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1 Satan hérétique : l’institution judiciaire de la démonologie sous Jean XXII Alain Boureau Alain Boureau, « Satan hérétique : l’institution judiciaire de la démonologie sous Jean XXII », Médiévales, n° 44, Paris, PUV, printemps 2003, p. 17-46. Le démon a une histoire fort ancienne dans le christianisme, mais l'institution d'une science du démon, d'une démonologie paraît bien plus récente. Certes, on peut reconstituer un certain savoir patristique et scolastique sur les entreprises du diable et de ses mauvais anges, mais on ne peut parler de démonologie que lorsqu'une discipline autonome s'attache non plus seulement au mode d'existence et d'action des démons, mais aussi et surtout aux relations qu'ils nouent avec les humains et aux techniques de discernement des esprits qui permettent de distinguer le possédé de l'inspiré. Un savoir pratique, un art, fondé sur une doctrine plus ou moins précise, remplace, ou du moins complète l'antique don de reconnaissance des mauvais esprits. Un des signes concrets de cette émergence d'une nouvelle discipline se trouve dans la rédaction de traités spécifiques, qui transmettent un savoir ou une expérience cumulative. C'est pourquoi on a longtemps daté la naissance de la démonologie du premier traité connu de démonologie pratique et théorique, le Marteau des sorcières, publié en 1486 par l'inquisiteur dominicain Henri Institoris. Certes, d'autres manuels de l'inquisiteur avaient précédé, dont les plus célèbres étaient ceux de Bernard Gui1 (vers 1324) et Nicolas Eymerich (vers 1376), mais la poursuite des démons et de leurs alliés les sorciers n'y jouait pas un rôle central. La poursuite des hérétiques proprement dits et les questions techniques de procédure importaient davantage. Cette chronologie avait l'avantage de faire coïncider les débuts de la démonologie et ceux de la « démonomanie », illustrée par la grande chasse aux sorcières. Des travaux récents, notamment ceux du groupe animé par Agostino Paravicini Bagliani, et ceux de Pierrette Paravy2, ont pourtant montré qu'un moment fondamental pour la constitution d'une démonologie pratique et théorique précoce devait être situé vers la fin des années 1430, avec les premiers procès minutieux en sorcellerie dans le Valais et avec des écrits de doctrine de procédure comme le rapport du chancelier Hans Fründ sur les sorcières du Valais, le Formicarius du dominicain Jean Nieder, le traité anonyme intitulé Errores Gazariorum ou encore le traité du juge dauphinois Claude Tholosan. Le concile de Bâle (1431-1437) aurait joué un rôle essentiel pour la confrontation des expériences et des doctrines3. Je propose ici de faire un nouveau saut en arrière, en avançant de plus d'un siècle l'invention de la démonologie et en pointant non pas la mise en place simultanée d'une doctrine et d'une poursuite, comme au XV e siècle, mais la mutation considérable de procédure qui a assimilé les invocations du démon et la sorcellerie au crime d'hérésie, ce qui entraîna un nouveau déploiement judiciaire, de nouvelles révélations et surtout, en donnant à l'ancien thème du pacte avec le diable un contenu doctrinal, rendait compte de l'action démoniaque dans le monde. Cette proposition peut paraître futilement nominale, car elle baptiserait du nom de démonologie de simples évolutions de mentalités ou de doctrine. Tout phénomène historique a sa préhistoire que l'on peut construire en histoire en gommant les différences et en accentuant les ressemblances. Cependant les enjeux de ce déplacement chronologique sont importants, ne serait-ce que dans la saisie historiographique des phénomènes de sorcellerie. En repoussant la démonologie vers l'extrême fin du Moyen Âge, les médiévistes se sont

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Satan heacutereacutetique lrsquoinstitution judiciaire de la deacutemonologie sous Jean XXII

Alain Boureau

Alain Boureau laquo Satan heacutereacutetique lrsquoinstitution judiciaire de la deacutemonologie sous

Jean XXII raquo Meacutedieacutevales ndeg 44 Paris PUV printemps 2003 p 17-46

Le deacutemon a une histoire fort ancienne dans le christianisme mais linstitution dune science du

deacutemon dune deacutemonologie paraicirct bien plus reacutecente Certes on peut reconstituer un certain

savoir patristique et scolastique sur les entreprises du diable et de ses mauvais anges mais on

ne peut parler de deacutemonologie que lorsquune discipline autonome sattache non plus

seulement au mode dexistence et daction des deacutemons mais aussi et surtout aux relations

quils nouent avec les humains et aux techniques de discernement des esprits qui permettent

de distinguer le posseacutedeacute de linspireacute Un savoir pratique un art fondeacute sur une doctrine plus ou

moins preacutecise remplace ou du moins complegravete lantique don de reconnaissance des mauvais

esprits Un des signes concrets de cette eacutemergence dune nouvelle discipline se trouve dans la

reacutedaction de traiteacutes speacutecifiques qui transmettent un savoir ou une expeacuterience cumulative

Cest pourquoi on a longtemps dateacute la naissance de la deacutemonologie du premier traiteacute connu de

deacutemonologie pratique et theacuteorique le Marteau des sorciegraveres publieacute en 1486 par linquisiteur

dominicain Henri Institoris Certes dautres manuels de linquisiteur avaient preacuteceacutedeacute dont les

plus ceacutelegravebres eacutetaient ceux de Bernard Gui1 (vers 1324) et Nicolas Eymerich (vers 1376) mais

la poursuite des deacutemons et de leurs allieacutes les sorciers ny jouait pas un rocircle central La

poursuite des heacutereacutetiques proprement dits et les questions techniques de proceacutedure importaient

davantage Cette chronologie avait lavantage de faire coiumlncider les deacutebuts de la deacutemonologie

et ceux de la laquo deacutemonomanie raquo illustreacutee par la grande chasse aux sorciegraveres

Des travaux reacutecents notamment ceux du groupe animeacute par Agostino Paravicini Bagliani et

ceux de Pierrette Paravy2 ont pourtant montreacute quun moment fondamental pour la

constitution dune deacutemonologie pratique et theacuteorique preacutecoce devait ecirctre situeacute vers la fin des

anneacutees 1430 avec les premiers procegraves minutieux en sorcellerie dans le Valais et avec des

eacutecrits de doctrine de proceacutedure comme le rapport du chancelier Hans Fruumlnd sur les sorciegraveres

du Valais le Formicarius du dominicain Jean Nieder le traiteacute anonyme intituleacute Errores

Gazariorum ou encore le traiteacute du juge dauphinois Claude Tholosan Le concile de Bacircle

(1431-1437) aurait joueacute un rocircle essentiel pour la confrontation des expeacuteriences et des

doctrines3

Je propose ici de faire un nouveau saut en arriegravere en avanccedilant de plus dun siegravecle linvention

de la deacutemonologie et en pointant non pas la mise en place simultaneacutee dune doctrine et dune

poursuite comme au XVe siegravecle mais la mutation consideacuterable de proceacutedure qui a assimileacute les

invocations du deacutemon et la sorcellerie au crime dheacutereacutesie ce qui entraicircna un nouveau

deacuteploiement judiciaire de nouvelles reacuteveacutelations et surtout en donnant agrave lancien thegraveme du

pacte avec le diable un contenu doctrinal rendait compte de laction deacutemoniaque dans le

monde Cette proposition peut paraicirctre futilement nominale car elle baptiserait du nom de

deacutemonologie de simples eacutevolutions de mentaliteacutes ou de doctrine Tout pheacutenomegravene historique

a sa preacutehistoire que lon peut construire en histoire en gommant les diffeacuterences et en

accentuant les ressemblances Cependant les enjeux de ce deacuteplacement chronologique sont

importants ne serait-ce que dans la saisie historiographique des pheacutenomegravenes de sorcellerie

En repoussant la deacutemonologie vers lextrecircme fin du Moyen Acircge les meacutedieacutevistes se sont

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deacutefausseacutes dune lourde affaire qui mettait en cause la rationaliteacute scolastique et ont ainsi perdu

loccasion de repeacuterer les racines theacuteologiques et philosophiques de la deacutemonologie La chasse

aux sorciegraveres a longtemps releveacute de lhistoire laquo moderne raquo degraves lors leacutecart patent entre les

lumiegraveres de la Renaissance et lobscuriteacute perseacutecutrice a encore accentueacute la marginalisation de

la penseacutee deacutemonologique reacuteduite agrave un puissant combat darriegravere-garde des forces obscures et

reacutepressives qui refusaient la moderniteacute Depuis une vingtaine danneacutees au contraire des

historiens (Jacques Chiffoleau Nicole Lemaicirctre Denis Crouzet) se sont efforceacutes de reacutetablir

des continuiteacutes entre le christianisme meacutedieacuteval et les formes diverses de Reacuteforme et de

Contre-Reacuteforme

La preacutesente proposition nest pas totalement ineacutedite Richard Kieckhefer a eacutecrit un stimulant

petit livre sur les procegraves de sorcellerie qui souvre preacuteciseacutement sur lanneacutee 13004 Par ailleurs

une bulle agrave la fois ceacutelegravebre et meacuteconnue de Jean XXII Super illius Specula (1326 ou 1327) a

parfois eacuteteacute consideacutereacutee comme le texte fondateur de la nouvelle obsession deacutemonologique qui

saisit beaucoup desprits dans lEacuteglise agrave la fin du Moyen Acircge Joseph Hansen qui au deacutebut de

ce siegravecle fonda les eacutetudes contemporaines sur la sorcellerie avait placeacute ce texte parmi les tout

premiers de sa fameuse anthologie Quellen und Untersuchungen zur Geschichte des

Hexenwahns und der Hexenverfolgung5 Lynn Thorndike trente ans plus tard consacra un

chapitre de sa somme sur la magie agrave Jean XXII6 Tout reacutecemment les travaux de Nicolas

Weill-Parot7 ont rouvert la question de linteacuterecirct du pape pour la magie

Larbre des historiens et la forecirct des documents

De fait mecircme si ce sont essentiellement des pratiques magiques (fabrication dimages et

dustensiles divers) qui sont incrimineacutees elles deacuterivent directement de ladoration des deacutemons

Les sorciers laquo entrent en association avec la mort et font pacte avec lenfer raquo8 selon les

termes de Super illius Specula Linvocation des deacutemons et les pratiques connexes sont

reacutefeacutereacutees agrave des laquo dogmes raquo laquo que nul dentre eux nose enseigner ou apprendre quoi que ce

soit de ces dogmes pervers raquo (de perversis dictis dogmatibus perversis) deacutesigneacutees comme

heacutereacutesies elles doivent ecirctre punies laquo par toutes les peines que de droit meacuteritent les

heacutereacutetiques raquo (penas omnes et singulas quas de iure merentur heretici) Ce texte rectifie la

bulle Accusatus9 dAlexandre IV (1258) qui en reacuteponse agrave une demande preacutecisait que les

deacutelits magiques ne relevaient pas des compeacutetences de lInquisition sauf si elles laquo sentaient

manifestement lheacutereacutesie raquo (nisi manifeste saperent heresim) Limportance de cette

qualification est eacutevidente pour la construction ulteacuterieure de la deacutemonologie et du sabbat

largement opeacutereacutee par le travail inquisitorial Linquisition en prenant en charge lheacutereacutesie des

sorciers pouvait y consacrer ses moyens judiciaires exceptionnels son expertise theacuteologique

et son savoir cumulatif transmis par de nombreux guides de linquisiteur tandis que les

tribunaux eacutepiscopaux et seacuteculiers eacutetaient tributaires des circonstances et des compeacutetences et

engagements individuels

En outre Super illius Specula en prenant au seacuterieux les preacutetentions des sorciers et invocateurs

de deacutemons rompait de faccedilon brutale avec lancienne tradition de lEacuteglise et notamment du

canon Episcopi (Xe siegravecle) qui traitait les sortilegraveges et les faits de sorcellerie ou de magie

comme autant dillusions diaboliques sans reacutealiteacute effective Ce texte que lon trouve pour la

premiegravere fois dans une collection canonique ou peacutenitentielle reacutedigeacutee par Reacuteginon de Pruumlm

(vers 904) puis repris reacuteguliegraverement dans dautres seacuteries avant de figurer au Deacutecret de

Gratien10 a toujours fascineacute les historiens notamment parce quil annonccedilait cinq siegravecles agrave

lavance certaines formes du sabbat des sorciegraveres lauteur du canon eacutevacue ces croyances

comme de simples recircveries induites par le diable qui fait croire agrave des esprits faibles quils

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pouvaient tirer quelque force surnaturelle de leurs mauvaises accointances Aucun des faits

alleacutegueacutes na de reacutealiteacute corporelle et ces images de chevaucheacutee nocturne sont compareacutees aux

songes et recircves nocturnes ordinaires Bien plus le canon limite seacutevegraverement les pouvoirs du

diable

Quiconque croit quen dehors du Creacuteateur lui-mecircme qui a tout accompli et par qui tout a eacuteteacute

fait une creacuteature puisse ecirctre faite ou changeacutee en mieux ou en pire ou transformeacutee en une

autre espegravece ou une autre apparence est un infidegravele et est pire quun paiumlen

Malgreacute cet eacutecart les historiens ont eu tendance agrave faire peu de cas de la bulle Super illius

Specula On a parfois douteacute de la porteacutee de ce texte en mettant en question sa nouveauteacute ses

effets et son authenticiteacute

La nouveauteacute du texte a pu paraicirctre limiteacutee dune part parce que limputation heacutereacutetique semble

deacutejagrave figurer dans le canon Episcopi dautre part parce que la reacutealiteacute des maleacutefices nest pas

explicitement affirmeacutee dans la bulle de Jean s infidegraveles et lauteur du canon invoquait agrave leur

propos un verset de lEacutepicirctre agrave Tite (3 10) laquo Eacutevite lhomme heacutereacutetique apregraves la premiegravere et

seconde correction raquo Cependant cette infideacuteliteacute ou heacutereacutesie est imputeacutee agrave la laquo fausse

opinion raquo agrave la croyance en des diviniteacutes plus ou moins sataniques et non pas agrave lacte mecircme

dinvocation ou de magie Dans la construction proceacutedurale de Jean XXII cest la notion de

laquo fait heacutereacutetique raquo au-delagrave ou en deccedilagrave de lopinion ou de lerreur qui importe On y reviendra

Ensuite la notion dheacutereacutesie na pas du tout le mecircme sens au Xe siegravecle et au XIV

e siegravecle entre-

temps les grandes dissidences des XIe et XII

e siegravecles le valdeacuteisme le catharisme le

beacuteguinisme ont conduit agrave la constitution de lheacutereacutesie comme crime majeur rapporteacute au crime

de legravese-majesteacute depuis Innocent III et sa bulle Vergentis11 poursuivi selon des proceacutedures

dexception et puni de faccedilon rigoureuse Il est vrai quune lecture minutieuse de la bulle de

Jean XXII ne permet pas dattribuer une reacutealiteacute effective aux opeacuterations de magie et

dinvocation Mais on le verra la longue suite des textes normatifs et des procegraves du pontificat

de Jean XXII legraveve tout doute quant aux croyances du pape et de son entourage

La seconde objection quant aux effets de la bulle porte surtout sur le long laps de temps entre

sa publication et sa premiegravere reprise textuelle cinquante ans plus tard dans le Directorium

Inquisitorum12 de linquisiteur dominicain Nicolas Eymerich (1376) qui par ailleurs

reacuteiteacuterait la thegravese de linvocation des deacutemons comme activiteacute heacutereacutetique Mais cette reprise ne

relegraveve pas de la seule fantaisie reacutepressive de linquisiteur catalan ceacutelegravebre pour ses excegraves En

effet deux ans plus tocirct le 15 aoucirct 1374 le pape Greacutegoire XI qui nomma Eymerich comme

inquisiteur avait adresseacute agrave linquisiteur de France le dominicain Jacques de Morey une lettre

deacutebutant preacuteciseacutement par la mention Super specula militantis qui lui recommandait de

proceacuteder de faccedilon sommaire13 et sans appel contre les invocateurs des deacutemons (demones

invocant) et notamment quand ils eacutetaient eccleacutesiastiques Le texte du pape fait dailleurs saisir

lune des raisons du retard dans lapplication des directives de Jean XXII il mentionne en

effet lopposition de certains laquo quelques-uns et mecircme des lettreacutes sy opposent en preacutetendant

que cela ne relegraveve pas de ta charge selon les deacutecisions canoniques14 raquo De fait le principal

traiteacute sur les heacutereacutesies reacutedigeacute vers 1340 par Guido Terreni qui avait eacuteteacute inquisiteur de

Majorque et proche collaborateur de Jean XXII ne mentionne nullement les adorateurs des

deacutemons parmi les heacutereacutetiques15 Bien avant les premiegraveres descriptions coheacuterentes et

concordantes du sabbat des sorciegraveres agrave partir de 1430 la voie eacutetait ouverte au traitement

inquisitorial des invocateurs de deacutemons et en 1398 la faculteacute de theacuteologie de Paris deacutetermina

que la sorcellerie accomplie par le moyen dun pacte explicite ou implicite avec le diable

impliquait une apostasie de la foi chreacutetienne et donc relevait de lheacutereacutesie16 Il nous faudra

4

revenir sur la question du retard dans lapplication effective de la bulle et mecircme dans les

perceptions communes des deacutemons17

La troisiegraveme objection quant agrave lauthenticiteacute du texte ne peut ecirctre contourneacutee Certes cest agrave

tort quon a eacutevoqueacute son absence dans les deux collections canoniques qui ont acheveacute la

composition du Corpus Iuris Canonici en y incluant de nombreuses deacutecreacutetales de Jean XXII

les Extravagantes Johannis XXII et les Extravagantes communes en effet la premiegravere

collection de vingt bulles du pape fut composeacutee en 1325 par Jesselin de Cassagnes qui neut

jamais le temps dy revenir avant sa mort La seconde ne fut assembleacutee que fort tardivement

au deacutebut du XVIe siegravecle18 en un temps ougrave le message de Jean XXII sur ce point eacutetait devenu

fort banal Mais il est plus surprenant de ne pas trouver de trace de la bulle dans les Registres

pontificaux19 cependant linachegravevement du grand chantier de publication des lettres de

Jean XXII entrepris il y a plus dun siegravecle ne permet pas de transformer cet eacutetonnement en

doute Enfin le statut mecircme de ce texte est eacutetrange puisquil sadresse agrave tous les chreacutetiens

sans distinction en incitant les coupables agrave livrer leurs livres de magie sous huit jours Or

Jean XXII preacutefeacutera souvent les commissions discregravetes et preacutecises confieacutees agrave des hommes de

confiance

Le doute peut donc demeurer mais la bulle Super illius specula cet arbre malingre et peut-

ecirctre inexistant a masqueacute une forecirct bien reacuteelle et empecirccheacute de repeacuterer la grande nouveauteacute de la

deacutemonologie de Jean XXII Cest dans cette forecirct que nous allons circuler en nous limitant

dabord aux aspects proceacuteduraux qui qualifient la magie deacutemoniaque comme crime heacutereacutetique

et qui montrent bien la continuiteacute et limportance de lenquecircte sur les adorateurs des deacutemons

Un effort continu

En premier lieu on trouve une demande dexpertise formuleacutee par Jean XXII au deacutebut de 1320

sur la qualification des pratiques magiques et des invocations des deacutemons comme heacutereacutesie Le

texte des questions du pape et dix reacuteponses ont eacuteteacute conserveacutees dans le manuscrit Borghese 428

de la Bibliothegraveque Vaticane redeacutecouvert par Annelise Maier20 dont je preacutepare leacutedition

complegravete Certes les trois premiegraveres questions sur lesquelles nous reviendrons traitent de

sortilegraveges divers qui ne relegravevent pas explicitement de la deacutemonologie mais la quatriegraveme

question est claire

Est-ce que ceux qui sacrifient aux deacutemons en ayant lintention de leur faire sacrifice afin

quattireacutes par ce sacrifice les deacutemons obligent quelque personne agrave faire ce que le sacrificateur

deacutesirait ou est-ce que ceux qui invoquent le deacutemon doivent ecirctre consideacutereacutes comme des

heacutereacutetiques ou bien seulement comme des auteurs de sortilegraveges21

Cette consultation malgreacute la reacuteticence de la majoriteacute des theacuteologiens consulteacutes produisit des

reacutesultats remarquables en accreacuteditant la thegravese neuve du laquo fait heacutereacutetique raquo lun des experts

Enrico del Carretto esquissa mecircme la description dun sacrement satanique efficace

description deacuteriveacutee de la theacuteorie contractuelle du sacrement mise au point dans la seconde

moitieacute du XIIIe siegravecle22

Il est possible que la pratique de certains juges eccleacutesiastiques ait preacuteceacutedeacute lexplicitation

doctrinale de la question23 Cest ce qui pourrait apparaicirctre dans une lettre adresseacutee le 28

juillet 1319 par Jean XXII au chanoine Seacuteguin de Beleacutegney juge eccleacutesiastique de Fontius

dAuch eacutevecircque de Poitiers Seacuteguin seacutetait ouvert au pape dun scrupule qui lavait assailli une

accuseacutee eacutetait morte apregraves avoir subi la torture sur ordre du juge Laccuseacutee avait eu la plante

5

des pieds brucircleacutee aux charbons ardents24 Le chanoine se demandait donc sil nencourait pas

llaquo irreacutegulariteacute raquo cest-agrave-dire lincapaciteacute agrave demeurer dans lordre sacerdotal en ce cas pour

avoir verseacute le sang Le pape rassura Seacuteguin en soulignant que la victime eacutetait morte quelque

temps apregraves la torture et que laquo lon pouvait douter quen raison des tourments elle soit morte

plus rapidement que si elle eacutetait morte sans avoir eacuteteacute tortureacutee raquo25

La victime du juge avait eacuteteacute deacutenonceacutee (diffamata) publiquement pour crimes de sortilegraveges et

perversion heacutereacutetique (super criminibus sortilegii et heretice pravitatis) On peut penser sans

certitude toutefois que cest le juge qui avait associeacute le sortilegravege nommeacute en premier agrave

lheacutereacutesie Le recours agrave la torture semble avoir eacuteteacute dicteacute par le deacutesir de deacutecouvrir des reacuteseaux de

compliciteacute reacutesultat effectivement acquis et loueacute par le pape laquo tout ce qui a eacuteteacute ainsi trouveacute

selon toute vraisemblance naurait pas eacuteteacute reacuteveacuteleacute si cette femme ne lavait reacuteveacuteleacute par le biais

des tourments raquo26 On note ici une raison pratique de lassimilation du sortilegravege agrave lheacutereacutesie

lusage de la torture dans un tribunal eccleacutesiastique avait eacuteteacute introduit en 1252 (Ad abolendam)

par le pape Innocent IV au seul beacuteneacutefice des inquisiteurs et non des juges eacutepiscopaux Ce

nest quen 1308 au moment ougrave il creacuteait des commissions eacutepiscopales pour juger les

Templiers que Cleacutement V avait eacutetendu lusage de la torture aux officialiteacutes mais il sagissait

toujours exclusivement dimputations dheacutereacutesie Seacuteguin ne devait pas en ecirctre fort sucircr car il

preacutetend ne secirctre reacutesolu agrave lusage de la torture quapregraves avoir pris conseil aupregraves de laquo personnes

tregraves honnecirctes qui assuraient quils avaient vu dans la reacutegion toulousaine les heacutereacutetiques ecirctre

examineacutes par les peines raquo27

Une autre affaire connue par une lettre de juillet 1319 adresseacutee par le pape agrave Jacques

Fournier eacutevecircque de Pamiers assimile linvocation des deacutemons agrave lheacutereacutesie Le pontife

demandait agrave leacutevecircque de poursuivre trois personnages un clerc un carme et une femme quil

accusait de laquo fabrication dimages dincantations et consultations de deacutemons denvoucirctements

(fascinationibus) de maleacutefices raquo28 Or Jean XXII parle plus loin de leurs laquo erreurs raquo et dans

son paragraphe dexhortation eacutemet le souhait que laquo la foi catholique troubleacutee par les erreurs

susdites retrouve sa clarteacute raquo

Quelques semaines avant la consultation des experts le 22 aoucirct 1320 une lettre fut envoyeacutee

au nom du pape Jean XXII par le cardinal Guillaume de Peyre Godin aux inquisiteurs de

Carcassonne et de Toulouse Jean de Beaune et Bernard Gui Cette fois et encore plus

nettement que dans la bulle Super illius specula la demande daction judiciaire se concentre

sur les invocations aux deacutemons et sur les pactes alors conclus

Fregravere Guillaume eacutevecircque de Sabine par leffet de la miseacutericorde divine envoie ses salutations agrave

lhomme de religioninquisiteur du crime heacutereacutetique dans la reacutegion de Carcassonne Notre tregraves

saint pegravere et maicirctre le seigneur Jean XXII pape par leffet de la providence divine souhaite

avec ferveur chasser du centre de la maison de Dieu les auteurs de maleacutefices qui tuent le

troupeau du Seigneur il ordonne et vous confie la tacircche de faire enquecircte et de proceacuteder tout

en conservant pourtant les modes de proceacutedure qui vous ont eacuteteacute fixeacutes agrave vous et aux preacutelats en

matiegravere dheacutereacutesie par les canons agrave lencontre de ceux qui immolent aux deacutemons ou les adorent

ou leur font hommage laquo Il faut aussi proceacuteder raquo contre ceux qui font des pactes explicites

dobligation avec ces deacutemons ou qui fabriquent ou font fabriquer une image quelconque ou

quoi que ce soit dautre pour se lier au deacutemon ou pour perpeacutetrer quelque maleacutefice par

linvocation des deacutemons contre ceux qui en abusant du sacrement de baptecircme baptisent ou

font baptiser une image de cire ou dautre matiegravere ou qui par dautres moyens et avec

invocation des deacutemons fabriquent ou font fabriquer ces images de quelque faccedilon contre ceux

qui en connaissance de cause reacuteitegraverent le baptecircme lordre ou la confirmation contre ceux qui

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utilisent le sacrement deucharistie ou lhostie consacreacutee et dautres sacrements de lEacuteglise ou

quelque partie de ces sacrements quant agrave la forme ou agrave la matiegravere pour en abuser pour leurs

sortilegraveges ou maleacutefices Et en effet notre maicirctre mentionneacute plus haut de science certaine29

eacutelargit et eacutetend agrave tous les cas citeacutes sans exception le pouvoir donneacute de droit aux inquisiteurs

quant agrave lexercice de leur fonction contre les heacutereacutetiques ainsi que leurs privilegraveges et ce

jusquagrave ce quil juge devoir reacutevoquer cette extension Nous vous signifions tout cela par nos

preacutesentes lettres patentes par le mandat speacutecial que nous a confieacute le seigneur pape par loracle

mecircme de sa voix vive Fait agrave Avignon le 22 aoucirct 1320 en cette quatriegraveme anneacutee du regravegne du

seigneur pape30

On peut se demander pourquoi Jean XXII ne signa pas lui-mecircme cette lettre il est possible

que devant la reacuteticence des experts de la commission de 1320 le pape ait preacutefeacutereacute une voie

plus lateacuterale pour faire connaicirctre ses souhaits Pourquoi Guillaume de Peyre Godin fut-il

choisi comme porte-parole du pape aupregraves des inquisiteurs Guillaume neacute agrave Bayonne vers

1260 eacutetait entreacute fort tocirct vers 1279 chez les dominicains de Beacuteziers avant de circuler comme

eacutetudiant dans divers couvents et studia du Sud-Ouest (Orthez Bordeaux Condom) de faire

ses eacutetudes de theacuteologie agrave Montpellier puis de parcourir agrave nouveau les couvents (Bayonne

Condom Montpellier) comme lecteur Il ne passa que briegravevement agrave Paris en 1292 Sa

veacuteritable carriegravere universitaire apregraves une peacuteriode denseignement agrave Toulouse (1296)

commenccedila en 1306 quand il fut nommeacute lecteur du Sacreacute Palais aupregraves de Cleacutement V qui le fit

cardinal-precirctre de Sainte-Ceacutecile en deacutecembre 1312 dans le mecircme mouvement de nomination

cardinalice que Jacques Duegraveze le futur pape Jean XXII Guillaume jouissait dune expeacuterience

et dune reacuteputation assez larges puisquil eacutetait agrave la fois un theacuteologien reconnu (son

commentaire sur les Sentences de Pierre Lombard reacutedigeacute vers 1300 fut reconnu comme

Lectura Thomasiana) un membre actif de lordre dominicain (preacutedicateur geacuteneacuteral de

Narbonne en 1289 deacutefiniteur agrave Cahors en 1298 prieur provincial de Provence en 1301) et un

curialiste (chargeacute en 1309 par Cleacutement V de soccuper du procegraves posthume de Boniface VIII)

Jean XXII appreacutecia ses meacuterites puisquil le promut cardinal-eacutevecircque de Sabine en 1317 puis le

deacutesigna comme leacutegat pontifical en Espagne de 1320 agrave 1324 De cette carriegravere il ressort

clairement que Guillaume de Peyre Godin navait aucune formation juridique et repreacutesentait la

meilleure orthodoxie thomiste le deacutetail importe car la tacircche des inquisiteurs relevait

davantage de la theacuteologie que du droit Guillaume navait pas eacuteteacute consulteacute en 1320 sur la

question de la qualification heacutereacutetique des invocateurs du deacutemon peut-ecirctre parce quil eacutetait

deacutejagrave parti en Espagne mais il reccedilut en 1326 une nouvelle commission pontificale aux cocircteacutes

des cardinaux Pierre dArablay et Bertrand de Montfavet en vue de proceacuteder aux procegraves de

plusieurs clercs et laiumlcs des diocegraveses de Toulouse et Cahors accuseacutes davoir fabriqueacute des

images en plomb ou en pierre destineacutees agrave linvocation des deacutemons31 Les accuseacutes avaient

dabord eacuteteacute convoqueacutes devant la justice eacutepiscopale de Toulouse avant decirctre deacutefeacutereacutes au roi de

France probablement parce que leurs images avaient eacuteteacute fabriqueacutees sur le modegravele de la

monnaie royale (sub figura seu typario regio)32 En 1328 Guillaume fut chargeacute de compiler

lenquecircte locale en vue du procegraves de canonisation de Nicolas de Tolentino or cette affaire

comportait de larges aspects deacutemonologiques33

Agrave cette petite seacuterie on peut ajouter une notation du dominicain Bernard Gui qui fort de son

expeacuterience dinquisiteur reacutedigea son Manuel de linquisiteur sans doute apregraves 1324 pour lui

linvocation des deacutemons relevait de lheacutereacutesie si elle eacutetait faite laquo en mecircme temps quun sacrifice

ou que limmolation dune certaine chose en faisant offrande agrave ces mecircmes deacutemons par le

moyen du sacrifice ou de limmolation raquo34

7

Dix ans plus tard le 4 novembre 1330 Jean XXII envoya deux lettres35 lune adresseacutee agrave

larchevecircque de Narbonne agrave ses suffragants et agrave linquisiteur de Carcassonne36 lautre agrave

larchevecircque de Toulouse agrave ses suffragants et agrave linquisiteur de cette ville37 cette lettre

contenait une copie de celle envoyeacutee en 1320 par Guillaume de Peyre Godin aux inquisiteurs

de Carcassonne et Toulouse puis ordonnait aux destinataires de poursuivre cette œuvre plus

que jamais neacutecessaire38 Cependant cette lettre introduisait un correctif important les

eacutevecircques devaient se mettre agrave lœuvre les inquisiteurs seuls ou en collaboration avec les

eacutevecircques devaient achever les actions entreprises mais ces derniers ne devaient pas entamer de

nouvelles proceacutedures sans commission pontificale Ce correctif nenlevait rien agrave la

qualification dheacutereacutesie appliqueacutee aux invocations deacutemoniaques et autres formes de magie

puisque laction inquisitoriale neacutetait pas suspendue ni simplement transfeacutereacutee aux eacutevecircques

mais il traduisait une certaine meacutefiance agrave leacutegard des inquisiteurs sur laquelle il faudra

revenir

Un mal ordinaire

On peut se demander quel peacuteril urgent se repreacutesentait le pape pour agir avec tant dobstination

Les pratiques magiques populaires ou savantes que visaient les articles de la consultation de

1320 sont universelles et de tous les temps Lenvoucirctement criminel ou amoureux par le biais

dimages de cire ou de terre est bien attesteacute dans lantiquiteacute greacuteco-romaine (notamment sous le

nom de defixiones)39 Quant au deacutetournement magiques des objets sacramentaux chreacutetiens il

eacutetait largement attesteacute depuis fort longtemps40 Sous leffet de la christianisation des mœurs

les vieilles traditions de magie naturelle et beacuteneacutefique se lestaient des rites liturgiques

chreacutetiens sans mutation reacuteelle

Deux facteurs expliquent sans doute lanxieacuteteacute du pape En premier lieu la magie savante

importeacutee de lOrient ou de lEspagne en mecircme temps que la science naturaliste avait connu un

large deacuteveloppement dans les milieux savants depuis le deacutebut du XIIIe siegravecle comme latteste

lœuvre de Guillaume dAuvergne Des recherches reacutecentes ont montreacute lampleur et la

complexiteacute de cette culture41 Les savoirs alchimique et astrologique doteacutes dun grand

prestige scientifique pouvaient se combiner agrave cette laquo neacutegromancie raquo ou agrave ces arts de la magie

Lambivalence des attitudes de lEacuteglise vis-agrave-vis de lalchimie commenccedila agrave se deacutefaire agrave la fin

du XIIIe siegravecle42 preacuteciseacutement au moment ougrave les conquecirctes de la science naturelle apparurent

comme dangereuses pour la foi tandis que lastrologie conservait encore quelque leacutegitimiteacute

malgreacute les soupccedilons On le sait la fameuse condamnation prononceacutee en 1277 par leacutevecircque

Eacutetienne Tempier qui portait sur 219 propositions supposeacutees ecirctre tenues par des membres de

la Faculteacute des Arts eacutetait preacuteceacutedeacutee dun prologue qui condamnait laquo les livres rouleaux ou

cahiers traitant de neacutecromancie ou contenant des expeacuteriences de sortilegraveges des invocations

des deacutemons ou des conjurations au peacuteril des acircmes raquo43 Lalchimie proteacutegeacutee par les papes en

quecircte de leacutelixir de longue vie jusque dans les anneacutees 127044 commenccedilait elle aussi agrave

devenir suspecte comme le notait Agostino Paravicini Bagliani le cardinal Francesco Orsini

dans son testament de 1304 ordonna de brucircler tous ses livres dalchimie45 Lastrologie

malgreacute son allure plus acadeacutemique subissait les mecircmes soupccedilons Le destin tragique de

Cecco dAscoli qui fut un professeur dastrologie respecteacute agrave Bologne agrave partir de 1322 avant

decirctre brucircleacute pour heacutereacutesie agrave Florence en 1327 en compagnie de ses livres dastrologie

manifeste peut-ecirctre malgreacute son caractegravere singulier cette ambivalence des attitudes

lastrologie en fait malgreacute son statut de plus en plus suspect vit son prestige saccroicirctre au

cours du XIVe siegravecle

8

Laffaire Robert de Mauvoisin suivie de tregraves pregraves par Jean XXII confirme cette ambivalence

Robert de Mauvoisin archevecircque dAix fut jugeacute en 1318 par une commission pontificale et

dut renoncer agrave son siegravege46 Le statut de cette poursuite est incertain comme cest souvent le

cas dans ces commissions nommeacutees directement par le pape laction fut en fait

disciplinaire mais elle aurait pu ecirctre criminelle selon laccentuation de tel ou tel deacutelit qui

pouvait aussi bien relever de lexcegraves condamnable chez un preacutelat que du crime Il est fort

possible que cette qualification ait deacutependu dune neacutegociation le pape voulait reacutecupeacuterer le

siegravege et Robert cherchait agrave se tirer de ce mauvais pas Mais quoi quil en soit le premier des

quinze articles daccusation le plus deacuteveloppeacute joua un rocircle certain dans la relative cleacutemence

de la commission cet article rapportait que Robert depuis les temps de ses eacutetudes agrave Bologne

dans les anneacutees 1300 jusquau temps de sa preacutelature avait eu recours laquo aux sortilegraveges agrave lart

de la magie (arti mathematice) et aux divinations raquo Larticle preacutecisait que ces pratiques

eacutetaient laquo condamneacutees et interdites par le droit raquo Dans son interrogatoire Robert prit soin de

qualifier constamment ses diffeacuterents conseillers dlaquo astrologues raquo et de relater preacuteciseacutement les

modes et les buts de ses consultations Tout en affirmant quil ne croyait pas en ces arts

Robert confirmeacute par un teacutemoin maintint quil pensait de bonne foi que ces pratiques

astrologiques eacutetaient licites

Or il semble bien que la meacutefiance nouvelle envers lastrologie et lalchimie plus ou moins

assumeacutee par les savants et les hauts dignitaires de lEacuteglise se soit accompagneacutee selon une

causaliteacute difficile agrave deacuteterminer dune diffusion de la culture neacutecromantique et alchimique

dans les couches plus basses de lEacuteglise Le second astrologue que Robert de Mauvoisin

consulta pour eacutevaluer son thegraveme astral eacutetait un copiste (grossator) de la curie pontificale

Nous avons eacutevoqueacute plus haut la poursuite de clercs et laiumlcs accuseacutes de fabrication dimages

sous leffigie royale Leur propre confession mentionnait explicitement lusage de lalchimie

il y est question de la recherche de la laquo veacuteriteacute de lalchimie raquo (veritatem alquimie)

Agrave cette inquieacutetude geacuteneacuterale et ambivalente sajoutait le souci propre de Jean XXII qui paraicirct

avoir consideacutereacute que les deacutemons se mecirclaient directement agrave ces arts suspects et exerccedilaient un

rocircle redoutable dans la vie et la mort des humains

Les convictions deacutemonologiques de Jean XXII

Linsistance de Jean XXII sur les dangers des invocations deacutemoniaques correspond dans la

pratique judiciaire quil a deacuteveloppeacutee agrave de nombreuses accusations47 lanceacutees agrave titre principal

ou contre des accuseacutes inculpeacutes dabord pour dautres raisons comme leacutevecircque de Cahors

Hugues Geacuteraud larchevecircque dAix Robert de Mauvoisin ou contre le franciscain Bernard

Deacutelicieux accuseacute dentraver gravement le travail des inquisiteurs Le parcours rapide de

certains de ces dossiers nous aidera agrave saisir les preacuteoccupations personnelles du pape en

matiegravere de magie et dinvocations deacutemoniaques

Le 27 feacutevrier 1318 Jean XXII sadressa agrave Bartheacutelemy eacutevecircque de Freacutejus agrave Pierre Tissier

prieur de Saint-Antonin pregraves de Rodez et au preacutevocirct de Clermont-Ferrand pour leur

demander dentreprendre une action selon la proceacutedure sommaire et sans possibiliteacute dappel agrave

lencontre de plusieurs clercs qui sadonnaient agrave laquo la nigromancie la geacuteomancie et autres arts

magiques raquo48 Ces arts de la magie sont eacutetroitement relieacutes agrave linvocation des deacutemons ils sont

laquo des arts de deacutemons deacuteriveacutes dune pestifegravere association des hommes et des mauvais anges raquo

Les magiciens laquo usent freacutequemment de miroirs et dimages consacreacutees selon leur exeacutecrable

rite et se placcedilant en cercle invoquent de faccedilon reacutepeacuteteacutee les deacutemons quils enferment dans les

9

miroirs les cercles ou les anneaux raquo Par ces invocations les accuseacutes tentent de nuire ou de

preacutedire le futur49

Or un autre aspect de leur activiteacute releveacute dans la suite de la lettre concerne un souci

pontifical laquo ils ne craignent pas daffirmer quagrave laide de boissons ou de nourritures mais

aussi par la profeacuteration dune seule parole il est possible dabreacuteger ou de prolonger la vie des

hommes raquo On pense bien sucircr aux diffeacuterentes recherches et pratiques patronneacutees par les

papes du XIIIe siegravecle en vue dobtenir le prolongement de leur vie que les recherches

dAgostino Paravicini Bagliani ont repeacutereacutees50 Le grand alchimiste anglais John Dastin qui

avait eacutecrit des ouvrages dalchimie pour le cardinal Napoleacuteon Orsini ennemi et familier du

pape envoya agrave Jean XXII une lettre sur lor potable susceptible de prolonger la vie51

Comme lavait montreacute le procegraves de Boniface VIII la frontiegravere eacutetait incertaine entre les arts

magiques et lalchimie entre le juste deacutesir de prolonger la vie des papes et la sournoise

volonteacute de labreacuteger Loctogeacutenaire pontife eacutelu comme pape de transition savait sa vie fragile

et sa succession souhaiteacutee La premiegravere grande affaire judiciaire du pontificat quelques mois

apregraves lavegravenement de Jean XXII mit en cause leacutevecircque de Cahors Hugues Geacuteraud accuseacute

davoir voulu attenter agrave la vie du pape et des cardinaux par le poison mais aussi par la

confection dimages de cire qui avaient reccedilu le nom des victimes et qui furent perceacutees de

coups daiguilles selon leacutevocation assez preacutecise quen donne le pape dans sa lettre de

commission de laffaire le 22 avril 131752 On comprend degraves lors lobsession de Jean XXII

quant aux manipulations surnaturelles de la nature dautant que reacutecemment certains

alchimistes ou meacutedecins dont Arnaud de Villeneuve avaient noueacute des relations fortes avec

les Spirituels franciscains ou avec les clans Orsini et Colonna de la curie

Le procegraves intenteacute au franciscain Bernard Deacutelicieux en 1319 illustre bien cette conjonction

Bernard Deacutelicieux eacutetait poursuivi essentiellement pour ses attaques contre linquisition et ses

tentatives en vue du soulegravevement des citeacutes meacuteridionales contre le pouvoir des inquisiteurs

Laffaire eacutetait deacutejagrave ancienne mais le franciscain avait reacutecemment aggraveacute son cas en prenant

la deacutefense des franciscains spirituels convoqueacutes agrave Avignon en 1317 Or les articles 24 agrave 31 de

son acte daccusation portaient sur ses tentatives de meurtre sur la personne de Benoicirct XI par

le biais des incantations et des actes de magie53 Dans cette liste de griefs pas plus que dans

les accusations contre Robert de Mauvoisin les pratiques magiques de Bernard Deacutelicieux ne

sont rapporteacutees agrave une invocation des deacutemons comme si la magie naturelle neacutetait incrimineacutee

que pour ses fins mauvaises Tout se passe comme si Jean XXII heacuteritier de la fascination de

ses preacutedeacutecesseurs envers la puissance des sciences occultes heacutesitait encore agrave lier la magie agrave

laction deacutemoniaque ce qui expliquerait lurgence et limportance de la consultation de 1320

Quelques anneacutees plus tard ces incertitudes neacutetaient plus de mise Ainsi le 23 aoucirct 132654 le

pape envoya une lettre au cardinal Bertrand de Montfavet lincitant agrave poursuivre une enquecircte

sur Bertrand dAudiran chanoine dAgen qui se livrait agrave pluribus et diversis dampnatis

scientiis et artibus laquo non sans une transgression de la foi catholique du droit canonique et du

droit civil raquo Le suspect usait de livres deacutecritures de vases de verre de terre et de bois en

lesquels il composait des poudres et liqueurs feacutetides laquo Et surtout ce Bertrand en usant et

abusant de ces sciences et arts sefforccedilait de tenter les deacutemons et dinvoquer les esprits malins

et dappliquer agrave cette fin les conjurations et autres choses illicites et condamneacutees raquo Or cette

pratique eacutetait efficace laquo il sensuivait de terrifiants coups de tonnerre eacutebranlements foudres

tempecirctes deacuteluges coups porteacutes par les deacutemons agressions et morts dhommes et autres

innombrables dommages raquo

10

Bertrand disposait de complices dont deux sont nommeacutes dans la lettre Ils avaient eacuteteacute pris sur

le fait quand ils emportaient sur des fourches patibulaires deux tecirctes et un bras de pendus Le

laiumlc avait avoueacute et avait eacuteteacute livreacute aux flammes le clerc fut emprisonneacute dans les cachots de

leacutevecircque dAgen Leacutevecircque avait fait conduire Bertrand vers les prisons pontificales dAvignon

Lenquecircte avait eacuteteacute confieacutee agrave Bertrand de Montfavet et au cardinal Pierre Tissier mort depuis

(en 1323) La lenteur dune proceacutedure qui eacutetait entiegraverement entre les mains du pontife montre

bien que Jean XXII cherchait agrave savoir avant de reacuteprimer

Une autre lettre manifeste bien linquieacutetude de Jean XXII devant les mystegraveres surnaturels et

notamment devant la possibiliteacute de transport extraordinaire qui annonce peut-ecirctre un des

aspects les plus spectaculaires du sabbat le vol des deacutemoniaques dans les airs Le 3 mars

1325 Jean XXII sadressa agrave leacutevecircque de Paris le cureacute de la paroisse des Saints Innocents un

soir a disparu de sa chambre fermeacutee au verrou de linteacuterieur Le pape demande une enquecircte

summarie simpliciter ac sine strepitu et figura judicii afin de savoir laquo ougrave ledit recteur est

alleacute ou a eacuteteacute emporteacute ou transporteacute raquo (dictus rector iverit vel asportatus aut translatus

fuerit)55 Le ton presseacute et angoisseacute de la lettre leacutevocation de la possibiliteacute dun transport

surnaturel sans eacutevoquer vraiment le sabbat manifestent en cette mince affaire une reacuteelle

inquieacutetude

Lors de la fameuse controverse sur la vision beacuteatifique que le pape lanccedila en 1331 un des

arguments produits par le pape pour prouver le caractegravere partiel et limiteacute du jugement

individuel consiste agrave insister sur lactiviteacute libre des deacutemons avant le Jugement dernier En

1332 dans un sermon le pape dit laquo En effet les damneacutes cest-agrave-dire les deacutemons ne

pourraient nous tenter sils eacutetaient reclus en enfer Cest pourquoi il ne faut pas dire quils

reacutesident en enfer mais bien dans la totaliteacute de la zone dair obscur dougrave leur est ouverte la

voie pour nous tenter raquo56

Portrait de Jean XXII en suppocirct du deacutemon

Si Jean XXII fut aussi acharneacute agrave poursuivre les deacutemons et leurs adorateurs cest sans doute

aussi parce quil fut lui-mecircme parfois preacutesenteacute comme une creacuteature de lAnteacutechrist ou du

diable notamment dans les divers milieux influenceacutes par les franciscains spirituels (beacuteguins

fraticelli) Cette qualification relevait en partie de linjure en partie de la conviction En effet

dun cocircteacute les franciscains spirituels adeptes de la plus haute pauvreteacute qui avaient joui dune

relative tranquilliteacute sous le pontificat de Cleacutement V subirent la reacutepression violente de

Jean XXII degraves le deacutebut de son pontificat quatre franciscains spirituels furent brucircleacutes agrave

Marseille en 1318 une seacuterie de bulles de 1317 agrave 1328 condamnegraverent certains groupes puis

la doctrine mecircme de la pauvreteacute absolue et de son fondement christique On en arriva au

schisme de 1328 quand Michel de Ceacutesegravene et quelques fregraveres senfuirent dAvignon pour

rejoindre la cour de lempereur Louis de Baviegravere qui creacutea le bref pontificat schismatique de

Nicolas V Dans la masse des eacutecrits de combat des franciscains le pape prit souvent une

figure satanique

Mais il y avait plus Dans les eacutecrits de Pierre de Jean Olivi qui fut linspirateur principal de

ces mouvements se manifestait la conviction que le temps preacutesent eacutetait celui du passage agrave la

sixiegraveme peacuteriode de lhistoire de lEacuteglise lui-mecircme annonciateur du troisiegraveme et dernier acircge de

lhumaniteacute En lisant lApocalypse Olivi avait deacutecouvert que lAnteacutechrist dont la deacutefaite

ultime devait ouvrir une longue peacuteriode de paix avant la fin des temps se deacutedoublait en un

Anteacutechrist laquo mystique raquo (cest-agrave-dire cacheacute) et le grand Anteacutechrist manifeste Cet Anteacutechrist

mystique devait probablement ecirctre un pseudo-pape Si Olivi mort en 1298 navait pas pousseacute

11

plus loin lidentification ses disciples confirmeacutes par les perseacutecutions proceacutedegraverent agrave cette

assimilation du pape agrave lAnteacutechrist mystique

Sur ce point un teacutemoignage curieux livre un veacuteritable reacutecit fondateur et mythique sur les

origines de la haine de Jean XXII contre les spirituels franciscains En 1333 le chevalier

roussillonnais Adheacutemar de Mosset fut poursuivi pour ses sympathies beacuteguines agrave linitiative

du roi Jacques II de Majorque57 Le roi dans son troisiegraveme article daccusation rapporte un

souvenir personnel Un jour quil voyageait en compagnie dAdheacutemar la conversation vint sur

le pape Jean XXII et sur les perseacutecutions contre les spirituels que le chevalier reprochait fort

au pontife Adheacutemar demanda au roi sil savait pourquoi le pape qui au deacutebut de son

pontificat avait eacuteteacute une homme saint et bon en eacutetait arriveacute lagrave Jacques ne le savait pas mais le

chevalier le lui apprit Jean XXII aimait alors beaucoup Angelo Clareno lun des principaux

dirigeants des spirituels Un jour il lui demanda dinterroger Dieu pour savoir si son eacutetat

(status) Lui plaisait ou non58 Angelo se mit en priegraveres et laquo vit alors une grande foule de

diables qui portaient un calice plein du poison diniquiteacute il leur demanda ougrave ils allaient et ce

quils allaient faire de ce calice Ils lui reacutepondirent quils allaient aupregraves du pape pour faire

leur possible afin quil boive le calice diniquiteacute raquo Angelo leur demanda de passer le voir sur

le retour ce quils firent Ils lui apprirent alors que le pape avait bu et ils conseillegraverent agrave

Angelo de se garder deacutesormais de lui Au sortir de cette vision le pape demanda agrave Angelo le

reacutesultat de sa consultation le franciscain refusa de parler mais reccedilut lordre au nom du

principe dobeacuteissance de livrer ses informations ce quil fit laquo Et depuis ce temps lagrave le

seigneur pape lui voulut du mal agrave lui et aux autres Beacuteguins raquo Adheacutemar de Mosset qui avait

eacuteteacute au service de Philippe de Majorque reacutegent du royaume sous la minoriteacute de Jacques II et

partisan actif des Beacuteguins eacutetait probablement un sympathisant des dissidents sans ecirctre

directement engageacute dans leur combat et sans avoir de formation theacuteologique ni exeacutegeacutetique il

est probable quil transmettait une anecdote largement reacutepandue Si lon perccediloit mieux le

deacuteveloppement dun engagement personnel du pape il reste agrave comprendre les modaliteacutes de sa

lutte

Le positivisme de Jean XXII

Pourquoi qualifier dheacutereacutesie la magie ou linvocation des deacutemons Parce que les adorateurs

des deacutemons produisent de nouveaux faits susceptibles dengendrer de nouvelles adheacutesions Il

faut insister sur cette notion de factum hereticale brandie dans les questions poseacutees aux

theacuteologiens en 1320 qui rompt avec lideacutee commune de lheacutereacutesie comme opinion ou comme

intellectus Il ne sagit pas seulement dune extension qui trouverait dans les pratiques

sacrilegraveges un fondement doctrinal Jean XXII navait nul besoin de cette qualification pour

reacuteprimer seacutevegraverement les actes magiques et deacutemonolacirctriques

Le pape croyait en la force des faits en droit comme en theacuteologie Ainsi en mai 1330 il

sadressa au roi de France pour lui demander dinterdire la pratique de la preuve par combat

judiciaire ou duel59 en notant que laquo par de telles pratiques la veacuteriteacute nest pas prouveacutee raquo (per

taliaveritas non probatur) Le pape au nom de lexpeacuterience maicirctresse des choses (magistra

rerum experiencia) fait remarquer au roi quen cas daccusation de fausse monnaie jamais le

souverain ne se contenterait dune telle preuve preacuteciseacutement parce quen ce cas les faits

mateacuteriels et la veacuteriteacute pure importent

La construction mecircme de faits ineacutedits est une menace pour la foi Car ce sont les faits qui

induisent la confiance et la foi La qualification traditionnelle de lheacutereacutesie en sen tenant au

rejet des opinions orthodoxes ne considegravere pas le processus qui conduit agrave la foi Devant

12

lextrecircme diversiteacute des opinions et des eacutecoles il faut sen tenir aux faits Jean XXII

exactement comme Guillaume dOckham aboutit agrave la conclusion que la foi repose sur une

certaine confiance accordeacutee agrave lensemble de la tradition chreacutetienne et corroboreacutee par les faits

livreacutes par lEacutecriture La foi repose sur un contrat de confiance Un des reproches les plus

veacuteheacutements quil adresse aux franciscains cest de pieacutetiner les donneacutees factuelles de lEacutecriture

Dans lEacutevangile Jeacutesus a posseacutedeacute des biens et a confieacute sa bourse agrave Judas Or par des artifices

dinterpreacutetation ils aneacuteantissent ces faits au beacuteneacutefice de leur interpreacutetation Les grandes

bulles de condamnation de la doctrine franciscaine de la pauvreteacute absolue insistent sur cette

destruction des donneacutees factuelles qui fondent les articles de foi60 Dans la bulle Cum inter

nonnullos (12 novembre 1223) le pape disait

Laffirmation selon laquelle le Christ et les apocirctres nont rien posseacutedeacute ni en commun ni

individuellement nous jugeons par un eacutedit perpeacutetuel et en suivant lavis de nos fregraveres que

quand elle est reacutepeacuteteacutee avec obstination elle doit ecirctre tenue pour erroneacutee et heacutereacutetique car

comme elle contredit expresseacutement lEacutecriture sacreacutee qui en plusieurs lieux affirme quils ont

eu quelque possession elle implique que cette Eacutecriture sacreacutee par laquelle sont prouveacutes les

articles de la foi orthodoxe contient ouvertement sur ce sujet le germe du mensonge et que

en tant que telle elle eacutevacue toute confiance en lEacutecriture et rend la foi catholique douteuse et

incertaine en supprimant sa force probatoire61

Plus geacuteneacuteralement les franciscains spirituels en imaginant que le Christ et les apocirctres

pratiquaient un usage laquo de fait raquo sans aucune appropriation juridique construisaient une

fiction qui ne trouvait aucun reacutepondant aucune veacuterification dans la laquo nature des choses raquo

(natura rerum) ougrave la consommation des biens repose soit sur un droit soit sur un deacutelit Leur

usage du mot laquo fait raquo renversait lordre naturel du monde Les franciscains devenaient

heacutereacutetiques en rejetant les faits eacutevangeacuteliques et en reconstruisant leurs propres faits gracircce agrave

leur ideacuteologie forte et gracircce agrave lidentiteacute collective quils creacuteaient Les adorateurs des deacutemons

nagissaient pas autrement on le verra

Donc pour Jean XXII un fait est un fait Comment comprendre ce positivisme qui semble

anachronique sans le reacuteduire aux fantaisies singuliegraveres du vieux pontife

Leacutemergence du fait

Pour saisir ce tournant il faut sans doute partir du jugement moral et non pas du jugement

eacutepisteacutemologique des conduites humaines plus que des processus physiques Chacun le sait le

XIIe siegravecle entre Pierre Abeacutelard et Pierre le Chantre a produit une morale de lintention Mon

hypothegravese est que cest cette morale qui a construit la notion de fait en neutralisant

leacuteveacutenement Jean est tueacute Paul la tueacute Ceci est un eacuteveacutenement La theacuteologie morale de

lintention affirme que cet eacuteveacutenement ne signifie rien en lui-mecircme avant quil ne soit qualifieacute

selon lintention de Paul qui construit leacuteveacutenement comme meurtre (il a voulu et preacutemeacutediteacute cet

acte par leffet dune vieille haine) ou bien comme coups et blessures porteacutes sans intention de

meurtre (agrave la suite dune rixe par exemple) comme accident (Paul au cours dune chasse

visait un gibier) comme acte meacuteritoire (Paul a deacutebarrasseacute la chreacutetienteacute dun perseacutecuteur sur le

modegravele de Judith tuant Holopherne) Leacuteveacutenement laquo mort de Jean raquo videacute de sa signification

intrinsegraveque devient ce que jappelle un fait faible un reacutesidu irreacuteductible de reacutealiteacute

Ce relativisme dAbeacutelard doit se relier eacutetroitement au principe naissant de lenquecircte

contradictoire Le premier texte qui proclame la neacutecessiteacute de cette enquecircte se trouve dans la

preacuteface du Sic et non On sait que cet ouvrage en dehors de sa preacuteface ne contient que des

13

citations contradictoires sur une seacuterie dobjets mais on na pas releveacute que ces objets ne sont

pas toujours des opinions theacuteologiques mais aussi des faits (comme par exemple

lemplacement geacuteographique de la tombe des patriarches)

Au cours du XIIIe siegravecle se produisit une reacuteaction progressive contre la morale de lintention

une tentative dobjectivation du jugement moral et judiciaire Ce pheacutenomegravene tient

probablement au mouvement de reacutedaction des textes normatifs et agrave la constitution du droit

comme science de plus en plus indeacutependante de la theacuteologie morale62 Le fait fut penseacute

comme un reacutesidu neacutecessaire agrave lindeacutependance transcendante du droit que la caste des juristes

tentaient dextraire des contingences et des compromissions des affaires courantes Mais

lattachement agrave la factualiteacute tenait aussi agrave une reacuteaction de lEacuteglise contre les entreprises

heacutereacutetiques appuyeacutees sur une pratique du secret et de la double entente Le sanctuaire de

linteacuterioriteacute pouvait apparaicirctre comme une cache de malfaiteurs Les poursuites contre les

cathares et les beacuteguins le montrent clairement les inquisiteurs mirent au point des techniques

de repeacuterage de la dissimulation Cette eacutevolution tendait donc agrave remplacer le fait faible des

morales de lintention par le fait fort des tribunaux denquecircte Est-ce agrave dire quau tribunal toute

excuse quant agrave la circonstance de laction eacutetait rejeteacutee Certes pas mais les circonstances

furent elles-mecircmes objectiveacutees On en donnera deux exemples la notion dirresponsabiliteacute

accordeacutee agrave des classes repeacuterables dindividus (les fous les enfants les somnambules) fut

deacutefinie au deacutebut du XIVe siegravecle par une deacutecreacutetale de Cleacutement V63 Par ailleurs dans la

proceacutedure inquisitoire lenquecircte preacutealable sur la reacuteputation (fama) des individus suspects

deacuteleacuteguait agrave une communauteacute exteacuterieure leacutevaluation des motifs avant que lenquecircte en veacuteriteacute

ne mette en correacutelation cette eacutevaluation avec des faits preacutecis Certes la fama fut largement

induite par les poursuites elles-mecircmes mais les juges tenaient agrave son caractegravere objectif et

mesurable Dans les procegraves inquisitoires en canonisation comme en matiegravere criminelle ou

heacutereacutetique les juges ou commissaires demandent freacutequemment aux teacutemoins de deacutefinir le sens

du mot fama son lieu dorigine son extension Certains allaient mecircme jusquagrave demander au

teacutemoin deacutevaluer quantitativement le nombre minimal dopinions ou de murmures neacutecessaires

pour constituer une reacuteputation

Ce positivisme meacutedieacuteval dont nous avons tenteacute de repeacuterer les racines juridiques et morales

peut-il ecirctre relieacute agrave une eacutevolution plus globale que lon pourrait saisir dans lhistoire des

sciences La question est deacutelicate car la physique dominante inspireacutee dAristote sattachait

davantage aux causes quaux pheacutenomegravenes comme la montreacute Alexandre Koyreacute Le

pheacutenomegravene eacutetait essentiellement reacuteductible Pourtant un certain deacuteveloppement de la

factualiteacute scientifique sobservait preacuteciseacutement en ces derniegraveres anneacutees du XIIIe siegravecle soit du

cocircteacute des ingeacutenieurs comme le ceacutelegravebre Pierre de Maricourt qui deacutecrivait et expeacuterimentait les

proprieacuteteacutes de laimant en vue de lameacutelioration de la boussole Un grand penseur comme

Roger Bacon grand chantre de lexpeacuterimentation reacuteussissait agrave conjoindre dans son œuvre la

theacuteologie loptique et lalchimie en traquant des faits par lobservation La cateacutegorie fourre-

tout des laquo merveilles raquo (mirabilia) commenccedilait agrave seacutetioler au profit dune extension simultaneacutee

des pheacutenomegravenes miraculeux et des pheacutenomegravenes naturels Enfin une physique non-

aristoteacutelicienne raisonnant sur des cas-limites relevant dune factualiteacute reacuteelle mais rare se

mettait en place64

Lenquecircte et le fait

Sur le plan des poursuites judiciaires la notion de fait tendit agrave simposer quand agrave partir des

anneacutees 1230 la recherche des heacutereacutetiques au sein de populations largement complices prit un

caractegravere massif et exigea des critegraveres plus larges et des meacutethodes plus efficaces que

14

linterrogatoire individuel Un mandement de larchevecircque de Tarragone fut reacutedigeacute en mai

124265 avec laide du dominicain Raymond de Penyafort le grand juriste qui devint aussi

maicirctre geacuteneacuteral de lordre des precirccheurs afin laquo que lon procegravede plus clairement quant au fait

dheacutereacutesie (circa factum heresis) raquo Certes le mot factum a encore ici le sens dimputation

judiciaire quil avait dans le droit romain mais le deacutetail du mandement montre bien quil

importait deacutesormais de consideacuterer des actes qui ne relevaient pas directement de la croyance

Le texte en effet distingue sept classes de population relieacutees agrave lheacutereacutesie66 Or seule la

premiegravere est nommeacute heacutereacutetique parce quelle professe des croyances en perdurant dans lerreur

La seconde cateacutegorie les laquo croyants raquo (credentes) est assimileacutee aux heacutereacutetiques (il faut sans

doute comprendre quils sont mis agrave part avant lavertissement salutaire qui les transforme en

cas de refus dabjurer en heacutereacutetiques proprement dits) Ensuite viennent les laquo suspects raquo

dheacutereacutesie Seuls des actions et des faits construisent cette qualification eacutecouter la preacutedication

ou les confeacuterences des heacutereacutetiques (en ce cas il sagit dinsabbatici heacutereacutetiques difficiles agrave

identifier et qui sont citeacutes en compagnie des Pauvres de Lyon et des Vaudois) sagenouiller en

leur compagnie Un eacuteleacutement de croyance peut pourtant ecirctre ajouteacute les suspects croient que

les heacutereacutetiques en question sont de laquo bons hommes raquo Suivant la reacutepeacutetition des actes la

suspicion sera simple veacuteheacutemente ou tregraves veacuteheacutemente Viennent ensuite les complices passifs

les laquo non-deacutenonciateurs raquo (celatores) qui sabstiennent de reacuteveacuteler la preacutesence publique

dheacutereacutetiques les laquo dissimulateurs raquo (occultatores) laquo qui ont fait pacte de ne rien reacuteveacuteler raquo

(fecerunt pactum de non revelando) les laquo hocirctes raquo (receptatores) qui reccediloivent chez eux au

moins deux fois des heacutereacutetiques ou des reacuteunions dheacutereacutetiques les laquo deacutefenseurs raquo (defensores)

qui prennent le parti des heacutereacutetiques par la parole ou par le fait (verbo vel facto) soit par le

discours soit par une aide mateacuterielle67 Ces quatre derniegraveres cateacutegories sont rassembleacutees sous

la qualification de laquo soutiens raquo (fautores) de lheacutereacutesie Les deacutelits lieacutes aux heacutereacutesies sont pour

Raymond susceptibles de degreacutes (magis vel minus) alors que lheacutereacutesie proprement dite

implique une structure strictement binaire ougrave le vrai soppose agrave lerreur Lagrave encore cest le

droit qui construit par opposition le fait par opposition au ministegravere du confesseur qui in

foro conscientiae traite le continuum des fautes et manquements la tacircche de linquisiteur in

jure consiste agrave reacuteduire agrave la pureteacute binaire de lincrimination une foule de circonstances et

daction floues Plus tard dans le siegravecle la notion de laquo preacutesomption de droit raquo accrut encore

cette tendance

Mais lheacutesitation est encore grande le quatriegraveme point de la consultation porte sur la

qualification comme heacutereacutetique de celui qui embrasse un heacutereacutetique ou qui prie en sa

compagnie ou le cache laquo doit-il ecirctre jugeacute comme croyant en lerreur de lheacutereacutetique raquo La

reacuteponse eacutetait neacutegative Pourtant plus loin le texte suggegravere que les ossements de ceux qui ont

soutenu lheacutereacutesie doivent ecirctre exhumeacutes parce que laquo le soutien (fautoria) est la suite et le

compleacutement de lheacutereacutesie raquo Quelques anneacutees plus tocirct en 1235 dans un des premiers textes

consacreacutes aux regravegles de linquisition Raymond de Penyafort consideacuterait que ceux qui

heacutebergeaient des heacutereacutetiques (en loccurrence des Vaudois) devaient ecirctre jugeacutes comme

heacutereacutetiques parce quils croyaient que lEacuteglise se trompait en poursuivant les heacutereacutetiques68

On le voit la tentation eacutetait grande depuis les deacutebuts de linquisition de construire des faits

heacutereacutetiques Lorsque le 14 juin 1303 Guillaume de Plaisians preacutesenta au Louvre ses

accusations contre le pape Boniface VIII il lui reprocha davoir extorqueacute agrave des precirctres la

reacuteveacutelation de secrets confieacutes en confession pour les divulguer et les utiliser Il conclut cet

article en disant laquo En raison de cela il semble avoir eacuteteacute heacutereacutetique quant au sacrement de

peacutenitence (propter quod in sacramento penitentie hereticare videtur) raquo Cest donc bien un

acte manifesteacute par le verbe actif laquo heacutereacutetiquer raquo qui passe pour manifestation dheacutereacutesie

Comme le note Jean Coste dans son eacutedition du laquo procegraves raquo le cardinal Pietro Colonna qui

15

connaissait mieux le droit canonique avait ajouteacute dans la reacutedaction dun article analogue laquo le

mecircme Boniface proclamait de faccedilon doctrinale (dogmatizabat) quil avait le droit dagir

ainsi raquo69

En 1308-1309 lauteur dune nouvelle seacuterie darticles daccusation contre la meacutemoire de

Boniface que Jean Coste attribue agrave Nogaret70 introduit une distinction alors ineacutedite qui fut

reprise cinquante ans plus tard par Nicolas Eymerich71 entre les articles heacutereacutetiques les

erreurs relatives agrave un point de fait deacutejagrave condamneacute (facti damnati errores) et les opinions Mais

la simple mention de cette distinction sans application preacutecise ne permet pas de consideacuterer

que la notion de laquo fait heacutereacutetique raquo se deacuteveloppait veacuteritablement

Les juges deacuteleacutegueacutes au procegraves de Bernard Deacutelicieux en 1319 franchirent ce pas du moins

dans leur acte daccusation du 23 octobre 1319 ils ouvraient leur accusation en deacuteclarant sur

un ton tregraves leacutegislatif mais sans aucune alleacutegation de droit que tout homme seigneur puissant

ou juge qui oserait libeacuterer les prisonniers de linquisition refuser dexeacutecuter ses mandats

empecirccher la sentence ou le procegraves ou sopposer en quelque faccedilon agrave la poursuite des

heacutereacutetiques laquo encourt ipso facto une sentence dexcommunication et sil lencourt avec une

volonteacute reacutesolue pendant un an est alors condamneacute comme heacutereacutetique raquo72

Questions de proceacutedure

Face agrave la menace deacutemoniaque il importait dagir efficacement et rapidement mais ces deux

exigences eacutetaient contradictoires car lefficaciteacute supposait le lent et difficile eacutetablissement de

la veacuteriteacute Le pontife disposait dune multitude de solutions judiciaires qui impliquaient agrave la

fois des diffeacuterences dans les types de proceacutedure dans les ressorts juridictionnels et dans les

modaliteacutes de lenquecircte

LEacuteglise favorisait le deacuteveloppement de la proceacutedure inquisitoire (par enquecircte) au deacutetriment

du mode accusatoire selon un mouvement initieacute par des deacutecreacutetales dInnocent III agrave partir de

1198 dont la maturation se lit dans le canon 8 du concile de Latran IV (1215) On le sait la

proceacutedure accusatoire dominante jusquau XIIe siegravecle et qui a poursuivi sa carriegravere dans la

Common Law britannique et ameacutericaine reacuteserve lincrimination agrave un accusateur qui sengage

sur cette accusation et peut en pacirctir Le juge ou le jury se contente darbitrer Les deux

moments de laction sont constitueacutes par la construction minutieuse de la cause qui doit ecirctre

rigoureusement deacutefinie (en termes romains il sagit de la phase de litis contestatio) et par la

deacutelibeacuteration La proceacutedure inquisitoire en revanche favorise laccusation doffice formuleacutee

par un juge ou un prince agrave la suite dune laquo diffamation raquo deacuteriveacutee de leacutecoute dune rumeur

accusatrice Le procegraves met en œuvre deux enquecirctes successives la premiegravere eacutetablit cette

fama cette reacuteputation bonne ou mauvaise qui permet linculpation ou la relaxe la seconde

enquecircte construit la veacuteriteacute des faits porteacutes par la fama

Plusieurs ressorts juridictionnels pouvaient prendre en charge les invocateurs du deacutemon la

justice eacutepiscopale avec ses divers tribunaux le tribunal de linquisition et des commissions

pontificales ad hoc Linquisition fut creacuteeacutee par le pontificat agrave partir de 1233 en vue de

poursuivre lheacutereacutesie et elle garda longtemps cette speacutecialisation qui impliquait un recrutement

de juges plus theacuteologiens que juristes Il est difficile de porter un jugement serein sur

linquisition meacutedieacutevale tant son image a fait lobjet de controverses violentes Certains

meacutedieacutevistes ont tenteacute non sans quelques raisons de rejeter la folie perseacutecutrice associeacutee agrave

cette image Edward Peters a montreacute comment avait pu se construire dans la suite des temps

un veacuteritable mythe noir de linquisition73 un article retentissant de Richard Kieckhefer a mis

16

en doute la reacutealiteacute institutionnelle de linquisition74 De fait lopinion commune a souvent

confondu les reacutealiteacutes implacables de lInquisition romaine (creacuteeacutee en 1542) et surtout de

lInquisition castillane (institution eacutetatique fondeacutee en 1481-1482) avec les tentatives limiteacutees

et souvent incoheacuterentes de linquisition meacutedieacutevale Pourtant linquisition meacutedieacutevale a bien

existeacute comme institution puissante en deacutepit de sa faible assise Linquisiteur eacutetait nommeacute par

le saint Siegravege mais demeurait eacutetroitement lieacute agrave lordre religieux dont il provenait (lordre

dominicain pour lessentiel mais aussi lordre franciscain et dans une moindre mesure

lordre des carmes) Sa pratique quotidienne le mettait en relation eacutetroite avec le pouvoir

seacuteculier

Les commissions speacuteciales du pape deacuterivaient en un sens de la justice deacuteleacutegueacutee des pontifes

instaureacutee depuis le XIIe siegravecle mais elles prirent une importance particuliegravere sous le pontificat

de Jean XXII pour des raisons que nous examinerons plus loin Limportance des faits

deacutemoniaques conduisit Jean XXII agrave lever beaucoup de garanties judiciaires et gracieuses75 et

agrave confier les affaires de complot avec soupccedilons magiques ou deacutemonologiques agrave des

commissions pontificales qui se reacuteclamaient de la proceacutedure sommaire La notion de

proceacutedure sommaire sest lentement deacuteveloppeacutee depuis la fin du XIIe siegravecle dans le droit

canonique Il sagissait de formaliser les efforts des deacutecennies preacuteceacutedentes en matiegravere

darbitrage ou de compromis internes agrave lEacuteglise en reacuteaction aux excegraves de juridisme qui avaient

eacuteteacute deacutenonceacutes par saint Bernard dans son retentissant traiteacute De consideratione La notion

dlaquo eacutequiteacute canonique raquo eacutetait opposeacutee agrave la rigor iuris des civilistes La proceacutedure trouva

lentement sa forme agrave partir deacuteleacutements eacutepars dans le droit romain par agglomeacuteration de

clausules indeacutependantes si les parties eacutetaient daccord la cognitio summaria (traduite dans

nos textes par ladverbe summarie ou simpliciter) impliquait dalleacuteger les charges de preuves

on pouvait se contenter de preuves laquo semi-pleines raquo (un simple serment un teacutemoin ou un

document unique) et de la phase proprement proceacutedurale dun procegraves la reacutedaction dun

laquo livret raquo (libellus) et le deacutebat de la litis contestatio (qui eacutetablissait les rocircles judiciaires et les

enjeux du procegraves) devenaient facultatifs La mention dune proceacutedure de plano qui renvoyait

agrave linutiliteacute de sieacuteger formellement en tribunal insistait davantage sur la rapiditeacute et labsence de

formes externes Enfin les clausules sine strepitu judiciorum (sans le vacarme des procegraves) et

sine figura judicii (sans la forme du procegraves) compleacutetaient cette simplification en insistant sur

la suppression des avocats et des formes bruyantes dopposition et de recours

Agrave leacutepoque de Jean XXII cette formalisation de larbitrage eccleacutesiastique venait agrave peine de

sachever par la publication de deux deacutecreacutetales de Cleacutement V Dispendiosam produite pour le

concile de Vienne en 1311-1312 et Saepe reacutedigeacutee en 1314 Dispendiosam76 deacuteclarait de

faccedilon fort bregraveve que la proceacutedure sommaire pouvait sappliquer dune part aux cas deacutejagrave preacutevus

par le droit canonique du XIIIe siegravecle quant aux affaires propres de lEacuteglise (laquo eacutelections

demandes et provisions attributions de digniteacutes de fonctions de charges de canonicats de

preacutebendes et autres beacuteneacutefices eccleacutesiastiques raquo et contentieux sur les dicircmes) mais aussi sur les

questions de mariage et dusure Cette extension eacutetait consideacuterable et aboutissait agrave fournir la

possibiliteacute de proceacutedure sommaire pour la quasi totaliteacute des affaires eacutevoqueacutees par lEacuteglise

Seules les successions neacutetaient pas mentionneacutees mais elles interfeacuteraient neacutecessairement avec

les causes matrimoniales La deacutecreacutetale Saepe77

deacutetaillait plus longuement les particulariteacutes de

la proceacutedure sommaire et reacutesumait soigneusement les traits assembleacutes depuis pregraves dun siegravecle

Lusage parallegravele de la proceacutedure sommaire en matiegravere de poursuite de lheacutereacutesie ne se laisse

pas facilement deacutechiffrer car la filiation par rapport agrave la doctrine de larbitrage y perd tout

sens Le seul point commun des deux usages tient au rocircle essentiel du juge chargeacute agrave la fois de

la proceacutedure de linstruction et de la deacutecision Pourtant ce nest pas avant la deacutecreacutetale Statuta

17

quedam promulgueacutee par Boniface VIII dans son Liber Sextus en 1296-1298 que la proceacutedure

sommaire fut accordeacutee explicitement agrave la proceacutedure inquisitoriale laquo En collationnant certains

statuts de nos preacutedeacutecesseurs dheureuse meacutemoire Innocent Alexandre et Cleacutement et en

interpreacutetant et ajoutant certains points nous accordons que dans les affaires dinquisition sur

la perversion heacutereacutetique il puisse ecirctre proceacutedeacute de faccedilon simple et informelle sans vacarme ni

apparence des avocats et des jugements (procedi possit simpliciter et de plano et absque

advocatorum ac judiciorum strepitu et figura) raquo La suite de la deacutecreacutetale justifie le secret sur

les noms des teacutemoins ou accusateurs pour raison de seacutecuriteacute

Procegraves et majesteacute

Tous les niveaux et distinctions que nous venons desquisser se mecirclaient dans la pratique

judiciaire puisque linquisition se fondait largement sur la proceacutedure inquisitoire tandis que

des eacutevecircques comme Jacques Fournier le ceacutelegravebre eacutevecircque de Pamiers ou Guido Terreni

eacutevecircque de Majorque puis dElne recevaient du pape des fonctions dinquisiteur dans leur

diocegravese

Pourtant Jean XXII navait guegravere confiance dans la justice des eacutevecircques Il savait que les

eacutevecircques pouvaient souvent preacutefeacuterer la paix du diocegravese agrave lexigence de la veacuteriteacute Ainsi agrave

lefficace et zeacuteleacute Jacques Fournier avait succeacutedeacute en 1326 Dominique Grima brillant

theacuteologien ancien assistant inquisiteur de Bernard Gui agrave Toulouse qui sattira le courroux du

pape pour sa neacutegligence dans la poursuite de lheacutereacutesie78 Le pape preacutefeacutera freacutequemment utiliser

des commissions speacuteciales denquecircte et de jugement selon la proceacutedure sommaire plutocirct que

les tribunaux inquisitoriaux Ce fut le cas notamment pour les procegraves de Hugues Geacuteraud de

Robert de Mauvoisin et de Bernard Deacutelicieux Parfois limputation de crime de legravese-majesteacute

permit de donner une latitude encore plus large aux proceacutedures extraordinaires ainsi le 12

avril 1331 sur plainte du roi de France le pape ordonna agrave leacutevecircque de Paris de proceacuteder

contre Hertaud abbeacute dun monastegravere du diocegravese dAutun et contre Jean Albeacutericus dominicain

sur leurs laquo maleacutefices et excegraves raquo (super maleficiis et excessibus) contre le roi et sa cour raquo Il

sagit certainement de pratiques magiques (multis maleficiis) qui attentaient au laquo salut public raquo

et qui en tout cas relevaient du crime de legravese-majesteacute Or le pape en ce cas non seulement

ordonna une proceacutedure sommaire (simpliciter et de plano sine strepitu et figura judicii) mais

leva tous les privilegraveges et garanties des deux religieux autorisant leur arrestation (captionem)

leur incarceacuteration et leur torture (necnon questionibus subici prout a canonibus est

permissum)79

On peut se demander pourquoi Jean XXII fut si reacuteticent agrave confier les causes deacutemoniaques agrave

linquisition au moment mecircme ougrave il tentait dassimiler linvocation des deacutemons agrave lheacutereacutesie La

reacuteponse la plus commune agrave cette question relie ce choix au caractegravere politique de bien des

affaires ougrave le deacutemon semble intervenir comme preacutetexte plutocirct que comme cause De fait les

proceacutedures exceptionnelles qui mecirclent lattentat contre la majesteacute royale ou divine les

accusations dheacutereacutesie et les imputations de sorcellerie ou dinvocation des deacutemons doivent ecirctre

relieacutees agrave la grande vague des procegraves politiques qui avait commenceacute degraves le deacutebut du XIVe

siegravecle cest Philippe le Bel80 qui avait lanceacute degraves 1303 le procegraves contre le pape

Boniface VIII81 accuseacute entre autres davoir invoqueacute les deacutemons et consulteacute des magiciens

puis le roi entre 1306 et 1314 sen eacutetait pris aux Templiers comme adorateurs du diable

Entre 1308 et 1314 Philippe le Bel avait inculpeacute Guichard eacutevecircque de Troyes qui aurait

conspireacute en vue de tuer la reine et dautres personnaliteacutes princiegraveres par lusage de poisons et

dimages magiques82 En 1315 Enguerrand de Marigny qui avait si efficacement collaboreacute agrave

ces procegraves fut lui-mecircme pendu pour avoir nui au roi Louis X et agrave Charles de Valois par des

18

images magiques83 Jean XXII prit le relais avec les procegraves contre Hugues Geacuteraud eacutevecircque

de Cahors84 en 1317 contre Mateo et Galeazzo Visconti en 132085 contre les allieacutes de

Federico de Montefeltro dans la Marche dAncocircne86 Dans tous ces cas la parfaite

correspondance entre la graviteacute des accusations et la position antagoniste des inculpeacutes incite agrave

voir dans ces procegraves de simples et cyniques manœuvres ougrave lexception judiciaire doit

confirmer la regravegle politique

Cette interpreacutetation rend imparfaitement compte des reacutealiteacutes leacutecrasement des adversaires ne

fut pas systeacutematique les graves accusations contre Bernard Deacutelicieux quant au meurtre

deacutemoniaque de Cleacutement V ne furent pas assumeacutees dans le jugement contrairement agrave ce qui se

passa pour Hugues Geacuteraud Robert de Mauvoisin sen tira avec une simple eacutejection de son

siegravege archieacutepiscopal Certes les juges avaient quelque autonomie mais on peut penser que le

pape avait eacuteprouveacute de reacuteels doutes quant agrave la culpabiliteacute des accuseacutes Ces interrogations

rendent peut-ecirctre compte de la consultation de 1320 qui relevait moins de la discussion

quodlibeacutetale ou de la colleacutegialiteacute de deacutecision que du besoin dexpertise

Meacutefiance de linquisition

Les choix de proceacutedure de Jean XXII doivent sexpliquer autrement La preacutefeacuterence pour la

forme extraordinaire tient dabord agrave une grande meacutefiance de linquisition Les inquisiteurs

avaient tendance agrave poursuivre sans tenir compte des rangs sociaux ni des circonstances

politiques la fameuse affaire de Jean lArchevesque sieur de Parthenay mecircleacute agrave des pratiques

de sortilegravege vers 1323 le montre bien Linquisiteur seacutetait attaqueacute agrave un personnage puissant

beacuteneacuteficiant de protections royales qui avait reacuteussi agrave obtenir la consultation dun grand juriste

Oldrado da Ponte87 Agrave deux reprises le pape eacutecrivit aux inquisiteurs de Carcassonne pour

leur enjoindre de ne pas tourmenter inutilement les consuls et bourgeois de Montpellier88

Le pape avait pu aussi eacuteprouver lextrecircme impopulariteacute de linquisition patente dans laffaire

Bernard Deacutelicieux un simple agitateur avait failli renverser le pouvoir monarchique franccedilais

en liguant les couches citadines hostiles agrave lintervention des inquisiteurs En 1317-1318 cest

le zegravele excessif de Michel Le Moine inquisiteur franciscain de Provence qui avait enflammeacute

la reacutesistance beacuteguine dans le Midi par lexaltation des martyrs de Marseille En 1321-1322

cest le manque de discernement de linquisiteur Jean de Beaune agrave Beacuteziers qui avait entraicircneacute le

pape sur un terrain impreacutevu Linquisiteur ne mesurait pas toujours la porteacutee de ses actes et

surtout il pouvait agir trop publiquement du moins dans la phase initiale (la proclamation de

lenquecircte) et dans sa phase conclusive (le sermon geacuteneacuteral) ainsi cest la dispute publique

entre linquisiteur de Carcassonne Jean de Beaune et le lecteur franciscain du couvent de

Narbonne Beacuteranger Talon qui avait provoqueacute la reprise du deacutebat sur la pauvreteacute du Christ

Enfin et surtout linquisition jouissait dune certaine indeacutependance par rapport au pouvoir

pontifical dune part sa nomination deacutependait aussi du bon vouloir du maicirctre geacuteneacuteral des

dominicains ou du ministre geacuteneacuteral des franciscains Dautre part il pouvait agrave loccasion se

rapprocher du pouvoir royal On peut se demander si la diffeacuterence de deacutenomination des

inquisiteurs de Carcassonnne et de Toulouse entre 1320 et 1330 dans les lettres citeacutees plus

haut reacutedigeacutees par Guillaume de Peyre Godin puis par le pape ne traduit pas cette perception

dans le premier cas le cardinal sadresse laquo agrave linquisiteur de la perversion heacutereacutetique de la

reacutegion de Carcassonne raquo dans le second cas il sagit de laquo linquisiteur de la perversion

heacutereacutetique deacuteputeacute par le Siegravege apostolique dans le royaume de France en reacutesidence agrave

Carcassonne raquo Le soin de cette seconde formulation insiste sur le fait que lorigine du pouvoir

inquisitorial se trouve bien dans le pontificat De fait linquisition meacuteridionale apregraves les

froissements ducircs agrave laffaire Bernard Deacutelicieux ougrave les officiers royaux avaient toleacutereacute ou mecircme

19

soutenu le trublion franciscain avait eacuteteacute largement instrumentaliseacutee par la monarchie comme

le montrait laffaire des Templiers

En outre le pontife eacutetait fort irriteacute du manque de respect de certains inquisiteurs pour le droit

Ainsi en 1331 il reccedilut et approuva les plaintes de maicirctre Jean Anselme de Gecircnes chirurgien

et de Reacuteginald de Cravant clerc du diocegravese dAuxerre qui avaient eacuteteacute faussement accuseacutes

dheacutereacutesie et de maleacutefices par linquisiteur de France Aubert de Chacirclons et par leacutevecircque de Paris

Hugues Michel de Besanccedilon Le pontife leur reprochait davoir agi sans avoir eacutetabli aucune

infamie anteacuterieure sans respecter lordre judiciaire sans permettre aucune deacutefense leacutegitime89

Il nest pas besoin dimaginer un Jean XXII soucieux de justice par formation professionnelle

comme on la vu lordre du droit permettait deacutetablir soigneusement la veacuteriteacute qui importait

bien davantage que la reacutepression Le cas de la censure du commentaire dOlivi sur

lApocalypse le montre bien le texte eacutetait dangereux puisquil inspirait directement les

Beacuteguins par le biais dabreacutegeacutes et de traductions en langue vernaculaire Le contenu anti-

pontifical de ce texte eacutetait manifeste Pourtant le pape usa directement ou indirectement de

quatre commissions diffeacuterentes durant huit ans (1318-1326) avec un suppleacutement denquecircte

en 1322 avant darriver agrave une condamnation Le reacutesultat reacutepressif eacutetait certainement acquis

degraves 1318 mais il importait de suivre minutieusement les chemins de lerreur Ce souci

apparaicirct clairement dans une lettre adresseacutee par le pape en 1330 agrave Henri Chamayou

inquisiteur de Carcassonne90 qui avait reacuteussi agrave faire arrecircter deux heacutereacutetiques italiens qui

avaient confesseacute leur crime Le pontife feacutelicite chaleureusement linquisiteur mais lengage

fermement agrave poursuivre lenquecircte bien quil ait deacutejagrave en main tous les eacuteleacutements pour les

condamner laquo parce que nous croyons que tu aurais du connaicirctre une veacuteriteacute plus ample

(novisse te plenius credimus veritatem) au sujet de ce pour quoi ils tont eacuteteacute livreacutes nous

voulons et il nous plaicirct quayant Dieu seul devant les yeux tu veilles selon lexigence de la

justice agrave ne pas neacutegliger ce que tu sauras ecirctre adeacutequat en cette affaire raquo

Ces recommandations neacutetaient pas de pure forme la logique de linquisition ne la conduisait

pas vers leacutelucidation neacutecessaire agrave la cause des deacutemoniaques Linstitution demeurait

profondeacutement theacuteologienne et non juriste Le fondement proceacutedural de linquisition reposait

moins sur la poursuite doffice et lenquecircte que sur la troisiegraveme forme de poursuite (agrave cocircteacute de

la proceacutedure inquisitoire et de la proceacutedure accusatoire) deacutefinie par Innocent III au canon 8 du

concile de Latran la deacutenonciation eacutevangeacutelique issue de la correction fraternelle Or la

deacutenonciation orientait la poursuite vers la peacutenitence La confession rapidement obtenue par la

menace la terreur ou la torture conduisait agrave la demande dabsolution chegraverement neacutegocieacutee Il

importait agrave linquisiteur dobtenir au plus vite cette confession sans trop sattarder dans

lenquecircte sur la fama ou sur la veacuteriteacute neutraliseacutee par laveu Paradoxalement un accuseacute avait

de meilleures chances avec les proceacutedures sommaires chegraveres au pape quavec linquisition

parce que la veacuteriteacute pouvait contraindre le pape agrave la mansueacutetude tandis que la meacutecanique de la

culpabiliteacute ineacutevitable de tout peacutecheur entraicircnait tout inculpeacute dans la collectiviteacute peacutenale de

linquisition

Cest peut-ecirctre ces problegravemes de proceacutedure qui ont provoqueacute ce que Jean-Patrice Boudet

appelait plaisamment le laquo retard agrave lallumage raquo dans la poursuite des sorciers au XIVe siegravecle

tant que la papauteacute fut reacuteticente agrave deacuteleacuteguer son pouvoir denquecircte les limites mateacuterielles de la

justice pontificale empecircchegraverent la diffusion capillaire de limputation et de la reacutepression Et

preacuteciseacutement cest labandon forceacute de labsolutisme pontifical apregraves les conciles de Constance

et de Bacircle qui ouvrit les premiegraveres campagnes judiciaires et doctrinales contre les sorciers et

adorateurs du deacutemon dans les anneacutees 1430-1440 Mais le deacuteveloppement rapide de la

20

deacutemonologie avait eacuteteacute bien preacutepareacute par un pape qui tenait agrave consideacuterer lucidement les zones

obscures ougrave le deacutemon pouvait passer

Notes de bas de page

1 B Gui Manuel de linquisiteur eacuted par G Mollat Paris 1926-1927

2 P Paravy De la chreacutetienteacute romaine agrave la Reacuteforme en Dauphineacute Eacutevecircques fidegraveles et deacuteviants

(vers 1340-vers 1530) Rome 1993

3 LImaginaire du sabbat Eacutedition critique des textes les plus anciens (1430 ca-1440 ca)

reacuteunis par M Ostorero A Paravicini Bagliani K Utz Tremp en collaboration avec C Chegravene

Lausanne 1999

4 R KIECKHEFER European Witch Trials Their Foundations in Popular and Learned

Culture 1300-1500 Londres 1976 Carlo Ginzburg commence sa seacuterie explicative des

formes occidentales du sabbat en 1321 mais selon un modegravele totalement opposeacute au nocirctre

5 Bonn 1901

6 L THORNDIKE A History of Magic and Experimental Science vol III New York 1934

p 18 sq

7 Voir N Weill-Parot Les laquo Images astrologiques raquo au Moyen Acircge et agrave la Renaissance

Speacuteculations intellectuelles et pratiques magiques (XIIe-XV

e s) Paris 2002 p 377-385 et Id

laquo Les intellectuels lEacuteglise et la magie dans la premiegravere moitieacute du xive s raquo (meacutemoire de

maicirctrise Paris I 1990) Je tiens agrave remercier N Weill-Parot pour ses commentaires sur le

preacutesent article

8 laquo Quod cum morte fedus ineunt et pactum faciunt cum inferno Demonibus namque

immolant hos adorant raquo

9 Liber Sextus V II cap 8

10 Cause XXVI qu 5 cap 12 eacuted Friedberg col 1080

11 Voir A Boureau laquo De la feacutelonie agrave la haute trahison Un eacutepisode la trahison des clercs

(version du xiie s) raquo Le Genre Humain 16-17 1988 p 267-291

12 Venise 1595 XLIII 9 p 341-342

13 laquo Simpliciter et de plano ac sine strepitu et figura judicii appellatione remota raquo Lettre

publieacutee par J-M Vidal Bullaire de lInquisition franccedilaise Paris 1913 no 284 p 403-404

14 laquo Nonnulli etiam quandoque litterati in hoc se opponunt pretendentes id ad tuum non

expectare officium secundum canonicas sanctiones raquo

15 J-P Boudet laquo Les condamnations de la magie agrave Paris en 1398 raquo Revue Mabillon n s 12

(t 73) 2001 p 121-157

16 B Hamilton The Medieval Inquisition Londres 1981 p 94

17 Dans une lettre de 1336 adresseacutee agrave lofficial dAvignon Benoicirct XII successeur de

Jean XXII range agrave nouveau les sortilegraveges parmi les crimes qui touchent la foi (J-M Vidal

Bullaire op cit no 153 p 229-230) En 1405 Benoicirct XIII deacuteclare nuls les privilegraveges des

habitants du diocegravese du Puy qui preacutetendaient que linquisiteur de Carcassonne ne pouvait les

poursuivre pour maleacutefices (J-M Vidal Bullaire op cit no 332 p 473-474)

18 La premiegravere eacutedition a eacuteteacute procureacutee par Jean Chappuis en 1500 Pour la formation des deux

collections voir A M Stickler Historia Iuris Canonici Institutiones Academicae T I

Historia Fontium Rome 1950 p 270-271

19 Les seules mentions de la bulle se trouvent on la dit dans le manuel de Nicolas Eymerich

(1376) dans les Annales eccleacutesiastiques de Rinaldi et dans un bullaire romain du xviiie s

20 Voir A MAIER dans laquo Eine Verfuumlgung Johannis XXII uumlber die Zustaumlndigkeit der

Inquisition fuumlr Zauberprozesse raquo Archivium Fratrum Praedicatorum 32 1952 p 226-246

21 A Maier loc cit p 231

21

22 Publieacutee par R Manselli laquo Enrico del Carretto e la consultazione sulla magia di Giovanni

XXII raquo dans Miscellanea in onore di Monsignore Martino Giusti t II Vatican 1978 p 97-

129

23 Il est possible aussi que linterrogation doctrinale ait eacuteteacute anticipeacutee par Guido Terreni un

des dix experts de la consultation de 1320 dans son sixiegraveme quolibet laquo Est-ce que celui qui

baptise une chose sans acircme ou sans raison et non pas un homme est heacutereacutetique raquo ms BAV

Borghese 39 fo 238v

o-240v

o que je publie en annexe de la consultation Mais la date de ce

quolibet demeure incertaine

24 laquo Fecisti plantas pedum eiusdem mulieris iuxta carbones accensos apponi raquo texte publieacute

par J-M Vidal Bullaire op cit p 51-52

25 laquo Diu post confessionem debitum nature persoluitverum quia dubitatur ne propter

predicta tormenta citius decesserit quam alias decessisset mulier supradicta si tormentata

minime extitisset raquo

26 laquo Erronea et horrenda contra catholicam fidem fuit confessa et multos consocios et

complices reuelauitque omnia sic inuenta ut communiter creditur numquam reuelata

fuissent nisi mediantibus tormentis eiusdem predicta mulier reuelasset raquo

27 laquo De consilio proborum qui se asserebant uidisse penis examinati hereticos in partibus

Tholosanis raquo

28 J-M Vidal Bullaire op cit no 24 p 53-54

29 Ex certa sciencia sur cette clausule de labsolutisme pontifical voir A Boureau La Loi

du royaume Les moines le droit et la construction de la nation anglaise Paris 2001 avec

renvoi aux travaux de Jacques Krynen

30 Publieacutee par J-M Vidal Bullaire op cit p 61 Une meilleure eacutedition a eacuteteacute procureacutee par

A Maier loc cit p 226-227

31 J-M Vidal Bullaire op cit no 72 p 118-119

32 La commission fut reacuteiteacutereacutee le 8 novembre 1327 ibid no 78 bis p 129-130

33 Voir A Boureau laquo Saints et deacutemons dans les procegraves de canonisation du deacutebut du xive s raquo

agrave paraicirctre dans les actes du colloque de Budapest sur les procegraves de canonisation dir Gaacutebor

Klaniczay

34 B Gui Manuel de linquisiteur eacuted et trad par G Mollat op cit t I p 52

35 Publieacutees par J-M Vidal Bullaire op cit no 103 p 154-156

36 Henri de Chamayou

37 Pierre Brun

38 La qualification dheacutereacutesie de la part du pape agrave propos des invocations deacutemoniaques na

jamais cesseacute Voir par exemple une lettre de 1323 qui deacutesigne des commissaires pour juger

le moine Guillaume de Figeac accuseacute de laquo deacutevier de la foi catholique raquo en pratiquant

lalchimie et la neacutecromancie (J-M Vidal Bullaire op cit no 50 p 87-88)

39 F Graf La Magie dans lAntiquiteacute greacuteco-romaine Ideacuteologie et pratique Paris 1994

40 Voir le reacutecit par Pierre le Veacuteneacuterable vers 1137 dun usage magique de lhostie consacreacutee

par un paysan deacutesireux de retenir ses abeilles Livre des merveilles de Dieu (De miraculis)

introduction traduction et notes de J-P Torrell et D Bouthillier FribourgParis 1992 p 70-

72 Je remercie Charles de Miramon de mavoir signaleacute ce texte

41 Voir les travaux reacutealiseacutes autour de Richard Kieckhefer et Claire Faenger aux Eacutetats-Unis

autour de Jean-Patrice Boudet et Henri Bresc en France notamment

42 Dans sa biographie collective des deux premiegraveres geacuteneacuterations de dominicains eacutecrite au

deacutebut des anneacutees 1260 Geacuterard de Frachet ne rapporte quun seul cas de fregravere qui se voue agrave

lalchimie et il ne trouve agrave lui reprocher que son deacutesir de senrichir rapidement Son activiteacute

consiste alors essentiellement agrave se rendre en Sardaigne pour y collecter des mineacuteraux rares

Son funeste sort ultime ne sexplique que par cet abandon de Dieu au profit de la richesse

22

seacuteculiegravere (Vitae Fratrum Ordinis Praedicatorum eacuted par B-M Reichert Rome-Stuttgart

Monumenta Ordinis Fratrum Praedicatorum Historica 1897 p 290)

43 La Condamnation parisienne de 1277 eacuted et trad par D Picheacute avec la collaboration de

C Lafleur Paris 1999 p 77

44 A Paravicini Bagliani Il corpo del papa Turin 1994

45 Preacuteface agrave Le crisi dellalchimia Micrologus 3 1995 p VIII

46 Voir leacutedition du procegraves dans J Shatzmiller Justice et injustice au deacutebut du XIVe s

Lenquecircte sur larchevecircque dAix et sa renonciation en 1318 Rome 1999

47 Voir une lettre de feacutevrier 1330 dans Lettres secregravetes et curiales du pape Jean XXII (1316-

1334) relatives agrave la France eacuted par A Coulon et S Cleacutemencet fasc 8 Paris 1965 no 4100

p 104-105 [abreacutegeacute deacutesormais Coulon-Cleacutemencet] lettre agrave Jean de Badas inquisiteur

franciscain de Marseille sur un crime nefandum commis par Gantalmus Gantalmi notaire et

sa femme Berengegravere instigatione diabolica circumventi agrave lencontre de Guillaume de Baucio

sire de Berre

48 Texte publieacute par J HANSEN Quellen und Untersuchungen op cit no 3 p 2

49 Notons quen 1318 les rites de conseacutecration des miroirs et images paraissent speacutecifiques

alors quen 1320 dans les questions poseacutees par le pape aux experts les invocateurs de deacutemons

utilisent le rite catholique du baptecircme pour preacuteparer leurs images

50 A Paravicini Bagliani Il corpo del papa op cit

51 C H JOSTEN laquo The Text of John Dastins letter to Pope John XXII raquo Ambix 4 1951

p 46-51

52 E Albe Autour de Jean XXII Hugues Geacuteraud eacutevecircque de Cahors laffaire des poisons et

envoucirctements en 1317 Cahors 1904 p 163-164

53 Processus Bernardi Deliciosi The Trial of Fr Bernard Deacutelicieux 3 September-8

December 1319 eacutediteacute par A Friedlander Philadelphie 1996 p 62 Pour une eacutetude complegravete

du dossier voir A Friedlander The Hammer of the Inquisitors Brother Bernard Deacutelicieux

and the Struggle against the Inquisition in Fourteenth-Century France Leyde 2000

54 Coulon-Cleacutemencet no 2969 p 151

55 Coulon-Cleacutemencet no 2395 p 47

56 Sermon sur la vigile de lEacutepiphanie 5 janvier 1332 eacuted par M Dykmans Les Sermons de

Jean XXII sur la vision beacuteatifique Rome (Miscellanea Historiae Pontificiae 34) p 145

57 Les actes du procegraves ont eacuteteacute publieacutes par J-MVidal laquo Procegraves dinquisition contre Adheacutemar

de Mosset raquo Revue dHistoire de lEacuteglise de France 1 1910 Lanecdote se trouve agrave la p 713

58 Ces interrogations sur la laquo situation raquo spirituelle eacutetaient freacutequemment exprimeacutees Dans sa

correspondance avec les grands de ce monde le pape doit souvent reacutepondre agrave ce genre de

question en termes agrave vrai dire assez geacuteneacuteraux

59 Coulon-Cleacutemencet fasc 8 Paris 1965 no 4197 p 126 Lettre analogue en feacutevrier 1331

(no 4452 t 9 p 41)

60 On peut se demander si ce nest pas cette fideacuteliteacute litteacuterale au texte biblique qui a contribueacute agrave

pousser le pape agrave intervenir sur la question de la vision beacuteatifique question ougrave les partisans de

la vision directe de Dieu avant le jugement final ne trouvaient aucun appui scripturaire direct

61 On trouve une formulation parallegravele dans Quia quorumdam mentes (10 novembre 1324)

62 Voir A Boureau laquo Droit naturel et abstraction judiciaire Hypothegraveses sur la nature du droit

meacutedieacuteval raquo Annales HSS 57 6 2002 p 1463-1488

63 Voir A Boureau laquo La redeacutecouverte de lautonomie du corps leacutemergence du somnambule

(xiiie-xiv

e s) raquo Micrologus I 1993 p 27-42

64 Sur toutes ces questions je me permets de renvoyer au chap 8 de mon ouvrage Theacuteologie

science et censure au XIIIe s Le cas de Jean Peckham Paris 1999

23

65 Publieacute par J Rius Serra dans Sancti Raymundi de Penyafort opera omnia t III

Diplomatario (Documentos Vida antigua Cronicas Processos antiguos) Barcelone 1954

p 74-82

66 Cette typologie fut reprise par le pape Alexandre IV une dizaine danneacutees plus tard et

eacutediteacutee par Boniface VIII dans le Sexte (L 5 tit 2 cap 2 6 11 eacuted Friedberg II col 1069

1071 1073) Voir aussi le traiteacute Doctrina de modo procedendi erga hereticos (vers 1280)

dans Martegravene et Durand Thesaurus novus anecdotum t 5 Paris 1717 col 1797 et la

Practica de Bernard Gui (p 226-232)

67 Bien avant la creacuteation de lInquisition le troisiegraveme concile de Latran (1179) avait frappeacute

danathegraveme et priveacute de seacutepulture les defensores et receptatores dheacutereacutetiques (Deacutecreacutetales L 5

tit 7 cap 8 eacuted Friedberg II col 1780)

68 Ibid p 29-32

69 Texte eacutediteacute par J Coste Boniface VIII en procegraves Articles daccusation et deacutepositions de

teacutemoins (1303-1311) Eacutedition critique introduction et notes Rome 1995 p 153

70 Nogaret originaire de Saint-Feacutelix-de-Caraman haut-lieu cathare petit-fils dun ministre

heacutereacutetique avait certainement une bonne connaissance de la perseacutecution de lheacutereacutesie en deacutepit

de sa formation de civiliste

71 Directorium op cit seconde partie question 2

72 Processus op cit p 180

73 E PETERS Inquisition Berkeley 1988

74 R KIECKHEFER laquo The Office of Inquisition and Medieval heresy the Transition from a

Personal to an Institutional Juridiction raquo Journal of Ecclesiastical History 46 1995 p 36-

61

75 Ainsi le pape deacutecida de suspendre le droit dasile dans les eacuteglises au deacutetriment des

heacutereacutetiques mais pas speacutecifiquement des auteurs de sortilegraveges (Lettre au roi de France Philippe

VI en 1328 publieacutee par J-M Vidal Bullaire op cit no 79 p 130-131)

76 Eacuted FRIEDBERG t II col 1078

77 Ibid col 1200

78 Voir la lettre dure que lui adressa le pape Jean XXII le 6 octobre 1332 (J-M Vidal

Bullaire op cit no 124 p 184)

79 Coulon-Cleacutemencet no 4539 fasc 9 p 59-60

80 Lattention precircteacutee agrave Philippe le Bel et agrave Jean XXII ne doit pas faire oublier que ce type

daccusation politico-deacutemonologique est deacutepoque comme le montre dans un tout autre

contexte le procegraves intenteacute agrave Walter Langton eacutevecircque de Coventry en 1301-1303 avec

mention dadoration diabolique (voir A Beardwood laquo The Trial of Walter Langton bishop of

Lichfield 1307-1312 raquo Transactions of the American Philosophical Society NS 54 p III

Philadelphie 1964

81 Voir J Coste Boniface VIII en procegraves op cit

82 A Rigault Le Procegraves de Guichard eacutevecircque de Troyes 1308-1313 Paris 1896

83 J Favier Un conseiller de Philippe le Bel Enguerrand de Marigny Paris 1963 Il faut

mentionner peu apregraves le procegraves contre le cardinal Francesco Gaetani poursuivi par les cours

royales pour attentat contre le roi son fregravere et deux cardinaux agrave laide dimages magiques

(voir C Langlois laquo Laffaire du cardinal Francesco Gaetani (avril 1316) raquo Revue historique

63 1897 p 56-71)

84 E Albe Autour de Jean XXII op cit

85 R Michel laquo Le procegraves de Mateo et Galeazzo Visconti laccusation de sorcellerie et

dheacutereacutesie Dante et laffaire de lenvoucirctement (1320) raquo Meacutelanges darcheacuteologie et dhistoire

29 1909 p 269-327

86 F Bock laquo I processi di Giovanni XXII contro i Ghibellini delle Marche raquo Bolletino

dellIstituto storico italiano per il Medio Evo 57 1941 p 19-43

24

87 Voir J-M Vidal laquo Le sieur de Parthenay et lInquisition (1323-1325) raquo Bulletin

historique et philologique 1903 p 414-434

88 J-M Vidal Bullaire op cit no 20 p 44 et n

o 76 p 126-127

89 J-M Vidal Bullaire op cit nos

109 et 110 p 167-171

90 J-M Vidal Bullaire op cit no 90 p 144

Alain Boureau

EHESS CRH GAS 54 boulevard Raspail F-75006 Paris

Pour citer cet article

Alain Boureau laquoSatan heacutereacutetique lrsquoinstitution judiciaire de la deacutemonologie sous Jean XXIIraquo

Meacutedieacutevales 44 (2003) httpmedievalesrevuesorgdocument711html

Page 2: Satan hérétique : l’institution judiciaire de la ..._Droit_Canonique/Curiosite/Satan heretique.pdf · e siècle, mais la mutation considérable de procédure qui a assimilé les

2

deacutefausseacutes dune lourde affaire qui mettait en cause la rationaliteacute scolastique et ont ainsi perdu

loccasion de repeacuterer les racines theacuteologiques et philosophiques de la deacutemonologie La chasse

aux sorciegraveres a longtemps releveacute de lhistoire laquo moderne raquo degraves lors leacutecart patent entre les

lumiegraveres de la Renaissance et lobscuriteacute perseacutecutrice a encore accentueacute la marginalisation de

la penseacutee deacutemonologique reacuteduite agrave un puissant combat darriegravere-garde des forces obscures et

reacutepressives qui refusaient la moderniteacute Depuis une vingtaine danneacutees au contraire des

historiens (Jacques Chiffoleau Nicole Lemaicirctre Denis Crouzet) se sont efforceacutes de reacutetablir

des continuiteacutes entre le christianisme meacutedieacuteval et les formes diverses de Reacuteforme et de

Contre-Reacuteforme

La preacutesente proposition nest pas totalement ineacutedite Richard Kieckhefer a eacutecrit un stimulant

petit livre sur les procegraves de sorcellerie qui souvre preacuteciseacutement sur lanneacutee 13004 Par ailleurs

une bulle agrave la fois ceacutelegravebre et meacuteconnue de Jean XXII Super illius Specula (1326 ou 1327) a

parfois eacuteteacute consideacutereacutee comme le texte fondateur de la nouvelle obsession deacutemonologique qui

saisit beaucoup desprits dans lEacuteglise agrave la fin du Moyen Acircge Joseph Hansen qui au deacutebut de

ce siegravecle fonda les eacutetudes contemporaines sur la sorcellerie avait placeacute ce texte parmi les tout

premiers de sa fameuse anthologie Quellen und Untersuchungen zur Geschichte des

Hexenwahns und der Hexenverfolgung5 Lynn Thorndike trente ans plus tard consacra un

chapitre de sa somme sur la magie agrave Jean XXII6 Tout reacutecemment les travaux de Nicolas

Weill-Parot7 ont rouvert la question de linteacuterecirct du pape pour la magie

Larbre des historiens et la forecirct des documents

De fait mecircme si ce sont essentiellement des pratiques magiques (fabrication dimages et

dustensiles divers) qui sont incrimineacutees elles deacuterivent directement de ladoration des deacutemons

Les sorciers laquo entrent en association avec la mort et font pacte avec lenfer raquo8 selon les

termes de Super illius Specula Linvocation des deacutemons et les pratiques connexes sont

reacutefeacutereacutees agrave des laquo dogmes raquo laquo que nul dentre eux nose enseigner ou apprendre quoi que ce

soit de ces dogmes pervers raquo (de perversis dictis dogmatibus perversis) deacutesigneacutees comme

heacutereacutesies elles doivent ecirctre punies laquo par toutes les peines que de droit meacuteritent les

heacutereacutetiques raquo (penas omnes et singulas quas de iure merentur heretici) Ce texte rectifie la

bulle Accusatus9 dAlexandre IV (1258) qui en reacuteponse agrave une demande preacutecisait que les

deacutelits magiques ne relevaient pas des compeacutetences de lInquisition sauf si elles laquo sentaient

manifestement lheacutereacutesie raquo (nisi manifeste saperent heresim) Limportance de cette

qualification est eacutevidente pour la construction ulteacuterieure de la deacutemonologie et du sabbat

largement opeacutereacutee par le travail inquisitorial Linquisition en prenant en charge lheacutereacutesie des

sorciers pouvait y consacrer ses moyens judiciaires exceptionnels son expertise theacuteologique

et son savoir cumulatif transmis par de nombreux guides de linquisiteur tandis que les

tribunaux eacutepiscopaux et seacuteculiers eacutetaient tributaires des circonstances et des compeacutetences et

engagements individuels

En outre Super illius Specula en prenant au seacuterieux les preacutetentions des sorciers et invocateurs

de deacutemons rompait de faccedilon brutale avec lancienne tradition de lEacuteglise et notamment du

canon Episcopi (Xe siegravecle) qui traitait les sortilegraveges et les faits de sorcellerie ou de magie

comme autant dillusions diaboliques sans reacutealiteacute effective Ce texte que lon trouve pour la

premiegravere fois dans une collection canonique ou peacutenitentielle reacutedigeacutee par Reacuteginon de Pruumlm

(vers 904) puis repris reacuteguliegraverement dans dautres seacuteries avant de figurer au Deacutecret de

Gratien10 a toujours fascineacute les historiens notamment parce quil annonccedilait cinq siegravecles agrave

lavance certaines formes du sabbat des sorciegraveres lauteur du canon eacutevacue ces croyances

comme de simples recircveries induites par le diable qui fait croire agrave des esprits faibles quils

3

pouvaient tirer quelque force surnaturelle de leurs mauvaises accointances Aucun des faits

alleacutegueacutes na de reacutealiteacute corporelle et ces images de chevaucheacutee nocturne sont compareacutees aux

songes et recircves nocturnes ordinaires Bien plus le canon limite seacutevegraverement les pouvoirs du

diable

Quiconque croit quen dehors du Creacuteateur lui-mecircme qui a tout accompli et par qui tout a eacuteteacute

fait une creacuteature puisse ecirctre faite ou changeacutee en mieux ou en pire ou transformeacutee en une

autre espegravece ou une autre apparence est un infidegravele et est pire quun paiumlen

Malgreacute cet eacutecart les historiens ont eu tendance agrave faire peu de cas de la bulle Super illius

Specula On a parfois douteacute de la porteacutee de ce texte en mettant en question sa nouveauteacute ses

effets et son authenticiteacute

La nouveauteacute du texte a pu paraicirctre limiteacutee dune part parce que limputation heacutereacutetique semble

deacutejagrave figurer dans le canon Episcopi dautre part parce que la reacutealiteacute des maleacutefices nest pas

explicitement affirmeacutee dans la bulle de Jean s infidegraveles et lauteur du canon invoquait agrave leur

propos un verset de lEacutepicirctre agrave Tite (3 10) laquo Eacutevite lhomme heacutereacutetique apregraves la premiegravere et

seconde correction raquo Cependant cette infideacuteliteacute ou heacutereacutesie est imputeacutee agrave la laquo fausse

opinion raquo agrave la croyance en des diviniteacutes plus ou moins sataniques et non pas agrave lacte mecircme

dinvocation ou de magie Dans la construction proceacutedurale de Jean XXII cest la notion de

laquo fait heacutereacutetique raquo au-delagrave ou en deccedilagrave de lopinion ou de lerreur qui importe On y reviendra

Ensuite la notion dheacutereacutesie na pas du tout le mecircme sens au Xe siegravecle et au XIV

e siegravecle entre-

temps les grandes dissidences des XIe et XII

e siegravecles le valdeacuteisme le catharisme le

beacuteguinisme ont conduit agrave la constitution de lheacutereacutesie comme crime majeur rapporteacute au crime

de legravese-majesteacute depuis Innocent III et sa bulle Vergentis11 poursuivi selon des proceacutedures

dexception et puni de faccedilon rigoureuse Il est vrai quune lecture minutieuse de la bulle de

Jean XXII ne permet pas dattribuer une reacutealiteacute effective aux opeacuterations de magie et

dinvocation Mais on le verra la longue suite des textes normatifs et des procegraves du pontificat

de Jean XXII legraveve tout doute quant aux croyances du pape et de son entourage

La seconde objection quant aux effets de la bulle porte surtout sur le long laps de temps entre

sa publication et sa premiegravere reprise textuelle cinquante ans plus tard dans le Directorium

Inquisitorum12 de linquisiteur dominicain Nicolas Eymerich (1376) qui par ailleurs

reacuteiteacuterait la thegravese de linvocation des deacutemons comme activiteacute heacutereacutetique Mais cette reprise ne

relegraveve pas de la seule fantaisie reacutepressive de linquisiteur catalan ceacutelegravebre pour ses excegraves En

effet deux ans plus tocirct le 15 aoucirct 1374 le pape Greacutegoire XI qui nomma Eymerich comme

inquisiteur avait adresseacute agrave linquisiteur de France le dominicain Jacques de Morey une lettre

deacutebutant preacuteciseacutement par la mention Super specula militantis qui lui recommandait de

proceacuteder de faccedilon sommaire13 et sans appel contre les invocateurs des deacutemons (demones

invocant) et notamment quand ils eacutetaient eccleacutesiastiques Le texte du pape fait dailleurs saisir

lune des raisons du retard dans lapplication des directives de Jean XXII il mentionne en

effet lopposition de certains laquo quelques-uns et mecircme des lettreacutes sy opposent en preacutetendant

que cela ne relegraveve pas de ta charge selon les deacutecisions canoniques14 raquo De fait le principal

traiteacute sur les heacutereacutesies reacutedigeacute vers 1340 par Guido Terreni qui avait eacuteteacute inquisiteur de

Majorque et proche collaborateur de Jean XXII ne mentionne nullement les adorateurs des

deacutemons parmi les heacutereacutetiques15 Bien avant les premiegraveres descriptions coheacuterentes et

concordantes du sabbat des sorciegraveres agrave partir de 1430 la voie eacutetait ouverte au traitement

inquisitorial des invocateurs de deacutemons et en 1398 la faculteacute de theacuteologie de Paris deacutetermina

que la sorcellerie accomplie par le moyen dun pacte explicite ou implicite avec le diable

impliquait une apostasie de la foi chreacutetienne et donc relevait de lheacutereacutesie16 Il nous faudra

4

revenir sur la question du retard dans lapplication effective de la bulle et mecircme dans les

perceptions communes des deacutemons17

La troisiegraveme objection quant agrave lauthenticiteacute du texte ne peut ecirctre contourneacutee Certes cest agrave

tort quon a eacutevoqueacute son absence dans les deux collections canoniques qui ont acheveacute la

composition du Corpus Iuris Canonici en y incluant de nombreuses deacutecreacutetales de Jean XXII

les Extravagantes Johannis XXII et les Extravagantes communes en effet la premiegravere

collection de vingt bulles du pape fut composeacutee en 1325 par Jesselin de Cassagnes qui neut

jamais le temps dy revenir avant sa mort La seconde ne fut assembleacutee que fort tardivement

au deacutebut du XVIe siegravecle18 en un temps ougrave le message de Jean XXII sur ce point eacutetait devenu

fort banal Mais il est plus surprenant de ne pas trouver de trace de la bulle dans les Registres

pontificaux19 cependant linachegravevement du grand chantier de publication des lettres de

Jean XXII entrepris il y a plus dun siegravecle ne permet pas de transformer cet eacutetonnement en

doute Enfin le statut mecircme de ce texte est eacutetrange puisquil sadresse agrave tous les chreacutetiens

sans distinction en incitant les coupables agrave livrer leurs livres de magie sous huit jours Or

Jean XXII preacutefeacutera souvent les commissions discregravetes et preacutecises confieacutees agrave des hommes de

confiance

Le doute peut donc demeurer mais la bulle Super illius specula cet arbre malingre et peut-

ecirctre inexistant a masqueacute une forecirct bien reacuteelle et empecirccheacute de repeacuterer la grande nouveauteacute de la

deacutemonologie de Jean XXII Cest dans cette forecirct que nous allons circuler en nous limitant

dabord aux aspects proceacuteduraux qui qualifient la magie deacutemoniaque comme crime heacutereacutetique

et qui montrent bien la continuiteacute et limportance de lenquecircte sur les adorateurs des deacutemons

Un effort continu

En premier lieu on trouve une demande dexpertise formuleacutee par Jean XXII au deacutebut de 1320

sur la qualification des pratiques magiques et des invocations des deacutemons comme heacutereacutesie Le

texte des questions du pape et dix reacuteponses ont eacuteteacute conserveacutees dans le manuscrit Borghese 428

de la Bibliothegraveque Vaticane redeacutecouvert par Annelise Maier20 dont je preacutepare leacutedition

complegravete Certes les trois premiegraveres questions sur lesquelles nous reviendrons traitent de

sortilegraveges divers qui ne relegravevent pas explicitement de la deacutemonologie mais la quatriegraveme

question est claire

Est-ce que ceux qui sacrifient aux deacutemons en ayant lintention de leur faire sacrifice afin

quattireacutes par ce sacrifice les deacutemons obligent quelque personne agrave faire ce que le sacrificateur

deacutesirait ou est-ce que ceux qui invoquent le deacutemon doivent ecirctre consideacutereacutes comme des

heacutereacutetiques ou bien seulement comme des auteurs de sortilegraveges21

Cette consultation malgreacute la reacuteticence de la majoriteacute des theacuteologiens consulteacutes produisit des

reacutesultats remarquables en accreacuteditant la thegravese neuve du laquo fait heacutereacutetique raquo lun des experts

Enrico del Carretto esquissa mecircme la description dun sacrement satanique efficace

description deacuteriveacutee de la theacuteorie contractuelle du sacrement mise au point dans la seconde

moitieacute du XIIIe siegravecle22

Il est possible que la pratique de certains juges eccleacutesiastiques ait preacuteceacutedeacute lexplicitation

doctrinale de la question23 Cest ce qui pourrait apparaicirctre dans une lettre adresseacutee le 28

juillet 1319 par Jean XXII au chanoine Seacuteguin de Beleacutegney juge eccleacutesiastique de Fontius

dAuch eacutevecircque de Poitiers Seacuteguin seacutetait ouvert au pape dun scrupule qui lavait assailli une

accuseacutee eacutetait morte apregraves avoir subi la torture sur ordre du juge Laccuseacutee avait eu la plante

5

des pieds brucircleacutee aux charbons ardents24 Le chanoine se demandait donc sil nencourait pas

llaquo irreacutegulariteacute raquo cest-agrave-dire lincapaciteacute agrave demeurer dans lordre sacerdotal en ce cas pour

avoir verseacute le sang Le pape rassura Seacuteguin en soulignant que la victime eacutetait morte quelque

temps apregraves la torture et que laquo lon pouvait douter quen raison des tourments elle soit morte

plus rapidement que si elle eacutetait morte sans avoir eacuteteacute tortureacutee raquo25

La victime du juge avait eacuteteacute deacutenonceacutee (diffamata) publiquement pour crimes de sortilegraveges et

perversion heacutereacutetique (super criminibus sortilegii et heretice pravitatis) On peut penser sans

certitude toutefois que cest le juge qui avait associeacute le sortilegravege nommeacute en premier agrave

lheacutereacutesie Le recours agrave la torture semble avoir eacuteteacute dicteacute par le deacutesir de deacutecouvrir des reacuteseaux de

compliciteacute reacutesultat effectivement acquis et loueacute par le pape laquo tout ce qui a eacuteteacute ainsi trouveacute

selon toute vraisemblance naurait pas eacuteteacute reacuteveacuteleacute si cette femme ne lavait reacuteveacuteleacute par le biais

des tourments raquo26 On note ici une raison pratique de lassimilation du sortilegravege agrave lheacutereacutesie

lusage de la torture dans un tribunal eccleacutesiastique avait eacuteteacute introduit en 1252 (Ad abolendam)

par le pape Innocent IV au seul beacuteneacutefice des inquisiteurs et non des juges eacutepiscopaux Ce

nest quen 1308 au moment ougrave il creacuteait des commissions eacutepiscopales pour juger les

Templiers que Cleacutement V avait eacutetendu lusage de la torture aux officialiteacutes mais il sagissait

toujours exclusivement dimputations dheacutereacutesie Seacuteguin ne devait pas en ecirctre fort sucircr car il

preacutetend ne secirctre reacutesolu agrave lusage de la torture quapregraves avoir pris conseil aupregraves de laquo personnes

tregraves honnecirctes qui assuraient quils avaient vu dans la reacutegion toulousaine les heacutereacutetiques ecirctre

examineacutes par les peines raquo27

Une autre affaire connue par une lettre de juillet 1319 adresseacutee par le pape agrave Jacques

Fournier eacutevecircque de Pamiers assimile linvocation des deacutemons agrave lheacutereacutesie Le pontife

demandait agrave leacutevecircque de poursuivre trois personnages un clerc un carme et une femme quil

accusait de laquo fabrication dimages dincantations et consultations de deacutemons denvoucirctements

(fascinationibus) de maleacutefices raquo28 Or Jean XXII parle plus loin de leurs laquo erreurs raquo et dans

son paragraphe dexhortation eacutemet le souhait que laquo la foi catholique troubleacutee par les erreurs

susdites retrouve sa clarteacute raquo

Quelques semaines avant la consultation des experts le 22 aoucirct 1320 une lettre fut envoyeacutee

au nom du pape Jean XXII par le cardinal Guillaume de Peyre Godin aux inquisiteurs de

Carcassonne et de Toulouse Jean de Beaune et Bernard Gui Cette fois et encore plus

nettement que dans la bulle Super illius specula la demande daction judiciaire se concentre

sur les invocations aux deacutemons et sur les pactes alors conclus

Fregravere Guillaume eacutevecircque de Sabine par leffet de la miseacutericorde divine envoie ses salutations agrave

lhomme de religioninquisiteur du crime heacutereacutetique dans la reacutegion de Carcassonne Notre tregraves

saint pegravere et maicirctre le seigneur Jean XXII pape par leffet de la providence divine souhaite

avec ferveur chasser du centre de la maison de Dieu les auteurs de maleacutefices qui tuent le

troupeau du Seigneur il ordonne et vous confie la tacircche de faire enquecircte et de proceacuteder tout

en conservant pourtant les modes de proceacutedure qui vous ont eacuteteacute fixeacutes agrave vous et aux preacutelats en

matiegravere dheacutereacutesie par les canons agrave lencontre de ceux qui immolent aux deacutemons ou les adorent

ou leur font hommage laquo Il faut aussi proceacuteder raquo contre ceux qui font des pactes explicites

dobligation avec ces deacutemons ou qui fabriquent ou font fabriquer une image quelconque ou

quoi que ce soit dautre pour se lier au deacutemon ou pour perpeacutetrer quelque maleacutefice par

linvocation des deacutemons contre ceux qui en abusant du sacrement de baptecircme baptisent ou

font baptiser une image de cire ou dautre matiegravere ou qui par dautres moyens et avec

invocation des deacutemons fabriquent ou font fabriquer ces images de quelque faccedilon contre ceux

qui en connaissance de cause reacuteitegraverent le baptecircme lordre ou la confirmation contre ceux qui

6

utilisent le sacrement deucharistie ou lhostie consacreacutee et dautres sacrements de lEacuteglise ou

quelque partie de ces sacrements quant agrave la forme ou agrave la matiegravere pour en abuser pour leurs

sortilegraveges ou maleacutefices Et en effet notre maicirctre mentionneacute plus haut de science certaine29

eacutelargit et eacutetend agrave tous les cas citeacutes sans exception le pouvoir donneacute de droit aux inquisiteurs

quant agrave lexercice de leur fonction contre les heacutereacutetiques ainsi que leurs privilegraveges et ce

jusquagrave ce quil juge devoir reacutevoquer cette extension Nous vous signifions tout cela par nos

preacutesentes lettres patentes par le mandat speacutecial que nous a confieacute le seigneur pape par loracle

mecircme de sa voix vive Fait agrave Avignon le 22 aoucirct 1320 en cette quatriegraveme anneacutee du regravegne du

seigneur pape30

On peut se demander pourquoi Jean XXII ne signa pas lui-mecircme cette lettre il est possible

que devant la reacuteticence des experts de la commission de 1320 le pape ait preacutefeacutereacute une voie

plus lateacuterale pour faire connaicirctre ses souhaits Pourquoi Guillaume de Peyre Godin fut-il

choisi comme porte-parole du pape aupregraves des inquisiteurs Guillaume neacute agrave Bayonne vers

1260 eacutetait entreacute fort tocirct vers 1279 chez les dominicains de Beacuteziers avant de circuler comme

eacutetudiant dans divers couvents et studia du Sud-Ouest (Orthez Bordeaux Condom) de faire

ses eacutetudes de theacuteologie agrave Montpellier puis de parcourir agrave nouveau les couvents (Bayonne

Condom Montpellier) comme lecteur Il ne passa que briegravevement agrave Paris en 1292 Sa

veacuteritable carriegravere universitaire apregraves une peacuteriode denseignement agrave Toulouse (1296)

commenccedila en 1306 quand il fut nommeacute lecteur du Sacreacute Palais aupregraves de Cleacutement V qui le fit

cardinal-precirctre de Sainte-Ceacutecile en deacutecembre 1312 dans le mecircme mouvement de nomination

cardinalice que Jacques Duegraveze le futur pape Jean XXII Guillaume jouissait dune expeacuterience

et dune reacuteputation assez larges puisquil eacutetait agrave la fois un theacuteologien reconnu (son

commentaire sur les Sentences de Pierre Lombard reacutedigeacute vers 1300 fut reconnu comme

Lectura Thomasiana) un membre actif de lordre dominicain (preacutedicateur geacuteneacuteral de

Narbonne en 1289 deacutefiniteur agrave Cahors en 1298 prieur provincial de Provence en 1301) et un

curialiste (chargeacute en 1309 par Cleacutement V de soccuper du procegraves posthume de Boniface VIII)

Jean XXII appreacutecia ses meacuterites puisquil le promut cardinal-eacutevecircque de Sabine en 1317 puis le

deacutesigna comme leacutegat pontifical en Espagne de 1320 agrave 1324 De cette carriegravere il ressort

clairement que Guillaume de Peyre Godin navait aucune formation juridique et repreacutesentait la

meilleure orthodoxie thomiste le deacutetail importe car la tacircche des inquisiteurs relevait

davantage de la theacuteologie que du droit Guillaume navait pas eacuteteacute consulteacute en 1320 sur la

question de la qualification heacutereacutetique des invocateurs du deacutemon peut-ecirctre parce quil eacutetait

deacutejagrave parti en Espagne mais il reccedilut en 1326 une nouvelle commission pontificale aux cocircteacutes

des cardinaux Pierre dArablay et Bertrand de Montfavet en vue de proceacuteder aux procegraves de

plusieurs clercs et laiumlcs des diocegraveses de Toulouse et Cahors accuseacutes davoir fabriqueacute des

images en plomb ou en pierre destineacutees agrave linvocation des deacutemons31 Les accuseacutes avaient

dabord eacuteteacute convoqueacutes devant la justice eacutepiscopale de Toulouse avant decirctre deacutefeacutereacutes au roi de

France probablement parce que leurs images avaient eacuteteacute fabriqueacutees sur le modegravele de la

monnaie royale (sub figura seu typario regio)32 En 1328 Guillaume fut chargeacute de compiler

lenquecircte locale en vue du procegraves de canonisation de Nicolas de Tolentino or cette affaire

comportait de larges aspects deacutemonologiques33

Agrave cette petite seacuterie on peut ajouter une notation du dominicain Bernard Gui qui fort de son

expeacuterience dinquisiteur reacutedigea son Manuel de linquisiteur sans doute apregraves 1324 pour lui

linvocation des deacutemons relevait de lheacutereacutesie si elle eacutetait faite laquo en mecircme temps quun sacrifice

ou que limmolation dune certaine chose en faisant offrande agrave ces mecircmes deacutemons par le

moyen du sacrifice ou de limmolation raquo34

7

Dix ans plus tard le 4 novembre 1330 Jean XXII envoya deux lettres35 lune adresseacutee agrave

larchevecircque de Narbonne agrave ses suffragants et agrave linquisiteur de Carcassonne36 lautre agrave

larchevecircque de Toulouse agrave ses suffragants et agrave linquisiteur de cette ville37 cette lettre

contenait une copie de celle envoyeacutee en 1320 par Guillaume de Peyre Godin aux inquisiteurs

de Carcassonne et Toulouse puis ordonnait aux destinataires de poursuivre cette œuvre plus

que jamais neacutecessaire38 Cependant cette lettre introduisait un correctif important les

eacutevecircques devaient se mettre agrave lœuvre les inquisiteurs seuls ou en collaboration avec les

eacutevecircques devaient achever les actions entreprises mais ces derniers ne devaient pas entamer de

nouvelles proceacutedures sans commission pontificale Ce correctif nenlevait rien agrave la

qualification dheacutereacutesie appliqueacutee aux invocations deacutemoniaques et autres formes de magie

puisque laction inquisitoriale neacutetait pas suspendue ni simplement transfeacutereacutee aux eacutevecircques

mais il traduisait une certaine meacutefiance agrave leacutegard des inquisiteurs sur laquelle il faudra

revenir

Un mal ordinaire

On peut se demander quel peacuteril urgent se repreacutesentait le pape pour agir avec tant dobstination

Les pratiques magiques populaires ou savantes que visaient les articles de la consultation de

1320 sont universelles et de tous les temps Lenvoucirctement criminel ou amoureux par le biais

dimages de cire ou de terre est bien attesteacute dans lantiquiteacute greacuteco-romaine (notamment sous le

nom de defixiones)39 Quant au deacutetournement magiques des objets sacramentaux chreacutetiens il

eacutetait largement attesteacute depuis fort longtemps40 Sous leffet de la christianisation des mœurs

les vieilles traditions de magie naturelle et beacuteneacutefique se lestaient des rites liturgiques

chreacutetiens sans mutation reacuteelle

Deux facteurs expliquent sans doute lanxieacuteteacute du pape En premier lieu la magie savante

importeacutee de lOrient ou de lEspagne en mecircme temps que la science naturaliste avait connu un

large deacuteveloppement dans les milieux savants depuis le deacutebut du XIIIe siegravecle comme latteste

lœuvre de Guillaume dAuvergne Des recherches reacutecentes ont montreacute lampleur et la

complexiteacute de cette culture41 Les savoirs alchimique et astrologique doteacutes dun grand

prestige scientifique pouvaient se combiner agrave cette laquo neacutegromancie raquo ou agrave ces arts de la magie

Lambivalence des attitudes de lEacuteglise vis-agrave-vis de lalchimie commenccedila agrave se deacutefaire agrave la fin

du XIIIe siegravecle42 preacuteciseacutement au moment ougrave les conquecirctes de la science naturelle apparurent

comme dangereuses pour la foi tandis que lastrologie conservait encore quelque leacutegitimiteacute

malgreacute les soupccedilons On le sait la fameuse condamnation prononceacutee en 1277 par leacutevecircque

Eacutetienne Tempier qui portait sur 219 propositions supposeacutees ecirctre tenues par des membres de

la Faculteacute des Arts eacutetait preacuteceacutedeacutee dun prologue qui condamnait laquo les livres rouleaux ou

cahiers traitant de neacutecromancie ou contenant des expeacuteriences de sortilegraveges des invocations

des deacutemons ou des conjurations au peacuteril des acircmes raquo43 Lalchimie proteacutegeacutee par les papes en

quecircte de leacutelixir de longue vie jusque dans les anneacutees 127044 commenccedilait elle aussi agrave

devenir suspecte comme le notait Agostino Paravicini Bagliani le cardinal Francesco Orsini

dans son testament de 1304 ordonna de brucircler tous ses livres dalchimie45 Lastrologie

malgreacute son allure plus acadeacutemique subissait les mecircmes soupccedilons Le destin tragique de

Cecco dAscoli qui fut un professeur dastrologie respecteacute agrave Bologne agrave partir de 1322 avant

decirctre brucircleacute pour heacutereacutesie agrave Florence en 1327 en compagnie de ses livres dastrologie

manifeste peut-ecirctre malgreacute son caractegravere singulier cette ambivalence des attitudes

lastrologie en fait malgreacute son statut de plus en plus suspect vit son prestige saccroicirctre au

cours du XIVe siegravecle

8

Laffaire Robert de Mauvoisin suivie de tregraves pregraves par Jean XXII confirme cette ambivalence

Robert de Mauvoisin archevecircque dAix fut jugeacute en 1318 par une commission pontificale et

dut renoncer agrave son siegravege46 Le statut de cette poursuite est incertain comme cest souvent le

cas dans ces commissions nommeacutees directement par le pape laction fut en fait

disciplinaire mais elle aurait pu ecirctre criminelle selon laccentuation de tel ou tel deacutelit qui

pouvait aussi bien relever de lexcegraves condamnable chez un preacutelat que du crime Il est fort

possible que cette qualification ait deacutependu dune neacutegociation le pape voulait reacutecupeacuterer le

siegravege et Robert cherchait agrave se tirer de ce mauvais pas Mais quoi quil en soit le premier des

quinze articles daccusation le plus deacuteveloppeacute joua un rocircle certain dans la relative cleacutemence

de la commission cet article rapportait que Robert depuis les temps de ses eacutetudes agrave Bologne

dans les anneacutees 1300 jusquau temps de sa preacutelature avait eu recours laquo aux sortilegraveges agrave lart

de la magie (arti mathematice) et aux divinations raquo Larticle preacutecisait que ces pratiques

eacutetaient laquo condamneacutees et interdites par le droit raquo Dans son interrogatoire Robert prit soin de

qualifier constamment ses diffeacuterents conseillers dlaquo astrologues raquo et de relater preacuteciseacutement les

modes et les buts de ses consultations Tout en affirmant quil ne croyait pas en ces arts

Robert confirmeacute par un teacutemoin maintint quil pensait de bonne foi que ces pratiques

astrologiques eacutetaient licites

Or il semble bien que la meacutefiance nouvelle envers lastrologie et lalchimie plus ou moins

assumeacutee par les savants et les hauts dignitaires de lEacuteglise se soit accompagneacutee selon une

causaliteacute difficile agrave deacuteterminer dune diffusion de la culture neacutecromantique et alchimique

dans les couches plus basses de lEacuteglise Le second astrologue que Robert de Mauvoisin

consulta pour eacutevaluer son thegraveme astral eacutetait un copiste (grossator) de la curie pontificale

Nous avons eacutevoqueacute plus haut la poursuite de clercs et laiumlcs accuseacutes de fabrication dimages

sous leffigie royale Leur propre confession mentionnait explicitement lusage de lalchimie

il y est question de la recherche de la laquo veacuteriteacute de lalchimie raquo (veritatem alquimie)

Agrave cette inquieacutetude geacuteneacuterale et ambivalente sajoutait le souci propre de Jean XXII qui paraicirct

avoir consideacutereacute que les deacutemons se mecirclaient directement agrave ces arts suspects et exerccedilaient un

rocircle redoutable dans la vie et la mort des humains

Les convictions deacutemonologiques de Jean XXII

Linsistance de Jean XXII sur les dangers des invocations deacutemoniaques correspond dans la

pratique judiciaire quil a deacuteveloppeacutee agrave de nombreuses accusations47 lanceacutees agrave titre principal

ou contre des accuseacutes inculpeacutes dabord pour dautres raisons comme leacutevecircque de Cahors

Hugues Geacuteraud larchevecircque dAix Robert de Mauvoisin ou contre le franciscain Bernard

Deacutelicieux accuseacute dentraver gravement le travail des inquisiteurs Le parcours rapide de

certains de ces dossiers nous aidera agrave saisir les preacuteoccupations personnelles du pape en

matiegravere de magie et dinvocations deacutemoniaques

Le 27 feacutevrier 1318 Jean XXII sadressa agrave Bartheacutelemy eacutevecircque de Freacutejus agrave Pierre Tissier

prieur de Saint-Antonin pregraves de Rodez et au preacutevocirct de Clermont-Ferrand pour leur

demander dentreprendre une action selon la proceacutedure sommaire et sans possibiliteacute dappel agrave

lencontre de plusieurs clercs qui sadonnaient agrave laquo la nigromancie la geacuteomancie et autres arts

magiques raquo48 Ces arts de la magie sont eacutetroitement relieacutes agrave linvocation des deacutemons ils sont

laquo des arts de deacutemons deacuteriveacutes dune pestifegravere association des hommes et des mauvais anges raquo

Les magiciens laquo usent freacutequemment de miroirs et dimages consacreacutees selon leur exeacutecrable

rite et se placcedilant en cercle invoquent de faccedilon reacutepeacuteteacutee les deacutemons quils enferment dans les

9

miroirs les cercles ou les anneaux raquo Par ces invocations les accuseacutes tentent de nuire ou de

preacutedire le futur49

Or un autre aspect de leur activiteacute releveacute dans la suite de la lettre concerne un souci

pontifical laquo ils ne craignent pas daffirmer quagrave laide de boissons ou de nourritures mais

aussi par la profeacuteration dune seule parole il est possible dabreacuteger ou de prolonger la vie des

hommes raquo On pense bien sucircr aux diffeacuterentes recherches et pratiques patronneacutees par les

papes du XIIIe siegravecle en vue dobtenir le prolongement de leur vie que les recherches

dAgostino Paravicini Bagliani ont repeacutereacutees50 Le grand alchimiste anglais John Dastin qui

avait eacutecrit des ouvrages dalchimie pour le cardinal Napoleacuteon Orsini ennemi et familier du

pape envoya agrave Jean XXII une lettre sur lor potable susceptible de prolonger la vie51

Comme lavait montreacute le procegraves de Boniface VIII la frontiegravere eacutetait incertaine entre les arts

magiques et lalchimie entre le juste deacutesir de prolonger la vie des papes et la sournoise

volonteacute de labreacuteger Loctogeacutenaire pontife eacutelu comme pape de transition savait sa vie fragile

et sa succession souhaiteacutee La premiegravere grande affaire judiciaire du pontificat quelques mois

apregraves lavegravenement de Jean XXII mit en cause leacutevecircque de Cahors Hugues Geacuteraud accuseacute

davoir voulu attenter agrave la vie du pape et des cardinaux par le poison mais aussi par la

confection dimages de cire qui avaient reccedilu le nom des victimes et qui furent perceacutees de

coups daiguilles selon leacutevocation assez preacutecise quen donne le pape dans sa lettre de

commission de laffaire le 22 avril 131752 On comprend degraves lors lobsession de Jean XXII

quant aux manipulations surnaturelles de la nature dautant que reacutecemment certains

alchimistes ou meacutedecins dont Arnaud de Villeneuve avaient noueacute des relations fortes avec

les Spirituels franciscains ou avec les clans Orsini et Colonna de la curie

Le procegraves intenteacute au franciscain Bernard Deacutelicieux en 1319 illustre bien cette conjonction

Bernard Deacutelicieux eacutetait poursuivi essentiellement pour ses attaques contre linquisition et ses

tentatives en vue du soulegravevement des citeacutes meacuteridionales contre le pouvoir des inquisiteurs

Laffaire eacutetait deacutejagrave ancienne mais le franciscain avait reacutecemment aggraveacute son cas en prenant

la deacutefense des franciscains spirituels convoqueacutes agrave Avignon en 1317 Or les articles 24 agrave 31 de

son acte daccusation portaient sur ses tentatives de meurtre sur la personne de Benoicirct XI par

le biais des incantations et des actes de magie53 Dans cette liste de griefs pas plus que dans

les accusations contre Robert de Mauvoisin les pratiques magiques de Bernard Deacutelicieux ne

sont rapporteacutees agrave une invocation des deacutemons comme si la magie naturelle neacutetait incrimineacutee

que pour ses fins mauvaises Tout se passe comme si Jean XXII heacuteritier de la fascination de

ses preacutedeacutecesseurs envers la puissance des sciences occultes heacutesitait encore agrave lier la magie agrave

laction deacutemoniaque ce qui expliquerait lurgence et limportance de la consultation de 1320

Quelques anneacutees plus tard ces incertitudes neacutetaient plus de mise Ainsi le 23 aoucirct 132654 le

pape envoya une lettre au cardinal Bertrand de Montfavet lincitant agrave poursuivre une enquecircte

sur Bertrand dAudiran chanoine dAgen qui se livrait agrave pluribus et diversis dampnatis

scientiis et artibus laquo non sans une transgression de la foi catholique du droit canonique et du

droit civil raquo Le suspect usait de livres deacutecritures de vases de verre de terre et de bois en

lesquels il composait des poudres et liqueurs feacutetides laquo Et surtout ce Bertrand en usant et

abusant de ces sciences et arts sefforccedilait de tenter les deacutemons et dinvoquer les esprits malins

et dappliquer agrave cette fin les conjurations et autres choses illicites et condamneacutees raquo Or cette

pratique eacutetait efficace laquo il sensuivait de terrifiants coups de tonnerre eacutebranlements foudres

tempecirctes deacuteluges coups porteacutes par les deacutemons agressions et morts dhommes et autres

innombrables dommages raquo

10

Bertrand disposait de complices dont deux sont nommeacutes dans la lettre Ils avaient eacuteteacute pris sur

le fait quand ils emportaient sur des fourches patibulaires deux tecirctes et un bras de pendus Le

laiumlc avait avoueacute et avait eacuteteacute livreacute aux flammes le clerc fut emprisonneacute dans les cachots de

leacutevecircque dAgen Leacutevecircque avait fait conduire Bertrand vers les prisons pontificales dAvignon

Lenquecircte avait eacuteteacute confieacutee agrave Bertrand de Montfavet et au cardinal Pierre Tissier mort depuis

(en 1323) La lenteur dune proceacutedure qui eacutetait entiegraverement entre les mains du pontife montre

bien que Jean XXII cherchait agrave savoir avant de reacuteprimer

Une autre lettre manifeste bien linquieacutetude de Jean XXII devant les mystegraveres surnaturels et

notamment devant la possibiliteacute de transport extraordinaire qui annonce peut-ecirctre un des

aspects les plus spectaculaires du sabbat le vol des deacutemoniaques dans les airs Le 3 mars

1325 Jean XXII sadressa agrave leacutevecircque de Paris le cureacute de la paroisse des Saints Innocents un

soir a disparu de sa chambre fermeacutee au verrou de linteacuterieur Le pape demande une enquecircte

summarie simpliciter ac sine strepitu et figura judicii afin de savoir laquo ougrave ledit recteur est

alleacute ou a eacuteteacute emporteacute ou transporteacute raquo (dictus rector iverit vel asportatus aut translatus

fuerit)55 Le ton presseacute et angoisseacute de la lettre leacutevocation de la possibiliteacute dun transport

surnaturel sans eacutevoquer vraiment le sabbat manifestent en cette mince affaire une reacuteelle

inquieacutetude

Lors de la fameuse controverse sur la vision beacuteatifique que le pape lanccedila en 1331 un des

arguments produits par le pape pour prouver le caractegravere partiel et limiteacute du jugement

individuel consiste agrave insister sur lactiviteacute libre des deacutemons avant le Jugement dernier En

1332 dans un sermon le pape dit laquo En effet les damneacutes cest-agrave-dire les deacutemons ne

pourraient nous tenter sils eacutetaient reclus en enfer Cest pourquoi il ne faut pas dire quils

reacutesident en enfer mais bien dans la totaliteacute de la zone dair obscur dougrave leur est ouverte la

voie pour nous tenter raquo56

Portrait de Jean XXII en suppocirct du deacutemon

Si Jean XXII fut aussi acharneacute agrave poursuivre les deacutemons et leurs adorateurs cest sans doute

aussi parce quil fut lui-mecircme parfois preacutesenteacute comme une creacuteature de lAnteacutechrist ou du

diable notamment dans les divers milieux influenceacutes par les franciscains spirituels (beacuteguins

fraticelli) Cette qualification relevait en partie de linjure en partie de la conviction En effet

dun cocircteacute les franciscains spirituels adeptes de la plus haute pauvreteacute qui avaient joui dune

relative tranquilliteacute sous le pontificat de Cleacutement V subirent la reacutepression violente de

Jean XXII degraves le deacutebut de son pontificat quatre franciscains spirituels furent brucircleacutes agrave

Marseille en 1318 une seacuterie de bulles de 1317 agrave 1328 condamnegraverent certains groupes puis

la doctrine mecircme de la pauvreteacute absolue et de son fondement christique On en arriva au

schisme de 1328 quand Michel de Ceacutesegravene et quelques fregraveres senfuirent dAvignon pour

rejoindre la cour de lempereur Louis de Baviegravere qui creacutea le bref pontificat schismatique de

Nicolas V Dans la masse des eacutecrits de combat des franciscains le pape prit souvent une

figure satanique

Mais il y avait plus Dans les eacutecrits de Pierre de Jean Olivi qui fut linspirateur principal de

ces mouvements se manifestait la conviction que le temps preacutesent eacutetait celui du passage agrave la

sixiegraveme peacuteriode de lhistoire de lEacuteglise lui-mecircme annonciateur du troisiegraveme et dernier acircge de

lhumaniteacute En lisant lApocalypse Olivi avait deacutecouvert que lAnteacutechrist dont la deacutefaite

ultime devait ouvrir une longue peacuteriode de paix avant la fin des temps se deacutedoublait en un

Anteacutechrist laquo mystique raquo (cest-agrave-dire cacheacute) et le grand Anteacutechrist manifeste Cet Anteacutechrist

mystique devait probablement ecirctre un pseudo-pape Si Olivi mort en 1298 navait pas pousseacute

11

plus loin lidentification ses disciples confirmeacutes par les perseacutecutions proceacutedegraverent agrave cette

assimilation du pape agrave lAnteacutechrist mystique

Sur ce point un teacutemoignage curieux livre un veacuteritable reacutecit fondateur et mythique sur les

origines de la haine de Jean XXII contre les spirituels franciscains En 1333 le chevalier

roussillonnais Adheacutemar de Mosset fut poursuivi pour ses sympathies beacuteguines agrave linitiative

du roi Jacques II de Majorque57 Le roi dans son troisiegraveme article daccusation rapporte un

souvenir personnel Un jour quil voyageait en compagnie dAdheacutemar la conversation vint sur

le pape Jean XXII et sur les perseacutecutions contre les spirituels que le chevalier reprochait fort

au pontife Adheacutemar demanda au roi sil savait pourquoi le pape qui au deacutebut de son

pontificat avait eacuteteacute une homme saint et bon en eacutetait arriveacute lagrave Jacques ne le savait pas mais le

chevalier le lui apprit Jean XXII aimait alors beaucoup Angelo Clareno lun des principaux

dirigeants des spirituels Un jour il lui demanda dinterroger Dieu pour savoir si son eacutetat

(status) Lui plaisait ou non58 Angelo se mit en priegraveres et laquo vit alors une grande foule de

diables qui portaient un calice plein du poison diniquiteacute il leur demanda ougrave ils allaient et ce

quils allaient faire de ce calice Ils lui reacutepondirent quils allaient aupregraves du pape pour faire

leur possible afin quil boive le calice diniquiteacute raquo Angelo leur demanda de passer le voir sur

le retour ce quils firent Ils lui apprirent alors que le pape avait bu et ils conseillegraverent agrave

Angelo de se garder deacutesormais de lui Au sortir de cette vision le pape demanda agrave Angelo le

reacutesultat de sa consultation le franciscain refusa de parler mais reccedilut lordre au nom du

principe dobeacuteissance de livrer ses informations ce quil fit laquo Et depuis ce temps lagrave le

seigneur pape lui voulut du mal agrave lui et aux autres Beacuteguins raquo Adheacutemar de Mosset qui avait

eacuteteacute au service de Philippe de Majorque reacutegent du royaume sous la minoriteacute de Jacques II et

partisan actif des Beacuteguins eacutetait probablement un sympathisant des dissidents sans ecirctre

directement engageacute dans leur combat et sans avoir de formation theacuteologique ni exeacutegeacutetique il

est probable quil transmettait une anecdote largement reacutepandue Si lon perccediloit mieux le

deacuteveloppement dun engagement personnel du pape il reste agrave comprendre les modaliteacutes de sa

lutte

Le positivisme de Jean XXII

Pourquoi qualifier dheacutereacutesie la magie ou linvocation des deacutemons Parce que les adorateurs

des deacutemons produisent de nouveaux faits susceptibles dengendrer de nouvelles adheacutesions Il

faut insister sur cette notion de factum hereticale brandie dans les questions poseacutees aux

theacuteologiens en 1320 qui rompt avec lideacutee commune de lheacutereacutesie comme opinion ou comme

intellectus Il ne sagit pas seulement dune extension qui trouverait dans les pratiques

sacrilegraveges un fondement doctrinal Jean XXII navait nul besoin de cette qualification pour

reacuteprimer seacutevegraverement les actes magiques et deacutemonolacirctriques

Le pape croyait en la force des faits en droit comme en theacuteologie Ainsi en mai 1330 il

sadressa au roi de France pour lui demander dinterdire la pratique de la preuve par combat

judiciaire ou duel59 en notant que laquo par de telles pratiques la veacuteriteacute nest pas prouveacutee raquo (per

taliaveritas non probatur) Le pape au nom de lexpeacuterience maicirctresse des choses (magistra

rerum experiencia) fait remarquer au roi quen cas daccusation de fausse monnaie jamais le

souverain ne se contenterait dune telle preuve preacuteciseacutement parce quen ce cas les faits

mateacuteriels et la veacuteriteacute pure importent

La construction mecircme de faits ineacutedits est une menace pour la foi Car ce sont les faits qui

induisent la confiance et la foi La qualification traditionnelle de lheacutereacutesie en sen tenant au

rejet des opinions orthodoxes ne considegravere pas le processus qui conduit agrave la foi Devant

12

lextrecircme diversiteacute des opinions et des eacutecoles il faut sen tenir aux faits Jean XXII

exactement comme Guillaume dOckham aboutit agrave la conclusion que la foi repose sur une

certaine confiance accordeacutee agrave lensemble de la tradition chreacutetienne et corroboreacutee par les faits

livreacutes par lEacutecriture La foi repose sur un contrat de confiance Un des reproches les plus

veacuteheacutements quil adresse aux franciscains cest de pieacutetiner les donneacutees factuelles de lEacutecriture

Dans lEacutevangile Jeacutesus a posseacutedeacute des biens et a confieacute sa bourse agrave Judas Or par des artifices

dinterpreacutetation ils aneacuteantissent ces faits au beacuteneacutefice de leur interpreacutetation Les grandes

bulles de condamnation de la doctrine franciscaine de la pauvreteacute absolue insistent sur cette

destruction des donneacutees factuelles qui fondent les articles de foi60 Dans la bulle Cum inter

nonnullos (12 novembre 1223) le pape disait

Laffirmation selon laquelle le Christ et les apocirctres nont rien posseacutedeacute ni en commun ni

individuellement nous jugeons par un eacutedit perpeacutetuel et en suivant lavis de nos fregraveres que

quand elle est reacutepeacuteteacutee avec obstination elle doit ecirctre tenue pour erroneacutee et heacutereacutetique car

comme elle contredit expresseacutement lEacutecriture sacreacutee qui en plusieurs lieux affirme quils ont

eu quelque possession elle implique que cette Eacutecriture sacreacutee par laquelle sont prouveacutes les

articles de la foi orthodoxe contient ouvertement sur ce sujet le germe du mensonge et que

en tant que telle elle eacutevacue toute confiance en lEacutecriture et rend la foi catholique douteuse et

incertaine en supprimant sa force probatoire61

Plus geacuteneacuteralement les franciscains spirituels en imaginant que le Christ et les apocirctres

pratiquaient un usage laquo de fait raquo sans aucune appropriation juridique construisaient une

fiction qui ne trouvait aucun reacutepondant aucune veacuterification dans la laquo nature des choses raquo

(natura rerum) ougrave la consommation des biens repose soit sur un droit soit sur un deacutelit Leur

usage du mot laquo fait raquo renversait lordre naturel du monde Les franciscains devenaient

heacutereacutetiques en rejetant les faits eacutevangeacuteliques et en reconstruisant leurs propres faits gracircce agrave

leur ideacuteologie forte et gracircce agrave lidentiteacute collective quils creacuteaient Les adorateurs des deacutemons

nagissaient pas autrement on le verra

Donc pour Jean XXII un fait est un fait Comment comprendre ce positivisme qui semble

anachronique sans le reacuteduire aux fantaisies singuliegraveres du vieux pontife

Leacutemergence du fait

Pour saisir ce tournant il faut sans doute partir du jugement moral et non pas du jugement

eacutepisteacutemologique des conduites humaines plus que des processus physiques Chacun le sait le

XIIe siegravecle entre Pierre Abeacutelard et Pierre le Chantre a produit une morale de lintention Mon

hypothegravese est que cest cette morale qui a construit la notion de fait en neutralisant

leacuteveacutenement Jean est tueacute Paul la tueacute Ceci est un eacuteveacutenement La theacuteologie morale de

lintention affirme que cet eacuteveacutenement ne signifie rien en lui-mecircme avant quil ne soit qualifieacute

selon lintention de Paul qui construit leacuteveacutenement comme meurtre (il a voulu et preacutemeacutediteacute cet

acte par leffet dune vieille haine) ou bien comme coups et blessures porteacutes sans intention de

meurtre (agrave la suite dune rixe par exemple) comme accident (Paul au cours dune chasse

visait un gibier) comme acte meacuteritoire (Paul a deacutebarrasseacute la chreacutetienteacute dun perseacutecuteur sur le

modegravele de Judith tuant Holopherne) Leacuteveacutenement laquo mort de Jean raquo videacute de sa signification

intrinsegraveque devient ce que jappelle un fait faible un reacutesidu irreacuteductible de reacutealiteacute

