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SALON BOIS ENERGIE 2000 Jeudi 30 mars 2000 TEMPETE, BOIS ENERGIE ET EFFET DE SERRE Claude Roy, Directeur de l’Agriculture et des Bioénergies, ADEME Les tempêtes de décembre 1999 sont-elles ou non une conséquence de l’aggravation de l’effet de serre ? Bien que cela ne soit pas l’objet de mon exposé, je souhaitais, en introduction, vous livrer deux chiffres « forestiers » qui illustrent, de mon point de vue, un certain aspect du débat : en un siècle et demi, dans l’est de la France, la croissance annuelle moyenne des hêtres a été multipliée par 2, et celle des sapins par 2,5 ! (effet fertilisant du CO 2 ?), depuis 1868, en Europe Continentale, tous les dégâts importants de tempête sur les forêts ont été répertoriés : - de 1868 à 1950 (82 ans), 4 catastrophes sont intervenues causant 45 Mm 3 de chablis - de 1950 à 1999 (49 ans), 7 catastrophes ont eu lieu causant 355 Mm 3 de chablis. Je laisse ces chiffres à votre appréciation pour revenir, précisément, à ces tempêtes de décembre 1999. On peut, sans aucun doute, les qualifier de millénaires. Leur coût économique et patrimonial est évalué en France à 30 milliards de francs. 500 000 ha ; 200 000 propriétaires auraient été touchés ; 6% du stock ligneux de la forêt française a été abattu (soit de l’ordre de 140 millions de m 3 ). Certes, ce volume exceptionnel de chablis ne constituera pas, globalement, et à moyen terme, un handicap durable pour la production et la productivité globales de la forêt française dans son ensemble qui, comme chacun le sait, était en phase de surcapitalisation de stock sur pied depuis la fin de la guerre. Par contre, dans les régions les plus cruellement touchées (Aquitaine, Lorraine, Limousin par exemple) le « trou de production » résultant des tempêtes restera bien réel, et pour longtemps. Pour l’ensemble des entreprises et acteurs des filières bois régionales concernées, la pérennisation de l’approvisionnement sera donc difficile tant le bois, on le sait bien, est une matière première qui « voyage mal ». Au delà de ces impacts économiques, je veux évoquer également les risques encourus et notamment les incendies et les scolytes qui seront, dès ce printemps, l’une des préoccupations majeures des forestiers. 1

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② depuis 1868, en Europe Continentale, tous les dégâts importants de tempête sur les forêts ont été répertoriés : - de 1868 à 1950 (82 ans), 4 catastrophes sont intervenues causant 45 Mm 3 de chablis - de 1950 à 1999 (49 ans), 7 catastrophes ont eu lieu causant 355 Mm 3 de chablis. Je laisse ces chiffres à votre appréciation pour revenir, précisément, à ces tempêtes de décembre 1999.

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SALON BOIS ENERGIE 2000 Jeudi 30 mars 2000

TEMPETE, BOIS ENERGIE ET EFFET DE SERRE

Claude Roy, Directeur de l’Agriculture et des Bioénergies, ADEME Les tempêtes de décembre 1999 sont-elles ou non une conséquence de l’aggravation de l’effet de serre ? Bien que cela ne soit pas l’objet de mon exposé, je souhaitais, en introduction, vous livrer deux chiffres « forestiers » qui illustrent, de mon point de vue, un certain aspect du débat : ① en un siècle et demi, dans l’est de la France, la croissance annuelle

moyenne des hêtres a été multipliée par 2, et celle des sapins par 2,5 ! (effet fertilisant du CO2 ?),

② depuis 1868, en Europe Continentale, tous les dégâts importants de

tempête sur les forêts ont été répertoriés : - de 1868 à 1950 (82 ans), 4 catastrophes sont intervenues causant

45 Mm3 de chablis - de 1950 à 1999 (49 ans), 7 catastrophes ont eu lieu causant 355 Mm3

de chablis.

