Sarton - l'Histoire de La Science

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  • 8/17/2019 Sarton - l'Histoire de La Science

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    The History of Science Society

    L'Histoire de la ScienceAuthor(s): George SartonSource: Isis, Vol. 1, No. 1 (1913), pp. 3-46Published by: The University of Chicago Press on behalf of The History of Science SocietyStable URL: http://www.jstor.org/stable/223804Accessed: 18/09/2008 05:29

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    http://www.jstor.org/stable/223804?origin=JSTOR-pdfhttp://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsphttp://www.jstor.org/action/showPublisher?publisherCode=ucpresshttp://www.jstor.org/action/showPublisher?publisherCode=ucpresshttp://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsphttp://www.jstor.org/stable/223804?origin=JSTOR-pdf

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    L'Histoire

    de

    la

    Science.

    La

    revue

    Isis

    a

    l'ambition de reunir

    et

    de soumettre

    a

    la

    critique

    les etudes relativesa l'histoirede la science.pour exposer son but et

    son

    programme,

    il

    sera donc

    n6cessaire et

    il

    suffira

    d'exposer

    le

    but

    et les

    m6thodes

    de cette

    discipline

    nouvelle,

    dont

    elle

    est

    destinee

    a

    devenir

    l'organe.

    Bien

    entendu,

    pour

    ne

    pas

    allonger

    outre mesure

    cette

    introduction,

    je

    devrai

    souvent 6noncer

    des

    propositions

    sans

    pouvoir,

    ni

    les

    demontrer,

    ni

    les

    critiquer,

    mais ce sera

    pr6cisement

    une des

    fonctions

    de

    la

    revue

    nouvelle,

    de

    reprendre

    une

    a

    une,

    pour

    les

    examiner

    d'une maniWre

    pprofondie,

    toutes les

    questions

    que

    j'aurai

    du me borner a

    esquisser

    ici.

    Pour les

    traiter

    avec

    toute l'am-

    pleur

    indispensable,

    et notamment en les illustrant

    d'exemples

    con-

    crcts

    et

    nombreux,

    il

    ne

    suffirait

    pas

    d'un

    article,

    il

    faudrait 6crire un

    volume.

    Je

    dois

    encore

    faire

    observer,

    pour pr6venir

    des

    critiques

    trop

    hatives,

    que

    le

    programme que

    j'expose

    ici

    est

    un

    programme

    ideal,

    que

    la

    revue

    la

    mieux

    equip6e

    ne

    pourrait pretendre

    r6aliser

    du

    pre-

    mier

    coup:

    je

    ne

    promets

    donc

    pas

    que

    mon

    programme

    sera

    realise

    des

    les

    premiers

    num6ros,

    mais

    tous

    mes

    efforts tendront

    A

    ce

    qu'il

    le

    soit

    le

    plus

    rapidement

    et le

    plus completement possible.

    I.

    -

    SCIENCE

    ET

    PHILOSOPHIE.

    Mais avant

    de d6finir

    l'objet

    de nos

    recherches,

    il

    est

    utile

    de

    faire

    sentir

    les besoins

    intellectuels

    auxquels

    elles

    doivent

    donner

    satis-

    faction.

    A

    mesure

    que

    la

    science

    progresse

    et

    que

    son

    domaine

    s'accroit

    inrdefiniment

    n etendue

    et

    en

    profondeur,

    les connaissances

    scienti-

    fiques

    deviennent

    aussi

    plus

    nombreuses

    et

    plus complexes.

    Depuis

    le

    siecle

    passe,

    cette

    complexite

    est

    devenue

    telle,

    que

    la

    sp6cialisa-

  • 8/17/2019 Sarton - l'Histoire de La Science

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    GEORGE SARTON.

    tion

    des savants

    dans

    une

    aire

    de

    plus

    en

    plus

    restreinte,

    est

    apparue

    comme

    la

    condition

    premiere

    d'un

    travailvraiment fructueux

    et d'une

    decouverte originale. La n6cessite mdme de s6parer les difficultes,

    pour

    mieux

    les

    r6soudre,

    a 6t6 la cause

    ininterrompue

    d'une

    division

    du

    travail

    scientifique,

    qui

    semble

    etre arriv6e

    a

    ses

    derniMresimites.

    Que

    cette

    tendance,

    que

    l'on

    peut

    appeler

    la

    tendance

    analytique,

    a

    6te

    extremement

    utile,

    toute

    la

    science

    moderne

    est

    lA

    pour

    en temoi-

    gner;

    toutefois,

    sa

    domination exclusive

    presente

    augsi de

    grands

    inconvenients,

    dont

    on

    n'a

    pu s'apercevoir

    au

    debut,

    mais

    qu'une

    accumulation

    prolongee

    a

    rendus

    trEs

    sensibles. C'est

    qu'en

    offet

    la

    science

    n'a

    pas

    pour

    but

    la

    decouverte

    de faits

    isol6s,

    mais

    la

    coordi-

    nation de ces faits et leur explication r6ciproque.A force de diss&-

    miner

    ses

    efforts,

    la science

    risquerait

    de

    perdre

    de vue son

    objet

    propre;

    les

    connaissances

    scientifiques

    auraient

    beau

    se

    multiplier,

    l'esprit

    scientifique s'appauvrirait.

    Mais

    a

    c6te

    de

    ce

    danger

    d'ordre

    scientifique

    ou

    philosophique,

    des

    tendances

    analytiques

    trop

    exclusives,

    priv6es

    de tout

    contrepoids,

    presenteraient

    un

    danger

    encore

    plus

    grave:

    ce n'est

    pas

    seulement

    la

    science

    qui

    menacerait d'etre

    d6sagr6g6e,

    mais la

    vie

    sociale

    elle-

    mAme. Loin de

    pouvoir

    songer

    A

    unir les

    hommes

    par

    des

    points

    de

    vue

    communs,

    les savants finiraient

    par

    ne

    plus

    se

    comprendre

    eux-

    memes.

    Ce

    rythme

    essentiel

    de

    notre

    pens6e, qui

    nous

    fait ressentir

    plus

    fortement,

    tour

    A

    tour,

    le

    besoin

    d'analyse

    ou

    le

    besoin

    de

    synth6se,

    se retrouve dans la

    conception changeante que

    les

    hommes

    se

    font

    des

    rapports

    entre la

    philosophie

    et

    la

    science:

    il

    y

    correspond

    un

    rythme

    synchroniquequi,

    tour

    a

    tour,

    6carteou

    rapproche

    es

    uns des

    autres,

    les savants et

    les

    philosophes.

    C'est,

    en

    effet,

    ce

    qu'une

    etude

    comparative

    de

    l'histoire

    de

    la science

    et de

    l'histoire

    de

    la

    philoso-

    phie

    permet

    assez

    facilement de vErifier.

    Les

    savants de

    genie

    -

    j'appelle

    ainsi

    ceux

    qui

    bouleversent

    les

    idles

    revues

    et

    instituent des recherches

    d'ordre radicalement

    nou-

    veau

    -

    ont

    toujours

    exercE

    une action

    considerable

    sur

    les

    progrEs

    de

    la

    philosophie.

    Eux-memes,

    d'ailleurs,

    devaient

    Etre

    des

    esprits

    trEs

    synthEtiques,

    et

    avaient

    du

    faire

    des

    emprunts

    plus

    ou

    moins

    conscients

    A

    cette reserve d'idees

    g6n6rales

    qu'est

    la

    philosophie,

    pour

    formuler

    leurs

    theories r6volutionnaires.

    Songez

    a

    G^lille,

    i

    Kepler,

    a

    Newton,

    i Darwin...

    Leur

    oeuvre

    et

    leur

    influence

    ne sont

    comprehensibles que

    si l'on

    admet

    des

    echanges

    d'idtes

    continuels

    entre la

    philosophie

    et la

    science

    : ils

    ont

    puise

    dans

    la

    philosophie

    4

  • 8/17/2019 Sarton - l'Histoire de La Science

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    L'HISTOIRE

    DE LA SCIENCE.

    de

    leur

    temps

    le

    desir

    de creer

    une

    synthkse

    nouvelle,

    et,

    d'autre

    part,

    c'est en

    modifiant

    profondement

    la

    pensee

    philosophique

    par

    leurs decouvertes que leur action s'est &tenduebien au dela du

    domaine

    scientifique auquel

    ils

    l'avaient

    appliqu6e.

    De

    meme,

    les

    grands

    philosophes

    -

    ceux

    qui

    ont vraiment

    renouvelM

    'ideologie

    de

    leur

    6poque

    -

    ont exerc6

    une

    influence

    non

    moins

    considerable

    sur

    l'6volution de la

    science.

    S'ils

    n'etaient

    point

    eux-m6mes

    des

    savants

    cr6ateurs,

    du

    moins

    ils

    connaissaient toute

    la

    science

    de

    leur

    temps. Songez

    a

    Platon,

    a

    Aristote,

    i

    Descartes,

    i

    Leibniz,

    A

    Kant...

    Ici

    encore,

    il

    est

    indispensable

    de

    concevoir

    un

    double courant

    d'idees

    entre la

    philosophie

    et la

    science: c'est

    la

    science de leur

    temps qui

    leur a donne a la fois l'intuition et les mat6riaux d'une syst6matisa-

    tion

    nouvelle,

    et

    celle-ci,

    a

    son

    tour,

    a

    transform6

    l'atmosphere

    phi-

    losophique

    dans

    laquelle

    la

    science

    allait

    continuer son

    develop-

    pement.

    Nous

    pouvons

    tout

    de

    suite en tirer cette

    consequence, que

    si

    I'historien

    de

    la

    science

    doit

    connaitre

    l'histoire de

    la

    philosophie,

    des raisons

    identiques

    obligent

    imp6rieusement

    'historien

    de la

    phi-

    losophie

    i

    etudier

    l'histoire de

    la science.

    C'est

    une

    lourde

    obligation

    pour

    le

    philosophe,

    mais

    il ne

    me

    parait pas qu'il

    puisse

    s'y

    d6rober.