Ce relativisme dAbeacutelard doit se relier eacutetroitement au principe naissant de lenquecircte

contradictoire Le premier texte qui proclame la neacutecessiteacute de cette enquecircte se trouve dans la

preacuteface du Sic et non On sait que cet ouvrage en dehors de sa preacuteface ne contient que des

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citations contradictoires sur une seacuterie dobjets mais on na pas releveacute que ces objets ne sont

pas toujours des opinions theacuteologiques mais aussi des faits (comme par exemple

lemplacement geacuteographique de la tombe des patriarches)

Au cours du XIIIe siegravecle se produisit une reacuteaction progressive contre la morale de lintention

une tentative dobjectivation du jugement moral et judiciaire Ce pheacutenomegravene tient

probablement au mouvement de reacutedaction des textes normatifs et agrave la constitution du droit

comme science de plus en plus indeacutependante de la theacuteologie morale62 Le fait fut penseacute

comme un reacutesidu neacutecessaire agrave lindeacutependance transcendante du droit que la caste des juristes

tentaient dextraire des contingences et des compromissions des affaires courantes Mais

lattachement agrave la factualiteacute tenait aussi agrave une reacuteaction de lEacuteglise contre les entreprises

heacutereacutetiques appuyeacutees sur une pratique du secret et de la double entente Le sanctuaire de

linteacuterioriteacute pouvait apparaicirctre comme une cache de malfaiteurs Les poursuites contre les

cathares et les beacuteguins le montrent clairement les inquisiteurs mirent au point des techniques

de repeacuterage de la dissimulation Cette eacutevolution tendait donc agrave remplacer le fait faible des

morales de lintention par le fait fort des tribunaux denquecircte Est-ce agrave dire quau tribunal toute

excuse quant agrave la circonstance de laction eacutetait rejeteacutee Certes pas mais les circonstances

furent elles-mecircmes objectiveacutees On en donnera deux exemples la notion dirresponsabiliteacute

accordeacutee agrave des classes repeacuterables dindividus (les fous les enfants les somnambules) fut

deacutefinie au deacutebut du XIVe siegravecle par une deacutecreacutetale de Cleacutement V63 Par ailleurs dans la

proceacutedure inquisitoire lenquecircte preacutealable sur la reacuteputation (fama) des individus suspects

deacuteleacuteguait agrave une communauteacute exteacuterieure leacutevaluation des motifs avant que lenquecircte en veacuteriteacute

ne mette en correacutelation cette eacutevaluation avec des faits preacutecis Certes la fama fut largement

induite par les poursuites elles-mecircmes mais les juges tenaient agrave son caractegravere objectif et

mesurable Dans les procegraves inquisitoires en canonisation comme en matiegravere criminelle ou

heacutereacutetique les juges ou commissaires demandent freacutequemment aux teacutemoins de deacutefinir le sens

du mot fama son lieu dorigine son extension Certains allaient mecircme jusquagrave demander au

teacutemoin deacutevaluer quantitativement le nombre minimal dopinions ou de murmures neacutecessaires

pour constituer une reacuteputation

Ce positivisme meacutedieacuteval dont nous avons tenteacute de repeacuterer les racines juridiques et morales

peut-il ecirctre relieacute agrave une eacutevolution plus globale que lon pourrait saisir dans lhistoire des

sciences La question est deacutelicate car la physique dominante inspireacutee dAristote sattachait

davantage aux causes quaux pheacutenomegravenes comme la montreacute Alexandre Koyreacute Le

pheacutenomegravene eacutetait essentiellement reacuteductible Pourtant un certain deacuteveloppement de la

factualiteacute scientifique sobservait preacuteciseacutement en ces derniegraveres anneacutees du XIIIe siegravecle soit du

cocircteacute des ingeacutenieurs comme le ceacutelegravebre Pierre de Maricourt qui deacutecrivait et expeacuterimentait les

proprieacuteteacutes de laimant en vue de lameacutelioration de la boussole Un grand penseur comme

Roger Bacon grand chantre de lexpeacuterimentation reacuteussissait agrave conjoindre dans son œuvre la

theacuteologie loptique et lalchimie en traquant des faits par lobservation La cateacutegorie fourre-

tout des laquo merveilles raquo (mirabilia) commenccedilait agrave seacutetioler au profit dune extension simultaneacutee

des pheacutenomegravenes miraculeux et des pheacutenomegravenes naturels Enfin une physique non-

aristoteacutelicienne raisonnant sur des cas-limites relevant dune factualiteacute reacuteelle mais rare se

mettait en place64

Lenquecircte et le fait

Sur le plan des poursuites judiciaires la notion de fait tendit agrave simposer quand agrave partir des

anneacutees 1230 la recherche des heacutereacutetiques au sein de populations largement complices prit un

caractegravere massif et exigea des critegraveres plus larges et des meacutethodes plus efficaces que

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linterrogatoire individuel Un mandement de larchevecircque de Tarragone fut reacutedigeacute en mai

124265 avec laide du dominicain Raymond de Penyafort le grand juriste qui devint aussi

maicirctre geacuteneacuteral de lordre des precirccheurs afin laquo que lon procegravede plus clairement quant au fait

dheacutereacutesie (circa factum heresis) raquo Certes le mot factum a encore ici le sens dimputation

judiciaire quil avait dans le droit romain mais le deacutetail du mandement montre bien quil

importait deacutesormais de consideacuterer des actes qui ne relevaient pas directement de la croyance

Le texte en effet distingue sept classes de population relieacutees agrave lheacutereacutesie66 Or seule la

premiegravere est nommeacute heacutereacutetique parce quelle professe des croyances en perdurant dans lerreur

La seconde cateacutegorie les laquo croyants raquo (credentes) est assimileacutee aux heacutereacutetiques (il faut sans

doute comprendre quils sont mis agrave part avant lavertissement salutaire qui les transforme en

cas de refus dabjurer en heacutereacutetiques proprement dits) Ensuite viennent les laquo suspects raquo

dheacutereacutesie Seuls des actions et des faits construisent cette qualification eacutecouter la preacutedication

ou les confeacuterences des heacutereacutetiques (en ce cas il sagit dinsabbatici heacutereacutetiques difficiles agrave

identifier et qui sont citeacutes en compagnie des Pauvres de Lyon et des Vaudois) sagenouiller en

leur compagnie Un eacuteleacutement de croyance peut pourtant ecirctre ajouteacute les suspects croient que

les heacutereacutetiques en question sont de laquo bons hommes raquo Suivant la reacutepeacutetition des actes la

suspicion sera simple veacuteheacutemente ou tregraves veacuteheacutemente Viennent ensuite les complices passifs

les laquo non-deacutenonciateurs raquo (celatores) qui sabstiennent de reacuteveacuteler la preacutesence publique

dheacutereacutetiques les laquo dissimulateurs raquo (occultatores) laquo qui ont fait pacte de ne rien reacuteveacuteler raquo

(fecerunt pactum de non revelando) les laquo hocirctes raquo (receptatores) qui reccediloivent chez eux au

moins deux fois des heacutereacutetiques ou des reacuteunions dheacutereacutetiques les laquo deacutefenseurs raquo (defensores)

qui prennent le parti des heacutereacutetiques par la parole ou par le fait (verbo vel facto) soit par le

discours soit par une aide mateacuterielle67 Ces quatre derniegraveres cateacutegories sont rassembleacutees sous

la qualification de laquo soutiens raquo (fautores) de lheacutereacutesie Les deacutelits lieacutes aux heacutereacutesies sont pour

Raymond susceptibles de degreacutes (magis vel minus) alors que lheacutereacutesie proprement dite

implique une structure strictement binaire ougrave le vrai soppose agrave lerreur Lagrave encore cest le

droit qui construit par opposition le fait par opposition au ministegravere du confesseur qui in

foro conscientiae traite le continuum des fautes et manquements la tacircche de linquisiteur in

jure consiste agrave reacuteduire agrave la pureteacute binaire de lincrimination une foule de circonstances et

daction floues Plus tard dans le siegravecle la notion de laquo preacutesomption de droit raquo accrut encore

cette tendance

Mais lheacutesitation est encore grande le quatriegraveme point de la consultation porte sur la

qualification comme heacutereacutetique de celui qui embrasse un heacutereacutetique ou qui prie en sa

compagnie ou le cache laquo doit-il ecirctre jugeacute comme croyant en lerreur de lheacutereacutetique raquo La

reacuteponse eacutetait neacutegative Pourtant plus loin le texte suggegravere que les ossements de ceux qui ont

soutenu lheacutereacutesie doivent ecirctre exhumeacutes parce que laquo le soutien (fautoria) est la suite et le

compleacutement de lheacutereacutesie raquo Quelques anneacutees plus tocirct en 1235 dans un des premiers textes

consacreacutes aux regravegles de linquisition Raymond de Penyafort consideacuterait que ceux qui

heacutebergeaient des heacutereacutetiques (en loccurrence des Vaudois) devaient ecirctre jugeacutes comme

heacutereacutetiques parce quils croyaient que lEacuteglise se trompait en poursuivant les heacutereacutetiques68

On le voit la tentation eacutetait grande depuis les deacutebuts de linquisition de construire des faits

heacutereacutetiques Lorsque le 14 juin 1303 Guillaume de Plaisians preacutesenta au Louvre ses

accusations contre le pape Boniface VIII il lui reprocha davoir extorqueacute agrave des precirctres la

reacuteveacutelation de secrets confieacutes en confession pour les divulguer et les utiliser Il conclut cet

article en disant laquo En raison de cela il semble avoir eacuteteacute heacutereacutetique quant au sacrement de

peacutenitence (propter quod in sacramento penitentie hereticare videtur) raquo Cest donc bien un

acte manifesteacute par le verbe actif laquo heacutereacutetiquer raquo qui passe pour manifestation dheacutereacutesie

Comme le note Jean Coste dans son eacutedition du laquo procegraves raquo le cardinal Pietro Colonna qui

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connaissait mieux le droit canonique avait ajouteacute dans la reacutedaction dun article analogue laquo le

mecircme Boniface proclamait de faccedilon doctrinale (dogmatizabat) quil avait le droit dagir

ainsi raquo69

En 1308-1309 lauteur dune nouvelle seacuterie darticles daccusation contre la meacutemoire de

Boniface que Jean Coste attribue agrave Nogaret70 introduit une distinction alors ineacutedite qui fut

reprise cinquante ans plus tard par Nicolas Eymerich71 entre les articles heacutereacutetiques les

erreurs relatives agrave un point de fait deacutejagrave condamneacute (facti damnati errores) et les opinions Mais

la simple mention de cette distinction sans application preacutecise ne permet pas de consideacuterer

que la notion de laquo fait heacutereacutetique raquo se deacuteveloppait veacuteritablement

Les juges deacuteleacutegueacutes au procegraves de Bernard Deacutelicieux en 1319 franchirent ce pas du moins

dans leur acte daccusation du 23 octobre 1319 ils ouvraient leur accusation en deacuteclarant sur

un ton tregraves leacutegislatif mais sans aucune alleacutegation de droit que tout homme seigneur puissant

ou juge qui oserait libeacuterer les prisonniers de linquisition refuser dexeacutecuter ses mandats

empecirccher la sentence ou le procegraves ou sopposer en quelque faccedilon agrave la poursuite des

heacutereacutetiques laquo encourt ipso facto une sentence dexcommunication et sil lencourt avec une

volonteacute reacutesolue pendant un an est alors condamneacute comme heacutereacutetique raquo72

Questions de proceacutedure

Face agrave la menace deacutemoniaque il importait dagir efficacement et rapidement mais ces deux

exigences eacutetaient contradictoires car lefficaciteacute supposait le lent et difficile eacutetablissement de

la veacuteriteacute Le pontife disposait dune multitude de solutions judiciaires qui impliquaient agrave la

fois des diffeacuterences dans les types de proceacutedure dans les ressorts juridictionnels et dans les

modaliteacutes de lenquecircte

LEacuteglise favorisait le deacuteveloppement de la proceacutedure inquisitoire (par enquecircte) au deacutetriment

du mode accusatoire selon un mouvement initieacute par des deacutecreacutetales dInnocent III agrave partir de

1198 dont la maturation se lit dans le canon 8 du concile de Latran IV (1215) On le sait la

proceacutedure accusatoire dominante jusquau XIIe siegravecle et qui a poursuivi sa carriegravere dans la

Common Law britannique et ameacutericaine reacuteserve lincrimination agrave un accusateur qui sengage

sur cette accusation et peut en pacirctir Le juge ou le jury se contente darbitrer Les deux

moments de laction sont constitueacutes par la construction minutieuse de la cause qui doit ecirctre

rigoureusement deacutefinie (en termes romains il sagit de la phase de litis contestatio) et par la

deacutelibeacuteration La proceacutedure inquisitoire en revanche favorise laccusation doffice formuleacutee

par un juge ou un prince agrave la suite dune laquo diffamation raquo deacuteriveacutee de leacutecoute dune rumeur

accusatrice Le procegraves met en œuvre deux enquecirctes successives la premiegravere eacutetablit cette

fama cette reacuteputation bonne ou mauvaise qui permet linculpation ou la relaxe la seconde

enquecircte construit la veacuteriteacute des faits porteacutes par la fama

Plusieurs ressorts juridictionnels pouvaient prendre en charge les invocateurs du deacutemon la

justice eacutepiscopale avec ses divers tribunaux le tribunal de linquisition et des commissions

pontificales ad hoc Linquisition fut creacuteeacutee par le pontificat agrave partir de 1233 en vue de

poursuivre lheacutereacutesie et elle garda longtemps cette speacutecialisation qui impliquait un recrutement

de juges plus theacuteologiens que juristes Il est difficile de porter un jugement serein sur

linquisition meacutedieacutevale tant son image a fait lobjet de controverses violentes Certains

meacutedieacutevistes ont tenteacute non sans quelques raisons de rejeter la folie perseacutecutrice associeacutee agrave

cette image Edward Peters a montreacute comment avait pu se construire dans la suite des temps

un veacuteritable mythe noir de linquisition73 un article retentissant de Richard Kieckhefer a mis

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en doute la reacutealiteacute institutionnelle de linquisition74 De fait lopinion commune a souvent

confondu les reacutealiteacutes implacables de lInquisition romaine (creacuteeacutee en 1542) et surtout de

lInquisition castillane (institution eacutetatique fondeacutee en 1481-1482) avec les tentatives limiteacutees

et souvent incoheacuterentes de linquisition meacutedieacutevale Pourtant linquisition meacutedieacutevale a bien

existeacute comme institution puissante en deacutepit de sa faible assise Linquisiteur eacutetait nommeacute par

le saint Siegravege mais demeurait eacutetroitement lieacute agrave lordre religieux dont il provenait (lordre

dominicain pour lessentiel mais aussi lordre franciscain et dans une moindre mesure

lordre des carmes) Sa pratique quotidienne le mettait en relation eacutetroite avec le pouvoir

seacuteculier

Les commissions speacuteciales du pape deacuterivaient en un sens de la justice deacuteleacutegueacutee des pontifes

instaureacutee depuis le XIIe siegravecle mais elles prirent une importance particuliegravere sous le pontificat

de Jean XXII pour des raisons que nous examinerons plus loin Limportance des faits

deacutemoniaques conduisit Jean XXII agrave lever beaucoup de garanties judiciaires et gracieuses75 et

agrave confier les affaires de complot avec soupccedilons magiques ou deacutemonologiques agrave des

commissions pontificales qui se reacuteclamaient de la proceacutedure sommaire La notion de

proceacutedure sommaire sest lentement deacuteveloppeacutee depuis la fin du XIIe siegravecle dans le droit

canonique Il sagissait de formaliser les efforts des deacutecennies preacuteceacutedentes en matiegravere

darbitrage ou de compromis internes agrave lEacuteglise en reacuteaction aux excegraves de juridisme qui avaient

eacuteteacute deacutenonceacutes par saint Bernard dans son retentissant traiteacute De consideratione La notion

dlaquo eacutequiteacute canonique raquo eacutetait opposeacutee agrave la rigor iuris des civilistes La proceacutedure trouva

lentement sa forme agrave partir deacuteleacutements eacutepars dans le droit romain par agglomeacuteration de

clausules indeacutependantes si les parties eacutetaient daccord la cognitio summaria (traduite dans

nos textes par ladverbe summarie ou simpliciter) impliquait dalleacuteger les charges de preuves

on pouvait se contenter de preuves laquo semi-pleines raquo (un simple serment un teacutemoin ou un

document unique) et de la phase proprement proceacutedurale dun procegraves la reacutedaction dun

laquo livret raquo (libellus) et le deacutebat de la litis contestatio (qui eacutetablissait les rocircles judiciaires et les

enjeux du procegraves) devenaient facultatifs La mention dune proceacutedure de plano qui renvoyait

agrave linutiliteacute de sieacuteger formellement en tribunal insistait davantage sur la rapiditeacute et labsence de

formes externes Enfin les clausules sine strepitu judiciorum (sans le vacarme des procegraves) et

sine figura judicii (sans la forme du procegraves) compleacutetaient cette simplification en insistant sur

la suppression des avocats et des formes bruyantes dopposition et de recours

Agrave leacutepoque de Jean XXII cette formalisation de larbitrage eccleacutesiastique venait agrave peine de

sachever par la publication de deux deacutecreacutetales de Cleacutement V Dispendiosam produite pour le

concile de Vienne en 1311-1312 et Saepe reacutedigeacutee en 1314 Dispendiosam76 deacuteclarait de

faccedilon fort bregraveve que la proceacutedure sommaire pouvait sappliquer dune part aux cas deacutejagrave preacutevus

par le droit canonique du XIIIe siegravecle quant aux affaires propres de lEacuteglise (laquo eacutelections

demandes et provisions attributions de digniteacutes de fonctions de charges de canonicats de

preacutebendes et autres beacuteneacutefices eccleacutesiastiques raquo et contentieux sur les dicircmes) mais aussi sur les

questions de mariage et dusure Cette extension eacutetait consideacuterable et aboutissait agrave fournir la

possibiliteacute de proceacutedure sommaire pour la quasi totaliteacute des affaires eacutevoqueacutees par lEacuteglise

Seules les successions neacutetaient pas mentionneacutees mais elles interfeacuteraient neacutecessairement avec

les causes matrimoniales La deacutecreacutetale Saepe77

deacutetaillait plus longuement les particulariteacutes de

la proceacutedure sommaire et reacutesumait soigneusement les traits assembleacutes depuis pregraves dun siegravecle

Lusage parallegravele de la proceacutedure sommaire en matiegravere de poursuite de lheacutereacutesie ne se laisse

pas facilement deacutechiffrer car la filiation par rapport agrave la doctrine de larbitrage y perd tout

sens Le seul point commun des deux usages tient au rocircle essentiel du juge chargeacute agrave la fois de

la proceacutedure de linstruction et de la deacutecision Pourtant ce nest pas avant la deacutecreacutetale Statuta

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quedam promulgueacutee par Boniface VIII dans son Liber Sextus en 1296-1298 que la proceacutedure

sommaire fut accordeacutee explicitement agrave la proceacutedure inquisitoriale laquo En collationnant certains

statuts de nos preacutedeacutecesseurs dheureuse meacutemoire Innocent Alexandre et Cleacutement et en

interpreacutetant et ajoutant certains points nous accordons que dans les affaires dinquisition sur

la perversion heacutereacutetique il puisse ecirctre proceacutedeacute de faccedilon simple et informelle sans vacarme ni

apparence des avocats et des jugements (procedi possit simpliciter et de plano et absque

advocatorum ac judiciorum strepitu et figura) raquo La suite de la deacutecreacutetale justifie le secret sur

les noms des teacutemoins ou accusateurs pour raison de seacutecuriteacute

Procegraves et majesteacute

Tous les niveaux et distinctions que nous venons desquisser se mecirclaient dans la pratique

judiciaire puisque linquisition se fondait largement sur la proceacutedure inquisitoire tandis que

des eacutevecircques comme Jacques Fournier le ceacutelegravebre eacutevecircque de Pamiers ou Guido Terreni

eacutevecircque de Majorque puis dElne recevaient du pape des fonctions dinquisiteur dans leur

diocegravese

Pourtant Jean XXII navait guegravere confiance dans la justice des eacutevecircques Il savait que les

eacutevecircques pouvaient souvent preacutefeacuterer la paix du diocegravese agrave lexigence de la veacuteriteacute Ainsi agrave

lefficace et zeacuteleacute Jacques Fournier avait succeacutedeacute en 1326 Dominique Grima brillant

theacuteologien ancien assistant inquisiteur de Bernard Gui agrave Toulouse qui sattira le courroux du

pape pour sa neacutegligence dans la poursuite de lheacutereacutesie78 Le pape preacutefeacutera freacutequemment utiliser

des commissions speacuteciales denquecircte et de jugement selon la proceacutedure sommaire plutocirct que

les tribunaux inquisitoriaux Ce fut le cas notamment pour les procegraves de Hugues Geacuteraud de

Robert de Mauvoisin et de Bernard Deacutelicieux Parfois limputation de crime de legravese-majesteacute

permit de donner une latitude encore plus large aux proceacutedures extraordinaires ainsi le 12

avril 1331 sur plainte du roi de France le pape ordonna agrave leacutevecircque de Paris de proceacuteder

contre Hertaud abbeacute dun monastegravere du diocegravese dAutun et contre Jean Albeacutericus dominicain

sur leurs laquo maleacutefices et excegraves raquo (super maleficiis et excessibus) contre le roi et sa cour raquo Il

sagit certainement de pratiques magiques (multis maleficiis) qui attentaient au laquo salut public raquo

et qui en tout cas relevaient du crime de legravese-majesteacute Or le pape en ce cas non seulement

ordonna une proceacutedure sommaire (simpliciter et de plano sine strepitu et figura judicii) mais

leva tous les privilegraveges et garanties des deux religieux autorisant leur arrestation (captionem)

leur incarceacuteration et leur torture (necnon questionibus subici prout a canonibus est

permissum)79

On peut se demander pourquoi Jean XXII fut si reacuteticent agrave confier les causes deacutemoniaques agrave

linquisition au moment mecircme ougrave il tentait dassimiler linvocation des deacutemons agrave lheacutereacutesie La

reacuteponse la plus commune agrave cette question relie ce choix au caractegravere politique de bien des

affaires ougrave le deacutemon semble intervenir comme preacutetexte plutocirct que comme cause De fait les

proceacutedures exceptionnelles qui mecirclent lattentat contre la majesteacute royale ou divine les

accusations dheacutereacutesie et les imputations de sorcellerie ou dinvocation des deacutemons doivent ecirctre

relieacutees agrave la grande vague des procegraves politiques qui avait commenceacute degraves le deacutebut du XIVe

siegravecle cest Philippe le Bel80 qui avait lanceacute degraves 1303 le procegraves contre le pape

Boniface VIII81 accuseacute entre autres davoir invoqueacute les deacutemons et consulteacute des magiciens

puis le roi entre 1306 et 1314 sen eacutetait pris aux Templiers comme adorateurs du diable

Entre 1308 et 1314 Philippe le Bel avait inculpeacute Guichard eacutevecircque de Troyes qui aurait

conspireacute en vue de tuer la reine et dautres personnaliteacutes princiegraveres par lusage de poisons et

dimages magiques82 En 1315 Enguerrand de Marigny qui avait si efficacement collaboreacute agrave

ces procegraves fut lui-mecircme pendu pour avoir nui au roi Louis X et agrave Charles de Valois par des

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images magiques83 Jean XXII prit le relais avec les procegraves contre Hugues Geacuteraud eacutevecircque

de Cahors84 en 1317 contre Mateo et Galeazzo Visconti en 132085 contre les allieacutes de

Federico de Montefeltro dans la Marche dAncocircne86 Dans tous ces cas la parfaite

correspondance entre la graviteacute des accusations et la position antagoniste des inculpeacutes incite agrave

voir dans ces procegraves de simples et cyniques manœuvres ougrave lexception judiciaire doit

confirmer la regravegle politique

Cette interpreacutetation rend imparfaitement compte des reacutealiteacutes leacutecrasement des adversaires ne

fut pas systeacutematique les graves accusations contre Bernard Deacutelicieux quant au meurtre

deacutemoniaque de Cleacutement V ne furent pas assumeacutees dans le jugement contrairement agrave ce qui se

passa pour Hugues Geacuteraud Robert de Mauvoisin sen tira avec une simple eacutejection de son

siegravege archieacutepiscopal Certes les juges avaient quelque autonomie mais on peut penser que le

pape avait eacuteprouveacute de reacuteels doutes quant agrave la culpabiliteacute des accuseacutes Ces interrogations

rendent peut-ecirctre compte de la consultation de 1320 qui relevait moins de la discussion

quodlibeacutetale ou de la colleacutegialiteacute de deacutecision que du besoin dexpertise

Meacutefiance de linquisition

Les choix de proceacutedure de Jean XXII doivent sexpliquer autrement La preacutefeacuterence pour la

forme extraordinaire tient dabord agrave une grande meacutefiance de linquisition Les inquisiteurs

avaient tendance agrave poursuivre sans tenir compte des rangs sociaux ni des circonstances

politiques la fameuse affaire de Jean lArchevesque sieur de Parthenay mecircleacute agrave des pratiques

de sortilegravege vers 1323 le montre bien Linquisiteur seacutetait attaqueacute agrave un personnage puissant

beacuteneacuteficiant de protections royales qui avait reacuteussi agrave obtenir la consultation dun grand juriste

Oldrado da Ponte87 Agrave deux reprises le pape eacutecrivit aux inquisiteurs de Carcassonne pour

leur enjoindre de ne pas tourmenter inutilement les consuls et bourgeois de Montpellier88

Le pape avait pu aussi eacuteprouver lextrecircme impopulariteacute de linquisition patente dans laffaire

Bernard Deacutelicieux un simple agitateur avait failli renverser le pouvoir monarchique franccedilais

en liguant les couches citadines hostiles agrave lintervention des inquisiteurs En 1317-1318 cest

le zegravele excessif de Michel Le Moine inquisiteur franciscain de Provence qui avait enflammeacute

la reacutesistance beacuteguine dans le Midi par lexaltation des martyrs de Marseille En 1321-1322

cest le manque de discernement de linquisiteur Jean de Beaune agrave Beacuteziers qui avait entraicircneacute le

pape sur un terrain impreacutevu Linquisiteur ne mesurait pas toujours la porteacutee de ses actes et

surtout il pouvait agir trop publiquement du moins dans la phase initiale (la proclamation de

lenquecircte) et dans sa phase conclusive (le sermon geacuteneacuteral) ainsi cest la dispute publique

entre linquisiteur de Carcassonne Jean de Beaune et le lecteur franciscain du couvent de

Narbonne Beacuteranger Talon qui avait provoqueacute la reprise du deacutebat sur la pauvreteacute du Christ

Enfin et surtout linquisition jouissait dune certaine indeacutependance par rapport au pouvoir

pontifical dune part sa nomination deacutependait aussi du bon vouloir du maicirctre geacuteneacuteral des

dominicains ou du ministre geacuteneacuteral des franciscains Dautre part il pouvait agrave loccasion se

rapprocher du pouvoir royal On peut se demander si la diffeacuterence de deacutenomination des

inquisiteurs de Carcassonnne et de Toulouse entre 1320 et 1330 dans les lettres citeacutees plus

haut reacutedigeacutees par Guillaume de Peyre Godin puis par le pape ne traduit pas cette perception

dans le premier cas le cardinal sadresse laquo agrave linquisiteur de la perversion heacutereacutetique de la

reacutegion de Carcassonne raquo dans le second cas il sagit de laquo linquisiteur de la perversion

heacutereacutetique deacuteputeacute par le Siegravege apostolique dans le royaume de France en reacutesidence agrave

Carcassonne raquo Le soin de cette seconde formulation insiste sur le fait que lorigine du pouvoir

inquisitorial se trouve bien dans le pontificat De fait linquisition meacuteridionale apregraves les

froissements ducircs agrave laffaire Bernard Deacutelicieux ougrave les officiers royaux avaient toleacutereacute ou mecircme

19

soutenu le trublion franciscain avait eacuteteacute largement instrumentaliseacutee par la monarchie comme

le montrait laffaire des Templiers

En outre le pontife eacutetait fort irriteacute du manque de respect de certains inquisiteurs pour le droit

Ainsi en 1331 il reccedilut et approuva les plaintes de maicirctre Jean Anselme de Gecircnes chirurgien

et de Reacuteginald de Cravant clerc du diocegravese dAuxerre qui avaient eacuteteacute faussement accuseacutes

dheacutereacutesie et de maleacutefices par linquisiteur de France Aubert de Chacirclons et par leacutevecircque de Paris

Hugues Michel de Besanccedilon Le pontife leur reprochait davoir agi sans avoir eacutetabli aucune

infamie anteacuterieure sans respecter lordre judiciaire sans permettre aucune deacutefense leacutegitime89

Il nest pas besoin dimaginer un Jean XXII soucieux de justice par formation professionnelle

comme on la vu lordre du droit permettait deacutetablir soigneusement la veacuteriteacute qui importait

bien davantage que la reacutepression Le cas de la censure du commentaire dOlivi sur

lApocalypse le montre bien le texte eacutetait dangereux puisquil inspirait directement les

Beacuteguins par le biais dabreacutegeacutes et de traductions en langue vernaculaire Le contenu anti-

pontifical de ce texte eacutetait manifeste Pourtant le pape usa directement ou indirectement de

quatre commissions diffeacuterentes durant huit ans (1318-1326) avec un suppleacutement denquecircte

en 1322 avant darriver agrave une condamnation Le reacutesultat reacutepressif eacutetait certainement acquis

degraves 1318 mais il importait de suivre minutieusement les chemins de lerreur Ce souci

apparaicirct clairement dans une lettre adresseacutee par le pape en 1330 agrave Henri Chamayou

inquisiteur de Carcassonne90 qui avait reacuteussi agrave faire arrecircter deux heacutereacutetiques italiens qui

avaient confesseacute leur crime Le pontife feacutelicite chaleureusement linquisiteur mais lengage

fermement agrave poursuivre lenquecircte bien quil ait deacutejagrave en main tous les eacuteleacutements pour les

condamner laquo parce que nous croyons que tu aurais du connaicirctre une veacuteriteacute plus ample

(novisse te plenius credimus veritatem) au sujet de ce pour quoi ils tont eacuteteacute livreacutes nous

voulons et il nous plaicirct quayant Dieu seul devant les yeux tu veilles selon lexigence de la

justice agrave ne pas neacutegliger ce que tu sauras ecirctre adeacutequat en cette affaire raquo

Ces recommandations neacutetaient pas de pure forme la logique de linquisition ne la conduisait

pas vers leacutelucidation neacutecessaire agrave la cause des deacutemoniaques Linstitution demeurait

profondeacutement theacuteologienne et non juriste Le fondement proceacutedural de linquisition reposait

moins sur la poursuite doffice et lenquecircte que sur la troisiegraveme forme de poursuite (agrave cocircteacute de

la proceacutedure inquisitoire et de la proceacutedure accusatoire) deacutefinie par Innocent III au canon 8 du

concile de Latran la deacutenonciation eacutevangeacutelique issue de la correction fraternelle Or la

deacutenonciation orientait la poursuite vers la peacutenitence La confession rapidement obtenue par la

menace la terreur ou la torture conduisait agrave la demande dabsolution chegraverement neacutegocieacutee Il

importait agrave linquisiteur dobtenir au plus vite cette confession sans trop sattarder dans

lenquecircte sur la fama ou sur la veacuteriteacute neutraliseacutee par laveu Paradoxalement un accuseacute avait

de meilleures chances avec les proceacutedures sommaires chegraveres au pape quavec linquisition

parce que la veacuteriteacute pouvait contraindre le pape agrave la mansueacutetude tandis que la meacutecanique de la

culpabiliteacute ineacutevitable de tout peacutecheur entraicircnait tout inculpeacute dans la collectiviteacute peacutenale de

linquisition

Cest peut-ecirctre ces problegravemes de proceacutedure qui ont provoqueacute ce que Jean-Patrice Boudet

appelait plaisamment le laquo retard agrave lallumage raquo dans la poursuite des sorciers au XIVe siegravecle

tant que la papauteacute fut reacuteticente agrave deacuteleacuteguer son pouvoir denquecircte les limites mateacuterielles de la

justice pontificale empecircchegraverent la diffusion capillaire de limputation et de la reacutepression Et

preacuteciseacutement cest labandon forceacute de labsolutisme pontifical apregraves les conciles de Constance

et de Bacircle qui ouvrit les premiegraveres campagnes judiciaires et doctrinales contre les sorciers et

adorateurs du deacutemon dans les anneacutees 1430-1440 Mais le deacuteveloppement rapide de la

20

deacutemonologie avait eacuteteacute bien preacutepareacute par un pape qui tenait agrave consideacuterer lucidement les zones

obscures ougrave le deacutemon pouvait passer

Notes de bas de page

1 B Gui Manuel de linquisiteur eacuted par G Mollat Paris 1926-1927

2 P Paravy De la chreacutetienteacute romaine agrave la Reacuteforme en Dauphineacute Eacutevecircques fidegraveles et deacuteviants

(vers 1340-vers 1530) Rome 1993

3 LImaginaire du sabbat Eacutedition critique des textes les plus anciens (1430 ca-1440 ca)

reacuteunis par M Ostorero A Paravicini Bagliani K Utz Tremp en collaboration avec C Chegravene

Lausanne 1999

4 R KIECKHEFER European Witch Trials Their Foundations in Popular and Learned

Culture 1300-1500 Londres 1976 Carlo Ginzburg commence sa seacuterie explicative des

formes occidentales du sabbat en 1321 mais selon un modegravele totalement opposeacute au nocirctre

5 Bonn 1901

6 L THORNDIKE A History of Magic and Experimental Science vol III New York 1934

p 18 sq

7 Voir N Weill-Parot Les laquo Images astrologiques raquo au Moyen Acircge et agrave la Renaissance

Speacuteculations intellectuelles et pratiques magiques (XIIe-XV

e s) Paris 2002 p 377-385 et Id

laquo Les intellectuels lEacuteglise et la magie dans la premiegravere moitieacute du xive s raquo (meacutemoire de

maicirctrise Paris I 1990) Je tiens agrave remercier N Weill-Parot pour ses commentaires sur le

preacutesent article

8 laquo Quod cum morte fedus ineunt et pactum faciunt cum inferno Demonibus namque

immolant hos adorant raquo

9 Liber Sextus V II cap 8

10 Cause XXVI qu 5 cap 12 eacuted Friedberg col 1080

11 Voir A Boureau laquo De la feacutelonie agrave la haute trahison Un eacutepisode la trahison des clercs

(version du xiie s) raquo Le Genre Humain 16-17 1988 p 267-291

12 Venise 1595 XLIII 9 p 341-342

13 laquo Simpliciter et de plano ac sine strepitu et figura judicii appellatione remota raquo Lettre

publieacutee par J-M Vidal Bullaire de lInquisition franccedilaise Paris 1913 no 284 p 403-404

14 laquo Nonnulli etiam quandoque litterati in hoc se opponunt pretendentes id ad tuum non

expectare officium secundum canonicas sanctiones raquo

15 J-P Boudet laquo Les condamnations de la magie agrave Paris en 1398 raquo Revue Mabillon n s 12

(t 73) 2001 p 121-157

16 B Hamilton The Medieval Inquisition Londres 1981 p 94

17 Dans une lettre de 1336 adresseacutee agrave lofficial dAvignon Benoicirct XII successeur de

Jean XXII range agrave nouveau les sortilegraveges parmi les crimes qui touchent la foi (J-M Vidal

Bullaire op cit no 153 p 229-230) En 1405 Benoicirct XIII deacuteclare nuls les privilegraveges des

habitants du diocegravese du Puy qui preacutetendaient que linquisiteur de Carcassonne ne pouvait les

poursuivre pour maleacutefices (J-M Vidal Bullaire op cit no 332 p 473-474)

18 La premiegravere eacutedition a eacuteteacute procureacutee par Jean Chappuis en 1500 Pour la formation des deux

collections voir A M Stickler Historia Iuris Canonici Institutiones Academicae T I

Historia Fontium Rome 1950 p 270-271

19 Les seules mentions de la bulle se trouvent on la dit dans le manuel de Nicolas Eymerich

(1376) dans les Annales eccleacutesiastiques de Rinaldi et dans un bullaire romain du xviiie s

20 Voir A MAIER dans laquo Eine Verfuumlgung Johannis XXII uumlber die Zustaumlndigkeit der

Inquisition fuumlr Zauberprozesse raquo Archivium Fratrum Praedicatorum 32 1952 p 226-246

21 A Maier loc cit p 231

21

22 Publieacutee par R Manselli laquo Enrico del Carretto e la consultazione sulla magia di Giovanni

XXII raquo dans Miscellanea in onore di Monsignore Martino Giusti t II Vatican 1978 p 97-

129

23 Il est possible aussi que linterrogation doctrinale ait eacuteteacute anticipeacutee par Guido Terreni un

des dix experts de la consultation de 1320 dans son sixiegraveme quolibet laquo Est-ce que celui qui

baptise une chose sans acircme ou sans raison et non pas un homme est heacutereacutetique raquo ms BAV

Borghese 39 fo 238v

o-240v

o que je publie en annexe de la consultation Mais la date de ce

quolibet demeure incertaine

24 laquo Fecisti plantas pedum eiusdem mulieris iuxta carbones accensos apponi raquo texte publieacute

par J-M Vidal Bullaire op cit p 51-52

25 laquo Diu post confessionem debitum nature persoluitverum quia dubitatur ne propter

predicta tormenta citius decesserit quam alias decessisset mulier supradicta si tormentata

minime extitisset raquo

26 laquo Erronea et horrenda contra catholicam fidem fuit confessa et multos consocios et

complices reuelauitque omnia sic inuenta ut communiter creditur numquam reuelata

fuissent nisi mediantibus tormentis eiusdem predicta mulier reuelasset raquo

27 laquo De consilio proborum qui se asserebant uidisse penis examinati hereticos in partibus

Tholosanis raquo

28 J-M Vidal Bullaire op cit no 24 p 53-54

29 Ex certa sciencia sur cette clausule de labsolutisme pontifical voir A Boureau La Loi

du royaume Les moines le droit et la construction de la nation anglaise Paris 2001 avec

renvoi aux travaux de Jacques Krynen

30 Publieacutee par J-M Vidal Bullaire op cit p 61 Une meilleure eacutedition a eacuteteacute procureacutee par

A Maier loc cit p 226-227

31 J-M Vidal Bullaire op cit no 72 p 118-119

32 La commission fut reacuteiteacutereacutee le 8 novembre 1327 ibid no 78 bis p 129-130

33 Voir A Boureau laquo Saints et deacutemons dans les procegraves de canonisation du deacutebut du xive s raquo

agrave paraicirctre dans les actes du colloque de Budapest sur les procegraves de canonisation dir Gaacutebor

Klaniczay

34 B Gui Manuel de linquisiteur eacuted et trad par G Mollat op cit t I p 52

35 Publieacutees par J-M Vidal Bullaire op cit no 103 p 154-156

36 Henri de Chamayou

37 Pierre Brun

38 La qualification dheacutereacutesie de la part du pape agrave propos des invocations deacutemoniaques na

jamais cesseacute Voir par exemple une lettre de 1323 qui deacutesigne des commissaires pour juger

le moine Guillaume de Figeac accuseacute de laquo deacutevier de la foi catholique raquo en pratiquant

lalchimie et la neacutecromancie (J-M Vidal Bullaire op cit no 50 p 87-88)

39 F Graf La Magie dans lAntiquiteacute greacuteco-romaine Ideacuteologie et pratique Paris 1994

40 Voir le reacutecit par Pierre le Veacuteneacuterable vers 1137 dun usage magique de lhostie consacreacutee

par un paysan deacutesireux de retenir ses abeilles Livre des merveilles de Dieu (De miraculis)

introduction traduction et notes de J-P Torrell et D Bouthillier FribourgParis 1992 p 70-

72 Je remercie Charles de Miramon de mavoir signaleacute ce texte

41 Voir les travaux reacutealiseacutes autour de Richard Kieckhefer et Claire Faenger aux Eacutetats-Unis

autour de Jean-Patrice Boudet et Henri Bresc en France notamment

42 Dans sa biographie collective des deux premiegraveres geacuteneacuterations de dominicains eacutecrite au

deacutebut des anneacutees 1260 Geacuterard de Frachet ne rapporte quun seul cas de fregravere qui se voue agrave

lalchimie et il ne trouve agrave lui reprocher que son deacutesir de senrichir rapidement Son activiteacute

consiste alors essentiellement agrave se rendre en Sardaigne pour y collecter des mineacuteraux rares

Son funeste sort ultime ne sexplique que par cet abandon de Dieu au profit de la richesse

22

seacuteculiegravere (Vitae Fratrum Ordinis Praedicatorum eacuted par B-M Reichert Rome-Stuttgart

Monumenta Ordinis Fratrum Praedicatorum Historica 1897 p 290)

43 La Condamnation parisienne de 1277 eacuted et trad par D Picheacute avec la collaboration de

C Lafleur Paris 1999 p 77

44 A Paravicini Bagliani Il corpo del papa Turin 1994

45 Preacuteface agrave Le crisi dellalchimia Micrologus 3 1995 p VIII

46 Voir leacutedition du procegraves dans J Shatzmiller Justice et injustice au deacutebut du XIVe s

Lenquecircte sur larchevecircque dAix et sa renonciation en 1318 Rome 1999

47 Voir une lettre de feacutevrier 1330 dans Lettres secregravetes et curiales du pape Jean XXII (1316-

1334) relatives agrave la France eacuted par A Coulon et S Cleacutemencet fasc 8 Paris 1965 no 4100

p 104-105 [abreacutegeacute deacutesormais Coulon-Cleacutemencet] lettre agrave Jean de Badas inquisiteur

franciscain de Marseille sur un crime nefandum commis par Gantalmus Gantalmi notaire et

sa femme Berengegravere instigatione diabolica circumventi agrave lencontre de Guillaume de Baucio

sire de Berre

48 Texte publieacute par J HANSEN Quellen und Untersuchungen op cit no 3 p 2

49 Notons quen 1318 les rites de conseacutecration des miroirs et images paraissent speacutecifiques

alors quen 1320 dans les questions poseacutees par le pape aux experts les invocateurs de deacutemons

utilisent le rite catholique du baptecircme pour preacuteparer leurs images

50 A Paravicini Bagliani Il corpo del papa op cit

51 C H JOSTEN laquo The Text of John Dastins letter to Pope John XXII raquo Ambix 4 1951

p 46-51

52 E Albe Autour de Jean XXII Hugues Geacuteraud eacutevecircque de Cahors laffaire des poisons et

envoucirctements en 1317 Cahors 1904 p 163-164

53 Processus Bernardi Deliciosi The Trial of Fr Bernard Deacutelicieux 3 September-8

December 1319 eacutediteacute par A Friedlander Philadelphie 1996 p 62 Pour une eacutetude complegravete

du dossier voir A Friedlander The Hammer of the Inquisitors Brother Bernard Deacutelicieux

and the Struggle against the Inquisition in Fourteenth-Century France Leyde 2000

54 Coulon-Cleacutemencet no 2969 p 151

55 Coulon-Cleacutemencet no 2395 p 47

56 Sermon sur la vigile de lEacutepiphanie 5 janvier 1332 eacuted par M Dykmans Les Sermons de

Jean XXII sur la vision beacuteatifique Rome (Miscellanea Historiae Pontificiae 34) p 145

57 Les actes du procegraves ont eacuteteacute publieacutes par J-MVidal laquo Procegraves dinquisition contre Adheacutemar

de Mosset raquo Revue dHistoire de lEacuteglise de France 1 1910 Lanecdote se trouve agrave la p 713

58 Ces interrogations sur la laquo situation raquo spirituelle eacutetaient freacutequemment exprimeacutees Dans sa

correspondance avec les grands de ce monde le pape doit souvent reacutepondre agrave ce genre de

question en termes agrave vrai dire assez geacuteneacuteraux

59 Coulon-Cleacutemencet fasc 8 Paris 1965 no 4197 p 126 Lettre analogue en feacutevrier 1331

(no 4452 t 9 p 41)

60 On peut se demander si ce nest pas cette fideacuteliteacute litteacuterale au texte biblique qui a contribueacute agrave

pousser le pape agrave intervenir sur la question de la vision beacuteatifique question ougrave les partisans de

la vision directe de Dieu avant le jugement final ne trouvaient aucun appui scripturaire direct

61 On trouve une formulation parallegravele dans Quia quorumdam mentes (10 novembre 1324)

62 Voir A Boureau laquo Droit naturel et abstraction judiciaire Hypothegraveses sur la nature du droit

meacutedieacuteval raquo Annales HSS 57 6 2002 p 1463-1488

63 Voir A Boureau laquo La redeacutecouverte de lautonomie du corps leacutemergence du somnambule

(xiiie-xiv

e s) raquo Micrologus I 1993 p 27-42

64 Sur toutes ces questions je me permets de renvoyer au chap 8 de mon ouvrage Theacuteologie

science et censure au XIIIe s Le cas de Jean Peckham Paris 1999

23

65 Publieacute par J Rius Serra dans Sancti Raymundi de Penyafort opera omnia t III

Diplomatario (Documentos Vida antigua Cronicas Processos antiguos) Barcelone 1954

p 74-82

66 Cette typologie fut reprise par le pape Alexandre IV une dizaine danneacutees plus tard et

eacutediteacutee par Boniface VIII dans le Sexte (L 5 tit 2 cap 2 6 11 eacuted Friedberg II col 1069

1071 1073) Voir aussi le traiteacute Doctrina de modo procedendi erga hereticos (vers 1280)

dans Martegravene et Durand Thesaurus novus anecdotum t 5 Paris 1717 col 1797 et la

Practica de Bernard Gui (p 226-232)

67 Bien avant la creacuteation de lInquisition le troisiegraveme concile de Latran (1179) avait frappeacute

danathegraveme et priveacute de seacutepulture les defensores et receptatores dheacutereacutetiques (Deacutecreacutetales L 5

tit 7 cap 8 eacuted Friedberg II col 1780)

68 Ibid p 29-32

69 Texte eacutediteacute par J Coste Boniface VIII en procegraves Articles daccusation et deacutepositions de

teacutemoins (1303-1311) Eacutedition critique introduction et notes Rome 1995 p 153

70 Nogaret originaire de Saint-Feacutelix-de-Caraman haut-lieu cathare petit-fils dun ministre

heacutereacutetique avait certainement une bonne connaissance de la perseacutecution de lheacutereacutesie en deacutepit

de sa formation de civiliste

71 Directorium op cit seconde partie question 2

72 Processus op cit p 180

73 E PETERS Inquisition Berkeley 1988

74 R KIECKHEFER laquo The Office of Inquisition and Medieval heresy the Transition from a

Personal to an Institutional Juridiction raquo Journal of Ecclesiastical History 46 1995 p 36-

61

75 Ainsi le pape deacutecida de suspendre le droit dasile dans les eacuteglises au deacutetriment des

heacutereacutetiques mais pas speacutecifiquement des auteurs de sortilegraveges (Lettre au roi de France Philippe

VI en 1328 publieacutee par J-M Vidal Bullaire op cit no 79 p 130-131)

76 Eacuted FRIEDBERG t II col 1078

77 Ibid col 1200

78 Voir la lettre dure que lui adressa le pape Jean XXII le 6 octobre 1332 (J-M Vidal

Bullaire op cit no 124 p 184)

79 Coulon-Cleacutemencet no 4539 fasc 9 p 59-60

80 Lattention precircteacutee agrave Philippe le Bel et agrave Jean XXII ne doit pas faire oublier que ce type

daccusation politico-deacutemonologique est deacutepoque comme le montre dans un tout autre

contexte le procegraves intenteacute agrave Walter Langton eacutevecircque de Coventry en 1301-1303 avec

mention dadoration diabolique (voir A Beardwood laquo The Trial of Walter Langton bishop of

Lichfield 1307-1312 raquo Transactions of the American Philosophical Society NS 54 p III

Philadelphie 1964

81 Voir J Coste Boniface VIII en procegraves op cit

82 A Rigault Le Procegraves de Guichard eacutevecircque de Troyes 1308-1313 Paris 1896

83 J Favier Un conseiller de Philippe le Bel Enguerrand de Marigny Paris 1963 Il faut

mentionner peu apregraves le procegraves contre le cardinal Francesco Gaetani poursuivi par les cours

royales pour attentat contre le roi son fregravere et deux cardinaux agrave laide dimages magiques

(voir C Langlois laquo Laffaire du cardinal Francesco Gaetani (avril 1316) raquo Revue historique

63 1897 p 56-71)

84 E Albe Autour de Jean XXII op cit

85 R Michel laquo Le procegraves de Mateo et Galeazzo Visconti laccusation de sorcellerie et

dheacutereacutesie Dante et laffaire de lenvoucirctement (1320) raquo Meacutelanges darcheacuteologie et dhistoire

29 1909 p 269-327

86 F Bock laquo I processi di Giovanni XXII contro i Ghibellini delle Marche raquo Bolletino

dellIstituto storico italiano per il Medio Evo 57 1941 p 19-43

24

87 Voir J-M Vidal laquo Le sieur de Parthenay et lInquisition (1323-1325) raquo Bulletin

historique et philologique 1903 p 414-434

88 J-M Vidal Bullaire op cit no 20 p 44 et n

o 76 p 126-127

89 J-M Vidal Bullaire op cit nos

109 et 110 p 167-171

90 J-M Vidal Bullaire op cit no 90 p 144

Alain Boureau

EHESS CRH GAS 54 boulevard Raspail F-75006 Paris

Pour citer cet article

Alain Boureau laquoSatan heacutereacutetique lrsquoinstitution judiciaire de la deacutemonologie sous Jean XXIIraquo

Meacutedieacutevales 44 (2003) httpmedievalesrevuesorgdocument711html

Page 3: Satan hérétique : l’institution judiciaire de la ..._Droit_Canonique/Curiosite/Satan heretique.pdf · e siècle, mais la mutation considérable de procédure qui a assimilé les

3

pouvaient tirer quelque force surnaturelle de leurs mauvaises accointances Aucun des faits

alleacutegueacutes na de reacutealiteacute corporelle et ces images de chevaucheacutee nocturne sont compareacutees aux

songes et recircves nocturnes ordinaires Bien plus le canon limite seacutevegraverement les pouvoirs du

diable

Quiconque croit quen dehors du Creacuteateur lui-mecircme qui a tout accompli et par qui tout a eacuteteacute

fait une creacuteature puisse ecirctre faite ou changeacutee en mieux ou en pire ou transformeacutee en une

autre espegravece ou une autre apparence est un infidegravele et est pire quun paiumlen

Malgreacute cet eacutecart les historiens ont eu tendance agrave faire peu de cas de la bulle Super illius

Specula On a parfois douteacute de la porteacutee de ce texte en mettant en question sa nouveauteacute ses

effets et son authenticiteacute

La nouveauteacute du texte a pu paraicirctre limiteacutee dune part parce que limputation heacutereacutetique semble

deacutejagrave figurer dans le canon Episcopi dautre part parce que la reacutealiteacute des maleacutefices nest pas

explicitement affirmeacutee dans la bulle de Jean s infidegraveles et lauteur du canon invoquait agrave leur

propos un verset de lEacutepicirctre agrave Tite (3 10) laquo Eacutevite lhomme heacutereacutetique apregraves la premiegravere et

seconde correction raquo Cependant cette infideacuteliteacute ou heacutereacutesie est imputeacutee agrave la laquo fausse

opinion raquo agrave la croyance en des diviniteacutes plus ou moins sataniques et non pas agrave lacte mecircme

dinvocation ou de magie Dans la construction proceacutedurale de Jean XXII cest la notion de

laquo fait heacutereacutetique raquo au-delagrave ou en deccedilagrave de lopinion ou de lerreur qui importe On y reviendra

Ensuite la notion dheacutereacutesie na pas du tout le mecircme sens au Xe siegravecle et au XIV

e siegravecle entre-

temps les grandes dissidences des XIe et XII

e siegravecles le valdeacuteisme le catharisme le

beacuteguinisme ont conduit agrave la constitution de lheacutereacutesie comme crime majeur rapporteacute au crime

de legravese-majesteacute depuis Innocent III et sa bulle Vergentis11 poursuivi selon des proceacutedures

dexception et puni de faccedilon rigoureuse Il est vrai quune lecture minutieuse de la bulle de

Jean XXII ne permet pas dattribuer une reacutealiteacute effective aux opeacuterations de magie et

dinvocation Mais on le verra la longue suite des textes normatifs et des procegraves du pontificat

de Jean XXII legraveve tout doute quant aux croyances du pape et de son entourage

La seconde objection quant aux effets de la bulle porte surtout sur le long laps de temps entre

sa publication et sa premiegravere reprise textuelle cinquante ans plus tard dans le Directorium

Inquisitorum12 de linquisiteur dominicain Nicolas Eymerich (1376) qui par ailleurs

reacuteiteacuterait la thegravese de linvocation des deacutemons comme activiteacute heacutereacutetique Mais cette reprise ne

relegraveve pas de la seule fantaisie reacutepressive de linquisiteur catalan ceacutelegravebre pour ses excegraves En

effet deux ans plus tocirct le 15 aoucirct 1374 le pape Greacutegoire XI qui nomma Eymerich comme

inquisiteur avait adresseacute agrave linquisiteur de France le dominicain Jacques de Morey une lettre

deacutebutant preacuteciseacutement par la mention Super specula militantis qui lui recommandait de

proceacuteder de faccedilon sommaire13 et sans appel contre les invocateurs des deacutemons (demones

invocant) et notamment quand ils eacutetaient eccleacutesiastiques Le texte du pape fait dailleurs saisir

lune des raisons du retard dans lapplication des directives de Jean XXII il mentionne en

effet lopposition de certains laquo quelques-uns et mecircme des lettreacutes sy opposent en preacutetendant

que cela ne relegraveve pas de ta charge selon les deacutecisions canoniques14 raquo De fait le principal

traiteacute sur les heacutereacutesies reacutedigeacute vers 1340 par Guido Terreni qui avait eacuteteacute inquisiteur de

Majorque et proche collaborateur de Jean XXII ne mentionne nullement les adorateurs des

deacutemons parmi les heacutereacutetiques15 Bien avant les premiegraveres descriptions coheacuterentes et

concordantes du sabbat des sorciegraveres agrave partir de 1430 la voie eacutetait ouverte au traitement

inquisitorial des invocateurs de deacutemons et en 1398 la faculteacute de theacuteologie de Paris deacutetermina

que la sorcellerie accomplie par le moyen dun pacte explicite ou implicite avec le diable

impliquait une apostasie de la foi chreacutetienne et donc relevait de lheacutereacutesie16 Il nous faudra

4

revenir sur la question du retard dans lapplication effective de la bulle et mecircme dans les

perceptions communes des deacutemons17

La troisiegraveme objection quant agrave lauthenticiteacute du texte ne peut ecirctre contourneacutee Certes cest agrave

tort quon a eacutevoqueacute son absence dans les deux collections canoniques qui ont acheveacute la

composition du Corpus Iuris Canonici en y incluant de nombreuses deacutecreacutetales de Jean XXII

les Extravagantes Johannis XXII et les Extravagantes communes en effet la premiegravere

collection de vingt bulles du pape fut composeacutee en 1325 par Jesselin de Cassagnes qui neut

jamais le temps dy revenir avant sa mort La seconde ne fut assembleacutee que fort tardivement

au deacutebut du XVIe siegravecle18 en un temps ougrave le message de Jean XXII sur ce point eacutetait devenu

fort banal Mais il est plus surprenant de ne pas trouver de trace de la bulle dans les Registres

pontificaux19 cependant linachegravevement du grand chantier de publication des lettres de

Jean XXII entrepris il y a plus dun siegravecle ne permet pas de transformer cet eacutetonnement en

doute Enfin le statut mecircme de ce texte est eacutetrange puisquil sadresse agrave tous les chreacutetiens

sans distinction en incitant les coupables agrave livrer leurs livres de magie sous huit jours Or

Jean XXII preacutefeacutera souvent les commissions discregravetes et preacutecises confieacutees agrave des hommes de

confiance

Le doute peut donc demeurer mais la bulle Super illius specula cet arbre malingre et peut-

ecirctre inexistant a masqueacute une forecirct bien reacuteelle et empecirccheacute de repeacuterer la grande nouveauteacute de la

deacutemonologie de Jean XXII Cest dans cette forecirct que nous allons circuler en nous limitant

dabord aux aspects proceacuteduraux qui qualifient la magie deacutemoniaque comme crime heacutereacutetique

et qui montrent bien la continuiteacute et limportance de lenquecircte sur les adorateurs des deacutemons

Un effort continu

En premier lieu on trouve une demande dexpertise formuleacutee par Jean XXII au deacutebut de 1320

sur la qualification des pratiques magiques et des invocations des deacutemons comme heacutereacutesie Le

texte des questions du pape et dix reacuteponses ont eacuteteacute conserveacutees dans le manuscrit Borghese 428

de la Bibliothegraveque Vaticane redeacutecouvert par Annelise Maier20 dont je preacutepare leacutedition

complegravete Certes les trois premiegraveres questions sur lesquelles nous reviendrons traitent de

sortilegraveges divers qui ne relegravevent pas explicitement de la deacutemonologie mais la quatriegraveme

question est claire

Est-ce que ceux qui sacrifient aux deacutemons en ayant lintention de leur faire sacrifice afin

quattireacutes par ce sacrifice les deacutemons obligent quelque personne agrave faire ce que le sacrificateur

deacutesirait ou est-ce que ceux qui invoquent le deacutemon doivent ecirctre consideacutereacutes comme des

heacutereacutetiques ou bien seulement comme des auteurs de sortilegraveges21

Cette consultation malgreacute la reacuteticence de la majoriteacute des theacuteologiens consulteacutes produisit des

reacutesultats remarquables en accreacuteditant la thegravese neuve du laquo fait heacutereacutetique raquo lun des experts

Enrico del Carretto esquissa mecircme la description dun sacrement satanique efficace

description deacuteriveacutee de la theacuteorie contractuelle du sacrement mise au point dans la seconde

moitieacute du XIIIe siegravecle22

Il est possible que la pratique de certains juges eccleacutesiastiques ait preacuteceacutedeacute lexplicitation

doctrinale de la question23 Cest ce qui pourrait apparaicirctre dans une lettre adresseacutee le 28

juillet 1319 par Jean XXII au chanoine Seacuteguin de Beleacutegney juge eccleacutesiastique de Fontius

dAuch eacutevecircque de Poitiers Seacuteguin seacutetait ouvert au pape dun scrupule qui lavait assailli une

accuseacutee eacutetait morte apregraves avoir subi la torture sur ordre du juge Laccuseacutee avait eu la plante

5

des pieds brucircleacutee aux charbons ardents24 Le chanoine se demandait donc sil nencourait pas

llaquo irreacutegulariteacute raquo cest-agrave-dire lincapaciteacute agrave demeurer dans lordre sacerdotal en ce cas pour

avoir verseacute le sang Le pape rassura Seacuteguin en soulignant que la victime eacutetait morte quelque

temps apregraves la torture et que laquo lon pouvait douter quen raison des tourments elle soit morte

plus rapidement que si elle eacutetait morte sans avoir eacuteteacute tortureacutee raquo25

La victime du juge avait eacuteteacute deacutenonceacutee (diffamata) publiquement pour crimes de sortilegraveges et

perversion heacutereacutetique (super criminibus sortilegii et heretice pravitatis) On peut penser sans

certitude toutefois que cest le juge qui avait associeacute le sortilegravege nommeacute en premier agrave

lheacutereacutesie Le recours agrave la torture semble avoir eacuteteacute dicteacute par le deacutesir de deacutecouvrir des reacuteseaux de

compliciteacute reacutesultat effectivement acquis et loueacute par le pape laquo tout ce qui a eacuteteacute ainsi trouveacute

selon toute vraisemblance naurait pas eacuteteacute reacuteveacuteleacute si cette femme ne lavait reacuteveacuteleacute par le biais

des tourments raquo26 On note ici une raison pratique de lassimilation du sortilegravege agrave lheacutereacutesie

lusage de la torture dans un tribunal eccleacutesiastique avait eacuteteacute introduit en 1252 (Ad abolendam)

par le pape Innocent IV au seul beacuteneacutefice des inquisiteurs et non des juges eacutepiscopaux Ce

nest quen 1308 au moment ougrave il creacuteait des commissions eacutepiscopales pour juger les

Templiers que Cleacutement V avait eacutetendu lusage de la torture aux officialiteacutes mais il sagissait

toujours exclusivement dimputations dheacutereacutesie Seacuteguin ne devait pas en ecirctre fort sucircr car il

preacutetend ne secirctre reacutesolu agrave lusage de la torture quapregraves avoir pris conseil aupregraves de laquo personnes

tregraves honnecirctes qui assuraient quils avaient vu dans la reacutegion toulousaine les heacutereacutetiques ecirctre

examineacutes par les peines raquo27

Une autre affaire connue par une lettre de juillet 1319 adresseacutee par le pape agrave Jacques

Fournier eacutevecircque de Pamiers assimile linvocation des deacutemons agrave lheacutereacutesie Le pontife

demandait agrave leacutevecircque de poursuivre trois personnages un clerc un carme et une femme quil

accusait de laquo fabrication dimages dincantations et consultations de deacutemons denvoucirctements

(fascinationibus) de maleacutefices raquo28 Or Jean XXII parle plus loin de leurs laquo erreurs raquo et dans

son paragraphe dexhortation eacutemet le souhait que laquo la foi catholique troubleacutee par les erreurs

susdites retrouve sa clarteacute raquo

Quelques semaines avant la consultation des experts le 22 aoucirct 1320 une lettre fut envoyeacutee

au nom du pape Jean XXII par le cardinal Guillaume de Peyre Godin aux inquisiteurs de

Carcassonne et de Toulouse Jean de Beaune et Bernard Gui Cette fois et encore plus

nettement que dans la bulle Super illius specula la demande daction judiciaire se concentre

sur les invocations aux deacutemons et sur les pactes alors conclus

Fregravere Guillaume eacutevecircque de Sabine par leffet de la miseacutericorde divine envoie ses salutations agrave

lhomme de religioninquisiteur du crime heacutereacutetique dans la reacutegion de Carcassonne Notre tregraves

saint pegravere et maicirctre le seigneur Jean XXII pape par leffet de la providence divine souhaite

avec ferveur chasser du centre de la maison de Dieu les auteurs de maleacutefices qui tuent le

troupeau du Seigneur il ordonne et vous confie la tacircche de faire enquecircte et de proceacuteder tout

en conservant pourtant les modes de proceacutedure qui vous ont eacuteteacute fixeacutes agrave vous et aux preacutelats en

matiegravere dheacutereacutesie par les canons agrave lencontre de ceux qui immolent aux deacutemons ou les adorent

ou leur font hommage laquo Il faut aussi proceacuteder raquo contre ceux qui font des pactes explicites

dobligation avec ces deacutemons ou qui fabriquent ou font fabriquer une image quelconque ou

quoi que ce soit dautre pour se lier au deacutemon ou pour perpeacutetrer quelque maleacutefice par

linvocation des deacutemons contre ceux qui en abusant du sacrement de baptecircme baptisent ou

font baptiser une image de cire ou dautre matiegravere ou qui par dautres moyens et avec

invocation des deacutemons fabriquent ou font fabriquer ces images de quelque faccedilon contre ceux

qui en connaissance de cause reacuteitegraverent le baptecircme lordre ou la confirmation contre ceux qui

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utilisent le sacrement deucharistie ou lhostie consacreacutee et dautres sacrements de lEacuteglise ou

quelque partie de ces sacrements quant agrave la forme ou agrave la matiegravere pour en abuser pour leurs

sortilegraveges ou maleacutefices Et en effet notre maicirctre mentionneacute plus haut de science certaine29

eacutelargit et eacutetend agrave tous les cas citeacutes sans exception le pouvoir donneacute de droit aux inquisiteurs

quant agrave lexercice de leur fonction contre les heacutereacutetiques ainsi que leurs privilegraveges et ce

jusquagrave ce quil juge devoir reacutevoquer cette extension Nous vous signifions tout cela par nos

preacutesentes lettres patentes par le mandat speacutecial que nous a confieacute le seigneur pape par loracle

mecircme de sa voix vive Fait agrave Avignon le 22 aoucirct 1320 en cette quatriegraveme anneacutee du regravegne du

seigneur pape30

On peut se demander pourquoi Jean XXII ne signa pas lui-mecircme cette lettre il est possible

que devant la reacuteticence des experts de la commission de 1320 le pape ait preacutefeacutereacute une voie

plus lateacuterale pour faire connaicirctre ses souhaits Pourquoi Guillaume de Peyre Godin fut-il

choisi comme porte-parole du pape aupregraves des inquisiteurs Guillaume neacute agrave Bayonne vers

1260 eacutetait entreacute fort tocirct vers 1279 chez les dominicains de Beacuteziers avant de circuler comme

eacutetudiant dans divers couvents et studia du Sud-Ouest (Orthez Bordeaux Condom) de faire

ses eacutetudes de theacuteologie agrave Montpellier puis de parcourir agrave nouveau les couvents (Bayonne

Condom Montpellier) comme lecteur Il ne passa que briegravevement agrave Paris en 1292 Sa

veacuteritable carriegravere universitaire apregraves une peacuteriode denseignement agrave Toulouse (1296)

commenccedila en 1306 quand il fut nommeacute lecteur du Sacreacute Palais aupregraves de Cleacutement V qui le fit

cardinal-precirctre de Sainte-Ceacutecile en deacutecembre 1312 dans le mecircme mouvement de nomination

cardinalice que Jacques Duegraveze le futur pape Jean XXII Guillaume jouissait dune expeacuterience

et dune reacuteputation assez larges puisquil eacutetait agrave la fois un theacuteologien reconnu (son

commentaire sur les Sentences de Pierre Lombard reacutedigeacute vers 1300 fut reconnu comme

Lectura Thomasiana) un membre actif de lordre dominicain (preacutedicateur geacuteneacuteral de

Narbonne en 1289 deacutefiniteur agrave Cahors en 1298 prieur provincial de Provence en 1301) et un

curialiste (chargeacute en 1309 par Cleacutement V de soccuper du procegraves posthume de Boniface VIII)

Jean XXII appreacutecia ses meacuterites puisquil le promut cardinal-eacutevecircque de Sabine en 1317 puis le

deacutesigna comme leacutegat pontifical en Espagne de 1320 agrave 1324 De cette carriegravere il ressort

clairement que Guillaume de Peyre Godin navait aucune formation juridique et repreacutesentait la

meilleure orthodoxie thomiste le deacutetail importe car la tacircche des inquisiteurs relevait

davantage de la theacuteologie que du droit Guillaume navait pas eacuteteacute consulteacute en 1320 sur la

question de la qualification heacutereacutetique des invocateurs du deacutemon peut-ecirctre parce quil eacutetait

deacutejagrave parti en Espagne mais il reccedilut en 1326 une nouvelle commission pontificale aux cocircteacutes

des cardinaux Pierre dArablay et Bertrand de Montfavet en vue de proceacuteder aux procegraves de

plusieurs clercs et laiumlcs des diocegraveses de Toulouse et Cahors accuseacutes davoir fabriqueacute des

images en plomb ou en pierre destineacutees agrave linvocation des deacutemons31 Les accuseacutes avaient

dabord eacuteteacute convoqueacutes devant la justice eacutepiscopale de Toulouse avant decirctre deacutefeacutereacutes au roi de

France probablement parce que leurs images avaient eacuteteacute fabriqueacutees sur le modegravele de la

monnaie royale (sub figura seu typario regio)32 En 1328 Guillaume fut chargeacute de compiler

lenquecircte locale en vue du procegraves de canonisation de Nicolas de Tolentino or cette affaire

comportait de larges aspects deacutemonologiques33

Agrave cette petite seacuterie on peut ajouter une notation du dominicain Bernard Gui qui fort de son

expeacuterience dinquisiteur reacutedigea son Manuel de linquisiteur sans doute apregraves 1324 pour lui

linvocation des deacutemons relevait de lheacutereacutesie si elle eacutetait faite laquo en mecircme temps quun sacrifice

ou que limmolation dune certaine chose en faisant offrande agrave ces mecircmes deacutemons par le

moyen du sacrifice ou de limmolation raquo34

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Dix ans plus tard le 4 novembre 1330 Jean XXII envoya deux lettres35 lune adresseacutee agrave

larchevecircque de Narbonne agrave ses suffragants et agrave linquisiteur de Carcassonne36 lautre agrave

larchevecircque de Toulouse agrave ses suffragants et agrave linquisiteur de cette ville37 cette lettre

contenait une copie de celle envoyeacutee en 1320 par Guillaume de Peyre Godin aux inquisiteurs

de Carcassonne et Toulouse puis ordonnait aux destinataires de poursuivre cette œuvre plus

que jamais neacutecessaire38 Cependant cette lettre introduisait un correctif important les

eacutevecircques devaient se mettre agrave lœuvre les inquisiteurs seuls ou en collaboration avec les

eacutevecircques devaient achever les actions entreprises mais ces derniers ne devaient pas entamer de

nouvelles proceacutedures sans commission pontificale Ce correctif nenlevait rien agrave la

qualification dheacutereacutesie appliqueacutee aux invocations deacutemoniaques et autres formes de magie

puisque laction inquisitoriale neacutetait pas suspendue ni simplement transfeacutereacutee aux eacutevecircques

mais il traduisait une certaine meacutefiance agrave leacutegard des inquisiteurs sur laquelle il faudra

revenir

Un mal ordinaire

On peut se demander quel peacuteril urgent se repreacutesentait le pape pour agir avec tant dobstination

Les pratiques magiques populaires ou savantes que visaient les articles de la consultation de

1320 sont universelles et de tous les temps Lenvoucirctement criminel ou amoureux par le biais

dimages de cire ou de terre est bien attesteacute dans lantiquiteacute greacuteco-romaine (notamment sous le

nom de defixiones)39 Quant au deacutetournement magiques des objets sacramentaux chreacutetiens il

eacutetait largement attesteacute depuis fort longtemps40 Sous leffet de la christianisation des mœurs

les vieilles traditions de magie naturelle et beacuteneacutefique se lestaient des rites liturgiques

chreacutetiens sans mutation reacuteelle

Deux facteurs expliquent sans doute lanxieacuteteacute du pape En premier lieu la magie savante

importeacutee de lOrient ou de lEspagne en mecircme temps que la science naturaliste avait connu un

large deacuteveloppement dans les milieux savants depuis le deacutebut du XIIIe siegravecle comme latteste

lœuvre de Guillaume dAuvergne Des recherches reacutecentes ont montreacute lampleur et la

complexiteacute de cette culture41 Les savoirs alchimique et astrologique doteacutes dun grand

prestige scientifique pouvaient se combiner agrave cette laquo neacutegromancie raquo ou agrave ces arts de la magie

Lambivalence des attitudes de lEacuteglise vis-agrave-vis de lalchimie commenccedila agrave se deacutefaire agrave la fin

du XIIIe siegravecle42 preacuteciseacutement au moment ougrave les conquecirctes de la science naturelle apparurent

comme dangereuses pour la foi tandis que lastrologie conservait encore quelque leacutegitimiteacute

malgreacute les soupccedilons On le sait la fameuse condamnation prononceacutee en 1277 par leacutevecircque

Eacutetienne Tempier qui portait sur 219 propositions supposeacutees ecirctre tenues par des membres de

la Faculteacute des Arts eacutetait preacuteceacutedeacutee dun prologue qui condamnait laquo les livres rouleaux ou

cahiers traitant de neacutecromancie ou contenant des expeacuteriences de sortilegraveges des invocations

des deacutemons ou des conjurations au peacuteril des acircmes raquo43 Lalchimie proteacutegeacutee par les papes en

quecircte de leacutelixir de longue vie jusque dans les anneacutees 127044 commenccedilait elle aussi agrave

devenir suspecte comme le notait Agostino Paravicini Bagliani le cardinal Francesco Orsini

dans son testament de 1304 ordonna de brucircler tous ses livres dalchimie45 Lastrologie

malgreacute son allure plus acadeacutemique subissait les mecircmes soupccedilons Le destin tragique de

Cecco dAscoli qui fut un professeur dastrologie respecteacute agrave Bologne agrave partir de 1322 avant

decirctre brucircleacute pour heacutereacutesie agrave Florence en 1327 en compagnie de ses livres dastrologie

manifeste peut-ecirctre malgreacute son caractegravere singulier cette ambivalence des attitudes

lastrologie en fait malgreacute son statut de plus en plus suspect vit son prestige saccroicirctre au

cours du XIVe siegravecle

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Laffaire Robert de Mauvoisin suivie de tregraves pregraves par Jean XXII confirme cette ambivalence

Robert de Mauvoisin archevecircque dAix fut jugeacute en 1318 par une commission pontificale et

dut renoncer agrave son siegravege46 Le statut de cette poursuite est incertain comme cest souvent le

cas dans ces commissions nommeacutees directement par le pape laction fut en fait

disciplinaire mais elle aurait pu ecirctre criminelle selon laccentuation de tel ou tel deacutelit qui

pouvait aussi bien relever de lexcegraves condamnable chez un preacutelat que du crime Il est fort

possible que cette qualification ait deacutependu dune neacutegociation le pape voulait reacutecupeacuterer le

siegravege et Robert cherchait agrave se tirer de ce mauvais pas Mais quoi quil en soit le premier des

quinze articles daccusation le plus deacuteveloppeacute joua un rocircle certain dans la relative cleacutemence

de la commission cet article rapportait que Robert depuis les temps de ses eacutetudes agrave Bologne

dans les anneacutees 1300 jusquau temps de sa preacutelature avait eu recours laquo aux sortilegraveges agrave lart

de la magie (arti mathematice) et aux divinations raquo Larticle preacutecisait que ces pratiques

eacutetaient laquo condamneacutees et interdites par le droit raquo Dans son interrogatoire Robert prit soin de

qualifier constamment ses diffeacuterents conseillers dlaquo astrologues raquo et de relater preacuteciseacutement les

modes et les buts de ses consultations Tout en affirmant quil ne croyait pas en ces arts

Robert confirmeacute par un teacutemoin maintint quil pensait de bonne foi que ces pratiques

astrologiques eacutetaient licites

Or il semble bien que la meacutefiance nouvelle envers lastrologie et lalchimie plus ou moins

assumeacutee par les savants et les hauts dignitaires de lEacuteglise se soit accompagneacutee selon une

causaliteacute difficile agrave deacuteterminer dune diffusion de la culture neacutecromantique et alchimique

dans les couches plus basses de lEacuteglise Le second astrologue que Robert de Mauvoisin

consulta pour eacutevaluer son thegraveme astral eacutetait un copiste (grossator) de la curie pontificale

Nous avons eacutevoqueacute plus haut la poursuite de clercs et laiumlcs accuseacutes de fabrication dimages

sous leffigie royale Leur propre confession mentionnait explicitement lusage de lalchimie

il y est question de la recherche de la laquo veacuteriteacute de lalchimie raquo (veritatem alquimie)

Agrave cette inquieacutetude geacuteneacuterale et ambivalente sajoutait le souci propre de Jean XXII qui paraicirct

avoir consideacutereacute que les deacutemons se mecirclaient directement agrave ces arts suspects et exerccedilaient un

rocircle redoutable dans la vie et la mort des humains

Les convictions deacutemonologiques de Jean XXII

Linsistance de Jean XXII sur les dangers des invocations deacutemoniaques correspond dans la

pratique judiciaire quil a deacuteveloppeacutee agrave de nombreuses accusations47 lanceacutees agrave titre principal

ou contre des accuseacutes inculpeacutes dabord pour dautres raisons comme leacutevecircque de Cahors

Hugues Geacuteraud larchevecircque dAix Robert de Mauvoisin ou contre le franciscain Bernard

Deacutelicieux accuseacute dentraver gravement le travail des inquisiteurs Le parcours rapide de

certains de ces dossiers nous aidera agrave saisir les preacuteoccupations personnelles du pape en

matiegravere de magie et dinvocations deacutemoniaques

Le 27 feacutevrier 1318 Jean XXII sadressa agrave Bartheacutelemy eacutevecircque de Freacutejus agrave Pierre Tissier

prieur de Saint-Antonin pregraves de Rodez et au preacutevocirct de Clermont-Ferrand pour leur

demander dentreprendre une action selon la proceacutedure sommaire et sans possibiliteacute dappel agrave

lencontre de plusieurs clercs qui sadonnaient agrave laquo la nigromancie la geacuteomancie et autres arts

magiques raquo48 Ces arts de la magie sont eacutetroitement relieacutes agrave linvocation des deacutemons ils sont

laquo des arts de deacutemons deacuteriveacutes dune pestifegravere association des hommes et des mauvais anges raquo

Les magiciens laquo usent freacutequemment de miroirs et dimages consacreacutees selon leur exeacutecrable

rite et se placcedilant en cercle invoquent de faccedilon reacutepeacuteteacutee les deacutemons quils enferment dans les

9

miroirs les cercles ou les anneaux raquo Par ces invocations les accuseacutes tentent de nuire ou de

preacutedire le futur49

Or un autre aspect de leur activiteacute releveacute dans la suite de la lettre concerne un souci

pontifical laquo ils ne craignent pas daffirmer quagrave laide de boissons ou de nourritures mais

aussi par la profeacuteration dune seule parole il est possible dabreacuteger ou de prolonger la vie des

hommes raquo On pense bien sucircr aux diffeacuterentes recherches et pratiques patronneacutees par les

papes du XIIIe siegravecle en vue dobtenir le prolongement de leur vie que les recherches

dAgostino Paravicini Bagliani ont repeacutereacutees50 Le grand alchimiste anglais John Dastin qui

avait eacutecrit des ouvrages dalchimie pour le cardinal Napoleacuteon Orsini ennemi et familier du

pape envoya agrave Jean XXII une lettre sur lor potable susceptible de prolonger la vie51

Comme lavait montreacute le procegraves de Boniface VIII la frontiegravere eacutetait incertaine entre les arts

magiques et lalchimie entre le juste deacutesir de prolonger la vie des papes et la sournoise

volonteacute de labreacuteger Loctogeacutenaire pontife eacutelu comme pape de transition savait sa vie fragile

et sa succession souhaiteacutee La premiegravere grande affaire judiciaire du pontificat quelques mois

apregraves lavegravenement de Jean XXII mit en cause leacutevecircque de Cahors Hugues Geacuteraud accuseacute

davoir voulu attenter agrave la vie du pape et des cardinaux par le poison mais aussi par la

confection dimages de cire qui avaient reccedilu le nom des victimes et qui furent perceacutees de

coups daiguilles selon leacutevocation assez preacutecise quen donne le pape dans sa lettre de

commission de laffaire le 22 avril 131752 On comprend degraves lors lobsession de Jean XXII

quant aux manipulations surnaturelles de la nature dautant que reacutecemment certains

alchimistes ou meacutedecins dont Arnaud de Villeneuve avaient noueacute des relations fortes avec

les Spirituels franciscains ou avec les clans Orsini et Colonna de la curie

Le procegraves intenteacute au franciscain Bernard Deacutelicieux en 1319 illustre bien cette conjonction

Bernard Deacutelicieux eacutetait poursuivi essentiellement pour ses attaques contre linquisition et ses

tentatives en vue du soulegravevement des citeacutes meacuteridionales contre le pouvoir des inquisiteurs

Laffaire eacutetait deacutejagrave ancienne mais le franciscain avait reacutecemment aggraveacute son cas en prenant

la deacutefense des franciscains spirituels convoqueacutes agrave Avignon en 1317 Or les articles 24 agrave 31 de

son acte daccusation portaient sur ses tentatives de meurtre sur la personne de Benoicirct XI par

le biais des incantations et des actes de magie53 Dans cette liste de griefs pas plus que dans

les accusations contre Robert de Mauvoisin les pratiques magiques de Bernard Deacutelicieux ne

sont rapporteacutees agrave une invocation des deacutemons comme si la magie naturelle neacutetait incrimineacutee

que pour ses fins mauvaises Tout se passe comme si Jean XXII heacuteritier de la fascination de

ses preacutedeacutecesseurs envers la puissance des sciences occultes heacutesitait encore agrave lier la magie agrave

laction deacutemoniaque ce qui expliquerait lurgence et limportance de la consultation de 1320

Quelques anneacutees plus tard ces incertitudes neacutetaient plus de mise Ainsi le 23 aoucirct 132654 le

pape envoya une lettre au cardinal Bertrand de Montfavet lincitant agrave poursuivre une enquecircte

sur Bertrand dAudiran chanoine dAgen qui se livrait agrave pluribus et diversis dampnatis

scientiis et artibus laquo non sans une transgression de la foi catholique du droit canonique et du

droit civil raquo Le suspect usait de livres deacutecritures de vases de verre de terre et de bois en

lesquels il composait des poudres et liqueurs feacutetides laquo Et surtout ce Bertrand en usant et

abusant de ces sciences et arts sefforccedilait de tenter les deacutemons et dinvoquer les esprits malins

et dappliquer agrave cette fin les conjurations et autres choses illicites et condamneacutees raquo Or cette

pratique eacutetait efficace laquo il sensuivait de terrifiants coups de tonnerre eacutebranlements foudres

tempecirctes deacuteluges coups porteacutes par les deacutemons agressions et morts dhommes et autres

innombrables dommages raquo

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Bertrand disposait de complices dont deux sont nommeacutes dans la lettre Ils avaient eacuteteacute pris sur

le fait quand ils emportaient sur des fourches patibulaires deux tecirctes et un bras de pendus Le

laiumlc avait avoueacute et avait eacuteteacute livreacute aux flammes le clerc fut emprisonneacute dans les cachots de

leacutevecircque dAgen Leacutevecircque avait fait conduire Bertrand vers les prisons pontificales dAvignon

Lenquecircte avait eacuteteacute confieacutee agrave Bertrand de Montfavet et au cardinal Pierre Tissier mort depuis

(en 1323) La lenteur dune proceacutedure qui eacutetait entiegraverement entre les mains du pontife montre

bien que Jean XXII cherchait agrave savoir avant de reacuteprimer

Une autre lettre manifeste bien linquieacutetude de Jean XXII devant les mystegraveres surnaturels et

notamment devant la possibiliteacute de transport extraordinaire qui annonce peut-ecirctre un des

aspects les plus spectaculaires du sabbat le vol des deacutemoniaques dans les airs Le 3 mars

1325 Jean XXII sadressa agrave leacutevecircque de Paris le cureacute de la paroisse des Saints Innocents un

soir a disparu de sa chambre fermeacutee au verrou de linteacuterieur Le pape demande une enquecircte

summarie simpliciter ac sine strepitu et figura judicii afin de savoir laquo ougrave ledit recteur est

alleacute ou a eacuteteacute emporteacute ou transporteacute raquo (dictus rector iverit vel asportatus aut translatus

fuerit)55 Le ton presseacute et angoisseacute de la lettre leacutevocation de la possibiliteacute dun transport

surnaturel sans eacutevoquer vraiment le sabbat manifestent en cette mince affaire une reacuteelle

inquieacutetude

Lors de la fameuse controverse sur la vision beacuteatifique que le pape lanccedila en 1331 un des

arguments produits par le pape pour prouver le caractegravere partiel et limiteacute du jugement

individuel consiste agrave insister sur lactiviteacute libre des deacutemons avant le Jugement dernier En

1332 dans un sermon le pape dit laquo En effet les damneacutes cest-agrave-dire les deacutemons ne

pourraient nous tenter sils eacutetaient reclus en enfer Cest pourquoi il ne faut pas dire quils

reacutesident en enfer mais bien dans la totaliteacute de la zone dair obscur dougrave leur est ouverte la

voie pour nous tenter raquo56

Portrait de Jean XXII en suppocirct du deacutemon

Si Jean XXII fut aussi acharneacute agrave poursuivre les deacutemons et leurs adorateurs cest sans doute

aussi parce quil fut lui-mecircme parfois preacutesenteacute comme une creacuteature de lAnteacutechrist ou du

diable notamment dans les divers milieux influenceacutes par les franciscains spirituels (beacuteguins

fraticelli) Cette qualification relevait en partie de linjure en partie de la conviction En effet

dun cocircteacute les franciscains spirituels adeptes de la plus haute pauvreteacute qui avaient joui dune

relative tranquilliteacute sous le pontificat de Cleacutement V subirent la reacutepression violente de

Jean XXII degraves le deacutebut de son pontificat quatre franciscains spirituels furent brucircleacutes agrave

Marseille en 1318 une seacuterie de bulles de 1317 agrave 1328 condamnegraverent certains groupes puis

la doctrine mecircme de la pauvreteacute absolue et de son fondement christique On en arriva au

schisme de 1328 quand Michel de Ceacutesegravene et quelques fregraveres senfuirent dAvignon pour

rejoindre la cour de lempereur Louis de Baviegravere qui creacutea le bref pontificat schismatique de

Nicolas V Dans la masse des eacutecrits de combat des franciscains le pape prit souvent une

figure satanique

Mais il y avait plus Dans les eacutecrits de Pierre de Jean Olivi qui fut linspirateur principal de

ces mouvements se manifestait la conviction que le temps preacutesent eacutetait celui du passage agrave la

sixiegraveme peacuteriode de lhistoire de lEacuteglise lui-mecircme annonciateur du troisiegraveme et dernier acircge de

lhumaniteacute En lisant lApocalypse Olivi avait deacutecouvert que lAnteacutechrist dont la deacutefaite

ultime devait ouvrir une longue peacuteriode de paix avant la fin des temps se deacutedoublait en un

Anteacutechrist laquo mystique raquo (cest-agrave-dire cacheacute) et le grand Anteacutechrist manifeste Cet Anteacutechrist

mystique devait probablement ecirctre un pseudo-pape Si Olivi mort en 1298 navait pas pousseacute

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plus loin lidentification ses disciples confirmeacutes par les perseacutecutions proceacutedegraverent agrave cette

assimilation du pape agrave lAnteacutechrist mystique

Sur ce point un teacutemoignage curieux livre un veacuteritable reacutecit fondateur et mythique sur les

origines de la haine de Jean XXII contre les spirituels franciscains En 1333 le chevalier

roussillonnais Adheacutemar de Mosset fut poursuivi pour ses sympathies beacuteguines agrave linitiative

du roi Jacques II de Majorque57 Le roi dans son troisiegraveme article daccusation rapporte un

souvenir personnel Un jour quil voyageait en compagnie dAdheacutemar la conversation vint sur

le pape Jean XXII et sur les perseacutecutions contre les spirituels que le chevalier reprochait fort

au pontife Adheacutemar demanda au roi sil savait pourquoi le pape qui au deacutebut de son

pontificat avait eacuteteacute une homme saint et bon en eacutetait arriveacute lagrave Jacques ne le savait pas mais le

chevalier le lui apprit Jean XXII aimait alors beaucoup Angelo Clareno lun des principaux

dirigeants des spirituels Un jour il lui demanda dinterroger Dieu pour savoir si son eacutetat

(status) Lui plaisait ou non58 Angelo se mit en priegraveres et laquo vit alors une grande foule de

diables qui portaient un calice plein du poison diniquiteacute il leur demanda ougrave ils allaient et ce

quils allaient faire de ce calice Ils lui reacutepondirent quils allaient aupregraves du pape pour faire

leur possible afin quil boive le calice diniquiteacute raquo Angelo leur demanda de passer le voir sur

le retour ce quils firent Ils lui apprirent alors que le pape avait bu et ils conseillegraverent agrave

Angelo de se garder deacutesormais de lui Au sortir de cette vision le pape demanda agrave Angelo le

reacutesultat de sa consultation le franciscain refusa de parler mais reccedilut lordre au nom du

principe dobeacuteissance de livrer ses informations ce quil fit laquo Et depuis ce temps lagrave le

seigneur pape lui voulut du mal agrave lui et aux autres Beacuteguins raquo Adheacutemar de Mosset qui avait

eacuteteacute au service de Philippe de Majorque reacutegent du royaume sous la minoriteacute de Jacques II et

partisan actif des Beacuteguins eacutetait probablement un sympathisant des dissidents sans ecirctre

directement engageacute dans leur combat et sans avoir de formation theacuteologique ni exeacutegeacutetique il

est probable quil transmettait une anecdote largement reacutepandue Si lon perccediloit mieux le

deacuteveloppement dun engagement personnel du pape il reste agrave comprendre les modaliteacutes de sa

lutte

Le positivisme de Jean XXII

Pourquoi qualifier dheacutereacutesie la magie ou linvocation des deacutemons Parce que les adorateurs

des deacutemons produisent de nouveaux faits susceptibles dengendrer de nouvelles adheacutesions Il

faut insister sur cette notion de factum hereticale brandie dans les questions poseacutees aux

theacuteologiens en 1320 qui rompt avec lideacutee commune de lheacutereacutesie comme opinion ou comme

intellectus Il ne sagit pas seulement dune extension qui trouverait dans les pratiques

sacrilegraveges un fondement doctrinal Jean XXII navait nul besoin de cette qualification pour

reacuteprimer seacutevegraverement les actes magiques et deacutemonolacirctriques

Le pape croyait en la force des faits en droit comme en theacuteologie Ainsi en mai 1330 il

sadressa au roi de France pour lui demander dinterdire la pratique de la preuve par combat

judiciaire ou duel59 en notant que laquo par de telles pratiques la veacuteriteacute nest pas prouveacutee raquo (per

taliaveritas non probatur) Le pape au nom de lexpeacuterience maicirctresse des choses (magistra

rerum experiencia) fait remarquer au roi quen cas daccusation de fausse monnaie jamais le

souverain ne se contenterait dune telle preuve preacuteciseacutement parce quen ce cas les faits

mateacuteriels et la veacuteriteacute pure importent

La construction mecircme de faits ineacutedits est une menace pour la foi Car ce sont les faits qui

induisent la confiance et la foi La qualification traditionnelle de lheacutereacutesie en sen tenant au

rejet des opinions orthodoxes ne considegravere pas le processus qui conduit agrave la foi Devant

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lextrecircme diversiteacute des opinions et des eacutecoles il faut sen tenir aux faits Jean XXII

exactement comme Guillaume dOckham aboutit agrave la conclusion que la foi repose sur une

certaine confiance accordeacutee agrave lensemble de la tradition chreacutetienne et corroboreacutee par les faits

livreacutes par lEacutecriture La foi repose sur un contrat de confiance Un des reproches les plus

veacuteheacutements quil adresse aux franciscains cest de pieacutetiner les donneacutees factuelles de lEacutecriture

Dans lEacutevangile Jeacutesus a posseacutedeacute des biens et a confieacute sa bourse agrave Judas Or par des artifices

dinterpreacutetation ils aneacuteantissent ces faits au beacuteneacutefice de leur interpreacutetation Les grandes

bulles de condamnation de la doctrine franciscaine de la pauvreteacute absolue insistent sur cette

destruction des donneacutees factuelles qui fondent les articles de foi60 Dans la bulle Cum inter

nonnullos (12 novembre 1223) le pape disait

Laffirmation selon laquelle le Christ et les apocirctres nont rien posseacutedeacute ni en commun ni

individuellement nous jugeons par un eacutedit perpeacutetuel et en suivant lavis de nos fregraveres que

quand elle est reacutepeacuteteacutee avec obstination elle doit ecirctre tenue pour erroneacutee et heacutereacutetique car

comme elle contredit expresseacutement lEacutecriture sacreacutee qui en plusieurs lieux affirme quils ont

eu quelque possession elle implique que cette Eacutecriture sacreacutee par laquelle sont prouveacutes les

articles de la foi orthodoxe contient ouvertement sur ce sujet le germe du mensonge et que

en tant que telle elle eacutevacue toute confiance en lEacutecriture et rend la foi catholique douteuse et

incertaine en supprimant sa force probatoire61

Plus geacuteneacuteralement les franciscains spirituels en imaginant que le Christ et les apocirctres

pratiquaient un usage laquo de fait raquo sans aucune appropriation juridique construisaient une

fiction qui ne trouvait aucun reacutepondant aucune veacuterification dans la laquo nature des choses raquo

(natura rerum) ougrave la consommation des biens repose soit sur un droit soit sur un deacutelit Leur

usage du mot laquo fait raquo renversait lordre naturel du monde Les franciscains devenaient

heacutereacutetiques en rejetant les faits eacutevangeacuteliques et en reconstruisant leurs propres faits gracircce agrave

leur ideacuteologie forte et gracircce agrave lidentiteacute collective quils creacuteaient Les adorateurs des deacutemons

nagissaient pas autrement on le verra

Donc pour Jean XXII un fait est un fait Comment comprendre ce positivisme qui semble

anachronique sans le reacuteduire aux fantaisies singuliegraveres du vieux pontife

Leacutemergence du fait

Pour saisir ce tournant il faut sans doute partir du jugement moral et non pas du jugement

eacutepisteacutemologique des conduites humaines plus que des processus physiques Chacun le sait le

XIIe siegravecle entre Pierre Abeacutelard et Pierre le Chantre a produit une morale de lintention Mon

hypothegravese est que cest cette morale qui a construit la notion de fait en neutralisant

leacuteveacutenement Jean est tueacute Paul la tueacute Ceci est un eacuteveacutenement La theacuteologie morale de

lintention affirme que cet eacuteveacutenement ne signifie rien en lui-mecircme avant quil ne soit qualifieacute

selon lintention de Paul qui construit leacuteveacutenement comme meurtre (il a voulu et preacutemeacutediteacute cet

acte par leffet dune vieille haine) ou bien comme coups et blessures porteacutes sans intention de

meurtre (agrave la suite dune rixe par exemple) comme accident (Paul au cours dune chasse

visait un gibier) comme acte meacuteritoire (Paul a deacutebarrasseacute la chreacutetienteacute dun perseacutecuteur sur le

modegravele de Judith tuant Holopherne) Leacuteveacutenement laquo mort de Jean raquo videacute de sa signification

intrinsegraveque devient ce que jappelle un fait faible un reacutesidu irreacuteductible de reacutealiteacute

Ce relativisme dAbeacutelard doit se relier eacutetroitement au principe naissant de lenquecircte

contradictoire Le premier texte qui proclame la neacutecessiteacute de cette enquecircte se trouve dans la

preacuteface du Sic et non On sait que cet ouvrage en dehors de sa preacuteface ne contient que des

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citations contradictoires sur une seacuterie dobjets mais on na pas releveacute que ces objets ne sont

pas toujours des opinions theacuteologiques mais aussi des faits (comme par exemple

lemplacement geacuteographique de la tombe des patriarches)

Au cours du XIIIe siegravecle se produisit une reacuteaction progressive contre la morale de lintention

une tentative dobjectivation du jugement moral et judiciaire Ce pheacutenomegravene tient

probablement au mouvement de reacutedaction des textes normatifs et agrave la constitution du droit

comme science de plus en plus indeacutependante de la theacuteologie morale62 Le fait fut penseacute

comme un reacutesidu neacutecessaire agrave lindeacutependance transcendante du droit que la caste des juristes

tentaient dextraire des contingences et des compromissions des affaires courantes Mais

lattachement agrave la factualiteacute tenait aussi agrave une reacuteaction de lEacuteglise contre les entreprises

heacutereacutetiques appuyeacutees sur une pratique du secret et de la double entente Le sanctuaire de

linteacuterioriteacute pouvait apparaicirctre comme une cache de malfaiteurs Les poursuites contre les

cathares et les beacuteguins le montrent clairement les inquisiteurs mirent au point des techniques

de repeacuterage de la dissimulation Cette eacutevolution tendait donc agrave remplacer le fait faible des

morales de lintention par le fait fort des tribunaux denquecircte Est-ce agrave dire quau tribunal toute

excuse quant agrave la circonstance de laction eacutetait rejeteacutee Certes pas mais les circonstances

furent elles-mecircmes objectiveacutees On en donnera deux exemples la notion dirresponsabiliteacute

accordeacutee agrave des classes repeacuterables dindividus (les fous les enfants les somnambules) fut

deacutefinie au deacutebut du XIVe siegravecle par une deacutecreacutetale de Cleacutement V63 Par ailleurs dans la

proceacutedure inquisitoire lenquecircte preacutealable sur la reacuteputation (fama) des individus suspects

deacuteleacuteguait agrave une communauteacute exteacuterieure leacutevaluation des motifs avant que lenquecircte en veacuteriteacute

ne mette en correacutelation cette eacutevaluation avec des faits preacutecis Certes la fama fut largement

induite par les poursuites elles-mecircmes mais les juges tenaient agrave son caractegravere objectif et

mesurable Dans les procegraves inquisitoires en canonisation comme en matiegravere criminelle ou

heacutereacutetique les juges ou commissaires demandent freacutequemment aux teacutemoins de deacutefinir le sens

du mot fama son lieu dorigine son extension Certains allaient mecircme jusquagrave demander au

teacutemoin deacutevaluer quantitativement le nombre minimal dopinions ou de murmures neacutecessaires

pour constituer une reacuteputation

Ce positivisme meacutedieacuteval dont nous avons tenteacute de repeacuterer les racines juridiques et morales

peut-il ecirctre relieacute agrave une eacutevolution plus globale que lon pourrait saisir dans lhistoire des

sciences La question est deacutelicate car la physique dominante inspireacutee dAristote sattachait

davantage aux causes quaux pheacutenomegravenes comme la montreacute Alexandre Koyreacute Le

pheacutenomegravene eacutetait essentiellement reacuteductible Pourtant un certain deacuteveloppement de la

factualiteacute scientifique sobservait preacuteciseacutement en ces derniegraveres anneacutees du XIIIe siegravecle soit du

cocircteacute des ingeacutenieurs comme le ceacutelegravebre Pierre de Maricourt qui deacutecrivait et expeacuterimentait les

proprieacuteteacutes de laimant en vue de lameacutelioration de la boussole Un grand penseur comme

Roger Bacon grand chantre de lexpeacuterimentation reacuteussissait agrave conjoindre dans son œuvre la

theacuteologie loptique et lalchimie en traquant des faits par lobservation La cateacutegorie fourre-

tout des laquo merveilles raquo (mirabilia) commenccedilait agrave seacutetioler au profit dune extension simultaneacutee

des pheacutenomegravenes miraculeux et des pheacutenomegravenes naturels Enfin une physique non-

aristoteacutelicienne raisonnant sur des cas-limites relevant dune factualiteacute reacuteelle mais rare se

mettait en place64

Lenquecircte et le fait

Sur le plan des poursuites judiciaires la notion de fait tendit agrave simposer quand agrave partir des

anneacutees 1230 la recherche des heacutereacutetiques au sein de populations largement complices prit un

caractegravere massif et exigea des critegraveres plus larges et des meacutethodes plus efficaces que

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linterrogatoire individuel Un mandement de larchevecircque de Tarragone fut reacutedigeacute en mai

124265 avec laide du dominicain Raymond de Penyafort le grand juriste qui devint aussi

maicirctre geacuteneacuteral de lordre des precirccheurs afin laquo que lon procegravede plus clairement quant au fait

dheacutereacutesie (circa factum heresis) raquo Certes le mot factum a encore ici le sens dimputation

judiciaire quil avait dans le droit romain mais le deacutetail du mandement montre bien quil

importait deacutesormais de consideacuterer des actes qui ne relevaient pas directement de la croyance

Le texte en effet distingue sept classes de population relieacutees agrave lheacutereacutesie66 Or seule la

premiegravere est nommeacute heacutereacutetique parce quelle professe des croyances en perdurant dans lerreur

La seconde cateacutegorie les laquo croyants raquo (credentes) est assimileacutee aux heacutereacutetiques (il faut sans

doute comprendre quils sont mis agrave part avant lavertissement salutaire qui les transforme en

cas de refus dabjurer en heacutereacutetiques proprement dits) Ensuite viennent les laquo suspects raquo

dheacutereacutesie Seuls des actions et des faits construisent cette qualification eacutecouter la preacutedication

ou les confeacuterences des heacutereacutetiques (en ce cas il sagit dinsabbatici heacutereacutetiques difficiles agrave

identifier et qui sont citeacutes en compagnie des Pauvres de Lyon et des Vaudois) sagenouiller en

leur compagnie Un eacuteleacutement de croyance peut pourtant ecirctre ajouteacute les suspects croient que

les heacutereacutetiques en question sont de laquo bons hommes raquo Suivant la reacutepeacutetition des actes la

suspicion sera simple veacuteheacutemente ou tregraves veacuteheacutemente Viennent ensuite les complices passifs

les laquo non-deacutenonciateurs raquo (celatores) qui sabstiennent de reacuteveacuteler la preacutesence publique

dheacutereacutetiques les laquo dissimulateurs raquo (occultatores) laquo qui ont fait pacte de ne rien reacuteveacuteler raquo

(fecerunt pactum de non revelando) les laquo hocirctes raquo (receptatores) qui reccediloivent chez eux au

moins deux fois des heacutereacutetiques ou des reacuteunions dheacutereacutetiques les laquo deacutefenseurs raquo (defensores)

qui prennent le parti des heacutereacutetiques par la parole ou par le fait (verbo vel facto) soit par le

discours soit par une aide mateacuterielle67 Ces quatre derniegraveres cateacutegories sont rassembleacutees sous

la qualification de laquo soutiens raquo (fautores) de lheacutereacutesie Les deacutelits lieacutes aux heacutereacutesies sont pour

Raymond susceptibles de degreacutes (magis vel minus) alors que lheacutereacutesie proprement dite

implique une structure strictement binaire ougrave le vrai soppose agrave lerreur Lagrave encore cest le

droit qui construit par opposition le fait par opposition au ministegravere du confesseur qui in

foro conscientiae traite le continuum des fautes et manquements la tacircche de linquisiteur in

jure consiste agrave reacuteduire agrave la pureteacute binaire de lincrimination une foule de circonstances et

daction floues Plus tard dans le siegravecle la notion de laquo preacutesomption de droit raquo accrut encore

cette tendance

Mais lheacutesitation est encore grande le quatriegraveme point de la consultation porte sur la

qualification comme heacutereacutetique de celui qui embrasse un heacutereacutetique ou qui prie en sa

compagnie ou le cache laquo doit-il ecirctre jugeacute comme croyant en lerreur de lheacutereacutetique raquo La

reacuteponse eacutetait neacutegative Pourtant plus loin le texte suggegravere que les ossements de ceux qui ont

soutenu lheacutereacutesie doivent ecirctre exhumeacutes parce que laquo le soutien (fautoria) est la suite et le

compleacutement de lheacutereacutesie raquo Quelques anneacutees plus tocirct en 1235 dans un des premiers textes

consacreacutes aux regravegles de linquisition Raymond de Penyafort consideacuterait que ceux qui

heacutebergeaient des heacutereacutetiques (en loccurrence des Vaudois) devaient ecirctre jugeacutes comme

heacutereacutetiques parce quils croyaient que lEacuteglise se trompait en poursuivant les heacutereacutetiques68

On le voit la tentation eacutetait grande depuis les deacutebuts de linquisition de construire des faits

heacutereacutetiques Lorsque le 14 juin 1303 Guillaume de Plaisians preacutesenta au Louvre ses

accusations contre le pape Boniface VIII il lui reprocha davoir extorqueacute agrave des precirctres la

reacuteveacutelation de secrets confieacutes en confession pour les divulguer et les utiliser Il conclut cet

article en disant laquo En raison de cela il semble avoir eacuteteacute heacutereacutetique quant au sacrement de

peacutenitence (propter quod in sacramento penitentie hereticare videtur) raquo Cest donc bien un

acte manifesteacute par le verbe actif laquo heacutereacutetiquer raquo qui passe pour manifestation dheacutereacutesie

Comme le note Jean Coste dans son eacutedition du laquo procegraves raquo le cardinal Pietro Colonna qui

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connaissait mieux le droit canonique avait ajouteacute dans la reacutedaction dun article analogue laquo le

mecircme Boniface proclamait de faccedilon doctrinale (dogmatizabat) quil avait le droit dagir

ainsi raquo69

En 1308-1309 lauteur dune nouvelle seacuterie darticles daccusation contre la meacutemoire de

Boniface que Jean Coste attribue agrave Nogaret70 introduit une distinction alors ineacutedite qui fut

reprise cinquante ans plus tard par Nicolas Eymerich71 entre les articles heacutereacutetiques les

erreurs relatives agrave un point de fait deacutejagrave condamneacute (facti damnati errores) et les opinions Mais

la simple mention de cette distinction sans application preacutecise ne permet pas de consideacuterer

que la notion de laquo fait heacutereacutetique raquo se deacuteveloppait veacuteritablement

Les juges deacuteleacutegueacutes au procegraves de Bernard Deacutelicieux en 1319 franchirent ce pas du moins

dans leur acte daccusation du 23 octobre 1319 ils ouvraient leur accusation en deacuteclarant sur

un ton tregraves leacutegislatif mais sans aucune alleacutegation de droit que tout homme seigneur puissant

ou juge qui oserait libeacuterer les prisonniers de linquisition refuser dexeacutecuter ses mandats

empecirccher la sentence ou le procegraves ou sopposer en quelque faccedilon agrave la poursuite des

heacutereacutetiques laquo encourt ipso facto une sentence dexcommunication et sil lencourt avec une

volonteacute reacutesolue pendant un an est alors condamneacute comme heacutereacutetique raquo72

Questions de proceacutedure

Face agrave la menace deacutemoniaque il importait dagir efficacement et rapidement mais ces deux

exigences eacutetaient contradictoires car lefficaciteacute supposait le lent et difficile eacutetablissement de

la veacuteriteacute Le pontife disposait dune multitude de solutions judiciaires qui impliquaient agrave la

fois des diffeacuterences dans les types de proceacutedure dans les ressorts juridictionnels et dans les

modaliteacutes de lenquecircte

LEacuteglise favorisait le deacuteveloppement de la proceacutedure inquisitoire (par enquecircte) au deacutetriment

du mode accusatoire selon un mouvement initieacute par des deacutecreacutetales dInnocent III agrave partir de

1198 dont la maturation se lit dans le canon 8 du concile de Latran IV (1215) On le sait la

proceacutedure accusatoire dominante jusquau XIIe siegravecle et qui a poursuivi sa carriegravere dans la

Common Law britannique et ameacutericaine reacuteserve lincrimination agrave un accusateur qui sengage

sur cette accusation et peut en pacirctir Le juge ou le jury se contente darbitrer Les deux

moments de laction sont constitueacutes par la construction minutieuse de la cause qui doit ecirctre

rigoureusement deacutefinie (en termes romains il sagit de la phase de litis contestatio) et par la

deacutelibeacuteration La proceacutedure inquisitoire en revanche favorise laccusation doffice formuleacutee

par un juge ou un prince agrave la suite dune laquo diffamation raquo deacuteriveacutee de leacutecoute dune rumeur

accusatrice Le procegraves met en œuvre deux enquecirctes successives la premiegravere eacutetablit cette

fama cette reacuteputation bonne ou mauvaise qui permet linculpation ou la relaxe la seconde

enquecircte construit la veacuteriteacute des faits porteacutes par la fama

Plusieurs ressorts juridictionnels pouvaient prendre en charge les invocateurs du deacutemon la

justice eacutepiscopale avec ses divers tribunaux le tribunal de linquisition et des commissions

pontificales ad hoc Linquisition fut creacuteeacutee par le pontificat agrave partir de 1233 en vue de

poursuivre lheacutereacutesie et elle garda longtemps cette speacutecialisation qui impliquait un recrutement

de juges plus theacuteologiens que juristes Il est difficile de porter un jugement serein sur

linquisition meacutedieacutevale tant son image a fait lobjet de controverses violentes Certains

meacutedieacutevistes ont tenteacute non sans quelques raisons de rejeter la folie perseacutecutrice associeacutee agrave

cette image Edward Peters a montreacute comment avait pu se construire dans la suite des temps

un veacuteritable mythe noir de linquisition73 un article retentissant de Richard Kieckhefer a mis

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en doute la reacutealiteacute institutionnelle de linquisition74 De fait lopinion commune a souvent

confondu les reacutealiteacutes implacables de lInquisition romaine (creacuteeacutee en 1542) et surtout de

lInquisition castillane (institution eacutetatique fondeacutee en 1481-1482) avec les tentatives limiteacutees

et souvent incoheacuterentes de linquisition meacutedieacutevale Pourtant linquisition meacutedieacutevale a bien

existeacute comme institution puissante en deacutepit de sa faible assise Linquisiteur eacutetait nommeacute par

le saint Siegravege mais demeurait eacutetroitement lieacute agrave lordre religieux dont il provenait (lordre

dominicain pour lessentiel mais aussi lordre franciscain et dans une moindre mesure

lordre des carmes) Sa pratique quotidienne le mettait en relation eacutetroite avec le pouvoir

seacuteculier

Les commissions speacuteciales du pape deacuterivaient en un sens de la justice deacuteleacutegueacutee des pontifes

instaureacutee depuis le XIIe siegravecle mais elles prirent une importance particuliegravere sous le pontificat

de Jean XXII pour des raisons que nous examinerons plus loin Limportance des faits

deacutemoniaques conduisit Jean XXII agrave lever beaucoup de garanties judiciaires et gracieuses75 et

agrave confier les affaires de complot avec soupccedilons magiques ou deacutemonologiques agrave des

commissions pontificales qui se reacuteclamaient de la proceacutedure sommaire La notion de

proceacutedure sommaire sest lentement deacuteveloppeacutee depuis la fin du XIIe siegravecle dans le droit

canonique Il sagissait de formaliser les efforts des deacutecennies preacuteceacutedentes en matiegravere

darbitrage ou de compromis internes agrave lEacuteglise en reacuteaction aux excegraves de juridisme qui avaient

eacuteteacute deacutenonceacutes par saint Bernard dans son retentissant traiteacute De consideratione La notion

dlaquo eacutequiteacute canonique raquo eacutetait opposeacutee agrave la rigor iuris des civilistes La proceacutedure trouva

lentement sa forme agrave partir deacuteleacutements eacutepars dans le droit romain par agglomeacuteration de

clausules indeacutependantes si les parties eacutetaient daccord la cognitio summaria (traduite dans

nos textes par ladverbe summarie ou simpliciter) impliquait dalleacuteger les charges de preuves

on pouvait se contenter de preuves laquo semi-pleines raquo (un simple serment un teacutemoin ou un

document unique) et de la phase proprement proceacutedurale dun procegraves la reacutedaction dun

laquo livret raquo (libellus) et le deacutebat de la litis contestatio (qui eacutetablissait les rocircles judiciaires et les

enjeux du procegraves) devenaient facultatifs La mention dune proceacutedure de plano qui renvoyait

agrave linutiliteacute de sieacuteger formellement en tribunal insistait davantage sur la rapiditeacute et labsence de

formes externes Enfin les clausules sine strepitu judiciorum (sans le vacarme des procegraves) et

sine figura judicii (sans la forme du procegraves) compleacutetaient cette simplification en insistant sur

la suppression des avocats et des formes bruyantes dopposition et de recours

Agrave leacutepoque de Jean XXII cette formalisation de larbitrage eccleacutesiastique venait agrave peine de

sachever par la publication de deux deacutecreacutetales de Cleacutement V Dispendiosam produite pour le

concile de Vienne en 1311-1312 et Saepe reacutedigeacutee en 1314 Dispendiosam76 deacuteclarait de

faccedilon fort bregraveve que la proceacutedure sommaire pouvait sappliquer dune part aux cas deacutejagrave preacutevus

par le droit canonique du XIIIe siegravecle quant aux affaires propres de lEacuteglise (laquo eacutelections

demandes et provisions attributions de digniteacutes de fonctions de charges de canonicats de

preacutebendes et autres beacuteneacutefices eccleacutesiastiques raquo et contentieux sur les dicircmes) mais aussi sur les

questions de mariage et dusure Cette extension eacutetait consideacuterable et aboutissait agrave fournir la

possibiliteacute de proceacutedure sommaire pour la quasi totaliteacute des affaires eacutevoqueacutees par lEacuteglise

Seules les successions neacutetaient pas mentionneacutees mais elles interfeacuteraient neacutecessairement avec

les causes matrimoniales La deacutecreacutetale Saepe77

deacutetaillait plus longuement les particulariteacutes de

la proceacutedure sommaire et reacutesumait soigneusement les traits assembleacutes depuis pregraves dun siegravecle

Lusage parallegravele de la proceacutedure sommaire en matiegravere de poursuite de lheacutereacutesie ne se laisse

pas facilement deacutechiffrer car la filiation par rapport agrave la doctrine de larbitrage y perd tout

sens Le seul point commun des deux usages tient au rocircle essentiel du juge chargeacute agrave la fois de

la proceacutedure de linstruction et de la deacutecision Pourtant ce nest pas avant la deacutecreacutetale Statuta

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quedam promulgueacutee par Boniface VIII dans son Liber Sextus en 1296-1298 que la proceacutedure

sommaire fut accordeacutee explicitement agrave la proceacutedure inquisitoriale laquo En collationnant certains

statuts de nos preacutedeacutecesseurs dheureuse meacutemoire Innocent Alexandre et Cleacutement et en

interpreacutetant et ajoutant certains points nous accordons que dans les affaires dinquisition sur

la perversion heacutereacutetique il puisse ecirctre proceacutedeacute de faccedilon simple et informelle sans vacarme ni

apparence des avocats et des jugements (procedi possit simpliciter et de plano et absque

advocatorum ac judiciorum strepitu et figura) raquo La suite de la deacutecreacutetale justifie le secret sur

les noms des teacutemoins ou accusateurs pour raison de seacutecuriteacute

Procegraves et majesteacute

Tous les niveaux et distinctions que nous venons desquisser se mecirclaient dans la pratique

judiciaire puisque linquisition se fondait largement sur la proceacutedure inquisitoire tandis que

des eacutevecircques comme Jacques Fournier le ceacutelegravebre eacutevecircque de Pamiers ou Guido Terreni

eacutevecircque de Majorque puis dElne recevaient du pape des fonctions dinquisiteur dans leur

diocegravese

Pourtant Jean XXII navait guegravere confiance dans la justice des eacutevecircques Il savait que les

eacutevecircques pouvaient souvent preacutefeacuterer la paix du diocegravese agrave lexigence de la veacuteriteacute Ainsi agrave

lefficace et zeacuteleacute Jacques Fournier avait succeacutedeacute en 1326 Dominique Grima brillant

theacuteologien ancien assistant inquisiteur de Bernard Gui agrave Toulouse qui sattira le courroux du

pape pour sa neacutegligence dans la poursuite de lheacutereacutesie78 Le pape preacutefeacutera freacutequemment utiliser

des commissions speacuteciales denquecircte et de jugement selon la proceacutedure sommaire plutocirct que

les tribunaux inquisitoriaux Ce fut le cas notamment pour les procegraves de Hugues Geacuteraud de

Robert de Mauvoisin et de Bernard Deacutelicieux Parfois limputation de crime de legravese-majesteacute

permit de donner une latitude encore plus large aux proceacutedures extraordinaires ainsi le 12

avril 1331 sur plainte du roi de France le pape ordonna agrave leacutevecircque de Paris de proceacuteder

contre Hertaud abbeacute dun monastegravere du diocegravese dAutun et contre Jean Albeacutericus dominicain

sur leurs laquo maleacutefices et excegraves raquo (super maleficiis et excessibus) contre le roi et sa cour raquo Il

sagit certainement de pratiques magiques (multis maleficiis) qui attentaient au laquo salut public raquo

et qui en tout cas relevaient du crime de legravese-majesteacute Or le pape en ce cas non seulement

ordonna une proceacutedure sommaire (simpliciter et de plano sine strepitu et figura judicii) mais

leva tous les privilegraveges et garanties des deux religieux autorisant leur arrestation (captionem)

leur incarceacuteration et leur torture (necnon questionibus subici prout a canonibus est

permissum)79

On peut se demander pourquoi Jean XXII fut si reacuteticent agrave confier les causes deacutemoniaques agrave

linquisition au moment mecircme ougrave il tentait dassimiler linvocation des deacutemons agrave lheacutereacutesie La

reacuteponse la plus commune agrave cette question relie ce choix au caractegravere politique de bien des

affaires ougrave le deacutemon semble intervenir comme preacutetexte plutocirct que comme cause De fait les

proceacutedures exceptionnelles qui mecirclent lattentat contre la majesteacute royale ou divine les

accusations dheacutereacutesie et les imputations de sorcellerie ou dinvocation des deacutemons doivent ecirctre

relieacutees agrave la grande vague des procegraves politiques qui avait commenceacute degraves le deacutebut du XIVe

siegravecle cest Philippe le Bel80 qui avait lanceacute degraves 1303 le procegraves contre le pape

Boniface VIII81 accuseacute entre autres davoir invoqueacute les deacutemons et consulteacute des magiciens

puis le roi entre 1306 et 1314 sen eacutetait pris aux Templiers comme adorateurs du diable

Entre 1308 et 1314 Philippe le Bel avait inculpeacute Guichard eacutevecircque de Troyes qui aurait

conspireacute en vue de tuer la reine et dautres personnaliteacutes princiegraveres par lusage de poisons et

dimages magiques82 En 1315 Enguerrand de Marigny qui avait si efficacement collaboreacute agrave

ces procegraves fut lui-mecircme pendu pour avoir nui au roi Louis X et agrave Charles de Valois par des

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images magiques83 Jean XXII prit le relais avec les procegraves contre Hugues Geacuteraud eacutevecircque

de Cahors84 en 1317 contre Mateo et Galeazzo Visconti en 132085 contre les allieacutes de

Federico de Montefeltro dans la Marche dAncocircne86 Dans tous ces cas la parfaite

correspondance entre la graviteacute des accusations et la position antagoniste des inculpeacutes incite agrave

voir dans ces procegraves de simples et cyniques manœuvres ougrave lexception judiciaire doit

confirmer la regravegle politique

Cette interpreacutetation rend imparfaitement compte des reacutealiteacutes leacutecrasement des adversaires ne

fut pas systeacutematique les graves accusations contre Bernard Deacutelicieux quant au meurtre

deacutemoniaque de Cleacutement V ne furent pas assumeacutees dans le jugement contrairement agrave ce qui se

passa pour Hugues Geacuteraud Robert de Mauvoisin sen tira avec une simple eacutejection de son

siegravege archieacutepiscopal Certes les juges avaient quelque autonomie mais on peut penser que le

pape avait eacuteprouveacute de reacuteels doutes quant agrave la culpabiliteacute des accuseacutes Ces interrogations

rendent peut-ecirctre compte de la consultation de 1320 qui relevait moins de la discussion

quodlibeacutetale ou de la colleacutegialiteacute de deacutecision que du besoin dexpertise

Meacutefiance de linquisition

Les choix de proceacutedure de Jean XXII doivent sexpliquer autrement La preacutefeacuterence pour la

forme extraordinaire tient dabord agrave une grande meacutefiance de linquisition Les inquisiteurs

avaient tendance agrave poursuivre sans tenir compte des rangs sociaux ni des circonstances

politiques la fameuse affaire de Jean lArchevesque sieur de Parthenay mecircleacute agrave des pratiques

de sortilegravege vers 1323 le montre bien Linquisiteur seacutetait attaqueacute agrave un personnage puissant

beacuteneacuteficiant de protections royales qui avait reacuteussi agrave obtenir la consultation dun grand juriste

Oldrado da Ponte87 Agrave deux reprises le pape eacutecrivit aux inquisiteurs de Carcassonne pour

leur enjoindre de ne pas tourmenter inutilement les consuls et bourgeois de Montpellier88

Le pape avait pu aussi eacuteprouver lextrecircme impopulariteacute de linquisition patente dans laffaire

Bernard Deacutelicieux un simple agitateur avait failli renverser le pouvoir monarchique franccedilais

en liguant les couches citadines hostiles agrave lintervention des inquisiteurs En 1317-1318 cest

le zegravele excessif de Michel Le Moine inquisiteur franciscain de Provence qui avait enflammeacute

la reacutesistance beacuteguine dans le Midi par lexaltation des martyrs de Marseille En 1321-1322

cest le manque de discernement de linquisiteur Jean de Beaune agrave Beacuteziers qui avait entraicircneacute le

pape sur un terrain impreacutevu Linquisiteur ne mesurait pas toujours la porteacutee de ses actes et

surtout il pouvait agir trop publiquement du moins dans la phase initiale (la proclamation de

lenquecircte) et dans sa phase conclusive (le sermon geacuteneacuteral) ainsi cest la dispute publique

entre linquisiteur de Carcassonne Jean de Beaune et le lecteur franciscain du couvent de

Narbonne Beacuteranger Talon qui avait provoqueacute la reprise du deacutebat sur la pauvreteacute du Christ

Enfin et surtout linquisition jouissait dune certaine indeacutependance par rapport au pouvoir

pontifical dune part sa nomination deacutependait aussi du bon vouloir du maicirctre geacuteneacuteral des

dominicains ou du ministre geacuteneacuteral des franciscains Dautre part il pouvait agrave loccasion se

rapprocher du pouvoir royal On peut se demander si la diffeacuterence de deacutenomination des

inquisiteurs de Carcassonnne et de Toulouse entre 1320 et 1330 dans les lettres citeacutees plus

haut reacutedigeacutees par Guillaume de Peyre Godin puis par le pape ne traduit pas cette perception

dans le premier cas le cardinal sadresse laquo agrave linquisiteur de la perversion heacutereacutetique de la

reacutegion de Carcassonne raquo dans le second cas il sagit de laquo linquisiteur de la perversion

heacutereacutetique deacuteputeacute par le Siegravege apostolique dans le royaume de France en reacutesidence agrave

Carcassonne raquo Le soin de cette seconde formulation insiste sur le fait que lorigine du pouvoir

inquisitorial se trouve bien dans le pontificat De fait linquisition meacuteridionale apregraves les

froissements ducircs agrave laffaire Bernard Deacutelicieux ougrave les officiers royaux avaient toleacutereacute ou mecircme

19

soutenu le trublion franciscain avait eacuteteacute largement instrumentaliseacutee par la monarchie comme

le montrait laffaire des Templiers

En outre le pontife eacutetait fort irriteacute du manque de respect de certains inquisiteurs pour le droit

Ainsi en 1331 il reccedilut et approuva les plaintes de maicirctre Jean Anselme de Gecircnes chirurgien

et de Reacuteginald de Cravant clerc du diocegravese dAuxerre qui avaient eacuteteacute faussement accuseacutes

dheacutereacutesie et de maleacutefices par linquisiteur de France Aubert de Chacirclons et par leacutevecircque de Paris

Hugues Michel de Besanccedilon Le pontife leur reprochait davoir agi sans avoir eacutetabli aucune

infamie anteacuterieure sans respecter lordre judiciaire sans permettre aucune deacutefense leacutegitime89

Il nest pas besoin dimaginer un Jean XXII soucieux de justice par formation professionnelle

comme on la vu lordre du droit permettait deacutetablir soigneusement la veacuteriteacute qui importait

bien davantage que la reacutepression Le cas de la censure du commentaire dOlivi sur

lApocalypse le montre bien le texte eacutetait dangereux puisquil inspirait directement les

Beacuteguins par le biais dabreacutegeacutes et de traductions en langue vernaculaire Le contenu anti-

pontifical de ce texte eacutetait manifeste Pourtant le pape usa directement ou indirectement de

quatre commissions diffeacuterentes durant huit ans (1318-1326) avec un suppleacutement denquecircte

en 1322 avant darriver agrave une condamnation Le reacutesultat reacutepressif eacutetait certainement acquis

degraves 1318 mais il importait de suivre minutieusement les chemins de lerreur Ce souci

apparaicirct clairement dans une lettre adresseacutee par le pape en 1330 agrave Henri Chamayou

inquisiteur de Carcassonne90 qui avait reacuteussi agrave faire arrecircter deux heacutereacutetiques italiens qui

avaient confesseacute leur crime Le pontife feacutelicite chaleureusement linquisiteur mais lengage

fermement agrave poursuivre lenquecircte bien quil ait deacutejagrave en main tous les eacuteleacutements pour les

condamner laquo parce que nous croyons que tu aurais du connaicirctre une veacuteriteacute plus ample

(novisse te plenius credimus veritatem) au sujet de ce pour quoi ils tont eacuteteacute livreacutes nous

voulons et il nous plaicirct quayant Dieu seul devant les yeux tu veilles selon lexigence de la

justice agrave ne pas neacutegliger ce que tu sauras ecirctre adeacutequat en cette affaire raquo

Ces recommandations neacutetaient pas de pure forme la logique de linquisition ne la conduisait

pas vers leacutelucidation neacutecessaire agrave la cause des deacutemoniaques Linstitution demeurait

profondeacutement theacuteologienne et non juriste Le fondement proceacutedural de linquisition reposait

moins sur la poursuite doffice et lenquecircte que sur la troisiegraveme forme de poursuite (agrave cocircteacute de

la proceacutedure inquisitoire et de la proceacutedure accusatoire) deacutefinie par Innocent III au canon 8 du

concile de Latran la deacutenonciation eacutevangeacutelique issue de la correction fraternelle Or la

deacutenonciation orientait la poursuite vers la peacutenitence La confession rapidement obtenue par la

menace la terreur ou la torture conduisait agrave la demande dabsolution chegraverement neacutegocieacutee Il

importait agrave linquisiteur dobtenir au plus vite cette confession sans trop sattarder dans

lenquecircte sur la fama ou sur la veacuteriteacute neutraliseacutee par laveu Paradoxalement un accuseacute avait

de meilleures chances avec les proceacutedures sommaires chegraveres au pape quavec linquisition

parce que la veacuteriteacute pouvait contraindre le pape agrave la mansueacutetude tandis que la meacutecanique de la

culpabiliteacute ineacutevitable de tout peacutecheur entraicircnait tout inculpeacute dans la collectiviteacute peacutenale de

linquisition

Cest peut-ecirctre ces problegravemes de proceacutedure qui ont provoqueacute ce que Jean-Patrice Boudet

appelait plaisamment le laquo retard agrave lallumage raquo dans la poursuite des sorciers au XIVe siegravecle

tant que la papauteacute fut reacuteticente agrave deacuteleacuteguer son pouvoir denquecircte les limites mateacuterielles de la

justice pontificale empecircchegraverent la diffusion capillaire de limputation et de la reacutepression Et

preacuteciseacutement cest labandon forceacute de labsolutisme pontifical apregraves les conciles de Constance

et de Bacircle qui ouvrit les premiegraveres campagnes judiciaires et doctrinales contre les sorciers et

adorateurs du deacutemon dans les anneacutees 1430-1440 Mais le deacuteveloppement rapide de la

20

deacutemonologie avait eacuteteacute bien preacutepareacute par un pape qui tenait agrave consideacuterer lucidement les zones

obscures ougrave le deacutemon pouvait passer

Notes de bas de page

1 B Gui Manuel de linquisiteur eacuted par G Mollat Paris 1926-1927

2 P Paravy De la chreacutetienteacute romaine agrave la Reacuteforme en Dauphineacute Eacutevecircques fidegraveles et deacuteviants

(vers 1340-vers 1530) Rome 1993

3 LImaginaire du sabbat Eacutedition critique des textes les plus anciens (1430 ca-1440 ca)

reacuteunis par M Ostorero A Paravicini Bagliani K Utz Tremp en collaboration avec C Chegravene

Lausanne 1999

4 R KIECKHEFER European Witch Trials Their Foundations in Popular and Learned

Culture 1300-1500 Londres 1976 Carlo Ginzburg commence sa seacuterie explicative des

formes occidentales du sabbat en 1321 mais selon un modegravele totalement opposeacute au nocirctre

5 Bonn 1901

6 L THORNDIKE A History of Magic and Experimental Science vol III New York 1934

p 18 sq

7 Voir N Weill-Parot Les laquo Images astrologiques raquo au Moyen Acircge et agrave la Renaissance

Speacuteculations intellectuelles et pratiques magiques (XIIe-XV

e s) Paris 2002 p 377-385 et Id

laquo Les intellectuels lEacuteglise et la magie dans la premiegravere moitieacute du xive s raquo (meacutemoire de

maicirctrise Paris I 1990) Je tiens agrave remercier N Weill-Parot pour ses commentaires sur le

preacutesent article

8 laquo Quod cum morte fedus ineunt et pactum faciunt cum inferno Demonibus namque

immolant hos adorant raquo

9 Liber Sextus V II cap 8

10 Cause XXVI qu 5 cap 12 eacuted Friedberg col 1080

11 Voir A Boureau laquo De la feacutelonie agrave la haute trahison Un eacutepisode la trahison des clercs

(version du xiie s) raquo Le Genre Humain 16-17 1988 p 267-291

12 Venise 1595 XLIII 9 p 341-342

13 laquo Simpliciter et de plano ac sine strepitu et figura judicii appellatione remota raquo Lettre

publieacutee par J-M Vidal Bullaire de lInquisition franccedilaise Paris 1913 no 284 p 403-404

14 laquo Nonnulli etiam quandoque litterati in hoc se opponunt pretendentes id ad tuum non

expectare officium secundum canonicas sanctiones raquo

15 J-P Boudet laquo Les condamnations de la magie agrave Paris en 1398 raquo Revue Mabillon n s 12

(t 73) 2001 p 121-157

16 B Hamilton The Medieval Inquisition Londres 1981 p 94

17 Dans une lettre de 1336 adresseacutee agrave lofficial dAvignon Benoicirct XII successeur de

Jean XXII range agrave nouveau les sortilegraveges parmi les crimes qui touchent la foi (J-M Vidal

Bullaire op cit no 153 p 229-230) En 1405 Benoicirct XIII deacuteclare nuls les privilegraveges des

habitants du diocegravese du Puy qui preacutetendaient que linquisiteur de Carcassonne ne pouvait les

poursuivre pour maleacutefices (J-M Vidal Bullaire op cit no 332 p 473-474)

18 La premiegravere eacutedition a eacuteteacute procureacutee par Jean Chappuis en 1500 Pour la formation des deux

collections voir A M Stickler Historia Iuris Canonici Institutiones Academicae T I

Historia Fontium Rome 1950 p 270-271

19 Les seules mentions de la bulle se trouvent on la dit dans le manuel de Nicolas Eymerich

(1376) dans les Annales eccleacutesiastiques de Rinaldi et dans un bullaire romain du xviiie s

20 Voir A MAIER dans laquo Eine Verfuumlgung Johannis XXII uumlber die Zustaumlndigkeit der

Inquisition fuumlr Zauberprozesse raquo Archivium Fratrum Praedicatorum 32 1952 p 226-246

21 A Maier loc cit p 231

21

22 Publieacutee par R Manselli laquo Enrico del Carretto e la consultazione sulla magia di Giovanni

XXII raquo dans Miscellanea in onore di Monsignore Martino Giusti t II Vatican 1978 p 97-

129

23 Il est possible aussi que linterrogation doctrinale ait eacuteteacute anticipeacutee par Guido Terreni un

des dix experts de la consultation de 1320 dans son sixiegraveme quolibet laquo Est-ce que celui qui

baptise une chose sans acircme ou sans raison et non pas un homme est heacutereacutetique raquo ms BAV

Borghese 39 fo 238v

o-240v

o que je publie en annexe de la consultation Mais la date de ce

quolibet demeure incertaine

24 laquo Fecisti plantas pedum eiusdem mulieris iuxta carbones accensos apponi raquo texte publieacute

par J-M Vidal Bullaire op cit p 51-52

25 laquo Diu post confessionem debitum nature persoluitverum quia dubitatur ne propter

predicta tormenta citius decesserit quam alias decessisset mulier supradicta si tormentata

minime extitisset raquo

26 laquo Erronea et horrenda contra catholicam fidem fuit confessa et multos consocios et

complices reuelauitque omnia sic inuenta ut communiter creditur numquam reuelata

fuissent nisi mediantibus tormentis eiusdem predicta mulier reuelasset raquo

27 laquo De consilio proborum qui se asserebant uidisse penis examinati hereticos in partibus

Tholosanis raquo

28 J-M Vidal Bullaire op cit no 24 p 53-54

29 Ex certa sciencia sur cette clausule de labsolutisme pontifical voir A Boureau La Loi

du royaume Les moines le droit et la construction de la nation anglaise Paris 2001 avec

renvoi aux travaux de Jacques Krynen

30 Publieacutee par J-M Vidal Bullaire op cit p 61 Une meilleure eacutedition a eacuteteacute procureacutee par

A Maier loc cit p 226-227

31 J-M Vidal Bullaire op cit no 72 p 118-119

32 La commission fut reacuteiteacutereacutee le 8 novembre 1327 ibid no 78 bis p 129-130

33 Voir A Boureau laquo Saints et deacutemons dans les procegraves de canonisation du deacutebut du xive s raquo

agrave paraicirctre dans les actes du colloque de Budapest sur les procegraves de canonisation dir Gaacutebor

Klaniczay

34 B Gui Manuel de linquisiteur eacuted et trad par G Mollat op cit t I p 52

35 Publieacutees par J-M Vidal Bullaire op cit no 103 p 154-156

36 Henri de Chamayou

37 Pierre Brun

38 La qualification dheacutereacutesie de la part du pape agrave propos des invocations deacutemoniaques na

jamais cesseacute Voir par exemple une lettre de 1323 qui deacutesigne des commissaires pour juger

le moine Guillaume de Figeac accuseacute de laquo deacutevier de la foi catholique raquo en pratiquant

lalchimie et la neacutecromancie (J-M Vidal Bullaire op cit no 50 p 87-88)

39 F Graf La Magie dans lAntiquiteacute greacuteco-romaine Ideacuteologie et pratique Paris 1994

40 Voir le reacutecit par Pierre le Veacuteneacuterable vers 1137 dun usage magique de lhostie consacreacutee

par un paysan deacutesireux de retenir ses abeilles Livre des merveilles de Dieu (De miraculis)

introduction traduction et notes de J-P Torrell et D Bouthillier FribourgParis 1992 p 70-

72 Je remercie Charles de Miramon de mavoir signaleacute ce texte

41 Voir les travaux reacutealiseacutes autour de Richard Kieckhefer et Claire Faenger aux Eacutetats-Unis

autour de Jean-Patrice Boudet et Henri Bresc en France notamment

42 Dans sa biographie collective des deux premiegraveres geacuteneacuterations de dominicains eacutecrite au

deacutebut des anneacutees 1260 Geacuterard de Frachet ne rapporte quun seul cas de fregravere qui se voue agrave

lalchimie et il ne trouve agrave lui reprocher que son deacutesir de senrichir rapidement Son activiteacute

consiste alors essentiellement agrave se rendre en Sardaigne pour y collecter des mineacuteraux rares

Son funeste sort ultime ne sexplique que par cet abandon de Dieu au profit de la richesse

22

seacuteculiegravere (Vitae Fratrum Ordinis Praedicatorum eacuted par B-M Reichert Rome-Stuttgart

Monumenta Ordinis Fratrum Praedicatorum Historica 1897 p 290)

43 La Condamnation parisienne de 1277 eacuted et trad par D Picheacute avec la collaboration de

C Lafleur Paris 1999 p 77

44 A Paravicini Bagliani Il corpo del papa Turin 1994

45 Preacuteface agrave Le crisi dellalchimia Micrologus 3 1995 p VIII

46 Voir leacutedition du procegraves dans J Shatzmiller Justice et injustice au deacutebut du XIVe s

Lenquecircte sur larchevecircque dAix et sa renonciation en 1318 Rome 1999

47 Voir une lettre de feacutevrier 1330 dans Lettres secregravetes et curiales du pape Jean XXII (1316-

1334) relatives agrave la France eacuted par A Coulon et S Cleacutemencet fasc 8 Paris 1965 no 4100

p 104-105 [abreacutegeacute deacutesormais Coulon-Cleacutemencet] lettre agrave Jean de Badas inquisiteur

franciscain de Marseille sur un crime nefandum commis par Gantalmus Gantalmi notaire et

sa femme Berengegravere instigatione diabolica circumventi agrave lencontre de Guillaume de Baucio

sire de Berre

48 Texte publieacute par J HANSEN Quellen und Untersuchungen op cit no 3 p 2

49 Notons quen 1318 les rites de conseacutecration des miroirs et images paraissent speacutecifiques

alors quen 1320 dans les questions poseacutees par le pape aux experts les invocateurs de deacutemons

utilisent le rite catholique du baptecircme pour preacuteparer leurs images

50 A Paravicini Bagliani Il corpo del papa op cit

51 C H JOSTEN laquo The Text of John Dastins letter to Pope John XXII raquo Ambix 4 1951

p 46-51

52 E Albe Autour de Jean XXII Hugues Geacuteraud eacutevecircque de Cahors laffaire des poisons et

envoucirctements en 1317 Cahors 1904 p 163-164

53 Processus Bernardi Deliciosi The Trial of Fr Bernard Deacutelicieux 3 September-8

December 1319 eacutediteacute par A Friedlander Philadelphie 1996 p 62 Pour une eacutetude complegravete

du dossier voir A Friedlander The Hammer of the Inquisitors Brother Bernard Deacutelicieux

and the Struggle against the Inquisition in Fourteenth-Century France Leyde 2000

54 Coulon-Cleacutemencet no 2969 p 151

55 Coulon-Cleacutemencet no 2395 p 47

56 Sermon sur la vigile de lEacutepiphanie 5 janvier 1332 eacuted par M Dykmans Les Sermons de

Jean XXII sur la vision beacuteatifique Rome (Miscellanea Historiae Pontificiae 34) p 145

57 Les actes du procegraves ont eacuteteacute publieacutes par J-MVidal laquo Procegraves dinquisition contre Adheacutemar

de Mosset raquo Revue dHistoire de lEacuteglise de France 1 1910 Lanecdote se trouve agrave la p 713

58 Ces interrogations sur la laquo situation raquo spirituelle eacutetaient freacutequemment exprimeacutees Dans sa

correspondance avec les grands de ce monde le pape doit souvent reacutepondre agrave ce genre de

question en termes agrave vrai dire assez geacuteneacuteraux

59 Coulon-Cleacutemencet fasc 8 Paris 1965 no 4197 p 126 Lettre analogue en feacutevrier 1331

(no 4452 t 9 p 41)

60 On peut se demander si ce nest pas cette fideacuteliteacute litteacuterale au texte biblique qui a contribueacute agrave

pousser le pape agrave intervenir sur la question de la vision beacuteatifique question ougrave les partisans de

la vision directe de Dieu avant le jugement final ne trouvaient aucun appui scripturaire direct

61 On trouve une formulation parallegravele dans Quia quorumdam mentes (10 novembre 1324)

62 Voir A Boureau laquo Droit naturel et abstraction judiciaire Hypothegraveses sur la nature du droit

meacutedieacuteval raquo Annales HSS 57 6 2002 p 1463-1488

63 Voir A Boureau laquo La redeacutecouverte de lautonomie du corps leacutemergence du somnambule

(xiiie-xiv

e s) raquo Micrologus I 1993 p 27-42

64 Sur toutes ces questions je me permets de renvoyer au chap 8 de mon ouvrage Theacuteologie

science et censure au XIIIe s Le cas de Jean Peckham Paris 1999

23

65 Publieacute par J Rius Serra dans Sancti Raymundi de Penyafort opera omnia t III

Diplomatario (Documentos Vida antigua Cronicas Processos antiguos) Barcelone 1954

p 74-82

66 Cette typologie fut reprise par le pape Alexandre IV une dizaine danneacutees plus tard et

eacutediteacutee par Boniface VIII dans le Sexte (L 5 tit 2 cap 2 6 11 eacuted Friedberg II col 1069

1071 1073) Voir aussi le traiteacute Doctrina de modo procedendi erga hereticos (vers 1280)

dans Martegravene et Durand Thesaurus novus anecdotum t 5 Paris 1717 col 1797 et la

Practica de Bernard Gui (p 226-232)

67 Bien avant la creacuteation de lInquisition le troisiegraveme concile de Latran (1179) avait frappeacute

danathegraveme et priveacute de seacutepulture les defensores et receptatores dheacutereacutetiques (Deacutecreacutetales L 5

tit 7 cap 8 eacuted Friedberg II col 1780)

68 Ibid p 29-32

69 Texte eacutediteacute par J Coste Boniface VIII en procegraves Articles daccusation et deacutepositions de

teacutemoins (1303-1311) Eacutedition critique introduction et notes Rome 1995 p 153

70 Nogaret originaire de Saint-Feacutelix-de-Caraman haut-lieu cathare petit-fils dun ministre

heacutereacutetique avait certainement une bonne connaissance de la perseacutecution de lheacutereacutesie en deacutepit

de sa formation de civiliste

71 Directorium op cit seconde partie question 2

72 Processus op cit p 180

73 E PETERS Inquisition Berkeley 1988

74 R KIECKHEFER laquo The Office of Inquisition and Medieval heresy the Transition from a

Personal to an Institutional Juridiction raquo Journal of Ecclesiastical History 46 1995 p 36-

61

75 Ainsi le pape deacutecida de suspendre le droit dasile dans les eacuteglises au deacutetriment des

heacutereacutetiques mais pas speacutecifiquement des auteurs de sortilegraveges (Lettre au roi de France Philippe

VI en 1328 publieacutee par J-M Vidal Bullaire op cit no 79 p 130-131)

76 Eacuted FRIEDBERG t II col 1078

77 Ibid col 1200

78 Voir la lettre dure que lui adressa le pape Jean XXII le 6 octobre 1332 (J-M Vidal

Bullaire op cit no 124 p 184)

79 Coulon-Cleacutemencet no 4539 fasc 9 p 59-60

80 Lattention precircteacutee agrave Philippe le Bel et agrave Jean XXII ne doit pas faire oublier que ce type

daccusation politico-deacutemonologique est deacutepoque comme le montre dans un tout autre

contexte le procegraves intenteacute agrave Walter Langton eacutevecircque de Coventry en 1301-1303 avec

mention dadoration diabolique (voir A Beardwood laquo The Trial of Walter Langton bishop of

Lichfield 1307-1312 raquo Transactions of the American Philosophical Society NS 54 p III

Philadelphie 1964

81 Voir J Coste Boniface VIII en procegraves op cit

82 A Rigault Le Procegraves de Guichard eacutevecircque de Troyes 1308-1313 Paris 1896

83 J Favier Un conseiller de Philippe le Bel Enguerrand de Marigny Paris 1963 Il faut

mentionner peu apregraves le procegraves contre le cardinal Francesco Gaetani poursuivi par les cours

royales pour attentat contre le roi son fregravere et deux cardinaux agrave laide dimages magiques

(voir C Langlois laquo Laffaire du cardinal Francesco Gaetani (avril 1316) raquo Revue historique

63 1897 p 56-71)

84 E Albe Autour de Jean XXII op cit

85 R Michel laquo Le procegraves de Mateo et Galeazzo Visconti laccusation de sorcellerie et

dheacutereacutesie Dante et laffaire de lenvoucirctement (1320) raquo Meacutelanges darcheacuteologie et dhistoire

29 1909 p 269-327

86 F Bock laquo I processi di Giovanni XXII contro i Ghibellini delle Marche raquo Bolletino

dellIstituto storico italiano per il Medio Evo 57 1941 p 19-43

24

87 Voir J-M Vidal laquo Le sieur de Parthenay et lInquisition (1323-1325) raquo Bulletin

historique et philologique 1903 p 414-434

88 J-M Vidal Bullaire op cit no 20 p 44 et n

o 76 p 126-127

89 J-M Vidal Bullaire op cit nos

109 et 110 p 167-171

90 J-M Vidal Bullaire op cit no 90 p 144

Alain Boureau

EHESS CRH GAS 54 boulevard Raspail F-75006 Paris

Pour citer cet article

Alain Boureau laquoSatan heacutereacutetique lrsquoinstitution judiciaire de la deacutemonologie sous Jean XXIIraquo

Meacutedieacutevales 44 (2003) httpmedievalesrevuesorgdocument711html

Page 4: Satan hérétique : l’institution judiciaire de la ..._Droit_Canonique/Curiosite/Satan heretique.pdf · e siècle, mais la mutation considérable de procédure qui a assimilé les

4

revenir sur la question du retard dans lapplication effective de la bulle et mecircme dans les

perceptions communes des deacutemons17

La troisiegraveme objection quant agrave lauthenticiteacute du texte ne peut ecirctre contourneacutee Certes cest agrave

tort quon a eacutevoqueacute son absence dans les deux collections canoniques qui ont acheveacute la

composition du Corpus Iuris Canonici en y incluant de nombreuses deacutecreacutetales de Jean XXII

les Extravagantes Johannis XXII et les Extravagantes communes en effet la premiegravere

collection de vingt bulles du pape fut composeacutee en 1325 par Jesselin de Cassagnes qui neut

jamais le temps dy revenir avant sa mort La seconde ne fut assembleacutee que fort tardivement

au deacutebut du XVIe siegravecle18 en un temps ougrave le message de Jean XXII sur ce point eacutetait devenu

fort banal Mais il est plus surprenant de ne pas trouver de trace de la bulle dans les Registres

pontificaux19 cependant linachegravevement du grand chantier de publication des lettres de

Jean XXII entrepris il y a plus dun siegravecle ne permet pas de transformer cet eacutetonnement en

doute Enfin le statut mecircme de ce texte est eacutetrange puisquil sadresse agrave tous les chreacutetiens

sans distinction en incitant les coupables agrave livrer leurs livres de magie sous huit jours Or

Jean XXII preacutefeacutera souvent les commissions discregravetes et preacutecises confieacutees agrave des hommes de

confiance

Le doute peut donc demeurer mais la bulle Super illius specula cet arbre malingre et peut-

ecirctre inexistant a masqueacute une forecirct bien reacuteelle et empecirccheacute de repeacuterer la grande nouveauteacute de la

deacutemonologie de Jean XXII Cest dans cette forecirct que nous allons circuler en nous limitant

dabord aux aspects proceacuteduraux qui qualifient la magie deacutemoniaque comme crime heacutereacutetique

et qui montrent bien la continuiteacute et limportance de lenquecircte sur les adorateurs des deacutemons

Un effort continu

En premier lieu on trouve une demande dexpertise formuleacutee par Jean XXII au deacutebut de 1320

sur la qualification des pratiques magiques et des invocations des deacutemons comme heacutereacutesie Le

texte des questions du pape et dix reacuteponses ont eacuteteacute conserveacutees dans le manuscrit Borghese 428

de la Bibliothegraveque Vaticane redeacutecouvert par Annelise Maier20 dont je preacutepare leacutedition

complegravete Certes les trois premiegraveres questions sur lesquelles nous reviendrons traitent de

sortilegraveges divers qui ne relegravevent pas explicitement de la deacutemonologie mais la quatriegraveme

question est claire

Est-ce que ceux qui sacrifient aux deacutemons en ayant lintention de leur faire sacrifice afin

quattireacutes par ce sacrifice les deacutemons obligent quelque personne agrave faire ce que le sacrificateur

deacutesirait ou est-ce que ceux qui invoquent le deacutemon doivent ecirctre consideacutereacutes comme des

heacutereacutetiques ou bien seulement comme des auteurs de sortilegraveges21

Cette consultation malgreacute la reacuteticence de la majoriteacute des theacuteologiens consulteacutes produisit des

reacutesultats remarquables en accreacuteditant la thegravese neuve du laquo fait heacutereacutetique raquo lun des experts

Enrico del Carretto esquissa mecircme la description dun sacrement satanique efficace

description deacuteriveacutee de la theacuteorie contractuelle du sacrement mise au point dans la seconde

moitieacute du XIIIe siegravecle22

Il est possible que la pratique de certains juges eccleacutesiastiques ait preacuteceacutedeacute lexplicitation

doctrinale de la question23 Cest ce qui pourrait apparaicirctre dans une lettre adresseacutee le 28

juillet 1319 par Jean XXII au chanoine Seacuteguin de Beleacutegney juge eccleacutesiastique de Fontius

dAuch eacutevecircque de Poitiers Seacuteguin seacutetait ouvert au pape dun scrupule qui lavait assailli une

accuseacutee eacutetait morte apregraves avoir subi la torture sur ordre du juge Laccuseacutee avait eu la plante

5

des pieds brucircleacutee aux charbons ardents24 Le chanoine se demandait donc sil nencourait pas

llaquo irreacutegulariteacute raquo cest-agrave-dire lincapaciteacute agrave demeurer dans lordre sacerdotal en ce cas pour

avoir verseacute le sang Le pape rassura Seacuteguin en soulignant que la victime eacutetait morte quelque

temps apregraves la torture et que laquo lon pouvait douter quen raison des tourments elle soit morte

plus rapidement que si elle eacutetait morte sans avoir eacuteteacute tortureacutee raquo25

La victime du juge avait eacuteteacute deacutenonceacutee (diffamata) publiquement pour crimes de sortilegraveges et

perversion heacutereacutetique (super criminibus sortilegii et heretice pravitatis) On peut penser sans

certitude toutefois que cest le juge qui avait associeacute le sortilegravege nommeacute en premier agrave

lheacutereacutesie Le recours agrave la torture semble avoir eacuteteacute dicteacute par le deacutesir de deacutecouvrir des reacuteseaux de

compliciteacute reacutesultat effectivement acquis et loueacute par le pape laquo tout ce qui a eacuteteacute ainsi trouveacute

selon toute vraisemblance naurait pas eacuteteacute reacuteveacuteleacute si cette femme ne lavait reacuteveacuteleacute par le biais

des tourments raquo26 On note ici une raison pratique de lassimilation du sortilegravege agrave lheacutereacutesie

lusage de la torture dans un tribunal eccleacutesiastique avait eacuteteacute introduit en 1252 (Ad abolendam)

par le pape Innocent IV au seul beacuteneacutefice des inquisiteurs et non des juges eacutepiscopaux Ce

nest quen 1308 au moment ougrave il creacuteait des commissions eacutepiscopales pour juger les

Templiers que Cleacutement V avait eacutetendu lusage de la torture aux officialiteacutes mais il sagissait

toujours exclusivement dimputations dheacutereacutesie Seacuteguin ne devait pas en ecirctre fort sucircr car il

preacutetend ne secirctre reacutesolu agrave lusage de la torture quapregraves avoir pris conseil aupregraves de laquo personnes

tregraves honnecirctes qui assuraient quils avaient vu dans la reacutegion toulousaine les heacutereacutetiques ecirctre

examineacutes par les peines raquo27

Une autre affaire connue par une lettre de juillet 1319 adresseacutee par le pape agrave Jacques

Fournier eacutevecircque de Pamiers assimile linvocation des deacutemons agrave lheacutereacutesie Le pontife

demandait agrave leacutevecircque de poursuivre trois personnages un clerc un carme et une femme quil

accusait de laquo fabrication dimages dincantations et consultations de deacutemons denvoucirctements

(fascinationibus) de maleacutefices raquo28 Or Jean XXII parle plus loin de leurs laquo erreurs raquo et dans

son paragraphe dexhortation eacutemet le souhait que laquo la foi catholique troubleacutee par les erreurs

susdites retrouve sa clarteacute raquo

Quelques semaines avant la consultation des experts le 22 aoucirct 1320 une lettre fut envoyeacutee

au nom du pape Jean XXII par le cardinal Guillaume de Peyre Godin aux inquisiteurs de

Carcassonne et de Toulouse Jean de Beaune et Bernard Gui Cette fois et encore plus

nettement que dans la bulle Super illius specula la demande daction judiciaire se concentre

sur les invocations aux deacutemons et sur les pactes alors conclus

Fregravere Guillaume eacutevecircque de Sabine par leffet de la miseacutericorde divine envoie ses salutations agrave

lhomme de religioninquisiteur du crime heacutereacutetique dans la reacutegion de Carcassonne Notre tregraves

saint pegravere et maicirctre le seigneur Jean XXII pape par leffet de la providence divine souhaite

avec ferveur chasser du centre de la maison de Dieu les auteurs de maleacutefices qui tuent le

troupeau du Seigneur il ordonne et vous confie la tacircche de faire enquecircte et de proceacuteder tout

en conservant pourtant les modes de proceacutedure qui vous ont eacuteteacute fixeacutes agrave vous et aux preacutelats en

matiegravere dheacutereacutesie par les canons agrave lencontre de ceux qui immolent aux deacutemons ou les adorent

ou leur font hommage laquo Il faut aussi proceacuteder raquo contre ceux qui font des pactes explicites

dobligation avec ces deacutemons ou qui fabriquent ou font fabriquer une image quelconque ou

quoi que ce soit dautre pour se lier au deacutemon ou pour perpeacutetrer quelque maleacutefice par

linvocation des deacutemons contre ceux qui en abusant du sacrement de baptecircme baptisent ou

font baptiser une image de cire ou dautre matiegravere ou qui par dautres moyens et avec

invocation des deacutemons fabriquent ou font fabriquer ces images de quelque faccedilon contre ceux

qui en connaissance de cause reacuteitegraverent le baptecircme lordre ou la confirmation contre ceux qui

6

utilisent le sacrement deucharistie ou lhostie consacreacutee et dautres sacrements de lEacuteglise ou

quelque partie de ces sacrements quant agrave la forme ou agrave la matiegravere pour en abuser pour leurs

sortilegraveges ou maleacutefices Et en effet notre maicirctre mentionneacute plus haut de science certaine29

eacutelargit et eacutetend agrave tous les cas citeacutes sans exception le pouvoir donneacute de droit aux inquisiteurs

quant agrave lexercice de leur fonction contre les heacutereacutetiques ainsi que leurs privilegraveges et ce

jusquagrave ce quil juge devoir reacutevoquer cette extension Nous vous signifions tout cela par nos

preacutesentes lettres patentes par le mandat speacutecial que nous a confieacute le seigneur pape par loracle

mecircme de sa voix vive Fait agrave Avignon le 22 aoucirct 1320 en cette quatriegraveme anneacutee du regravegne du

seigneur pape30

On peut se demander pourquoi Jean XXII ne signa pas lui-mecircme cette lettre il est possible

que devant la reacuteticence des experts de la commission de 1320 le pape ait preacutefeacutereacute une voie

plus lateacuterale pour faire connaicirctre ses souhaits Pourquoi Guillaume de Peyre Godin fut-il

choisi comme porte-parole du pape aupregraves des inquisiteurs Guillaume neacute agrave Bayonne vers

1260 eacutetait entreacute fort tocirct vers 1279 chez les dominicains de Beacuteziers avant de circuler comme

eacutetudiant dans divers couvents et studia du Sud-Ouest (Orthez Bordeaux Condom) de faire

ses eacutetudes de theacuteologie agrave Montpellier puis de parcourir agrave nouveau les couvents (Bayonne

Condom Montpellier) comme lecteur Il ne passa que briegravevement agrave Paris en 1292 Sa

veacuteritable carriegravere universitaire apregraves une peacuteriode denseignement agrave Toulouse (1296)

commenccedila en 1306 quand il fut nommeacute lecteur du Sacreacute Palais aupregraves de Cleacutement V qui le fit

cardinal-precirctre de Sainte-Ceacutecile en deacutecembre 1312 dans le mecircme mouvement de nomination

cardinalice que Jacques Duegraveze le futur pape Jean XXII Guillaume jouissait dune expeacuterience

et dune reacuteputation assez larges puisquil eacutetait agrave la fois un theacuteologien reconnu (son

commentaire sur les Sentences de Pierre Lombard reacutedigeacute vers 1300 fut reconnu comme

