ce mystre, lorsqu'il dit : Il est toutes choses ; et encore : Toutes choses sont pour lui, et de lui viennent toutes choses ; etencore : En lui habite toute la plnitude de la divinit. La parole rcapituler toutes choses dans leChrist est galement interprte par eux de cette manire, ainsi que toutes les autres paroles semblables.De mme encore, propos de leur Limite, qu'ils appellent aussi de plusieurs autres noms, ils exposent

    Saint Irenee de Lyon - Livre 1 http://livres-mystiques.com/partieTEXTES/StIrenee/livre1.html

    4 sur 38 22/11/2014 12:30

  • qu'elle a deux activits, l'une qui consolide, l'autre qui spare : en tant qu'elle consolide et affermit, elle estCroix ; en tant qu'elle spare et dlimite, elle est Limite. Le Sauveur, disent-ils, a indiqu ces activits dela manire suivante : d'abord celle qui consolide, lorsqu'il a dit : Celui qui ne porte pas sa croix et ne mesuit pas ne peut tre mon disciple , et encore: Prenant ta croix, suis-moi ; ensuite celle qui dlimite,lorsqu'il a dit : Je ne suis pas venu apporter la paix, mais le glaive. Jean, prtendent-ils, a indiqu cettemme chose en disant : Le van est dans sa main pour purifier son aire, et il rassemblera le froment dansson grenier; quant la paille, il la brlera dans un feu inextinguible. Ce texte indique l'opration deLimite, car, d'aprs leur interprtation, le van n'est autre que cette Croix, qui consume tous les lmentshyliques comme le feu consume la paille, mais qui purifie les sauvs comme le van purifie le froment.L'aptre Paul lui aussi, disent-ils, fait mention de cette Croix en ces termes : Le Logos de la Croix estfolie pour ceux qui prissent, mais, pour ceux qui sont sauvs, il est vertu de Dieu ; et encore : Pourmoi, puis-je ne me glorifier en rien, si ce n'est dans la Croix du Christ, travers laquelle le monde estcrucifi pour moi, et moi pour le monde ! .Voil ce qu'ils disent au sujet de leur Plrme et de la formation des Eons, faisant violence aux bellesparoles des Ecritures pour les adaptera leurs sclrates inventions. Et ce n'est pas seulement des vangileset des crits de l'Aptre qu'ils s'efforcent de tirer leurs preuves, en dnaturant les interprtations et enfaussant les exgses, mais ils recourent aussi la Loi et aux prophtes : comme il s'y rencontre nombrede paraboles et d'allgories susceptibles d'tre tires dans des sens multiples, ils accommodent l'ambigutde celles-ci leur fiction au moyen d'exgses habiles et artificieuses, et ils retiennent ainsi captifs loin dela vrit ceux qui ne gardent pas solidement leur foi en un seul Dieu Pre tout-puissant et en un seulJsus-Christ, Fils de Dieu.

    3. AVATARS DU DCHET EXPULS DU PLRMEPassion et gurison d'Achamoth

    Voici maintenant les vnements extrieurs au Plrme tels qu'ils les prsentent. Lorsque l'Enthymsis dela Sagesse d'en haut Enthymsis qu'ils appellent aussi Achamoth eut t spare du Plrme avec lapassion qui lui tait inhrente, elle bouillonna, disent-ils, dans les lieux de l'ombre et du vide : c'taitinvitable, puisqu'elle tait exclue de la lumire et du Plrme, tant sans forme ni figure, la manired'un avorton, pour n'avoir rien saisi. Le Christ eut alors piti d'elle. S'tendant sur la Croix, il formaAchamoth, par sa propre vertu, d'une formation selon la substance seulement, non d'une formation selonla gnose. Aprs cette opration, il remonta, en rassemblant en lui sa vertu, et abandonna Achamoth, afinque celle-ci, prenant conscience de la passion qui tait en elle par suite de la sparation d'avec le Plrme,aspirt aux ralits suprieures, ayant une certaine odeur d'incorruptibilit laisse en elle par le Christ etl'Esprit Saint. C'est d'ailleurs pourquoi elle porte ces deux noms : Sagesse, du nom de son pre car sonpre s'appelle Sagesse , et Esprit Saint, du nom de l'Esprit qui tait aux cts du Christ. Ainsi forme etdevenue consciente, mais vide aussitt du Logos c'est--dire du Christ qui l'assistait invisiblement,elle s'lana la recherche de la Lumire qui l'avait abandonne. Elle ne put toutefois la saisir, parcequ'elle en fut empche par Limite. C'est alors que Limite, en s'opposant elle dans son lan vers l'avant,dit : Iao ! : c'est l, assurent-ils, l'origine du nom Iao. Ne pouvant donc franchir Limite, parce qu'elletait mle de passion, et se voyant abandonne, seule, au dehors, elle fut accable sous tous les lmentsde cette passion qui tait multiple et diverse : elle prouva de la tristesse, pour n'avoir pas saisi la Lumire; de la crainte, la perspective de voir la vie lui chapper de la mme manire que la Lumire; del'angoisse, par-dessus cela ; et le tout, dans l'ignorance. A la diffrence de sa mre la premire Sagesse,qui tait un Eon , Achamoth, au milieu de ces passions, n'prouva pas une simple altration, mais uneopposition des contraires. Survint alors en elle une autre disposition, celle de la conversion vers celui quil'avait vivifie.C'est ainsi que s'expliquent, disent-ils, l'origine et l'essence de la matire dont est form ce monde : de laconversion est issue toute l'me du monde et du Dmiurge, tandis que de la crainte et de la tristesse estdriv tout le reste. En effet, des larmes d'Achamoth provient toute l'humide substance ; de son rire, lasubstance lumineuse ; de sa tristesse et de son saisissement, les lments corporels du monde. Tantt, eneffet, elle pleurait et s'attristait, comme ils disent, de ce qu'elle avait t abandonne, seule, dans lestnbres et le vide ; tantt, au souvenir de la Lumire qui l'avait abandonne, elle se dtendait et riait ;tantt encore, elle tait prise de crainte ; tantt enfin, elle prouvait angoisse et garement.

    Saint Irenee de Lyon - Livre 1 http://livres-mystiques.com/partieTEXTES/StIrenee/livre1.html

    5 sur 38 22/11/2014 12:30

  • Eh quoi ! C'est un spectacle peu banal, en vrit, que celui de ces hommes expliquant pompeusement,chacun sa faon, de quelle passion, de quel lment la matire tire son origine. Ces enseignements, ilsont bien raison, me semble-t-il, de ne pas vouloir les livrer tout le monde au grand jour, mais seulement ceux qui sont capables de fournir de substantielles rmunrations pour de si grands mystres. Car ceschoses ne sont pas pareilles celles dont notre Seigneur disait : Vous avez reu gratuitement, donnezaussi gratuitement : ce sont des mystres carts, prodigieux, profonds, dcouverts au prix d'un immenselabeur par ces amis du mensonge. Qui donc ne dpenserait toute sa fortune pour apprendre que, deslarmes de l'Enthymsis de l'Eon tomb en passion, les mers, les sources, les fleuves et toute la substancehumide tirent leur origine ? que, de son rire, vient la lumire ? que, de son saisissement et de son angoisse,sont issus les lments corporels du monde ?Mais j'entends contribuer aussi, pour ma part, leur fructification . Car je vois que certaines eaux sontdouces : sources, fleuves, pluies, etc. ; par contre, les eaux des mers sont sales. Je rflchis que toutes nepeuvent venir des larmes d'Achamoth, puisque les larmes ont comme proprit d'tre sales. Il est doncvident que les eaux sales sont celles qui proviennent des larmes. Mais il est probable qu'Achamoth, dansla lutte violente et l'angoisse o elle s'est trouve, a d suer galement. D'o l'on doit supposer, en allantdans le sens de leur thse, que les sources, les fleuves et toutes les autres eaux douces tirent leur originede ces sueurs. Car il n'est pas vraisemblable, les larmes n'ayant qu'une seule proprit, que d'ellesproviennent la fois les eaux sales et les eaux douces ; il est plus vraisemblable que les unes proviennentdes larmes, et les autres des sueurs. Mais ce n'est pas tout : comme il existe encore dans le monde deseaux chaudes et cres, tu dois comprendre ce qu'elle a fait pour les mettre et de quel organe elles sontsorties. De tels fruits s'accordent tout fait avec leur thse.Lors donc que leur Mre fut ainsi passe par toutes les passions et qu'elle en eut merg grand-peine,elle se mit, disent-ils, supplier la Lumire qui l'avait abandonne, c'est--dire le Christ. Celui-ci, remontau Plrme, n'eut sans doute pas le courage de descendre une seconde fois. Il envoya vers elle le Paraclet,c'est--dire le Sauveur, tandis que le Pre donnait celui-ci toute vertu et livrait toutes choses en sonpouvoir et que les ons faisaient de mme, afin que sur lui fussent fondes toutes choses, visibles etinvisibles, les Trnes, les Divinits, les Seigneuries . Le Sauveur fut donc envoy vers elle avec sescompagnons d'ge, les Anges. Saisie de crainte en sa prsence, Achamoth, disent-ils, se couvrit d'abordd'un voile, par rvrence ; puis, l'ayant regard, lui et toute sa fructification, elle accourut vers lui et reutde son apparition une vertu. Il la forma alors d'une formation selon la gnose et effectua la gurison de sespassions. Il les spara d'elle, mais ne put les ngliger, car il n'tait pas possible de les faire disparatrecomme celles de la premire Sagesse, du fait qu'elles taient dj habituelles et vigoureuses. Il les mit donc part, les mlangea et les fit coaguler ; de passion incorporelle qu'elles taient, il les changea en matireincorporelle ; puis il produisit en elle des proprits et une nature, pour leur permettre de former descombinaisons et des corps, en sorte qu'il y et deux substances, savoir la mauvaise, qui est issue despassions, et celle provenant de la conversion, qui est mle de passion : c'est cause de tout cela qu'ilsdisent que le Sauveur a fait, d'une manire virtuelle, uvre de Dmiurge. Quant Achamoth, dgage desa passion, elle conut, de joie, la vision des Lumires qui taient avec le Sauveur, c'est--dire des Angesqui l'accompagnaient ; devenue grosse leur vue, elle enfanta, enseignent-ils, des fruits l'image deces Anges, autrement dit un enfantement pneumatique la ressemblance des gardes du corps du Sauveur.