    L'etude de la

    pens6e

    des

    grands

    philosophes

    -

    qui

    sera

    toujours

    la

    partie

    essentielle et

    la

    plus

    excitatrice de l'histoire

    de la

    philosophie

    -

    est

    evidemment

    trop incomplete,

    si

    l'on

    neglige

    d'etudier

    le

    patri-

    moine

    scientifique

    qu'ils

    ont

    utilise,

    le milieu

    scientifique

    dans

    lequel

    ils ont

    v6cu

    et

    l'influence

    qu'ils

    ont

    exercee

    sur

    la

    marche de

    la

    science.

    Si l'on se

    borne,

    par

    exemple,

    a 6tudier les

    idles

    philosophiques

    de

    Descartes,

    sans

    s'occuper

    du retentissement

    de

    ces

    idees

    sur

    la

    meca-

    nique,

    l'astronomie,

    la

    physique,

    la

    medecine,

    la

    botanique...,

    il

    est

    Evidemment

    mpossible

    de nous donner

    de

    son

    g6nie

    une

    reconstruc-

    tion

    complete,

    ni

    meme

    exacte. Et

    de

    plus,

    il

    est

    indispensable

    d'ex-

    pliquer

    les

    repercussions

    des

    idees cart6siennes

    sur toute

    la

    science

    des xvIP

    et

    xvIIe

    sikcles,

    et

    sur

    la

    science

    contemporaine,

    et

    c'est 1l

    vraiment

    une

    tiche

    considerable,

    mais

    ce

    n'est

    qu'A

    ce

    prix

    que

    la

    personnalite

    de

    Descartes

    nous

    apparaitra

    sous son

    vrai

    jour.

    Tout

    le

    monde

    se

    rappelle

    ces

    grandes

    epoques

    de

    synthese,

    dont

    l'antiquite

    grecque

    nous

    a

    donne

    plusieurs

    fois

    le

    spectacle,

    et

    plus

    pres

    de

    nous,

    la

    Renaissance et le

    cart6sianisme. Au

    contraire,

    ce

    sont

    surtout les

    tendances

    analytiquesqui

    ont

    predomine pendant

    le

    xixe

    sikcle.

    Ce

    discredit des

    constructions

    synthetiques

    etait

    cause,

    en

    partie, par

    l'engouement

    extraordinaire

    et

    tres

    justifie,

    d'ailleurs,

    5

  • 8/17/2019 Sarton - l'Histoire de La Science

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    GEORGE SARTON.

    dont les

    sciences

    positives

    etaient

    devenues

    l'objet

    et,

    en

    partie, par

    le

    degout qu'avaient

    aiss6

    les

    audaces

    et

    les debauches

    intellectuelles

    des m6taphysiciens,plus ou moins mystiques, issus de Kant.

    Quoi

    qu'il

    en

    soit,

    une reaction

    philosophique

    etait inevitable:

    c'est

    cette

    reaction

    qui

    dure encore

    maintenant,

    et

    dont

    notre revue

    est

    un

    resultat,

    parmi

    beaucoup

    d'autres.

    Elle ne

    remonte

    gu6re plus

    loin

    qu'au

    d6but de ce siecle

    et est

    due,

    pour

    une

    large

    part,

    aux

    decou-

    vertes

    retentissantes de

    la

    science

    contemporaine.

    Tout

    d'abord,

    les

    progres

    de

    la

    physique

    ont entraine

    un

    conflit,

    qui paraissait

    inso-

    luble,

    entre les

    theories

    mecaniques classiques

    de

    Galilee,

    de

    Huygens

    et

    de

    Newton,

    et les theories

    ilectromagnetiques

    de

    Maxwell,

    de

    Hertzet de Lorentz, et ont ainsi remis en question les principes fon-

    damentaux

    de la

    mecanique

    et de la

    physique.

    En meme

    temps,

    la

    decouverte

    d'le'ments nouveaux

    jouissant

    de

    proprietes

    au

    premier

    abord

    paradoxales,

    l'utude des radiations

    nouvelles,

    les recherches

    sur

    le

    mouvement

    brownien...

    rallumaient toutes

    les controverses

    sur

    la theorie

    atomique

    et

    sur

    les

    doctrines

    6nerg6tiques,

    et

    obligeaient

    les savants

    a

    refaire

    une

    6tude

    apprefondie

    des

    principes

    de

    la

    chi-

    mie

    et

    a reviser leurs idees sur

    la

    constitution

    de la

    matiere.

    Enfin,

    les

    experiences

    des

    biologistes

    contemporains

    et l'exhumation

    des

    idees de Mendelprovoquaientune crise des theories transformisteset

    rendaient

    indispensable

    une

    nouvelle mise

    au

    point

    de

    nos

    idees

    sur

    l'evolution

    des etres

    vivants.

    Mais si

    la

    renaissance

    philosophique

    a

    laquelle

    nous assistons

    en

    ce

    moment

    est

    principalement

    due

    a

    la

    science

    et ne

    s'est

    manifest6e

    que

    depuis

    une

    quinzaine

    d'annees,

    le

    mouvement

    d'idees

    qui

    l'a

    len-

    tement

    preparee

    est

    evidemment

    plus complexe

    et

    plus

    ancien.

    I1

    faut

    tout

    d'abord

    tenir

    compte

    des

    travaux

    scientifiques

    du

    si6cle

    passe, qui

    sans

    provoquer

    de

    crise

    aigue,

    comme

    les

    d6couvertes

    aux-

    quelles

    j'ai

    fait allusion tout a

    l'heure,

    nous ont

    cependant obliges

    a

    modifier

    et a

    hausser

    peu

    a

    peu

    notre

    point

    de

    vue. Je

    n'en

    citerai

    aucun,

    parce qu'il

    me

    faudrait

    en

    citer

    trop.

    Mais

    rappelons

    cepen-

    dant

    que

    quelques-uns

    de

    ces

    savants

    du

    XIXe

    iecle,

    notamment

    Helmholtz,

    Claude

    Bernard, Berthelot,

    ont

    deja

    fait eux-memes ceuvre

    de

    synth6se

    philosophique.

    De

    plus,

    une

    ecole de

    philosophie

    avait

    aussi

    largement

    contribue

    a

    cette

    renaissance :

    je

    veux

    parler

    de

    l'ecole

    positiviste,

    representee

    en

    France

    par

    Auguste

    Comte

    et,

    en

    Angleterre,

    par

    Stuart Mill et Herbert

    Spencer.

    Nos efforts

    sont cer-

    tainement une

    consequence

    directe

    de

    leur activite. On

    pourrait

    dire,

    du

    reste,

    que

    les

    conceptions positivistes

    n'ont

    jamais

    ete

    mieux

    com-

    6

  • 8/17/2019 Sarton - l'Histoire de La Science

    6/45

    L'HISTOIRE

    DE

    LA

    SCIENCE.

    prises

    ni

    plus

    populaires

    que

    maintenant. Mais ne

    nous

    y

    trompons

    pas.

    Le

    positivisme

    (i)

    avait

    eu tout

    d'abord,

    par

    ses

    tendances

    agnos-

    ticistes un peu etroites, une influence plut6t fAcheuse ur 1'volution

    de la

    philosophie.

    Ce

    n'est

    que

    depuis que

    les

    progres

    de

    la

    science

    ont

    attenue a la

    fois

    le

    dogmatisme

    et

    I'agnosticisme

    de

    la

    premiere

    ecole

    positiviste,

    et rendu son ideal

    plus souple

    et

    plus

    large,

    que

    le

    positivisme

    donne

    tous

    ses fruits.

    VoilA

    donc une

    premiere

    Evolution

    dont

    il

    me

    fallait rendre

    compte

    pour

    faire voir

    la

    genese

    de

    nos

    idees:

    des

    decouvertes

    retentissantes,

    ayant

    dEtermine

    une crise

    profonde

    des theories

    scientifiques

    qui

    paraissaient

    es

    mieux

    6tablies,

    donnent ainsi

    a

    la

    philosophie,

    long-

    temps dedaignee, un nouvel essor; cette philosophie nouvelle n'est

    autre

    que

    la

    philosophie positive,

    assouplie

    et

    devenue

    plus

    realiste.

    Ceci est d'autant

    plus remarquable,

    que

    cette

    philosophie

    positive

    n'avait

    pu

    d'elle-meme

    triompher

    de l'indiffrence des

    savants

    pour

    qui

    elle etait

    faite,

    et

    qu'elle n'y

    est

    enfin

    parvenue qu'apres

    avoir

    echoue,

    et

    grAce

    au bouleversement

    complet

    de

    nos

    idEes

    et

    a la revi-

    sion,

    reconnue

    n6cessaire,

    des

    principes

    de

    la science.

    Mais

    cette crise

    n'est

    point

    la

    seule

    que

    traversent a

    la

    fois

    la

    phi-

    losophie

    et

    la

    science modernes.

    11

    en est une

    autre,

    qui

    semble etre

    arrivee a ce moment a son

    paroxysme,

    et dont

    je

    dois dire

    quelques

    mots. Le

    triomphe

    des

    idees

    positivistes

    etait

    plut6t

    un

    triomphe

    pour

    la

    science

    que

    pour

    la

    philosophie.

    Bien

    mieux,

    pour

    beaucoup

    il

    semblait

    que

    la

    philosophie

    allait

    etre

    definitivement

    absorbte

    par

    la

    science.

    Elle

    serait une

    philosophie

    des

    sciences,

    elle

    graviterait

    tout entiMre

    utour

    de la

    science,

    ou

    elle ne serait

    plus.

    Sa

    fonction

    serait

    de

    (c

    penser

    la science

    ),

    rien de

    plus.

    De

    telles

    exagerations,

    une

    telle

    miconnaissance

    du

    r61e

    historique

    de

    la

    philosophie-

    avant-garde

    hardie et

    independante, grenier

    d'idees

    generales

    extraites

    non seulement

    de la

    science,

    mais

    de

    toute

    i'exp6rience

    humaine

    -

    devaient

    evidemment amener une nouvelle reaction.Cette

    reaction,c'est

    le

    mouvement

    bergsonien,

    humaniste,

    pragmatiste

    (2).