Lectura Thomasiana) un membre actif de lordre dominicain (preacutedicateur geacuteneacuteral de

Narbonne en 1289 deacutefiniteur agrave Cahors en 1298 prieur provincial de Provence en 1301) et un

curialiste (chargeacute en 1309 par Cleacutement V de soccuper du procegraves posthume de Boniface VIII)

Jean XXII appreacutecia ses meacuterites puisquil le promut cardinal-eacutevecircque de Sabine en 1317 puis le

deacutesigna comme leacutegat pontifical en Espagne de 1320 agrave 1324 De cette carriegravere il ressort

clairement que Guillaume de Peyre Godin navait aucune formation juridique et repreacutesentait la

meilleure orthodoxie thomiste le deacutetail importe car la tacircche des inquisiteurs relevait

davantage de la theacuteologie que du droit Guillaume navait pas eacuteteacute consulteacute en 1320 sur la

question de la qualification heacutereacutetique des invocateurs du deacutemon peut-ecirctre parce quil eacutetait

deacutejagrave parti en Espagne mais il reccedilut en 1326 une nouvelle commission pontificale aux cocircteacutes

des cardinaux Pierre dArablay et Bertrand de Montfavet en vue de proceacuteder aux procegraves de

plusieurs clercs et laiumlcs des diocegraveses de Toulouse et Cahors accuseacutes davoir fabriqueacute des

images en plomb ou en pierre destineacutees agrave linvocation des deacutemons31 Les accuseacutes avaient

dabord eacuteteacute convoqueacutes devant la justice eacutepiscopale de Toulouse avant decirctre deacutefeacutereacutes au roi de

France probablement parce que leurs images avaient eacuteteacute fabriqueacutees sur le modegravele de la

monnaie royale (sub figura seu typario regio)32 En 1328 Guillaume fut chargeacute de compiler

lenquecircte locale en vue du procegraves de canonisation de Nicolas de Tolentino or cette affaire

comportait de larges aspects deacutemonologiques33

Agrave cette petite seacuterie on peut ajouter une notation du dominicain Bernard Gui qui fort de son

expeacuterience dinquisiteur reacutedigea son Manuel de linquisiteur sans doute apregraves 1324 pour lui

linvocation des deacutemons relevait de lheacutereacutesie si elle eacutetait faite laquo en mecircme temps quun sacrifice

ou que limmolation dune certaine chose en faisant offrande agrave ces mecircmes deacutemons par le

moyen du sacrifice ou de limmolation raquo34

7

Dix ans plus tard le 4 novembre 1330 Jean XXII envoya deux lettres35 lune adresseacutee agrave

larchevecircque de Narbonne agrave ses suffragants et agrave linquisiteur de Carcassonne36 lautre agrave

larchevecircque de Toulouse agrave ses suffragants et agrave linquisiteur de cette ville37 cette lettre

contenait une copie de celle envoyeacutee en 1320 par Guillaume de Peyre Godin aux inquisiteurs

de Carcassonne et Toulouse puis ordonnait aux destinataires de poursuivre cette œuvre plus

que jamais neacutecessaire38 Cependant cette lettre introduisait un correctif important les

eacutevecircques devaient se mettre agrave lœuvre les inquisiteurs seuls ou en collaboration avec les

eacutevecircques devaient achever les actions entreprises mais ces derniers ne devaient pas entamer de

nouvelles proceacutedures sans commission pontificale Ce correctif nenlevait rien agrave la

qualification dheacutereacutesie appliqueacutee aux invocations deacutemoniaques et autres formes de magie

puisque laction inquisitoriale neacutetait pas suspendue ni simplement transfeacutereacutee aux eacutevecircques

mais il traduisait une certaine meacutefiance agrave leacutegard des inquisiteurs sur laquelle il faudra

revenir

Un mal ordinaire

On peut se demander quel peacuteril urgent se repreacutesentait le pape pour agir avec tant dobstination

Les pratiques magiques populaires ou savantes que visaient les articles de la consultation de

1320 sont universelles et de tous les temps Lenvoucirctement criminel ou amoureux par le biais

dimages de cire ou de terre est bien attesteacute dans lantiquiteacute greacuteco-romaine (notamment sous le

nom de defixiones)39 Quant au deacutetournement magiques des objets sacramentaux chreacutetiens il

eacutetait largement attesteacute depuis fort longtemps40 Sous leffet de la christianisation des mœurs

les vieilles traditions de magie naturelle et beacuteneacutefique se lestaient des rites liturgiques

chreacutetiens sans mutation reacuteelle

Deux facteurs expliquent sans doute lanxieacuteteacute du pape En premier lieu la magie savante

importeacutee de lOrient ou de lEspagne en mecircme temps que la science naturaliste avait connu un

large deacuteveloppement dans les milieux savants depuis le deacutebut du XIIIe siegravecle comme latteste

lœuvre de Guillaume dAuvergne Des recherches reacutecentes ont montreacute lampleur et la

complexiteacute de cette culture41 Les savoirs alchimique et astrologique doteacutes dun grand

prestige scientifique pouvaient se combiner agrave cette laquo neacutegromancie raquo ou agrave ces arts de la magie

Lambivalence des attitudes de lEacuteglise vis-agrave-vis de lalchimie commenccedila agrave se deacutefaire agrave la fin

du XIIIe siegravecle42 preacuteciseacutement au moment ougrave les conquecirctes de la science naturelle apparurent

comme dangereuses pour la foi tandis que lastrologie conservait encore quelque leacutegitimiteacute

malgreacute les soupccedilons On le sait la fameuse condamnation prononceacutee en 1277 par leacutevecircque

Eacutetienne Tempier qui portait sur 219 propositions supposeacutees ecirctre tenues par des membres de

la Faculteacute des Arts eacutetait preacuteceacutedeacutee dun prologue qui condamnait laquo les livres rouleaux ou

cahiers traitant de neacutecromancie ou contenant des expeacuteriences de sortilegraveges des invocations

des deacutemons ou des conjurations au peacuteril des acircmes raquo43 Lalchimie proteacutegeacutee par les papes en

quecircte de leacutelixir de longue vie jusque dans les anneacutees 127044 commenccedilait elle aussi agrave

devenir suspecte comme le notait Agostino Paravicini Bagliani le cardinal Francesco Orsini

dans son testament de 1304 ordonna de brucircler tous ses livres dalchimie45 Lastrologie

malgreacute son allure plus acadeacutemique subissait les mecircmes soupccedilons Le destin tragique de

Cecco dAscoli qui fut un professeur dastrologie respecteacute agrave Bologne agrave partir de 1322 avant

decirctre brucircleacute pour heacutereacutesie agrave Florence en 1327 en compagnie de ses livres dastrologie

manifeste peut-ecirctre malgreacute son caractegravere singulier cette ambivalence des attitudes

lastrologie en fait malgreacute son statut de plus en plus suspect vit son prestige saccroicirctre au

cours du XIVe siegravecle

8

Laffaire Robert de Mauvoisin suivie de tregraves pregraves par Jean XXII confirme cette ambivalence

Robert de Mauvoisin archevecircque dAix fut jugeacute en 1318 par une commission pontificale et

dut renoncer agrave son siegravege46 Le statut de cette poursuite est incertain comme cest souvent le

cas dans ces commissions nommeacutees directement par le pape laction fut en fait

disciplinaire mais elle aurait pu ecirctre criminelle selon laccentuation de tel ou tel deacutelit qui

pouvait aussi bien relever de lexcegraves condamnable chez un preacutelat que du crime Il est fort

possible que cette qualification ait deacutependu dune neacutegociation le pape voulait reacutecupeacuterer le

siegravege et Robert cherchait agrave se tirer de ce mauvais pas Mais quoi quil en soit le premier des

quinze articles daccusation le plus deacuteveloppeacute joua un rocircle certain dans la relative cleacutemence

de la commission cet article rapportait que Robert depuis les temps de ses eacutetudes agrave Bologne

dans les anneacutees 1300 jusquau temps de sa preacutelature avait eu recours laquo aux sortilegraveges agrave lart

de la magie (arti mathematice) et aux divinations raquo Larticle preacutecisait que ces pratiques

eacutetaient laquo condamneacutees et interdites par le droit raquo Dans son interrogatoire Robert prit soin de

qualifier constamment ses diffeacuterents conseillers dlaquo astrologues raquo et de relater preacuteciseacutement les

modes et les buts de ses consultations Tout en affirmant quil ne croyait pas en ces arts

Robert confirmeacute par un teacutemoin maintint quil pensait de bonne foi que ces pratiques

astrologiques eacutetaient licites

Or il semble bien que la meacutefiance nouvelle envers lastrologie et lalchimie plus ou moins

assumeacutee par les savants et les hauts dignitaires de lEacuteglise se soit accompagneacutee selon une

causaliteacute difficile agrave deacuteterminer dune diffusion de la culture neacutecromantique et alchimique

dans les couches plus basses de lEacuteglise Le second astrologue que Robert de Mauvoisin

consulta pour eacutevaluer son thegraveme astral eacutetait un copiste (grossator) de la curie pontificale

Nous avons eacutevoqueacute plus haut la poursuite de clercs et laiumlcs accuseacutes de fabrication dimages

sous leffigie royale Leur propre confession mentionnait explicitement lusage de lalchimie

il y est question de la recherche de la laquo veacuteriteacute de lalchimie raquo (veritatem alquimie)

Agrave cette inquieacutetude geacuteneacuterale et ambivalente sajoutait le souci propre de Jean XXII qui paraicirct

avoir consideacutereacute que les deacutemons se mecirclaient directement agrave ces arts suspects et exerccedilaient un

rocircle redoutable dans la vie et la mort des humains

Les convictions deacutemonologiques de Jean XXII

Linsistance de Jean XXII sur les dangers des invocations deacutemoniaques correspond dans la

pratique judiciaire quil a deacuteveloppeacutee agrave de nombreuses accusations47 lanceacutees agrave titre principal

ou contre des accuseacutes inculpeacutes dabord pour dautres raisons comme leacutevecircque de Cahors

Hugues Geacuteraud larchevecircque dAix Robert de Mauvoisin ou contre le franciscain Bernard

Deacutelicieux accuseacute dentraver gravement le travail des inquisiteurs Le parcours rapide de

certains de ces dossiers nous aidera agrave saisir les preacuteoccupations personnelles du pape en

matiegravere de magie et dinvocations deacutemoniaques

Le 27 feacutevrier 1318 Jean XXII sadressa agrave Bartheacutelemy eacutevecircque de Freacutejus agrave Pierre Tissier

prieur de Saint-Antonin pregraves de Rodez et au preacutevocirct de Clermont-Ferrand pour leur

demander dentreprendre une action selon la proceacutedure sommaire et sans possibiliteacute dappel agrave

lencontre de plusieurs clercs qui sadonnaient agrave laquo la nigromancie la geacuteomancie et autres arts

magiques raquo48 Ces arts de la magie sont eacutetroitement relieacutes agrave linvocation des deacutemons ils sont

laquo des arts de deacutemons deacuteriveacutes dune pestifegravere association des hommes et des mauvais anges raquo

Les magiciens laquo usent freacutequemment de miroirs et dimages consacreacutees selon leur exeacutecrable

rite et se placcedilant en cercle invoquent de faccedilon reacutepeacuteteacutee les deacutemons quils enferment dans les

9

miroirs les cercles ou les anneaux raquo Par ces invocations les accuseacutes tentent de nuire ou de

preacutedire le futur49

Or un autre aspect de leur activiteacute releveacute dans la suite de la lettre concerne un souci

pontifical laquo ils ne craignent pas daffirmer quagrave laide de boissons ou de nourritures mais

aussi par la profeacuteration dune seule parole il est possible dabreacuteger ou de prolonger la vie des

hommes raquo On pense bien sucircr aux diffeacuterentes recherches et pratiques patronneacutees par les

papes du XIIIe siegravecle en vue dobtenir le prolongement de leur vie que les recherches

dAgostino Paravicini Bagliani ont repeacutereacutees50 Le grand alchimiste anglais John Dastin qui

avait eacutecrit des ouvrages dalchimie pour le cardinal Napoleacuteon Orsini ennemi et familier du

pape envoya agrave Jean XXII une lettre sur lor potable susceptible de prolonger la vie51

Comme lavait montreacute le procegraves de Boniface VIII la frontiegravere eacutetait incertaine entre les arts

magiques et lalchimie entre le juste deacutesir de prolonger la vie des papes et la sournoise

volonteacute de labreacuteger Loctogeacutenaire pontife eacutelu comme pape de transition savait sa vie fragile

et sa succession souhaiteacutee La premiegravere grande affaire judiciaire du pontificat quelques mois

apregraves lavegravenement de Jean XXII mit en cause leacutevecircque de Cahors Hugues Geacuteraud accuseacute

davoir voulu attenter agrave la vie du pape et des cardinaux par le poison mais aussi par la

confection dimages de cire qui avaient reccedilu le nom des victimes et qui furent perceacutees de

coups daiguilles selon leacutevocation assez preacutecise quen donne le pape dans sa lettre de

commission de laffaire le 22 avril 131752 On comprend degraves lors lobsession de Jean XXII

quant aux manipulations surnaturelles de la nature dautant que reacutecemment certains

alchimistes ou meacutedecins dont Arnaud de Villeneuve avaient noueacute des relations fortes avec

les Spirituels franciscains ou avec les clans Orsini et Colonna de la curie

Le procegraves intenteacute au franciscain Bernard Deacutelicieux en 1319 illustre bien cette conjonction

Bernard Deacutelicieux eacutetait poursuivi essentiellement pour ses attaques contre linquisition et ses

tentatives en vue du soulegravevement des citeacutes meacuteridionales contre le pouvoir des inquisiteurs

Laffaire eacutetait deacutejagrave ancienne mais le franciscain avait reacutecemment aggraveacute son cas en prenant

la deacutefense des franciscains spirituels convoqueacutes agrave Avignon en 1317 Or les articles 24 agrave 31 de

son acte daccusation portaient sur ses tentatives de meurtre sur la personne de Benoicirct XI par

le biais des incantations et des actes de magie53 Dans cette liste de griefs pas plus que dans

les accusations contre Robert de Mauvoisin les pratiques magiques de Bernard Deacutelicieux ne

sont rapporteacutees agrave une invocation des deacutemons comme si la magie naturelle neacutetait incrimineacutee

que pour ses fins mauvaises Tout se passe comme si Jean XXII heacuteritier de la fascination de

ses preacutedeacutecesseurs envers la puissance des sciences occultes heacutesitait encore agrave lier la magie agrave

laction deacutemoniaque ce qui expliquerait lurgence et limportance de la consultation de 1320

Quelques anneacutees plus tard ces incertitudes neacutetaient plus de mise Ainsi le 23 aoucirct 132654 le

pape envoya une lettre au cardinal Bertrand de Montfavet lincitant agrave poursuivre une enquecircte

sur Bertrand dAudiran chanoine dAgen qui se livrait agrave pluribus et diversis dampnatis

scientiis et artibus laquo non sans une transgression de la foi catholique du droit canonique et du

droit civil raquo Le suspect usait de livres deacutecritures de vases de verre de terre et de bois en

lesquels il composait des poudres et liqueurs feacutetides laquo Et surtout ce Bertrand en usant et

abusant de ces sciences et arts sefforccedilait de tenter les deacutemons et dinvoquer les esprits malins

et dappliquer agrave cette fin les conjurations et autres choses illicites et condamneacutees raquo Or cette

pratique eacutetait efficace laquo il sensuivait de terrifiants coups de tonnerre eacutebranlements foudres

tempecirctes deacuteluges coups porteacutes par les deacutemons agressions et morts dhommes et autres

innombrables dommages raquo

10

Bertrand disposait de complices dont deux sont nommeacutes dans la lettre Ils avaient eacuteteacute pris sur

le fait quand ils emportaient sur des fourches patibulaires deux tecirctes et un bras de pendus Le

laiumlc avait avoueacute et avait eacuteteacute livreacute aux flammes le clerc fut emprisonneacute dans les cachots de

leacutevecircque dAgen Leacutevecircque avait fait conduire Bertrand vers les prisons pontificales dAvignon

Lenquecircte avait eacuteteacute confieacutee agrave Bertrand de Montfavet et au cardinal Pierre Tissier mort depuis

(en 1323) La lenteur dune proceacutedure qui eacutetait entiegraverement entre les mains du pontife montre

bien que Jean XXII cherchait agrave savoir avant de reacuteprimer

Une autre lettre manifeste bien linquieacutetude de Jean XXII devant les mystegraveres surnaturels et

notamment devant la possibiliteacute de transport extraordinaire qui annonce peut-ecirctre un des

aspects les plus spectaculaires du sabbat le vol des deacutemoniaques dans les airs Le 3 mars

1325 Jean XXII sadressa agrave leacutevecircque de Paris le cureacute de la paroisse des Saints Innocents un

soir a disparu de sa chambre fermeacutee au verrou de linteacuterieur Le pape demande une enquecircte

summarie simpliciter ac sine strepitu et figura judicii afin de savoir laquo ougrave ledit recteur est

alleacute ou a eacuteteacute emporteacute ou transporteacute raquo (dictus rector iverit vel asportatus aut translatus

fuerit)55 Le ton presseacute et angoisseacute de la lettre leacutevocation de la possibiliteacute dun transport

surnaturel sans eacutevoquer vraiment le sabbat manifestent en cette mince affaire une reacuteelle

inquieacutetude

Lors de la fameuse controverse sur la vision beacuteatifique que le pape lanccedila en 1331 un des

arguments produits par le pape pour prouver le caractegravere partiel et limiteacute du jugement

individuel consiste agrave insister sur lactiviteacute libre des deacutemons avant le Jugement dernier En

1332 dans un sermon le pape dit laquo En effet les damneacutes cest-agrave-dire les deacutemons ne

pourraient nous tenter sils eacutetaient reclus en enfer Cest pourquoi il ne faut pas dire quils

reacutesident en enfer mais bien dans la totaliteacute de la zone dair obscur dougrave leur est ouverte la

voie pour nous tenter raquo56

Portrait de Jean XXII en suppocirct du deacutemon

Si Jean XXII fut aussi acharneacute agrave poursuivre les deacutemons et leurs adorateurs cest sans doute

aussi parce quil fut lui-mecircme parfois preacutesenteacute comme une creacuteature de lAnteacutechrist ou du

diable notamment dans les divers milieux influenceacutes par les franciscains spirituels (beacuteguins

fraticelli) Cette qualification relevait en partie de linjure en partie de la conviction En effet

dun cocircteacute les franciscains spirituels adeptes de la plus haute pauvreteacute qui avaient joui dune

relative tranquilliteacute sous le pontificat de Cleacutement V subirent la reacutepression violente de

Jean XXII degraves le deacutebut de son pontificat quatre franciscains spirituels furent brucircleacutes agrave

Marseille en 1318 une seacuterie de bulles de 1317 agrave 1328 condamnegraverent certains groupes puis

la doctrine mecircme de la pauvreteacute absolue et de son fondement christique On en arriva au

schisme de 1328 quand Michel de Ceacutesegravene et quelques fregraveres senfuirent dAvignon pour

rejoindre la cour de lempereur Louis de Baviegravere qui creacutea le bref pontificat schismatique de

Nicolas V Dans la masse des eacutecrits de combat des franciscains le pape prit souvent une

figure satanique

Mais il y avait plus Dans les eacutecrits de Pierre de Jean Olivi qui fut linspirateur principal de

ces mouvements se manifestait la conviction que le temps preacutesent eacutetait celui du passage agrave la

sixiegraveme peacuteriode de lhistoire de lEacuteglise lui-mecircme annonciateur du troisiegraveme et dernier acircge de

lhumaniteacute En lisant lApocalypse Olivi avait deacutecouvert que lAnteacutechrist dont la deacutefaite

ultime devait ouvrir une longue peacuteriode de paix avant la fin des temps se deacutedoublait en un

Anteacutechrist laquo mystique raquo (cest-agrave-dire cacheacute) et le grand Anteacutechrist manifeste Cet Anteacutechrist

mystique devait probablement ecirctre un pseudo-pape Si Olivi mort en 1298 navait pas pousseacute

11

plus loin lidentification ses disciples confirmeacutes par les perseacutecutions proceacutedegraverent agrave cette

assimilation du pape agrave lAnteacutechrist mystique

Sur ce point un teacutemoignage curieux livre un veacuteritable reacutecit fondateur et mythique sur les

origines de la haine de Jean XXII contre les spirituels franciscains En 1333 le chevalier

roussillonnais Adheacutemar de Mosset fut poursuivi pour ses sympathies beacuteguines agrave linitiative

du roi Jacques II de Majorque57 Le roi dans son troisiegraveme article daccusation rapporte un

souvenir personnel Un jour quil voyageait en compagnie dAdheacutemar la conversation vint sur

le pape Jean XXII et sur les perseacutecutions contre les spirituels que le chevalier reprochait fort

au pontife Adheacutemar demanda au roi sil savait pourquoi le pape qui au deacutebut de son

pontificat avait eacuteteacute une homme saint et bon en eacutetait arriveacute lagrave Jacques ne le savait pas mais le

chevalier le lui apprit Jean XXII aimait alors beaucoup Angelo Clareno lun des principaux

dirigeants des spirituels Un jour il lui demanda dinterroger Dieu pour savoir si son eacutetat

(status) Lui plaisait ou non58 Angelo se mit en priegraveres et laquo vit alors une grande foule de

diables qui portaient un calice plein du poison diniquiteacute il leur demanda ougrave ils allaient et ce

quils allaient faire de ce calice Ils lui reacutepondirent quils allaient aupregraves du pape pour faire

leur possible afin quil boive le calice diniquiteacute raquo Angelo leur demanda de passer le voir sur

le retour ce quils firent Ils lui apprirent alors que le pape avait bu et ils conseillegraverent agrave

Angelo de se garder deacutesormais de lui Au sortir de cette vision le pape demanda agrave Angelo le

reacutesultat de sa consultation le franciscain refusa de parler mais reccedilut lordre au nom du

principe dobeacuteissance de livrer ses informations ce quil fit laquo Et depuis ce temps lagrave le

seigneur pape lui voulut du mal agrave lui et aux autres Beacuteguins raquo Adheacutemar de Mosset qui avait

eacuteteacute au service de Philippe de Majorque reacutegent du royaume sous la minoriteacute de Jacques II et

partisan actif des Beacuteguins eacutetait probablement un sympathisant des dissidents sans ecirctre

directement engageacute dans leur combat et sans avoir de formation theacuteologique ni exeacutegeacutetique il

est probable quil transmettait une anecdote largement reacutepandue Si lon perccediloit mieux le

deacuteveloppement dun engagement personnel du pape il reste agrave comprendre les modaliteacutes de sa

lutte

Le positivisme de Jean XXII

Pourquoi qualifier dheacutereacutesie la magie ou linvocation des deacutemons Parce que les adorateurs

des deacutemons produisent de nouveaux faits susceptibles dengendrer de nouvelles adheacutesions Il

faut insister sur cette notion de factum hereticale brandie dans les questions poseacutees aux

theacuteologiens en 1320 qui rompt avec lideacutee commune de lheacutereacutesie comme opinion ou comme

intellectus Il ne sagit pas seulement dune extension qui trouverait dans les pratiques

sacrilegraveges un fondement doctrinal Jean XXII navait nul besoin de cette qualification pour

reacuteprimer seacutevegraverement les actes magiques et deacutemonolacirctriques

Le pape croyait en la force des faits en droit comme en theacuteologie Ainsi en mai 1330 il

sadressa au roi de France pour lui demander dinterdire la pratique de la preuve par combat

judiciaire ou duel59 en notant que laquo par de telles pratiques la veacuteriteacute nest pas prouveacutee raquo (per

taliaveritas non probatur) Le pape au nom de lexpeacuterience maicirctresse des choses (magistra

rerum experiencia) fait remarquer au roi quen cas daccusation de fausse monnaie jamais le

souverain ne se contenterait dune telle preuve preacuteciseacutement parce quen ce cas les faits

mateacuteriels et la veacuteriteacute pure importent

La construction mecircme de faits ineacutedits est une menace pour la foi Car ce sont les faits qui

induisent la confiance et la foi La qualification traditionnelle de lheacutereacutesie en sen tenant au

rejet des opinions orthodoxes ne considegravere pas le processus qui conduit agrave la foi Devant

12

lextrecircme diversiteacute des opinions et des eacutecoles il faut sen tenir aux faits Jean XXII

exactement comme Guillaume dOckham aboutit agrave la conclusion que la foi repose sur une

certaine confiance accordeacutee agrave lensemble de la tradition chreacutetienne et corroboreacutee par les faits

livreacutes par lEacutecriture La foi repose sur un contrat de confiance Un des reproches les plus

veacuteheacutements quil adresse aux franciscains cest de pieacutetiner les donneacutees factuelles de lEacutecriture

Dans lEacutevangile Jeacutesus a posseacutedeacute des biens et a confieacute sa bourse agrave Judas Or par des artifices

dinterpreacutetation ils aneacuteantissent ces faits au beacuteneacutefice de leur interpreacutetation Les grandes

bulles de condamnation de la doctrine franciscaine de la pauvreteacute absolue insistent sur cette

destruction des donneacutees factuelles qui fondent les articles de foi60 Dans la bulle Cum inter

nonnullos (12 novembre 1223) le pape disait

Laffirmation selon laquelle le Christ et les apocirctres nont rien posseacutedeacute ni en commun ni

individuellement nous jugeons par un eacutedit perpeacutetuel et en suivant lavis de nos fregraveres que

quand elle est reacutepeacuteteacutee avec obstination elle doit ecirctre tenue pour erroneacutee et heacutereacutetique car

comme elle contredit expresseacutement lEacutecriture sacreacutee qui en plusieurs lieux affirme quils ont

eu quelque possession elle implique que cette Eacutecriture sacreacutee par laquelle sont prouveacutes les

articles de la foi orthodoxe contient ouvertement sur ce sujet le germe du mensonge et que

en tant que telle elle eacutevacue toute confiance en lEacutecriture et rend la foi catholique douteuse et

incertaine en supprimant sa force probatoire61

Plus geacuteneacuteralement les franciscains spirituels en imaginant que le Christ et les apocirctres

pratiquaient un usage laquo de fait raquo sans aucune appropriation juridique construisaient une

fiction qui ne trouvait aucun reacutepondant aucune veacuterification dans la laquo nature des choses raquo

(natura rerum) ougrave la consommation des biens repose soit sur un droit soit sur un deacutelit Leur

usage du mot laquo fait raquo renversait lordre naturel du monde Les franciscains devenaient

heacutereacutetiques en rejetant les faits eacutevangeacuteliques et en reconstruisant leurs propres faits gracircce agrave

leur ideacuteologie forte et gracircce agrave lidentiteacute collective quils creacuteaient Les adorateurs des deacutemons

nagissaient pas autrement on le verra

Donc pour Jean XXII un fait est un fait Comment comprendre ce positivisme qui semble

anachronique sans le reacuteduire aux fantaisies singuliegraveres du vieux pontife

Leacutemergence du fait

Pour saisir ce tournant il faut sans doute partir du jugement moral et non pas du jugement

eacutepisteacutemologique des conduites humaines plus que des processus physiques Chacun le sait le

XIIe siegravecle entre Pierre Abeacutelard et Pierre le Chantre a produit une morale de lintention Mon

hypothegravese est que cest cette morale qui a construit la notion de fait en neutralisant

leacuteveacutenement Jean est tueacute Paul la tueacute Ceci est un eacuteveacutenement La theacuteologie morale de

lintention affirme que cet eacuteveacutenement ne signifie rien en lui-mecircme avant quil ne soit qualifieacute

selon lintention de Paul qui construit leacuteveacutenement comme meurtre (il a voulu et preacutemeacutediteacute cet

acte par leffet dune vieille haine) ou bien comme coups et blessures porteacutes sans intention de

meurtre (agrave la suite dune rixe par exemple) comme accident (Paul au cours dune chasse

visait un gibier) comme acte meacuteritoire (Paul a deacutebarrasseacute la chreacutetienteacute dun perseacutecuteur sur le

modegravele de Judith tuant Holopherne) Leacuteveacutenement laquo mort de Jean raquo videacute de sa signification

intrinsegraveque devient ce que jappelle un fait faible un reacutesidu irreacuteductible de reacutealiteacute

Ce relativisme dAbeacutelard doit se relier eacutetroitement au principe naissant de lenquecircte

contradictoire Le premier texte qui proclame la neacutecessiteacute de cette enquecircte se trouve dans la

preacuteface du Sic et non On sait que cet ouvrage en dehors de sa preacuteface ne contient que des

13

citations contradictoires sur une seacuterie dobjets mais on na pas releveacute que ces objets ne sont

pas toujours des opinions theacuteologiques mais aussi des faits (comme par exemple

lemplacement geacuteographique de la tombe des patriarches)

Au cours du XIIIe siegravecle se produisit une reacuteaction progressive contre la morale de lintention

une tentative dobjectivation du jugement moral et judiciaire Ce pheacutenomegravene tient

probablement au mouvement de reacutedaction des textes normatifs et agrave la constitution du droit

comme science de plus en plus indeacutependante de la theacuteologie morale62 Le fait fut penseacute

comme un reacutesidu neacutecessaire agrave lindeacutependance transcendante du droit que la caste des juristes

tentaient dextraire des contingences et des compromissions des affaires courantes Mais

lattachement agrave la factualiteacute tenait aussi agrave une reacuteaction de lEacuteglise contre les entreprises

heacutereacutetiques appuyeacutees sur une pratique du secret et de la double entente Le sanctuaire de

linteacuterioriteacute pouvait apparaicirctre comme une cache de malfaiteurs Les poursuites contre les

cathares et les beacuteguins le montrent clairement les inquisiteurs mirent au point des techniques

de repeacuterage de la dissimulation Cette eacutevolution tendait donc agrave remplacer le fait faible des

morales de lintention par le fait fort des tribunaux denquecircte Est-ce agrave dire quau tribunal toute

excuse quant agrave la circonstance de laction eacutetait rejeteacutee Certes pas mais les circonstances

furent elles-mecircmes objectiveacutees On en donnera deux exemples la notion dirresponsabiliteacute

accordeacutee agrave des classes repeacuterables dindividus (les fous les enfants les somnambules) fut

deacutefinie au deacutebut du XIVe siegravecle par une deacutecreacutetale de Cleacutement V63 Par ailleurs dans la

proceacutedure inquisitoire lenquecircte preacutealable sur la reacuteputation (fama) des individus suspects

deacuteleacuteguait agrave une communauteacute exteacuterieure leacutevaluation des motifs avant que lenquecircte en veacuteriteacute

ne mette en correacutelation cette eacutevaluation avec des faits preacutecis Certes la fama fut largement

induite par les poursuites elles-mecircmes mais les juges tenaient agrave son caractegravere objectif et

mesurable Dans les procegraves inquisitoires en canonisation comme en matiegravere criminelle ou

heacutereacutetique les juges ou commissaires demandent freacutequemment aux teacutemoins de deacutefinir le sens

du mot fama son lieu dorigine son extension Certains allaient mecircme jusquagrave demander au

teacutemoin deacutevaluer quantitativement le nombre minimal dopinions ou de murmures neacutecessaires

pour constituer une reacuteputation

Ce positivisme meacutedieacuteval dont nous avons tenteacute de repeacuterer les racines juridiques et morales

peut-il ecirctre relieacute agrave une eacutevolution plus globale que lon pourrait saisir dans lhistoire des

sciences La question est deacutelicate car la physique dominante inspireacutee dAristote sattachait

davantage aux causes quaux pheacutenomegravenes comme la montreacute Alexandre Koyreacute Le

pheacutenomegravene eacutetait essentiellement reacuteductible Pourtant un certain deacuteveloppement de la

factualiteacute scientifique sobservait preacuteciseacutement en ces derniegraveres anneacutees du XIIIe siegravecle soit du

cocircteacute des ingeacutenieurs comme le ceacutelegravebre Pierre de Maricourt qui deacutecrivait et expeacuterimentait les

proprieacuteteacutes de laimant en vue de lameacutelioration de la boussole Un grand penseur comme

Roger Bacon grand chantre de lexpeacuterimentation reacuteussissait agrave conjoindre dans son œuvre la

theacuteologie loptique et lalchimie en traquant des faits par lobservation La cateacutegorie fourre-

tout des laquo merveilles raquo (mirabilia) commenccedilait agrave seacutetioler au profit dune extension simultaneacutee

des pheacutenomegravenes miraculeux et des pheacutenomegravenes naturels Enfin une physique non-

aristoteacutelicienne raisonnant sur des cas-limites relevant dune factualiteacute reacuteelle mais rare se

mettait en place64

Lenquecircte et le fait

Sur le plan des poursuites judiciaires la notion de fait tendit agrave simposer quand agrave partir des

anneacutees 1230 la recherche des heacutereacutetiques au sein de populations largement complices prit un

caractegravere massif et exigea des critegraveres plus larges et des meacutethodes plus efficaces que

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linterrogatoire individuel Un mandement de larchevecircque de Tarragone fut reacutedigeacute en mai

124265 avec laide du dominicain Raymond de Penyafort le grand juriste qui devint aussi

maicirctre geacuteneacuteral de lordre des precirccheurs afin laquo que lon procegravede plus clairement quant au fait

dheacutereacutesie (circa factum heresis) raquo Certes le mot factum a encore ici le sens dimputation

judiciaire quil avait dans le droit romain mais le deacutetail du mandement montre bien quil

importait deacutesormais de consideacuterer des actes qui ne relevaient pas directement de la croyance

Le texte en effet distingue sept classes de population relieacutees agrave lheacutereacutesie66 Or seule la

premiegravere est nommeacute heacutereacutetique parce quelle professe des croyances en perdurant dans lerreur

La seconde cateacutegorie les laquo croyants raquo (credentes) est assimileacutee aux heacutereacutetiques (il faut sans

doute comprendre quils sont mis agrave part avant lavertissement salutaire qui les transforme en

cas de refus dabjurer en heacutereacutetiques proprement dits) Ensuite viennent les laquo suspects raquo

dheacutereacutesie Seuls des actions et des faits construisent cette qualification eacutecouter la preacutedication

ou les confeacuterences des heacutereacutetiques (en ce cas il sagit dinsabbatici heacutereacutetiques difficiles agrave

identifier et qui sont citeacutes en compagnie des Pauvres de Lyon et des Vaudois) sagenouiller en

leur compagnie Un eacuteleacutement de croyance peut pourtant ecirctre ajouteacute les suspects croient que

les heacutereacutetiques en question sont de laquo bons hommes raquo Suivant la reacutepeacutetition des actes la

suspicion sera simple veacuteheacutemente ou tregraves veacuteheacutemente Viennent ensuite les complices passifs

les laquo non-deacutenonciateurs raquo (celatores) qui sabstiennent de reacuteveacuteler la preacutesence publique

dheacutereacutetiques les laquo dissimulateurs raquo (occultatores) laquo qui ont fait pacte de ne rien reacuteveacuteler raquo

(fecerunt pactum de non revelando) les laquo hocirctes raquo (receptatores) qui reccediloivent chez eux au

moins deux fois des heacutereacutetiques ou des reacuteunions dheacutereacutetiques les laquo deacutefenseurs raquo (defensores)

qui prennent le parti des heacutereacutetiques par la parole ou par le fait (verbo vel facto) soit par le

discours soit par une aide mateacuterielle67 Ces quatre derniegraveres cateacutegories sont rassembleacutees sous

la qualification de laquo soutiens raquo (fautores) de lheacutereacutesie Les deacutelits lieacutes aux heacutereacutesies sont pour

Raymond susceptibles de degreacutes (magis vel minus) alors que lheacutereacutesie proprement dite

implique une structure strictement binaire ougrave le vrai soppose agrave lerreur Lagrave encore cest le

droit qui construit par opposition le fait par opposition au ministegravere du confesseur qui in

foro conscientiae traite le continuum des fautes et manquements la tacircche de linquisiteur in

jure consiste agrave reacuteduire agrave la pureteacute binaire de lincrimination une foule de circonstances et

daction floues Plus tard dans le siegravecle la notion de laquo preacutesomption de droit raquo accrut encore

cette tendance

Mais lheacutesitation est encore grande le quatriegraveme point de la consultation porte sur la

qualification comme heacutereacutetique de celui qui embrasse un heacutereacutetique ou qui prie en sa

compagnie ou le cache laquo doit-il ecirctre jugeacute comme croyant en lerreur de lheacutereacutetique raquo La

reacuteponse eacutetait neacutegative Pourtant plus loin le texte suggegravere que les ossements de ceux qui ont

soutenu lheacutereacutesie doivent ecirctre exhumeacutes parce que laquo le soutien (fautoria) est la suite et le

compleacutement de lheacutereacutesie raquo Quelques anneacutees plus tocirct en 1235 dans un des premiers textes

consacreacutes aux regravegles de linquisition Raymond de Penyafort consideacuterait que ceux qui

heacutebergeaient des heacutereacutetiques (en loccurrence des Vaudois) devaient ecirctre jugeacutes comme

heacutereacutetiques parce quils croyaient que lEacuteglise se trompait en poursuivant les heacutereacutetiques68

On le voit la tentation eacutetait grande depuis les deacutebuts de linquisition de construire des faits

heacutereacutetiques Lorsque le 14 juin 1303 Guillaume de Plaisians preacutesenta au Louvre ses

accusations contre le pape Boniface VIII il lui reprocha davoir extorqueacute agrave des precirctres la

reacuteveacutelation de secrets confieacutes en confession pour les divulguer et les utiliser Il conclut cet

article en disant laquo En raison de cela il semble avoir eacuteteacute heacutereacutetique quant au sacrement de

peacutenitence (propter quod in sacramento penitentie hereticare videtur) raquo Cest donc bien un

acte manifesteacute par le verbe actif laquo heacutereacutetiquer raquo qui passe pour manifestation dheacutereacutesie

Comme le note Jean Coste dans son eacutedition du laquo procegraves raquo le cardinal Pietro Colonna qui

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connaissait mieux le droit canonique avait ajouteacute dans la reacutedaction dun article analogue laquo le

mecircme Boniface proclamait de faccedilon doctrinale (dogmatizabat) quil avait le droit dagir

ainsi raquo69

En 1308-1309 lauteur dune nouvelle seacuterie darticles daccusation contre la meacutemoire de

Boniface que Jean Coste attribue agrave Nogaret70 introduit une distinction alors ineacutedite qui fut

reprise cinquante ans plus tard par Nicolas Eymerich71 entre les articles heacutereacutetiques les

erreurs relatives agrave un point de fait deacutejagrave condamneacute (facti damnati errores) et les opinions Mais

la simple mention de cette distinction sans application preacutecise ne permet pas de consideacuterer

que la notion de laquo fait heacutereacutetique raquo se deacuteveloppait veacuteritablement

Les juges deacuteleacutegueacutes au procegraves de Bernard Deacutelicieux en 1319 franchirent ce pas du moins

dans leur acte daccusation du 23 octobre 1319 ils ouvraient leur accusation en deacuteclarant sur

un ton tregraves leacutegislatif mais sans aucune alleacutegation de droit que tout homme seigneur puissant

ou juge qui oserait libeacuterer les prisonniers de linquisition refuser dexeacutecuter ses mandats

empecirccher la sentence ou le procegraves ou sopposer en quelque faccedilon agrave la poursuite des

heacutereacutetiques laquo encourt ipso facto une sentence dexcommunication et sil lencourt avec une

volonteacute reacutesolue pendant un an est alors condamneacute comme heacutereacutetique raquo72

Questions de proceacutedure

Face agrave la menace deacutemoniaque il importait dagir efficacement et rapidement mais ces deux

exigences eacutetaient contradictoires car lefficaciteacute supposait le lent et difficile eacutetablissement de

la veacuteriteacute Le pontife disposait dune multitude de solutions judiciaires qui impliquaient agrave la

fois des diffeacuterences dans les types de proceacutedure dans les ressorts juridictionnels et dans les

modaliteacutes de lenquecircte

LEacuteglise favorisait le deacuteveloppement de la proceacutedure inquisitoire (par enquecircte) au deacutetriment

du mode accusatoire selon un mouvement initieacute par des deacutecreacutetales dInnocent III agrave partir de

1198 dont la maturation se lit dans le canon 8 du concile de Latran IV (1215) On le sait la

proceacutedure accusatoire dominante jusquau XIIe siegravecle et qui a poursuivi sa carriegravere dans la

Common Law britannique et ameacutericaine reacuteserve lincrimination agrave un accusateur qui sengage

sur cette accusation et peut en pacirctir Le juge ou le jury se contente darbitrer Les deux

moments de laction sont constitueacutes par la construction minutieuse de la cause qui doit ecirctre

rigoureusement deacutefinie (en termes romains il sagit de la phase de litis contestatio) et par la

deacutelibeacuteration La proceacutedure inquisitoire en revanche favorise laccusation doffice formuleacutee

par un juge ou un prince agrave la suite dune laquo diffamation raquo deacuteriveacutee de leacutecoute dune rumeur

accusatrice Le procegraves met en œuvre deux enquecirctes successives la premiegravere eacutetablit cette

fama cette reacuteputation bonne ou mauvaise qui permet linculpation ou la relaxe la seconde

enquecircte construit la veacuteriteacute des faits porteacutes par la fama

Plusieurs ressorts juridictionnels pouvaient prendre en charge les invocateurs du deacutemon la

justice eacutepiscopale avec ses divers tribunaux le tribunal de linquisition et des commissions

pontificales ad hoc Linquisition fut creacuteeacutee par le pontificat agrave partir de 1233 en vue de

poursuivre lheacutereacutesie et elle garda longtemps cette speacutecialisation qui impliquait un recrutement

de juges plus theacuteologiens que juristes Il est difficile de porter un jugement serein sur

linquisition meacutedieacutevale tant son image a fait lobjet de controverses violentes Certains

meacutedieacutevistes ont tenteacute non sans quelques raisons de rejeter la folie perseacutecutrice associeacutee agrave

cette image Edward Peters a montreacute comment avait pu se construire dans la suite des temps

un veacuteritable mythe noir de linquisition73 un article retentissant de Richard Kieckhefer a mis

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en doute la reacutealiteacute institutionnelle de linquisition74 De fait lopinion commune a souvent

confondu les reacutealiteacutes implacables de lInquisition romaine (creacuteeacutee en 1542) et surtout de

lInquisition castillane (institution eacutetatique fondeacutee en 1481-1482) avec les tentatives limiteacutees

et souvent incoheacuterentes de linquisition meacutedieacutevale Pourtant linquisition meacutedieacutevale a bien

existeacute comme institution puissante en deacutepit de sa faible assise Linquisiteur eacutetait nommeacute par

le saint Siegravege mais demeurait eacutetroitement lieacute agrave lordre religieux dont il provenait (lordre

dominicain pour lessentiel mais aussi lordre franciscain et dans une moindre mesure

lordre des carmes) Sa pratique quotidienne le mettait en relation eacutetroite avec le pouvoir

seacuteculier

Les commissions speacuteciales du pape deacuterivaient en un sens de la justice deacuteleacutegueacutee des pontifes

instaureacutee depuis le XIIe siegravecle mais elles prirent une importance particuliegravere sous le pontificat

de Jean XXII pour des raisons que nous examinerons plus loin Limportance des faits

deacutemoniaques conduisit Jean XXII agrave lever beaucoup de garanties judiciaires et gracieuses75 et

agrave confier les affaires de complot avec soupccedilons magiques ou deacutemonologiques agrave des

commissions pontificales qui se reacuteclamaient de la proceacutedure sommaire La notion de

proceacutedure sommaire sest lentement deacuteveloppeacutee depuis la fin du XIIe siegravecle dans le droit

canonique Il sagissait de formaliser les efforts des deacutecennies preacuteceacutedentes en matiegravere

darbitrage ou de compromis internes agrave lEacuteglise en reacuteaction aux excegraves de juridisme qui avaient

eacuteteacute deacutenonceacutes par saint Bernard dans son retentissant traiteacute De consideratione La notion

dlaquo eacutequiteacute canonique raquo eacutetait opposeacutee agrave la rigor iuris des civilistes La proceacutedure trouva

lentement sa forme agrave partir deacuteleacutements eacutepars dans le droit romain par agglomeacuteration de

clausules indeacutependantes si les parties eacutetaient daccord la cognitio summaria (traduite dans

nos textes par ladverbe summarie ou simpliciter) impliquait dalleacuteger les charges de preuves

on pouvait se contenter de preuves laquo semi-pleines raquo (un simple serment un teacutemoin ou un

document unique) et de la phase proprement proceacutedurale dun procegraves la reacutedaction dun

laquo livret raquo (libellus) et le deacutebat de la litis contestatio (qui eacutetablissait les rocircles judiciaires et les

enjeux du procegraves) devenaient facultatifs La mention dune proceacutedure de plano qui renvoyait

agrave linutiliteacute de sieacuteger formellement en tribunal insistait davantage sur la rapiditeacute et labsence de

formes externes Enfin les clausules sine strepitu judiciorum (sans le vacarme des procegraves) et

sine figura judicii (sans la forme du procegraves) compleacutetaient cette simplification en insistant sur

la suppression des avocats et des formes bruyantes dopposition et de recours

Agrave leacutepoque de Jean XXII cette formalisation de larbitrage eccleacutesiastique venait agrave peine de

sachever par la publication de deux deacutecreacutetales de Cleacutement V Dispendiosam produite pour le

concile de Vienne en 1311-1312 et Saepe reacutedigeacutee en 1314 Dispendiosam76 deacuteclarait de

faccedilon fort bregraveve que la proceacutedure sommaire pouvait sappliquer dune part aux cas deacutejagrave preacutevus

par le droit canonique du XIIIe siegravecle quant aux affaires propres de lEacuteglise (laquo eacutelections

demandes et provisions attributions de digniteacutes de fonctions de charges de canonicats de

preacutebendes et autres beacuteneacutefices eccleacutesiastiques raquo et contentieux sur les dicircmes) mais aussi sur les

questions de mariage et dusure Cette extension eacutetait consideacuterable et aboutissait agrave fournir la

possibiliteacute de proceacutedure sommaire pour la quasi totaliteacute des affaires eacutevoqueacutees par lEacuteglise

Seules les successions neacutetaient pas mentionneacutees mais elles interfeacuteraient neacutecessairement avec

les causes matrimoniales La deacutecreacutetale Saepe77

deacutetaillait plus longuement les particulariteacutes de

la proceacutedure sommaire et reacutesumait soigneusement les traits assembleacutes depuis pregraves dun siegravecle

Lusage parallegravele de la proceacutedure sommaire en matiegravere de poursuite de lheacutereacutesie ne se laisse

pas facilement deacutechiffrer car la filiation par rapport agrave la doctrine de larbitrage y perd tout

sens Le seul point commun des deux usages tient au rocircle essentiel du juge chargeacute agrave la fois de

la proceacutedure de linstruction et de la deacutecision Pourtant ce nest pas avant la deacutecreacutetale Statuta

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quedam promulgueacutee par Boniface VIII dans son Liber Sextus en 1296-1298 que la proceacutedure

sommaire fut accordeacutee explicitement agrave la proceacutedure inquisitoriale laquo En collationnant certains

statuts de nos preacutedeacutecesseurs dheureuse meacutemoire Innocent Alexandre et Cleacutement et en

interpreacutetant et ajoutant certains points nous accordons que dans les affaires dinquisition sur

la perversion heacutereacutetique il puisse ecirctre proceacutedeacute de faccedilon simple et informelle sans vacarme ni

apparence des avocats et des jugements (procedi possit simpliciter et de plano et absque

advocatorum ac judiciorum strepitu et figura) raquo La suite de la deacutecreacutetale justifie le secret sur

les noms des teacutemoins ou accusateurs pour raison de seacutecuriteacute

Procegraves et majesteacute

Tous les niveaux et distinctions que nous venons desquisser se mecirclaient dans la pratique

judiciaire puisque linquisition se fondait largement sur la proceacutedure inquisitoire tandis que

des eacutevecircques comme Jacques Fournier le ceacutelegravebre eacutevecircque de Pamiers ou Guido Terreni

eacutevecircque de Majorque puis dElne recevaient du pape des fonctions dinquisiteur dans leur

diocegravese

Pourtant Jean XXII navait guegravere confiance dans la justice des eacutevecircques Il savait que les

eacutevecircques pouvaient souvent preacutefeacuterer la paix du diocegravese agrave lexigence de la veacuteriteacute Ainsi agrave

lefficace et zeacuteleacute Jacques Fournier avait succeacutedeacute en 1326 Dominique Grima brillant

theacuteologien ancien assistant inquisiteur de Bernard Gui agrave Toulouse qui sattira le courroux du

pape pour sa neacutegligence dans la poursuite de lheacutereacutesie78 Le pape preacutefeacutera freacutequemment utiliser

des commissions speacuteciales denquecircte et de jugement selon la proceacutedure sommaire plutocirct que

les tribunaux inquisitoriaux Ce fut le cas notamment pour les procegraves de Hugues Geacuteraud de

Robert de Mauvoisin et de Bernard Deacutelicieux Parfois limputation de crime de legravese-majesteacute

permit de donner une latitude encore plus large aux proceacutedures extraordinaires ainsi le 12

avril 1331 sur plainte du roi de France le pape ordonna agrave leacutevecircque de Paris de proceacuteder

contre Hertaud abbeacute dun monastegravere du diocegravese dAutun et contre Jean Albeacutericus dominicain

sur leurs laquo maleacutefices et excegraves raquo (super maleficiis et excessibus) contre le roi et sa cour raquo Il

sagit certainement de pratiques magiques (multis maleficiis) qui attentaient au laquo salut public raquo

et qui en tout cas relevaient du crime de legravese-majesteacute Or le pape en ce cas non seulement

ordonna une proceacutedure sommaire (simpliciter et de plano sine strepitu et figura judicii) mais

leva tous les privilegraveges et garanties des deux religieux autorisant leur arrestation (captionem)

leur incarceacuteration et leur torture (necnon questionibus subici prout a canonibus est

permissum)79

On peut se demander pourquoi Jean XXII fut si reacuteticent agrave confier les causes deacutemoniaques agrave

linquisition au moment mecircme ougrave il tentait dassimiler linvocation des deacutemons agrave lheacutereacutesie La

reacuteponse la plus commune agrave cette question relie ce choix au caractegravere politique de bien des

affaires ougrave le deacutemon semble intervenir comme preacutetexte plutocirct que comme cause De fait les

proceacutedures exceptionnelles qui mecirclent lattentat contre la majesteacute royale ou divine les

accusations dheacutereacutesie et les imputations de sorcellerie ou dinvocation des deacutemons doivent ecirctre

relieacutees agrave la grande vague des procegraves politiques qui avait commenceacute degraves le deacutebut du XIVe

siegravecle cest Philippe le Bel80 qui avait lanceacute degraves 1303 le procegraves contre le pape

Boniface VIII81 accuseacute entre autres davoir invoqueacute les deacutemons et consulteacute des magiciens

puis le roi entre 1306 et 1314 sen eacutetait pris aux Templiers comme adorateurs du diable

Entre 1308 et 1314 Philippe le Bel avait inculpeacute Guichard eacutevecircque de Troyes qui aurait

conspireacute en vue de tuer la reine et dautres personnaliteacutes princiegraveres par lusage de poisons et

dimages magiques82 En 1315 Enguerrand de Marigny qui avait si efficacement collaboreacute agrave

ces procegraves fut lui-mecircme pendu pour avoir nui au roi Louis X et agrave Charles de Valois par des

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images magiques83 Jean XXII prit le relais avec les procegraves contre Hugues Geacuteraud eacutevecircque

de Cahors84 en 1317 contre Mateo et Galeazzo Visconti en 132085 contre les allieacutes de

Federico de Montefeltro dans la Marche dAncocircne86 Dans tous ces cas la parfaite

correspondance entre la graviteacute des accusations et la position antagoniste des inculpeacutes incite agrave

voir dans ces procegraves de simples et cyniques manœuvres ougrave lexception judiciaire doit

confirmer la regravegle politique

Cette interpreacutetation rend imparfaitement compte des reacutealiteacutes leacutecrasement des adversaires ne

fut pas systeacutematique les graves accusations contre Bernard Deacutelicieux quant au meurtre

deacutemoniaque de Cleacutement V ne furent pas assumeacutees dans le jugement contrairement agrave ce qui se

passa pour Hugues Geacuteraud Robert de Mauvoisin sen tira avec une simple eacutejection de son

siegravege archieacutepiscopal Certes les juges avaient quelque autonomie mais on peut penser que le

pape avait eacuteprouveacute de reacuteels doutes quant agrave la culpabiliteacute des accuseacutes Ces interrogations

rendent peut-ecirctre compte de la consultation de 1320 qui relevait moins de la discussion

quodlibeacutetale ou de la colleacutegialiteacute de deacutecision que du besoin dexpertise

Meacutefiance de linquisition

Les choix de proceacutedure de Jean XXII doivent sexpliquer autrement La preacutefeacuterence pour la

forme extraordinaire tient dabord agrave une grande meacutefiance de linquisition Les inquisiteurs

avaient tendance agrave poursuivre sans tenir compte des rangs sociaux ni des circonstances

politiques la fameuse affaire de Jean lArchevesque sieur de Parthenay mecircleacute agrave des pratiques

de sortilegravege vers 1323 le montre bien Linquisiteur seacutetait attaqueacute agrave un personnage puissant

beacuteneacuteficiant de protections royales qui avait reacuteussi agrave obtenir la consultation dun grand juriste

Oldrado da Ponte87 Agrave deux reprises le pape eacutecrivit aux inquisiteurs de Carcassonne pour

leur enjoindre de ne pas tourmenter inutilement les consuls et bourgeois de Montpellier88

Le pape avait pu aussi eacuteprouver lextrecircme impopulariteacute de linquisition patente dans laffaire

Bernard Deacutelicieux un simple agitateur avait failli renverser le pouvoir monarchique franccedilais

en liguant les couches citadines hostiles agrave lintervention des inquisiteurs En 1317-1318 cest

le zegravele excessif de Michel Le Moine inquisiteur franciscain de Provence qui avait enflammeacute

la reacutesistance beacuteguine dans le Midi par lexaltation des martyrs de Marseille En 1321-1322

cest le manque de discernement de linquisiteur Jean de Beaune agrave Beacuteziers qui avait entraicircneacute le

pape sur un terrain impreacutevu Linquisiteur ne mesurait pas toujours la porteacutee de ses actes et

surtout il pouvait agir trop publiquement du moins dans la phase initiale (la proclamation de

lenquecircte) et dans sa phase conclusive (le sermon geacuteneacuteral) ainsi cest la dispute publique

entre linquisiteur de Carcassonne Jean de Beaune et le lecteur franciscain du couvent de

Narbonne Beacuteranger Talon qui avait provoqueacute la reprise du deacutebat sur la pauvreteacute du Christ

Enfin et surtout linquisition jouissait dune certaine indeacutependance par rapport au pouvoir

pontifical dune part sa nomination deacutependait aussi du bon vouloir du maicirctre geacuteneacuteral des

dominicains ou du ministre geacuteneacuteral des franciscains Dautre part il pouvait agrave loccasion se

rapprocher du pouvoir royal On peut se demander si la diffeacuterence de deacutenomination des

inquisiteurs de Carcassonnne et de Toulouse entre 1320 et 1330 dans les lettres citeacutees plus

haut reacutedigeacutees par Guillaume de Peyre Godin puis par le pape ne traduit pas cette perception

dans le premier cas le cardinal sadresse laquo agrave linquisiteur de la perversion heacutereacutetique de la

reacutegion de Carcassonne raquo dans le second cas il sagit de laquo linquisiteur de la perversion

heacutereacutetique deacuteputeacute par le Siegravege apostolique dans le royaume de France en reacutesidence agrave

Carcassonne raquo Le soin de cette seconde formulation insiste sur le fait que lorigine du pouvoir

inquisitorial se trouve bien dans le pontificat De fait linquisition meacuteridionale apregraves les

froissements ducircs agrave laffaire Bernard Deacutelicieux ougrave les officiers royaux avaient toleacutereacute ou mecircme

19

soutenu le trublion franciscain avait eacuteteacute largement instrumentaliseacutee par la monarchie comme

le montrait laffaire des Templiers

En outre le pontife eacutetait fort irriteacute du manque de respect de certains inquisiteurs pour le droit

Ainsi en 1331 il reccedilut et approuva les plaintes de maicirctre Jean Anselme de Gecircnes chirurgien

et de Reacuteginald de Cravant clerc du diocegravese dAuxerre qui avaient eacuteteacute faussement accuseacutes

dheacutereacutesie et de maleacutefices par linquisiteur de France Aubert de Chacirclons et par leacutevecircque de Paris

Hugues Michel de Besanccedilon Le pontife leur reprochait davoir agi sans avoir eacutetabli aucune

infamie anteacuterieure sans respecter lordre judiciaire sans permettre aucune deacutefense leacutegitime89

Il nest pas besoin dimaginer un Jean XXII soucieux de justice par formation professionnelle

comme on la vu lordre du droit permettait deacutetablir soigneusement la veacuteriteacute qui importait

bien davantage que la reacutepression Le cas de la censure du commentaire dOlivi sur

lApocalypse le montre bien le texte eacutetait dangereux puisquil inspirait directement les

Beacuteguins par le biais dabreacutegeacutes et de traductions en langue vernaculaire Le contenu anti-

pontifical de ce texte eacutetait manifeste Pourtant le pape usa directement ou indirectement de

quatre commissions diffeacuterentes durant huit ans (1318-1326) avec un suppleacutement denquecircte

en 1322 avant darriver agrave une condamnation Le reacutesultat reacutepressif eacutetait certainement acquis

degraves 1318 mais il importait de suivre minutieusement les chemins de lerreur Ce souci

apparaicirct clairement dans une lettre adresseacutee par le pape en 1330 agrave Henri Chamayou

inquisiteur de Carcassonne90 qui avait reacuteussi agrave faire arrecircter deux heacutereacutetiques italiens qui

avaient confesseacute leur crime Le pontife feacutelicite chaleureusement linquisiteur mais lengage

fermement agrave poursuivre lenquecircte bien quil ait deacutejagrave en main tous les eacuteleacutements pour les

condamner laquo parce que nous croyons que tu aurais du connaicirctre une veacuteriteacute plus ample

(novisse te plenius credimus veritatem) au sujet de ce pour quoi ils tont eacuteteacute livreacutes nous

voulons et il nous plaicirct quayant Dieu seul devant les yeux tu veilles selon lexigence de la

justice agrave ne pas neacutegliger ce que tu sauras ecirctre adeacutequat en cette affaire raquo

Ces recommandations neacutetaient pas de pure forme la logique de linquisition ne la conduisait

pas vers leacutelucidation neacutecessaire agrave la cause des deacutemoniaques Linstitution demeurait

profondeacutement theacuteologienne et non juriste Le fondement proceacutedural de linquisition reposait

moins sur la poursuite doffice et lenquecircte que sur la troisiegraveme forme de poursuite (agrave cocircteacute de

la proceacutedure inquisitoire et de la proceacutedure accusatoire) deacutefinie par Innocent III au canon 8 du

concile de Latran la deacutenonciation eacutevangeacutelique issue de la correction fraternelle Or la

deacutenonciation orientait la poursuite vers la peacutenitence La confession rapidement obtenue par la

menace la terreur ou la torture conduisait agrave la demande dabsolution chegraverement neacutegocieacutee Il

importait agrave linquisiteur dobtenir au plus vite cette confession sans trop sattarder dans

lenquecircte sur la fama ou sur la veacuteriteacute neutraliseacutee par laveu Paradoxalement un accuseacute avait

de meilleures chances avec les proceacutedures sommaires chegraveres au pape quavec linquisition

parce que la veacuteriteacute pouvait contraindre le pape agrave la mansueacutetude tandis que la meacutecanique de la

culpabiliteacute ineacutevitable de tout peacutecheur entraicircnait tout inculpeacute dans la collectiviteacute peacutenale de

linquisition

Cest peut-ecirctre ces problegravemes de proceacutedure qui ont provoqueacute ce que Jean-Patrice Boudet

appelait plaisamment le laquo retard agrave lallumage raquo dans la poursuite des sorciers au XIVe siegravecle

tant que la papauteacute fut reacuteticente agrave deacuteleacuteguer son pouvoir denquecircte les limites mateacuterielles de la

justice pontificale empecircchegraverent la diffusion capillaire de limputation et de la reacutepression Et

preacuteciseacutement cest labandon forceacute de labsolutisme pontifical apregraves les conciles de Constance

et de Bacircle qui ouvrit les premiegraveres campagnes judiciaires et doctrinales contre les sorciers et

adorateurs du deacutemon dans les anneacutees 1430-1440 Mais le deacuteveloppement rapide de la

20

deacutemonologie avait eacuteteacute bien preacutepareacute par un pape qui tenait agrave consideacuterer lucidement les zones

obscures ougrave le deacutemon pouvait passer

Notes de bas de page

1 B Gui Manuel de linquisiteur eacuted par G Mollat Paris 1926-1927

2 P Paravy De la chreacutetienteacute romaine agrave la Reacuteforme en Dauphineacute Eacutevecircques fidegraveles et deacuteviants

(vers 1340-vers 1530) Rome 1993

3 LImaginaire du sabbat Eacutedition critique des textes les plus anciens (1430 ca-1440 ca)

reacuteunis par M Ostorero A Paravicini Bagliani K Utz Tremp en collaboration avec C Chegravene

Lausanne 1999

4 R KIECKHEFER European Witch Trials Their Foundations in Popular and Learned

Culture 1300-1500 Londres 1976 Carlo Ginzburg commence sa seacuterie explicative des

formes occidentales du sabbat en 1321 mais selon un modegravele totalement opposeacute au nocirctre

5 Bonn 1901

6 L THORNDIKE A History of Magic and Experimental Science vol III New York 1934

p 18 sq

7 Voir N Weill-Parot Les laquo Images astrologiques raquo au Moyen Acircge et agrave la Renaissance

Speacuteculations intellectuelles et pratiques magiques (XIIe-XV

e s) Paris 2002 p 377-385 et Id

laquo Les intellectuels lEacuteglise et la magie dans la premiegravere moitieacute du xive s raquo (meacutemoire de

maicirctrise Paris I 1990) Je tiens agrave remercier N Weill-Parot pour ses commentaires sur le

preacutesent article

8 laquo Quod cum morte fedus ineunt et pactum faciunt cum inferno Demonibus namque

immolant hos adorant raquo

9 Liber Sextus V II cap 8

10 Cause XXVI qu 5 cap 12 eacuted Friedberg col 1080

11 Voir A Boureau laquo De la feacutelonie agrave la haute trahison Un eacutepisode la trahison des clercs

(version du xiie s) raquo Le Genre Humain 16-17 1988 p 267-291

12 Venise 1595 XLIII 9 p 341-342

13 laquo Simpliciter et de plano ac sine strepitu et figura judicii appellatione remota raquo Lettre

publieacutee par J-M Vidal Bullaire de lInquisition franccedilaise Paris 1913 no 284 p 403-404

14 laquo Nonnulli etiam quandoque litterati in hoc se opponunt pretendentes id ad tuum non

expectare officium secundum canonicas sanctiones raquo

15 J-P Boudet laquo Les condamnations de la magie agrave Paris en 1398 raquo Revue Mabillon n s 12

(t 73) 2001 p 121-157

16 B Hamilton The Medieval Inquisition Londres 1981 p 94

17 Dans une lettre de 1336 adresseacutee agrave lofficial dAvignon Benoicirct XII successeur de

Jean XXII range agrave nouveau les sortilegraveges parmi les crimes qui touchent la foi (J-M Vidal

Bullaire op cit no 153 p 229-230) En 1405 Benoicirct XIII deacuteclare nuls les privilegraveges des

habitants du diocegravese du Puy qui preacutetendaient que linquisiteur de Carcassonne ne pouvait les

poursuivre pour maleacutefices (J-M Vidal Bullaire op cit no 332 p 473-474)

18 La premiegravere eacutedition a eacuteteacute procureacutee par Jean Chappuis en 1500 Pour la formation des deux

collections voir A M Stickler Historia Iuris Canonici Institutiones Academicae T I

Historia Fontium Rome 1950 p 270-271

19 Les seules mentions de la bulle se trouvent on la dit dans le manuel de Nicolas Eymerich

(1376) dans les Annales eccleacutesiastiques de Rinaldi et dans un bullaire romain du xviiie s

20 Voir A MAIER dans laquo Eine Verfuumlgung Johannis XXII uumlber die Zustaumlndigkeit der

Inquisition fuumlr Zauberprozesse raquo Archivium Fratrum Praedicatorum 32 1952 p 226-246

21 A Maier loc cit p 231

21

22 Publieacutee par R Manselli laquo Enrico del Carretto e la consultazione sulla magia di Giovanni

XXII raquo dans Miscellanea in onore di Monsignore Martino Giusti t II Vatican 1978 p 97-

129

23 Il est possible aussi que linterrogation doctrinale ait eacuteteacute anticipeacutee par Guido Terreni un

des dix experts de la consultation de 1320 dans son sixiegraveme quolibet laquo Est-ce que celui qui

baptise une chose sans acircme ou sans raison et non pas un homme est heacutereacutetique raquo ms BAV

Borghese 39 fo 238v

o-240v

o que je publie en annexe de la consultation Mais la date de ce

quolibet demeure incertaine

24 laquo Fecisti plantas pedum eiusdem mulieris iuxta carbones accensos apponi raquo texte publieacute

par J-M Vidal Bullaire op cit p 51-52

25 laquo Diu post confessionem debitum nature persoluitverum quia dubitatur ne propter

predicta tormenta citius decesserit quam alias decessisset mulier supradicta si tormentata

minime extitisset raquo

26 laquo Erronea et horrenda contra catholicam fidem fuit confessa et multos consocios et

complices reuelauitque omnia sic inuenta ut communiter creditur numquam reuelata

fuissent nisi mediantibus tormentis eiusdem predicta mulier reuelasset raquo

27 laquo De consilio proborum qui se asserebant uidisse penis examinati hereticos in partibus

Tholosanis raquo

28 J-M Vidal Bullaire op cit no 24 p 53-54

29 Ex certa sciencia sur cette clausule de labsolutisme pontifical voir A Boureau La Loi

du royaume Les moines le droit et la construction de la nation anglaise Paris 2001 avec

renvoi aux travaux de Jacques Krynen

30 Publieacutee par J-M Vidal Bullaire op cit p 61 Une meilleure eacutedition a eacuteteacute procureacutee par

A Maier loc cit p 226-227

31 J-M Vidal Bullaire op cit no 72 p 118-119

32 La commission fut reacuteiteacutereacutee le 8 novembre 1327 ibid no 78 bis p 129-130

33 Voir A Boureau laquo Saints et deacutemons dans les procegraves de canonisation du deacutebut du xive s raquo

agrave paraicirctre dans les actes du colloque de Budapest sur les procegraves de canonisation dir Gaacutebor

Klaniczay

34 B Gui Manuel de linquisiteur eacuted et trad par G Mollat op cit t I p 52

35 Publieacutees par J-M Vidal Bullaire op cit no 103 p 154-156

36 Henri de Chamayou

37 Pierre Brun

38 La qualification dheacutereacutesie de la part du pape agrave propos des invocations deacutemoniaques na

jamais cesseacute Voir par exemple une lettre de 1323 qui deacutesigne des commissaires pour juger

le moine Guillaume de Figeac accuseacute de laquo deacutevier de la foi catholique raquo en pratiquant

lalchimie et la neacutecromancie (J-M Vidal Bullaire op cit no 50 p 87-88)

39 F Graf La Magie dans lAntiquiteacute greacuteco-romaine Ideacuteologie et pratique Paris 1994

40 Voir le reacutecit par Pierre le Veacuteneacuterable vers 1137 dun usage magique de lhostie consacreacutee

par un paysan deacutesireux de retenir ses abeilles Livre des merveilles de Dieu (De miraculis)

introduction traduction et notes de J-P Torrell et D Bouthillier FribourgParis 1992 p 70-

72 Je remercie Charles de Miramon de mavoir signaleacute ce texte

41 Voir les travaux reacutealiseacutes autour de Richard Kieckhefer et Claire Faenger aux Eacutetats-Unis

autour de Jean-Patrice Boudet et Henri Bresc en France notamment

42 Dans sa biographie collective des deux premiegraveres geacuteneacuterations de dominicains eacutecrite au

deacutebut des anneacutees 1260 Geacuterard de Frachet ne rapporte quun seul cas de fregravere qui se voue agrave

lalchimie et il ne trouve agrave lui reprocher que son deacutesir de senrichir rapidement Son activiteacute

consiste alors essentiellement agrave se rendre en Sardaigne pour y collecter des mineacuteraux rares

Son funeste sort ultime ne sexplique que par cet abandon de Dieu au profit de la richesse

22

seacuteculiegravere (Vitae Fratrum Ordinis Praedicatorum eacuted par B-M Reichert Rome-Stuttgart

Monumenta Ordinis Fratrum Praedicatorum Historica 1897 p 290)

43 La Condamnation parisienne de 1277 eacuted et trad par D Picheacute avec la collaboration de

C Lafleur Paris 1999 p 77

44 A Paravicini Bagliani Il corpo del papa Turin 1994

45 Preacuteface agrave Le crisi dellalchimia Micrologus 3 1995 p VIII

46 Voir leacutedition du procegraves dans J Shatzmiller Justice et injustice au deacutebut du XIVe s

Lenquecircte sur larchevecircque dAix et sa renonciation en 1318 Rome 1999

47 Voir une lettre de feacutevrier 1330 dans Lettres secregravetes et curiales du pape Jean XXII (1316-

1334) relatives agrave la France eacuted par A Coulon et S Cleacutemencet fasc 8 Paris 1965 no 4100

p 104-105 [abreacutegeacute deacutesormais Coulon-Cleacutemencet] lettre agrave Jean de Badas inquisiteur

franciscain de Marseille sur un crime nefandum commis par Gantalmus Gantalmi notaire et

sa femme Berengegravere instigatione diabolica circumventi agrave lencontre de Guillaume de Baucio

sire de Berre

48 Texte publieacute par J HANSEN Quellen und Untersuchungen op cit no 3 p 2

49 Notons quen 1318 les rites de conseacutecration des miroirs et images paraissent speacutecifiques

alors quen 1320 dans les questions poseacutees par le pape aux experts les invocateurs de deacutemons

utilisent le rite catholique du baptecircme pour preacuteparer leurs images

50 A Paravicini Bagliani Il corpo del papa op cit

51 C H JOSTEN laquo The Text of John Dastins letter to Pope John XXII raquo Ambix 4 1951

p 46-51

52 E Albe Autour de Jean XXII Hugues Geacuteraud eacutevecircque de Cahors laffaire des poisons et

envoucirctements en 1317 Cahors 1904 p 163-164

53 Processus Bernardi Deliciosi The Trial of Fr Bernard Deacutelicieux 3 September-8

December 1319 eacutediteacute par A Friedlander Philadelphie 1996 p 62 Pour une eacutetude complegravete

du dossier voir A Friedlander The Hammer of the Inquisitors Brother Bernard Deacutelicieux

and the Struggle against the Inquisition in Fourteenth-Century France Leyde 2000

54 Coulon-Cleacutemencet no 2969 p 151

55 Coulon-Cleacutemencet no 2395 p 47

56 Sermon sur la vigile de lEacutepiphanie 5 janvier 1332 eacuted par M Dykmans Les Sermons de

Jean XXII sur la vision beacuteatifique Rome (Miscellanea Historiae Pontificiae 34) p 145

57 Les actes du procegraves ont eacuteteacute publieacutes par J-MVidal laquo Procegraves dinquisition contre Adheacutemar

de Mosset raquo Revue dHistoire de lEacuteglise de France 1 1910 Lanecdote se trouve agrave la p 713

58 Ces interrogations sur la laquo situation raquo spirituelle eacutetaient freacutequemment exprimeacutees Dans sa

correspondance avec les grands de ce monde le pape doit souvent reacutepondre agrave ce genre de

question en termes agrave vrai dire assez geacuteneacuteraux

59 Coulon-Cleacutemencet fasc 8 Paris 1965 no 4197 p 126 Lettre analogue en feacutevrier 1331

(no 4452 t 9 p 41)

60 On peut se demander si ce nest pas cette fideacuteliteacute litteacuterale au texte biblique qui a contribueacute agrave

pousser le pape agrave intervenir sur la question de la vision beacuteatifique question ougrave les partisans de

la vision directe de Dieu avant le jugement final ne trouvaient aucun appui scripturaire direct

61 On trouve une formulation parallegravele dans Quia quorumdam mentes (10 novembre 1324)

62 Voir A Boureau laquo Droit naturel et abstraction judiciaire Hypothegraveses sur la nature du droit

meacutedieacuteval raquo Annales HSS 57 6 2002 p 1463-1488

63 Voir A Boureau laquo La redeacutecouverte de lautonomie du corps leacutemergence du somnambule

(xiiie-xiv

e s) raquo Micrologus I 1993 p 27-42

64 Sur toutes ces questions je me permets de renvoyer au chap 8 de mon ouvrage Theacuteologie

science et censure au XIIIe s Le cas de Jean Peckham Paris 1999

23

65 Publieacute par J Rius Serra dans Sancti Raymundi de Penyafort opera omnia t III

Diplomatario (Documentos Vida antigua Cronicas Processos antiguos) Barcelone 1954

p 74-82

66 Cette typologie fut reprise par le pape Alexandre IV une dizaine danneacutees plus tard et

eacutediteacutee par Boniface VIII dans le Sexte (L 5 tit 2 cap 2 6 11 eacuted Friedberg II col 1069

1071 1073) Voir aussi le traiteacute Doctrina de modo procedendi erga hereticos (vers 1280)

dans Martegravene et Durand Thesaurus novus anecdotum t 5 Paris 1717 col 1797 et la

Practica de Bernard Gui (p 226-232)

67 Bien avant la creacuteation de lInquisition le troisiegraveme concile de Latran (1179) avait frappeacute

danathegraveme et priveacute de seacutepulture les defensores et receptatores dheacutereacutetiques (Deacutecreacutetales L 5

tit 7 cap 8 eacuted Friedberg II col 1780)

68 Ibid p 29-32

69 Texte eacutediteacute par J Coste Boniface VIII en procegraves Articles daccusation et deacutepositions de

teacutemoins (1303-1311) Eacutedition critique introduction et notes Rome 1995 p 153

70 Nogaret originaire de Saint-Feacutelix-de-Caraman haut-lieu cathare petit-fils dun ministre

heacutereacutetique avait certainement une bonne connaissance de la perseacutecution de lheacutereacutesie en deacutepit

de sa formation de civiliste

71 Directorium op cit seconde partie question 2

72 Processus op cit p 180

73 E PETERS Inquisition Berkeley 1988

74 R KIECKHEFER laquo The Office of Inquisition and Medieval heresy the Transition from a

Personal to an Institutional Juridiction raquo Journal of Ecclesiastical History 46 1995 p 36-

61

75 Ainsi le pape deacutecida de suspendre le droit dasile dans les eacuteglises au deacutetriment des

heacutereacutetiques mais pas speacutecifiquement des auteurs de sortilegraveges (Lettre au roi de France Philippe

VI en 1328 publieacutee par J-M Vidal Bullaire op cit no 79 p 130-131)

76 Eacuted FRIEDBERG t II col 1078

77 Ibid col 1200

78 Voir la lettre dure que lui adressa le pape Jean XXII le 6 octobre 1332 (J-M Vidal

Bullaire op cit no 124 p 184)

79 Coulon-Cleacutemencet no 4539 fasc 9 p 59-60

80 Lattention precircteacutee agrave Philippe le Bel et agrave Jean XXII ne doit pas faire oublier que ce type

daccusation politico-deacutemonologique est deacutepoque comme le montre dans un tout autre

contexte le procegraves intenteacute agrave Walter Langton eacutevecircque de Coventry en 1301-1303 avec

mention dadoration diabolique (voir A Beardwood laquo The Trial of Walter Langton bishop of

Lichfield 1307-1312 raquo Transactions of the American Philosophical Society NS 54 p III

Philadelphie 1964

81 Voir J Coste Boniface VIII en procegraves op cit

82 A Rigault Le Procegraves de Guichard eacutevecircque de Troyes 1308-1313 Paris 1896

83 J Favier Un conseiller de Philippe le Bel Enguerrand de Marigny Paris 1963 Il faut

mentionner peu apregraves le procegraves contre le cardinal Francesco Gaetani poursuivi par les cours

royales pour attentat contre le roi son fregravere et deux cardinaux agrave laide dimages magiques

(voir C Langlois laquo Laffaire du cardinal Francesco Gaetani (avril 1316) raquo Revue historique

63 1897 p 56-71)

84 E Albe Autour de Jean XXII op cit

85 R Michel laquo Le procegraves de Mateo et Galeazzo Visconti laccusation de sorcellerie et

dheacutereacutesie Dante et laffaire de lenvoucirctement (1320) raquo Meacutelanges darcheacuteologie et dhistoire

29 1909 p 269-327

86 F Bock laquo I processi di Giovanni XXII contro i Ghibellini delle Marche raquo Bolletino

dellIstituto storico italiano per il Medio Evo 57 1941 p 19-43

24

87 Voir J-M Vidal laquo Le sieur de Parthenay et lInquisition (1323-1325) raquo Bulletin

historique et philologique 1903 p 414-434

88 J-M Vidal Bullaire op cit no 20 p 44 et n

o 76 p 126-127

89 J-M Vidal Bullaire op cit nos

109 et 110 p 167-171

90 J-M Vidal Bullaire op cit no 90 p 144

Alain Boureau

EHESS CRH GAS 54 boulevard Raspail F-75006 Paris

Pour citer cet article

Alain Boureau laquoSatan heacutereacutetique lrsquoinstitution judiciaire de la deacutemonologie sous Jean XXIIraquo

Meacutedieacutevales 44 (2003) httpmedievalesrevuesorgdocument711html

Page 5: Satan hérétique : l’institution judiciaire de la ..._Droit_Canonique/Curiosite/Satan heretique.pdf · e siècle, mais la mutation considérable de procédure qui a assimilé les

5

des pieds brucircleacutee aux charbons ardents24 Le chanoine se demandait donc sil nencourait pas

llaquo irreacutegulariteacute raquo cest-agrave-dire lincapaciteacute agrave demeurer dans lordre sacerdotal en ce cas pour

avoir verseacute le sang Le pape rassura Seacuteguin en soulignant que la victime eacutetait morte quelque

temps apregraves la torture et que laquo lon pouvait douter quen raison des tourments elle soit morte

plus rapidement que si elle eacutetait morte sans avoir eacuteteacute tortureacutee raquo25

La victime du juge avait eacuteteacute deacutenonceacutee (diffamata) publiquement pour crimes de sortilegraveges et

perversion heacutereacutetique (super criminibus sortilegii et heretice pravitatis) On peut penser sans

certitude toutefois que cest le juge qui avait associeacute le sortilegravege nommeacute en premier agrave

lheacutereacutesie Le recours agrave la torture semble avoir eacuteteacute dicteacute par le deacutesir de deacutecouvrir des reacuteseaux de

compliciteacute reacutesultat effectivement acquis et loueacute par le pape laquo tout ce qui a eacuteteacute ainsi trouveacute

selon toute vraisemblance naurait pas eacuteteacute reacuteveacuteleacute si cette femme ne lavait reacuteveacuteleacute par le biais

des tourments raquo26 On note ici une raison pratique de lassimilation du sortilegravege agrave lheacutereacutesie

lusage de la torture dans un tribunal eccleacutesiastique avait eacuteteacute introduit en 1252 (Ad abolendam)

par le pape Innocent IV au seul beacuteneacutefice des inquisiteurs et non des juges eacutepiscopaux Ce

nest quen 1308 au moment ougrave il creacuteait des commissions eacutepiscopales pour juger les

Templiers que Cleacutement V avait eacutetendu lusage de la torture aux officialiteacutes mais il sagissait

toujours exclusivement dimputations dheacutereacutesie Seacuteguin ne devait pas en ecirctre fort sucircr car il

preacutetend ne secirctre reacutesolu agrave lusage de la torture quapregraves avoir pris conseil aupregraves de laquo personnes

tregraves honnecirctes qui assuraient quils avaient vu dans la reacutegion toulousaine les heacutereacutetiques ecirctre

examineacutes par les peines raquo27

Une autre affaire connue par une lettre de juillet 1319 adresseacutee par le pape agrave Jacques

Fournier eacutevecircque de Pamiers assimile linvocation des deacutemons agrave lheacutereacutesie Le pontife

demandait agrave leacutevecircque de poursuivre trois personnages un clerc un carme et une femme quil

accusait de laquo fabrication dimages dincantations et consultations de deacutemons denvoucirctements

(fascinationibus) de maleacutefices raquo28 Or Jean XXII parle plus loin de leurs laquo erreurs raquo et dans

son paragraphe dexhortation eacutemet le souhait que laquo la foi catholique troubleacutee par les erreurs

susdites retrouve sa clarteacute raquo

Quelques semaines avant la consultation des experts le 22 aoucirct 1320 une lettre fut envoyeacutee

au nom du pape Jean XXII par le cardinal Guillaume de Peyre Godin aux inquisiteurs de

Carcassonne et de Toulouse Jean de Beaune et Bernard Gui Cette fois et encore plus

nettement que dans la bulle Super illius specula la demande daction judiciaire se concentre

sur les invocations aux deacutemons et sur les pactes alors conclus

Fregravere Guillaume eacutevecircque de Sabine par leffet de la miseacutericorde divine envoie ses salutations agrave

lhomme de religioninquisiteur du crime heacutereacutetique dans la reacutegion de Carcassonne Notre tregraves

saint pegravere et maicirctre le seigneur Jean XXII pape par leffet de la providence divine souhaite

avec ferveur chasser du centre de la maison de Dieu les auteurs de maleacutefices qui tuent le

troupeau du Seigneur il ordonne et vous confie la tacircche de faire enquecircte et de proceacuteder tout

en conservant pourtant les modes de proceacutedure qui vous ont eacuteteacute fixeacutes agrave vous et aux preacutelats en

matiegravere dheacutereacutesie par les canons agrave lencontre de ceux qui immolent aux deacutemons ou les adorent

ou leur font hommage laquo Il faut aussi proceacuteder raquo contre ceux qui font des pactes explicites

dobligation avec ces deacutemons ou qui fabriquent ou font fabriquer une image quelconque ou

quoi que ce soit dautre pour se lier au deacutemon ou pour perpeacutetrer quelque maleacutefice par

linvocation des deacutemons contre ceux qui en abusant du sacrement de baptecircme baptisent ou

font baptiser une image de cire ou dautre matiegravere ou qui par dautres moyens et avec

invocation des deacutemons fabriquent ou font fabriquer ces images de quelque faccedilon contre ceux

qui en connaissance de cause reacuteitegraverent le baptecircme lordre ou la confirmation contre ceux qui

6

utilisent le sacrement deucharistie ou lhostie consacreacutee et dautres sacrements de lEacuteglise ou

quelque partie de ces sacrements quant agrave la forme ou agrave la matiegravere pour en abuser pour leurs

sortilegraveges ou maleacutefices Et en effet notre maicirctre mentionneacute plus haut de science certaine29

eacutelargit et eacutetend agrave tous les cas citeacutes sans exception le pouvoir donneacute de droit aux inquisiteurs

quant agrave lexercice de leur fonction contre les heacutereacutetiques ainsi que leurs privilegraveges et ce

jusquagrave ce quil juge devoir reacutevoquer cette extension Nous vous signifions tout cela par nos

preacutesentes lettres patentes par le mandat speacutecial que nous a confieacute le seigneur pape par loracle

mecircme de sa voix vive Fait agrave Avignon le 22 aoucirct 1320 en cette quatriegraveme anneacutee du regravegne du

seigneur pape30

On peut se demander pourquoi Jean XXII ne signa pas lui-mecircme cette lettre il est possible

que devant la reacuteticence des experts de la commission de 1320 le pape ait preacutefeacutereacute une voie

plus lateacuterale pour faire connaicirctre ses souhaits Pourquoi Guillaume de Peyre Godin fut-il

choisi comme porte-parole du pape aupregraves des inquisiteurs Guillaume neacute agrave Bayonne vers

1260 eacutetait entreacute fort tocirct vers 1279 chez les dominicains de Beacuteziers avant de circuler comme

eacutetudiant dans divers couvents et studia du Sud-Ouest (Orthez Bordeaux Condom) de faire

ses eacutetudes de theacuteologie agrave Montpellier puis de parcourir agrave nouveau les couvents (Bayonne

Condom Montpellier) comme lecteur Il ne passa que briegravevement agrave Paris en 1292 Sa

veacuteritable carriegravere universitaire apregraves une peacuteriode denseignement agrave Toulouse (1296)

commenccedila en 1306 quand il fut nommeacute lecteur du Sacreacute Palais aupregraves de Cleacutement V qui le fit

cardinal-precirctre de Sainte-Ceacutecile en deacutecembre 1312 dans le mecircme mouvement de nomination

cardinalice que Jacques Duegraveze le futur pape Jean XXII Guillaume jouissait dune expeacuterience

et dune reacuteputation assez larges puisquil eacutetait agrave la fois un theacuteologien reconnu (son

commentaire sur les Sentences de Pierre Lombard reacutedigeacute vers 1300 fut reconnu comme

Lectura Thomasiana) un membre actif de lordre dominicain (preacutedicateur geacuteneacuteral de

Narbonne en 1289 deacutefiniteur agrave Cahors en 1298 prieur provincial de Provence en 1301) et un

curialiste (chargeacute en 1309 par Cleacutement V de soccuper du procegraves posthume de Boniface VIII)

Jean XXII appreacutecia ses meacuterites puisquil le promut cardinal-eacutevecircque de Sabine en 1317 puis le

deacutesigna comme leacutegat pontifical en Espagne de 1320 agrave 1324 De cette carriegravere il ressort

clairement que Guillaume de Peyre Godin navait aucune formation juridique et repreacutesentait la

meilleure orthodoxie thomiste le deacutetail importe car la tacircche des inquisiteurs relevait

davantage de la theacuteologie que du droit Guillaume navait pas eacuteteacute consulteacute en 1320 sur la

question de la qualification heacutereacutetique des invocateurs du deacutemon peut-ecirctre parce quil eacutetait

deacutejagrave parti en Espagne mais il reccedilut en 1326 une nouvelle commission pontificale aux cocircteacutes

des cardinaux Pierre dArablay et Bertrand de Montfavet en vue de proceacuteder aux procegraves de

plusieurs clercs et laiumlcs des diocegraveses de Toulouse et Cahors accuseacutes davoir fabriqueacute des

images en plomb ou en pierre destineacutees agrave linvocation des deacutemons31 Les accuseacutes avaient

dabord eacuteteacute convoqueacutes devant la justice eacutepiscopale de Toulouse avant decirctre deacutefeacutereacutes au roi de

France probablement parce que leurs images avaient eacuteteacute fabriqueacutees sur le modegravele de la

monnaie royale (sub figura seu typario regio)32 En 1328 Guillaume fut chargeacute de compiler

lenquecircte locale en vue du procegraves de canonisation de Nicolas de Tolentino or cette affaire

comportait de larges aspects deacutemonologiques33

Agrave cette petite seacuterie on peut ajouter une notation du dominicain Bernard Gui qui fort de son

expeacuterience dinquisiteur reacutedigea son Manuel de linquisiteur sans doute apregraves 1324 pour lui

linvocation des deacutemons relevait de lheacutereacutesie si elle eacutetait faite laquo en mecircme temps quun sacrifice

ou que limmolation dune certaine chose en faisant offrande agrave ces mecircmes deacutemons par le

moyen du sacrifice ou de limmolation raquo34

7

Dix ans plus tard le 4 novembre 1330 Jean XXII envoya deux lettres35 lune adresseacutee agrave

larchevecircque de Narbonne agrave ses suffragants et agrave linquisiteur de Carcassonne36 lautre agrave

larchevecircque de Toulouse agrave ses suffragants et agrave linquisiteur de cette ville37 cette lettre

contenait une copie de celle envoyeacutee en 1320 par Guillaume de Peyre Godin aux inquisiteurs

de Carcassonne et Toulouse puis ordonnait aux destinataires de poursuivre cette œuvre plus

que jamais neacutecessaire38 Cependant cette lettre introduisait un correctif important les

eacutevecircques devaient se mettre agrave lœuvre les inquisiteurs seuls ou en collaboration avec les

eacutevecircques devaient achever les actions entreprises mais ces derniers ne devaient pas entamer de

nouvelles proceacutedures sans commission pontificale Ce correctif nenlevait rien agrave la

qualification dheacutereacutesie appliqueacutee aux invocations deacutemoniaques et autres formes de magie

puisque laction inquisitoriale neacutetait pas suspendue ni simplement transfeacutereacutee aux eacutevecircques

mais il traduisait une certaine meacutefiance agrave leacutegard des inquisiteurs sur laquelle il faudra

revenir

Un mal ordinaire

On peut se demander quel peacuteril urgent se repreacutesentait le pape pour agir avec tant dobstination

Les pratiques magiques populaires ou savantes que visaient les articles de la consultation de

1320 sont universelles et de tous les temps Lenvoucirctement criminel ou amoureux par le biais

dimages de cire ou de terre est bien attesteacute dans lantiquiteacute greacuteco-romaine (notamment sous le

nom de defixiones)39 Quant au deacutetournement magiques des objets sacramentaux chreacutetiens il

eacutetait largement attesteacute depuis fort longtemps40 Sous leffet de la christianisation des mœurs

les vieilles traditions de magie naturelle et beacuteneacutefique se lestaient des rites liturgiques

chreacutetiens sans mutation reacuteelle

Deux facteurs expliquent sans doute lanxieacuteteacute du pape En premier lieu la magie savante

importeacutee de lOrient ou de lEspagne en mecircme temps que la science naturaliste avait connu un

large deacuteveloppement dans les milieux savants depuis le deacutebut du XIIIe siegravecle comme latteste

lœuvre de Guillaume dAuvergne Des recherches reacutecentes ont montreacute lampleur et la

complexiteacute de cette culture41 Les savoirs alchimique et astrologique doteacutes dun grand

prestige scientifique pouvaient se combiner agrave cette laquo neacutegromancie raquo ou agrave ces arts de la magie

Lambivalence des attitudes de lEacuteglise vis-agrave-vis de lalchimie commenccedila agrave se deacutefaire agrave la fin

du XIIIe siegravecle42 preacuteciseacutement au moment ougrave les conquecirctes de la science naturelle apparurent

comme dangereuses pour la foi tandis que lastrologie conservait encore quelque leacutegitimiteacute

malgreacute les soupccedilons On le sait la fameuse condamnation prononceacutee en 1277 par leacutevecircque

Eacutetienne Tempier qui portait sur 219 propositions supposeacutees ecirctre tenues par des membres de

la Faculteacute des Arts eacutetait preacuteceacutedeacutee dun prologue qui condamnait laquo les livres rouleaux ou

cahiers traitant de neacutecromancie ou contenant des expeacuteriences de sortilegraveges des invocations

des deacutemons ou des conjurations au peacuteril des acircmes raquo43 Lalchimie proteacutegeacutee par les papes en

quecircte de leacutelixir de longue vie jusque dans les anneacutees 127044 commenccedilait elle aussi agrave

devenir suspecte comme le notait Agostino Paravicini Bagliani le cardinal Francesco Orsini

dans son testament de 1304 ordonna de brucircler tous ses livres dalchimie45 Lastrologie

malgreacute son allure plus acadeacutemique subissait les mecircmes soupccedilons Le destin tragique de

Cecco dAscoli qui fut un professeur dastrologie respecteacute agrave Bologne agrave partir de 1322 avant

decirctre brucircleacute pour heacutereacutesie agrave Florence en 1327 en compagnie de ses livres dastrologie

manifeste peut-ecirctre malgreacute son caractegravere singulier cette ambivalence des attitudes

lastrologie en fait malgreacute son statut de plus en plus suspect vit son prestige saccroicirctre au

cours du XIVe siegravecle

8

Laffaire Robert de Mauvoisin suivie de tregraves pregraves par Jean XXII confirme cette ambivalence

Robert de Mauvoisin archevecircque dAix fut jugeacute en 1318 par une commission pontificale et

dut renoncer agrave son siegravege46 Le statut de cette poursuite est incertain comme cest souvent le

cas dans ces commissions nommeacutees directement par le pape laction fut en fait

disciplinaire mais elle aurait pu ecirctre criminelle selon laccentuation de tel ou tel deacutelit qui

pouvait aussi bien relever de lexcegraves condamnable chez un preacutelat que du crime Il est fort

possible que cette qualification ait deacutependu dune neacutegociation le pape voulait reacutecupeacuterer le

siegravege et Robert cherchait agrave se tirer de ce mauvais pas Mais quoi quil en soit le premier des

quinze articles daccusation le plus deacuteveloppeacute joua un rocircle certain dans la relative cleacutemence

de la commission cet article rapportait que Robert depuis les temps de ses eacutetudes agrave Bologne

dans les anneacutees 1300 jusquau temps de sa preacutelature avait eu recours laquo aux sortilegraveges agrave lart

de la magie (arti mathematice) et aux divinations raquo Larticle preacutecisait que ces pratiques

eacutetaient laquo condamneacutees et interdites par le droit raquo Dans son interrogatoire Robert prit soin de

qualifier constamment ses diffeacuterents conseillers dlaquo astrologues raquo et de relater preacuteciseacutement les

modes et les buts de ses consultations Tout en affirmant quil ne croyait pas en ces arts

Robert confirmeacute par un teacutemoin maintint quil pensait de bonne foi que ces pratiques

astrologiques eacutetaient licites

Or il semble bien que la meacutefiance nouvelle envers lastrologie et lalchimie plus ou moins

assumeacutee par les savants et les hauts dignitaires de lEacuteglise se soit accompagneacutee selon une

causaliteacute difficile agrave deacuteterminer dune diffusion de la culture neacutecromantique et alchimique

dans les couches plus basses de lEacuteglise Le second astrologue que Robert de Mauvoisin

consulta pour eacutevaluer son thegraveme astral eacutetait un copiste (grossator) de la curie pontificale

Nous avons eacutevoqueacute plus haut la poursuite de clercs et laiumlcs accuseacutes de fabrication dimages

sous leffigie royale Leur propre confession mentionnait explicitement lusage de lalchimie

il y est question de la recherche de la laquo veacuteriteacute de lalchimie raquo (veritatem alquimie)

Agrave cette inquieacutetude geacuteneacuterale et ambivalente sajoutait le souci propre de Jean XXII qui paraicirct

avoir consideacutereacute que les deacutemons se mecirclaient directement agrave ces arts suspects et exerccedilaient un

rocircle redoutable dans la vie et la mort des humains

Les convictions deacutemonologiques de Jean XXII

Linsistance de Jean XXII sur les dangers des invocations deacutemoniaques correspond dans la

pratique judiciaire quil a deacuteveloppeacutee agrave de nombreuses accusations47 lanceacutees agrave titre principal

ou contre des accuseacutes inculpeacutes dabord pour dautres raisons comme leacutevecircque de Cahors

Hugues Geacuteraud larchevecircque dAix Robert de Mauvoisin ou contre le franciscain Bernard

Deacutelicieux accuseacute dentraver gravement le travail des inquisiteurs Le parcours rapide de

certains de ces dossiers nous aidera agrave saisir les preacuteoccupations personnelles du pape en

matiegravere de magie et dinvocations deacutemoniaques

Le 27 feacutevrier 1318 Jean XXII sadressa agrave Bartheacutelemy eacutevecircque de Freacutejus agrave Pierre Tissier

prieur de Saint-Antonin pregraves de Rodez et au preacutevocirct de Clermont-Ferrand pour leur

demander dentreprendre une action selon la proceacutedure sommaire et sans possibiliteacute dappel agrave

lencontre de plusieurs clercs qui sadonnaient agrave laquo la nigromancie la geacuteomancie et autres arts

magiques raquo48 Ces arts de la magie sont eacutetroitement relieacutes agrave linvocation des deacutemons ils sont

laquo des arts de deacutemons deacuteriveacutes dune pestifegravere association des hommes et des mauvais anges raquo

Les magiciens laquo usent freacutequemment de miroirs et dimages consacreacutees selon leur exeacutecrable

rite et se placcedilant en cercle invoquent de faccedilon reacutepeacuteteacutee les deacutemons quils enferment dans les

9

miroirs les cercles ou les anneaux raquo Par ces invocations les accuseacutes tentent de nuire ou de

preacutedire le futur49

Or un autre aspect de leur activiteacute releveacute dans la suite de la lettre concerne un souci

pontifical laquo ils ne craignent pas daffirmer quagrave laide de boissons ou de nourritures mais

aussi par la profeacuteration dune seule parole il est possible dabreacuteger ou de prolonger la vie des

hommes raquo On pense bien sucircr aux diffeacuterentes recherches et pratiques patronneacutees par les

papes du XIIIe siegravecle en vue dobtenir le prolongement de leur vie que les recherches

dAgostino Paravicini Bagliani ont repeacutereacutees50 Le grand alchimiste anglais John Dastin qui

avait eacutecrit des ouvrages dalchimie pour le cardinal Napoleacuteon Orsini ennemi et familier du

pape envoya agrave Jean XXII une lettre sur lor potable susceptible de prolonger la vie51

Comme lavait montreacute le procegraves de Boniface VIII la frontiegravere eacutetait incertaine entre les arts

magiques et lalchimie entre le juste deacutesir de prolonger la vie des papes et la sournoise

volonteacute de labreacuteger Loctogeacutenaire pontife eacutelu comme pape de transition savait sa vie fragile

et sa succession souhaiteacutee La premiegravere grande affaire judiciaire du pontificat quelques mois

apregraves lavegravenement de Jean XXII mit en cause leacutevecircque de Cahors Hugues Geacuteraud accuseacute

davoir voulu attenter agrave la vie du pape et des cardinaux par le poison mais aussi par la

confection dimages de cire qui avaient reccedilu le nom des victimes et qui furent perceacutees de

coups daiguilles selon leacutevocation assez preacutecise quen donne le pape dans sa lettre de

commission de laffaire le 22 avril 131752 On comprend degraves lors lobsession de Jean XXII

quant aux manipulations surnaturelles de la nature dautant que reacutecemment certains

alchimistes ou meacutedecins dont Arnaud de Villeneuve avaient noueacute des relations fortes avec

les Spirituels franciscains ou avec les clans Orsini et Colonna de la curie

Le procegraves intenteacute au franciscain Bernard Deacutelicieux en 1319 illustre bien cette conjonction

Bernard Deacutelicieux eacutetait poursuivi essentiellement pour ses attaques contre linquisition et ses

tentatives en vue du soulegravevement des citeacutes meacuteridionales contre le pouvoir des inquisiteurs

Laffaire eacutetait deacutejagrave ancienne mais le franciscain avait reacutecemment aggraveacute son cas en prenant

la deacutefense des franciscains spirituels convoqueacutes agrave Avignon en 1317 Or les articles 24 agrave 31 de

son acte daccusation portaient sur ses tentatives de meurtre sur la personne de Benoicirct XI par

le biais des incantations et des actes de magie53 Dans cette liste de griefs pas plus que dans

les accusations contre Robert de Mauvoisin les pratiques magiques de Bernard Deacutelicieux ne

sont rapporteacutees agrave une invocation des deacutemons comme si la magie naturelle neacutetait incrimineacutee

que pour ses fins mauvaises Tout se passe comme si Jean XXII heacuteritier de la fascination de

ses preacutedeacutecesseurs envers la puissance des sciences occultes heacutesitait encore agrave lier la magie agrave

laction deacutemoniaque ce qui expliquerait lurgence et limportance de la consultation de 1320

Quelques anneacutees plus tard ces incertitudes neacutetaient plus de mise Ainsi le 23 aoucirct 132654 le

pape envoya une lettre au cardinal Bertrand de Montfavet lincitant agrave poursuivre une enquecircte

sur Bertrand dAudiran chanoine dAgen qui se livrait agrave pluribus et diversis dampnatis

scientiis et artibus laquo non sans une transgression de la foi catholique du droit canonique et du

droit civil raquo Le suspect usait de livres deacutecritures de vases de verre de terre et de bois en

lesquels il composait des poudres et liqueurs feacutetides laquo Et surtout ce Bertrand en usant et

abusant de ces sciences et arts sefforccedilait de tenter les deacutemons et dinvoquer les esprits malins

et dappliquer agrave cette fin les conjurations et autres choses illicites et condamneacutees raquo Or cette

pratique eacutetait efficace laquo il sensuivait de terrifiants coups de tonnerre eacutebranlements foudres

tempecirctes deacuteluges coups porteacutes par les deacutemons agressions et morts dhommes et autres

innombrables dommages raquo

10

Bertrand disposait de complices dont deux sont nommeacutes dans la lettre Ils avaient eacuteteacute pris sur

le fait quand ils emportaient sur des fourches patibulaires deux tecirctes et un bras de pendus Le

laiumlc avait avoueacute et avait eacuteteacute livreacute aux flammes le clerc fut emprisonneacute dans les cachots de

leacutevecircque dAgen Leacutevecircque avait fait conduire Bertrand vers les prisons pontificales dAvignon

Lenquecircte avait eacuteteacute confieacutee agrave Bertrand de Montfavet et au cardinal Pierre Tissier mort depuis

(en 1323) La lenteur dune proceacutedure qui eacutetait entiegraverement entre les mains du pontife montre

bien que Jean XXII cherchait agrave savoir avant de reacuteprimer

Une autre lettre manifeste bien linquieacutetude de Jean XXII devant les mystegraveres surnaturels et

notamment devant la possibiliteacute de transport extraordinaire qui annonce peut-ecirctre un des

aspects les plus spectaculaires du sabbat le vol des deacutemoniaques dans les airs Le 3 mars

1325 Jean XXII sadressa agrave leacutevecircque de Paris le cureacute de la paroisse des Saints Innocents un

soir a disparu de sa chambre fermeacutee au verrou de linteacuterieur Le pape demande une enquecircte

summarie simpliciter ac sine strepitu et figura judicii afin de savoir laquo ougrave ledit recteur est

alleacute ou a eacuteteacute emporteacute ou transporteacute raquo (dictus rector iverit vel asportatus aut translatus

fuerit)55 Le ton presseacute et angoisseacute de la lettre leacutevocation de la possibiliteacute dun transport

surnaturel sans eacutevoquer vraiment le sabbat manifestent en cette mince affaire une reacuteelle

inquieacutetude

Lors de la fameuse controverse sur la vision beacuteatifique que le pape lanccedila en 1331 un des

arguments produits par le pape pour prouver le caractegravere partiel et limiteacute du jugement

individuel consiste agrave insister sur lactiviteacute libre des deacutemons avant le Jugement dernier En

1332 dans un sermon le pape dit laquo En effet les damneacutes cest-agrave-dire les deacutemons ne

pourraient nous tenter sils eacutetaient reclus en enfer Cest pourquoi il ne faut pas dire quils

reacutesident en enfer mais bien dans la totaliteacute de la zone dair obscur dougrave leur est ouverte la

voie pour nous tenter raquo56

Portrait de Jean XXII en suppocirct du deacutemon

Si Jean XXII fut aussi acharneacute agrave poursuivre les deacutemons et leurs adorateurs cest sans doute

aussi parce quil fut lui-mecircme parfois preacutesenteacute comme une creacuteature de lAnteacutechrist ou du

diable notamment dans les divers milieux influenceacutes par les franciscains spirituels (beacuteguins

fraticelli) Cette qualification relevait en partie de linjure en partie de la conviction En effet

dun cocircteacute les franciscains spirituels adeptes de la plus haute pauvreteacute qui avaient joui dune

relative tranquilliteacute sous le pontificat de Cleacutement V subirent la reacutepression violente de

Jean XXII degraves le deacutebut de son pontificat quatre franciscains spirituels furent brucircleacutes agrave

Marseille en 1318 une seacuterie de bulles de 1317 agrave 1328 condamnegraverent certains groupes puis

la doctrine mecircme de la pauvreteacute absolue et de son fondement christique On en arriva au

schisme de 1328 quand Michel de Ceacutesegravene et quelques fregraveres senfuirent dAvignon pour

rejoindre la cour de lempereur Louis de Baviegravere qui creacutea le bref pontificat schismatique de

Nicolas V Dans la masse des eacutecrits de combat des franciscains le pape prit souvent une

figure satanique

Mais il y avait plus Dans les eacutecrits de Pierre de Jean Olivi qui fut linspirateur principal de

ces mouvements se manifestait la conviction que le temps preacutesent eacutetait celui du passage agrave la

sixiegraveme peacuteriode de lhistoire de lEacuteglise lui-mecircme annonciateur du troisiegraveme et dernier acircge de

lhumaniteacute En lisant lApocalypse Olivi avait deacutecouvert que lAnteacutechrist dont la deacutefaite

ultime devait ouvrir une longue peacuteriode de paix avant la fin des temps se deacutedoublait en un

Anteacutechrist laquo mystique raquo (cest-agrave-dire cacheacute) et le grand Anteacutechrist manifeste Cet Anteacutechrist

mystique devait probablement ecirctre un pseudo-pape Si Olivi mort en 1298 navait pas pousseacute

11

plus loin lidentification ses disciples confirmeacutes par les perseacutecutions proceacutedegraverent agrave cette

assimilation du pape agrave lAnteacutechrist mystique

Sur ce point un teacutemoignage curieux livre un veacuteritable reacutecit fondateur et mythique sur les

origines de la haine de Jean XXII contre les spirituels franciscains En 1333 le chevalier

roussillonnais Adheacutemar de Mosset fut poursuivi pour ses sympathies beacuteguines agrave linitiative

du roi Jacques II de Majorque57 Le roi dans son troisiegraveme article daccusation rapporte un

souvenir personnel Un jour quil voyageait en compagnie dAdheacutemar la conversation vint sur

le pape Jean XXII et sur les perseacutecutions contre les spirituels que le chevalier reprochait fort

au pontife Adheacutemar demanda au roi sil savait pourquoi le pape qui au deacutebut de son

pontificat avait eacuteteacute une homme saint et bon en eacutetait arriveacute lagrave Jacques ne le savait pas mais le

chevalier le lui apprit Jean XXII aimait alors beaucoup Angelo Clareno lun des principaux

dirigeants des spirituels Un jour il lui demanda dinterroger Dieu pour savoir si son eacutetat

(status) Lui plaisait ou non58 Angelo se mit en priegraveres et laquo vit alors une grande foule de

diables qui portaient un calice plein du poison diniquiteacute il leur demanda ougrave ils allaient et ce

quils allaient faire de ce calice Ils lui reacutepondirent quils allaient aupregraves du pape pour faire

leur possible afin quil boive le calice diniquiteacute raquo Angelo leur demanda de passer le voir sur

le retour ce quils firent Ils lui apprirent alors que le pape avait bu et ils conseillegraverent agrave

Angelo de se garder deacutesormais de lui Au sortir de cette vision le pape demanda agrave Angelo le

reacutesultat de sa consultation le franciscain refusa de parler mais reccedilut lordre au nom du

principe dobeacuteissance de livrer ses informations ce quil fit laquo Et depuis ce temps lagrave le

seigneur pape lui voulut du mal agrave lui et aux autres Beacuteguins raquo Adheacutemar de Mosset qui avait

eacuteteacute au service de Philippe de Majorque reacutegent du royaume sous la minoriteacute de Jacques II et

partisan actif des Beacuteguins eacutetait probablement un sympathisant des dissidents sans ecirctre

directement engageacute dans leur combat et sans avoir de formation theacuteologique ni exeacutegeacutetique il

est probable quil transmettait une anecdote largement reacutepandue Si lon perccediloit mieux le

deacuteveloppement dun engagement personnel du pape il reste agrave comprendre les modaliteacutes de sa

lutte

Le positivisme de Jean XXII

Pourquoi qualifier dheacutereacutesie la magie ou linvocation des deacutemons Parce que les adorateurs

des deacutemons produisent de nouveaux faits susceptibles dengendrer de nouvelles adheacutesions Il

faut insister sur cette notion de factum hereticale brandie dans les questions poseacutees aux

theacuteologiens en 1320 qui rompt avec lideacutee commune de lheacutereacutesie comme opinion ou comme

intellectus Il ne sagit pas seulement dune extension qui trouverait dans les pratiques

sacrilegraveges un fondement doctrinal Jean XXII navait nul besoin de cette qualification pour

reacuteprimer seacutevegraverement les actes magiques et deacutemonolacirctriques

Le pape croyait en la force des faits en droit comme en theacuteologie Ainsi en mai 1330 il

sadressa au roi de France pour lui demander dinterdire la pratique de la preuve par combat

judiciaire ou duel59 en notant que laquo par de telles pratiques la veacuteriteacute nest pas prouveacutee raquo (per

taliaveritas non probatur) Le pape au nom de lexpeacuterience maicirctresse des choses (magistra

rerum experiencia) fait remarquer au roi quen cas daccusation de fausse monnaie jamais le

souverain ne se contenterait dune telle preuve preacuteciseacutement parce quen ce cas les faits

mateacuteriels et la veacuteriteacute pure importent

La construction mecircme de faits ineacutedits est une menace pour la foi Car ce sont les faits qui

induisent la confiance et la foi La qualification traditionnelle de lheacutereacutesie en sen tenant au

rejet des opinions orthodoxes ne considegravere pas le processus qui conduit agrave la foi Devant

12

lextrecircme diversiteacute des opinions et des eacutecoles il faut sen tenir aux faits Jean XXII

exactement comme Guillaume dOckham aboutit agrave la conclusion que la foi repose sur une

certaine confiance accordeacutee agrave lensemble de la tradition chreacutetienne et corroboreacutee par les faits

livreacutes par lEacutecriture La foi repose sur un contrat de confiance Un des reproches les plus

veacuteheacutements quil adresse aux franciscains cest de pieacutetiner les donneacutees factuelles de lEacutecriture

Dans lEacutevangile Jeacutesus a posseacutedeacute des biens et a confieacute sa bourse agrave Judas Or par des artifices

dinterpreacutetation ils aneacuteantissent ces faits au beacuteneacutefice de leur interpreacutetation Les grandes

bulles de condamnation de la doctrine franciscaine de la pauvreteacute absolue insistent sur cette

destruction des donneacutees factuelles qui fondent les articles de foi60 Dans la bulle Cum inter

nonnullos (12 novembre 1223) le pape disait

Laffirmation selon laquelle le Christ et les apocirctres nont rien posseacutedeacute ni en commun ni

individuellement nous jugeons par un eacutedit perpeacutetuel et en suivant lavis de nos fregraveres que

quand elle est reacutepeacuteteacutee avec obstination elle doit ecirctre tenue pour erroneacutee et heacutereacutetique car

comme elle contredit expresseacutement lEacutecriture sacreacutee qui en plusieurs lieux affirme quils ont

eu quelque possession elle implique que cette Eacutecriture sacreacutee par laquelle sont prouveacutes les

articles de la foi orthodoxe contient ouvertement sur ce sujet le germe du mensonge et que

en tant que telle elle eacutevacue toute confiance en lEacutecriture et rend la foi catholique douteuse et

incertaine en supprimant sa force probatoire61

Plus geacuteneacuteralement les franciscains spirituels en imaginant que le Christ et les apocirctres

pratiquaient un usage laquo de fait raquo sans aucune appropriation juridique construisaient une

fiction qui ne trouvait aucun reacutepondant aucune veacuterification dans la laquo nature des choses raquo

(natura rerum) ougrave la consommation des biens repose soit sur un droit soit sur un deacutelit Leur

usage du mot laquo fait raquo renversait lordre naturel du monde Les franciscains devenaient

heacutereacutetiques en rejetant les faits eacutevangeacuteliques et en reconstruisant leurs propres faits gracircce agrave

leur ideacuteologie forte et gracircce agrave lidentiteacute collective quils creacuteaient Les adorateurs des deacutemons

nagissaient pas autrement on le verra

Donc pour Jean XXII un fait est un fait Comment comprendre ce positivisme qui semble

anachronique sans le reacuteduire aux fantaisies singuliegraveres du vieux pontife

Leacutemergence du fait

Pour saisir ce tournant il faut sans doute partir du jugement moral et non pas du jugement

eacutepisteacutemologique des conduites humaines plus que des processus physiques Chacun le sait le

XIIe siegravecle entre Pierre Abeacutelard et Pierre le Chantre a produit une morale de lintention Mon

hypothegravese est que cest cette morale qui a construit la notion de fait en neutralisant

leacuteveacutenement Jean est tueacute Paul la tueacute Ceci est un eacuteveacutenement La theacuteologie morale de

lintention affirme que cet eacuteveacutenement ne signifie rien en lui-mecircme avant quil ne soit qualifieacute

selon lintention de Paul qui construit leacuteveacutenement comme meurtre (il a voulu et preacutemeacutediteacute cet

acte par leffet dune vieille haine) ou bien comme coups et blessures porteacutes sans intention de

meurtre (agrave la suite dune rixe par exemple) comme accident (Paul au cours dune chasse

visait un gibier) comme acte meacuteritoire (Paul a deacutebarrasseacute la chreacutetienteacute dun perseacutecuteur sur le

modegravele de Judith tuant Holopherne) Leacuteveacutenement laquo mort de Jean raquo videacute de sa signification

intrinsegraveque devient ce que jappelle un fait faible un reacutesidu irreacuteductible de reacutealiteacute

Ce relativisme dAbeacutelard doit se relier eacutetroitement au principe naissant de lenquecircte

contradictoire Le premier texte qui proclame la neacutecessiteacute de cette enquecircte se trouve dans la

preacuteface du Sic et non On sait que cet ouvrage en dehors de sa preacuteface ne contient que des

13

citations contradictoires sur une seacuterie dobjets mais on na pas releveacute que ces objets ne sont

pas toujours des opinions theacuteologiques mais aussi des faits (comme par exemple

lemplacement geacuteographique de la tombe des patriarches)

Au cours du XIIIe siegravecle se produisit une reacuteaction progressive contre la morale de lintention

une tentative dobjectivation du jugement moral et judiciaire Ce pheacutenomegravene tient

probablement au mouvement de reacutedaction des textes normatifs et agrave la constitution du droit

comme science de plus en plus indeacutependante de la theacuteologie morale62 Le fait fut penseacute

comme un reacutesidu neacutecessaire agrave lindeacutependance transcendante du droit que la caste des juristes

tentaient dextraire des contingences et des compromissions des affaires courantes Mais

lattachement agrave la factualiteacute tenait aussi agrave une reacuteaction de lEacuteglise contre les entreprises

heacutereacutetiques appuyeacutees sur une pratique du secret et de la double entente Le sanctuaire de

linteacuterioriteacute pouvait apparaicirctre comme une cache de malfaiteurs Les poursuites contre les

cathares et les beacuteguins le montrent clairement les inquisiteurs mirent au point des techniques

de repeacuterage de la dissimulation Cette eacutevolution tendait donc agrave remplacer le fait faible des

morales de lintention par le fait fort des tribunaux denquecircte Est-ce agrave dire quau tribunal toute

excuse quant agrave la circonstance de laction eacutetait rejeteacutee Certes pas mais les circonstances

furent elles-mecircmes objectiveacutees On en donnera deux exemples la notion dirresponsabiliteacute

accordeacutee agrave des classes repeacuterables dindividus (les fous les enfants les somnambules) fut

deacutefinie au deacutebut du XIVe siegravecle par une deacutecreacutetale de Cleacutement V63 Par ailleurs dans la

proceacutedure inquisitoire lenquecircte preacutealable sur la reacuteputation (fama) des individus suspects

deacuteleacuteguait agrave une communauteacute exteacuterieure leacutevaluation des motifs avant que lenquecircte en veacuteriteacute

ne mette en correacutelation cette eacutevaluation avec des faits preacutecis Certes la fama fut largement

induite par les poursuites elles-mecircmes mais les juges tenaient agrave son caractegravere objectif et

mesurable Dans les procegraves inquisitoires en canonisation comme en matiegravere criminelle ou

heacutereacutetique les juges ou commissaires demandent freacutequemment aux teacutemoins de deacutefinir le sens

du mot fama son lieu dorigine son extension Certains allaient mecircme jusquagrave demander au

teacutemoin deacutevaluer quantitativement le nombre minimal dopinions ou de murmures neacutecessaires

pour constituer une reacuteputation

Ce positivisme meacutedieacuteval dont nous avons tenteacute de repeacuterer les racines juridiques et morales

peut-il ecirctre relieacute agrave une eacutevolution plus globale que lon pourrait saisir dans lhistoire des

sciences La question est deacutelicate car la physique dominante inspireacutee dAristote sattachait

davantage aux causes quaux pheacutenomegravenes comme la montreacute Alexandre Koyreacute Le

pheacutenomegravene eacutetait essentiellement reacuteductible Pourtant un certain deacuteveloppement de la

factualiteacute scientifique sobservait preacuteciseacutement en ces derniegraveres anneacutees du XIIIe siegravecle soit du

cocircteacute des ingeacutenieurs comme le ceacutelegravebre Pierre de Maricourt qui deacutecrivait et expeacuterimentait les

proprieacuteteacutes de laimant en vue de lameacutelioration de la boussole Un grand penseur comme

Roger Bacon grand chantre de lexpeacuterimentation reacuteussissait agrave conjoindre dans son œuvre la

theacuteologie loptique et lalchimie en traquant des faits par lobservation La cateacutegorie fourre-

tout des laquo merveilles raquo (mirabilia) commenccedilait agrave seacutetioler au profit dune extension simultaneacutee

des pheacutenomegravenes miraculeux et des pheacutenomegravenes naturels Enfin une physique non-

aristoteacutelicienne raisonnant sur des cas-limites relevant dune factualiteacute reacuteelle mais rare se

mettait en place64

Lenquecircte et le fait

Sur le plan des poursuites judiciaires la notion de fait tendit agrave simposer quand agrave partir des

anneacutees 1230 la recherche des heacutereacutetiques au sein de populations largement complices prit un

caractegravere massif et exigea des critegraveres plus larges et des meacutethodes plus efficaces que

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linterrogatoire individuel Un mandement de larchevecircque de Tarragone fut reacutedigeacute en mai

124265 avec laide du dominicain Raymond de Penyafort le grand juriste qui devint aussi

maicirctre geacuteneacuteral de lordre des precirccheurs afin laquo que lon procegravede plus clairement quant au fait

dheacutereacutesie (circa factum heresis) raquo Certes le mot factum a encore ici le sens dimputation

judiciaire quil avait dans le droit romain mais le deacutetail du mandement montre bien quil

importait deacutesormais de consideacuterer des actes qui ne relevaient pas directement de la croyance

Le texte en effet distingue sept classes de population relieacutees agrave lheacutereacutesie66 Or seule la

premiegravere est nommeacute heacutereacutetique parce quelle professe des croyances en perdurant dans lerreur

La seconde cateacutegorie les laquo croyants raquo (credentes) est assimileacutee aux heacutereacutetiques (il faut sans

doute comprendre quils sont mis agrave part avant lavertissement salutaire qui les transforme en

cas de refus dabjurer en heacutereacutetiques proprement dits) Ensuite viennent les laquo suspects raquo

dheacutereacutesie Seuls des actions et des faits construisent cette qualification eacutecouter la preacutedication

ou les confeacuterences des heacutereacutetiques (en ce cas il sagit dinsabbatici heacutereacutetiques difficiles agrave

identifier et qui sont citeacutes en compagnie des Pauvres de Lyon et des Vaudois) sagenouiller en

leur compagnie Un eacuteleacutement de croyance peut pourtant ecirctre ajouteacute les suspects croient que

les heacutereacutetiques en question sont de laquo bons hommes raquo Suivant la reacutepeacutetition des actes la

suspicion sera simple veacuteheacutemente ou tregraves veacuteheacutemente Viennent ensuite les complices passifs

les laquo non-deacutenonciateurs raquo (celatores) qui sabstiennent de reacuteveacuteler la preacutesence publique

dheacutereacutetiques les laquo dissimulateurs raquo (occultatores) laquo qui ont fait pacte de ne rien reacuteveacuteler raquo

(fecerunt pactum de non revelando) les laquo hocirctes raquo (receptatores) qui reccediloivent chez eux au

moins deux fois des heacutereacutetiques ou des reacuteunions dheacutereacutetiques les laquo deacutefenseurs raquo (defensores)

qui prennent le parti des heacutereacutetiques par la parole ou par le fait (verbo vel facto) soit par le

discours soit par une aide mateacuterielle67 Ces quatre derniegraveres cateacutegories sont rassembleacutees sous

la qualification de laquo soutiens raquo (fautores) de lheacutereacutesie Les deacutelits lieacutes aux heacutereacutesies sont pour

Raymond susceptibles de degreacutes (magis vel minus) alors que lheacutereacutesie proprement dite

implique une structure strictement binaire ougrave le vrai soppose agrave lerreur Lagrave encore cest le

droit qui construit par opposition le fait par opposition au ministegravere du confesseur qui in

foro conscientiae traite le continuum des fautes et manquements la tacircche de linquisiteur in

jure consiste agrave reacuteduire agrave la pureteacute binaire de lincrimination une foule de circonstances et

daction floues Plus tard dans le siegravecle la notion de laquo preacutesomption de droit raquo accrut encore

cette tendance

Mais lheacutesitation est encore grande le quatriegraveme point de la consultation porte sur la

qualification comme heacutereacutetique de celui qui embrasse un heacutereacutetique ou qui prie en sa

compagnie ou le cache laquo doit-il ecirctre jugeacute comme croyant en lerreur de lheacutereacutetique raquo La

reacuteponse eacutetait neacutegative Pourtant plus loin le texte suggegravere que les ossements de ceux qui ont

soutenu lheacutereacutesie doivent ecirctre exhumeacutes parce que laquo le soutien (fautoria) est la suite et le

compleacutement de lheacutereacutesie raquo Quelques anneacutees plus tocirct en 1235 dans un des premiers textes

consacreacutes aux regravegles de linquisition Raymond de Penyafort consideacuterait que ceux qui

heacutebergeaient des heacutereacutetiques (en loccurrence des Vaudois) devaient ecirctre jugeacutes comme

heacutereacutetiques parce quils croyaient que lEacuteglise se trompait en poursuivant les heacutereacutetiques68

On le voit la tentation eacutetait grande depuis les deacutebuts de linquisition de construire des faits

heacutereacutetiques Lorsque le 14 juin 1303 Guillaume de Plaisians preacutesenta au Louvre ses

accusations contre le pape Boniface VIII il lui reprocha davoir extorqueacute agrave des precirctres la

reacuteveacutelation de secrets confieacutes en confession pour les divulguer et les utiliser Il conclut cet

article en disant laquo En raison de cela il semble avoir eacuteteacute heacutereacutetique quant au sacrement de

peacutenitence (propter quod in sacramento penitentie hereticare videtur) raquo Cest donc bien un

acte manifesteacute par le verbe actif laquo heacutereacutetiquer raquo qui passe pour manifestation dheacutereacutesie

Comme le note Jean Coste dans son eacutedition du laquo procegraves raquo le cardinal Pietro Colonna qui

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connaissait mieux le droit canonique avait ajouteacute dans la reacutedaction dun article analogue laquo le

mecircme Boniface proclamait de faccedilon doctrinale (dogmatizabat) quil avait le droit dagir

ainsi raquo69

En 1308-1309 lauteur dune nouvelle seacuterie darticles daccusation contre la meacutemoire de

Boniface que Jean Coste attribue agrave Nogaret70 introduit une distinction alors ineacutedite qui fut

reprise cinquante ans plus tard par Nicolas Eymerich71 entre les articles heacutereacutetiques les

erreurs relatives agrave un point de fait deacutejagrave condamneacute (facti damnati errores) et les opinions Mais

la simple mention de cette distinction sans application preacutecise ne permet pas de consideacuterer

que la notion de laquo fait heacutereacutetique raquo se deacuteveloppait veacuteritablement

Les juges deacuteleacutegueacutes au procegraves de Bernard Deacutelicieux en 1319 franchirent ce pas du moins

dans leur acte daccusation du 23 octobre 1319 ils ouvraient leur accusation en deacuteclarant sur

un ton tregraves leacutegislatif mais sans aucune alleacutegation de droit que tout homme seigneur puissant

ou juge qui oserait libeacuterer les prisonniers de linquisition refuser dexeacutecuter ses mandats

empecirccher la sentence ou le procegraves ou sopposer en quelque faccedilon agrave la poursuite des

heacutereacutetiques laquo encourt ipso facto une sentence dexcommunication et sil lencourt avec une

volonteacute reacutesolue pendant un an est alors condamneacute comme heacutereacutetique raquo72

Questions de proceacutedure

Face agrave la menace deacutemoniaque il importait dagir efficacement et rapidement mais ces deux

exigences eacutetaient contradictoires car lefficaciteacute supposait le lent et difficile eacutetablissement de

la veacuteriteacute Le pontife disposait dune multitude de solutions judiciaires qui impliquaient agrave la

fois des diffeacuterences dans les types de proceacutedure dans les ressorts juridictionnels et dans les

modaliteacutes de lenquecircte

LEacuteglise favorisait le deacuteveloppement de la proceacutedure inquisitoire (par enquecircte) au deacutetriment

du mode accusatoire selon un mouvement initieacute par des deacutecreacutetales dInnocent III agrave partir de

1198 dont la maturation se lit dans le canon 8 du concile de Latran IV (1215) On le sait la

proceacutedure accusatoire dominante jusquau XIIe siegravecle et qui a poursuivi sa carriegravere dans la

Common Law britannique et ameacutericaine reacuteserve lincrimination agrave un accusateur qui sengage

sur cette accusation et peut en pacirctir Le juge ou le jury se contente darbitrer Les deux

moments de laction sont constitueacutes par la construction minutieuse de la cause qui doit ecirctre

rigoureusement deacutefinie (en termes romains il sagit de la phase de litis contestatio) et par la

deacutelibeacuteration La proceacutedure inquisitoire en revanche favorise laccusation doffice formuleacutee

par un juge ou un prince agrave la suite dune laquo diffamation raquo deacuteriveacutee de leacutecoute dune rumeur

accusatrice Le procegraves met en œuvre deux enquecirctes successives la premiegravere eacutetablit cette

fama cette reacuteputation bonne ou mauvaise qui permet linculpation ou la relaxe la seconde

enquecircte construit la veacuteriteacute des faits porteacutes par la fama

Plusieurs ressorts juridictionnels pouvaient prendre en charge les invocateurs du deacutemon la

justice eacutepiscopale avec ses divers tribunaux le tribunal de linquisition et des commissions

pontificales ad hoc Linquisition fut creacuteeacutee par le pontificat agrave partir de 1233 en vue de

poursuivre lheacutereacutesie et elle garda longtemps cette speacutecialisation qui impliquait un recrutement

de juges plus theacuteologiens que juristes Il est difficile de porter un jugement serein sur

linquisition meacutedieacutevale tant son image a fait lobjet de controverses violentes Certains

meacutedieacutevistes ont tenteacute non sans quelques raisons de rejeter la folie perseacutecutrice associeacutee agrave

cette image Edward Peters a montreacute comment avait pu se construire dans la suite des temps

un veacuteritable mythe noir de linquisition73 un article retentissant de Richard Kieckhefer a mis

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en doute la reacutealiteacute institutionnelle de linquisition74 De fait lopinion commune a souvent

confondu les reacutealiteacutes implacables de lInquisition romaine (creacuteeacutee en 1542) et surtout de

lInquisition castillane (institution eacutetatique fondeacutee en 1481-1482) avec les tentatives limiteacutees

et souvent incoheacuterentes de linquisition meacutedieacutevale Pourtant linquisition meacutedieacutevale a bien

existeacute comme institution puissante en deacutepit de sa faible assise Linquisiteur eacutetait nommeacute par

le saint Siegravege mais demeurait eacutetroitement lieacute agrave lordre religieux dont il provenait (lordre

dominicain pour lessentiel mais aussi lordre franciscain et dans une moindre mesure

lordre des carmes) Sa pratique quotidienne le mettait en relation eacutetroite avec le pouvoir

seacuteculier

Les commissions speacuteciales du pape deacuterivaient en un sens de la justice deacuteleacutegueacutee des pontifes

instaureacutee depuis le XIIe siegravecle mais elles prirent une importance particuliegravere sous le pontificat

de Jean XXII pour des raisons que nous examinerons plus loin Limportance des faits

deacutemoniaques conduisit Jean XXII agrave lever beaucoup de garanties judiciaires et gracieuses75 et

agrave confier les affaires de complot avec soupccedilons magiques ou deacutemonologiques agrave des

commissions pontificales qui se reacuteclamaient de la proceacutedure sommaire La notion de

proceacutedure sommaire sest lentement deacuteveloppeacutee depuis la fin du XIIe siegravecle dans le droit

canonique Il sagissait de formaliser les efforts des deacutecennies preacuteceacutedentes en matiegravere

darbitrage ou de compromis internes agrave lEacuteglise en reacuteaction aux excegraves de juridisme qui avaient

eacuteteacute deacutenonceacutes par saint Bernard dans son retentissant traiteacute De consideratione La notion

dlaquo eacutequiteacute canonique raquo eacutetait opposeacutee agrave la rigor iuris des civilistes La proceacutedure trouva

lentement sa forme agrave partir deacuteleacutements eacutepars dans le droit romain par agglomeacuteration de

clausules indeacutependantes si les parties eacutetaient daccord la cognitio summaria (traduite dans

nos textes par ladverbe summarie ou simpliciter) impliquait dalleacuteger les charges de preuves

on pouvait se contenter de preuves laquo semi-pleines raquo (un simple serment un teacutemoin ou un

document unique) et de la phase proprement proceacutedurale dun procegraves la reacutedaction dun

laquo livret raquo (libellus) et le deacutebat de la litis contestatio (qui eacutetablissait les rocircles judiciaires et les

enjeux du procegraves) devenaient facultatifs La mention dune proceacutedure de plano qui renvoyait

agrave linutiliteacute de sieacuteger formellement en tribunal insistait davantage sur la rapiditeacute et labsence de

formes externes Enfin les clausules sine strepitu judiciorum (sans le vacarme des procegraves) et

sine figura judicii (sans la forme du procegraves) compleacutetaient cette simplification en insistant sur

la suppression des avocats et des formes bruyantes dopposition et de recours

Agrave leacutepoque de Jean XXII cette formalisation de larbitrage eccleacutesiastique venait agrave peine de

sachever par la publication de deux deacutecreacutetales de Cleacutement V Dispendiosam produite pour le

concile de Vienne en 1311-1312 et Saepe reacutedigeacutee en 1314 Dispendiosam76 deacuteclarait de

faccedilon fort bregraveve que la proceacutedure sommaire pouvait sappliquer dune part aux cas deacutejagrave preacutevus

par le droit canonique du XIIIe siegravecle quant aux affaires propres de lEacuteglise (laquo eacutelections

demandes et provisions attributions de digniteacutes de fonctions de charges de canonicats de

preacutebendes et autres beacuteneacutefices eccleacutesiastiques raquo et contentieux sur les dicircmes) mais aussi sur les

questions de mariage et dusure Cette extension eacutetait consideacuterable et aboutissait agrave fournir la

possibiliteacute de proceacutedure sommaire pour la quasi totaliteacute des affaires eacutevoqueacutees par lEacuteglise

Seules les successions neacutetaient pas mentionneacutees mais elles interfeacuteraient neacutecessairement avec

les causes matrimoniales La deacutecreacutetale Saepe77

deacutetaillait plus longuement les particulariteacutes de

la proceacutedure sommaire et reacutesumait soigneusement les traits assembleacutes depuis pregraves dun siegravecle

Lusage parallegravele de la proceacutedure sommaire en matiegravere de poursuite de lheacutereacutesie ne se laisse

pas facilement deacutechiffrer car la filiation par rapport agrave la doctrine de larbitrage y perd tout

sens Le seul point commun des deux usages tient au rocircle essentiel du juge chargeacute agrave la fois de

la proceacutedure de linstruction et de la deacutecision Pourtant ce nest pas avant la deacutecreacutetale Statuta

17

quedam promulgueacutee par Boniface VIII dans son Liber Sextus en 1296-1298 que la proceacutedure

sommaire fut accordeacutee explicitement agrave la proceacutedure inquisitoriale laquo En collationnant certains

statuts de nos preacutedeacutecesseurs dheureuse meacutemoire Innocent Alexandre et Cleacutement et en

interpreacutetant et ajoutant certains points nous accordons que dans les affaires dinquisition sur

la perversion heacutereacutetique il puisse ecirctre proceacutedeacute de faccedilon simple et informelle sans vacarme ni

apparence des avocats et des jugements (procedi possit simpliciter et de plano et absque

advocatorum ac judiciorum strepitu et figura) raquo La suite de la deacutecreacutetale justifie le secret sur

les noms des teacutemoins ou accusateurs pour raison de seacutecuriteacute

Procegraves et majesteacute

Tous les niveaux et distinctions que nous venons desquisser se mecirclaient dans la pratique

judiciaire puisque linquisition se fondait largement sur la proceacutedure inquisitoire tandis que

des eacutevecircques comme Jacques Fournier le ceacutelegravebre eacutevecircque de Pamiers ou Guido Terreni

eacutevecircque de Majorque puis dElne recevaient du pape des fonctions dinquisiteur dans leur

diocegravese

Pourtant Jean XXII navait guegravere confiance dans la justice des eacutevecircques Il savait que les

eacutevecircques pouvaient souvent preacutefeacuterer la paix du diocegravese agrave lexigence de la veacuteriteacute Ainsi agrave

lefficace et zeacuteleacute Jacques Fournier avait succeacutedeacute en 1326 Dominique Grima brillant

theacuteologien ancien assistant inquisiteur de Bernard Gui agrave Toulouse qui sattira le courroux du

pape pour sa neacutegligence dans la poursuite de lheacutereacutesie78 Le pape preacutefeacutera freacutequemment utiliser

des commissions speacuteciales denquecircte et de jugement selon la proceacutedure sommaire plutocirct que

les tribunaux inquisitoriaux Ce fut le cas notamment pour les procegraves de Hugues Geacuteraud de

Robert de Mauvoisin et de Bernard Deacutelicieux Parfois limputation de crime de legravese-majesteacute

permit de donner une latitude encore plus large aux proceacutedures extraordinaires ainsi le 12

avril 1331 sur plainte du roi de France le pape ordonna agrave leacutevecircque de Paris de proceacuteder

contre Hertaud abbeacute dun monastegravere du diocegravese dAutun et contre Jean Albeacutericus dominicain

sur leurs laquo maleacutefices et excegraves raquo (super maleficiis et excessibus) contre le roi et sa cour raquo Il

sagit certainement de pratiques magiques (multis maleficiis) qui attentaient au laquo salut public raquo

et qui en tout cas relevaient du crime de legravese-majesteacute Or le pape en ce cas non seulement

ordonna une proceacutedure sommaire (simpliciter et de plano sine strepitu et figura judicii) mais

leva tous les privilegraveges et garanties des deux religieux autorisant leur arrestation (captionem)

leur incarceacuteration et leur torture (necnon questionibus subici prout a canonibus est

permissum)79

On peut se demander pourquoi Jean XXII fut si reacuteticent agrave confier les causes deacutemoniaques agrave

linquisition au moment mecircme ougrave il tentait dassimiler linvocation des deacutemons agrave lheacutereacutesie La

reacuteponse la plus commune agrave cette question relie ce choix au caractegravere politique de bien des

affaires ougrave le deacutemon semble intervenir comme preacutetexte plutocirct que comme cause De fait les

proceacutedures exceptionnelles qui mecirclent lattentat contre la majesteacute royale ou divine les

accusations dheacutereacutesie et les imputations de sorcellerie ou dinvocation des deacutemons doivent ecirctre

relieacutees agrave la grande vague des procegraves politiques qui avait commenceacute degraves le deacutebut du XIVe

siegravecle cest Philippe le Bel80 qui avait lanceacute degraves 1303 le procegraves contre le pape

Boniface VIII81 accuseacute entre autres davoir invoqueacute les deacutemons et consulteacute des magiciens

puis le roi entre 1306 et 1314 sen eacutetait pris aux Templiers comme adorateurs du diable

Entre 1308 et 1314 Philippe le Bel avait inculpeacute Guichard eacutevecircque de Troyes qui aurait

conspireacute en vue de tuer la reine et dautres personnaliteacutes princiegraveres par lusage de poisons et

dimages magiques82 En 1315 Enguerrand de Marigny qui avait si efficacement collaboreacute agrave

ces procegraves fut lui-mecircme pendu pour avoir nui au roi Louis X et agrave Charles de Valois par des

18

images magiques83 Jean XXII prit le relais avec les procegraves contre Hugues Geacuteraud eacutevecircque

de Cahors84 en 1317 contre Mateo et Galeazzo Visconti en 132085 contre les allieacutes de

Federico de Montefeltro dans la Marche dAncocircne86 Dans tous ces cas la parfaite

correspondance entre la graviteacute des accusations et la position antagoniste des inculpeacutes incite agrave

voir dans ces procegraves de simples et cyniques manœuvres ougrave lexception judiciaire doit

confirmer la regravegle politique

Cette interpreacutetation rend imparfaitement compte des reacutealiteacutes leacutecrasement des adversaires ne

fut pas systeacutematique les graves accusations contre Bernard Deacutelicieux quant au meurtre

deacutemoniaque de Cleacutement V ne furent pas assumeacutees dans le jugement contrairement agrave ce qui se

passa pour Hugues Geacuteraud Robert de Mauvoisin sen tira avec une simple eacutejection de son

siegravege archieacutepiscopal Certes les juges avaient quelque autonomie mais on peut penser que le

pape avait eacuteprouveacute de reacuteels doutes quant agrave la culpabiliteacute des accuseacutes Ces interrogations

rendent peut-ecirctre compte de la consultation de 1320 qui relevait moins de la discussion

quodlibeacutetale ou de la colleacutegialiteacute de deacutecision que du besoin dexpertise

Meacutefiance de linquisition

Les choix de proceacutedure de Jean XXII doivent sexpliquer autrement La preacutefeacuterence pour la

forme extraordinaire tient dabord agrave une grande meacutefiance de linquisition Les inquisiteurs

avaient tendance agrave poursuivre sans tenir compte des rangs sociaux ni des circonstances

politiques la fameuse affaire de Jean lArchevesque sieur de Parthenay mecircleacute agrave des pratiques

de sortilegravege vers 1323 le montre bien Linquisiteur seacutetait attaqueacute agrave un personnage puissant

beacuteneacuteficiant de protections royales qui avait reacuteussi agrave obtenir la consultation dun grand juriste

Oldrado da Ponte87 Agrave deux reprises le pape eacutecrivit aux inquisiteurs de Carcassonne pour

leur enjoindre de ne pas tourmenter inutilement les consuls et bourgeois de Montpellier88

Le pape avait pu aussi eacuteprouver lextrecircme impopulariteacute de linquisition patente dans laffaire

Bernard Deacutelicieux un simple agitateur avait failli renverser le pouvoir monarchique franccedilais

en liguant les couches citadines hostiles agrave lintervention des inquisiteurs En 1317-1318 cest

le zegravele excessif de Michel Le Moine inquisiteur franciscain de Provence qui avait enflammeacute

la reacutesistance beacuteguine dans le Midi par lexaltation des martyrs de Marseille En 1321-1322

cest le manque de discernement de linquisiteur Jean de Beaune agrave Beacuteziers qui avait entraicircneacute le

pape sur un terrain impreacutevu Linquisiteur ne mesurait pas toujours la porteacutee de ses actes et

surtout il pouvait agir trop publiquement du moins dans la phase initiale (la proclamation de

lenquecircte) et dans sa phase conclusive (le sermon geacuteneacuteral) ainsi cest la dispute publique

entre linquisiteur de Carcassonne Jean de Beaune et le lecteur franciscain du couvent de

Narbonne Beacuteranger Talon qui avait provoqueacute la reprise du deacutebat sur la pauvreteacute du Christ

Enfin et surtout linquisition jouissait dune certaine indeacutependance par rapport au pouvoir

pontifical dune part sa nomination deacutependait aussi du bon vouloir du maicirctre geacuteneacuteral des

dominicains ou du ministre geacuteneacuteral des franciscains Dautre part il pouvait agrave loccasion se

rapprocher du pouvoir royal On peut se demander si la diffeacuterence de deacutenomination des

inquisiteurs de Carcassonnne et de Toulouse entre 1320 et 1330 dans les lettres citeacutees plus

haut reacutedigeacutees par Guillaume de Peyre Godin puis par le pape ne traduit pas cette perception

dans le premier cas le cardinal sadresse laquo agrave linquisiteur de la perversion heacutereacutetique de la

reacutegion de Carcassonne raquo dans le second cas il sagit de laquo linquisiteur de la perversion

heacutereacutetique deacuteputeacute par le Siegravege apostolique dans le royaume de France en reacutesidence agrave

Carcassonne raquo Le soin de cette seconde formulation insiste sur le fait que lorigine du pouvoir

inquisitorial se trouve bien dans le pontificat De fait linquisition meacuteridionale apregraves les

froissements ducircs agrave laffaire Bernard Deacutelicieux ougrave les officiers royaux avaient toleacutereacute ou mecircme

19

soutenu le trublion franciscain avait eacuteteacute largement instrumentaliseacutee par la monarchie comme

le montrait laffaire des Templiers

En outre le pontife eacutetait fort irriteacute du manque de respect de certains inquisiteurs pour le droit

Ainsi en 1331 il reccedilut et approuva les plaintes de maicirctre Jean Anselme de Gecircnes chirurgien

et de Reacuteginald de Cravant clerc du diocegravese dAuxerre qui avaient eacuteteacute faussement accuseacutes

dheacutereacutesie et de maleacutefices par linquisiteur de France Aubert de Chacirclons et par leacutevecircque de Paris

Hugues Michel de Besanccedilon Le pontife leur reprochait davoir agi sans avoir eacutetabli aucune

infamie anteacuterieure sans respecter lordre judiciaire sans permettre aucune deacutefense leacutegitime89

Il nest pas besoin dimaginer un Jean XXII soucieux de justice par formation professionnelle

comme on la vu lordre du droit permettait deacutetablir soigneusement la veacuteriteacute qui importait

bien davantage que la reacutepression Le cas de la censure du commentaire dOlivi sur

lApocalypse le montre bien le texte eacutetait dangereux puisquil inspirait directement les

Beacuteguins par le biais dabreacutegeacutes et de traductions en langue vernaculaire Le contenu anti-

pontifical de ce texte eacutetait manifeste Pourtant le pape usa directement ou indirectement de

quatre commissions diffeacuterentes durant huit ans (1318-1326) avec un suppleacutement denquecircte

en 1322 avant darriver agrave une condamnation Le reacutesultat reacutepressif eacutetait certainement acquis

degraves 1318 mais il importait de suivre minutieusement les chemins de lerreur Ce souci

apparaicirct clairement dans une lettre adresseacutee par le pape en 1330 agrave Henri Chamayou

inquisiteur de Carcassonne90 qui avait reacuteussi agrave faire arrecircter deux heacutereacutetiques italiens qui

avaient confesseacute leur crime Le pontife feacutelicite chaleureusement linquisiteur mais lengage

fermement agrave poursuivre lenquecircte bien quil ait deacutejagrave en main tous les eacuteleacutements pour les

condamner laquo parce que nous croyons que tu aurais du connaicirctre une veacuteriteacute plus ample

(novisse te plenius credimus veritatem) au sujet de ce pour quoi ils tont eacuteteacute livreacutes nous

voulons et il nous plaicirct quayant Dieu seul devant les yeux tu veilles selon lexigence de la

justice agrave ne pas neacutegliger ce que tu sauras ecirctre adeacutequat en cette affaire raquo

Ces recommandations neacutetaient pas de pure forme la logique de linquisition ne la conduisait

pas vers leacutelucidation neacutecessaire agrave la cause des deacutemoniaques Linstitution demeurait

profondeacutement theacuteologienne et non juriste Le fondement proceacutedural de linquisition reposait

moins sur la poursuite doffice et lenquecircte que sur la troisiegraveme forme de poursuite (agrave cocircteacute de

la proceacutedure inquisitoire et de la proceacutedure accusatoire) deacutefinie par Innocent III au canon 8 du

concile de Latran la deacutenonciation eacutevangeacutelique issue de la correction fraternelle Or la

deacutenonciation orientait la poursuite vers la peacutenitence La confession rapidement obtenue par la

menace la terreur ou la torture conduisait agrave la demande dabsolution chegraverement neacutegocieacutee Il

importait agrave linquisiteur dobtenir au plus vite cette confession sans trop sattarder dans

lenquecircte sur la fama ou sur la veacuteriteacute neutraliseacutee par laveu Paradoxalement un accuseacute avait

de meilleures chances avec les proceacutedures sommaires chegraveres au pape quavec linquisition

parce que la veacuteriteacute pouvait contraindre le pape agrave la mansueacutetude tandis que la meacutecanique de la

culpabiliteacute ineacutevitable de tout peacutecheur entraicircnait tout inculpeacute dans la collectiviteacute peacutenale de

linquisition

Cest peut-ecirctre ces problegravemes de proceacutedure qui ont provoqueacute ce que Jean-Patrice Boudet

appelait plaisamment le laquo retard agrave lallumage raquo dans la poursuite des sorciers au XIVe siegravecle

tant que la papauteacute fut reacuteticente agrave deacuteleacuteguer son pouvoir denquecircte les limites mateacuterielles de la

justice pontificale empecircchegraverent la diffusion capillaire de limputation et de la reacutepression Et

preacuteciseacutement cest labandon forceacute de labsolutisme pontifical apregraves les conciles de Constance

et de Bacircle qui ouvrit les premiegraveres campagnes judiciaires et doctrinales contre les sorciers et

adorateurs du deacutemon dans les anneacutees 1430-1440 Mais le deacuteveloppement rapide de la

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deacutemonologie avait eacuteteacute bien preacutepareacute par un pape qui tenait agrave consideacuterer lucidement les zones

obscures ougrave le deacutemon pouvait passer

Notes de bas de page

1 B Gui Manuel de linquisiteur eacuted par G Mollat Paris 1926-1927

2 P Paravy De la chreacutetienteacute romaine agrave la Reacuteforme en Dauphineacute Eacutevecircques fidegraveles et deacuteviants

(vers 1340-vers 1530) Rome 1993

3 LImaginaire du sabbat Eacutedition critique des textes les plus anciens (1430 ca-1440 ca)

reacuteunis par M Ostorero A Paravicini Bagliani K Utz Tremp en collaboration avec C Chegravene

Lausanne 1999

4 R KIECKHEFER European Witch Trials Their Foundations in Popular and Learned

Culture 1300-1500 Londres 1976 Carlo Ginzburg commence sa seacuterie explicative des

formes occidentales du sabbat en 1321 mais selon un modegravele totalement opposeacute au nocirctre

5 Bonn 1901

6 L THORNDIKE A History of Magic and Experimental Science vol III New York 1934

p 18 sq

7 Voir N Weill-Parot Les laquo Images astrologiques raquo au Moyen Acircge et agrave la Renaissance

Speacuteculations intellectuelles et pratiques magiques (XIIe-XV

e s) Paris 2002 p 377-385 et Id

laquo Les intellectuels lEacuteglise et la magie dans la premiegravere moitieacute du xive s raquo (meacutemoire de

maicirctrise Paris I 1990) Je tiens agrave remercier N Weill-Parot pour ses commentaires sur le

preacutesent article

8 laquo Quod cum morte fedus ineunt et pactum faciunt cum inferno Demonibus namque

immolant hos adorant raquo

9 Liber Sextus V II cap 8

10 Cause XXVI qu 5 cap 12 eacuted Friedberg col 1080

11 Voir A Boureau laquo De la feacutelonie agrave la haute trahison Un eacutepisode la trahison des clercs

(version du xiie s) raquo Le Genre Humain 16-17 1988 p 267-291

12 Venise 1595 XLIII 9 p 341-342

13 laquo Simpliciter et de plano ac sine strepitu et figura judicii appellatione remota raquo Lettre

publieacutee par J-M Vidal Bullaire de lInquisition franccedilaise Paris 1913 no 284 p 403-404

14 laquo Nonnulli etiam quandoque litterati in hoc se opponunt pretendentes id ad tuum non

expectare officium secundum canonicas sanctiones raquo

15 J-P Boudet laquo Les condamnations de la magie agrave Paris en 1398 raquo Revue Mabillon n s 12

(t 73) 2001 p 121-157

16 B Hamilton The Medieval Inquisition Londres 1981 p 94

17 Dans une lettre de 1336 adresseacutee agrave lofficial dAvignon Benoicirct XII successeur de

Jean XXII range agrave nouveau les sortilegraveges parmi les crimes qui touchent la foi (J-M Vidal

Bullaire op cit no 153 p 229-230) En 1405 Benoicirct XIII deacuteclare nuls les privilegraveges des

habitants du diocegravese du Puy qui preacutetendaient que linquisiteur de Carcassonne ne pouvait les

poursuivre pour maleacutefices (J-M Vidal Bullaire op cit no 332 p 473-474)

18 La premiegravere eacutedition a eacuteteacute procureacutee par Jean Chappuis en 1500 Pour la formation des deux

collections voir A M Stickler Historia Iuris Canonici Institutiones Academicae T I

Historia Fontium Rome 1950 p 270-271

19 Les seules mentions de la bulle se trouvent on la dit dans le manuel de Nicolas Eymerich

(1376) dans les Annales eccleacutesiastiques de Rinaldi et dans un bullaire romain du xviiie s

20 Voir A MAIER dans laquo Eine Verfuumlgung Johannis XXII uumlber die Zustaumlndigkeit der

Inquisition fuumlr Zauberprozesse raquo Archivium Fratrum Praedicatorum 32 1952 p 226-246

21 A Maier loc cit p 231

21

22 Publieacutee par R Manselli laquo Enrico del Carretto e la consultazione sulla magia di Giovanni

XXII raquo dans Miscellanea in onore di Monsignore Martino Giusti t II Vatican 1978 p 97-

129

23 Il est possible aussi que linterrogation doctrinale ait eacuteteacute anticipeacutee par Guido Terreni un

des dix experts de la consultation de 1320 dans son sixiegraveme quolibet laquo Est-ce que celui qui

baptise une chose sans acircme ou sans raison et non pas un homme est heacutereacutetique raquo ms BAV

Borghese 39 fo 238v

o-240v

o que je publie en annexe de la consultation Mais la date de ce

quolibet demeure incertaine

24 laquo Fecisti plantas pedum eiusdem mulieris iuxta carbones accensos apponi raquo texte publieacute

par J-M Vidal Bullaire op cit p 51-52

25 laquo Diu post confessionem debitum nature persoluitverum quia dubitatur ne propter

predicta tormenta citius decesserit quam alias decessisset mulier supradicta si tormentata

minime extitisset raquo

26 laquo Erronea et horrenda contra catholicam fidem fuit confessa et multos consocios et

complices reuelauitque omnia sic inuenta ut communiter creditur numquam reuelata

fuissent nisi mediantibus tormentis eiusdem predicta mulier reuelasset raquo

27 laquo De consilio proborum qui se asserebant uidisse penis examinati hereticos in partibus

Tholosanis raquo

28 J-M Vidal Bullaire op cit no 24 p 53-54

29 Ex certa sciencia sur cette clausule de labsolutisme pontifical voir A Boureau La Loi

du royaume Les moines le droit et la construction de la nation anglaise Paris 2001 avec

renvoi aux travaux de Jacques Krynen

30 Publieacutee par J-M Vidal Bullaire op cit p 61 Une meilleure eacutedition a eacuteteacute procureacutee par

A Maier loc cit p 226-227

31 J-M Vidal Bullaire op cit no 72 p 118-119

32 La commission fut reacuteiteacutereacutee le 8 novembre 1327 ibid no 78 bis p 129-130

33 Voir A Boureau laquo Saints et deacutemons dans les procegraves de canonisation du deacutebut du xive s raquo

agrave paraicirctre dans les actes du colloque de Budapest sur les procegraves de canonisation dir Gaacutebor

Klaniczay

34 B Gui Manuel de linquisiteur eacuted et trad par G Mollat op cit t I p 52

35 Publieacutees par J-M Vidal Bullaire op cit no 103 p 154-156

36 Henri de Chamayou

37 Pierre Brun

38 La qualification dheacutereacutesie de la part du pape agrave propos des invocations deacutemoniaques na

jamais cesseacute Voir par exemple une lettre de 1323 qui deacutesigne des commissaires pour juger

le moine Guillaume de Figeac accuseacute de laquo deacutevier de la foi catholique raquo en pratiquant

lalchimie et la neacutecromancie (J-M Vidal Bullaire op cit no 50 p 87-88)

39 F Graf La Magie dans lAntiquiteacute greacuteco-romaine Ideacuteologie et pratique Paris 1994

40 Voir le reacutecit par Pierre le Veacuteneacuterable vers 1137 dun usage magique de lhostie consacreacutee

par un paysan deacutesireux de retenir ses abeilles Livre des merveilles de Dieu (De miraculis)

introduction traduction et notes de J-P Torrell et D Bouthillier FribourgParis 1992 p 70-

72 Je remercie Charles de Miramon de mavoir signaleacute ce texte

41 Voir les travaux reacutealiseacutes autour de Richard Kieckhefer et Claire Faenger aux Eacutetats-Unis

autour de Jean-Patrice Boudet et Henri Bresc en France notamment

42 Dans sa biographie collective des deux premiegraveres geacuteneacuterations de dominicains eacutecrite au

deacutebut des anneacutees 1260 Geacuterard de Frachet ne rapporte quun seul cas de fregravere qui se voue agrave

lalchimie et il ne trouve agrave lui reprocher que son deacutesir de senrichir rapidement Son activiteacute

consiste alors essentiellement agrave se rendre en Sardaigne pour y collecter des mineacuteraux rares

Son funeste sort ultime ne sexplique que par cet abandon de Dieu au profit de la richesse

22

seacuteculiegravere (Vitae Fratrum Ordinis Praedicatorum eacuted par B-M Reichert Rome-Stuttgart

Monumenta Ordinis Fratrum Praedicatorum Historica 1897 p 290)