    Gense du Dmiurge

    Il existait donc ds lors trois lments, d'aprs eux : l'lment provenant de la passion, c'est--dire lamatire ; l'lment provenant de la conversion, c'est--dire le psychique ; enfin l'lment enfant parAchamoth, c'est--dire le pneumatique. Achamoth se tourna alors vers la formation de ces lments.Cependant elle n'avait pas le pouvoir de former l'lment pneumatique, puisque cet lment lui taitconsubstantiel. Elle se tourna donc vers la formation de la substance issue de sa conversion, c'est--dire dela substance psychique, et elle produisit au dehors les enseignements reus du Sauveur. En premier lieu,disent-ils, elle forma, de cette substance psychique, celui qui est le Dieu, le Pre et le Roi de tous les tres,tant de ceux qui lui sont consubstantiels, c'est--dire des psychiques, qu'ils appellent la droite , que deceux qui sont issus de la passion et de la matire et qu'ils nomment la gauche : car, pour ce qui est detous les tres venus aprs lui, c'est lui, disent-ils, qui les a forms, m son insu par la Mre. C'estpourquoi ils l'appellent Mre-Pre, Sans Pre, Dmiurge et Pre ; ils le disent Pre des tres de droite,c'est--dire des psychiques, Dmiurge des tres de gauche, c'est--dire des hyliques, et Roi des uns et des

    Saint Irenee de Lyon - Livre 1 http://livres-mystiques.com/partieTEXTES/StIrenee/livre1.html

    6 sur 38 22/11/2014 12:30

  • autres. Car cette Enthymsis, disent-ils, ayant rsolu de faire toutes choses en l'honneur des Eons, fit desimages de ceux-ci, ou plutt le Sauveur les fit par son entremise. Elle-mme offrit l'image du Preinvisible, du fait qu'elle n'tait pas connue du Dmiurge ; de son ct, le Dmiurge offrit l'image du FilsMonogne, comme offrirent l'image des autres Eons les Archanges et les Anges faits par le Dmiurge.

    Gense de l'univers

    Le Dmiurge, disent-ils, devint donc Pre et Dieu des tres extrieurs au Plrme, puisqu'il tait l'Auteurde tous les tres psychiques et hyliques. Il spara en effet l'une de l'autre ces deux substances qui setrouvaient mles ensemble et, d'incorporelles qu'elles taient, il les fit corporelles ; il fabriqua alors lestres clestes et les tres terrestres et devint Dmiurge des psychiques et des hyliques, de ceux de droite etde ceux de gauche, de ceux qui sont lgers et de ceux qui sont lourds, de ceux qui se portent vers le hautet de ceux qui se portent vers le bas. Il disposa en effet sept Cieux, au-dessus desquels il se tientlui-mme, les en croire. C'est pourquoi ils l'appellent Hebdomade, tandis qu'ils donnent le nomd'Ogdoade la Mre, c'est--dire Achamoth, qui prsente ainsi le nombre de la fondamentale etprimitive Ogdoade, celle du Plrme. Ces sept Cieux sont, selon eux, de nature intelligente : ce sont desAnges, enseignent-ils. Le Dmiurge lui aussi est un Ange, mais semblable un Dieu. De mme le Paradis,situ au-dessus du troisime Ciel, est, disent-ils, le quatrime Archange par sa puissance, et Adam reutquelque chose de lui, lorsqu'il y sjourna.Toutes ces crations, assurent-ils, le Dmiurge s'imagina qu'il les produisait de lui-mme, mais en ralit ilne faisait que raliser les productions d'Achamoth. Il fit un ciel sans connatre de Ciel, modela un hommesans connatre l'Homme, fit apparatre une terre sans connatre la Terre, et ainsi pour toutes choses : ilignora, disent-ils, les modles des tres qu'il faisait. Il ignora jusqu' la Mre elle-mme : il s'imagina tretout lui seul. La cause d'une telle prsomption de sa part fut, disent-ils, la Mre, qui dcida de leproduire comme Tte et Principe de sa substance lui et comme Seigneur de toute l'uvre de fabrication.Cette Mre, ils l'appellent aussi Ogdoade, Sagesse, Terre, Jrusalem, Esprit Saint, ainsi que Seigneur aumasculin. Elle occupe le lieu de l'Intermdiaire : elle est au-dessus du Dmiurge, mais au-dessous et endehors du Plrme, du moins jusqu' la consommation finale.La substance hylique est donc, selon eux, issue de trois passions : crainte, tristesse et angoisse. En premierlieu, de la crainte et de la conversion sont issus les tres psychiques : de la conversion, prtendent-ils, leDmiurge tire son origine, tandis que de la crainte provient le reste de la substance psychique, savoir lesmes des animaux sans raison, des btes fauves et des hommes. C'est pour ce motif que le Dmiurge, tropfaible pour connatre ce qui est pneumatique, se crut seul Dieu et dit par la bouche des prophtes : C'estmoi qui suis Dieu, et en dehors de moi il n'en est point d'autre. En deuxime lieu, de la tristesse sontissus, enseignent-ils, les esprits du mal : c'est d'elle que tirent leur origine le Diable, qu'ils appellentaussi Matre du monde, les dmons et toute la substance pneumatique du mal. Mais, disent-ils, tandis quele Dmiurge est le fils psychique de leur Mre, le Matre du monde est la crature du Dmiurge;nanmoins ce Matre du monde connat ce qui est au-dessus de lui, parce qu'il est un esprit du mal,tandis que le Dmiurge l'ignore, tant de nature psychique. Leur Mre rside dans le lieu supra-cleste,c'est--dire dans l'Intermdiaire ; le Dmiurge rside dans le lieu cleste, c'est--dire dans l'Hebdomade ;quant au Matre du monde, il habite dans notre monde. En troisime lieu, du saisissement et de l'angoissesont issus, comme de ce qu'il y avait de plus pesant, les lments corporels du monde, ainsi que nousl'avons dj dit : la fixit du saisissement a donn la terre ; le mouvement de la crainte a donn l'eau ; lacoagulation de la tristesse a donn l'air ; quant au feu, il est implant dans tous ces lments comme leurmort et leur corruption, de mme que l'ignorance, enseignent-ils, se trouvait cache dans les trois passions.

    Gense de l'homme

    Lorsque le Dmiurge eut ainsi fabriqu le monde, il fit aussi l'homme choque, qu'il tira, non de cette terresche, mais de la substance invisible, de la fluidit et de l'inconsistance de la matire. Dans cet homme,dclarent-ils, il insuffla ensuite l'homme psychique. Tel est l'homme qui fut fait selon l'image et laressemblance . Selon l'image d'abord : c'est l'homme hylique, proche de Dieu, mais sans lui treconsubstantiel. Selon la ressemblance ensuite : c'est l'homme psychique. De l vient que la substance dece dernier est appele esprit de vie car elle provient d'un coulement spirituel. Puis, en dernier lieu,disent-ils, l'homme fut envelopp de la tunique de peau : les en croire, ce serait l'lment charnel

    Saint Irenee de Lyon - Livre 1 http://livres-mystiques.com/partieTEXTES/StIrenee/livre1.html

    7 sur 38 22/11/2014 12:30

  • perceptible par les sens.Quant l'enfantement qu'avait produit leur Mre, c'est--dire Achamoth, en contemplant les Anges quientouraient le Sauveur, il tait consubstantiel celle-ci, donc pneumatique : c'est pourquoi il resta,disent-ils, lui aussi, ignor du Dmiurge. Il fut dpos secrtement dans le Dmiurge, l'insu de celui-ci,afin d'tre sem par son entremise dans l'me qui proviendrait de lui, ainsi que dans le corps hylique : ainsiport dans ces lments comme dans une sorte de sein, il pourrait y prendre de la croissance et devenirprt pour la rception du Logos parfait. Ainsi donc, comme ils disent, le Dmiurge n'aperut pas l'hommepneumatique sem par Sagesse l'intrieur mme de son souffle lui par l'effet d'une puissance et d'uneprovidence inexprimables. Comme il avait ignor la Mre, il ignora la semence de celle-ci. Cette semence,disent-ils encore, c'est l'Eglise, figure de l'Eglise d'en haut. Tel est l'homme qu'ils prtendent exister eneux, de sorte qu'ils tiennent leur me du Dmiurge, leur corps du limon, leur enveloppe charnelle de lamatire et leur homme pneumatique de leur Mre Achamoth.