    Je

    ne

    puis

    songer

    A

    l'analyser

    ici. Mais en affirmant

    hautement

    les droits

    de

    l'in-

    tuition,

    elle

    affirmait

    du

    meme

    coup

    la

    possibilite

    et

    les

    droits

    a l'exis-

    (1)

    Ce

    que

    j'appelle

    le

    positivisme

    d'Auguste

    Comte,

    c'est

    la

    doctrine

    enseignee

    dans le

    Cours de

    philosophie positive.

    Quand

    je parle

    du

    positi-

    visme anglais,je pense surtout aux idees de Spencer. On ne peut etre bref

    sans

    faire

    des

    reticences nombreuses.

    (2)

    Dans

    la

    suite,

    j'emploierai implement

    le

    mot

    pragmatiste.

    7

  • 8/17/2019 Sarton - l'Histoire de La Science

    7/45

    GEORGE

    SARTON.

    tence d'une

    philosophie

    ind/pendante

    des

    sciences

    positives.

    C'est

    lA

    le seul

    point

    qui

    nous

    int6resse. Et

    il

    est

    d'autant

    plus

    utile de

    le

    mettre en Evidence,que c'est, a mon avis, la meilleure manifre de

    faire entrevoir

    que

    si

    le conflit

    entre

    positivistes

    -

    je

    ferais

    mieux

    de

    dire entre

    nEo-positivistes-et

    pragmatistes

    a

    quelque

    chose

    d'irr6duc-

    tible,

    il n'est

    cependant pas

    aussi

    grave

    qu'il peut paraitre

    A

    premiere

    vue.

    N'oublions

    pas,

    tout

    d'abord,

    que

    notre

    but

    A

    tous,

    philosophes,

    historiens,

    savants,

    est

    identique

    :

    nous

    voulons

    expliquer,

    g6n6ra-

    liser,

    approfondir,

    simplifier

    les donn6es

    de

    l'experience.

    Et nos

    m6thodes

    m6mes,

    si

    elles

    ne

    sont

    pas identiques,

    ont

    cependant

    d'6troites

    analogies

    :

    toutes nos

    connaissances

    sont,

    i

    quelque degr6,

    des connaissances scientifiques, et le pragmatistemEmeadopteune

    attitude

    scientifique

    dans

    l'examen de ses intuitions. De

    plus,

    la

    cause

    profonde

    de

    ce

    conflit entre

    le

    point

    de

    vue

    positiviste

    et

    le

    point

    de

    vue

    pragmatiste,

    ne

    residerait-elle

    pas

    dans

    la

    complexit6

    mdme

    de

    nos besoins

    intellectuels: besoins

    A

    la fois

    pratiques,

    utilitaires

    et

    thtoriques, esth6tiques;

    besoin

    de

    penser

    et de

    comprendre

    et besoin

    d'agir?

    Ne

    residerait-elle

    pas

    aussi

    dans

    la

    complexit6

    des

    probl6mes

    que

    soulNve

    a

    vie

    multiple

    et

    changeante,

    et

    qui

    obligent

    les

    agnosti-

    cistes

    les

    plus

    resolus

    a

    raisonner

    parfois

    comme

    des

    pragmatistes,

    et

    reciproquement?

    Cescauses

    profondes,

    inh6rentes A notre nature et

    a la

    nature

    des

    choses,

    ne

    rendraient-elles

    pas

    compte

    de la

    persis-

    tance

    de ces

    deux

    tendances

    oppos6es

    a

    travers

    toute

    l'histoire

    de

    notre

    pensee?

    Car

    il

    ne

    faut

    pas

    s'y

    tromper

    :

    si

    le

    pragmatisme

    s'est

    manifeste

    avec 6clat

    sous

    des

    formes

    nouvelles,

    grice

    au

    genie

    de

    Bergson

    et

    de

    James,

    le conflit lui-meme

    est

    aussi

    vieux

    que

    la

    science

    humaine.

    I1 m'a

    paru

    utile

    de faire

    ces r6flexions

    pour

    bien

    faire

    voir

    que

    cette

    crise,

    qui

    n'est

    pas pros

    de

    finir,

    ne

    doit

    pas

    troubler

    notre acti-

    vitY.

    D'ailleurs,

    pragmatistes

    et

    positivistes

    sont d'accord

    pour

    res-

    pecter

    la

    science

    et

    reconnaissent

    6galement

    la

    necessite

    de

    la

    bien

    connaitre et

    d'y

    recourir

    sans

    cesse.

    Ils

    ont

    un

    inter6t

    6gal

    a

    connaitre

    les

    principes

    et

    l'histoire

    de la

    science;

    leur conflit

    est

    6tranger

    a

    nos

    travaux.

    II

    vaut

    donc

    mieux

    l'accepter simplement

    comme

    une mani-

    festation de la

    complexite

    de

    l'esprit

    humain et

    d6barrasser,

    une

    fois

    pour

    toutes,

    nos

    recherches

    historiques

    de

    toutes

    digressions

    inutiles

    sur

    ce

    sujet.

    Si ce

    r6sultat est

    obtenu dans

    notre

    revue,

    ces

    prelimi-

    naires

    n'auront

    pas

    ete

    trop longs.

    On

    peut

    conclure,

    de tout

    ce

    qui precede,

    que

    savants

    et

    philosophes

    sont

    unanimes a

    desirer

    que

    les

    tendances

    gen6rales

    et

    les

    principes

    8

  • 8/17/2019 Sarton - l'Histoire de La Science

    8/45

    L'HISTOIRE

    DE LA

    SCIENCE.

    fondamentaux de

    la

    science

    soient

    constamment

    degages,

    pr6cis6s,

    critiques.

    Ils

    sentent

    que

    c'est

    la

    pour

    eux

    tous,

    en notre

    Ipoque,

    une

    condition essentielle de progr~set de s6curit6. Maiscommentconci-

    lier ce

    besoin

    de

    synth6se

    et la

    n6cessit6

    pratique

    de

    la

    division du

    travail

    ?

    I1

    semble bien

    que

    la

    seule

    solution

    possible

    soit

    celle

    pr6conis6e

    par

    Auguste

    Comte,

    et

    qui

    a d'ailleurs

    et6 realis6e

    par

    lui et

    par

    ses

    disciples:

    c'est

    (

    de

    faire

    de

    l'ttude

    des

    g6n6ralites scientifiques

    une

    grande

    spkcialite

    de

    plus

    ).

    Les

    inconv6nients de

    la

    sp6cialisation

    excessive

    sont ainsi

    heureusement contre-balanc6s

    par

    cette

    discipline

    nouvelle,

    qui

    sollicite les efforts

    convergents

    des

    philosophes,

    des

    historiens et des savants.

    Que

    le

    meilleur

    instrument

    de

    synth6se

    et

    que

    le

    trait

    d'union

    le

    plus

    naturel

    entre

    les

    philosophes

    et

    les savatntseur

    sont fournis

    par

    l'histoire de

    la

    science,

    c'est ce

    qui

    resultera

    de

    la

    suite de mon

    expose.

    II.

    -

    HISTOIREDE

    LA

    SCIENCE.

    C'estAUGUSTEONTEui doit 6treconsidere comme le fondateur de

    l'histoirede la

    science,

    ou tout au

    moins

    comme

    le

    premier

    qui

    en eut

    une

    conception

    claire

    et

    precise,

    sinon

    complete.

    Dans son

    Cours

    de

    philosophie

    positive, publie

    de

    1830 a

    1842,

    il

    a bien

    mis en

    6vidence

    les trois notions

    fondamentales

    que

    voici :

    1?

    qu'une

    oeuvre

    synth6-

    tique

    telle

    que

    la sienne ne

    pouvait

    6tre raalis/e sans avoir

    constam-

    ment

    recours

    &

    l'histoire;

    20

    qu'il

    est

    indispensable

    d'6tudier l'6volu-

    tion

    des

    sciences

    pour comprendre

    le

    d6veloppement

    de la

    pens6e

    humaine,

    et

    l'histoire

    m6me

    de

    l'humanite;

    3o

    que

    c'est

    l'histoire

    de

    la science tout

    entiere

    qu'il

    importe

    de

    connaitre,

    et non l'histoire

    d'une

    ou de

    plusieurs

    sciences

    determinees.

    Ajoutons

    a

    cela,

    que

    d6s

    1832,

    Auguste

    Comte sollicitait du ministre

    Guizot,

    la

    creation

    d'une chaire

    d'histoire

    gen6rale

    des

    sciences

    (i).

    On

    sait

    que

    cette

    chaire ne fut

    finalement

    erigee

    au

    Coll6ge

    de

    France

    que

    soixante ans

    plus

    tard,

    trente-cinq

    ans

    apres

    la

    mort

    de

    Comte,etconfiee,

    en

    1892,

    a

    Pierre Laffitte.

    II

    faut reconnaitre

    que

    P.

    Laffitte

    ne

    comprit pas

    la

    (i)

    J'appelle

    histoire

    de

    la

    science,

    ce

    que

    Comte

    appelait

    <

    histoire

    gene-

    rale

    des

    sciences

    ).

    9

  • 8/17/2019 Sarton - l'Histoire de La Science

    9/45

    portee

    reelle d'un

    pareil enseignement,

    qu'il

    n'etait

    gu6re

    pr6par6

    donner. Un autre

    philosophe

    francais,

    Antoine

    Cournot,

    contribua

    i

    pr6cisernos idees sur l'histoire de la science, notammentparla publi-

    cation,

    en

    1861,

    de son

    Traite

    de

    l'enchainement

    des

    idees

    fondamen-

    tales dans les

    sciences et dans

    l'histoire.

    Mais

    le vrai h6ritier de la

    pens6e

    de

    Comte,

    au

    point

    de

    vue

    special

    qui

    nous

    int6resse,

    c'est

    PAUL

    ANNERY.I est

    A

    peine

    besoin

    de

    parler

    de

    lui,

    car

    tous

    ceux

    qui

    s'occupent

    si

    peu

    que

    ce

    soit

    d'histoire des

    sciences,

    ont encore

    pre-

    sents a

    l'esprit

    ses

    m6moires

    nombreux,

    si

    remarquables

    par

    leur

    ori-

    ginalite

    et leur

    precision.

    Paul

    Tannery

    a

    tenu

    plusieurs

    fois

    a

    mon-

    trer

    lui-meme

    la

    filiation

    intellectuelle

    qui

    le

    rattachait

    a

    Comte et

    't

    temoigner

    son admiration

    pour

    le fondateur du

    positivisme.

