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Mots clés : Mémoire épisodique Mémoire sémantique Amnésie Hippocampe Keywords: Episodic memory Semantic memory Amnesia Hippocampus RÉSUMÉ Les relations entre les mémoires sémantique et épisodique font l’objet de vifs débats actuellement et notamment le rôle de l’hippocampe dans le fonctionnement de ces deux systèmes de mémoire. Depuis les théories issues de l’observation du célèbre patient HM, soulignant initialement l’impli- cation de l’hippocampe dans les mémoires épisodique et sémantique, plusieurs études remettent en cause l’intervention de l’hippocampe dans l’apprentissage de nouvelles connaissances sémanti- ques, qu’elles soient langagières, culturelles ou personnelles. Parmi ces études, figurent celles de l’équipe de Vargha-Khadem auprès d’enfants souffrant d’une amnésie dite « développementale ». Malgré l’existence de lésions périnatales incluant les hippocampes, ces enfants ont été capables de se constituer un stock de connaissances comparable à celui des enfants de même âge. Dans cet article, nous rapportons un cas d’amnésie développementale dont le profil est caractéristique de cette pathologie. L’ensemble des données publiées à ce jour remet donc en cause le caractère indispensable de l’hippocampe dans l’acquisition de connaissances sémantiques et suggère l’exis- tence d’une voie néocorticale, plus lente et nécessitant plus d’expositions, qui pourrait suppléer le dysfonctionnement hippocampique. © 2008. Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. ABSTRACT The organization of episodic and semantic memory is currently debated, and especially the rule of the hippocampus in the functioning of these two systems. Since theories derived from the obser- vation of the famous patient HM, that highlighted the involvement of this structure in these two systems, numerous studies questioned the implication of the hippocampus in learning a new seman- tic knowledge. Among these studies, we found Vargha-Kadem’s cases of developmental amnesia. In spite of their clear hippocampal atrophy and a massive impairment of episodic memory, these children were able to acquire de novo new semantic knowledge. In the present paper, we describe a new case of developmental amnesia characteristic of this syndrome. In conclusion, the whole Savoir sans se souvenir : les révélations de l’amnésie développementale Knowing without remembering: the contribution of developmental amnesia C. Lebrun-Givois a , B. Guillery-Girard b , C. Thomas-Anterion a , B. Laurent a,* a Service de Neurologie, hôpital de Bellevue, CHU de Saint Etienne, Boulevard Pasteur, 42055 saint Etienne cedex, France b Inserm-EPHE-Université de Caen/Basse-Normandie, Unité U923, GIP Cyceron, CHU Côte de Nacre, Caen, France * Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (B. Laurent) doi : REVUE NEUROLOGIQUE 164 (2008) S114 - S118

Savoir sans se souvenir : les révélations de l’amnésie développementale

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Mots clés :

Mémoire épisodique

Mémoire sémantique

Amnésie

Hippocampe

Keywords:

Episodic memory

Semantic memory

Amnesia

Hippocampus

R É S u M É

Les relations entre les mémoires sémantique et épisodique font l’objet de vifs débats actuellement

et notamment le rôle de l’hippocampe dans le fonctionnement de ces deux systèmes de mémoire.

Depuis les théories issues de l’observation du célèbre patient HM, soulignant initialement l’impli-

cation de l’hippocampe dans les mémoires épisodique et sémantique, plusieurs études remettent

en cause l’intervention de l’hippocampe dans l’apprentissage de nouvelles connaissances sémanti-

ques, qu’elles soient langagières, culturelles ou personnelles. Parmi ces études, figurent celles de

l’équipe de Vargha-Khadem auprès d’enfants souffrant d’une amnésie dite « développementale ».