    Mission du Sauveur dans le monde

    Il existe donc, disent-ils, trois lments : l'un, hylique, qu'ils appellent aussi de gauche , prirainluctablement, incapable qu'il est de recevoir aucun souffle d'incorruptibilit ; l'autre, psychique, qu'ilsnomment aussi de droite , tenant le milieu entre le pneumatique et l'hylique, ira du ct o il aurapench ; quant l'lment pneumatique, il a t envoy afin que, conjoint ici-bas au psychique, il soit form , tant instruit en mme temps que ce psychique durant son sjour en lui. C'est cet lmentpneumatique, prtendent-ils, qui est le sel et la lumire du monde . Il fallait aussi, en effet, pourl'lment psychique, des enseignements sensibles. C'est pour cette raison, disent-ils, que le monde a tconstitu et que, d'autre part, le Sauveur est venu en aide ce psychique, puisque celui-ci est dou delibre arbitre, afin de le sauver. Car il a pris, disent-ils, les prmices de ce qu'il devait sauver : d'Achamoth,il a reu l'lment pneumatique ; par le Dmiurge, il a t revtu du Christ psychique ; enfin, du fait de l'conomie , il s'est vu entourer d'un corps ayant une substance psychique, mais organis avec un artinexprimable de manire tre visible, palpable et passible ; quant la substance hylique, il n'en a pas prisla moindre parcelle, disent-ils, car la matire n'est pas capable de salut. La consommation finale aura lieulorsqu'aura t form et rendu parfait par la gnose tout l'lment pneumatique, c'est--dire les hommespneumatiques, ceux qui possdent la gnose parfaite concernant Dieu et ont t initis aux mystresd'Achamoth : ces hommes-l, ce sont eux-mmes, assurent-ils.Par contre, ce sont des enseignements psychiques qu'ont reus les hommes psychiques, ceux qui sontaffermis par le moyen des uvres et de la foi nue et qui n'ont pas la gnose parfaite : ces hommes-l,disent-ils, ce sont ceux qui appartiennent l'glise, c'est--dire nous. C'est pourquoi, dclarent-ils, unebonne conduite est pour nous indispensable : sans quoi, point de possibilit de salut. Quant eux, ce n'estpas par les uvres, mais du fait de leur nature pneumatique, qu'ils seront absolument et de toute faonsauvs. De mme que l'lment choque ne peut avoir part au salut car il n'a pas en lui, disent-ils, lacapacit rceptive de ce salut , de mme l'lment pneumatique, qu'ils prtendent constituer, ne peutabsolument pas subir la corruption, quelles que soient les uvres en lesquelles ils se trouvent impliqus.Comme l'or, dpos dans la fange, ne perd pas son clat mais garde sa nature, la fange tant incapable denuire en rien l'or, ainsi eux-mmes, disent-ils, quelles que soient les uvres hyliques o ils se trouventmls, n'en prouvent aucun dommage et ne perdent pas leur substance pneumatique.Aussi bien les plus parfaits d'entre eux commettent-ils impudemment toutes les actions dfendues,celles dont les Ecritures affirment que ceux qui les font ne possderont point l'hritage du royaume deDieu . Ils mangent sans discernement les viandes offertes aux idoles, estimant n'tre aucunement souillspar elles. Ils sont les premiers se mler toutes les rjouissances auxquelles donnent lieu les ftespaennes clbres en l'honneur des idoles. Certains d'entre eux ne s'abstiennent pas mme des spectaclessanguinaires, en horreur Dieu et aux hommes, o des gladiateurs luttent contre des btes ou combattententre eux. Il en est qui, se faisant jusqu' la satit les esclaves des plaisirs charnels, paient, comme ilsdisent, le tribut du charnel ce qui est charnel et le tribut du pneumatique ce qui est pneumatique. Lesuns ont secrtement commerce avec les femmes qu'ils endoctrinent, comme l'ont frquemment avou,avec leurs autres erreurs, des femmes sduites par certains d'entre eux et revenues ensuite l'Eglise deDieu. D'autres, procdant ouvertement et sans la moindre pudeur, ont arrach leurs maris, pour se lesunir en mariage, les femmes dont ils s'taient pris. D'autres encore, aprs des dbuts pleins de gravit, oils feignaient d'habiter avec des femmes comme avec des surs, ont vu, avec le temps, leur fraude

    Saint Irenee de Lyon - Livre 1 http://livres-mystiques.com/partieTEXTES/StIrenee/livre1.html

    8 sur 38 22/11/2014 12:30

  • vente, la sur tant devenue enceinte par le fait de son prtendu frre.Et alors qu'ils commettent beaucoup d'autres infamies et impits, nous, qui par crainte de Dieu nousgardons de pcher mme en pense ou en parole, nous nous voyons traiter par eux de gens simples et quine savent rien, cependant qu'ils s'exaltent eux-mmes au del de toute mesure, se dcernant les titres de parfaits et de semence d'lection . Nous, les en croire, nous n'avons reu la grce que pour unsimple usage : c'est pourquoi elle nous sera te. Mais eux, c'est en toute proprit qu'ils possdent cettegrce qui est descendue d'en haut, de l'ineffable et innommable syzygie : aussi leur sera-t-elle ajoute.Telle est la raison pour laquelle ils doivent sans cesse et de toute manire s'exercer au mystre de lasyzygie. Et voici ce qu'ils font croire aux insenss, en leur disant en propres termes : Quiconque est"dans le monde", s'il n'a pas aim une femme de manire s'unir elle, n'est pas "de la Vrit" et nepassera pas dans la Vrit ; mais celui qui est "du monde", s'il s'est uni une femme, ne passera pasdavantage dans la Vrit, parce que c'est dans la concupiscence qu'il s'est uni cette femme. Pour nousdonc, qu'ils appellent psychiques et qu'ils disent tre du monde, la continence et les uvres bonnessont ncessaires afin que nous puissions, grce elles, parvenir au lieu de l'Intermdiaire ; mais pour eux,qui se nomment pneumatiques et parfaits , il n'en est pas question, car ce ne sont pas les uvres quiintroduisent dans le Plrme, mais la semence, qui, envoye de l-haut toute petite, se perfectionneici-bas.

    Sort final des trois substances et prcisions diverses

    Lors donc que toute la semence aura atteint sa perfection, Achamoth leur Mre quittera, disent-ils, le lieude l'Intermdiaire et fera son entre dans le Plrme; elle recevra alors pour poux le Sauveur issu de tousles Eons, de sorte qu'il y aura syzygie du Sauveur et de Sagesse-Achamoth. Ce sont l l' Epoux et l'Epouse, et la chambre nuptiale sera le Plrme tout entier. Quant aux pneumatiques, ils se dpouillerontde leurs mes et, devenus esprits de pure intelligence, ils entreront de faon insaisissable et invisible l'intrieur du Plrme, pour y tre donns titre d'pouses aux Anges qui entourent le Sauveur. LeDmiurge changera de lieu, lui aussi : il passera dans celui de sa Mre Sagesse, c'est--dire dansl'Intermdiaire. Les mes des justes , elles aussi, auront leur repos dans le lieu de l'Intermdiaire, carrien de psychique n'ira l'intrieur du Plrme. Cela fait, le feu qui est cach dans le monde jaillira,s'enflammera et, dtruisant toute la matire, sera consum avec elle et s'en ira au nant. Le Dmiurge,assurent-ils, n'a rien su de tout cela avant la venue du Sauveur.Il en est qui disent que le Dmiurge a mis galement un Christ en qualit de fils, mais un Christ psychiquecomme lui ; c'est de ce Christ qu'il a parl par les prophtes ; c'est lui qui est pass travers Marie, commede l'eau travers un tube, et c'est sur lui que, lors du baptme, est descendu sous forme de colombe leSauveur appartenant au Plrme et issu de tous les Eons ; en lui s'est encore trouve la semencepneumatique issue d'Achamoth. C'est ainsi que, les en croire, notre Seigneur a t compos de quatrelments, conservant ainsi la figure de la fondamentale et primitive Ttrade : l'lment pneumatique,venant d'Achamoth; l'lment psychique, venant du Dmiurge; l'lment de l' conomie, organis avecun art inexprimable ; le Sauveur enfin, c'est--dire la colombe qui descendit sur lui. Ce Sauveur estdemeur impassible : il ne pouvait en effet souffrir, tant insaisissable et invisible. C'est pourquoi, tandisque le Christ tait amen Pilate, son Esprit, qui avait t dpos en lui, lui fut enlev. Il y a plus : mmela semence provenant de la Mre n'a pas souffert, disent-ils, car elle aussi tait impassible, en tant quepneumatique et invisible au Dmiurge lui-mme. N'a donc souffert, en fin de compte, que leur prtenduChrist psychique et celui qui fut constitu par l' conomie : ce double lment a souffert en mystre ,afin que, travers lui, la Mre manifestt la figure du Christ d'en haut, qui s'tendit sur la Croix et quiforma Achamoth d'une formation selon la substance. Car, disent-ils, toutes les choses d'ici-bas sont lesfigures de celles de l-haut.Les mes qui possdaient la semence venant d'Achamoth taient, disent-ils, meilleures que les autres :c'est pourquoi le Dmiurge les aimait davantage, ne sachant pas la raison de cette supriorit, maiss'imaginant qu'elles taient telles grce lui. Aussi les mettait-il au rang des prophtes, des prtres et desrois. Et beaucoup de paroles, expliquent-ils, furent dites par cette semence parlant par l'organe desprophtes, car elle tait d'une nature plus leve. Mais la Mre elle aussi en dit un grand nombre,prtendent-ils, concernant les choses d'en haut, et mme il en est beaucoup qui vinrent par le Dmiurge etpar les mes que fit celui-ci. C'est ainsi qu'en fin de compte ils dcoupent les prophties, affirmant qu'unepartie d'entre elles mane de la Mre, une autre, de la semence, une autre enfin, du Dmiurge. De mme

    Saint Irenee de Lyon - Livre 1 http://livres-mystiques.com/partieTEXTES/StIrenee/livre1.html