Je laisse ces chiffres à votre appréciation pour revenir, précisément, à ces tempêtes de décembre 1999. On peut, sans aucun doute, les qualifier de millénaires. Leur coût économique et patrimonial est évalué en France à 30 milliards de francs. 500 000 ha ; 200 000 propriétaires auraient été touchés ; 6% du stock ligneux de la forêt française a été abattu (soit de l’ordre de 140 millions de m3). Certes, ce volume exceptionnel de chablis ne constituera pas, globalement, et à moyen terme, un handicap durable pour la production et la productivité globales de la forêt française dans son ensemble qui, comme chacun le sait, était en phase de surcapitalisation de stock sur pied depuis la fin de la guerre. Par contre, dans les régions les plus cruellement touchées (Aquitaine, Lorraine, Limousin par exemple) le « trou de production » résultant des tempêtes restera bien réel, et pour longtemps. Pour l’ensemble des entreprises et acteurs des filières bois régionales concernées, la pérennisation de l’approvisionnement sera donc difficile tant le bois, on le sait bien, est une matière première qui « voyage mal ». Au delà de ces impacts économiques, je veux évoquer également les risques encourus et notamment les incendies et les scolytes qui seront, dès ce printemps, l’une des préoccupations majeures des forestiers.

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Il fallait donc agir vite et ce fut bien l’objectif des mesures gouvernementales annoncées le 12 janvier, le 3 février et plus récemment concernant la TVA sur les travaux forestiers. Prêts bonifiés, aides au transport, aides au stockage, et aides au reboisement (pour la suite) ont et auront, on peut l’espérer, l’effet prioritairement recherché sur l’extraction, le stockage, la préservation et la valorisation de grumes commerciales (volume estimé à 50 Mm3) pour l’exploitation desquelles l’ensemble des équipes professionnelles disponibles (environ 10 000 bûcherons) a été mobilisé. Reste, bien entendu, à traiter le cas des « petits bois » (cassés, rémanents…) peu pris en compte à ce jour. Leur volume est évalué à 50 ou 60 Mm3 (sachant que, en outre, 20 à 30 Mm3 dispersés sont considérés comme « non récupérables » dans les circonstances actuelles). Outre les risques sanitaires et d’incendie qu’ils représentent, les petits bois rémanents constituent le premier obstacle au reboisement ultérieur. Rappelons en effet qu’une mise en andins avec brûlage, avant reboisement, représente un surcoût de l’ordre de 6000 à 7000 F/ha. Or, précisément, ces petits bois sont pénalisés par des coûts d’exploitation (environ 120 à 150 F/m3) et de stockage (environ 50 F/m3) élevés, dont la contrepartie en valeur commerciale n’est pas toujours garantie. Ainsi, d’après une étude récente du Cabinet Arthur Andersen, le prix de vente livré, par l’exploitant forestier, de bois de chauffage en rondins de 1m serait de l’ordre de 300 F/m3. Cela veut dire que le prix départ depuis une aire de stockage forestier serait de l’ordre de 200 F/m3, c’est à dire proche du coût d’exploitation et de stockage. Sachant en outre que ces prix de vente avaient été évalués par Arthur Andersen avant la tempête, qu’en sera t-il dans les mois à venir ? Ces prix seront-ils susceptibles de déclencher les opérations d’exploitation – stockage de la part des propriétaires forestiers et des exploitants ? C’est face à ce doute que les industriels de la trituration et les opérateurs de la filière bois énergie ont tenté, avec l’ADEME, de réfléchir à des solutions spécifiques. Il convient ici de rappeler d’abord quelques chiffres :

- L’industrie française de la trituration consomme chaque année 15 millions de tonnes de bois dont 10 millions pour le secteur pâte – papier et 5 millions pour l’industrie des panneaux. Sur ces 15 millions de tonnes, 9 millions de tonnes (soit environ 15 millions de m3) sont approvisionnés en rondins, le reste étant constitué de produits connexes de scierie pour l’essentiel.

- La filière bois énergie française consomme quant à elle environ 40 Mm3

de bois par an dont 25 Mm3 d’origine forestière, 10 Mm3 d’origine rurale ou de récupération, et 5 Mm3 de sous-produits de l’industrie du bois (écorces, sciures, DIB). Le marché domestique (en bûches) représente l’essentiel de ce volume total avec 35 Mm3/an. L’énergie industrielle

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représente 4 Mm3/an. Le chauffage urbain, et tertiaire, en plein développement, représente près de 1 Mm3/an en 1999.