    I1 est

    assez

    remarquable

    qu'il

    soit restk

    a

    peu pros

    seul

    a

    continuer

    l'aeuvre

    de

    synthese historique,

    dont A.

    Comte

    avait

    montre

    l'impor-

    tance,

    au

    point

    qu'il

    pouvait

    6crire

    en

    1904,

    l'ann6e m~me de sa

    mort,

    sans etre

    dementi

    par

    personne:

    c

    actuellement,

    l'histoire

    g6nerale

    des

    sciences

    n'est

    rien...

    qu'une

    conception

    individuelle

    ).

    La

    philosophie

    de

    P.

    Tannery

    est bien

    differente

    de celle

    de

    Comte,

    mais

    ce

    qui

    cr6e

    surtout

    entre

    eux

    une

    difference

    essentielle,

    c'est

    que

    Comte ne

    connaissait

    que

    bien mal

    l'histoire

    de

    la

    science,

    tandis

    que

    Paul

    Tannery,

    servi

    par

    une

    erudition extremement

    6ten-

    due

    et

    solide,

    et

    qui

    avait

    d'ailleurs a sa

    disposition

    des travaux

    historiques

    de

    haute

    valeur

    qui

    n'existaient

    pas

    encore

    vers

    1830,

    la connaissait

    parfaitement,

    mieux

    que personne

    au monde. Si

    c'est

    Auguste

    Comte

    qui

    a

    eu

    l'idee

    premiere

    de

    cette

    discipline,

    c'est

    incontestablementa

    Paul

    Tanneryque

    revient

    l'honneur

    des

    premieres

    realisations.

    En

    ce

    moment,

    l'histoire

    de

    la

    science n'est

    pas

    encore

    constitute

    en

    discipline independante, ayant

    ses

    methodes

    propres

    et

    ses instru-

    ments

    de

    travail

    :

    manuels,

    bibliographies,

    etc. Elle

    n'est

    gu6re

    enseign6e

    dans

    les

    universites.

    Malgre

    tant

    de

    travaux

    admirables,

    malgr6

    tant

    de

    syntheses

    partielles

    et

    provisoires,

    la

    synthsse g6ne-

    rale

    n'est

    pas

    encore

    edifiee;

    l'histoire de

    la

    science reste

    encore

    (

    une

    conception

    individuelle ).

    I1

    y

    a,

    en

    somme,

    plusieurs

    conceptions

    en

    presence;

    mais

    il

    importe

    de

    constater

    d6s a

    present,

    que

    celles-ci ne

    s'opposent

    pas;

    au

    fond,

    on

    pourrait

    dire

    qu'il

    ne

    s'agit

    que

    d'une

    seule

    conception

    en

    des

    stades

    evolutifsdifferents,et devenuechaquefois plus completeet plus

    extensive. En

    particulier,

    le

    lecteur

    qui

    voudra

    se donner

    la

    peine

    de

    lire

    jusqu'au

    bout cette

    esquisse,

    verra

    que

    ma

    conception

    ne diffrre

    10

    GEORGE SARTON.

  • 8/17/2019 Sarton - l'Histoire de La Science

    10/45

    L'HISTOIRE

    DE

    LA SCIENCE.

    sensiblement de celle

    de

    Tannery

    que par

    l'importance

    plus

    consi-

    derable

    que j'attribue

    au

    point

    de

    vue

    psycho-sociologique.

    Avant

    de definir

    l'histoire de la

    science,

    il

    est

    utile

    de

    repondre

    a

    une

    question

    prejudicielle,

    que quelques

    savants ont

    soulevee.

    L'histoire

    de

    la science

    est-elle

    possible

    ? II

    est evident

    qu'on peut

    toujours

    etablir l'histoire d'une science

    determinee,

    ou d'un

    groupe

    de

    sciences

    assez

    voisines,

    mais

    l'histoire

    de

    la

    science

    -

    concue

    comme

    distincte de

    la

    somme

    de ces histoires

    particulieres (et

    c'est

    bien ainsi

    que

    Comte la

    concevait)

    -

    est-elle

    r6alisable en ce mo-

    ment

    ? Le sera-t-elle

    jamais

    ?

    En d'autres

    termes,

    sommes-nous

    en

    etat de

    repondre scientifiquement

    aux

    questions

    relatives

    a

    l'his-

    toire

    commune

    des

    sciences

    :

    leur

    origine,

    les lois

    generales

    de

    leur

    developpement,

    la

    raison de

    leurs

    analogies

    et de leurs

    rapproche-

    ments,

    la

    cause

    de la

    preponderance

    de

    l'une d'elles

    A

    une

    6poque

    determinee ?

    Toutes

    ces

    questions,

    et

    beaucoup

    d'autres

    encore,

    ressortissent

    6videmment

    a

    l'histoire

    de

    la

    science

    et

    lui

    constituent

    un

    domaine

    propre.

    Est-il

    possible

    de

    les resoudre des maintenant? En tout

    cas,

    c'est

    deja

    faire

    oeuvre

    scientifique

    que

    de bien

    poser

    et

    de

    preciser

    les

    questions

    a

    resoudre.

    Il est

    toujours possible

    de

    com-

    mencer une etude determinee: cette

    premiere

    etude

    ne

    sera

    peut-6tre

    qu'une

    approximation

    assez

    lAche,

    mais elle sera en

    tout cas indis-

    pensable pour

    permettre

    une etude ulterieure

    plus

    serree

    et

    plus

    complete.

    D'ailleurs,

    ces

    premieres approximations

    ont

    ete

    faites,

    et

    sans

    parler

    des oeuvres

    ragmentaires

    de

    Tannery

    et

    de

    Milhaud,

    les essais de

    synthese

    de

    Siegmund

    Gunther

    et

    de

    Friedrich Danne-

    mann sont

    d6ja

    tres

    remarquables

    (1).

    Ce

    qui

    a

    pu

    faire

    croire

    a

    quelques

    bons

    esprits

    -

    a

    Cournot,

    par

    exemple,

    -

    que l'histoire de la science etait impossible a r6aliser,

    c'est

    qu'ils

    ont oublie

    de

    faire

    une

    distinction,

    assez

    naturelle

    cepen-

    dant,

    entre la

    science

    passee

    et la science

    qui

    se

    fait.

    Pour

    apprecier

    avec

    objectivit6

    la

    valeur

    des

    theories

    scientifiques,

    il

    faut 6videm-

    ment

    pouvoir

    les

    contempler

    et

    les

    comparer

    avec

    un

    certain

    recul;

    il

    faut

    qu'elles

    ne

    soient

    plus

    directement melees

    a

    notre

    vie,

    et

    que

    des

    questions

    de

    personnalites

    n'obscurcissent

    pas

    les

    questions

    de

    (1)

    II

    s'agit

    d'essais

    elementaires,

    ne

    retraQant

    que

    les

    grandes

    lignes

    de

    l'histoire

    de

    la

    science. Les

    travaux

    de

    synthese

    se

    rapportant

    a une

    epoque

    determinee

    (les

    etudes

    sur

    la

    science

    grecque,

    par

    exemple)

    sont

    trop

    nombreux

    pour

    que

    je

    les

    enumere ici.

    11

  • 8/17/2019 Sarton - l'Histoire de La Science

    11/45

    GEORGE SARTON.

    faits. Mais

    il n'en est

    pas

    moins

    indispensable

    de

    connaitre aussi

    parfaitement que

    possible

    la

    science

    moderne,

    parce qu'ainsi

    nous

    pouvons d'autant mieux appr6cierl'ivolution accomplie.

    Les

    progr6s

    de

    la

    science

    contemporaine

    ne

    peuvent

    etre

    Etudies

    A

    l'aide des

    mdmes

    m6thodes.

    D'ailleurs,

    la science

    qui

    se fait

    ecrit

    elle-m6me

    sa

    propre

    histoire

    -

    une histoire

    provisoire,

    il

    est

    vrai,

    -

    et la

    maniere

    la

    plus

    rationnelle

    et la

    plus simple d'enseigner

    les

    theories

    r6centes,

    encore

    imparfaites,

    c'est d'en

    faire

    l'historique.

    Dans ce

    qui

    suit,

    quand

    nous

    parlerons

    d'histoire

    de

    la

    science,

    il

    fau-

    dra

    donc entendre

    par

    1

    l'histoire

    de la science devenue

    classique,

    la

    science

    qui

    est

    enseignee

    dans les

    lyc6es

    et

    dans

    les

    cours

    encyclop6diquesdes facult6s,et qui constitue, ou detrait constituer,le

    bagage

    intellectuel

    de tout homme cultiv6.

    Mais

    l'6tude de l'histoire

    de

    la

    science

    (opposee

    a

    l'histoire

    des

    sciences)

    n'est

    pas

    seulement

    possible:

    elle est

    necessaire.

    Cette

    n6ces-

    site

    rEsulte

    de ce

    fait

    que

    les

    classifications

    des

    objets

    d'6tude,

    exig6es

    par

    notre

    esprit,

    sans dtre

    tout

    a

    fait

    arbitraires,

    sont

    cependant

    arti-

    ficielles

    et

    toujours

    pr6caires.

    La division

    du travail

    scientifique

    s'est

    faite

    simultanement

    dans des

    directions

    tres

    differentes

    et,

    par

    suite,

    la classification des sciences n'a jamais cess6 d'evoluer. Et, Amesure

    que

    les sciences

    se sont

    perfectionn6es,

    on

    a

    decouvert

    entre elles

    des

    rapports

    de

    plus

    en

    plus

    nombreux;

    chacune

    d'elle

    etend

    sans

    cesse

    de

    nouvelles

    ramifications dans le domaine

    de

    toutes

    les

    autres,

    et

    c'est cela

    mdme

    qui

    nous

    fait

    croire,

    malgre

    sa

    complexite

    croissante,

    A

    l'unite

    de la

    science.

    Auguste

    Comte avait bien vu

    les

    mille liens

    enchev6tr6s

    qui

    reliaient

    d6ej

    les sciences a

    son

    epoque,

    mais il

    ne

    semble

    pas qu'il y

    ait

    attache

    autant

    d'importance

    qu'il

    aurait

    fallu.