    9 sur 38 22/11/2014 12:30

  • encore pour Jsus : certaines paroles de lui viendraient du Sauveur, d'autres, de la Mre, d'autres enfin, duDmiurge, comme nous le montrerons dans la suite de notre expos.Le Dmiurge, qui ignorait les ralits situes au-dessus de lui, tait bien remu par les paroles en question; cependant il n'en fit aucun cas, leur attribuant tantt une cause, tantt une autre, soit l'esprit prophtique,qui a lui aussi son propre mouvement, soit l'homme, soit un mlange d'lments infrieurs. Il demeura danscette ignorance jusqu' la venue du Sauveur. Lorsque vint le Sauveur, le Dmiurge, disent-ils, apprit de luitoutes choses et, tout joyeux, se rallia lui avec toute son arme. C'est lui le centurion de l'Evangile quidclare au Sauveur : Et moi aussi, j'ai sous mon pouvoir des soldats et des serviteurs ; et tout ce que jecommande, ils le font. Il accomplira l' conomie qui concerne le monde, jusqu'au temps requis, cause surtout de l'Eglise dont il a la charge, mais aussi cause de la connaissance qu'il a de la rcompensequi lui est prpare, savoir son futur transfert dans le lieu de la Mre.Ils posent comme fondement trois races d'hommes : pneumatique, psychique et choque, selon ce quefurent Can, Abel et Seth : car, partir de ces derniers, ils veulent tablir l'existence des trois natures, nonplus dans un seul individu, mais dans l'ensemble de la race humaine. L'lment choque ira la corruption.L'lment psychique, s'il choisit le meilleur, aura son repos dans le lieu de l'Intermdiaire; mais, s'il choisitle pire, il ira retrouver, lui aussi, ce quoi il se sera rendu semblable. Quant aux lments pneumatiquesque sme Achamoth depuis l'origine jusqu' maintenant dans des mes justes, aprs avoir t instruits etnourris ici-bas car c'est tout petits qu'ils sont envoys et aprs avoir t ensuite jugs dignes de laperfection, ils seront donns titre d'pouses, affirment-ils, aux Anges du Sauveur, cependant que leursmes iront de toute ncessit, dans l'Intermdiaire, prendre leur repos avec le Dmiurge, ternellement.Les mes elles-mmes, disent-ils, se subdivisent en deux catgories : celles qui sont bonnes par nature etcelles qui sont mauvaises par nature. Les mes bonnes sont celles qui ont une capacit rceptive parrapport la semence ; au contraire, celles qui sont mauvaises par nature ne peuvent en aucune faonrecevoir cette semence.

    Exgses gnostiques.

    Telle est leur doctrine, que ni les prophtes n'ont prche, ni le Seigneur n'a enseigne, ni les aptres n'onttransmise, et dont ils se vantent d'avoir reu la connaissance plus excellemment que tous les autreshommes. Tout en allguant des textes trangers aux Ecritures et tout en s'employant, comme on dit, tresser des cordes avec du sable, ils ne s'en efforcent pas moins d'accommoder leurs dires, d'une manireplausible, tantt des paraboles du Seigneur, tantt des oracles de prophtes, tantt des paroles d'aptres,afin que leur fiction ne paraisse pas dpourvue de tmoignage. Ils bouleversent l'ordonnance etl'enchanement des Ecritures et, autant qu'il dpend d'eux, ils disloquent les membres de la vrit. Ilstransfrent et transforment, et, en faisant une chose d'une autre, ils sduisent nombre d'hommes par lefantme inconsistant qui rsulte des paroles du Seigneur ainsi accommodes. Il en est comme del'authentique portrait d'un roi qu'aurait ralis avec grand soin un habile artiste au moyen d'une richemosaque. Pour effacer les traits de l'homme, quelqu'un bouleverse alors l'agencement des pierres, defaon faire apparatre l'image, maladroitement dessine, d'un chien ou d'un renard. Puis il dclarepremptoirement que c'est l l'authentique portrait du roi effectu par l'habile artiste. Il montre les pierres celles-l mmes que le premier artiste avait adroitement disposes pour dessiner les traits du roi, maisque le second vient de transformer vilainement en l'image d'un chien , et, par l'clat de ces pierres, ilparvient tromper les simples, c'est--dire ceux qui ignorent les traits du roi, et les persuader que cettedtestable image de renard est l'authentique portrait du roi. C'est exactement de la mme faon que cesgens-l, aprs avoir cousu ensemble des contes de vieilles femmes, arrachent ensuite de-ci de-l destextes, des sentences, des paraboles, et prtendent accommoder leurs fables les paroles de Dieu. Nousavons relev dj les passages scripturaires qu'ils accommodent aux vnements survenus dans lePlrme.Voici maintenant les textes qu'ils tentent d'appliquer aux vnements survenus hors du Plrme. LeSeigneur, disent-ils, vint sa Passion dans les derniers temps du monde pour montrer la passion survenuedans le dernier des Eons et pour faire connatre, par sa fin lui, quelle fut la fin de la production des Eons.La fillette de douze ans, fille du chef de la synagogue, que le Seigneur, debout prs d'elle, veilla d'entreles morts, tait, expliquent-ils, la figure d'Achamoth, que leur Christ, tendu au-dessus d'elle, forma etamena la conscience de la Lumire qui l'avait abandonne. Que le Sauveur soit apparu Achamothtandis qu'elle tait hors du Plrme et encore l'tat d'avorton, Paul, disent-ils, l'affirme dans sa premire

    Saint Irenee de Lyon - Livre 1 http://livres-mystiques.com/partieTEXTES/StIrenee/livre1.html

    10 sur 38 22/11/2014 12:30

  • ptre aux Corinthiens par ces mots : En tout dernier lieu, il s'est montr moi aussi, comme l'avorton. Cette venue vers Achamoth du Sauveur escort de ses compagnons d'ge est pareillement rvle parPaul dans cette mme ptre, lorsqu'il dit que la femme doit avoir un voile sur la tte cause des Anges. Et que, au moment o le Sauveur venait vers elle, Achamoth se soit couverte d'un voile par rvrence,Mose l'a fait connatre en se couvrant la face d'un voile. Quant aux passions subies par Achamoth, leSeigneur, assurent-ils, les a manifestes. Ainsi, en disant sur la croix : Mon Dieu, mon Dieu, pourquoim'as-tu abandonn ?, il a fait connatre que Sagesse avait t abandonne par la Lumire et arrte parLimite dans son lan vers l'avant ; il a fait connatre la tristesse de cette mme Sagesse, en disant : Monme est accable de tristesse ; sa crainte, en disant : Pre, si c'est possible, que la coupe passe loin demoi ! ; son angoisse, de mme, en disant : Que dirai-je? Je ne le sais .Le Seigneur, enseignent-ils, a fait connatre trois races d'hommes de la manire suivante. Il a indiqu larace hylique, lorsque, celui qui lui disait : Je te suivrai, il rpondait : Le Fils de l'homme n'a pas oreposer sa tte. Il a dsign la race psychique, lorsque, celui qui lui disait : Je te suivrai, maispermets-moi d'aller d'abord faire mes adieux ceux de ma maison , il rpondait : Quiconque, ayant misla main la charrue, regarde en arrire n'est pas propre au royaume des cieux. Cet homme,prtendent-ils, tait de l'Intermdiaire. De mme celui qui confessait avoir accompli les multiples devoirsde la justice, mais qui refusa ensuite de suivre le Sauveur, vaincu par une richesse qui l'empcha dedevenir parfait, celui-l aussi, disent-ils, faisait partie de la race psychique. Quant la racepneumatique, le Seigneur l'a signifie par ces paroles : Laisse les morts ensevelir leurs morts ; pour toi,va et annonce le royaume de Dieu, ainsi que par ces mots adresss Zache le publicain : Hte-toi dedescendre, car il faut que je loge aujourd'hui dans ta maison. Ces hommes, proclament-ils, appartenaient la race pneumatique. Mme la parabole du ferment qu'une femme est dite avoir cach dans troismesures de farine dsigne, selon eux, les trois races : la femme, enseignent-ils, c'est Sagesse; les troismesures de farine sont les trois races d'hommes, pneumatique, psychique et choque; quant au ferment,c'est le Sauveur lui-mme. Paul, lui aussi, parle en termes prcis de choques, de psychiques et depneumatiques. Il dit quelque part : Tel fut le choque, tels sont aussi les choques. Et ailleurs : L'homme psychique ne reoit pas les choses de l'Esprit. Et ailleurs encore : Le pneumatique juge detout. La phrase Le psychique ne reoit pas les choses de l'Esprit vise, d'aprs eux, le Dmiurge,lequel, tant psychique, ne connat ni la Mre, qui est pneumatique, ni la semence de celle-ci, ni les Bonsdu Plrme. Paul affirme encore que le Sauveur a assum les prmices de ce qu'il allait sauver : Si lesprmices sont saintes, dit-il, la pte l'est aussi . Les prmices, enseignent-ils, c'est l'lment pneumatique ;la pte, c'est nous, c'est--dire l'Eglise psychique ; cette pte, disent-ils, le Sauveur l'a assume et l'asouleve avec lui, car il tait le ferment.Qu'Achamoth se soit gare hors du Plrme, ait t forme par le Christ et cherche par le Sauveur, c'est,disent-ils, ce que celui-ci a signifi en dclarant qu'il tait venu vers la brebis gare. Cette brebis gare,expliquent-ils? c'est leur Mre, de laquelle ils veulent qu'ait t seme l'Eglise d'ici-bas ; l'garement decette brebis, c'est son sjour hors du Plrme, au sein de toutes les passions d'o ils prtendent qu'estsortie la matire. Quant la femme qui balaie sa maison et retrouve sa drachme, c'est, expliquent-ils, laSagesse d'en haut, qui a perdu son Enthymsis, mais qui, plus tard, lorsque toutes choses auront tpurifies par la venue du Sauveur, la retrouvera : car, les en croire, cette Enthymsis doit tre rtablie unjour l'intrieur du Plrme. Simon, qui reut dans ses bras le Christ et rendit grces Dieu en disant : Maintenant tu laisses ton serviteur s'en aller, Matre, selon ta parole, dans la paix, est, selon eux, lafigure du Dmiurge, qui, la venue du Sauveur, apprit son changement de lieu et rendit grces l'Abme.Quant Anne la prophtesse, qui est prsente dans l'vangile comme ayant vcu sept annes avec sonmari et ayant persvr tout le reste du temps dans son veuvage, jusqu'au moment o elle vit le Sauveur,le reconnut et parla de lui tout le monde, elle signifie manifestement Achamoth, qui, aprs avoir vu jadisdurant un bref moment le Sauveur avec ses compagnons d'ge, demeure ensuite tout le reste du tempsdans l'Intermdiaire, attendant qu'il revienne et l'tablisse dans sa syzygie. Son nom a t indiqu par leSauveur en cette parole : La Sagesse a t justifie par ses enfants, et par Paul en ces termes : Nousparlons de Sagesse parmi les parfaits. De mme encore, les syzygies existant l'intrieur du Plrme,Paul les aurait fait connatre en manifestant l'une d'entre elles ; parlant en effet du mariage d'ici-bas, il dit : Ce mystre est grand : je veux dire, en rfrence au Christ et l'Eglise. Ils enseignent encore que Jean, le disciple du Seigneur, a fait connatre la premire Ogdoade. Voici leurspropres paroles. Jean, le disciple du Seigneur, voulant exposer la gense de toutes choses, c'est--dire