Malgré l’existence de lésions périnatales incluant les hippocampes, ces enfants ont été capables

de se constituer un stock de connaissances comparable à celui des enfants de même âge. Dans

cet article, nous rapportons un cas d’amnésie développementale dont le profil est caractéristique

de cette pathologie. L’ensemble des données publiées à ce jour remet donc en cause le caractère

indispensable de l’hippocampe dans l’acquisition de connaissances sémantiques et suggère l’exis-

tence d’une voie néocorticale, plus lente et nécessitant plus d’expositions, qui pourrait suppléer le

dysfonctionnement hippocampique.

© 2008. Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

A B S T R A C T

The organization of episodic and semantic memory is currently debated, and especially the rule of

the hippocampus in the functioning of these two systems. Since theories derived from the obser-

vation of the famous patient HM, that highlighted the involvement of this structure in these two

systems, numerous studies questioned the implication of the hippocampus in learning a new seman-

tic knowledge. Among these studies, we found Vargha-Kadem’s cases of developmental amnesia.

In spite of their clear hippocampal atrophy and a massive impairment of episodic memory, these

children were able to acquire de novo new semantic knowledge. In the present paper, we describe

a new case of developmental amnesia characteristic of this syndrome. In conclusion, the whole

Savoir sans se souvenir : les révélations de l’amnésie développementaleKnowing without remembering: the contribution of developmental amnesiaC. Lebrun-Givoisa, B. Guillery-Girardb, C. Thomas-Anteriona, B. Laurenta,*

aService de Neurologie, hôpital de Bellevue, CHu de Saint Etienne, Boulevard Pasteur, 42055 saint Etienne cedex, France bInserm-EPHE-université de Caen/Basse-Normandie, unité u923, GIP Cyceron, CHu Côte de Nacre, Caen, France

* Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (B. Laurent)

doi :

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published data question the implication of the hippocampus in every semantic learning and suggest

the existence of a neocortical network, slower and that needs more exposures to semantic stimuli

than the hippocampal one, which can supply a massive hippocampal impairment.

© 2008. Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

1. Introduction

Les relations entre mémoires sémantique et épisodique sont complexes (Eustache et Desgranges, 2008). Si leur accès est indépendant dans le modèle SPI de Tulving (1995), la constitution du stock sémantique fait objet de débat : classiquement il s’agit d’une sémantisation d’une information épisodique répétée avec l’intervention temporaire du lobe temporal interne qui permet de construire un réseau de connexion synaptique néo-corticale pour toute nouvelle information. Ce réseau est renforcé par la répé-tition du stimulus, ce qui conduit à sa sémantisation c’est-à-dire à la capacité d’extraire la donnée indépendamment du contexte d’acquisition. Cet accès indépendant du néo-cortex explique que dans les lésions hippocampiques bilatérales, le stock culturel soit conservé. Cette théorie de la sémantisation et du rôle temporaire du lobe temporal interne, issue des travaux de Alvarez et al., (1995) a été contestée par la théorie des traces multiples de Nadel et Moscovitch en 2001 qui propose que le lobe temporal interne intervienne dans l’extraction des souvenirs épisodiques quelle que soit leur ancienneté, en permettant l’évocation du contexte d’acquisition c’est-à-dire une véritable reviviscence de la situation d’apprentissage (état de conscience autonoétique dans le modèle de Tulving). Néanmoins, le caractère indispensable de l’hippo-campe à l’acquisition de nouvelles connaissances, même de façon transitoire, est largement remis en question par Tulving. Cet auteur postule, sans réfuter l’existence d’un processus de sémantisation, que l’encodage en mémoire sémantique ne nécessite pas forcé-ment un passage par la mémoire épisodique. Ainsi, les relations exposées dans le modèle SPI de Tulving autorisent la possibilité de former de nouvelles connaissances sans l’intervention de la mémoire épisodique. L’acquisition sémantique reposerait non pas sur l’hippocampe mais sur les cortex adjacents, c’est-à-dire ento-rhinal et parahippocampique (Tulving et Markowitsch, 1998). Ce point de vue est également supporté par Aggleton et Brown (1999) qui soulignent le rôle d’un système incluant les cortex périrhinal, parahippocampique et entorhinal associés avec le noyau dorsomé-dian du thalamus dans les jugements de familiarité sous-tendus par la mémoire sémantique.