43 La Condamnation parisienne de 1277 eacuted et trad par D Picheacute avec la collaboration de

C Lafleur Paris 1999 p 77

44 A Paravicini Bagliani Il corpo del papa Turin 1994

45 Preacuteface agrave Le crisi dellalchimia Micrologus 3 1995 p VIII

46 Voir leacutedition du procegraves dans J Shatzmiller Justice et injustice au deacutebut du XIVe s

Lenquecircte sur larchevecircque dAix et sa renonciation en 1318 Rome 1999

47 Voir une lettre de feacutevrier 1330 dans Lettres secregravetes et curiales du pape Jean XXII (1316-

1334) relatives agrave la France eacuted par A Coulon et S Cleacutemencet fasc 8 Paris 1965 no 4100

p 104-105 [abreacutegeacute deacutesormais Coulon-Cleacutemencet] lettre agrave Jean de Badas inquisiteur

franciscain de Marseille sur un crime nefandum commis par Gantalmus Gantalmi notaire et

sa femme Berengegravere instigatione diabolica circumventi agrave lencontre de Guillaume de Baucio

sire de Berre

48 Texte publieacute par J HANSEN Quellen und Untersuchungen op cit no 3 p 2

49 Notons quen 1318 les rites de conseacutecration des miroirs et images paraissent speacutecifiques

alors quen 1320 dans les questions poseacutees par le pape aux experts les invocateurs de deacutemons

utilisent le rite catholique du baptecircme pour preacuteparer leurs images

50 A Paravicini Bagliani Il corpo del papa op cit

51 C H JOSTEN laquo The Text of John Dastins letter to Pope John XXII raquo Ambix 4 1951

p 46-51

52 E Albe Autour de Jean XXII Hugues Geacuteraud eacutevecircque de Cahors laffaire des poisons et

envoucirctements en 1317 Cahors 1904 p 163-164

53 Processus Bernardi Deliciosi The Trial of Fr Bernard Deacutelicieux 3 September-8

December 1319 eacutediteacute par A Friedlander Philadelphie 1996 p 62 Pour une eacutetude complegravete

du dossier voir A Friedlander The Hammer of the Inquisitors Brother Bernard Deacutelicieux

and the Struggle against the Inquisition in Fourteenth-Century France Leyde 2000

54 Coulon-Cleacutemencet no 2969 p 151

55 Coulon-Cleacutemencet no 2395 p 47

56 Sermon sur la vigile de lEacutepiphanie 5 janvier 1332 eacuted par M Dykmans Les Sermons de

Jean XXII sur la vision beacuteatifique Rome (Miscellanea Historiae Pontificiae 34) p 145

57 Les actes du procegraves ont eacuteteacute publieacutes par J-MVidal laquo Procegraves dinquisition contre Adheacutemar

de Mosset raquo Revue dHistoire de lEacuteglise de France 1 1910 Lanecdote se trouve agrave la p 713

58 Ces interrogations sur la laquo situation raquo spirituelle eacutetaient freacutequemment exprimeacutees Dans sa

correspondance avec les grands de ce monde le pape doit souvent reacutepondre agrave ce genre de

question en termes agrave vrai dire assez geacuteneacuteraux

59 Coulon-Cleacutemencet fasc 8 Paris 1965 no 4197 p 126 Lettre analogue en feacutevrier 1331

(no 4452 t 9 p 41)

60 On peut se demander si ce nest pas cette fideacuteliteacute litteacuterale au texte biblique qui a contribueacute agrave

pousser le pape agrave intervenir sur la question de la vision beacuteatifique question ougrave les partisans de

la vision directe de Dieu avant le jugement final ne trouvaient aucun appui scripturaire direct

61 On trouve une formulation parallegravele dans Quia quorumdam mentes (10 novembre 1324)

62 Voir A Boureau laquo Droit naturel et abstraction judiciaire Hypothegraveses sur la nature du droit

meacutedieacuteval raquo Annales HSS 57 6 2002 p 1463-1488

63 Voir A Boureau laquo La redeacutecouverte de lautonomie du corps leacutemergence du somnambule

(xiiie-xiv

e s) raquo Micrologus I 1993 p 27-42

64 Sur toutes ces questions je me permets de renvoyer au chap 8 de mon ouvrage Theacuteologie

science et censure au XIIIe s Le cas de Jean Peckham Paris 1999

23

65 Publieacute par J Rius Serra dans Sancti Raymundi de Penyafort opera omnia t III

Diplomatario (Documentos Vida antigua Cronicas Processos antiguos) Barcelone 1954

p 74-82

66 Cette typologie fut reprise par le pape Alexandre IV une dizaine danneacutees plus tard et

eacutediteacutee par Boniface VIII dans le Sexte (L 5 tit 2 cap 2 6 11 eacuted Friedberg II col 1069

1071 1073) Voir aussi le traiteacute Doctrina de modo procedendi erga hereticos (vers 1280)

dans Martegravene et Durand Thesaurus novus anecdotum t 5 Paris 1717 col 1797 et la

Practica de Bernard Gui (p 226-232)

67 Bien avant la creacuteation de lInquisition le troisiegraveme concile de Latran (1179) avait frappeacute

danathegraveme et priveacute de seacutepulture les defensores et receptatores dheacutereacutetiques (Deacutecreacutetales L 5

tit 7 cap 8 eacuted Friedberg II col 1780)

68 Ibid p 29-32

69 Texte eacutediteacute par J Coste Boniface VIII en procegraves Articles daccusation et deacutepositions de

teacutemoins (1303-1311) Eacutedition critique introduction et notes Rome 1995 p 153

70 Nogaret originaire de Saint-Feacutelix-de-Caraman haut-lieu cathare petit-fils dun ministre

heacutereacutetique avait certainement une bonne connaissance de la perseacutecution de lheacutereacutesie en deacutepit

de sa formation de civiliste

71 Directorium op cit seconde partie question 2

72 Processus op cit p 180

73 E PETERS Inquisition Berkeley 1988

74 R KIECKHEFER laquo The Office of Inquisition and Medieval heresy the Transition from a

Personal to an Institutional Juridiction raquo Journal of Ecclesiastical History 46 1995 p 36-

61

75 Ainsi le pape deacutecida de suspendre le droit dasile dans les eacuteglises au deacutetriment des

heacutereacutetiques mais pas speacutecifiquement des auteurs de sortilegraveges (Lettre au roi de France Philippe

VI en 1328 publieacutee par J-M Vidal Bullaire op cit no 79 p 130-131)

76 Eacuted FRIEDBERG t II col 1078

77 Ibid col 1200

78 Voir la lettre dure que lui adressa le pape Jean XXII le 6 octobre 1332 (J-M Vidal

Bullaire op cit no 124 p 184)

79 Coulon-Cleacutemencet no 4539 fasc 9 p 59-60

80 Lattention precircteacutee agrave Philippe le Bel et agrave Jean XXII ne doit pas faire oublier que ce type

daccusation politico-deacutemonologique est deacutepoque comme le montre dans un tout autre

contexte le procegraves intenteacute agrave Walter Langton eacutevecircque de Coventry en 1301-1303 avec

mention dadoration diabolique (voir A Beardwood laquo The Trial of Walter Langton bishop of

Lichfield 1307-1312 raquo Transactions of the American Philosophical Society NS 54 p III

Philadelphie 1964

81 Voir J Coste Boniface VIII en procegraves op cit

82 A Rigault Le Procegraves de Guichard eacutevecircque de Troyes 1308-1313 Paris 1896

83 J Favier Un conseiller de Philippe le Bel Enguerrand de Marigny Paris 1963 Il faut

mentionner peu apregraves le procegraves contre le cardinal Francesco Gaetani poursuivi par les cours

royales pour attentat contre le roi son fregravere et deux cardinaux agrave laide dimages magiques

(voir C Langlois laquo Laffaire du cardinal Francesco Gaetani (avril 1316) raquo Revue historique

63 1897 p 56-71)

84 E Albe Autour de Jean XXII op cit

85 R Michel laquo Le procegraves de Mateo et Galeazzo Visconti laccusation de sorcellerie et

dheacutereacutesie Dante et laffaire de lenvoucirctement (1320) raquo Meacutelanges darcheacuteologie et dhistoire

29 1909 p 269-327

86 F Bock laquo I processi di Giovanni XXII contro i Ghibellini delle Marche raquo Bolletino

dellIstituto storico italiano per il Medio Evo 57 1941 p 19-43

24

87 Voir J-M Vidal laquo Le sieur de Parthenay et lInquisition (1323-1325) raquo Bulletin

historique et philologique 1903 p 414-434

88 J-M Vidal Bullaire op cit no 20 p 44 et n

o 76 p 126-127

89 J-M Vidal Bullaire op cit nos

109 et 110 p 167-171

90 J-M Vidal Bullaire op cit no 90 p 144

Alain Boureau

EHESS CRH GAS 54 boulevard Raspail F-75006 Paris

Pour citer cet article

Alain Boureau laquoSatan heacutereacutetique lrsquoinstitution judiciaire de la deacutemonologie sous Jean XXIIraquo

Meacutedieacutevales 44 (2003) httpmedievalesrevuesorgdocument711html

Page 6: Satan hérétique : l’institution judiciaire de la ..._Droit_Canonique/Curiosite/Satan heretique.pdf · e siècle, mais la mutation considérable de procédure qui a assimilé les

6

utilisent le sacrement deucharistie ou lhostie consacreacutee et dautres sacrements de lEacuteglise ou

quelque partie de ces sacrements quant agrave la forme ou agrave la matiegravere pour en abuser pour leurs

sortilegraveges ou maleacutefices Et en effet notre maicirctre mentionneacute plus haut de science certaine29

eacutelargit et eacutetend agrave tous les cas citeacutes sans exception le pouvoir donneacute de droit aux inquisiteurs

quant agrave lexercice de leur fonction contre les heacutereacutetiques ainsi que leurs privilegraveges et ce

jusquagrave ce quil juge devoir reacutevoquer cette extension Nous vous signifions tout cela par nos

preacutesentes lettres patentes par le mandat speacutecial que nous a confieacute le seigneur pape par loracle

mecircme de sa voix vive Fait agrave Avignon le 22 aoucirct 1320 en cette quatriegraveme anneacutee du regravegne du

seigneur pape30

On peut se demander pourquoi Jean XXII ne signa pas lui-mecircme cette lettre il est possible

que devant la reacuteticence des experts de la commission de 1320 le pape ait preacutefeacutereacute une voie

plus lateacuterale pour faire connaicirctre ses souhaits Pourquoi Guillaume de Peyre Godin fut-il

choisi comme porte-parole du pape aupregraves des inquisiteurs Guillaume neacute agrave Bayonne vers

1260 eacutetait entreacute fort tocirct vers 1279 chez les dominicains de Beacuteziers avant de circuler comme

eacutetudiant dans divers couvents et studia du Sud-Ouest (Orthez Bordeaux Condom) de faire

ses eacutetudes de theacuteologie agrave Montpellier puis de parcourir agrave nouveau les couvents (Bayonne

Condom Montpellier) comme lecteur Il ne passa que briegravevement agrave Paris en 1292 Sa

veacuteritable carriegravere universitaire apregraves une peacuteriode denseignement agrave Toulouse (1296)

commenccedila en 1306 quand il fut nommeacute lecteur du Sacreacute Palais aupregraves de Cleacutement V qui le fit

cardinal-precirctre de Sainte-Ceacutecile en deacutecembre 1312 dans le mecircme mouvement de nomination

cardinalice que Jacques Duegraveze le futur pape Jean XXII Guillaume jouissait dune expeacuterience

et dune reacuteputation assez larges puisquil eacutetait agrave la fois un theacuteologien reconnu (son

commentaire sur les Sentences de Pierre Lombard reacutedigeacute vers 1300 fut reconnu comme

Lectura Thomasiana) un membre actif de lordre dominicain (preacutedicateur geacuteneacuteral de

Narbonne en 1289 deacutefiniteur agrave Cahors en 1298 prieur provincial de Provence en 1301) et un

curialiste (chargeacute en 1309 par Cleacutement V de soccuper du procegraves posthume de Boniface VIII)

Jean XXII appreacutecia ses meacuterites puisquil le promut cardinal-eacutevecircque de Sabine en 1317 puis le

deacutesigna comme leacutegat pontifical en Espagne de 1320 agrave 1324 De cette carriegravere il ressort

clairement que Guillaume de Peyre Godin navait aucune formation juridique et repreacutesentait la

meilleure orthodoxie thomiste le deacutetail importe car la tacircche des inquisiteurs relevait

davantage de la theacuteologie que du droit Guillaume navait pas eacuteteacute consulteacute en 1320 sur la

question de la qualification heacutereacutetique des invocateurs du deacutemon peut-ecirctre parce quil eacutetait

deacutejagrave parti en Espagne mais il reccedilut en 1326 une nouvelle commission pontificale aux cocircteacutes

des cardinaux Pierre dArablay et Bertrand de Montfavet en vue de proceacuteder aux procegraves de

plusieurs clercs et laiumlcs des diocegraveses de Toulouse et Cahors accuseacutes davoir fabriqueacute des

images en plomb ou en pierre destineacutees agrave linvocation des deacutemons31 Les accuseacutes avaient

dabord eacuteteacute convoqueacutes devant la justice eacutepiscopale de Toulouse avant decirctre deacutefeacutereacutes au roi de

France probablement parce que leurs images avaient eacuteteacute fabriqueacutees sur le modegravele de la

monnaie royale (sub figura seu typario regio)32 En 1328 Guillaume fut chargeacute de compiler

lenquecircte locale en vue du procegraves de canonisation de Nicolas de Tolentino or cette affaire

comportait de larges aspects deacutemonologiques33

Agrave cette petite seacuterie on peut ajouter une notation du dominicain Bernard Gui qui fort de son

expeacuterience dinquisiteur reacutedigea son Manuel de linquisiteur sans doute apregraves 1324 pour lui

linvocation des deacutemons relevait de lheacutereacutesie si elle eacutetait faite laquo en mecircme temps quun sacrifice

ou que limmolation dune certaine chose en faisant offrande agrave ces mecircmes deacutemons par le

moyen du sacrifice ou de limmolation raquo34

7

Dix ans plus tard le 4 novembre 1330 Jean XXII envoya deux lettres35 lune adresseacutee agrave

larchevecircque de Narbonne agrave ses suffragants et agrave linquisiteur de Carcassonne36 lautre agrave

larchevecircque de Toulouse agrave ses suffragants et agrave linquisiteur de cette ville37 cette lettre

contenait une copie de celle envoyeacutee en 1320 par Guillaume de Peyre Godin aux inquisiteurs

de Carcassonne et Toulouse puis ordonnait aux destinataires de poursuivre cette œuvre plus

que jamais neacutecessaire38 Cependant cette lettre introduisait un correctif important les

eacutevecircques devaient se mettre agrave lœuvre les inquisiteurs seuls ou en collaboration avec les

eacutevecircques devaient achever les actions entreprises mais ces derniers ne devaient pas entamer de

nouvelles proceacutedures sans commission pontificale Ce correctif nenlevait rien agrave la

qualification dheacutereacutesie appliqueacutee aux invocations deacutemoniaques et autres formes de magie

puisque laction inquisitoriale neacutetait pas suspendue ni simplement transfeacutereacutee aux eacutevecircques

mais il traduisait une certaine meacutefiance agrave leacutegard des inquisiteurs sur laquelle il faudra

revenir

Un mal ordinaire

On peut se demander quel peacuteril urgent se repreacutesentait le pape pour agir avec tant dobstination

Les pratiques magiques populaires ou savantes que visaient les articles de la consultation de

1320 sont universelles et de tous les temps Lenvoucirctement criminel ou amoureux par le biais

dimages de cire ou de terre est bien attesteacute dans lantiquiteacute greacuteco-romaine (notamment sous le

nom de defixiones)39 Quant au deacutetournement magiques des objets sacramentaux chreacutetiens il

eacutetait largement attesteacute depuis fort longtemps40 Sous leffet de la christianisation des mœurs

les vieilles traditions de magie naturelle et beacuteneacutefique se lestaient des rites liturgiques

chreacutetiens sans mutation reacuteelle

Deux facteurs expliquent sans doute lanxieacuteteacute du pape En premier lieu la magie savante

importeacutee de lOrient ou de lEspagne en mecircme temps que la science naturaliste avait connu un

large deacuteveloppement dans les milieux savants depuis le deacutebut du XIIIe siegravecle comme latteste

lœuvre de Guillaume dAuvergne Des recherches reacutecentes ont montreacute lampleur et la

complexiteacute de cette culture41 Les savoirs alchimique et astrologique doteacutes dun grand

prestige scientifique pouvaient se combiner agrave cette laquo neacutegromancie raquo ou agrave ces arts de la magie

Lambivalence des attitudes de lEacuteglise vis-agrave-vis de lalchimie commenccedila agrave se deacutefaire agrave la fin

du XIIIe siegravecle42 preacuteciseacutement au moment ougrave les conquecirctes de la science naturelle apparurent

comme dangereuses pour la foi tandis que lastrologie conservait encore quelque leacutegitimiteacute

malgreacute les soupccedilons On le sait la fameuse condamnation prononceacutee en 1277 par leacutevecircque

Eacutetienne Tempier qui portait sur 219 propositions supposeacutees ecirctre tenues par des membres de

la Faculteacute des Arts eacutetait preacuteceacutedeacutee dun prologue qui condamnait laquo les livres rouleaux ou

cahiers traitant de neacutecromancie ou contenant des expeacuteriences de sortilegraveges des invocations

des deacutemons ou des conjurations au peacuteril des acircmes raquo43 Lalchimie proteacutegeacutee par les papes en

quecircte de leacutelixir de longue vie jusque dans les anneacutees 127044 commenccedilait elle aussi agrave

devenir suspecte comme le notait Agostino Paravicini Bagliani le cardinal Francesco Orsini

dans son testament de 1304 ordonna de brucircler tous ses livres dalchimie45 Lastrologie

malgreacute son allure plus acadeacutemique subissait les mecircmes soupccedilons Le destin tragique de

Cecco dAscoli qui fut un professeur dastrologie respecteacute agrave Bologne agrave partir de 1322 avant

decirctre brucircleacute pour heacutereacutesie agrave Florence en 1327 en compagnie de ses livres dastrologie

manifeste peut-ecirctre malgreacute son caractegravere singulier cette ambivalence des attitudes

lastrologie en fait malgreacute son statut de plus en plus suspect vit son prestige saccroicirctre au

cours du XIVe siegravecle

8

Laffaire Robert de Mauvoisin suivie de tregraves pregraves par Jean XXII confirme cette ambivalence

Robert de Mauvoisin archevecircque dAix fut jugeacute en 1318 par une commission pontificale et

dut renoncer agrave son siegravege46 Le statut de cette poursuite est incertain comme cest souvent le

cas dans ces commissions nommeacutees directement par le pape laction fut en fait

disciplinaire mais elle aurait pu ecirctre criminelle selon laccentuation de tel ou tel deacutelit qui

pouvait aussi bien relever de lexcegraves condamnable chez un preacutelat que du crime Il est fort

possible que cette qualification ait deacutependu dune neacutegociation le pape voulait reacutecupeacuterer le

siegravege et Robert cherchait agrave se tirer de ce mauvais pas Mais quoi quil en soit le premier des

quinze articles daccusation le plus deacuteveloppeacute joua un rocircle certain dans la relative cleacutemence

de la commission cet article rapportait que Robert depuis les temps de ses eacutetudes agrave Bologne

dans les anneacutees 1300 jusquau temps de sa preacutelature avait eu recours laquo aux sortilegraveges agrave lart

de la magie (arti mathematice) et aux divinations raquo Larticle preacutecisait que ces pratiques

eacutetaient laquo condamneacutees et interdites par le droit raquo Dans son interrogatoire Robert prit soin de

qualifier constamment ses diffeacuterents conseillers dlaquo astrologues raquo et de relater preacuteciseacutement les

modes et les buts de ses consultations Tout en affirmant quil ne croyait pas en ces arts

Robert confirmeacute par un teacutemoin maintint quil pensait de bonne foi que ces pratiques

astrologiques eacutetaient licites

Or il semble bien que la meacutefiance nouvelle envers lastrologie et lalchimie plus ou moins

assumeacutee par les savants et les hauts dignitaires de lEacuteglise se soit accompagneacutee selon une

causaliteacute difficile agrave deacuteterminer dune diffusion de la culture neacutecromantique et alchimique

dans les couches plus basses de lEacuteglise Le second astrologue que Robert de Mauvoisin

consulta pour eacutevaluer son thegraveme astral eacutetait un copiste (grossator) de la curie pontificale

Nous avons eacutevoqueacute plus haut la poursuite de clercs et laiumlcs accuseacutes de fabrication dimages

sous leffigie royale Leur propre confession mentionnait explicitement lusage de lalchimie

il y est question de la recherche de la laquo veacuteriteacute de lalchimie raquo (veritatem alquimie)

Agrave cette inquieacutetude geacuteneacuterale et ambivalente sajoutait le souci propre de Jean XXII qui paraicirct

avoir consideacutereacute que les deacutemons se mecirclaient directement agrave ces arts suspects et exerccedilaient un

rocircle redoutable dans la vie et la mort des humains

Les convictions deacutemonologiques de Jean XXII

Linsistance de Jean XXII sur les dangers des invocations deacutemoniaques correspond dans la

pratique judiciaire quil a deacuteveloppeacutee agrave de nombreuses accusations47 lanceacutees agrave titre principal

ou contre des accuseacutes inculpeacutes dabord pour dautres raisons comme leacutevecircque de Cahors

Hugues Geacuteraud larchevecircque dAix Robert de Mauvoisin ou contre le franciscain Bernard

Deacutelicieux accuseacute dentraver gravement le travail des inquisiteurs Le parcours rapide de

certains de ces dossiers nous aidera agrave saisir les preacuteoccupations personnelles du pape en

matiegravere de magie et dinvocations deacutemoniaques

Le 27 feacutevrier 1318 Jean XXII sadressa agrave Bartheacutelemy eacutevecircque de Freacutejus agrave Pierre Tissier

prieur de Saint-Antonin pregraves de Rodez et au preacutevocirct de Clermont-Ferrand pour leur

demander dentreprendre une action selon la proceacutedure sommaire et sans possibiliteacute dappel agrave

lencontre de plusieurs clercs qui sadonnaient agrave laquo la nigromancie la geacuteomancie et autres arts

magiques raquo48 Ces arts de la magie sont eacutetroitement relieacutes agrave linvocation des deacutemons ils sont

laquo des arts de deacutemons deacuteriveacutes dune pestifegravere association des hommes et des mauvais anges raquo

Les magiciens laquo usent freacutequemment de miroirs et dimages consacreacutees selon leur exeacutecrable

rite et se placcedilant en cercle invoquent de faccedilon reacutepeacuteteacutee les deacutemons quils enferment dans les

9

miroirs les cercles ou les anneaux raquo Par ces invocations les accuseacutes tentent de nuire ou de

preacutedire le futur49

Or un autre aspect de leur activiteacute releveacute dans la suite de la lettre concerne un souci

pontifical laquo ils ne craignent pas daffirmer quagrave laide de boissons ou de nourritures mais

aussi par la profeacuteration dune seule parole il est possible dabreacuteger ou de prolonger la vie des

hommes raquo On pense bien sucircr aux diffeacuterentes recherches et pratiques patronneacutees par les

papes du XIIIe siegravecle en vue dobtenir le prolongement de leur vie que les recherches

dAgostino Paravicini Bagliani ont repeacutereacutees50 Le grand alchimiste anglais John Dastin qui

avait eacutecrit des ouvrages dalchimie pour le cardinal Napoleacuteon Orsini ennemi et familier du

pape envoya agrave Jean XXII une lettre sur lor potable susceptible de prolonger la vie51

Comme lavait montreacute le procegraves de Boniface VIII la frontiegravere eacutetait incertaine entre les arts

magiques et lalchimie entre le juste deacutesir de prolonger la vie des papes et la sournoise

volonteacute de labreacuteger Loctogeacutenaire pontife eacutelu comme pape de transition savait sa vie fragile

et sa succession souhaiteacutee La premiegravere grande affaire judiciaire du pontificat quelques mois

apregraves lavegravenement de Jean XXII mit en cause leacutevecircque de Cahors Hugues Geacuteraud accuseacute

davoir voulu attenter agrave la vie du pape et des cardinaux par le poison mais aussi par la

confection dimages de cire qui avaient reccedilu le nom des victimes et qui furent perceacutees de

coups daiguilles selon leacutevocation assez preacutecise quen donne le pape dans sa lettre de

commission de laffaire le 22 avril 131752 On comprend degraves lors lobsession de Jean XXII

quant aux manipulations surnaturelles de la nature dautant que reacutecemment certains

alchimistes ou meacutedecins dont Arnaud de Villeneuve avaient noueacute des relations fortes avec

les Spirituels franciscains ou avec les clans Orsini et Colonna de la curie

Le procegraves intenteacute au franciscain Bernard Deacutelicieux en 1319 illustre bien cette conjonction

Bernard Deacutelicieux eacutetait poursuivi essentiellement pour ses attaques contre linquisition et ses

tentatives en vue du soulegravevement des citeacutes meacuteridionales contre le pouvoir des inquisiteurs

Laffaire eacutetait deacutejagrave ancienne mais le franciscain avait reacutecemment aggraveacute son cas en prenant

la deacutefense des franciscains spirituels convoqueacutes agrave Avignon en 1317 Or les articles 24 agrave 31 de

son acte daccusation portaient sur ses tentatives de meurtre sur la personne de Benoicirct XI par

le biais des incantations et des actes de magie53 Dans cette liste de griefs pas plus que dans

les accusations contre Robert de Mauvoisin les pratiques magiques de Bernard Deacutelicieux ne

sont rapporteacutees agrave une invocation des deacutemons comme si la magie naturelle neacutetait incrimineacutee

que pour ses fins mauvaises Tout se passe comme si Jean XXII heacuteritier de la fascination de

ses preacutedeacutecesseurs envers la puissance des sciences occultes heacutesitait encore agrave lier la magie agrave

laction deacutemoniaque ce qui expliquerait lurgence et limportance de la consultation de 1320

Quelques anneacutees plus tard ces incertitudes neacutetaient plus de mise Ainsi le 23 aoucirct 132654 le

pape envoya une lettre au cardinal Bertrand de Montfavet lincitant agrave poursuivre une enquecircte

sur Bertrand dAudiran chanoine dAgen qui se livrait agrave pluribus et diversis dampnatis

scientiis et artibus laquo non sans une transgression de la foi catholique du droit canonique et du

droit civil raquo Le suspect usait de livres deacutecritures de vases de verre de terre et de bois en

lesquels il composait des poudres et liqueurs feacutetides laquo Et surtout ce Bertrand en usant et

abusant de ces sciences et arts sefforccedilait de tenter les deacutemons et dinvoquer les esprits malins

et dappliquer agrave cette fin les conjurations et autres choses illicites et condamneacutees raquo Or cette

pratique eacutetait efficace laquo il sensuivait de terrifiants coups de tonnerre eacutebranlements foudres

tempecirctes deacuteluges coups porteacutes par les deacutemons agressions et morts dhommes et autres

innombrables dommages raquo

10

Bertrand disposait de complices dont deux sont nommeacutes dans la lettre Ils avaient eacuteteacute pris sur

le fait quand ils emportaient sur des fourches patibulaires deux tecirctes et un bras de pendus Le

laiumlc avait avoueacute et avait eacuteteacute livreacute aux flammes le clerc fut emprisonneacute dans les cachots de

leacutevecircque dAgen Leacutevecircque avait fait conduire Bertrand vers les prisons pontificales dAvignon

Lenquecircte avait eacuteteacute confieacutee agrave Bertrand de Montfavet et au cardinal Pierre Tissier mort depuis

(en 1323) La lenteur dune proceacutedure qui eacutetait entiegraverement entre les mains du pontife montre

bien que Jean XXII cherchait agrave savoir avant de reacuteprimer

Une autre lettre manifeste bien linquieacutetude de Jean XXII devant les mystegraveres surnaturels et

notamment devant la possibiliteacute de transport extraordinaire qui annonce peut-ecirctre un des

aspects les plus spectaculaires du sabbat le vol des deacutemoniaques dans les airs Le 3 mars

1325 Jean XXII sadressa agrave leacutevecircque de Paris le cureacute de la paroisse des Saints Innocents un

soir a disparu de sa chambre fermeacutee au verrou de linteacuterieur Le pape demande une enquecircte

summarie simpliciter ac sine strepitu et figura judicii afin de savoir laquo ougrave ledit recteur est

alleacute ou a eacuteteacute emporteacute ou transporteacute raquo (dictus rector iverit vel asportatus aut translatus

fuerit)55 Le ton presseacute et angoisseacute de la lettre leacutevocation de la possibiliteacute dun transport

surnaturel sans eacutevoquer vraiment le sabbat manifestent en cette mince affaire une reacuteelle

inquieacutetude

Lors de la fameuse controverse sur la vision beacuteatifique que le pape lanccedila en 1331 un des

arguments produits par le pape pour prouver le caractegravere partiel et limiteacute du jugement

individuel consiste agrave insister sur lactiviteacute libre des deacutemons avant le Jugement dernier En

1332 dans un sermon le pape dit laquo En effet les damneacutes cest-agrave-dire les deacutemons ne

pourraient nous tenter sils eacutetaient reclus en enfer Cest pourquoi il ne faut pas dire quils

reacutesident en enfer mais bien dans la totaliteacute de la zone dair obscur dougrave leur est ouverte la

voie pour nous tenter raquo56

Portrait de Jean XXII en suppocirct du deacutemon

Si Jean XXII fut aussi acharneacute agrave poursuivre les deacutemons et leurs adorateurs cest sans doute

aussi parce quil fut lui-mecircme parfois preacutesenteacute comme une creacuteature de lAnteacutechrist ou du

diable notamment dans les divers milieux influenceacutes par les franciscains spirituels (beacuteguins

fraticelli) Cette qualification relevait en partie de linjure en partie de la conviction En effet

dun cocircteacute les franciscains spirituels adeptes de la plus haute pauvreteacute qui avaient joui dune

relative tranquilliteacute sous le pontificat de Cleacutement V subirent la reacutepression violente de

Jean XXII degraves le deacutebut de son pontificat quatre franciscains spirituels furent brucircleacutes agrave

Marseille en 1318 une seacuterie de bulles de 1317 agrave 1328 condamnegraverent certains groupes puis

la doctrine mecircme de la pauvreteacute absolue et de son fondement christique On en arriva au

schisme de 1328 quand Michel de Ceacutesegravene et quelques fregraveres senfuirent dAvignon pour

rejoindre la cour de lempereur Louis de Baviegravere qui creacutea le bref pontificat schismatique de

Nicolas V Dans la masse des eacutecrits de combat des franciscains le pape prit souvent une

figure satanique

Mais il y avait plus Dans les eacutecrits de Pierre de Jean Olivi qui fut linspirateur principal de

ces mouvements se manifestait la conviction que le temps preacutesent eacutetait celui du passage agrave la

sixiegraveme peacuteriode de lhistoire de lEacuteglise lui-mecircme annonciateur du troisiegraveme et dernier acircge de

lhumaniteacute En lisant lApocalypse Olivi avait deacutecouvert que lAnteacutechrist dont la deacutefaite

ultime devait ouvrir une longue peacuteriode de paix avant la fin des temps se deacutedoublait en un

Anteacutechrist laquo mystique raquo (cest-agrave-dire cacheacute) et le grand Anteacutechrist manifeste Cet Anteacutechrist

mystique devait probablement ecirctre un pseudo-pape Si Olivi mort en 1298 navait pas pousseacute

11

plus loin lidentification ses disciples confirmeacutes par les perseacutecutions proceacutedegraverent agrave cette

assimilation du pape agrave lAnteacutechrist mystique

Sur ce point un teacutemoignage curieux livre un veacuteritable reacutecit fondateur et mythique sur les

origines de la haine de Jean XXII contre les spirituels franciscains En 1333 le chevalier

roussillonnais Adheacutemar de Mosset fut poursuivi pour ses sympathies beacuteguines agrave linitiative

du roi Jacques II de Majorque57 Le roi dans son troisiegraveme article daccusation rapporte un

souvenir personnel Un jour quil voyageait en compagnie dAdheacutemar la conversation vint sur

le pape Jean XXII et sur les perseacutecutions contre les spirituels que le chevalier reprochait fort

au pontife Adheacutemar demanda au roi sil savait pourquoi le pape qui au deacutebut de son

pontificat avait eacuteteacute une homme saint et bon en eacutetait arriveacute lagrave Jacques ne le savait pas mais le

chevalier le lui apprit Jean XXII aimait alors beaucoup Angelo Clareno lun des principaux

dirigeants des spirituels Un jour il lui demanda dinterroger Dieu pour savoir si son eacutetat

(status) Lui plaisait ou non58 Angelo se mit en priegraveres et laquo vit alors une grande foule de

diables qui portaient un calice plein du poison diniquiteacute il leur demanda ougrave ils allaient et ce

quils allaient faire de ce calice Ils lui reacutepondirent quils allaient aupregraves du pape pour faire

leur possible afin quil boive le calice diniquiteacute raquo Angelo leur demanda de passer le voir sur

le retour ce quils firent Ils lui apprirent alors que le pape avait bu et ils conseillegraverent agrave

Angelo de se garder deacutesormais de lui Au sortir de cette vision le pape demanda agrave Angelo le

reacutesultat de sa consultation le franciscain refusa de parler mais reccedilut lordre au nom du

principe dobeacuteissance de livrer ses informations ce quil fit laquo Et depuis ce temps lagrave le

seigneur pape lui voulut du mal agrave lui et aux autres Beacuteguins raquo Adheacutemar de Mosset qui avait

eacuteteacute au service de Philippe de Majorque reacutegent du royaume sous la minoriteacute de Jacques II et

partisan actif des Beacuteguins eacutetait probablement un sympathisant des dissidents sans ecirctre

directement engageacute dans leur combat et sans avoir de formation theacuteologique ni exeacutegeacutetique il

est probable quil transmettait une anecdote largement reacutepandue Si lon perccediloit mieux le

deacuteveloppement dun engagement personnel du pape il reste agrave comprendre les modaliteacutes de sa

lutte

Le positivisme de Jean XXII

Pourquoi qualifier dheacutereacutesie la magie ou linvocation des deacutemons Parce que les adorateurs

des deacutemons produisent de nouveaux faits susceptibles dengendrer de nouvelles adheacutesions Il

faut insister sur cette notion de factum hereticale brandie dans les questions poseacutees aux

theacuteologiens en 1320 qui rompt avec lideacutee commune de lheacutereacutesie comme opinion ou comme

intellectus Il ne sagit pas seulement dune extension qui trouverait dans les pratiques

sacrilegraveges un fondement doctrinal Jean XXII navait nul besoin de cette qualification pour

reacuteprimer seacutevegraverement les actes magiques et deacutemonolacirctriques

Le pape croyait en la force des faits en droit comme en theacuteologie Ainsi en mai 1330 il

sadressa au roi de France pour lui demander dinterdire la pratique de la preuve par combat

judiciaire ou duel59 en notant que laquo par de telles pratiques la veacuteriteacute nest pas prouveacutee raquo (per

taliaveritas non probatur) Le pape au nom de lexpeacuterience maicirctresse des choses (magistra

rerum experiencia) fait remarquer au roi quen cas daccusation de fausse monnaie jamais le

souverain ne se contenterait dune telle preuve preacuteciseacutement parce quen ce cas les faits

mateacuteriels et la veacuteriteacute pure importent

La construction mecircme de faits ineacutedits est une menace pour la foi Car ce sont les faits qui

induisent la confiance et la foi La qualification traditionnelle de lheacutereacutesie en sen tenant au

rejet des opinions orthodoxes ne considegravere pas le processus qui conduit agrave la foi Devant

12

lextrecircme diversiteacute des opinions et des eacutecoles il faut sen tenir aux faits Jean XXII

exactement comme Guillaume dOckham aboutit agrave la conclusion que la foi repose sur une

certaine confiance accordeacutee agrave lensemble de la tradition chreacutetienne et corroboreacutee par les faits

livreacutes par lEacutecriture La foi repose sur un contrat de confiance Un des reproches les plus

veacuteheacutements quil adresse aux franciscains cest de pieacutetiner les donneacutees factuelles de lEacutecriture

Dans lEacutevangile Jeacutesus a posseacutedeacute des biens et a confieacute sa bourse agrave Judas Or par des artifices

dinterpreacutetation ils aneacuteantissent ces faits au beacuteneacutefice de leur interpreacutetation Les grandes

bulles de condamnation de la doctrine franciscaine de la pauvreteacute absolue insistent sur cette

destruction des donneacutees factuelles qui fondent les articles de foi60 Dans la bulle Cum inter

nonnullos (12 novembre 1223) le pape disait

Laffirmation selon laquelle le Christ et les apocirctres nont rien posseacutedeacute ni en commun ni

individuellement nous jugeons par un eacutedit perpeacutetuel et en suivant lavis de nos fregraveres que

quand elle est reacutepeacuteteacutee avec obstination elle doit ecirctre tenue pour erroneacutee et heacutereacutetique car

comme elle contredit expresseacutement lEacutecriture sacreacutee qui en plusieurs lieux affirme quils ont

eu quelque possession elle implique que cette Eacutecriture sacreacutee par laquelle sont prouveacutes les

articles de la foi orthodoxe contient ouvertement sur ce sujet le germe du mensonge et que

en tant que telle elle eacutevacue toute confiance en lEacutecriture et rend la foi catholique douteuse et

incertaine en supprimant sa force probatoire61

Plus geacuteneacuteralement les franciscains spirituels en imaginant que le Christ et les apocirctres

pratiquaient un usage laquo de fait raquo sans aucune appropriation juridique construisaient une

fiction qui ne trouvait aucun reacutepondant aucune veacuterification dans la laquo nature des choses raquo

(natura rerum) ougrave la consommation des biens repose soit sur un droit soit sur un deacutelit Leur

usage du mot laquo fait raquo renversait lordre naturel du monde Les franciscains devenaient

heacutereacutetiques en rejetant les faits eacutevangeacuteliques et en reconstruisant leurs propres faits gracircce agrave

leur ideacuteologie forte et gracircce agrave lidentiteacute collective quils creacuteaient Les adorateurs des deacutemons

nagissaient pas autrement on le verra

Donc pour Jean XXII un fait est un fait Comment comprendre ce positivisme qui semble

anachronique sans le reacuteduire aux fantaisies singuliegraveres du vieux pontife

Leacutemergence du fait

Pour saisir ce tournant il faut sans doute partir du jugement moral et non pas du jugement

eacutepisteacutemologique des conduites humaines plus que des processus physiques Chacun le sait le

XIIe siegravecle entre Pierre Abeacutelard et Pierre le Chantre a produit une morale de lintention Mon

hypothegravese est que cest cette morale qui a construit la notion de fait en neutralisant

leacuteveacutenement Jean est tueacute Paul la tueacute Ceci est un eacuteveacutenement La theacuteologie morale de

lintention affirme que cet eacuteveacutenement ne signifie rien en lui-mecircme avant quil ne soit qualifieacute

selon lintention de Paul qui construit leacuteveacutenement comme meurtre (il a voulu et preacutemeacutediteacute cet

acte par leffet dune vieille haine) ou bien comme coups et blessures porteacutes sans intention de

meurtre (agrave la suite dune rixe par exemple) comme accident (Paul au cours dune chasse

visait un gibier) comme acte meacuteritoire (Paul a deacutebarrasseacute la chreacutetienteacute dun perseacutecuteur sur le

modegravele de Judith tuant Holopherne) Leacuteveacutenement laquo mort de Jean raquo videacute de sa signification

intrinsegraveque devient ce que jappelle un fait faible un reacutesidu irreacuteductible de reacutealiteacute

Ce relativisme dAbeacutelard doit se relier eacutetroitement au principe naissant de lenquecircte

contradictoire Le premier texte qui proclame la neacutecessiteacute de cette enquecircte se trouve dans la

preacuteface du Sic et non On sait que cet ouvrage en dehors de sa preacuteface ne contient que des

13

citations contradictoires sur une seacuterie dobjets mais on na pas releveacute que ces objets ne sont

pas toujours des opinions theacuteologiques mais aussi des faits (comme par exemple

lemplacement geacuteographique de la tombe des patriarches)

Au cours du XIIIe siegravecle se produisit une reacuteaction progressive contre la morale de lintention

une tentative dobjectivation du jugement moral et judiciaire Ce pheacutenomegravene tient

probablement au mouvement de reacutedaction des textes normatifs et agrave la constitution du droit

comme science de plus en plus indeacutependante de la theacuteologie morale62 Le fait fut penseacute

comme un reacutesidu neacutecessaire agrave lindeacutependance transcendante du droit que la caste des juristes

tentaient dextraire des contingences et des compromissions des affaires courantes Mais

lattachement agrave la factualiteacute tenait aussi agrave une reacuteaction de lEacuteglise contre les entreprises

heacutereacutetiques appuyeacutees sur une pratique du secret et de la double entente Le sanctuaire de

linteacuterioriteacute pouvait apparaicirctre comme une cache de malfaiteurs Les poursuites contre les

cathares et les beacuteguins le montrent clairement les inquisiteurs mirent au point des techniques

de repeacuterage de la dissimulation Cette eacutevolution tendait donc agrave remplacer le fait faible des

morales de lintention par le fait fort des tribunaux denquecircte Est-ce agrave dire quau tribunal toute

excuse quant agrave la circonstance de laction eacutetait rejeteacutee Certes pas mais les circonstances

furent elles-mecircmes objectiveacutees On en donnera deux exemples la notion dirresponsabiliteacute

accordeacutee agrave des classes repeacuterables dindividus (les fous les enfants les somnambules) fut

deacutefinie au deacutebut du XIVe siegravecle par une deacutecreacutetale de Cleacutement V63 Par ailleurs dans la

proceacutedure inquisitoire lenquecircte preacutealable sur la reacuteputation (fama) des individus suspects

deacuteleacuteguait agrave une communauteacute exteacuterieure leacutevaluation des motifs avant que lenquecircte en veacuteriteacute

ne mette en correacutelation cette eacutevaluation avec des faits preacutecis Certes la fama fut largement

induite par les poursuites elles-mecircmes mais les juges tenaient agrave son caractegravere objectif et

mesurable Dans les procegraves inquisitoires en canonisation comme en matiegravere criminelle ou

heacutereacutetique les juges ou commissaires demandent freacutequemment aux teacutemoins de deacutefinir le sens

du mot fama son lieu dorigine son extension Certains allaient mecircme jusquagrave demander au

teacutemoin deacutevaluer quantitativement le nombre minimal dopinions ou de murmures neacutecessaires

pour constituer une reacuteputation

Ce positivisme meacutedieacuteval dont nous avons tenteacute de repeacuterer les racines juridiques et morales

peut-il ecirctre relieacute agrave une eacutevolution plus globale que lon pourrait saisir dans lhistoire des

sciences La question est deacutelicate car la physique dominante inspireacutee dAristote sattachait

davantage aux causes quaux pheacutenomegravenes comme la montreacute Alexandre Koyreacute Le

pheacutenomegravene eacutetait essentiellement reacuteductible Pourtant un certain deacuteveloppement de la

factualiteacute scientifique sobservait preacuteciseacutement en ces derniegraveres anneacutees du XIIIe siegravecle soit du

cocircteacute des ingeacutenieurs comme le ceacutelegravebre Pierre de Maricourt qui deacutecrivait et expeacuterimentait les

proprieacuteteacutes de laimant en vue de lameacutelioration de la boussole Un grand penseur comme

Roger Bacon grand chantre de lexpeacuterimentation reacuteussissait agrave conjoindre dans son œuvre la

theacuteologie loptique et lalchimie en traquant des faits par lobservation La cateacutegorie fourre-

tout des laquo merveilles raquo (mirabilia) commenccedilait agrave seacutetioler au profit dune extension simultaneacutee

des pheacutenomegravenes miraculeux et des pheacutenomegravenes naturels Enfin une physique non-

aristoteacutelicienne raisonnant sur des cas-limites relevant dune factualiteacute reacuteelle mais rare se

mettait en place64

Lenquecircte et le fait

Sur le plan des poursuites judiciaires la notion de fait tendit agrave simposer quand agrave partir des

anneacutees 1230 la recherche des heacutereacutetiques au sein de populations largement complices prit un

caractegravere massif et exigea des critegraveres plus larges et des meacutethodes plus efficaces que

14

linterrogatoire individuel Un mandement de larchevecircque de Tarragone fut reacutedigeacute en mai

124265 avec laide du dominicain Raymond de Penyafort le grand juriste qui devint aussi

maicirctre geacuteneacuteral de lordre des precirccheurs afin laquo que lon procegravede plus clairement quant au fait

dheacutereacutesie (circa factum heresis) raquo Certes le mot factum a encore ici le sens dimputation

judiciaire quil avait dans le droit romain mais le deacutetail du mandement montre bien quil

importait deacutesormais de consideacuterer des actes qui ne relevaient pas directement de la croyance

Le texte en effet distingue sept classes de population relieacutees agrave lheacutereacutesie66 Or seule la

premiegravere est nommeacute heacutereacutetique parce quelle professe des croyances en perdurant dans lerreur

La seconde cateacutegorie les laquo croyants raquo (credentes) est assimileacutee aux heacutereacutetiques (il faut sans

doute comprendre quils sont mis agrave part avant lavertissement salutaire qui les transforme en

cas de refus dabjurer en heacutereacutetiques proprement dits) Ensuite viennent les laquo suspects raquo

dheacutereacutesie Seuls des actions et des faits construisent cette qualification eacutecouter la preacutedication

ou les confeacuterences des heacutereacutetiques (en ce cas il sagit dinsabbatici heacutereacutetiques difficiles agrave

identifier et qui sont citeacutes en compagnie des Pauvres de Lyon et des Vaudois) sagenouiller en

leur compagnie Un eacuteleacutement de croyance peut pourtant ecirctre ajouteacute les suspects croient que

les heacutereacutetiques en question sont de laquo bons hommes raquo Suivant la reacutepeacutetition des actes la

suspicion sera simple veacuteheacutemente ou tregraves veacuteheacutemente Viennent ensuite les complices passifs

les laquo non-deacutenonciateurs raquo (celatores) qui sabstiennent de reacuteveacuteler la preacutesence publique

dheacutereacutetiques les laquo dissimulateurs raquo (occultatores) laquo qui ont fait pacte de ne rien reacuteveacuteler raquo

(fecerunt pactum de non revelando) les laquo hocirctes raquo (receptatores) qui reccediloivent chez eux au

moins deux fois des heacutereacutetiques ou des reacuteunions dheacutereacutetiques les laquo deacutefenseurs raquo (defensores)

qui prennent le parti des heacutereacutetiques par la parole ou par le fait (verbo vel facto) soit par le

discours soit par une aide mateacuterielle67 Ces quatre derniegraveres cateacutegories sont rassembleacutees sous

la qualification de laquo soutiens raquo (fautores) de lheacutereacutesie Les deacutelits lieacutes aux heacutereacutesies sont pour

Raymond susceptibles de degreacutes (magis vel minus) alors que lheacutereacutesie proprement dite

implique une structure strictement binaire ougrave le vrai soppose agrave lerreur Lagrave encore cest le

droit qui construit par opposition le fait par opposition au ministegravere du confesseur qui in

foro conscientiae traite le continuum des fautes et manquements la tacircche de linquisiteur in

jure consiste agrave reacuteduire agrave la pureteacute binaire de lincrimination une foule de circonstances et

daction floues Plus tard dans le siegravecle la notion de laquo preacutesomption de droit raquo accrut encore

cette tendance

Mais lheacutesitation est encore grande le quatriegraveme point de la consultation porte sur la

qualification comme heacutereacutetique de celui qui embrasse un heacutereacutetique ou qui prie en sa

compagnie ou le cache laquo doit-il ecirctre jugeacute comme croyant en lerreur de lheacutereacutetique raquo La

reacuteponse eacutetait neacutegative Pourtant plus loin le texte suggegravere que les ossements de ceux qui ont

soutenu lheacutereacutesie doivent ecirctre exhumeacutes parce que laquo le soutien (fautoria) est la suite et le

compleacutement de lheacutereacutesie raquo Quelques anneacutees plus tocirct en 1235 dans un des premiers textes

consacreacutes aux regravegles de linquisition Raymond de Penyafort consideacuterait que ceux qui

heacutebergeaient des heacutereacutetiques (en loccurrence des Vaudois) devaient ecirctre jugeacutes comme

heacutereacutetiques parce quils croyaient que lEacuteglise se trompait en poursuivant les heacutereacutetiques68

On le voit la tentation eacutetait grande depuis les deacutebuts de linquisition de construire des faits

heacutereacutetiques Lorsque le 14 juin 1303 Guillaume de Plaisians preacutesenta au Louvre ses

accusations contre le pape Boniface VIII il lui reprocha davoir extorqueacute agrave des precirctres la

reacuteveacutelation de secrets confieacutes en confession pour les divulguer et les utiliser Il conclut cet

article en disant laquo En raison de cela il semble avoir eacuteteacute heacutereacutetique quant au sacrement de

peacutenitence (propter quod in sacramento penitentie hereticare videtur) raquo Cest donc bien un

acte manifesteacute par le verbe actif laquo heacutereacutetiquer raquo qui passe pour manifestation dheacutereacutesie

Comme le note Jean Coste dans son eacutedition du laquo procegraves raquo le cardinal Pietro Colonna qui

15

connaissait mieux le droit canonique avait ajouteacute dans la reacutedaction dun article analogue laquo le

mecircme Boniface proclamait de faccedilon doctrinale (dogmatizabat) quil avait le droit dagir

ainsi raquo69

En 1308-1309 lauteur dune nouvelle seacuterie darticles daccusation contre la meacutemoire de

Boniface que Jean Coste attribue agrave Nogaret70 introduit une distinction alors ineacutedite qui fut

reprise cinquante ans plus tard par Nicolas Eymerich71 entre les articles heacutereacutetiques les

erreurs relatives agrave un point de fait deacutejagrave condamneacute (facti damnati errores) et les opinions Mais

la simple mention de cette distinction sans application preacutecise ne permet pas de consideacuterer

que la notion de laquo fait heacutereacutetique raquo se deacuteveloppait veacuteritablement

Les juges deacuteleacutegueacutes au procegraves de Bernard Deacutelicieux en 1319 franchirent ce pas du moins

dans leur acte daccusation du 23 octobre 1319 ils ouvraient leur accusation en deacuteclarant sur

un ton tregraves leacutegislatif mais sans aucune alleacutegation de droit que tout homme seigneur puissant

ou juge qui oserait libeacuterer les prisonniers de linquisition refuser dexeacutecuter ses mandats

empecirccher la sentence ou le procegraves ou sopposer en quelque faccedilon agrave la poursuite des

heacutereacutetiques laquo encourt ipso facto une sentence dexcommunication et sil lencourt avec une

volonteacute reacutesolue pendant un an est alors condamneacute comme heacutereacutetique raquo72

Questions de proceacutedure

Face agrave la menace deacutemoniaque il importait dagir efficacement et rapidement mais ces deux

exigences eacutetaient contradictoires car lefficaciteacute supposait le lent et difficile eacutetablissement de

la veacuteriteacute Le pontife disposait dune multitude de solutions judiciaires qui impliquaient agrave la

fois des diffeacuterences dans les types de proceacutedure dans les ressorts juridictionnels et dans les

modaliteacutes de lenquecircte

LEacuteglise favorisait le deacuteveloppement de la proceacutedure inquisitoire (par enquecircte) au deacutetriment

du mode accusatoire selon un mouvement initieacute par des deacutecreacutetales dInnocent III agrave partir de

1198 dont la maturation se lit dans le canon 8 du concile de Latran IV (1215) On le sait la

proceacutedure accusatoire dominante jusquau XIIe siegravecle et qui a poursuivi sa carriegravere dans la

Common Law britannique et ameacutericaine reacuteserve lincrimination agrave un accusateur qui sengage

sur cette accusation et peut en pacirctir Le juge ou le jury se contente darbitrer Les deux

moments de laction sont constitueacutes par la construction minutieuse de la cause qui doit ecirctre

rigoureusement deacutefinie (en termes romains il sagit de la phase de litis contestatio) et par la

deacutelibeacuteration La proceacutedure inquisitoire en revanche favorise laccusation doffice formuleacutee

par un juge ou un prince agrave la suite dune laquo diffamation raquo deacuteriveacutee de leacutecoute dune rumeur

accusatrice Le procegraves met en œuvre deux enquecirctes successives la premiegravere eacutetablit cette

fama cette reacuteputation bonne ou mauvaise qui permet linculpation ou la relaxe la seconde

enquecircte construit la veacuteriteacute des faits porteacutes par la fama

Plusieurs ressorts juridictionnels pouvaient prendre en charge les invocateurs du deacutemon la

justice eacutepiscopale avec ses divers tribunaux le tribunal de linquisition et des commissions

pontificales ad hoc Linquisition fut creacuteeacutee par le pontificat agrave partir de 1233 en vue de

poursuivre lheacutereacutesie et elle garda longtemps cette speacutecialisation qui impliquait un recrutement

de juges plus theacuteologiens que juristes Il est difficile de porter un jugement serein sur

linquisition meacutedieacutevale tant son image a fait lobjet de controverses violentes Certains

meacutedieacutevistes ont tenteacute non sans quelques raisons de rejeter la folie perseacutecutrice associeacutee agrave

cette image Edward Peters a montreacute comment avait pu se construire dans la suite des temps

un veacuteritable mythe noir de linquisition73 un article retentissant de Richard Kieckhefer a mis

16

en doute la reacutealiteacute institutionnelle de linquisition74 De fait lopinion commune a souvent

confondu les reacutealiteacutes implacables de lInquisition romaine (creacuteeacutee en 1542) et surtout de

lInquisition castillane (institution eacutetatique fondeacutee en 1481-1482) avec les tentatives limiteacutees

et souvent incoheacuterentes de linquisition meacutedieacutevale Pourtant linquisition meacutedieacutevale a bien

existeacute comme institution puissante en deacutepit de sa faible assise Linquisiteur eacutetait nommeacute par

le saint Siegravege mais demeurait eacutetroitement lieacute agrave lordre religieux dont il provenait (lordre

dominicain pour lessentiel mais aussi lordre franciscain et dans une moindre mesure

lordre des carmes) Sa pratique quotidienne le mettait en relation eacutetroite avec le pouvoir

seacuteculier

Les commissions speacuteciales du pape deacuterivaient en un sens de la justice deacuteleacutegueacutee des pontifes

instaureacutee depuis le XIIe siegravecle mais elles prirent une importance particuliegravere sous le pontificat

de Jean XXII pour des raisons que nous examinerons plus loin Limportance des faits

deacutemoniaques conduisit Jean XXII agrave lever beaucoup de garanties judiciaires et gracieuses75 et

agrave confier les affaires de complot avec soupccedilons magiques ou deacutemonologiques agrave des

commissions pontificales qui se reacuteclamaient de la proceacutedure sommaire La notion de

proceacutedure sommaire sest lentement deacuteveloppeacutee depuis la fin du XIIe siegravecle dans le droit

canonique Il sagissait de formaliser les efforts des deacutecennies preacuteceacutedentes en matiegravere

darbitrage ou de compromis internes agrave lEacuteglise en reacuteaction aux excegraves de juridisme qui avaient

eacuteteacute deacutenonceacutes par saint Bernard dans son retentissant traiteacute De consideratione La notion

dlaquo eacutequiteacute canonique raquo eacutetait opposeacutee agrave la rigor iuris des civilistes La proceacutedure trouva

lentement sa forme agrave partir deacuteleacutements eacutepars dans le droit romain par agglomeacuteration de

clausules indeacutependantes si les parties eacutetaient daccord la cognitio summaria (traduite dans

nos textes par ladverbe summarie ou simpliciter) impliquait dalleacuteger les charges de preuves

on pouvait se contenter de preuves laquo semi-pleines raquo (un simple serment un teacutemoin ou un

document unique) et de la phase proprement proceacutedurale dun procegraves la reacutedaction dun

laquo livret raquo (libellus) et le deacutebat de la litis contestatio (qui eacutetablissait les rocircles judiciaires et les

enjeux du procegraves) devenaient facultatifs La mention dune proceacutedure de plano qui renvoyait

agrave linutiliteacute de sieacuteger formellement en tribunal insistait davantage sur la rapiditeacute et labsence de

formes externes Enfin les clausules sine strepitu judiciorum (sans le vacarme des procegraves) et

sine figura judicii (sans la forme du procegraves) compleacutetaient cette simplification en insistant sur

la suppression des avocats et des formes bruyantes dopposition et de recours

Agrave leacutepoque de Jean XXII cette formalisation de larbitrage eccleacutesiastique venait agrave peine de

sachever par la publication de deux deacutecreacutetales de Cleacutement V Dispendiosam produite pour le

concile de Vienne en 1311-1312 et Saepe reacutedigeacutee en 1314 Dispendiosam76 deacuteclarait de

faccedilon fort bregraveve que la proceacutedure sommaire pouvait sappliquer dune part aux cas deacutejagrave preacutevus

par le droit canonique du XIIIe siegravecle quant aux affaires propres de lEacuteglise (laquo eacutelections

demandes et provisions attributions de digniteacutes de fonctions de charges de canonicats de

preacutebendes et autres beacuteneacutefices eccleacutesiastiques raquo et contentieux sur les dicircmes) mais aussi sur les

questions de mariage et dusure Cette extension eacutetait consideacuterable et aboutissait agrave fournir la

possibiliteacute de proceacutedure sommaire pour la quasi totaliteacute des affaires eacutevoqueacutees par lEacuteglise

Seules les successions neacutetaient pas mentionneacutees mais elles interfeacuteraient neacutecessairement avec

les causes matrimoniales La deacutecreacutetale Saepe77

deacutetaillait plus longuement les particulariteacutes de

la proceacutedure sommaire et reacutesumait soigneusement les traits assembleacutes depuis pregraves dun siegravecle

Lusage parallegravele de la proceacutedure sommaire en matiegravere de poursuite de lheacutereacutesie ne se laisse

pas facilement deacutechiffrer car la filiation par rapport agrave la doctrine de larbitrage y perd tout

sens Le seul point commun des deux usages tient au rocircle essentiel du juge chargeacute agrave la fois de

la proceacutedure de linstruction et de la deacutecision Pourtant ce nest pas avant la deacutecreacutetale Statuta

17

quedam promulgueacutee par Boniface VIII dans son Liber Sextus en 1296-1298 que la proceacutedure

sommaire fut accordeacutee explicitement agrave la proceacutedure inquisitoriale laquo En collationnant certains

statuts de nos preacutedeacutecesseurs dheureuse meacutemoire Innocent Alexandre et Cleacutement et en

interpreacutetant et ajoutant certains points nous accordons que dans les affaires dinquisition sur

la perversion heacutereacutetique il puisse ecirctre proceacutedeacute de faccedilon simple et informelle sans vacarme ni

apparence des avocats et des jugements (procedi possit simpliciter et de plano et absque

advocatorum ac judiciorum strepitu et figura) raquo La suite de la deacutecreacutetale justifie le secret sur

les noms des teacutemoins ou accusateurs pour raison de seacutecuriteacute

Procegraves et majesteacute

Tous les niveaux et distinctions que nous venons desquisser se mecirclaient dans la pratique

judiciaire puisque linquisition se fondait largement sur la proceacutedure inquisitoire tandis que

des eacutevecircques comme Jacques Fournier le ceacutelegravebre eacutevecircque de Pamiers ou Guido Terreni

eacutevecircque de Majorque puis dElne recevaient du pape des fonctions dinquisiteur dans leur

diocegravese

Pourtant Jean XXII navait guegravere confiance dans la justice des eacutevecircques Il savait que les

eacutevecircques pouvaient souvent preacutefeacuterer la paix du diocegravese agrave lexigence de la veacuteriteacute Ainsi agrave

lefficace et zeacuteleacute Jacques Fournier avait succeacutedeacute en 1326 Dominique Grima brillant

theacuteologien ancien assistant inquisiteur de Bernard Gui agrave Toulouse qui sattira le courroux du

pape pour sa neacutegligence dans la poursuite de lheacutereacutesie78 Le pape preacutefeacutera freacutequemment utiliser

des commissions speacuteciales denquecircte et de jugement selon la proceacutedure sommaire plutocirct que

les tribunaux inquisitoriaux Ce fut le cas notamment pour les procegraves de Hugues Geacuteraud de

Robert de Mauvoisin et de Bernard Deacutelicieux Parfois limputation de crime de legravese-majesteacute

permit de donner une latitude encore plus large aux proceacutedures extraordinaires ainsi le 12

avril 1331 sur plainte du roi de France le pape ordonna agrave leacutevecircque de Paris de proceacuteder

contre Hertaud abbeacute dun monastegravere du diocegravese dAutun et contre Jean Albeacutericus dominicain

sur leurs laquo maleacutefices et excegraves raquo (super maleficiis et excessibus) contre le roi et sa cour raquo Il

sagit certainement de pratiques magiques (multis maleficiis) qui attentaient au laquo salut public raquo

et qui en tout cas relevaient du crime de legravese-majesteacute Or le pape en ce cas non seulement

ordonna une proceacutedure sommaire (simpliciter et de plano sine strepitu et figura judicii) mais

leva tous les privilegraveges et garanties des deux religieux autorisant leur arrestation (captionem)

leur incarceacuteration et leur torture (necnon questionibus subici prout a canonibus est

permissum)79

On peut se demander pourquoi Jean XXII fut si reacuteticent agrave confier les causes deacutemoniaques agrave

linquisition au moment mecircme ougrave il tentait dassimiler linvocation des deacutemons agrave lheacutereacutesie La

reacuteponse la plus commune agrave cette question relie ce choix au caractegravere politique de bien des

affaires ougrave le deacutemon semble intervenir comme preacutetexte plutocirct que comme cause De fait les

proceacutedures exceptionnelles qui mecirclent lattentat contre la majesteacute royale ou divine les

accusations dheacutereacutesie et les imputations de sorcellerie ou dinvocation des deacutemons doivent ecirctre

relieacutees agrave la grande vague des procegraves politiques qui avait commenceacute degraves le deacutebut du XIVe

siegravecle cest Philippe le Bel80 qui avait lanceacute degraves 1303 le procegraves contre le pape

Boniface VIII81 accuseacute entre autres davoir invoqueacute les deacutemons et consulteacute des magiciens

puis le roi entre 1306 et 1314 sen eacutetait pris aux Templiers comme adorateurs du diable

Entre 1308 et 1314 Philippe le Bel avait inculpeacute Guichard eacutevecircque de Troyes qui aurait

conspireacute en vue de tuer la reine et dautres personnaliteacutes princiegraveres par lusage de poisons et

dimages magiques82 En 1315 Enguerrand de Marigny qui avait si efficacement collaboreacute agrave

ces procegraves fut lui-mecircme pendu pour avoir nui au roi Louis X et agrave Charles de Valois par des

18

images magiques83 Jean XXII prit le relais avec les procegraves contre Hugues Geacuteraud eacutevecircque

de Cahors84 en 1317 contre Mateo et Galeazzo Visconti en 132085 contre les allieacutes de

Federico de Montefeltro dans la Marche dAncocircne86 Dans tous ces cas la parfaite

correspondance entre la graviteacute des accusations et la position antagoniste des inculpeacutes incite agrave

voir dans ces procegraves de simples et cyniques manœuvres ougrave lexception judiciaire doit

confirmer la regravegle politique

Cette interpreacutetation rend imparfaitement compte des reacutealiteacutes leacutecrasement des adversaires ne

fut pas systeacutematique les graves accusations contre Bernard Deacutelicieux quant au meurtre

deacutemoniaque de Cleacutement V ne furent pas assumeacutees dans le jugement contrairement agrave ce qui se

passa pour Hugues Geacuteraud Robert de Mauvoisin sen tira avec une simple eacutejection de son

siegravege archieacutepiscopal Certes les juges avaient quelque autonomie mais on peut penser que le

pape avait eacuteprouveacute de reacuteels doutes quant agrave la culpabiliteacute des accuseacutes Ces interrogations

rendent peut-ecirctre compte de la consultation de 1320 qui relevait moins de la discussion

quodlibeacutetale ou de la colleacutegialiteacute de deacutecision que du besoin dexpertise

Meacutefiance de linquisition

Les choix de proceacutedure de Jean XXII doivent sexpliquer autrement La preacutefeacuterence pour la

forme extraordinaire tient dabord agrave une grande meacutefiance de linquisition Les inquisiteurs

avaient tendance agrave poursuivre sans tenir compte des rangs sociaux ni des circonstances

politiques la fameuse affaire de Jean lArchevesque sieur de Parthenay mecircleacute agrave des pratiques

de sortilegravege vers 1323 le montre bien Linquisiteur seacutetait attaqueacute agrave un personnage puissant

beacuteneacuteficiant de protections royales qui avait reacuteussi agrave obtenir la consultation dun grand juriste

Oldrado da Ponte87 Agrave deux reprises le pape eacutecrivit aux inquisiteurs de Carcassonne pour

leur enjoindre de ne pas tourmenter inutilement les consuls et bourgeois de Montpellier88

Le pape avait pu aussi eacuteprouver lextrecircme impopulariteacute de linquisition patente dans laffaire

Bernard Deacutelicieux un simple agitateur avait failli renverser le pouvoir monarchique franccedilais

en liguant les couches citadines hostiles agrave lintervention des inquisiteurs En 1317-1318 cest

le zegravele excessif de Michel Le Moine inquisiteur franciscain de Provence qui avait enflammeacute

la reacutesistance beacuteguine dans le Midi par lexaltation des martyrs de Marseille En 1321-1322

cest le manque de discernement de linquisiteur Jean de Beaune agrave Beacuteziers qui avait entraicircneacute le

pape sur un terrain impreacutevu Linquisiteur ne mesurait pas toujours la porteacutee de ses actes et

surtout il pouvait agir trop publiquement du moins dans la phase initiale (la proclamation de

lenquecircte) et dans sa phase conclusive (le sermon geacuteneacuteral) ainsi cest la dispute publique

entre linquisiteur de Carcassonne Jean de Beaune et le lecteur franciscain du couvent de

Narbonne Beacuteranger Talon qui avait provoqueacute la reprise du deacutebat sur la pauvreteacute du Christ

Enfin et surtout linquisition jouissait dune certaine indeacutependance par rapport au pouvoir

pontifical dune part sa nomination deacutependait aussi du bon vouloir du maicirctre geacuteneacuteral des

dominicains ou du ministre geacuteneacuteral des franciscains Dautre part il pouvait agrave loccasion se

rapprocher du pouvoir royal On peut se demander si la diffeacuterence de deacutenomination des

inquisiteurs de Carcassonnne et de Toulouse entre 1320 et 1330 dans les lettres citeacutees plus

haut reacutedigeacutees par Guillaume de Peyre Godin puis par le pape ne traduit pas cette perception

dans le premier cas le cardinal sadresse laquo agrave linquisiteur de la perversion heacutereacutetique de la

reacutegion de Carcassonne raquo dans le second cas il sagit de laquo linquisiteur de la perversion

heacutereacutetique deacuteputeacute par le Siegravege apostolique dans le royaume de France en reacutesidence agrave

Carcassonne raquo Le soin de cette seconde formulation insiste sur le fait que lorigine du pouvoir

inquisitorial se trouve bien dans le pontificat De fait linquisition meacuteridionale apregraves les

froissements ducircs agrave laffaire Bernard Deacutelicieux ougrave les officiers royaux avaient toleacutereacute ou mecircme

19

soutenu le trublion franciscain avait eacuteteacute largement instrumentaliseacutee par la monarchie comme

le montrait laffaire des Templiers

En outre le pontife eacutetait fort irriteacute du manque de respect de certains inquisiteurs pour le droit

Ainsi en 1331 il reccedilut et approuva les plaintes de maicirctre Jean Anselme de Gecircnes chirurgien

et de Reacuteginald de Cravant clerc du diocegravese dAuxerre qui avaient eacuteteacute faussement accuseacutes

dheacutereacutesie et de maleacutefices par linquisiteur de France Aubert de Chacirclons et par leacutevecircque de Paris

Hugues Michel de Besanccedilon Le pontife leur reprochait davoir agi sans avoir eacutetabli aucune

infamie anteacuterieure sans respecter lordre judiciaire sans permettre aucune deacutefense leacutegitime89

Il nest pas besoin dimaginer un Jean XXII soucieux de justice par formation professionnelle

comme on la vu lordre du droit permettait deacutetablir soigneusement la veacuteriteacute qui importait

bien davantage que la reacutepression Le cas de la censure du commentaire dOlivi sur

lApocalypse le montre bien le texte eacutetait dangereux puisquil inspirait directement les

Beacuteguins par le biais dabreacutegeacutes et de traductions en langue vernaculaire Le contenu anti-

pontifical de ce texte eacutetait manifeste Pourtant le pape usa directement ou indirectement de

quatre commissions diffeacuterentes durant huit ans (1318-1326) avec un suppleacutement denquecircte

en 1322 avant darriver agrave une condamnation Le reacutesultat reacutepressif eacutetait certainement acquis

degraves 1318 mais il importait de suivre minutieusement les chemins de lerreur Ce souci

apparaicirct clairement dans une lettre adresseacutee par le pape en 1330 agrave Henri Chamayou

inquisiteur de Carcassonne90 qui avait reacuteussi agrave faire arrecircter deux heacutereacutetiques italiens qui

avaient confesseacute leur crime Le pontife feacutelicite chaleureusement linquisiteur mais lengage

fermement agrave poursuivre lenquecircte bien quil ait deacutejagrave en main tous les eacuteleacutements pour les

condamner laquo parce que nous croyons que tu aurais du connaicirctre une veacuteriteacute plus ample

(novisse te plenius credimus veritatem) au sujet de ce pour quoi ils tont eacuteteacute livreacutes nous

voulons et il nous plaicirct quayant Dieu seul devant les yeux tu veilles selon lexigence de la

justice agrave ne pas neacutegliger ce que tu sauras ecirctre adeacutequat en cette affaire raquo

Ces recommandations neacutetaient pas de pure forme la logique de linquisition ne la conduisait

pas vers leacutelucidation neacutecessaire agrave la cause des deacutemoniaques Linstitution demeurait

profondeacutement theacuteologienne et non juriste Le fondement proceacutedural de linquisition reposait

moins sur la poursuite doffice et lenquecircte que sur la troisiegraveme forme de poursuite (agrave cocircteacute de

la proceacutedure inquisitoire et de la proceacutedure accusatoire) deacutefinie par Innocent III au canon 8 du

concile de Latran la deacutenonciation eacutevangeacutelique issue de la correction fraternelle Or la

deacutenonciation orientait la poursuite vers la peacutenitence La confession rapidement obtenue par la

menace la terreur ou la torture conduisait agrave la demande dabsolution chegraverement neacutegocieacutee Il

importait agrave linquisiteur dobtenir au plus vite cette confession sans trop sattarder dans

lenquecircte sur la fama ou sur la veacuteriteacute neutraliseacutee par laveu Paradoxalement un accuseacute avait

de meilleures chances avec les proceacutedures sommaires chegraveres au pape quavec linquisition

parce que la veacuteriteacute pouvait contraindre le pape agrave la mansueacutetude tandis que la meacutecanique de la

culpabiliteacute ineacutevitable de tout peacutecheur entraicircnait tout inculpeacute dans la collectiviteacute peacutenale de

linquisition

Cest peut-ecirctre ces problegravemes de proceacutedure qui ont provoqueacute ce que Jean-Patrice Boudet

appelait plaisamment le laquo retard agrave lallumage raquo dans la poursuite des sorciers au XIVe siegravecle

tant que la papauteacute fut reacuteticente agrave deacuteleacuteguer son pouvoir denquecircte les limites mateacuterielles de la

justice pontificale empecircchegraverent la diffusion capillaire de limputation et de la reacutepression Et

preacuteciseacutement cest labandon forceacute de labsolutisme pontifical apregraves les conciles de Constance

et de Bacircle qui ouvrit les premiegraveres campagnes judiciaires et doctrinales contre les sorciers et

adorateurs du deacutemon dans les anneacutees 1430-1440 Mais le deacuteveloppement rapide de la

20

deacutemonologie avait eacuteteacute bien preacutepareacute par un pape qui tenait agrave consideacuterer lucidement les zones

obscures ougrave le deacutemon pouvait passer

Notes de bas de page

1 B Gui Manuel de linquisiteur eacuted par G Mollat Paris 1926-1927

2 P Paravy De la chreacutetienteacute romaine agrave la Reacuteforme en Dauphineacute Eacutevecircques fidegraveles et deacuteviants

(vers 1340-vers 1530) Rome 1993

3 LImaginaire du sabbat Eacutedition critique des textes les plus anciens (1430 ca-1440 ca)

reacuteunis par M Ostorero A Paravicini Bagliani K Utz Tremp en collaboration avec C Chegravene

Lausanne 1999

4 R KIECKHEFER European Witch Trials Their Foundations in Popular and Learned

Culture 1300-1500 Londres 1976 Carlo Ginzburg commence sa seacuterie explicative des

formes occidentales du sabbat en 1321 mais selon un modegravele totalement opposeacute au nocirctre

5 Bonn 1901

6 L THORNDIKE A History of Magic and Experimental Science vol III New York 1934

p 18 sq

7 Voir N Weill-Parot Les laquo Images astrologiques raquo au Moyen Acircge et agrave la Renaissance

Speacuteculations intellectuelles et pratiques magiques (XIIe-XV

e s) Paris 2002 p 377-385 et Id

laquo Les intellectuels lEacuteglise et la magie dans la premiegravere moitieacute du xive s raquo (meacutemoire de

maicirctrise Paris I 1990) Je tiens agrave remercier N Weill-Parot pour ses commentaires sur le

preacutesent article

8 laquo Quod cum morte fedus ineunt et pactum faciunt cum inferno Demonibus namque

immolant hos adorant raquo

9 Liber Sextus V II cap 8

10 Cause XXVI qu 5 cap 12 eacuted Friedberg col 1080

11 Voir A Boureau laquo De la feacutelonie agrave la haute trahison Un eacutepisode la trahison des clercs

(version du xiie s) raquo Le Genre Humain 16-17 1988 p 267-291

12 Venise 1595 XLIII 9 p 341-342

13 laquo Simpliciter et de plano ac sine strepitu et figura judicii appellatione remota raquo Lettre

publieacutee par J-M Vidal Bullaire de lInquisition franccedilaise Paris 1913 no 284 p 403-404

14 laquo Nonnulli etiam quandoque litterati in hoc se opponunt pretendentes id ad tuum non

expectare officium secundum canonicas sanctiones raquo

15 J-P Boudet laquo Les condamnations de la magie agrave Paris en 1398 raquo Revue Mabillon n s 12

(t 73) 2001 p 121-157

16 B Hamilton The Medieval Inquisition Londres 1981 p 94

17 Dans une lettre de 1336 adresseacutee agrave lofficial dAvignon Benoicirct XII successeur de

Jean XXII range agrave nouveau les sortilegraveges parmi les crimes qui touchent la foi (J-M Vidal

Bullaire op cit no 153 p 229-230) En 1405 Benoicirct XIII deacuteclare nuls les privilegraveges des

habitants du diocegravese du Puy qui preacutetendaient que linquisiteur de Carcassonne ne pouvait les

poursuivre pour maleacutefices (J-M Vidal Bullaire op cit no 332 p 473-474)

18 La premiegravere eacutedition a eacuteteacute procureacutee par Jean Chappuis en 1500 Pour la formation des deux

collections voir A M Stickler Historia Iuris Canonici Institutiones Academicae T I

Historia Fontium Rome 1950 p 270-271

19 Les seules mentions de la bulle se trouvent on la dit dans le manuel de Nicolas Eymerich

(1376) dans les Annales eccleacutesiastiques de Rinaldi et dans un bullaire romain du xviiie s

20 Voir A MAIER dans laquo Eine Verfuumlgung Johannis XXII uumlber die Zustaumlndigkeit der

Inquisition fuumlr Zauberprozesse raquo Archivium Fratrum Praedicatorum 32 1952 p 226-246

21 A Maier loc cit p 231

21

22 Publieacutee par R Manselli laquo Enrico del Carretto e la consultazione sulla magia di Giovanni

XXII raquo dans Miscellanea in onore di Monsignore Martino Giusti t II Vatican 1978 p 97-

129

23 Il est possible aussi que linterrogation doctrinale ait eacuteteacute anticipeacutee par Guido Terreni un

des dix experts de la consultation de 1320 dans son sixiegraveme quolibet laquo Est-ce que celui qui

baptise une chose sans acircme ou sans raison et non pas un homme est heacutereacutetique raquo ms BAV

Borghese 39 fo 238v

o-240v

o que je publie en annexe de la consultation Mais la date de ce

quolibet demeure incertaine

24 laquo Fecisti plantas pedum eiusdem mulieris iuxta carbones accensos apponi raquo texte publieacute

par J-M Vidal Bullaire op cit p 51-52

25 laquo Diu post confessionem debitum nature persoluitverum quia dubitatur ne propter

predicta tormenta citius decesserit quam alias decessisset mulier supradicta si tormentata

minime extitisset raquo

26 laquo Erronea et horrenda contra catholicam fidem fuit confessa et multos consocios et

complices reuelauitque omnia sic inuenta ut communiter creditur numquam reuelata

fuissent nisi mediantibus tormentis eiusdem predicta mulier reuelasset raquo

27 laquo De consilio proborum qui se asserebant uidisse penis examinati hereticos in partibus

Tholosanis raquo

28 J-M Vidal Bullaire op cit no 24 p 53-54

29 Ex certa sciencia sur cette clausule de labsolutisme pontifical voir A Boureau La Loi

du royaume Les moines le droit et la construction de la nation anglaise Paris 2001 avec

renvoi aux travaux de Jacques Krynen

30 Publieacutee par J-M Vidal Bullaire op cit p 61 Une meilleure eacutedition a eacuteteacute procureacutee par

A Maier loc cit p 226-227

31 J-M Vidal Bullaire op cit no 72 p 118-119

32 La commission fut reacuteiteacutereacutee le 8 novembre 1327 ibid no 78 bis p 129-130

33 Voir A Boureau laquo Saints et deacutemons dans les procegraves de canonisation du deacutebut du xive s raquo

agrave paraicirctre dans les actes du colloque de Budapest sur les procegraves de canonisation dir Gaacutebor

Klaniczay

34 B Gui Manuel de linquisiteur eacuted et trad par G Mollat op cit t I p 52

35 Publieacutees par J-M Vidal Bullaire op cit no 103 p 154-156

36 Henri de Chamayou

37 Pierre Brun

38 La qualification dheacutereacutesie de la part du pape agrave propos des invocations deacutemoniaques na

jamais cesseacute Voir par exemple une lettre de 1323 qui deacutesigne des commissaires pour juger

le moine Guillaume de Figeac accuseacute de laquo deacutevier de la foi catholique raquo en pratiquant

lalchimie et la neacutecromancie (J-M Vidal Bullaire op cit no 50 p 87-88)

39 F Graf La Magie dans lAntiquiteacute greacuteco-romaine Ideacuteologie et pratique Paris 1994

40 Voir le reacutecit par Pierre le Veacuteneacuterable vers 1137 dun usage magique de lhostie consacreacutee

par un paysan deacutesireux de retenir ses abeilles Livre des merveilles de Dieu (De miraculis)

introduction traduction et notes de J-P Torrell et D Bouthillier FribourgParis 1992 p 70-

72 Je remercie Charles de Miramon de mavoir signaleacute ce texte

41 Voir les travaux reacutealiseacutes autour de Richard Kieckhefer et Claire Faenger aux Eacutetats-Unis

autour de Jean-Patrice Boudet et Henri Bresc en France notamment

42 Dans sa biographie collective des deux premiegraveres geacuteneacuterations de dominicains eacutecrite au

deacutebut des anneacutees 1260 Geacuterard de Frachet ne rapporte quun seul cas de fregravere qui se voue agrave

lalchimie et il ne trouve agrave lui reprocher que son deacutesir de senrichir rapidement Son activiteacute

consiste alors essentiellement agrave se rendre en Sardaigne pour y collecter des mineacuteraux rares

Son funeste sort ultime ne sexplique que par cet abandon de Dieu au profit de la richesse

22

seacuteculiegravere (Vitae Fratrum Ordinis Praedicatorum eacuted par B-M Reichert Rome-Stuttgart

Monumenta Ordinis Fratrum Praedicatorum Historica 1897 p 290)

43 La Condamnation parisienne de 1277 eacuted et trad par D Picheacute avec la collaboration de

C Lafleur Paris 1999 p 77

44 A Paravicini Bagliani Il corpo del papa Turin 1994

45 Preacuteface agrave Le crisi dellalchimia Micrologus 3 1995 p VIII

46 Voir leacutedition du procegraves dans J Shatzmiller Justice et injustice au deacutebut du XIVe s

Lenquecircte sur larchevecircque dAix et sa renonciation en 1318 Rome 1999

47 Voir une lettre de feacutevrier 1330 dans Lettres secregravetes et curiales du pape Jean XXII (1316-

1334) relatives agrave la France eacuted par A Coulon et S Cleacutemencet fasc 8 Paris 1965 no 4100

p 104-105 [abreacutegeacute deacutesormais Coulon-Cleacutemencet] lettre agrave Jean de Badas inquisiteur

franciscain de Marseille sur un crime nefandum commis par Gantalmus Gantalmi notaire et

sa femme Berengegravere instigatione diabolica circumventi agrave lencontre de Guillaume de Baucio

sire de Berre

48 Texte publieacute par J HANSEN Quellen und Untersuchungen op cit no 3 p 2

49 Notons quen 1318 les rites de conseacutecration des miroirs et images paraissent speacutecifiques

alors quen 1320 dans les questions poseacutees par le pape aux experts les invocateurs de deacutemons

utilisent le rite catholique du baptecircme pour preacuteparer leurs images

50 A Paravicini Bagliani Il corpo del papa op cit

51 C H JOSTEN laquo The Text of John Dastins letter to Pope John XXII raquo Ambix 4 1951

p 46-51

52 E Albe Autour de Jean XXII Hugues Geacuteraud eacutevecircque de Cahors laffaire des poisons et

envoucirctements en 1317 Cahors 1904 p 163-164

53 Processus Bernardi Deliciosi The Trial of Fr Bernard Deacutelicieux 3 September-8

December 1319 eacutediteacute par A Friedlander Philadelphie 1996 p 62 Pour une eacutetude complegravete

du dossier voir A Friedlander The Hammer of the Inquisitors Brother Bernard Deacutelicieux

and the Struggle against the Inquisition in Fourteenth-Century France Leyde 2000

54 Coulon-Cleacutemencet no 2969 p 151

55 Coulon-Cleacutemencet no 2395 p 47

56 Sermon sur la vigile de lEacutepiphanie 5 janvier 1332 eacuted par M Dykmans Les Sermons de

Jean XXII sur la vision beacuteatifique Rome (Miscellanea Historiae Pontificiae 34) p 145

57 Les actes du procegraves ont eacuteteacute publieacutes par J-MVidal laquo Procegraves dinquisition contre Adheacutemar

de Mosset raquo Revue dHistoire de lEacuteglise de France 1 1910 Lanecdote se trouve agrave la p 713

58 Ces interrogations sur la laquo situation raquo spirituelle eacutetaient freacutequemment exprimeacutees Dans sa

correspondance avec les grands de ce monde le pape doit souvent reacutepondre agrave ce genre de

question en termes agrave vrai dire assez geacuteneacuteraux

59 Coulon-Cleacutemencet fasc 8 Paris 1965 no 4197 p 126 Lettre analogue en feacutevrier 1331

(no 4452 t 9 p 41)

60 On peut se demander si ce nest pas cette fideacuteliteacute litteacuterale au texte biblique qui a contribueacute agrave

pousser le pape agrave intervenir sur la question de la vision beacuteatifique question ougrave les partisans de

la vision directe de Dieu avant le jugement final ne trouvaient aucun appui scripturaire direct

61 On trouve une formulation parallegravele dans Quia quorumdam mentes (10 novembre 1324)

62 Voir A Boureau laquo Droit naturel et abstraction judiciaire Hypothegraveses sur la nature du droit

meacutedieacuteval raquo Annales HSS 57 6 2002 p 1463-1488

63 Voir A Boureau laquo La redeacutecouverte de lautonomie du corps leacutemergence du somnambule

(xiiie-xiv

e s) raquo Micrologus I 1993 p 27-42

64 Sur toutes ces questions je me permets de renvoyer au chap 8 de mon ouvrage Theacuteologie

science et censure au XIIIe s Le cas de Jean Peckham Paris 1999

23

65 Publieacute par J Rius Serra dans Sancti Raymundi de Penyafort opera omnia t III

Diplomatario (Documentos Vida antigua Cronicas Processos antiguos) Barcelone 1954

p 74-82

66 Cette typologie fut reprise par le pape Alexandre IV une dizaine danneacutees plus tard et

eacutediteacutee par Boniface VIII dans le Sexte (L 5 tit 2 cap 2 6 11 eacuted Friedberg II col 1069

1071 1073) Voir aussi le traiteacute Doctrina de modo procedendi erga hereticos (vers 1280)

dans Martegravene et Durand Thesaurus novus anecdotum t 5 Paris 1717 col 1797 et la

Practica de Bernard Gui (p 226-232)

67 Bien avant la creacuteation de lInquisition le troisiegraveme concile de Latran (1179) avait frappeacute

danathegraveme et priveacute de seacutepulture les defensores et receptatores dheacutereacutetiques (Deacutecreacutetales L 5

tit 7 cap 8 eacuted Friedberg II col 1780)

68 Ibid p 29-32

69 Texte eacutediteacute par J Coste Boniface VIII en procegraves Articles daccusation et deacutepositions de

teacutemoins (1303-1311) Eacutedition critique introduction et notes Rome 1995 p 153

70 Nogaret originaire de Saint-Feacutelix-de-Caraman haut-lieu cathare petit-fils dun ministre

heacutereacutetique avait certainement une bonne connaissance de la perseacutecution de lheacutereacutesie en deacutepit

de sa formation de civiliste

71 Directorium op cit seconde partie question 2

72 Processus op cit p 180

73 E PETERS Inquisition Berkeley 1988

74 R KIECKHEFER laquo The Office of Inquisition and Medieval heresy the Transition from a

Personal to an Institutional Juridiction raquo Journal of Ecclesiastical History 46 1995 p 36-

61

75 Ainsi le pape deacutecida de suspendre le droit dasile dans les eacuteglises au deacutetriment des

heacutereacutetiques mais pas speacutecifiquement des auteurs de sortilegraveges (Lettre au roi de France Philippe

VI en 1328 publieacutee par J-M Vidal Bullaire op cit no 79 p 130-131)

76 Eacuted FRIEDBERG t II col 1078

77 Ibid col 1200

78 Voir la lettre dure que lui adressa le pape Jean XXII le 6 octobre 1332 (J-M Vidal

Bullaire op cit no 124 p 184)

79 Coulon-Cleacutemencet no 4539 fasc 9 p 59-60

80 Lattention precircteacutee agrave Philippe le Bel et agrave Jean XXII ne doit pas faire oublier que ce type

daccusation politico-deacutemonologique est deacutepoque comme le montre dans un tout autre

contexte le procegraves intenteacute agrave Walter Langton eacutevecircque de Coventry en 1301-1303 avec

mention dadoration diabolique (voir A Beardwood laquo The Trial of Walter Langton bishop of

Lichfield 1307-1312 raquo Transactions of the American Philosophical Society NS 54 p III

Philadelphie 1964

81 Voir J Coste Boniface VIII en procegraves op cit

82 A Rigault Le Procegraves de Guichard eacutevecircque de Troyes 1308-1313 Paris 1896

83 J Favier Un conseiller de Philippe le Bel Enguerrand de Marigny Paris 1963 Il faut

mentionner peu apregraves le procegraves contre le cardinal Francesco Gaetani poursuivi par les cours

royales pour attentat contre le roi son fregravere et deux cardinaux agrave laide dimages magiques

(voir C Langlois laquo Laffaire du cardinal Francesco Gaetani (avril 1316) raquo Revue historique

63 1897 p 56-71)

84 E Albe Autour de Jean XXII op cit

85 R Michel laquo Le procegraves de Mateo et Galeazzo Visconti laccusation de sorcellerie et

dheacutereacutesie Dante et laffaire de lenvoucirctement (1320) raquo Meacutelanges darcheacuteologie et dhistoire

29 1909 p 269-327

86 F Bock laquo I processi di Giovanni XXII contro i Ghibellini delle Marche raquo Bolletino

dellIstituto storico italiano per il Medio Evo 57 1941 p 19-43

24

87 Voir J-M Vidal laquo Le sieur de Parthenay et lInquisition (1323-1325) raquo Bulletin

historique et philologique 1903 p 414-434

88 J-M Vidal Bullaire op cit no 20 p 44 et n

o 76 p 126-127

89 J-M Vidal Bullaire op cit nos

109 et 110 p 167-171

90 J-M Vidal Bullaire op cit no 90 p 144

Alain Boureau

EHESS CRH GAS 54 boulevard Raspail F-75006 Paris

Pour citer cet article

Alain Boureau laquoSatan heacutereacutetique lrsquoinstitution judiciaire de la deacutemonologie sous Jean XXIIraquo

Meacutedieacutevales 44 (2003) httpmedievalesrevuesorgdocument711html

Page 7: Satan hérétique : l’institution judiciaire de la ..._Droit_Canonique/Curiosite/Satan heretique.pdf · e siècle, mais la mutation considérable de procédure qui a assimilé les

7

Dix ans plus tard le 4 novembre 1330 Jean XXII envoya deux lettres35 lune adresseacutee agrave

larchevecircque de Narbonne agrave ses suffragants et agrave linquisiteur de Carcassonne36 lautre agrave

larchevecircque de Toulouse agrave ses suffragants et agrave linquisiteur de cette ville37 cette lettre

contenait une copie de celle envoyeacutee en 1320 par Guillaume de Peyre Godin aux inquisiteurs

de Carcassonne et Toulouse puis ordonnait aux destinataires de poursuivre cette œuvre plus

que jamais neacutecessaire38 Cependant cette lettre introduisait un correctif important les

eacutevecircques devaient se mettre agrave lœuvre les inquisiteurs seuls ou en collaboration avec les

eacutevecircques devaient achever les actions entreprises mais ces derniers ne devaient pas entamer de

nouvelles proceacutedures sans commission pontificale Ce correctif nenlevait rien agrave la

qualification dheacutereacutesie appliqueacutee aux invocations deacutemoniaques et autres formes de magie

puisque laction inquisitoriale neacutetait pas suspendue ni simplement transfeacutereacutee aux eacutevecircques

mais il traduisait une certaine meacutefiance agrave leacutegard des inquisiteurs sur laquelle il faudra

revenir

Un mal ordinaire

On peut se demander quel peacuteril urgent se repreacutesentait le pape pour agir avec tant dobstination

Les pratiques magiques populaires ou savantes que visaient les articles de la consultation de

1320 sont universelles et de tous les temps Lenvoucirctement criminel ou amoureux par le biais

dimages de cire ou de terre est bien attesteacute dans lantiquiteacute greacuteco-romaine (notamment sous le

nom de defixiones)39 Quant au deacutetournement magiques des objets sacramentaux chreacutetiens il

eacutetait largement attesteacute depuis fort longtemps40 Sous leffet de la christianisation des mœurs

les vieilles traditions de magie naturelle et beacuteneacutefique se lestaient des rites liturgiques

chreacutetiens sans mutation reacuteelle

Deux facteurs expliquent sans doute lanxieacuteteacute du pape En premier lieu la magie savante

importeacutee de lOrient ou de lEspagne en mecircme temps que la science naturaliste avait connu un

large deacuteveloppement dans les milieux savants depuis le deacutebut du XIIIe siegravecle comme latteste

lœuvre de Guillaume dAuvergne Des recherches reacutecentes ont montreacute lampleur et la

complexiteacute de cette culture41 Les savoirs alchimique et astrologique doteacutes dun grand

prestige scientifique pouvaient se combiner agrave cette laquo neacutegromancie raquo ou agrave ces arts de la magie

Lambivalence des attitudes de lEacuteglise vis-agrave-vis de lalchimie commenccedila agrave se deacutefaire agrave la fin

du XIIIe siegravecle42 preacuteciseacutement au moment ougrave les conquecirctes de la science naturelle apparurent

comme dangereuses pour la foi tandis que lastrologie conservait encore quelque leacutegitimiteacute

malgreacute les soupccedilons On le sait la fameuse condamnation prononceacutee en 1277 par leacutevecircque

Eacutetienne Tempier qui portait sur 219 propositions supposeacutees ecirctre tenues par des membres de

la Faculteacute des Arts eacutetait preacuteceacutedeacutee dun prologue qui condamnait laquo les livres rouleaux ou

cahiers traitant de neacutecromancie ou contenant des expeacuteriences de sortilegraveges des invocations

des deacutemons ou des conjurations au peacuteril des acircmes raquo43 Lalchimie proteacutegeacutee par les papes en

quecircte de leacutelixir de longue vie jusque dans les anneacutees 127044 commenccedilait elle aussi agrave

devenir suspecte comme le notait Agostino Paravicini Bagliani le cardinal Francesco Orsini

dans son testament de 1304 ordonna de brucircler tous ses livres dalchimie45 Lastrologie

malgreacute son allure plus acadeacutemique subissait les mecircmes soupccedilons Le destin tragique de

Cecco dAscoli qui fut un professeur dastrologie respecteacute agrave Bologne agrave partir de 1322 avant

decirctre brucircleacute pour heacutereacutesie agrave Florence en 1327 en compagnie de ses livres dastrologie

manifeste peut-ecirctre malgreacute son caractegravere singulier cette ambivalence des attitudes

lastrologie en fait malgreacute son statut de plus en plus suspect vit son prestige saccroicirctre au

cours du XIVe siegravecle

8

Laffaire Robert de Mauvoisin suivie de tregraves pregraves par Jean XXII confirme cette ambivalence

Robert de Mauvoisin archevecircque dAix fut jugeacute en 1318 par une commission pontificale et

dut renoncer agrave son siegravege46 Le statut de cette poursuite est incertain comme cest souvent le

cas dans ces commissions nommeacutees directement par le pape laction fut en fait

disciplinaire mais elle aurait pu ecirctre criminelle selon laccentuation de tel ou tel deacutelit qui

pouvait aussi bien relever de lexcegraves condamnable chez un preacutelat que du crime Il est fort

possible que cette qualification ait deacutependu dune neacutegociation le pape voulait reacutecupeacuterer le

siegravege et Robert cherchait agrave se tirer de ce mauvais pas Mais quoi quil en soit le premier des

quinze articles daccusation le plus deacuteveloppeacute joua un rocircle certain dans la relative cleacutemence

de la commission cet article rapportait que Robert depuis les temps de ses eacutetudes agrave Bologne

dans les anneacutees 1300 jusquau temps de sa preacutelature avait eu recours laquo aux sortilegraveges agrave lart

de la magie (arti mathematice) et aux divinations raquo Larticle preacutecisait que ces pratiques

eacutetaient laquo condamneacutees et interdites par le droit raquo Dans son interrogatoire Robert prit soin de

qualifier constamment ses diffeacuterents conseillers dlaquo astrologues raquo et de relater preacuteciseacutement les

modes et les buts de ses consultations Tout en affirmant quil ne croyait pas en ces arts

Robert confirmeacute par un teacutemoin maintint quil pensait de bonne foi que ces pratiques

astrologiques eacutetaient licites

Or il semble bien que la meacutefiance nouvelle envers lastrologie et lalchimie plus ou moins

assumeacutee par les savants et les hauts dignitaires de lEacuteglise se soit accompagneacutee selon une

causaliteacute difficile agrave deacuteterminer dune diffusion de la culture neacutecromantique et alchimique

dans les couches plus basses de lEacuteglise Le second astrologue que Robert de Mauvoisin

consulta pour eacutevaluer son thegraveme astral eacutetait un copiste (grossator) de la curie pontificale

Nous avons eacutevoqueacute plus haut la poursuite de clercs et laiumlcs accuseacutes de fabrication dimages

sous leffigie royale Leur propre confession mentionnait explicitement lusage de lalchimie

il y est question de la recherche de la laquo veacuteriteacute de lalchimie raquo (veritatem alquimie)

Agrave cette inquieacutetude geacuteneacuterale et ambivalente sajoutait le souci propre de Jean XXII qui paraicirct

avoir consideacutereacute que les deacutemons se mecirclaient directement agrave ces arts suspects et exerccedilaient un

rocircle redoutable dans la vie et la mort des humains

Les convictions deacutemonologiques de Jean XXII

Linsistance de Jean XXII sur les dangers des invocations deacutemoniaques correspond dans la

pratique judiciaire quil a deacuteveloppeacutee agrave de nombreuses accusations47 lanceacutees agrave titre principal

ou contre des accuseacutes inculpeacutes dabord pour dautres raisons comme leacutevecircque de Cahors

Hugues Geacuteraud larchevecircque dAix Robert de Mauvoisin ou contre le franciscain Bernard

Deacutelicieux accuseacute dentraver gravement le travail des inquisiteurs Le parcours rapide de

certains de ces dossiers nous aidera agrave saisir les preacuteoccupations personnelles du pape en

matiegravere de magie et dinvocations deacutemoniaques

Le 27 feacutevrier 1318 Jean XXII sadressa agrave Bartheacutelemy eacutevecircque de Freacutejus agrave Pierre Tissier

prieur de Saint-Antonin pregraves de Rodez et au preacutevocirct de Clermont-Ferrand pour leur

demander dentreprendre une action selon la proceacutedure sommaire et sans possibiliteacute dappel agrave

lencontre de plusieurs clercs qui sadonnaient agrave laquo la nigromancie la geacuteomancie et autres arts

magiques raquo48 Ces arts de la magie sont eacutetroitement relieacutes agrave linvocation des deacutemons ils sont

laquo des arts de deacutemons deacuteriveacutes dune pestifegravere association des hommes et des mauvais anges raquo

Les magiciens laquo usent freacutequemment de miroirs et dimages consacreacutees selon leur exeacutecrable

rite et se placcedilant en cercle invoquent de faccedilon reacutepeacuteteacutee les deacutemons quils enferment dans les

9

miroirs les cercles ou les anneaux raquo Par ces invocations les accuseacutes tentent de nuire ou de

preacutedire le futur49

Or un autre aspect de leur activiteacute releveacute dans la suite de la lettre concerne un souci

pontifical laquo ils ne craignent pas daffirmer quagrave laide de boissons ou de nourritures mais

aussi par la profeacuteration dune seule parole il est possible dabreacuteger ou de prolonger la vie des

hommes raquo On pense bien sucircr aux diffeacuterentes recherches et pratiques patronneacutees par les

papes du XIIIe siegravecle en vue dobtenir le prolongement de leur vie que les recherches

dAgostino Paravicini Bagliani ont repeacutereacutees50 Le grand alchimiste anglais John Dastin qui

avait eacutecrit des ouvrages dalchimie pour le cardinal Napoleacuteon Orsini ennemi et familier du

pape envoya agrave Jean XXII une lettre sur lor potable susceptible de prolonger la vie51

Comme lavait montreacute le procegraves de Boniface VIII la frontiegravere eacutetait incertaine entre les arts

magiques et lalchimie entre le juste deacutesir de prolonger la vie des papes et la sournoise

volonteacute de labreacuteger Loctogeacutenaire pontife eacutelu comme pape de transition savait sa vie fragile

et sa succession souhaiteacutee La premiegravere grande affaire judiciaire du pontificat quelques mois

apregraves lavegravenement de Jean XXII mit en cause leacutevecircque de Cahors Hugues Geacuteraud accuseacute

davoir voulu attenter agrave la vie du pape et des cardinaux par le poison mais aussi par la

confection dimages de cire qui avaient reccedilu le nom des victimes et qui furent perceacutees de

coups daiguilles selon leacutevocation assez preacutecise quen donne le pape dans sa lettre de

commission de laffaire le 22 avril 131752 On comprend degraves lors lobsession de Jean XXII

quant aux manipulations surnaturelles de la nature dautant que reacutecemment certains

alchimistes ou meacutedecins dont Arnaud de Villeneuve avaient noueacute des relations fortes avec

les Spirituels franciscains ou avec les clans Orsini et Colonna de la curie

Le procegraves intenteacute au franciscain Bernard Deacutelicieux en 1319 illustre bien cette conjonction

Bernard Deacutelicieux eacutetait poursuivi essentiellement pour ses attaques contre linquisition et ses

tentatives en vue du soulegravevement des citeacutes meacuteridionales contre le pouvoir des inquisiteurs

Laffaire eacutetait deacutejagrave ancienne mais le franciscain avait reacutecemment aggraveacute son cas en prenant

la deacutefense des franciscains spirituels convoqueacutes agrave Avignon en 1317 Or les articles 24 agrave 31 de

son acte daccusation portaient sur ses tentatives de meurtre sur la personne de Benoicirct XI par

le biais des incantations et des actes de magie53 Dans cette liste de griefs pas plus que dans

les accusations contre Robert de Mauvoisin les pratiques magiques de Bernard Deacutelicieux ne

sont rapporteacutees agrave une invocation des deacutemons comme si la magie naturelle neacutetait incrimineacutee

que pour ses fins mauvaises Tout se passe comme si Jean XXII heacuteritier de la fascination de

ses preacutedeacutecesseurs envers la puissance des sciences occultes heacutesitait encore agrave lier la magie agrave

laction deacutemoniaque ce qui expliquerait lurgence et limportance de la consultation de 1320

Quelques anneacutees plus tard ces incertitudes neacutetaient plus de mise Ainsi le 23 aoucirct 132654 le

pape envoya une lettre au cardinal Bertrand de Montfavet lincitant agrave poursuivre une enquecircte

sur Bertrand dAudiran chanoine dAgen qui se livrait agrave pluribus et diversis dampnatis

scientiis et artibus laquo non sans une transgression de la foi catholique du droit canonique et du

droit civil raquo Le suspect usait de livres deacutecritures de vases de verre de terre et de bois en

lesquels il composait des poudres et liqueurs feacutetides laquo Et surtout ce Bertrand en usant et

abusant de ces sciences et arts sefforccedilait de tenter les deacutemons et dinvoquer les esprits malins

et dappliquer agrave cette fin les conjurations et autres choses illicites et condamneacutees raquo Or cette

pratique eacutetait efficace laquo il sensuivait de terrifiants coups de tonnerre eacutebranlements foudres

tempecirctes deacuteluges coups porteacutes par les deacutemons agressions et morts dhommes et autres

innombrables dommages raquo

10

Bertrand disposait de complices dont deux sont nommeacutes dans la lettre Ils avaient eacuteteacute pris sur

le fait quand ils emportaient sur des fourches patibulaires deux tecirctes et un bras de pendus Le

laiumlc avait avoueacute et avait eacuteteacute livreacute aux flammes le clerc fut emprisonneacute dans les cachots de

leacutevecircque dAgen Leacutevecircque avait fait conduire Bertrand vers les prisons pontificales dAvignon

Lenquecircte avait eacuteteacute confieacutee agrave Bertrand de Montfavet et au cardinal Pierre Tissier mort depuis

(en 1323) La lenteur dune proceacutedure qui eacutetait entiegraverement entre les mains du pontife montre

bien que Jean XXII cherchait agrave savoir avant de reacuteprimer

Une autre lettre manifeste bien linquieacutetude de Jean XXII devant les mystegraveres surnaturels et

notamment devant la possibiliteacute de transport extraordinaire qui annonce peut-ecirctre un des

aspects les plus spectaculaires du sabbat le vol des deacutemoniaques dans les airs Le 3 mars

1325 Jean XXII sadressa agrave leacutevecircque de Paris le cureacute de la paroisse des Saints Innocents un

soir a disparu de sa chambre fermeacutee au verrou de linteacuterieur Le pape demande une enquecircte

summarie simpliciter ac sine strepitu et figura judicii afin de savoir laquo ougrave ledit recteur est

alleacute ou a eacuteteacute emporteacute ou transporteacute raquo (dictus rector iverit vel asportatus aut translatus

fuerit)55 Le ton presseacute et angoisseacute de la lettre leacutevocation de la possibiliteacute dun transport

surnaturel sans eacutevoquer vraiment le sabbat manifestent en cette mince affaire une reacuteelle

inquieacutetude

Lors de la fameuse controverse sur la vision beacuteatifique que le pape lanccedila en 1331 un des

arguments produits par le pape pour prouver le caractegravere partiel et limiteacute du jugement

individuel consiste agrave insister sur lactiviteacute libre des deacutemons avant le Jugement dernier En

1332 dans un sermon le pape dit laquo En effet les damneacutes cest-agrave-dire les deacutemons ne

pourraient nous tenter sils eacutetaient reclus en enfer Cest pourquoi il ne faut pas dire quils

reacutesident en enfer mais bien dans la totaliteacute de la zone dair obscur dougrave leur est ouverte la

voie pour nous tenter raquo56

Portrait de Jean XXII en suppocirct du deacutemon

Si Jean XXII fut aussi acharneacute agrave poursuivre les deacutemons et leurs adorateurs cest sans doute

aussi parce quil fut lui-mecircme parfois preacutesenteacute comme une creacuteature de lAnteacutechrist ou du

diable notamment dans les divers milieux influenceacutes par les franciscains spirituels (beacuteguins

fraticelli) Cette qualification relevait en partie de linjure en partie de la conviction En effet

dun cocircteacute les franciscains spirituels adeptes de la plus haute pauvreteacute qui avaient joui dune

relative tranquilliteacute sous le pontificat de Cleacutement V subirent la reacutepression violente de

Jean XXII degraves le deacutebut de son pontificat quatre franciscains spirituels furent brucircleacutes agrave

Marseille en 1318 une seacuterie de bulles de 1317 agrave 1328 condamnegraverent certains groupes puis

la doctrine mecircme de la pauvreteacute absolue et de son fondement christique On en arriva au

schisme de 1328 quand Michel de Ceacutesegravene et quelques fregraveres senfuirent dAvignon pour

rejoindre la cour de lempereur Louis de Baviegravere qui creacutea le bref pontificat schismatique de

Nicolas V Dans la masse des eacutecrits de combat des franciscains le pape prit souvent une

figure satanique

Mais il y avait plus Dans les eacutecrits de Pierre de Jean Olivi qui fut linspirateur principal de

ces mouvements se manifestait la conviction que le temps preacutesent eacutetait celui du passage agrave la

sixiegraveme peacuteriode de lhistoire de lEacuteglise lui-mecircme annonciateur du troisiegraveme et dernier acircge de

lhumaniteacute En lisant lApocalypse Olivi avait deacutecouvert que lAnteacutechrist dont la deacutefaite

ultime devait ouvrir une longue peacuteriode de paix avant la fin des temps se deacutedoublait en un

Anteacutechrist laquo mystique raquo (cest-agrave-dire cacheacute) et le grand Anteacutechrist manifeste Cet Anteacutechrist

mystique devait probablement ecirctre un pseudo-pape Si Olivi mort en 1298 navait pas pousseacute

11

plus loin lidentification ses disciples confirmeacutes par les perseacutecutions proceacutedegraverent agrave cette

assimilation du pape agrave lAnteacutechrist mystique

Sur ce point un teacutemoignage curieux livre un veacuteritable reacutecit fondateur et mythique sur les

origines de la haine de Jean XXII contre les spirituels franciscains En 1333 le chevalier

roussillonnais Adheacutemar de Mosset fut poursuivi pour ses sympathies beacuteguines agrave linitiative

du roi Jacques II de Majorque57 Le roi dans son troisiegraveme article daccusation rapporte un

souvenir personnel Un jour quil voyageait en compagnie dAdheacutemar la conversation vint sur

le pape Jean XXII et sur les perseacutecutions contre les spirituels que le chevalier reprochait fort

au pontife Adheacutemar demanda au roi sil savait pourquoi le pape qui au deacutebut de son

pontificat avait eacuteteacute une homme saint et bon en eacutetait arriveacute lagrave Jacques ne le savait pas mais le

chevalier le lui apprit Jean XXII aimait alors beaucoup Angelo Clareno lun des principaux

dirigeants des spirituels Un jour il lui demanda dinterroger Dieu pour savoir si son eacutetat

(status) Lui plaisait ou non58 Angelo se mit en priegraveres et laquo vit alors une grande foule de

diables qui portaient un calice plein du poison diniquiteacute il leur demanda ougrave ils allaient et ce

quils allaient faire de ce calice Ils lui reacutepondirent quils allaient aupregraves du pape pour faire

leur possible afin quil boive le calice diniquiteacute raquo Angelo leur demanda de passer le voir sur

le retour ce quils firent Ils lui apprirent alors que le pape avait bu et ils conseillegraverent agrave

Angelo de se garder deacutesormais de lui Au sortir de cette vision le pape demanda agrave Angelo le

reacutesultat de sa consultation le franciscain refusa de parler mais reccedilut lordre au nom du

principe dobeacuteissance de livrer ses informations ce quil fit laquo Et depuis ce temps lagrave le

seigneur pape lui voulut du mal agrave lui et aux autres Beacuteguins raquo Adheacutemar de Mosset qui avait

eacuteteacute au service de Philippe de Majorque reacutegent du royaume sous la minoriteacute de Jacques II et

partisan actif des Beacuteguins eacutetait probablement un sympathisant des dissidents sans ecirctre

directement engageacute dans leur combat et sans avoir de formation theacuteologique ni exeacutegeacutetique il

est probable quil transmettait une anecdote largement reacutepandue Si lon perccediloit mieux le

deacuteveloppement dun engagement personnel du pape il reste agrave comprendre les modaliteacutes de sa

lutte

Le positivisme de Jean XXII

Pourquoi qualifier dheacutereacutesie la magie ou linvocation des deacutemons Parce que les adorateurs

des deacutemons produisent de nouveaux faits susceptibles dengendrer de nouvelles adheacutesions Il

faut insister sur cette notion de factum hereticale brandie dans les questions poseacutees aux

theacuteologiens en 1320 qui rompt avec lideacutee commune de lheacutereacutesie comme opinion ou comme

intellectus Il ne sagit pas seulement dune extension qui trouverait dans les pratiques

sacrilegraveges un fondement doctrinal Jean XXII navait nul besoin de cette qualification pour

reacuteprimer seacutevegraverement les actes magiques et deacutemonolacirctriques

Le pape croyait en la force des faits en droit comme en theacuteologie Ainsi en mai 1330 il

sadressa au roi de France pour lui demander dinterdire la pratique de la preuve par combat

judiciaire ou duel59 en notant que laquo par de telles pratiques la veacuteriteacute nest pas prouveacutee raquo (per

taliaveritas non probatur) Le pape au nom de lexpeacuterience maicirctresse des choses (magistra

rerum experiencia) fait remarquer au roi quen cas daccusation de fausse monnaie jamais le

souverain ne se contenterait dune telle preuve preacuteciseacutement parce quen ce cas les faits

mateacuteriels et la veacuteriteacute pure importent

La construction mecircme de faits ineacutedits est une menace pour la foi Car ce sont les faits qui

induisent la confiance et la foi La qualification traditionnelle de lheacutereacutesie en sen tenant au

rejet des opinions orthodoxes ne considegravere pas le processus qui conduit agrave la foi Devant

12

lextrecircme diversiteacute des opinions et des eacutecoles il faut sen tenir aux faits Jean XXII

exactement comme Guillaume dOckham aboutit agrave la conclusion que la foi repose sur une

certaine confiance accordeacutee agrave lensemble de la tradition chreacutetienne et corroboreacutee par les faits

livreacutes par lEacutecriture La foi repose sur un contrat de confiance Un des reproches les plus

veacuteheacutements quil adresse aux franciscains cest de pieacutetiner les donneacutees factuelles de lEacutecriture

Dans lEacutevangile Jeacutesus a posseacutedeacute des biens et a confieacute sa bourse agrave Judas Or par des artifices

dinterpreacutetation ils aneacuteantissent ces faits au beacuteneacutefice de leur interpreacutetation Les grandes

bulles de condamnation de la doctrine franciscaine de la pauvreteacute absolue insistent sur cette

destruction des donneacutees factuelles qui fondent les articles de foi60 Dans la bulle Cum inter

nonnullos (12 novembre 1223) le pape disait

Laffirmation selon laquelle le Christ et les apocirctres nont rien posseacutedeacute ni en commun ni

individuellement nous jugeons par un eacutedit perpeacutetuel et en suivant lavis de nos fregraveres que

quand elle est reacutepeacuteteacutee avec obstination elle doit ecirctre tenue pour erroneacutee et heacutereacutetique car

comme elle contredit expresseacutement lEacutecriture sacreacutee qui en plusieurs lieux affirme quils ont

eu quelque possession elle implique que cette Eacutecriture sacreacutee par laquelle sont prouveacutes les

articles de la foi orthodoxe contient ouvertement sur ce sujet le germe du mensonge et que

en tant que telle elle eacutevacue toute confiance en lEacutecriture et rend la foi catholique douteuse et

incertaine en supprimant sa force probatoire61

Plus geacuteneacuteralement les franciscains spirituels en imaginant que le Christ et les apocirctres

pratiquaient un usage laquo de fait raquo sans aucune appropriation juridique construisaient une

fiction qui ne trouvait aucun reacutepondant aucune veacuterification dans la laquo nature des choses raquo

(natura rerum) ougrave la consommation des biens repose soit sur un droit soit sur un deacutelit Leur

usage du mot laquo fait raquo renversait lordre naturel du monde Les franciscains devenaient

heacutereacutetiques en rejetant les faits eacutevangeacuteliques et en reconstruisant leurs propres faits gracircce agrave

leur ideacuteologie forte et gracircce agrave lidentiteacute collective quils creacuteaient Les adorateurs des deacutemons

nagissaient pas autrement on le verra

Donc pour Jean XXII un fait est un fait Comment comprendre ce positivisme qui semble

anachronique sans le reacuteduire aux fantaisies singuliegraveres du vieux pontife

Leacutemergence du fait

Pour saisir ce tournant il faut sans doute partir du jugement moral et non pas du jugement

eacutepisteacutemologique des conduites humaines plus que des processus physiques Chacun le sait le

XIIe siegravecle entre Pierre Abeacutelard et Pierre le Chantre a produit une morale de lintention Mon

hypothegravese est que cest cette morale qui a construit la notion de fait en neutralisant

leacuteveacutenement Jean est tueacute Paul la tueacute Ceci est un eacuteveacutenement La theacuteologie morale de

lintention affirme que cet eacuteveacutenement ne signifie rien en lui-mecircme avant quil ne soit qualifieacute

selon lintention de Paul qui construit leacuteveacutenement comme meurtre (il a voulu et preacutemeacutediteacute cet

acte par leffet dune vieille haine) ou bien comme coups et blessures porteacutes sans intention de

meurtre (agrave la suite dune rixe par exemple) comme accident (Paul au cours dune chasse

visait un gibier) comme acte meacuteritoire (Paul a deacutebarrasseacute la chreacutetienteacute dun perseacutecuteur sur le

modegravele de Judith tuant Holopherne) Leacuteveacutenement laquo mort de Jean raquo videacute de sa signification

intrinsegraveque devient ce que jappelle un fait faible un reacutesidu irreacuteductible de reacutealiteacute

Ce relativisme dAbeacutelard doit se relier eacutetroitement au principe naissant de lenquecircte

contradictoire Le premier texte qui proclame la neacutecessiteacute de cette enquecircte se trouve dans la

preacuteface du Sic et non On sait que cet ouvrage en dehors de sa preacuteface ne contient que des

13

citations contradictoires sur une seacuterie dobjets mais on na pas releveacute que ces objets ne sont

pas toujours des opinions theacuteologiques mais aussi des faits (comme par exemple

lemplacement geacuteographique de la tombe des patriarches)

Au cours du XIIIe siegravecle se produisit une reacuteaction progressive contre la morale de lintention

une tentative dobjectivation du jugement moral et judiciaire Ce pheacutenomegravene tient

probablement au mouvement de reacutedaction des textes normatifs et agrave la constitution du droit

comme science de plus en plus indeacutependante de la theacuteologie morale62 Le fait fut penseacute

comme un reacutesidu neacutecessaire agrave lindeacutependance transcendante du droit que la caste des juristes

tentaient dextraire des contingences et des compromissions des affaires courantes Mais

lattachement agrave la factualiteacute tenait aussi agrave une reacuteaction de lEacuteglise contre les entreprises

heacutereacutetiques appuyeacutees sur une pratique du secret et de la double entente Le sanctuaire de

linteacuterioriteacute pouvait apparaicirctre comme une cache de malfaiteurs Les poursuites contre les

cathares et les beacuteguins le montrent clairement les inquisiteurs mirent au point des techniques

de repeacuterage de la dissimulation Cette eacutevolution tendait donc agrave remplacer le fait faible des

morales de lintention par le fait fort des tribunaux denquecircte Est-ce agrave dire quau tribunal toute

excuse quant agrave la circonstance de laction eacutetait rejeteacutee Certes pas mais les circonstances

furent elles-mecircmes objectiveacutees On en donnera deux exemples la notion dirresponsabiliteacute

accordeacutee agrave des classes repeacuterables dindividus (les fous les enfants les somnambules) fut

deacutefinie au deacutebut du XIVe siegravecle par une deacutecreacutetale de Cleacutement V63 Par ailleurs dans la

proceacutedure inquisitoire lenquecircte preacutealable sur la reacuteputation (fama) des individus suspects

deacuteleacuteguait agrave une communauteacute exteacuterieure leacutevaluation des motifs avant que lenquecircte en veacuteriteacute

ne mette en correacutelation cette eacutevaluation avec des faits preacutecis Certes la fama fut largement

induite par les poursuites elles-mecircmes mais les juges tenaient agrave son caractegravere objectif et

mesurable Dans les procegraves inquisitoires en canonisation comme en matiegravere criminelle ou

heacutereacutetique les juges ou commissaires demandent freacutequemment aux teacutemoins de deacutefinir le sens

du mot fama son lieu dorigine son extension Certains allaient mecircme jusquagrave demander au

teacutemoin deacutevaluer quantitativement le nombre minimal dopinions ou de murmures neacutecessaires

pour constituer une reacuteputation

Ce positivisme meacutedieacuteval dont nous avons tenteacute de repeacuterer les racines juridiques et morales

peut-il ecirctre relieacute agrave une eacutevolution plus globale que lon pourrait saisir dans lhistoire des

sciences La question est deacutelicate car la physique dominante inspireacutee dAristote sattachait

davantage aux causes quaux pheacutenomegravenes comme la montreacute Alexandre Koyreacute Le

pheacutenomegravene eacutetait essentiellement reacuteductible Pourtant un certain deacuteveloppement de la

factualiteacute scientifique sobservait preacuteciseacutement en ces derniegraveres anneacutees du XIIIe siegravecle soit du

cocircteacute des ingeacutenieurs comme le ceacutelegravebre Pierre de Maricourt qui deacutecrivait et expeacuterimentait les

proprieacuteteacutes de laimant en vue de lameacutelioration de la boussole Un grand penseur comme

Roger Bacon grand chantre de lexpeacuterimentation reacuteussissait agrave conjoindre dans son œuvre la

theacuteologie loptique et lalchimie en traquant des faits par lobservation La cateacutegorie fourre-

tout des laquo merveilles raquo (mirabilia) commenccedilait agrave seacutetioler au profit dune extension simultaneacutee

des pheacutenomegravenes miraculeux et des pheacutenomegravenes naturels Enfin une physique non-

aristoteacutelicienne raisonnant sur des cas-limites relevant dune factualiteacute reacuteelle mais rare se

mettait en place64

Lenquecircte et le fait

Sur le plan des poursuites judiciaires la notion de fait tendit agrave simposer quand agrave partir des

anneacutees 1230 la recherche des heacutereacutetiques au sein de populations largement complices prit un

caractegravere massif et exigea des critegraveres plus larges et des meacutethodes plus efficaces que

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linterrogatoire individuel Un mandement de larchevecircque de Tarragone fut reacutedigeacute en mai

124265 avec laide du dominicain Raymond de Penyafort le grand juriste qui devint aussi

maicirctre geacuteneacuteral de lordre des precirccheurs afin laquo que lon procegravede plus clairement quant au fait

dheacutereacutesie (circa factum heresis) raquo Certes le mot factum a encore ici le sens dimputation

judiciaire quil avait dans le droit romain mais le deacutetail du mandement montre bien quil

importait deacutesormais de consideacuterer des actes qui ne relevaient pas directement de la croyance

Le texte en effet distingue sept classes de population relieacutees agrave lheacutereacutesie66 Or seule la

premiegravere est nommeacute heacutereacutetique parce quelle professe des croyances en perdurant dans lerreur

La seconde cateacutegorie les laquo croyants raquo (credentes) est assimileacutee aux heacutereacutetiques (il faut sans

doute comprendre quils sont mis agrave part avant lavertissement salutaire qui les transforme en

cas de refus dabjurer en heacutereacutetiques proprement dits) Ensuite viennent les laquo suspects raquo

dheacutereacutesie Seuls des actions et des faits construisent cette qualification eacutecouter la preacutedication

ou les confeacuterences des heacutereacutetiques (en ce cas il sagit dinsabbatici heacutereacutetiques difficiles agrave

identifier et qui sont citeacutes en compagnie des Pauvres de Lyon et des Vaudois) sagenouiller en

leur compagnie Un eacuteleacutement de croyance peut pourtant ecirctre ajouteacute les suspects croient que

les heacutereacutetiques en question sont de laquo bons hommes raquo Suivant la reacutepeacutetition des actes la

suspicion sera simple veacuteheacutemente ou tregraves veacuteheacutemente Viennent ensuite les complices passifs

les laquo non-deacutenonciateurs raquo (celatores) qui sabstiennent de reacuteveacuteler la preacutesence publique

dheacutereacutetiques les laquo dissimulateurs raquo (occultatores) laquo qui ont fait pacte de ne rien reacuteveacuteler raquo

(fecerunt pactum de non revelando) les laquo hocirctes raquo (receptatores) qui reccediloivent chez eux au

moins deux fois des heacutereacutetiques ou des reacuteunions dheacutereacutetiques les laquo deacutefenseurs raquo (defensores)

qui prennent le parti des heacutereacutetiques par la parole ou par le fait (verbo vel facto) soit par le

discours soit par une aide mateacuterielle67 Ces quatre derniegraveres cateacutegories sont rassembleacutees sous

la qualification de laquo soutiens raquo (fautores) de lheacutereacutesie Les deacutelits lieacutes aux heacutereacutesies sont pour

Raymond susceptibles de degreacutes (magis vel minus) alors que lheacutereacutesie proprement dite

implique une structure strictement binaire ougrave le vrai soppose agrave lerreur Lagrave encore cest le

droit qui construit par opposition le fait par opposition au ministegravere du confesseur qui in

foro conscientiae traite le continuum des fautes et manquements la tacircche de linquisiteur in

jure consiste agrave reacuteduire agrave la pureteacute binaire de lincrimination une foule de circonstances et

daction floues Plus tard dans le siegravecle la notion de laquo preacutesomption de droit raquo accrut encore

cette tendance

Mais lheacutesitation est encore grande le quatriegraveme point de la consultation porte sur la

qualification comme heacutereacutetique de celui qui embrasse un heacutereacutetique ou qui prie en sa

compagnie ou le cache laquo doit-il ecirctre jugeacute comme croyant en lerreur de lheacutereacutetique raquo La

reacuteponse eacutetait neacutegative Pourtant plus loin le texte suggegravere que les ossements de ceux qui ont

soutenu lheacutereacutesie doivent ecirctre exhumeacutes parce que laquo le soutien (fautoria) est la suite et le

compleacutement de lheacutereacutesie raquo Quelques anneacutees plus tocirct en 1235 dans un des premiers textes

consacreacutes aux regravegles de linquisition Raymond de Penyafort consideacuterait que ceux qui

heacutebergeaient des heacutereacutetiques (en loccurrence des Vaudois) devaient ecirctre jugeacutes comme

heacutereacutetiques parce quils croyaient que lEacuteglise se trompait en poursuivant les heacutereacutetiques68

On le voit la tentation eacutetait grande depuis les deacutebuts de linquisition de construire des faits

heacutereacutetiques Lorsque le 14 juin 1303 Guillaume de Plaisians preacutesenta au Louvre ses

accusations contre le pape Boniface VIII il lui reprocha davoir extorqueacute agrave des precirctres la

reacuteveacutelation de secrets confieacutes en confession pour les divulguer et les utiliser Il conclut cet

article en disant laquo En raison de cela il semble avoir eacuteteacute heacutereacutetique quant au sacrement de

peacutenitence (propter quod in sacramento penitentie hereticare videtur) raquo Cest donc bien un

acte manifesteacute par le verbe actif laquo heacutereacutetiquer raquo qui passe pour manifestation dheacutereacutesie

Comme le note Jean Coste dans son eacutedition du laquo procegraves raquo le cardinal Pietro Colonna qui

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connaissait mieux le droit canonique avait ajouteacute dans la reacutedaction dun article analogue laquo le

mecircme Boniface proclamait de faccedilon doctrinale (dogmatizabat) quil avait le droit dagir

ainsi raquo69

En 1308-1309 lauteur dune nouvelle seacuterie darticles daccusation contre la meacutemoire de

Boniface que Jean Coste attribue agrave Nogaret70 introduit une distinction alors ineacutedite qui fut

reprise cinquante ans plus tard par Nicolas Eymerich71 entre les articles heacutereacutetiques les

erreurs relatives agrave un point de fait deacutejagrave condamneacute (facti damnati errores) et les opinions Mais

la simple mention de cette distinction sans application preacutecise ne permet pas de consideacuterer

que la notion de laquo fait heacutereacutetique raquo se deacuteveloppait veacuteritablement

Les juges deacuteleacutegueacutes au procegraves de Bernard Deacutelicieux en 1319 franchirent ce pas du moins

dans leur acte daccusation du 23 octobre 1319 ils ouvraient leur accusation en deacuteclarant sur

un ton tregraves leacutegislatif mais sans aucune alleacutegation de droit que tout homme seigneur puissant

ou juge qui oserait libeacuterer les prisonniers de linquisition refuser dexeacutecuter ses mandats

empecirccher la sentence ou le procegraves ou sopposer en quelque faccedilon agrave la poursuite des

heacutereacutetiques laquo encourt ipso facto une sentence dexcommunication et sil lencourt avec une

volonteacute reacutesolue pendant un an est alors condamneacute comme heacutereacutetique raquo72

Questions de proceacutedure

Face agrave la menace deacutemoniaque il importait dagir efficacement et rapidement mais ces deux

exigences eacutetaient contradictoires car lefficaciteacute supposait le lent et difficile eacutetablissement de

la veacuteriteacute Le pontife disposait dune multitude de solutions judiciaires qui impliquaient agrave la

fois des diffeacuterences dans les types de proceacutedure dans les ressorts juridictionnels et dans les

modaliteacutes de lenquecircte

LEacuteglise favorisait le deacuteveloppement de la proceacutedure inquisitoire (par enquecircte) au deacutetriment

du mode accusatoire selon un mouvement initieacute par des deacutecreacutetales dInnocent III agrave partir de

1198 dont la maturation se lit dans le canon 8 du concile de Latran IV (1215) On le sait la

proceacutedure accusatoire dominante jusquau XIIe siegravecle et qui a poursuivi sa carriegravere dans la

Common Law britannique et ameacutericaine reacuteserve lincrimination agrave un accusateur qui sengage

sur cette accusation et peut en pacirctir Le juge ou le jury se contente darbitrer Les deux

moments de laction sont constitueacutes par la construction minutieuse de la cause qui doit ecirctre

rigoureusement deacutefinie (en termes romains il sagit de la phase de litis contestatio) et par la

deacutelibeacuteration La proceacutedure inquisitoire en revanche favorise laccusation doffice formuleacutee

par un juge ou un prince agrave la suite dune laquo diffamation raquo deacuteriveacutee de leacutecoute dune rumeur

accusatrice Le procegraves met en œuvre deux enquecirctes successives la premiegravere eacutetablit cette

fama cette reacuteputation bonne ou mauvaise qui permet linculpation ou la relaxe la seconde

enquecircte construit la veacuteriteacute des faits porteacutes par la fama

Plusieurs ressorts juridictionnels pouvaient prendre en charge les invocateurs du deacutemon la

justice eacutepiscopale avec ses divers tribunaux le tribunal de linquisition et des commissions

pontificales ad hoc Linquisition fut creacuteeacutee par le pontificat agrave partir de 1233 en vue de

poursuivre lheacutereacutesie et elle garda longtemps cette speacutecialisation qui impliquait un recrutement

de juges plus theacuteologiens que juristes Il est difficile de porter un jugement serein sur

linquisition meacutedieacutevale tant son image a fait lobjet de controverses violentes Certains

meacutedieacutevistes ont tenteacute non sans quelques raisons de rejeter la folie perseacutecutrice associeacutee agrave

cette image Edward Peters a montreacute comment avait pu se construire dans la suite des temps

un veacuteritable mythe noir de linquisition73 un article retentissant de Richard Kieckhefer a mis

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en doute la reacutealiteacute institutionnelle de linquisition74 De fait lopinion commune a souvent

confondu les reacutealiteacutes implacables de lInquisition romaine (creacuteeacutee en 1542) et surtout de

lInquisition castillane (institution eacutetatique fondeacutee en 1481-1482) avec les tentatives limiteacutees

et souvent incoheacuterentes de linquisition meacutedieacutevale Pourtant linquisition meacutedieacutevale a bien

existeacute comme institution puissante en deacutepit de sa faible assise Linquisiteur eacutetait nommeacute par

le saint Siegravege mais demeurait eacutetroitement lieacute agrave lordre religieux dont il provenait (lordre

dominicain pour lessentiel mais aussi lordre franciscain et dans une moindre mesure

lordre des carmes) Sa pratique quotidienne le mettait en relation eacutetroite avec le pouvoir

seacuteculier

Les commissions speacuteciales du pape deacuterivaient en un sens de la justice deacuteleacutegueacutee des pontifes

instaureacutee depuis le XIIe siegravecle mais elles prirent une importance particuliegravere sous le pontificat

de Jean XXII pour des raisons que nous examinerons plus loin Limportance des faits

deacutemoniaques conduisit Jean XXII agrave lever beaucoup de garanties judiciaires et gracieuses75 et

agrave confier les affaires de complot avec soupccedilons magiques ou deacutemonologiques agrave des

commissions pontificales qui se reacuteclamaient de la proceacutedure sommaire La notion de

proceacutedure sommaire sest lentement deacuteveloppeacutee depuis la fin du XIIe siegravecle dans le droit

canonique Il sagissait de formaliser les efforts des deacutecennies preacuteceacutedentes en matiegravere

darbitrage ou de compromis internes agrave lEacuteglise en reacuteaction aux excegraves de juridisme qui avaient

eacuteteacute deacutenonceacutes par saint Bernard dans son retentissant traiteacute De consideratione La notion

dlaquo eacutequiteacute canonique raquo eacutetait opposeacutee agrave la rigor iuris des civilistes La proceacutedure trouva

lentement sa forme agrave partir deacuteleacutements eacutepars dans le droit romain par agglomeacuteration de

clausules indeacutependantes si les parties eacutetaient daccord la cognitio summaria (traduite dans

nos textes par ladverbe summarie ou simpliciter) impliquait dalleacuteger les charges de preuves

on pouvait se contenter de preuves laquo semi-pleines raquo (un simple serment un teacutemoin ou un

document unique) et de la phase proprement proceacutedurale dun procegraves la reacutedaction dun

laquo livret raquo (libellus) et le deacutebat de la litis contestatio (qui eacutetablissait les rocircles judiciaires et les

enjeux du procegraves) devenaient facultatifs La mention dune proceacutedure de plano qui renvoyait

agrave linutiliteacute de sieacuteger formellement en tribunal insistait davantage sur la rapiditeacute et labsence de

formes externes Enfin les clausules sine strepitu judiciorum (sans le vacarme des procegraves) et

sine figura judicii (sans la forme du procegraves) compleacutetaient cette simplification en insistant sur

la suppression des avocats et des formes bruyantes dopposition et de recours

Agrave leacutepoque de Jean XXII cette formalisation de larbitrage eccleacutesiastique venait agrave peine de

sachever par la publication de deux deacutecreacutetales de Cleacutement V Dispendiosam produite pour le

concile de Vienne en 1311-1312 et Saepe reacutedigeacutee en 1314 Dispendiosam76 deacuteclarait de

faccedilon fort bregraveve que la proceacutedure sommaire pouvait sappliquer dune part aux cas deacutejagrave preacutevus

par le droit canonique du XIIIe siegravecle quant aux affaires propres de lEacuteglise (laquo eacutelections

demandes et provisions attributions de digniteacutes de fonctions de charges de canonicats de

preacutebendes et autres beacuteneacutefices eccleacutesiastiques raquo et contentieux sur les dicircmes) mais aussi sur les

questions de mariage et dusure Cette extension eacutetait consideacuterable et aboutissait agrave fournir la

possibiliteacute de proceacutedure sommaire pour la quasi totaliteacute des affaires eacutevoqueacutees par lEacuteglise

Seules les successions neacutetaient pas mentionneacutees mais elles interfeacuteraient neacutecessairement avec

les causes matrimoniales La deacutecreacutetale Saepe77

deacutetaillait plus longuement les particulariteacutes de

la proceacutedure sommaire et reacutesumait soigneusement les traits assembleacutes depuis pregraves dun siegravecle

Lusage parallegravele de la proceacutedure sommaire en matiegravere de poursuite de lheacutereacutesie ne se laisse

pas facilement deacutechiffrer car la filiation par rapport agrave la doctrine de larbitrage y perd tout

sens Le seul point commun des deux usages tient au rocircle essentiel du juge chargeacute agrave la fois de

la proceacutedure de linstruction et de la deacutecision Pourtant ce nest pas avant la deacutecreacutetale Statuta

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quedam promulgueacutee par Boniface VIII dans son Liber Sextus en 1296-1298 que la proceacutedure

sommaire fut accordeacutee explicitement agrave la proceacutedure inquisitoriale laquo En collationnant certains

statuts de nos preacutedeacutecesseurs dheureuse meacutemoire Innocent Alexandre et Cleacutement et en

interpreacutetant et ajoutant certains points nous accordons que dans les affaires dinquisition sur

la perversion heacutereacutetique il puisse ecirctre proceacutedeacute de faccedilon simple et informelle sans vacarme ni

apparence des avocats et des jugements (procedi possit simpliciter et de plano et absque

advocatorum ac judiciorum strepitu et figura) raquo La suite de la deacutecreacutetale justifie le secret sur

les noms des teacutemoins ou accusateurs pour raison de seacutecuriteacute

Procegraves et majesteacute

Tous les niveaux et distinctions que nous venons desquisser se mecirclaient dans la pratique

judiciaire puisque linquisition se fondait largement sur la proceacutedure inquisitoire tandis que

des eacutevecircques comme Jacques Fournier le ceacutelegravebre eacutevecircque de Pamiers ou Guido Terreni

eacutevecircque de Majorque puis dElne recevaient du pape des fonctions dinquisiteur dans leur

diocegravese

Pourtant Jean XXII navait guegravere confiance dans la justice des eacutevecircques Il savait que les

eacutevecircques pouvaient souvent preacutefeacuterer la paix du diocegravese agrave lexigence de la veacuteriteacute Ainsi agrave

lefficace et zeacuteleacute Jacques Fournier avait succeacutedeacute en 1326 Dominique Grima brillant

theacuteologien ancien assistant inquisiteur de Bernard Gui agrave Toulouse qui sattira le courroux du

pape pour sa neacutegligence dans la poursuite de lheacutereacutesie78 Le pape preacutefeacutera freacutequemment utiliser

des commissions speacuteciales denquecircte et de jugement selon la proceacutedure sommaire plutocirct que

les tribunaux inquisitoriaux Ce fut le cas notamment pour les procegraves de Hugues Geacuteraud de

Robert de Mauvoisin et de Bernard Deacutelicieux Parfois limputation de crime de legravese-majesteacute

permit de donner une latitude encore plus large aux proceacutedures extraordinaires ainsi le 12

avril 1331 sur plainte du roi de France le pape ordonna agrave leacutevecircque de Paris de proceacuteder

contre Hertaud abbeacute dun monastegravere du diocegravese dAutun et contre Jean Albeacutericus dominicain

sur leurs laquo maleacutefices et excegraves raquo (super maleficiis et excessibus) contre le roi et sa cour raquo Il

sagit certainement de pratiques magiques (multis maleficiis) qui attentaient au laquo salut public raquo

et qui en tout cas relevaient du crime de legravese-majesteacute Or le pape en ce cas non seulement

ordonna une proceacutedure sommaire (simpliciter et de plano sine strepitu et figura judicii) mais

leva tous les privilegraveges et garanties des deux religieux autorisant leur arrestation (captionem)

leur incarceacuteration et leur torture (necnon questionibus subici prout a canonibus est

permissum)79

On peut se demander pourquoi Jean XXII fut si reacuteticent agrave confier les causes deacutemoniaques agrave

linquisition au moment mecircme ougrave il tentait dassimiler linvocation des deacutemons agrave lheacutereacutesie La

reacuteponse la plus commune agrave cette question relie ce choix au caractegravere politique de bien des

affaires ougrave le deacutemon semble intervenir comme preacutetexte plutocirct que comme cause De fait les

proceacutedures exceptionnelles qui mecirclent lattentat contre la majesteacute royale ou divine les

accusations dheacutereacutesie et les imputations de sorcellerie ou dinvocation des deacutemons doivent ecirctre

relieacutees agrave la grande vague des procegraves politiques qui avait commenceacute degraves le deacutebut du XIVe

siegravecle cest Philippe le Bel80 qui avait lanceacute degraves 1303 le procegraves contre le pape

Boniface VIII81 accuseacute entre autres davoir invoqueacute les deacutemons et consulteacute des magiciens

puis le roi entre 1306 et 1314 sen eacutetait pris aux Templiers comme adorateurs du diable

Entre 1308 et 1314 Philippe le Bel avait inculpeacute Guichard eacutevecircque de Troyes qui aurait

conspireacute en vue de tuer la reine et dautres personnaliteacutes princiegraveres par lusage de poisons et

dimages magiques82 En 1315 Enguerrand de Marigny qui avait si efficacement collaboreacute agrave

ces procegraves fut lui-mecircme pendu pour avoir nui au roi Louis X et agrave Charles de Valois par des

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images magiques83 Jean XXII prit le relais avec les procegraves contre Hugues Geacuteraud eacutevecircque

de Cahors84 en 1317 contre Mateo et Galeazzo Visconti en 132085 contre les allieacutes de

Federico de Montefeltro dans la Marche dAncocircne86 Dans tous ces cas la parfaite

correspondance entre la graviteacute des accusations et la position antagoniste des inculpeacutes incite agrave

voir dans ces procegraves de simples et cyniques manœuvres ougrave lexception judiciaire doit

confirmer la regravegle politique

Cette interpreacutetation rend imparfaitement compte des reacutealiteacutes leacutecrasement des adversaires ne

fut pas systeacutematique les graves accusations contre Bernard Deacutelicieux quant au meurtre

deacutemoniaque de Cleacutement V ne furent pas assumeacutees dans le jugement contrairement agrave ce qui se

passa pour Hugues Geacuteraud Robert de Mauvoisin sen tira avec une simple eacutejection de son

siegravege archieacutepiscopal Certes les juges avaient quelque autonomie mais on peut penser que le

pape avait eacuteprouveacute de reacuteels doutes quant agrave la culpabiliteacute des accuseacutes Ces interrogations

rendent peut-ecirctre compte de la consultation de 1320 qui relevait moins de la discussion

quodlibeacutetale ou de la colleacutegialiteacute de deacutecision que du besoin dexpertise

Meacutefiance de linquisition

Les choix de proceacutedure de Jean XXII doivent sexpliquer autrement La preacutefeacuterence pour la

forme extraordinaire tient dabord agrave une grande meacutefiance de linquisition Les inquisiteurs

avaient tendance agrave poursuivre sans tenir compte des rangs sociaux ni des circonstances

politiques la fameuse affaire de Jean lArchevesque sieur de Parthenay mecircleacute agrave des pratiques

de sortilegravege vers 1323 le montre bien Linquisiteur seacutetait attaqueacute agrave un personnage puissant

beacuteneacuteficiant de protections royales qui avait reacuteussi agrave obtenir la consultation dun grand juriste

Oldrado da Ponte87 Agrave deux reprises le pape eacutecrivit aux inquisiteurs de Carcassonne pour

leur enjoindre de ne pas tourmenter inutilement les consuls et bourgeois de Montpellier88

Le pape avait pu aussi eacuteprouver lextrecircme impopulariteacute de linquisition patente dans laffaire

Bernard Deacutelicieux un simple agitateur avait failli renverser le pouvoir monarchique franccedilais

en liguant les couches citadines hostiles agrave lintervention des inquisiteurs En 1317-1318 cest

le zegravele excessif de Michel Le Moine inquisiteur franciscain de Provence qui avait enflammeacute

la reacutesistance beacuteguine dans le Midi par lexaltation des martyrs de Marseille En 1321-1322

cest le manque de discernement de linquisiteur Jean de Beaune agrave Beacuteziers qui avait entraicircneacute le

pape sur un terrain impreacutevu Linquisiteur ne mesurait pas toujours la porteacutee de ses actes et

surtout il pouvait agir trop publiquement du moins dans la phase initiale (la proclamation de

lenquecircte) et dans sa phase conclusive (le sermon geacuteneacuteral) ainsi cest la dispute publique

entre linquisiteur de Carcassonne Jean de Beaune et le lecteur franciscain du couvent de

Narbonne Beacuteranger Talon qui avait provoqueacute la reprise du deacutebat sur la pauvreteacute du Christ

Enfin et surtout linquisition jouissait dune certaine indeacutependance par rapport au pouvoir

pontifical dune part sa nomination deacutependait aussi du bon vouloir du maicirctre geacuteneacuteral des

dominicains ou du ministre geacuteneacuteral des franciscains Dautre part il pouvait agrave loccasion se

rapprocher du pouvoir royal On peut se demander si la diffeacuterence de deacutenomination des

inquisiteurs de Carcassonnne et de Toulouse entre 1320 et 1330 dans les lettres citeacutees plus

haut reacutedigeacutees par Guillaume de Peyre Godin puis par le pape ne traduit pas cette perception

dans le premier cas le cardinal sadresse laquo agrave linquisiteur de la perversion heacutereacutetique de la

reacutegion de Carcassonne raquo dans le second cas il sagit de laquo linquisiteur de la perversion

heacutereacutetique deacuteputeacute par le Siegravege apostolique dans le royaume de France en reacutesidence agrave

Carcassonne raquo Le soin de cette seconde formulation insiste sur le fait que lorigine du pouvoir

inquisitorial se trouve bien dans le pontificat De fait linquisition meacuteridionale apregraves les

froissements ducircs agrave laffaire Bernard Deacutelicieux ougrave les officiers royaux avaient toleacutereacute ou mecircme

19

soutenu le trublion franciscain avait eacuteteacute largement instrumentaliseacutee par la monarchie comme

le montrait laffaire des Templiers

En outre le pontife eacutetait fort irriteacute du manque de respect de certains inquisiteurs pour le droit

Ainsi en 1331 il reccedilut et approuva les plaintes de maicirctre Jean Anselme de Gecircnes chirurgien

et de Reacuteginald de Cravant clerc du diocegravese dAuxerre qui avaient eacuteteacute faussement accuseacutes

dheacutereacutesie et de maleacutefices par linquisiteur de France Aubert de Chacirclons et par leacutevecircque de Paris

Hugues Michel de Besanccedilon Le pontife leur reprochait davoir agi sans avoir eacutetabli aucune

infamie anteacuterieure sans respecter lordre judiciaire sans permettre aucune deacutefense leacutegitime89

Il nest pas besoin dimaginer un Jean XXII soucieux de justice par formation professionnelle

comme on la vu lordre du droit permettait deacutetablir soigneusement la veacuteriteacute qui importait

bien davantage que la reacutepression Le cas de la censure du commentaire dOlivi sur

lApocalypse le montre bien le texte eacutetait dangereux puisquil inspirait directement les

Beacuteguins par le biais dabreacutegeacutes et de traductions en langue vernaculaire Le contenu anti-

pontifical de ce texte eacutetait manifeste Pourtant le pape usa directement ou indirectement de

quatre commissions diffeacuterentes durant huit ans (1318-1326) avec un suppleacutement denquecircte

en 1322 avant darriver agrave une condamnation Le reacutesultat reacutepressif eacutetait certainement acquis

degraves 1318 mais il importait de suivre minutieusement les chemins de lerreur Ce souci

apparaicirct clairement dans une lettre adresseacutee par le pape en 1330 agrave Henri Chamayou

inquisiteur de Carcassonne90 qui avait reacuteussi agrave faire arrecircter deux heacutereacutetiques italiens qui

avaient confesseacute leur crime Le pontife feacutelicite chaleureusement linquisiteur mais lengage

fermement agrave poursuivre lenquecircte bien quil ait deacutejagrave en main tous les eacuteleacutements pour les

condamner laquo parce que nous croyons que tu aurais du connaicirctre une veacuteriteacute plus ample

(novisse te plenius credimus veritatem) au sujet de ce pour quoi ils tont eacuteteacute livreacutes nous

voulons et il nous plaicirct quayant Dieu seul devant les yeux tu veilles selon lexigence de la

justice agrave ne pas neacutegliger ce que tu sauras ecirctre adeacutequat en cette affaire raquo

Ces recommandations neacutetaient pas de pure forme la logique de linquisition ne la conduisait

pas vers leacutelucidation neacutecessaire agrave la cause des deacutemoniaques Linstitution demeurait

profondeacutement theacuteologienne et non juriste Le fondement proceacutedural de linquisition reposait

moins sur la poursuite doffice et lenquecircte que sur la troisiegraveme forme de poursuite (agrave cocircteacute de

la proceacutedure inquisitoire et de la proceacutedure accusatoire) deacutefinie par Innocent III au canon 8 du

concile de Latran la deacutenonciation eacutevangeacutelique issue de la correction fraternelle Or la

deacutenonciation orientait la poursuite vers la peacutenitence La confession rapidement obtenue par la

menace la terreur ou la torture conduisait agrave la demande dabsolution chegraverement neacutegocieacutee Il

importait agrave linquisiteur dobtenir au plus vite cette confession sans trop sattarder dans

lenquecircte sur la fama ou sur la veacuteriteacute neutraliseacutee par laveu Paradoxalement un accuseacute avait

de meilleures chances avec les proceacutedures sommaires chegraveres au pape quavec linquisition

parce que la veacuteriteacute pouvait contraindre le pape agrave la mansueacutetude tandis que la meacutecanique de la

culpabiliteacute ineacutevitable de tout peacutecheur entraicircnait tout inculpeacute dans la collectiviteacute peacutenale de

linquisition

Cest peut-ecirctre ces problegravemes de proceacutedure qui ont provoqueacute ce que Jean-Patrice Boudet

appelait plaisamment le laquo retard agrave lallumage raquo dans la poursuite des sorciers au XIVe siegravecle

tant que la papauteacute fut reacuteticente agrave deacuteleacuteguer son pouvoir denquecircte les limites mateacuterielles de la

justice pontificale empecircchegraverent la diffusion capillaire de limputation et de la reacutepression Et

preacuteciseacutement cest labandon forceacute de labsolutisme pontifical apregraves les conciles de Constance

et de Bacircle qui ouvrit les premiegraveres campagnes judiciaires et doctrinales contre les sorciers et

adorateurs du deacutemon dans les anneacutees 1430-1440 Mais le deacuteveloppement rapide de la

20

deacutemonologie avait eacuteteacute bien preacutepareacute par un pape qui tenait agrave consideacuterer lucidement les zones

obscures ougrave le deacutemon pouvait passer

Notes de bas de page

1 B Gui Manuel de linquisiteur eacuted par G Mollat Paris 1926-1927

2 P Paravy De la chreacutetienteacute romaine agrave la Reacuteforme en Dauphineacute Eacutevecircques fidegraveles et deacuteviants

(vers 1340-vers 1530) Rome 1993

3 LImaginaire du sabbat Eacutedition critique des textes les plus anciens (1430 ca-1440 ca)

reacuteunis par M Ostorero A Paravicini Bagliani K Utz Tremp en collaboration avec C Chegravene

Lausanne 1999

4 R KIECKHEFER European Witch Trials Their Foundations in Popular and Learned

Culture 1300-1500 Londres 1976 Carlo Ginzburg commence sa seacuterie explicative des

formes occidentales du sabbat en 1321 mais selon un modegravele totalement opposeacute au nocirctre

5 Bonn 1901

6 L THORNDIKE A History of Magic and Experimental Science vol III New York 1934

p 18 sq

7 Voir N Weill-Parot Les laquo Images astrologiques raquo au Moyen Acircge et agrave la Renaissance

Speacuteculations intellectuelles et pratiques magiques (XIIe-XV

e s) Paris 2002 p 377-385 et Id

laquo Les intellectuels lEacuteglise et la magie dans la premiegravere moitieacute du xive s raquo (meacutemoire de

maicirctrise Paris I 1990) Je tiens agrave remercier N Weill-Parot pour ses commentaires sur le

preacutesent article

8 laquo Quod cum morte fedus ineunt et pactum faciunt cum inferno Demonibus namque

immolant hos adorant raquo

9 Liber Sextus V II cap 8

10 Cause XXVI qu 5 cap 12 eacuted Friedberg col 1080

11 Voir A Boureau laquo De la feacutelonie agrave la haute trahison Un eacutepisode la trahison des clercs

(version du xiie s) raquo Le Genre Humain 16-17 1988 p 267-291

12 Venise 1595 XLIII 9 p 341-342

13 laquo Simpliciter et de plano ac sine strepitu et figura judicii appellatione remota raquo Lettre

publieacutee par J-M Vidal Bullaire de lInquisition franccedilaise Paris 1913 no 284 p 403-404

14 laquo Nonnulli etiam quandoque litterati in hoc se opponunt pretendentes id ad tuum non

expectare officium secundum canonicas sanctiones raquo

15 J-P Boudet laquo Les condamnations de la magie agrave Paris en 1398 raquo Revue Mabillon n s 12

(t 73) 2001 p 121-157

16 B Hamilton The Medieval Inquisition Londres 1981 p 94

17 Dans une lettre de 1336 adresseacutee agrave lofficial dAvignon Benoicirct XII successeur de

Jean XXII range agrave nouveau les sortilegraveges parmi les crimes qui touchent la foi (J-M Vidal

Bullaire op cit no 153 p 229-230) En 1405 Benoicirct XIII deacuteclare nuls les privilegraveges des

habitants du diocegravese du Puy qui preacutetendaient que linquisiteur de Carcassonne ne pouvait les

poursuivre pour maleacutefices (J-M Vidal Bullaire op cit no 332 p 473-474)

18 La premiegravere eacutedition a eacuteteacute procureacutee par Jean Chappuis en 1500 Pour la formation des deux

collections voir A M Stickler Historia Iuris Canonici Institutiones Academicae T I

Historia Fontium Rome 1950 p 270-271

19 Les seules mentions de la bulle se trouvent on la dit dans le manuel de Nicolas Eymerich

(1376) dans les Annales eccleacutesiastiques de Rinaldi et dans un bullaire romain du xviiie s

20 Voir A MAIER dans laquo Eine Verfuumlgung Johannis XXII uumlber die Zustaumlndigkeit der

Inquisition fuumlr Zauberprozesse raquo Archivium Fratrum Praedicatorum 32 1952 p 226-246

21 A Maier loc cit p 231

21

22 Publieacutee par R Manselli laquo Enrico del Carretto e la consultazione sulla magia di Giovanni

XXII raquo dans Miscellanea in onore di Monsignore Martino Giusti t II Vatican 1978 p 97-

129

23 Il est possible aussi que linterrogation doctrinale ait eacuteteacute anticipeacutee par Guido Terreni un

des dix experts de la consultation de 1320 dans son sixiegraveme quolibet laquo Est-ce que celui qui

baptise une chose sans acircme ou sans raison et non pas un homme est heacutereacutetique raquo ms BAV

Borghese 39 fo 238v

o-240v

o que je publie en annexe de la consultation Mais la date de ce

quolibet demeure incertaine

24 laquo Fecisti plantas pedum eiusdem mulieris iuxta carbones accensos apponi raquo texte publieacute

par J-M Vidal Bullaire op cit p 51-52

25 laquo Diu post confessionem debitum nature persoluitverum quia dubitatur ne propter

predicta tormenta citius decesserit quam alias decessisset mulier supradicta si tormentata

minime extitisset raquo

26 laquo Erronea et horrenda contra catholicam fidem fuit confessa et multos consocios et

complices reuelauitque omnia sic inuenta ut communiter creditur numquam reuelata

fuissent nisi mediantibus tormentis eiusdem predicta mulier reuelasset raquo

27 laquo De consilio proborum qui se asserebant uidisse penis examinati hereticos in partibus

Tholosanis raquo

28 J-M Vidal Bullaire op cit no 24 p 53-54

29 Ex certa sciencia sur cette clausule de labsolutisme pontifical voir A Boureau La Loi

du royaume Les moines le droit et la construction de la nation anglaise Paris 2001 avec

renvoi aux travaux de Jacques Krynen

30 Publieacutee par J-M Vidal Bullaire op cit p 61 Une meilleure eacutedition a eacuteteacute procureacutee par

A Maier loc cit p 226-227

31 J-M Vidal Bullaire op cit no 72 p 118-119

32 La commission fut reacuteiteacutereacutee le 8 novembre 1327 ibid no 78 bis p 129-130

33 Voir A Boureau laquo Saints et deacutemons dans les procegraves de canonisation du deacutebut du xive s raquo

agrave paraicirctre dans les actes du colloque de Budapest sur les procegraves de canonisation dir Gaacutebor

Klaniczay

34 B Gui Manuel de linquisiteur eacuted et trad par G Mollat op cit t I p 52

35 Publieacutees par J-M Vidal Bullaire op cit no 103 p 154-156

36 Henri de Chamayou

37 Pierre Brun

38 La qualification dheacutereacutesie de la part du pape agrave propos des invocations deacutemoniaques na

jamais cesseacute Voir par exemple une lettre de 1323 qui deacutesigne des commissaires pour juger

le moine Guillaume de Figeac accuseacute de laquo deacutevier de la foi catholique raquo en pratiquant

lalchimie et la neacutecromancie (J-M Vidal Bullaire op cit no 50 p 87-88)

39 F Graf La Magie dans lAntiquiteacute greacuteco-romaine Ideacuteologie et pratique Paris 1994

40 Voir le reacutecit par Pierre le Veacuteneacuterable vers 1137 dun usage magique de lhostie consacreacutee

par un paysan deacutesireux de retenir ses abeilles Livre des merveilles de Dieu (De miraculis)

introduction traduction et notes de J-P Torrell et D Bouthillier FribourgParis 1992 p 70-

72 Je remercie Charles de Miramon de mavoir signaleacute ce texte

41 Voir les travaux reacutealiseacutes autour de Richard Kieckhefer et Claire Faenger aux Eacutetats-Unis

autour de Jean-Patrice Boudet et Henri Bresc en France notamment

42 Dans sa biographie collective des deux premiegraveres geacuteneacuterations de dominicains eacutecrite au

deacutebut des anneacutees 1260 Geacuterard de Frachet ne rapporte quun seul cas de fregravere qui se voue agrave

lalchimie et il ne trouve agrave lui reprocher que son deacutesir de senrichir rapidement Son activiteacute

consiste alors essentiellement agrave se rendre en Sardaigne pour y collecter des mineacuteraux rares