    Saint Irenee de Lyon - Livre 1 http://livres-mystiques.com/partieTEXTES/StIrenee/livre1.html

    11 sur 38 22/11/2014 12:30

  • la faon dont le Pre a mis toutes choses, pose la base un certain Principe, qui est le premier engendrde Dieu, celui qu'il appelle encore Fils et Dieu Monogne et en qui le Pre a mis toutes choses de faonsminale. Par ce Principe, dit Jean, a t mis le Logos et, en lui, la substance entire des Eons, que leLogos a lui-mme forme par la suite. Puisque Jean parle de la premire gense, c'est juste titre qu'ilcommence son enseignement par le Principe ou Fils et par le Logos. Il s'exprime ainsi : Dans le Principetait le Logos, et le Logos tait tourn vers Dieu, et le Logos tait Dieu ; ce Logos tait dans le Principe,tourn vers Dieu. D'abord il distingue trois ternies : Dieu, le Principe et le Logos ; ensuite il les unit.C'est afin de montrer, d'une part, l'mission de chacun des deux termes, savoir le Fils et le Logos ; del'autre, l'unit qu'ils ont entre eux en mme temps qu'avec le Pre. Car dans le Pre et venant du Pre estle Principe ; dans le Principe et venant du Principe est le Logos. Jean s'est donc parfaitement exprimlorsqu'il a dit : Dans le Principe tait le Logos : le Logos tait en effet dans le Fils. Et le Logos taittourn vers Dieu : le Principe l'tait en effet, lui aussi. Et le Logos tait Dieu : simple consquence,puisque ce qui est n de Dieu est Dieu. Ce Logos tait dans le Principe, tourn vers Dieu : cette phraservle l'ordre de l'mission. Toutes choses ont t faites par son entremise, et sans lui rien n'a t fait :en effet, pour tous les Eons qui sont venus aprs lui, le Logos a t cause de formation et de naissance.Mais Jean poursuit : Ce qui a t fait en lui est la Vie. Par l, il indique une syzygie. Car toutes choses,dit-il, ont t faites par son entremise seulement, mais la Vie l'a t en lui. Celle-ci, qui a t faite en lui,lui est donc plus intime que ce qui n'a t fait que par son entremise : elle lui est unie et fructifie grce lui. Jean ajoute en effet : Et la Vie tait la Lumire des Hommes . Ici, en disant Hommes, il indique,sous ce mme nom, l'Eglise, afin de bien montrer, par l'emploi d'un seul nom, la communion de syzygie :car de Logos et Vie proviennent Homme et glise. Jean appelle la Vie la Lumire des Hommes , parceque ceux-ci ont t illumins par elle, autrement dit forms et manifests. C'est aussi ce que dit Paul : Tout ce qui est manifest est Lumire. Puis donc que la Vie a manifest et engendr l'Homme et l'glise,elle est appele leur Lumire. Ainsi, par ces paroles, Jean a clairement montr, entre autres choses, ladeuxime Ttrade : Logos et Vie, Homme et glise. Mais il a indiqu aussi la premire Ttrade. Car,parlant du Sauveur et disant que tout ce qui est hors du Plrme a t form par lui, il dit du mme coupque ce Sauveur est le fruit de tout le Plrme. Il l'appelle en effet la Lumire, celle qui brille dans lestnbres et qui n'a pas t saisie par elles, parce que, tout en harmonisant tous les produits de la passion, ilest rest ignor de ceux-ci. Ce Sauveur, Jean l'appelle encore Fils, Vrit, Vie, Logos qui s'est fait chair :nous avons vu sa gloire, dit-il, et sa gloire tait telle qu'tait celle du Monogne, celle qui avait t donnepar le Pre celui-ci, remplie de Grce et de Vrit. Voici les paroles de Jean : Et le Logos s'est faitchair, et il a habit parmi nous, et nous avons vu sa gloire, gloire comme celle que le Monogne tient duPre, remplie de Grce et de Vrit. C'est donc avec exactitude que Jean a indiqu aussi la premireTtrade : Pre et Grce, Monogne et Vrit. C'est ainsi qu'il a parl de la premire Ogdoade, Mre detous les Eons : il a nomm le Pre et la Grce, le Monogne et la Vrit, le Logos et la Vie, l'Homme etl'glise. Ainsi s'exprime Ptolme.Tu vois donc, cher ami, quels artifices ils recourent pour se duper eux-mmes, malmenant les critureset s'efforant de donner par elles de la consistance leur fiction. C'est pourquoi j'ai rapport leurs termesmmes, pour que tu puisses constater la fourberie de leurs artifices et la perversit de leurs erreurs. Toutd'abord, en effet, si Jean s'tait propos d'indiquer l'Ogdoade d'en haut, il aurait conserv l'ordre desmissions : la premire Ttrade tant la plus vnrable, comme ils disent, il l'aurait mise en place avec lespremiers noms et lui aurait rattach la seconde Ttrade, afin de faire voir par l'ordre des noms l'ordre desons de l'Ogdoade ; et ce n'est pas aprs un si long moment, comme s'il l'avait oublie et s'en tait ensuiteressouvenu, qu'il aurait, tout la fin, mentionn la premire Ttrade. En second lieu, s'il avait voulusignifier les syzygies, il n'aurait pas pass sous silence le nom de l'Eglise : en effet, ou bien il devait se^contenter, dans les autres syzygies aussi, de nommer les ons masculins, les Eons fminins pouvant tresous-entendus, et cela afin de garder parfaitement l'unit; ou bien, s'il passait en revue les compagnes desautres ons, il devait indiquer aussi la compagne de l'Homme, au lieu de nous laisser deviner son nom.La fausset de leur exgse saute donc aux yeux. En fait, Jean proclame un seul Dieu tout-puissant et unseul Fils unique, le Christ Jsus, par l'entremise de qui tout a t fait ; c'est lui le Verbe de Dieu, lui le Filsunique, lui l'Auteur de toutes choses, lui la vraie Lumire clairant tout homme, lui l'Auteur du cosmos ;c'est lui qui est venu dans son propre domaine, lui-mme qui s'est fait chair et a habit parmi nous. Cesgens-l, au contraire, faussant par leurs arguties captieuses l'exgse du texte, veulent que, selonl'mission, autre soit le Monogne, qu'ils appellent aussi le Principe, autre le Sauveur, autre encore le

    Saint Irenee de Lyon - Livre 1 http://livres-mystiques.com/partieTEXTES/StIrenee/livre1.html