Le modèle classique du fonctionnement hippocampique est issu de tous les travaux consacrés au cas HM depuis l’année 1953 où Scoville procéda à l’ablation de ses deux hippocampes : le rappel à court terme reste possible mais il n’existe aucune consolidation. La plupart des travaux consacrés à HM relate les mémoires implicites conservées qui contrastent avec l’oubli à mesure « déclaratif » de HM (Corkin, 2002) : ces mémoires concernent des apprentissages sensorimoteurs, la possibilité d’amorçages perceptifs, voire la reconnaissance visuelle en choix forcé probablement liée à la conservation de la partie postérieure du cortex entorhinal et para hippocampique droit. Mais ces performances ne sont jugées que sur les comportements d’HM et jamais sur une authentique réminiscence consciente. Ce profil confortait l’idée d’apprentissages implicites

par conservation des noyaux gris centraux et du néo-cortex sensoriel avec une incapacité d’acquérir de nouveaux souvenirs épisodiques ou des concepts sémantiques sans intervention de l’hippocampe. En effet pendant longtemps, aucun travaux n’a pu montrer qu’HM était capable d’acquérir de nouvelles connaissances sémantiques : noms des personnages célèbres, mots apparus récemment dans le vocabulaire (Gabrieli et al., 1988 ; Wilson et Baddeley, 1988 pour un cas similaire). Des études plus récentes viennent réalimenter le débat sur la dualité mémoire épisodique/sémantique en montrant que HM peut apprendre des connaissances sémantiques (O’Kane et al., 2004), et ce d’autant mieux que ces connaissances peuvent être reliées à des représentations mentales pré-morbides (Skokto et al, 2004). Le rôle de l’hippocampe a été discuté dans une autre étude mettant en avant une perturbation des connaissances sémantiques post-morbides, à la fois des événements et des personnes célè-bres, acquises de façon naturelle par le biais d’interactions avec l’environnement chez 6 patients dont les lésions étaient restreintes à l’hippocampe (Manns et al., 2003). Ces difficultés d’acquisition de connaissances relatives à des personnes célèbres ont également été rapportées par Rempel-Clower et al. (1996) et Mc Carthy et al. (2005). Ces derniers ont observé des difficultés disproportionnées dans l’acquisition des connaissances célèbres par rapport à un nouveau vocabulaire suggérant que ces premières seraient plus dépendantes du contexte épisodique d’encodage. Quoiqu’il en soit, les performances étaient au dessus du seuil du hasard (Kitchener et al., 1998) et les patients possédaient suffisamment d’informa-tions pour réaliser des jugements de familiarité sur ces personnes célèbres (Mc Carthy et al., 2005). un autre type de connaissances peu étudiées concerne les connaissances personnelles. Alors que le patient amnésique, KC, semblait être capable de former suffisam-ment de connaissances pour avoir un sentiment de familiarité avec sa famille et ses proches (Rosenbaum et al., 2005), le patient décrit par Kitchener et al. (1998) ayant des lésions hippocampiques, n’était pas capable de répondre à des questions relatives à des individus proches. Toutefois, d’autres investigations sont nécessaires pour conclure sur l’état des connaissances sémantiques personnelles dans le syndrome amnésique permanent.