Son funeste sort ultime ne sexplique que par cet abandon de Dieu au profit de la richesse

22

seacuteculiegravere (Vitae Fratrum Ordinis Praedicatorum eacuted par B-M Reichert Rome-Stuttgart

Monumenta Ordinis Fratrum Praedicatorum Historica 1897 p 290)

43 La Condamnation parisienne de 1277 eacuted et trad par D Picheacute avec la collaboration de

C Lafleur Paris 1999 p 77

44 A Paravicini Bagliani Il corpo del papa Turin 1994

45 Preacuteface agrave Le crisi dellalchimia Micrologus 3 1995 p VIII

46 Voir leacutedition du procegraves dans J Shatzmiller Justice et injustice au deacutebut du XIVe s

Lenquecircte sur larchevecircque dAix et sa renonciation en 1318 Rome 1999

47 Voir une lettre de feacutevrier 1330 dans Lettres secregravetes et curiales du pape Jean XXII (1316-

1334) relatives agrave la France eacuted par A Coulon et S Cleacutemencet fasc 8 Paris 1965 no 4100

p 104-105 [abreacutegeacute deacutesormais Coulon-Cleacutemencet] lettre agrave Jean de Badas inquisiteur

franciscain de Marseille sur un crime nefandum commis par Gantalmus Gantalmi notaire et

sa femme Berengegravere instigatione diabolica circumventi agrave lencontre de Guillaume de Baucio

sire de Berre

48 Texte publieacute par J HANSEN Quellen und Untersuchungen op cit no 3 p 2

49 Notons quen 1318 les rites de conseacutecration des miroirs et images paraissent speacutecifiques

alors quen 1320 dans les questions poseacutees par le pape aux experts les invocateurs de deacutemons

utilisent le rite catholique du baptecircme pour preacuteparer leurs images

50 A Paravicini Bagliani Il corpo del papa op cit

51 C H JOSTEN laquo The Text of John Dastins letter to Pope John XXII raquo Ambix 4 1951

p 46-51

52 E Albe Autour de Jean XXII Hugues Geacuteraud eacutevecircque de Cahors laffaire des poisons et

envoucirctements en 1317 Cahors 1904 p 163-164

53 Processus Bernardi Deliciosi The Trial of Fr Bernard Deacutelicieux 3 September-8

December 1319 eacutediteacute par A Friedlander Philadelphie 1996 p 62 Pour une eacutetude complegravete

du dossier voir A Friedlander The Hammer of the Inquisitors Brother Bernard Deacutelicieux

and the Struggle against the Inquisition in Fourteenth-Century France Leyde 2000

54 Coulon-Cleacutemencet no 2969 p 151

55 Coulon-Cleacutemencet no 2395 p 47

56 Sermon sur la vigile de lEacutepiphanie 5 janvier 1332 eacuted par M Dykmans Les Sermons de

Jean XXII sur la vision beacuteatifique Rome (Miscellanea Historiae Pontificiae 34) p 145

57 Les actes du procegraves ont eacuteteacute publieacutes par J-MVidal laquo Procegraves dinquisition contre Adheacutemar

de Mosset raquo Revue dHistoire de lEacuteglise de France 1 1910 Lanecdote se trouve agrave la p 713

58 Ces interrogations sur la laquo situation raquo spirituelle eacutetaient freacutequemment exprimeacutees Dans sa

correspondance avec les grands de ce monde le pape doit souvent reacutepondre agrave ce genre de

question en termes agrave vrai dire assez geacuteneacuteraux

59 Coulon-Cleacutemencet fasc 8 Paris 1965 no 4197 p 126 Lettre analogue en feacutevrier 1331

(no 4452 t 9 p 41)

60 On peut se demander si ce nest pas cette fideacuteliteacute litteacuterale au texte biblique qui a contribueacute agrave

pousser le pape agrave intervenir sur la question de la vision beacuteatifique question ougrave les partisans de

la vision directe de Dieu avant le jugement final ne trouvaient aucun appui scripturaire direct

61 On trouve une formulation parallegravele dans Quia quorumdam mentes (10 novembre 1324)

62 Voir A Boureau laquo Droit naturel et abstraction judiciaire Hypothegraveses sur la nature du droit

meacutedieacuteval raquo Annales HSS 57 6 2002 p 1463-1488

63 Voir A Boureau laquo La redeacutecouverte de lautonomie du corps leacutemergence du somnambule

(xiiie-xiv

e s) raquo Micrologus I 1993 p 27-42

64 Sur toutes ces questions je me permets de renvoyer au chap 8 de mon ouvrage Theacuteologie

science et censure au XIIIe s Le cas de Jean Peckham Paris 1999

23

65 Publieacute par J Rius Serra dans Sancti Raymundi de Penyafort opera omnia t III

Diplomatario (Documentos Vida antigua Cronicas Processos antiguos) Barcelone 1954

p 74-82

66 Cette typologie fut reprise par le pape Alexandre IV une dizaine danneacutees plus tard et

eacutediteacutee par Boniface VIII dans le Sexte (L 5 tit 2 cap 2 6 11 eacuted Friedberg II col 1069

1071 1073) Voir aussi le traiteacute Doctrina de modo procedendi erga hereticos (vers 1280)

dans Martegravene et Durand Thesaurus novus anecdotum t 5 Paris 1717 col 1797 et la

Practica de Bernard Gui (p 226-232)

67 Bien avant la creacuteation de lInquisition le troisiegraveme concile de Latran (1179) avait frappeacute

danathegraveme et priveacute de seacutepulture les defensores et receptatores dheacutereacutetiques (Deacutecreacutetales L 5

tit 7 cap 8 eacuted Friedberg II col 1780)

68 Ibid p 29-32

69 Texte eacutediteacute par J Coste Boniface VIII en procegraves Articles daccusation et deacutepositions de

teacutemoins (1303-1311) Eacutedition critique introduction et notes Rome 1995 p 153

70 Nogaret originaire de Saint-Feacutelix-de-Caraman haut-lieu cathare petit-fils dun ministre

heacutereacutetique avait certainement une bonne connaissance de la perseacutecution de lheacutereacutesie en deacutepit

de sa formation de civiliste

71 Directorium op cit seconde partie question 2

72 Processus op cit p 180

73 E PETERS Inquisition Berkeley 1988

74 R KIECKHEFER laquo The Office of Inquisition and Medieval heresy the Transition from a

Personal to an Institutional Juridiction raquo Journal of Ecclesiastical History 46 1995 p 36-

61

75 Ainsi le pape deacutecida de suspendre le droit dasile dans les eacuteglises au deacutetriment des

heacutereacutetiques mais pas speacutecifiquement des auteurs de sortilegraveges (Lettre au roi de France Philippe

VI en 1328 publieacutee par J-M Vidal Bullaire op cit no 79 p 130-131)

76 Eacuted FRIEDBERG t II col 1078

77 Ibid col 1200

78 Voir la lettre dure que lui adressa le pape Jean XXII le 6 octobre 1332 (J-M Vidal

Bullaire op cit no 124 p 184)

79 Coulon-Cleacutemencet no 4539 fasc 9 p 59-60

80 Lattention precircteacutee agrave Philippe le Bel et agrave Jean XXII ne doit pas faire oublier que ce type

daccusation politico-deacutemonologique est deacutepoque comme le montre dans un tout autre

contexte le procegraves intenteacute agrave Walter Langton eacutevecircque de Coventry en 1301-1303 avec

mention dadoration diabolique (voir A Beardwood laquo The Trial of Walter Langton bishop of

Lichfield 1307-1312 raquo Transactions of the American Philosophical Society NS 54 p III

Philadelphie 1964

81 Voir J Coste Boniface VIII en procegraves op cit

82 A Rigault Le Procegraves de Guichard eacutevecircque de Troyes 1308-1313 Paris 1896

83 J Favier Un conseiller de Philippe le Bel Enguerrand de Marigny Paris 1963 Il faut

mentionner peu apregraves le procegraves contre le cardinal Francesco Gaetani poursuivi par les cours

royales pour attentat contre le roi son fregravere et deux cardinaux agrave laide dimages magiques

(voir C Langlois laquo Laffaire du cardinal Francesco Gaetani (avril 1316) raquo Revue historique

63 1897 p 56-71)

84 E Albe Autour de Jean XXII op cit

85 R Michel laquo Le procegraves de Mateo et Galeazzo Visconti laccusation de sorcellerie et

dheacutereacutesie Dante et laffaire de lenvoucirctement (1320) raquo Meacutelanges darcheacuteologie et dhistoire

29 1909 p 269-327

86 F Bock laquo I processi di Giovanni XXII contro i Ghibellini delle Marche raquo Bolletino

dellIstituto storico italiano per il Medio Evo 57 1941 p 19-43

24

87 Voir J-M Vidal laquo Le sieur de Parthenay et lInquisition (1323-1325) raquo Bulletin

historique et philologique 1903 p 414-434

88 J-M Vidal Bullaire op cit no 20 p 44 et n

o 76 p 126-127

89 J-M Vidal Bullaire op cit nos

109 et 110 p 167-171

90 J-M Vidal Bullaire op cit no 90 p 144

Alain Boureau

EHESS CRH GAS 54 boulevard Raspail F-75006 Paris

Pour citer cet article

Alain Boureau laquoSatan heacutereacutetique lrsquoinstitution judiciaire de la deacutemonologie sous Jean XXIIraquo

Meacutedieacutevales 44 (2003) httpmedievalesrevuesorgdocument711html

Page 8: Satan hérétique : l’institution judiciaire de la ..._Droit_Canonique/Curiosite/Satan heretique.pdf · e siècle, mais la mutation considérable de procédure qui a assimilé les

8

Laffaire Robert de Mauvoisin suivie de tregraves pregraves par Jean XXII confirme cette ambivalence

Robert de Mauvoisin archevecircque dAix fut jugeacute en 1318 par une commission pontificale et

dut renoncer agrave son siegravege46 Le statut de cette poursuite est incertain comme cest souvent le

cas dans ces commissions nommeacutees directement par le pape laction fut en fait

disciplinaire mais elle aurait pu ecirctre criminelle selon laccentuation de tel ou tel deacutelit qui

pouvait aussi bien relever de lexcegraves condamnable chez un preacutelat que du crime Il est fort

possible que cette qualification ait deacutependu dune neacutegociation le pape voulait reacutecupeacuterer le

siegravege et Robert cherchait agrave se tirer de ce mauvais pas Mais quoi quil en soit le premier des

quinze articles daccusation le plus deacuteveloppeacute joua un rocircle certain dans la relative cleacutemence

de la commission cet article rapportait que Robert depuis les temps de ses eacutetudes agrave Bologne

dans les anneacutees 1300 jusquau temps de sa preacutelature avait eu recours laquo aux sortilegraveges agrave lart

de la magie (arti mathematice) et aux divinations raquo Larticle preacutecisait que ces pratiques

eacutetaient laquo condamneacutees et interdites par le droit raquo Dans son interrogatoire Robert prit soin de

qualifier constamment ses diffeacuterents conseillers dlaquo astrologues raquo et de relater preacuteciseacutement les

modes et les buts de ses consultations Tout en affirmant quil ne croyait pas en ces arts

Robert confirmeacute par un teacutemoin maintint quil pensait de bonne foi que ces pratiques

astrologiques eacutetaient licites

Or il semble bien que la meacutefiance nouvelle envers lastrologie et lalchimie plus ou moins

assumeacutee par les savants et les hauts dignitaires de lEacuteglise se soit accompagneacutee selon une

causaliteacute difficile agrave deacuteterminer dune diffusion de la culture neacutecromantique et alchimique

dans les couches plus basses de lEacuteglise Le second astrologue que Robert de Mauvoisin

consulta pour eacutevaluer son thegraveme astral eacutetait un copiste (grossator) de la curie pontificale

Nous avons eacutevoqueacute plus haut la poursuite de clercs et laiumlcs accuseacutes de fabrication dimages

sous leffigie royale Leur propre confession mentionnait explicitement lusage de lalchimie

il y est question de la recherche de la laquo veacuteriteacute de lalchimie raquo (veritatem alquimie)

Agrave cette inquieacutetude geacuteneacuterale et ambivalente sajoutait le souci propre de Jean XXII qui paraicirct

avoir consideacutereacute que les deacutemons se mecirclaient directement agrave ces arts suspects et exerccedilaient un

rocircle redoutable dans la vie et la mort des humains

Les convictions deacutemonologiques de Jean XXII

Linsistance de Jean XXII sur les dangers des invocations deacutemoniaques correspond dans la

pratique judiciaire quil a deacuteveloppeacutee agrave de nombreuses accusations47 lanceacutees agrave titre principal

ou contre des accuseacutes inculpeacutes dabord pour dautres raisons comme leacutevecircque de Cahors

Hugues Geacuteraud larchevecircque dAix Robert de Mauvoisin ou contre le franciscain Bernard

Deacutelicieux accuseacute dentraver gravement le travail des inquisiteurs Le parcours rapide de

certains de ces dossiers nous aidera agrave saisir les preacuteoccupations personnelles du pape en

matiegravere de magie et dinvocations deacutemoniaques

Le 27 feacutevrier 1318 Jean XXII sadressa agrave Bartheacutelemy eacutevecircque de Freacutejus agrave Pierre Tissier

prieur de Saint-Antonin pregraves de Rodez et au preacutevocirct de Clermont-Ferrand pour leur

demander dentreprendre une action selon la proceacutedure sommaire et sans possibiliteacute dappel agrave

lencontre de plusieurs clercs qui sadonnaient agrave laquo la nigromancie la geacuteomancie et autres arts

magiques raquo48 Ces arts de la magie sont eacutetroitement relieacutes agrave linvocation des deacutemons ils sont

laquo des arts de deacutemons deacuteriveacutes dune pestifegravere association des hommes et des mauvais anges raquo

Les magiciens laquo usent freacutequemment de miroirs et dimages consacreacutees selon leur exeacutecrable

rite et se placcedilant en cercle invoquent de faccedilon reacutepeacuteteacutee les deacutemons quils enferment dans les

9

miroirs les cercles ou les anneaux raquo Par ces invocations les accuseacutes tentent de nuire ou de

preacutedire le futur49

Or un autre aspect de leur activiteacute releveacute dans la suite de la lettre concerne un souci

pontifical laquo ils ne craignent pas daffirmer quagrave laide de boissons ou de nourritures mais

aussi par la profeacuteration dune seule parole il est possible dabreacuteger ou de prolonger la vie des

hommes raquo On pense bien sucircr aux diffeacuterentes recherches et pratiques patronneacutees par les

papes du XIIIe siegravecle en vue dobtenir le prolongement de leur vie que les recherches

dAgostino Paravicini Bagliani ont repeacutereacutees50 Le grand alchimiste anglais John Dastin qui

avait eacutecrit des ouvrages dalchimie pour le cardinal Napoleacuteon Orsini ennemi et familier du

pape envoya agrave Jean XXII une lettre sur lor potable susceptible de prolonger la vie51

Comme lavait montreacute le procegraves de Boniface VIII la frontiegravere eacutetait incertaine entre les arts

magiques et lalchimie entre le juste deacutesir de prolonger la vie des papes et la sournoise

volonteacute de labreacuteger Loctogeacutenaire pontife eacutelu comme pape de transition savait sa vie fragile

et sa succession souhaiteacutee La premiegravere grande affaire judiciaire du pontificat quelques mois

apregraves lavegravenement de Jean XXII mit en cause leacutevecircque de Cahors Hugues Geacuteraud accuseacute

davoir voulu attenter agrave la vie du pape et des cardinaux par le poison mais aussi par la

confection dimages de cire qui avaient reccedilu le nom des victimes et qui furent perceacutees de

coups daiguilles selon leacutevocation assez preacutecise quen donne le pape dans sa lettre de

commission de laffaire le 22 avril 131752 On comprend degraves lors lobsession de Jean XXII

quant aux manipulations surnaturelles de la nature dautant que reacutecemment certains

alchimistes ou meacutedecins dont Arnaud de Villeneuve avaient noueacute des relations fortes avec

les Spirituels franciscains ou avec les clans Orsini et Colonna de la curie

Le procegraves intenteacute au franciscain Bernard Deacutelicieux en 1319 illustre bien cette conjonction

Bernard Deacutelicieux eacutetait poursuivi essentiellement pour ses attaques contre linquisition et ses

tentatives en vue du soulegravevement des citeacutes meacuteridionales contre le pouvoir des inquisiteurs

Laffaire eacutetait deacutejagrave ancienne mais le franciscain avait reacutecemment aggraveacute son cas en prenant

la deacutefense des franciscains spirituels convoqueacutes agrave Avignon en 1317 Or les articles 24 agrave 31 de

son acte daccusation portaient sur ses tentatives de meurtre sur la personne de Benoicirct XI par

le biais des incantations et des actes de magie53 Dans cette liste de griefs pas plus que dans

les accusations contre Robert de Mauvoisin les pratiques magiques de Bernard Deacutelicieux ne

sont rapporteacutees agrave une invocation des deacutemons comme si la magie naturelle neacutetait incrimineacutee

que pour ses fins mauvaises Tout se passe comme si Jean XXII heacuteritier de la fascination de

ses preacutedeacutecesseurs envers la puissance des sciences occultes heacutesitait encore agrave lier la magie agrave

laction deacutemoniaque ce qui expliquerait lurgence et limportance de la consultation de 1320

Quelques anneacutees plus tard ces incertitudes neacutetaient plus de mise Ainsi le 23 aoucirct 132654 le

pape envoya une lettre au cardinal Bertrand de Montfavet lincitant agrave poursuivre une enquecircte

sur Bertrand dAudiran chanoine dAgen qui se livrait agrave pluribus et diversis dampnatis

scientiis et artibus laquo non sans une transgression de la foi catholique du droit canonique et du

droit civil raquo Le suspect usait de livres deacutecritures de vases de verre de terre et de bois en

lesquels il composait des poudres et liqueurs feacutetides laquo Et surtout ce Bertrand en usant et

abusant de ces sciences et arts sefforccedilait de tenter les deacutemons et dinvoquer les esprits malins

et dappliquer agrave cette fin les conjurations et autres choses illicites et condamneacutees raquo Or cette

pratique eacutetait efficace laquo il sensuivait de terrifiants coups de tonnerre eacutebranlements foudres

tempecirctes deacuteluges coups porteacutes par les deacutemons agressions et morts dhommes et autres

innombrables dommages raquo

10

Bertrand disposait de complices dont deux sont nommeacutes dans la lettre Ils avaient eacuteteacute pris sur

le fait quand ils emportaient sur des fourches patibulaires deux tecirctes et un bras de pendus Le

laiumlc avait avoueacute et avait eacuteteacute livreacute aux flammes le clerc fut emprisonneacute dans les cachots de

leacutevecircque dAgen Leacutevecircque avait fait conduire Bertrand vers les prisons pontificales dAvignon

Lenquecircte avait eacuteteacute confieacutee agrave Bertrand de Montfavet et au cardinal Pierre Tissier mort depuis

(en 1323) La lenteur dune proceacutedure qui eacutetait entiegraverement entre les mains du pontife montre

bien que Jean XXII cherchait agrave savoir avant de reacuteprimer

Une autre lettre manifeste bien linquieacutetude de Jean XXII devant les mystegraveres surnaturels et

notamment devant la possibiliteacute de transport extraordinaire qui annonce peut-ecirctre un des

aspects les plus spectaculaires du sabbat le vol des deacutemoniaques dans les airs Le 3 mars

1325 Jean XXII sadressa agrave leacutevecircque de Paris le cureacute de la paroisse des Saints Innocents un

soir a disparu de sa chambre fermeacutee au verrou de linteacuterieur Le pape demande une enquecircte

summarie simpliciter ac sine strepitu et figura judicii afin de savoir laquo ougrave ledit recteur est

alleacute ou a eacuteteacute emporteacute ou transporteacute raquo (dictus rector iverit vel asportatus aut translatus

fuerit)55 Le ton presseacute et angoisseacute de la lettre leacutevocation de la possibiliteacute dun transport

surnaturel sans eacutevoquer vraiment le sabbat manifestent en cette mince affaire une reacuteelle

inquieacutetude

Lors de la fameuse controverse sur la vision beacuteatifique que le pape lanccedila en 1331 un des

arguments produits par le pape pour prouver le caractegravere partiel et limiteacute du jugement

individuel consiste agrave insister sur lactiviteacute libre des deacutemons avant le Jugement dernier En

1332 dans un sermon le pape dit laquo En effet les damneacutes cest-agrave-dire les deacutemons ne

pourraient nous tenter sils eacutetaient reclus en enfer Cest pourquoi il ne faut pas dire quils

reacutesident en enfer mais bien dans la totaliteacute de la zone dair obscur dougrave leur est ouverte la

voie pour nous tenter raquo56

Portrait de Jean XXII en suppocirct du deacutemon

Si Jean XXII fut aussi acharneacute agrave poursuivre les deacutemons et leurs adorateurs cest sans doute

aussi parce quil fut lui-mecircme parfois preacutesenteacute comme une creacuteature de lAnteacutechrist ou du

diable notamment dans les divers milieux influenceacutes par les franciscains spirituels (beacuteguins

fraticelli) Cette qualification relevait en partie de linjure en partie de la conviction En effet

dun cocircteacute les franciscains spirituels adeptes de la plus haute pauvreteacute qui avaient joui dune

relative tranquilliteacute sous le pontificat de Cleacutement V subirent la reacutepression violente de

Jean XXII degraves le deacutebut de son pontificat quatre franciscains spirituels furent brucircleacutes agrave

Marseille en 1318 une seacuterie de bulles de 1317 agrave 1328 condamnegraverent certains groupes puis

la doctrine mecircme de la pauvreteacute absolue et de son fondement christique On en arriva au

schisme de 1328 quand Michel de Ceacutesegravene et quelques fregraveres senfuirent dAvignon pour

rejoindre la cour de lempereur Louis de Baviegravere qui creacutea le bref pontificat schismatique de

Nicolas V Dans la masse des eacutecrits de combat des franciscains le pape prit souvent une

figure satanique

Mais il y avait plus Dans les eacutecrits de Pierre de Jean Olivi qui fut linspirateur principal de

ces mouvements se manifestait la conviction que le temps preacutesent eacutetait celui du passage agrave la

sixiegraveme peacuteriode de lhistoire de lEacuteglise lui-mecircme annonciateur du troisiegraveme et dernier acircge de

lhumaniteacute En lisant lApocalypse Olivi avait deacutecouvert que lAnteacutechrist dont la deacutefaite

ultime devait ouvrir une longue peacuteriode de paix avant la fin des temps se deacutedoublait en un

Anteacutechrist laquo mystique raquo (cest-agrave-dire cacheacute) et le grand Anteacutechrist manifeste Cet Anteacutechrist

mystique devait probablement ecirctre un pseudo-pape Si Olivi mort en 1298 navait pas pousseacute

11

plus loin lidentification ses disciples confirmeacutes par les perseacutecutions proceacutedegraverent agrave cette

assimilation du pape agrave lAnteacutechrist mystique

Sur ce point un teacutemoignage curieux livre un veacuteritable reacutecit fondateur et mythique sur les

origines de la haine de Jean XXII contre les spirituels franciscains En 1333 le chevalier

roussillonnais Adheacutemar de Mosset fut poursuivi pour ses sympathies beacuteguines agrave linitiative

du roi Jacques II de Majorque57 Le roi dans son troisiegraveme article daccusation rapporte un

souvenir personnel Un jour quil voyageait en compagnie dAdheacutemar la conversation vint sur

le pape Jean XXII et sur les perseacutecutions contre les spirituels que le chevalier reprochait fort

au pontife Adheacutemar demanda au roi sil savait pourquoi le pape qui au deacutebut de son

pontificat avait eacuteteacute une homme saint et bon en eacutetait arriveacute lagrave Jacques ne le savait pas mais le

chevalier le lui apprit Jean XXII aimait alors beaucoup Angelo Clareno lun des principaux

dirigeants des spirituels Un jour il lui demanda dinterroger Dieu pour savoir si son eacutetat

(status) Lui plaisait ou non58 Angelo se mit en priegraveres et laquo vit alors une grande foule de

diables qui portaient un calice plein du poison diniquiteacute il leur demanda ougrave ils allaient et ce

quils allaient faire de ce calice Ils lui reacutepondirent quils allaient aupregraves du pape pour faire

leur possible afin quil boive le calice diniquiteacute raquo Angelo leur demanda de passer le voir sur

le retour ce quils firent Ils lui apprirent alors que le pape avait bu et ils conseillegraverent agrave

Angelo de se garder deacutesormais de lui Au sortir de cette vision le pape demanda agrave Angelo le

reacutesultat de sa consultation le franciscain refusa de parler mais reccedilut lordre au nom du

principe dobeacuteissance de livrer ses informations ce quil fit laquo Et depuis ce temps lagrave le

seigneur pape lui voulut du mal agrave lui et aux autres Beacuteguins raquo Adheacutemar de Mosset qui avait

eacuteteacute au service de Philippe de Majorque reacutegent du royaume sous la minoriteacute de Jacques II et

partisan actif des Beacuteguins eacutetait probablement un sympathisant des dissidents sans ecirctre

directement engageacute dans leur combat et sans avoir de formation theacuteologique ni exeacutegeacutetique il

est probable quil transmettait une anecdote largement reacutepandue Si lon perccediloit mieux le

deacuteveloppement dun engagement personnel du pape il reste agrave comprendre les modaliteacutes de sa

lutte

Le positivisme de Jean XXII

Pourquoi qualifier dheacutereacutesie la magie ou linvocation des deacutemons Parce que les adorateurs

des deacutemons produisent de nouveaux faits susceptibles dengendrer de nouvelles adheacutesions Il

faut insister sur cette notion de factum hereticale brandie dans les questions poseacutees aux

theacuteologiens en 1320 qui rompt avec lideacutee commune de lheacutereacutesie comme opinion ou comme

intellectus Il ne sagit pas seulement dune extension qui trouverait dans les pratiques

sacrilegraveges un fondement doctrinal Jean XXII navait nul besoin de cette qualification pour

reacuteprimer seacutevegraverement les actes magiques et deacutemonolacirctriques

Le pape croyait en la force des faits en droit comme en theacuteologie Ainsi en mai 1330 il

sadressa au roi de France pour lui demander dinterdire la pratique de la preuve par combat

judiciaire ou duel59 en notant que laquo par de telles pratiques la veacuteriteacute nest pas prouveacutee raquo (per

taliaveritas non probatur) Le pape au nom de lexpeacuterience maicirctresse des choses (magistra

rerum experiencia) fait remarquer au roi quen cas daccusation de fausse monnaie jamais le

souverain ne se contenterait dune telle preuve preacuteciseacutement parce quen ce cas les faits

mateacuteriels et la veacuteriteacute pure importent

La construction mecircme de faits ineacutedits est une menace pour la foi Car ce sont les faits qui

induisent la confiance et la foi La qualification traditionnelle de lheacutereacutesie en sen tenant au

rejet des opinions orthodoxes ne considegravere pas le processus qui conduit agrave la foi Devant

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lextrecircme diversiteacute des opinions et des eacutecoles il faut sen tenir aux faits Jean XXII

exactement comme Guillaume dOckham aboutit agrave la conclusion que la foi repose sur une

certaine confiance accordeacutee agrave lensemble de la tradition chreacutetienne et corroboreacutee par les faits

livreacutes par lEacutecriture La foi repose sur un contrat de confiance Un des reproches les plus

veacuteheacutements quil adresse aux franciscains cest de pieacutetiner les donneacutees factuelles de lEacutecriture

Dans lEacutevangile Jeacutesus a posseacutedeacute des biens et a confieacute sa bourse agrave Judas Or par des artifices

dinterpreacutetation ils aneacuteantissent ces faits au beacuteneacutefice de leur interpreacutetation Les grandes

bulles de condamnation de la doctrine franciscaine de la pauvreteacute absolue insistent sur cette

destruction des donneacutees factuelles qui fondent les articles de foi60 Dans la bulle Cum inter

nonnullos (12 novembre 1223) le pape disait

Laffirmation selon laquelle le Christ et les apocirctres nont rien posseacutedeacute ni en commun ni

individuellement nous jugeons par un eacutedit perpeacutetuel et en suivant lavis de nos fregraveres que

quand elle est reacutepeacuteteacutee avec obstination elle doit ecirctre tenue pour erroneacutee et heacutereacutetique car

comme elle contredit expresseacutement lEacutecriture sacreacutee qui en plusieurs lieux affirme quils ont

eu quelque possession elle implique que cette Eacutecriture sacreacutee par laquelle sont prouveacutes les

articles de la foi orthodoxe contient ouvertement sur ce sujet le germe du mensonge et que

en tant que telle elle eacutevacue toute confiance en lEacutecriture et rend la foi catholique douteuse et

incertaine en supprimant sa force probatoire61

Plus geacuteneacuteralement les franciscains spirituels en imaginant que le Christ et les apocirctres

pratiquaient un usage laquo de fait raquo sans aucune appropriation juridique construisaient une

fiction qui ne trouvait aucun reacutepondant aucune veacuterification dans la laquo nature des choses raquo

(natura rerum) ougrave la consommation des biens repose soit sur un droit soit sur un deacutelit Leur

usage du mot laquo fait raquo renversait lordre naturel du monde Les franciscains devenaient

heacutereacutetiques en rejetant les faits eacutevangeacuteliques et en reconstruisant leurs propres faits gracircce agrave

leur ideacuteologie forte et gracircce agrave lidentiteacute collective quils creacuteaient Les adorateurs des deacutemons

nagissaient pas autrement on le verra

Donc pour Jean XXII un fait est un fait Comment comprendre ce positivisme qui semble

anachronique sans le reacuteduire aux fantaisies singuliegraveres du vieux pontife

Leacutemergence du fait

Pour saisir ce tournant il faut sans doute partir du jugement moral et non pas du jugement

eacutepisteacutemologique des conduites humaines plus que des processus physiques Chacun le sait le

XIIe siegravecle entre Pierre Abeacutelard et Pierre le Chantre a produit une morale de lintention Mon

hypothegravese est que cest cette morale qui a construit la notion de fait en neutralisant

leacuteveacutenement Jean est tueacute Paul la tueacute Ceci est un eacuteveacutenement La theacuteologie morale de

lintention affirme que cet eacuteveacutenement ne signifie rien en lui-mecircme avant quil ne soit qualifieacute

selon lintention de Paul qui construit leacuteveacutenement comme meurtre (il a voulu et preacutemeacutediteacute cet

acte par leffet dune vieille haine) ou bien comme coups et blessures porteacutes sans intention de

meurtre (agrave la suite dune rixe par exemple) comme accident (Paul au cours dune chasse

visait un gibier) comme acte meacuteritoire (Paul a deacutebarrasseacute la chreacutetienteacute dun perseacutecuteur sur le

modegravele de Judith tuant Holopherne) Leacuteveacutenement laquo mort de Jean raquo videacute de sa signification

intrinsegraveque devient ce que jappelle un fait faible un reacutesidu irreacuteductible de reacutealiteacute

Ce relativisme dAbeacutelard doit se relier eacutetroitement au principe naissant de lenquecircte

contradictoire Le premier texte qui proclame la neacutecessiteacute de cette enquecircte se trouve dans la

preacuteface du Sic et non On sait que cet ouvrage en dehors de sa preacuteface ne contient que des

13

citations contradictoires sur une seacuterie dobjets mais on na pas releveacute que ces objets ne sont

pas toujours des opinions theacuteologiques mais aussi des faits (comme par exemple

lemplacement geacuteographique de la tombe des patriarches)

Au cours du XIIIe siegravecle se produisit une reacuteaction progressive contre la morale de lintention

une tentative dobjectivation du jugement moral et judiciaire Ce pheacutenomegravene tient

probablement au mouvement de reacutedaction des textes normatifs et agrave la constitution du droit

comme science de plus en plus indeacutependante de la theacuteologie morale62 Le fait fut penseacute

comme un reacutesidu neacutecessaire agrave lindeacutependance transcendante du droit que la caste des juristes

tentaient dextraire des contingences et des compromissions des affaires courantes Mais

lattachement agrave la factualiteacute tenait aussi agrave une reacuteaction de lEacuteglise contre les entreprises

heacutereacutetiques appuyeacutees sur une pratique du secret et de la double entente Le sanctuaire de

linteacuterioriteacute pouvait apparaicirctre comme une cache de malfaiteurs Les poursuites contre les

cathares et les beacuteguins le montrent clairement les inquisiteurs mirent au point des techniques

de repeacuterage de la dissimulation Cette eacutevolution tendait donc agrave remplacer le fait faible des

morales de lintention par le fait fort des tribunaux denquecircte Est-ce agrave dire quau tribunal toute

excuse quant agrave la circonstance de laction eacutetait rejeteacutee Certes pas mais les circonstances

furent elles-mecircmes objectiveacutees On en donnera deux exemples la notion dirresponsabiliteacute

accordeacutee agrave des classes repeacuterables dindividus (les fous les enfants les somnambules) fut

deacutefinie au deacutebut du XIVe siegravecle par une deacutecreacutetale de Cleacutement V63 Par ailleurs dans la

proceacutedure inquisitoire lenquecircte preacutealable sur la reacuteputation (fama) des individus suspects

deacuteleacuteguait agrave une communauteacute exteacuterieure leacutevaluation des motifs avant que lenquecircte en veacuteriteacute

ne mette en correacutelation cette eacutevaluation avec des faits preacutecis Certes la fama fut largement

induite par les poursuites elles-mecircmes mais les juges tenaient agrave son caractegravere objectif et

mesurable Dans les procegraves inquisitoires en canonisation comme en matiegravere criminelle ou

heacutereacutetique les juges ou commissaires demandent freacutequemment aux teacutemoins de deacutefinir le sens

du mot fama son lieu dorigine son extension Certains allaient mecircme jusquagrave demander au

teacutemoin deacutevaluer quantitativement le nombre minimal dopinions ou de murmures neacutecessaires

pour constituer une reacuteputation

Ce positivisme meacutedieacuteval dont nous avons tenteacute de repeacuterer les racines juridiques et morales

peut-il ecirctre relieacute agrave une eacutevolution plus globale que lon pourrait saisir dans lhistoire des

sciences La question est deacutelicate car la physique dominante inspireacutee dAristote sattachait

davantage aux causes quaux pheacutenomegravenes comme la montreacute Alexandre Koyreacute Le

pheacutenomegravene eacutetait essentiellement reacuteductible Pourtant un certain deacuteveloppement de la

factualiteacute scientifique sobservait preacuteciseacutement en ces derniegraveres anneacutees du XIIIe siegravecle soit du

cocircteacute des ingeacutenieurs comme le ceacutelegravebre Pierre de Maricourt qui deacutecrivait et expeacuterimentait les

proprieacuteteacutes de laimant en vue de lameacutelioration de la boussole Un grand penseur comme

Roger Bacon grand chantre de lexpeacuterimentation reacuteussissait agrave conjoindre dans son œuvre la

theacuteologie loptique et lalchimie en traquant des faits par lobservation La cateacutegorie fourre-

tout des laquo merveilles raquo (mirabilia) commenccedilait agrave seacutetioler au profit dune extension simultaneacutee

des pheacutenomegravenes miraculeux et des pheacutenomegravenes naturels Enfin une physique non-

aristoteacutelicienne raisonnant sur des cas-limites relevant dune factualiteacute reacuteelle mais rare se

mettait en place64

Lenquecircte et le fait

Sur le plan des poursuites judiciaires la notion de fait tendit agrave simposer quand agrave partir des

anneacutees 1230 la recherche des heacutereacutetiques au sein de populations largement complices prit un

caractegravere massif et exigea des critegraveres plus larges et des meacutethodes plus efficaces que

14

linterrogatoire individuel Un mandement de larchevecircque de Tarragone fut reacutedigeacute en mai

124265 avec laide du dominicain Raymond de Penyafort le grand juriste qui devint aussi

maicirctre geacuteneacuteral de lordre des precirccheurs afin laquo que lon procegravede plus clairement quant au fait

dheacutereacutesie (circa factum heresis) raquo Certes le mot factum a encore ici le sens dimputation

judiciaire quil avait dans le droit romain mais le deacutetail du mandement montre bien quil

importait deacutesormais de consideacuterer des actes qui ne relevaient pas directement de la croyance

Le texte en effet distingue sept classes de population relieacutees agrave lheacutereacutesie66 Or seule la

premiegravere est nommeacute heacutereacutetique parce quelle professe des croyances en perdurant dans lerreur

La seconde cateacutegorie les laquo croyants raquo (credentes) est assimileacutee aux heacutereacutetiques (il faut sans

doute comprendre quils sont mis agrave part avant lavertissement salutaire qui les transforme en

cas de refus dabjurer en heacutereacutetiques proprement dits) Ensuite viennent les laquo suspects raquo

dheacutereacutesie Seuls des actions et des faits construisent cette qualification eacutecouter la preacutedication

ou les confeacuterences des heacutereacutetiques (en ce cas il sagit dinsabbatici heacutereacutetiques difficiles agrave

identifier et qui sont citeacutes en compagnie des Pauvres de Lyon et des Vaudois) sagenouiller en

leur compagnie Un eacuteleacutement de croyance peut pourtant ecirctre ajouteacute les suspects croient que

les heacutereacutetiques en question sont de laquo bons hommes raquo Suivant la reacutepeacutetition des actes la

suspicion sera simple veacuteheacutemente ou tregraves veacuteheacutemente Viennent ensuite les complices passifs

les laquo non-deacutenonciateurs raquo (celatores) qui sabstiennent de reacuteveacuteler la preacutesence publique

dheacutereacutetiques les laquo dissimulateurs raquo (occultatores) laquo qui ont fait pacte de ne rien reacuteveacuteler raquo

(fecerunt pactum de non revelando) les laquo hocirctes raquo (receptatores) qui reccediloivent chez eux au

moins deux fois des heacutereacutetiques ou des reacuteunions dheacutereacutetiques les laquo deacutefenseurs raquo (defensores)

qui prennent le parti des heacutereacutetiques par la parole ou par le fait (verbo vel facto) soit par le

discours soit par une aide mateacuterielle67 Ces quatre derniegraveres cateacutegories sont rassembleacutees sous

la qualification de laquo soutiens raquo (fautores) de lheacutereacutesie Les deacutelits lieacutes aux heacutereacutesies sont pour

Raymond susceptibles de degreacutes (magis vel minus) alors que lheacutereacutesie proprement dite

implique une structure strictement binaire ougrave le vrai soppose agrave lerreur Lagrave encore cest le

droit qui construit par opposition le fait par opposition au ministegravere du confesseur qui in

foro conscientiae traite le continuum des fautes et manquements la tacircche de linquisiteur in

jure consiste agrave reacuteduire agrave la pureteacute binaire de lincrimination une foule de circonstances et

daction floues Plus tard dans le siegravecle la notion de laquo preacutesomption de droit raquo accrut encore

cette tendance

Mais lheacutesitation est encore grande le quatriegraveme point de la consultation porte sur la

qualification comme heacutereacutetique de celui qui embrasse un heacutereacutetique ou qui prie en sa

compagnie ou le cache laquo doit-il ecirctre jugeacute comme croyant en lerreur de lheacutereacutetique raquo La

reacuteponse eacutetait neacutegative Pourtant plus loin le texte suggegravere que les ossements de ceux qui ont

soutenu lheacutereacutesie doivent ecirctre exhumeacutes parce que laquo le soutien (fautoria) est la suite et le

compleacutement de lheacutereacutesie raquo Quelques anneacutees plus tocirct en 1235 dans un des premiers textes

consacreacutes aux regravegles de linquisition Raymond de Penyafort consideacuterait que ceux qui

heacutebergeaient des heacutereacutetiques (en loccurrence des Vaudois) devaient ecirctre jugeacutes comme

heacutereacutetiques parce quils croyaient que lEacuteglise se trompait en poursuivant les heacutereacutetiques68

On le voit la tentation eacutetait grande depuis les deacutebuts de linquisition de construire des faits

heacutereacutetiques Lorsque le 14 juin 1303 Guillaume de Plaisians preacutesenta au Louvre ses

accusations contre le pape Boniface VIII il lui reprocha davoir extorqueacute agrave des precirctres la

reacuteveacutelation de secrets confieacutes en confession pour les divulguer et les utiliser Il conclut cet

article en disant laquo En raison de cela il semble avoir eacuteteacute heacutereacutetique quant au sacrement de

peacutenitence (propter quod in sacramento penitentie hereticare videtur) raquo Cest donc bien un

acte manifesteacute par le verbe actif laquo heacutereacutetiquer raquo qui passe pour manifestation dheacutereacutesie

Comme le note Jean Coste dans son eacutedition du laquo procegraves raquo le cardinal Pietro Colonna qui

15

connaissait mieux le droit canonique avait ajouteacute dans la reacutedaction dun article analogue laquo le

mecircme Boniface proclamait de faccedilon doctrinale (dogmatizabat) quil avait le droit dagir

ainsi raquo69

En 1308-1309 lauteur dune nouvelle seacuterie darticles daccusation contre la meacutemoire de

Boniface que Jean Coste attribue agrave Nogaret70 introduit une distinction alors ineacutedite qui fut

reprise cinquante ans plus tard par Nicolas Eymerich71 entre les articles heacutereacutetiques les

erreurs relatives agrave un point de fait deacutejagrave condamneacute (facti damnati errores) et les opinions Mais

la simple mention de cette distinction sans application preacutecise ne permet pas de consideacuterer

que la notion de laquo fait heacutereacutetique raquo se deacuteveloppait veacuteritablement

Les juges deacuteleacutegueacutes au procegraves de Bernard Deacutelicieux en 1319 franchirent ce pas du moins

dans leur acte daccusation du 23 octobre 1319 ils ouvraient leur accusation en deacuteclarant sur

un ton tregraves leacutegislatif mais sans aucune alleacutegation de droit que tout homme seigneur puissant

ou juge qui oserait libeacuterer les prisonniers de linquisition refuser dexeacutecuter ses mandats

empecirccher la sentence ou le procegraves ou sopposer en quelque faccedilon agrave la poursuite des

heacutereacutetiques laquo encourt ipso facto une sentence dexcommunication et sil lencourt avec une

volonteacute reacutesolue pendant un an est alors condamneacute comme heacutereacutetique raquo72

Questions de proceacutedure

Face agrave la menace deacutemoniaque il importait dagir efficacement et rapidement mais ces deux

exigences eacutetaient contradictoires car lefficaciteacute supposait le lent et difficile eacutetablissement de

la veacuteriteacute Le pontife disposait dune multitude de solutions judiciaires qui impliquaient agrave la

fois des diffeacuterences dans les types de proceacutedure dans les ressorts juridictionnels et dans les

modaliteacutes de lenquecircte

LEacuteglise favorisait le deacuteveloppement de la proceacutedure inquisitoire (par enquecircte) au deacutetriment

du mode accusatoire selon un mouvement initieacute par des deacutecreacutetales dInnocent III agrave partir de

1198 dont la maturation se lit dans le canon 8 du concile de Latran IV (1215) On le sait la

proceacutedure accusatoire dominante jusquau XIIe siegravecle et qui a poursuivi sa carriegravere dans la

Common Law britannique et ameacutericaine reacuteserve lincrimination agrave un accusateur qui sengage

sur cette accusation et peut en pacirctir Le juge ou le jury se contente darbitrer Les deux

moments de laction sont constitueacutes par la construction minutieuse de la cause qui doit ecirctre

rigoureusement deacutefinie (en termes romains il sagit de la phase de litis contestatio) et par la

deacutelibeacuteration La proceacutedure inquisitoire en revanche favorise laccusation doffice formuleacutee

par un juge ou un prince agrave la suite dune laquo diffamation raquo deacuteriveacutee de leacutecoute dune rumeur

accusatrice Le procegraves met en œuvre deux enquecirctes successives la premiegravere eacutetablit cette

fama cette reacuteputation bonne ou mauvaise qui permet linculpation ou la relaxe la seconde

enquecircte construit la veacuteriteacute des faits porteacutes par la fama

Plusieurs ressorts juridictionnels pouvaient prendre en charge les invocateurs du deacutemon la

justice eacutepiscopale avec ses divers tribunaux le tribunal de linquisition et des commissions

pontificales ad hoc Linquisition fut creacuteeacutee par le pontificat agrave partir de 1233 en vue de

poursuivre lheacutereacutesie et elle garda longtemps cette speacutecialisation qui impliquait un recrutement

de juges plus theacuteologiens que juristes Il est difficile de porter un jugement serein sur

linquisition meacutedieacutevale tant son image a fait lobjet de controverses violentes Certains

meacutedieacutevistes ont tenteacute non sans quelques raisons de rejeter la folie perseacutecutrice associeacutee agrave

cette image Edward Peters a montreacute comment avait pu se construire dans la suite des temps

un veacuteritable mythe noir de linquisition73 un article retentissant de Richard Kieckhefer a mis

16

en doute la reacutealiteacute institutionnelle de linquisition74 De fait lopinion commune a souvent

confondu les reacutealiteacutes implacables de lInquisition romaine (creacuteeacutee en 1542) et surtout de

lInquisition castillane (institution eacutetatique fondeacutee en 1481-1482) avec les tentatives limiteacutees

et souvent incoheacuterentes de linquisition meacutedieacutevale Pourtant linquisition meacutedieacutevale a bien

existeacute comme institution puissante en deacutepit de sa faible assise Linquisiteur eacutetait nommeacute par

le saint Siegravege mais demeurait eacutetroitement lieacute agrave lordre religieux dont il provenait (lordre

dominicain pour lessentiel mais aussi lordre franciscain et dans une moindre mesure

lordre des carmes) Sa pratique quotidienne le mettait en relation eacutetroite avec le pouvoir

seacuteculier

Les commissions speacuteciales du pape deacuterivaient en un sens de la justice deacuteleacutegueacutee des pontifes

instaureacutee depuis le XIIe siegravecle mais elles prirent une importance particuliegravere sous le pontificat

de Jean XXII pour des raisons que nous examinerons plus loin Limportance des faits

deacutemoniaques conduisit Jean XXII agrave lever beaucoup de garanties judiciaires et gracieuses75 et

agrave confier les affaires de complot avec soupccedilons magiques ou deacutemonologiques agrave des

commissions pontificales qui se reacuteclamaient de la proceacutedure sommaire La notion de

proceacutedure sommaire sest lentement deacuteveloppeacutee depuis la fin du XIIe siegravecle dans le droit

canonique Il sagissait de formaliser les efforts des deacutecennies preacuteceacutedentes en matiegravere

darbitrage ou de compromis internes agrave lEacuteglise en reacuteaction aux excegraves de juridisme qui avaient

eacuteteacute deacutenonceacutes par saint Bernard dans son retentissant traiteacute De consideratione La notion

dlaquo eacutequiteacute canonique raquo eacutetait opposeacutee agrave la rigor iuris des civilistes La proceacutedure trouva

lentement sa forme agrave partir deacuteleacutements eacutepars dans le droit romain par agglomeacuteration de

clausules indeacutependantes si les parties eacutetaient daccord la cognitio summaria (traduite dans

nos textes par ladverbe summarie ou simpliciter) impliquait dalleacuteger les charges de preuves

on pouvait se contenter de preuves laquo semi-pleines raquo (un simple serment un teacutemoin ou un

document unique) et de la phase proprement proceacutedurale dun procegraves la reacutedaction dun

laquo livret raquo (libellus) et le deacutebat de la litis contestatio (qui eacutetablissait les rocircles judiciaires et les

enjeux du procegraves) devenaient facultatifs La mention dune proceacutedure de plano qui renvoyait

agrave linutiliteacute de sieacuteger formellement en tribunal insistait davantage sur la rapiditeacute et labsence de

formes externes Enfin les clausules sine strepitu judiciorum (sans le vacarme des procegraves) et

sine figura judicii (sans la forme du procegraves) compleacutetaient cette simplification en insistant sur

la suppression des avocats et des formes bruyantes dopposition et de recours

Agrave leacutepoque de Jean XXII cette formalisation de larbitrage eccleacutesiastique venait agrave peine de

sachever par la publication de deux deacutecreacutetales de Cleacutement V Dispendiosam produite pour le

concile de Vienne en 1311-1312 et Saepe reacutedigeacutee en 1314 Dispendiosam76 deacuteclarait de

faccedilon fort bregraveve que la proceacutedure sommaire pouvait sappliquer dune part aux cas deacutejagrave preacutevus

par le droit canonique du XIIIe siegravecle quant aux affaires propres de lEacuteglise (laquo eacutelections

demandes et provisions attributions de digniteacutes de fonctions de charges de canonicats de

preacutebendes et autres beacuteneacutefices eccleacutesiastiques raquo et contentieux sur les dicircmes) mais aussi sur les

questions de mariage et dusure Cette extension eacutetait consideacuterable et aboutissait agrave fournir la

possibiliteacute de proceacutedure sommaire pour la quasi totaliteacute des affaires eacutevoqueacutees par lEacuteglise

Seules les successions neacutetaient pas mentionneacutees mais elles interfeacuteraient neacutecessairement avec

les causes matrimoniales La deacutecreacutetale Saepe77

deacutetaillait plus longuement les particulariteacutes de

la proceacutedure sommaire et reacutesumait soigneusement les traits assembleacutes depuis pregraves dun siegravecle

Lusage parallegravele de la proceacutedure sommaire en matiegravere de poursuite de lheacutereacutesie ne se laisse

pas facilement deacutechiffrer car la filiation par rapport agrave la doctrine de larbitrage y perd tout

sens Le seul point commun des deux usages tient au rocircle essentiel du juge chargeacute agrave la fois de

la proceacutedure de linstruction et de la deacutecision Pourtant ce nest pas avant la deacutecreacutetale Statuta

17

quedam promulgueacutee par Boniface VIII dans son Liber Sextus en 1296-1298 que la proceacutedure

sommaire fut accordeacutee explicitement agrave la proceacutedure inquisitoriale laquo En collationnant certains

statuts de nos preacutedeacutecesseurs dheureuse meacutemoire Innocent Alexandre et Cleacutement et en

interpreacutetant et ajoutant certains points nous accordons que dans les affaires dinquisition sur

la perversion heacutereacutetique il puisse ecirctre proceacutedeacute de faccedilon simple et informelle sans vacarme ni

apparence des avocats et des jugements (procedi possit simpliciter et de plano et absque

advocatorum ac judiciorum strepitu et figura) raquo La suite de la deacutecreacutetale justifie le secret sur

les noms des teacutemoins ou accusateurs pour raison de seacutecuriteacute

Procegraves et majesteacute

Tous les niveaux et distinctions que nous venons desquisser se mecirclaient dans la pratique

judiciaire puisque linquisition se fondait largement sur la proceacutedure inquisitoire tandis que

des eacutevecircques comme Jacques Fournier le ceacutelegravebre eacutevecircque de Pamiers ou Guido Terreni

eacutevecircque de Majorque puis dElne recevaient du pape des fonctions dinquisiteur dans leur

diocegravese

Pourtant Jean XXII navait guegravere confiance dans la justice des eacutevecircques Il savait que les

eacutevecircques pouvaient souvent preacutefeacuterer la paix du diocegravese agrave lexigence de la veacuteriteacute Ainsi agrave

lefficace et zeacuteleacute Jacques Fournier avait succeacutedeacute en 1326 Dominique Grima brillant

theacuteologien ancien assistant inquisiteur de Bernard Gui agrave Toulouse qui sattira le courroux du

pape pour sa neacutegligence dans la poursuite de lheacutereacutesie78 Le pape preacutefeacutera freacutequemment utiliser

des commissions speacuteciales denquecircte et de jugement selon la proceacutedure sommaire plutocirct que

les tribunaux inquisitoriaux Ce fut le cas notamment pour les procegraves de Hugues Geacuteraud de

Robert de Mauvoisin et de Bernard Deacutelicieux Parfois limputation de crime de legravese-majesteacute

permit de donner une latitude encore plus large aux proceacutedures extraordinaires ainsi le 12

avril 1331 sur plainte du roi de France le pape ordonna agrave leacutevecircque de Paris de proceacuteder

contre Hertaud abbeacute dun monastegravere du diocegravese dAutun et contre Jean Albeacutericus dominicain

sur leurs laquo maleacutefices et excegraves raquo (super maleficiis et excessibus) contre le roi et sa cour raquo Il

sagit certainement de pratiques magiques (multis maleficiis) qui attentaient au laquo salut public raquo

et qui en tout cas relevaient du crime de legravese-majesteacute Or le pape en ce cas non seulement

ordonna une proceacutedure sommaire (simpliciter et de plano sine strepitu et figura judicii) mais

leva tous les privilegraveges et garanties des deux religieux autorisant leur arrestation (captionem)

leur incarceacuteration et leur torture (necnon questionibus subici prout a canonibus est

permissum)79

On peut se demander pourquoi Jean XXII fut si reacuteticent agrave confier les causes deacutemoniaques agrave

linquisition au moment mecircme ougrave il tentait dassimiler linvocation des deacutemons agrave lheacutereacutesie La

reacuteponse la plus commune agrave cette question relie ce choix au caractegravere politique de bien des

affaires ougrave le deacutemon semble intervenir comme preacutetexte plutocirct que comme cause De fait les

proceacutedures exceptionnelles qui mecirclent lattentat contre la majesteacute royale ou divine les

accusations dheacutereacutesie et les imputations de sorcellerie ou dinvocation des deacutemons doivent ecirctre

relieacutees agrave la grande vague des procegraves politiques qui avait commenceacute degraves le deacutebut du XIVe

siegravecle cest Philippe le Bel80 qui avait lanceacute degraves 1303 le procegraves contre le pape

Boniface VIII81 accuseacute entre autres davoir invoqueacute les deacutemons et consulteacute des magiciens

puis le roi entre 1306 et 1314 sen eacutetait pris aux Templiers comme adorateurs du diable

Entre 1308 et 1314 Philippe le Bel avait inculpeacute Guichard eacutevecircque de Troyes qui aurait

conspireacute en vue de tuer la reine et dautres personnaliteacutes princiegraveres par lusage de poisons et

dimages magiques82 En 1315 Enguerrand de Marigny qui avait si efficacement collaboreacute agrave

ces procegraves fut lui-mecircme pendu pour avoir nui au roi Louis X et agrave Charles de Valois par des

18

images magiques83 Jean XXII prit le relais avec les procegraves contre Hugues Geacuteraud eacutevecircque

de Cahors84 en 1317 contre Mateo et Galeazzo Visconti en 132085 contre les allieacutes de

Federico de Montefeltro dans la Marche dAncocircne86 Dans tous ces cas la parfaite

correspondance entre la graviteacute des accusations et la position antagoniste des inculpeacutes incite agrave

voir dans ces procegraves de simples et cyniques manœuvres ougrave lexception judiciaire doit

confirmer la regravegle politique

Cette interpreacutetation rend imparfaitement compte des reacutealiteacutes leacutecrasement des adversaires ne

fut pas systeacutematique les graves accusations contre Bernard Deacutelicieux quant au meurtre

deacutemoniaque de Cleacutement V ne furent pas assumeacutees dans le jugement contrairement agrave ce qui se

passa pour Hugues Geacuteraud Robert de Mauvoisin sen tira avec une simple eacutejection de son

siegravege archieacutepiscopal Certes les juges avaient quelque autonomie mais on peut penser que le

pape avait eacuteprouveacute de reacuteels doutes quant agrave la culpabiliteacute des accuseacutes Ces interrogations

rendent peut-ecirctre compte de la consultation de 1320 qui relevait moins de la discussion

quodlibeacutetale ou de la colleacutegialiteacute de deacutecision que du besoin dexpertise

Meacutefiance de linquisition

Les choix de proceacutedure de Jean XXII doivent sexpliquer autrement La preacutefeacuterence pour la

forme extraordinaire tient dabord agrave une grande meacutefiance de linquisition Les inquisiteurs

avaient tendance agrave poursuivre sans tenir compte des rangs sociaux ni des circonstances

politiques la fameuse affaire de Jean lArchevesque sieur de Parthenay mecircleacute agrave des pratiques

de sortilegravege vers 1323 le montre bien Linquisiteur seacutetait attaqueacute agrave un personnage puissant

beacuteneacuteficiant de protections royales qui avait reacuteussi agrave obtenir la consultation dun grand juriste

Oldrado da Ponte87 Agrave deux reprises le pape eacutecrivit aux inquisiteurs de Carcassonne pour

leur enjoindre de ne pas tourmenter inutilement les consuls et bourgeois de Montpellier88

Le pape avait pu aussi eacuteprouver lextrecircme impopulariteacute de linquisition patente dans laffaire

Bernard Deacutelicieux un simple agitateur avait failli renverser le pouvoir monarchique franccedilais

en liguant les couches citadines hostiles agrave lintervention des inquisiteurs En 1317-1318 cest

le zegravele excessif de Michel Le Moine inquisiteur franciscain de Provence qui avait enflammeacute

la reacutesistance beacuteguine dans le Midi par lexaltation des martyrs de Marseille En 1321-1322

cest le manque de discernement de linquisiteur Jean de Beaune agrave Beacuteziers qui avait entraicircneacute le

pape sur un terrain impreacutevu Linquisiteur ne mesurait pas toujours la porteacutee de ses actes et

surtout il pouvait agir trop publiquement du moins dans la phase initiale (la proclamation de

lenquecircte) et dans sa phase conclusive (le sermon geacuteneacuteral) ainsi cest la dispute publique

entre linquisiteur de Carcassonne Jean de Beaune et le lecteur franciscain du couvent de

Narbonne Beacuteranger Talon qui avait provoqueacute la reprise du deacutebat sur la pauvreteacute du Christ

Enfin et surtout linquisition jouissait dune certaine indeacutependance par rapport au pouvoir

pontifical dune part sa nomination deacutependait aussi du bon vouloir du maicirctre geacuteneacuteral des

dominicains ou du ministre geacuteneacuteral des franciscains Dautre part il pouvait agrave loccasion se

rapprocher du pouvoir royal On peut se demander si la diffeacuterence de deacutenomination des

inquisiteurs de Carcassonnne et de Toulouse entre 1320 et 1330 dans les lettres citeacutees plus

haut reacutedigeacutees par Guillaume de Peyre Godin puis par le pape ne traduit pas cette perception

dans le premier cas le cardinal sadresse laquo agrave linquisiteur de la perversion heacutereacutetique de la

reacutegion de Carcassonne raquo dans le second cas il sagit de laquo linquisiteur de la perversion

heacutereacutetique deacuteputeacute par le Siegravege apostolique dans le royaume de France en reacutesidence agrave

Carcassonne raquo Le soin de cette seconde formulation insiste sur le fait que lorigine du pouvoir

inquisitorial se trouve bien dans le pontificat De fait linquisition meacuteridionale apregraves les

froissements ducircs agrave laffaire Bernard Deacutelicieux ougrave les officiers royaux avaient toleacutereacute ou mecircme

19

soutenu le trublion franciscain avait eacuteteacute largement instrumentaliseacutee par la monarchie comme

le montrait laffaire des Templiers

En outre le pontife eacutetait fort irriteacute du manque de respect de certains inquisiteurs pour le droit

Ainsi en 1331 il reccedilut et approuva les plaintes de maicirctre Jean Anselme de Gecircnes chirurgien

et de Reacuteginald de Cravant clerc du diocegravese dAuxerre qui avaient eacuteteacute faussement accuseacutes

dheacutereacutesie et de maleacutefices par linquisiteur de France Aubert de Chacirclons et par leacutevecircque de Paris

Hugues Michel de Besanccedilon Le pontife leur reprochait davoir agi sans avoir eacutetabli aucune

infamie anteacuterieure sans respecter lordre judiciaire sans permettre aucune deacutefense leacutegitime89

Il nest pas besoin dimaginer un Jean XXII soucieux de justice par formation professionnelle

comme on la vu lordre du droit permettait deacutetablir soigneusement la veacuteriteacute qui importait

bien davantage que la reacutepression Le cas de la censure du commentaire dOlivi sur

lApocalypse le montre bien le texte eacutetait dangereux puisquil inspirait directement les

Beacuteguins par le biais dabreacutegeacutes et de traductions en langue vernaculaire Le contenu anti-

pontifical de ce texte eacutetait manifeste Pourtant le pape usa directement ou indirectement de

quatre commissions diffeacuterentes durant huit ans (1318-1326) avec un suppleacutement denquecircte

en 1322 avant darriver agrave une condamnation Le reacutesultat reacutepressif eacutetait certainement acquis

degraves 1318 mais il importait de suivre minutieusement les chemins de lerreur Ce souci

apparaicirct clairement dans une lettre adresseacutee par le pape en 1330 agrave Henri Chamayou

inquisiteur de Carcassonne90 qui avait reacuteussi agrave faire arrecircter deux heacutereacutetiques italiens qui

avaient confesseacute leur crime Le pontife feacutelicite chaleureusement linquisiteur mais lengage

fermement agrave poursuivre lenquecircte bien quil ait deacutejagrave en main tous les eacuteleacutements pour les

condamner laquo parce que nous croyons que tu aurais du connaicirctre une veacuteriteacute plus ample

(novisse te plenius credimus veritatem) au sujet de ce pour quoi ils tont eacuteteacute livreacutes nous

voulons et il nous plaicirct quayant Dieu seul devant les yeux tu veilles selon lexigence de la

justice agrave ne pas neacutegliger ce que tu sauras ecirctre adeacutequat en cette affaire raquo

Ces recommandations neacutetaient pas de pure forme la logique de linquisition ne la conduisait

pas vers leacutelucidation neacutecessaire agrave la cause des deacutemoniaques Linstitution demeurait

profondeacutement theacuteologienne et non juriste Le fondement proceacutedural de linquisition reposait

moins sur la poursuite doffice et lenquecircte que sur la troisiegraveme forme de poursuite (agrave cocircteacute de

la proceacutedure inquisitoire et de la proceacutedure accusatoire) deacutefinie par Innocent III au canon 8 du

concile de Latran la deacutenonciation eacutevangeacutelique issue de la correction fraternelle Or la

deacutenonciation orientait la poursuite vers la peacutenitence La confession rapidement obtenue par la

menace la terreur ou la torture conduisait agrave la demande dabsolution chegraverement neacutegocieacutee Il

importait agrave linquisiteur dobtenir au plus vite cette confession sans trop sattarder dans

lenquecircte sur la fama ou sur la veacuteriteacute neutraliseacutee par laveu Paradoxalement un accuseacute avait

de meilleures chances avec les proceacutedures sommaires chegraveres au pape quavec linquisition

parce que la veacuteriteacute pouvait contraindre le pape agrave la mansueacutetude tandis que la meacutecanique de la

culpabiliteacute ineacutevitable de tout peacutecheur entraicircnait tout inculpeacute dans la collectiviteacute peacutenale de

linquisition

Cest peut-ecirctre ces problegravemes de proceacutedure qui ont provoqueacute ce que Jean-Patrice Boudet

appelait plaisamment le laquo retard agrave lallumage raquo dans la poursuite des sorciers au XIVe siegravecle

tant que la papauteacute fut reacuteticente agrave deacuteleacuteguer son pouvoir denquecircte les limites mateacuterielles de la

justice pontificale empecircchegraverent la diffusion capillaire de limputation et de la reacutepression Et

preacuteciseacutement cest labandon forceacute de labsolutisme pontifical apregraves les conciles de Constance

et de Bacircle qui ouvrit les premiegraveres campagnes judiciaires et doctrinales contre les sorciers et

adorateurs du deacutemon dans les anneacutees 1430-1440 Mais le deacuteveloppement rapide de la

20

deacutemonologie avait eacuteteacute bien preacutepareacute par un pape qui tenait agrave consideacuterer lucidement les zones

obscures ougrave le deacutemon pouvait passer

Notes de bas de page

1 B Gui Manuel de linquisiteur eacuted par G Mollat Paris 1926-1927

2 P Paravy De la chreacutetienteacute romaine agrave la Reacuteforme en Dauphineacute Eacutevecircques fidegraveles et deacuteviants

(vers 1340-vers 1530) Rome 1993

3 LImaginaire du sabbat Eacutedition critique des textes les plus anciens (1430 ca-1440 ca)

reacuteunis par M Ostorero A Paravicini Bagliani K Utz Tremp en collaboration avec C Chegravene

Lausanne 1999

4 R KIECKHEFER European Witch Trials Their Foundations in Popular and Learned

Culture 1300-1500 Londres 1976 Carlo Ginzburg commence sa seacuterie explicative des

formes occidentales du sabbat en 1321 mais selon un modegravele totalement opposeacute au nocirctre

5 Bonn 1901

6 L THORNDIKE A History of Magic and Experimental Science vol III New York 1934

p 18 sq

7 Voir N Weill-Parot Les laquo Images astrologiques raquo au Moyen Acircge et agrave la Renaissance

Speacuteculations intellectuelles et pratiques magiques (XIIe-XV

e s) Paris 2002 p 377-385 et Id

laquo Les intellectuels lEacuteglise et la magie dans la premiegravere moitieacute du xive s raquo (meacutemoire de

maicirctrise Paris I 1990) Je tiens agrave remercier N Weill-Parot pour ses commentaires sur le

preacutesent article

8 laquo Quod cum morte fedus ineunt et pactum faciunt cum inferno Demonibus namque

immolant hos adorant raquo

9 Liber Sextus V II cap 8

10 Cause XXVI qu 5 cap 12 eacuted Friedberg col 1080

11 Voir A Boureau laquo De la feacutelonie agrave la haute trahison Un eacutepisode la trahison des clercs

(version du xiie s) raquo Le Genre Humain 16-17 1988 p 267-291

12 Venise 1595 XLIII 9 p 341-342

13 laquo Simpliciter et de plano ac sine strepitu et figura judicii appellatione remota raquo Lettre

publieacutee par J-M Vidal Bullaire de lInquisition franccedilaise Paris 1913 no 284 p 403-404

14 laquo Nonnulli etiam quandoque litterati in hoc se opponunt pretendentes id ad tuum non

expectare officium secundum canonicas sanctiones raquo

15 J-P Boudet laquo Les condamnations de la magie agrave Paris en 1398 raquo Revue Mabillon n s 12

(t 73) 2001 p 121-157

16 B Hamilton The Medieval Inquisition Londres 1981 p 94

17 Dans une lettre de 1336 adresseacutee agrave lofficial dAvignon Benoicirct XII successeur de

Jean XXII range agrave nouveau les sortilegraveges parmi les crimes qui touchent la foi (J-M Vidal

Bullaire op cit no 153 p 229-230) En 1405 Benoicirct XIII deacuteclare nuls les privilegraveges des

habitants du diocegravese du Puy qui preacutetendaient que linquisiteur de Carcassonne ne pouvait les

poursuivre pour maleacutefices (J-M Vidal Bullaire op cit no 332 p 473-474)

18 La premiegravere eacutedition a eacuteteacute procureacutee par Jean Chappuis en 1500 Pour la formation des deux

collections voir A M Stickler Historia Iuris Canonici Institutiones Academicae T I

Historia Fontium Rome 1950 p 270-271

19 Les seules mentions de la bulle se trouvent on la dit dans le manuel de Nicolas Eymerich

(1376) dans les Annales eccleacutesiastiques de Rinaldi et dans un bullaire romain du xviiie s

20 Voir A MAIER dans laquo Eine Verfuumlgung Johannis XXII uumlber die Zustaumlndigkeit der

Inquisition fuumlr Zauberprozesse raquo Archivium Fratrum Praedicatorum 32 1952 p 226-246

21 A Maier loc cit p 231

21

22 Publieacutee par R Manselli laquo Enrico del Carretto e la consultazione sulla magia di Giovanni

XXII raquo dans Miscellanea in onore di Monsignore Martino Giusti t II Vatican 1978 p 97-

129

23 Il est possible aussi que linterrogation doctrinale ait eacuteteacute anticipeacutee par Guido Terreni un

des dix experts de la consultation de 1320 dans son sixiegraveme quolibet laquo Est-ce que celui qui

baptise une chose sans acircme ou sans raison et non pas un homme est heacutereacutetique raquo ms BAV

Borghese 39 fo 238v

o-240v

o que je publie en annexe de la consultation Mais la date de ce

quolibet demeure incertaine

24 laquo Fecisti plantas pedum eiusdem mulieris iuxta carbones accensos apponi raquo texte publieacute

par J-M Vidal Bullaire op cit p 51-52

25 laquo Diu post confessionem debitum nature persoluitverum quia dubitatur ne propter

predicta tormenta citius decesserit quam alias decessisset mulier supradicta si tormentata

minime extitisset raquo

26 laquo Erronea et horrenda contra catholicam fidem fuit confessa et multos consocios et

complices reuelauitque omnia sic inuenta ut communiter creditur numquam reuelata

fuissent nisi mediantibus tormentis eiusdem predicta mulier reuelasset raquo

27 laquo De consilio proborum qui se asserebant uidisse penis examinati hereticos in partibus

Tholosanis raquo

28 J-M Vidal Bullaire op cit no 24 p 53-54

29 Ex certa sciencia sur cette clausule de labsolutisme pontifical voir A Boureau La Loi

du royaume Les moines le droit et la construction de la nation anglaise Paris 2001 avec

renvoi aux travaux de Jacques Krynen

30 Publieacutee par J-M Vidal Bullaire op cit p 61 Une meilleure eacutedition a eacuteteacute procureacutee par

A Maier loc cit p 226-227

31 J-M Vidal Bullaire op cit no 72 p 118-119

32 La commission fut reacuteiteacutereacutee le 8 novembre 1327 ibid no 78 bis p 129-130

33 Voir A Boureau laquo Saints et deacutemons dans les procegraves de canonisation du deacutebut du xive s raquo

agrave paraicirctre dans les actes du colloque de Budapest sur les procegraves de canonisation dir Gaacutebor

Klaniczay

34 B Gui Manuel de linquisiteur eacuted et trad par G Mollat op cit t I p 52

35 Publieacutees par J-M Vidal Bullaire op cit no 103 p 154-156

36 Henri de Chamayou

37 Pierre Brun

38 La qualification dheacutereacutesie de la part du pape agrave propos des invocations deacutemoniaques na

jamais cesseacute Voir par exemple une lettre de 1323 qui deacutesigne des commissaires pour juger

le moine Guillaume de Figeac accuseacute de laquo deacutevier de la foi catholique raquo en pratiquant

lalchimie et la neacutecromancie (J-M Vidal Bullaire op cit no 50 p 87-88)

39 F Graf La Magie dans lAntiquiteacute greacuteco-romaine Ideacuteologie et pratique Paris 1994

40 Voir le reacutecit par Pierre le Veacuteneacuterable vers 1137 dun usage magique de lhostie consacreacutee

par un paysan deacutesireux de retenir ses abeilles Livre des merveilles de Dieu (De miraculis)

introduction traduction et notes de J-P Torrell et D Bouthillier FribourgParis 1992 p 70-

72 Je remercie Charles de Miramon de mavoir signaleacute ce texte

41 Voir les travaux reacutealiseacutes autour de Richard Kieckhefer et Claire Faenger aux Eacutetats-Unis

autour de Jean-Patrice Boudet et Henri Bresc en France notamment

42 Dans sa biographie collective des deux premiegraveres geacuteneacuterations de dominicains eacutecrite au

deacutebut des anneacutees 1260 Geacuterard de Frachet ne rapporte quun seul cas de fregravere qui se voue agrave

lalchimie et il ne trouve agrave lui reprocher que son deacutesir de senrichir rapidement Son activiteacute

consiste alors essentiellement agrave se rendre en Sardaigne pour y collecter des mineacuteraux rares

Son funeste sort ultime ne sexplique que par cet abandon de Dieu au profit de la richesse

22

seacuteculiegravere (Vitae Fratrum Ordinis Praedicatorum eacuted par B-M Reichert Rome-Stuttgart

Monumenta Ordinis Fratrum Praedicatorum Historica 1897 p 290)

43 La Condamnation parisienne de 1277 eacuted et trad par D Picheacute avec la collaboration de

C Lafleur Paris 1999 p 77

44 A Paravicini Bagliani Il corpo del papa Turin 1994

45 Preacuteface agrave Le crisi dellalchimia Micrologus 3 1995 p VIII

46 Voir leacutedition du procegraves dans J Shatzmiller Justice et injustice au deacutebut du XIVe s

Lenquecircte sur larchevecircque dAix et sa renonciation en 1318 Rome 1999

47 Voir une lettre de feacutevrier 1330 dans Lettres secregravetes et curiales du pape Jean XXII (1316-

1334) relatives agrave la France eacuted par A Coulon et S Cleacutemencet fasc 8 Paris 1965 no 4100

p 104-105 [abreacutegeacute deacutesormais Coulon-Cleacutemencet] lettre agrave Jean de Badas inquisiteur

franciscain de Marseille sur un crime nefandum commis par Gantalmus Gantalmi notaire et

sa femme Berengegravere instigatione diabolica circumventi agrave lencontre de Guillaume de Baucio

sire de Berre

48 Texte publieacute par J HANSEN Quellen und Untersuchungen op cit no 3 p 2

49 Notons quen 1318 les rites de conseacutecration des miroirs et images paraissent speacutecifiques

alors quen 1320 dans les questions poseacutees par le pape aux experts les invocateurs de deacutemons

utilisent le rite catholique du baptecircme pour preacuteparer leurs images

50 A Paravicini Bagliani Il corpo del papa op cit

51 C H JOSTEN laquo The Text of John Dastins letter to Pope John XXII raquo Ambix 4 1951

p 46-51

52 E Albe Autour de Jean XXII Hugues Geacuteraud eacutevecircque de Cahors laffaire des poisons et

envoucirctements en 1317 Cahors 1904 p 163-164

53 Processus Bernardi Deliciosi The Trial of Fr Bernard Deacutelicieux 3 September-8

December 1319 eacutediteacute par A Friedlander Philadelphie 1996 p 62 Pour une eacutetude complegravete

du dossier voir A Friedlander The Hammer of the Inquisitors Brother Bernard Deacutelicieux

and the Struggle against the Inquisition in Fourteenth-Century France Leyde 2000

54 Coulon-Cleacutemencet no 2969 p 151

55 Coulon-Cleacutemencet no 2395 p 47

56 Sermon sur la vigile de lEacutepiphanie 5 janvier 1332 eacuted par M Dykmans Les Sermons de

Jean XXII sur la vision beacuteatifique Rome (Miscellanea Historiae Pontificiae 34) p 145

57 Les actes du procegraves ont eacuteteacute publieacutes par J-MVidal laquo Procegraves dinquisition contre Adheacutemar

de Mosset raquo Revue dHistoire de lEacuteglise de France 1 1910 Lanecdote se trouve agrave la p 713

58 Ces interrogations sur la laquo situation raquo spirituelle eacutetaient freacutequemment exprimeacutees Dans sa

correspondance avec les grands de ce monde le pape doit souvent reacutepondre agrave ce genre de

question en termes agrave vrai dire assez geacuteneacuteraux

59 Coulon-Cleacutemencet fasc 8 Paris 1965 no 4197 p 126 Lettre analogue en feacutevrier 1331

(no 4452 t 9 p 41)

60 On peut se demander si ce nest pas cette fideacuteliteacute litteacuterale au texte biblique qui a contribueacute agrave

pousser le pape agrave intervenir sur la question de la vision beacuteatifique question ougrave les partisans de

la vision directe de Dieu avant le jugement final ne trouvaient aucun appui scripturaire direct

61 On trouve une formulation parallegravele dans Quia quorumdam mentes (10 novembre 1324)

62 Voir A Boureau laquo Droit naturel et abstraction judiciaire Hypothegraveses sur la nature du droit

meacutedieacuteval raquo Annales HSS 57 6 2002 p 1463-1488

63 Voir A Boureau laquo La redeacutecouverte de lautonomie du corps leacutemergence du somnambule

(xiiie-xiv

e s) raquo Micrologus I 1993 p 27-42

64 Sur toutes ces questions je me permets de renvoyer au chap 8 de mon ouvrage Theacuteologie

science et censure au XIIIe s Le cas de Jean Peckham Paris 1999

23

65 Publieacute par J Rius Serra dans Sancti Raymundi de Penyafort opera omnia t III

Diplomatario (Documentos Vida antigua Cronicas Processos antiguos) Barcelone 1954

p 74-82

66 Cette typologie fut reprise par le pape Alexandre IV une dizaine danneacutees plus tard et

eacutediteacutee par Boniface VIII dans le Sexte (L 5 tit 2 cap 2 6 11 eacuted Friedberg II col 1069

1071 1073) Voir aussi le traiteacute Doctrina de modo procedendi erga hereticos (vers 1280)

dans Martegravene et Durand Thesaurus novus anecdotum t 5 Paris 1717 col 1797 et la

Practica de Bernard Gui (p 226-232)

67 Bien avant la creacuteation de lInquisition le troisiegraveme concile de Latran (1179) avait frappeacute

danathegraveme et priveacute de seacutepulture les defensores et receptatores dheacutereacutetiques (Deacutecreacutetales L 5

tit 7 cap 8 eacuted Friedberg II col 1780)

68 Ibid p 29-32

69 Texte eacutediteacute par J Coste Boniface VIII en procegraves Articles daccusation et deacutepositions de

teacutemoins (1303-1311) Eacutedition critique introduction et notes Rome 1995 p 153

70 Nogaret originaire de Saint-Feacutelix-de-Caraman haut-lieu cathare petit-fils dun ministre

heacutereacutetique avait certainement une bonne connaissance de la perseacutecution de lheacutereacutesie en deacutepit

de sa formation de civiliste

71 Directorium op cit seconde partie question 2

72 Processus op cit p 180

73 E PETERS Inquisition Berkeley 1988

74 R KIECKHEFER laquo The Office of Inquisition and Medieval heresy the Transition from a

Personal to an Institutional Juridiction raquo Journal of Ecclesiastical History 46 1995 p 36-

61

75 Ainsi le pape deacutecida de suspendre le droit dasile dans les eacuteglises au deacutetriment des

heacutereacutetiques mais pas speacutecifiquement des auteurs de sortilegraveges (Lettre au roi de France Philippe

VI en 1328 publieacutee par J-M Vidal Bullaire op cit no 79 p 130-131)

76 Eacuted FRIEDBERG t II col 1078

77 Ibid col 1200

78 Voir la lettre dure que lui adressa le pape Jean XXII le 6 octobre 1332 (J-M Vidal

Bullaire op cit no 124 p 184)

79 Coulon-Cleacutemencet no 4539 fasc 9 p 59-60

80 Lattention precircteacutee agrave Philippe le Bel et agrave Jean XXII ne doit pas faire oublier que ce type

daccusation politico-deacutemonologique est deacutepoque comme le montre dans un tout autre

contexte le procegraves intenteacute agrave Walter Langton eacutevecircque de Coventry en 1301-1303 avec

mention dadoration diabolique (voir A Beardwood laquo The Trial of Walter Langton bishop of

Lichfield 1307-1312 raquo Transactions of the American Philosophical Society NS 54 p III

Philadelphie 1964

81 Voir J Coste Boniface VIII en procegraves op cit

82 A Rigault Le Procegraves de Guichard eacutevecircque de Troyes 1308-1313 Paris 1896

83 J Favier Un conseiller de Philippe le Bel Enguerrand de Marigny Paris 1963 Il faut

mentionner peu apregraves le procegraves contre le cardinal Francesco Gaetani poursuivi par les cours

royales pour attentat contre le roi son fregravere et deux cardinaux agrave laide dimages magiques

(voir C Langlois laquo Laffaire du cardinal Francesco Gaetani (avril 1316) raquo Revue historique

63 1897 p 56-71)

84 E Albe Autour de Jean XXII op cit

85 R Michel laquo Le procegraves de Mateo et Galeazzo Visconti laccusation de sorcellerie et

dheacutereacutesie Dante et laffaire de lenvoucirctement (1320) raquo Meacutelanges darcheacuteologie et dhistoire

29 1909 p 269-327

86 F Bock laquo I processi di Giovanni XXII contro i Ghibellini delle Marche raquo Bolletino

dellIstituto storico italiano per il Medio Evo 57 1941 p 19-43

24

87 Voir J-M Vidal laquo Le sieur de Parthenay et lInquisition (1323-1325) raquo Bulletin

historique et philologique 1903 p 414-434

88 J-M Vidal Bullaire op cit no 20 p 44 et n

o 76 p 126-127

89 J-M Vidal Bullaire op cit nos

109 et 110 p 167-171

90 J-M Vidal Bullaire op cit no 90 p 144

Alain Boureau

EHESS CRH GAS 54 boulevard Raspail F-75006 Paris

Pour citer cet article

Alain Boureau laquoSatan heacutereacutetique lrsquoinstitution judiciaire de la deacutemonologie sous Jean XXIIraquo

Meacutedieacutevales 44 (2003) httpmedievalesrevuesorgdocument711html

Page 9: Satan hérétique : l’institution judiciaire de la ..._Droit_Canonique/Curiosite/Satan heretique.pdf · e siècle, mais la mutation considérable de procédure qui a assimilé les

9

miroirs les cercles ou les anneaux raquo Par ces invocations les accuseacutes tentent de nuire ou de

preacutedire le futur49

Or un autre aspect de leur activiteacute releveacute dans la suite de la lettre concerne un souci

pontifical laquo ils ne craignent pas daffirmer quagrave laide de boissons ou de nourritures mais

aussi par la profeacuteration dune seule parole il est possible dabreacuteger ou de prolonger la vie des

hommes raquo On pense bien sucircr aux diffeacuterentes recherches et pratiques patronneacutees par les

papes du XIIIe siegravecle en vue dobtenir le prolongement de leur vie que les recherches

dAgostino Paravicini Bagliani ont repeacutereacutees50 Le grand alchimiste anglais John Dastin qui

avait eacutecrit des ouvrages dalchimie pour le cardinal Napoleacuteon Orsini ennemi et familier du

pape envoya agrave Jean XXII une lettre sur lor potable susceptible de prolonger la vie51

Comme lavait montreacute le procegraves de Boniface VIII la frontiegravere eacutetait incertaine entre les arts

magiques et lalchimie entre le juste deacutesir de prolonger la vie des papes et la sournoise

volonteacute de labreacuteger Loctogeacutenaire pontife eacutelu comme pape de transition savait sa vie fragile

et sa succession souhaiteacutee La premiegravere grande affaire judiciaire du pontificat quelques mois

apregraves lavegravenement de Jean XXII mit en cause leacutevecircque de Cahors Hugues Geacuteraud accuseacute

davoir voulu attenter agrave la vie du pape et des cardinaux par le poison mais aussi par la

confection dimages de cire qui avaient reccedilu le nom des victimes et qui furent perceacutees de

coups daiguilles selon leacutevocation assez preacutecise quen donne le pape dans sa lettre de

commission de laffaire le 22 avril 131752 On comprend degraves lors lobsession de Jean XXII

quant aux manipulations surnaturelles de la nature dautant que reacutecemment certains

alchimistes ou meacutedecins dont Arnaud de Villeneuve avaient noueacute des relations fortes avec

les Spirituels franciscains ou avec les clans Orsini et Colonna de la curie

Le procegraves intenteacute au franciscain Bernard Deacutelicieux en 1319 illustre bien cette conjonction

Bernard Deacutelicieux eacutetait poursuivi essentiellement pour ses attaques contre linquisition et ses

tentatives en vue du soulegravevement des citeacutes meacuteridionales contre le pouvoir des inquisiteurs

Laffaire eacutetait deacutejagrave ancienne mais le franciscain avait reacutecemment aggraveacute son cas en prenant

la deacutefense des franciscains spirituels convoqueacutes agrave Avignon en 1317 Or les articles 24 agrave 31 de

son acte daccusation portaient sur ses tentatives de meurtre sur la personne de Benoicirct XI par

le biais des incantations et des actes de magie53 Dans cette liste de griefs pas plus que dans

les accusations contre Robert de Mauvoisin les pratiques magiques de Bernard Deacutelicieux ne

sont rapporteacutees agrave une invocation des deacutemons comme si la magie naturelle neacutetait incrimineacutee

que pour ses fins mauvaises Tout se passe comme si Jean XXII heacuteritier de la fascination de

ses preacutedeacutecesseurs envers la puissance des sciences occultes heacutesitait encore agrave lier la magie agrave

laction deacutemoniaque ce qui expliquerait lurgence et limportance de la consultation de 1320

Quelques anneacutees plus tard ces incertitudes neacutetaient plus de mise Ainsi le 23 aoucirct 132654 le

pape envoya une lettre au cardinal Bertrand de Montfavet lincitant agrave poursuivre une enquecircte

sur Bertrand dAudiran chanoine dAgen qui se livrait agrave pluribus et diversis dampnatis

scientiis et artibus laquo non sans une transgression de la foi catholique du droit canonique et du

droit civil raquo Le suspect usait de livres deacutecritures de vases de verre de terre et de bois en

lesquels il composait des poudres et liqueurs feacutetides laquo Et surtout ce Bertrand en usant et

abusant de ces sciences et arts sefforccedilait de tenter les deacutemons et dinvoquer les esprits malins

et dappliquer agrave cette fin les conjurations et autres choses illicites et condamneacutees raquo Or cette

pratique eacutetait efficace laquo il sensuivait de terrifiants coups de tonnerre eacutebranlements foudres

tempecirctes deacuteluges coups porteacutes par les deacutemons agressions et morts dhommes et autres

innombrables dommages raquo

10

Bertrand disposait de complices dont deux sont nommeacutes dans la lettre Ils avaient eacuteteacute pris sur

le fait quand ils emportaient sur des fourches patibulaires deux tecirctes et un bras de pendus Le

laiumlc avait avoueacute et avait eacuteteacute livreacute aux flammes le clerc fut emprisonneacute dans les cachots de

leacutevecircque dAgen Leacutevecircque avait fait conduire Bertrand vers les prisons pontificales dAvignon

Lenquecircte avait eacuteteacute confieacutee agrave Bertrand de Montfavet et au cardinal Pierre Tissier mort depuis

(en 1323) La lenteur dune proceacutedure qui eacutetait entiegraverement entre les mains du pontife montre

bien que Jean XXII cherchait agrave savoir avant de reacuteprimer

Une autre lettre manifeste bien linquieacutetude de Jean XXII devant les mystegraveres surnaturels et

notamment devant la possibiliteacute de transport extraordinaire qui annonce peut-ecirctre un des

aspects les plus spectaculaires du sabbat le vol des deacutemoniaques dans les airs Le 3 mars

1325 Jean XXII sadressa agrave leacutevecircque de Paris le cureacute de la paroisse des Saints Innocents un

soir a disparu de sa chambre fermeacutee au verrou de linteacuterieur Le pape demande une enquecircte

summarie simpliciter ac sine strepitu et figura judicii afin de savoir laquo ougrave ledit recteur est

alleacute ou a eacuteteacute emporteacute ou transporteacute raquo (dictus rector iverit vel asportatus aut translatus

fuerit)55 Le ton presseacute et angoisseacute de la lettre leacutevocation de la possibiliteacute dun transport

surnaturel sans eacutevoquer vraiment le sabbat manifestent en cette mince affaire une reacuteelle

inquieacutetude

Lors de la fameuse controverse sur la vision beacuteatifique que le pape lanccedila en 1331 un des

arguments produits par le pape pour prouver le caractegravere partiel et limiteacute du jugement

individuel consiste agrave insister sur lactiviteacute libre des deacutemons avant le Jugement dernier En

1332 dans un sermon le pape dit laquo En effet les damneacutes cest-agrave-dire les deacutemons ne

pourraient nous tenter sils eacutetaient reclus en enfer Cest pourquoi il ne faut pas dire quils

reacutesident en enfer mais bien dans la totaliteacute de la zone dair obscur dougrave leur est ouverte la

voie pour nous tenter raquo56

Portrait de Jean XXII en suppocirct du deacutemon

Si Jean XXII fut aussi acharneacute agrave poursuivre les deacutemons et leurs adorateurs cest sans doute

aussi parce quil fut lui-mecircme parfois preacutesenteacute comme une creacuteature de lAnteacutechrist ou du

diable notamment dans les divers milieux influenceacutes par les franciscains spirituels (beacuteguins

fraticelli) Cette qualification relevait en partie de linjure en partie de la conviction En effet

dun cocircteacute les franciscains spirituels adeptes de la plus haute pauvreteacute qui avaient joui dune

relative tranquilliteacute sous le pontificat de Cleacutement V subirent la reacutepression violente de

Jean XXII degraves le deacutebut de son pontificat quatre franciscains spirituels furent brucircleacutes agrave

Marseille en 1318 une seacuterie de bulles de 1317 agrave 1328 condamnegraverent certains groupes puis

la doctrine mecircme de la pauvreteacute absolue et de son fondement christique On en arriva au

schisme de 1328 quand Michel de Ceacutesegravene et quelques fregraveres senfuirent dAvignon pour

rejoindre la cour de lempereur Louis de Baviegravere qui creacutea le bref pontificat schismatique de

Nicolas V Dans la masse des eacutecrits de combat des franciscains le pape prit souvent une

figure satanique

Mais il y avait plus Dans les eacutecrits de Pierre de Jean Olivi qui fut linspirateur principal de

ces mouvements se manifestait la conviction que le temps preacutesent eacutetait celui du passage agrave la

sixiegraveme peacuteriode de lhistoire de lEacuteglise lui-mecircme annonciateur du troisiegraveme et dernier acircge de

lhumaniteacute En lisant lApocalypse Olivi avait deacutecouvert que lAnteacutechrist dont la deacutefaite

ultime devait ouvrir une longue peacuteriode de paix avant la fin des temps se deacutedoublait en un

Anteacutechrist laquo mystique raquo (cest-agrave-dire cacheacute) et le grand Anteacutechrist manifeste Cet Anteacutechrist

mystique devait probablement ecirctre un pseudo-pape Si Olivi mort en 1298 navait pas pousseacute

11

plus loin lidentification ses disciples confirmeacutes par les perseacutecutions proceacutedegraverent agrave cette

assimilation du pape agrave lAnteacutechrist mystique

Sur ce point un teacutemoignage curieux livre un veacuteritable reacutecit fondateur et mythique sur les

origines de la haine de Jean XXII contre les spirituels franciscains En 1333 le chevalier

roussillonnais Adheacutemar de Mosset fut poursuivi pour ses sympathies beacuteguines agrave linitiative

du roi Jacques II de Majorque57 Le roi dans son troisiegraveme article daccusation rapporte un

souvenir personnel Un jour quil voyageait en compagnie dAdheacutemar la conversation vint sur

le pape Jean XXII et sur les perseacutecutions contre les spirituels que le chevalier reprochait fort

au pontife Adheacutemar demanda au roi sil savait pourquoi le pape qui au deacutebut de son

pontificat avait eacuteteacute une homme saint et bon en eacutetait arriveacute lagrave Jacques ne le savait pas mais le

chevalier le lui apprit Jean XXII aimait alors beaucoup Angelo Clareno lun des principaux

dirigeants des spirituels Un jour il lui demanda dinterroger Dieu pour savoir si son eacutetat

(status) Lui plaisait ou non58 Angelo se mit en priegraveres et laquo vit alors une grande foule de

diables qui portaient un calice plein du poison diniquiteacute il leur demanda ougrave ils allaient et ce

quils allaient faire de ce calice Ils lui reacutepondirent quils allaient aupregraves du pape pour faire

leur possible afin quil boive le calice diniquiteacute raquo Angelo leur demanda de passer le voir sur

le retour ce quils firent Ils lui apprirent alors que le pape avait bu et ils conseillegraverent agrave

Angelo de se garder deacutesormais de lui Au sortir de cette vision le pape demanda agrave Angelo le

reacutesultat de sa consultation le franciscain refusa de parler mais reccedilut lordre au nom du

principe dobeacuteissance de livrer ses informations ce quil fit laquo Et depuis ce temps lagrave le

seigneur pape lui voulut du mal agrave lui et aux autres Beacuteguins raquo Adheacutemar de Mosset qui avait

eacuteteacute au service de Philippe de Majorque reacutegent du royaume sous la minoriteacute de Jacques II et

partisan actif des Beacuteguins eacutetait probablement un sympathisant des dissidents sans ecirctre

directement engageacute dans leur combat et sans avoir de formation theacuteologique ni exeacutegeacutetique il

est probable quil transmettait une anecdote largement reacutepandue Si lon perccediloit mieux le

deacuteveloppement dun engagement personnel du pape il reste agrave comprendre les modaliteacutes de sa

lutte

Le positivisme de Jean XXII

Pourquoi qualifier dheacutereacutesie la magie ou linvocation des deacutemons Parce que les adorateurs

des deacutemons produisent de nouveaux faits susceptibles dengendrer de nouvelles adheacutesions Il

faut insister sur cette notion de factum hereticale brandie dans les questions poseacutees aux

theacuteologiens en 1320 qui rompt avec lideacutee commune de lheacutereacutesie comme opinion ou comme

intellectus Il ne sagit pas seulement dune extension qui trouverait dans les pratiques

sacrilegraveges un fondement doctrinal Jean XXII navait nul besoin de cette qualification pour

reacuteprimer seacutevegraverement les actes magiques et deacutemonolacirctriques

Le pape croyait en la force des faits en droit comme en theacuteologie Ainsi en mai 1330 il

sadressa au roi de France pour lui demander dinterdire la pratique de la preuve par combat

judiciaire ou duel59 en notant que laquo par de telles pratiques la veacuteriteacute nest pas prouveacutee raquo (per

taliaveritas non probatur) Le pape au nom de lexpeacuterience maicirctresse des choses (magistra

rerum experiencia) fait remarquer au roi quen cas daccusation de fausse monnaie jamais le

souverain ne se contenterait dune telle preuve preacuteciseacutement parce quen ce cas les faits

mateacuteriels et la veacuteriteacute pure importent

La construction mecircme de faits ineacutedits est une menace pour la foi Car ce sont les faits qui

induisent la confiance et la foi La qualification traditionnelle de lheacutereacutesie en sen tenant au

rejet des opinions orthodoxes ne considegravere pas le processus qui conduit agrave la foi Devant

12

lextrecircme diversiteacute des opinions et des eacutecoles il faut sen tenir aux faits Jean XXII

exactement comme Guillaume dOckham aboutit agrave la conclusion que la foi repose sur une

certaine confiance accordeacutee agrave lensemble de la tradition chreacutetienne et corroboreacutee par les faits

livreacutes par lEacutecriture La foi repose sur un contrat de confiance Un des reproches les plus

veacuteheacutements quil adresse aux franciscains cest de pieacutetiner les donneacutees factuelles de lEacutecriture

Dans lEacutevangile Jeacutesus a posseacutedeacute des biens et a confieacute sa bourse agrave Judas Or par des artifices

dinterpreacutetation ils aneacuteantissent ces faits au beacuteneacutefice de leur interpreacutetation Les grandes

bulles de condamnation de la doctrine franciscaine de la pauvreteacute absolue insistent sur cette

destruction des donneacutees factuelles qui fondent les articles de foi60 Dans la bulle Cum inter

nonnullos (12 novembre 1223) le pape disait

Laffirmation selon laquelle le Christ et les apocirctres nont rien posseacutedeacute ni en commun ni

individuellement nous jugeons par un eacutedit perpeacutetuel et en suivant lavis de nos fregraveres que

quand elle est reacutepeacuteteacutee avec obstination elle doit ecirctre tenue pour erroneacutee et heacutereacutetique car

comme elle contredit expresseacutement lEacutecriture sacreacutee qui en plusieurs lieux affirme quils ont

eu quelque possession elle implique que cette Eacutecriture sacreacutee par laquelle sont prouveacutes les

articles de la foi orthodoxe contient ouvertement sur ce sujet le germe du mensonge et que

en tant que telle elle eacutevacue toute confiance en lEacutecriture et rend la foi catholique douteuse et

incertaine en supprimant sa force probatoire61

Plus geacuteneacuteralement les franciscains spirituels en imaginant que le Christ et les apocirctres

pratiquaient un usage laquo de fait raquo sans aucune appropriation juridique construisaient une

fiction qui ne trouvait aucun reacutepondant aucune veacuterification dans la laquo nature des choses raquo

(natura rerum) ougrave la consommation des biens repose soit sur un droit soit sur un deacutelit Leur

usage du mot laquo fait raquo renversait lordre naturel du monde Les franciscains devenaient

heacutereacutetiques en rejetant les faits eacutevangeacuteliques et en reconstruisant leurs propres faits gracircce agrave

leur ideacuteologie forte et gracircce agrave lidentiteacute collective quils creacuteaient Les adorateurs des deacutemons

nagissaient pas autrement on le verra

Donc pour Jean XXII un fait est un fait Comment comprendre ce positivisme qui semble

anachronique sans le reacuteduire aux fantaisies singuliegraveres du vieux pontife

Leacutemergence du fait

Pour saisir ce tournant il faut sans doute partir du jugement moral et non pas du jugement

eacutepisteacutemologique des conduites humaines plus que des processus physiques Chacun le sait le

XIIe siegravecle entre Pierre Abeacutelard et Pierre le Chantre a produit une morale de lintention Mon

hypothegravese est que cest cette morale qui a construit la notion de fait en neutralisant

leacuteveacutenement Jean est tueacute Paul la tueacute Ceci est un eacuteveacutenement La theacuteologie morale de

lintention affirme que cet eacuteveacutenement ne signifie rien en lui-mecircme avant quil ne soit qualifieacute

selon lintention de Paul qui construit leacuteveacutenement comme meurtre (il a voulu et preacutemeacutediteacute cet

acte par leffet dune vieille haine) ou bien comme coups et blessures porteacutes sans intention de

meurtre (agrave la suite dune rixe par exemple) comme accident (Paul au cours dune chasse

visait un gibier) comme acte meacuteritoire (Paul a deacutebarrasseacute la chreacutetienteacute dun perseacutecuteur sur le

modegravele de Judith tuant Holopherne) Leacuteveacutenement laquo mort de Jean raquo videacute de sa signification

intrinsegraveque devient ce que jappelle un fait faible un reacutesidu irreacuteductible de reacutealiteacute

Ce relativisme dAbeacutelard doit se relier eacutetroitement au principe naissant de lenquecircte

contradictoire Le premier texte qui proclame la neacutecessiteacute de cette enquecircte se trouve dans la

preacuteface du Sic et non On sait que cet ouvrage en dehors de sa preacuteface ne contient que des

13

citations contradictoires sur une seacuterie dobjets mais on na pas releveacute que ces objets ne sont

pas toujours des opinions theacuteologiques mais aussi des faits (comme par exemple

lemplacement geacuteographique de la tombe des patriarches)

Au cours du XIIIe siegravecle se produisit une reacuteaction progressive contre la morale de lintention

une tentative dobjectivation du jugement moral et judiciaire Ce pheacutenomegravene tient

probablement au mouvement de reacutedaction des textes normatifs et agrave la constitution du droit

comme science de plus en plus indeacutependante de la theacuteologie morale62 Le fait fut penseacute

comme un reacutesidu neacutecessaire agrave lindeacutependance transcendante du droit que la caste des juristes

tentaient dextraire des contingences et des compromissions des affaires courantes Mais

lattachement agrave la factualiteacute tenait aussi agrave une reacuteaction de lEacuteglise contre les entreprises

heacutereacutetiques appuyeacutees sur une pratique du secret et de la double entente Le sanctuaire de

linteacuterioriteacute pouvait apparaicirctre comme une cache de malfaiteurs Les poursuites contre les

cathares et les beacuteguins le montrent clairement les inquisiteurs mirent au point des techniques

de repeacuterage de la dissimulation Cette eacutevolution tendait donc agrave remplacer le fait faible des

morales de lintention par le fait fort des tribunaux denquecircte Est-ce agrave dire quau tribunal toute

excuse quant agrave la circonstance de laction eacutetait rejeteacutee Certes pas mais les circonstances

furent elles-mecircmes objectiveacutees On en donnera deux exemples la notion dirresponsabiliteacute

accordeacutee agrave des classes repeacuterables dindividus (les fous les enfants les somnambules) fut

deacutefinie au deacutebut du XIVe siegravecle par une deacutecreacutetale de Cleacutement V63 Par ailleurs dans la

proceacutedure inquisitoire lenquecircte preacutealable sur la reacuteputation (fama) des individus suspects

deacuteleacuteguait agrave une communauteacute exteacuterieure leacutevaluation des motifs avant que lenquecircte en veacuteriteacute

ne mette en correacutelation cette eacutevaluation avec des faits preacutecis Certes la fama fut largement

induite par les poursuites elles-mecircmes mais les juges tenaient agrave son caractegravere objectif et

mesurable Dans les procegraves inquisitoires en canonisation comme en matiegravere criminelle ou

heacutereacutetique les juges ou commissaires demandent freacutequemment aux teacutemoins de deacutefinir le sens

du mot fama son lieu dorigine son extension Certains allaient mecircme jusquagrave demander au

teacutemoin deacutevaluer quantitativement le nombre minimal dopinions ou de murmures neacutecessaires

pour constituer une reacuteputation

Ce positivisme meacutedieacuteval dont nous avons tenteacute de repeacuterer les racines juridiques et morales

peut-il ecirctre relieacute agrave une eacutevolution plus globale que lon pourrait saisir dans lhistoire des

sciences La question est deacutelicate car la physique dominante inspireacutee dAristote sattachait

davantage aux causes quaux pheacutenomegravenes comme la montreacute Alexandre Koyreacute Le

pheacutenomegravene eacutetait essentiellement reacuteductible Pourtant un certain deacuteveloppement de la

factualiteacute scientifique sobservait preacuteciseacutement en ces derniegraveres anneacutees du XIIIe siegravecle soit du

cocircteacute des ingeacutenieurs comme le ceacutelegravebre Pierre de Maricourt qui deacutecrivait et expeacuterimentait les

proprieacuteteacutes de laimant en vue de lameacutelioration de la boussole Un grand penseur comme

Roger Bacon grand chantre de lexpeacuterimentation reacuteussissait agrave conjoindre dans son œuvre la

theacuteologie loptique et lalchimie en traquant des faits par lobservation La cateacutegorie fourre-

tout des laquo merveilles raquo (mirabilia) commenccedilait agrave seacutetioler au profit dune extension simultaneacutee

des pheacutenomegravenes miraculeux et des pheacutenomegravenes naturels Enfin une physique non-

aristoteacutelicienne raisonnant sur des cas-limites relevant dune factualiteacute reacuteelle mais rare se

mettait en place64

Lenquecircte et le fait

Sur le plan des poursuites judiciaires la notion de fait tendit agrave simposer quand agrave partir des

anneacutees 1230 la recherche des heacutereacutetiques au sein de populations largement complices prit un

caractegravere massif et exigea des critegraveres plus larges et des meacutethodes plus efficaces que

14

linterrogatoire individuel Un mandement de larchevecircque de Tarragone fut reacutedigeacute en mai

124265 avec laide du dominicain Raymond de Penyafort le grand juriste qui devint aussi

maicirctre geacuteneacuteral de lordre des precirccheurs afin laquo que lon procegravede plus clairement quant au fait

dheacutereacutesie (circa factum heresis) raquo Certes le mot factum a encore ici le sens dimputation

judiciaire quil avait dans le droit romain mais le deacutetail du mandement montre bien quil

importait deacutesormais de consideacuterer des actes qui ne relevaient pas directement de la croyance

Le texte en effet distingue sept classes de population relieacutees agrave lheacutereacutesie66 Or seule la

premiegravere est nommeacute heacutereacutetique parce quelle professe des croyances en perdurant dans lerreur

La seconde cateacutegorie les laquo croyants raquo (credentes) est assimileacutee aux heacutereacutetiques (il faut sans

doute comprendre quils sont mis agrave part avant lavertissement salutaire qui les transforme en

cas de refus dabjurer en heacutereacutetiques proprement dits) Ensuite viennent les laquo suspects raquo

dheacutereacutesie Seuls des actions et des faits construisent cette qualification eacutecouter la preacutedication

ou les confeacuterences des heacutereacutetiques (en ce cas il sagit dinsabbatici heacutereacutetiques difficiles agrave

identifier et qui sont citeacutes en compagnie des Pauvres de Lyon et des Vaudois) sagenouiller en

leur compagnie Un eacuteleacutement de croyance peut pourtant ecirctre ajouteacute les suspects croient que

les heacutereacutetiques en question sont de laquo bons hommes raquo Suivant la reacutepeacutetition des actes la

suspicion sera simple veacuteheacutemente ou tregraves veacuteheacutemente Viennent ensuite les complices passifs

les laquo non-deacutenonciateurs raquo (celatores) qui sabstiennent de reacuteveacuteler la preacutesence publique

dheacutereacutetiques les laquo dissimulateurs raquo (occultatores) laquo qui ont fait pacte de ne rien reacuteveacuteler raquo

(fecerunt pactum de non revelando) les laquo hocirctes raquo (receptatores) qui reccediloivent chez eux au

moins deux fois des heacutereacutetiques ou des reacuteunions dheacutereacutetiques les laquo deacutefenseurs raquo (defensores)

qui prennent le parti des heacutereacutetiques par la parole ou par le fait (verbo vel facto) soit par le

discours soit par une aide mateacuterielle67 Ces quatre derniegraveres cateacutegories sont rassembleacutees sous

la qualification de laquo soutiens raquo (fautores) de lheacutereacutesie Les deacutelits lieacutes aux heacutereacutesies sont pour

Raymond susceptibles de degreacutes (magis vel minus) alors que lheacutereacutesie proprement dite

implique une structure strictement binaire ougrave le vrai soppose agrave lerreur Lagrave encore cest le

droit qui construit par opposition le fait par opposition au ministegravere du confesseur qui in

foro conscientiae traite le continuum des fautes et manquements la tacircche de linquisiteur in

jure consiste agrave reacuteduire agrave la pureteacute binaire de lincrimination une foule de circonstances et

daction floues Plus tard dans le siegravecle la notion de laquo preacutesomption de droit raquo accrut encore

cette tendance

Mais lheacutesitation est encore grande le quatriegraveme point de la consultation porte sur la

qualification comme heacutereacutetique de celui qui embrasse un heacutereacutetique ou qui prie en sa

compagnie ou le cache laquo doit-il ecirctre jugeacute comme croyant en lerreur de lheacutereacutetique raquo La

reacuteponse eacutetait neacutegative Pourtant plus loin le texte suggegravere que les ossements de ceux qui ont

soutenu lheacutereacutesie doivent ecirctre exhumeacutes parce que laquo le soutien (fautoria) est la suite et le

compleacutement de lheacutereacutesie raquo Quelques anneacutees plus tocirct en 1235 dans un des premiers textes

consacreacutes aux regravegles de linquisition Raymond de Penyafort consideacuterait que ceux qui

heacutebergeaient des heacutereacutetiques (en loccurrence des Vaudois) devaient ecirctre jugeacutes comme

heacutereacutetiques parce quils croyaient que lEacuteglise se trompait en poursuivant les heacutereacutetiques68

On le voit la tentation eacutetait grande depuis les deacutebuts de linquisition de construire des faits

heacutereacutetiques Lorsque le 14 juin 1303 Guillaume de Plaisians preacutesenta au Louvre ses

accusations contre le pape Boniface VIII il lui reprocha davoir extorqueacute agrave des precirctres la

reacuteveacutelation de secrets confieacutes en confession pour les divulguer et les utiliser Il conclut cet

article en disant laquo En raison de cela il semble avoir eacuteteacute heacutereacutetique quant au sacrement de

peacutenitence (propter quod in sacramento penitentie hereticare videtur) raquo Cest donc bien un

acte manifesteacute par le verbe actif laquo heacutereacutetiquer raquo qui passe pour manifestation dheacutereacutesie

Comme le note Jean Coste dans son eacutedition du laquo procegraves raquo le cardinal Pietro Colonna qui

15

connaissait mieux le droit canonique avait ajouteacute dans la reacutedaction dun article analogue laquo le

mecircme Boniface proclamait de faccedilon doctrinale (dogmatizabat) quil avait le droit dagir

ainsi raquo69

En 1308-1309 lauteur dune nouvelle seacuterie darticles daccusation contre la meacutemoire de

Boniface que Jean Coste attribue agrave Nogaret70 introduit une distinction alors ineacutedite qui fut

reprise cinquante ans plus tard par Nicolas Eymerich71 entre les articles heacutereacutetiques les

erreurs relatives agrave un point de fait deacutejagrave condamneacute (facti damnati errores) et les opinions Mais

la simple mention de cette distinction sans application preacutecise ne permet pas de consideacuterer

que la notion de laquo fait heacutereacutetique raquo se deacuteveloppait veacuteritablement

Les juges deacuteleacutegueacutes au procegraves de Bernard Deacutelicieux en 1319 franchirent ce pas du moins

dans leur acte daccusation du 23 octobre 1319 ils ouvraient leur accusation en deacuteclarant sur

un ton tregraves leacutegislatif mais sans aucune alleacutegation de droit que tout homme seigneur puissant

ou juge qui oserait libeacuterer les prisonniers de linquisition refuser dexeacutecuter ses mandats

empecirccher la sentence ou le procegraves ou sopposer en quelque faccedilon agrave la poursuite des

heacutereacutetiques laquo encourt ipso facto une sentence dexcommunication et sil lencourt avec une

volonteacute reacutesolue pendant un an est alors condamneacute comme heacutereacutetique raquo72

Questions de proceacutedure

Face agrave la menace deacutemoniaque il importait dagir efficacement et rapidement mais ces deux

exigences eacutetaient contradictoires car lefficaciteacute supposait le lent et difficile eacutetablissement de

la veacuteriteacute Le pontife disposait dune multitude de solutions judiciaires qui impliquaient agrave la

fois des diffeacuterences dans les types de proceacutedure dans les ressorts juridictionnels et dans les

modaliteacutes de lenquecircte

LEacuteglise favorisait le deacuteveloppement de la proceacutedure inquisitoire (par enquecircte) au deacutetriment

du mode accusatoire selon un mouvement initieacute par des deacutecreacutetales dInnocent III agrave partir de

1198 dont la maturation se lit dans le canon 8 du concile de Latran IV (1215) On le sait la

proceacutedure accusatoire dominante jusquau XIIe siegravecle et qui a poursuivi sa carriegravere dans la

Common Law britannique et ameacutericaine reacuteserve lincrimination agrave un accusateur qui sengage

sur cette accusation et peut en pacirctir Le juge ou le jury se contente darbitrer Les deux

moments de laction sont constitueacutes par la construction minutieuse de la cause qui doit ecirctre

rigoureusement deacutefinie (en termes romains il sagit de la phase de litis contestatio) et par la

deacutelibeacuteration La proceacutedure inquisitoire en revanche favorise laccusation doffice formuleacutee

par un juge ou un prince agrave la suite dune laquo diffamation raquo deacuteriveacutee de leacutecoute dune rumeur

accusatrice Le procegraves met en œuvre deux enquecirctes successives la premiegravere eacutetablit cette

fama cette reacuteputation bonne ou mauvaise qui permet linculpation ou la relaxe la seconde

enquecircte construit la veacuteriteacute des faits porteacutes par la fama

Plusieurs ressorts juridictionnels pouvaient prendre en charge les invocateurs du deacutemon la

justice eacutepiscopale avec ses divers tribunaux le tribunal de linquisition et des commissions

pontificales ad hoc Linquisition fut creacuteeacutee par le pontificat agrave partir de 1233 en vue de

poursuivre lheacutereacutesie et elle garda longtemps cette speacutecialisation qui impliquait un recrutement

de juges plus theacuteologiens que juristes Il est difficile de porter un jugement serein sur

linquisition meacutedieacutevale tant son image a fait lobjet de controverses violentes Certains

meacutedieacutevistes ont tenteacute non sans quelques raisons de rejeter la folie perseacutecutrice associeacutee agrave

cette image Edward Peters a montreacute comment avait pu se construire dans la suite des temps

un veacuteritable mythe noir de linquisition73 un article retentissant de Richard Kieckhefer a mis

16

en doute la reacutealiteacute institutionnelle de linquisition74 De fait lopinion commune a souvent

confondu les reacutealiteacutes implacables de lInquisition romaine (creacuteeacutee en 1542) et surtout de

lInquisition castillane (institution eacutetatique fondeacutee en 1481-1482) avec les tentatives limiteacutees

et souvent incoheacuterentes de linquisition meacutedieacutevale Pourtant linquisition meacutedieacutevale a bien

existeacute comme institution puissante en deacutepit de sa faible assise Linquisiteur eacutetait nommeacute par

le saint Siegravege mais demeurait eacutetroitement lieacute agrave lordre religieux dont il provenait (lordre

dominicain pour lessentiel mais aussi lordre franciscain et dans une moindre mesure

lordre des carmes) Sa pratique quotidienne le mettait en relation eacutetroite avec le pouvoir

seacuteculier

Les commissions speacuteciales du pape deacuterivaient en un sens de la justice deacuteleacutegueacutee des pontifes

instaureacutee depuis le XIIe siegravecle mais elles prirent une importance particuliegravere sous le pontificat

de Jean XXII pour des raisons que nous examinerons plus loin Limportance des faits

deacutemoniaques conduisit Jean XXII agrave lever beaucoup de garanties judiciaires et gracieuses75 et

agrave confier les affaires de complot avec soupccedilons magiques ou deacutemonologiques agrave des

commissions pontificales qui se reacuteclamaient de la proceacutedure sommaire La notion de

proceacutedure sommaire sest lentement deacuteveloppeacutee depuis la fin du XIIe siegravecle dans le droit

canonique Il sagissait de formaliser les efforts des deacutecennies preacuteceacutedentes en matiegravere

darbitrage ou de compromis internes agrave lEacuteglise en reacuteaction aux excegraves de juridisme qui avaient

eacuteteacute deacutenonceacutes par saint Bernard dans son retentissant traiteacute De consideratione La notion

dlaquo eacutequiteacute canonique raquo eacutetait opposeacutee agrave la rigor iuris des civilistes La proceacutedure trouva

lentement sa forme agrave partir deacuteleacutements eacutepars dans le droit romain par agglomeacuteration de

clausules indeacutependantes si les parties eacutetaient daccord la cognitio summaria (traduite dans

nos textes par ladverbe summarie ou simpliciter) impliquait dalleacuteger les charges de preuves

on pouvait se contenter de preuves laquo semi-pleines raquo (un simple serment un teacutemoin ou un

document unique) et de la phase proprement proceacutedurale dun procegraves la reacutedaction dun

laquo livret raquo (libellus) et le deacutebat de la litis contestatio (qui eacutetablissait les rocircles judiciaires et les

enjeux du procegraves) devenaient facultatifs La mention dune proceacutedure de plano qui renvoyait

agrave linutiliteacute de sieacuteger formellement en tribunal insistait davantage sur la rapiditeacute et labsence de

formes externes Enfin les clausules sine strepitu judiciorum (sans le vacarme des procegraves) et

sine figura judicii (sans la forme du procegraves) compleacutetaient cette simplification en insistant sur

la suppression des avocats et des formes bruyantes dopposition et de recours

Agrave leacutepoque de Jean XXII cette formalisation de larbitrage eccleacutesiastique venait agrave peine de

sachever par la publication de deux deacutecreacutetales de Cleacutement V Dispendiosam produite pour le

concile de Vienne en 1311-1312 et Saepe reacutedigeacutee en 1314 Dispendiosam76 deacuteclarait de

faccedilon fort bregraveve que la proceacutedure sommaire pouvait sappliquer dune part aux cas deacutejagrave preacutevus

par le droit canonique du XIIIe siegravecle quant aux affaires propres de lEacuteglise (laquo eacutelections

demandes et provisions attributions de digniteacutes de fonctions de charges de canonicats de

preacutebendes et autres beacuteneacutefices eccleacutesiastiques raquo et contentieux sur les dicircmes) mais aussi sur les

questions de mariage et dusure Cette extension eacutetait consideacuterable et aboutissait agrave fournir la

possibiliteacute de proceacutedure sommaire pour la quasi totaliteacute des affaires eacutevoqueacutees par lEacuteglise

Seules les successions neacutetaient pas mentionneacutees mais elles interfeacuteraient neacutecessairement avec

les causes matrimoniales La deacutecreacutetale Saepe77

deacutetaillait plus longuement les particulariteacutes de

la proceacutedure sommaire et reacutesumait soigneusement les traits assembleacutes depuis pregraves dun siegravecle

Lusage parallegravele de la proceacutedure sommaire en matiegravere de poursuite de lheacutereacutesie ne se laisse

pas facilement deacutechiffrer car la filiation par rapport agrave la doctrine de larbitrage y perd tout

sens Le seul point commun des deux usages tient au rocircle essentiel du juge chargeacute agrave la fois de

la proceacutedure de linstruction et de la deacutecision Pourtant ce nest pas avant la deacutecreacutetale Statuta

17

quedam promulgueacutee par Boniface VIII dans son Liber Sextus en 1296-1298 que la proceacutedure

sommaire fut accordeacutee explicitement agrave la proceacutedure inquisitoriale laquo En collationnant certains

statuts de nos preacutedeacutecesseurs dheureuse meacutemoire Innocent Alexandre et Cleacutement et en

interpreacutetant et ajoutant certains points nous accordons que dans les affaires dinquisition sur

la perversion heacutereacutetique il puisse ecirctre proceacutedeacute de faccedilon simple et informelle sans vacarme ni

apparence des avocats et des jugements (procedi possit simpliciter et de plano et absque

advocatorum ac judiciorum strepitu et figura) raquo La suite de la deacutecreacutetale justifie le secret sur

les noms des teacutemoins ou accusateurs pour raison de seacutecuriteacute

Procegraves et majesteacute

Tous les niveaux et distinctions que nous venons desquisser se mecirclaient dans la pratique

judiciaire puisque linquisition se fondait largement sur la proceacutedure inquisitoire tandis que

des eacutevecircques comme Jacques Fournier le ceacutelegravebre eacutevecircque de Pamiers ou Guido Terreni

eacutevecircque de Majorque puis dElne recevaient du pape des fonctions dinquisiteur dans leur

diocegravese

Pourtant Jean XXII navait guegravere confiance dans la justice des eacutevecircques Il savait que les

eacutevecircques pouvaient souvent preacutefeacuterer la paix du diocegravese agrave lexigence de la veacuteriteacute Ainsi agrave

lefficace et zeacuteleacute Jacques Fournier avait succeacutedeacute en 1326 Dominique Grima brillant

theacuteologien ancien assistant inquisiteur de Bernard Gui agrave Toulouse qui sattira le courroux du

pape pour sa neacutegligence dans la poursuite de lheacutereacutesie78 Le pape preacutefeacutera freacutequemment utiliser

des commissions speacuteciales denquecircte et de jugement selon la proceacutedure sommaire plutocirct que

les tribunaux inquisitoriaux Ce fut le cas notamment pour les procegraves de Hugues Geacuteraud de

Robert de Mauvoisin et de Bernard Deacutelicieux Parfois limputation de crime de legravese-majesteacute

permit de donner une latitude encore plus large aux proceacutedures extraordinaires ainsi le 12

avril 1331 sur plainte du roi de France le pape ordonna agrave leacutevecircque de Paris de proceacuteder

contre Hertaud abbeacute dun monastegravere du diocegravese dAutun et contre Jean Albeacutericus dominicain

sur leurs laquo maleacutefices et excegraves raquo (super maleficiis et excessibus) contre le roi et sa cour raquo Il

sagit certainement de pratiques magiques (multis maleficiis) qui attentaient au laquo salut public raquo

et qui en tout cas relevaient du crime de legravese-majesteacute Or le pape en ce cas non seulement

ordonna une proceacutedure sommaire (simpliciter et de plano sine strepitu et figura judicii) mais

leva tous les privilegraveges et garanties des deux religieux autorisant leur arrestation (captionem)

leur incarceacuteration et leur torture (necnon questionibus subici prout a canonibus est

permissum)79

On peut se demander pourquoi Jean XXII fut si reacuteticent agrave confier les causes deacutemoniaques agrave

linquisition au moment mecircme ougrave il tentait dassimiler linvocation des deacutemons agrave lheacutereacutesie La

reacuteponse la plus commune agrave cette question relie ce choix au caractegravere politique de bien des

affaires ougrave le deacutemon semble intervenir comme preacutetexte plutocirct que comme cause De fait les

proceacutedures exceptionnelles qui mecirclent lattentat contre la majesteacute royale ou divine les

accusations dheacutereacutesie et les imputations de sorcellerie ou dinvocation des deacutemons doivent ecirctre

relieacutees agrave la grande vague des procegraves politiques qui avait commenceacute degraves le deacutebut du XIVe

siegravecle cest Philippe le Bel80 qui avait lanceacute degraves 1303 le procegraves contre le pape

Boniface VIII81 accuseacute entre autres davoir invoqueacute les deacutemons et consulteacute des magiciens

puis le roi entre 1306 et 1314 sen eacutetait pris aux Templiers comme adorateurs du diable

Entre 1308 et 1314 Philippe le Bel avait inculpeacute Guichard eacutevecircque de Troyes qui aurait

conspireacute en vue de tuer la reine et dautres personnaliteacutes princiegraveres par lusage de poisons et

dimages magiques82 En 1315 Enguerrand de Marigny qui avait si efficacement collaboreacute agrave

ces procegraves fut lui-mecircme pendu pour avoir nui au roi Louis X et agrave Charles de Valois par des

18

images magiques83 Jean XXII prit le relais avec les procegraves contre Hugues Geacuteraud eacutevecircque

de Cahors84 en 1317 contre Mateo et Galeazzo Visconti en 132085 contre les allieacutes de

Federico de Montefeltro dans la Marche dAncocircne86 Dans tous ces cas la parfaite

correspondance entre la graviteacute des accusations et la position antagoniste des inculpeacutes incite agrave

voir dans ces procegraves de simples et cyniques manœuvres ougrave lexception judiciaire doit

confirmer la regravegle politique

Cette interpreacutetation rend imparfaitement compte des reacutealiteacutes leacutecrasement des adversaires ne

fut pas systeacutematique les graves accusations contre Bernard Deacutelicieux quant au meurtre

deacutemoniaque de Cleacutement V ne furent pas assumeacutees dans le jugement contrairement agrave ce qui se

passa pour Hugues Geacuteraud Robert de Mauvoisin sen tira avec une simple eacutejection de son

siegravege archieacutepiscopal Certes les juges avaient quelque autonomie mais on peut penser que le

pape avait eacuteprouveacute de reacuteels doutes quant agrave la culpabiliteacute des accuseacutes Ces interrogations

rendent peut-ecirctre compte de la consultation de 1320 qui relevait moins de la discussion

quodlibeacutetale ou de la colleacutegialiteacute de deacutecision que du besoin dexpertise

Meacutefiance de linquisition

Les choix de proceacutedure de Jean XXII doivent sexpliquer autrement La preacutefeacuterence pour la

forme extraordinaire tient dabord agrave une grande meacutefiance de linquisition Les inquisiteurs

avaient tendance agrave poursuivre sans tenir compte des rangs sociaux ni des circonstances

politiques la fameuse affaire de Jean lArchevesque sieur de Parthenay mecircleacute agrave des pratiques

de sortilegravege vers 1323 le montre bien Linquisiteur seacutetait attaqueacute agrave un personnage puissant

beacuteneacuteficiant de protections royales qui avait reacuteussi agrave obtenir la consultation dun grand juriste

Oldrado da Ponte87 Agrave deux reprises le pape eacutecrivit aux inquisiteurs de Carcassonne pour

leur enjoindre de ne pas tourmenter inutilement les consuls et bourgeois de Montpellier88

Le pape avait pu aussi eacuteprouver lextrecircme impopulariteacute de linquisition patente dans laffaire

Bernard Deacutelicieux un simple agitateur avait failli renverser le pouvoir monarchique franccedilais

en liguant les couches citadines hostiles agrave lintervention des inquisiteurs En 1317-1318 cest

le zegravele excessif de Michel Le Moine inquisiteur franciscain de Provence qui avait enflammeacute

la reacutesistance beacuteguine dans le Midi par lexaltation des martyrs de Marseille En 1321-1322

cest le manque de discernement de linquisiteur Jean de Beaune agrave Beacuteziers qui avait entraicircneacute le

pape sur un terrain impreacutevu Linquisiteur ne mesurait pas toujours la porteacutee de ses actes et

surtout il pouvait agir trop publiquement du moins dans la phase initiale (la proclamation de

lenquecircte) et dans sa phase conclusive (le sermon geacuteneacuteral) ainsi cest la dispute publique

entre linquisiteur de Carcassonne Jean de Beaune et le lecteur franciscain du couvent de

Narbonne Beacuteranger Talon qui avait provoqueacute la reprise du deacutebat sur la pauvreteacute du Christ

Enfin et surtout linquisition jouissait dune certaine indeacutependance par rapport au pouvoir

pontifical dune part sa nomination deacutependait aussi du bon vouloir du maicirctre geacuteneacuteral des

dominicains ou du ministre geacuteneacuteral des franciscains Dautre part il pouvait agrave loccasion se

rapprocher du pouvoir royal On peut se demander si la diffeacuterence de deacutenomination des

inquisiteurs de Carcassonnne et de Toulouse entre 1320 et 1330 dans les lettres citeacutees plus

haut reacutedigeacutees par Guillaume de Peyre Godin puis par le pape ne traduit pas cette perception

dans le premier cas le cardinal sadresse laquo agrave linquisiteur de la perversion heacutereacutetique de la

reacutegion de Carcassonne raquo dans le second cas il sagit de laquo linquisiteur de la perversion

heacutereacutetique deacuteputeacute par le Siegravege apostolique dans le royaume de France en reacutesidence agrave

Carcassonne raquo Le soin de cette seconde formulation insiste sur le fait que lorigine du pouvoir

inquisitorial se trouve bien dans le pontificat De fait linquisition meacuteridionale apregraves les

froissements ducircs agrave laffaire Bernard Deacutelicieux ougrave les officiers royaux avaient toleacutereacute ou mecircme

19

soutenu le trublion franciscain avait eacuteteacute largement instrumentaliseacutee par la monarchie comme

le montrait laffaire des Templiers

En outre le pontife eacutetait fort irriteacute du manque de respect de certains inquisiteurs pour le droit

Ainsi en 1331 il reccedilut et approuva les plaintes de maicirctre Jean Anselme de Gecircnes chirurgien

et de Reacuteginald de Cravant clerc du diocegravese dAuxerre qui avaient eacuteteacute faussement accuseacutes

dheacutereacutesie et de maleacutefices par linquisiteur de France Aubert de Chacirclons et par leacutevecircque de Paris

Hugues Michel de Besanccedilon Le pontife leur reprochait davoir agi sans avoir eacutetabli aucune

infamie anteacuterieure sans respecter lordre judiciaire sans permettre aucune deacutefense leacutegitime89

Il nest pas besoin dimaginer un Jean XXII soucieux de justice par formation professionnelle

comme on la vu lordre du droit permettait deacutetablir soigneusement la veacuteriteacute qui importait

bien davantage que la reacutepression Le cas de la censure du commentaire dOlivi sur

lApocalypse le montre bien le texte eacutetait dangereux puisquil inspirait directement les

Beacuteguins par le biais dabreacutegeacutes et de traductions en langue vernaculaire Le contenu anti-

pontifical de ce texte eacutetait manifeste Pourtant le pape usa directement ou indirectement de

quatre commissions diffeacuterentes durant huit ans (1318-1326) avec un suppleacutement denquecircte

en 1322 avant darriver agrave une condamnation Le reacutesultat reacutepressif eacutetait certainement acquis

degraves 1318 mais il importait de suivre minutieusement les chemins de lerreur Ce souci

apparaicirct clairement dans une lettre adresseacutee par le pape en 1330 agrave Henri Chamayou

inquisiteur de Carcassonne90 qui avait reacuteussi agrave faire arrecircter deux heacutereacutetiques italiens qui

avaient confesseacute leur crime Le pontife feacutelicite chaleureusement linquisiteur mais lengage

fermement agrave poursuivre lenquecircte bien quil ait deacutejagrave en main tous les eacuteleacutements pour les

condamner laquo parce que nous croyons que tu aurais du connaicirctre une veacuteriteacute plus ample

(novisse te plenius credimus veritatem) au sujet de ce pour quoi ils tont eacuteteacute livreacutes nous

voulons et il nous plaicirct quayant Dieu seul devant les yeux tu veilles selon lexigence de la

justice agrave ne pas neacutegliger ce que tu sauras ecirctre adeacutequat en cette affaire raquo

Ces recommandations neacutetaient pas de pure forme la logique de linquisition ne la conduisait

pas vers leacutelucidation neacutecessaire agrave la cause des deacutemoniaques Linstitution demeurait

profondeacutement theacuteologienne et non juriste Le fondement proceacutedural de linquisition reposait

moins sur la poursuite doffice et lenquecircte que sur la troisiegraveme forme de poursuite (agrave cocircteacute de

la proceacutedure inquisitoire et de la proceacutedure accusatoire) deacutefinie par Innocent III au canon 8 du

concile de Latran la deacutenonciation eacutevangeacutelique issue de la correction fraternelle Or la

deacutenonciation orientait la poursuite vers la peacutenitence La confession rapidement obtenue par la

menace la terreur ou la torture conduisait agrave la demande dabsolution chegraverement neacutegocieacutee Il

importait agrave linquisiteur dobtenir au plus vite cette confession sans trop sattarder dans

lenquecircte sur la fama ou sur la veacuteriteacute neutraliseacutee par laveu Paradoxalement un accuseacute avait

de meilleures chances avec les proceacutedures sommaires chegraveres au pape quavec linquisition

parce que la veacuteriteacute pouvait contraindre le pape agrave la mansueacutetude tandis que la meacutecanique de la

culpabiliteacute ineacutevitable de tout peacutecheur entraicircnait tout inculpeacute dans la collectiviteacute peacutenale de

linquisition

Cest peut-ecirctre ces problegravemes de proceacutedure qui ont provoqueacute ce que Jean-Patrice Boudet

appelait plaisamment le laquo retard agrave lallumage raquo dans la poursuite des sorciers au XIVe siegravecle

tant que la papauteacute fut reacuteticente agrave deacuteleacuteguer son pouvoir denquecircte les limites mateacuterielles de la

justice pontificale empecircchegraverent la diffusion capillaire de limputation et de la reacutepression Et

preacuteciseacutement cest labandon forceacute de labsolutisme pontifical apregraves les conciles de Constance

et de Bacircle qui ouvrit les premiegraveres campagnes judiciaires et doctrinales contre les sorciers et

adorateurs du deacutemon dans les anneacutees 1430-1440 Mais le deacuteveloppement rapide de la

20

deacutemonologie avait eacuteteacute bien preacutepareacute par un pape qui tenait agrave consideacuterer lucidement les zones

obscures ougrave le deacutemon pouvait passer

Notes de bas de page

1 B Gui Manuel de linquisiteur eacuted par G Mollat Paris 1926-1927

2 P Paravy De la chreacutetienteacute romaine agrave la Reacuteforme en Dauphineacute Eacutevecircques fidegraveles et deacuteviants

(vers 1340-vers 1530) Rome 1993

3 LImaginaire du sabbat Eacutedition critique des textes les plus anciens (1430 ca-1440 ca)

reacuteunis par M Ostorero A Paravicini Bagliani K Utz Tremp en collaboration avec C Chegravene

Lausanne 1999

4 R KIECKHEFER European Witch Trials Their Foundations in Popular and Learned

Culture 1300-1500 Londres 1976 Carlo Ginzburg commence sa seacuterie explicative des

formes occidentales du sabbat en 1321 mais selon un modegravele totalement opposeacute au nocirctre

5 Bonn 1901

6 L THORNDIKE A History of Magic and Experimental Science vol III New York 1934

p 18 sq

7 Voir N Weill-Parot Les laquo Images astrologiques raquo au Moyen Acircge et agrave la Renaissance

Speacuteculations intellectuelles et pratiques magiques (XIIe-XV

e s) Paris 2002 p 377-385 et Id

laquo Les intellectuels lEacuteglise et la magie dans la premiegravere moitieacute du xive s raquo (meacutemoire de

maicirctrise Paris I 1990) Je tiens agrave remercier N Weill-Parot pour ses commentaires sur le

preacutesent article

8 laquo Quod cum morte fedus ineunt et pactum faciunt cum inferno Demonibus namque

immolant hos adorant raquo

9 Liber Sextus V II cap 8

10 Cause XXVI qu 5 cap 12 eacuted Friedberg col 1080

11 Voir A Boureau laquo De la feacutelonie agrave la haute trahison Un eacutepisode la trahison des clercs

(version du xiie s) raquo Le Genre Humain 16-17 1988 p 267-291

12 Venise 1595 XLIII 9 p 341-342

13 laquo Simpliciter et de plano ac sine strepitu et figura judicii appellatione remota raquo Lettre

publieacutee par J-M Vidal Bullaire de lInquisition franccedilaise Paris 1913 no 284 p 403-404

14 laquo Nonnulli etiam quandoque litterati in hoc se opponunt pretendentes id ad tuum non

expectare officium secundum canonicas sanctiones raquo

15 J-P Boudet laquo Les condamnations de la magie agrave Paris en 1398 raquo Revue Mabillon n s 12

(t 73) 2001 p 121-157

16 B Hamilton The Medieval Inquisition Londres 1981 p 94

17 Dans une lettre de 1336 adresseacutee agrave lofficial dAvignon Benoicirct XII successeur de

Jean XXII range agrave nouveau les sortilegraveges parmi les crimes qui touchent la foi (J-M Vidal

Bullaire op cit no 153 p 229-230) En 1405 Benoicirct XIII deacuteclare nuls les privilegraveges des

habitants du diocegravese du Puy qui preacutetendaient que linquisiteur de Carcassonne ne pouvait les

poursuivre pour maleacutefices (J-M Vidal Bullaire op cit no 332 p 473-474)

18 La premiegravere eacutedition a eacuteteacute procureacutee par Jean Chappuis en 1500 Pour la formation des deux

collections voir A M Stickler Historia Iuris Canonici Institutiones Academicae T I

Historia Fontium Rome 1950 p 270-271

19 Les seules mentions de la bulle se trouvent on la dit dans le manuel de Nicolas Eymerich

(1376) dans les Annales eccleacutesiastiques de Rinaldi et dans un bullaire romain du xviiie s

20 Voir A MAIER dans laquo Eine Verfuumlgung Johannis XXII uumlber die Zustaumlndigkeit der

Inquisition fuumlr Zauberprozesse raquo Archivium Fratrum Praedicatorum 32 1952 p 226-246

21 A Maier loc cit p 231

21

22 Publieacutee par R Manselli laquo Enrico del Carretto e la consultazione sulla magia di Giovanni

XXII raquo dans Miscellanea in onore di Monsignore Martino Giusti t II Vatican 1978 p 97-

129

23 Il est possible aussi que linterrogation doctrinale ait eacuteteacute anticipeacutee par Guido Terreni un

des dix experts de la consultation de 1320 dans son sixiegraveme quolibet laquo Est-ce que celui qui

baptise une chose sans acircme ou sans raison et non pas un homme est heacutereacutetique raquo ms BAV

Borghese 39 fo 238v

o-240v

o que je publie en annexe de la consultation Mais la date de ce

quolibet demeure incertaine

24 laquo Fecisti plantas pedum eiusdem mulieris iuxta carbones accensos apponi raquo texte publieacute

par J-M Vidal Bullaire op cit p 51-52

25 laquo Diu post confessionem debitum nature persoluitverum quia dubitatur ne propter

predicta tormenta citius decesserit quam alias decessisset mulier supradicta si tormentata

minime extitisset raquo

26 laquo Erronea et horrenda contra catholicam fidem fuit confessa et multos consocios et

complices reuelauitque omnia sic inuenta ut communiter creditur numquam reuelata

fuissent nisi mediantibus tormentis eiusdem predicta mulier reuelasset raquo

27 laquo De consilio proborum qui se asserebant uidisse penis examinati hereticos in partibus

Tholosanis raquo

28 J-M Vidal Bullaire op cit no 24 p 53-54

29 Ex certa sciencia sur cette clausule de labsolutisme pontifical voir A Boureau La Loi

du royaume Les moines le droit et la construction de la nation anglaise Paris 2001 avec

renvoi aux travaux de Jacques Krynen

30 Publieacutee par J-M Vidal Bullaire op cit p 61 Une meilleure eacutedition a eacuteteacute procureacutee par

A Maier loc cit p 226-227

31 J-M Vidal Bullaire op cit no 72 p 118-119

32 La commission fut reacuteiteacutereacutee le 8 novembre 1327 ibid no 78 bis p 129-130

33 Voir A Boureau laquo Saints et deacutemons dans les procegraves de canonisation du deacutebut du xive s raquo

agrave paraicirctre dans les actes du colloque de Budapest sur les procegraves de canonisation dir Gaacutebor

Klaniczay

34 B Gui Manuel de linquisiteur eacuted et trad par G Mollat op cit t I p 52

35 Publieacutees par J-M Vidal Bullaire op cit no 103 p 154-156

36 Henri de Chamayou

37 Pierre Brun

38 La qualification dheacutereacutesie de la part du pape agrave propos des invocations deacutemoniaques na

jamais cesseacute Voir par exemple une lettre de 1323 qui deacutesigne des commissaires pour juger

le moine Guillaume de Figeac accuseacute de laquo deacutevier de la foi catholique raquo en pratiquant

lalchimie et la neacutecromancie (J-M Vidal Bullaire op cit no 50 p 87-88)

39 F Graf La Magie dans lAntiquiteacute greacuteco-romaine Ideacuteologie et pratique Paris 1994

40 Voir le reacutecit par Pierre le Veacuteneacuterable vers 1137 dun usage magique de lhostie consacreacutee

par un paysan deacutesireux de retenir ses abeilles Livre des merveilles de Dieu (De miraculis)

introduction traduction et notes de J-P Torrell et D Bouthillier FribourgParis 1992 p 70-

72 Je remercie Charles de Miramon de mavoir signaleacute ce texte

41 Voir les travaux reacutealiseacutes autour de Richard Kieckhefer et Claire Faenger aux Eacutetats-Unis

autour de Jean-Patrice Boudet et Henri Bresc en France notamment

42 Dans sa biographie collective des deux premiegraveres geacuteneacuterations de dominicains eacutecrite au

deacutebut des anneacutees 1260 Geacuterard de Frachet ne rapporte quun seul cas de fregravere qui se voue agrave

lalchimie et il ne trouve agrave lui reprocher que son deacutesir de senrichir rapidement Son activiteacute

consiste alors essentiellement agrave se rendre en Sardaigne pour y collecter des mineacuteraux rares

Son funeste sort ultime ne sexplique que par cet abandon de Dieu au profit de la richesse

22

seacuteculiegravere (Vitae Fratrum Ordinis Praedicatorum eacuted par B-M Reichert Rome-Stuttgart

Monumenta Ordinis Fratrum Praedicatorum Historica 1897 p 290)

43 La Condamnation parisienne de 1277 eacuted et trad par D Picheacute avec la collaboration de

C Lafleur Paris 1999 p 77

44 A Paravicini Bagliani Il corpo del papa Turin 1994

45 Preacuteface agrave Le crisi dellalchimia Micrologus 3 1995 p VIII

46 Voir leacutedition du procegraves dans J Shatzmiller Justice et injustice au deacutebut du XIVe s

Lenquecircte sur larchevecircque dAix et sa renonciation en 1318 Rome 1999

47 Voir une lettre de feacutevrier 1330 dans Lettres secregravetes et curiales du pape Jean XXII (1316-

1334) relatives agrave la France eacuted par A Coulon et S Cleacutemencet fasc 8 Paris 1965 no 4100

p 104-105 [abreacutegeacute deacutesormais Coulon-Cleacutemencet] lettre agrave Jean de Badas inquisiteur

franciscain de Marseille sur un crime nefandum commis par Gantalmus Gantalmi notaire et

sa femme Berengegravere instigatione diabolica circumventi agrave lencontre de Guillaume de Baucio

sire de Berre

48 Texte publieacute par J HANSEN Quellen und Untersuchungen op cit no 3 p 2

49 Notons quen 1318 les rites de conseacutecration des miroirs et images paraissent speacutecifiques

alors quen 1320 dans les questions poseacutees par le pape aux experts les invocateurs de deacutemons

utilisent le rite catholique du baptecircme pour preacuteparer leurs images

50 A Paravicini Bagliani Il corpo del papa op cit

51 C H JOSTEN laquo The Text of John Dastins letter to Pope John XXII raquo Ambix 4 1951

p 46-51

52 E Albe Autour de Jean XXII Hugues Geacuteraud eacutevecircque de Cahors laffaire des poisons et

envoucirctements en 1317 Cahors 1904 p 163-164

53 Processus Bernardi Deliciosi The Trial of Fr Bernard Deacutelicieux 3 September-8

December 1319 eacutediteacute par A Friedlander Philadelphie 1996 p 62 Pour une eacutetude complegravete

du dossier voir A Friedlander The Hammer of the Inquisitors Brother Bernard Deacutelicieux

and the Struggle against the Inquisition in Fourteenth-Century France Leyde 2000

54 Coulon-Cleacutemencet no 2969 p 151

55 Coulon-Cleacutemencet no 2395 p 47

56 Sermon sur la vigile de lEacutepiphanie 5 janvier 1332 eacuted par M Dykmans Les Sermons de

Jean XXII sur la vision beacuteatifique Rome (Miscellanea Historiae Pontificiae 34) p 145

57 Les actes du procegraves ont eacuteteacute publieacutes par J-MVidal laquo Procegraves dinquisition contre Adheacutemar

de Mosset raquo Revue dHistoire de lEacuteglise de France 1 1910 Lanecdote se trouve agrave la p 713

58 Ces interrogations sur la laquo situation raquo spirituelle eacutetaient freacutequemment exprimeacutees Dans sa

correspondance avec les grands de ce monde le pape doit souvent reacutepondre agrave ce genre de

question en termes agrave vrai dire assez geacuteneacuteraux

59 Coulon-Cleacutemencet fasc 8 Paris 1965 no 4197 p 126 Lettre analogue en feacutevrier 1331

(no 4452 t 9 p 41)

60 On peut se demander si ce nest pas cette fideacuteliteacute litteacuterale au texte biblique qui a contribueacute agrave

pousser le pape agrave intervenir sur la question de la vision beacuteatifique question ougrave les partisans de

la vision directe de Dieu avant le jugement final ne trouvaient aucun appui scripturaire direct

61 On trouve une formulation parallegravele dans Quia quorumdam mentes (10 novembre 1324)

62 Voir A Boureau laquo Droit naturel et abstraction judiciaire Hypothegraveses sur la nature du droit

meacutedieacuteval raquo Annales HSS 57 6 2002 p 1463-1488

63 Voir A Boureau laquo La redeacutecouverte de lautonomie du corps leacutemergence du somnambule

(xiiie-xiv

e s) raquo Micrologus I 1993 p 27-42

64 Sur toutes ces questions je me permets de renvoyer au chap 8 de mon ouvrage Theacuteologie

science et censure au XIIIe s Le cas de Jean Peckham Paris 1999

23

65 Publieacute par J Rius Serra dans Sancti Raymundi de Penyafort opera omnia t III

Diplomatario (Documentos Vida antigua Cronicas Processos antiguos) Barcelone 1954

p 74-82

66 Cette typologie fut reprise par le pape Alexandre IV une dizaine danneacutees plus tard et

eacutediteacutee par Boniface VIII dans le Sexte (L 5 tit 2 cap 2 6 11 eacuted Friedberg II col 1069

1071 1073) Voir aussi le traiteacute Doctrina de modo procedendi erga hereticos (vers 1280)

dans Martegravene et Durand Thesaurus novus anecdotum t 5 Paris 1717 col 1797 et la

Practica de Bernard Gui (p 226-232)

67 Bien avant la creacuteation de lInquisition le troisiegraveme concile de Latran (1179) avait frappeacute

danathegraveme et priveacute de seacutepulture les defensores et receptatores dheacutereacutetiques (Deacutecreacutetales L 5

tit 7 cap 8 eacuted Friedberg II col 1780)

68 Ibid p 29-32

69 Texte eacutediteacute par J Coste Boniface VIII en procegraves Articles daccusation et deacutepositions de

teacutemoins (1303-1311) Eacutedition critique introduction et notes Rome 1995 p 153

70 Nogaret originaire de Saint-Feacutelix-de-Caraman haut-lieu cathare petit-fils dun ministre

heacutereacutetique avait certainement une bonne connaissance de la perseacutecution de lheacutereacutesie en deacutepit

de sa formation de civiliste

71 Directorium op cit seconde partie question 2

72 Processus op cit p 180

73 E PETERS Inquisition Berkeley 1988

74 R KIECKHEFER laquo The Office of Inquisition and Medieval heresy the Transition from a

Personal to an Institutional Juridiction raquo Journal of Ecclesiastical History 46 1995 p 36-

61

75 Ainsi le pape deacutecida de suspendre le droit dasile dans les eacuteglises au deacutetriment des

heacutereacutetiques mais pas speacutecifiquement des auteurs de sortilegraveges (Lettre au roi de France Philippe

VI en 1328 publieacutee par J-M Vidal Bullaire op cit no 79 p 130-131)

76 Eacuted FRIEDBERG t II col 1078

77 Ibid col 1200

78 Voir la lettre dure que lui adressa le pape Jean XXII le 6 octobre 1332 (J-M Vidal

Bullaire op cit no 124 p 184)

79 Coulon-Cleacutemencet no 4539 fasc 9 p 59-60

80 Lattention precircteacutee agrave Philippe le Bel et agrave Jean XXII ne doit pas faire oublier que ce type

daccusation politico-deacutemonologique est deacutepoque comme le montre dans un tout autre

contexte le procegraves intenteacute agrave Walter Langton eacutevecircque de Coventry en 1301-1303 avec

mention dadoration diabolique (voir A Beardwood laquo The Trial of Walter Langton bishop of

Lichfield 1307-1312 raquo Transactions of the American Philosophical Society NS 54 p III

Philadelphie 1964

81 Voir J Coste Boniface VIII en procegraves op cit

82 A Rigault Le Procegraves de Guichard eacutevecircque de Troyes 1308-1313 Paris 1896

83 J Favier Un conseiller de Philippe le Bel Enguerrand de Marigny Paris 1963 Il faut

mentionner peu apregraves le procegraves contre le cardinal Francesco Gaetani poursuivi par les cours

royales pour attentat contre le roi son fregravere et deux cardinaux agrave laide dimages magiques

(voir C Langlois laquo Laffaire du cardinal Francesco Gaetani (avril 1316) raquo Revue historique

63 1897 p 56-71)

84 E Albe Autour de Jean XXII op cit

85 R Michel laquo Le procegraves de Mateo et Galeazzo Visconti laccusation de sorcellerie et

dheacutereacutesie Dante et laffaire de lenvoucirctement (1320) raquo Meacutelanges darcheacuteologie et dhistoire

29 1909 p 269-327

86 F Bock laquo I processi di Giovanni XXII contro i Ghibellini delle Marche raquo Bolletino

dellIstituto storico italiano per il Medio Evo 57 1941 p 19-43

24

87 Voir J-M Vidal laquo Le sieur de Parthenay et lInquisition (1323-1325) raquo Bulletin

historique et philologique 1903 p 414-434

88 J-M Vidal Bullaire op cit no 20 p 44 et n

o 76 p 126-127

89 J-M Vidal Bullaire op cit nos

109 et 110 p 167-171

90 J-M Vidal Bullaire op cit no 90 p 144

Alain Boureau

EHESS CRH GAS 54 boulevard Raspail F-75006 Paris

Pour citer cet article

Alain Boureau laquoSatan heacutereacutetique lrsquoinstitution judiciaire de la deacutemonologie sous Jean XXIIraquo

Meacutedieacutevales 44 (2003) httpmedievalesrevuesorgdocument711html

Page 10: Satan hérétique : l’institution judiciaire de la ..._Droit_Canonique/Curiosite/Satan heretique.pdf · e siècle, mais la mutation considérable de procédure qui a assimilé les

10

Bertrand disposait de complices dont deux sont nommeacutes dans la lettre Ils avaient eacuteteacute pris sur

le fait quand ils emportaient sur des fourches patibulaires deux tecirctes et un bras de pendus Le

laiumlc avait avoueacute et avait eacuteteacute livreacute aux flammes le clerc fut emprisonneacute dans les cachots de

leacutevecircque dAgen Leacutevecircque avait fait conduire Bertrand vers les prisons pontificales dAvignon

Lenquecircte avait eacuteteacute confieacutee agrave Bertrand de Montfavet et au cardinal Pierre Tissier mort depuis

(en 1323) La lenteur dune proceacutedure qui eacutetait entiegraverement entre les mains du pontife montre

bien que Jean XXII cherchait agrave savoir avant de reacuteprimer

Une autre lettre manifeste bien linquieacutetude de Jean XXII devant les mystegraveres surnaturels et

notamment devant la possibiliteacute de transport extraordinaire qui annonce peut-ecirctre un des

aspects les plus spectaculaires du sabbat le vol des deacutemoniaques dans les airs Le 3 mars

1325 Jean XXII sadressa agrave leacutevecircque de Paris le cureacute de la paroisse des Saints Innocents un

soir a disparu de sa chambre fermeacutee au verrou de linteacuterieur Le pape demande une enquecircte

summarie simpliciter ac sine strepitu et figura judicii afin de savoir laquo ougrave ledit recteur est

alleacute ou a eacuteteacute emporteacute ou transporteacute raquo (dictus rector iverit vel asportatus aut translatus

fuerit)55 Le ton presseacute et angoisseacute de la lettre leacutevocation de la possibiliteacute dun transport

surnaturel sans eacutevoquer vraiment le sabbat manifestent en cette mince affaire une reacuteelle

inquieacutetude

Lors de la fameuse controverse sur la vision beacuteatifique que le pape lanccedila en 1331 un des

arguments produits par le pape pour prouver le caractegravere partiel et limiteacute du jugement

individuel consiste agrave insister sur lactiviteacute libre des deacutemons avant le Jugement dernier En

1332 dans un sermon le pape dit laquo En effet les damneacutes cest-agrave-dire les deacutemons ne

pourraient nous tenter sils eacutetaient reclus en enfer Cest pourquoi il ne faut pas dire quils

reacutesident en enfer mais bien dans la totaliteacute de la zone dair obscur dougrave leur est ouverte la

voie pour nous tenter raquo56

Portrait de Jean XXII en suppocirct du deacutemon

Si Jean XXII fut aussi acharneacute agrave poursuivre les deacutemons et leurs adorateurs cest sans doute

aussi parce quil fut lui-mecircme parfois preacutesenteacute comme une creacuteature de lAnteacutechrist ou du

diable notamment dans les divers milieux influenceacutes par les franciscains spirituels (beacuteguins

fraticelli) Cette qualification relevait en partie de linjure en partie de la conviction En effet

dun cocircteacute les franciscains spirituels adeptes de la plus haute pauvreteacute qui avaient joui dune

relative tranquilliteacute sous le pontificat de Cleacutement V subirent la reacutepression violente de

Jean XXII degraves le deacutebut de son pontificat quatre franciscains spirituels furent brucircleacutes agrave

Marseille en 1318 une seacuterie de bulles de 1317 agrave 1328 condamnegraverent certains groupes puis

la doctrine mecircme de la pauvreteacute absolue et de son fondement christique On en arriva au

schisme de 1328 quand Michel de Ceacutesegravene et quelques fregraveres senfuirent dAvignon pour

rejoindre la cour de lempereur Louis de Baviegravere qui creacutea le bref pontificat schismatique de

Nicolas V Dans la masse des eacutecrits de combat des franciscains le pape prit souvent une

figure satanique

Mais il y avait plus Dans les eacutecrits de Pierre de Jean Olivi qui fut linspirateur principal de

ces mouvements se manifestait la conviction que le temps preacutesent eacutetait celui du passage agrave la

sixiegraveme peacuteriode de lhistoire de lEacuteglise lui-mecircme annonciateur du troisiegraveme et dernier acircge de

lhumaniteacute En lisant lApocalypse Olivi avait deacutecouvert que lAnteacutechrist dont la deacutefaite

ultime devait ouvrir une longue peacuteriode de paix avant la fin des temps se deacutedoublait en un

Anteacutechrist laquo mystique raquo (cest-agrave-dire cacheacute) et le grand Anteacutechrist manifeste Cet Anteacutechrist

mystique devait probablement ecirctre un pseudo-pape Si Olivi mort en 1298 navait pas pousseacute

11

plus loin lidentification ses disciples confirmeacutes par les perseacutecutions proceacutedegraverent agrave cette

assimilation du pape agrave lAnteacutechrist mystique

Sur ce point un teacutemoignage curieux livre un veacuteritable reacutecit fondateur et mythique sur les

origines de la haine de Jean XXII contre les spirituels franciscains En 1333 le chevalier

roussillonnais Adheacutemar de Mosset fut poursuivi pour ses sympathies beacuteguines agrave linitiative

du roi Jacques II de Majorque57 Le roi dans son troisiegraveme article daccusation rapporte un

souvenir personnel Un jour quil voyageait en compagnie dAdheacutemar la conversation vint sur

le pape Jean XXII et sur les perseacutecutions contre les spirituels que le chevalier reprochait fort

au pontife Adheacutemar demanda au roi sil savait pourquoi le pape qui au deacutebut de son

pontificat avait eacuteteacute une homme saint et bon en eacutetait arriveacute lagrave Jacques ne le savait pas mais le

chevalier le lui apprit Jean XXII aimait alors beaucoup Angelo Clareno lun des principaux

dirigeants des spirituels Un jour il lui demanda dinterroger Dieu pour savoir si son eacutetat

(status) Lui plaisait ou non58 Angelo se mit en priegraveres et laquo vit alors une grande foule de

diables qui portaient un calice plein du poison diniquiteacute il leur demanda ougrave ils allaient et ce

quils allaient faire de ce calice Ils lui reacutepondirent quils allaient aupregraves du pape pour faire

leur possible afin quil boive le calice diniquiteacute raquo Angelo leur demanda de passer le voir sur

le retour ce quils firent Ils lui apprirent alors que le pape avait bu et ils conseillegraverent agrave

Angelo de se garder deacutesormais de lui Au sortir de cette vision le pape demanda agrave Angelo le

reacutesultat de sa consultation le franciscain refusa de parler mais reccedilut lordre au nom du

principe dobeacuteissance de livrer ses informations ce quil fit laquo Et depuis ce temps lagrave le

seigneur pape lui voulut du mal agrave lui et aux autres Beacuteguins raquo Adheacutemar de Mosset qui avait

eacuteteacute au service de Philippe de Majorque reacutegent du royaume sous la minoriteacute de Jacques II et

partisan actif des Beacuteguins eacutetait probablement un sympathisant des dissidents sans ecirctre

directement engageacute dans leur combat et sans avoir de formation theacuteologique ni exeacutegeacutetique il

est probable quil transmettait une anecdote largement reacutepandue Si lon perccediloit mieux le

deacuteveloppement dun engagement personnel du pape il reste agrave comprendre les modaliteacutes de sa

lutte

Le positivisme de Jean XXII

Pourquoi qualifier dheacutereacutesie la magie ou linvocation des deacutemons Parce que les adorateurs

des deacutemons produisent de nouveaux faits susceptibles dengendrer de nouvelles adheacutesions Il

faut insister sur cette notion de factum hereticale brandie dans les questions poseacutees aux

theacuteologiens en 1320 qui rompt avec lideacutee commune de lheacutereacutesie comme opinion ou comme

intellectus Il ne sagit pas seulement dune extension qui trouverait dans les pratiques

sacrilegraveges un fondement doctrinal Jean XXII navait nul besoin de cette qualification pour

reacuteprimer seacutevegraverement les actes magiques et deacutemonolacirctriques