    12 sur 38 22/11/2014 12:30

  • Logos, fils du Monogne, autre enfin le Christ, mis pour le redressement du Plrme. Dtournantchacune des paroles de l'criture de sa vraie signification et usant des noms d'une manire arbitraire, ilsles ont transposs dans le sens de leur systme, telle enseigne que, d'aprs eux, dans un texte aussiconsidrable, Jean n'aurait mme pas fait mention du Seigneur Jsus-Christ. Car, en mentionnant le Preet la Grce, le Monogne et la Vrit, le Logos et la Vie, l'Homme et l'glise, Jean aurait, suivant leursystme, mentionn simplement la premire Ogdoade, en laquelle ne se trouve point encore Jsus, pointencore le Christ, le Matre de Jean. En ralit, ce n'est point de leurs syzygies que parle l'Aptre, mais denotre Seigneur Jsus-Christ, qu'il sait tre le Verbe de Dieu. Et Jean lui-mme nous montre qu'il en estbien ainsi. Revenant en effet Celui dont il a dit plus haut qu'il tait au commencement, c'est--dire auVerbe, il ajoute cette prcision: Et le Verbe s'est fait chair, et il a habit parmi nous. Selon leursystme, au contraire, ce n'est pas le Logos qui s'est fait chair, puisqu'il n'est mme jamais sorti duPlrme, mais bien le Sauveur, qui est issu de tous les ons et est postrieur au Logos.Apprenez donc, insenss, que Jsus, qui a souffert pour nous? qui a habit parmi nous, ce Jsus mme estle Verbe de Dieu. Si quelque autre parmi les ons s'tait fait chair pour notre salut, on pourrait admettreque l'Aptre parle d'un autre ; mais si Celui qui est descendu et remont est le Verbe du Pre, le Filsunique du Dieu unique, incarn pour les hommes selon le bon plaisir du Pre, alors Jean ne parle ni d'unautre ni d'une prtendue Ogdoade, mais bien du Seigneur Jsus-Christ. Car, d'aprs eux, le Logos ne s'estpas proprement parler fait chair : le Sauveur, disent-ils, s'est revtu d'un corps psychique provenant del' conomie et dispos par une providence inexprimable de faon tre visible et palpable. Mais, leurrpondrons-nous, la chair est ce modelage de limon effectu par Dieu en Adam l'origine, et c'est cettechair-l mme que, au dire de Jean, le Verbe de Dieu est en toute vrit devenu. Et par l s'croule leurprimitive et fondamentale Ogdoade. Car, une fois prouv que le Logos, le Monogne, la Vie, la Lumire,le Sauveur, le Christ et le Fils de Dieu sont un seul et mme tre, lequel prcisment s'est incarn pournous, c'en est fait de tout l'chafaudage de leur Ogdoade. Et, celle-ci rduite en miettes, c'est tout leursystme qui s'effondre, ce songe vain pour la dfense duquel ils malmnent les critures.Car, aprs avoir forg de toutes pices leur systme, 9, 4. ils rassemblent ensuite des textes et des nomspars et, comme nous l'avons dj dit, ils les font passer de leur signification naturelle une significationqui leur est trangre. Ils font comme ces auteurs qui se proposent le premier sujet venu, puis s'escriment le traiter avec des vers qu'ils tirent des pomes d'Homre. Les nafs alors s'imaginent qu'Homre acompos des vers sur ce sujet tout nouveau ; beaucoup de gens s'y laissent prendre cause de la suite bienordonne des vers et se demandent si Homre ne serait pas effectivement l'auteur du pome. Voicicomment, avec des vers d'Homre, on a pu dcrire l'envoi d'Hracls par Eurysthe vers le chien del'Hads rien ne nous empche de recourir pareil exemple, puisqu'il s'agit d'une tentative de tout pointidentique dans l'un et l'autre cas : Quel est le naf qui ne se laisserait prendre par ces vers et ne croiraitqu'Homre les a composs tels quels pour traiter ce sujet ? Celui qui est vers dans les rcits homriquespourra reconnatre les vers, il ne reconnatra pas le sujet trait : il sait fort bien que tel de ces vers serapporte Ulysse, tel autre Hracls lui-mme, tel autre Priam, tel autre encore Mnlas et Agamemnon. Et s'il prend ces vers pour restituer chacun d'eux son livre originel, il fera disparatre lesujet en question. Ainsi en va-t-il de celui qui garde en soi, sans l'inflchir, la rgle de vrit qu'il a reuepar son baptme : il pourra reconnatre les noms, les phrases et les paraboles provenant des Ecritures, il nereconnatra pas le systme blasphmatoire invent par ces gens-l. Il reconnatra les pierres de lamosaque, mais il ne prendra pas la silhouette du renard pour le portrait du Roi. En replaant chacune desparoles dans son contexte et en l'ajustant au corps de la vrit, il mettra nu leur fiction et en dmontreral'inconsistance.Puisqu' ce vaudeville il ne manque que le dnouement, c'est--dire que quelqu'un mette le point final leur farce en y adjoignant une rfutation en rgle, nous croyons ncessaire de souligner avant toute autrechose les points sur lesquels les pres de cette fable diffrent entre eux, inspirs qu'ils sont par diffrentsesprits d'erreur. Dj par l, en effet, il sera possible de saisir exactement, avant mme que nous n'enfournissions la dmonstration, et la solide vrit proclame par l'glise et le mensonge chafaud par cesgens-l.

    DEUXIEME PARTIE

    UNIT DE LA FOI DE L'GLISE

    Saint Irenee de Lyon - Livre 1 http://livres-mystiques.com/partieTEXTES/StIrenee/livre1.html

    13 sur 38 22/11/2014 12:30

  • ET VARIATIONS DES SYSTMES HRTIQUES1. UNIT DE LA FOI DE L'GLISELes donnes de la foi

    En effet, l'glise, bien que disperse dans le monde entier jusqu'aux extrmits de la terre, ayant reu desaptres et de leurs disciples la foi en un seul Dieu, Pre tout-puissant, qui a fait le ciel et la terre et lamer et tout ce qu'ils contiennent , et en un seul Christ Jsus, le Fils de Dieu, qui s'est incarn pour notresalut, et en l'Esprit Saint, qui a proclam par les prophtes les conomies , la venue, la naissance dusein de la Vierge, la Passion, la rsurrection d'entre les morts et l'enlvement corporel dans les cieux dubien-aim Christ Jsus notre Seigneur et sa parousie du haut des cieux dans la gloire du Pre, pour rcapituler toutes choses et ressusciter toute chair de tout le genre humain, afin que devant le ChristJsus notre Seigneur, notre Dieu, notre Sauveur et notre Roi, selon le bon plaisir du Pre invisible, toutgenou flchisse au ciel, sur la terre et dans les enfers et que toute langue le confesse et qu'il rende surtous un juste jugement, envoyant au feu ternel les esprits du mal et les anges prvaricateurs etapostats, ainsi que les hommes impies, injustes, iniques et blasphmateurs, et accordant au contraire la vie,octroyant l'incorruptibilit et procurant la gloire ternelle aux justes, aux saints, ceux qui auront gardses commandements et qui seront demeurs dans son amour, les uns depuis le dbut, les autres depuis leurconversion : ayant donc reu cette prdication et cette foi, ainsi que nous venons de le dire, l'Eglise,bien que disperse dans le monde entier, les garde avec soin, comme n'habitant qu'une seule maison, elle ycroit d'une manire identique, comme n'ayant qu'une seule me et qu'un mme cur, et elle les prche, lesenseigne et les transmet d'une voix unanime, comme ne possdant qu'une seule bouche.Car, si les langues diffrent travers le monde, le contenu de la Tradition est un et identique. Et ni lesEglises tablies en Germanie n'ont d'autre foi ou d'autre Tradition, ni celles qui sont chez les Ibres, nicelles qui sont chez les Celtes, ni celles de l'Orient, de l'Egypte, de la Libye, ni celles qui sont tablies aucentre du monde; mais, de mme que le soleil, cette crature de Dieu, est un et identique dans le mondeentier, de mme cette lumire qu'est la prdication de la vrit brille partout et illumine tous les hommesqui veulent parvenir la connaissance de la vrit . Et ni le plus puissant en discours parmi les chefsdes glises ne dira autre chose que cela car personne n'est au-dessus du Matre , ni celui qui estfaible en paroles n'amoindrira cette Tradition : car, la foi tant une et identique, ni celui qui peut endisserter abondamment n'a plus, ni celui qui n'en parle que peu n'a moins.

    Les questions thologiques

    Le degr plus ou moins grand de science n'apparat pas dans le fait de changer la doctrine elle-mme etd'imaginer faussement un autre Dieu en dehors de Celui qui est le Crateur, l'Auteur et le Nourricier decet univers, comme s'il ne nous suffisait pas, ou un autre Christ, ou un autre Fils unique. Mais voici enquoi se prouve la science d'un homme : dgager l'exacte signification des paraboles et faire ressortir leuraccord avec la doctrine de vrit; exposer la manire dont s'est ralis le dessein salvifque de Dieu enfaveur de l'humanit ; montrer que Dieu a us de longanimit et devant l'apostasie des anges rebelles etdevant la dsobissance des hommes ; faire connatre pourquoi un seul et mme Dieu a fait des trestemporels et des tres ternels, des tres clestes et des tres terrestres ; comprendre pourquoi ce Dieu,alors qu'il tait invisible, est apparu aux prophtes, et cela non pas sous une seule forme, mais aux unsd'une manire et aux autres d'une autre ; indiquer pourquoi plusieurs Testaments ont t octroys l'humanit et enseigner quel est le caractre propre de chacun d'eux; chercher savoir exactementpourquoi Dieu a enferm toutes choses dans la dsobissance pour faire tous misricorde ; publierdans une action de grces pourquoi le Verbe de Dieu s'est fait chair et a souffert sa Passion ; faireconnatre pourquoi la venue du Fils de Dieu a eu lieu dans les derniers temps, autrement dit pourquoiCelui qui est le Principe n'est apparu qu' la fin ; dployer tout ce qui est contenu dans les Ecritures ausujet de la fin et des ralits venir ; ne pas taire pourquoi, alors qu'elles taient sans esprance, Dieu afait les nations cohritires, concorporelles et coparticipantes des saints ; publier comment cettechair mortelle revtira l'immortalit, et cette chair corruptible, l'incorruptibilit ; proclamer comment celui qui n'tait pas un peuple est devenu un peuple et celle qui n'tait pas aime est devenue aime , etcomment les enfants de la dlaisse sont devenus plus nombreux que les enfants de celle qui avait

    Saint Irenee de Lyon - Livre 1 http://livres-mystiques.com/partieTEXTES/StIrenee/livre1.html

    14 sur 38 22/11/2014 12:30

  • l'poux. C'est propos de ces choses et d'autres semblables que l'Aptre s'est cri : O profondeur de larichesse, de la sagesse et de la science de Dieu ! Que ses jugements sont insondables et ses voiesimpntrables ! Il ne s'agit donc pas d'imaginer faussement au-dessus du Crateur et Dmiurge une Mrede celui-ci et de ces gens-l Mre qui serait l'Enthymsis d'un on gar et d'en venir un tel excsde blasphme, ni d'imaginer derechef au-dessus d'elle un Plrme qui contiendrait tantt trente ons,tantt une tribu innombrable d'ons. Car ainsi s'expriment ces matres vraiment dpourvus de sciencedivine, cependant que toute la vritable glise possde une seule et mme foi travers le monde entier,ainsi que nous l'avons dit.