    S'il

    avait

    compris,

    d'ailleurs,

    que

    ces

    interactions

    n'ont

    pas

    cesse

    d'avoir ieu - en toussens -

    depuis

    que

    la science humaine

    existe,

    le

    cadre

    trop

    rigide

    de

    son

    Cours de

    philosophie

    n'aurait-il

    pas

    et

    brisE

    ?

    On

    pourrait

    donc

    pr6tendre

    que

    ce

    qui

    est

    vraiment

    impos-

    sible,

    ce n'est

    pas

    d'tablir

    l'histoire

    de

    la

    science,

    mais

    bien

    plut6t

    de

    degager

    de

    ce

    reseau

    inextricable

    le

    d6veloppement

    d'une

    seule

    branche

    de la

    pens6e

    humaine. Bien

    plus,

    il

    est

    facile

    de

    voir

    qu'il

    est

    impossible

    d'ecrire

    l'histoire

    complete

    d'une

    decouverte

    un

    peu

    importante,

    sans

    esquisser

    par

    le

    fait

    meme

    un

    chapitre

    de

    l'histoire

    de la

    science.

    Comment erait-on

    comprendre,

    par

    exemple,

    la

    decou-

    verte de la circulation du

    sang,

    si l'on n'etudiait l'evolution des

    idees

    sur

    l'anatomie,

    sur

    la

    zoologie

    comparee,

    sur

    la

    biologie

    g/n6-

    12

  • 8/17/2019 Sarton - l'Histoire de La Science

    12/45

    L'HISTOIRE

    DE LA

    SCIENCE.

    rale,

    sur

    la

    physique,

    sur

    la

    chimie,

    sur la

    mecanique...?

    De

    meme,

    pour expliquer

    comment on

    est

    parvenu peu

    a

    peu

    & dEterminer es

    longitudes en mer, il faut recourir B l'histoire des mathematiques

    pures

    et

    appliquees,

    a

    l'histoire de

    l'astronomie

    et

    de

    la

    navigation,

    i

    l'histoire de

    l'horlogerie,

    etc.

    11

    serait

    evidemment

    facile

    d'allonger

    cette

    Enumeration.

    Enfin,

    I'histoire

    de

    la

    science

    entiere

    nous

    permet

    seule,

    d'apprecier

    justement

    l'evolution

    scientifique

    A une

    6poque

    ou dans un

    milieu

    d6termin6.

    I1

    est

    arrive

    souvent,

    en

    effet,

    qu'une

    science

    a

    cess6 d'Wtre

    cultivee,

    tandis

    qu'une

    autre

    progressait,

    ou bien

    que

    la

    culture

    scientifique

    se

    deplaeait

    dans

    l'espace,

    emigrant

    d'un

    peuple

    i

    l'autre.

    Mais l'historien de la science, qui fait constamment la synth6se de

    tous

    les efforts

    disperses,

    ne

    s'imagine

    pas

    alors

    que

    le

    genie

    humain

    se

    rallume

    ou

    s'Wteint

    brusquement,

    car

    il

    voit le flambeau

    de

    lumiere

    se transmettre d'une science

    A

    l'autre,

    ou

    d'un

    peuple

    a

    l'autre.

    II

    apercoit

    mieux

    que

    personne

    la

    continuite

    de la

    science

    dans

    l'espace

    et dans

    le

    temps,

    et

    est

    ainsi

    mieux

    a

    m6me

    d'estimer

    les

    progres

    de l'humanite.

    L'historien

    de

    la

    science

    ne

    doit

    pas

    se contenter

    d'6tudier

    de

    quelles

    manieres les

    sciences

    n'ont

    cesse

    de

    r6agir

    les

    unes sur les

    autres, il doit aussi

    analyser

    les interactions

    qui

    se sont constamment

    produites

    entre

    les

    idWes

    scientifiques

    et les

    autres

    phenomenes

    intellectuels

    ou

    6conomiques.

    Je sais bien

    qu'on

    a dit

    que

    l'ana-

    lyse

    de ces

    interactions,

    de

    tres

    haute

    importance

    pour

    l'Ftudede

    la

    vie

    antique,

    plus

    synth6tique

    et

    plus homogene

    que

    la

    n6tre,

    en a

    beaucoup

    moins

    pour

    la

    comprehension

    de notre

    vie

    moderne.

    Mais,

    cela est-il

    bien vrai

    ?

    Ne

    parait-il pas

    plus

    vraisemblable,

    au

    con-

    traire,

    que

    la

    complexite

    et

    l'enchevdtrement

    croissants

    de notre vie

    sociale

    augmentent,

    au

    contraire,

    dans

    une

    mesure

    immense,

    les

    chances d'interaction?... Quoi

    qu'il

    en

    soit,

    l'utudede ces interactions

    occupera

    souvent

    notre attention.

    Mais

    elle

    ne

    doit

    point

    nous faire

    perdre

    de

    vue

    que

    notre

    objet

    propre

    de

    recherches

    est,

    avant

    tout,

    d'Mtablir'enchainement

    des idWes

    scientifiques.

    Tous

    les

    ph6no-

    m6nes

    naturels,

    psychologiques

    ou

    economiques qui

    ont

    pu

    influen-

    cer

    et

    modifier l'6volution

    des

    ph6nomenes scientifiques

    seront

    etudiks dans

    notre

    revue,

    non

    pour

    eux-memes,

    mais

    accessoire-

    ment

    et

    seulement

    A

    titre

    explicatif.

    En

    resum6,

    l'histoirede la science a

    pour

    but d'Ytablira

    genese

    et

    l'enchatnement

    des

    faits

    et des

    iddes

    scientifiques,

    en

    tenant

    compte

    de

    13

  • 8/17/2019 Sarton - l'Histoire de La Science

    13/45

    GEORGE SARTON.

    tous les

    echanges

    intellectuelset de toutes les

    influences

    que

    le

    progres

    mmee

    de

    la

    civilisation met

    constamment

    en

    jeu.

    Et il

    resulte

    immediatement de cette definition que la seule mani6rerationnelle

    de

    ((

    decouper

    )

    l'histoire

    de la

    science,

    c'est

    de

    la

    decouper

    non

    pas

    par

    pays,

    ni

    par

    sciences,

    ni

    de toute autre

    maniere,

    mais

    seulement

    par 6poques.

    Bien

    entendu,

    pour

    rendre cette histoire

    possible,

    il

    peut

    etre utile

    et meme

    necessaire

    d'ecrire

    des

    monographies

    et des

    syntheses

    partielles

    de

    diverses

    esp6ces.

    Ainsi,

    la

    consultation

    des

    archives

    d'un lieu

    determine

    conduira naturellement a la

    redaction

    d'une

    etude

    sur

    l'histoire

    des sciences en cet

    endroit.

    Un savant

    sera

    plutot

    tente de rechercher

    la

    filiation d'une idee

    scientifique

    qui

    l'int6resseparticulierement,ou de reconstituer la vie d'un pred6ces-

    seur dont

    il

    aura,

    mieux

    que personne, compris

    l'oeuvre

    et

    le

    genie.

    Mais toutes ces recherches

    sont

    necessairement

    incomplhtes

    et

    n'acqui6rent

    oute

    leur

    signification

    que

    lorsqu'elles

    ont ete

    mises a

    leur

    place

    dans une

    histoire de la

    science

    a

    l'epoque

    consideree.

    11

    est

    bon

    d'ajouter

    encore

    que

    toutes les

    monographies

    ne

    sont

    pas

    egalement

    utiles:

    il

    en

    est

    de

    saugrenues

    et de

    maladroites

    qui

    embrouillent

    et

    retardent

    inutilement

    l'oeuvrede

    synthese.

    Toute

    synthese

    implique

    une

    selection

    prealable.

    II est

    clair,

    par

    exemple, qu'une histoire de la science ne peut viser, sous peine de

    devenir

    incomprehensible,

    a

    reproduire

    tous

    les

    details

    techniques

    qu'un

    savant

    pourrait

    exiger

    pour

    satisfaire

    a

    des

    besoins

    tres

    spe-

    ciaux.

    Aussi,

    a

    c6te

    de l'histoire

    generale

    des

    sciences,

    il

    y

    aura

    tou-

    jours place,

    pour

    des

    histoires

    plus

    speciales,

    dont

    le but sera

    plut6t

    scientifique

    et

    technique

    que

    philosophique,

    et

    qui

    se

    limiteront

    a

    l'6tude

    plus approfondie

    d'une

    ramification de la

    pensee

    scientifique.

    Je

    n'ai

    pas

    besoin

    de

    dire

    que

    ces

    histoires

    sp6ciales

    seront

    rendues

    plus

    faciles

    lorsque

    l'histoire

    de

    la

    science

    leur servira

    a

    la

    fois de

    cadre et de guide. Elles seront surtout n6cessaires pour les periodes

    les

    plus

    rapprochees

    de

    nous

    et

    devront, d'ailleurs,

    etre

    completees

    et

    couronnees

    elles-nlemes

    par

    une

    histoire des

    idees

    generales.

    L'elaboration

    de

    l'histoire

    de la

    science necessite

    l'emploi

    des

    methodes

    et

    des

    sciences auxiliaires

    de l'histoire

    proprement

    dite,

    pour

    etablir

    la

    critique

    externe

    et

    interne des

    mat6riaux

    utilises.

    Ces

    methodes ont

    et6

    parfaitement

    decrites

    et

    discut,es

    dans des

    manuels

    classiques

    -

    ceux

    de

    Bernheim

    et

    de

    Langlois

    et

    Seignobos,

    par

    exemple

    -,

    mais

    elles

    doivent

    etre

    completees,

    a

    l'usage

    des

    historiens

    de la science, pardes methodesplus speciales. Je ne puis songer a les

    exposer

    ici. Mais on

    comprendra

    aisement

    que

    pour

    etablir,

    par

    14

  • 8/17/2019 Sarton - l'Histoire de La Science

    14/45

    L'HISTOIRE

    DE

    LA SCIENCE.

    exemple,

    la

    date

    a

    laquelle

    une

    decouverte

    a

    reellement

    penetr6

    dans

    la

    science

    et

    est venue enrichir

    l'experience

    humaine,

    la

    critique

    his-

    torique doit etre doubl6e d'une critique scientifique, empruntantses

    ressources

    et ses

    arguments

    aux sciences

    positives.