Le pape croyait en la force des faits en droit comme en theacuteologie Ainsi en mai 1330 il

sadressa au roi de France pour lui demander dinterdire la pratique de la preuve par combat

judiciaire ou duel59 en notant que laquo par de telles pratiques la veacuteriteacute nest pas prouveacutee raquo (per

taliaveritas non probatur) Le pape au nom de lexpeacuterience maicirctresse des choses (magistra

rerum experiencia) fait remarquer au roi quen cas daccusation de fausse monnaie jamais le

souverain ne se contenterait dune telle preuve preacuteciseacutement parce quen ce cas les faits

mateacuteriels et la veacuteriteacute pure importent

La construction mecircme de faits ineacutedits est une menace pour la foi Car ce sont les faits qui

induisent la confiance et la foi La qualification traditionnelle de lheacutereacutesie en sen tenant au

rejet des opinions orthodoxes ne considegravere pas le processus qui conduit agrave la foi Devant

12

lextrecircme diversiteacute des opinions et des eacutecoles il faut sen tenir aux faits Jean XXII

exactement comme Guillaume dOckham aboutit agrave la conclusion que la foi repose sur une

certaine confiance accordeacutee agrave lensemble de la tradition chreacutetienne et corroboreacutee par les faits

livreacutes par lEacutecriture La foi repose sur un contrat de confiance Un des reproches les plus

veacuteheacutements quil adresse aux franciscains cest de pieacutetiner les donneacutees factuelles de lEacutecriture

Dans lEacutevangile Jeacutesus a posseacutedeacute des biens et a confieacute sa bourse agrave Judas Or par des artifices

dinterpreacutetation ils aneacuteantissent ces faits au beacuteneacutefice de leur interpreacutetation Les grandes

bulles de condamnation de la doctrine franciscaine de la pauvreteacute absolue insistent sur cette

destruction des donneacutees factuelles qui fondent les articles de foi60 Dans la bulle Cum inter

nonnullos (12 novembre 1223) le pape disait

Laffirmation selon laquelle le Christ et les apocirctres nont rien posseacutedeacute ni en commun ni

individuellement nous jugeons par un eacutedit perpeacutetuel et en suivant lavis de nos fregraveres que

quand elle est reacutepeacuteteacutee avec obstination elle doit ecirctre tenue pour erroneacutee et heacutereacutetique car

comme elle contredit expresseacutement lEacutecriture sacreacutee qui en plusieurs lieux affirme quils ont

eu quelque possession elle implique que cette Eacutecriture sacreacutee par laquelle sont prouveacutes les

articles de la foi orthodoxe contient ouvertement sur ce sujet le germe du mensonge et que

en tant que telle elle eacutevacue toute confiance en lEacutecriture et rend la foi catholique douteuse et

incertaine en supprimant sa force probatoire61

Plus geacuteneacuteralement les franciscains spirituels en imaginant que le Christ et les apocirctres

pratiquaient un usage laquo de fait raquo sans aucune appropriation juridique construisaient une

fiction qui ne trouvait aucun reacutepondant aucune veacuterification dans la laquo nature des choses raquo

(natura rerum) ougrave la consommation des biens repose soit sur un droit soit sur un deacutelit Leur

usage du mot laquo fait raquo renversait lordre naturel du monde Les franciscains devenaient

heacutereacutetiques en rejetant les faits eacutevangeacuteliques et en reconstruisant leurs propres faits gracircce agrave

leur ideacuteologie forte et gracircce agrave lidentiteacute collective quils creacuteaient Les adorateurs des deacutemons

nagissaient pas autrement on le verra

Donc pour Jean XXII un fait est un fait Comment comprendre ce positivisme qui semble

anachronique sans le reacuteduire aux fantaisies singuliegraveres du vieux pontife

Leacutemergence du fait

Pour saisir ce tournant il faut sans doute partir du jugement moral et non pas du jugement

eacutepisteacutemologique des conduites humaines plus que des processus physiques Chacun le sait le

XIIe siegravecle entre Pierre Abeacutelard et Pierre le Chantre a produit une morale de lintention Mon

hypothegravese est que cest cette morale qui a construit la notion de fait en neutralisant

leacuteveacutenement Jean est tueacute Paul la tueacute Ceci est un eacuteveacutenement La theacuteologie morale de

lintention affirme que cet eacuteveacutenement ne signifie rien en lui-mecircme avant quil ne soit qualifieacute

selon lintention de Paul qui construit leacuteveacutenement comme meurtre (il a voulu et preacutemeacutediteacute cet

acte par leffet dune vieille haine) ou bien comme coups et blessures porteacutes sans intention de

meurtre (agrave la suite dune rixe par exemple) comme accident (Paul au cours dune chasse

visait un gibier) comme acte meacuteritoire (Paul a deacutebarrasseacute la chreacutetienteacute dun perseacutecuteur sur le

modegravele de Judith tuant Holopherne) Leacuteveacutenement laquo mort de Jean raquo videacute de sa signification

intrinsegraveque devient ce que jappelle un fait faible un reacutesidu irreacuteductible de reacutealiteacute

Ce relativisme dAbeacutelard doit se relier eacutetroitement au principe naissant de lenquecircte

contradictoire Le premier texte qui proclame la neacutecessiteacute de cette enquecircte se trouve dans la

preacuteface du Sic et non On sait que cet ouvrage en dehors de sa preacuteface ne contient que des

13

citations contradictoires sur une seacuterie dobjets mais on na pas releveacute que ces objets ne sont

pas toujours des opinions theacuteologiques mais aussi des faits (comme par exemple

lemplacement geacuteographique de la tombe des patriarches)

Au cours du XIIIe siegravecle se produisit une reacuteaction progressive contre la morale de lintention

une tentative dobjectivation du jugement moral et judiciaire Ce pheacutenomegravene tient

probablement au mouvement de reacutedaction des textes normatifs et agrave la constitution du droit

comme science de plus en plus indeacutependante de la theacuteologie morale62 Le fait fut penseacute

comme un reacutesidu neacutecessaire agrave lindeacutependance transcendante du droit que la caste des juristes

tentaient dextraire des contingences et des compromissions des affaires courantes Mais

lattachement agrave la factualiteacute tenait aussi agrave une reacuteaction de lEacuteglise contre les entreprises

heacutereacutetiques appuyeacutees sur une pratique du secret et de la double entente Le sanctuaire de

linteacuterioriteacute pouvait apparaicirctre comme une cache de malfaiteurs Les poursuites contre les

cathares et les beacuteguins le montrent clairement les inquisiteurs mirent au point des techniques

de repeacuterage de la dissimulation Cette eacutevolution tendait donc agrave remplacer le fait faible des

morales de lintention par le fait fort des tribunaux denquecircte Est-ce agrave dire quau tribunal toute

excuse quant agrave la circonstance de laction eacutetait rejeteacutee Certes pas mais les circonstances

furent elles-mecircmes objectiveacutees On en donnera deux exemples la notion dirresponsabiliteacute

accordeacutee agrave des classes repeacuterables dindividus (les fous les enfants les somnambules) fut

deacutefinie au deacutebut du XIVe siegravecle par une deacutecreacutetale de Cleacutement V63 Par ailleurs dans la

proceacutedure inquisitoire lenquecircte preacutealable sur la reacuteputation (fama) des individus suspects

deacuteleacuteguait agrave une communauteacute exteacuterieure leacutevaluation des motifs avant que lenquecircte en veacuteriteacute

ne mette en correacutelation cette eacutevaluation avec des faits preacutecis Certes la fama fut largement

induite par les poursuites elles-mecircmes mais les juges tenaient agrave son caractegravere objectif et

mesurable Dans les procegraves inquisitoires en canonisation comme en matiegravere criminelle ou

heacutereacutetique les juges ou commissaires demandent freacutequemment aux teacutemoins de deacutefinir le sens

du mot fama son lieu dorigine son extension Certains allaient mecircme jusquagrave demander au

teacutemoin deacutevaluer quantitativement le nombre minimal dopinions ou de murmures neacutecessaires

pour constituer une reacuteputation

Ce positivisme meacutedieacuteval dont nous avons tenteacute de repeacuterer les racines juridiques et morales

peut-il ecirctre relieacute agrave une eacutevolution plus globale que lon pourrait saisir dans lhistoire des

sciences La question est deacutelicate car la physique dominante inspireacutee dAristote sattachait

davantage aux causes quaux pheacutenomegravenes comme la montreacute Alexandre Koyreacute Le

pheacutenomegravene eacutetait essentiellement reacuteductible Pourtant un certain deacuteveloppement de la

factualiteacute scientifique sobservait preacuteciseacutement en ces derniegraveres anneacutees du XIIIe siegravecle soit du

cocircteacute des ingeacutenieurs comme le ceacutelegravebre Pierre de Maricourt qui deacutecrivait et expeacuterimentait les

proprieacuteteacutes de laimant en vue de lameacutelioration de la boussole Un grand penseur comme

Roger Bacon grand chantre de lexpeacuterimentation reacuteussissait agrave conjoindre dans son œuvre la

theacuteologie loptique et lalchimie en traquant des faits par lobservation La cateacutegorie fourre-

tout des laquo merveilles raquo (mirabilia) commenccedilait agrave seacutetioler au profit dune extension simultaneacutee

des pheacutenomegravenes miraculeux et des pheacutenomegravenes naturels Enfin une physique non-

aristoteacutelicienne raisonnant sur des cas-limites relevant dune factualiteacute reacuteelle mais rare se

mettait en place64

Lenquecircte et le fait

Sur le plan des poursuites judiciaires la notion de fait tendit agrave simposer quand agrave partir des

anneacutees 1230 la recherche des heacutereacutetiques au sein de populations largement complices prit un

caractegravere massif et exigea des critegraveres plus larges et des meacutethodes plus efficaces que

14

linterrogatoire individuel Un mandement de larchevecircque de Tarragone fut reacutedigeacute en mai

124265 avec laide du dominicain Raymond de Penyafort le grand juriste qui devint aussi

maicirctre geacuteneacuteral de lordre des precirccheurs afin laquo que lon procegravede plus clairement quant au fait

dheacutereacutesie (circa factum heresis) raquo Certes le mot factum a encore ici le sens dimputation

judiciaire quil avait dans le droit romain mais le deacutetail du mandement montre bien quil

importait deacutesormais de consideacuterer des actes qui ne relevaient pas directement de la croyance

Le texte en effet distingue sept classes de population relieacutees agrave lheacutereacutesie66 Or seule la

premiegravere est nommeacute heacutereacutetique parce quelle professe des croyances en perdurant dans lerreur

La seconde cateacutegorie les laquo croyants raquo (credentes) est assimileacutee aux heacutereacutetiques (il faut sans

doute comprendre quils sont mis agrave part avant lavertissement salutaire qui les transforme en

cas de refus dabjurer en heacutereacutetiques proprement dits) Ensuite viennent les laquo suspects raquo

dheacutereacutesie Seuls des actions et des faits construisent cette qualification eacutecouter la preacutedication

ou les confeacuterences des heacutereacutetiques (en ce cas il sagit dinsabbatici heacutereacutetiques difficiles agrave

identifier et qui sont citeacutes en compagnie des Pauvres de Lyon et des Vaudois) sagenouiller en

leur compagnie Un eacuteleacutement de croyance peut pourtant ecirctre ajouteacute les suspects croient que

les heacutereacutetiques en question sont de laquo bons hommes raquo Suivant la reacutepeacutetition des actes la

suspicion sera simple veacuteheacutemente ou tregraves veacuteheacutemente Viennent ensuite les complices passifs

les laquo non-deacutenonciateurs raquo (celatores) qui sabstiennent de reacuteveacuteler la preacutesence publique

dheacutereacutetiques les laquo dissimulateurs raquo (occultatores) laquo qui ont fait pacte de ne rien reacuteveacuteler raquo

(fecerunt pactum de non revelando) les laquo hocirctes raquo (receptatores) qui reccediloivent chez eux au

moins deux fois des heacutereacutetiques ou des reacuteunions dheacutereacutetiques les laquo deacutefenseurs raquo (defensores)

qui prennent le parti des heacutereacutetiques par la parole ou par le fait (verbo vel facto) soit par le

discours soit par une aide mateacuterielle67 Ces quatre derniegraveres cateacutegories sont rassembleacutees sous

la qualification de laquo soutiens raquo (fautores) de lheacutereacutesie Les deacutelits lieacutes aux heacutereacutesies sont pour

Raymond susceptibles de degreacutes (magis vel minus) alors que lheacutereacutesie proprement dite

implique une structure strictement binaire ougrave le vrai soppose agrave lerreur Lagrave encore cest le

droit qui construit par opposition le fait par opposition au ministegravere du confesseur qui in

foro conscientiae traite le continuum des fautes et manquements la tacircche de linquisiteur in

jure consiste agrave reacuteduire agrave la pureteacute binaire de lincrimination une foule de circonstances et

daction floues Plus tard dans le siegravecle la notion de laquo preacutesomption de droit raquo accrut encore

cette tendance

Mais lheacutesitation est encore grande le quatriegraveme point de la consultation porte sur la

qualification comme heacutereacutetique de celui qui embrasse un heacutereacutetique ou qui prie en sa

compagnie ou le cache laquo doit-il ecirctre jugeacute comme croyant en lerreur de lheacutereacutetique raquo La

reacuteponse eacutetait neacutegative Pourtant plus loin le texte suggegravere que les ossements de ceux qui ont

soutenu lheacutereacutesie doivent ecirctre exhumeacutes parce que laquo le soutien (fautoria) est la suite et le

compleacutement de lheacutereacutesie raquo Quelques anneacutees plus tocirct en 1235 dans un des premiers textes

consacreacutes aux regravegles de linquisition Raymond de Penyafort consideacuterait que ceux qui

heacutebergeaient des heacutereacutetiques (en loccurrence des Vaudois) devaient ecirctre jugeacutes comme

heacutereacutetiques parce quils croyaient que lEacuteglise se trompait en poursuivant les heacutereacutetiques68

On le voit la tentation eacutetait grande depuis les deacutebuts de linquisition de construire des faits

heacutereacutetiques Lorsque le 14 juin 1303 Guillaume de Plaisians preacutesenta au Louvre ses

accusations contre le pape Boniface VIII il lui reprocha davoir extorqueacute agrave des precirctres la

reacuteveacutelation de secrets confieacutes en confession pour les divulguer et les utiliser Il conclut cet

article en disant laquo En raison de cela il semble avoir eacuteteacute heacutereacutetique quant au sacrement de

peacutenitence (propter quod in sacramento penitentie hereticare videtur) raquo Cest donc bien un

acte manifesteacute par le verbe actif laquo heacutereacutetiquer raquo qui passe pour manifestation dheacutereacutesie

Comme le note Jean Coste dans son eacutedition du laquo procegraves raquo le cardinal Pietro Colonna qui

15

connaissait mieux le droit canonique avait ajouteacute dans la reacutedaction dun article analogue laquo le

mecircme Boniface proclamait de faccedilon doctrinale (dogmatizabat) quil avait le droit dagir

ainsi raquo69

En 1308-1309 lauteur dune nouvelle seacuterie darticles daccusation contre la meacutemoire de

Boniface que Jean Coste attribue agrave Nogaret70 introduit une distinction alors ineacutedite qui fut

reprise cinquante ans plus tard par Nicolas Eymerich71 entre les articles heacutereacutetiques les

erreurs relatives agrave un point de fait deacutejagrave condamneacute (facti damnati errores) et les opinions Mais

la simple mention de cette distinction sans application preacutecise ne permet pas de consideacuterer

que la notion de laquo fait heacutereacutetique raquo se deacuteveloppait veacuteritablement

Les juges deacuteleacutegueacutes au procegraves de Bernard Deacutelicieux en 1319 franchirent ce pas du moins

dans leur acte daccusation du 23 octobre 1319 ils ouvraient leur accusation en deacuteclarant sur

un ton tregraves leacutegislatif mais sans aucune alleacutegation de droit que tout homme seigneur puissant

ou juge qui oserait libeacuterer les prisonniers de linquisition refuser dexeacutecuter ses mandats

empecirccher la sentence ou le procegraves ou sopposer en quelque faccedilon agrave la poursuite des

heacutereacutetiques laquo encourt ipso facto une sentence dexcommunication et sil lencourt avec une

volonteacute reacutesolue pendant un an est alors condamneacute comme heacutereacutetique raquo72

Questions de proceacutedure

Face agrave la menace deacutemoniaque il importait dagir efficacement et rapidement mais ces deux

exigences eacutetaient contradictoires car lefficaciteacute supposait le lent et difficile eacutetablissement de

la veacuteriteacute Le pontife disposait dune multitude de solutions judiciaires qui impliquaient agrave la

fois des diffeacuterences dans les types de proceacutedure dans les ressorts juridictionnels et dans les

modaliteacutes de lenquecircte

LEacuteglise favorisait le deacuteveloppement de la proceacutedure inquisitoire (par enquecircte) au deacutetriment

du mode accusatoire selon un mouvement initieacute par des deacutecreacutetales dInnocent III agrave partir de

1198 dont la maturation se lit dans le canon 8 du concile de Latran IV (1215) On le sait la

proceacutedure accusatoire dominante jusquau XIIe siegravecle et qui a poursuivi sa carriegravere dans la

Common Law britannique et ameacutericaine reacuteserve lincrimination agrave un accusateur qui sengage

sur cette accusation et peut en pacirctir Le juge ou le jury se contente darbitrer Les deux

moments de laction sont constitueacutes par la construction minutieuse de la cause qui doit ecirctre

rigoureusement deacutefinie (en termes romains il sagit de la phase de litis contestatio) et par la

deacutelibeacuteration La proceacutedure inquisitoire en revanche favorise laccusation doffice formuleacutee

par un juge ou un prince agrave la suite dune laquo diffamation raquo deacuteriveacutee de leacutecoute dune rumeur

accusatrice Le procegraves met en œuvre deux enquecirctes successives la premiegravere eacutetablit cette

fama cette reacuteputation bonne ou mauvaise qui permet linculpation ou la relaxe la seconde

enquecircte construit la veacuteriteacute des faits porteacutes par la fama

Plusieurs ressorts juridictionnels pouvaient prendre en charge les invocateurs du deacutemon la

justice eacutepiscopale avec ses divers tribunaux le tribunal de linquisition et des commissions

pontificales ad hoc Linquisition fut creacuteeacutee par le pontificat agrave partir de 1233 en vue de

poursuivre lheacutereacutesie et elle garda longtemps cette speacutecialisation qui impliquait un recrutement

de juges plus theacuteologiens que juristes Il est difficile de porter un jugement serein sur

linquisition meacutedieacutevale tant son image a fait lobjet de controverses violentes Certains

meacutedieacutevistes ont tenteacute non sans quelques raisons de rejeter la folie perseacutecutrice associeacutee agrave

cette image Edward Peters a montreacute comment avait pu se construire dans la suite des temps

un veacuteritable mythe noir de linquisition73 un article retentissant de Richard Kieckhefer a mis

16

en doute la reacutealiteacute institutionnelle de linquisition74 De fait lopinion commune a souvent

confondu les reacutealiteacutes implacables de lInquisition romaine (creacuteeacutee en 1542) et surtout de

lInquisition castillane (institution eacutetatique fondeacutee en 1481-1482) avec les tentatives limiteacutees

et souvent incoheacuterentes de linquisition meacutedieacutevale Pourtant linquisition meacutedieacutevale a bien

existeacute comme institution puissante en deacutepit de sa faible assise Linquisiteur eacutetait nommeacute par

le saint Siegravege mais demeurait eacutetroitement lieacute agrave lordre religieux dont il provenait (lordre

dominicain pour lessentiel mais aussi lordre franciscain et dans une moindre mesure

lordre des carmes) Sa pratique quotidienne le mettait en relation eacutetroite avec le pouvoir

seacuteculier

Les commissions speacuteciales du pape deacuterivaient en un sens de la justice deacuteleacutegueacutee des pontifes

instaureacutee depuis le XIIe siegravecle mais elles prirent une importance particuliegravere sous le pontificat

de Jean XXII pour des raisons que nous examinerons plus loin Limportance des faits

deacutemoniaques conduisit Jean XXII agrave lever beaucoup de garanties judiciaires et gracieuses75 et

agrave confier les affaires de complot avec soupccedilons magiques ou deacutemonologiques agrave des

commissions pontificales qui se reacuteclamaient de la proceacutedure sommaire La notion de

proceacutedure sommaire sest lentement deacuteveloppeacutee depuis la fin du XIIe siegravecle dans le droit

canonique Il sagissait de formaliser les efforts des deacutecennies preacuteceacutedentes en matiegravere

darbitrage ou de compromis internes agrave lEacuteglise en reacuteaction aux excegraves de juridisme qui avaient

eacuteteacute deacutenonceacutes par saint Bernard dans son retentissant traiteacute De consideratione La notion

dlaquo eacutequiteacute canonique raquo eacutetait opposeacutee agrave la rigor iuris des civilistes La proceacutedure trouva

lentement sa forme agrave partir deacuteleacutements eacutepars dans le droit romain par agglomeacuteration de

clausules indeacutependantes si les parties eacutetaient daccord la cognitio summaria (traduite dans

nos textes par ladverbe summarie ou simpliciter) impliquait dalleacuteger les charges de preuves

on pouvait se contenter de preuves laquo semi-pleines raquo (un simple serment un teacutemoin ou un

document unique) et de la phase proprement proceacutedurale dun procegraves la reacutedaction dun

laquo livret raquo (libellus) et le deacutebat de la litis contestatio (qui eacutetablissait les rocircles judiciaires et les

enjeux du procegraves) devenaient facultatifs La mention dune proceacutedure de plano qui renvoyait

agrave linutiliteacute de sieacuteger formellement en tribunal insistait davantage sur la rapiditeacute et labsence de

formes externes Enfin les clausules sine strepitu judiciorum (sans le vacarme des procegraves) et

sine figura judicii (sans la forme du procegraves) compleacutetaient cette simplification en insistant sur

la suppression des avocats et des formes bruyantes dopposition et de recours

Agrave leacutepoque de Jean XXII cette formalisation de larbitrage eccleacutesiastique venait agrave peine de

sachever par la publication de deux deacutecreacutetales de Cleacutement V Dispendiosam produite pour le

concile de Vienne en 1311-1312 et Saepe reacutedigeacutee en 1314 Dispendiosam76 deacuteclarait de

faccedilon fort bregraveve que la proceacutedure sommaire pouvait sappliquer dune part aux cas deacutejagrave preacutevus

par le droit canonique du XIIIe siegravecle quant aux affaires propres de lEacuteglise (laquo eacutelections

demandes et provisions attributions de digniteacutes de fonctions de charges de canonicats de

preacutebendes et autres beacuteneacutefices eccleacutesiastiques raquo et contentieux sur les dicircmes) mais aussi sur les

questions de mariage et dusure Cette extension eacutetait consideacuterable et aboutissait agrave fournir la

possibiliteacute de proceacutedure sommaire pour la quasi totaliteacute des affaires eacutevoqueacutees par lEacuteglise

Seules les successions neacutetaient pas mentionneacutees mais elles interfeacuteraient neacutecessairement avec

les causes matrimoniales La deacutecreacutetale Saepe77

deacutetaillait plus longuement les particulariteacutes de

la proceacutedure sommaire et reacutesumait soigneusement les traits assembleacutes depuis pregraves dun siegravecle

Lusage parallegravele de la proceacutedure sommaire en matiegravere de poursuite de lheacutereacutesie ne se laisse

pas facilement deacutechiffrer car la filiation par rapport agrave la doctrine de larbitrage y perd tout

sens Le seul point commun des deux usages tient au rocircle essentiel du juge chargeacute agrave la fois de

la proceacutedure de linstruction et de la deacutecision Pourtant ce nest pas avant la deacutecreacutetale Statuta

17

quedam promulgueacutee par Boniface VIII dans son Liber Sextus en 1296-1298 que la proceacutedure

sommaire fut accordeacutee explicitement agrave la proceacutedure inquisitoriale laquo En collationnant certains

statuts de nos preacutedeacutecesseurs dheureuse meacutemoire Innocent Alexandre et Cleacutement et en

interpreacutetant et ajoutant certains points nous accordons que dans les affaires dinquisition sur

la perversion heacutereacutetique il puisse ecirctre proceacutedeacute de faccedilon simple et informelle sans vacarme ni

apparence des avocats et des jugements (procedi possit simpliciter et de plano et absque

advocatorum ac judiciorum strepitu et figura) raquo La suite de la deacutecreacutetale justifie le secret sur

les noms des teacutemoins ou accusateurs pour raison de seacutecuriteacute

Procegraves et majesteacute

Tous les niveaux et distinctions que nous venons desquisser se mecirclaient dans la pratique

judiciaire puisque linquisition se fondait largement sur la proceacutedure inquisitoire tandis que

des eacutevecircques comme Jacques Fournier le ceacutelegravebre eacutevecircque de Pamiers ou Guido Terreni

eacutevecircque de Majorque puis dElne recevaient du pape des fonctions dinquisiteur dans leur

diocegravese

Pourtant Jean XXII navait guegravere confiance dans la justice des eacutevecircques Il savait que les

eacutevecircques pouvaient souvent preacutefeacuterer la paix du diocegravese agrave lexigence de la veacuteriteacute Ainsi agrave

lefficace et zeacuteleacute Jacques Fournier avait succeacutedeacute en 1326 Dominique Grima brillant

theacuteologien ancien assistant inquisiteur de Bernard Gui agrave Toulouse qui sattira le courroux du

pape pour sa neacutegligence dans la poursuite de lheacutereacutesie78 Le pape preacutefeacutera freacutequemment utiliser

des commissions speacuteciales denquecircte et de jugement selon la proceacutedure sommaire plutocirct que

les tribunaux inquisitoriaux Ce fut le cas notamment pour les procegraves de Hugues Geacuteraud de

Robert de Mauvoisin et de Bernard Deacutelicieux Parfois limputation de crime de legravese-majesteacute

permit de donner une latitude encore plus large aux proceacutedures extraordinaires ainsi le 12

avril 1331 sur plainte du roi de France le pape ordonna agrave leacutevecircque de Paris de proceacuteder

contre Hertaud abbeacute dun monastegravere du diocegravese dAutun et contre Jean Albeacutericus dominicain

sur leurs laquo maleacutefices et excegraves raquo (super maleficiis et excessibus) contre le roi et sa cour raquo Il

sagit certainement de pratiques magiques (multis maleficiis) qui attentaient au laquo salut public raquo

et qui en tout cas relevaient du crime de legravese-majesteacute Or le pape en ce cas non seulement

ordonna une proceacutedure sommaire (simpliciter et de plano sine strepitu et figura judicii) mais

leva tous les privilegraveges et garanties des deux religieux autorisant leur arrestation (captionem)

leur incarceacuteration et leur torture (necnon questionibus subici prout a canonibus est

permissum)79

On peut se demander pourquoi Jean XXII fut si reacuteticent agrave confier les causes deacutemoniaques agrave

linquisition au moment mecircme ougrave il tentait dassimiler linvocation des deacutemons agrave lheacutereacutesie La

reacuteponse la plus commune agrave cette question relie ce choix au caractegravere politique de bien des

affaires ougrave le deacutemon semble intervenir comme preacutetexte plutocirct que comme cause De fait les

proceacutedures exceptionnelles qui mecirclent lattentat contre la majesteacute royale ou divine les

accusations dheacutereacutesie et les imputations de sorcellerie ou dinvocation des deacutemons doivent ecirctre

relieacutees agrave la grande vague des procegraves politiques qui avait commenceacute degraves le deacutebut du XIVe

siegravecle cest Philippe le Bel80 qui avait lanceacute degraves 1303 le procegraves contre le pape

Boniface VIII81 accuseacute entre autres davoir invoqueacute les deacutemons et consulteacute des magiciens

puis le roi entre 1306 et 1314 sen eacutetait pris aux Templiers comme adorateurs du diable

Entre 1308 et 1314 Philippe le Bel avait inculpeacute Guichard eacutevecircque de Troyes qui aurait

conspireacute en vue de tuer la reine et dautres personnaliteacutes princiegraveres par lusage de poisons et

dimages magiques82 En 1315 Enguerrand de Marigny qui avait si efficacement collaboreacute agrave

ces procegraves fut lui-mecircme pendu pour avoir nui au roi Louis X et agrave Charles de Valois par des

18

images magiques83 Jean XXII prit le relais avec les procegraves contre Hugues Geacuteraud eacutevecircque

de Cahors84 en 1317 contre Mateo et Galeazzo Visconti en 132085 contre les allieacutes de

Federico de Montefeltro dans la Marche dAncocircne86 Dans tous ces cas la parfaite

correspondance entre la graviteacute des accusations et la position antagoniste des inculpeacutes incite agrave

voir dans ces procegraves de simples et cyniques manœuvres ougrave lexception judiciaire doit

confirmer la regravegle politique

Cette interpreacutetation rend imparfaitement compte des reacutealiteacutes leacutecrasement des adversaires ne

fut pas systeacutematique les graves accusations contre Bernard Deacutelicieux quant au meurtre

deacutemoniaque de Cleacutement V ne furent pas assumeacutees dans le jugement contrairement agrave ce qui se

passa pour Hugues Geacuteraud Robert de Mauvoisin sen tira avec une simple eacutejection de son

siegravege archieacutepiscopal Certes les juges avaient quelque autonomie mais on peut penser que le

pape avait eacuteprouveacute de reacuteels doutes quant agrave la culpabiliteacute des accuseacutes Ces interrogations

rendent peut-ecirctre compte de la consultation de 1320 qui relevait moins de la discussion

quodlibeacutetale ou de la colleacutegialiteacute de deacutecision que du besoin dexpertise

Meacutefiance de linquisition

Les choix de proceacutedure de Jean XXII doivent sexpliquer autrement La preacutefeacuterence pour la

forme extraordinaire tient dabord agrave une grande meacutefiance de linquisition Les inquisiteurs

avaient tendance agrave poursuivre sans tenir compte des rangs sociaux ni des circonstances

politiques la fameuse affaire de Jean lArchevesque sieur de Parthenay mecircleacute agrave des pratiques

de sortilegravege vers 1323 le montre bien Linquisiteur seacutetait attaqueacute agrave un personnage puissant

beacuteneacuteficiant de protections royales qui avait reacuteussi agrave obtenir la consultation dun grand juriste

Oldrado da Ponte87 Agrave deux reprises le pape eacutecrivit aux inquisiteurs de Carcassonne pour

leur enjoindre de ne pas tourmenter inutilement les consuls et bourgeois de Montpellier88

Le pape avait pu aussi eacuteprouver lextrecircme impopulariteacute de linquisition patente dans laffaire

Bernard Deacutelicieux un simple agitateur avait failli renverser le pouvoir monarchique franccedilais

en liguant les couches citadines hostiles agrave lintervention des inquisiteurs En 1317-1318 cest

le zegravele excessif de Michel Le Moine inquisiteur franciscain de Provence qui avait enflammeacute

la reacutesistance beacuteguine dans le Midi par lexaltation des martyrs de Marseille En 1321-1322

cest le manque de discernement de linquisiteur Jean de Beaune agrave Beacuteziers qui avait entraicircneacute le

pape sur un terrain impreacutevu Linquisiteur ne mesurait pas toujours la porteacutee de ses actes et

surtout il pouvait agir trop publiquement du moins dans la phase initiale (la proclamation de

lenquecircte) et dans sa phase conclusive (le sermon geacuteneacuteral) ainsi cest la dispute publique

entre linquisiteur de Carcassonne Jean de Beaune et le lecteur franciscain du couvent de

Narbonne Beacuteranger Talon qui avait provoqueacute la reprise du deacutebat sur la pauvreteacute du Christ

Enfin et surtout linquisition jouissait dune certaine indeacutependance par rapport au pouvoir

pontifical dune part sa nomination deacutependait aussi du bon vouloir du maicirctre geacuteneacuteral des

dominicains ou du ministre geacuteneacuteral des franciscains Dautre part il pouvait agrave loccasion se

rapprocher du pouvoir royal On peut se demander si la diffeacuterence de deacutenomination des

inquisiteurs de Carcassonnne et de Toulouse entre 1320 et 1330 dans les lettres citeacutees plus

haut reacutedigeacutees par Guillaume de Peyre Godin puis par le pape ne traduit pas cette perception

dans le premier cas le cardinal sadresse laquo agrave linquisiteur de la perversion heacutereacutetique de la

reacutegion de Carcassonne raquo dans le second cas il sagit de laquo linquisiteur de la perversion

heacutereacutetique deacuteputeacute par le Siegravege apostolique dans le royaume de France en reacutesidence agrave

Carcassonne raquo Le soin de cette seconde formulation insiste sur le fait que lorigine du pouvoir

inquisitorial se trouve bien dans le pontificat De fait linquisition meacuteridionale apregraves les

froissements ducircs agrave laffaire Bernard Deacutelicieux ougrave les officiers royaux avaient toleacutereacute ou mecircme

19

soutenu le trublion franciscain avait eacuteteacute largement instrumentaliseacutee par la monarchie comme

le montrait laffaire des Templiers

En outre le pontife eacutetait fort irriteacute du manque de respect de certains inquisiteurs pour le droit

Ainsi en 1331 il reccedilut et approuva les plaintes de maicirctre Jean Anselme de Gecircnes chirurgien

et de Reacuteginald de Cravant clerc du diocegravese dAuxerre qui avaient eacuteteacute faussement accuseacutes

dheacutereacutesie et de maleacutefices par linquisiteur de France Aubert de Chacirclons et par leacutevecircque de Paris

Hugues Michel de Besanccedilon Le pontife leur reprochait davoir agi sans avoir eacutetabli aucune

infamie anteacuterieure sans respecter lordre judiciaire sans permettre aucune deacutefense leacutegitime89

Il nest pas besoin dimaginer un Jean XXII soucieux de justice par formation professionnelle

comme on la vu lordre du droit permettait deacutetablir soigneusement la veacuteriteacute qui importait

bien davantage que la reacutepression Le cas de la censure du commentaire dOlivi sur

lApocalypse le montre bien le texte eacutetait dangereux puisquil inspirait directement les

Beacuteguins par le biais dabreacutegeacutes et de traductions en langue vernaculaire Le contenu anti-

pontifical de ce texte eacutetait manifeste Pourtant le pape usa directement ou indirectement de

quatre commissions diffeacuterentes durant huit ans (1318-1326) avec un suppleacutement denquecircte

en 1322 avant darriver agrave une condamnation Le reacutesultat reacutepressif eacutetait certainement acquis

degraves 1318 mais il importait de suivre minutieusement les chemins de lerreur Ce souci

apparaicirct clairement dans une lettre adresseacutee par le pape en 1330 agrave Henri Chamayou

inquisiteur de Carcassonne90 qui avait reacuteussi agrave faire arrecircter deux heacutereacutetiques italiens qui

avaient confesseacute leur crime Le pontife feacutelicite chaleureusement linquisiteur mais lengage

fermement agrave poursuivre lenquecircte bien quil ait deacutejagrave en main tous les eacuteleacutements pour les

condamner laquo parce que nous croyons que tu aurais du connaicirctre une veacuteriteacute plus ample

(novisse te plenius credimus veritatem) au sujet de ce pour quoi ils tont eacuteteacute livreacutes nous

voulons et il nous plaicirct quayant Dieu seul devant les yeux tu veilles selon lexigence de la

justice agrave ne pas neacutegliger ce que tu sauras ecirctre adeacutequat en cette affaire raquo

Ces recommandations neacutetaient pas de pure forme la logique de linquisition ne la conduisait

pas vers leacutelucidation neacutecessaire agrave la cause des deacutemoniaques Linstitution demeurait

profondeacutement theacuteologienne et non juriste Le fondement proceacutedural de linquisition reposait

moins sur la poursuite doffice et lenquecircte que sur la troisiegraveme forme de poursuite (agrave cocircteacute de

la proceacutedure inquisitoire et de la proceacutedure accusatoire) deacutefinie par Innocent III au canon 8 du

concile de Latran la deacutenonciation eacutevangeacutelique issue de la correction fraternelle Or la

deacutenonciation orientait la poursuite vers la peacutenitence La confession rapidement obtenue par la

menace la terreur ou la torture conduisait agrave la demande dabsolution chegraverement neacutegocieacutee Il

importait agrave linquisiteur dobtenir au plus vite cette confession sans trop sattarder dans

lenquecircte sur la fama ou sur la veacuteriteacute neutraliseacutee par laveu Paradoxalement un accuseacute avait

de meilleures chances avec les proceacutedures sommaires chegraveres au pape quavec linquisition

parce que la veacuteriteacute pouvait contraindre le pape agrave la mansueacutetude tandis que la meacutecanique de la

culpabiliteacute ineacutevitable de tout peacutecheur entraicircnait tout inculpeacute dans la collectiviteacute peacutenale de

linquisition

Cest peut-ecirctre ces problegravemes de proceacutedure qui ont provoqueacute ce que Jean-Patrice Boudet

appelait plaisamment le laquo retard agrave lallumage raquo dans la poursuite des sorciers au XIVe siegravecle

tant que la papauteacute fut reacuteticente agrave deacuteleacuteguer son pouvoir denquecircte les limites mateacuterielles de la

justice pontificale empecircchegraverent la diffusion capillaire de limputation et de la reacutepression Et

preacuteciseacutement cest labandon forceacute de labsolutisme pontifical apregraves les conciles de Constance

et de Bacircle qui ouvrit les premiegraveres campagnes judiciaires et doctrinales contre les sorciers et

adorateurs du deacutemon dans les anneacutees 1430-1440 Mais le deacuteveloppement rapide de la

20

deacutemonologie avait eacuteteacute bien preacutepareacute par un pape qui tenait agrave consideacuterer lucidement les zones

obscures ougrave le deacutemon pouvait passer

Notes de bas de page

1 B Gui Manuel de linquisiteur eacuted par G Mollat Paris 1926-1927

2 P Paravy De la chreacutetienteacute romaine agrave la Reacuteforme en Dauphineacute Eacutevecircques fidegraveles et deacuteviants

(vers 1340-vers 1530) Rome 1993

3 LImaginaire du sabbat Eacutedition critique des textes les plus anciens (1430 ca-1440 ca)

reacuteunis par M Ostorero A Paravicini Bagliani K Utz Tremp en collaboration avec C Chegravene

Lausanne 1999

4 R KIECKHEFER European Witch Trials Their Foundations in Popular and Learned

Culture 1300-1500 Londres 1976 Carlo Ginzburg commence sa seacuterie explicative des

formes occidentales du sabbat en 1321 mais selon un modegravele totalement opposeacute au nocirctre

5 Bonn 1901

6 L THORNDIKE A History of Magic and Experimental Science vol III New York 1934

p 18 sq

7 Voir N Weill-Parot Les laquo Images astrologiques raquo au Moyen Acircge et agrave la Renaissance

Speacuteculations intellectuelles et pratiques magiques (XIIe-XV

e s) Paris 2002 p 377-385 et Id

laquo Les intellectuels lEacuteglise et la magie dans la premiegravere moitieacute du xive s raquo (meacutemoire de

maicirctrise Paris I 1990) Je tiens agrave remercier N Weill-Parot pour ses commentaires sur le

preacutesent article

8 laquo Quod cum morte fedus ineunt et pactum faciunt cum inferno Demonibus namque

immolant hos adorant raquo

9 Liber Sextus V II cap 8

10 Cause XXVI qu 5 cap 12 eacuted Friedberg col 1080

11 Voir A Boureau laquo De la feacutelonie agrave la haute trahison Un eacutepisode la trahison des clercs

(version du xiie s) raquo Le Genre Humain 16-17 1988 p 267-291

12 Venise 1595 XLIII 9 p 341-342

13 laquo Simpliciter et de plano ac sine strepitu et figura judicii appellatione remota raquo Lettre

publieacutee par J-M Vidal Bullaire de lInquisition franccedilaise Paris 1913 no 284 p 403-404

14 laquo Nonnulli etiam quandoque litterati in hoc se opponunt pretendentes id ad tuum non

expectare officium secundum canonicas sanctiones raquo

15 J-P Boudet laquo Les condamnations de la magie agrave Paris en 1398 raquo Revue Mabillon n s 12

(t 73) 2001 p 121-157

16 B Hamilton The Medieval Inquisition Londres 1981 p 94

17 Dans une lettre de 1336 adresseacutee agrave lofficial dAvignon Benoicirct XII successeur de

Jean XXII range agrave nouveau les sortilegraveges parmi les crimes qui touchent la foi (J-M Vidal

Bullaire op cit no 153 p 229-230) En 1405 Benoicirct XIII deacuteclare nuls les privilegraveges des

habitants du diocegravese du Puy qui preacutetendaient que linquisiteur de Carcassonne ne pouvait les

poursuivre pour maleacutefices (J-M Vidal Bullaire op cit no 332 p 473-474)

18 La premiegravere eacutedition a eacuteteacute procureacutee par Jean Chappuis en 1500 Pour la formation des deux

collections voir A M Stickler Historia Iuris Canonici Institutiones Academicae T I

Historia Fontium Rome 1950 p 270-271

19 Les seules mentions de la bulle se trouvent on la dit dans le manuel de Nicolas Eymerich

(1376) dans les Annales eccleacutesiastiques de Rinaldi et dans un bullaire romain du xviiie s

20 Voir A MAIER dans laquo Eine Verfuumlgung Johannis XXII uumlber die Zustaumlndigkeit der

Inquisition fuumlr Zauberprozesse raquo Archivium Fratrum Praedicatorum 32 1952 p 226-246

21 A Maier loc cit p 231

21

22 Publieacutee par R Manselli laquo Enrico del Carretto e la consultazione sulla magia di Giovanni

XXII raquo dans Miscellanea in onore di Monsignore Martino Giusti t II Vatican 1978 p 97-

129

23 Il est possible aussi que linterrogation doctrinale ait eacuteteacute anticipeacutee par Guido Terreni un

des dix experts de la consultation de 1320 dans son sixiegraveme quolibet laquo Est-ce que celui qui

baptise une chose sans acircme ou sans raison et non pas un homme est heacutereacutetique raquo ms BAV

Borghese 39 fo 238v

o-240v

o que je publie en annexe de la consultation Mais la date de ce

quolibet demeure incertaine

24 laquo Fecisti plantas pedum eiusdem mulieris iuxta carbones accensos apponi raquo texte publieacute

par J-M Vidal Bullaire op cit p 51-52

25 laquo Diu post confessionem debitum nature persoluitverum quia dubitatur ne propter

predicta tormenta citius decesserit quam alias decessisset mulier supradicta si tormentata

minime extitisset raquo

26 laquo Erronea et horrenda contra catholicam fidem fuit confessa et multos consocios et

complices reuelauitque omnia sic inuenta ut communiter creditur numquam reuelata

fuissent nisi mediantibus tormentis eiusdem predicta mulier reuelasset raquo

27 laquo De consilio proborum qui se asserebant uidisse penis examinati hereticos in partibus

Tholosanis raquo

28 J-M Vidal Bullaire op cit no 24 p 53-54

29 Ex certa sciencia sur cette clausule de labsolutisme pontifical voir A Boureau La Loi

du royaume Les moines le droit et la construction de la nation anglaise Paris 2001 avec

renvoi aux travaux de Jacques Krynen

30 Publieacutee par J-M Vidal Bullaire op cit p 61 Une meilleure eacutedition a eacuteteacute procureacutee par

A Maier loc cit p 226-227

31 J-M Vidal Bullaire op cit no 72 p 118-119

32 La commission fut reacuteiteacutereacutee le 8 novembre 1327 ibid no 78 bis p 129-130

33 Voir A Boureau laquo Saints et deacutemons dans les procegraves de canonisation du deacutebut du xive s raquo

agrave paraicirctre dans les actes du colloque de Budapest sur les procegraves de canonisation dir Gaacutebor

Klaniczay

34 B Gui Manuel de linquisiteur eacuted et trad par G Mollat op cit t I p 52

35 Publieacutees par J-M Vidal Bullaire op cit no 103 p 154-156

36 Henri de Chamayou

37 Pierre Brun

38 La qualification dheacutereacutesie de la part du pape agrave propos des invocations deacutemoniaques na

jamais cesseacute Voir par exemple une lettre de 1323 qui deacutesigne des commissaires pour juger

le moine Guillaume de Figeac accuseacute de laquo deacutevier de la foi catholique raquo en pratiquant

lalchimie et la neacutecromancie (J-M Vidal Bullaire op cit no 50 p 87-88)

39 F Graf La Magie dans lAntiquiteacute greacuteco-romaine Ideacuteologie et pratique Paris 1994

40 Voir le reacutecit par Pierre le Veacuteneacuterable vers 1137 dun usage magique de lhostie consacreacutee

par un paysan deacutesireux de retenir ses abeilles Livre des merveilles de Dieu (De miraculis)

introduction traduction et notes de J-P Torrell et D Bouthillier FribourgParis 1992 p 70-

72 Je remercie Charles de Miramon de mavoir signaleacute ce texte

41 Voir les travaux reacutealiseacutes autour de Richard Kieckhefer et Claire Faenger aux Eacutetats-Unis

autour de Jean-Patrice Boudet et Henri Bresc en France notamment

42 Dans sa biographie collective des deux premiegraveres geacuteneacuterations de dominicains eacutecrite au

deacutebut des anneacutees 1260 Geacuterard de Frachet ne rapporte quun seul cas de fregravere qui se voue agrave

lalchimie et il ne trouve agrave lui reprocher que son deacutesir de senrichir rapidement Son activiteacute

consiste alors essentiellement agrave se rendre en Sardaigne pour y collecter des mineacuteraux rares

Son funeste sort ultime ne sexplique que par cet abandon de Dieu au profit de la richesse

22

seacuteculiegravere (Vitae Fratrum Ordinis Praedicatorum eacuted par B-M Reichert Rome-Stuttgart

Monumenta Ordinis Fratrum Praedicatorum Historica 1897 p 290)

43 La Condamnation parisienne de 1277 eacuted et trad par D Picheacute avec la collaboration de

C Lafleur Paris 1999 p 77

44 A Paravicini Bagliani Il corpo del papa Turin 1994

45 Preacuteface agrave Le crisi dellalchimia Micrologus 3 1995 p VIII

46 Voir leacutedition du procegraves dans J Shatzmiller Justice et injustice au deacutebut du XIVe s

Lenquecircte sur larchevecircque dAix et sa renonciation en 1318 Rome 1999

47 Voir une lettre de feacutevrier 1330 dans Lettres secregravetes et curiales du pape Jean XXII (1316-

1334) relatives agrave la France eacuted par A Coulon et S Cleacutemencet fasc 8 Paris 1965 no 4100

p 104-105 [abreacutegeacute deacutesormais Coulon-Cleacutemencet] lettre agrave Jean de Badas inquisiteur

franciscain de Marseille sur un crime nefandum commis par Gantalmus Gantalmi notaire et

sa femme Berengegravere instigatione diabolica circumventi agrave lencontre de Guillaume de Baucio

sire de Berre

48 Texte publieacute par J HANSEN Quellen und Untersuchungen op cit no 3 p 2

49 Notons quen 1318 les rites de conseacutecration des miroirs et images paraissent speacutecifiques

alors quen 1320 dans les questions poseacutees par le pape aux experts les invocateurs de deacutemons

utilisent le rite catholique du baptecircme pour preacuteparer leurs images

50 A Paravicini Bagliani Il corpo del papa op cit

51 C H JOSTEN laquo The Text of John Dastins letter to Pope John XXII raquo Ambix 4 1951

p 46-51

52 E Albe Autour de Jean XXII Hugues Geacuteraud eacutevecircque de Cahors laffaire des poisons et

envoucirctements en 1317 Cahors 1904 p 163-164

53 Processus Bernardi Deliciosi The Trial of Fr Bernard Deacutelicieux 3 September-8

December 1319 eacutediteacute par A Friedlander Philadelphie 1996 p 62 Pour une eacutetude complegravete

du dossier voir A Friedlander The Hammer of the Inquisitors Brother Bernard Deacutelicieux

and the Struggle against the Inquisition in Fourteenth-Century France Leyde 2000

54 Coulon-Cleacutemencet no 2969 p 151

55 Coulon-Cleacutemencet no 2395 p 47

56 Sermon sur la vigile de lEacutepiphanie 5 janvier 1332 eacuted par M Dykmans Les Sermons de

Jean XXII sur la vision beacuteatifique Rome (Miscellanea Historiae Pontificiae 34) p 145

57 Les actes du procegraves ont eacuteteacute publieacutes par J-MVidal laquo Procegraves dinquisition contre Adheacutemar

de Mosset raquo Revue dHistoire de lEacuteglise de France 1 1910 Lanecdote se trouve agrave la p 713

58 Ces interrogations sur la laquo situation raquo spirituelle eacutetaient freacutequemment exprimeacutees Dans sa

correspondance avec les grands de ce monde le pape doit souvent reacutepondre agrave ce genre de

question en termes agrave vrai dire assez geacuteneacuteraux

59 Coulon-Cleacutemencet fasc 8 Paris 1965 no 4197 p 126 Lettre analogue en feacutevrier 1331

(no 4452 t 9 p 41)

60 On peut se demander si ce nest pas cette fideacuteliteacute litteacuterale au texte biblique qui a contribueacute agrave

pousser le pape agrave intervenir sur la question de la vision beacuteatifique question ougrave les partisans de

la vision directe de Dieu avant le jugement final ne trouvaient aucun appui scripturaire direct

61 On trouve une formulation parallegravele dans Quia quorumdam mentes (10 novembre 1324)

62 Voir A Boureau laquo Droit naturel et abstraction judiciaire Hypothegraveses sur la nature du droit

meacutedieacuteval raquo Annales HSS 57 6 2002 p 1463-1488

63 Voir A Boureau laquo La redeacutecouverte de lautonomie du corps leacutemergence du somnambule

(xiiie-xiv

e s) raquo Micrologus I 1993 p 27-42

64 Sur toutes ces questions je me permets de renvoyer au chap 8 de mon ouvrage Theacuteologie

science et censure au XIIIe s Le cas de Jean Peckham Paris 1999

23

65 Publieacute par J Rius Serra dans Sancti Raymundi de Penyafort opera omnia t III

Diplomatario (Documentos Vida antigua Cronicas Processos antiguos) Barcelone 1954

p 74-82

66 Cette typologie fut reprise par le pape Alexandre IV une dizaine danneacutees plus tard et

eacutediteacutee par Boniface VIII dans le Sexte (L 5 tit 2 cap 2 6 11 eacuted Friedberg II col 1069

1071 1073) Voir aussi le traiteacute Doctrina de modo procedendi erga hereticos (vers 1280)

dans Martegravene et Durand Thesaurus novus anecdotum t 5 Paris 1717 col 1797 et la

Practica de Bernard Gui (p 226-232)

67 Bien avant la creacuteation de lInquisition le troisiegraveme concile de Latran (1179) avait frappeacute

danathegraveme et priveacute de seacutepulture les defensores et receptatores dheacutereacutetiques (Deacutecreacutetales L 5

tit 7 cap 8 eacuted Friedberg II col 1780)

68 Ibid p 29-32

69 Texte eacutediteacute par J Coste Boniface VIII en procegraves Articles daccusation et deacutepositions de

teacutemoins (1303-1311) Eacutedition critique introduction et notes Rome 1995 p 153

70 Nogaret originaire de Saint-Feacutelix-de-Caraman haut-lieu cathare petit-fils dun ministre

heacutereacutetique avait certainement une bonne connaissance de la perseacutecution de lheacutereacutesie en deacutepit

de sa formation de civiliste

71 Directorium op cit seconde partie question 2

72 Processus op cit p 180

73 E PETERS Inquisition Berkeley 1988

74 R KIECKHEFER laquo The Office of Inquisition and Medieval heresy the Transition from a

Personal to an Institutional Juridiction raquo Journal of Ecclesiastical History 46 1995 p 36-

61

75 Ainsi le pape deacutecida de suspendre le droit dasile dans les eacuteglises au deacutetriment des

heacutereacutetiques mais pas speacutecifiquement des auteurs de sortilegraveges (Lettre au roi de France Philippe

VI en 1328 publieacutee par J-M Vidal Bullaire op cit no 79 p 130-131)

76 Eacuted FRIEDBERG t II col 1078

77 Ibid col 1200

78 Voir la lettre dure que lui adressa le pape Jean XXII le 6 octobre 1332 (J-M Vidal

Bullaire op cit no 124 p 184)

79 Coulon-Cleacutemencet no 4539 fasc 9 p 59-60

80 Lattention precircteacutee agrave Philippe le Bel et agrave Jean XXII ne doit pas faire oublier que ce type

daccusation politico-deacutemonologique est deacutepoque comme le montre dans un tout autre

contexte le procegraves intenteacute agrave Walter Langton eacutevecircque de Coventry en 1301-1303 avec

mention dadoration diabolique (voir A Beardwood laquo The Trial of Walter Langton bishop of

Lichfield 1307-1312 raquo Transactions of the American Philosophical Society NS 54 p III

Philadelphie 1964

81 Voir J Coste Boniface VIII en procegraves op cit

82 A Rigault Le Procegraves de Guichard eacutevecircque de Troyes 1308-1313 Paris 1896

83 J Favier Un conseiller de Philippe le Bel Enguerrand de Marigny Paris 1963 Il faut

mentionner peu apregraves le procegraves contre le cardinal Francesco Gaetani poursuivi par les cours

royales pour attentat contre le roi son fregravere et deux cardinaux agrave laide dimages magiques

(voir C Langlois laquo Laffaire du cardinal Francesco Gaetani (avril 1316) raquo Revue historique

63 1897 p 56-71)

84 E Albe Autour de Jean XXII op cit

85 R Michel laquo Le procegraves de Mateo et Galeazzo Visconti laccusation de sorcellerie et

dheacutereacutesie Dante et laffaire de lenvoucirctement (1320) raquo Meacutelanges darcheacuteologie et dhistoire

29 1909 p 269-327

86 F Bock laquo I processi di Giovanni XXII contro i Ghibellini delle Marche raquo Bolletino

dellIstituto storico italiano per il Medio Evo 57 1941 p 19-43

24

87 Voir J-M Vidal laquo Le sieur de Parthenay et lInquisition (1323-1325) raquo Bulletin

historique et philologique 1903 p 414-434

88 J-M Vidal Bullaire op cit no 20 p 44 et n

o 76 p 126-127

89 J-M Vidal Bullaire op cit nos

109 et 110 p 167-171

90 J-M Vidal Bullaire op cit no 90 p 144

Alain Boureau

EHESS CRH GAS 54 boulevard Raspail F-75006 Paris

Pour citer cet article

Alain Boureau laquoSatan heacutereacutetique lrsquoinstitution judiciaire de la deacutemonologie sous Jean XXIIraquo

Meacutedieacutevales 44 (2003) httpmedievalesrevuesorgdocument711html

Page 11: Satan hérétique : l’institution judiciaire de la ..._Droit_Canonique/Curiosite/Satan heretique.pdf · e siècle, mais la mutation considérable de procédure qui a assimilé les

11

plus loin lidentification ses disciples confirmeacutes par les perseacutecutions proceacutedegraverent agrave cette

assimilation du pape agrave lAnteacutechrist mystique

Sur ce point un teacutemoignage curieux livre un veacuteritable reacutecit fondateur et mythique sur les

origines de la haine de Jean XXII contre les spirituels franciscains En 1333 le chevalier

roussillonnais Adheacutemar de Mosset fut poursuivi pour ses sympathies beacuteguines agrave linitiative

du roi Jacques II de Majorque57 Le roi dans son troisiegraveme article daccusation rapporte un

souvenir personnel Un jour quil voyageait en compagnie dAdheacutemar la conversation vint sur

le pape Jean XXII et sur les perseacutecutions contre les spirituels que le chevalier reprochait fort

au pontife Adheacutemar demanda au roi sil savait pourquoi le pape qui au deacutebut de son

pontificat avait eacuteteacute une homme saint et bon en eacutetait arriveacute lagrave Jacques ne le savait pas mais le

chevalier le lui apprit Jean XXII aimait alors beaucoup Angelo Clareno lun des principaux

dirigeants des spirituels Un jour il lui demanda dinterroger Dieu pour savoir si son eacutetat

(status) Lui plaisait ou non58 Angelo se mit en priegraveres et laquo vit alors une grande foule de

diables qui portaient un calice plein du poison diniquiteacute il leur demanda ougrave ils allaient et ce

quils allaient faire de ce calice Ils lui reacutepondirent quils allaient aupregraves du pape pour faire

leur possible afin quil boive le calice diniquiteacute raquo Angelo leur demanda de passer le voir sur

le retour ce quils firent Ils lui apprirent alors que le pape avait bu et ils conseillegraverent agrave

Angelo de se garder deacutesormais de lui Au sortir de cette vision le pape demanda agrave Angelo le

reacutesultat de sa consultation le franciscain refusa de parler mais reccedilut lordre au nom du

principe dobeacuteissance de livrer ses informations ce quil fit laquo Et depuis ce temps lagrave le

seigneur pape lui voulut du mal agrave lui et aux autres Beacuteguins raquo Adheacutemar de Mosset qui avait

eacuteteacute au service de Philippe de Majorque reacutegent du royaume sous la minoriteacute de Jacques II et

partisan actif des Beacuteguins eacutetait probablement un sympathisant des dissidents sans ecirctre

directement engageacute dans leur combat et sans avoir de formation theacuteologique ni exeacutegeacutetique il

est probable quil transmettait une anecdote largement reacutepandue Si lon perccediloit mieux le

deacuteveloppement dun engagement personnel du pape il reste agrave comprendre les modaliteacutes de sa

lutte

Le positivisme de Jean XXII

Pourquoi qualifier dheacutereacutesie la magie ou linvocation des deacutemons Parce que les adorateurs

des deacutemons produisent de nouveaux faits susceptibles dengendrer de nouvelles adheacutesions Il

faut insister sur cette notion de factum hereticale brandie dans les questions poseacutees aux

theacuteologiens en 1320 qui rompt avec lideacutee commune de lheacutereacutesie comme opinion ou comme

intellectus Il ne sagit pas seulement dune extension qui trouverait dans les pratiques

sacrilegraveges un fondement doctrinal Jean XXII navait nul besoin de cette qualification pour

reacuteprimer seacutevegraverement les actes magiques et deacutemonolacirctriques

Le pape croyait en la force des faits en droit comme en theacuteologie Ainsi en mai 1330 il

sadressa au roi de France pour lui demander dinterdire la pratique de la preuve par combat

judiciaire ou duel59 en notant que laquo par de telles pratiques la veacuteriteacute nest pas prouveacutee raquo (per

taliaveritas non probatur) Le pape au nom de lexpeacuterience maicirctresse des choses (magistra

rerum experiencia) fait remarquer au roi quen cas daccusation de fausse monnaie jamais le

souverain ne se contenterait dune telle preuve preacuteciseacutement parce quen ce cas les faits

mateacuteriels et la veacuteriteacute pure importent

La construction mecircme de faits ineacutedits est une menace pour la foi Car ce sont les faits qui

induisent la confiance et la foi La qualification traditionnelle de lheacutereacutesie en sen tenant au

rejet des opinions orthodoxes ne considegravere pas le processus qui conduit agrave la foi Devant

12

lextrecircme diversiteacute des opinions et des eacutecoles il faut sen tenir aux faits Jean XXII

exactement comme Guillaume dOckham aboutit agrave la conclusion que la foi repose sur une

certaine confiance accordeacutee agrave lensemble de la tradition chreacutetienne et corroboreacutee par les faits

livreacutes par lEacutecriture La foi repose sur un contrat de confiance Un des reproches les plus

veacuteheacutements quil adresse aux franciscains cest de pieacutetiner les donneacutees factuelles de lEacutecriture

Dans lEacutevangile Jeacutesus a posseacutedeacute des biens et a confieacute sa bourse agrave Judas Or par des artifices

dinterpreacutetation ils aneacuteantissent ces faits au beacuteneacutefice de leur interpreacutetation Les grandes

bulles de condamnation de la doctrine franciscaine de la pauvreteacute absolue insistent sur cette

destruction des donneacutees factuelles qui fondent les articles de foi60 Dans la bulle Cum inter

nonnullos (12 novembre 1223) le pape disait

Laffirmation selon laquelle le Christ et les apocirctres nont rien posseacutedeacute ni en commun ni

individuellement nous jugeons par un eacutedit perpeacutetuel et en suivant lavis de nos fregraveres que

quand elle est reacutepeacuteteacutee avec obstination elle doit ecirctre tenue pour erroneacutee et heacutereacutetique car

comme elle contredit expresseacutement lEacutecriture sacreacutee qui en plusieurs lieux affirme quils ont

eu quelque possession elle implique que cette Eacutecriture sacreacutee par laquelle sont prouveacutes les

articles de la foi orthodoxe contient ouvertement sur ce sujet le germe du mensonge et que

en tant que telle elle eacutevacue toute confiance en lEacutecriture et rend la foi catholique douteuse et

incertaine en supprimant sa force probatoire61

Plus geacuteneacuteralement les franciscains spirituels en imaginant que le Christ et les apocirctres

pratiquaient un usage laquo de fait raquo sans aucune appropriation juridique construisaient une

fiction qui ne trouvait aucun reacutepondant aucune veacuterification dans la laquo nature des choses raquo

(natura rerum) ougrave la consommation des biens repose soit sur un droit soit sur un deacutelit Leur

usage du mot laquo fait raquo renversait lordre naturel du monde Les franciscains devenaient

heacutereacutetiques en rejetant les faits eacutevangeacuteliques et en reconstruisant leurs propres faits gracircce agrave

leur ideacuteologie forte et gracircce agrave lidentiteacute collective quils creacuteaient Les adorateurs des deacutemons

nagissaient pas autrement on le verra

Donc pour Jean XXII un fait est un fait Comment comprendre ce positivisme qui semble

anachronique sans le reacuteduire aux fantaisies singuliegraveres du vieux pontife

Leacutemergence du fait

Pour saisir ce tournant il faut sans doute partir du jugement moral et non pas du jugement

eacutepisteacutemologique des conduites humaines plus que des processus physiques Chacun le sait le

XIIe siegravecle entre Pierre Abeacutelard et Pierre le Chantre a produit une morale de lintention Mon

hypothegravese est que cest cette morale qui a construit la notion de fait en neutralisant

leacuteveacutenement Jean est tueacute Paul la tueacute Ceci est un eacuteveacutenement La theacuteologie morale de

lintention affirme que cet eacuteveacutenement ne signifie rien en lui-mecircme avant quil ne soit qualifieacute

selon lintention de Paul qui construit leacuteveacutenement comme meurtre (il a voulu et preacutemeacutediteacute cet

acte par leffet dune vieille haine) ou bien comme coups et blessures porteacutes sans intention de

meurtre (agrave la suite dune rixe par exemple) comme accident (Paul au cours dune chasse

visait un gibier) comme acte meacuteritoire (Paul a deacutebarrasseacute la chreacutetienteacute dun perseacutecuteur sur le

modegravele de Judith tuant Holopherne) Leacuteveacutenement laquo mort de Jean raquo videacute de sa signification

intrinsegraveque devient ce que jappelle un fait faible un reacutesidu irreacuteductible de reacutealiteacute

Ce relativisme dAbeacutelard doit se relier eacutetroitement au principe naissant de lenquecircte

contradictoire Le premier texte qui proclame la neacutecessiteacute de cette enquecircte se trouve dans la

preacuteface du Sic et non On sait que cet ouvrage en dehors de sa preacuteface ne contient que des

13

citations contradictoires sur une seacuterie dobjets mais on na pas releveacute que ces objets ne sont

pas toujours des opinions theacuteologiques mais aussi des faits (comme par exemple

lemplacement geacuteographique de la tombe des patriarches)

Au cours du XIIIe siegravecle se produisit une reacuteaction progressive contre la morale de lintention

une tentative dobjectivation du jugement moral et judiciaire Ce pheacutenomegravene tient

probablement au mouvement de reacutedaction des textes normatifs et agrave la constitution du droit

comme science de plus en plus indeacutependante de la theacuteologie morale62 Le fait fut penseacute

comme un reacutesidu neacutecessaire agrave lindeacutependance transcendante du droit que la caste des juristes

tentaient dextraire des contingences et des compromissions des affaires courantes Mais

lattachement agrave la factualiteacute tenait aussi agrave une reacuteaction de lEacuteglise contre les entreprises

heacutereacutetiques appuyeacutees sur une pratique du secret et de la double entente Le sanctuaire de

linteacuterioriteacute pouvait apparaicirctre comme une cache de malfaiteurs Les poursuites contre les

cathares et les beacuteguins le montrent clairement les inquisiteurs mirent au point des techniques

de repeacuterage de la dissimulation Cette eacutevolution tendait donc agrave remplacer le fait faible des

morales de lintention par le fait fort des tribunaux denquecircte Est-ce agrave dire quau tribunal toute

excuse quant agrave la circonstance de laction eacutetait rejeteacutee Certes pas mais les circonstances

furent elles-mecircmes objectiveacutees On en donnera deux exemples la notion dirresponsabiliteacute

accordeacutee agrave des classes repeacuterables dindividus (les fous les enfants les somnambules) fut

deacutefinie au deacutebut du XIVe siegravecle par une deacutecreacutetale de Cleacutement V63 Par ailleurs dans la

proceacutedure inquisitoire lenquecircte preacutealable sur la reacuteputation (fama) des individus suspects

deacuteleacuteguait agrave une communauteacute exteacuterieure leacutevaluation des motifs avant que lenquecircte en veacuteriteacute

ne mette en correacutelation cette eacutevaluation avec des faits preacutecis Certes la fama fut largement

induite par les poursuites elles-mecircmes mais les juges tenaient agrave son caractegravere objectif et

mesurable Dans les procegraves inquisitoires en canonisation comme en matiegravere criminelle ou

heacutereacutetique les juges ou commissaires demandent freacutequemment aux teacutemoins de deacutefinir le sens

du mot fama son lieu dorigine son extension Certains allaient mecircme jusquagrave demander au

teacutemoin deacutevaluer quantitativement le nombre minimal dopinions ou de murmures neacutecessaires

pour constituer une reacuteputation

Ce positivisme meacutedieacuteval dont nous avons tenteacute de repeacuterer les racines juridiques et morales

peut-il ecirctre relieacute agrave une eacutevolution plus globale que lon pourrait saisir dans lhistoire des

sciences La question est deacutelicate car la physique dominante inspireacutee dAristote sattachait

davantage aux causes quaux pheacutenomegravenes comme la montreacute Alexandre Koyreacute Le

pheacutenomegravene eacutetait essentiellement reacuteductible Pourtant un certain deacuteveloppement de la

factualiteacute scientifique sobservait preacuteciseacutement en ces derniegraveres anneacutees du XIIIe siegravecle soit du

cocircteacute des ingeacutenieurs comme le ceacutelegravebre Pierre de Maricourt qui deacutecrivait et expeacuterimentait les

proprieacuteteacutes de laimant en vue de lameacutelioration de la boussole Un grand penseur comme

Roger Bacon grand chantre de lexpeacuterimentation reacuteussissait agrave conjoindre dans son œuvre la

theacuteologie loptique et lalchimie en traquant des faits par lobservation La cateacutegorie fourre-

tout des laquo merveilles raquo (mirabilia) commenccedilait agrave seacutetioler au profit dune extension simultaneacutee

des pheacutenomegravenes miraculeux et des pheacutenomegravenes naturels Enfin une physique non-

aristoteacutelicienne raisonnant sur des cas-limites relevant dune factualiteacute reacuteelle mais rare se

mettait en place64

Lenquecircte et le fait

Sur le plan des poursuites judiciaires la notion de fait tendit agrave simposer quand agrave partir des

anneacutees 1230 la recherche des heacutereacutetiques au sein de populations largement complices prit un

caractegravere massif et exigea des critegraveres plus larges et des meacutethodes plus efficaces que

14

linterrogatoire individuel Un mandement de larchevecircque de Tarragone fut reacutedigeacute en mai

124265 avec laide du dominicain Raymond de Penyafort le grand juriste qui devint aussi

maicirctre geacuteneacuteral de lordre des precirccheurs afin laquo que lon procegravede plus clairement quant au fait

dheacutereacutesie (circa factum heresis) raquo Certes le mot factum a encore ici le sens dimputation

judiciaire quil avait dans le droit romain mais le deacutetail du mandement montre bien quil

importait deacutesormais de consideacuterer des actes qui ne relevaient pas directement de la croyance

Le texte en effet distingue sept classes de population relieacutees agrave lheacutereacutesie66 Or seule la

premiegravere est nommeacute heacutereacutetique parce quelle professe des croyances en perdurant dans lerreur

La seconde cateacutegorie les laquo croyants raquo (credentes) est assimileacutee aux heacutereacutetiques (il faut sans

doute comprendre quils sont mis agrave part avant lavertissement salutaire qui les transforme en

cas de refus dabjurer en heacutereacutetiques proprement dits) Ensuite viennent les laquo suspects raquo

dheacutereacutesie Seuls des actions et des faits construisent cette qualification eacutecouter la preacutedication

ou les confeacuterences des heacutereacutetiques (en ce cas il sagit dinsabbatici heacutereacutetiques difficiles agrave

identifier et qui sont citeacutes en compagnie des Pauvres de Lyon et des Vaudois) sagenouiller en

leur compagnie Un eacuteleacutement de croyance peut pourtant ecirctre ajouteacute les suspects croient que

les heacutereacutetiques en question sont de laquo bons hommes raquo Suivant la reacutepeacutetition des actes la

suspicion sera simple veacuteheacutemente ou tregraves veacuteheacutemente Viennent ensuite les complices passifs

les laquo non-deacutenonciateurs raquo (celatores) qui sabstiennent de reacuteveacuteler la preacutesence publique

dheacutereacutetiques les laquo dissimulateurs raquo (occultatores) laquo qui ont fait pacte de ne rien reacuteveacuteler raquo

(fecerunt pactum de non revelando) les laquo hocirctes raquo (receptatores) qui reccediloivent chez eux au

moins deux fois des heacutereacutetiques ou des reacuteunions dheacutereacutetiques les laquo deacutefenseurs raquo (defensores)

qui prennent le parti des heacutereacutetiques par la parole ou par le fait (verbo vel facto) soit par le

discours soit par une aide mateacuterielle67 Ces quatre derniegraveres cateacutegories sont rassembleacutees sous

la qualification de laquo soutiens raquo (fautores) de lheacutereacutesie Les deacutelits lieacutes aux heacutereacutesies sont pour

Raymond susceptibles de degreacutes (magis vel minus) alors que lheacutereacutesie proprement dite

implique une structure strictement binaire ougrave le vrai soppose agrave lerreur Lagrave encore cest le

droit qui construit par opposition le fait par opposition au ministegravere du confesseur qui in

foro conscientiae traite le continuum des fautes et manquements la tacircche de linquisiteur in

jure consiste agrave reacuteduire agrave la pureteacute binaire de lincrimination une foule de circonstances et

daction floues Plus tard dans le siegravecle la notion de laquo preacutesomption de droit raquo accrut encore

cette tendance

Mais lheacutesitation est encore grande le quatriegraveme point de la consultation porte sur la

qualification comme heacutereacutetique de celui qui embrasse un heacutereacutetique ou qui prie en sa

compagnie ou le cache laquo doit-il ecirctre jugeacute comme croyant en lerreur de lheacutereacutetique raquo La

reacuteponse eacutetait neacutegative Pourtant plus loin le texte suggegravere que les ossements de ceux qui ont

soutenu lheacutereacutesie doivent ecirctre exhumeacutes parce que laquo le soutien (fautoria) est la suite et le

compleacutement de lheacutereacutesie raquo Quelques anneacutees plus tocirct en 1235 dans un des premiers textes

consacreacutes aux regravegles de linquisition Raymond de Penyafort consideacuterait que ceux qui

heacutebergeaient des heacutereacutetiques (en loccurrence des Vaudois) devaient ecirctre jugeacutes comme

heacutereacutetiques parce quils croyaient que lEacuteglise se trompait en poursuivant les heacutereacutetiques68

On le voit la tentation eacutetait grande depuis les deacutebuts de linquisition de construire des faits

heacutereacutetiques Lorsque le 14 juin 1303 Guillaume de Plaisians preacutesenta au Louvre ses

accusations contre le pape Boniface VIII il lui reprocha davoir extorqueacute agrave des precirctres la

reacuteveacutelation de secrets confieacutes en confession pour les divulguer et les utiliser Il conclut cet

article en disant laquo En raison de cela il semble avoir eacuteteacute heacutereacutetique quant au sacrement de

peacutenitence (propter quod in sacramento penitentie hereticare videtur) raquo Cest donc bien un

acte manifesteacute par le verbe actif laquo heacutereacutetiquer raquo qui passe pour manifestation dheacutereacutesie

Comme le note Jean Coste dans son eacutedition du laquo procegraves raquo le cardinal Pietro Colonna qui

15

connaissait mieux le droit canonique avait ajouteacute dans la reacutedaction dun article analogue laquo le

mecircme Boniface proclamait de faccedilon doctrinale (dogmatizabat) quil avait le droit dagir

ainsi raquo69

En 1308-1309 lauteur dune nouvelle seacuterie darticles daccusation contre la meacutemoire de

Boniface que Jean Coste attribue agrave Nogaret70 introduit une distinction alors ineacutedite qui fut

reprise cinquante ans plus tard par Nicolas Eymerich71 entre les articles heacutereacutetiques les

erreurs relatives agrave un point de fait deacutejagrave condamneacute (facti damnati errores) et les opinions Mais

la simple mention de cette distinction sans application preacutecise ne permet pas de consideacuterer

que la notion de laquo fait heacutereacutetique raquo se deacuteveloppait veacuteritablement

Les juges deacuteleacutegueacutes au procegraves de Bernard Deacutelicieux en 1319 franchirent ce pas du moins

dans leur acte daccusation du 23 octobre 1319 ils ouvraient leur accusation en deacuteclarant sur

un ton tregraves leacutegislatif mais sans aucune alleacutegation de droit que tout homme seigneur puissant

ou juge qui oserait libeacuterer les prisonniers de linquisition refuser dexeacutecuter ses mandats

empecirccher la sentence ou le procegraves ou sopposer en quelque faccedilon agrave la poursuite des

heacutereacutetiques laquo encourt ipso facto une sentence dexcommunication et sil lencourt avec une

volonteacute reacutesolue pendant un an est alors condamneacute comme heacutereacutetique raquo72

Questions de proceacutedure

Face agrave la menace deacutemoniaque il importait dagir efficacement et rapidement mais ces deux

exigences eacutetaient contradictoires car lefficaciteacute supposait le lent et difficile eacutetablissement de

la veacuteriteacute Le pontife disposait dune multitude de solutions judiciaires qui impliquaient agrave la

fois des diffeacuterences dans les types de proceacutedure dans les ressorts juridictionnels et dans les

modaliteacutes de lenquecircte

LEacuteglise favorisait le deacuteveloppement de la proceacutedure inquisitoire (par enquecircte) au deacutetriment

du mode accusatoire selon un mouvement initieacute par des deacutecreacutetales dInnocent III agrave partir de

1198 dont la maturation se lit dans le canon 8 du concile de Latran IV (1215) On le sait la

proceacutedure accusatoire dominante jusquau XIIe siegravecle et qui a poursuivi sa carriegravere dans la

Common Law britannique et ameacutericaine reacuteserve lincrimination agrave un accusateur qui sengage

sur cette accusation et peut en pacirctir Le juge ou le jury se contente darbitrer Les deux

moments de laction sont constitueacutes par la construction minutieuse de la cause qui doit ecirctre

rigoureusement deacutefinie (en termes romains il sagit de la phase de litis contestatio) et par la

deacutelibeacuteration La proceacutedure inquisitoire en revanche favorise laccusation doffice formuleacutee

par un juge ou un prince agrave la suite dune laquo diffamation raquo deacuteriveacutee de leacutecoute dune rumeur

accusatrice Le procegraves met en œuvre deux enquecirctes successives la premiegravere eacutetablit cette

fama cette reacuteputation bonne ou mauvaise qui permet linculpation ou la relaxe la seconde

enquecircte construit la veacuteriteacute des faits porteacutes par la fama

Plusieurs ressorts juridictionnels pouvaient prendre en charge les invocateurs du deacutemon la

justice eacutepiscopale avec ses divers tribunaux le tribunal de linquisition et des commissions

pontificales ad hoc Linquisition fut creacuteeacutee par le pontificat agrave partir de 1233 en vue de

poursuivre lheacutereacutesie et elle garda longtemps cette speacutecialisation qui impliquait un recrutement

de juges plus theacuteologiens que juristes Il est difficile de porter un jugement serein sur

linquisition meacutedieacutevale tant son image a fait lobjet de controverses violentes Certains

meacutedieacutevistes ont tenteacute non sans quelques raisons de rejeter la folie perseacutecutrice associeacutee agrave

cette image Edward Peters a montreacute comment avait pu se construire dans la suite des temps

un veacuteritable mythe noir de linquisition73 un article retentissant de Richard Kieckhefer a mis

16

en doute la reacutealiteacute institutionnelle de linquisition74 De fait lopinion commune a souvent

confondu les reacutealiteacutes implacables de lInquisition romaine (creacuteeacutee en 1542) et surtout de

lInquisition castillane (institution eacutetatique fondeacutee en 1481-1482) avec les tentatives limiteacutees

et souvent incoheacuterentes de linquisition meacutedieacutevale Pourtant linquisition meacutedieacutevale a bien

existeacute comme institution puissante en deacutepit de sa faible assise Linquisiteur eacutetait nommeacute par

le saint Siegravege mais demeurait eacutetroitement lieacute agrave lordre religieux dont il provenait (lordre

dominicain pour lessentiel mais aussi lordre franciscain et dans une moindre mesure

lordre des carmes) Sa pratique quotidienne le mettait en relation eacutetroite avec le pouvoir

seacuteculier

Les commissions speacuteciales du pape deacuterivaient en un sens de la justice deacuteleacutegueacutee des pontifes

instaureacutee depuis le XIIe siegravecle mais elles prirent une importance particuliegravere sous le pontificat

de Jean XXII pour des raisons que nous examinerons plus loin Limportance des faits

deacutemoniaques conduisit Jean XXII agrave lever beaucoup de garanties judiciaires et gracieuses75 et

agrave confier les affaires de complot avec soupccedilons magiques ou deacutemonologiques agrave des

commissions pontificales qui se reacuteclamaient de la proceacutedure sommaire La notion de

proceacutedure sommaire sest lentement deacuteveloppeacutee depuis la fin du XIIe siegravecle dans le droit

canonique Il sagissait de formaliser les efforts des deacutecennies preacuteceacutedentes en matiegravere

darbitrage ou de compromis internes agrave lEacuteglise en reacuteaction aux excegraves de juridisme qui avaient

eacuteteacute deacutenonceacutes par saint Bernard dans son retentissant traiteacute De consideratione La notion

dlaquo eacutequiteacute canonique raquo eacutetait opposeacutee agrave la rigor iuris des civilistes La proceacutedure trouva

lentement sa forme agrave partir deacuteleacutements eacutepars dans le droit romain par agglomeacuteration de

clausules indeacutependantes si les parties eacutetaient daccord la cognitio summaria (traduite dans

nos textes par ladverbe summarie ou simpliciter) impliquait dalleacuteger les charges de preuves

on pouvait se contenter de preuves laquo semi-pleines raquo (un simple serment un teacutemoin ou un

document unique) et de la phase proprement proceacutedurale dun procegraves la reacutedaction dun

laquo livret raquo (libellus) et le deacutebat de la litis contestatio (qui eacutetablissait les rocircles judiciaires et les

enjeux du procegraves) devenaient facultatifs La mention dune proceacutedure de plano qui renvoyait

agrave linutiliteacute de sieacuteger formellement en tribunal insistait davantage sur la rapiditeacute et labsence de

formes externes Enfin les clausules sine strepitu judiciorum (sans le vacarme des procegraves) et

sine figura judicii (sans la forme du procegraves) compleacutetaient cette simplification en insistant sur

la suppression des avocats et des formes bruyantes dopposition et de recours

Agrave leacutepoque de Jean XXII cette formalisation de larbitrage eccleacutesiastique venait agrave peine de

sachever par la publication de deux deacutecreacutetales de Cleacutement V Dispendiosam produite pour le

concile de Vienne en 1311-1312 et Saepe reacutedigeacutee en 1314 Dispendiosam76 deacuteclarait de

faccedilon fort bregraveve que la proceacutedure sommaire pouvait sappliquer dune part aux cas deacutejagrave preacutevus

par le droit canonique du XIIIe siegravecle quant aux affaires propres de lEacuteglise (laquo eacutelections

demandes et provisions attributions de digniteacutes de fonctions de charges de canonicats de

preacutebendes et autres beacuteneacutefices eccleacutesiastiques raquo et contentieux sur les dicircmes) mais aussi sur les

questions de mariage et dusure Cette extension eacutetait consideacuterable et aboutissait agrave fournir la

possibiliteacute de proceacutedure sommaire pour la quasi totaliteacute des affaires eacutevoqueacutees par lEacuteglise

Seules les successions neacutetaient pas mentionneacutees mais elles interfeacuteraient neacutecessairement avec

les causes matrimoniales La deacutecreacutetale Saepe77

deacutetaillait plus longuement les particulariteacutes de

la proceacutedure sommaire et reacutesumait soigneusement les traits assembleacutes depuis pregraves dun siegravecle

Lusage parallegravele de la proceacutedure sommaire en matiegravere de poursuite de lheacutereacutesie ne se laisse

pas facilement deacutechiffrer car la filiation par rapport agrave la doctrine de larbitrage y perd tout

sens Le seul point commun des deux usages tient au rocircle essentiel du juge chargeacute agrave la fois de

la proceacutedure de linstruction et de la deacutecision Pourtant ce nest pas avant la deacutecreacutetale Statuta

17

quedam promulgueacutee par Boniface VIII dans son Liber Sextus en 1296-1298 que la proceacutedure

sommaire fut accordeacutee explicitement agrave la proceacutedure inquisitoriale laquo En collationnant certains

statuts de nos preacutedeacutecesseurs dheureuse meacutemoire Innocent Alexandre et Cleacutement et en

interpreacutetant et ajoutant certains points nous accordons que dans les affaires dinquisition sur

la perversion heacutereacutetique il puisse ecirctre proceacutedeacute de faccedilon simple et informelle sans vacarme ni

apparence des avocats et des jugements (procedi possit simpliciter et de plano et absque

advocatorum ac judiciorum strepitu et figura) raquo La suite de la deacutecreacutetale justifie le secret sur

les noms des teacutemoins ou accusateurs pour raison de seacutecuriteacute

Procegraves et majesteacute

Tous les niveaux et distinctions que nous venons desquisser se mecirclaient dans la pratique

judiciaire puisque linquisition se fondait largement sur la proceacutedure inquisitoire tandis que

des eacutevecircques comme Jacques Fournier le ceacutelegravebre eacutevecircque de Pamiers ou Guido Terreni

eacutevecircque de Majorque puis dElne recevaient du pape des fonctions dinquisiteur dans leur

diocegravese

Pourtant Jean XXII navait guegravere confiance dans la justice des eacutevecircques Il savait que les

eacutevecircques pouvaient souvent preacutefeacuterer la paix du diocegravese agrave lexigence de la veacuteriteacute Ainsi agrave

lefficace et zeacuteleacute Jacques Fournier avait succeacutedeacute en 1326 Dominique Grima brillant

theacuteologien ancien assistant inquisiteur de Bernard Gui agrave Toulouse qui sattira le courroux du

pape pour sa neacutegligence dans la poursuite de lheacutereacutesie78 Le pape preacutefeacutera freacutequemment utiliser

des commissions speacuteciales denquecircte et de jugement selon la proceacutedure sommaire plutocirct que

les tribunaux inquisitoriaux Ce fut le cas notamment pour les procegraves de Hugues Geacuteraud de

Robert de Mauvoisin et de Bernard Deacutelicieux Parfois limputation de crime de legravese-majesteacute

permit de donner une latitude encore plus large aux proceacutedures extraordinaires ainsi le 12

avril 1331 sur plainte du roi de France le pape ordonna agrave leacutevecircque de Paris de proceacuteder

contre Hertaud abbeacute dun monastegravere du diocegravese dAutun et contre Jean Albeacutericus dominicain

sur leurs laquo maleacutefices et excegraves raquo (super maleficiis et excessibus) contre le roi et sa cour raquo Il

sagit certainement de pratiques magiques (multis maleficiis) qui attentaient au laquo salut public raquo

et qui en tout cas relevaient du crime de legravese-majesteacute Or le pape en ce cas non seulement

ordonna une proceacutedure sommaire (simpliciter et de plano sine strepitu et figura judicii) mais

leva tous les privilegraveges et garanties des deux religieux autorisant leur arrestation (captionem)

leur incarceacuteration et leur torture (necnon questionibus subici prout a canonibus est

permissum)79

On peut se demander pourquoi Jean XXII fut si reacuteticent agrave confier les causes deacutemoniaques agrave

linquisition au moment mecircme ougrave il tentait dassimiler linvocation des deacutemons agrave lheacutereacutesie La

reacuteponse la plus commune agrave cette question relie ce choix au caractegravere politique de bien des

affaires ougrave le deacutemon semble intervenir comme preacutetexte plutocirct que comme cause De fait les

proceacutedures exceptionnelles qui mecirclent lattentat contre la majesteacute royale ou divine les

accusations dheacutereacutesie et les imputations de sorcellerie ou dinvocation des deacutemons doivent ecirctre

relieacutees agrave la grande vague des procegraves politiques qui avait commenceacute degraves le deacutebut du XIVe

siegravecle cest Philippe le Bel80 qui avait lanceacute degraves 1303 le procegraves contre le pape

Boniface VIII81 accuseacute entre autres davoir invoqueacute les deacutemons et consulteacute des magiciens

puis le roi entre 1306 et 1314 sen eacutetait pris aux Templiers comme adorateurs du diable

Entre 1308 et 1314 Philippe le Bel avait inculpeacute Guichard eacutevecircque de Troyes qui aurait

conspireacute en vue de tuer la reine et dautres personnaliteacutes princiegraveres par lusage de poisons et

dimages magiques82 En 1315 Enguerrand de Marigny qui avait si efficacement collaboreacute agrave

ces procegraves fut lui-mecircme pendu pour avoir nui au roi Louis X et agrave Charles de Valois par des

18

images magiques83 Jean XXII prit le relais avec les procegraves contre Hugues Geacuteraud eacutevecircque

de Cahors84 en 1317 contre Mateo et Galeazzo Visconti en 132085 contre les allieacutes de

Federico de Montefeltro dans la Marche dAncocircne86 Dans tous ces cas la parfaite

correspondance entre la graviteacute des accusations et la position antagoniste des inculpeacutes incite agrave

voir dans ces procegraves de simples et cyniques manœuvres ougrave lexception judiciaire doit

confirmer la regravegle politique

Cette interpreacutetation rend imparfaitement compte des reacutealiteacutes leacutecrasement des adversaires ne

fut pas systeacutematique les graves accusations contre Bernard Deacutelicieux quant au meurtre

deacutemoniaque de Cleacutement V ne furent pas assumeacutees dans le jugement contrairement agrave ce qui se

passa pour Hugues Geacuteraud Robert de Mauvoisin sen tira avec une simple eacutejection de son

siegravege archieacutepiscopal Certes les juges avaient quelque autonomie mais on peut penser que le

pape avait eacuteprouveacute de reacuteels doutes quant agrave la culpabiliteacute des accuseacutes Ces interrogations

rendent peut-ecirctre compte de la consultation de 1320 qui relevait moins de la discussion

quodlibeacutetale ou de la colleacutegialiteacute de deacutecision que du besoin dexpertise

Meacutefiance de linquisition

Les choix de proceacutedure de Jean XXII doivent sexpliquer autrement La preacutefeacuterence pour la

forme extraordinaire tient dabord agrave une grande meacutefiance de linquisition Les inquisiteurs

avaient tendance agrave poursuivre sans tenir compte des rangs sociaux ni des circonstances

politiques la fameuse affaire de Jean lArchevesque sieur de Parthenay mecircleacute agrave des pratiques

de sortilegravege vers 1323 le montre bien Linquisiteur seacutetait attaqueacute agrave un personnage puissant

beacuteneacuteficiant de protections royales qui avait reacuteussi agrave obtenir la consultation dun grand juriste

Oldrado da Ponte87 Agrave deux reprises le pape eacutecrivit aux inquisiteurs de Carcassonne pour

leur enjoindre de ne pas tourmenter inutilement les consuls et bourgeois de Montpellier88

Le pape avait pu aussi eacuteprouver lextrecircme impopulariteacute de linquisition patente dans laffaire

Bernard Deacutelicieux un simple agitateur avait failli renverser le pouvoir monarchique franccedilais

en liguant les couches citadines hostiles agrave lintervention des inquisiteurs En 1317-1318 cest

le zegravele excessif de Michel Le Moine inquisiteur franciscain de Provence qui avait enflammeacute

la reacutesistance beacuteguine dans le Midi par lexaltation des martyrs de Marseille En 1321-1322

cest le manque de discernement de linquisiteur Jean de Beaune agrave Beacuteziers qui avait entraicircneacute le

pape sur un terrain impreacutevu Linquisiteur ne mesurait pas toujours la porteacutee de ses actes et

surtout il pouvait agir trop publiquement du moins dans la phase initiale (la proclamation de

lenquecircte) et dans sa phase conclusive (le sermon geacuteneacuteral) ainsi cest la dispute publique

entre linquisiteur de Carcassonne Jean de Beaune et le lecteur franciscain du couvent de

Narbonne Beacuteranger Talon qui avait provoqueacute la reprise du deacutebat sur la pauvreteacute du Christ

Enfin et surtout linquisition jouissait dune certaine indeacutependance par rapport au pouvoir

pontifical dune part sa nomination deacutependait aussi du bon vouloir du maicirctre geacuteneacuteral des

dominicains ou du ministre geacuteneacuteral des franciscains Dautre part il pouvait agrave loccasion se

rapprocher du pouvoir royal On peut se demander si la diffeacuterence de deacutenomination des

inquisiteurs de Carcassonnne et de Toulouse entre 1320 et 1330 dans les lettres citeacutees plus

haut reacutedigeacutees par Guillaume de Peyre Godin puis par le pape ne traduit pas cette perception

dans le premier cas le cardinal sadresse laquo agrave linquisiteur de la perversion heacutereacutetique de la

reacutegion de Carcassonne raquo dans le second cas il sagit de laquo linquisiteur de la perversion

heacutereacutetique deacuteputeacute par le Siegravege apostolique dans le royaume de France en reacutesidence agrave

Carcassonne raquo Le soin de cette seconde formulation insiste sur le fait que lorigine du pouvoir

inquisitorial se trouve bien dans le pontificat De fait linquisition meacuteridionale apregraves les

froissements ducircs agrave laffaire Bernard Deacutelicieux ougrave les officiers royaux avaient toleacutereacute ou mecircme

19

soutenu le trublion franciscain avait eacuteteacute largement instrumentaliseacutee par la monarchie comme

le montrait laffaire des Templiers

En outre le pontife eacutetait fort irriteacute du manque de respect de certains inquisiteurs pour le droit

Ainsi en 1331 il reccedilut et approuva les plaintes de maicirctre Jean Anselme de Gecircnes chirurgien

et de Reacuteginald de Cravant clerc du diocegravese dAuxerre qui avaient eacuteteacute faussement accuseacutes

dheacutereacutesie et de maleacutefices par linquisiteur de France Aubert de Chacirclons et par leacutevecircque de Paris

Hugues Michel de Besanccedilon Le pontife leur reprochait davoir agi sans avoir eacutetabli aucune

infamie anteacuterieure sans respecter lordre judiciaire sans permettre aucune deacutefense leacutegitime89

Il nest pas besoin dimaginer un Jean XXII soucieux de justice par formation professionnelle

comme on la vu lordre du droit permettait deacutetablir soigneusement la veacuteriteacute qui importait

bien davantage que la reacutepression Le cas de la censure du commentaire dOlivi sur

lApocalypse le montre bien le texte eacutetait dangereux puisquil inspirait directement les

Beacuteguins par le biais dabreacutegeacutes et de traductions en langue vernaculaire Le contenu anti-

pontifical de ce texte eacutetait manifeste Pourtant le pape usa directement ou indirectement de

quatre commissions diffeacuterentes durant huit ans (1318-1326) avec un suppleacutement denquecircte

en 1322 avant darriver agrave une condamnation Le reacutesultat reacutepressif eacutetait certainement acquis

degraves 1318 mais il importait de suivre minutieusement les chemins de lerreur Ce souci

apparaicirct clairement dans une lettre adresseacutee par le pape en 1330 agrave Henri Chamayou

inquisiteur de Carcassonne90 qui avait reacuteussi agrave faire arrecircter deux heacutereacutetiques italiens qui

avaient confesseacute leur crime Le pontife feacutelicite chaleureusement linquisiteur mais lengage

fermement agrave poursuivre lenquecircte bien quil ait deacutejagrave en main tous les eacuteleacutements pour les

condamner laquo parce que nous croyons que tu aurais du connaicirctre une veacuteriteacute plus ample

(novisse te plenius credimus veritatem) au sujet de ce pour quoi ils tont eacuteteacute livreacutes nous

voulons et il nous plaicirct quayant Dieu seul devant les yeux tu veilles selon lexigence de la

justice agrave ne pas neacutegliger ce que tu sauras ecirctre adeacutequat en cette affaire raquo

Ces recommandations neacutetaient pas de pure forme la logique de linquisition ne la conduisait

pas vers leacutelucidation neacutecessaire agrave la cause des deacutemoniaques Linstitution demeurait

profondeacutement theacuteologienne et non juriste Le fondement proceacutedural de linquisition reposait

moins sur la poursuite doffice et lenquecircte que sur la troisiegraveme forme de poursuite (agrave cocircteacute de

la proceacutedure inquisitoire et de la proceacutedure accusatoire) deacutefinie par Innocent III au canon 8 du

concile de Latran la deacutenonciation eacutevangeacutelique issue de la correction fraternelle Or la

deacutenonciation orientait la poursuite vers la peacutenitence La confession rapidement obtenue par la

menace la terreur ou la torture conduisait agrave la demande dabsolution chegraverement neacutegocieacutee Il

importait agrave linquisiteur dobtenir au plus vite cette confession sans trop sattarder dans

lenquecircte sur la fama ou sur la veacuteriteacute neutraliseacutee par laveu Paradoxalement un accuseacute avait

de meilleures chances avec les proceacutedures sommaires chegraveres au pape quavec linquisition

parce que la veacuteriteacute pouvait contraindre le pape agrave la mansueacutetude tandis que la meacutecanique de la

culpabiliteacute ineacutevitable de tout peacutecheur entraicircnait tout inculpeacute dans la collectiviteacute peacutenale de

linquisition

Cest peut-ecirctre ces problegravemes de proceacutedure qui ont provoqueacute ce que Jean-Patrice Boudet

appelait plaisamment le laquo retard agrave lallumage raquo dans la poursuite des sorciers au XIVe siegravecle

tant que la papauteacute fut reacuteticente agrave deacuteleacuteguer son pouvoir denquecircte les limites mateacuterielles de la

justice pontificale empecircchegraverent la diffusion capillaire de limputation et de la reacutepression Et

preacuteciseacutement cest labandon forceacute de labsolutisme pontifical apregraves les conciles de Constance

et de Bacircle qui ouvrit les premiegraveres campagnes judiciaires et doctrinales contre les sorciers et

adorateurs du deacutemon dans les anneacutees 1430-1440 Mais le deacuteveloppement rapide de la

20

deacutemonologie avait eacuteteacute bien preacutepareacute par un pape qui tenait agrave consideacuterer lucidement les zones

obscures ougrave le deacutemon pouvait passer

Notes de bas de page

1 B Gui Manuel de linquisiteur eacuted par G Mollat Paris 1926-1927

2 P Paravy De la chreacutetienteacute romaine agrave la Reacuteforme en Dauphineacute Eacutevecircques fidegraveles et deacuteviants

(vers 1340-vers 1530) Rome 1993

3 LImaginaire du sabbat Eacutedition critique des textes les plus anciens (1430 ca-1440 ca)

reacuteunis par M Ostorero A Paravicini Bagliani K Utz Tremp en collaboration avec C Chegravene

Lausanne 1999

4 R KIECKHEFER European Witch Trials Their Foundations in Popular and Learned

Culture 1300-1500 Londres 1976 Carlo Ginzburg commence sa seacuterie explicative des

formes occidentales du sabbat en 1321 mais selon un modegravele totalement opposeacute au nocirctre

5 Bonn 1901

6 L THORNDIKE A History of Magic and Experimental Science vol III New York 1934

p 18 sq

7 Voir N Weill-Parot Les laquo Images astrologiques raquo au Moyen Acircge et agrave la Renaissance

Speacuteculations intellectuelles et pratiques magiques (XIIe-XV

e s) Paris 2002 p 377-385 et Id

laquo Les intellectuels lEacuteglise et la magie dans la premiegravere moitieacute du xive s raquo (meacutemoire de

maicirctrise Paris I 1990) Je tiens agrave remercier N Weill-Parot pour ses commentaires sur le

preacutesent article

8 laquo Quod cum morte fedus ineunt et pactum faciunt cum inferno Demonibus namque

immolant hos adorant raquo

9 Liber Sextus V II cap 8

10 Cause XXVI qu 5 cap 12 eacuted Friedberg col 1080

11 Voir A Boureau laquo De la feacutelonie agrave la haute trahison Un eacutepisode la trahison des clercs

(version du xiie s) raquo Le Genre Humain 16-17 1988 p 267-291

12 Venise 1595 XLIII 9 p 341-342

13 laquo Simpliciter et de plano ac sine strepitu et figura judicii appellatione remota raquo Lettre

publieacutee par J-M Vidal Bullaire de lInquisition franccedilaise Paris 1913 no 284 p 403-404

14 laquo Nonnulli etiam quandoque litterati in hoc se opponunt pretendentes id ad tuum non

expectare officium secundum canonicas sanctiones raquo

15 J-P Boudet laquo Les condamnations de la magie agrave Paris en 1398 raquo Revue Mabillon n s 12

(t 73) 2001 p 121-157

16 B Hamilton The Medieval Inquisition Londres 1981 p 94

17 Dans une lettre de 1336 adresseacutee agrave lofficial dAvignon Benoicirct XII successeur de

Jean XXII range agrave nouveau les sortilegraveges parmi les crimes qui touchent la foi (J-M Vidal

Bullaire op cit no 153 p 229-230) En 1405 Benoicirct XIII deacuteclare nuls les privilegraveges des

habitants du diocegravese du Puy qui preacutetendaient que linquisiteur de Carcassonne ne pouvait les

poursuivre pour maleacutefices (J-M Vidal Bullaire op cit no 332 p 473-474)

18 La premiegravere eacutedition a eacuteteacute procureacutee par Jean Chappuis en 1500 Pour la formation des deux

collections voir A M Stickler Historia Iuris Canonici Institutiones Academicae T I

Historia Fontium Rome 1950 p 270-271

19 Les seules mentions de la bulle se trouvent on la dit dans le manuel de Nicolas Eymerich

(1376) dans les Annales eccleacutesiastiques de Rinaldi et dans un bullaire romain du xviiie s

20 Voir A MAIER dans laquo Eine Verfuumlgung Johannis XXII uumlber die Zustaumlndigkeit der

Inquisition fuumlr Zauberprozesse raquo Archivium Fratrum Praedicatorum 32 1952 p 226-246

21 A Maier loc cit p 231

21

22 Publieacutee par R Manselli laquo Enrico del Carretto e la consultazione sulla magia di Giovanni

XXII raquo dans Miscellanea in onore di Monsignore Martino Giusti t II Vatican 1978 p 97-

129

23 Il est possible aussi que linterrogation doctrinale ait eacuteteacute anticipeacutee par Guido Terreni un

des dix experts de la consultation de 1320 dans son sixiegraveme quolibet laquo Est-ce que celui qui

baptise une chose sans acircme ou sans raison et non pas un homme est heacutereacutetique raquo ms BAV

Borghese 39 fo 238v

o-240v

o que je publie en annexe de la consultation Mais la date de ce

quolibet demeure incertaine

24 laquo Fecisti plantas pedum eiusdem mulieris iuxta carbones accensos apponi raquo texte publieacute

par J-M Vidal Bullaire op cit p 51-52

25 laquo Diu post confessionem debitum nature persoluitverum quia dubitatur ne propter

predicta tormenta citius decesserit quam alias decessisset mulier supradicta si tormentata

minime extitisset raquo

26 laquo Erronea et horrenda contra catholicam fidem fuit confessa et multos consocios et

complices reuelauitque omnia sic inuenta ut communiter creditur numquam reuelata

fuissent nisi mediantibus tormentis eiusdem predicta mulier reuelasset raquo

27 laquo De consilio proborum qui se asserebant uidisse penis examinati hereticos in partibus

Tholosanis raquo

28 J-M Vidal Bullaire op cit no 24 p 53-54

29 Ex certa sciencia sur cette clausule de labsolutisme pontifical voir A Boureau La Loi

du royaume Les moines le droit et la construction de la nation anglaise Paris 2001 avec

renvoi aux travaux de Jacques Krynen

30 Publieacutee par J-M Vidal Bullaire op cit p 61 Une meilleure eacutedition a eacuteteacute procureacutee par

A Maier loc cit p 226-227

31 J-M Vidal Bullaire op cit no 72 p 118-119

32 La commission fut reacuteiteacutereacutee le 8 novembre 1327 ibid no 78 bis p 129-130

33 Voir A Boureau laquo Saints et deacutemons dans les procegraves de canonisation du deacutebut du xive s raquo

agrave paraicirctre dans les actes du colloque de Budapest sur les procegraves de canonisation dir Gaacutebor

Klaniczay

34 B Gui Manuel de linquisiteur eacuted et trad par G Mollat op cit t I p 52

35 Publieacutees par J-M Vidal Bullaire op cit no 103 p 154-156

36 Henri de Chamayou

37 Pierre Brun

38 La qualification dheacutereacutesie de la part du pape agrave propos des invocations deacutemoniaques na

jamais cesseacute Voir par exemple une lettre de 1323 qui deacutesigne des commissaires pour juger

le moine Guillaume de Figeac accuseacute de laquo deacutevier de la foi catholique raquo en pratiquant

lalchimie et la neacutecromancie (J-M Vidal Bullaire op cit no 50 p 87-88)

39 F Graf La Magie dans lAntiquiteacute greacuteco-romaine Ideacuteologie et pratique Paris 1994

40 Voir le reacutecit par Pierre le Veacuteneacuterable vers 1137 dun usage magique de lhostie consacreacutee

par un paysan deacutesireux de retenir ses abeilles Livre des merveilles de Dieu (De miraculis)

introduction traduction et notes de J-P Torrell et D Bouthillier FribourgParis 1992 p 70-

72 Je remercie Charles de Miramon de mavoir signaleacute ce texte

41 Voir les travaux reacutealiseacutes autour de Richard Kieckhefer et Claire Faenger aux Eacutetats-Unis

autour de Jean-Patrice Boudet et Henri Bresc en France notamment

42 Dans sa biographie collective des deux premiegraveres geacuteneacuterations de dominicains eacutecrite au

deacutebut des anneacutees 1260 Geacuterard de Frachet ne rapporte quun seul cas de fregravere qui se voue agrave

lalchimie et il ne trouve agrave lui reprocher que son deacutesir de senrichir rapidement Son activiteacute

consiste alors essentiellement agrave se rendre en Sardaigne pour y collecter des mineacuteraux rares

Son funeste sort ultime ne sexplique que par cet abandon de Dieu au profit de la richesse

22

seacuteculiegravere (Vitae Fratrum Ordinis Praedicatorum eacuted par B-M Reichert Rome-Stuttgart

Monumenta Ordinis Fratrum Praedicatorum Historica 1897 p 290)

43 La Condamnation parisienne de 1277 eacuted et trad par D Picheacute avec la collaboration de

C Lafleur Paris 1999 p 77

44 A Paravicini Bagliani Il corpo del papa Turin 1994

45 Preacuteface agrave Le crisi dellalchimia Micrologus 3 1995 p VIII

46 Voir leacutedition du procegraves dans J Shatzmiller Justice et injustice au deacutebut du XIVe s

Lenquecircte sur larchevecircque dAix et sa renonciation en 1318 Rome 1999

47 Voir une lettre de feacutevrier 1330 dans Lettres secregravetes et curiales du pape Jean XXII (1316-

1334) relatives agrave la France eacuted par A Coulon et S Cleacutemencet fasc 8 Paris 1965 no 4100

p 104-105 [abreacutegeacute deacutesormais Coulon-Cleacutemencet] lettre agrave Jean de Badas inquisiteur

franciscain de Marseille sur un crime nefandum commis par Gantalmus Gantalmi notaire et

sa femme Berengegravere instigatione diabolica circumventi agrave lencontre de Guillaume de Baucio

sire de Berre

48 Texte publieacute par J HANSEN Quellen und Untersuchungen op cit no 3 p 2

49 Notons quen 1318 les rites de conseacutecration des miroirs et images paraissent speacutecifiques

alors quen 1320 dans les questions poseacutees par le pape aux experts les invocateurs de deacutemons

utilisent le rite catholique du baptecircme pour preacuteparer leurs images

50 A Paravicini Bagliani Il corpo del papa op cit

51 C H JOSTEN laquo The Text of John Dastins letter to Pope John XXII raquo Ambix 4 1951

p 46-51

52 E Albe Autour de Jean XXII Hugues Geacuteraud eacutevecircque de Cahors laffaire des poisons et

envoucirctements en 1317 Cahors 1904 p 163-164

53 Processus Bernardi Deliciosi The Trial of Fr Bernard Deacutelicieux 3 September-8

December 1319 eacutediteacute par A Friedlander Philadelphie 1996 p 62 Pour une eacutetude complegravete

du dossier voir A Friedlander The Hammer of the Inquisitors Brother Bernard Deacutelicieux

and the Struggle against the Inquisition in Fourteenth-Century France Leyde 2000

54 Coulon-Cleacutemencet no 2969 p 151

55 Coulon-Cleacutemencet no 2395 p 47

56 Sermon sur la vigile de lEacutepiphanie 5 janvier 1332 eacuted par M Dykmans Les Sermons de

Jean XXII sur la vision beacuteatifique Rome (Miscellanea Historiae Pontificiae 34) p 145

57 Les actes du procegraves ont eacuteteacute publieacutes par J-MVidal laquo Procegraves dinquisition contre Adheacutemar

de Mosset raquo Revue dHistoire de lEacuteglise de France 1 1910 Lanecdote se trouve agrave la p 713

58 Ces interrogations sur la laquo situation raquo spirituelle eacutetaient freacutequemment exprimeacutees Dans sa

correspondance avec les grands de ce monde le pape doit souvent reacutepondre agrave ce genre de

question en termes agrave vrai dire assez geacuteneacuteraux

59 Coulon-Cleacutemencet fasc 8 Paris 1965 no 4197 p 126 Lettre analogue en feacutevrier 1331

(no 4452 t 9 p 41)

60 On peut se demander si ce nest pas cette fideacuteliteacute litteacuterale au texte biblique qui a contribueacute agrave

pousser le pape agrave intervenir sur la question de la vision beacuteatifique question ougrave les partisans de

la vision directe de Dieu avant le jugement final ne trouvaient aucun appui scripturaire direct

61 On trouve une formulation parallegravele dans Quia quorumdam mentes (10 novembre 1324)

62 Voir A Boureau laquo Droit naturel et abstraction judiciaire Hypothegraveses sur la nature du droit

meacutedieacuteval raquo Annales HSS 57 6 2002 p 1463-1488

63 Voir A Boureau laquo La redeacutecouverte de lautonomie du corps leacutemergence du somnambule

(xiiie-xiv

e s) raquo Micrologus I 1993 p 27-42

64 Sur toutes ces questions je me permets de renvoyer au chap 8 de mon ouvrage Theacuteologie

science et censure au XIIIe s Le cas de Jean Peckham Paris 1999

23

65 Publieacute par J Rius Serra dans Sancti Raymundi de Penyafort opera omnia t III

Diplomatario (Documentos Vida antigua Cronicas Processos antiguos) Barcelone 1954

p 74-82

66 Cette typologie fut reprise par le pape Alexandre IV une dizaine danneacutees plus tard et

eacutediteacutee par Boniface VIII dans le Sexte (L 5 tit 2 cap 2 6 11 eacuted Friedberg II col 1069

1071 1073) Voir aussi le traiteacute Doctrina de modo procedendi erga hereticos (vers 1280)

dans Martegravene et Durand Thesaurus novus anecdotum t 5 Paris 1717 col 1797 et la

Practica de Bernard Gui (p 226-232)

67 Bien avant la creacuteation de lInquisition le troisiegraveme concile de Latran (1179) avait frappeacute

danathegraveme et priveacute de seacutepulture les defensores et receptatores dheacutereacutetiques (Deacutecreacutetales L 5

tit 7 cap 8 eacuted Friedberg II col 1780)

68 Ibid p 29-32

69 Texte eacutediteacute par J Coste Boniface VIII en procegraves Articles daccusation et deacutepositions de

teacutemoins (1303-1311) Eacutedition critique introduction et notes Rome 1995 p 153

70 Nogaret originaire de Saint-Feacutelix-de-Caraman haut-lieu cathare petit-fils dun ministre

heacutereacutetique avait certainement une bonne connaissance de la perseacutecution de lheacutereacutesie en deacutepit

de sa formation de civiliste

71 Directorium op cit seconde partie question 2

72 Processus op cit p 180

73 E PETERS Inquisition Berkeley 1988

74 R KIECKHEFER laquo The Office of Inquisition and Medieval heresy the Transition from a

Personal to an Institutional Juridiction raquo Journal of Ecclesiastical History 46 1995 p 36-

61

75 Ainsi le pape deacutecida de suspendre le droit dasile dans les eacuteglises au deacutetriment des

heacutereacutetiques mais pas speacutecifiquement des auteurs de sortilegraveges (Lettre au roi de France Philippe

VI en 1328 publieacutee par J-M Vidal Bullaire op cit no 79 p 130-131)

76 Eacuted FRIEDBERG t II col 1078

77 Ibid col 1200

78 Voir la lettre dure que lui adressa le pape Jean XXII le 6 octobre 1332 (J-M Vidal

Bullaire op cit no 124 p 184)

79 Coulon-Cleacutemencet no 4539 fasc 9 p 59-60

80 Lattention precircteacutee agrave Philippe le Bel et agrave Jean XXII ne doit pas faire oublier que ce type

daccusation politico-deacutemonologique est deacutepoque comme le montre dans un tout autre

contexte le procegraves intenteacute agrave Walter Langton eacutevecircque de Coventry en 1301-1303 avec

mention dadoration diabolique (voir A Beardwood laquo The Trial of Walter Langton bishop of

Lichfield 1307-1312 raquo Transactions of the American Philosophical Society NS 54 p III

Philadelphie 1964

81 Voir J Coste Boniface VIII en procegraves op cit

82 A Rigault Le Procegraves de Guichard eacutevecircque de Troyes 1308-1313 Paris 1896

83 J Favier Un conseiller de Philippe le Bel Enguerrand de Marigny Paris 1963 Il faut

mentionner peu apregraves le procegraves contre le cardinal Francesco Gaetani poursuivi par les cours

royales pour attentat contre le roi son fregravere et deux cardinaux agrave laide dimages magiques

(voir C Langlois laquo Laffaire du cardinal Francesco Gaetani (avril 1316) raquo Revue historique

63 1897 p 56-71)

84 E Albe Autour de Jean XXII op cit

85 R Michel laquo Le procegraves de Mateo et Galeazzo Visconti laccusation de sorcellerie et

dheacutereacutesie Dante et laffaire de lenvoucirctement (1320) raquo Meacutelanges darcheacuteologie et dhistoire

29 1909 p 269-327

86 F Bock laquo I processi di Giovanni XXII contro i Ghibellini delle Marche raquo Bolletino

dellIstituto storico italiano per il Medio Evo 57 1941 p 19-43

24

87 Voir J-M Vidal laquo Le sieur de Parthenay et lInquisition (1323-1325) raquo Bulletin

historique et philologique 1903 p 414-434

88 J-M Vidal Bullaire op cit no 20 p 44 et n

o 76 p 126-127

89 J-M Vidal Bullaire op cit nos

109 et 110 p 167-171

90 J-M Vidal Bullaire op cit no 90 p 144

Alain Boureau

EHESS CRH GAS 54 boulevard Raspail F-75006 Paris

Pour citer cet article

Alain Boureau laquoSatan heacutereacutetique lrsquoinstitution judiciaire de la deacutemonologie sous Jean XXIIraquo

Meacutedieacutevales 44 (2003) httpmedievalesrevuesorgdocument711html

Page 12: Satan hérétique : l’institution judiciaire de la ..._Droit_Canonique/Curiosite/Satan heretique.pdf · e siècle, mais la mutation considérable de procédure qui a assimilé les

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lextrecircme diversiteacute des opinions et des eacutecoles il faut sen tenir aux faits Jean XXII

exactement comme Guillaume dOckham aboutit agrave la conclusion que la foi repose sur une

certaine confiance accordeacutee agrave lensemble de la tradition chreacutetienne et corroboreacutee par les faits

livreacutes par lEacutecriture La foi repose sur un contrat de confiance Un des reproches les plus

veacuteheacutements quil adresse aux franciscains cest de pieacutetiner les donneacutees factuelles de lEacutecriture

Dans lEacutevangile Jeacutesus a posseacutedeacute des biens et a confieacute sa bourse agrave Judas Or par des artifices

dinterpreacutetation ils aneacuteantissent ces faits au beacuteneacutefice de leur interpreacutetation Les grandes

bulles de condamnation de la doctrine franciscaine de la pauvreteacute absolue insistent sur cette

destruction des donneacutees factuelles qui fondent les articles de foi60 Dans la bulle Cum inter

nonnullos (12 novembre 1223) le pape disait

Laffirmation selon laquelle le Christ et les apocirctres nont rien posseacutedeacute ni en commun ni

individuellement nous jugeons par un eacutedit perpeacutetuel et en suivant lavis de nos fregraveres que

quand elle est reacutepeacuteteacutee avec obstination elle doit ecirctre tenue pour erroneacutee et heacutereacutetique car

comme elle contredit expresseacutement lEacutecriture sacreacutee qui en plusieurs lieux affirme quils ont

eu quelque possession elle implique que cette Eacutecriture sacreacutee par laquelle sont prouveacutes les

articles de la foi orthodoxe contient ouvertement sur ce sujet le germe du mensonge et que

en tant que telle elle eacutevacue toute confiance en lEacutecriture et rend la foi catholique douteuse et

incertaine en supprimant sa force probatoire61

Plus geacuteneacuteralement les franciscains spirituels en imaginant que le Christ et les apocirctres

pratiquaient un usage laquo de fait raquo sans aucune appropriation juridique construisaient une

fiction qui ne trouvait aucun reacutepondant aucune veacuterification dans la laquo nature des choses raquo

(natura rerum) ougrave la consommation des biens repose soit sur un droit soit sur un deacutelit Leur

usage du mot laquo fait raquo renversait lordre naturel du monde Les franciscains devenaient

heacutereacutetiques en rejetant les faits eacutevangeacuteliques et en reconstruisant leurs propres faits gracircce agrave

leur ideacuteologie forte et gracircce agrave lidentiteacute collective quils creacuteaient Les adorateurs des deacutemons

nagissaient pas autrement on le verra

Donc pour Jean XXII un fait est un fait Comment comprendre ce positivisme qui semble

anachronique sans le reacuteduire aux fantaisies singuliegraveres du vieux pontife

Leacutemergence du fait

Pour saisir ce tournant il faut sans doute partir du jugement moral et non pas du jugement

eacutepisteacutemologique des conduites humaines plus que des processus physiques Chacun le sait le

XIIe siegravecle entre Pierre Abeacutelard et Pierre le Chantre a produit une morale de lintention Mon

hypothegravese est que cest cette morale qui a construit la notion de fait en neutralisant

leacuteveacutenement Jean est tueacute Paul la tueacute Ceci est un eacuteveacutenement La theacuteologie morale de

lintention affirme que cet eacuteveacutenement ne signifie rien en lui-mecircme avant quil ne soit qualifieacute

selon lintention de Paul qui construit leacuteveacutenement comme meurtre (il a voulu et preacutemeacutediteacute cet

acte par leffet dune vieille haine) ou bien comme coups et blessures porteacutes sans intention de

meurtre (agrave la suite dune rixe par exemple) comme accident (Paul au cours dune chasse

visait un gibier) comme acte meacuteritoire (Paul a deacutebarrasseacute la chreacutetienteacute dun perseacutecuteur sur le

modegravele de Judith tuant Holopherne) Leacuteveacutenement laquo mort de Jean raquo videacute de sa signification

intrinsegraveque devient ce que jappelle un fait faible un reacutesidu irreacuteductible de reacutealiteacute

Ce relativisme dAbeacutelard doit se relier eacutetroitement au principe naissant de lenquecircte

contradictoire Le premier texte qui proclame la neacutecessiteacute de cette enquecircte se trouve dans la

preacuteface du Sic et non On sait que cet ouvrage en dehors de sa preacuteface ne contient que des

13

citations contradictoires sur une seacuterie dobjets mais on na pas releveacute que ces objets ne sont

pas toujours des opinions theacuteologiques mais aussi des faits (comme par exemple

lemplacement geacuteographique de la tombe des patriarches)

Au cours du XIIIe siegravecle se produisit une reacuteaction progressive contre la morale de lintention

une tentative dobjectivation du jugement moral et judiciaire Ce pheacutenomegravene tient

probablement au mouvement de reacutedaction des textes normatifs et agrave la constitution du droit

comme science de plus en plus indeacutependante de la theacuteologie morale62 Le fait fut penseacute

comme un reacutesidu neacutecessaire agrave lindeacutependance transcendante du droit que la caste des juristes

tentaient dextraire des contingences et des compromissions des affaires courantes Mais

lattachement agrave la factualiteacute tenait aussi agrave une reacuteaction de lEacuteglise contre les entreprises

heacutereacutetiques appuyeacutees sur une pratique du secret et de la double entente Le sanctuaire de

linteacuterioriteacute pouvait apparaicirctre comme une cache de malfaiteurs Les poursuites contre les

cathares et les beacuteguins le montrent clairement les inquisiteurs mirent au point des techniques

de repeacuterage de la dissimulation Cette eacutevolution tendait donc agrave remplacer le fait faible des

morales de lintention par le fait fort des tribunaux denquecircte Est-ce agrave dire quau tribunal toute

excuse quant agrave la circonstance de laction eacutetait rejeteacutee Certes pas mais les circonstances

furent elles-mecircmes objectiveacutees On en donnera deux exemples la notion dirresponsabiliteacute

accordeacutee agrave des classes repeacuterables dindividus (les fous les enfants les somnambules) fut

deacutefinie au deacutebut du XIVe siegravecle par une deacutecreacutetale de Cleacutement V63 Par ailleurs dans la

proceacutedure inquisitoire lenquecircte preacutealable sur la reacuteputation (fama) des individus suspects

deacuteleacuteguait agrave une communauteacute exteacuterieure leacutevaluation des motifs avant que lenquecircte en veacuteriteacute

ne mette en correacutelation cette eacutevaluation avec des faits preacutecis Certes la fama fut largement

induite par les poursuites elles-mecircmes mais les juges tenaient agrave son caractegravere objectif et

mesurable Dans les procegraves inquisitoires en canonisation comme en matiegravere criminelle ou

heacutereacutetique les juges ou commissaires demandent freacutequemment aux teacutemoins de deacutefinir le sens

du mot fama son lieu dorigine son extension Certains allaient mecircme jusquagrave demander au

teacutemoin deacutevaluer quantitativement le nombre minimal dopinions ou de murmures neacutecessaires

pour constituer une reacuteputation

Ce positivisme meacutedieacuteval dont nous avons tenteacute de repeacuterer les racines juridiques et morales

peut-il ecirctre relieacute agrave une eacutevolution plus globale que lon pourrait saisir dans lhistoire des

sciences La question est deacutelicate car la physique dominante inspireacutee dAristote sattachait

davantage aux causes quaux pheacutenomegravenes comme la montreacute Alexandre Koyreacute Le

pheacutenomegravene eacutetait essentiellement reacuteductible Pourtant un certain deacuteveloppement de la

factualiteacute scientifique sobservait preacuteciseacutement en ces derniegraveres anneacutees du XIIIe siegravecle soit du

cocircteacute des ingeacutenieurs comme le ceacutelegravebre Pierre de Maricourt qui deacutecrivait et expeacuterimentait les

proprieacuteteacutes de laimant en vue de lameacutelioration de la boussole Un grand penseur comme

Roger Bacon grand chantre de lexpeacuterimentation reacuteussissait agrave conjoindre dans son œuvre la

theacuteologie loptique et lalchimie en traquant des faits par lobservation La cateacutegorie fourre-

tout des laquo merveilles raquo (mirabilia) commenccedilait agrave seacutetioler au profit dune extension simultaneacutee

des pheacutenomegravenes miraculeux et des pheacutenomegravenes naturels Enfin une physique non-

aristoteacutelicienne raisonnant sur des cas-limites relevant dune factualiteacute reacuteelle mais rare se

mettait en place64

Lenquecircte et le fait

Sur le plan des poursuites judiciaires la notion de fait tendit agrave simposer quand agrave partir des

anneacutees 1230 la recherche des heacutereacutetiques au sein de populations largement complices prit un

caractegravere massif et exigea des critegraveres plus larges et des meacutethodes plus efficaces que

14

linterrogatoire individuel Un mandement de larchevecircque de Tarragone fut reacutedigeacute en mai

124265 avec laide du dominicain Raymond de Penyafort le grand juriste qui devint aussi

maicirctre geacuteneacuteral de lordre des precirccheurs afin laquo que lon procegravede plus clairement quant au fait

dheacutereacutesie (circa factum heresis) raquo Certes le mot factum a encore ici le sens dimputation

judiciaire quil avait dans le droit romain mais le deacutetail du mandement montre bien quil

importait deacutesormais de consideacuterer des actes qui ne relevaient pas directement de la croyance

Le texte en effet distingue sept classes de population relieacutees agrave lheacutereacutesie66 Or seule la

premiegravere est nommeacute heacutereacutetique parce quelle professe des croyances en perdurant dans lerreur

La seconde cateacutegorie les laquo croyants raquo (credentes) est assimileacutee aux heacutereacutetiques (il faut sans

doute comprendre quils sont mis agrave part avant lavertissement salutaire qui les transforme en

cas de refus dabjurer en heacutereacutetiques proprement dits) Ensuite viennent les laquo suspects raquo

dheacutereacutesie Seuls des actions et des faits construisent cette qualification eacutecouter la preacutedication

ou les confeacuterences des heacutereacutetiques (en ce cas il sagit dinsabbatici heacutereacutetiques difficiles agrave

identifier et qui sont citeacutes en compagnie des Pauvres de Lyon et des Vaudois) sagenouiller en

leur compagnie Un eacuteleacutement de croyance peut pourtant ecirctre ajouteacute les suspects croient que

les heacutereacutetiques en question sont de laquo bons hommes raquo Suivant la reacutepeacutetition des actes la

suspicion sera simple veacuteheacutemente ou tregraves veacuteheacutemente Viennent ensuite les complices passifs

les laquo non-deacutenonciateurs raquo (celatores) qui sabstiennent de reacuteveacuteler la preacutesence publique

dheacutereacutetiques les laquo dissimulateurs raquo (occultatores) laquo qui ont fait pacte de ne rien reacuteveacuteler raquo

(fecerunt pactum de non revelando) les laquo hocirctes raquo (receptatores) qui reccediloivent chez eux au

moins deux fois des heacutereacutetiques ou des reacuteunions dheacutereacutetiques les laquo deacutefenseurs raquo (defensores)

qui prennent le parti des heacutereacutetiques par la parole ou par le fait (verbo vel facto) soit par le

discours soit par une aide mateacuterielle67 Ces quatre derniegraveres cateacutegories sont rassembleacutees sous

la qualification de laquo soutiens raquo (fautores) de lheacutereacutesie Les deacutelits lieacutes aux heacutereacutesies sont pour

Raymond susceptibles de degreacutes (magis vel minus) alors que lheacutereacutesie proprement dite

implique une structure strictement binaire ougrave le vrai soppose agrave lerreur Lagrave encore cest le

droit qui construit par opposition le fait par opposition au ministegravere du confesseur qui in

foro conscientiae traite le continuum des fautes et manquements la tacircche de linquisiteur in

jure consiste agrave reacuteduire agrave la pureteacute binaire de lincrimination une foule de circonstances et

daction floues Plus tard dans le siegravecle la notion de laquo preacutesomption de droit raquo accrut encore

cette tendance

Mais lheacutesitation est encore grande le quatriegraveme point de la consultation porte sur la

qualification comme heacutereacutetique de celui qui embrasse un heacutereacutetique ou qui prie en sa

compagnie ou le cache laquo doit-il ecirctre jugeacute comme croyant en lerreur de lheacutereacutetique raquo La

reacuteponse eacutetait neacutegative Pourtant plus loin le texte suggegravere que les ossements de ceux qui ont

soutenu lheacutereacutesie doivent ecirctre exhumeacutes parce que laquo le soutien (fautoria) est la suite et le

compleacutement de lheacutereacutesie raquo Quelques anneacutees plus tocirct en 1235 dans un des premiers textes

consacreacutes aux regravegles de linquisition Raymond de Penyafort consideacuterait que ceux qui

heacutebergeaient des heacutereacutetiques (en loccurrence des Vaudois) devaient ecirctre jugeacutes comme

heacutereacutetiques parce quils croyaient que lEacuteglise se trompait en poursuivant les heacutereacutetiques68

On le voit la tentation eacutetait grande depuis les deacutebuts de linquisition de construire des faits

heacutereacutetiques Lorsque le 14 juin 1303 Guillaume de Plaisians preacutesenta au Louvre ses

accusations contre le pape Boniface VIII il lui reprocha davoir extorqueacute agrave des precirctres la

reacuteveacutelation de secrets confieacutes en confession pour les divulguer et les utiliser Il conclut cet

article en disant laquo En raison de cela il semble avoir eacuteteacute heacutereacutetique quant au sacrement de

peacutenitence (propter quod in sacramento penitentie hereticare videtur) raquo Cest donc bien un

acte manifesteacute par le verbe actif laquo heacutereacutetiquer raquo qui passe pour manifestation dheacutereacutesie

Comme le note Jean Coste dans son eacutedition du laquo procegraves raquo le cardinal Pietro Colonna qui

15

connaissait mieux le droit canonique avait ajouteacute dans la reacutedaction dun article analogue laquo le

mecircme Boniface proclamait de faccedilon doctrinale (dogmatizabat) quil avait le droit dagir

ainsi raquo69

En 1308-1309 lauteur dune nouvelle seacuterie darticles daccusation contre la meacutemoire de

Boniface que Jean Coste attribue agrave Nogaret70 introduit une distinction alors ineacutedite qui fut

reprise cinquante ans plus tard par Nicolas Eymerich71 entre les articles heacutereacutetiques les

erreurs relatives agrave un point de fait deacutejagrave condamneacute (facti damnati errores) et les opinions Mais

la simple mention de cette distinction sans application preacutecise ne permet pas de consideacuterer

que la notion de laquo fait heacutereacutetique raquo se deacuteveloppait veacuteritablement

Les juges deacuteleacutegueacutes au procegraves de Bernard Deacutelicieux en 1319 franchirent ce pas du moins

dans leur acte daccusation du 23 octobre 1319 ils ouvraient leur accusation en deacuteclarant sur

un ton tregraves leacutegislatif mais sans aucune alleacutegation de droit que tout homme seigneur puissant

ou juge qui oserait libeacuterer les prisonniers de linquisition refuser dexeacutecuter ses mandats

empecirccher la sentence ou le procegraves ou sopposer en quelque faccedilon agrave la poursuite des

heacutereacutetiques laquo encourt ipso facto une sentence dexcommunication et sil lencourt avec une

volonteacute reacutesolue pendant un an est alors condamneacute comme heacutereacutetique raquo72

Questions de proceacutedure

Face agrave la menace deacutemoniaque il importait dagir efficacement et rapidement mais ces deux

exigences eacutetaient contradictoires car lefficaciteacute supposait le lent et difficile eacutetablissement de

la veacuteriteacute Le pontife disposait dune multitude de solutions judiciaires qui impliquaient agrave la

fois des diffeacuterences dans les types de proceacutedure dans les ressorts juridictionnels et dans les

modaliteacutes de lenquecircte

LEacuteglise favorisait le deacuteveloppement de la proceacutedure inquisitoire (par enquecircte) au deacutetriment

du mode accusatoire selon un mouvement initieacute par des deacutecreacutetales dInnocent III agrave partir de

1198 dont la maturation se lit dans le canon 8 du concile de Latran IV (1215) On le sait la

proceacutedure accusatoire dominante jusquau XIIe siegravecle et qui a poursuivi sa carriegravere dans la

Common Law britannique et ameacutericaine reacuteserve lincrimination agrave un accusateur qui sengage

sur cette accusation et peut en pacirctir Le juge ou le jury se contente darbitrer Les deux

moments de laction sont constitueacutes par la construction minutieuse de la cause qui doit ecirctre

rigoureusement deacutefinie (en termes romains il sagit de la phase de litis contestatio) et par la

deacutelibeacuteration La proceacutedure inquisitoire en revanche favorise laccusation doffice formuleacutee

par un juge ou un prince agrave la suite dune laquo diffamation raquo deacuteriveacutee de leacutecoute dune rumeur

accusatrice Le procegraves met en œuvre deux enquecirctes successives la premiegravere eacutetablit cette

fama cette reacuteputation bonne ou mauvaise qui permet linculpation ou la relaxe la seconde

enquecircte construit la veacuteriteacute des faits porteacutes par la fama

Plusieurs ressorts juridictionnels pouvaient prendre en charge les invocateurs du deacutemon la

justice eacutepiscopale avec ses divers tribunaux le tribunal de linquisition et des commissions

pontificales ad hoc Linquisition fut creacuteeacutee par le pontificat agrave partir de 1233 en vue de

poursuivre lheacutereacutesie et elle garda longtemps cette speacutecialisation qui impliquait un recrutement

de juges plus theacuteologiens que juristes Il est difficile de porter un jugement serein sur

linquisition meacutedieacutevale tant son image a fait lobjet de controverses violentes Certains

meacutedieacutevistes ont tenteacute non sans quelques raisons de rejeter la folie perseacutecutrice associeacutee agrave

cette image Edward Peters a montreacute comment avait pu se construire dans la suite des temps

un veacuteritable mythe noir de linquisition73 un article retentissant de Richard Kieckhefer a mis

16

en doute la reacutealiteacute institutionnelle de linquisition74 De fait lopinion commune a souvent

confondu les reacutealiteacutes implacables de lInquisition romaine (creacuteeacutee en 1542) et surtout de

lInquisition castillane (institution eacutetatique fondeacutee en 1481-1482) avec les tentatives limiteacutees

et souvent incoheacuterentes de linquisition meacutedieacutevale Pourtant linquisition meacutedieacutevale a bien

existeacute comme institution puissante en deacutepit de sa faible assise Linquisiteur eacutetait nommeacute par

le saint Siegravege mais demeurait eacutetroitement lieacute agrave lordre religieux dont il provenait (lordre

dominicain pour lessentiel mais aussi lordre franciscain et dans une moindre mesure

lordre des carmes) Sa pratique quotidienne le mettait en relation eacutetroite avec le pouvoir

seacuteculier

Les commissions speacuteciales du pape deacuterivaient en un sens de la justice deacuteleacutegueacutee des pontifes

instaureacutee depuis le XIIe siegravecle mais elles prirent une importance particuliegravere sous le pontificat

de Jean XXII pour des raisons que nous examinerons plus loin Limportance des faits

deacutemoniaques conduisit Jean XXII agrave lever beaucoup de garanties judiciaires et gracieuses75 et

agrave confier les affaires de complot avec soupccedilons magiques ou deacutemonologiques agrave des

commissions pontificales qui se reacuteclamaient de la proceacutedure sommaire La notion de

proceacutedure sommaire sest lentement deacuteveloppeacutee depuis la fin du XIIe siegravecle dans le droit

canonique Il sagissait de formaliser les efforts des deacutecennies preacuteceacutedentes en matiegravere

darbitrage ou de compromis internes agrave lEacuteglise en reacuteaction aux excegraves de juridisme qui avaient

eacuteteacute deacutenonceacutes par saint Bernard dans son retentissant traiteacute De consideratione La notion

dlaquo eacutequiteacute canonique raquo eacutetait opposeacutee agrave la rigor iuris des civilistes La proceacutedure trouva

lentement sa forme agrave partir deacuteleacutements eacutepars dans le droit romain par agglomeacuteration de

clausules indeacutependantes si les parties eacutetaient daccord la cognitio summaria (traduite dans

nos textes par ladverbe summarie ou simpliciter) impliquait dalleacuteger les charges de preuves

on pouvait se contenter de preuves laquo semi-pleines raquo (un simple serment un teacutemoin ou un

document unique) et de la phase proprement proceacutedurale dun procegraves la reacutedaction dun

laquo livret raquo (libellus) et le deacutebat de la litis contestatio (qui eacutetablissait les rocircles judiciaires et les

enjeux du procegraves) devenaient facultatifs La mention dune proceacutedure de plano qui renvoyait

agrave linutiliteacute de sieacuteger formellement en tribunal insistait davantage sur la rapiditeacute et labsence de

formes externes Enfin les clausules sine strepitu judiciorum (sans le vacarme des procegraves) et

sine figura judicii (sans la forme du procegraves) compleacutetaient cette simplification en insistant sur

la suppression des avocats et des formes bruyantes dopposition et de recours

Agrave leacutepoque de Jean XXII cette formalisation de larbitrage eccleacutesiastique venait agrave peine de

sachever par la publication de deux deacutecreacutetales de Cleacutement V Dispendiosam produite pour le

concile de Vienne en 1311-1312 et Saepe reacutedigeacutee en 1314 Dispendiosam76 deacuteclarait de

faccedilon fort bregraveve que la proceacutedure sommaire pouvait sappliquer dune part aux cas deacutejagrave preacutevus

par le droit canonique du XIIIe siegravecle quant aux affaires propres de lEacuteglise (laquo eacutelections

demandes et provisions attributions de digniteacutes de fonctions de charges de canonicats de

preacutebendes et autres beacuteneacutefices eccleacutesiastiques raquo et contentieux sur les dicircmes) mais aussi sur les

questions de mariage et dusure Cette extension eacutetait consideacuterable et aboutissait agrave fournir la

possibiliteacute de proceacutedure sommaire pour la quasi totaliteacute des affaires eacutevoqueacutees par lEacuteglise

Seules les successions neacutetaient pas mentionneacutees mais elles interfeacuteraient neacutecessairement avec

les causes matrimoniales La deacutecreacutetale Saepe77

deacutetaillait plus longuement les particulariteacutes de

la proceacutedure sommaire et reacutesumait soigneusement les traits assembleacutes depuis pregraves dun siegravecle

Lusage parallegravele de la proceacutedure sommaire en matiegravere de poursuite de lheacutereacutesie ne se laisse

pas facilement deacutechiffrer car la filiation par rapport agrave la doctrine de larbitrage y perd tout

sens Le seul point commun des deux usages tient au rocircle essentiel du juge chargeacute agrave la fois de

la proceacutedure de linstruction et de la deacutecision Pourtant ce nest pas avant la deacutecreacutetale Statuta

17

quedam promulgueacutee par Boniface VIII dans son Liber Sextus en 1296-1298 que la proceacutedure

sommaire fut accordeacutee explicitement agrave la proceacutedure inquisitoriale laquo En collationnant certains

statuts de nos preacutedeacutecesseurs dheureuse meacutemoire Innocent Alexandre et Cleacutement et en

interpreacutetant et ajoutant certains points nous accordons que dans les affaires dinquisition sur

la perversion heacutereacutetique il puisse ecirctre proceacutedeacute de faccedilon simple et informelle sans vacarme ni

apparence des avocats et des jugements (procedi possit simpliciter et de plano et absque

advocatorum ac judiciorum strepitu et figura) raquo La suite de la deacutecreacutetale justifie le secret sur

les noms des teacutemoins ou accusateurs pour raison de seacutecuriteacute

Procegraves et majesteacute

Tous les niveaux et distinctions que nous venons desquisser se mecirclaient dans la pratique

judiciaire puisque linquisition se fondait largement sur la proceacutedure inquisitoire tandis que

des eacutevecircques comme Jacques Fournier le ceacutelegravebre eacutevecircque de Pamiers ou Guido Terreni

eacutevecircque de Majorque puis dElne recevaient du pape des fonctions dinquisiteur dans leur

diocegravese

Pourtant Jean XXII navait guegravere confiance dans la justice des eacutevecircques Il savait que les

eacutevecircques pouvaient souvent preacutefeacuterer la paix du diocegravese agrave lexigence de la veacuteriteacute Ainsi agrave

lefficace et zeacuteleacute Jacques Fournier avait succeacutedeacute en 1326 Dominique Grima brillant

theacuteologien ancien assistant inquisiteur de Bernard Gui agrave Toulouse qui sattira le courroux du

pape pour sa neacutegligence dans la poursuite de lheacutereacutesie78 Le pape preacutefeacutera freacutequemment utiliser

des commissions speacuteciales denquecircte et de jugement selon la proceacutedure sommaire plutocirct que

les tribunaux inquisitoriaux Ce fut le cas notamment pour les procegraves de Hugues Geacuteraud de

Robert de Mauvoisin et de Bernard Deacutelicieux Parfois limputation de crime de legravese-majesteacute

permit de donner une latitude encore plus large aux proceacutedures extraordinaires ainsi le 12

avril 1331 sur plainte du roi de France le pape ordonna agrave leacutevecircque de Paris de proceacuteder

contre Hertaud abbeacute dun monastegravere du diocegravese dAutun et contre Jean Albeacutericus dominicain

sur leurs laquo maleacutefices et excegraves raquo (super maleficiis et excessibus) contre le roi et sa cour raquo Il

sagit certainement de pratiques magiques (multis maleficiis) qui attentaient au laquo salut public raquo

et qui en tout cas relevaient du crime de legravese-majesteacute Or le pape en ce cas non seulement

ordonna une proceacutedure sommaire (simpliciter et de plano sine strepitu et figura judicii) mais

leva tous les privilegraveges et garanties des deux religieux autorisant leur arrestation (captionem)

leur incarceacuteration et leur torture (necnon questionibus subici prout a canonibus est

permissum)79

On peut se demander pourquoi Jean XXII fut si reacuteticent agrave confier les causes deacutemoniaques agrave

linquisition au moment mecircme ougrave il tentait dassimiler linvocation des deacutemons agrave lheacutereacutesie La

reacuteponse la plus commune agrave cette question relie ce choix au caractegravere politique de bien des

affaires ougrave le deacutemon semble intervenir comme preacutetexte plutocirct que comme cause De fait les

proceacutedures exceptionnelles qui mecirclent lattentat contre la majesteacute royale ou divine les

accusations dheacutereacutesie et les imputations de sorcellerie ou dinvocation des deacutemons doivent ecirctre

relieacutees agrave la grande vague des procegraves politiques qui avait commenceacute degraves le deacutebut du XIVe

siegravecle cest Philippe le Bel80 qui avait lanceacute degraves 1303 le procegraves contre le pape

Boniface VIII81 accuseacute entre autres davoir invoqueacute les deacutemons et consulteacute des magiciens

puis le roi entre 1306 et 1314 sen eacutetait pris aux Templiers comme adorateurs du diable

Entre 1308 et 1314 Philippe le Bel avait inculpeacute Guichard eacutevecircque de Troyes qui aurait

conspireacute en vue de tuer la reine et dautres personnaliteacutes princiegraveres par lusage de poisons et

dimages magiques82 En 1315 Enguerrand de Marigny qui avait si efficacement collaboreacute agrave

ces procegraves fut lui-mecircme pendu pour avoir nui au roi Louis X et agrave Charles de Valois par des

18

images magiques83 Jean XXII prit le relais avec les procegraves contre Hugues Geacuteraud eacutevecircque

de Cahors84 en 1317 contre Mateo et Galeazzo Visconti en 132085 contre les allieacutes de

Federico de Montefeltro dans la Marche dAncocircne86 Dans tous ces cas la parfaite

correspondance entre la graviteacute des accusations et la position antagoniste des inculpeacutes incite agrave

voir dans ces procegraves de simples et cyniques manœuvres ougrave lexception judiciaire doit

confirmer la regravegle politique

Cette interpreacutetation rend imparfaitement compte des reacutealiteacutes leacutecrasement des adversaires ne

fut pas systeacutematique les graves accusations contre Bernard Deacutelicieux quant au meurtre

deacutemoniaque de Cleacutement V ne furent pas assumeacutees dans le jugement contrairement agrave ce qui se

passa pour Hugues Geacuteraud Robert de Mauvoisin sen tira avec une simple eacutejection de son

siegravege archieacutepiscopal Certes les juges avaient quelque autonomie mais on peut penser que le

pape avait eacuteprouveacute de reacuteels doutes quant agrave la culpabiliteacute des accuseacutes Ces interrogations

rendent peut-ecirctre compte de la consultation de 1320 qui relevait moins de la discussion

quodlibeacutetale ou de la colleacutegialiteacute de deacutecision que du besoin dexpertise

Meacutefiance de linquisition

Les choix de proceacutedure de Jean XXII doivent sexpliquer autrement La preacutefeacuterence pour la

forme extraordinaire tient dabord agrave une grande meacutefiance de linquisition Les inquisiteurs

avaient tendance agrave poursuivre sans tenir compte des rangs sociaux ni des circonstances

politiques la fameuse affaire de Jean lArchevesque sieur de Parthenay mecircleacute agrave des pratiques

de sortilegravege vers 1323 le montre bien Linquisiteur seacutetait attaqueacute agrave un personnage puissant

beacuteneacuteficiant de protections royales qui avait reacuteussi agrave obtenir la consultation dun grand juriste

Oldrado da Ponte87 Agrave deux reprises le pape eacutecrivit aux inquisiteurs de Carcassonne pour

leur enjoindre de ne pas tourmenter inutilement les consuls et bourgeois de Montpellier88

Le pape avait pu aussi eacuteprouver lextrecircme impopulariteacute de linquisition patente dans laffaire

Bernard Deacutelicieux un simple agitateur avait failli renverser le pouvoir monarchique franccedilais

en liguant les couches citadines hostiles agrave lintervention des inquisiteurs En 1317-1318 cest

le zegravele excessif de Michel Le Moine inquisiteur franciscain de Provence qui avait enflammeacute

la reacutesistance beacuteguine dans le Midi par lexaltation des martyrs de Marseille En 1321-1322

cest le manque de discernement de linquisiteur Jean de Beaune agrave Beacuteziers qui avait entraicircneacute le

pape sur un terrain impreacutevu Linquisiteur ne mesurait pas toujours la porteacutee de ses actes et

surtout il pouvait agir trop publiquement du moins dans la phase initiale (la proclamation de

lenquecircte) et dans sa phase conclusive (le sermon geacuteneacuteral) ainsi cest la dispute publique

entre linquisiteur de Carcassonne Jean de Beaune et le lecteur franciscain du couvent de

Narbonne Beacuteranger Talon qui avait provoqueacute la reprise du deacutebat sur la pauvreteacute du Christ

Enfin et surtout linquisition jouissait dune certaine indeacutependance par rapport au pouvoir

pontifical dune part sa nomination deacutependait aussi du bon vouloir du maicirctre geacuteneacuteral des

dominicains ou du ministre geacuteneacuteral des franciscains Dautre part il pouvait agrave loccasion se

rapprocher du pouvoir royal On peut se demander si la diffeacuterence de deacutenomination des

inquisiteurs de Carcassonnne et de Toulouse entre 1320 et 1330 dans les lettres citeacutees plus

haut reacutedigeacutees par Guillaume de Peyre Godin puis par le pape ne traduit pas cette perception

dans le premier cas le cardinal sadresse laquo agrave linquisiteur de la perversion heacutereacutetique de la

reacutegion de Carcassonne raquo dans le second cas il sagit de laquo linquisiteur de la perversion

heacutereacutetique deacuteputeacute par le Siegravege apostolique dans le royaume de France en reacutesidence agrave

Carcassonne raquo Le soin de cette seconde formulation insiste sur le fait que lorigine du pouvoir

inquisitorial se trouve bien dans le pontificat De fait linquisition meacuteridionale apregraves les

froissements ducircs agrave laffaire Bernard Deacutelicieux ougrave les officiers royaux avaient toleacutereacute ou mecircme

19

soutenu le trublion franciscain avait eacuteteacute largement instrumentaliseacutee par la monarchie comme

le montrait laffaire des Templiers

En outre le pontife eacutetait fort irriteacute du manque de respect de certains inquisiteurs pour le droit

Ainsi en 1331 il reccedilut et approuva les plaintes de maicirctre Jean Anselme de Gecircnes chirurgien

et de Reacuteginald de Cravant clerc du diocegravese dAuxerre qui avaient eacuteteacute faussement accuseacutes

dheacutereacutesie et de maleacutefices par linquisiteur de France Aubert de Chacirclons et par leacutevecircque de Paris

Hugues Michel de Besanccedilon Le pontife leur reprochait davoir agi sans avoir eacutetabli aucune

infamie anteacuterieure sans respecter lordre judiciaire sans permettre aucune deacutefense leacutegitime89

Il nest pas besoin dimaginer un Jean XXII soucieux de justice par formation professionnelle

comme on la vu lordre du droit permettait deacutetablir soigneusement la veacuteriteacute qui importait

bien davantage que la reacutepression Le cas de la censure du commentaire dOlivi sur

lApocalypse le montre bien le texte eacutetait dangereux puisquil inspirait directement les

Beacuteguins par le biais dabreacutegeacutes et de traductions en langue vernaculaire Le contenu anti-

pontifical de ce texte eacutetait manifeste Pourtant le pape usa directement ou indirectement de

quatre commissions diffeacuterentes durant huit ans (1318-1326) avec un suppleacutement denquecircte

en 1322 avant darriver agrave une condamnation Le reacutesultat reacutepressif eacutetait certainement acquis

degraves 1318 mais il importait de suivre minutieusement les chemins de lerreur Ce souci

apparaicirct clairement dans une lettre adresseacutee par le pape en 1330 agrave Henri Chamayou

inquisiteur de Carcassonne90 qui avait reacuteussi agrave faire arrecircter deux heacutereacutetiques italiens qui

avaient confesseacute leur crime Le pontife feacutelicite chaleureusement linquisiteur mais lengage

fermement agrave poursuivre lenquecircte bien quil ait deacutejagrave en main tous les eacuteleacutements pour les

condamner laquo parce que nous croyons que tu aurais du connaicirctre une veacuteriteacute plus ample

(novisse te plenius credimus veritatem) au sujet de ce pour quoi ils tont eacuteteacute livreacutes nous

voulons et il nous plaicirct quayant Dieu seul devant les yeux tu veilles selon lexigence de la

justice agrave ne pas neacutegliger ce que tu sauras ecirctre adeacutequat en cette affaire raquo

Ces recommandations neacutetaient pas de pure forme la logique de linquisition ne la conduisait

pas vers leacutelucidation neacutecessaire agrave la cause des deacutemoniaques Linstitution demeurait

profondeacutement theacuteologienne et non juriste Le fondement proceacutedural de linquisition reposait

moins sur la poursuite doffice et lenquecircte que sur la troisiegraveme forme de poursuite (agrave cocircteacute de

la proceacutedure inquisitoire et de la proceacutedure accusatoire) deacutefinie par Innocent III au canon 8 du

concile de Latran la deacutenonciation eacutevangeacutelique issue de la correction fraternelle Or la

deacutenonciation orientait la poursuite vers la peacutenitence La confession rapidement obtenue par la

menace la terreur ou la torture conduisait agrave la demande dabsolution chegraverement neacutegocieacutee Il

importait agrave linquisiteur dobtenir au plus vite cette confession sans trop sattarder dans

lenquecircte sur la fama ou sur la veacuteriteacute neutraliseacutee par laveu Paradoxalement un accuseacute avait

de meilleures chances avec les proceacutedures sommaires chegraveres au pape quavec linquisition

parce que la veacuteriteacute pouvait contraindre le pape agrave la mansueacutetude tandis que la meacutecanique de la

culpabiliteacute ineacutevitable de tout peacutecheur entraicircnait tout inculpeacute dans la collectiviteacute peacutenale de

linquisition

Cest peut-ecirctre ces problegravemes de proceacutedure qui ont provoqueacute ce que Jean-Patrice Boudet

appelait plaisamment le laquo retard agrave lallumage raquo dans la poursuite des sorciers au XIVe siegravecle

tant que la papauteacute fut reacuteticente agrave deacuteleacuteguer son pouvoir denquecircte les limites mateacuterielles de la

justice pontificale empecircchegraverent la diffusion capillaire de limputation et de la reacutepression Et

preacuteciseacutement cest labandon forceacute de labsolutisme pontifical apregraves les conciles de Constance

et de Bacircle qui ouvrit les premiegraveres campagnes judiciaires et doctrinales contre les sorciers et

adorateurs du deacutemon dans les anneacutees 1430-1440 Mais le deacuteveloppement rapide de la

20

deacutemonologie avait eacuteteacute bien preacutepareacute par un pape qui tenait agrave consideacuterer lucidement les zones

obscures ougrave le deacutemon pouvait passer

Notes de bas de page

1 B Gui Manuel de linquisiteur eacuted par G Mollat Paris 1926-1927

2 P Paravy De la chreacutetienteacute romaine agrave la Reacuteforme en Dauphineacute Eacutevecircques fidegraveles et deacuteviants

(vers 1340-vers 1530) Rome 1993

3 LImaginaire du sabbat Eacutedition critique des textes les plus anciens (1430 ca-1440 ca)

reacuteunis par M Ostorero A Paravicini Bagliani K Utz Tremp en collaboration avec C Chegravene

Lausanne 1999

4 R KIECKHEFER European Witch Trials Their Foundations in Popular and Learned

Culture 1300-1500 Londres 1976 Carlo Ginzburg commence sa seacuterie explicative des

formes occidentales du sabbat en 1321 mais selon un modegravele totalement opposeacute au nocirctre

5 Bonn 1901

6 L THORNDIKE A History of Magic and Experimental Science vol III New York 1934

p 18 sq

7 Voir N Weill-Parot Les laquo Images astrologiques raquo au Moyen Acircge et agrave la Renaissance

Speacuteculations intellectuelles et pratiques magiques (XIIe-XV

e s) Paris 2002 p 377-385 et Id

laquo Les intellectuels lEacuteglise et la magie dans la premiegravere moitieacute du xive s raquo (meacutemoire de

maicirctrise Paris I 1990) Je tiens agrave remercier N Weill-Parot pour ses commentaires sur le

preacutesent article

8 laquo Quod cum morte fedus ineunt et pactum faciunt cum inferno Demonibus namque

immolant hos adorant raquo

9 Liber Sextus V II cap 8

10 Cause XXVI qu 5 cap 12 eacuted Friedberg col 1080

11 Voir A Boureau laquo De la feacutelonie agrave la haute trahison Un eacutepisode la trahison des clercs

(version du xiie s) raquo Le Genre Humain 16-17 1988 p 267-291

12 Venise 1595 XLIII 9 p 341-342

13 laquo Simpliciter et de plano ac sine strepitu et figura judicii appellatione remota raquo Lettre

publieacutee par J-M Vidal Bullaire de lInquisition franccedilaise Paris 1913 no 284 p 403-404

14 laquo Nonnulli etiam quandoque litterati in hoc se opponunt pretendentes id ad tuum non

expectare officium secundum canonicas sanctiones raquo

15 J-P Boudet laquo Les condamnations de la magie agrave Paris en 1398 raquo Revue Mabillon n s 12

(t 73) 2001 p 121-157

16 B Hamilton The Medieval Inquisition Londres 1981 p 94

17 Dans une lettre de 1336 adresseacutee agrave lofficial dAvignon Benoicirct XII successeur de

Jean XXII range agrave nouveau les sortilegraveges parmi les crimes qui touchent la foi (J-M Vidal

Bullaire op cit no 153 p 229-230) En 1405 Benoicirct XIII deacuteclare nuls les privilegraveges des

habitants du diocegravese du Puy qui preacutetendaient que linquisiteur de Carcassonne ne pouvait les

poursuivre pour maleacutefices (J-M Vidal Bullaire op cit no 332 p 473-474)

18 La premiegravere eacutedition a eacuteteacute procureacutee par Jean Chappuis en 1500 Pour la formation des deux

collections voir A M Stickler Historia Iuris Canonici Institutiones Academicae T I

Historia Fontium Rome 1950 p 270-271

19 Les seules mentions de la bulle se trouvent on la dit dans le manuel de Nicolas Eymerich

(1376) dans les Annales eccleacutesiastiques de Rinaldi et dans un bullaire romain du xviiie s

20 Voir A MAIER dans laquo Eine Verfuumlgung Johannis XXII uumlber die Zustaumlndigkeit der

Inquisition fuumlr Zauberprozesse raquo Archivium Fratrum Praedicatorum 32 1952 p 226-246

21 A Maier loc cit p 231

21

22 Publieacutee par R Manselli laquo Enrico del Carretto e la consultazione sulla magia di Giovanni

XXII raquo dans Miscellanea in onore di Monsignore Martino Giusti t II Vatican 1978 p 97-

129

23 Il est possible aussi que linterrogation doctrinale ait eacuteteacute anticipeacutee par Guido Terreni un

des dix experts de la consultation de 1320 dans son sixiegraveme quolibet laquo Est-ce que celui qui

baptise une chose sans acircme ou sans raison et non pas un homme est heacutereacutetique raquo ms BAV