    2. VARIATIONS DES SYSTMES HRTIQUESDiversit des doctrines professes par les Valentiniens

    Voyons maintenant la doctrine instable de ces gens et comment, ds qu'ils sont deux ou trois, non contentsde ne pouvoir dire les mmes choses propos des mmes objets, ils se contredisent les uns les autres dansla pense comme dans les mots. Le premier d'entre eux, Valentin, empruntant les principes de la secte dite gnostique , les a adapts au caractre propre de son cole. Voici donc de quelle manire il a prcis sonsystme. Il existait une Dyade innommable, dont un terme s'appelle l'Inexprimable et l'autre le Silence. Parla suite, cette Dyade a mis une deuxime Dyade, dont un terme se nomme le Pre et l'autre la Vrit.Cette Ttrade a produit comme fruit le Logos et la Vie, l'Homme et l'glise : et voil l'Ogdoade premire.Du Logos et de la Vie sont manes dix Puissances, comme nous l'avons dj dit; de l'Homme et del'glise sont manes douze autres Puissances, dont l'une, aprs avoir quitt le Plrme et tre tombedans la dchance, a fait le reste de l'uvre de fabrication. Valentin pose deux Limites : l'une, situe entrel'Abme et le restant du Plrme, spare les ons engendrs du Pre inengendr, tandis que l'autre spareleur Mre du Plrme. Le Christ n'a pas t mis par les ons du Plrme : c'est la Mre qui, lorsqu'elles'est trouve hors du Plrme, l'a enfant selon le souvenir qu'elle avait gard des ralits suprieures, noncependant sans une certaine ombre. Comme ce Christ tait masculin, il retrancha de lui-mme cette ombreet remonta dans le Plrme. La Mre alors, abandonne avec l'ombre et vide de la substancepneumatique, mit un autre fils : c'est le Dmiurge, matre tout-puissant de ce qui est au-dessous de lui. Enmme temps que lui fut mis un Archonte de la gauche, dcrte Valentin l'instar des Gnostiques aunom menteur dont nous parlerons plus loin. Quant Jsus, il le fait driver tantt de l'on qui s'est sparde la Mre et s'est runi aux autres, c'est--dire de Theltos, tantt de celui qui est remont au Plrme,c'est--dire du Christ, tantt encore de l'Homme et de l'glise. Quant l'Esprit Saint, il dit qu'il a t mispar la Vrit pour la probation et la fructification des ons : il entre en eux d'une manire invisible et, parlui, les ons fructifient en rejetons de Vrit. Telle est la doctrine de Valentin.Secundus enseigne que la premire Ogdoade comprend une Ttrade de droite et une Ttrade de gauche :l'une est Lumire, l'autre, Tnbres. Quant la Puissance qui s'est spare du Plrme et a subi ladchance, elle ne provient pas des trente ons, mais de leurs fruits.Un autre, qui est chez eux un matre rput, s'tend vers une gnose plus haute et plus gnostique etdcrit la premire Ttrade de la manire suivante : Il existe avant toutes choses un Pro-Principepro-inintelligible, inexprimable et innommable, que j'appelle Unicit. Avec cette Unicit coexiste unePuissance que j'appelle encore Unit. Cette Unit et cette Unicit, tant un, ont mis, sans mettre, unPrincipe de toutes choses, intelligible, inengendr et invisible, Principe que le langage appelle Monade.Avec cette Monade coexiste une Puissance de mme substance qu'elle, que j'appelle encore l'Un. Et cesPuissances, savoir l'Unicit, l'Unit, la Monade et l'Un, ont mis le reste des ons.Ah ! ah ! hlas ! hlas ! Il est bien permis, en vrit, de pousser cette exclamation tragique devant unepareille fabrication de noms, devant l'audace de cet homme apposant impudemment des noms sur sesmensongres inventions. Car en disant : Il existe avant toutes choses un Pro-Principe pro-inintelligibleque j'appelle Unicit , et : Avec cette Unicit coexiste une Puissance que j'appelle encore Unit , ilavoue de la faon la plus claire que toutes ses paroles ne sont qu'une fiction et que lui-mme appose surcette fiction des noms que personne d'autre n'a employs jusque-l. Sans son audace, la vrit n'auraitdonc point encore aujourd'hui de nom, l'en croire ! Mais alors, rien n'empche qu'un autre inventeur,traitant le mme sujet, dfinisse ses termes de la faon suivante : Il existe un certain Pro-Principe royal,pro-dnu-d'intelligibilit, pro-dnu-de-substance et pro-pro-dot-de-rotondit, que j'appelle Citrouille.Avec cette Citrouille coexiste une Puissance que j'appelle encore Supervacuit. Cette Citrouille et cette

    Saint Irenee de Lyon - Livre 1 http://livres-mystiques.com/partieTEXTES/StIrenee/livre1.html

    15 sur 38 22/11/2014 12:30

  • Supervacuit, tant un, ont mis, sans mettre, un Fruit visible de toutes parts, comestible et savoureux,Fruit que le langage appelle Concombre. Avec ce Concombre coexiste une Puissance de mme substancequ'elle, que j'appelle encore Melon. Ces Puissances, savoir Citrouille, Supervacuit, Concombre etMelon, ont mis tout le reste de la multitude des Melons dlirants de Valentin. Car, s'il faut accommoderle langage commun la premire Ttrade et si chacun choisit les noms qu'il veut, qui empcherait de seservir de ces derniers termes, beaucoup plus dignes de crance, passs dans l'usage et connus de tous ?D'autres parmi eux ont encore donn la premire et primitive Ogdoade les noms suivants : d'abord lePro-Principe, ensuite l'Inintelligible, en troisime lieu l'Inexprimable, en quatrime lieu l'Invisible ; duPro-Principe primitif a t mis, en premier et cinquime lieu, le Principe ; de l'Inintelligible a t mis, endeuxime et sixime lieu, l'Incomprhensible ; de l'Inexprimable a t mis, en troisime et septime lieu,l'Innommable ; de l'Invisible a t mis, en quatrime et huitime lieu, l'Inengendr, par qui se complte lapremire Ogdoade. Ces Puissances, ils prtendent qu'elles existent antrieurement l'Abme et au Silence,afin d'apparatre comme des hommes plus parfaits que les parfaits et plus gnostiques que les gnostiques . On pourrait leur dire ajuste titre : Pauvres melons, qui n'tes que de vils sophistes, et nondes hommes ! Car propos de l'Abme lui-mme il existe chez eux diverses opinions : les uns disentqu'ils n'a pas de conjoint, n'tant ni mle ni femelle ni rien du tout ; les autres le disent la fois mle etfemelle, lui attribuant une nature hermaphrodite ; d'autres encore lui adjoignent Silence comme compagne,de faon constituer la premire Syzygie.Les plus savants parmi les gens de l'entourage de Ptolme disent qu'il a deux compagnes, qu'ils appellentaussi ses dispositions , savoir la Pense et la Volont : car, disent-ils, il a d'abord pens mettrequelque chose, et ensuite il l'a voulu. C'est pourquoi de ces deux dispositions ou puissances, savoir laPense et la Volont, mlanges pour ainsi dire l'une l'autre, est rsulte l'mission du couple duMonogne et de la Vrit. Ceux-ci sont sortis comme la rplique et l'image des deux dispositions du Pre,image visible de ses dispositions invisibles. L'Intellect reproduit la Volont, et la Vrit, la Pense. C'estpourquoi l'Eon mle est l'image de la Volont qui est survenue, tandis que l'Eon femelle est l'image de laPense qui n'a pas commenc. Car la Volont est devenue comme la puissance de la Pense : la Pensepensait depuis toujours l'mission, mais elle tait impuissante mettre par elle-mme ce qu'elle pensait ;par contre, lorsque survint la puissance de la Volont, alors, ce qu'elle pensait, elle l'mit.Ces gens-l ne te semblent-ils pas, cher ami, avoir conu en leur esprit le Zeus d'Homre bien plus que leSeigneur de toutes choses ? Car le premier est rong de soucis qui l'empchent de dormir : il se proccupede savoir comment il pourra honorer Achille et faire prir une multitude de Grecs. Au contraire, le second,en mme temps qu'il pense, accomplit cela mme qu'il pense, et, en mme temps qu'il veut, pense celamme qu'il veut : il pense l'instant mme o il veut et veut l'instant mme o il pense, car il est toutentier Pense, tout entier Volont, tout entier Intellect, tout entier Lumire, tout entier il, tout entierOue, tout entier Source de tous les biens.Des gens qui passent pour tre encore plus sages que les prcdents disent que la premire Ogdoade n'apas t mise par degrs, un Eon drivant d'un autre : c'est tout ensemble et d'un seul coup que s'est faitel'mission des six Eons enfants par le Pro-Pre et par sa Pense. Ils affirment cela premptoirement,comme s'ils avaient fait eux-mmes l'accouchement. D'aprs eux, ce n'est plus le Logos et la Vie qui ontmis l'Homme et l'Eglise; c'est l'Homme et l'Eglise qui ont engendr le Logos et la Vie. Ils s'expriment ainsi: quand le Pro-Pre eut la pense d'mettre quelque chose, cela fut appel Pre ; comme ce qui tait ainsimis tait vrai, cela fut nomm Vrit ; quand il voulut se manifester lui-mme, cela fut dit Homme;quand il mit ceux qu'il avait considrs par avance, cela fut nomm Eglise ; l'Homme profra le Logos,qui est le Fils premier-n et qu'accompagn la Vie. Ainsi fut acheve la premire Ogdoade.Ils se querellent beaucoup aussi au sujet du Sauveur. Les uns disent qu'il est issu de tous les Eons : aussiest-il appel Bon plaisir, parce qu'il plut tout le Plrme d'honorer par lui le Pre. D'autres le fontvenir des seuls dix Eons mis par le Logos et la Vie : c'est pourquoi il est appel Logos et Vie, gardant lenom de ses anctres. D'autres le font venir des douze Eons produits par l'Homme et l'Eglise : c'estpourquoi il se proclame lui-mme Fils de l'Homme, comme descendant de cet Homme. D'autres disentqu'il provient du Christ et de l'Esprit Saint, qui avaient t mis pour la consolidation du Plrme : c'estpourquoi il est appel Christ, gardant l'appellation du Pre par qui il a t mis. D'autres encore disent quec'est le Pro-Pre de toutes choses lui-mme, le Pro-Principe, le Pro-Inintelligible, qui s'appelle Homme :ce serait mme l le grand mystre cach, savoir que la Puissance qui est au-dessus de tout et quienveloppe tout s'appelle Homme, et telle serait la raison pour laquelle le Sauveur s'est dit Fils de

    Saint Irenee de Lyon - Livre 1 http://livres-mystiques.com/partieTEXTES/StIrenee/livre1.html

    16 sur 38 22/11/2014 12:30

  • l'Homme .