    En

    somme,

    tous

    nos

    efforts

    doivent

    tendre

    a

    ranger

    les faits

    scientifiques

    dans

    un

    ordre

    d6termine,

    donc

    A

    leur

    assigner

    a

    chacun une date aussi

    precise

    que possible,

    non

    pas

    la date

    de

    leur naissance ni de leur

    publication

    mais

    celle de

    leur

    incorporation

    effective

    dans

    la

    pens6e

    scientifique.

    De

    m6me,

    les

    biographes

    doivent s'efforcer

    de nous delimiter

    avec

    precision

    les

    periodes

    pendant

    lesquelles

    l'influence

    des savants

    de

    genie

    s'est

    fait sentir avec

    le

    plus

    d'intensite,

    pour

    pouvoir

    les

    ranger,

    une ou plusieurs fois, dans des series chronologiques. Oncongoitque

    cela

    pr6sente

    parfois

    de

    tres

    grandes

    difficultes,

    mais

    j'y

    ai insiste

    pour

    faire voir ce

    qu'on

    exige

    de

    l'erudition

    historique, qui

    est

    la

    base

    indispensable

    de

    toutes nos

    recherches.

    Ces

    quelques remarques

    completent

    et

    precisent

    notre

    definition

    de

    l'histoire

    de

    la

    science.

    Mais,

    pour

    achever

    de

    determiner

    notre

    pro-

    gramme,

    il est

    necessaire

    d'examiner

    d'un

    peu

    plus

    pros

    les diverses

    categories

    d'influences

    qui

    peuvent

    modifier l'evolution

    des idees

    scientifiques

    -

    et c'est ce

    que

    nous

    ferons

    maintenant.

    Puis,

    dans

    les

    chapitres suivants, je mettrai en evidence sous quels points de vue il

    est le

    plus

    utile

    de

    contempler

    cette evolution

    pour

    en faire

    une etude

    approfondie

    et

    vraiment

    fructueuse.

    Nous

    examinerons successivement

    l'interet

    que

    pr6sentent

    pour

    nos

    etudes:

    1o

    l'histoire

    de

    la

    civilisation;

    20

    I'histoire

    de

    la

    technologie;

    30 l'histoire

    des

    religions;

    4? l'histoire des

    beaux-arts,

    enfin

    5o les

    recherches

    archeologiques,

    anthropologiques

    et

    ethnologiques.

    1?

    Science

    et

    civilisation.

    -

    Depuis

    le

    xviii

    sikcle,

    et

    notamment

    sous l'influence des idees de Vico, de Montesquieuet de Voltaire, la

    conception

    de

    l'histoire

    n'a

    cesse

    de devenir

    plus

    synthetique,

    et

    l'histoire

    gienrale

    d'autrefois,

    dont

    l'interet

    principal

    r6sidait dans

    les fastes

    militaires,

    est devenue

    peu

    a

    peu

    une

    histoire

    de la

    ciyilisa-

    tion.

    L'importance

    de connaitre

    cette

    histoire,

    ne

    fit-ce

    que pour

    pouvoir

    situer les

    evenements

    scientifiques

    dans

    le milieu

    qui

    leur a

    donn6

    naissance,

    est

    evidente.

    Aussi,

    presque

    tous

    les

    historiens

    de

    la

    science sont-ils

    d'accord

    pour

    admettre,

    comme

    l'a

    propose

    Cantor,

    que

    l'histoire

    de

    la

    civilisation constitue

    en

    quelque

    sorte le

    fond

    du

    tableau sur lequel se detachera au premier plan l'objet de leurs

    recherches.

    2

    15

  • 8/17/2019 Sarton - l'Histoire de La Science

    15/45

    GXEOROE

    ATON.

    Mais,

    d'autre

    part,

    I'historien

    proprement

    dit,

    devenu

    par degr6s,

    un

    historien

    de

    la

    civilisation,

    ne

    peut

    plus ignorer

    l'histoire de

    la

    science. La synth6se que notre revue se propose d'6laborer l'intW-

    resse

    done

    directement.

    Deja,

    les

    grandes

    histoires

    universelles

    les

    plus

    recentes

    contiennent

    des

    chapitres

    consacres

    A

    l'histoire des

    sciences.

    II

    est

    vrai

    que

    la

    place

    leur

    y

    est

    avarement

    mesur6e,

    mais

    il

    est

    a

    prevoir

    qu'a

    mesure

    que

    l'histoire

    de la

    science

    sera

    mieux

    synthetisee

    et

    deviendra

    plus

    famili6re

    a l'historien

    proprement

    dit,

    celui-ci

    s'en

    effrayera

    moins

    et lui donneraune

    plus

    large

    hospitalitY.

    Une

    nouvelle

    evolution

    de

    l'histoire,

    completant

    celle

    a

    laquelle j'ai

    fait

    allusion

    plus

    haut,

    augmentera

    peu

    a

    peu l'importance

    relative

    accordeea l'histoire de la science, et peut-6trecelle-ci deviendra-t-elle

    un

    jour

    l'61ementcentral

    de l'histoire de

    la

    civilisation,

    celui

    autour

    duquel

    tous

    les

    autres 616ments

    se

    grouperont pour

    l'expliquer

    et

    le

    mieux

    faire

    ressortir.

    La

    science

    n'est-elle

    pas

    le

    plus

    puissant

    facteur

    de

    l'Nvolution

    humaine? Et

    d/s

    lors,

    ne serait-il

    pas lbgitime

    que

    tous

    les autres

    facteurs

    lui

    fussent

    subordonnes dans

    le

    r6cit de

    cette

    Evolution

    ?

    Quelques

    exemples

    feront

    mieux

    comprendre

    la

    portke

    explicative

    de l'histoire

    de la civilisation.

    Pourquoi

    l'astronomie

    s'est-elle

    consti-

    tuee en doctrinedans la Chaldee,et non

    pas

    dans d'autresmilieux

    phy-

    siques

    identiques?

    Un

    sociologue,

    Waxweiler

    (1),

    croit en

    d6couvrir

    la

    cause

    dans

    l'existence

    d'c<

    rchives

    ))

    -

    il existe

    des

    inscriptions

    sumeriennes

    vieilles

    de

    cinquante

    sidcles.

    Comment se

    fait-il

    que

    les

    manuscrits

    latins,

    contenant

    les

    traductions

    d'auteurs

    grecs

    6tablies

    d'apres

    les

    textes

    arabes,

    aient

    si

    longtemps

    arrWte

    'essor

    des

    traduc-

    tions latines

    imprimies

    qui

    avaient ete

    etablies

    directement sur des

    textes

    grecs?

    Les

    premieres

    traductions

    etaient

    cependant

    bien infe-

    rieures. A.-A.

    Bjirnbo

    en

    a

    donne

    des

    raisons

    qui

    paraissent

    tr8s

    plau-

    sibles : c'est la

    rarete

    croissante des

    imprimes qui

    s'6puisaient,

    relati-

    vement aux

    manuscrits sans cesse

    recopies

    et

    qui

    done

    se

    multipliaient;

    c'est

    l'ignorance

    et le

    manque

    d'esprit

    critique

    des

    copistes;

    enfin,

    c'est

    le

    prestige

    exerce

    par

    toute la

    litterature

    arabe,

    en

    partie

    a

    cause

    de son

    abondance

    (2).

    Pour

    expliquer

    la

    creation

    du

    systeme

    m6trique

    (')

    E.

    WAXWEILER,

    Sur les conditions sociales

    de la formation

    et de la

    diffusion

    d'une

    doctrine

    cientifique

    ansses

    rapports

    avec la

    religion

    et

    la

    magie ,

    Bull. de l'Institut

    Solvay,

    n?

    21, p. 916-936,

    (

    Archives sociolo-

    giques

    ,

    n?

    336,

    Bruxelles,

    1912.

    (2)

    A.-A.

    BJORNBO,

    Die

    mittelalterlichen

    ateinischen

    Uebersetzungen

    us

    16

  • 8/17/2019 Sarton - l'Histoire de La Science

    16/45

    L'HISTOIRE DE LA SCIENCE.

    par

    les

    r6volutionnaires

    franais,

    il

    faut

    y

    voir

    non seulement

    une

    rtforme

    scientifique,

    mais aussi

    -

    pour

    une

    part

    -

    une

    reaction

    contre le (pied du roi ) de Fancien regime(1). Des mesures fiscales,

    ou

    la

    promulgation

    de

    lois

    protegeant

    le

    capital

    ou

    le

    travail,

    peuvent

    modifier

    l'orientation

    industrielle et

    commerciale d'un

    pays,

    et

    retentir

    indirectement sur

    sa

    production

    scientifique.

    Pour

    com-

    prendrel'origine

    et le

    developpement

    de la

    geographie,

    il

    faut

    tenir

    compte

    d'une foule de

    mobiles

    tout

    i

    fait

    etrangers

    a la

    science,

    par

    exemple:

    la

    recherche de tr6sors

    fabuleux,

    I'ambition

    des

    conqut-

    rants,

    le

    proselytisme religieux,

    les instincts

    aventureux

    des

    explora-

    teurs...

    Enfin,

    il

    est

    de

    la

    plus

    haute

    importance

    de bien

    connaitre

    l'histoire des epidemies,notammentdes

    6pid6mies

    medievales,et d'6tu-

    dier

    tous

    les

    phenom/nes

    sociaux

    qui

    en

    ont

    6tE

    es

    causes

    et

    les

    conse-

    quences,

    pour apprecier

    sous son vrai

    jour

    l'evolution des

    idees

    medicales.

    On

    a

    pretendu quelquefois que

    l'histoire

    des

    sciences,

    comme aussi

    celle des beaux-artset des

    lettres,

    serait

    moins

    complexe

    et

    beaucoup

    plus

    facile

    a etablir

    que

    l'histoire

    gen6rale.

    En

    effet,

    l'histoire

    g6n6rale

    du

    passe

    est

    l6aboreetout entiWre

    ur

    la

    foi de

    t6moignages

    de

    seconde

    main;

    au

    contraire,

    les

    materiaux

    qu'utilise

    l'historien de la

    science

    sont

    presque

    toujours

    les

    ceuvres

    memes

    des savants.