Borghese 39 fo 238v

o-240v

o que je publie en annexe de la consultation Mais la date de ce

quolibet demeure incertaine

24 laquo Fecisti plantas pedum eiusdem mulieris iuxta carbones accensos apponi raquo texte publieacute

par J-M Vidal Bullaire op cit p 51-52

25 laquo Diu post confessionem debitum nature persoluitverum quia dubitatur ne propter

predicta tormenta citius decesserit quam alias decessisset mulier supradicta si tormentata

minime extitisset raquo

26 laquo Erronea et horrenda contra catholicam fidem fuit confessa et multos consocios et

complices reuelauitque omnia sic inuenta ut communiter creditur numquam reuelata

fuissent nisi mediantibus tormentis eiusdem predicta mulier reuelasset raquo

27 laquo De consilio proborum qui se asserebant uidisse penis examinati hereticos in partibus

Tholosanis raquo

28 J-M Vidal Bullaire op cit no 24 p 53-54

29 Ex certa sciencia sur cette clausule de labsolutisme pontifical voir A Boureau La Loi

du royaume Les moines le droit et la construction de la nation anglaise Paris 2001 avec

renvoi aux travaux de Jacques Krynen

30 Publieacutee par J-M Vidal Bullaire op cit p 61 Une meilleure eacutedition a eacuteteacute procureacutee par

A Maier loc cit p 226-227

31 J-M Vidal Bullaire op cit no 72 p 118-119

32 La commission fut reacuteiteacutereacutee le 8 novembre 1327 ibid no 78 bis p 129-130

33 Voir A Boureau laquo Saints et deacutemons dans les procegraves de canonisation du deacutebut du xive s raquo

agrave paraicirctre dans les actes du colloque de Budapest sur les procegraves de canonisation dir Gaacutebor

Klaniczay

34 B Gui Manuel de linquisiteur eacuted et trad par G Mollat op cit t I p 52

35 Publieacutees par J-M Vidal Bullaire op cit no 103 p 154-156

36 Henri de Chamayou

37 Pierre Brun

38 La qualification dheacutereacutesie de la part du pape agrave propos des invocations deacutemoniaques na

jamais cesseacute Voir par exemple une lettre de 1323 qui deacutesigne des commissaires pour juger

le moine Guillaume de Figeac accuseacute de laquo deacutevier de la foi catholique raquo en pratiquant

lalchimie et la neacutecromancie (J-M Vidal Bullaire op cit no 50 p 87-88)

39 F Graf La Magie dans lAntiquiteacute greacuteco-romaine Ideacuteologie et pratique Paris 1994

40 Voir le reacutecit par Pierre le Veacuteneacuterable vers 1137 dun usage magique de lhostie consacreacutee

par un paysan deacutesireux de retenir ses abeilles Livre des merveilles de Dieu (De miraculis)

introduction traduction et notes de J-P Torrell et D Bouthillier FribourgParis 1992 p 70-

72 Je remercie Charles de Miramon de mavoir signaleacute ce texte

41 Voir les travaux reacutealiseacutes autour de Richard Kieckhefer et Claire Faenger aux Eacutetats-Unis

autour de Jean-Patrice Boudet et Henri Bresc en France notamment

42 Dans sa biographie collective des deux premiegraveres geacuteneacuterations de dominicains eacutecrite au

deacutebut des anneacutees 1260 Geacuterard de Frachet ne rapporte quun seul cas de fregravere qui se voue agrave

lalchimie et il ne trouve agrave lui reprocher que son deacutesir de senrichir rapidement Son activiteacute

consiste alors essentiellement agrave se rendre en Sardaigne pour y collecter des mineacuteraux rares

Son funeste sort ultime ne sexplique que par cet abandon de Dieu au profit de la richesse

22

seacuteculiegravere (Vitae Fratrum Ordinis Praedicatorum eacuted par B-M Reichert Rome-Stuttgart

Monumenta Ordinis Fratrum Praedicatorum Historica 1897 p 290)

43 La Condamnation parisienne de 1277 eacuted et trad par D Picheacute avec la collaboration de

C Lafleur Paris 1999 p 77

44 A Paravicini Bagliani Il corpo del papa Turin 1994

45 Preacuteface agrave Le crisi dellalchimia Micrologus 3 1995 p VIII

46 Voir leacutedition du procegraves dans J Shatzmiller Justice et injustice au deacutebut du XIVe s

Lenquecircte sur larchevecircque dAix et sa renonciation en 1318 Rome 1999

47 Voir une lettre de feacutevrier 1330 dans Lettres secregravetes et curiales du pape Jean XXII (1316-

1334) relatives agrave la France eacuted par A Coulon et S Cleacutemencet fasc 8 Paris 1965 no 4100

p 104-105 [abreacutegeacute deacutesormais Coulon-Cleacutemencet] lettre agrave Jean de Badas inquisiteur

franciscain de Marseille sur un crime nefandum commis par Gantalmus Gantalmi notaire et

sa femme Berengegravere instigatione diabolica circumventi agrave lencontre de Guillaume de Baucio

sire de Berre

48 Texte publieacute par J HANSEN Quellen und Untersuchungen op cit no 3 p 2

49 Notons quen 1318 les rites de conseacutecration des miroirs et images paraissent speacutecifiques

alors quen 1320 dans les questions poseacutees par le pape aux experts les invocateurs de deacutemons

utilisent le rite catholique du baptecircme pour preacuteparer leurs images

50 A Paravicini Bagliani Il corpo del papa op cit

51 C H JOSTEN laquo The Text of John Dastins letter to Pope John XXII raquo Ambix 4 1951

p 46-51

52 E Albe Autour de Jean XXII Hugues Geacuteraud eacutevecircque de Cahors laffaire des poisons et

envoucirctements en 1317 Cahors 1904 p 163-164

53 Processus Bernardi Deliciosi The Trial of Fr Bernard Deacutelicieux 3 September-8

December 1319 eacutediteacute par A Friedlander Philadelphie 1996 p 62 Pour une eacutetude complegravete

du dossier voir A Friedlander The Hammer of the Inquisitors Brother Bernard Deacutelicieux

and the Struggle against the Inquisition in Fourteenth-Century France Leyde 2000

54 Coulon-Cleacutemencet no 2969 p 151

55 Coulon-Cleacutemencet no 2395 p 47

56 Sermon sur la vigile de lEacutepiphanie 5 janvier 1332 eacuted par M Dykmans Les Sermons de

Jean XXII sur la vision beacuteatifique Rome (Miscellanea Historiae Pontificiae 34) p 145

57 Les actes du procegraves ont eacuteteacute publieacutes par J-MVidal laquo Procegraves dinquisition contre Adheacutemar

de Mosset raquo Revue dHistoire de lEacuteglise de France 1 1910 Lanecdote se trouve agrave la p 713

58 Ces interrogations sur la laquo situation raquo spirituelle eacutetaient freacutequemment exprimeacutees Dans sa

correspondance avec les grands de ce monde le pape doit souvent reacutepondre agrave ce genre de

question en termes agrave vrai dire assez geacuteneacuteraux

59 Coulon-Cleacutemencet fasc 8 Paris 1965 no 4197 p 126 Lettre analogue en feacutevrier 1331

(no 4452 t 9 p 41)

60 On peut se demander si ce nest pas cette fideacuteliteacute litteacuterale au texte biblique qui a contribueacute agrave

pousser le pape agrave intervenir sur la question de la vision beacuteatifique question ougrave les partisans de

la vision directe de Dieu avant le jugement final ne trouvaient aucun appui scripturaire direct

61 On trouve une formulation parallegravele dans Quia quorumdam mentes (10 novembre 1324)

62 Voir A Boureau laquo Droit naturel et abstraction judiciaire Hypothegraveses sur la nature du droit

meacutedieacuteval raquo Annales HSS 57 6 2002 p 1463-1488

63 Voir A Boureau laquo La redeacutecouverte de lautonomie du corps leacutemergence du somnambule

(xiiie-xiv

e s) raquo Micrologus I 1993 p 27-42

64 Sur toutes ces questions je me permets de renvoyer au chap 8 de mon ouvrage Theacuteologie

science et censure au XIIIe s Le cas de Jean Peckham Paris 1999

23

65 Publieacute par J Rius Serra dans Sancti Raymundi de Penyafort opera omnia t III

Diplomatario (Documentos Vida antigua Cronicas Processos antiguos) Barcelone 1954

p 74-82

66 Cette typologie fut reprise par le pape Alexandre IV une dizaine danneacutees plus tard et

eacutediteacutee par Boniface VIII dans le Sexte (L 5 tit 2 cap 2 6 11 eacuted Friedberg II col 1069

1071 1073) Voir aussi le traiteacute Doctrina de modo procedendi erga hereticos (vers 1280)

dans Martegravene et Durand Thesaurus novus anecdotum t 5 Paris 1717 col 1797 et la

Practica de Bernard Gui (p 226-232)

67 Bien avant la creacuteation de lInquisition le troisiegraveme concile de Latran (1179) avait frappeacute

danathegraveme et priveacute de seacutepulture les defensores et receptatores dheacutereacutetiques (Deacutecreacutetales L 5

tit 7 cap 8 eacuted Friedberg II col 1780)

68 Ibid p 29-32

69 Texte eacutediteacute par J Coste Boniface VIII en procegraves Articles daccusation et deacutepositions de

teacutemoins (1303-1311) Eacutedition critique introduction et notes Rome 1995 p 153

70 Nogaret originaire de Saint-Feacutelix-de-Caraman haut-lieu cathare petit-fils dun ministre

heacutereacutetique avait certainement une bonne connaissance de la perseacutecution de lheacutereacutesie en deacutepit

de sa formation de civiliste

71 Directorium op cit seconde partie question 2

72 Processus op cit p 180

73 E PETERS Inquisition Berkeley 1988

74 R KIECKHEFER laquo The Office of Inquisition and Medieval heresy the Transition from a

Personal to an Institutional Juridiction raquo Journal of Ecclesiastical History 46 1995 p 36-

61

75 Ainsi le pape deacutecida de suspendre le droit dasile dans les eacuteglises au deacutetriment des

heacutereacutetiques mais pas speacutecifiquement des auteurs de sortilegraveges (Lettre au roi de France Philippe

VI en 1328 publieacutee par J-M Vidal Bullaire op cit no 79 p 130-131)

76 Eacuted FRIEDBERG t II col 1078

77 Ibid col 1200

78 Voir la lettre dure que lui adressa le pape Jean XXII le 6 octobre 1332 (J-M Vidal

Bullaire op cit no 124 p 184)

79 Coulon-Cleacutemencet no 4539 fasc 9 p 59-60

80 Lattention precircteacutee agrave Philippe le Bel et agrave Jean XXII ne doit pas faire oublier que ce type

daccusation politico-deacutemonologique est deacutepoque comme le montre dans un tout autre

contexte le procegraves intenteacute agrave Walter Langton eacutevecircque de Coventry en 1301-1303 avec

mention dadoration diabolique (voir A Beardwood laquo The Trial of Walter Langton bishop of

Lichfield 1307-1312 raquo Transactions of the American Philosophical Society NS 54 p III

Philadelphie 1964

81 Voir J Coste Boniface VIII en procegraves op cit

82 A Rigault Le Procegraves de Guichard eacutevecircque de Troyes 1308-1313 Paris 1896

83 J Favier Un conseiller de Philippe le Bel Enguerrand de Marigny Paris 1963 Il faut

mentionner peu apregraves le procegraves contre le cardinal Francesco Gaetani poursuivi par les cours

royales pour attentat contre le roi son fregravere et deux cardinaux agrave laide dimages magiques

(voir C Langlois laquo Laffaire du cardinal Francesco Gaetani (avril 1316) raquo Revue historique

63 1897 p 56-71)

84 E Albe Autour de Jean XXII op cit

85 R Michel laquo Le procegraves de Mateo et Galeazzo Visconti laccusation de sorcellerie et

dheacutereacutesie Dante et laffaire de lenvoucirctement (1320) raquo Meacutelanges darcheacuteologie et dhistoire

29 1909 p 269-327

86 F Bock laquo I processi di Giovanni XXII contro i Ghibellini delle Marche raquo Bolletino

dellIstituto storico italiano per il Medio Evo 57 1941 p 19-43

24

87 Voir J-M Vidal laquo Le sieur de Parthenay et lInquisition (1323-1325) raquo Bulletin

historique et philologique 1903 p 414-434

88 J-M Vidal Bullaire op cit no 20 p 44 et n

o 76 p 126-127

89 J-M Vidal Bullaire op cit nos

109 et 110 p 167-171

90 J-M Vidal Bullaire op cit no 90 p 144

Alain Boureau

EHESS CRH GAS 54 boulevard Raspail F-75006 Paris

Pour citer cet article

Alain Boureau laquoSatan heacutereacutetique lrsquoinstitution judiciaire de la deacutemonologie sous Jean XXIIraquo

Meacutedieacutevales 44 (2003) httpmedievalesrevuesorgdocument711html

Page 13: Satan hérétique : l’institution judiciaire de la ..._Droit_Canonique/Curiosite/Satan heretique.pdf · e siècle, mais la mutation considérable de procédure qui a assimilé les

13

citations contradictoires sur une seacuterie dobjets mais on na pas releveacute que ces objets ne sont

pas toujours des opinions theacuteologiques mais aussi des faits (comme par exemple

lemplacement geacuteographique de la tombe des patriarches)

Au cours du XIIIe siegravecle se produisit une reacuteaction progressive contre la morale de lintention

une tentative dobjectivation du jugement moral et judiciaire Ce pheacutenomegravene tient

probablement au mouvement de reacutedaction des textes normatifs et agrave la constitution du droit

comme science de plus en plus indeacutependante de la theacuteologie morale62 Le fait fut penseacute

comme un reacutesidu neacutecessaire agrave lindeacutependance transcendante du droit que la caste des juristes

tentaient dextraire des contingences et des compromissions des affaires courantes Mais

lattachement agrave la factualiteacute tenait aussi agrave une reacuteaction de lEacuteglise contre les entreprises

heacutereacutetiques appuyeacutees sur une pratique du secret et de la double entente Le sanctuaire de

linteacuterioriteacute pouvait apparaicirctre comme une cache de malfaiteurs Les poursuites contre les

cathares et les beacuteguins le montrent clairement les inquisiteurs mirent au point des techniques

de repeacuterage de la dissimulation Cette eacutevolution tendait donc agrave remplacer le fait faible des

morales de lintention par le fait fort des tribunaux denquecircte Est-ce agrave dire quau tribunal toute

excuse quant agrave la circonstance de laction eacutetait rejeteacutee Certes pas mais les circonstances

furent elles-mecircmes objectiveacutees On en donnera deux exemples la notion dirresponsabiliteacute

accordeacutee agrave des classes repeacuterables dindividus (les fous les enfants les somnambules) fut

deacutefinie au deacutebut du XIVe siegravecle par une deacutecreacutetale de Cleacutement V63 Par ailleurs dans la

proceacutedure inquisitoire lenquecircte preacutealable sur la reacuteputation (fama) des individus suspects

deacuteleacuteguait agrave une communauteacute exteacuterieure leacutevaluation des motifs avant que lenquecircte en veacuteriteacute

ne mette en correacutelation cette eacutevaluation avec des faits preacutecis Certes la fama fut largement

induite par les poursuites elles-mecircmes mais les juges tenaient agrave son caractegravere objectif et

mesurable Dans les procegraves inquisitoires en canonisation comme en matiegravere criminelle ou

heacutereacutetique les juges ou commissaires demandent freacutequemment aux teacutemoins de deacutefinir le sens

du mot fama son lieu dorigine son extension Certains allaient mecircme jusquagrave demander au

teacutemoin deacutevaluer quantitativement le nombre minimal dopinions ou de murmures neacutecessaires

pour constituer une reacuteputation

Ce positivisme meacutedieacuteval dont nous avons tenteacute de repeacuterer les racines juridiques et morales

peut-il ecirctre relieacute agrave une eacutevolution plus globale que lon pourrait saisir dans lhistoire des

sciences La question est deacutelicate car la physique dominante inspireacutee dAristote sattachait

davantage aux causes quaux pheacutenomegravenes comme la montreacute Alexandre Koyreacute Le

pheacutenomegravene eacutetait essentiellement reacuteductible Pourtant un certain deacuteveloppement de la

factualiteacute scientifique sobservait preacuteciseacutement en ces derniegraveres anneacutees du XIIIe siegravecle soit du

cocircteacute des ingeacutenieurs comme le ceacutelegravebre Pierre de Maricourt qui deacutecrivait et expeacuterimentait les

proprieacuteteacutes de laimant en vue de lameacutelioration de la boussole Un grand penseur comme

Roger Bacon grand chantre de lexpeacuterimentation reacuteussissait agrave conjoindre dans son œuvre la

theacuteologie loptique et lalchimie en traquant des faits par lobservation La cateacutegorie fourre-

tout des laquo merveilles raquo (mirabilia) commenccedilait agrave seacutetioler au profit dune extension simultaneacutee

des pheacutenomegravenes miraculeux et des pheacutenomegravenes naturels Enfin une physique non-

aristoteacutelicienne raisonnant sur des cas-limites relevant dune factualiteacute reacuteelle mais rare se

mettait en place64

Lenquecircte et le fait

Sur le plan des poursuites judiciaires la notion de fait tendit agrave simposer quand agrave partir des

anneacutees 1230 la recherche des heacutereacutetiques au sein de populations largement complices prit un

caractegravere massif et exigea des critegraveres plus larges et des meacutethodes plus efficaces que

14

linterrogatoire individuel Un mandement de larchevecircque de Tarragone fut reacutedigeacute en mai

124265 avec laide du dominicain Raymond de Penyafort le grand juriste qui devint aussi

maicirctre geacuteneacuteral de lordre des precirccheurs afin laquo que lon procegravede plus clairement quant au fait

dheacutereacutesie (circa factum heresis) raquo Certes le mot factum a encore ici le sens dimputation

judiciaire quil avait dans le droit romain mais le deacutetail du mandement montre bien quil

importait deacutesormais de consideacuterer des actes qui ne relevaient pas directement de la croyance

Le texte en effet distingue sept classes de population relieacutees agrave lheacutereacutesie66 Or seule la

premiegravere est nommeacute heacutereacutetique parce quelle professe des croyances en perdurant dans lerreur

La seconde cateacutegorie les laquo croyants raquo (credentes) est assimileacutee aux heacutereacutetiques (il faut sans

doute comprendre quils sont mis agrave part avant lavertissement salutaire qui les transforme en

cas de refus dabjurer en heacutereacutetiques proprement dits) Ensuite viennent les laquo suspects raquo

dheacutereacutesie Seuls des actions et des faits construisent cette qualification eacutecouter la preacutedication

ou les confeacuterences des heacutereacutetiques (en ce cas il sagit dinsabbatici heacutereacutetiques difficiles agrave

identifier et qui sont citeacutes en compagnie des Pauvres de Lyon et des Vaudois) sagenouiller en

leur compagnie Un eacuteleacutement de croyance peut pourtant ecirctre ajouteacute les suspects croient que

les heacutereacutetiques en question sont de laquo bons hommes raquo Suivant la reacutepeacutetition des actes la

suspicion sera simple veacuteheacutemente ou tregraves veacuteheacutemente Viennent ensuite les complices passifs

les laquo non-deacutenonciateurs raquo (celatores) qui sabstiennent de reacuteveacuteler la preacutesence publique

dheacutereacutetiques les laquo dissimulateurs raquo (occultatores) laquo qui ont fait pacte de ne rien reacuteveacuteler raquo

(fecerunt pactum de non revelando) les laquo hocirctes raquo (receptatores) qui reccediloivent chez eux au

moins deux fois des heacutereacutetiques ou des reacuteunions dheacutereacutetiques les laquo deacutefenseurs raquo (defensores)

qui prennent le parti des heacutereacutetiques par la parole ou par le fait (verbo vel facto) soit par le

discours soit par une aide mateacuterielle67 Ces quatre derniegraveres cateacutegories sont rassembleacutees sous

la qualification de laquo soutiens raquo (fautores) de lheacutereacutesie Les deacutelits lieacutes aux heacutereacutesies sont pour

Raymond susceptibles de degreacutes (magis vel minus) alors que lheacutereacutesie proprement dite

implique une structure strictement binaire ougrave le vrai soppose agrave lerreur Lagrave encore cest le

droit qui construit par opposition le fait par opposition au ministegravere du confesseur qui in

foro conscientiae traite le continuum des fautes et manquements la tacircche de linquisiteur in

jure consiste agrave reacuteduire agrave la pureteacute binaire de lincrimination une foule de circonstances et

daction floues Plus tard dans le siegravecle la notion de laquo preacutesomption de droit raquo accrut encore

cette tendance

Mais lheacutesitation est encore grande le quatriegraveme point de la consultation porte sur la

qualification comme heacutereacutetique de celui qui embrasse un heacutereacutetique ou qui prie en sa

compagnie ou le cache laquo doit-il ecirctre jugeacute comme croyant en lerreur de lheacutereacutetique raquo La

reacuteponse eacutetait neacutegative Pourtant plus loin le texte suggegravere que les ossements de ceux qui ont

soutenu lheacutereacutesie doivent ecirctre exhumeacutes parce que laquo le soutien (fautoria) est la suite et le

compleacutement de lheacutereacutesie raquo Quelques anneacutees plus tocirct en 1235 dans un des premiers textes

consacreacutes aux regravegles de linquisition Raymond de Penyafort consideacuterait que ceux qui

heacutebergeaient des heacutereacutetiques (en loccurrence des Vaudois) devaient ecirctre jugeacutes comme

heacutereacutetiques parce quils croyaient que lEacuteglise se trompait en poursuivant les heacutereacutetiques68

On le voit la tentation eacutetait grande depuis les deacutebuts de linquisition de construire des faits

heacutereacutetiques Lorsque le 14 juin 1303 Guillaume de Plaisians preacutesenta au Louvre ses

accusations contre le pape Boniface VIII il lui reprocha davoir extorqueacute agrave des precirctres la

reacuteveacutelation de secrets confieacutes en confession pour les divulguer et les utiliser Il conclut cet

article en disant laquo En raison de cela il semble avoir eacuteteacute heacutereacutetique quant au sacrement de

peacutenitence (propter quod in sacramento penitentie hereticare videtur) raquo Cest donc bien un

acte manifesteacute par le verbe actif laquo heacutereacutetiquer raquo qui passe pour manifestation dheacutereacutesie

Comme le note Jean Coste dans son eacutedition du laquo procegraves raquo le cardinal Pietro Colonna qui

15

connaissait mieux le droit canonique avait ajouteacute dans la reacutedaction dun article analogue laquo le

mecircme Boniface proclamait de faccedilon doctrinale (dogmatizabat) quil avait le droit dagir

ainsi raquo69

En 1308-1309 lauteur dune nouvelle seacuterie darticles daccusation contre la meacutemoire de

Boniface que Jean Coste attribue agrave Nogaret70 introduit une distinction alors ineacutedite qui fut

reprise cinquante ans plus tard par Nicolas Eymerich71 entre les articles heacutereacutetiques les

erreurs relatives agrave un point de fait deacutejagrave condamneacute (facti damnati errores) et les opinions Mais

la simple mention de cette distinction sans application preacutecise ne permet pas de consideacuterer

que la notion de laquo fait heacutereacutetique raquo se deacuteveloppait veacuteritablement

Les juges deacuteleacutegueacutes au procegraves de Bernard Deacutelicieux en 1319 franchirent ce pas du moins

dans leur acte daccusation du 23 octobre 1319 ils ouvraient leur accusation en deacuteclarant sur

un ton tregraves leacutegislatif mais sans aucune alleacutegation de droit que tout homme seigneur puissant

ou juge qui oserait libeacuterer les prisonniers de linquisition refuser dexeacutecuter ses mandats

empecirccher la sentence ou le procegraves ou sopposer en quelque faccedilon agrave la poursuite des

heacutereacutetiques laquo encourt ipso facto une sentence dexcommunication et sil lencourt avec une

volonteacute reacutesolue pendant un an est alors condamneacute comme heacutereacutetique raquo72

Questions de proceacutedure

Face agrave la menace deacutemoniaque il importait dagir efficacement et rapidement mais ces deux

exigences eacutetaient contradictoires car lefficaciteacute supposait le lent et difficile eacutetablissement de

la veacuteriteacute Le pontife disposait dune multitude de solutions judiciaires qui impliquaient agrave la

fois des diffeacuterences dans les types de proceacutedure dans les ressorts juridictionnels et dans les

modaliteacutes de lenquecircte

LEacuteglise favorisait le deacuteveloppement de la proceacutedure inquisitoire (par enquecircte) au deacutetriment

du mode accusatoire selon un mouvement initieacute par des deacutecreacutetales dInnocent III agrave partir de

1198 dont la maturation se lit dans le canon 8 du concile de Latran IV (1215) On le sait la

proceacutedure accusatoire dominante jusquau XIIe siegravecle et qui a poursuivi sa carriegravere dans la

Common Law britannique et ameacutericaine reacuteserve lincrimination agrave un accusateur qui sengage

sur cette accusation et peut en pacirctir Le juge ou le jury se contente darbitrer Les deux

moments de laction sont constitueacutes par la construction minutieuse de la cause qui doit ecirctre

rigoureusement deacutefinie (en termes romains il sagit de la phase de litis contestatio) et par la

deacutelibeacuteration La proceacutedure inquisitoire en revanche favorise laccusation doffice formuleacutee

par un juge ou un prince agrave la suite dune laquo diffamation raquo deacuteriveacutee de leacutecoute dune rumeur

accusatrice Le procegraves met en œuvre deux enquecirctes successives la premiegravere eacutetablit cette

fama cette reacuteputation bonne ou mauvaise qui permet linculpation ou la relaxe la seconde

enquecircte construit la veacuteriteacute des faits porteacutes par la fama

Plusieurs ressorts juridictionnels pouvaient prendre en charge les invocateurs du deacutemon la

justice eacutepiscopale avec ses divers tribunaux le tribunal de linquisition et des commissions

pontificales ad hoc Linquisition fut creacuteeacutee par le pontificat agrave partir de 1233 en vue de

poursuivre lheacutereacutesie et elle garda longtemps cette speacutecialisation qui impliquait un recrutement

de juges plus theacuteologiens que juristes Il est difficile de porter un jugement serein sur

linquisition meacutedieacutevale tant son image a fait lobjet de controverses violentes Certains

meacutedieacutevistes ont tenteacute non sans quelques raisons de rejeter la folie perseacutecutrice associeacutee agrave

cette image Edward Peters a montreacute comment avait pu se construire dans la suite des temps

un veacuteritable mythe noir de linquisition73 un article retentissant de Richard Kieckhefer a mis

16

en doute la reacutealiteacute institutionnelle de linquisition74 De fait lopinion commune a souvent

confondu les reacutealiteacutes implacables de lInquisition romaine (creacuteeacutee en 1542) et surtout de

lInquisition castillane (institution eacutetatique fondeacutee en 1481-1482) avec les tentatives limiteacutees

et souvent incoheacuterentes de linquisition meacutedieacutevale Pourtant linquisition meacutedieacutevale a bien

existeacute comme institution puissante en deacutepit de sa faible assise Linquisiteur eacutetait nommeacute par

le saint Siegravege mais demeurait eacutetroitement lieacute agrave lordre religieux dont il provenait (lordre

dominicain pour lessentiel mais aussi lordre franciscain et dans une moindre mesure

lordre des carmes) Sa pratique quotidienne le mettait en relation eacutetroite avec le pouvoir

seacuteculier

Les commissions speacuteciales du pape deacuterivaient en un sens de la justice deacuteleacutegueacutee des pontifes

instaureacutee depuis le XIIe siegravecle mais elles prirent une importance particuliegravere sous le pontificat

de Jean XXII pour des raisons que nous examinerons plus loin Limportance des faits

deacutemoniaques conduisit Jean XXII agrave lever beaucoup de garanties judiciaires et gracieuses75 et

agrave confier les affaires de complot avec soupccedilons magiques ou deacutemonologiques agrave des

commissions pontificales qui se reacuteclamaient de la proceacutedure sommaire La notion de

proceacutedure sommaire sest lentement deacuteveloppeacutee depuis la fin du XIIe siegravecle dans le droit

canonique Il sagissait de formaliser les efforts des deacutecennies preacuteceacutedentes en matiegravere

darbitrage ou de compromis internes agrave lEacuteglise en reacuteaction aux excegraves de juridisme qui avaient

eacuteteacute deacutenonceacutes par saint Bernard dans son retentissant traiteacute De consideratione La notion

dlaquo eacutequiteacute canonique raquo eacutetait opposeacutee agrave la rigor iuris des civilistes La proceacutedure trouva

lentement sa forme agrave partir deacuteleacutements eacutepars dans le droit romain par agglomeacuteration de

clausules indeacutependantes si les parties eacutetaient daccord la cognitio summaria (traduite dans

nos textes par ladverbe summarie ou simpliciter) impliquait dalleacuteger les charges de preuves

on pouvait se contenter de preuves laquo semi-pleines raquo (un simple serment un teacutemoin ou un

document unique) et de la phase proprement proceacutedurale dun procegraves la reacutedaction dun

laquo livret raquo (libellus) et le deacutebat de la litis contestatio (qui eacutetablissait les rocircles judiciaires et les

enjeux du procegraves) devenaient facultatifs La mention dune proceacutedure de plano qui renvoyait

agrave linutiliteacute de sieacuteger formellement en tribunal insistait davantage sur la rapiditeacute et labsence de

formes externes Enfin les clausules sine strepitu judiciorum (sans le vacarme des procegraves) et

sine figura judicii (sans la forme du procegraves) compleacutetaient cette simplification en insistant sur

la suppression des avocats et des formes bruyantes dopposition et de recours

Agrave leacutepoque de Jean XXII cette formalisation de larbitrage eccleacutesiastique venait agrave peine de

sachever par la publication de deux deacutecreacutetales de Cleacutement V Dispendiosam produite pour le

concile de Vienne en 1311-1312 et Saepe reacutedigeacutee en 1314 Dispendiosam76 deacuteclarait de

faccedilon fort bregraveve que la proceacutedure sommaire pouvait sappliquer dune part aux cas deacutejagrave preacutevus

par le droit canonique du XIIIe siegravecle quant aux affaires propres de lEacuteglise (laquo eacutelections

demandes et provisions attributions de digniteacutes de fonctions de charges de canonicats de

preacutebendes et autres beacuteneacutefices eccleacutesiastiques raquo et contentieux sur les dicircmes) mais aussi sur les

questions de mariage et dusure Cette extension eacutetait consideacuterable et aboutissait agrave fournir la

possibiliteacute de proceacutedure sommaire pour la quasi totaliteacute des affaires eacutevoqueacutees par lEacuteglise

Seules les successions neacutetaient pas mentionneacutees mais elles interfeacuteraient neacutecessairement avec

les causes matrimoniales La deacutecreacutetale Saepe77

deacutetaillait plus longuement les particulariteacutes de

la proceacutedure sommaire et reacutesumait soigneusement les traits assembleacutes depuis pregraves dun siegravecle

Lusage parallegravele de la proceacutedure sommaire en matiegravere de poursuite de lheacutereacutesie ne se laisse

pas facilement deacutechiffrer car la filiation par rapport agrave la doctrine de larbitrage y perd tout

sens Le seul point commun des deux usages tient au rocircle essentiel du juge chargeacute agrave la fois de

la proceacutedure de linstruction et de la deacutecision Pourtant ce nest pas avant la deacutecreacutetale Statuta

17

quedam promulgueacutee par Boniface VIII dans son Liber Sextus en 1296-1298 que la proceacutedure

sommaire fut accordeacutee explicitement agrave la proceacutedure inquisitoriale laquo En collationnant certains

statuts de nos preacutedeacutecesseurs dheureuse meacutemoire Innocent Alexandre et Cleacutement et en

interpreacutetant et ajoutant certains points nous accordons que dans les affaires dinquisition sur

la perversion heacutereacutetique il puisse ecirctre proceacutedeacute de faccedilon simple et informelle sans vacarme ni

apparence des avocats et des jugements (procedi possit simpliciter et de plano et absque

advocatorum ac judiciorum strepitu et figura) raquo La suite de la deacutecreacutetale justifie le secret sur

les noms des teacutemoins ou accusateurs pour raison de seacutecuriteacute

Procegraves et majesteacute

Tous les niveaux et distinctions que nous venons desquisser se mecirclaient dans la pratique

judiciaire puisque linquisition se fondait largement sur la proceacutedure inquisitoire tandis que

des eacutevecircques comme Jacques Fournier le ceacutelegravebre eacutevecircque de Pamiers ou Guido Terreni

eacutevecircque de Majorque puis dElne recevaient du pape des fonctions dinquisiteur dans leur

diocegravese

Pourtant Jean XXII navait guegravere confiance dans la justice des eacutevecircques Il savait que les

eacutevecircques pouvaient souvent preacutefeacuterer la paix du diocegravese agrave lexigence de la veacuteriteacute Ainsi agrave

lefficace et zeacuteleacute Jacques Fournier avait succeacutedeacute en 1326 Dominique Grima brillant

theacuteologien ancien assistant inquisiteur de Bernard Gui agrave Toulouse qui sattira le courroux du

pape pour sa neacutegligence dans la poursuite de lheacutereacutesie78 Le pape preacutefeacutera freacutequemment utiliser

des commissions speacuteciales denquecircte et de jugement selon la proceacutedure sommaire plutocirct que

les tribunaux inquisitoriaux Ce fut le cas notamment pour les procegraves de Hugues Geacuteraud de

Robert de Mauvoisin et de Bernard Deacutelicieux Parfois limputation de crime de legravese-majesteacute

permit de donner une latitude encore plus large aux proceacutedures extraordinaires ainsi le 12

avril 1331 sur plainte du roi de France le pape ordonna agrave leacutevecircque de Paris de proceacuteder

contre Hertaud abbeacute dun monastegravere du diocegravese dAutun et contre Jean Albeacutericus dominicain

sur leurs laquo maleacutefices et excegraves raquo (super maleficiis et excessibus) contre le roi et sa cour raquo Il

sagit certainement de pratiques magiques (multis maleficiis) qui attentaient au laquo salut public raquo

et qui en tout cas relevaient du crime de legravese-majesteacute Or le pape en ce cas non seulement

ordonna une proceacutedure sommaire (simpliciter et de plano sine strepitu et figura judicii) mais

leva tous les privilegraveges et garanties des deux religieux autorisant leur arrestation (captionem)

leur incarceacuteration et leur torture (necnon questionibus subici prout a canonibus est

permissum)79

On peut se demander pourquoi Jean XXII fut si reacuteticent agrave confier les causes deacutemoniaques agrave

linquisition au moment mecircme ougrave il tentait dassimiler linvocation des deacutemons agrave lheacutereacutesie La

reacuteponse la plus commune agrave cette question relie ce choix au caractegravere politique de bien des

affaires ougrave le deacutemon semble intervenir comme preacutetexte plutocirct que comme cause De fait les

proceacutedures exceptionnelles qui mecirclent lattentat contre la majesteacute royale ou divine les

accusations dheacutereacutesie et les imputations de sorcellerie ou dinvocation des deacutemons doivent ecirctre

relieacutees agrave la grande vague des procegraves politiques qui avait commenceacute degraves le deacutebut du XIVe

siegravecle cest Philippe le Bel80 qui avait lanceacute degraves 1303 le procegraves contre le pape

Boniface VIII81 accuseacute entre autres davoir invoqueacute les deacutemons et consulteacute des magiciens

puis le roi entre 1306 et 1314 sen eacutetait pris aux Templiers comme adorateurs du diable

Entre 1308 et 1314 Philippe le Bel avait inculpeacute Guichard eacutevecircque de Troyes qui aurait

conspireacute en vue de tuer la reine et dautres personnaliteacutes princiegraveres par lusage de poisons et

dimages magiques82 En 1315 Enguerrand de Marigny qui avait si efficacement collaboreacute agrave

ces procegraves fut lui-mecircme pendu pour avoir nui au roi Louis X et agrave Charles de Valois par des

18

images magiques83 Jean XXII prit le relais avec les procegraves contre Hugues Geacuteraud eacutevecircque

de Cahors84 en 1317 contre Mateo et Galeazzo Visconti en 132085 contre les allieacutes de

Federico de Montefeltro dans la Marche dAncocircne86 Dans tous ces cas la parfaite

correspondance entre la graviteacute des accusations et la position antagoniste des inculpeacutes incite agrave

voir dans ces procegraves de simples et cyniques manœuvres ougrave lexception judiciaire doit

confirmer la regravegle politique

Cette interpreacutetation rend imparfaitement compte des reacutealiteacutes leacutecrasement des adversaires ne

fut pas systeacutematique les graves accusations contre Bernard Deacutelicieux quant au meurtre

deacutemoniaque de Cleacutement V ne furent pas assumeacutees dans le jugement contrairement agrave ce qui se

passa pour Hugues Geacuteraud Robert de Mauvoisin sen tira avec une simple eacutejection de son

siegravege archieacutepiscopal Certes les juges avaient quelque autonomie mais on peut penser que le

pape avait eacuteprouveacute de reacuteels doutes quant agrave la culpabiliteacute des accuseacutes Ces interrogations

rendent peut-ecirctre compte de la consultation de 1320 qui relevait moins de la discussion

quodlibeacutetale ou de la colleacutegialiteacute de deacutecision que du besoin dexpertise

Meacutefiance de linquisition

Les choix de proceacutedure de Jean XXII doivent sexpliquer autrement La preacutefeacuterence pour la

forme extraordinaire tient dabord agrave une grande meacutefiance de linquisition Les inquisiteurs

avaient tendance agrave poursuivre sans tenir compte des rangs sociaux ni des circonstances

politiques la fameuse affaire de Jean lArchevesque sieur de Parthenay mecircleacute agrave des pratiques

de sortilegravege vers 1323 le montre bien Linquisiteur seacutetait attaqueacute agrave un personnage puissant

beacuteneacuteficiant de protections royales qui avait reacuteussi agrave obtenir la consultation dun grand juriste

Oldrado da Ponte87 Agrave deux reprises le pape eacutecrivit aux inquisiteurs de Carcassonne pour

leur enjoindre de ne pas tourmenter inutilement les consuls et bourgeois de Montpellier88

Le pape avait pu aussi eacuteprouver lextrecircme impopulariteacute de linquisition patente dans laffaire

Bernard Deacutelicieux un simple agitateur avait failli renverser le pouvoir monarchique franccedilais

en liguant les couches citadines hostiles agrave lintervention des inquisiteurs En 1317-1318 cest

le zegravele excessif de Michel Le Moine inquisiteur franciscain de Provence qui avait enflammeacute

la reacutesistance beacuteguine dans le Midi par lexaltation des martyrs de Marseille En 1321-1322

cest le manque de discernement de linquisiteur Jean de Beaune agrave Beacuteziers qui avait entraicircneacute le

pape sur un terrain impreacutevu Linquisiteur ne mesurait pas toujours la porteacutee de ses actes et

surtout il pouvait agir trop publiquement du moins dans la phase initiale (la proclamation de

lenquecircte) et dans sa phase conclusive (le sermon geacuteneacuteral) ainsi cest la dispute publique

entre linquisiteur de Carcassonne Jean de Beaune et le lecteur franciscain du couvent de

Narbonne Beacuteranger Talon qui avait provoqueacute la reprise du deacutebat sur la pauvreteacute du Christ

Enfin et surtout linquisition jouissait dune certaine indeacutependance par rapport au pouvoir

pontifical dune part sa nomination deacutependait aussi du bon vouloir du maicirctre geacuteneacuteral des

dominicains ou du ministre geacuteneacuteral des franciscains Dautre part il pouvait agrave loccasion se

rapprocher du pouvoir royal On peut se demander si la diffeacuterence de deacutenomination des

inquisiteurs de Carcassonnne et de Toulouse entre 1320 et 1330 dans les lettres citeacutees plus

haut reacutedigeacutees par Guillaume de Peyre Godin puis par le pape ne traduit pas cette perception

dans le premier cas le cardinal sadresse laquo agrave linquisiteur de la perversion heacutereacutetique de la

reacutegion de Carcassonne raquo dans le second cas il sagit de laquo linquisiteur de la perversion

heacutereacutetique deacuteputeacute par le Siegravege apostolique dans le royaume de France en reacutesidence agrave

Carcassonne raquo Le soin de cette seconde formulation insiste sur le fait que lorigine du pouvoir

inquisitorial se trouve bien dans le pontificat De fait linquisition meacuteridionale apregraves les

froissements ducircs agrave laffaire Bernard Deacutelicieux ougrave les officiers royaux avaient toleacutereacute ou mecircme

19

soutenu le trublion franciscain avait eacuteteacute largement instrumentaliseacutee par la monarchie comme

le montrait laffaire des Templiers

En outre le pontife eacutetait fort irriteacute du manque de respect de certains inquisiteurs pour le droit

Ainsi en 1331 il reccedilut et approuva les plaintes de maicirctre Jean Anselme de Gecircnes chirurgien

et de Reacuteginald de Cravant clerc du diocegravese dAuxerre qui avaient eacuteteacute faussement accuseacutes

dheacutereacutesie et de maleacutefices par linquisiteur de France Aubert de Chacirclons et par leacutevecircque de Paris

Hugues Michel de Besanccedilon Le pontife leur reprochait davoir agi sans avoir eacutetabli aucune

infamie anteacuterieure sans respecter lordre judiciaire sans permettre aucune deacutefense leacutegitime89

Il nest pas besoin dimaginer un Jean XXII soucieux de justice par formation professionnelle

comme on la vu lordre du droit permettait deacutetablir soigneusement la veacuteriteacute qui importait

bien davantage que la reacutepression Le cas de la censure du commentaire dOlivi sur

lApocalypse le montre bien le texte eacutetait dangereux puisquil inspirait directement les

Beacuteguins par le biais dabreacutegeacutes et de traductions en langue vernaculaire Le contenu anti-

pontifical de ce texte eacutetait manifeste Pourtant le pape usa directement ou indirectement de

quatre commissions diffeacuterentes durant huit ans (1318-1326) avec un suppleacutement denquecircte

en 1322 avant darriver agrave une condamnation Le reacutesultat reacutepressif eacutetait certainement acquis

degraves 1318 mais il importait de suivre minutieusement les chemins de lerreur Ce souci

apparaicirct clairement dans une lettre adresseacutee par le pape en 1330 agrave Henri Chamayou

inquisiteur de Carcassonne90 qui avait reacuteussi agrave faire arrecircter deux heacutereacutetiques italiens qui

avaient confesseacute leur crime Le pontife feacutelicite chaleureusement linquisiteur mais lengage

fermement agrave poursuivre lenquecircte bien quil ait deacutejagrave en main tous les eacuteleacutements pour les

condamner laquo parce que nous croyons que tu aurais du connaicirctre une veacuteriteacute plus ample

(novisse te plenius credimus veritatem) au sujet de ce pour quoi ils tont eacuteteacute livreacutes nous

voulons et il nous plaicirct quayant Dieu seul devant les yeux tu veilles selon lexigence de la

justice agrave ne pas neacutegliger ce que tu sauras ecirctre adeacutequat en cette affaire raquo

Ces recommandations neacutetaient pas de pure forme la logique de linquisition ne la conduisait

pas vers leacutelucidation neacutecessaire agrave la cause des deacutemoniaques Linstitution demeurait

profondeacutement theacuteologienne et non juriste Le fondement proceacutedural de linquisition reposait

moins sur la poursuite doffice et lenquecircte que sur la troisiegraveme forme de poursuite (agrave cocircteacute de

la proceacutedure inquisitoire et de la proceacutedure accusatoire) deacutefinie par Innocent III au canon 8 du

concile de Latran la deacutenonciation eacutevangeacutelique issue de la correction fraternelle Or la

deacutenonciation orientait la poursuite vers la peacutenitence La confession rapidement obtenue par la

menace la terreur ou la torture conduisait agrave la demande dabsolution chegraverement neacutegocieacutee Il

importait agrave linquisiteur dobtenir au plus vite cette confession sans trop sattarder dans

lenquecircte sur la fama ou sur la veacuteriteacute neutraliseacutee par laveu Paradoxalement un accuseacute avait

de meilleures chances avec les proceacutedures sommaires chegraveres au pape quavec linquisition

parce que la veacuteriteacute pouvait contraindre le pape agrave la mansueacutetude tandis que la meacutecanique de la

culpabiliteacute ineacutevitable de tout peacutecheur entraicircnait tout inculpeacute dans la collectiviteacute peacutenale de

linquisition

Cest peut-ecirctre ces problegravemes de proceacutedure qui ont provoqueacute ce que Jean-Patrice Boudet

appelait plaisamment le laquo retard agrave lallumage raquo dans la poursuite des sorciers au XIVe siegravecle

tant que la papauteacute fut reacuteticente agrave deacuteleacuteguer son pouvoir denquecircte les limites mateacuterielles de la

justice pontificale empecircchegraverent la diffusion capillaire de limputation et de la reacutepression Et

preacuteciseacutement cest labandon forceacute de labsolutisme pontifical apregraves les conciles de Constance

et de Bacircle qui ouvrit les premiegraveres campagnes judiciaires et doctrinales contre les sorciers et

adorateurs du deacutemon dans les anneacutees 1430-1440 Mais le deacuteveloppement rapide de la

20

deacutemonologie avait eacuteteacute bien preacutepareacute par un pape qui tenait agrave consideacuterer lucidement les zones

obscures ougrave le deacutemon pouvait passer

Notes de bas de page

1 B Gui Manuel de linquisiteur eacuted par G Mollat Paris 1926-1927

2 P Paravy De la chreacutetienteacute romaine agrave la Reacuteforme en Dauphineacute Eacutevecircques fidegraveles et deacuteviants

(vers 1340-vers 1530) Rome 1993

3 LImaginaire du sabbat Eacutedition critique des textes les plus anciens (1430 ca-1440 ca)

reacuteunis par M Ostorero A Paravicini Bagliani K Utz Tremp en collaboration avec C Chegravene

Lausanne 1999

4 R KIECKHEFER European Witch Trials Their Foundations in Popular and Learned

Culture 1300-1500 Londres 1976 Carlo Ginzburg commence sa seacuterie explicative des

formes occidentales du sabbat en 1321 mais selon un modegravele totalement opposeacute au nocirctre

5 Bonn 1901

6 L THORNDIKE A History of Magic and Experimental Science vol III New York 1934

p 18 sq

7 Voir N Weill-Parot Les laquo Images astrologiques raquo au Moyen Acircge et agrave la Renaissance

Speacuteculations intellectuelles et pratiques magiques (XIIe-XV

e s) Paris 2002 p 377-385 et Id

laquo Les intellectuels lEacuteglise et la magie dans la premiegravere moitieacute du xive s raquo (meacutemoire de

maicirctrise Paris I 1990) Je tiens agrave remercier N Weill-Parot pour ses commentaires sur le

preacutesent article

8 laquo Quod cum morte fedus ineunt et pactum faciunt cum inferno Demonibus namque

immolant hos adorant raquo

9 Liber Sextus V II cap 8

10 Cause XXVI qu 5 cap 12 eacuted Friedberg col 1080

11 Voir A Boureau laquo De la feacutelonie agrave la haute trahison Un eacutepisode la trahison des clercs

(version du xiie s) raquo Le Genre Humain 16-17 1988 p 267-291

12 Venise 1595 XLIII 9 p 341-342

13 laquo Simpliciter et de plano ac sine strepitu et figura judicii appellatione remota raquo Lettre

publieacutee par J-M Vidal Bullaire de lInquisition franccedilaise Paris 1913 no 284 p 403-404

14 laquo Nonnulli etiam quandoque litterati in hoc se opponunt pretendentes id ad tuum non

expectare officium secundum canonicas sanctiones raquo

15 J-P Boudet laquo Les condamnations de la magie agrave Paris en 1398 raquo Revue Mabillon n s 12

(t 73) 2001 p 121-157

16 B Hamilton The Medieval Inquisition Londres 1981 p 94

17 Dans une lettre de 1336 adresseacutee agrave lofficial dAvignon Benoicirct XII successeur de

Jean XXII range agrave nouveau les sortilegraveges parmi les crimes qui touchent la foi (J-M Vidal

Bullaire op cit no 153 p 229-230) En 1405 Benoicirct XIII deacuteclare nuls les privilegraveges des

habitants du diocegravese du Puy qui preacutetendaient que linquisiteur de Carcassonne ne pouvait les

poursuivre pour maleacutefices (J-M Vidal Bullaire op cit no 332 p 473-474)

18 La premiegravere eacutedition a eacuteteacute procureacutee par Jean Chappuis en 1500 Pour la formation des deux

collections voir A M Stickler Historia Iuris Canonici Institutiones Academicae T I

Historia Fontium Rome 1950 p 270-271

19 Les seules mentions de la bulle se trouvent on la dit dans le manuel de Nicolas Eymerich

(1376) dans les Annales eccleacutesiastiques de Rinaldi et dans un bullaire romain du xviiie s

20 Voir A MAIER dans laquo Eine Verfuumlgung Johannis XXII uumlber die Zustaumlndigkeit der

Inquisition fuumlr Zauberprozesse raquo Archivium Fratrum Praedicatorum 32 1952 p 226-246

21 A Maier loc cit p 231

21

22 Publieacutee par R Manselli laquo Enrico del Carretto e la consultazione sulla magia di Giovanni

XXII raquo dans Miscellanea in onore di Monsignore Martino Giusti t II Vatican 1978 p 97-

129

23 Il est possible aussi que linterrogation doctrinale ait eacuteteacute anticipeacutee par Guido Terreni un

des dix experts de la consultation de 1320 dans son sixiegraveme quolibet laquo Est-ce que celui qui

baptise une chose sans acircme ou sans raison et non pas un homme est heacutereacutetique raquo ms BAV

Borghese 39 fo 238v

o-240v

o que je publie en annexe de la consultation Mais la date de ce

quolibet demeure incertaine

24 laquo Fecisti plantas pedum eiusdem mulieris iuxta carbones accensos apponi raquo texte publieacute

par J-M Vidal Bullaire op cit p 51-52

25 laquo Diu post confessionem debitum nature persoluitverum quia dubitatur ne propter

predicta tormenta citius decesserit quam alias decessisset mulier supradicta si tormentata

minime extitisset raquo

26 laquo Erronea et horrenda contra catholicam fidem fuit confessa et multos consocios et

complices reuelauitque omnia sic inuenta ut communiter creditur numquam reuelata

fuissent nisi mediantibus tormentis eiusdem predicta mulier reuelasset raquo

27 laquo De consilio proborum qui se asserebant uidisse penis examinati hereticos in partibus

Tholosanis raquo

28 J-M Vidal Bullaire op cit no 24 p 53-54

29 Ex certa sciencia sur cette clausule de labsolutisme pontifical voir A Boureau La Loi

du royaume Les moines le droit et la construction de la nation anglaise Paris 2001 avec

renvoi aux travaux de Jacques Krynen

30 Publieacutee par J-M Vidal Bullaire op cit p 61 Une meilleure eacutedition a eacuteteacute procureacutee par

A Maier loc cit p 226-227

31 J-M Vidal Bullaire op cit no 72 p 118-119

32 La commission fut reacuteiteacutereacutee le 8 novembre 1327 ibid no 78 bis p 129-130

33 Voir A Boureau laquo Saints et deacutemons dans les procegraves de canonisation du deacutebut du xive s raquo

agrave paraicirctre dans les actes du colloque de Budapest sur les procegraves de canonisation dir Gaacutebor

Klaniczay

34 B Gui Manuel de linquisiteur eacuted et trad par G Mollat op cit t I p 52

35 Publieacutees par J-M Vidal Bullaire op cit no 103 p 154-156

36 Henri de Chamayou

37 Pierre Brun

38 La qualification dheacutereacutesie de la part du pape agrave propos des invocations deacutemoniaques na

jamais cesseacute Voir par exemple une lettre de 1323 qui deacutesigne des commissaires pour juger

le moine Guillaume de Figeac accuseacute de laquo deacutevier de la foi catholique raquo en pratiquant

lalchimie et la neacutecromancie (J-M Vidal Bullaire op cit no 50 p 87-88)

39 F Graf La Magie dans lAntiquiteacute greacuteco-romaine Ideacuteologie et pratique Paris 1994

40 Voir le reacutecit par Pierre le Veacuteneacuterable vers 1137 dun usage magique de lhostie consacreacutee

par un paysan deacutesireux de retenir ses abeilles Livre des merveilles de Dieu (De miraculis)

introduction traduction et notes de J-P Torrell et D Bouthillier FribourgParis 1992 p 70-

72 Je remercie Charles de Miramon de mavoir signaleacute ce texte

41 Voir les travaux reacutealiseacutes autour de Richard Kieckhefer et Claire Faenger aux Eacutetats-Unis

autour de Jean-Patrice Boudet et Henri Bresc en France notamment

42 Dans sa biographie collective des deux premiegraveres geacuteneacuterations de dominicains eacutecrite au

deacutebut des anneacutees 1260 Geacuterard de Frachet ne rapporte quun seul cas de fregravere qui se voue agrave

lalchimie et il ne trouve agrave lui reprocher que son deacutesir de senrichir rapidement Son activiteacute

consiste alors essentiellement agrave se rendre en Sardaigne pour y collecter des mineacuteraux rares

Son funeste sort ultime ne sexplique que par cet abandon de Dieu au profit de la richesse

22

seacuteculiegravere (Vitae Fratrum Ordinis Praedicatorum eacuted par B-M Reichert Rome-Stuttgart

Monumenta Ordinis Fratrum Praedicatorum Historica 1897 p 290)

43 La Condamnation parisienne de 1277 eacuted et trad par D Picheacute avec la collaboration de

C Lafleur Paris 1999 p 77

44 A Paravicini Bagliani Il corpo del papa Turin 1994

45 Preacuteface agrave Le crisi dellalchimia Micrologus 3 1995 p VIII

46 Voir leacutedition du procegraves dans J Shatzmiller Justice et injustice au deacutebut du XIVe s

Lenquecircte sur larchevecircque dAix et sa renonciation en 1318 Rome 1999

47 Voir une lettre de feacutevrier 1330 dans Lettres secregravetes et curiales du pape Jean XXII (1316-

1334) relatives agrave la France eacuted par A Coulon et S Cleacutemencet fasc 8 Paris 1965 no 4100

p 104-105 [abreacutegeacute deacutesormais Coulon-Cleacutemencet] lettre agrave Jean de Badas inquisiteur

franciscain de Marseille sur un crime nefandum commis par Gantalmus Gantalmi notaire et

sa femme Berengegravere instigatione diabolica circumventi agrave lencontre de Guillaume de Baucio

sire de Berre

48 Texte publieacute par J HANSEN Quellen und Untersuchungen op cit no 3 p 2

49 Notons quen 1318 les rites de conseacutecration des miroirs et images paraissent speacutecifiques

alors quen 1320 dans les questions poseacutees par le pape aux experts les invocateurs de deacutemons

utilisent le rite catholique du baptecircme pour preacuteparer leurs images

50 A Paravicini Bagliani Il corpo del papa op cit

51 C H JOSTEN laquo The Text of John Dastins letter to Pope John XXII raquo Ambix 4 1951

p 46-51

52 E Albe Autour de Jean XXII Hugues Geacuteraud eacutevecircque de Cahors laffaire des poisons et

envoucirctements en 1317 Cahors 1904 p 163-164

53 Processus Bernardi Deliciosi The Trial of Fr Bernard Deacutelicieux 3 September-8

December 1319 eacutediteacute par A Friedlander Philadelphie 1996 p 62 Pour une eacutetude complegravete

du dossier voir A Friedlander The Hammer of the Inquisitors Brother Bernard Deacutelicieux

and the Struggle against the Inquisition in Fourteenth-Century France Leyde 2000

54 Coulon-Cleacutemencet no 2969 p 151

55 Coulon-Cleacutemencet no 2395 p 47

56 Sermon sur la vigile de lEacutepiphanie 5 janvier 1332 eacuted par M Dykmans Les Sermons de

Jean XXII sur la vision beacuteatifique Rome (Miscellanea Historiae Pontificiae 34) p 145

57 Les actes du procegraves ont eacuteteacute publieacutes par J-MVidal laquo Procegraves dinquisition contre Adheacutemar

de Mosset raquo Revue dHistoire de lEacuteglise de France 1 1910 Lanecdote se trouve agrave la p 713

58 Ces interrogations sur la laquo situation raquo spirituelle eacutetaient freacutequemment exprimeacutees Dans sa

correspondance avec les grands de ce monde le pape doit souvent reacutepondre agrave ce genre de

question en termes agrave vrai dire assez geacuteneacuteraux

59 Coulon-Cleacutemencet fasc 8 Paris 1965 no 4197 p 126 Lettre analogue en feacutevrier 1331

(no 4452 t 9 p 41)

60 On peut se demander si ce nest pas cette fideacuteliteacute litteacuterale au texte biblique qui a contribueacute agrave

pousser le pape agrave intervenir sur la question de la vision beacuteatifique question ougrave les partisans de

la vision directe de Dieu avant le jugement final ne trouvaient aucun appui scripturaire direct

61 On trouve une formulation parallegravele dans Quia quorumdam mentes (10 novembre 1324)

62 Voir A Boureau laquo Droit naturel et abstraction judiciaire Hypothegraveses sur la nature du droit

meacutedieacuteval raquo Annales HSS 57 6 2002 p 1463-1488

63 Voir A Boureau laquo La redeacutecouverte de lautonomie du corps leacutemergence du somnambule

(xiiie-xiv

e s) raquo Micrologus I 1993 p 27-42

64 Sur toutes ces questions je me permets de renvoyer au chap 8 de mon ouvrage Theacuteologie

science et censure au XIIIe s Le cas de Jean Peckham Paris 1999

23

65 Publieacute par J Rius Serra dans Sancti Raymundi de Penyafort opera omnia t III

Diplomatario (Documentos Vida antigua Cronicas Processos antiguos) Barcelone 1954

p 74-82

66 Cette typologie fut reprise par le pape Alexandre IV une dizaine danneacutees plus tard et

eacutediteacutee par Boniface VIII dans le Sexte (L 5 tit 2 cap 2 6 11 eacuted Friedberg II col 1069

1071 1073) Voir aussi le traiteacute Doctrina de modo procedendi erga hereticos (vers 1280)

dans Martegravene et Durand Thesaurus novus anecdotum t 5 Paris 1717 col 1797 et la

Practica de Bernard Gui (p 226-232)

67 Bien avant la creacuteation de lInquisition le troisiegraveme concile de Latran (1179) avait frappeacute

danathegraveme et priveacute de seacutepulture les defensores et receptatores dheacutereacutetiques (Deacutecreacutetales L 5

tit 7 cap 8 eacuted Friedberg II col 1780)

68 Ibid p 29-32

69 Texte eacutediteacute par J Coste Boniface VIII en procegraves Articles daccusation et deacutepositions de

teacutemoins (1303-1311) Eacutedition critique introduction et notes Rome 1995 p 153

70 Nogaret originaire de Saint-Feacutelix-de-Caraman haut-lieu cathare petit-fils dun ministre

heacutereacutetique avait certainement une bonne connaissance de la perseacutecution de lheacutereacutesie en deacutepit

de sa formation de civiliste

71 Directorium op cit seconde partie question 2

72 Processus op cit p 180

73 E PETERS Inquisition Berkeley 1988

74 R KIECKHEFER laquo The Office of Inquisition and Medieval heresy the Transition from a

Personal to an Institutional Juridiction raquo Journal of Ecclesiastical History 46 1995 p 36-

61

75 Ainsi le pape deacutecida de suspendre le droit dasile dans les eacuteglises au deacutetriment des

heacutereacutetiques mais pas speacutecifiquement des auteurs de sortilegraveges (Lettre au roi de France Philippe

VI en 1328 publieacutee par J-M Vidal Bullaire op cit no 79 p 130-131)

76 Eacuted FRIEDBERG t II col 1078

77 Ibid col 1200

78 Voir la lettre dure que lui adressa le pape Jean XXII le 6 octobre 1332 (J-M Vidal

Bullaire op cit no 124 p 184)

79 Coulon-Cleacutemencet no 4539 fasc 9 p 59-60

80 Lattention precircteacutee agrave Philippe le Bel et agrave Jean XXII ne doit pas faire oublier que ce type

daccusation politico-deacutemonologique est deacutepoque comme le montre dans un tout autre

contexte le procegraves intenteacute agrave Walter Langton eacutevecircque de Coventry en 1301-1303 avec

mention dadoration diabolique (voir A Beardwood laquo The Trial of Walter Langton bishop of

Lichfield 1307-1312 raquo Transactions of the American Philosophical Society NS 54 p III

Philadelphie 1964

81 Voir J Coste Boniface VIII en procegraves op cit

82 A Rigault Le Procegraves de Guichard eacutevecircque de Troyes 1308-1313 Paris 1896

83 J Favier Un conseiller de Philippe le Bel Enguerrand de Marigny Paris 1963 Il faut

mentionner peu apregraves le procegraves contre le cardinal Francesco Gaetani poursuivi par les cours

royales pour attentat contre le roi son fregravere et deux cardinaux agrave laide dimages magiques

(voir C Langlois laquo Laffaire du cardinal Francesco Gaetani (avril 1316) raquo Revue historique

63 1897 p 56-71)

84 E Albe Autour de Jean XXII op cit

85 R Michel laquo Le procegraves de Mateo et Galeazzo Visconti laccusation de sorcellerie et

dheacutereacutesie Dante et laffaire de lenvoucirctement (1320) raquo Meacutelanges darcheacuteologie et dhistoire

29 1909 p 269-327

86 F Bock laquo I processi di Giovanni XXII contro i Ghibellini delle Marche raquo Bolletino

dellIstituto storico italiano per il Medio Evo 57 1941 p 19-43

24

87 Voir J-M Vidal laquo Le sieur de Parthenay et lInquisition (1323-1325) raquo Bulletin

historique et philologique 1903 p 414-434

88 J-M Vidal Bullaire op cit no 20 p 44 et n

o 76 p 126-127

89 J-M Vidal Bullaire op cit nos

109 et 110 p 167-171

90 J-M Vidal Bullaire op cit no 90 p 144

Alain Boureau

EHESS CRH GAS 54 boulevard Raspail F-75006 Paris

Pour citer cet article

Alain Boureau laquoSatan heacutereacutetique lrsquoinstitution judiciaire de la deacutemonologie sous Jean XXIIraquo

Meacutedieacutevales 44 (2003) httpmedievalesrevuesorgdocument711html

Page 14: Satan hérétique : l’institution judiciaire de la ..._Droit_Canonique/Curiosite/Satan heretique.pdf · e siècle, mais la mutation considérable de procédure qui a assimilé les

14

linterrogatoire individuel Un mandement de larchevecircque de Tarragone fut reacutedigeacute en mai

124265 avec laide du dominicain Raymond de Penyafort le grand juriste qui devint aussi

maicirctre geacuteneacuteral de lordre des precirccheurs afin laquo que lon procegravede plus clairement quant au fait

dheacutereacutesie (circa factum heresis) raquo Certes le mot factum a encore ici le sens dimputation

judiciaire quil avait dans le droit romain mais le deacutetail du mandement montre bien quil

importait deacutesormais de consideacuterer des actes qui ne relevaient pas directement de la croyance

Le texte en effet distingue sept classes de population relieacutees agrave lheacutereacutesie66 Or seule la

premiegravere est nommeacute heacutereacutetique parce quelle professe des croyances en perdurant dans lerreur

La seconde cateacutegorie les laquo croyants raquo (credentes) est assimileacutee aux heacutereacutetiques (il faut sans

doute comprendre quils sont mis agrave part avant lavertissement salutaire qui les transforme en

cas de refus dabjurer en heacutereacutetiques proprement dits) Ensuite viennent les laquo suspects raquo

dheacutereacutesie Seuls des actions et des faits construisent cette qualification eacutecouter la preacutedication

ou les confeacuterences des heacutereacutetiques (en ce cas il sagit dinsabbatici heacutereacutetiques difficiles agrave

identifier et qui sont citeacutes en compagnie des Pauvres de Lyon et des Vaudois) sagenouiller en

leur compagnie Un eacuteleacutement de croyance peut pourtant ecirctre ajouteacute les suspects croient que

les heacutereacutetiques en question sont de laquo bons hommes raquo Suivant la reacutepeacutetition des actes la

suspicion sera simple veacuteheacutemente ou tregraves veacuteheacutemente Viennent ensuite les complices passifs

les laquo non-deacutenonciateurs raquo (celatores) qui sabstiennent de reacuteveacuteler la preacutesence publique

dheacutereacutetiques les laquo dissimulateurs raquo (occultatores) laquo qui ont fait pacte de ne rien reacuteveacuteler raquo

(fecerunt pactum de non revelando) les laquo hocirctes raquo (receptatores) qui reccediloivent chez eux au

moins deux fois des heacutereacutetiques ou des reacuteunions dheacutereacutetiques les laquo deacutefenseurs raquo (defensores)

qui prennent le parti des heacutereacutetiques par la parole ou par le fait (verbo vel facto) soit par le

discours soit par une aide mateacuterielle67 Ces quatre derniegraveres cateacutegories sont rassembleacutees sous

la qualification de laquo soutiens raquo (fautores) de lheacutereacutesie Les deacutelits lieacutes aux heacutereacutesies sont pour

Raymond susceptibles de degreacutes (magis vel minus) alors que lheacutereacutesie proprement dite

implique une structure strictement binaire ougrave le vrai soppose agrave lerreur Lagrave encore cest le

droit qui construit par opposition le fait par opposition au ministegravere du confesseur qui in

foro conscientiae traite le continuum des fautes et manquements la tacircche de linquisiteur in

jure consiste agrave reacuteduire agrave la pureteacute binaire de lincrimination une foule de circonstances et

daction floues Plus tard dans le siegravecle la notion de laquo preacutesomption de droit raquo accrut encore

cette tendance

Mais lheacutesitation est encore grande le quatriegraveme point de la consultation porte sur la

qualification comme heacutereacutetique de celui qui embrasse un heacutereacutetique ou qui prie en sa

compagnie ou le cache laquo doit-il ecirctre jugeacute comme croyant en lerreur de lheacutereacutetique raquo La

reacuteponse eacutetait neacutegative Pourtant plus loin le texte suggegravere que les ossements de ceux qui ont

soutenu lheacutereacutesie doivent ecirctre exhumeacutes parce que laquo le soutien (fautoria) est la suite et le

compleacutement de lheacutereacutesie raquo Quelques anneacutees plus tocirct en 1235 dans un des premiers textes

consacreacutes aux regravegles de linquisition Raymond de Penyafort consideacuterait que ceux qui

heacutebergeaient des heacutereacutetiques (en loccurrence des Vaudois) devaient ecirctre jugeacutes comme

heacutereacutetiques parce quils croyaient que lEacuteglise se trompait en poursuivant les heacutereacutetiques68

On le voit la tentation eacutetait grande depuis les deacutebuts de linquisition de construire des faits

heacutereacutetiques Lorsque le 14 juin 1303 Guillaume de Plaisians preacutesenta au Louvre ses

accusations contre le pape Boniface VIII il lui reprocha davoir extorqueacute agrave des precirctres la

reacuteveacutelation de secrets confieacutes en confession pour les divulguer et les utiliser Il conclut cet

article en disant laquo En raison de cela il semble avoir eacuteteacute heacutereacutetique quant au sacrement de

peacutenitence (propter quod in sacramento penitentie hereticare videtur) raquo Cest donc bien un

acte manifesteacute par le verbe actif laquo heacutereacutetiquer raquo qui passe pour manifestation dheacutereacutesie

Comme le note Jean Coste dans son eacutedition du laquo procegraves raquo le cardinal Pietro Colonna qui

15

connaissait mieux le droit canonique avait ajouteacute dans la reacutedaction dun article analogue laquo le

mecircme Boniface proclamait de faccedilon doctrinale (dogmatizabat) quil avait le droit dagir

ainsi raquo69

En 1308-1309 lauteur dune nouvelle seacuterie darticles daccusation contre la meacutemoire de

Boniface que Jean Coste attribue agrave Nogaret70 introduit une distinction alors ineacutedite qui fut

reprise cinquante ans plus tard par Nicolas Eymerich71 entre les articles heacutereacutetiques les

erreurs relatives agrave un point de fait deacutejagrave condamneacute (facti damnati errores) et les opinions Mais

la simple mention de cette distinction sans application preacutecise ne permet pas de consideacuterer

que la notion de laquo fait heacutereacutetique raquo se deacuteveloppait veacuteritablement

Les juges deacuteleacutegueacutes au procegraves de Bernard Deacutelicieux en 1319 franchirent ce pas du moins

dans leur acte daccusation du 23 octobre 1319 ils ouvraient leur accusation en deacuteclarant sur

un ton tregraves leacutegislatif mais sans aucune alleacutegation de droit que tout homme seigneur puissant

ou juge qui oserait libeacuterer les prisonniers de linquisition refuser dexeacutecuter ses mandats

empecirccher la sentence ou le procegraves ou sopposer en quelque faccedilon agrave la poursuite des

heacutereacutetiques laquo encourt ipso facto une sentence dexcommunication et sil lencourt avec une

volonteacute reacutesolue pendant un an est alors condamneacute comme heacutereacutetique raquo72

Questions de proceacutedure

Face agrave la menace deacutemoniaque il importait dagir efficacement et rapidement mais ces deux

exigences eacutetaient contradictoires car lefficaciteacute supposait le lent et difficile eacutetablissement de

la veacuteriteacute Le pontife disposait dune multitude de solutions judiciaires qui impliquaient agrave la

fois des diffeacuterences dans les types de proceacutedure dans les ressorts juridictionnels et dans les

modaliteacutes de lenquecircte

LEacuteglise favorisait le deacuteveloppement de la proceacutedure inquisitoire (par enquecircte) au deacutetriment

du mode accusatoire selon un mouvement initieacute par des deacutecreacutetales dInnocent III agrave partir de

1198 dont la maturation se lit dans le canon 8 du concile de Latran IV (1215) On le sait la

proceacutedure accusatoire dominante jusquau XIIe siegravecle et qui a poursuivi sa carriegravere dans la

Common Law britannique et ameacutericaine reacuteserve lincrimination agrave un accusateur qui sengage

sur cette accusation et peut en pacirctir Le juge ou le jury se contente darbitrer Les deux

moments de laction sont constitueacutes par la construction minutieuse de la cause qui doit ecirctre

rigoureusement deacutefinie (en termes romains il sagit de la phase de litis contestatio) et par la

deacutelibeacuteration La proceacutedure inquisitoire en revanche favorise laccusation doffice formuleacutee

par un juge ou un prince agrave la suite dune laquo diffamation raquo deacuteriveacutee de leacutecoute dune rumeur

accusatrice Le procegraves met en œuvre deux enquecirctes successives la premiegravere eacutetablit cette

fama cette reacuteputation bonne ou mauvaise qui permet linculpation ou la relaxe la seconde

enquecircte construit la veacuteriteacute des faits porteacutes par la fama

Plusieurs ressorts juridictionnels pouvaient prendre en charge les invocateurs du deacutemon la

justice eacutepiscopale avec ses divers tribunaux le tribunal de linquisition et des commissions

pontificales ad hoc Linquisition fut creacuteeacutee par le pontificat agrave partir de 1233 en vue de

poursuivre lheacutereacutesie et elle garda longtemps cette speacutecialisation qui impliquait un recrutement

de juges plus theacuteologiens que juristes Il est difficile de porter un jugement serein sur

linquisition meacutedieacutevale tant son image a fait lobjet de controverses violentes Certains

meacutedieacutevistes ont tenteacute non sans quelques raisons de rejeter la folie perseacutecutrice associeacutee agrave

cette image Edward Peters a montreacute comment avait pu se construire dans la suite des temps

un veacuteritable mythe noir de linquisition73 un article retentissant de Richard Kieckhefer a mis

16

en doute la reacutealiteacute institutionnelle de linquisition74 De fait lopinion commune a souvent

confondu les reacutealiteacutes implacables de lInquisition romaine (creacuteeacutee en 1542) et surtout de

lInquisition castillane (institution eacutetatique fondeacutee en 1481-1482) avec les tentatives limiteacutees

et souvent incoheacuterentes de linquisition meacutedieacutevale Pourtant linquisition meacutedieacutevale a bien

existeacute comme institution puissante en deacutepit de sa faible assise Linquisiteur eacutetait nommeacute par

le saint Siegravege mais demeurait eacutetroitement lieacute agrave lordre religieux dont il provenait (lordre

dominicain pour lessentiel mais aussi lordre franciscain et dans une moindre mesure

lordre des carmes) Sa pratique quotidienne le mettait en relation eacutetroite avec le pouvoir

seacuteculier

Les commissions speacuteciales du pape deacuterivaient en un sens de la justice deacuteleacutegueacutee des pontifes

instaureacutee depuis le XIIe siegravecle mais elles prirent une importance particuliegravere sous le pontificat

de Jean XXII pour des raisons que nous examinerons plus loin Limportance des faits

deacutemoniaques conduisit Jean XXII agrave lever beaucoup de garanties judiciaires et gracieuses75 et

agrave confier les affaires de complot avec soupccedilons magiques ou deacutemonologiques agrave des

commissions pontificales qui se reacuteclamaient de la proceacutedure sommaire La notion de

proceacutedure sommaire sest lentement deacuteveloppeacutee depuis la fin du XIIe siegravecle dans le droit

canonique Il sagissait de formaliser les efforts des deacutecennies preacuteceacutedentes en matiegravere

darbitrage ou de compromis internes agrave lEacuteglise en reacuteaction aux excegraves de juridisme qui avaient

eacuteteacute deacutenonceacutes par saint Bernard dans son retentissant traiteacute De consideratione La notion

dlaquo eacutequiteacute canonique raquo eacutetait opposeacutee agrave la rigor iuris des civilistes La proceacutedure trouva

lentement sa forme agrave partir deacuteleacutements eacutepars dans le droit romain par agglomeacuteration de

clausules indeacutependantes si les parties eacutetaient daccord la cognitio summaria (traduite dans

nos textes par ladverbe summarie ou simpliciter) impliquait dalleacuteger les charges de preuves

on pouvait se contenter de preuves laquo semi-pleines raquo (un simple serment un teacutemoin ou un

document unique) et de la phase proprement proceacutedurale dun procegraves la reacutedaction dun

laquo livret raquo (libellus) et le deacutebat de la litis contestatio (qui eacutetablissait les rocircles judiciaires et les

enjeux du procegraves) devenaient facultatifs La mention dune proceacutedure de plano qui renvoyait

agrave linutiliteacute de sieacuteger formellement en tribunal insistait davantage sur la rapiditeacute et labsence de

formes externes Enfin les clausules sine strepitu judiciorum (sans le vacarme des procegraves) et

sine figura judicii (sans la forme du procegraves) compleacutetaient cette simplification en insistant sur

la suppression des avocats et des formes bruyantes dopposition et de recours

Agrave leacutepoque de Jean XXII cette formalisation de larbitrage eccleacutesiastique venait agrave peine de

sachever par la publication de deux deacutecreacutetales de Cleacutement V Dispendiosam produite pour le

concile de Vienne en 1311-1312 et Saepe reacutedigeacutee en 1314 Dispendiosam76 deacuteclarait de

faccedilon fort bregraveve que la proceacutedure sommaire pouvait sappliquer dune part aux cas deacutejagrave preacutevus

par le droit canonique du XIIIe siegravecle quant aux affaires propres de lEacuteglise (laquo eacutelections

demandes et provisions attributions de digniteacutes de fonctions de charges de canonicats de

preacutebendes et autres beacuteneacutefices eccleacutesiastiques raquo et contentieux sur les dicircmes) mais aussi sur les

questions de mariage et dusure Cette extension eacutetait consideacuterable et aboutissait agrave fournir la

possibiliteacute de proceacutedure sommaire pour la quasi totaliteacute des affaires eacutevoqueacutees par lEacuteglise

Seules les successions neacutetaient pas mentionneacutees mais elles interfeacuteraient neacutecessairement avec

les causes matrimoniales La deacutecreacutetale Saepe77

deacutetaillait plus longuement les particulariteacutes de

la proceacutedure sommaire et reacutesumait soigneusement les traits assembleacutes depuis pregraves dun siegravecle

Lusage parallegravele de la proceacutedure sommaire en matiegravere de poursuite de lheacutereacutesie ne se laisse

pas facilement deacutechiffrer car la filiation par rapport agrave la doctrine de larbitrage y perd tout

sens Le seul point commun des deux usages tient au rocircle essentiel du juge chargeacute agrave la fois de

la proceacutedure de linstruction et de la deacutecision Pourtant ce nest pas avant la deacutecreacutetale Statuta

17

quedam promulgueacutee par Boniface VIII dans son Liber Sextus en 1296-1298 que la proceacutedure

sommaire fut accordeacutee explicitement agrave la proceacutedure inquisitoriale laquo En collationnant certains

statuts de nos preacutedeacutecesseurs dheureuse meacutemoire Innocent Alexandre et Cleacutement et en

interpreacutetant et ajoutant certains points nous accordons que dans les affaires dinquisition sur

la perversion heacutereacutetique il puisse ecirctre proceacutedeacute de faccedilon simple et informelle sans vacarme ni

apparence des avocats et des jugements (procedi possit simpliciter et de plano et absque

advocatorum ac judiciorum strepitu et figura) raquo La suite de la deacutecreacutetale justifie le secret sur

les noms des teacutemoins ou accusateurs pour raison de seacutecuriteacute

Procegraves et majesteacute

Tous les niveaux et distinctions que nous venons desquisser se mecirclaient dans la pratique

judiciaire puisque linquisition se fondait largement sur la proceacutedure inquisitoire tandis que

des eacutevecircques comme Jacques Fournier le ceacutelegravebre eacutevecircque de Pamiers ou Guido Terreni

eacutevecircque de Majorque puis dElne recevaient du pape des fonctions dinquisiteur dans leur

diocegravese

Pourtant Jean XXII navait guegravere confiance dans la justice des eacutevecircques Il savait que les

eacutevecircques pouvaient souvent preacutefeacuterer la paix du diocegravese agrave lexigence de la veacuteriteacute Ainsi agrave

lefficace et zeacuteleacute Jacques Fournier avait succeacutedeacute en 1326 Dominique Grima brillant

theacuteologien ancien assistant inquisiteur de Bernard Gui agrave Toulouse qui sattira le courroux du

pape pour sa neacutegligence dans la poursuite de lheacutereacutesie78 Le pape preacutefeacutera freacutequemment utiliser

des commissions speacuteciales denquecircte et de jugement selon la proceacutedure sommaire plutocirct que

les tribunaux inquisitoriaux Ce fut le cas notamment pour les procegraves de Hugues Geacuteraud de

Robert de Mauvoisin et de Bernard Deacutelicieux Parfois limputation de crime de legravese-majesteacute

permit de donner une latitude encore plus large aux proceacutedures extraordinaires ainsi le 12

avril 1331 sur plainte du roi de France le pape ordonna agrave leacutevecircque de Paris de proceacuteder

contre Hertaud abbeacute dun monastegravere du diocegravese dAutun et contre Jean Albeacutericus dominicain

sur leurs laquo maleacutefices et excegraves raquo (super maleficiis et excessibus) contre le roi et sa cour raquo Il

sagit certainement de pratiques magiques (multis maleficiis) qui attentaient au laquo salut public raquo

et qui en tout cas relevaient du crime de legravese-majesteacute Or le pape en ce cas non seulement

ordonna une proceacutedure sommaire (simpliciter et de plano sine strepitu et figura judicii) mais

leva tous les privilegraveges et garanties des deux religieux autorisant leur arrestation (captionem)

leur incarceacuteration et leur torture (necnon questionibus subici prout a canonibus est

permissum)79

On peut se demander pourquoi Jean XXII fut si reacuteticent agrave confier les causes deacutemoniaques agrave

linquisition au moment mecircme ougrave il tentait dassimiler linvocation des deacutemons agrave lheacutereacutesie La

reacuteponse la plus commune agrave cette question relie ce choix au caractegravere politique de bien des

affaires ougrave le deacutemon semble intervenir comme preacutetexte plutocirct que comme cause De fait les

proceacutedures exceptionnelles qui mecirclent lattentat contre la majesteacute royale ou divine les

accusations dheacutereacutesie et les imputations de sorcellerie ou dinvocation des deacutemons doivent ecirctre

relieacutees agrave la grande vague des procegraves politiques qui avait commenceacute degraves le deacutebut du XIVe

siegravecle cest Philippe le Bel80 qui avait lanceacute degraves 1303 le procegraves contre le pape

Boniface VIII81 accuseacute entre autres davoir invoqueacute les deacutemons et consulteacute des magiciens

puis le roi entre 1306 et 1314 sen eacutetait pris aux Templiers comme adorateurs du diable

Entre 1308 et 1314 Philippe le Bel avait inculpeacute Guichard eacutevecircque de Troyes qui aurait

conspireacute en vue de tuer la reine et dautres personnaliteacutes princiegraveres par lusage de poisons et

dimages magiques82 En 1315 Enguerrand de Marigny qui avait si efficacement collaboreacute agrave

ces procegraves fut lui-mecircme pendu pour avoir nui au roi Louis X et agrave Charles de Valois par des

18

images magiques83 Jean XXII prit le relais avec les procegraves contre Hugues Geacuteraud eacutevecircque

de Cahors84 en 1317 contre Mateo et Galeazzo Visconti en 132085 contre les allieacutes de

Federico de Montefeltro dans la Marche dAncocircne86 Dans tous ces cas la parfaite

correspondance entre la graviteacute des accusations et la position antagoniste des inculpeacutes incite agrave

voir dans ces procegraves de simples et cyniques manœuvres ougrave lexception judiciaire doit

confirmer la regravegle politique

Cette interpreacutetation rend imparfaitement compte des reacutealiteacutes leacutecrasement des adversaires ne

fut pas systeacutematique les graves accusations contre Bernard Deacutelicieux quant au meurtre

deacutemoniaque de Cleacutement V ne furent pas assumeacutees dans le jugement contrairement agrave ce qui se

passa pour Hugues Geacuteraud Robert de Mauvoisin sen tira avec une simple eacutejection de son

siegravege archieacutepiscopal Certes les juges avaient quelque autonomie mais on peut penser que le

pape avait eacuteprouveacute de reacuteels doutes quant agrave la culpabiliteacute des accuseacutes Ces interrogations

rendent peut-ecirctre compte de la consultation de 1320 qui relevait moins de la discussion

quodlibeacutetale ou de la colleacutegialiteacute de deacutecision que du besoin dexpertise

Meacutefiance de linquisition

Les choix de proceacutedure de Jean XXII doivent sexpliquer autrement La preacutefeacuterence pour la

forme extraordinaire tient dabord agrave une grande meacutefiance de linquisition Les inquisiteurs

avaient tendance agrave poursuivre sans tenir compte des rangs sociaux ni des circonstances

politiques la fameuse affaire de Jean lArchevesque sieur de Parthenay mecircleacute agrave des pratiques

de sortilegravege vers 1323 le montre bien Linquisiteur seacutetait attaqueacute agrave un personnage puissant

beacuteneacuteficiant de protections royales qui avait reacuteussi agrave obtenir la consultation dun grand juriste

Oldrado da Ponte87 Agrave deux reprises le pape eacutecrivit aux inquisiteurs de Carcassonne pour

leur enjoindre de ne pas tourmenter inutilement les consuls et bourgeois de Montpellier88

Le pape avait pu aussi eacuteprouver lextrecircme impopulariteacute de linquisition patente dans laffaire

Bernard Deacutelicieux un simple agitateur avait failli renverser le pouvoir monarchique franccedilais

en liguant les couches citadines hostiles agrave lintervention des inquisiteurs En 1317-1318 cest

le zegravele excessif de Michel Le Moine inquisiteur franciscain de Provence qui avait enflammeacute

la reacutesistance beacuteguine dans le Midi par lexaltation des martyrs de Marseille En 1321-1322

cest le manque de discernement de linquisiteur Jean de Beaune agrave Beacuteziers qui avait entraicircneacute le

pape sur un terrain impreacutevu Linquisiteur ne mesurait pas toujours la porteacutee de ses actes et

surtout il pouvait agir trop publiquement du moins dans la phase initiale (la proclamation de

lenquecircte) et dans sa phase conclusive (le sermon geacuteneacuteral) ainsi cest la dispute publique

entre linquisiteur de Carcassonne Jean de Beaune et le lecteur franciscain du couvent de

Narbonne Beacuteranger Talon qui avait provoqueacute la reprise du deacutebat sur la pauvreteacute du Christ

Enfin et surtout linquisition jouissait dune certaine indeacutependance par rapport au pouvoir

pontifical dune part sa nomination deacutependait aussi du bon vouloir du maicirctre geacuteneacuteral des

dominicains ou du ministre geacuteneacuteral des franciscains Dautre part il pouvait agrave loccasion se

rapprocher du pouvoir royal On peut se demander si la diffeacuterence de deacutenomination des

inquisiteurs de Carcassonnne et de Toulouse entre 1320 et 1330 dans les lettres citeacutees plus

haut reacutedigeacutees par Guillaume de Peyre Godin puis par le pape ne traduit pas cette perception

dans le premier cas le cardinal sadresse laquo agrave linquisiteur de la perversion heacutereacutetique de la

reacutegion de Carcassonne raquo dans le second cas il sagit de laquo linquisiteur de la perversion

heacutereacutetique deacuteputeacute par le Siegravege apostolique dans le royaume de France en reacutesidence agrave

Carcassonne raquo Le soin de cette seconde formulation insiste sur le fait que lorigine du pouvoir

inquisitorial se trouve bien dans le pontificat De fait linquisition meacuteridionale apregraves les

froissements ducircs agrave laffaire Bernard Deacutelicieux ougrave les officiers royaux avaient toleacutereacute ou mecircme

19

soutenu le trublion franciscain avait eacuteteacute largement instrumentaliseacutee par la monarchie comme

le montrait laffaire des Templiers

En outre le pontife eacutetait fort irriteacute du manque de respect de certains inquisiteurs pour le droit

Ainsi en 1331 il reccedilut et approuva les plaintes de maicirctre Jean Anselme de Gecircnes chirurgien

et de Reacuteginald de Cravant clerc du diocegravese dAuxerre qui avaient eacuteteacute faussement accuseacutes

dheacutereacutesie et de maleacutefices par linquisiteur de France Aubert de Chacirclons et par leacutevecircque de Paris

Hugues Michel de Besanccedilon Le pontife leur reprochait davoir agi sans avoir eacutetabli aucune

infamie anteacuterieure sans respecter lordre judiciaire sans permettre aucune deacutefense leacutegitime89

Il nest pas besoin dimaginer un Jean XXII soucieux de justice par formation professionnelle

comme on la vu lordre du droit permettait deacutetablir soigneusement la veacuteriteacute qui importait

bien davantage que la reacutepression Le cas de la censure du commentaire dOlivi sur

lApocalypse le montre bien le texte eacutetait dangereux puisquil inspirait directement les

Beacuteguins par le biais dabreacutegeacutes et de traductions en langue vernaculaire Le contenu anti-

pontifical de ce texte eacutetait manifeste Pourtant le pape usa directement ou indirectement de

quatre commissions diffeacuterentes durant huit ans (1318-1326) avec un suppleacutement denquecircte

en 1322 avant darriver agrave une condamnation Le reacutesultat reacutepressif eacutetait certainement acquis

degraves 1318 mais il importait de suivre minutieusement les chemins de lerreur Ce souci

apparaicirct clairement dans une lettre adresseacutee par le pape en 1330 agrave Henri Chamayou

inquisiteur de Carcassonne90 qui avait reacuteussi agrave faire arrecircter deux heacutereacutetiques italiens qui

avaient confesseacute leur crime Le pontife feacutelicite chaleureusement linquisiteur mais lengage

fermement agrave poursuivre lenquecircte bien quil ait deacutejagrave en main tous les eacuteleacutements pour les

condamner laquo parce que nous croyons que tu aurais du connaicirctre une veacuteriteacute plus ample

(novisse te plenius credimus veritatem) au sujet de ce pour quoi ils tont eacuteteacute livreacutes nous

voulons et il nous plaicirct quayant Dieu seul devant les yeux tu veilles selon lexigence de la

justice agrave ne pas neacutegliger ce que tu sauras ecirctre adeacutequat en cette affaire raquo

Ces recommandations neacutetaient pas de pure forme la logique de linquisition ne la conduisait

pas vers leacutelucidation neacutecessaire agrave la cause des deacutemoniaques Linstitution demeurait

profondeacutement theacuteologienne et non juriste Le fondement proceacutedural de linquisition reposait

moins sur la poursuite doffice et lenquecircte que sur la troisiegraveme forme de poursuite (agrave cocircteacute de

la proceacutedure inquisitoire et de la proceacutedure accusatoire) deacutefinie par Innocent III au canon 8 du

concile de Latran la deacutenonciation eacutevangeacutelique issue de la correction fraternelle Or la

deacutenonciation orientait la poursuite vers la peacutenitence La confession rapidement obtenue par la

menace la terreur ou la torture conduisait agrave la demande dabsolution chegraverement neacutegocieacutee Il

importait agrave linquisiteur dobtenir au plus vite cette confession sans trop sattarder dans

lenquecircte sur la fama ou sur la veacuteriteacute neutraliseacutee par laveu Paradoxalement un accuseacute avait

de meilleures chances avec les proceacutedures sommaires chegraveres au pape quavec linquisition

parce que la veacuteriteacute pouvait contraindre le pape agrave la mansueacutetude tandis que la meacutecanique de la

culpabiliteacute ineacutevitable de tout peacutecheur entraicircnait tout inculpeacute dans la collectiviteacute peacutenale de

linquisition

Cest peut-ecirctre ces problegravemes de proceacutedure qui ont provoqueacute ce que Jean-Patrice Boudet

appelait plaisamment le laquo retard agrave lallumage raquo dans la poursuite des sorciers au XIVe siegravecle

tant que la papauteacute fut reacuteticente agrave deacuteleacuteguer son pouvoir denquecircte les limites mateacuterielles de la

justice pontificale empecircchegraverent la diffusion capillaire de limputation et de la reacutepression Et

preacuteciseacutement cest labandon forceacute de labsolutisme pontifical apregraves les conciles de Constance

et de Bacircle qui ouvrit les premiegraveres campagnes judiciaires et doctrinales contre les sorciers et

adorateurs du deacutemon dans les anneacutees 1430-1440 Mais le deacuteveloppement rapide de la

20

deacutemonologie avait eacuteteacute bien preacutepareacute par un pape qui tenait agrave consideacuterer lucidement les zones

obscures ougrave le deacutemon pouvait passer

Notes de bas de page

1 B Gui Manuel de linquisiteur eacuted par G Mollat Paris 1926-1927

2 P Paravy De la chreacutetienteacute romaine agrave la Reacuteforme en Dauphineacute Eacutevecircques fidegraveles et deacuteviants

(vers 1340-vers 1530) Rome 1993

3 LImaginaire du sabbat Eacutedition critique des textes les plus anciens (1430 ca-1440 ca)

reacuteunis par M Ostorero A Paravicini Bagliani K Utz Tremp en collaboration avec C Chegravene

Lausanne 1999

4 R KIECKHEFER European Witch Trials Their Foundations in Popular and Learned

Culture 1300-1500 Londres 1976 Carlo Ginzburg commence sa seacuterie explicative des

formes occidentales du sabbat en 1321 mais selon un modegravele totalement opposeacute au nocirctre

5 Bonn 1901

6 L THORNDIKE A History of Magic and Experimental Science vol III New York 1934

p 18 sq

7 Voir N Weill-Parot Les laquo Images astrologiques raquo au Moyen Acircge et agrave la Renaissance

Speacuteculations intellectuelles et pratiques magiques (XIIe-XV

e s) Paris 2002 p 377-385 et Id

laquo Les intellectuels lEacuteglise et la magie dans la premiegravere moitieacute du xive s raquo (meacutemoire de

maicirctrise Paris I 1990) Je tiens agrave remercier N Weill-Parot pour ses commentaires sur le

preacutesent article

8 laquo Quod cum morte fedus ineunt et pactum faciunt cum inferno Demonibus namque

immolant hos adorant raquo

9 Liber Sextus V II cap 8

10 Cause XXVI qu 5 cap 12 eacuted Friedberg col 1080

11 Voir A Boureau laquo De la feacutelonie agrave la haute trahison Un eacutepisode la trahison des clercs

(version du xiie s) raquo Le Genre Humain 16-17 1988 p 267-291

12 Venise 1595 XLIII 9 p 341-342

13 laquo Simpliciter et de plano ac sine strepitu et figura judicii appellatione remota raquo Lettre

publieacutee par J-M Vidal Bullaire de lInquisition franccedilaise Paris 1913 no 284 p 403-404

14 laquo Nonnulli etiam quandoque litterati in hoc se opponunt pretendentes id ad tuum non

expectare officium secundum canonicas sanctiones raquo

15 J-P Boudet laquo Les condamnations de la magie agrave Paris en 1398 raquo Revue Mabillon n s 12

(t 73) 2001 p 121-157

16 B Hamilton The Medieval Inquisition Londres 1981 p 94

17 Dans une lettre de 1336 adresseacutee agrave lofficial dAvignon Benoicirct XII successeur de

Jean XXII range agrave nouveau les sortilegraveges parmi les crimes qui touchent la foi (J-M Vidal

Bullaire op cit no 153 p 229-230) En 1405 Benoicirct XIII deacuteclare nuls les privilegraveges des

habitants du diocegravese du Puy qui preacutetendaient que linquisiteur de Carcassonne ne pouvait les

poursuivre pour maleacutefices (J-M Vidal Bullaire op cit no 332 p 473-474)

18 La premiegravere eacutedition a eacuteteacute procureacutee par Jean Chappuis en 1500 Pour la formation des deux

collections voir A M Stickler Historia Iuris Canonici Institutiones Academicae T I

Historia Fontium Rome 1950 p 270-271

19 Les seules mentions de la bulle se trouvent on la dit dans le manuel de Nicolas Eymerich

(1376) dans les Annales eccleacutesiastiques de Rinaldi et dans un bullaire romain du xviiie s

20 Voir A MAIER dans laquo Eine Verfuumlgung Johannis XXII uumlber die Zustaumlndigkeit der

Inquisition fuumlr Zauberprozesse raquo Archivium Fratrum Praedicatorum 32 1952 p 226-246

21 A Maier loc cit p 231

21

22 Publieacutee par R Manselli laquo Enrico del Carretto e la consultazione sulla magia di Giovanni

XXII raquo dans Miscellanea in onore di Monsignore Martino Giusti t II Vatican 1978 p 97-

129

23 Il est possible aussi que linterrogation doctrinale ait eacuteteacute anticipeacutee par Guido Terreni un

des dix experts de la consultation de 1320 dans son sixiegraveme quolibet laquo Est-ce que celui qui

baptise une chose sans acircme ou sans raison et non pas un homme est heacutereacutetique raquo ms BAV

Borghese 39 fo 238v

o-240v

o que je publie en annexe de la consultation Mais la date de ce

quolibet demeure incertaine

24 laquo Fecisti plantas pedum eiusdem mulieris iuxta carbones accensos apponi raquo texte publieacute

par J-M Vidal Bullaire op cit p 51-52

25 laquo Diu post confessionem debitum nature persoluitverum quia dubitatur ne propter

predicta tormenta citius decesserit quam alias decessisset mulier supradicta si tormentata

minime extitisset raquo

26 laquo Erronea et horrenda contra catholicam fidem fuit confessa et multos consocios et

complices reuelauitque omnia sic inuenta ut communiter creditur numquam reuelata

fuissent nisi mediantibus tormentis eiusdem predicta mulier reuelasset raquo

27 laquo De consilio proborum qui se asserebant uidisse penis examinati hereticos in partibus

Tholosanis raquo

28 J-M Vidal Bullaire op cit no 24 p 53-54

29 Ex certa sciencia sur cette clausule de labsolutisme pontifical voir A Boureau La Loi

du royaume Les moines le droit et la construction de la nation anglaise Paris 2001 avec

renvoi aux travaux de Jacques Krynen

30 Publieacutee par J-M Vidal Bullaire op cit p 61 Une meilleure eacutedition a eacuteteacute procureacutee par

A Maier loc cit p 226-227

31 J-M Vidal Bullaire op cit no 72 p 118-119

32 La commission fut reacuteiteacutereacutee le 8 novembre 1327 ibid no 78 bis p 129-130

33 Voir A Boureau laquo Saints et deacutemons dans les procegraves de canonisation du deacutebut du xive s raquo

agrave paraicirctre dans les actes du colloque de Budapest sur les procegraves de canonisation dir Gaacutebor

Klaniczay

34 B Gui Manuel de linquisiteur eacuted et trad par G Mollat op cit t I p 52

35 Publieacutees par J-M Vidal Bullaire op cit no 103 p 154-156

36 Henri de Chamayou

37 Pierre Brun

38 La qualification dheacutereacutesie de la part du pape agrave propos des invocations deacutemoniaques na

jamais cesseacute Voir par exemple une lettre de 1323 qui deacutesigne des commissaires pour juger

le moine Guillaume de Figeac accuseacute de laquo deacutevier de la foi catholique raquo en pratiquant

lalchimie et la neacutecromancie (J-M Vidal Bullaire op cit no 50 p 87-88)

39 F Graf La Magie dans lAntiquiteacute greacuteco-romaine Ideacuteologie et pratique Paris 1994

40 Voir le reacutecit par Pierre le Veacuteneacuterable vers 1137 dun usage magique de lhostie consacreacutee

par un paysan deacutesireux de retenir ses abeilles Livre des merveilles de Dieu (De miraculis)

introduction traduction et notes de J-P Torrell et D Bouthillier FribourgParis 1992 p 70-

72 Je remercie Charles de Miramon de mavoir signaleacute ce texte

41 Voir les travaux reacutealiseacutes autour de Richard Kieckhefer et Claire Faenger aux Eacutetats-Unis

autour de Jean-Patrice Boudet et Henri Bresc en France notamment

42 Dans sa biographie collective des deux premiegraveres geacuteneacuterations de dominicains eacutecrite au

deacutebut des anneacutees 1260 Geacuterard de Frachet ne rapporte quun seul cas de fregravere qui se voue agrave

lalchimie et il ne trouve agrave lui reprocher que son deacutesir de senrichir rapidement Son activiteacute

consiste alors essentiellement agrave se rendre en Sardaigne pour y collecter des mineacuteraux rares

Son funeste sort ultime ne sexplique que par cet abandon de Dieu au profit de la richesse

22

seacuteculiegravere (Vitae Fratrum Ordinis Praedicatorum eacuted par B-M Reichert Rome-Stuttgart

Monumenta Ordinis Fratrum Praedicatorum Historica 1897 p 290)

43 La Condamnation parisienne de 1277 eacuted et trad par D Picheacute avec la collaboration de

C Lafleur Paris 1999 p 77

44 A Paravicini Bagliani Il corpo del papa Turin 1994

45 Preacuteface agrave Le crisi dellalchimia Micrologus 3 1995 p VIII

46 Voir leacutedition du procegraves dans J Shatzmiller Justice et injustice au deacutebut du XIVe s

Lenquecircte sur larchevecircque dAix et sa renonciation en 1318 Rome 1999

47 Voir une lettre de feacutevrier 1330 dans Lettres secregravetes et curiales du pape Jean XXII (1316-

1334) relatives agrave la France eacuted par A Coulon et S Cleacutemencet fasc 8 Paris 1965 no 4100

p 104-105 [abreacutegeacute deacutesormais Coulon-Cleacutemencet] lettre agrave Jean de Badas inquisiteur

franciscain de Marseille sur un crime nefandum commis par Gantalmus Gantalmi notaire et

sa femme Berengegravere instigatione diabolica circumventi agrave lencontre de Guillaume de Baucio

sire de Berre

48 Texte publieacute par J HANSEN Quellen und Untersuchungen op cit no 3 p 2

49 Notons quen 1318 les rites de conseacutecration des miroirs et images paraissent speacutecifiques

alors quen 1320 dans les questions poseacutees par le pape aux experts les invocateurs de deacutemons

utilisent le rite catholique du baptecircme pour preacuteparer leurs images

50 A Paravicini Bagliani Il corpo del papa op cit

51 C H JOSTEN laquo The Text of John Dastins letter to Pope John XXII raquo Ambix 4 1951

p 46-51

52 E Albe Autour de Jean XXII Hugues Geacuteraud eacutevecircque de Cahors laffaire des poisons et

envoucirctements en 1317 Cahors 1904 p 163-164

53 Processus Bernardi Deliciosi The Trial of Fr Bernard Deacutelicieux 3 September-8

December 1319 eacutediteacute par A Friedlander Philadelphie 1996 p 62 Pour une eacutetude complegravete

du dossier voir A Friedlander The Hammer of the Inquisitors Brother Bernard Deacutelicieux

and the Struggle against the Inquisition in Fourteenth-Century France Leyde 2000

54 Coulon-Cleacutemencet no 2969 p 151

55 Coulon-Cleacutemencet no 2395 p 47

56 Sermon sur la vigile de lEacutepiphanie 5 janvier 1332 eacuted par M Dykmans Les Sermons de

Jean XXII sur la vision beacuteatifique Rome (Miscellanea Historiae Pontificiae 34) p 145

57 Les actes du procegraves ont eacuteteacute publieacutes par J-MVidal laquo Procegraves dinquisition contre Adheacutemar

de Mosset raquo Revue dHistoire de lEacuteglise de France 1 1910 Lanecdote se trouve agrave la p 713

58 Ces interrogations sur la laquo situation raquo spirituelle eacutetaient freacutequemment exprimeacutees Dans sa

correspondance avec les grands de ce monde le pape doit souvent reacutepondre agrave ce genre de

question en termes agrave vrai dire assez geacuteneacuteraux

59 Coulon-Cleacutemencet fasc 8 Paris 1965 no 4197 p 126 Lettre analogue en feacutevrier 1331

(no 4452 t 9 p 41)

60 On peut se demander si ce nest pas cette fideacuteliteacute litteacuterale au texte biblique qui a contribueacute agrave

pousser le pape agrave intervenir sur la question de la vision beacuteatifique question ougrave les partisans de

la vision directe de Dieu avant le jugement final ne trouvaient aucun appui scripturaire direct

61 On trouve une formulation parallegravele dans Quia quorumdam mentes (10 novembre 1324)

62 Voir A Boureau laquo Droit naturel et abstraction judiciaire Hypothegraveses sur la nature du droit

meacutedieacuteval raquo Annales HSS 57 6 2002 p 1463-1488

63 Voir A Boureau laquo La redeacutecouverte de lautonomie du corps leacutemergence du somnambule

(xiiie-xiv

e s) raquo Micrologus I 1993 p 27-42

64 Sur toutes ces questions je me permets de renvoyer au chap 8 de mon ouvrage Theacuteologie

science et censure au XIIIe s Le cas de Jean Peckham Paris 1999

23

65 Publieacute par J Rius Serra dans Sancti Raymundi de Penyafort opera omnia t III

Diplomatario (Documentos Vida antigua Cronicas Processos antiguos) Barcelone 1954

p 74-82

66 Cette typologie fut reprise par le pape Alexandre IV une dizaine danneacutees plus tard et

eacutediteacutee par Boniface VIII dans le Sexte (L 5 tit 2 cap 2 6 11 eacuted Friedberg II col 1069

1071 1073) Voir aussi le traiteacute Doctrina de modo procedendi erga hereticos (vers 1280)

dans Martegravene et Durand Thesaurus novus anecdotum t 5 Paris 1717 col 1797 et la

Practica de Bernard Gui (p 226-232)

67 Bien avant la creacuteation de lInquisition le troisiegraveme concile de Latran (1179) avait frappeacute

danathegraveme et priveacute de seacutepulture les defensores et receptatores dheacutereacutetiques (Deacutecreacutetales L 5

tit 7 cap 8 eacuted Friedberg II col 1780)

68 Ibid p 29-32

69 Texte eacutediteacute par J Coste Boniface VIII en procegraves Articles daccusation et deacutepositions de

teacutemoins (1303-1311) Eacutedition critique introduction et notes Rome 1995 p 153

70 Nogaret originaire de Saint-Feacutelix-de-Caraman haut-lieu cathare petit-fils dun ministre

heacutereacutetique avait certainement une bonne connaissance de la perseacutecution de lheacutereacutesie en deacutepit

de sa formation de civiliste

71 Directorium op cit seconde partie question 2

72 Processus op cit p 180

73 E PETERS Inquisition Berkeley 1988

74 R KIECKHEFER laquo The Office of Inquisition and Medieval heresy the Transition from a

Personal to an Institutional Juridiction raquo Journal of Ecclesiastical History 46 1995 p 36-

61

75 Ainsi le pape deacutecida de suspendre le droit dasile dans les eacuteglises au deacutetriment des

heacutereacutetiques mais pas speacutecifiquement des auteurs de sortilegraveges (Lettre au roi de France Philippe

VI en 1328 publieacutee par J-M Vidal Bullaire op cit no 79 p 130-131)

76 Eacuted FRIEDBERG t II col 1078

77 Ibid col 1200

78 Voir la lettre dure que lui adressa le pape Jean XXII le 6 octobre 1332 (J-M Vidal

Bullaire op cit no 124 p 184)

79 Coulon-Cleacutemencet no 4539 fasc 9 p 59-60

80 Lattention precircteacutee agrave Philippe le Bel et agrave Jean XXII ne doit pas faire oublier que ce type

daccusation politico-deacutemonologique est deacutepoque comme le montre dans un tout autre

contexte le procegraves intenteacute agrave Walter Langton eacutevecircque de Coventry en 1301-1303 avec

mention dadoration diabolique (voir A Beardwood laquo The Trial of Walter Langton bishop of

Lichfield 1307-1312 raquo Transactions of the American Philosophical Society NS 54 p III

Philadelphie 1964

81 Voir J Coste Boniface VIII en procegraves op cit

82 A Rigault Le Procegraves de Guichard eacutevecircque de Troyes 1308-1313 Paris 1896

83 J Favier Un conseiller de Philippe le Bel Enguerrand de Marigny Paris 1963 Il faut

mentionner peu apregraves le procegraves contre le cardinal Francesco Gaetani poursuivi par les cours

royales pour attentat contre le roi son fregravere et deux cardinaux agrave laide dimages magiques

(voir C Langlois laquo Laffaire du cardinal Francesco Gaetani (avril 1316) raquo Revue historique

63 1897 p 56-71)

84 E Albe Autour de Jean XXII op cit

85 R Michel laquo Le procegraves de Mateo et Galeazzo Visconti laccusation de sorcellerie et

dheacutereacutesie Dante et laffaire de lenvoucirctement (1320) raquo Meacutelanges darcheacuteologie et dhistoire

29 1909 p 269-327

86 F Bock laquo I processi di Giovanni XXII contro i Ghibellini delle Marche raquo Bolletino

dellIstituto storico italiano per il Medio Evo 57 1941 p 19-43

24

87 Voir J-M Vidal laquo Le sieur de Parthenay et lInquisition (1323-1325) raquo Bulletin

historique et philologique 1903 p 414-434

88 J-M Vidal Bullaire op cit no 20 p 44 et n

o 76 p 126-127

89 J-M Vidal Bullaire op cit nos

109 et 110 p 167-171

90 J-M Vidal Bullaire op cit no 90 p 144

Alain Boureau

EHESS CRH GAS 54 boulevard Raspail F-75006 Paris

Pour citer cet article

Alain Boureau laquoSatan heacutereacutetique lrsquoinstitution judiciaire de la deacutemonologie sous Jean XXIIraquo

Meacutedieacutevales 44 (2003) httpmedievalesrevuesorgdocument711html

Page 15: Satan hérétique : l’institution judiciaire de la ..._Droit_Canonique/Curiosite/Satan heretique.pdf · e siècle, mais la mutation considérable de procédure qui a assimilé les

15

connaissait mieux le droit canonique avait ajouteacute dans la reacutedaction dun article analogue laquo le

mecircme Boniface proclamait de faccedilon doctrinale (dogmatizabat) quil avait le droit dagir

ainsi raquo69

En 1308-1309 lauteur dune nouvelle seacuterie darticles daccusation contre la meacutemoire de

Boniface que Jean Coste attribue agrave Nogaret70 introduit une distinction alors ineacutedite qui fut

reprise cinquante ans plus tard par Nicolas Eymerich71 entre les articles heacutereacutetiques les

erreurs relatives agrave un point de fait deacutejagrave condamneacute (facti damnati errores) et les opinions Mais

la simple mention de cette distinction sans application preacutecise ne permet pas de consideacuterer

que la notion de laquo fait heacutereacutetique raquo se deacuteveloppait veacuteritablement

Les juges deacuteleacutegueacutes au procegraves de Bernard Deacutelicieux en 1319 franchirent ce pas du moins

dans leur acte daccusation du 23 octobre 1319 ils ouvraient leur accusation en deacuteclarant sur

un ton tregraves leacutegislatif mais sans aucune alleacutegation de droit que tout homme seigneur puissant

ou juge qui oserait libeacuterer les prisonniers de linquisition refuser dexeacutecuter ses mandats

empecirccher la sentence ou le procegraves ou sopposer en quelque faccedilon agrave la poursuite des

heacutereacutetiques laquo encourt ipso facto une sentence dexcommunication et sil lencourt avec une

volonteacute reacutesolue pendant un an est alors condamneacute comme heacutereacutetique raquo72

Questions de proceacutedure

Face agrave la menace deacutemoniaque il importait dagir efficacement et rapidement mais ces deux

exigences eacutetaient contradictoires car lefficaciteacute supposait le lent et difficile eacutetablissement de

la veacuteriteacute Le pontife disposait dune multitude de solutions judiciaires qui impliquaient agrave la

fois des diffeacuterences dans les types de proceacutedure dans les ressorts juridictionnels et dans les

modaliteacutes de lenquecircte

LEacuteglise favorisait le deacuteveloppement de la proceacutedure inquisitoire (par enquecircte) au deacutetriment

du mode accusatoire selon un mouvement initieacute par des deacutecreacutetales dInnocent III agrave partir de

1198 dont la maturation se lit dans le canon 8 du concile de Latran IV (1215) On le sait la

proceacutedure accusatoire dominante jusquau XIIe siegravecle et qui a poursuivi sa carriegravere dans la

Common Law britannique et ameacutericaine reacuteserve lincrimination agrave un accusateur qui sengage

sur cette accusation et peut en pacirctir Le juge ou le jury se contente darbitrer Les deux

moments de laction sont constitueacutes par la construction minutieuse de la cause qui doit ecirctre

rigoureusement deacutefinie (en termes romains il sagit de la phase de litis contestatio) et par la

deacutelibeacuteration La proceacutedure inquisitoire en revanche favorise laccusation doffice formuleacutee

par un juge ou un prince agrave la suite dune laquo diffamation raquo deacuteriveacutee de leacutecoute dune rumeur

accusatrice Le procegraves met en œuvre deux enquecirctes successives la premiegravere eacutetablit cette

fama cette reacuteputation bonne ou mauvaise qui permet linculpation ou la relaxe la seconde

enquecircte construit la veacuteriteacute des faits porteacutes par la fama

Plusieurs ressorts juridictionnels pouvaient prendre en charge les invocateurs du deacutemon la

justice eacutepiscopale avec ses divers tribunaux le tribunal de linquisition et des commissions

pontificales ad hoc Linquisition fut creacuteeacutee par le pontificat agrave partir de 1233 en vue de

poursuivre lheacutereacutesie et elle garda longtemps cette speacutecialisation qui impliquait un recrutement

de juges plus theacuteologiens que juristes Il est difficile de porter un jugement serein sur

linquisition meacutedieacutevale tant son image a fait lobjet de controverses violentes Certains

meacutedieacutevistes ont tenteacute non sans quelques raisons de rejeter la folie perseacutecutrice associeacutee agrave

cette image Edward Peters a montreacute comment avait pu se construire dans la suite des temps

un veacuteritable mythe noir de linquisition73 un article retentissant de Richard Kieckhefer a mis

16

en doute la reacutealiteacute institutionnelle de linquisition74 De fait lopinion commune a souvent

confondu les reacutealiteacutes implacables de lInquisition romaine (creacuteeacutee en 1542) et surtout de

lInquisition castillane (institution eacutetatique fondeacutee en 1481-1482) avec les tentatives limiteacutees

et souvent incoheacuterentes de linquisition meacutedieacutevale Pourtant linquisition meacutedieacutevale a bien

existeacute comme institution puissante en deacutepit de sa faible assise Linquisiteur eacutetait nommeacute par

le saint Siegravege mais demeurait eacutetroitement lieacute agrave lordre religieux dont il provenait (lordre

dominicain pour lessentiel mais aussi lordre franciscain et dans une moindre mesure

lordre des carmes) Sa pratique quotidienne le mettait en relation eacutetroite avec le pouvoir

seacuteculier

Les commissions speacuteciales du pape deacuterivaient en un sens de la justice deacuteleacutegueacutee des pontifes

instaureacutee depuis le XIIe siegravecle mais elles prirent une importance particuliegravere sous le pontificat

de Jean XXII pour des raisons que nous examinerons plus loin Limportance des faits

deacutemoniaques conduisit Jean XXII agrave lever beaucoup de garanties judiciaires et gracieuses75 et

agrave confier les affaires de complot avec soupccedilons magiques ou deacutemonologiques agrave des

commissions pontificales qui se reacuteclamaient de la proceacutedure sommaire La notion de

proceacutedure sommaire sest lentement deacuteveloppeacutee depuis la fin du XIIe siegravecle dans le droit

canonique Il sagissait de formaliser les efforts des deacutecennies preacuteceacutedentes en matiegravere

darbitrage ou de compromis internes agrave lEacuteglise en reacuteaction aux excegraves de juridisme qui avaient

eacuteteacute deacutenonceacutes par saint Bernard dans son retentissant traiteacute De consideratione La notion

dlaquo eacutequiteacute canonique raquo eacutetait opposeacutee agrave la rigor iuris des civilistes La proceacutedure trouva

lentement sa forme agrave partir deacuteleacutements eacutepars dans le droit romain par agglomeacuteration de

clausules indeacutependantes si les parties eacutetaient daccord la cognitio summaria (traduite dans

nos textes par ladverbe summarie ou simpliciter) impliquait dalleacuteger les charges de preuves

on pouvait se contenter de preuves laquo semi-pleines raquo (un simple serment un teacutemoin ou un

document unique) et de la phase proprement proceacutedurale dun procegraves la reacutedaction dun

laquo livret raquo (libellus) et le deacutebat de la litis contestatio (qui eacutetablissait les rocircles judiciaires et les

enjeux du procegraves) devenaient facultatifs La mention dune proceacutedure de plano qui renvoyait

agrave linutiliteacute de sieacuteger formellement en tribunal insistait davantage sur la rapiditeacute et labsence de

formes externes Enfin les clausules sine strepitu judiciorum (sans le vacarme des procegraves) et

sine figura judicii (sans la forme du procegraves) compleacutetaient cette simplification en insistant sur

la suppression des avocats et des formes bruyantes dopposition et de recours

Agrave leacutepoque de Jean XXII cette formalisation de larbitrage eccleacutesiastique venait agrave peine de

sachever par la publication de deux deacutecreacutetales de Cleacutement V Dispendiosam produite pour le

concile de Vienne en 1311-1312 et Saepe reacutedigeacutee en 1314 Dispendiosam76 deacuteclarait de

faccedilon fort bregraveve que la proceacutedure sommaire pouvait sappliquer dune part aux cas deacutejagrave preacutevus

par le droit canonique du XIIIe siegravecle quant aux affaires propres de lEacuteglise (laquo eacutelections

demandes et provisions attributions de digniteacutes de fonctions de charges de canonicats de

preacutebendes et autres beacuteneacutefices eccleacutesiastiques raquo et contentieux sur les dicircmes) mais aussi sur les

questions de mariage et dusure Cette extension eacutetait consideacuterable et aboutissait agrave fournir la

possibiliteacute de proceacutedure sommaire pour la quasi totaliteacute des affaires eacutevoqueacutees par lEacuteglise

Seules les successions neacutetaient pas mentionneacutees mais elles interfeacuteraient neacutecessairement avec

les causes matrimoniales La deacutecreacutetale Saepe77

deacutetaillait plus longuement les particulariteacutes de

la proceacutedure sommaire et reacutesumait soigneusement les traits assembleacutes depuis pregraves dun siegravecle

Lusage parallegravele de la proceacutedure sommaire en matiegravere de poursuite de lheacutereacutesie ne se laisse

pas facilement deacutechiffrer car la filiation par rapport agrave la doctrine de larbitrage y perd tout

sens Le seul point commun des deux usages tient au rocircle essentiel du juge chargeacute agrave la fois de

la proceacutedure de linstruction et de la deacutecision Pourtant ce nest pas avant la deacutecreacutetale Statuta

17

quedam promulgueacutee par Boniface VIII dans son Liber Sextus en 1296-1298 que la proceacutedure

sommaire fut accordeacutee explicitement agrave la proceacutedure inquisitoriale laquo En collationnant certains

statuts de nos preacutedeacutecesseurs dheureuse meacutemoire Innocent Alexandre et Cleacutement et en

interpreacutetant et ajoutant certains points nous accordons que dans les affaires dinquisition sur

la perversion heacutereacutetique il puisse ecirctre proceacutedeacute de faccedilon simple et informelle sans vacarme ni

apparence des avocats et des jugements (procedi possit simpliciter et de plano et absque

advocatorum ac judiciorum strepitu et figura) raquo La suite de la deacutecreacutetale justifie le secret sur

les noms des teacutemoins ou accusateurs pour raison de seacutecuriteacute

Procegraves et majesteacute

Tous les niveaux et distinctions que nous venons desquisser se mecirclaient dans la pratique

judiciaire puisque linquisition se fondait largement sur la proceacutedure inquisitoire tandis que

des eacutevecircques comme Jacques Fournier le ceacutelegravebre eacutevecircque de Pamiers ou Guido Terreni

eacutevecircque de Majorque puis dElne recevaient du pape des fonctions dinquisiteur dans leur

diocegravese

Pourtant Jean XXII navait guegravere confiance dans la justice des eacutevecircques Il savait que les

eacutevecircques pouvaient souvent preacutefeacuterer la paix du diocegravese agrave lexigence de la veacuteriteacute Ainsi agrave

lefficace et zeacuteleacute Jacques Fournier avait succeacutedeacute en 1326 Dominique Grima brillant

theacuteologien ancien assistant inquisiteur de Bernard Gui agrave Toulouse qui sattira le courroux du

pape pour sa neacutegligence dans la poursuite de lheacutereacutesie78 Le pape preacutefeacutera freacutequemment utiliser

des commissions speacuteciales denquecircte et de jugement selon la proceacutedure sommaire plutocirct que

les tribunaux inquisitoriaux Ce fut le cas notamment pour les procegraves de Hugues Geacuteraud de

Robert de Mauvoisin et de Bernard Deacutelicieux Parfois limputation de crime de legravese-majesteacute

permit de donner une latitude encore plus large aux proceacutedures extraordinaires ainsi le 12

avril 1331 sur plainte du roi de France le pape ordonna agrave leacutevecircque de Paris de proceacuteder

contre Hertaud abbeacute dun monastegravere du diocegravese dAutun et contre Jean Albeacutericus dominicain

sur leurs laquo maleacutefices et excegraves raquo (super maleficiis et excessibus) contre le roi et sa cour raquo Il

sagit certainement de pratiques magiques (multis maleficiis) qui attentaient au laquo salut public raquo

et qui en tout cas relevaient du crime de legravese-majesteacute Or le pape en ce cas non seulement

ordonna une proceacutedure sommaire (simpliciter et de plano sine strepitu et figura judicii) mais

leva tous les privilegraveges et garanties des deux religieux autorisant leur arrestation (captionem)

leur incarceacuteration et leur torture (necnon questionibus subici prout a canonibus est

permissum)79

On peut se demander pourquoi Jean XXII fut si reacuteticent agrave confier les causes deacutemoniaques agrave

linquisition au moment mecircme ougrave il tentait dassimiler linvocation des deacutemons agrave lheacutereacutesie La

reacuteponse la plus commune agrave cette question relie ce choix au caractegravere politique de bien des

affaires ougrave le deacutemon semble intervenir comme preacutetexte plutocirct que comme cause De fait les

proceacutedures exceptionnelles qui mecirclent lattentat contre la majesteacute royale ou divine les

accusations dheacutereacutesie et les imputations de sorcellerie ou dinvocation des deacutemons doivent ecirctre

relieacutees agrave la grande vague des procegraves politiques qui avait commenceacute degraves le deacutebut du XIVe

siegravecle cest Philippe le Bel80 qui avait lanceacute degraves 1303 le procegraves contre le pape

Boniface VIII81 accuseacute entre autres davoir invoqueacute les deacutemons et consulteacute des magiciens

puis le roi entre 1306 et 1314 sen eacutetait pris aux Templiers comme adorateurs du diable

Entre 1308 et 1314 Philippe le Bel avait inculpeacute Guichard eacutevecircque de Troyes qui aurait

conspireacute en vue de tuer la reine et dautres personnaliteacutes princiegraveres par lusage de poisons et

dimages magiques82 En 1315 Enguerrand de Marigny qui avait si efficacement collaboreacute agrave

ces procegraves fut lui-mecircme pendu pour avoir nui au roi Louis X et agrave Charles de Valois par des

18

images magiques83 Jean XXII prit le relais avec les procegraves contre Hugues Geacuteraud eacutevecircque

de Cahors84 en 1317 contre Mateo et Galeazzo Visconti en 132085 contre les allieacutes de

Federico de Montefeltro dans la Marche dAncocircne86 Dans tous ces cas la parfaite

correspondance entre la graviteacute des accusations et la position antagoniste des inculpeacutes incite agrave

voir dans ces procegraves de simples et cyniques manœuvres ougrave lexception judiciaire doit

confirmer la regravegle politique

Cette interpreacutetation rend imparfaitement compte des reacutealiteacutes leacutecrasement des adversaires ne

fut pas systeacutematique les graves accusations contre Bernard Deacutelicieux quant au meurtre

deacutemoniaque de Cleacutement V ne furent pas assumeacutees dans le jugement contrairement agrave ce qui se

passa pour Hugues Geacuteraud Robert de Mauvoisin sen tira avec une simple eacutejection de son

siegravege archieacutepiscopal Certes les juges avaient quelque autonomie mais on peut penser que le

pape avait eacuteprouveacute de reacuteels doutes quant agrave la culpabiliteacute des accuseacutes Ces interrogations

rendent peut-ecirctre compte de la consultation de 1320 qui relevait moins de la discussion

quodlibeacutetale ou de la colleacutegialiteacute de deacutecision que du besoin dexpertise

Meacutefiance de linquisition

Les choix de proceacutedure de Jean XXII doivent sexpliquer autrement La preacutefeacuterence pour la

forme extraordinaire tient dabord agrave une grande meacutefiance de linquisition Les inquisiteurs

avaient tendance agrave poursuivre sans tenir compte des rangs sociaux ni des circonstances

politiques la fameuse affaire de Jean lArchevesque sieur de Parthenay mecircleacute agrave des pratiques

de sortilegravege vers 1323 le montre bien Linquisiteur seacutetait attaqueacute agrave un personnage puissant

beacuteneacuteficiant de protections royales qui avait reacuteussi agrave obtenir la consultation dun grand juriste

Oldrado da Ponte87 Agrave deux reprises le pape eacutecrivit aux inquisiteurs de Carcassonne pour

leur enjoindre de ne pas tourmenter inutilement les consuls et bourgeois de Montpellier88

Le pape avait pu aussi eacuteprouver lextrecircme impopulariteacute de linquisition patente dans laffaire

Bernard Deacutelicieux un simple agitateur avait failli renverser le pouvoir monarchique franccedilais

en liguant les couches citadines hostiles agrave lintervention des inquisiteurs En 1317-1318 cest

le zegravele excessif de Michel Le Moine inquisiteur franciscain de Provence qui avait enflammeacute

la reacutesistance beacuteguine dans le Midi par lexaltation des martyrs de Marseille En 1321-1322

cest le manque de discernement de linquisiteur Jean de Beaune agrave Beacuteziers qui avait entraicircneacute le

pape sur un terrain impreacutevu Linquisiteur ne mesurait pas toujours la porteacutee de ses actes et

surtout il pouvait agir trop publiquement du moins dans la phase initiale (la proclamation de

lenquecircte) et dans sa phase conclusive (le sermon geacuteneacuteral) ainsi cest la dispute publique

entre linquisiteur de Carcassonne Jean de Beaune et le lecteur franciscain du couvent de

Narbonne Beacuteranger Talon qui avait provoqueacute la reprise du deacutebat sur la pauvreteacute du Christ

Enfin et surtout linquisition jouissait dune certaine indeacutependance par rapport au pouvoir

pontifical dune part sa nomination deacutependait aussi du bon vouloir du maicirctre geacuteneacuteral des

dominicains ou du ministre geacuteneacuteral des franciscains Dautre part il pouvait agrave loccasion se

rapprocher du pouvoir royal On peut se demander si la diffeacuterence de deacutenomination des

inquisiteurs de Carcassonnne et de Toulouse entre 1320 et 1330 dans les lettres citeacutees plus

haut reacutedigeacutees par Guillaume de Peyre Godin puis par le pape ne traduit pas cette perception

dans le premier cas le cardinal sadresse laquo agrave linquisiteur de la perversion heacutereacutetique de la

reacutegion de Carcassonne raquo dans le second cas il sagit de laquo linquisiteur de la perversion

heacutereacutetique deacuteputeacute par le Siegravege apostolique dans le royaume de France en reacutesidence agrave

Carcassonne raquo Le soin de cette seconde formulation insiste sur le fait que lorigine du pouvoir

inquisitorial se trouve bien dans le pontificat De fait linquisition meacuteridionale apregraves les

froissements ducircs agrave laffaire Bernard Deacutelicieux ougrave les officiers royaux avaient toleacutereacute ou mecircme

19

soutenu le trublion franciscain avait eacuteteacute largement instrumentaliseacutee par la monarchie comme

le montrait laffaire des Templiers

En outre le pontife eacutetait fort irriteacute du manque de respect de certains inquisiteurs pour le droit

Ainsi en 1331 il reccedilut et approuva les plaintes de maicirctre Jean Anselme de Gecircnes chirurgien

et de Reacuteginald de Cravant clerc du diocegravese dAuxerre qui avaient eacuteteacute faussement accuseacutes

dheacutereacutesie et de maleacutefices par linquisiteur de France Aubert de Chacirclons et par leacutevecircque de Paris

Hugues Michel de Besanccedilon Le pontife leur reprochait davoir agi sans avoir eacutetabli aucune

infamie anteacuterieure sans respecter lordre judiciaire sans permettre aucune deacutefense leacutegitime89

Il nest pas besoin dimaginer un Jean XXII soucieux de justice par formation professionnelle

comme on la vu lordre du droit permettait deacutetablir soigneusement la veacuteriteacute qui importait

bien davantage que la reacutepression Le cas de la censure du commentaire dOlivi sur

lApocalypse le montre bien le texte eacutetait dangereux puisquil inspirait directement les

Beacuteguins par le biais dabreacutegeacutes et de traductions en langue vernaculaire Le contenu anti-

pontifical de ce texte eacutetait manifeste Pourtant le pape usa directement ou indirectement de

quatre commissions diffeacuterentes durant huit ans (1318-1326) avec un suppleacutement denquecircte

en 1322 avant darriver agrave une condamnation Le reacutesultat reacutepressif eacutetait certainement acquis

degraves 1318 mais il importait de suivre minutieusement les chemins de lerreur Ce souci

apparaicirct clairement dans une lettre adresseacutee par le pape en 1330 agrave Henri Chamayou

inquisiteur de Carcassonne90 qui avait reacuteussi agrave faire arrecircter deux heacutereacutetiques italiens qui

avaient confesseacute leur crime Le pontife feacutelicite chaleureusement linquisiteur mais lengage

fermement agrave poursuivre lenquecircte bien quil ait deacutejagrave en main tous les eacuteleacutements pour les

condamner laquo parce que nous croyons que tu aurais du connaicirctre une veacuteriteacute plus ample

(novisse te plenius credimus veritatem) au sujet de ce pour quoi ils tont eacuteteacute livreacutes nous

voulons et il nous plaicirct quayant Dieu seul devant les yeux tu veilles selon lexigence de la

justice agrave ne pas neacutegliger ce que tu sauras ecirctre adeacutequat en cette affaire raquo

Ces recommandations neacutetaient pas de pure forme la logique de linquisition ne la conduisait

pas vers leacutelucidation neacutecessaire agrave la cause des deacutemoniaques Linstitution demeurait

profondeacutement theacuteologienne et non juriste Le fondement proceacutedural de linquisition reposait

moins sur la poursuite doffice et lenquecircte que sur la troisiegraveme forme de poursuite (agrave cocircteacute de

la proceacutedure inquisitoire et de la proceacutedure accusatoire) deacutefinie par Innocent III au canon 8 du

concile de Latran la deacutenonciation eacutevangeacutelique issue de la correction fraternelle Or la

deacutenonciation orientait la poursuite vers la peacutenitence La confession rapidement obtenue par la

menace la terreur ou la torture conduisait agrave la demande dabsolution chegraverement neacutegocieacutee Il

importait agrave linquisiteur dobtenir au plus vite cette confession sans trop sattarder dans

lenquecircte sur la fama ou sur la veacuteriteacute neutraliseacutee par laveu Paradoxalement un accuseacute avait

de meilleures chances avec les proceacutedures sommaires chegraveres au pape quavec linquisition

parce que la veacuteriteacute pouvait contraindre le pape agrave la mansueacutetude tandis que la meacutecanique de la

culpabiliteacute ineacutevitable de tout peacutecheur entraicircnait tout inculpeacute dans la collectiviteacute peacutenale de

linquisition

Cest peut-ecirctre ces problegravemes de proceacutedure qui ont provoqueacute ce que Jean-Patrice Boudet

appelait plaisamment le laquo retard agrave lallumage raquo dans la poursuite des sorciers au XIVe siegravecle

tant que la papauteacute fut reacuteticente agrave deacuteleacuteguer son pouvoir denquecircte les limites mateacuterielles de la

justice pontificale empecircchegraverent la diffusion capillaire de limputation et de la reacutepression Et

preacuteciseacutement cest labandon forceacute de labsolutisme pontifical apregraves les conciles de Constance

et de Bacircle qui ouvrit les premiegraveres campagnes judiciaires et doctrinales contre les sorciers et

adorateurs du deacutemon dans les anneacutees 1430-1440 Mais le deacuteveloppement rapide de la

20

deacutemonologie avait eacuteteacute bien preacutepareacute par un pape qui tenait agrave consideacuterer lucidement les zones

obscures ougrave le deacutemon pouvait passer

Notes de bas de page

1 B Gui Manuel de linquisiteur eacuted par G Mollat Paris 1926-1927

2 P Paravy De la chreacutetienteacute romaine agrave la Reacuteforme en Dauphineacute Eacutevecircques fidegraveles et deacuteviants

(vers 1340-vers 1530) Rome 1993

3 LImaginaire du sabbat Eacutedition critique des textes les plus anciens (1430 ca-1440 ca)

reacuteunis par M Ostorero A Paravicini Bagliani K Utz Tremp en collaboration avec C Chegravene

Lausanne 1999

4 R KIECKHEFER European Witch Trials Their Foundations in Popular and Learned

Culture 1300-1500 Londres 1976 Carlo Ginzburg commence sa seacuterie explicative des

formes occidentales du sabbat en 1321 mais selon un modegravele totalement opposeacute au nocirctre

5 Bonn 1901

6 L THORNDIKE A History of Magic and Experimental Science vol III New York 1934

p 18 sq

7 Voir N Weill-Parot Les laquo Images astrologiques raquo au Moyen Acircge et agrave la Renaissance

Speacuteculations intellectuelles et pratiques magiques (XIIe-XV

e s) Paris 2002 p 377-385 et Id

laquo Les intellectuels lEacuteglise et la magie dans la premiegravere moitieacute du xive s raquo (meacutemoire de

maicirctrise Paris I 1990) Je tiens agrave remercier N Weill-Parot pour ses commentaires sur le

preacutesent article

8 laquo Quod cum morte fedus ineunt et pactum faciunt cum inferno Demonibus namque

immolant hos adorant raquo

9 Liber Sextus V II cap 8

10 Cause XXVI qu 5 cap 12 eacuted Friedberg col 1080

11 Voir A Boureau laquo De la feacutelonie agrave la haute trahison Un eacutepisode la trahison des clercs

(version du xiie s) raquo Le Genre Humain 16-17 1988 p 267-291

12 Venise 1595 XLIII 9 p 341-342

13 laquo Simpliciter et de plano ac sine strepitu et figura judicii appellatione remota raquo Lettre

publieacutee par J-M Vidal Bullaire de lInquisition franccedilaise Paris 1913 no 284 p 403-404

14 laquo Nonnulli etiam quandoque litterati in hoc se opponunt pretendentes id ad tuum non

expectare officium secundum canonicas sanctiones raquo

15 J-P Boudet laquo Les condamnations de la magie agrave Paris en 1398 raquo Revue Mabillon n s 12

(t 73) 2001 p 121-157

16 B Hamilton The Medieval Inquisition Londres 1981 p 94

17 Dans une lettre de 1336 adresseacutee agrave lofficial dAvignon Benoicirct XII successeur de

Jean XXII range agrave nouveau les sortilegraveges parmi les crimes qui touchent la foi (J-M Vidal

Bullaire op cit no 153 p 229-230) En 1405 Benoicirct XIII deacuteclare nuls les privilegraveges des

habitants du diocegravese du Puy qui preacutetendaient que linquisiteur de Carcassonne ne pouvait les

poursuivre pour maleacutefices (J-M Vidal Bullaire op cit no 332 p 473-474)

18 La premiegravere eacutedition a eacuteteacute procureacutee par Jean Chappuis en 1500 Pour la formation des deux

collections voir A M Stickler Historia Iuris Canonici Institutiones Academicae T I

Historia Fontium Rome 1950 p 270-271

19 Les seules mentions de la bulle se trouvent on la dit dans le manuel de Nicolas Eymerich

(1376) dans les Annales eccleacutesiastiques de Rinaldi et dans un bullaire romain du xviiie s

20 Voir A MAIER dans laquo Eine Verfuumlgung Johannis XXII uumlber die Zustaumlndigkeit der

Inquisition fuumlr Zauberprozesse raquo Archivium Fratrum Praedicatorum 32 1952 p 226-246

21 A Maier loc cit p 231

21

22 Publieacutee par R Manselli laquo Enrico del Carretto e la consultazione sulla magia di Giovanni

XXII raquo dans Miscellanea in onore di Monsignore Martino Giusti t II Vatican 1978 p 97-

129

23 Il est possible aussi que linterrogation doctrinale ait eacuteteacute anticipeacutee par Guido Terreni un

des dix experts de la consultation de 1320 dans son sixiegraveme quolibet laquo Est-ce que celui qui

baptise une chose sans acircme ou sans raison et non pas un homme est heacutereacutetique raquo ms BAV

Borghese 39 fo 238v

o-240v

o que je publie en annexe de la consultation Mais la date de ce

quolibet demeure incertaine

24 laquo Fecisti plantas pedum eiusdem mulieris iuxta carbones accensos apponi raquo texte publieacute

par J-M Vidal Bullaire op cit p 51-52

25 laquo Diu post confessionem debitum nature persoluitverum quia dubitatur ne propter

predicta tormenta citius decesserit quam alias decessisset mulier supradicta si tormentata

minime extitisset raquo

26 laquo Erronea et horrenda contra catholicam fidem fuit confessa et multos consocios et

complices reuelauitque omnia sic inuenta ut communiter creditur numquam reuelata

fuissent nisi mediantibus tormentis eiusdem predicta mulier reuelasset raquo

27 laquo De consilio proborum qui se asserebant uidisse penis examinati hereticos in partibus

Tholosanis raquo

28 J-M Vidal Bullaire op cit no 24 p 53-54

29 Ex certa sciencia sur cette clausule de labsolutisme pontifical voir A Boureau La Loi

du royaume Les moines le droit et la construction de la nation anglaise Paris 2001 avec

renvoi aux travaux de Jacques Krynen

30 Publieacutee par J-M Vidal Bullaire op cit p 61 Une meilleure eacutedition a eacuteteacute procureacutee par

A Maier loc cit p 226-227

31 J-M Vidal Bullaire op cit no 72 p 118-119

32 La commission fut reacuteiteacutereacutee le 8 novembre 1327 ibid no 78 bis p 129-130

33 Voir A Boureau laquo Saints et deacutemons dans les procegraves de canonisation du deacutebut du xive s raquo

agrave paraicirctre dans les actes du colloque de Budapest sur les procegraves de canonisation dir Gaacutebor

Klaniczay

34 B Gui Manuel de linquisiteur eacuted et trad par G Mollat op cit t I p 52

35 Publieacutees par J-M Vidal Bullaire op cit no 103 p 154-156

36 Henri de Chamayou

37 Pierre Brun

38 La qualification dheacutereacutesie de la part du pape agrave propos des invocations deacutemoniaques na

jamais cesseacute Voir par exemple une lettre de 1323 qui deacutesigne des commissaires pour juger

le moine Guillaume de Figeac accuseacute de laquo deacutevier de la foi catholique raquo en pratiquant

lalchimie et la neacutecromancie (J-M Vidal Bullaire op cit no 50 p 87-88)

39 F Graf La Magie dans lAntiquiteacute greacuteco-romaine Ideacuteologie et pratique Paris 1994

40 Voir le reacutecit par Pierre le Veacuteneacuterable vers 1137 dun usage magique de lhostie consacreacutee

par un paysan deacutesireux de retenir ses abeilles Livre des merveilles de Dieu (De miraculis)

introduction traduction et notes de J-P Torrell et D Bouthillier FribourgParis 1992 p 70-

72 Je remercie Charles de Miramon de mavoir signaleacute ce texte

41 Voir les travaux reacutealiseacutes autour de Richard Kieckhefer et Claire Faenger aux Eacutetats-Unis

autour de Jean-Patrice Boudet et Henri Bresc en France notamment

42 Dans sa biographie collective des deux premiegraveres geacuteneacuterations de dominicains eacutecrite au

deacutebut des anneacutees 1260 Geacuterard de Frachet ne rapporte quun seul cas de fregravere qui se voue agrave

lalchimie et il ne trouve agrave lui reprocher que son deacutesir de senrichir rapidement Son activiteacute

consiste alors essentiellement agrave se rendre en Sardaigne pour y collecter des mineacuteraux rares

Son funeste sort ultime ne sexplique que par cet abandon de Dieu au profit de la richesse

22

seacuteculiegravere (Vitae Fratrum Ordinis Praedicatorum eacuted par B-M Reichert Rome-Stuttgart

Monumenta Ordinis Fratrum Praedicatorum Historica 1897 p 290)

43 La Condamnation parisienne de 1277 eacuted et trad par D Picheacute avec la collaboration de

C Lafleur Paris 1999 p 77

44 A Paravicini Bagliani Il corpo del papa Turin 1994

45 Preacuteface agrave Le crisi dellalchimia Micrologus 3 1995 p VIII

46 Voir leacutedition du procegraves dans J Shatzmiller Justice et injustice au deacutebut du XIVe s

Lenquecircte sur larchevecircque dAix et sa renonciation en 1318 Rome 1999

47 Voir une lettre de feacutevrier 1330 dans Lettres secregravetes et curiales du pape Jean XXII (1316-

1334) relatives agrave la France eacuted par A Coulon et S Cleacutemencet fasc 8 Paris 1965 no 4100

p 104-105 [abreacutegeacute deacutesormais Coulon-Cleacutemencet] lettre agrave Jean de Badas inquisiteur

franciscain de Marseille sur un crime nefandum commis par Gantalmus Gantalmi notaire et

sa femme Berengegravere instigatione diabolica circumventi agrave lencontre de Guillaume de Baucio

sire de Berre

48 Texte publieacute par J HANSEN Quellen und Untersuchungen op cit no 3 p 2

49 Notons quen 1318 les rites de conseacutecration des miroirs et images paraissent speacutecifiques

alors quen 1320 dans les questions poseacutees par le pape aux experts les invocateurs de deacutemons

utilisent le rite catholique du baptecircme pour preacuteparer leurs images

50 A Paravicini Bagliani Il corpo del papa op cit

51 C H JOSTEN laquo The Text of John Dastins letter to Pope John XXII raquo Ambix 4 1951

p 46-51

52 E Albe Autour de Jean XXII Hugues Geacuteraud eacutevecircque de Cahors laffaire des poisons et

envoucirctements en 1317 Cahors 1904 p 163-164

53 Processus Bernardi Deliciosi The Trial of Fr Bernard Deacutelicieux 3 September-8

December 1319 eacutediteacute par A Friedlander Philadelphie 1996 p 62 Pour une eacutetude complegravete

du dossier voir A Friedlander The Hammer of the Inquisitors Brother Bernard Deacutelicieux

and the Struggle against the Inquisition in Fourteenth-Century France Leyde 2000

54 Coulon-Cleacutemencet no 2969 p 151

55 Coulon-Cleacutemencet no 2395 p 47

56 Sermon sur la vigile de lEacutepiphanie 5 janvier 1332 eacuted par M Dykmans Les Sermons de

Jean XXII sur la vision beacuteatifique Rome (Miscellanea Historiae Pontificiae 34) p 145

57 Les actes du procegraves ont eacuteteacute publieacutes par J-MVidal laquo Procegraves dinquisition contre Adheacutemar

de Mosset raquo Revue dHistoire de lEacuteglise de France 1 1910 Lanecdote se trouve agrave la p 713

58 Ces interrogations sur la laquo situation raquo spirituelle eacutetaient freacutequemment exprimeacutees Dans sa

correspondance avec les grands de ce monde le pape doit souvent reacutepondre agrave ce genre de

question en termes agrave vrai dire assez geacuteneacuteraux

59 Coulon-Cleacutemencet fasc 8 Paris 1965 no 4197 p 126 Lettre analogue en feacutevrier 1331

(no 4452 t 9 p 41)

60 On peut se demander si ce nest pas cette fideacuteliteacute litteacuterale au texte biblique qui a contribueacute agrave

pousser le pape agrave intervenir sur la question de la vision beacuteatifique question ougrave les partisans de

la vision directe de Dieu avant le jugement final ne trouvaient aucun appui scripturaire direct

61 On trouve une formulation parallegravele dans Quia quorumdam mentes (10 novembre 1324)

62 Voir A Boureau laquo Droit naturel et abstraction judiciaire Hypothegraveses sur la nature du droit

meacutedieacuteval raquo Annales HSS 57 6 2002 p 1463-1488

63 Voir A Boureau laquo La redeacutecouverte de lautonomie du corps leacutemergence du somnambule

(xiiie-xiv

e s) raquo Micrologus I 1993 p 27-42

64 Sur toutes ces questions je me permets de renvoyer au chap 8 de mon ouvrage Theacuteologie

science et censure au XIIIe s Le cas de Jean Peckham Paris 1999

23

65 Publieacute par J Rius Serra dans Sancti Raymundi de Penyafort opera omnia t III

Diplomatario (Documentos Vida antigua Cronicas Processos antiguos) Barcelone 1954

p 74-82

66 Cette typologie fut reprise par le pape Alexandre IV une dizaine danneacutees plus tard et

eacutediteacutee par Boniface VIII dans le Sexte (L 5 tit 2 cap 2 6 11 eacuted Friedberg II col 1069

1071 1073) Voir aussi le traiteacute Doctrina de modo procedendi erga hereticos (vers 1280)

dans Martegravene et Durand Thesaurus novus anecdotum t 5 Paris 1717 col 1797 et la

Practica de Bernard Gui (p 226-232)

67 Bien avant la creacuteation de lInquisition le troisiegraveme concile de Latran (1179) avait frappeacute

danathegraveme et priveacute de seacutepulture les defensores et receptatores dheacutereacutetiques (Deacutecreacutetales L 5

tit 7 cap 8 eacuted Friedberg II col 1780)

68 Ibid p 29-32

69 Texte eacutediteacute par J Coste Boniface VIII en procegraves Articles daccusation et deacutepositions de

teacutemoins (1303-1311) Eacutedition critique introduction et notes Rome 1995 p 153

70 Nogaret originaire de Saint-Feacutelix-de-Caraman haut-lieu cathare petit-fils dun ministre

heacutereacutetique avait certainement une bonne connaissance de la perseacutecution de lheacutereacutesie en deacutepit

de sa formation de civiliste

71 Directorium op cit seconde partie question 2

72 Processus op cit p 180

73 E PETERS Inquisition Berkeley 1988

74 R KIECKHEFER laquo The Office of Inquisition and Medieval heresy the Transition from a

Personal to an Institutional Juridiction raquo Journal of Ecclesiastical History 46 1995 p 36-

61

75 Ainsi le pape deacutecida de suspendre le droit dasile dans les eacuteglises au deacutetriment des

heacutereacutetiques mais pas speacutecifiquement des auteurs de sortilegraveges (Lettre au roi de France Philippe

VI en 1328 publieacutee par J-M Vidal Bullaire op cit no 79 p 130-131)

76 Eacuted FRIEDBERG t II col 1078

77 Ibid col 1200

78 Voir la lettre dure que lui adressa le pape Jean XXII le 6 octobre 1332 (J-M Vidal

Bullaire op cit no 124 p 184)

79 Coulon-Cleacutemencet no 4539 fasc 9 p 59-60

80 Lattention precircteacutee agrave Philippe le Bel et agrave Jean XXII ne doit pas faire oublier que ce type

daccusation politico-deacutemonologique est deacutepoque comme le montre dans un tout autre

contexte le procegraves intenteacute agrave Walter Langton eacutevecircque de Coventry en 1301-1303 avec

mention dadoration diabolique (voir A Beardwood laquo The Trial of Walter Langton bishop of

Lichfield 1307-1312 raquo Transactions of the American Philosophical Society NS 54 p III

Philadelphie 1964

81 Voir J Coste Boniface VIII en procegraves op cit

82 A Rigault Le Procegraves de Guichard eacutevecircque de Troyes 1308-1313 Paris 1896

83 J Favier Un conseiller de Philippe le Bel Enguerrand de Marigny Paris 1963 Il faut

mentionner peu apregraves le procegraves contre le cardinal Francesco Gaetani poursuivi par les cours

royales pour attentat contre le roi son fregravere et deux cardinaux agrave laide dimages magiques

(voir C Langlois laquo Laffaire du cardinal Francesco Gaetani (avril 1316) raquo Revue historique

63 1897 p 56-71)

84 E Albe Autour de Jean XXII op cit

85 R Michel laquo Le procegraves de Mateo et Galeazzo Visconti laccusation de sorcellerie et

dheacutereacutesie Dante et laffaire de lenvoucirctement (1320) raquo Meacutelanges darcheacuteologie et dhistoire

29 1909 p 269-327

86 F Bock laquo I processi di Giovanni XXII contro i Ghibellini delle Marche raquo Bolletino

dellIstituto storico italiano per il Medio Evo 57 1941 p 19-43

24

87 Voir J-M Vidal laquo Le sieur de Parthenay et lInquisition (1323-1325) raquo Bulletin

historique et philologique 1903 p 414-434

88 J-M Vidal Bullaire op cit no 20 p 44 et n

o 76 p 126-127

89 J-M Vidal Bullaire op cit nos

109 et 110 p 167-171

90 J-M Vidal Bullaire op cit no 90 p 144

Alain Boureau

EHESS CRH GAS 54 boulevard Raspail F-75006 Paris

Pour citer cet article

Alain Boureau laquoSatan heacutereacutetique lrsquoinstitution judiciaire de la deacutemonologie sous Jean XXIIraquo

Meacutedieacutevales 44 (2003) httpmedievalesrevuesorgdocument711html

Page 16: Satan hérétique : l’institution judiciaire de la ..._Droit_Canonique/Curiosite/Satan heretique.pdf · e siècle, mais la mutation considérable de procédure qui a assimilé les

16

en doute la reacutealiteacute institutionnelle de linquisition74 De fait lopinion commune a souvent

confondu les reacutealiteacutes implacables de lInquisition romaine (creacuteeacutee en 1542) et surtout de

lInquisition castillane (institution eacutetatique fondeacutee en 1481-1482) avec les tentatives limiteacutees

et souvent incoheacuterentes de linquisition meacutedieacutevale Pourtant linquisition meacutedieacutevale a bien

existeacute comme institution puissante en deacutepit de sa faible assise Linquisiteur eacutetait nommeacute par

le saint Siegravege mais demeurait eacutetroitement lieacute agrave lordre religieux dont il provenait (lordre

dominicain pour lessentiel mais aussi lordre franciscain et dans une moindre mesure

lordre des carmes) Sa pratique quotidienne le mettait en relation eacutetroite avec le pouvoir

seacuteculier

Les commissions speacuteciales du pape deacuterivaient en un sens de la justice deacuteleacutegueacutee des pontifes

instaureacutee depuis le XIIe siegravecle mais elles prirent une importance particuliegravere sous le pontificat

de Jean XXII pour des raisons que nous examinerons plus loin Limportance des faits

deacutemoniaques conduisit Jean XXII agrave lever beaucoup de garanties judiciaires et gracieuses75 et

agrave confier les affaires de complot avec soupccedilons magiques ou deacutemonologiques agrave des

commissions pontificales qui se reacuteclamaient de la proceacutedure sommaire La notion de

proceacutedure sommaire sest lentement deacuteveloppeacutee depuis la fin du XIIe siegravecle dans le droit

canonique Il sagissait de formaliser les efforts des deacutecennies preacuteceacutedentes en matiegravere

darbitrage ou de compromis internes agrave lEacuteglise en reacuteaction aux excegraves de juridisme qui avaient

eacuteteacute deacutenonceacutes par saint Bernard dans son retentissant traiteacute De consideratione La notion

dlaquo eacutequiteacute canonique raquo eacutetait opposeacutee agrave la rigor iuris des civilistes La proceacutedure trouva

lentement sa forme agrave partir deacuteleacutements eacutepars dans le droit romain par agglomeacuteration de

clausules indeacutependantes si les parties eacutetaient daccord la cognitio summaria (traduite dans

nos textes par ladverbe summarie ou simpliciter) impliquait dalleacuteger les charges de preuves

on pouvait se contenter de preuves laquo semi-pleines raquo (un simple serment un teacutemoin ou un

document unique) et de la phase proprement proceacutedurale dun procegraves la reacutedaction dun

laquo livret raquo (libellus) et le deacutebat de la litis contestatio (qui eacutetablissait les rocircles judiciaires et les

enjeux du procegraves) devenaient facultatifs La mention dune proceacutedure de plano qui renvoyait

agrave linutiliteacute de sieacuteger formellement en tribunal insistait davantage sur la rapiditeacute et labsence de

formes externes Enfin les clausules sine strepitu judiciorum (sans le vacarme des procegraves) et

sine figura judicii (sans la forme du procegraves) compleacutetaient cette simplification en insistant sur

la suppression des avocats et des formes bruyantes dopposition et de recours

Agrave leacutepoque de Jean XXII cette formalisation de larbitrage eccleacutesiastique venait agrave peine de

sachever par la publication de deux deacutecreacutetales de Cleacutement V Dispendiosam produite pour le

concile de Vienne en 1311-1312 et Saepe reacutedigeacutee en 1314 Dispendiosam76 deacuteclarait de

faccedilon fort bregraveve que la proceacutedure sommaire pouvait sappliquer dune part aux cas deacutejagrave preacutevus

par le droit canonique du XIIIe siegravecle quant aux affaires propres de lEacuteglise (laquo eacutelections

demandes et provisions attributions de digniteacutes de fonctions de charges de canonicats de

preacutebendes et autres beacuteneacutefices eccleacutesiastiques raquo et contentieux sur les dicircmes) mais aussi sur les

questions de mariage et dusure Cette extension eacutetait consideacuterable et aboutissait agrave fournir la

possibiliteacute de proceacutedure sommaire pour la quasi totaliteacute des affaires eacutevoqueacutees par lEacuteglise

Seules les successions neacutetaient pas mentionneacutees mais elles interfeacuteraient neacutecessairement avec

les causes matrimoniales La deacutecreacutetale Saepe77

deacutetaillait plus longuement les particulariteacutes de

la proceacutedure sommaire et reacutesumait soigneusement les traits assembleacutes depuis pregraves dun siegravecle

Lusage parallegravele de la proceacutedure sommaire en matiegravere de poursuite de lheacutereacutesie ne se laisse

pas facilement deacutechiffrer car la filiation par rapport agrave la doctrine de larbitrage y perd tout

sens Le seul point commun des deux usages tient au rocircle essentiel du juge chargeacute agrave la fois de

la proceacutedure de linstruction et de la deacutecision Pourtant ce nest pas avant la deacutecreacutetale Statuta

17

quedam promulgueacutee par Boniface VIII dans son Liber Sextus en 1296-1298 que la proceacutedure

sommaire fut accordeacutee explicitement agrave la proceacutedure inquisitoriale laquo En collationnant certains

statuts de nos preacutedeacutecesseurs dheureuse meacutemoire Innocent Alexandre et Cleacutement et en

interpreacutetant et ajoutant certains points nous accordons que dans les affaires dinquisition sur

la perversion heacutereacutetique il puisse ecirctre proceacutedeacute de faccedilon simple et informelle sans vacarme ni

apparence des avocats et des jugements (procedi possit simpliciter et de plano et absque

advocatorum ac judiciorum strepitu et figura) raquo La suite de la deacutecreacutetale justifie le secret sur

les noms des teacutemoins ou accusateurs pour raison de seacutecuriteacute

Procegraves et majesteacute

Tous les niveaux et distinctions que nous venons desquisser se mecirclaient dans la pratique

judiciaire puisque linquisition se fondait largement sur la proceacutedure inquisitoire tandis que

des eacutevecircques comme Jacques Fournier le ceacutelegravebre eacutevecircque de Pamiers ou Guido Terreni

eacutevecircque de Majorque puis dElne recevaient du pape des fonctions dinquisiteur dans leur

diocegravese

Pourtant Jean XXII navait guegravere confiance dans la justice des eacutevecircques Il savait que les

eacutevecircques pouvaient souvent preacutefeacuterer la paix du diocegravese agrave lexigence de la veacuteriteacute Ainsi agrave

lefficace et zeacuteleacute Jacques Fournier avait succeacutedeacute en 1326 Dominique Grima brillant

theacuteologien ancien assistant inquisiteur de Bernard Gui agrave Toulouse qui sattira le courroux du

pape pour sa neacutegligence dans la poursuite de lheacutereacutesie78 Le pape preacutefeacutera freacutequemment utiliser

des commissions speacuteciales denquecircte et de jugement selon la proceacutedure sommaire plutocirct que

les tribunaux inquisitoriaux Ce fut le cas notamment pour les procegraves de Hugues Geacuteraud de