L’enjeu, vis à vis des chablis, est donc d’écouler par des circuits économiques 50 à 60 Mm3 (qui, de fait, s’ajoutent pour partie aux flux annuels d’exploitation « normaux ») vers des marchés qui en absorbent traditionnellement 40 Mm3/an d’origine forestière (trituration 15 Mm3 ; énergie 25 Mm3), sachant en outre qu’un volume important de bois chablis non forestiers (jardins, parcs, haies…) pèsera aussi sur ces marchés. Un tel défi ne peut donc être relevé que dans la durée. Or, si le facteur temps n’est certes pas un handicap majeur pour la filière bois énergie, il l’est de manière certaine pour la filière trituration (qualité de bois à pâte et à panneaux) et vis à vis de la replantation des forêts sinistrées. A ce jour, grâce à l’aide au transport et à l’aide au stockage (ainsi qu’aux prêts bonifiés), la « machine à exploiter et à valoriser les petits bois » se met en route… mais très lentement : risques de perte économique pour les opérateurs, marchés saturés et hésitants, manque de bûcherons (mobilisés pour les grumes) sont autant d’éléments qui freinent le mouvement. Une solution avait été envisagée dès le 10 janvier 2000, mais elle fut écartée depuis du fait de son rapport coût/risque pour l’État. Peut être pourra t-elle être reconsidérée plus tard selon les circonstances ? Il s’agissait d’instituer un fonds de roulement financier bancaire, garanti par l’État, qui aurait permis de pré financer les coûts d’exploitation – stockage de petits bois pour le compte des propriétaires forestiers, préfinancement garanti sur leur revente ultérieure avec bien sûr le risque de perte correspondant ! Cette solution avait l’avantage d’enclencher immédiatement l’exploitation et le recrutement de main d’œuvre en milieu rural (estimé à 20 000 personnes pendant 3 ans) tout en constituant des stocks « mère » de rondins importants directement accessibles aux filières de valorisation, et notamment à celles du bois énergie que je vais évoquer. Pour l’heure, l’objectif visé est d’abord de développer au maximum ces circuits de valorisation et de stockage « fille » à l’aval, tant au niveau de l’industrie de trituration que des filières énergétiques. Je souhaite, à ce stade de mon exposé, et avant de poursuivre, parler rapidement du programme bois énergie lancé par l’ADEME en mai 1999 sur la période 1999 – 2006. Ce programme bénéficie du soutien de l’État et de la plupart des régions, ainsi que des fonds structurels européens. Il est également mis en œuvre en partenariat avec les professionnels de la filière bois, de l’énergie et de la récupération. Il a pour tronc commun la lutte contre l’effet de serre (j’y reviendrai) mais aussi l’économie de carburants fossiles et la création d’emplois en zones rurales. Le bois énergie représente aujourd’hui en France 9 millions de tep, (40 Mm3) soit plus de 10 milliards de FF en valeur énergétique, soit encore

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4,5% de la consommation nationale d’énergie primaire. L’objectif de ce programme consiste, d’ici 2006, à économiser 600 000 tep supplémentaires annuelles (soit 1 million de tonnes de CO2) grâce au bois énergie en : - créant 150 chaufferies bois industrielles et urbaines par an (il en existe environ 1500 dont 400 chaufferies urbaines) et en structurant les approvisionnements de cette filière.