    De

    plus,

    les

    ouvrages

    r6diges

    par

    ceux-ci

    sont en

    genEral

    beaucoup plus

    desint6-

    resses,

    plus

    exacts et

    plus

    precis

    que

    ne

    le

    sont

    les

    relations

    d'evene-

    ments

    politiques,

    presque

    toujours

    passionn6es

    et

    fatalement

    vouees

    a

    l'inexactitude

    Cette

    remarque

    contient une

    grande

    part

    de

    verite,

    mais

    il

    faut

    y

    faire

    de nombreuses restrictions

    qui

    en

    enervent

    beau-

    coup

    la

    valeur.

    Tout

    d'abord,

    l'historien

    de

    la

    science ne

    peut

    se

    borner

    a

    l'etude

    des

    decouvertes

    proprement

    dites,

    mais il

    doit

    y

    joindre

    1'etudede

    la

    mentalite

    et

    des

    milieux

    scientifiques.

    De

    plus,

    comme

    je

    l'ai

    deja

    dit

    plus

    haut,

    il ne

    suffit

    pas

    de

    savoir

    quand

    une

    dkcouvertea

    ete

    publiee,

    mais

    quand

    elle

    a et0

    reellement

    incorporee

    dans

    la

    science,

    et

    cela

    necessite une

    critique

    trWs

    6netrante

    non

    pas

    seulement

    des

    memoires

    originaux,

    ni

    des

    ouvrages

    de

    vulgarisation,

    mais aussi

    des

    temoignages

    des

    contemporains.

    D'ailleurs,

    pour

    ce

    qui

    concerne

    les

    temps

    ant6rieurs

    a

    l'imprimerie,

    nous

    ne

    possedons

    dem

    Griechischen auf

    dem

    Gebiete

    der

    mathematischen

    Wissenschaften

    ?,

    Archiv . Gesch.d. Naturw. u. d. Technik, . 1,1909,p. 385-394.

    (1)

    HENRI

    BOUASSE,

    La

    science et

    I'histoire de

    la

    civilisation

    ?,

    Revue

    du

    moi,

    t.

    I,

    p.

    56-479,

    Paris,

    4906.

    17

  • 8/17/2019 Sarton - l'Histoire de La Science

    17/45

    GEORGE

    SARTON.

    gmenralementplus

    les

    ouvrages

    originaux,

    et nous ne

    pouvons

    les

    rttablir

    qu'en

    nous

    livrant

    B

    des

    conjectures

    nombreuses.

    Enfin,

    il

    faut se rappelerque la loyaute scientifiquen'estqu'uneconqudteassez

    r6cente.

    Les anciens

    auteurs

    ne se

    gdnaient

    guere pour

    se

    plagier

    de

    la mani6re a

    plus

    6hont6e,

    et

    ils

    oubliaient

    frequemment

    de

    citer

    leurs

    sources.

    La

    remarque

    est

    peut-tre

    plus

    vraie

    pour

    l'histoire

    contemporaine,

    car

    de nos

    jours

    les

    idees

    et 13s aits

    scientifiques

    sont

    immediatement

    publies

    et

    codifies,

    et des

    academies,

    des

    archives et des

    recueils de

    toutes sortes

    exercent

    une

    surveillance

    constante

    et

    vigilante

    sur la

    production

    scientifique

    du monde entier.

    Mais,

    de

    toutes

    manieres,

    le travailcritique de l'historien de la science, s'il est susceptible d'une

    plus grande

    precision

    que

    celui

    de l'historien

    proprement

    dit,

    n'en

    est

    pas

    moins

    complexe,

    ni

    moins

    difficile

    :

    il

    est

    different.

    2o

    Science et

    technologie.

    Les

    besoins industriels

    posent

    sans

    cesse de nouveaux

    problemes

    A

    la

    science,

    et

    contribuent

    ainsi

    direc-

    tement a d6terminer

    la

    marche de son evolution. D'autre

    part,

    les

    progres

    de

    la science font naitre

    incessamment

    de nouvelles

    indus-

    tries,

    on

    en

    ressuscitent

    d'anciennes.

    II

    en

    rksulte

    que

    l'histoire de

    la

    science

    et

    celle de

    la

    technologie

    sont

    si

    intimement

    enchevAtrees,

    qu'il

    n'est

    pas

    toujours

    possible

    de les

    degager

    l'une de

    l'autre,

    et

    que

    I'historien

    de la

    science

    est

    irresistiblement entrain

    'a

    Etudier1'evo-

    lution

    des sciences

    appliquees.

    E.

    Gerland

    (1)

    a

    montr6

    que

    c'est le

    besoin de

    bonnes

    pompes

    a

    vide

    qui

    a fait

    apparaitre

    A

    Leiden,

    au

    commencement

    du

    xviII?

    si6cle,

    les

    premiers

    ateliers

    pour

    la

    construc-

    tion

    d'instruments

    de

    precision,

    et

    je

    n'ai

    pas

    besoin de dire

    de

    quelle

    importance

    ces

    ateliers

    ont

    ete,

    dans la

    suite,

    pour

    les

    progres

    de

    la

    physique.

    Mais

    voici

    des

    exemples,

    sinon

    plus

    suggestifs,

    du moins

    plus retentissants. On salt qu'il suffit d'une decouverte geologique

    pour

    transformer

    un

    peuple

    d'agriculteurs

    en un

    peuple

    industriel,

    c'est-a-dire

    pour

    modifier

    de fond

    en

    comble

    ses besoins

    scienti-

    fiques. L'exploitation

    des

    mines a

    exerce,

    de tout

    temps,

    une telle

    influence sur

    le

    developpement

    de

    la

    science,

    que

    L.

    De

    Launay

    n'hesite

    pas

    A

    ecrire:

    o

    II

    n'est

    peut-etre

    pas

    exag6r6

    de

    comparer

    la

    place que

    la

    mine a

    tenue

    dans

    l'histoire

    des

    sciences,

    avec

    celle

    du

    temple

    dans

    l'histoire des arts

    (2).

    O

    Le

    m6me

    auteur

    a

    fait

    ressortir,

    (i)

    E.

    GERLAND,

    Das Handwerkin der Geschichteder Physik ),

    Arch. f.

    Gesch.

    d.

    Naturw.

    u. d.

    Tech.,

    t.

    1,

    1909,

    p.

    347-353.

    (2)

    L.

    DE

    LAUNAY,

    a

    conquete

    min6rale,

    Paris,

    1908,

    p.

    271.

    18

  • 8/17/2019 Sarton - l'Histoire de La Science

    18/45

    L'HISTOIRE

    DE LA

    SCIENCE.

    avec

    beaucoup

    de

    clarte,

    le

    r61e

    historique

    immense

    que

    les mines

    d'argent

    du

    Laurion

    ont

    jouW

    dans le

    developpement

    de

    la

    puissance

    attique, c'est-i-dire dans l'histoire de la civilisation indo-europ6enne

    tout

    enti6re. L'histoire de la

    chimie serait

    parfois

    incomprehensible,

    si l'on

    n'y

    associait

    celle des

    industries

    chimiques: rappelez-vous

    I'actionexercee

    par

    l'industrie

    des

    matieres

    colorantes sur les

    progres

    de la chimie

    organique,

    et,

    inversement,

    l'heureuse

    influence con-

    stamment exercee sur

    cette industrie

    par

    la

    Soci6tt

    chimique

    alle-

    mande et

    par

    ses

    Berichte;

    c'est

    1h,

    il

    est

    vrai,

    un

    exemple

    vraiment

    remarquable

    et

    peut-etre unique

    dans

    sa

    continuite,

    de

    l'entr'aide

    que

    la

    science

    et

    l'industrie

    peuvent

    s'accorder.

    Mais on

    sait assez

    i

    quel point

    les industries

    chimiques

    sont intimement liees a la civili-

    sation

    generale

    :

    chaque

    synthese

    d'un

    produit

    naturel

    (indigo,

    garance,

    vanille, caoutchouc,

    etc.)

    met

    en

    peril

    une industrie

    agricole

    et bouleverse l'economie d'un

    pays.

    Les

    inventions

    techniques

    (1)

    sont

    parfois

    si etroitement conditionn6es

    par

    les

    necessites

    industrielles,

    que

    le hasard

    et la

    fantaisie

    personnelle

    des

    inventeurs

    semblent

    elimines.

    A

    chaque

    moment,

    l'industriel

    peut

    dire:

    ((

    Voila l'inven-

    tion

    qui

    devrait

    etre

    faite

    pour

    ameliorer mon

    rendement,

    et

    i

    mesure

    que

    l'industrie devient

    plus scientifique,

    il

    arrive

    qu'il

    peut

    definir

    cette

    invention avec une

    precision

    telle

    que

    le

    probleme pose

    a

    l'inventeurest enti6rement

    determine.

    De

    plus,

    chaque

    invention

    en

    declanche

    une

    serie

    d'autres,

    que

    la

    premiere

    a

    rendues

    n6cessaires,

    ou

    qu'on

    n'aurait

    pu

    realiser

    ni

    meme

    concevoir

    auparavant.

    Enfin,

    les

    besoins

    du commerce retentissent

    constamment

    sur le

    developpement

    des

    sciences,

    non seulement

    sur

    le

    developpement

    de

    la

    geographie

    et,

    par

    ricochet,

    des

    sciences

    naturelles

    (c'est trop

    evi-

    dent,

    pour que

    je

    m'y arr6te),

    mais

    aussi

    sur le

    developpement

    des

    mathematiques.

    II

    faut,

    en

    effet,

    tenir

    compte

    des besoins

    comptables

    de

    leur

    epoque,

    pour

    apprecier

    et

    critiquer

    justement

    l'introduction

    des

    chiffres

    arabes

    en

    Occident

    vers

    le

    xIIi"

    i6cle,

    et

    des notations

    relatives

    aux

    fractions

    d6cimales

    a

    la fin du xvi

    siecle.

    Ce sont encore

    des

    necessites

    commerciales

    qui

    ont

    entraine les

    perfectionnements

    successifs

    de la

    navigation,

    done de

    l'astronomie,

    et

    qui

    ont deter-

    mine,

    en

    grande

    partie,

    1'evolutiondes

    systemes

    de

    poids

    et

    mesures.