Robert de Mauvoisin et de Bernard Deacutelicieux Parfois limputation de crime de legravese-majesteacute

permit de donner une latitude encore plus large aux proceacutedures extraordinaires ainsi le 12

avril 1331 sur plainte du roi de France le pape ordonna agrave leacutevecircque de Paris de proceacuteder

contre Hertaud abbeacute dun monastegravere du diocegravese dAutun et contre Jean Albeacutericus dominicain

sur leurs laquo maleacutefices et excegraves raquo (super maleficiis et excessibus) contre le roi et sa cour raquo Il

sagit certainement de pratiques magiques (multis maleficiis) qui attentaient au laquo salut public raquo

et qui en tout cas relevaient du crime de legravese-majesteacute Or le pape en ce cas non seulement

ordonna une proceacutedure sommaire (simpliciter et de plano sine strepitu et figura judicii) mais

leva tous les privilegraveges et garanties des deux religieux autorisant leur arrestation (captionem)

leur incarceacuteration et leur torture (necnon questionibus subici prout a canonibus est

permissum)79

On peut se demander pourquoi Jean XXII fut si reacuteticent agrave confier les causes deacutemoniaques agrave

linquisition au moment mecircme ougrave il tentait dassimiler linvocation des deacutemons agrave lheacutereacutesie La

reacuteponse la plus commune agrave cette question relie ce choix au caractegravere politique de bien des

affaires ougrave le deacutemon semble intervenir comme preacutetexte plutocirct que comme cause De fait les

proceacutedures exceptionnelles qui mecirclent lattentat contre la majesteacute royale ou divine les

accusations dheacutereacutesie et les imputations de sorcellerie ou dinvocation des deacutemons doivent ecirctre

relieacutees agrave la grande vague des procegraves politiques qui avait commenceacute degraves le deacutebut du XIVe

siegravecle cest Philippe le Bel80 qui avait lanceacute degraves 1303 le procegraves contre le pape

Boniface VIII81 accuseacute entre autres davoir invoqueacute les deacutemons et consulteacute des magiciens

puis le roi entre 1306 et 1314 sen eacutetait pris aux Templiers comme adorateurs du diable

Entre 1308 et 1314 Philippe le Bel avait inculpeacute Guichard eacutevecircque de Troyes qui aurait

conspireacute en vue de tuer la reine et dautres personnaliteacutes princiegraveres par lusage de poisons et

dimages magiques82 En 1315 Enguerrand de Marigny qui avait si efficacement collaboreacute agrave

ces procegraves fut lui-mecircme pendu pour avoir nui au roi Louis X et agrave Charles de Valois par des

18

images magiques83 Jean XXII prit le relais avec les procegraves contre Hugues Geacuteraud eacutevecircque

de Cahors84 en 1317 contre Mateo et Galeazzo Visconti en 132085 contre les allieacutes de

Federico de Montefeltro dans la Marche dAncocircne86 Dans tous ces cas la parfaite

correspondance entre la graviteacute des accusations et la position antagoniste des inculpeacutes incite agrave

voir dans ces procegraves de simples et cyniques manœuvres ougrave lexception judiciaire doit

confirmer la regravegle politique

Cette interpreacutetation rend imparfaitement compte des reacutealiteacutes leacutecrasement des adversaires ne

fut pas systeacutematique les graves accusations contre Bernard Deacutelicieux quant au meurtre

deacutemoniaque de Cleacutement V ne furent pas assumeacutees dans le jugement contrairement agrave ce qui se

passa pour Hugues Geacuteraud Robert de Mauvoisin sen tira avec une simple eacutejection de son

siegravege archieacutepiscopal Certes les juges avaient quelque autonomie mais on peut penser que le

pape avait eacuteprouveacute de reacuteels doutes quant agrave la culpabiliteacute des accuseacutes Ces interrogations

rendent peut-ecirctre compte de la consultation de 1320 qui relevait moins de la discussion

quodlibeacutetale ou de la colleacutegialiteacute de deacutecision que du besoin dexpertise

Meacutefiance de linquisition

Les choix de proceacutedure de Jean XXII doivent sexpliquer autrement La preacutefeacuterence pour la

forme extraordinaire tient dabord agrave une grande meacutefiance de linquisition Les inquisiteurs

avaient tendance agrave poursuivre sans tenir compte des rangs sociaux ni des circonstances

politiques la fameuse affaire de Jean lArchevesque sieur de Parthenay mecircleacute agrave des pratiques

de sortilegravege vers 1323 le montre bien Linquisiteur seacutetait attaqueacute agrave un personnage puissant

beacuteneacuteficiant de protections royales qui avait reacuteussi agrave obtenir la consultation dun grand juriste

Oldrado da Ponte87 Agrave deux reprises le pape eacutecrivit aux inquisiteurs de Carcassonne pour

leur enjoindre de ne pas tourmenter inutilement les consuls et bourgeois de Montpellier88

Le pape avait pu aussi eacuteprouver lextrecircme impopulariteacute de linquisition patente dans laffaire

Bernard Deacutelicieux un simple agitateur avait failli renverser le pouvoir monarchique franccedilais

en liguant les couches citadines hostiles agrave lintervention des inquisiteurs En 1317-1318 cest

le zegravele excessif de Michel Le Moine inquisiteur franciscain de Provence qui avait enflammeacute

la reacutesistance beacuteguine dans le Midi par lexaltation des martyrs de Marseille En 1321-1322

cest le manque de discernement de linquisiteur Jean de Beaune agrave Beacuteziers qui avait entraicircneacute le

pape sur un terrain impreacutevu Linquisiteur ne mesurait pas toujours la porteacutee de ses actes et

surtout il pouvait agir trop publiquement du moins dans la phase initiale (la proclamation de

lenquecircte) et dans sa phase conclusive (le sermon geacuteneacuteral) ainsi cest la dispute publique

entre linquisiteur de Carcassonne Jean de Beaune et le lecteur franciscain du couvent de

Narbonne Beacuteranger Talon qui avait provoqueacute la reprise du deacutebat sur la pauvreteacute du Christ

Enfin et surtout linquisition jouissait dune certaine indeacutependance par rapport au pouvoir

pontifical dune part sa nomination deacutependait aussi du bon vouloir du maicirctre geacuteneacuteral des

dominicains ou du ministre geacuteneacuteral des franciscains Dautre part il pouvait agrave loccasion se

rapprocher du pouvoir royal On peut se demander si la diffeacuterence de deacutenomination des

inquisiteurs de Carcassonnne et de Toulouse entre 1320 et 1330 dans les lettres citeacutees plus

haut reacutedigeacutees par Guillaume de Peyre Godin puis par le pape ne traduit pas cette perception

dans le premier cas le cardinal sadresse laquo agrave linquisiteur de la perversion heacutereacutetique de la

reacutegion de Carcassonne raquo dans le second cas il sagit de laquo linquisiteur de la perversion

heacutereacutetique deacuteputeacute par le Siegravege apostolique dans le royaume de France en reacutesidence agrave

Carcassonne raquo Le soin de cette seconde formulation insiste sur le fait que lorigine du pouvoir

inquisitorial se trouve bien dans le pontificat De fait linquisition meacuteridionale apregraves les

froissements ducircs agrave laffaire Bernard Deacutelicieux ougrave les officiers royaux avaient toleacutereacute ou mecircme

19

soutenu le trublion franciscain avait eacuteteacute largement instrumentaliseacutee par la monarchie comme

le montrait laffaire des Templiers

En outre le pontife eacutetait fort irriteacute du manque de respect de certains inquisiteurs pour le droit

Ainsi en 1331 il reccedilut et approuva les plaintes de maicirctre Jean Anselme de Gecircnes chirurgien

et de Reacuteginald de Cravant clerc du diocegravese dAuxerre qui avaient eacuteteacute faussement accuseacutes

dheacutereacutesie et de maleacutefices par linquisiteur de France Aubert de Chacirclons et par leacutevecircque de Paris

Hugues Michel de Besanccedilon Le pontife leur reprochait davoir agi sans avoir eacutetabli aucune

infamie anteacuterieure sans respecter lordre judiciaire sans permettre aucune deacutefense leacutegitime89

Il nest pas besoin dimaginer un Jean XXII soucieux de justice par formation professionnelle

comme on la vu lordre du droit permettait deacutetablir soigneusement la veacuteriteacute qui importait

bien davantage que la reacutepression Le cas de la censure du commentaire dOlivi sur

lApocalypse le montre bien le texte eacutetait dangereux puisquil inspirait directement les

Beacuteguins par le biais dabreacutegeacutes et de traductions en langue vernaculaire Le contenu anti-

pontifical de ce texte eacutetait manifeste Pourtant le pape usa directement ou indirectement de

quatre commissions diffeacuterentes durant huit ans (1318-1326) avec un suppleacutement denquecircte

en 1322 avant darriver agrave une condamnation Le reacutesultat reacutepressif eacutetait certainement acquis

degraves 1318 mais il importait de suivre minutieusement les chemins de lerreur Ce souci

apparaicirct clairement dans une lettre adresseacutee par le pape en 1330 agrave Henri Chamayou

inquisiteur de Carcassonne90 qui avait reacuteussi agrave faire arrecircter deux heacutereacutetiques italiens qui

avaient confesseacute leur crime Le pontife feacutelicite chaleureusement linquisiteur mais lengage

fermement agrave poursuivre lenquecircte bien quil ait deacutejagrave en main tous les eacuteleacutements pour les

condamner laquo parce que nous croyons que tu aurais du connaicirctre une veacuteriteacute plus ample

(novisse te plenius credimus veritatem) au sujet de ce pour quoi ils tont eacuteteacute livreacutes nous

voulons et il nous plaicirct quayant Dieu seul devant les yeux tu veilles selon lexigence de la

justice agrave ne pas neacutegliger ce que tu sauras ecirctre adeacutequat en cette affaire raquo

Ces recommandations neacutetaient pas de pure forme la logique de linquisition ne la conduisait

pas vers leacutelucidation neacutecessaire agrave la cause des deacutemoniaques Linstitution demeurait

profondeacutement theacuteologienne et non juriste Le fondement proceacutedural de linquisition reposait

moins sur la poursuite doffice et lenquecircte que sur la troisiegraveme forme de poursuite (agrave cocircteacute de

la proceacutedure inquisitoire et de la proceacutedure accusatoire) deacutefinie par Innocent III au canon 8 du

concile de Latran la deacutenonciation eacutevangeacutelique issue de la correction fraternelle Or la

deacutenonciation orientait la poursuite vers la peacutenitence La confession rapidement obtenue par la

menace la terreur ou la torture conduisait agrave la demande dabsolution chegraverement neacutegocieacutee Il

importait agrave linquisiteur dobtenir au plus vite cette confession sans trop sattarder dans

lenquecircte sur la fama ou sur la veacuteriteacute neutraliseacutee par laveu Paradoxalement un accuseacute avait

de meilleures chances avec les proceacutedures sommaires chegraveres au pape quavec linquisition

parce que la veacuteriteacute pouvait contraindre le pape agrave la mansueacutetude tandis que la meacutecanique de la

culpabiliteacute ineacutevitable de tout peacutecheur entraicircnait tout inculpeacute dans la collectiviteacute peacutenale de

linquisition

Cest peut-ecirctre ces problegravemes de proceacutedure qui ont provoqueacute ce que Jean-Patrice Boudet

appelait plaisamment le laquo retard agrave lallumage raquo dans la poursuite des sorciers au XIVe siegravecle

tant que la papauteacute fut reacuteticente agrave deacuteleacuteguer son pouvoir denquecircte les limites mateacuterielles de la

justice pontificale empecircchegraverent la diffusion capillaire de limputation et de la reacutepression Et

preacuteciseacutement cest labandon forceacute de labsolutisme pontifical apregraves les conciles de Constance

et de Bacircle qui ouvrit les premiegraveres campagnes judiciaires et doctrinales contre les sorciers et

adorateurs du deacutemon dans les anneacutees 1430-1440 Mais le deacuteveloppement rapide de la

20

deacutemonologie avait eacuteteacute bien preacutepareacute par un pape qui tenait agrave consideacuterer lucidement les zones

obscures ougrave le deacutemon pouvait passer

Notes de bas de page

1 B Gui Manuel de linquisiteur eacuted par G Mollat Paris 1926-1927

2 P Paravy De la chreacutetienteacute romaine agrave la Reacuteforme en Dauphineacute Eacutevecircques fidegraveles et deacuteviants

(vers 1340-vers 1530) Rome 1993

3 LImaginaire du sabbat Eacutedition critique des textes les plus anciens (1430 ca-1440 ca)

reacuteunis par M Ostorero A Paravicini Bagliani K Utz Tremp en collaboration avec C Chegravene

Lausanne 1999

4 R KIECKHEFER European Witch Trials Their Foundations in Popular and Learned

Culture 1300-1500 Londres 1976 Carlo Ginzburg commence sa seacuterie explicative des

formes occidentales du sabbat en 1321 mais selon un modegravele totalement opposeacute au nocirctre

5 Bonn 1901

6 L THORNDIKE A History of Magic and Experimental Science vol III New York 1934

p 18 sq

7 Voir N Weill-Parot Les laquo Images astrologiques raquo au Moyen Acircge et agrave la Renaissance

Speacuteculations intellectuelles et pratiques magiques (XIIe-XV

e s) Paris 2002 p 377-385 et Id

laquo Les intellectuels lEacuteglise et la magie dans la premiegravere moitieacute du xive s raquo (meacutemoire de

maicirctrise Paris I 1990) Je tiens agrave remercier N Weill-Parot pour ses commentaires sur le

preacutesent article

8 laquo Quod cum morte fedus ineunt et pactum faciunt cum inferno Demonibus namque

immolant hos adorant raquo

9 Liber Sextus V II cap 8

10 Cause XXVI qu 5 cap 12 eacuted Friedberg col 1080

11 Voir A Boureau laquo De la feacutelonie agrave la haute trahison Un eacutepisode la trahison des clercs

(version du xiie s) raquo Le Genre Humain 16-17 1988 p 267-291

12 Venise 1595 XLIII 9 p 341-342

13 laquo Simpliciter et de plano ac sine strepitu et figura judicii appellatione remota raquo Lettre

publieacutee par J-M Vidal Bullaire de lInquisition franccedilaise Paris 1913 no 284 p 403-404

14 laquo Nonnulli etiam quandoque litterati in hoc se opponunt pretendentes id ad tuum non

expectare officium secundum canonicas sanctiones raquo

15 J-P Boudet laquo Les condamnations de la magie agrave Paris en 1398 raquo Revue Mabillon n s 12

(t 73) 2001 p 121-157

16 B Hamilton The Medieval Inquisition Londres 1981 p 94

17 Dans une lettre de 1336 adresseacutee agrave lofficial dAvignon Benoicirct XII successeur de

Jean XXII range agrave nouveau les sortilegraveges parmi les crimes qui touchent la foi (J-M Vidal

Bullaire op cit no 153 p 229-230) En 1405 Benoicirct XIII deacuteclare nuls les privilegraveges des

habitants du diocegravese du Puy qui preacutetendaient que linquisiteur de Carcassonne ne pouvait les

poursuivre pour maleacutefices (J-M Vidal Bullaire op cit no 332 p 473-474)

18 La premiegravere eacutedition a eacuteteacute procureacutee par Jean Chappuis en 1500 Pour la formation des deux

collections voir A M Stickler Historia Iuris Canonici Institutiones Academicae T I

Historia Fontium Rome 1950 p 270-271

19 Les seules mentions de la bulle se trouvent on la dit dans le manuel de Nicolas Eymerich

(1376) dans les Annales eccleacutesiastiques de Rinaldi et dans un bullaire romain du xviiie s

20 Voir A MAIER dans laquo Eine Verfuumlgung Johannis XXII uumlber die Zustaumlndigkeit der

Inquisition fuumlr Zauberprozesse raquo Archivium Fratrum Praedicatorum 32 1952 p 226-246

21 A Maier loc cit p 231

21

22 Publieacutee par R Manselli laquo Enrico del Carretto e la consultazione sulla magia di Giovanni

XXII raquo dans Miscellanea in onore di Monsignore Martino Giusti t II Vatican 1978 p 97-

129

23 Il est possible aussi que linterrogation doctrinale ait eacuteteacute anticipeacutee par Guido Terreni un

des dix experts de la consultation de 1320 dans son sixiegraveme quolibet laquo Est-ce que celui qui

baptise une chose sans acircme ou sans raison et non pas un homme est heacutereacutetique raquo ms BAV

Borghese 39 fo 238v

o-240v

o que je publie en annexe de la consultation Mais la date de ce

quolibet demeure incertaine

24 laquo Fecisti plantas pedum eiusdem mulieris iuxta carbones accensos apponi raquo texte publieacute

par J-M Vidal Bullaire op cit p 51-52

25 laquo Diu post confessionem debitum nature persoluitverum quia dubitatur ne propter

predicta tormenta citius decesserit quam alias decessisset mulier supradicta si tormentata

minime extitisset raquo

26 laquo Erronea et horrenda contra catholicam fidem fuit confessa et multos consocios et

complices reuelauitque omnia sic inuenta ut communiter creditur numquam reuelata

fuissent nisi mediantibus tormentis eiusdem predicta mulier reuelasset raquo

27 laquo De consilio proborum qui se asserebant uidisse penis examinati hereticos in partibus

Tholosanis raquo

28 J-M Vidal Bullaire op cit no 24 p 53-54

29 Ex certa sciencia sur cette clausule de labsolutisme pontifical voir A Boureau La Loi

du royaume Les moines le droit et la construction de la nation anglaise Paris 2001 avec

renvoi aux travaux de Jacques Krynen

30 Publieacutee par J-M Vidal Bullaire op cit p 61 Une meilleure eacutedition a eacuteteacute procureacutee par

A Maier loc cit p 226-227

31 J-M Vidal Bullaire op cit no 72 p 118-119

32 La commission fut reacuteiteacutereacutee le 8 novembre 1327 ibid no 78 bis p 129-130

33 Voir A Boureau laquo Saints et deacutemons dans les procegraves de canonisation du deacutebut du xive s raquo

agrave paraicirctre dans les actes du colloque de Budapest sur les procegraves de canonisation dir Gaacutebor

Klaniczay

34 B Gui Manuel de linquisiteur eacuted et trad par G Mollat op cit t I p 52

35 Publieacutees par J-M Vidal Bullaire op cit no 103 p 154-156

36 Henri de Chamayou

37 Pierre Brun

38 La qualification dheacutereacutesie de la part du pape agrave propos des invocations deacutemoniaques na

jamais cesseacute Voir par exemple une lettre de 1323 qui deacutesigne des commissaires pour juger

le moine Guillaume de Figeac accuseacute de laquo deacutevier de la foi catholique raquo en pratiquant

lalchimie et la neacutecromancie (J-M Vidal Bullaire op cit no 50 p 87-88)

39 F Graf La Magie dans lAntiquiteacute greacuteco-romaine Ideacuteologie et pratique Paris 1994

40 Voir le reacutecit par Pierre le Veacuteneacuterable vers 1137 dun usage magique de lhostie consacreacutee

par un paysan deacutesireux de retenir ses abeilles Livre des merveilles de Dieu (De miraculis)

introduction traduction et notes de J-P Torrell et D Bouthillier FribourgParis 1992 p 70-

72 Je remercie Charles de Miramon de mavoir signaleacute ce texte

41 Voir les travaux reacutealiseacutes autour de Richard Kieckhefer et Claire Faenger aux Eacutetats-Unis

autour de Jean-Patrice Boudet et Henri Bresc en France notamment

42 Dans sa biographie collective des deux premiegraveres geacuteneacuterations de dominicains eacutecrite au

deacutebut des anneacutees 1260 Geacuterard de Frachet ne rapporte quun seul cas de fregravere qui se voue agrave

lalchimie et il ne trouve agrave lui reprocher que son deacutesir de senrichir rapidement Son activiteacute

consiste alors essentiellement agrave se rendre en Sardaigne pour y collecter des mineacuteraux rares

Son funeste sort ultime ne sexplique que par cet abandon de Dieu au profit de la richesse

22

seacuteculiegravere (Vitae Fratrum Ordinis Praedicatorum eacuted par B-M Reichert Rome-Stuttgart

Monumenta Ordinis Fratrum Praedicatorum Historica 1897 p 290)

43 La Condamnation parisienne de 1277 eacuted et trad par D Picheacute avec la collaboration de

C Lafleur Paris 1999 p 77

44 A Paravicini Bagliani Il corpo del papa Turin 1994

45 Preacuteface agrave Le crisi dellalchimia Micrologus 3 1995 p VIII

46 Voir leacutedition du procegraves dans J Shatzmiller Justice et injustice au deacutebut du XIVe s

Lenquecircte sur larchevecircque dAix et sa renonciation en 1318 Rome 1999

47 Voir une lettre de feacutevrier 1330 dans Lettres secregravetes et curiales du pape Jean XXII (1316-

1334) relatives agrave la France eacuted par A Coulon et S Cleacutemencet fasc 8 Paris 1965 no 4100

p 104-105 [abreacutegeacute deacutesormais Coulon-Cleacutemencet] lettre agrave Jean de Badas inquisiteur

franciscain de Marseille sur un crime nefandum commis par Gantalmus Gantalmi notaire et

sa femme Berengegravere instigatione diabolica circumventi agrave lencontre de Guillaume de Baucio

sire de Berre

48 Texte publieacute par J HANSEN Quellen und Untersuchungen op cit no 3 p 2

49 Notons quen 1318 les rites de conseacutecration des miroirs et images paraissent speacutecifiques

alors quen 1320 dans les questions poseacutees par le pape aux experts les invocateurs de deacutemons

utilisent le rite catholique du baptecircme pour preacuteparer leurs images

50 A Paravicini Bagliani Il corpo del papa op cit

51 C H JOSTEN laquo The Text of John Dastins letter to Pope John XXII raquo Ambix 4 1951

p 46-51

52 E Albe Autour de Jean XXII Hugues Geacuteraud eacutevecircque de Cahors laffaire des poisons et

envoucirctements en 1317 Cahors 1904 p 163-164

53 Processus Bernardi Deliciosi The Trial of Fr Bernard Deacutelicieux 3 September-8

December 1319 eacutediteacute par A Friedlander Philadelphie 1996 p 62 Pour une eacutetude complegravete

du dossier voir A Friedlander The Hammer of the Inquisitors Brother Bernard Deacutelicieux

and the Struggle against the Inquisition in Fourteenth-Century France Leyde 2000

54 Coulon-Cleacutemencet no 2969 p 151

55 Coulon-Cleacutemencet no 2395 p 47

56 Sermon sur la vigile de lEacutepiphanie 5 janvier 1332 eacuted par M Dykmans Les Sermons de

Jean XXII sur la vision beacuteatifique Rome (Miscellanea Historiae Pontificiae 34) p 145

57 Les actes du procegraves ont eacuteteacute publieacutes par J-MVidal laquo Procegraves dinquisition contre Adheacutemar

de Mosset raquo Revue dHistoire de lEacuteglise de France 1 1910 Lanecdote se trouve agrave la p 713

58 Ces interrogations sur la laquo situation raquo spirituelle eacutetaient freacutequemment exprimeacutees Dans sa

correspondance avec les grands de ce monde le pape doit souvent reacutepondre agrave ce genre de

question en termes agrave vrai dire assez geacuteneacuteraux

59 Coulon-Cleacutemencet fasc 8 Paris 1965 no 4197 p 126 Lettre analogue en feacutevrier 1331

(no 4452 t 9 p 41)

60 On peut se demander si ce nest pas cette fideacuteliteacute litteacuterale au texte biblique qui a contribueacute agrave

pousser le pape agrave intervenir sur la question de la vision beacuteatifique question ougrave les partisans de

la vision directe de Dieu avant le jugement final ne trouvaient aucun appui scripturaire direct

61 On trouve une formulation parallegravele dans Quia quorumdam mentes (10 novembre 1324)

62 Voir A Boureau laquo Droit naturel et abstraction judiciaire Hypothegraveses sur la nature du droit

meacutedieacuteval raquo Annales HSS 57 6 2002 p 1463-1488

63 Voir A Boureau laquo La redeacutecouverte de lautonomie du corps leacutemergence du somnambule

(xiiie-xiv

e s) raquo Micrologus I 1993 p 27-42

64 Sur toutes ces questions je me permets de renvoyer au chap 8 de mon ouvrage Theacuteologie

science et censure au XIIIe s Le cas de Jean Peckham Paris 1999

23

65 Publieacute par J Rius Serra dans Sancti Raymundi de Penyafort opera omnia t III

Diplomatario (Documentos Vida antigua Cronicas Processos antiguos) Barcelone 1954

p 74-82

66 Cette typologie fut reprise par le pape Alexandre IV une dizaine danneacutees plus tard et

eacutediteacutee par Boniface VIII dans le Sexte (L 5 tit 2 cap 2 6 11 eacuted Friedberg II col 1069

1071 1073) Voir aussi le traiteacute Doctrina de modo procedendi erga hereticos (vers 1280)

dans Martegravene et Durand Thesaurus novus anecdotum t 5 Paris 1717 col 1797 et la

Practica de Bernard Gui (p 226-232)

67 Bien avant la creacuteation de lInquisition le troisiegraveme concile de Latran (1179) avait frappeacute

danathegraveme et priveacute de seacutepulture les defensores et receptatores dheacutereacutetiques (Deacutecreacutetales L 5

tit 7 cap 8 eacuted Friedberg II col 1780)

68 Ibid p 29-32

69 Texte eacutediteacute par J Coste Boniface VIII en procegraves Articles daccusation et deacutepositions de

teacutemoins (1303-1311) Eacutedition critique introduction et notes Rome 1995 p 153

70 Nogaret originaire de Saint-Feacutelix-de-Caraman haut-lieu cathare petit-fils dun ministre

heacutereacutetique avait certainement une bonne connaissance de la perseacutecution de lheacutereacutesie en deacutepit

de sa formation de civiliste

71 Directorium op cit seconde partie question 2

72 Processus op cit p 180

73 E PETERS Inquisition Berkeley 1988

74 R KIECKHEFER laquo The Office of Inquisition and Medieval heresy the Transition from a

Personal to an Institutional Juridiction raquo Journal of Ecclesiastical History 46 1995 p 36-

61

75 Ainsi le pape deacutecida de suspendre le droit dasile dans les eacuteglises au deacutetriment des

heacutereacutetiques mais pas speacutecifiquement des auteurs de sortilegraveges (Lettre au roi de France Philippe

VI en 1328 publieacutee par J-M Vidal Bullaire op cit no 79 p 130-131)

76 Eacuted FRIEDBERG t II col 1078

77 Ibid col 1200

78 Voir la lettre dure que lui adressa le pape Jean XXII le 6 octobre 1332 (J-M Vidal

Bullaire op cit no 124 p 184)

79 Coulon-Cleacutemencet no 4539 fasc 9 p 59-60

80 Lattention precircteacutee agrave Philippe le Bel et agrave Jean XXII ne doit pas faire oublier que ce type

daccusation politico-deacutemonologique est deacutepoque comme le montre dans un tout autre

contexte le procegraves intenteacute agrave Walter Langton eacutevecircque de Coventry en 1301-1303 avec

mention dadoration diabolique (voir A Beardwood laquo The Trial of Walter Langton bishop of

Lichfield 1307-1312 raquo Transactions of the American Philosophical Society NS 54 p III

Philadelphie 1964

81 Voir J Coste Boniface VIII en procegraves op cit

82 A Rigault Le Procegraves de Guichard eacutevecircque de Troyes 1308-1313 Paris 1896

83 J Favier Un conseiller de Philippe le Bel Enguerrand de Marigny Paris 1963 Il faut

mentionner peu apregraves le procegraves contre le cardinal Francesco Gaetani poursuivi par les cours

royales pour attentat contre le roi son fregravere et deux cardinaux agrave laide dimages magiques

(voir C Langlois laquo Laffaire du cardinal Francesco Gaetani (avril 1316) raquo Revue historique

63 1897 p 56-71)

84 E Albe Autour de Jean XXII op cit

85 R Michel laquo Le procegraves de Mateo et Galeazzo Visconti laccusation de sorcellerie et

dheacutereacutesie Dante et laffaire de lenvoucirctement (1320) raquo Meacutelanges darcheacuteologie et dhistoire

29 1909 p 269-327

86 F Bock laquo I processi di Giovanni XXII contro i Ghibellini delle Marche raquo Bolletino

dellIstituto storico italiano per il Medio Evo 57 1941 p 19-43

24

87 Voir J-M Vidal laquo Le sieur de Parthenay et lInquisition (1323-1325) raquo Bulletin

historique et philologique 1903 p 414-434

88 J-M Vidal Bullaire op cit no 20 p 44 et n

o 76 p 126-127

89 J-M Vidal Bullaire op cit nos

109 et 110 p 167-171

90 J-M Vidal Bullaire op cit no 90 p 144

Alain Boureau

EHESS CRH GAS 54 boulevard Raspail F-75006 Paris

Pour citer cet article

Alain Boureau laquoSatan heacutereacutetique lrsquoinstitution judiciaire de la deacutemonologie sous Jean XXIIraquo

Meacutedieacutevales 44 (2003) httpmedievalesrevuesorgdocument711html

Page 17: Satan hérétique : l’institution judiciaire de la ..._Droit_Canonique/Curiosite/Satan heretique.pdf · e siècle, mais la mutation considérable de procédure qui a assimilé les

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quedam promulgueacutee par Boniface VIII dans son Liber Sextus en 1296-1298 que la proceacutedure

sommaire fut accordeacutee explicitement agrave la proceacutedure inquisitoriale laquo En collationnant certains

statuts de nos preacutedeacutecesseurs dheureuse meacutemoire Innocent Alexandre et Cleacutement et en

interpreacutetant et ajoutant certains points nous accordons que dans les affaires dinquisition sur

la perversion heacutereacutetique il puisse ecirctre proceacutedeacute de faccedilon simple et informelle sans vacarme ni

apparence des avocats et des jugements (procedi possit simpliciter et de plano et absque

advocatorum ac judiciorum strepitu et figura) raquo La suite de la deacutecreacutetale justifie le secret sur

les noms des teacutemoins ou accusateurs pour raison de seacutecuriteacute

Procegraves et majesteacute

Tous les niveaux et distinctions que nous venons desquisser se mecirclaient dans la pratique

judiciaire puisque linquisition se fondait largement sur la proceacutedure inquisitoire tandis que

des eacutevecircques comme Jacques Fournier le ceacutelegravebre eacutevecircque de Pamiers ou Guido Terreni

eacutevecircque de Majorque puis dElne recevaient du pape des fonctions dinquisiteur dans leur

diocegravese

Pourtant Jean XXII navait guegravere confiance dans la justice des eacutevecircques Il savait que les

eacutevecircques pouvaient souvent preacutefeacuterer la paix du diocegravese agrave lexigence de la veacuteriteacute Ainsi agrave

lefficace et zeacuteleacute Jacques Fournier avait succeacutedeacute en 1326 Dominique Grima brillant

theacuteologien ancien assistant inquisiteur de Bernard Gui agrave Toulouse qui sattira le courroux du

pape pour sa neacutegligence dans la poursuite de lheacutereacutesie78 Le pape preacutefeacutera freacutequemment utiliser

des commissions speacuteciales denquecircte et de jugement selon la proceacutedure sommaire plutocirct que

les tribunaux inquisitoriaux Ce fut le cas notamment pour les procegraves de Hugues Geacuteraud de

Robert de Mauvoisin et de Bernard Deacutelicieux Parfois limputation de crime de legravese-majesteacute

permit de donner une latitude encore plus large aux proceacutedures extraordinaires ainsi le 12

avril 1331 sur plainte du roi de France le pape ordonna agrave leacutevecircque de Paris de proceacuteder

contre Hertaud abbeacute dun monastegravere du diocegravese dAutun et contre Jean Albeacutericus dominicain

sur leurs laquo maleacutefices et excegraves raquo (super maleficiis et excessibus) contre le roi et sa cour raquo Il

sagit certainement de pratiques magiques (multis maleficiis) qui attentaient au laquo salut public raquo

et qui en tout cas relevaient du crime de legravese-majesteacute Or le pape en ce cas non seulement

ordonna une proceacutedure sommaire (simpliciter et de plano sine strepitu et figura judicii) mais

leva tous les privilegraveges et garanties des deux religieux autorisant leur arrestation (captionem)

leur incarceacuteration et leur torture (necnon questionibus subici prout a canonibus est

permissum)79

On peut se demander pourquoi Jean XXII fut si reacuteticent agrave confier les causes deacutemoniaques agrave

linquisition au moment mecircme ougrave il tentait dassimiler linvocation des deacutemons agrave lheacutereacutesie La

reacuteponse la plus commune agrave cette question relie ce choix au caractegravere politique de bien des

affaires ougrave le deacutemon semble intervenir comme preacutetexte plutocirct que comme cause De fait les

proceacutedures exceptionnelles qui mecirclent lattentat contre la majesteacute royale ou divine les

accusations dheacutereacutesie et les imputations de sorcellerie ou dinvocation des deacutemons doivent ecirctre

relieacutees agrave la grande vague des procegraves politiques qui avait commenceacute degraves le deacutebut du XIVe

siegravecle cest Philippe le Bel80 qui avait lanceacute degraves 1303 le procegraves contre le pape

Boniface VIII81 accuseacute entre autres davoir invoqueacute les deacutemons et consulteacute des magiciens

puis le roi entre 1306 et 1314 sen eacutetait pris aux Templiers comme adorateurs du diable

Entre 1308 et 1314 Philippe le Bel avait inculpeacute Guichard eacutevecircque de Troyes qui aurait

conspireacute en vue de tuer la reine et dautres personnaliteacutes princiegraveres par lusage de poisons et

dimages magiques82 En 1315 Enguerrand de Marigny qui avait si efficacement collaboreacute agrave

ces procegraves fut lui-mecircme pendu pour avoir nui au roi Louis X et agrave Charles de Valois par des

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images magiques83 Jean XXII prit le relais avec les procegraves contre Hugues Geacuteraud eacutevecircque

de Cahors84 en 1317 contre Mateo et Galeazzo Visconti en 132085 contre les allieacutes de

Federico de Montefeltro dans la Marche dAncocircne86 Dans tous ces cas la parfaite

correspondance entre la graviteacute des accusations et la position antagoniste des inculpeacutes incite agrave

voir dans ces procegraves de simples et cyniques manœuvres ougrave lexception judiciaire doit

confirmer la regravegle politique

Cette interpreacutetation rend imparfaitement compte des reacutealiteacutes leacutecrasement des adversaires ne

fut pas systeacutematique les graves accusations contre Bernard Deacutelicieux quant au meurtre

deacutemoniaque de Cleacutement V ne furent pas assumeacutees dans le jugement contrairement agrave ce qui se

passa pour Hugues Geacuteraud Robert de Mauvoisin sen tira avec une simple eacutejection de son

siegravege archieacutepiscopal Certes les juges avaient quelque autonomie mais on peut penser que le

pape avait eacuteprouveacute de reacuteels doutes quant agrave la culpabiliteacute des accuseacutes Ces interrogations

rendent peut-ecirctre compte de la consultation de 1320 qui relevait moins de la discussion

quodlibeacutetale ou de la colleacutegialiteacute de deacutecision que du besoin dexpertise

Meacutefiance de linquisition

Les choix de proceacutedure de Jean XXII doivent sexpliquer autrement La preacutefeacuterence pour la

forme extraordinaire tient dabord agrave une grande meacutefiance de linquisition Les inquisiteurs

avaient tendance agrave poursuivre sans tenir compte des rangs sociaux ni des circonstances

politiques la fameuse affaire de Jean lArchevesque sieur de Parthenay mecircleacute agrave des pratiques

de sortilegravege vers 1323 le montre bien Linquisiteur seacutetait attaqueacute agrave un personnage puissant

beacuteneacuteficiant de protections royales qui avait reacuteussi agrave obtenir la consultation dun grand juriste

Oldrado da Ponte87 Agrave deux reprises le pape eacutecrivit aux inquisiteurs de Carcassonne pour

leur enjoindre de ne pas tourmenter inutilement les consuls et bourgeois de Montpellier88

Le pape avait pu aussi eacuteprouver lextrecircme impopulariteacute de linquisition patente dans laffaire

Bernard Deacutelicieux un simple agitateur avait failli renverser le pouvoir monarchique franccedilais

en liguant les couches citadines hostiles agrave lintervention des inquisiteurs En 1317-1318 cest

le zegravele excessif de Michel Le Moine inquisiteur franciscain de Provence qui avait enflammeacute

la reacutesistance beacuteguine dans le Midi par lexaltation des martyrs de Marseille En 1321-1322

cest le manque de discernement de linquisiteur Jean de Beaune agrave Beacuteziers qui avait entraicircneacute le

pape sur un terrain impreacutevu Linquisiteur ne mesurait pas toujours la porteacutee de ses actes et

surtout il pouvait agir trop publiquement du moins dans la phase initiale (la proclamation de

lenquecircte) et dans sa phase conclusive (le sermon geacuteneacuteral) ainsi cest la dispute publique

entre linquisiteur de Carcassonne Jean de Beaune et le lecteur franciscain du couvent de

Narbonne Beacuteranger Talon qui avait provoqueacute la reprise du deacutebat sur la pauvreteacute du Christ

Enfin et surtout linquisition jouissait dune certaine indeacutependance par rapport au pouvoir

pontifical dune part sa nomination deacutependait aussi du bon vouloir du maicirctre geacuteneacuteral des

dominicains ou du ministre geacuteneacuteral des franciscains Dautre part il pouvait agrave loccasion se

rapprocher du pouvoir royal On peut se demander si la diffeacuterence de deacutenomination des

inquisiteurs de Carcassonnne et de Toulouse entre 1320 et 1330 dans les lettres citeacutees plus

haut reacutedigeacutees par Guillaume de Peyre Godin puis par le pape ne traduit pas cette perception

dans le premier cas le cardinal sadresse laquo agrave linquisiteur de la perversion heacutereacutetique de la

reacutegion de Carcassonne raquo dans le second cas il sagit de laquo linquisiteur de la perversion

heacutereacutetique deacuteputeacute par le Siegravege apostolique dans le royaume de France en reacutesidence agrave

Carcassonne raquo Le soin de cette seconde formulation insiste sur le fait que lorigine du pouvoir

inquisitorial se trouve bien dans le pontificat De fait linquisition meacuteridionale apregraves les

froissements ducircs agrave laffaire Bernard Deacutelicieux ougrave les officiers royaux avaient toleacutereacute ou mecircme

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soutenu le trublion franciscain avait eacuteteacute largement instrumentaliseacutee par la monarchie comme

le montrait laffaire des Templiers

En outre le pontife eacutetait fort irriteacute du manque de respect de certains inquisiteurs pour le droit

Ainsi en 1331 il reccedilut et approuva les plaintes de maicirctre Jean Anselme de Gecircnes chirurgien

et de Reacuteginald de Cravant clerc du diocegravese dAuxerre qui avaient eacuteteacute faussement accuseacutes

dheacutereacutesie et de maleacutefices par linquisiteur de France Aubert de Chacirclons et par leacutevecircque de Paris

Hugues Michel de Besanccedilon Le pontife leur reprochait davoir agi sans avoir eacutetabli aucune

infamie anteacuterieure sans respecter lordre judiciaire sans permettre aucune deacutefense leacutegitime89

Il nest pas besoin dimaginer un Jean XXII soucieux de justice par formation professionnelle

comme on la vu lordre du droit permettait deacutetablir soigneusement la veacuteriteacute qui importait

bien davantage que la reacutepression Le cas de la censure du commentaire dOlivi sur

lApocalypse le montre bien le texte eacutetait dangereux puisquil inspirait directement les

Beacuteguins par le biais dabreacutegeacutes et de traductions en langue vernaculaire Le contenu anti-

pontifical de ce texte eacutetait manifeste Pourtant le pape usa directement ou indirectement de

quatre commissions diffeacuterentes durant huit ans (1318-1326) avec un suppleacutement denquecircte

en 1322 avant darriver agrave une condamnation Le reacutesultat reacutepressif eacutetait certainement acquis

degraves 1318 mais il importait de suivre minutieusement les chemins de lerreur Ce souci

apparaicirct clairement dans une lettre adresseacutee par le pape en 1330 agrave Henri Chamayou

inquisiteur de Carcassonne90 qui avait reacuteussi agrave faire arrecircter deux heacutereacutetiques italiens qui

avaient confesseacute leur crime Le pontife feacutelicite chaleureusement linquisiteur mais lengage

fermement agrave poursuivre lenquecircte bien quil ait deacutejagrave en main tous les eacuteleacutements pour les

condamner laquo parce que nous croyons que tu aurais du connaicirctre une veacuteriteacute plus ample

(novisse te plenius credimus veritatem) au sujet de ce pour quoi ils tont eacuteteacute livreacutes nous

voulons et il nous plaicirct quayant Dieu seul devant les yeux tu veilles selon lexigence de la

justice agrave ne pas neacutegliger ce que tu sauras ecirctre adeacutequat en cette affaire raquo

Ces recommandations neacutetaient pas de pure forme la logique de linquisition ne la conduisait

pas vers leacutelucidation neacutecessaire agrave la cause des deacutemoniaques Linstitution demeurait

profondeacutement theacuteologienne et non juriste Le fondement proceacutedural de linquisition reposait

moins sur la poursuite doffice et lenquecircte que sur la troisiegraveme forme de poursuite (agrave cocircteacute de

la proceacutedure inquisitoire et de la proceacutedure accusatoire) deacutefinie par Innocent III au canon 8 du

concile de Latran la deacutenonciation eacutevangeacutelique issue de la correction fraternelle Or la

deacutenonciation orientait la poursuite vers la peacutenitence La confession rapidement obtenue par la

menace la terreur ou la torture conduisait agrave la demande dabsolution chegraverement neacutegocieacutee Il

importait agrave linquisiteur dobtenir au plus vite cette confession sans trop sattarder dans

lenquecircte sur la fama ou sur la veacuteriteacute neutraliseacutee par laveu Paradoxalement un accuseacute avait

de meilleures chances avec les proceacutedures sommaires chegraveres au pape quavec linquisition

parce que la veacuteriteacute pouvait contraindre le pape agrave la mansueacutetude tandis que la meacutecanique de la

culpabiliteacute ineacutevitable de tout peacutecheur entraicircnait tout inculpeacute dans la collectiviteacute peacutenale de

linquisition

Cest peut-ecirctre ces problegravemes de proceacutedure qui ont provoqueacute ce que Jean-Patrice Boudet

appelait plaisamment le laquo retard agrave lallumage raquo dans la poursuite des sorciers au XIVe siegravecle

tant que la papauteacute fut reacuteticente agrave deacuteleacuteguer son pouvoir denquecircte les limites mateacuterielles de la

justice pontificale empecircchegraverent la diffusion capillaire de limputation et de la reacutepression Et

preacuteciseacutement cest labandon forceacute de labsolutisme pontifical apregraves les conciles de Constance

et de Bacircle qui ouvrit les premiegraveres campagnes judiciaires et doctrinales contre les sorciers et

adorateurs du deacutemon dans les anneacutees 1430-1440 Mais le deacuteveloppement rapide de la

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deacutemonologie avait eacuteteacute bien preacutepareacute par un pape qui tenait agrave consideacuterer lucidement les zones

obscures ougrave le deacutemon pouvait passer

Notes de bas de page

1 B Gui Manuel de linquisiteur eacuted par G Mollat Paris 1926-1927

2 P Paravy De la chreacutetienteacute romaine agrave la Reacuteforme en Dauphineacute Eacutevecircques fidegraveles et deacuteviants

(vers 1340-vers 1530) Rome 1993

3 LImaginaire du sabbat Eacutedition critique des textes les plus anciens (1430 ca-1440 ca)

reacuteunis par M Ostorero A Paravicini Bagliani K Utz Tremp en collaboration avec C Chegravene

Lausanne 1999

4 R KIECKHEFER European Witch Trials Their Foundations in Popular and Learned

Culture 1300-1500 Londres 1976 Carlo Ginzburg commence sa seacuterie explicative des

formes occidentales du sabbat en 1321 mais selon un modegravele totalement opposeacute au nocirctre

5 Bonn 1901

6 L THORNDIKE A History of Magic and Experimental Science vol III New York 1934

p 18 sq

7 Voir N Weill-Parot Les laquo Images astrologiques raquo au Moyen Acircge et agrave la Renaissance

Speacuteculations intellectuelles et pratiques magiques (XIIe-XV

e s) Paris 2002 p 377-385 et Id

laquo Les intellectuels lEacuteglise et la magie dans la premiegravere moitieacute du xive s raquo (meacutemoire de

maicirctrise Paris I 1990) Je tiens agrave remercier N Weill-Parot pour ses commentaires sur le

preacutesent article

8 laquo Quod cum morte fedus ineunt et pactum faciunt cum inferno Demonibus namque

immolant hos adorant raquo

9 Liber Sextus V II cap 8

10 Cause XXVI qu 5 cap 12 eacuted Friedberg col 1080

11 Voir A Boureau laquo De la feacutelonie agrave la haute trahison Un eacutepisode la trahison des clercs

(version du xiie s) raquo Le Genre Humain 16-17 1988 p 267-291

12 Venise 1595 XLIII 9 p 341-342

13 laquo Simpliciter et de plano ac sine strepitu et figura judicii appellatione remota raquo Lettre

publieacutee par J-M Vidal Bullaire de lInquisition franccedilaise Paris 1913 no 284 p 403-404

14 laquo Nonnulli etiam quandoque litterati in hoc se opponunt pretendentes id ad tuum non

expectare officium secundum canonicas sanctiones raquo

15 J-P Boudet laquo Les condamnations de la magie agrave Paris en 1398 raquo Revue Mabillon n s 12

(t 73) 2001 p 121-157

16 B Hamilton The Medieval Inquisition Londres 1981 p 94

17 Dans une lettre de 1336 adresseacutee agrave lofficial dAvignon Benoicirct XII successeur de

Jean XXII range agrave nouveau les sortilegraveges parmi les crimes qui touchent la foi (J-M Vidal

Bullaire op cit no 153 p 229-230) En 1405 Benoicirct XIII deacuteclare nuls les privilegraveges des

habitants du diocegravese du Puy qui preacutetendaient que linquisiteur de Carcassonne ne pouvait les

poursuivre pour maleacutefices (J-M Vidal Bullaire op cit no 332 p 473-474)

18 La premiegravere eacutedition a eacuteteacute procureacutee par Jean Chappuis en 1500 Pour la formation des deux

collections voir A M Stickler Historia Iuris Canonici Institutiones Academicae T I

Historia Fontium Rome 1950 p 270-271

19 Les seules mentions de la bulle se trouvent on la dit dans le manuel de Nicolas Eymerich

(1376) dans les Annales eccleacutesiastiques de Rinaldi et dans un bullaire romain du xviiie s

20 Voir A MAIER dans laquo Eine Verfuumlgung Johannis XXII uumlber die Zustaumlndigkeit der

Inquisition fuumlr Zauberprozesse raquo Archivium Fratrum Praedicatorum 32 1952 p 226-246

21 A Maier loc cit p 231

21

22 Publieacutee par R Manselli laquo Enrico del Carretto e la consultazione sulla magia di Giovanni

XXII raquo dans Miscellanea in onore di Monsignore Martino Giusti t II Vatican 1978 p 97-

129

23 Il est possible aussi que linterrogation doctrinale ait eacuteteacute anticipeacutee par Guido Terreni un

des dix experts de la consultation de 1320 dans son sixiegraveme quolibet laquo Est-ce que celui qui

baptise une chose sans acircme ou sans raison et non pas un homme est heacutereacutetique raquo ms BAV

Borghese 39 fo 238v

o-240v

o que je publie en annexe de la consultation Mais la date de ce

quolibet demeure incertaine

24 laquo Fecisti plantas pedum eiusdem mulieris iuxta carbones accensos apponi raquo texte publieacute

par J-M Vidal Bullaire op cit p 51-52

25 laquo Diu post confessionem debitum nature persoluitverum quia dubitatur ne propter

predicta tormenta citius decesserit quam alias decessisset mulier supradicta si tormentata

minime extitisset raquo

26 laquo Erronea et horrenda contra catholicam fidem fuit confessa et multos consocios et

complices reuelauitque omnia sic inuenta ut communiter creditur numquam reuelata

fuissent nisi mediantibus tormentis eiusdem predicta mulier reuelasset raquo

27 laquo De consilio proborum qui se asserebant uidisse penis examinati hereticos in partibus

Tholosanis raquo

28 J-M Vidal Bullaire op cit no 24 p 53-54

29 Ex certa sciencia sur cette clausule de labsolutisme pontifical voir A Boureau La Loi

du royaume Les moines le droit et la construction de la nation anglaise Paris 2001 avec

renvoi aux travaux de Jacques Krynen

30 Publieacutee par J-M Vidal Bullaire op cit p 61 Une meilleure eacutedition a eacuteteacute procureacutee par

A Maier loc cit p 226-227

31 J-M Vidal Bullaire op cit no 72 p 118-119

32 La commission fut reacuteiteacutereacutee le 8 novembre 1327 ibid no 78 bis p 129-130

33 Voir A Boureau laquo Saints et deacutemons dans les procegraves de canonisation du deacutebut du xive s raquo

agrave paraicirctre dans les actes du colloque de Budapest sur les procegraves de canonisation dir Gaacutebor

Klaniczay

34 B Gui Manuel de linquisiteur eacuted et trad par G Mollat op cit t I p 52

35 Publieacutees par J-M Vidal Bullaire op cit no 103 p 154-156

36 Henri de Chamayou

37 Pierre Brun

38 La qualification dheacutereacutesie de la part du pape agrave propos des invocations deacutemoniaques na

jamais cesseacute Voir par exemple une lettre de 1323 qui deacutesigne des commissaires pour juger

le moine Guillaume de Figeac accuseacute de laquo deacutevier de la foi catholique raquo en pratiquant

lalchimie et la neacutecromancie (J-M Vidal Bullaire op cit no 50 p 87-88)

39 F Graf La Magie dans lAntiquiteacute greacuteco-romaine Ideacuteologie et pratique Paris 1994

40 Voir le reacutecit par Pierre le Veacuteneacuterable vers 1137 dun usage magique de lhostie consacreacutee

par un paysan deacutesireux de retenir ses abeilles Livre des merveilles de Dieu (De miraculis)

introduction traduction et notes de J-P Torrell et D Bouthillier FribourgParis 1992 p 70-

72 Je remercie Charles de Miramon de mavoir signaleacute ce texte

41 Voir les travaux reacutealiseacutes autour de Richard Kieckhefer et Claire Faenger aux Eacutetats-Unis

autour de Jean-Patrice Boudet et Henri Bresc en France notamment

42 Dans sa biographie collective des deux premiegraveres geacuteneacuterations de dominicains eacutecrite au

deacutebut des anneacutees 1260 Geacuterard de Frachet ne rapporte quun seul cas de fregravere qui se voue agrave

lalchimie et il ne trouve agrave lui reprocher que son deacutesir de senrichir rapidement Son activiteacute

consiste alors essentiellement agrave se rendre en Sardaigne pour y collecter des mineacuteraux rares

Son funeste sort ultime ne sexplique que par cet abandon de Dieu au profit de la richesse

22

seacuteculiegravere (Vitae Fratrum Ordinis Praedicatorum eacuted par B-M Reichert Rome-Stuttgart

Monumenta Ordinis Fratrum Praedicatorum Historica 1897 p 290)

43 La Condamnation parisienne de 1277 eacuted et trad par D Picheacute avec la collaboration de

C Lafleur Paris 1999 p 77

44 A Paravicini Bagliani Il corpo del papa Turin 1994

45 Preacuteface agrave Le crisi dellalchimia Micrologus 3 1995 p VIII

46 Voir leacutedition du procegraves dans J Shatzmiller Justice et injustice au deacutebut du XIVe s

Lenquecircte sur larchevecircque dAix et sa renonciation en 1318 Rome 1999

47 Voir une lettre de feacutevrier 1330 dans Lettres secregravetes et curiales du pape Jean XXII (1316-

1334) relatives agrave la France eacuted par A Coulon et S Cleacutemencet fasc 8 Paris 1965 no 4100

p 104-105 [abreacutegeacute deacutesormais Coulon-Cleacutemencet] lettre agrave Jean de Badas inquisiteur

franciscain de Marseille sur un crime nefandum commis par Gantalmus Gantalmi notaire et

sa femme Berengegravere instigatione diabolica circumventi agrave lencontre de Guillaume de Baucio

sire de Berre

48 Texte publieacute par J HANSEN Quellen und Untersuchungen op cit no 3 p 2

49 Notons quen 1318 les rites de conseacutecration des miroirs et images paraissent speacutecifiques

alors quen 1320 dans les questions poseacutees par le pape aux experts les invocateurs de deacutemons

utilisent le rite catholique du baptecircme pour preacuteparer leurs images

50 A Paravicini Bagliani Il corpo del papa op cit

51 C H JOSTEN laquo The Text of John Dastins letter to Pope John XXII raquo Ambix 4 1951

p 46-51

52 E Albe Autour de Jean XXII Hugues Geacuteraud eacutevecircque de Cahors laffaire des poisons et

envoucirctements en 1317 Cahors 1904 p 163-164

53 Processus Bernardi Deliciosi The Trial of Fr Bernard Deacutelicieux 3 September-8

December 1319 eacutediteacute par A Friedlander Philadelphie 1996 p 62 Pour une eacutetude complegravete

du dossier voir A Friedlander The Hammer of the Inquisitors Brother Bernard Deacutelicieux

and the Struggle against the Inquisition in Fourteenth-Century France Leyde 2000

54 Coulon-Cleacutemencet no 2969 p 151

55 Coulon-Cleacutemencet no 2395 p 47

56 Sermon sur la vigile de lEacutepiphanie 5 janvier 1332 eacuted par M Dykmans Les Sermons de

Jean XXII sur la vision beacuteatifique Rome (Miscellanea Historiae Pontificiae 34) p 145

57 Les actes du procegraves ont eacuteteacute publieacutes par J-MVidal laquo Procegraves dinquisition contre Adheacutemar

de Mosset raquo Revue dHistoire de lEacuteglise de France 1 1910 Lanecdote se trouve agrave la p 713

58 Ces interrogations sur la laquo situation raquo spirituelle eacutetaient freacutequemment exprimeacutees Dans sa

correspondance avec les grands de ce monde le pape doit souvent reacutepondre agrave ce genre de

question en termes agrave vrai dire assez geacuteneacuteraux

59 Coulon-Cleacutemencet fasc 8 Paris 1965 no 4197 p 126 Lettre analogue en feacutevrier 1331

(no 4452 t 9 p 41)

60 On peut se demander si ce nest pas cette fideacuteliteacute litteacuterale au texte biblique qui a contribueacute agrave

pousser le pape agrave intervenir sur la question de la vision beacuteatifique question ougrave les partisans de

la vision directe de Dieu avant le jugement final ne trouvaient aucun appui scripturaire direct

61 On trouve une formulation parallegravele dans Quia quorumdam mentes (10 novembre 1324)

62 Voir A Boureau laquo Droit naturel et abstraction judiciaire Hypothegraveses sur la nature du droit

meacutedieacuteval raquo Annales HSS 57 6 2002 p 1463-1488

63 Voir A Boureau laquo La redeacutecouverte de lautonomie du corps leacutemergence du somnambule

(xiiie-xiv

e s) raquo Micrologus I 1993 p 27-42

64 Sur toutes ces questions je me permets de renvoyer au chap 8 de mon ouvrage Theacuteologie

science et censure au XIIIe s Le cas de Jean Peckham Paris 1999

23

65 Publieacute par J Rius Serra dans Sancti Raymundi de Penyafort opera omnia t III

Diplomatario (Documentos Vida antigua Cronicas Processos antiguos) Barcelone 1954

p 74-82

66 Cette typologie fut reprise par le pape Alexandre IV une dizaine danneacutees plus tard et

eacutediteacutee par Boniface VIII dans le Sexte (L 5 tit 2 cap 2 6 11 eacuted Friedberg II col 1069

1071 1073) Voir aussi le traiteacute Doctrina de modo procedendi erga hereticos (vers 1280)

dans Martegravene et Durand Thesaurus novus anecdotum t 5 Paris 1717 col 1797 et la

Practica de Bernard Gui (p 226-232)

67 Bien avant la creacuteation de lInquisition le troisiegraveme concile de Latran (1179) avait frappeacute

danathegraveme et priveacute de seacutepulture les defensores et receptatores dheacutereacutetiques (Deacutecreacutetales L 5

tit 7 cap 8 eacuted Friedberg II col 1780)

68 Ibid p 29-32

69 Texte eacutediteacute par J Coste Boniface VIII en procegraves Articles daccusation et deacutepositions de

teacutemoins (1303-1311) Eacutedition critique introduction et notes Rome 1995 p 153

70 Nogaret originaire de Saint-Feacutelix-de-Caraman haut-lieu cathare petit-fils dun ministre

heacutereacutetique avait certainement une bonne connaissance de la perseacutecution de lheacutereacutesie en deacutepit

de sa formation de civiliste

71 Directorium op cit seconde partie question 2

72 Processus op cit p 180

73 E PETERS Inquisition Berkeley 1988

74 R KIECKHEFER laquo The Office of Inquisition and Medieval heresy the Transition from a

Personal to an Institutional Juridiction raquo Journal of Ecclesiastical History 46 1995 p 36-

61

75 Ainsi le pape deacutecida de suspendre le droit dasile dans les eacuteglises au deacutetriment des

heacutereacutetiques mais pas speacutecifiquement des auteurs de sortilegraveges (Lettre au roi de France Philippe

VI en 1328 publieacutee par J-M Vidal Bullaire op cit no 79 p 130-131)

76 Eacuted FRIEDBERG t II col 1078

77 Ibid col 1200

78 Voir la lettre dure que lui adressa le pape Jean XXII le 6 octobre 1332 (J-M Vidal

Bullaire op cit no 124 p 184)

79 Coulon-Cleacutemencet no 4539 fasc 9 p 59-60

80 Lattention precircteacutee agrave Philippe le Bel et agrave Jean XXII ne doit pas faire oublier que ce type

daccusation politico-deacutemonologique est deacutepoque comme le montre dans un tout autre

contexte le procegraves intenteacute agrave Walter Langton eacutevecircque de Coventry en 1301-1303 avec

mention dadoration diabolique (voir A Beardwood laquo The Trial of Walter Langton bishop of

Lichfield 1307-1312 raquo Transactions of the American Philosophical Society NS 54 p III

Philadelphie 1964

81 Voir J Coste Boniface VIII en procegraves op cit

82 A Rigault Le Procegraves de Guichard eacutevecircque de Troyes 1308-1313 Paris 1896

83 J Favier Un conseiller de Philippe le Bel Enguerrand de Marigny Paris 1963 Il faut

mentionner peu apregraves le procegraves contre le cardinal Francesco Gaetani poursuivi par les cours

royales pour attentat contre le roi son fregravere et deux cardinaux agrave laide dimages magiques

(voir C Langlois laquo Laffaire du cardinal Francesco Gaetani (avril 1316) raquo Revue historique

63 1897 p 56-71)

84 E Albe Autour de Jean XXII op cit

85 R Michel laquo Le procegraves de Mateo et Galeazzo Visconti laccusation de sorcellerie et

dheacutereacutesie Dante et laffaire de lenvoucirctement (1320) raquo Meacutelanges darcheacuteologie et dhistoire

29 1909 p 269-327

86 F Bock laquo I processi di Giovanni XXII contro i Ghibellini delle Marche raquo Bolletino

dellIstituto storico italiano per il Medio Evo 57 1941 p 19-43

24

87 Voir J-M Vidal laquo Le sieur de Parthenay et lInquisition (1323-1325) raquo Bulletin

historique et philologique 1903 p 414-434

88 J-M Vidal Bullaire op cit no 20 p 44 et n

o 76 p 126-127

89 J-M Vidal Bullaire op cit nos

109 et 110 p 167-171

90 J-M Vidal Bullaire op cit no 90 p 144

Alain Boureau

EHESS CRH GAS 54 boulevard Raspail F-75006 Paris

Pour citer cet article

Alain Boureau laquoSatan heacutereacutetique lrsquoinstitution judiciaire de la deacutemonologie sous Jean XXIIraquo

Meacutedieacutevales 44 (2003) httpmedievalesrevuesorgdocument711html

Page 18: Satan hérétique : l’institution judiciaire de la ..._Droit_Canonique/Curiosite/Satan heretique.pdf · e siècle, mais la mutation considérable de procédure qui a assimilé les

18

images magiques83 Jean XXII prit le relais avec les procegraves contre Hugues Geacuteraud eacutevecircque

de Cahors84 en 1317 contre Mateo et Galeazzo Visconti en 132085 contre les allieacutes de

Federico de Montefeltro dans la Marche dAncocircne86 Dans tous ces cas la parfaite

correspondance entre la graviteacute des accusations et la position antagoniste des inculpeacutes incite agrave

voir dans ces procegraves de simples et cyniques manœuvres ougrave lexception judiciaire doit

confirmer la regravegle politique

Cette interpreacutetation rend imparfaitement compte des reacutealiteacutes leacutecrasement des adversaires ne

fut pas systeacutematique les graves accusations contre Bernard Deacutelicieux quant au meurtre

deacutemoniaque de Cleacutement V ne furent pas assumeacutees dans le jugement contrairement agrave ce qui se

passa pour Hugues Geacuteraud Robert de Mauvoisin sen tira avec une simple eacutejection de son

siegravege archieacutepiscopal Certes les juges avaient quelque autonomie mais on peut penser que le

pape avait eacuteprouveacute de reacuteels doutes quant agrave la culpabiliteacute des accuseacutes Ces interrogations

rendent peut-ecirctre compte de la consultation de 1320 qui relevait moins de la discussion

quodlibeacutetale ou de la colleacutegialiteacute de deacutecision que du besoin dexpertise

Meacutefiance de linquisition

Les choix de proceacutedure de Jean XXII doivent sexpliquer autrement La preacutefeacuterence pour la

forme extraordinaire tient dabord agrave une grande meacutefiance de linquisition Les inquisiteurs

avaient tendance agrave poursuivre sans tenir compte des rangs sociaux ni des circonstances

politiques la fameuse affaire de Jean lArchevesque sieur de Parthenay mecircleacute agrave des pratiques

de sortilegravege vers 1323 le montre bien Linquisiteur seacutetait attaqueacute agrave un personnage puissant

beacuteneacuteficiant de protections royales qui avait reacuteussi agrave obtenir la consultation dun grand juriste

Oldrado da Ponte87 Agrave deux reprises le pape eacutecrivit aux inquisiteurs de Carcassonne pour

leur enjoindre de ne pas tourmenter inutilement les consuls et bourgeois de Montpellier88

Le pape avait pu aussi eacuteprouver lextrecircme impopulariteacute de linquisition patente dans laffaire

Bernard Deacutelicieux un simple agitateur avait failli renverser le pouvoir monarchique franccedilais

en liguant les couches citadines hostiles agrave lintervention des inquisiteurs En 1317-1318 cest

le zegravele excessif de Michel Le Moine inquisiteur franciscain de Provence qui avait enflammeacute

la reacutesistance beacuteguine dans le Midi par lexaltation des martyrs de Marseille En 1321-1322

cest le manque de discernement de linquisiteur Jean de Beaune agrave Beacuteziers qui avait entraicircneacute le

pape sur un terrain impreacutevu Linquisiteur ne mesurait pas toujours la porteacutee de ses actes et

surtout il pouvait agir trop publiquement du moins dans la phase initiale (la proclamation de

lenquecircte) et dans sa phase conclusive (le sermon geacuteneacuteral) ainsi cest la dispute publique

entre linquisiteur de Carcassonne Jean de Beaune et le lecteur franciscain du couvent de

Narbonne Beacuteranger Talon qui avait provoqueacute la reprise du deacutebat sur la pauvreteacute du Christ

Enfin et surtout linquisition jouissait dune certaine indeacutependance par rapport au pouvoir

pontifical dune part sa nomination deacutependait aussi du bon vouloir du maicirctre geacuteneacuteral des

dominicains ou du ministre geacuteneacuteral des franciscains Dautre part il pouvait agrave loccasion se

rapprocher du pouvoir royal On peut se demander si la diffeacuterence de deacutenomination des

inquisiteurs de Carcassonnne et de Toulouse entre 1320 et 1330 dans les lettres citeacutees plus

haut reacutedigeacutees par Guillaume de Peyre Godin puis par le pape ne traduit pas cette perception

dans le premier cas le cardinal sadresse laquo agrave linquisiteur de la perversion heacutereacutetique de la

reacutegion de Carcassonne raquo dans le second cas il sagit de laquo linquisiteur de la perversion

heacutereacutetique deacuteputeacute par le Siegravege apostolique dans le royaume de France en reacutesidence agrave

Carcassonne raquo Le soin de cette seconde formulation insiste sur le fait que lorigine du pouvoir

inquisitorial se trouve bien dans le pontificat De fait linquisition meacuteridionale apregraves les

froissements ducircs agrave laffaire Bernard Deacutelicieux ougrave les officiers royaux avaient toleacutereacute ou mecircme

19

soutenu le trublion franciscain avait eacuteteacute largement instrumentaliseacutee par la monarchie comme

le montrait laffaire des Templiers

En outre le pontife eacutetait fort irriteacute du manque de respect de certains inquisiteurs pour le droit

Ainsi en 1331 il reccedilut et approuva les plaintes de maicirctre Jean Anselme de Gecircnes chirurgien

et de Reacuteginald de Cravant clerc du diocegravese dAuxerre qui avaient eacuteteacute faussement accuseacutes

dheacutereacutesie et de maleacutefices par linquisiteur de France Aubert de Chacirclons et par leacutevecircque de Paris

Hugues Michel de Besanccedilon Le pontife leur reprochait davoir agi sans avoir eacutetabli aucune

infamie anteacuterieure sans respecter lordre judiciaire sans permettre aucune deacutefense leacutegitime89

Il nest pas besoin dimaginer un Jean XXII soucieux de justice par formation professionnelle

comme on la vu lordre du droit permettait deacutetablir soigneusement la veacuteriteacute qui importait

bien davantage que la reacutepression Le cas de la censure du commentaire dOlivi sur

lApocalypse le montre bien le texte eacutetait dangereux puisquil inspirait directement les

Beacuteguins par le biais dabreacutegeacutes et de traductions en langue vernaculaire Le contenu anti-

pontifical de ce texte eacutetait manifeste Pourtant le pape usa directement ou indirectement de

quatre commissions diffeacuterentes durant huit ans (1318-1326) avec un suppleacutement denquecircte

en 1322 avant darriver agrave une condamnation Le reacutesultat reacutepressif eacutetait certainement acquis

degraves 1318 mais il importait de suivre minutieusement les chemins de lerreur Ce souci

apparaicirct clairement dans une lettre adresseacutee par le pape en 1330 agrave Henri Chamayou

inquisiteur de Carcassonne90 qui avait reacuteussi agrave faire arrecircter deux heacutereacutetiques italiens qui

avaient confesseacute leur crime Le pontife feacutelicite chaleureusement linquisiteur mais lengage

fermement agrave poursuivre lenquecircte bien quil ait deacutejagrave en main tous les eacuteleacutements pour les

condamner laquo parce que nous croyons que tu aurais du connaicirctre une veacuteriteacute plus ample

(novisse te plenius credimus veritatem) au sujet de ce pour quoi ils tont eacuteteacute livreacutes nous

voulons et il nous plaicirct quayant Dieu seul devant les yeux tu veilles selon lexigence de la

justice agrave ne pas neacutegliger ce que tu sauras ecirctre adeacutequat en cette affaire raquo

Ces recommandations neacutetaient pas de pure forme la logique de linquisition ne la conduisait

pas vers leacutelucidation neacutecessaire agrave la cause des deacutemoniaques Linstitution demeurait

profondeacutement theacuteologienne et non juriste Le fondement proceacutedural de linquisition reposait

moins sur la poursuite doffice et lenquecircte que sur la troisiegraveme forme de poursuite (agrave cocircteacute de

la proceacutedure inquisitoire et de la proceacutedure accusatoire) deacutefinie par Innocent III au canon 8 du

concile de Latran la deacutenonciation eacutevangeacutelique issue de la correction fraternelle Or la

deacutenonciation orientait la poursuite vers la peacutenitence La confession rapidement obtenue par la

menace la terreur ou la torture conduisait agrave la demande dabsolution chegraverement neacutegocieacutee Il

importait agrave linquisiteur dobtenir au plus vite cette confession sans trop sattarder dans

lenquecircte sur la fama ou sur la veacuteriteacute neutraliseacutee par laveu Paradoxalement un accuseacute avait

de meilleures chances avec les proceacutedures sommaires chegraveres au pape quavec linquisition

parce que la veacuteriteacute pouvait contraindre le pape agrave la mansueacutetude tandis que la meacutecanique de la

culpabiliteacute ineacutevitable de tout peacutecheur entraicircnait tout inculpeacute dans la collectiviteacute peacutenale de

linquisition

Cest peut-ecirctre ces problegravemes de proceacutedure qui ont provoqueacute ce que Jean-Patrice Boudet

appelait plaisamment le laquo retard agrave lallumage raquo dans la poursuite des sorciers au XIVe siegravecle

tant que la papauteacute fut reacuteticente agrave deacuteleacuteguer son pouvoir denquecircte les limites mateacuterielles de la

justice pontificale empecircchegraverent la diffusion capillaire de limputation et de la reacutepression Et

preacuteciseacutement cest labandon forceacute de labsolutisme pontifical apregraves les conciles de Constance

et de Bacircle qui ouvrit les premiegraveres campagnes judiciaires et doctrinales contre les sorciers et

adorateurs du deacutemon dans les anneacutees 1430-1440 Mais le deacuteveloppement rapide de la

20

deacutemonologie avait eacuteteacute bien preacutepareacute par un pape qui tenait agrave consideacuterer lucidement les zones

obscures ougrave le deacutemon pouvait passer

Notes de bas de page

1 B Gui Manuel de linquisiteur eacuted par G Mollat Paris 1926-1927

2 P Paravy De la chreacutetienteacute romaine agrave la Reacuteforme en Dauphineacute Eacutevecircques fidegraveles et deacuteviants

(vers 1340-vers 1530) Rome 1993

3 LImaginaire du sabbat Eacutedition critique des textes les plus anciens (1430 ca-1440 ca)

reacuteunis par M Ostorero A Paravicini Bagliani K Utz Tremp en collaboration avec C Chegravene

Lausanne 1999

4 R KIECKHEFER European Witch Trials Their Foundations in Popular and Learned

Culture 1300-1500 Londres 1976 Carlo Ginzburg commence sa seacuterie explicative des

formes occidentales du sabbat en 1321 mais selon un modegravele totalement opposeacute au nocirctre

5 Bonn 1901

6 L THORNDIKE A History of Magic and Experimental Science vol III New York 1934

p 18 sq

7 Voir N Weill-Parot Les laquo Images astrologiques raquo au Moyen Acircge et agrave la Renaissance

Speacuteculations intellectuelles et pratiques magiques (XIIe-XV

e s) Paris 2002 p 377-385 et Id

laquo Les intellectuels lEacuteglise et la magie dans la premiegravere moitieacute du xive s raquo (meacutemoire de

maicirctrise Paris I 1990) Je tiens agrave remercier N Weill-Parot pour ses commentaires sur le

preacutesent article

8 laquo Quod cum morte fedus ineunt et pactum faciunt cum inferno Demonibus namque

immolant hos adorant raquo

9 Liber Sextus V II cap 8

10 Cause XXVI qu 5 cap 12 eacuted Friedberg col 1080

11 Voir A Boureau laquo De la feacutelonie agrave la haute trahison Un eacutepisode la trahison des clercs

(version du xiie s) raquo Le Genre Humain 16-17 1988 p 267-291

12 Venise 1595 XLIII 9 p 341-342

13 laquo Simpliciter et de plano ac sine strepitu et figura judicii appellatione remota raquo Lettre

publieacutee par J-M Vidal Bullaire de lInquisition franccedilaise Paris 1913 no 284 p 403-404

14 laquo Nonnulli etiam quandoque litterati in hoc se opponunt pretendentes id ad tuum non

expectare officium secundum canonicas sanctiones raquo

15 J-P Boudet laquo Les condamnations de la magie agrave Paris en 1398 raquo Revue Mabillon n s 12

(t 73) 2001 p 121-157

16 B Hamilton The Medieval Inquisition Londres 1981 p 94

17 Dans une lettre de 1336 adresseacutee agrave lofficial dAvignon Benoicirct XII successeur de

Jean XXII range agrave nouveau les sortilegraveges parmi les crimes qui touchent la foi (J-M Vidal

Bullaire op cit no 153 p 229-230) En 1405 Benoicirct XIII deacuteclare nuls les privilegraveges des

habitants du diocegravese du Puy qui preacutetendaient que linquisiteur de Carcassonne ne pouvait les

poursuivre pour maleacutefices (J-M Vidal Bullaire op cit no 332 p 473-474)

18 La premiegravere eacutedition a eacuteteacute procureacutee par Jean Chappuis en 1500 Pour la formation des deux

collections voir A M Stickler Historia Iuris Canonici Institutiones Academicae T I

Historia Fontium Rome 1950 p 270-271

19 Les seules mentions de la bulle se trouvent on la dit dans le manuel de Nicolas Eymerich

(1376) dans les Annales eccleacutesiastiques de Rinaldi et dans un bullaire romain du xviiie s

20 Voir A MAIER dans laquo Eine Verfuumlgung Johannis XXII uumlber die Zustaumlndigkeit der

Inquisition fuumlr Zauberprozesse raquo Archivium Fratrum Praedicatorum 32 1952 p 226-246

21 A Maier loc cit p 231

21

22 Publieacutee par R Manselli laquo Enrico del Carretto e la consultazione sulla magia di Giovanni

XXII raquo dans Miscellanea in onore di Monsignore Martino Giusti t II Vatican 1978 p 97-

129

23 Il est possible aussi que linterrogation doctrinale ait eacuteteacute anticipeacutee par Guido Terreni un

des dix experts de la consultation de 1320 dans son sixiegraveme quolibet laquo Est-ce que celui qui

baptise une chose sans acircme ou sans raison et non pas un homme est heacutereacutetique raquo ms BAV

Borghese 39 fo 238v

o-240v

o que je publie en annexe de la consultation Mais la date de ce

quolibet demeure incertaine

24 laquo Fecisti plantas pedum eiusdem mulieris iuxta carbones accensos apponi raquo texte publieacute

par J-M Vidal Bullaire op cit p 51-52

25 laquo Diu post confessionem debitum nature persoluitverum quia dubitatur ne propter

predicta tormenta citius decesserit quam alias decessisset mulier supradicta si tormentata

minime extitisset raquo

26 laquo Erronea et horrenda contra catholicam fidem fuit confessa et multos consocios et

complices reuelauitque omnia sic inuenta ut communiter creditur numquam reuelata

fuissent nisi mediantibus tormentis eiusdem predicta mulier reuelasset raquo

27 laquo De consilio proborum qui se asserebant uidisse penis examinati hereticos in partibus

Tholosanis raquo

28 J-M Vidal Bullaire op cit no 24 p 53-54

29 Ex certa sciencia sur cette clausule de labsolutisme pontifical voir A Boureau La Loi

du royaume Les moines le droit et la construction de la nation anglaise Paris 2001 avec

renvoi aux travaux de Jacques Krynen

30 Publieacutee par J-M Vidal Bullaire op cit p 61 Une meilleure eacutedition a eacuteteacute procureacutee par

A Maier loc cit p 226-227

31 J-M Vidal Bullaire op cit no 72 p 118-119

32 La commission fut reacuteiteacutereacutee le 8 novembre 1327 ibid no 78 bis p 129-130

33 Voir A Boureau laquo Saints et deacutemons dans les procegraves de canonisation du deacutebut du xive s raquo

agrave paraicirctre dans les actes du colloque de Budapest sur les procegraves de canonisation dir Gaacutebor

Klaniczay

34 B Gui Manuel de linquisiteur eacuted et trad par G Mollat op cit t I p 52

35 Publieacutees par J-M Vidal Bullaire op cit no 103 p 154-156

36 Henri de Chamayou

37 Pierre Brun

38 La qualification dheacutereacutesie de la part du pape agrave propos des invocations deacutemoniaques na

jamais cesseacute Voir par exemple une lettre de 1323 qui deacutesigne des commissaires pour juger

le moine Guillaume de Figeac accuseacute de laquo deacutevier de la foi catholique raquo en pratiquant

lalchimie et la neacutecromancie (J-M Vidal Bullaire op cit no 50 p 87-88)

39 F Graf La Magie dans lAntiquiteacute greacuteco-romaine Ideacuteologie et pratique Paris 1994

40 Voir le reacutecit par Pierre le Veacuteneacuterable vers 1137 dun usage magique de lhostie consacreacutee

par un paysan deacutesireux de retenir ses abeilles Livre des merveilles de Dieu (De miraculis)

introduction traduction et notes de J-P Torrell et D Bouthillier FribourgParis 1992 p 70-

72 Je remercie Charles de Miramon de mavoir signaleacute ce texte

41 Voir les travaux reacutealiseacutes autour de Richard Kieckhefer et Claire Faenger aux Eacutetats-Unis

autour de Jean-Patrice Boudet et Henri Bresc en France notamment

42 Dans sa biographie collective des deux premiegraveres geacuteneacuterations de dominicains eacutecrite au

deacutebut des anneacutees 1260 Geacuterard de Frachet ne rapporte quun seul cas de fregravere qui se voue agrave

lalchimie et il ne trouve agrave lui reprocher que son deacutesir de senrichir rapidement Son activiteacute

consiste alors essentiellement agrave se rendre en Sardaigne pour y collecter des mineacuteraux rares

Son funeste sort ultime ne sexplique que par cet abandon de Dieu au profit de la richesse

22

seacuteculiegravere (Vitae Fratrum Ordinis Praedicatorum eacuted par B-M Reichert Rome-Stuttgart

Monumenta Ordinis Fratrum Praedicatorum Historica 1897 p 290)

43 La Condamnation parisienne de 1277 eacuted et trad par D Picheacute avec la collaboration de

C Lafleur Paris 1999 p 77

44 A Paravicini Bagliani Il corpo del papa Turin 1994

45 Preacuteface agrave Le crisi dellalchimia Micrologus 3 1995 p VIII

46 Voir leacutedition du procegraves dans J Shatzmiller Justice et injustice au deacutebut du XIVe s

Lenquecircte sur larchevecircque dAix et sa renonciation en 1318 Rome 1999

47 Voir une lettre de feacutevrier 1330 dans Lettres secregravetes et curiales du pape Jean XXII (1316-

1334) relatives agrave la France eacuted par A Coulon et S Cleacutemencet fasc 8 Paris 1965 no 4100

p 104-105 [abreacutegeacute deacutesormais Coulon-Cleacutemencet] lettre agrave Jean de Badas inquisiteur

franciscain de Marseille sur un crime nefandum commis par Gantalmus Gantalmi notaire et

sa femme Berengegravere instigatione diabolica circumventi agrave lencontre de Guillaume de Baucio

sire de Berre

48 Texte publieacute par J HANSEN Quellen und Untersuchungen op cit no 3 p 2

49 Notons quen 1318 les rites de conseacutecration des miroirs et images paraissent speacutecifiques

alors quen 1320 dans les questions poseacutees par le pape aux experts les invocateurs de deacutemons

utilisent le rite catholique du baptecircme pour preacuteparer leurs images

50 A Paravicini Bagliani Il corpo del papa op cit

51 C H JOSTEN laquo The Text of John Dastins letter to Pope John XXII raquo Ambix 4 1951

p 46-51

52 E Albe Autour de Jean XXII Hugues Geacuteraud eacutevecircque de Cahors laffaire des poisons et

envoucirctements en 1317 Cahors 1904 p 163-164

53 Processus Bernardi Deliciosi The Trial of Fr Bernard Deacutelicieux 3 September-8

December 1319 eacutediteacute par A Friedlander Philadelphie 1996 p 62 Pour une eacutetude complegravete

du dossier voir A Friedlander The Hammer of the Inquisitors Brother Bernard Deacutelicieux

and the Struggle against the Inquisition in Fourteenth-Century France Leyde 2000

54 Coulon-Cleacutemencet no 2969 p 151

55 Coulon-Cleacutemencet no 2395 p 47

56 Sermon sur la vigile de lEacutepiphanie 5 janvier 1332 eacuted par M Dykmans Les Sermons de

Jean XXII sur la vision beacuteatifique Rome (Miscellanea Historiae Pontificiae 34) p 145

57 Les actes du procegraves ont eacuteteacute publieacutes par J-MVidal laquo Procegraves dinquisition contre Adheacutemar

de Mosset raquo Revue dHistoire de lEacuteglise de France 1 1910 Lanecdote se trouve agrave la p 713

58 Ces interrogations sur la laquo situation raquo spirituelle eacutetaient freacutequemment exprimeacutees Dans sa

correspondance avec les grands de ce monde le pape doit souvent reacutepondre agrave ce genre de

question en termes agrave vrai dire assez geacuteneacuteraux

59 Coulon-Cleacutemencet fasc 8 Paris 1965 no 4197 p 126 Lettre analogue en feacutevrier 1331

(no 4452 t 9 p 41)

60 On peut se demander si ce nest pas cette fideacuteliteacute litteacuterale au texte biblique qui a contribueacute agrave

pousser le pape agrave intervenir sur la question de la vision beacuteatifique question ougrave les partisans de

la vision directe de Dieu avant le jugement final ne trouvaient aucun appui scripturaire direct

61 On trouve une formulation parallegravele dans Quia quorumdam mentes (10 novembre 1324)

62 Voir A Boureau laquo Droit naturel et abstraction judiciaire Hypothegraveses sur la nature du droit

meacutedieacuteval raquo Annales HSS 57 6 2002 p 1463-1488

63 Voir A Boureau laquo La redeacutecouverte de lautonomie du corps leacutemergence du somnambule

(xiiie-xiv

e s) raquo Micrologus I 1993 p 27-42

64 Sur toutes ces questions je me permets de renvoyer au chap 8 de mon ouvrage Theacuteologie

science et censure au XIIIe s Le cas de Jean Peckham Paris 1999

23

65 Publieacute par J Rius Serra dans Sancti Raymundi de Penyafort opera omnia t III

Diplomatario (Documentos Vida antigua Cronicas Processos antiguos) Barcelone 1954

p 74-82

66 Cette typologie fut reprise par le pape Alexandre IV une dizaine danneacutees plus tard et

eacutediteacutee par Boniface VIII dans le Sexte (L 5 tit 2 cap 2 6 11 eacuted Friedberg II col 1069

1071 1073) Voir aussi le traiteacute Doctrina de modo procedendi erga hereticos (vers 1280)

dans Martegravene et Durand Thesaurus novus anecdotum t 5 Paris 1717 col 1797 et la

Practica de Bernard Gui (p 226-232)

67 Bien avant la creacuteation de lInquisition le troisiegraveme concile de Latran (1179) avait frappeacute

danathegraveme et priveacute de seacutepulture les defensores et receptatores dheacutereacutetiques (Deacutecreacutetales L 5

tit 7 cap 8 eacuted Friedberg II col 1780)

68 Ibid p 29-32

69 Texte eacutediteacute par J Coste Boniface VIII en procegraves Articles daccusation et deacutepositions de

teacutemoins (1303-1311) Eacutedition critique introduction et notes Rome 1995 p 153

70 Nogaret originaire de Saint-Feacutelix-de-Caraman haut-lieu cathare petit-fils dun ministre

heacutereacutetique avait certainement une bonne connaissance de la perseacutecution de lheacutereacutesie en deacutepit

de sa formation de civiliste

71 Directorium op cit seconde partie question 2

72 Processus op cit p 180

73 E PETERS Inquisition Berkeley 1988

74 R KIECKHEFER laquo The Office of Inquisition and Medieval heresy the Transition from a

Personal to an Institutional Juridiction raquo Journal of Ecclesiastical History 46 1995 p 36-

61

75 Ainsi le pape deacutecida de suspendre le droit dasile dans les eacuteglises au deacutetriment des

heacutereacutetiques mais pas speacutecifiquement des auteurs de sortilegraveges (Lettre au roi de France Philippe

VI en 1328 publieacutee par J-M Vidal Bullaire op cit no 79 p 130-131)

76 Eacuted FRIEDBERG t II col 1078

77 Ibid col 1200

78 Voir la lettre dure que lui adressa le pape Jean XXII le 6 octobre 1332 (J-M Vidal

Bullaire op cit no 124 p 184)

79 Coulon-Cleacutemencet no 4539 fasc 9 p 59-60

80 Lattention precircteacutee agrave Philippe le Bel et agrave Jean XXII ne doit pas faire oublier que ce type

daccusation politico-deacutemonologique est deacutepoque comme le montre dans un tout autre

contexte le procegraves intenteacute agrave Walter Langton eacutevecircque de Coventry en 1301-1303 avec

mention dadoration diabolique (voir A Beardwood laquo The Trial of Walter Langton bishop of

Lichfield 1307-1312 raquo Transactions of the American Philosophical Society NS 54 p III

Philadelphie 1964

81 Voir J Coste Boniface VIII en procegraves op cit

82 A Rigault Le Procegraves de Guichard eacutevecircque de Troyes 1308-1313 Paris 1896

83 J Favier Un conseiller de Philippe le Bel Enguerrand de Marigny Paris 1963 Il faut

mentionner peu apregraves le procegraves contre le cardinal Francesco Gaetani poursuivi par les cours

royales pour attentat contre le roi son fregravere et deux cardinaux agrave laide dimages magiques

(voir C Langlois laquo Laffaire du cardinal Francesco Gaetani (avril 1316) raquo Revue historique

63 1897 p 56-71)

84 E Albe Autour de Jean XXII op cit

85 R Michel laquo Le procegraves de Mateo et Galeazzo Visconti laccusation de sorcellerie et

dheacutereacutesie Dante et laffaire de lenvoucirctement (1320) raquo Meacutelanges darcheacuteologie et dhistoire

29 1909 p 269-327

86 F Bock laquo I processi di Giovanni XXII contro i Ghibellini delle Marche raquo Bolletino

dellIstituto storico italiano per il Medio Evo 57 1941 p 19-43

24

87 Voir J-M Vidal laquo Le sieur de Parthenay et lInquisition (1323-1325) raquo Bulletin

historique et philologique 1903 p 414-434

88 J-M Vidal Bullaire op cit no 20 p 44 et n

o 76 p 126-127

89 J-M Vidal Bullaire op cit nos

109 et 110 p 167-171

90 J-M Vidal Bullaire op cit no 90 p 144

Alain Boureau

EHESS CRH GAS 54 boulevard Raspail F-75006 Paris

Pour citer cet article

Alain Boureau laquoSatan heacutereacutetique lrsquoinstitution judiciaire de la deacutemonologie sous Jean XXIIraquo

Meacutedieacutevales 44 (2003) httpmedievalesrevuesorgdocument711html

Page 19: Satan hérétique : l’institution judiciaire de la ..._Droit_Canonique/Curiosite/Satan heretique.pdf · e siècle, mais la mutation considérable de procédure qui a assimilé les

19

soutenu le trublion franciscain avait eacuteteacute largement instrumentaliseacutee par la monarchie comme

le montrait laffaire des Templiers

En outre le pontife eacutetait fort irriteacute du manque de respect de certains inquisiteurs pour le droit

Ainsi en 1331 il reccedilut et approuva les plaintes de maicirctre Jean Anselme de Gecircnes chirurgien

et de Reacuteginald de Cravant clerc du diocegravese dAuxerre qui avaient eacuteteacute faussement accuseacutes

dheacutereacutesie et de maleacutefices par linquisiteur de France Aubert de Chacirclons et par leacutevecircque de Paris

Hugues Michel de Besanccedilon Le pontife leur reprochait davoir agi sans avoir eacutetabli aucune

infamie anteacuterieure sans respecter lordre judiciaire sans permettre aucune deacutefense leacutegitime89

Il nest pas besoin dimaginer un Jean XXII soucieux de justice par formation professionnelle

comme on la vu lordre du droit permettait deacutetablir soigneusement la veacuteriteacute qui importait

bien davantage que la reacutepression Le cas de la censure du commentaire dOlivi sur

lApocalypse le montre bien le texte eacutetait dangereux puisquil inspirait directement les

Beacuteguins par le biais dabreacutegeacutes et de traductions en langue vernaculaire Le contenu anti-

pontifical de ce texte eacutetait manifeste Pourtant le pape usa directement ou indirectement de

quatre commissions diffeacuterentes durant huit ans (1318-1326) avec un suppleacutement denquecircte

en 1322 avant darriver agrave une condamnation Le reacutesultat reacutepressif eacutetait certainement acquis

degraves 1318 mais il importait de suivre minutieusement les chemins de lerreur Ce souci

apparaicirct clairement dans une lettre adresseacutee par le pape en 1330 agrave Henri Chamayou

inquisiteur de Carcassonne90 qui avait reacuteussi agrave faire arrecircter deux heacutereacutetiques italiens qui

avaient confesseacute leur crime Le pontife feacutelicite chaleureusement linquisiteur mais lengage

fermement agrave poursuivre lenquecircte bien quil ait deacutejagrave en main tous les eacuteleacutements pour les

condamner laquo parce que nous croyons que tu aurais du connaicirctre une veacuteriteacute plus ample

(novisse te plenius credimus veritatem) au sujet de ce pour quoi ils tont eacuteteacute livreacutes nous

voulons et il nous plaicirct quayant Dieu seul devant les yeux tu veilles selon lexigence de la

justice agrave ne pas neacutegliger ce que tu sauras ecirctre adeacutequat en cette affaire raquo

Ces recommandations neacutetaient pas de pure forme la logique de linquisition ne la conduisait

pas vers leacutelucidation neacutecessaire agrave la cause des deacutemoniaques Linstitution demeurait

profondeacutement theacuteologienne et non juriste Le fondement proceacutedural de linquisition reposait

moins sur la poursuite doffice et lenquecircte que sur la troisiegraveme forme de poursuite (agrave cocircteacute de

la proceacutedure inquisitoire et de la proceacutedure accusatoire) deacutefinie par Innocent III au canon 8 du

concile de Latran la deacutenonciation eacutevangeacutelique issue de la correction fraternelle Or la

deacutenonciation orientait la poursuite vers la peacutenitence La confession rapidement obtenue par la

menace la terreur ou la torture conduisait agrave la demande dabsolution chegraverement neacutegocieacutee Il

importait agrave linquisiteur dobtenir au plus vite cette confession sans trop sattarder dans

lenquecircte sur la fama ou sur la veacuteriteacute neutraliseacutee par laveu Paradoxalement un accuseacute avait

de meilleures chances avec les proceacutedures sommaires chegraveres au pape quavec linquisition

parce que la veacuteriteacute pouvait contraindre le pape agrave la mansueacutetude tandis que la meacutecanique de la

culpabiliteacute ineacutevitable de tout peacutecheur entraicircnait tout inculpeacute dans la collectiviteacute peacutenale de

linquisition

Cest peut-ecirctre ces problegravemes de proceacutedure qui ont provoqueacute ce que Jean-Patrice Boudet

appelait plaisamment le laquo retard agrave lallumage raquo dans la poursuite des sorciers au XIVe siegravecle

tant que la papauteacute fut reacuteticente agrave deacuteleacuteguer son pouvoir denquecircte les limites mateacuterielles de la

justice pontificale empecircchegraverent la diffusion capillaire de limputation et de la reacutepression Et

preacuteciseacutement cest labandon forceacute de labsolutisme pontifical apregraves les conciles de Constance

et de Bacircle qui ouvrit les premiegraveres campagnes judiciaires et doctrinales contre les sorciers et

adorateurs du deacutemon dans les anneacutees 1430-1440 Mais le deacuteveloppement rapide de la

20

deacutemonologie avait eacuteteacute bien preacutepareacute par un pape qui tenait agrave consideacuterer lucidement les zones

obscures ougrave le deacutemon pouvait passer

Notes de bas de page

1 B Gui Manuel de linquisiteur eacuted par G Mollat Paris 1926-1927

2 P Paravy De la chreacutetienteacute romaine agrave la Reacuteforme en Dauphineacute Eacutevecircques fidegraveles et deacuteviants

(vers 1340-vers 1530) Rome 1993

3 LImaginaire du sabbat Eacutedition critique des textes les plus anciens (1430 ca-1440 ca)

reacuteunis par M Ostorero A Paravicini Bagliani K Utz Tremp en collaboration avec C Chegravene

Lausanne 1999

4 R KIECKHEFER European Witch Trials Their Foundations in Popular and Learned

Culture 1300-1500 Londres 1976 Carlo Ginzburg commence sa seacuterie explicative des

formes occidentales du sabbat en 1321 mais selon un modegravele totalement opposeacute au nocirctre

5 Bonn 1901

6 L THORNDIKE A History of Magic and Experimental Science vol III New York 1934

p 18 sq

7 Voir N Weill-Parot Les laquo Images astrologiques raquo au Moyen Acircge et agrave la Renaissance

Speacuteculations intellectuelles et pratiques magiques (XIIe-XV

e s) Paris 2002 p 377-385 et Id

laquo Les intellectuels lEacuteglise et la magie dans la premiegravere moitieacute du xive s raquo (meacutemoire de

maicirctrise Paris I 1990) Je tiens agrave remercier N Weill-Parot pour ses commentaires sur le

preacutesent article

8 laquo Quod cum morte fedus ineunt et pactum faciunt cum inferno Demonibus namque

immolant hos adorant raquo

9 Liber Sextus V II cap 8

10 Cause XXVI qu 5 cap 12 eacuted Friedberg col 1080

11 Voir A Boureau laquo De la feacutelonie agrave la haute trahison Un eacutepisode la trahison des clercs

(version du xiie s) raquo Le Genre Humain 16-17 1988 p 267-291

12 Venise 1595 XLIII 9 p 341-342

13 laquo Simpliciter et de plano ac sine strepitu et figura judicii appellatione remota raquo Lettre

publieacutee par J-M Vidal Bullaire de lInquisition franccedilaise Paris 1913 no 284 p 403-404

14 laquo Nonnulli etiam quandoque litterati in hoc se opponunt pretendentes id ad tuum non

expectare officium secundum canonicas sanctiones raquo

15 J-P Boudet laquo Les condamnations de la magie agrave Paris en 1398 raquo Revue Mabillon n s 12

(t 73) 2001 p 121-157

16 B Hamilton The Medieval Inquisition Londres 1981 p 94

17 Dans une lettre de 1336 adresseacutee agrave lofficial dAvignon Benoicirct XII successeur de

Jean XXII range agrave nouveau les sortilegraveges parmi les crimes qui touchent la foi (J-M Vidal

Bullaire op cit no 153 p 229-230) En 1405 Benoicirct XIII deacuteclare nuls les privilegraveges des

habitants du diocegravese du Puy qui preacutetendaient que linquisiteur de Carcassonne ne pouvait les

poursuivre pour maleacutefices (J-M Vidal Bullaire op cit no 332 p 473-474)

18 La premiegravere eacutedition a eacuteteacute procureacutee par Jean Chappuis en 1500 Pour la formation des deux

collections voir A M Stickler Historia Iuris Canonici Institutiones Academicae T I

Historia Fontium Rome 1950 p 270-271

19 Les seules mentions de la bulle se trouvent on la dit dans le manuel de Nicolas Eymerich

(1376) dans les Annales eccleacutesiastiques de Rinaldi et dans un bullaire romain du xviiie s

20 Voir A MAIER dans laquo Eine Verfuumlgung Johannis XXII uumlber die Zustaumlndigkeit der

Inquisition fuumlr Zauberprozesse raquo Archivium Fratrum Praedicatorum 32 1952 p 226-246

21 A Maier loc cit p 231

21

22 Publieacutee par R Manselli laquo Enrico del Carretto e la consultazione sulla magia di Giovanni

XXII raquo dans Miscellanea in onore di Monsignore Martino Giusti t II Vatican 1978 p 97-

129

23 Il est possible aussi que linterrogation doctrinale ait eacuteteacute anticipeacutee par Guido Terreni un

des dix experts de la consultation de 1320 dans son sixiegraveme quolibet laquo Est-ce que celui qui

baptise une chose sans acircme ou sans raison et non pas un homme est heacutereacutetique raquo ms BAV

Borghese 39 fo 238v

o-240v

o que je publie en annexe de la consultation Mais la date de ce

quolibet demeure incertaine

24 laquo Fecisti plantas pedum eiusdem mulieris iuxta carbones accensos apponi raquo texte publieacute

par J-M Vidal Bullaire op cit p 51-52

25 laquo Diu post confessionem debitum nature persoluitverum quia dubitatur ne propter

predicta tormenta citius decesserit quam alias decessisset mulier supradicta si tormentata

minime extitisset raquo

26 laquo Erronea et horrenda contra catholicam fidem fuit confessa et multos consocios et

complices reuelauitque omnia sic inuenta ut communiter creditur numquam reuelata

fuissent nisi mediantibus tormentis eiusdem predicta mulier reuelasset raquo

27 laquo De consilio proborum qui se asserebant uidisse penis examinati hereticos in partibus

Tholosanis raquo

28 J-M Vidal Bullaire op cit no 24 p 53-54

29 Ex certa sciencia sur cette clausule de labsolutisme pontifical voir A Boureau La Loi

du royaume Les moines le droit et la construction de la nation anglaise Paris 2001 avec

renvoi aux travaux de Jacques Krynen

30 Publieacutee par J-M Vidal Bullaire op cit p 61 Une meilleure eacutedition a eacuteteacute procureacutee par

A Maier loc cit p 226-227

31 J-M Vidal Bullaire op cit no 72 p 118-119

32 La commission fut reacuteiteacutereacutee le 8 novembre 1327 ibid no 78 bis p 129-130

33 Voir A Boureau laquo Saints et deacutemons dans les procegraves de canonisation du deacutebut du xive s raquo

agrave paraicirctre dans les actes du colloque de Budapest sur les procegraves de canonisation dir Gaacutebor

Klaniczay

34 B Gui Manuel de linquisiteur eacuted et trad par G Mollat op cit t I p 52

35 Publieacutees par J-M Vidal Bullaire op cit no 103 p 154-156

36 Henri de Chamayou

37 Pierre Brun

38 La qualification dheacutereacutesie de la part du pape agrave propos des invocations deacutemoniaques na

jamais cesseacute Voir par exemple une lettre de 1323 qui deacutesigne des commissaires pour juger

le moine Guillaume de Figeac accuseacute de laquo deacutevier de la foi catholique raquo en pratiquant

lalchimie et la neacutecromancie (J-M Vidal Bullaire op cit no 50 p 87-88)

39 F Graf La Magie dans lAntiquiteacute greacuteco-romaine Ideacuteologie et pratique Paris 1994

40 Voir le reacutecit par Pierre le Veacuteneacuterable vers 1137 dun usage magique de lhostie consacreacutee

par un paysan deacutesireux de retenir ses abeilles Livre des merveilles de Dieu (De miraculis)

introduction traduction et notes de J-P Torrell et D Bouthillier FribourgParis 1992 p 70-

72 Je remercie Charles de Miramon de mavoir signaleacute ce texte

41 Voir les travaux reacutealiseacutes autour de Richard Kieckhefer et Claire Faenger aux Eacutetats-Unis

autour de Jean-Patrice Boudet et Henri Bresc en France notamment

42 Dans sa biographie collective des deux premiegraveres geacuteneacuterations de dominicains eacutecrite au

deacutebut des anneacutees 1260 Geacuterard de Frachet ne rapporte quun seul cas de fregravere qui se voue agrave

lalchimie et il ne trouve agrave lui reprocher que son deacutesir de senrichir rapidement Son activiteacute

consiste alors essentiellement agrave se rendre en Sardaigne pour y collecter des mineacuteraux rares

Son funeste sort ultime ne sexplique que par cet abandon de Dieu au profit de la richesse

22

seacuteculiegravere (Vitae Fratrum Ordinis Praedicatorum eacuted par B-M Reichert Rome-Stuttgart

Monumenta Ordinis Fratrum Praedicatorum Historica 1897 p 290)

43 La Condamnation parisienne de 1277 eacuted et trad par D Picheacute avec la collaboration de

C Lafleur Paris 1999 p 77

44 A Paravicini Bagliani Il corpo del papa Turin 1994

45 Preacuteface agrave Le crisi dellalchimia Micrologus 3 1995 p VIII

46 Voir leacutedition du procegraves dans J Shatzmiller Justice et injustice au deacutebut du XIVe s

Lenquecircte sur larchevecircque dAix et sa renonciation en 1318 Rome 1999

47 Voir une lettre de feacutevrier 1330 dans Lettres secregravetes et curiales du pape Jean XXII (1316-

1334) relatives agrave la France eacuted par A Coulon et S Cleacutemencet fasc 8 Paris 1965 no 4100

p 104-105 [abreacutegeacute deacutesormais Coulon-Cleacutemencet] lettre agrave Jean de Badas inquisiteur

franciscain de Marseille sur un crime nefandum commis par Gantalmus Gantalmi notaire et

sa femme Berengegravere instigatione diabolica circumventi agrave lencontre de Guillaume de Baucio

sire de Berre

48 Texte publieacute par J HANSEN Quellen und Untersuchungen op cit no 3 p 2

49 Notons quen 1318 les rites de conseacutecration des miroirs et images paraissent speacutecifiques

alors quen 1320 dans les questions poseacutees par le pape aux experts les invocateurs de deacutemons

utilisent le rite catholique du baptecircme pour preacuteparer leurs images

50 A Paravicini Bagliani Il corpo del papa op cit

51 C H JOSTEN laquo The Text of John Dastins letter to Pope John XXII raquo Ambix 4 1951

p 46-51

52 E Albe Autour de Jean XXII Hugues Geacuteraud eacutevecircque de Cahors laffaire des poisons et

envoucirctements en 1317 Cahors 1904 p 163-164

53 Processus Bernardi Deliciosi The Trial of Fr Bernard Deacutelicieux 3 September-8

December 1319 eacutediteacute par A Friedlander Philadelphie 1996 p 62 Pour une eacutetude complegravete

du dossier voir A Friedlander The Hammer of the Inquisitors Brother Bernard Deacutelicieux

and the Struggle against the Inquisition in Fourteenth-Century France Leyde 2000

54 Coulon-Cleacutemencet no 2969 p 151

55 Coulon-Cleacutemencet no 2395 p 47

56 Sermon sur la vigile de lEacutepiphanie 5 janvier 1332 eacuted par M Dykmans Les Sermons de

Jean XXII sur la vision beacuteatifique Rome (Miscellanea Historiae Pontificiae 34) p 145

57 Les actes du procegraves ont eacuteteacute publieacutes par J-MVidal laquo Procegraves dinquisition contre Adheacutemar

de Mosset raquo Revue dHistoire de lEacuteglise de France 1 1910 Lanecdote se trouve agrave la p 713

58 Ces interrogations sur la laquo situation raquo spirituelle eacutetaient freacutequemment exprimeacutees Dans sa

correspondance avec les grands de ce monde le pape doit souvent reacutepondre agrave ce genre de

question en termes agrave vrai dire assez geacuteneacuteraux

59 Coulon-Cleacutemencet fasc 8 Paris 1965 no 4197 p 126 Lettre analogue en feacutevrier 1331

(no 4452 t 9 p 41)

60 On peut se demander si ce nest pas cette fideacuteliteacute litteacuterale au texte biblique qui a contribueacute agrave

pousser le pape agrave intervenir sur la question de la vision beacuteatifique question ougrave les partisans de

la vision directe de Dieu avant le jugement final ne trouvaient aucun appui scripturaire direct

61 On trouve une formulation parallegravele dans Quia quorumdam mentes (10 novembre 1324)

62 Voir A Boureau laquo Droit naturel et abstraction judiciaire Hypothegraveses sur la nature du droit

meacutedieacuteval raquo Annales HSS 57 6 2002 p 1463-1488

63 Voir A Boureau laquo La redeacutecouverte de lautonomie du corps leacutemergence du somnambule

(xiiie-xiv

e s) raquo Micrologus I 1993 p 27-42

64 Sur toutes ces questions je me permets de renvoyer au chap 8 de mon ouvrage Theacuteologie

science et censure au XIIIe s Le cas de Jean Peckham Paris 1999

23

65 Publieacute par J Rius Serra dans Sancti Raymundi de Penyafort opera omnia t III

Diplomatario (Documentos Vida antigua Cronicas Processos antiguos) Barcelone 1954

p 74-82

66 Cette typologie fut reprise par le pape Alexandre IV une dizaine danneacutees plus tard et

eacutediteacutee par Boniface VIII dans le Sexte (L 5 tit 2 cap 2 6 11 eacuted Friedberg II col 1069

1071 1073) Voir aussi le traiteacute Doctrina de modo procedendi erga hereticos (vers 1280)

dans Martegravene et Durand Thesaurus novus anecdotum t 5 Paris 1717 col 1797 et la

Practica de Bernard Gui (p 226-232)

67 Bien avant la creacuteation de lInquisition le troisiegraveme concile de Latran (1179) avait frappeacute

danathegraveme et priveacute de seacutepulture les defensores et receptatores dheacutereacutetiques (Deacutecreacutetales L 5

tit 7 cap 8 eacuted Friedberg II col 1780)

68 Ibid p 29-32

69 Texte eacutediteacute par J Coste Boniface VIII en procegraves Articles daccusation et deacutepositions de

teacutemoins (1303-1311) Eacutedition critique introduction et notes Rome 1995 p 153

70 Nogaret originaire de Saint-Feacutelix-de-Caraman haut-lieu cathare petit-fils dun ministre

heacutereacutetique avait certainement une bonne connaissance de la perseacutecution de lheacutereacutesie en deacutepit

de sa formation de civiliste

71 Directorium op cit seconde partie question 2

72 Processus op cit p 180

73 E PETERS Inquisition Berkeley 1988

74 R KIECKHEFER laquo The Office of Inquisition and Medieval heresy the Transition from a

Personal to an Institutional Juridiction raquo Journal of Ecclesiastical History 46 1995 p 36-

61

75 Ainsi le pape deacutecida de suspendre le droit dasile dans les eacuteglises au deacutetriment des

heacutereacutetiques mais pas speacutecifiquement des auteurs de sortilegraveges (Lettre au roi de France Philippe

VI en 1328 publieacutee par J-M Vidal Bullaire op cit no 79 p 130-131)

76 Eacuted FRIEDBERG t II col 1078

77 Ibid col 1200

78 Voir la lettre dure que lui adressa le pape Jean XXII le 6 octobre 1332 (J-M Vidal

Bullaire op cit no 124 p 184)

79 Coulon-Cleacutemencet no 4539 fasc 9 p 59-60

80 Lattention precircteacutee agrave Philippe le Bel et agrave Jean XXII ne doit pas faire oublier que ce type

daccusation politico-deacutemonologique est deacutepoque comme le montre dans un tout autre

contexte le procegraves intenteacute agrave Walter Langton eacutevecircque de Coventry en 1301-1303 avec

mention dadoration diabolique (voir A Beardwood laquo The Trial of Walter Langton bishop of

Lichfield 1307-1312 raquo Transactions of the American Philosophical Society NS 54 p III

Philadelphie 1964

81 Voir J Coste Boniface VIII en procegraves op cit

82 A Rigault Le Procegraves de Guichard eacutevecircque de Troyes 1308-1313 Paris 1896

83 J Favier Un conseiller de Philippe le Bel Enguerrand de Marigny Paris 1963 Il faut

mentionner peu apregraves le procegraves contre le cardinal Francesco Gaetani poursuivi par les cours

royales pour attentat contre le roi son fregravere et deux cardinaux agrave laide dimages magiques

(voir C Langlois laquo Laffaire du cardinal Francesco Gaetani (avril 1316) raquo Revue historique

63 1897 p 56-71)

84 E Albe Autour de Jean XXII op cit

85 R Michel laquo Le procegraves de Mateo et Galeazzo Visconti laccusation de sorcellerie et

dheacutereacutesie Dante et laffaire de lenvoucirctement (1320) raquo Meacutelanges darcheacuteologie et dhistoire

29 1909 p 269-327

86 F Bock laquo I processi di Giovanni XXII contro i Ghibellini delle Marche raquo Bolletino

dellIstituto storico italiano per il Medio Evo 57 1941 p 19-43

24

87 Voir J-M Vidal laquo Le sieur de Parthenay et lInquisition (1323-1325) raquo Bulletin

historique et philologique 1903 p 414-434

88 J-M Vidal Bullaire op cit no 20 p 44 et n

o 76 p 126-127

89 J-M Vidal Bullaire op cit nos

109 et 110 p 167-171

90 J-M Vidal Bullaire op cit no 90 p 144

Alain Boureau

EHESS CRH GAS 54 boulevard Raspail F-75006 Paris

Pour citer cet article

Alain Boureau laquoSatan heacutereacutetique lrsquoinstitution judiciaire de la deacutemonologie sous Jean XXIIraquo

Meacutedieacutevales 44 (2003) httpmedievalesrevuesorgdocument711html

Page 20: Satan hérétique : l’institution judiciaire de la ..._Droit_Canonique/Curiosite/Satan heretique.pdf · e siècle, mais la mutation considérable de procédure qui a assimilé les

20

deacutemonologie avait eacuteteacute bien preacutepareacute par un pape qui tenait agrave consideacuterer lucidement les zones

obscures ougrave le deacutemon pouvait passer

Notes de bas de page

1 B Gui Manuel de linquisiteur eacuted par G Mollat Paris 1926-1927

2 P Paravy De la chreacutetienteacute romaine agrave la Reacuteforme en Dauphineacute Eacutevecircques fidegraveles et deacuteviants

(vers 1340-vers 1530) Rome 1993

3 LImaginaire du sabbat Eacutedition critique des textes les plus anciens (1430 ca-1440 ca)

reacuteunis par M Ostorero A Paravicini Bagliani K Utz Tremp en collaboration avec C Chegravene

Lausanne 1999

4 R KIECKHEFER European Witch Trials Their Foundations in Popular and Learned

Culture 1300-1500 Londres 1976 Carlo Ginzburg commence sa seacuterie explicative des

formes occidentales du sabbat en 1321 mais selon un modegravele totalement opposeacute au nocirctre

5 Bonn 1901

6 L THORNDIKE A History of Magic and Experimental Science vol III New York 1934

p 18 sq

7 Voir N Weill-Parot Les laquo Images astrologiques raquo au Moyen Acircge et agrave la Renaissance

Speacuteculations intellectuelles et pratiques magiques (XIIe-XV

e s) Paris 2002 p 377-385 et Id

laquo Les intellectuels lEacuteglise et la magie dans la premiegravere moitieacute du xive s raquo (meacutemoire de

maicirctrise Paris I 1990) Je tiens agrave remercier N Weill-Parot pour ses commentaires sur le

preacutesent article

8 laquo Quod cum morte fedus ineunt et pactum faciunt cum inferno Demonibus namque

immolant hos adorant raquo

9 Liber Sextus V II cap 8

10 Cause XXVI qu 5 cap 12 eacuted Friedberg col 1080

11 Voir A Boureau laquo De la feacutelonie agrave la haute trahison Un eacutepisode la trahison des clercs

(version du xiie s) raquo Le Genre Humain 16-17 1988 p 267-291

12 Venise 1595 XLIII 9 p 341-342

13 laquo Simpliciter et de plano ac sine strepitu et figura judicii appellatione remota raquo Lettre

publieacutee par J-M Vidal Bullaire de lInquisition franccedilaise Paris 1913 no 284 p 403-404

14 laquo Nonnulli etiam quandoque litterati in hoc se opponunt pretendentes id ad tuum non

expectare officium secundum canonicas sanctiones raquo

15 J-P Boudet laquo Les condamnations de la magie agrave Paris en 1398 raquo Revue Mabillon n s 12

(t 73) 2001 p 121-157

16 B Hamilton The Medieval Inquisition Londres 1981 p 94

17 Dans une lettre de 1336 adresseacutee agrave lofficial dAvignon Benoicirct XII successeur de

Jean XXII range agrave nouveau les sortilegraveges parmi les crimes qui touchent la foi (J-M Vidal

Bullaire op cit no 153 p 229-230) En 1405 Benoicirct XIII deacuteclare nuls les privilegraveges des

habitants du diocegravese du Puy qui preacutetendaient que linquisiteur de Carcassonne ne pouvait les

poursuivre pour maleacutefices (J-M Vidal Bullaire op cit no 332 p 473-474)

18 La premiegravere eacutedition a eacuteteacute procureacutee par Jean Chappuis en 1500 Pour la formation des deux

collections voir A M Stickler Historia Iuris Canonici Institutiones Academicae T I

Historia Fontium Rome 1950 p 270-271

19 Les seules mentions de la bulle se trouvent on la dit dans le manuel de Nicolas Eymerich

(1376) dans les Annales eccleacutesiastiques de Rinaldi et dans un bullaire romain du xviiie s

20 Voir A MAIER dans laquo Eine Verfuumlgung Johannis XXII uumlber die Zustaumlndigkeit der

Inquisition fuumlr Zauberprozesse raquo Archivium Fratrum Praedicatorum 32 1952 p 226-246

21 A Maier loc cit p 231

21

22 Publieacutee par R Manselli laquo Enrico del Carretto e la consultazione sulla magia di Giovanni

XXII raquo dans Miscellanea in onore di Monsignore Martino Giusti t II Vatican 1978 p 97-

129

23 Il est possible aussi que linterrogation doctrinale ait eacuteteacute anticipeacutee par Guido Terreni un

des dix experts de la consultation de 1320 dans son sixiegraveme quolibet laquo Est-ce que celui qui

baptise une chose sans acircme ou sans raison et non pas un homme est heacutereacutetique raquo ms BAV

Borghese 39 fo 238v

o-240v

o que je publie en annexe de la consultation Mais la date de ce

quolibet demeure incertaine

24 laquo Fecisti plantas pedum eiusdem mulieris iuxta carbones accensos apponi raquo texte publieacute

par J-M Vidal Bullaire op cit p 51-52

25 laquo Diu post confessionem debitum nature persoluitverum quia dubitatur ne propter

predicta tormenta citius decesserit quam alias decessisset mulier supradicta si tormentata

minime extitisset raquo

26 laquo Erronea et horrenda contra catholicam fidem fuit confessa et multos consocios et

complices reuelauitque omnia sic inuenta ut communiter creditur numquam reuelata

fuissent nisi mediantibus tormentis eiusdem predicta mulier reuelasset raquo

27 laquo De consilio proborum qui se asserebant uidisse penis examinati hereticos in partibus

Tholosanis raquo

28 J-M Vidal Bullaire op cit no 24 p 53-54

29 Ex certa sciencia sur cette clausule de labsolutisme pontifical voir A Boureau La Loi

du royaume Les moines le droit et la construction de la nation anglaise Paris 2001 avec

renvoi aux travaux de Jacques Krynen

30 Publieacutee par J-M Vidal Bullaire op cit p 61 Une meilleure eacutedition a eacuteteacute procureacutee par

A Maier loc cit p 226-227

31 J-M Vidal Bullaire op cit no 72 p 118-119

32 La commission fut reacuteiteacutereacutee le 8 novembre 1327 ibid no 78 bis p 129-130

33 Voir A Boureau laquo Saints et deacutemons dans les procegraves de canonisation du deacutebut du xive s raquo

agrave paraicirctre dans les actes du colloque de Budapest sur les procegraves de canonisation dir Gaacutebor

Klaniczay

34 B Gui Manuel de linquisiteur eacuted et trad par G Mollat op cit t I p 52

35 Publieacutees par J-M Vidal Bullaire op cit no 103 p 154-156

36 Henri de Chamayou

37 Pierre Brun

38 La qualification dheacutereacutesie de la part du pape agrave propos des invocations deacutemoniaques na

jamais cesseacute Voir par exemple une lettre de 1323 qui deacutesigne des commissaires pour juger

le moine Guillaume de Figeac accuseacute de laquo deacutevier de la foi catholique raquo en pratiquant

lalchimie et la neacutecromancie (J-M Vidal Bullaire op cit no 50 p 87-88)

39 F Graf La Magie dans lAntiquiteacute greacuteco-romaine Ideacuteologie et pratique Paris 1994

40 Voir le reacutecit par Pierre le Veacuteneacuterable vers 1137 dun usage magique de lhostie consacreacutee

par un paysan deacutesireux de retenir ses abeilles Livre des merveilles de Dieu (De miraculis)

introduction traduction et notes de J-P Torrell et D Bouthillier FribourgParis 1992 p 70-

72 Je remercie Charles de Miramon de mavoir signaleacute ce texte

41 Voir les travaux reacutealiseacutes autour de Richard Kieckhefer et Claire Faenger aux Eacutetats-Unis

autour de Jean-Patrice Boudet et Henri Bresc en France notamment

42 Dans sa biographie collective des deux premiegraveres geacuteneacuterations de dominicains eacutecrite au

deacutebut des anneacutees 1260 Geacuterard de Frachet ne rapporte quun seul cas de fregravere qui se voue agrave

lalchimie et il ne trouve agrave lui reprocher que son deacutesir de senrichir rapidement Son activiteacute

consiste alors essentiellement agrave se rendre en Sardaigne pour y collecter des mineacuteraux rares

Son funeste sort ultime ne sexplique que par cet abandon de Dieu au profit de la richesse

22

seacuteculiegravere (Vitae Fratrum Ordinis Praedicatorum eacuted par B-M Reichert Rome-Stuttgart

Monumenta Ordinis Fratrum Praedicatorum Historica 1897 p 290)

43 La Condamnation parisienne de 1277 eacuted et trad par D Picheacute avec la collaboration de

C Lafleur Paris 1999 p 77

44 A Paravicini Bagliani Il corpo del papa Turin 1994

45 Preacuteface agrave Le crisi dellalchimia Micrologus 3 1995 p VIII

46 Voir leacutedition du procegraves dans J Shatzmiller Justice et injustice au deacutebut du XIVe s

Lenquecircte sur larchevecircque dAix et sa renonciation en 1318 Rome 1999

47 Voir une lettre de feacutevrier 1330 dans Lettres secregravetes et curiales du pape Jean XXII (1316-

1334) relatives agrave la France eacuted par A Coulon et S Cleacutemencet fasc 8 Paris 1965 no 4100

p 104-105 [abreacutegeacute deacutesormais Coulon-Cleacutemencet] lettre agrave Jean de Badas inquisiteur

franciscain de Marseille sur un crime nefandum commis par Gantalmus Gantalmi notaire et

sa femme Berengegravere instigatione diabolica circumventi agrave lencontre de Guillaume de Baucio

sire de Berre

48 Texte publieacute par J HANSEN Quellen und Untersuchungen op cit no 3 p 2

49 Notons quen 1318 les rites de conseacutecration des miroirs et images paraissent speacutecifiques

alors quen 1320 dans les questions poseacutees par le pape aux experts les invocateurs de deacutemons

utilisent le rite catholique du baptecircme pour preacuteparer leurs images

50 A Paravicini Bagliani Il corpo del papa op cit

51 C H JOSTEN laquo The Text of John Dastins letter to Pope John XXII raquo Ambix 4 1951

p 46-51

52 E Albe Autour de Jean XXII Hugues Geacuteraud eacutevecircque de Cahors laffaire des poisons et

envoucirctements en 1317 Cahors 1904 p 163-164

53 Processus Bernardi Deliciosi The Trial of Fr Bernard Deacutelicieux 3 September-8

December 1319 eacutediteacute par A Friedlander Philadelphie 1996 p 62 Pour une eacutetude complegravete

du dossier voir A Friedlander The Hammer of the Inquisitors Brother Bernard Deacutelicieux

and the Struggle against the Inquisition in Fourteenth-Century France Leyde 2000

54 Coulon-Cleacutemencet no 2969 p 151

55 Coulon-Cleacutemencet no 2395 p 47

56 Sermon sur la vigile de lEacutepiphanie 5 janvier 1332 eacuted par M Dykmans Les Sermons de

Jean XXII sur la vision beacuteatifique Rome (Miscellanea Historiae Pontificiae 34) p 145

57 Les actes du procegraves ont eacuteteacute publieacutes par J-MVidal laquo Procegraves dinquisition contre Adheacutemar

de Mosset raquo Revue dHistoire de lEacuteglise de France 1 1910 Lanecdote se trouve agrave la p 713

58 Ces interrogations sur la laquo situation raquo spirituelle eacutetaient freacutequemment exprimeacutees Dans sa

correspondance avec les grands de ce monde le pape doit souvent reacutepondre agrave ce genre de

question en termes agrave vrai dire assez geacuteneacuteraux

59 Coulon-Cleacutemencet fasc 8 Paris 1965 no 4197 p 126 Lettre analogue en feacutevrier 1331

(no 4452 t 9 p 41)

60 On peut se demander si ce nest pas cette fideacuteliteacute litteacuterale au texte biblique qui a contribueacute agrave

pousser le pape agrave intervenir sur la question de la vision beacuteatifique question ougrave les partisans de

la vision directe de Dieu avant le jugement final ne trouvaient aucun appui scripturaire direct

61 On trouve une formulation parallegravele dans Quia quorumdam mentes (10 novembre 1324)

62 Voir A Boureau laquo Droit naturel et abstraction judiciaire Hypothegraveses sur la nature du droit

meacutedieacuteval raquo Annales HSS 57 6 2002 p 1463-1488

63 Voir A Boureau laquo La redeacutecouverte de lautonomie du corps leacutemergence du somnambule

(xiiie-xiv

e s) raquo Micrologus I 1993 p 27-42

64 Sur toutes ces questions je me permets de renvoyer au chap 8 de mon ouvrage Theacuteologie

science et censure au XIIIe s Le cas de Jean Peckham Paris 1999

23

65 Publieacute par J Rius Serra dans Sancti Raymundi de Penyafort opera omnia t III

Diplomatario (Documentos Vida antigua Cronicas Processos antiguos) Barcelone 1954

p 74-82

66 Cette typologie fut reprise par le pape Alexandre IV une dizaine danneacutees plus tard et

eacutediteacutee par Boniface VIII dans le Sexte (L 5 tit 2 cap 2 6 11 eacuted Friedberg II col 1069

1071 1073) Voir aussi le traiteacute Doctrina de modo procedendi erga hereticos (vers 1280)

dans Martegravene et Durand Thesaurus novus anecdotum t 5 Paris 1717 col 1797 et la

Practica de Bernard Gui (p 226-232)

67 Bien avant la creacuteation de lInquisition le troisiegraveme concile de Latran (1179) avait frappeacute

danathegraveme et priveacute de seacutepulture les defensores et receptatores dheacutereacutetiques (Deacutecreacutetales L 5

tit 7 cap 8 eacuted Friedberg II col 1780)

68 Ibid p 29-32

69 Texte eacutediteacute par J Coste Boniface VIII en procegraves Articles daccusation et deacutepositions de

teacutemoins (1303-1311) Eacutedition critique introduction et notes Rome 1995 p 153

70 Nogaret originaire de Saint-Feacutelix-de-Caraman haut-lieu cathare petit-fils dun ministre

heacutereacutetique avait certainement une bonne connaissance de la perseacutecution de lheacutereacutesie en deacutepit

de sa formation de civiliste

71 Directorium op cit seconde partie question 2

72 Processus op cit p 180

73 E PETERS Inquisition Berkeley 1988

74 R KIECKHEFER laquo The Office of Inquisition and Medieval heresy the Transition from a

Personal to an Institutional Juridiction raquo Journal of Ecclesiastical History 46 1995 p 36-

61

75 Ainsi le pape deacutecida de suspendre le droit dasile dans les eacuteglises au deacutetriment des

heacutereacutetiques mais pas speacutecifiquement des auteurs de sortilegraveges (Lettre au roi de France Philippe

VI en 1328 publieacutee par J-M Vidal Bullaire op cit no 79 p 130-131)

76 Eacuted FRIEDBERG t II col 1078

77 Ibid col 1200

78 Voir la lettre dure que lui adressa le pape Jean XXII le 6 octobre 1332 (J-M Vidal

Bullaire op cit no 124 p 184)

79 Coulon-Cleacutemencet no 4539 fasc 9 p 59-60

80 Lattention precircteacutee agrave Philippe le Bel et agrave Jean XXII ne doit pas faire oublier que ce type

daccusation politico-deacutemonologique est deacutepoque comme le montre dans un tout autre

contexte le procegraves intenteacute agrave Walter Langton eacutevecircque de Coventry en 1301-1303 avec

mention dadoration diabolique (voir A Beardwood laquo The Trial of Walter Langton bishop of

Lichfield 1307-1312 raquo Transactions of the American Philosophical Society NS 54 p III

Philadelphie 1964

81 Voir J Coste Boniface VIII en procegraves op cit

82 A Rigault Le Procegraves de Guichard eacutevecircque de Troyes 1308-1313 Paris 1896

83 J Favier Un conseiller de Philippe le Bel Enguerrand de Marigny Paris 1963 Il faut

mentionner peu apregraves le procegraves contre le cardinal Francesco Gaetani poursuivi par les cours

royales pour attentat contre le roi son fregravere et deux cardinaux agrave laide dimages magiques

(voir C Langlois laquo Laffaire du cardinal Francesco Gaetani (avril 1316) raquo Revue historique

63 1897 p 56-71)

84 E Albe Autour de Jean XXII op cit

85 R Michel laquo Le procegraves de Mateo et Galeazzo Visconti laccusation de sorcellerie et

dheacutereacutesie Dante et laffaire de lenvoucirctement (1320) raquo Meacutelanges darcheacuteologie et dhistoire

29 1909 p 269-327

86 F Bock laquo I processi di Giovanni XXII contro i Ghibellini delle Marche raquo Bolletino

dellIstituto storico italiano per il Medio Evo 57 1941 p 19-43

24

87 Voir J-M Vidal laquo Le sieur de Parthenay et lInquisition (1323-1325) raquo Bulletin

historique et philologique 1903 p 414-434

88 J-M Vidal Bullaire op cit no 20 p 44 et n

o 76 p 126-127

89 J-M Vidal Bullaire op cit nos

109 et 110 p 167-171

90 J-M Vidal Bullaire op cit no 90 p 144

Alain Boureau

EHESS CRH GAS 54 boulevard Raspail F-75006 Paris

Pour citer cet article

Alain Boureau laquoSatan heacutereacutetique lrsquoinstitution judiciaire de la deacutemonologie sous Jean XXIIraquo

Meacutedieacutevales 44 (2003) httpmedievalesrevuesorgdocument711html

Page 21: Satan hérétique : l’institution judiciaire de la ..._Droit_Canonique/Curiosite/Satan heretique.pdf · e siècle, mais la mutation considérable de procédure qui a assimilé les

21

22 Publieacutee par R Manselli laquo Enrico del Carretto e la consultazione sulla magia di Giovanni

XXII raquo dans Miscellanea in onore di Monsignore Martino Giusti t II Vatican 1978 p 97-

129

23 Il est possible aussi que linterrogation doctrinale ait eacuteteacute anticipeacutee par Guido Terreni un

des dix experts de la consultation de 1320 dans son sixiegraveme quolibet laquo Est-ce que celui qui

baptise une chose sans acircme ou sans raison et non pas un homme est heacutereacutetique raquo ms BAV

Borghese 39 fo 238v

o-240v

o que je publie en annexe de la consultation Mais la date de ce

quolibet demeure incertaine

24 laquo Fecisti plantas pedum eiusdem mulieris iuxta carbones accensos apponi raquo texte publieacute

par J-M Vidal Bullaire op cit p 51-52

25 laquo Diu post confessionem debitum nature persoluitverum quia dubitatur ne propter

predicta tormenta citius decesserit quam alias decessisset mulier supradicta si tormentata

minime extitisset raquo

26 laquo Erronea et horrenda contra catholicam fidem fuit confessa et multos consocios et

complices reuelauitque omnia sic inuenta ut communiter creditur numquam reuelata

fuissent nisi mediantibus tormentis eiusdem predicta mulier reuelasset raquo

27 laquo De consilio proborum qui se asserebant uidisse penis examinati hereticos in partibus

Tholosanis raquo

28 J-M Vidal Bullaire op cit no 24 p 53-54

29 Ex certa sciencia sur cette clausule de labsolutisme pontifical voir A Boureau La Loi

du royaume Les moines le droit et la construction de la nation anglaise Paris 2001 avec

renvoi aux travaux de Jacques Krynen

30 Publieacutee par J-M Vidal Bullaire op cit p 61 Une meilleure eacutedition a eacuteteacute procureacutee par

A Maier loc cit p 226-227

31 J-M Vidal Bullaire op cit no 72 p 118-119

32 La commission fut reacuteiteacutereacutee le 8 novembre 1327 ibid no 78 bis p 129-130

33 Voir A Boureau laquo Saints et deacutemons dans les procegraves de canonisation du deacutebut du xive s raquo

agrave paraicirctre dans les actes du colloque de Budapest sur les procegraves de canonisation dir Gaacutebor

Klaniczay

34 B Gui Manuel de linquisiteur eacuted et trad par G Mollat op cit t I p 52

35 Publieacutees par J-M Vidal Bullaire op cit no 103 p 154-156

36 Henri de Chamayou

37 Pierre Brun

38 La qualification dheacutereacutesie de la part du pape agrave propos des invocations deacutemoniaques na

jamais cesseacute Voir par exemple une lettre de 1323 qui deacutesigne des commissaires pour juger

le moine Guillaume de Figeac accuseacute de laquo deacutevier de la foi catholique raquo en pratiquant

lalchimie et la neacutecromancie (J-M Vidal Bullaire op cit no 50 p 87-88)

39 F Graf La Magie dans lAntiquiteacute greacuteco-romaine Ideacuteologie et pratique Paris 1994

40 Voir le reacutecit par Pierre le Veacuteneacuterable vers 1137 dun usage magique de lhostie consacreacutee

par un paysan deacutesireux de retenir ses abeilles Livre des merveilles de Dieu (De miraculis)

introduction traduction et notes de J-P Torrell et D Bouthillier FribourgParis 1992 p 70-

72 Je remercie Charles de Miramon de mavoir signaleacute ce texte

41 Voir les travaux reacutealiseacutes autour de Richard Kieckhefer et Claire Faenger aux Eacutetats-Unis

autour de Jean-Patrice Boudet et Henri Bresc en France notamment

42 Dans sa biographie collective des deux premiegraveres geacuteneacuterations de dominicains eacutecrite au

deacutebut des anneacutees 1260 Geacuterard de Frachet ne rapporte quun seul cas de fregravere qui se voue agrave

lalchimie et il ne trouve agrave lui reprocher que son deacutesir de senrichir rapidement Son activiteacute

consiste alors essentiellement agrave se rendre en Sardaigne pour y collecter des mineacuteraux rares

Son funeste sort ultime ne sexplique que par cet abandon de Dieu au profit de la richesse

22

seacuteculiegravere (Vitae Fratrum Ordinis Praedicatorum eacuted par B-M Reichert Rome-Stuttgart

Monumenta Ordinis Fratrum Praedicatorum Historica 1897 p 290)

43 La Condamnation parisienne de 1277 eacuted et trad par D Picheacute avec la collaboration de

C Lafleur Paris 1999 p 77

44 A Paravicini Bagliani Il corpo del papa Turin 1994

45 Preacuteface agrave Le crisi dellalchimia Micrologus 3 1995 p VIII

46 Voir leacutedition du procegraves dans J Shatzmiller Justice et injustice au deacutebut du XIVe s

Lenquecircte sur larchevecircque dAix et sa renonciation en 1318 Rome 1999

47 Voir une lettre de feacutevrier 1330 dans Lettres secregravetes et curiales du pape Jean XXII (1316-

1334) relatives agrave la France eacuted par A Coulon et S Cleacutemencet fasc 8 Paris 1965 no 4100

p 104-105 [abreacutegeacute deacutesormais Coulon-Cleacutemencet] lettre agrave Jean de Badas inquisiteur

franciscain de Marseille sur un crime nefandum commis par Gantalmus Gantalmi notaire et

sa femme Berengegravere instigatione diabolica circumventi agrave lencontre de Guillaume de Baucio

sire de Berre

48 Texte publieacute par J HANSEN Quellen und Untersuchungen op cit no 3 p 2

49 Notons quen 1318 les rites de conseacutecration des miroirs et images paraissent speacutecifiques

alors quen 1320 dans les questions poseacutees par le pape aux experts les invocateurs de deacutemons

utilisent le rite catholique du baptecircme pour preacuteparer leurs images

50 A Paravicini Bagliani Il corpo del papa op cit

51 C H JOSTEN laquo The Text of John Dastins letter to Pope John XXII raquo Ambix 4 1951

p 46-51

52 E Albe Autour de Jean XXII Hugues Geacuteraud eacutevecircque de Cahors laffaire des poisons et

envoucirctements en 1317 Cahors 1904 p 163-164

53 Processus Bernardi Deliciosi The Trial of Fr Bernard Deacutelicieux 3 September-8

December 1319 eacutediteacute par A Friedlander Philadelphie 1996 p 62 Pour une eacutetude complegravete

du dossier voir A Friedlander The Hammer of the Inquisitors Brother Bernard Deacutelicieux

and the Struggle against the Inquisition in Fourteenth-Century France Leyde 2000

54 Coulon-Cleacutemencet no 2969 p 151

55 Coulon-Cleacutemencet no 2395 p 47

56 Sermon sur la vigile de lEacutepiphanie 5 janvier 1332 eacuted par M Dykmans Les Sermons de

Jean XXII sur la vision beacuteatifique Rome (Miscellanea Historiae Pontificiae 34) p 145

57 Les actes du procegraves ont eacuteteacute publieacutes par J-MVidal laquo Procegraves dinquisition contre Adheacutemar

de Mosset raquo Revue dHistoire de lEacuteglise de France 1 1910 Lanecdote se trouve agrave la p 713

58 Ces interrogations sur la laquo situation raquo spirituelle eacutetaient freacutequemment exprimeacutees Dans sa

correspondance avec les grands de ce monde le pape doit souvent reacutepondre agrave ce genre de

question en termes agrave vrai dire assez geacuteneacuteraux

59 Coulon-Cleacutemencet fasc 8 Paris 1965 no 4197 p 126 Lettre analogue en feacutevrier 1331

(no 4452 t 9 p 41)

60 On peut se demander si ce nest pas cette fideacuteliteacute litteacuterale au texte biblique qui a contribueacute agrave

pousser le pape agrave intervenir sur la question de la vision beacuteatifique question ougrave les partisans de

la vision directe de Dieu avant le jugement final ne trouvaient aucun appui scripturaire direct

61 On trouve une formulation parallegravele dans Quia quorumdam mentes (10 novembre 1324)

62 Voir A Boureau laquo Droit naturel et abstraction judiciaire Hypothegraveses sur la nature du droit

meacutedieacuteval raquo Annales HSS 57 6 2002 p 1463-1488

63 Voir A Boureau laquo La redeacutecouverte de lautonomie du corps leacutemergence du somnambule

(xiiie-xiv

e s) raquo Micrologus I 1993 p 27-42

64 Sur toutes ces questions je me permets de renvoyer au chap 8 de mon ouvrage Theacuteologie

science et censure au XIIIe s Le cas de Jean Peckham Paris 1999

23

65 Publieacute par J Rius Serra dans Sancti Raymundi de Penyafort opera omnia t III

Diplomatario (Documentos Vida antigua Cronicas Processos antiguos) Barcelone 1954

p 74-82

66 Cette typologie fut reprise par le pape Alexandre IV une dizaine danneacutees plus tard et

eacutediteacutee par Boniface VIII dans le Sexte (L 5 tit 2 cap 2 6 11 eacuted Friedberg II col 1069

1071 1073) Voir aussi le traiteacute Doctrina de modo procedendi erga hereticos (vers 1280)

dans Martegravene et Durand Thesaurus novus anecdotum t 5 Paris 1717 col 1797 et la

Practica de Bernard Gui (p 226-232)

67 Bien avant la creacuteation de lInquisition le troisiegraveme concile de Latran (1179) avait frappeacute

danathegraveme et priveacute de seacutepulture les defensores et receptatores dheacutereacutetiques (Deacutecreacutetales L 5

tit 7 cap 8 eacuted Friedberg II col 1780)

68 Ibid p 29-32

69 Texte eacutediteacute par J Coste Boniface VIII en procegraves Articles daccusation et deacutepositions de

teacutemoins (1303-1311) Eacutedition critique introduction et notes Rome 1995 p 153

70 Nogaret originaire de Saint-Feacutelix-de-Caraman haut-lieu cathare petit-fils dun ministre

heacutereacutetique avait certainement une bonne connaissance de la perseacutecution de lheacutereacutesie en deacutepit

de sa formation de civiliste

71 Directorium op cit seconde partie question 2

72 Processus op cit p 180

73 E PETERS Inquisition Berkeley 1988

74 R KIECKHEFER laquo The Office of Inquisition and Medieval heresy the Transition from a

Personal to an Institutional Juridiction raquo Journal of Ecclesiastical History 46 1995 p 36-

61

75 Ainsi le pape deacutecida de suspendre le droit dasile dans les eacuteglises au deacutetriment des

heacutereacutetiques mais pas speacutecifiquement des auteurs de sortilegraveges (Lettre au roi de France Philippe

VI en 1328 publieacutee par J-M Vidal Bullaire op cit no 79 p 130-131)

76 Eacuted FRIEDBERG t II col 1078

77 Ibid col 1200

78 Voir la lettre dure que lui adressa le pape Jean XXII le 6 octobre 1332 (J-M Vidal

Bullaire op cit no 124 p 184)

79 Coulon-Cleacutemencet no 4539 fasc 9 p 59-60

80 Lattention precircteacutee agrave Philippe le Bel et agrave Jean XXII ne doit pas faire oublier que ce type

daccusation politico-deacutemonologique est deacutepoque comme le montre dans un tout autre

contexte le procegraves intenteacute agrave Walter Langton eacutevecircque de Coventry en 1301-1303 avec

mention dadoration diabolique (voir A Beardwood laquo The Trial of Walter Langton bishop of

Lichfield 1307-1312 raquo Transactions of the American Philosophical Society NS 54 p III

Philadelphie 1964

81 Voir J Coste Boniface VIII en procegraves op cit

82 A Rigault Le Procegraves de Guichard eacutevecircque de Troyes 1308-1313 Paris 1896

83 J Favier Un conseiller de Philippe le Bel Enguerrand de Marigny Paris 1963 Il faut

mentionner peu apregraves le procegraves contre le cardinal Francesco Gaetani poursuivi par les cours

royales pour attentat contre le roi son fregravere et deux cardinaux agrave laide dimages magiques

(voir C Langlois laquo Laffaire du cardinal Francesco Gaetani (avril 1316) raquo Revue historique

63 1897 p 56-71)

84 E Albe Autour de Jean XXII op cit

85 R Michel laquo Le procegraves de Mateo et Galeazzo Visconti laccusation de sorcellerie et

dheacutereacutesie Dante et laffaire de lenvoucirctement (1320) raquo Meacutelanges darcheacuteologie et dhistoire

29 1909 p 269-327

86 F Bock laquo I processi di Giovanni XXII contro i Ghibellini delle Marche raquo Bolletino

dellIstituto storico italiano per il Medio Evo 57 1941 p 19-43

24

87 Voir J-M Vidal laquo Le sieur de Parthenay et lInquisition (1323-1325) raquo Bulletin

historique et philologique 1903 p 414-434

88 J-M Vidal Bullaire op cit no 20 p 44 et n

o 76 p 126-127

89 J-M Vidal Bullaire op cit nos

109 et 110 p 167-171

90 J-M Vidal Bullaire op cit no 90 p 144

Alain Boureau

EHESS CRH GAS 54 boulevard Raspail F-75006 Paris

Pour citer cet article

Alain Boureau laquoSatan heacutereacutetique lrsquoinstitution judiciaire de la deacutemonologie sous Jean XXIIraquo

Meacutedieacutevales 44 (2003) httpmedievalesrevuesorgdocument711html

Page 22: Satan hérétique : l’institution judiciaire de la ..._Droit_Canonique/Curiosite/Satan heretique.pdf · e siècle, mais la mutation considérable de procédure qui a assimilé les

22

seacuteculiegravere (Vitae Fratrum Ordinis Praedicatorum eacuted par B-M Reichert Rome-Stuttgart

Monumenta Ordinis Fratrum Praedicatorum Historica 1897 p 290)

43 La Condamnation parisienne de 1277 eacuted et trad par D Picheacute avec la collaboration de

C Lafleur Paris 1999 p 77

44 A Paravicini Bagliani Il corpo del papa Turin 1994

45 Preacuteface agrave Le crisi dellalchimia Micrologus 3 1995 p VIII

46 Voir leacutedition du procegraves dans J Shatzmiller Justice et injustice au deacutebut du XIVe s

Lenquecircte sur larchevecircque dAix et sa renonciation en 1318 Rome 1999

47 Voir une lettre de feacutevrier 1330 dans Lettres secregravetes et curiales du pape Jean XXII (1316-

1334) relatives agrave la France eacuted par A Coulon et S Cleacutemencet fasc 8 Paris 1965 no 4100

p 104-105 [abreacutegeacute deacutesormais Coulon-Cleacutemencet] lettre agrave Jean de Badas inquisiteur

franciscain de Marseille sur un crime nefandum commis par Gantalmus Gantalmi notaire et

sa femme Berengegravere instigatione diabolica circumventi agrave lencontre de Guillaume de Baucio

sire de Berre

48 Texte publieacute par J HANSEN Quellen und Untersuchungen op cit no 3 p 2

49 Notons quen 1318 les rites de conseacutecration des miroirs et images paraissent speacutecifiques

alors quen 1320 dans les questions poseacutees par le pape aux experts les invocateurs de deacutemons

utilisent le rite catholique du baptecircme pour preacuteparer leurs images

50 A Paravicini Bagliani Il corpo del papa op cit

51 C H JOSTEN laquo The Text of John Dastins letter to Pope John XXII raquo Ambix 4 1951

p 46-51

52 E Albe Autour de Jean XXII Hugues Geacuteraud eacutevecircque de Cahors laffaire des poisons et

envoucirctements en 1317 Cahors 1904 p 163-164

53 Processus Bernardi Deliciosi The Trial of Fr Bernard Deacutelicieux 3 September-8

December 1319 eacutediteacute par A Friedlander Philadelphie 1996 p 62 Pour une eacutetude complegravete

du dossier voir A Friedlander The Hammer of the Inquisitors Brother Bernard Deacutelicieux

and the Struggle against the Inquisition in Fourteenth-Century France Leyde 2000

54 Coulon-Cleacutemencet no 2969 p 151

55 Coulon-Cleacutemencet no 2395 p 47

56 Sermon sur la vigile de lEacutepiphanie 5 janvier 1332 eacuted par M Dykmans Les Sermons de

Jean XXII sur la vision beacuteatifique Rome (Miscellanea Historiae Pontificiae 34) p 145

57 Les actes du procegraves ont eacuteteacute publieacutes par J-MVidal laquo Procegraves dinquisition contre Adheacutemar

de Mosset raquo Revue dHistoire de lEacuteglise de France 1 1910 Lanecdote se trouve agrave la p 713

58 Ces interrogations sur la laquo situation raquo spirituelle eacutetaient freacutequemment exprimeacutees Dans sa

correspondance avec les grands de ce monde le pape doit souvent reacutepondre agrave ce genre de

question en termes agrave vrai dire assez geacuteneacuteraux

59 Coulon-Cleacutemencet fasc 8 Paris 1965 no 4197 p 126 Lettre analogue en feacutevrier 1331

(no 4452 t 9 p 41)

60 On peut se demander si ce nest pas cette fideacuteliteacute litteacuterale au texte biblique qui a contribueacute agrave

pousser le pape agrave intervenir sur la question de la vision beacuteatifique question ougrave les partisans de

la vision directe de Dieu avant le jugement final ne trouvaient aucun appui scripturaire direct

61 On trouve une formulation parallegravele dans Quia quorumdam mentes (10 novembre 1324)

62 Voir A Boureau laquo Droit naturel et abstraction judiciaire Hypothegraveses sur la nature du droit

meacutedieacuteval raquo Annales HSS 57 6 2002 p 1463-1488

63 Voir A Boureau laquo La redeacutecouverte de lautonomie du corps leacutemergence du somnambule

(xiiie-xiv

e s) raquo Micrologus I 1993 p 27-42

64 Sur toutes ces questions je me permets de renvoyer au chap 8 de mon ouvrage Theacuteologie

science et censure au XIIIe s Le cas de Jean Peckham Paris 1999

23

65 Publieacute par J Rius Serra dans Sancti Raymundi de Penyafort opera omnia t III

Diplomatario (Documentos Vida antigua Cronicas Processos antiguos) Barcelone 1954

p 74-82

66 Cette typologie fut reprise par le pape Alexandre IV une dizaine danneacutees plus tard et

eacutediteacutee par Boniface VIII dans le Sexte (L 5 tit 2 cap 2 6 11 eacuted Friedberg II col 1069

1071 1073) Voir aussi le traiteacute Doctrina de modo procedendi erga hereticos (vers 1280)

dans Martegravene et Durand Thesaurus novus anecdotum t 5 Paris 1717 col 1797 et la

Practica de Bernard Gui (p 226-232)

67 Bien avant la creacuteation de lInquisition le troisiegraveme concile de Latran (1179) avait frappeacute

danathegraveme et priveacute de seacutepulture les defensores et receptatores dheacutereacutetiques (Deacutecreacutetales L 5

tit 7 cap 8 eacuted Friedberg II col 1780)

68 Ibid p 29-32

69 Texte eacutediteacute par J Coste Boniface VIII en procegraves Articles daccusation et deacutepositions de

teacutemoins (1303-1311) Eacutedition critique introduction et notes Rome 1995 p 153

70 Nogaret originaire de Saint-Feacutelix-de-Caraman haut-lieu cathare petit-fils dun ministre

heacutereacutetique avait certainement une bonne connaissance de la perseacutecution de lheacutereacutesie en deacutepit

de sa formation de civiliste

71 Directorium op cit seconde partie question 2

72 Processus op cit p 180

73 E PETERS Inquisition Berkeley 1988

74 R KIECKHEFER laquo The Office of Inquisition and Medieval heresy the Transition from a

Personal to an Institutional Juridiction raquo Journal of Ecclesiastical History 46 1995 p 36-

61

75 Ainsi le pape deacutecida de suspendre le droit dasile dans les eacuteglises au deacutetriment des

heacutereacutetiques mais pas speacutecifiquement des auteurs de sortilegraveges (Lettre au roi de France Philippe

VI en 1328 publieacutee par J-M Vidal Bullaire op cit no 79 p 130-131)

76 Eacuted FRIEDBERG t II col 1078

77 Ibid col 1200

78 Voir la lettre dure que lui adressa le pape Jean XXII le 6 octobre 1332 (J-M Vidal

Bullaire op cit no 124 p 184)

79 Coulon-Cleacutemencet no 4539 fasc 9 p 59-60

80 Lattention precircteacutee agrave Philippe le Bel et agrave Jean XXII ne doit pas faire oublier que ce type

daccusation politico-deacutemonologique est deacutepoque comme le montre dans un tout autre

contexte le procegraves intenteacute agrave Walter Langton eacutevecircque de Coventry en 1301-1303 avec

mention dadoration diabolique (voir A Beardwood laquo The Trial of Walter Langton bishop of

Lichfield 1307-1312 raquo Transactions of the American Philosophical Society NS 54 p III

Philadelphie 1964

81 Voir J Coste Boniface VIII en procegraves op cit

82 A Rigault Le Procegraves de Guichard eacutevecircque de Troyes 1308-1313 Paris 1896

83 J Favier Un conseiller de Philippe le Bel Enguerrand de Marigny Paris 1963 Il faut

mentionner peu apregraves le procegraves contre le cardinal Francesco Gaetani poursuivi par les cours

royales pour attentat contre le roi son fregravere et deux cardinaux agrave laide dimages magiques

(voir C Langlois laquo Laffaire du cardinal Francesco Gaetani (avril 1316) raquo Revue historique

63 1897 p 56-71)

84 E Albe Autour de Jean XXII op cit

85 R Michel laquo Le procegraves de Mateo et Galeazzo Visconti laccusation de sorcellerie et

dheacutereacutesie Dante et laffaire de lenvoucirctement (1320) raquo Meacutelanges darcheacuteologie et dhistoire

29 1909 p 269-327

86 F Bock laquo I processi di Giovanni XXII contro i Ghibellini delle Marche raquo Bolletino

dellIstituto storico italiano per il Medio Evo 57 1941 p 19-43

24

87 Voir J-M Vidal laquo Le sieur de Parthenay et lInquisition (1323-1325) raquo Bulletin

historique et philologique 1903 p 414-434

88 J-M Vidal Bullaire op cit no 20 p 44 et n

o 76 p 126-127

89 J-M Vidal Bullaire op cit nos

109 et 110 p 167-171

90 J-M Vidal Bullaire op cit no 90 p 144

Alain Boureau

EHESS CRH GAS 54 boulevard Raspail F-75006 Paris

Pour citer cet article

Alain Boureau laquoSatan heacutereacutetique lrsquoinstitution judiciaire de la deacutemonologie sous Jean XXIIraquo

Meacutedieacutevales 44 (2003) httpmedievalesrevuesorgdocument711html

Page 23: Satan hérétique : l’institution judiciaire de la ..._Droit_Canonique/Curiosite/Satan heretique.pdf · e siècle, mais la mutation considérable de procédure qui a assimilé les

23

65 Publieacute par J Rius Serra dans Sancti Raymundi de Penyafort opera omnia t III

Diplomatario (Documentos Vida antigua Cronicas Processos antiguos) Barcelone 1954

p 74-82

66 Cette typologie fut reprise par le pape Alexandre IV une dizaine danneacutees plus tard et

eacutediteacutee par Boniface VIII dans le Sexte (L 5 tit 2 cap 2 6 11 eacuted Friedberg II col 1069

1071 1073) Voir aussi le traiteacute Doctrina de modo procedendi erga hereticos (vers 1280)

dans Martegravene et Durand Thesaurus novus anecdotum t 5 Paris 1717 col 1797 et la

Practica de Bernard Gui (p 226-232)

67 Bien avant la creacuteation de lInquisition le troisiegraveme concile de Latran (1179) avait frappeacute

danathegraveme et priveacute de seacutepulture les defensores et receptatores dheacutereacutetiques (Deacutecreacutetales L 5

tit 7 cap 8 eacuted Friedberg II col 1780)

68 Ibid p 29-32

69 Texte eacutediteacute par J Coste Boniface VIII en procegraves Articles daccusation et deacutepositions de

teacutemoins (1303-1311) Eacutedition critique introduction et notes Rome 1995 p 153

70 Nogaret originaire de Saint-Feacutelix-de-Caraman haut-lieu cathare petit-fils dun ministre

heacutereacutetique avait certainement une bonne connaissance de la perseacutecution de lheacutereacutesie en deacutepit

de sa formation de civiliste

71 Directorium op cit seconde partie question 2

72 Processus op cit p 180

73 E PETERS Inquisition Berkeley 1988

74 R KIECKHEFER laquo The Office of Inquisition and Medieval heresy the Transition from a

Personal to an Institutional Juridiction raquo Journal of Ecclesiastical History 46 1995 p 36-

61

75 Ainsi le pape deacutecida de suspendre le droit dasile dans les eacuteglises au deacutetriment des

heacutereacutetiques mais pas speacutecifiquement des auteurs de sortilegraveges (Lettre au roi de France Philippe

VI en 1328 publieacutee par J-M Vidal Bullaire op cit no 79 p 130-131)

76 Eacuted FRIEDBERG t II col 1078

77 Ibid col 1200

78 Voir la lettre dure que lui adressa le pape Jean XXII le 6 octobre 1332 (J-M Vidal

Bullaire op cit no 124 p 184)

79 Coulon-Cleacutemencet no 4539 fasc 9 p 59-60

80 Lattention precircteacutee agrave Philippe le Bel et agrave Jean XXII ne doit pas faire oublier que ce type

daccusation politico-deacutemonologique est deacutepoque comme le montre dans un tout autre

contexte le procegraves intenteacute agrave Walter Langton eacutevecircque de Coventry en 1301-1303 avec

mention dadoration diabolique (voir A Beardwood laquo The Trial of Walter Langton bishop of

Lichfield 1307-1312 raquo Transactions of the American Philosophical Society NS 54 p III

Philadelphie 1964

81 Voir J Coste Boniface VIII en procegraves op cit

82 A Rigault Le Procegraves de Guichard eacutevecircque de Troyes 1308-1313 Paris 1896

83 J Favier Un conseiller de Philippe le Bel Enguerrand de Marigny Paris 1963 Il faut

mentionner peu apregraves le procegraves contre le cardinal Francesco Gaetani poursuivi par les cours

royales pour attentat contre le roi son fregravere et deux cardinaux agrave laide dimages magiques

(voir C Langlois laquo Laffaire du cardinal Francesco Gaetani (avril 1316) raquo Revue historique

63 1897 p 56-71)

84 E Albe Autour de Jean XXII op cit

85 R Michel laquo Le procegraves de Mateo et Galeazzo Visconti laccusation de sorcellerie et

dheacutereacutesie Dante et laffaire de lenvoucirctement (1320) raquo Meacutelanges darcheacuteologie et dhistoire

29 1909 p 269-327

86 F Bock laquo I processi di Giovanni XXII contro i Ghibellini delle Marche raquo Bolletino

dellIstituto storico italiano per il Medio Evo 57 1941 p 19-43

24

87 Voir J-M Vidal laquo Le sieur de Parthenay et lInquisition (1323-1325) raquo Bulletin

historique et philologique 1903 p 414-434

88 J-M Vidal Bullaire op cit no 20 p 44 et n

o 76 p 126-127

89 J-M Vidal Bullaire op cit nos

109 et 110 p 167-171

90 J-M Vidal Bullaire op cit no 90 p 144

Alain Boureau

EHESS CRH GAS 54 boulevard Raspail F-75006 Paris

Pour citer cet article

Alain Boureau laquoSatan heacutereacutetique lrsquoinstitution judiciaire de la deacutemonologie sous Jean XXIIraquo

Meacutedieacutevales 44 (2003) httpmedievalesrevuesorgdocument711html

Page 24: Satan hérétique : l’institution judiciaire de la ..._Droit_Canonique/Curiosite/Satan heretique.pdf · e siècle, mais la mutation considérable de procédure qui a assimilé les

24

87 Voir J-M Vidal laquo Le sieur de Parthenay et lInquisition (1323-1325) raquo Bulletin

historique et philologique 1903 p 414-434

88 J-M Vidal Bullaire op cit no 20 p 44 et n

o 76 p 126-127

89 J-M Vidal Bullaire op cit nos

109 et 110 p 167-171

90 J-M Vidal Bullaire op cit no 90 p 144

Alain Boureau

EHESS CRH GAS 54 boulevard Raspail F-75006 Paris

Pour citer cet article

Alain Boureau laquoSatan heacutereacutetique lrsquoinstitution judiciaire de la deacutemonologie sous Jean XXIIraquo

Meacutedieacutevales 44 (2003) httpmedievalesrevuesorgdocument711html