- améliorant l’approvisionnement et la distribution de bois énergie domestique classé et en promouvant la mise sur le marché d’appareils fonctionnels au rendement amélioré. La réalisation d’un tel programme peut encore être facilitée avec la baisse généralisée de TVA obtenue, prévue ou annoncée sur les appareils, le bois énergie, la vente de chaleur et les travaux forestiers. Les tempêtes de décembre 1999 vont, en fait, constituer une occasion unique d’accélérer et d’élargir ce programme. C’est ainsi que, dès le 10 janvier 2000, l’ADEME a commencé à étudier avec ses partenaires un plan d’urgence bois énergie lié aux tempêtes, avec comme objectif d’écouler 4 à 5 Mm3/an de bois de chablis, pendant 3 ans, vers les différentes filières d’utilisation énergétique. Ce plan s’articulera autour de 4 objectifs principaux qui feront l’objet, prochainement, d’une information élargie et détaillée : ① Le développement du stockage de bois en bûche à domicile grâce à la mise en place d’un réseau de distribution adapté. ② La commercialisation d’appareils de chauffage individuel au bois performants et certifiés proposés sur le marché sous forme « clefs en main » avec des conditions de financement possibles par abonnement. ③ Le doublement, dès 2000, du programme évoqué ci-dessus de construction de chaufferies industrielles et urbaines au bois. Ce programme avait permis, avec l’appui des régions et départements, la construction de 40 de ces chaufferies en 1998. 100 projets ont été réalisés en 1999. 200 projets devraient ainsi pouvoir être engagés en 2000. ④ La reconversion totale ou partielle au bois, après broyage, de certaines centrales énergétiques existantes et alimentées, à ce jour, par des combustibles fossiles (et notamment par du charbon). Ce plan ambitieux fait encore l’objet, à ce jour, de négociations avec les multiples partenaires concernés mais nous avons bon espoir qu’il puisse être rapidement lancé, même si les contraintes d’approvisionnement restent bien réelles.

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Pour conclure mon exposé, j’aimerais revenir à l’effet de serre. Je souhaite d’abord rappeler que d’une manière générale les activités agricoles et forestières ont des « bilans carbone » extrêmement positifs : Ainsi :

1 hectare de reboisement intensif implanté sur terrain nu peut stocker 10 tonnes de CO2 par an soit, au terme de la production, environ 200 à 600 tonnes de CO2 dont le rejet dans l’atmosphère aura été évité.

A partir de cette production forestière, environ 50 % du volume produit

sera transformé en bois d’œuvre destiné, pour l’essentiel à la construction et à l’ameublement.

Or, en introduisant 1 m3 de bois transformé supplémentaire dans la filière construction, on contribue :

- à stocker à nouveau, durant 20 à 30 ans en moyenne, 1 tonne de CO2/m3,

- à éviter, en outre, l’émission de environ 0,5 tonne de CO2/m3 en substituant des matériaux plus coûteux en énergie (béton, métal).

Mais, cette production de bois d’œuvre génère, parallèlement, un

volume équivalent de sous produits dont une part importante est recyclée en papier ou en panneaux, eux mêmes agissant comme stock de CO2.

L’autre partie est valorisée sous forme de bois énergie (sous produits connexes) dans plus de 1500 chaufferies industrielles et urbaines dont j’ai parlé précédemment. 1m3 de ces sous produits (écorces, sciures, plaquettes grises, chutes...) ainsi brûlés avec récupération de chaleur permettent, en se substituant à des combustibles fossiles, d’éviter l’émission de 0,3 tonne de CO2/m3.

Si l’on développe ces éléments, en application du plan national de lutte contre l’effet de serre et en prenant en compte :

- un programme de reboisement de 30 000 ha/an - un développement du bois dans la construction de 25% à l’horizon

2010 (charte en cours de signature par les professionnels de la construction)

- le programme bois énergie développé ci-dessus

on aboutit, en 2010, à une économie annuelle supplémentaire d’émissions de C02 de plus de 10 MTC02/an soit 25% environ des engagements pris par la France pour la réduction des émissions de gaz à effet de serre au titre de l’accord de Kyoto.

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Que dire pour conclure : Que le bois, la forêt, l’effet de serre et la prévention des dérèglements climatiques ont partie liée, et que le bois énergie, en particulier, en tant que filière complémentaire au sein de la filière bois, est une composante ancienne certes, mais parée de vertus nouvelles, de ce fameux développement durable où économie, environnement, et développement social se conjuguent. Peut être, dès lors, en rappelant quelques vérités de base, la tempête aura t- elle, finalement, un bilan global positif à terme ? Claude ROY