    Si nous nous

    placons

    maintenant au

    point

    de vue de

    l'industriel,

    il

    est

    facile

    de voir

    qu'il

    a

    un

    intre't

    tres

    serieux

    a

    bien

    connaitre

    (')

    Cfr. G.

    DE

    LEENER,

    Bull. de

    l'Institut

    Solvay,

    a

    Archives sociolo;

    giques

    ,

    ns

    190 et

    2b6,

    1911,

    et no

    322,

    1912,

    Bruxelles.

    19

  • 8/17/2019 Sarton - l'Histoire de La Science

    19/45

    GEORGE SARTON.

    l'histoire

    de

    la

    technologie,

    done aussi

    l'histoire de

    la

    science.

    Mais,

    malheureusement,

    si

    l'evolution des

    techniques

    prehistoriques

    a fait

    l'objet d'6tudes trhs nombreuses, l'histoire de la technologie pen-

    dant

    les

    derniers

    siecles

    presente

    encore d'6normes

    lacunes

    Cela

    est

    dui

    en

    grande

    partie

    au

    fait

    que

    les d6couvertes

    industrielles

    sont

    souvent

    enveloppees

    de

    mystere.

    II faut

    encourager

    d'autant

    plus

    les

    recherches

    monographiques

    dans ce

    domaine;

    il

    est

    extrmmement

    utile,

    par

    exemple,

    de faire

    des etudes

    critiques

    sur la vie et l'oeuvre

    des inventeurset des

    grands

    industriels.

    3?

    Science

    et

    religion.

    -

    La

    science et la

    religion

    n'ont

    jamais

    cesse

    de

    rbagir

    'une sur I'autre, meme en notre temps et dans les pays oi

    la

    science

    a

    atteint

    un

    haut

    degr6

    de

    perfection

    et

    d'independance.

    Mais,

    bien

    entendu,

    ces interactions

    sont

    d'autant

    plus

    nombreuses

    et

    plus profondes que

    l'on

    considere

    des

    epoques

    plus

    eloignees

    de

    nous,

    et une

    science

    plus jeune.

    Les

    peuples primitifs

    ne savent

    pas

    encore

    faire

    le

    depart

    des

    idWes

    cientifiques

    et des idees

    religieuses,

    ou

    plus

    exactement,

    cette

    classification

    n'a

    pour

    eux

    aucun sens.

    Plus

    tard,

    quand

    la division du

    travail

    a

    cre6

    des

    techniciens ou des savants

    distincts

    des

    prdtres,

    ou

    des

    prdtres plus

    specialisEs

    dans

    la science

    que

    d'autres,

    l'interpretation

    des

    livres

    saints

    et l'observation des

    rites,

    les besoins de

    l'agriculture

    et de

    la

    m6decine,

    et l'on

    pourrait

    ajouter,

    tous

    les

    d6sirs,

    toutes

    les

    craintes,

    toutes

    les

    inquietudes

    d'une

    existence

    pr6caire

    et

    mysterieuse

    ont

    fait naitre et ont

    entretenu

    des

    rapports

    constants

    entre

    la

    science

    et la

    religion.

    Les

    grandes

    6pid6mies,

    dont

    j'ai

    d6jt

    indique

    l'intkrdt,

    eten

    g6n6ral

    tous

    les cata-

    clysmes

    ont eu

    pour consequence

    des mouvements

    ntenses de ferveur

    et

    de fanatisme

    religieux,

    dont la science a

    subi

    le

    contre-coup.

    Ce

    sont

    plus

    d'une

    fois les

    th6ologiens qui

    ont

    assure

    la transmission

    des

    idees

    scientifiques;

    ce fut

    le

    cas,

    par

    exemple,

    pour

    la

    periode

    qui

    s'est

    kcoul&e

    ntre

    la decadence de la

    seconde

    Ecole

    d'Alexandrie

    et

    le

    Ix*

    siMcle;

    on

    sait,

    en

    effet,

    que

    c'est

    en

    grande partie

    aux

    PNres

    de

    1'iglise

    latine

    et

    a

    l'heresie nestorienne

    que

    nous

    devons

    sinon le

    progr6s,

    du

    moins

    la conservation

    de

    la

    science

    &

    cette

    epoque.

    Des

    phenomenes religieux

    ont eu

    parfois

    sur les

    progres

    de

    la science

    des

    repercussions

    moins

    directes,

    mais non

    moins

    importantes

    :

    ainsi,

    A.

    de

    Candolle

    a

    prouv6

    que

    la

    population

    protestante,

    expuls6e

    des

    pays catholiques au xvr, au xvll et mdme au

    xvnI?

    siecle, a pro-

    duit

    un

    nombre

    de

    savants

    distingues,

    tout i fait

    eKtraordinaire;

    oila,

    certes,

    une

    consequence

    bien

    impr6vue.

    20

  • 8/17/2019 Sarton - l'Histoire de La Science

    20/45

    L'HISTOIRE

    DE LA

    SCIENCE.

    Ces

    interactions

    entre la

    science et la

    religion

    ont

    pris

    le

    plus

    sou-

    vent

    une

    forme

    agressive.

    Mais

    quand

    nous

    parlons

    de

    conflits

    entre

    la science et la religion, il s'agit, en fait, de conflitsentre la science et

    la

    theologie,

    ou,

    si l'on

    veut,

    d'un

    conflit

    perp6tuel

    entre les

    ten-

    dances

    scientifiques

    et

    les

    tendances

    cl6ricales.

    I1

    est vrai

    que

    le

    public

    distingue

    mal

    ce

    qui

    est

    sentiment

    religieux

    et

    croyance

    inn6e de ce

    qui

    est

    dogme,

    rite,

    formalisme

    et

    convention,

    et les

    th6ologiens,

    en

    Pffectant

    de considerer les

    attaques

    dont ils

    6taient

    l'objet

    comme

    des

    attaques

    contre

    la

    religion

    meme,

    n'ont

    cesse

    d'aggraver

    cette

    equi-

    voque,

    au

    lieu de

    la

    dissiper:

    il en

    est

    resultW

    ue

    des Amessincres et

    vraiment

    religieuses

    ont

    souvent

    traite

    la

    science

    en

    ennemie.

    C'est

    ainsi que l'histoire de la science s'entremdleconstammentA 'histoire

    des heresies

    religieuses.

    40

    La

    science

    et l'art.

    -

    Quelques

    remarques

    pr6liminaires

    sur

    les

    caracteres

    propres

    du

    travail

    scientifique

    et du

    travail

    artistique

    sont

    indispensables

    pour

    faire voir dans

    quelles

    limites nos

    comparaisons

    doivent

    etre

    comprises

    pour

    6tre

    vraiment

    utiles

    et

    significatives.

    On

    attribue

    g6neralement

    peu d'importance

    aux

    questions

    tech-

    niques

    dans

    l'histoire de l'art.

    Sans

    doute,

    ces

    questions

    jouent

    un

    assez grand r61edans les arts decoratifset l'architecture,mais elles y

    relivent

    plut6t

    de la

    technologie

    et sont

    mdme

    l'objet

    d'un

    enseigne-

    inent

    distinct de

    l'enseignement

    artistique proprement

    dit.

    En

    tout

    cas,

    on

    concoit

    tres

    bien une

    histoire de

    l'art oh

    les

    questions

    de

    tech-

    nique

    ne soient

    que

    rarement

    6tudiees,

    et c'est

    ainsi

    d'ailleurs,

    que

    presque

    toutes

    les histoires

    de

    l'art sont

    faites.

    Y

    a-t-il

    beaucoup

    de

    personnes

    qui

    se demandent

    quelles

    couleurs

    Botticelli

    utilisait?

    ou

    quel

    etait

    le

    vocabulaire

    de

    Platon

    ou

    de Goethe?

    Nous

    aimons

    l'oeuvre

    d'art

    pour

    elle-meme

    :

    c'est le

    resultat

    surtout

    q.ui

    nous

    int6resse,

    et

    dont

    nous nous

    efforcons

    de conserver

    le

    souvenir;

    au

    contraire,

    dans

    le

    domaine de

    la

    science,

    le

    resultat

    nous

    int6resse

    en

    general

    beau-

    coup

    moins

    que

    les

    methodes

    qui

    nous

    ont

    permis

    de

    l'obtenir. C'est

    que

    l'histoire

    de la

    science n'est

    pas

    seulement

    une histoire

    de

    l'intel-

    ligence,

    mais

    aussi

    -

    et

    pour

    une

    part

    beaucoup

    plus large

    -

    une

    histoire

    des

    instruments

    materiels et des

    instruments

    logiques

    succes-

    sivement

    crees

    par

    cette

    intelligence

    pour

    en

    etre

    aidee,

    et encore: une

    histoire

    de.

    l'experience

    humaine. Cette

    exp6rience

    a,

    en

    effet,

    une

    signification

    et

    une

    valeur

    beaucoup plus

    considerables

    pour

    le savant

    que

    pour

    l'artiste.

    L'artiste

    admire,

    mais le

    savant

    utilise

    l'oeuvre

    de

    ses

    predecesseurs;

    l'artiste s'en

    inspire,

    mais

    le

    savant

    s'efforce

    de

    21

  • 8/17/2019 Sarton - l'Histoire de La Science

    21/45

    GEORGE

    SARTON.

    l'incorporer

    tout

    entiere

    dans

    l'oeuvre

    nouvelle. Aussi

    bien,

    la

    notion

    de

    progr&s

    rtistique

    me

    parait

    bien difficile

    i

    6tablir.

    Rodin

    sculpte-

    t-il mieux que Verrocchio,ou que Polyclete?Lestableaux de Carriere,

    de Watts

    ou

    de

    Segantini

    sont-ils

    plus

    beaux

    que

    ceux de Fra

    Ange-

    lico,

    des

    Van

    Eyck

    ou de

    Moro?Ces

    questions

    ont-elles

    meme un

    sens?

    II

    y

    a

    eu a

    toutes

    les

    6poques

    de

    grands

    artistes

    et

    des

    artistes

    m6diocres. On oublie