    Marc le Magicien et ses disciples : pratiques magiques et dbauches

    Un autre des leurs s'est vant d'tre le correcteur du matre. Il porte le nom de Marc. Trs habile enjongleries magiques, il a tromp par elles beaucoup d'hommes et une quantit peu banale de femmes, lesfaisant s'attacher lui comme au gnostique et au parfait par excellence et comme au dtenteur dela Suprme Puissance venue des lieux invisibles et innommables. C'est un vritable prcurseur del'Antchrist, car, mlant les jeux d'Anaxilas aux supercheries de ceux qu'on nomme magiciens, il se faitpasser pour faiseur de miracles aux yeux de ceux qui n'ont jamais eu le sens ou qui l'ont perdu.Feignant d' eucharistier une coupe mle de vin et prolongeant considrablement la parole del'invocation, il fait en sorte que cette coupe apparaisse pourpre ou rouge. On s'imagine alors que la Grcevenue des rgions qui sont au-dessus de toutes choses fait couler son propre sang dans la coupe de Marcen rponse l'invocation de celui-ci, et les assistants brlent du dsir de goter ce breuvage, afin qu'eneux aussi se rpande la Grce invoque par ce magicien. Ou bien encore, prsentant une femme unecoupe mle, il lui ordonne de l' eucharistier en sa prsence. Cela fait, il apporte une autre coupebeaucoup plus grande que celle qu'a eucharistie cette gare, puis il vide la coupe plus petite eucharistie par la femme dans la coupe beaucoup plus grande apporte par lui, tout en disant la formulesuivante : Que Celle qui est avant toutes choses, l'incomprhensible et inexprimable Grce, remplisseton Homme intrieur et multiplie en toi sa gnose, en semant le grain de snev dans la bonne terre ! Aprs avoir dit de telles paroles et gar ainsi la malheureuse, il donne une dmonstration de sathaumaturgie en faisant en sorte que la grande coupe soit remplie au moyen de la petite, au point mme dedborder. Par d'autres prodiges semblables il a sduit et entran sa suite beaucoup de monde.Il semble qu'il ait mme un dmon assistant, grce auquel il se donne l'apparence de prophtiser lui-mmeet fait prophtiser les femmes qu'il juge dignes de participer sa Grce. Car c'est surtout de femmes qu'ils'occupe et, parmi elles, des plus lgantes et des plus riches, de celles dont la robe est frange de pourpre.Veut-il attirer quelqu'une d'entre elles, il lui tient ce discours flatteur : Je veux te donner part ma Grce,puisque le Pre de toutes choses voit sans cesse ton Ange devant sa face. Le lieu de la Grandeur est ennous : il faut nous tablir en l'Un. Reois d'abord de moi et par moi la Grce. Tiens-toi prte comme unepouse qui attend son poux, afin que tu sois ce que je suis, et moi, ce que tu es. Installe dans ta chambrenuptiale la semence de la Lumire. Reois de moi l'poux, fais-lui place en toi et trouve place en lui. Voicique la Grce est descendue sur toi : ouvre la bouche et prophtise ! La femme de rpondre alors : Jen'ai jamais prophtis et ne sais pas prophtiser. Mais lui, faisant de nouvelles invocations destines stupfier sa victime, lui dit : Ouvre la bouche et dis n'importe quoi : tu prophtiseras. Et elle, sottementenorgueillie par ces paroles et l'me tout enflamme l'ide qu'elle va prophtiser, sent son cur bondirbeaucoup plus que de raison : elle s'enhardit et se met profrer toutes les niaiseries qui lui viennent lapense, sottement et effrontment, chauffe qu'elle est par un vain esprit. Comme l'a dit un hommesuprieur nous propos des gens de cette sorte : Elle est audacieuse et impudente, l'me qu'chauffune vaine vapeur. A partir de ce moment, cette femme se prend pour une prophtesse. Elle rend grces Marc de ce qu'il lui a communiqu sa Grce. Elle s'applique le rtribuer, non seulement en lui donnantses biens voil l'origine des grandes richesses amasses par cet homme , mais en lui livrant son corps,dsireuse qu'elle est de lui tre unie en tout, afin de descendre avec lui dans l'Un.D'autres femmes, des plus fidles celles-l, qui avaient la crainte de Dieu, ne se laissrent pas tromper. Iltenta bien de les sduire comme les autres, en leur enjoignant de prophtiser ; mais, l'ayant rejet etcouvert de leurs anathmes, elles rompirent tout commerce avec une aussi dtestable compagnie. Ellessavaient pertinemment que le pouvoir de prophtiser n'est pas donn aux hommes par Marc le Magicien,mais que ceux qui Dieu a envoy d'en haut sa grce, ceux-l possdent le don divin de prophtie, et ilsparlent o et quand Dieu le veut, non quand Marc le commande. Car celui qui donne un ordre est plusgrand et plus puissant que celui qui le reoit, puisque le premier fait acte de chef et que le second agit ensubordonn. Si donc Marc ou quelque autre donne des ordres comme ont coutume de le faire dansleurs banquets tous ces gens-l, jouant aux oracles, se donnant mutuellement l'ordre de prophtiser et sefaisant les uns aux autres des prdictions conformes leurs dsirs , alors celui qui commande sera plusgrand et plus puissant que l'Esprit prophtique, bien qu'il ne soit qu'un homme : ce qui est impossible. Lavrit, c'est que les esprits qui reoivent des ordres de ces gens-l et qui parlent quand ces gens-l leveulent sont chtifs et dbiles, encore qu'audacieux et impudents : ils sont envoys par Satan pour sduire

    Saint Irenee de Lyon - Livre 1 http://livres-mystiques.com/partieTEXTES/StIrenee/livre1.html

    17 sur 38 22/11/2014 12:30

  • et pour perdre ceux qui ne gardent pas fermement la foi qu'ils ont reue, au commencement, parl'entremise de l'glise.Ce mme Marc use aussi de philtres et de charmes, sinon avec toutes les femmes, du moins avec certainesd'entre elles, pour pouvoir dshonorer leur corps. Elles-mmes, une fois revenues l'glise de Dieu, ontsouvent avou qu'elles avaient t souilles par lui en leur corps et qu'elles avaient ressenti une violentepassion pour lui. Un diacre, l'un des ntres qui sont en Asie, pour l'avoir reu dans sa maison, tomba dansle malheur que voici : sa femme, qui tait belle, fut corrompue dans son esprit et dans son corps par cemagicien et elle le suivit longtemps ; convertie ensuite grand-peine par les frres, elle passa le reste de savie dans la pnitence, pleurant et se lamentant sur la corruption qu'elle avait subie du fait de ce magicien.Certains de ses disciples, errant a et l dans les mmes parages que lui, ont sduit et corrompu un grandnombre de femmes. Ils se dcernent eux-mmes le titre de parfaits , persuads que personne ne peutgaler la grandeur de leur gnose, non pas mme Paul ou Pierre ou quelque autre aptre. Ils en savent plusque tout le monde ; seuls ils ont bu la grandeur de la connaissance de la Puissance inexprimable. Ils sontdans la hauteur, au-dessus de quelque Puissance que ce soit. Aussi peuvent-ils tout se permettre librementet sans la moindre crainte. Grce la rdemption , en effet, ils deviennent insaisissables et invisiblespour le Juge. S'il arrivait pourtant qu'il les saist, ils se tiendraient devant lui, munis de la rdemption , etdiraient ces mots : O Assistante de Dieu et du mystique Silence antrieur aux Eons, tu es celle par quiles Grandeurs qui voient sans cesse la face du Pre, recourant toi comme un guide et une conductrice,attirent en haut leurs formes. Ces formes, qui ne sont autres que nous-mmes, la Femme la grandeaudace, sous le coup de l'apparition, cause de la bont du Pro-Pre, les a mises en qualit d'images desGrandeurs susdites, car elle avait alors prsentes l'esprit, comme dans un songe, les ralits d'en haut.Voici qu' prsent le Juge est tout proche et que le Hraut m'invite prsenter ma dfense. Toi donc, quiconnais la nature des deux parties, prsente au Juge la justification de nos deux cas qui n'en font qu'un. En entendant ces paroles, la Mre les couvre aussitt du casque homrique d'Hads, pour que, devenusinvisibles, ils puissent chapper au Juge. Sur le champ elle les tire elle, les introduit dans la chambrenuptiale et les donne leurs Epoux.Par des discours et des agissements de cette sorte, ils ont sduit un grand nombre de femmes jusque