D’autres études ont proposé des évaluations prospectives au moyen de protocoles expérimentaux contrôlés, démontrant la possibilité d’acquérir de nouvelles connaissances grâce à l’utili-sation de certains facteurs méthodologiques : la répétition, la signification du matériel et l’adéquation avec les connaissances pré-morbides, la modalité de présentation, la technique d’es-tompage (Hirst et al., 1988 ; Tulving, 2002 ; Tulving et al., 1991). Tulving et Hayman précisent que dans ces conditions, KC a réussi à acquérir de nouvelles phrases et des mots inconnus (Rosenbaum et al., 2005). Ces auteurs ajoutent que l’interférence résultant de la production d’erreurs diminuait avec le niveau d’acquisition. Sur la base de ces résultats, Baddeley et Wilson (1994) ont proposé la méthode « d’apprentissage sans erreur », qui consiste à fournir la réponse correcte au lieu de laisser le patient deviner et faire potentiellement une erreur qui va interférer avec l’apprentissage.

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L’utilisation de ces techniques a même permis à un patient amnési-que d’acquérir un vocabulaire de qualité comparable à celui acquis avant l’amnésie (Van der Linden et al., 2001). Ces données sont en accord avec celles de Verfaellie et al. (2000) obtenues chez un patient souffrant d’une atrophie bihippocampique sans lésion parahippocampique.

Néanmoins, l’acquisition de nouvelles connaissances séman-tiques dans l’amnésie d’origine hippocampique demeure sujet à débat : si on peut observer un apprentissage de connaissances sémantiques chez des sujets adultes présentant une lésion bila-térale du lobe temporal, cet apprentissage reste très insuffisant : les connaissances sont acquises plus lentement, sont moins nom-breuses et moins flexibles que celles de sujets indemnes de lésion (Bayley et Squire, 2005).

La contribution de l’équipe de Vargha-Khadem (1997, 2003) est déterminante dans l’explicitation du rôle de l’hippocampe dans cette dualité des mémoires déclaratives (sémantique versus épiso-dique) en étudiant des enfants capables d’acquérir un stock culturel alors qu’ils ont des lésions périnatales sévères des hippocampes : une amnésie épisodique sévère n’interdit pas l’apprentissage culturel. Ceci change notablement la conception que l’on avait de l’hippocampe, même si le phénomène décrit chez ces enfants pose la question d’une plasticité qui n’existerait plus chez l’adulte. Les résultats de cette équipe ont été corroborés par deux études plus récentes d’amnésie chez l’enfant, un cas d’encéphalopathie survenue à l’âge de 6 ans (Brizzolara et al., 2003) et un cas d’am-nésie d’origine tumorale survenue à l’âge de 3 ans (Vicari et al., 2007). L’observation d’un cas d’amnésie développementale décrite dans le paragraphe suivant illustre parfaitement cette dissociation épisodique/sémantique.

2. Observation d’un cas d’amnésie développementale

un garçon de 12 ans (PC) a été victime d’une anoxie post-natale par rupture diaphragmatique avec un arrêt respiratoire de 6 minutes avant la réanimation. PC a depuis un développement apparemment normal et suit une scolarité correcte sans retard. Par contre, sa famille et quelques uns de ses professeurs ont été surpris de le voir poser souvent les mêmes questions, de ne pouvoir raconter les événements de la veille, des dernières vacances et ce comporte-ment a été le plus souvent jugé comme témoin d’inattention, de manque de participation… De multiples épisodes racontés par sa mère confirment qu’il a acquis des faits généraux sur sa biographie tout en n’ayant aucune précision contextuelle et description précise d’événements uniques : il sait qu’il s’est blessé mais ne peut pas raconter les circonstances ; il avait reçu un billet pour un match de foot comme cadeau d’anniversaire et quinze jours plus tard, il ne savait pas s’il avait assisté au match dont-il connaissait le résultat car celui-ci lui avait été répété plusieurs fois autour de lui ; très amateur et performant au football, il sait qu’il doit jouer un match important contre une équipe mais ignore s’il l’a joué ou doit le jouer. Il doit répéter beaucoup ses leçons mais sa mère a remarqué qu’il ne tirait aucun bénéfice d’une révision le matin même. Seul comptait le nombre des répétitions antérieures. Pour certains apprentissages comme l’heure, sa mère avait renoncé mais à sa grande surprise elle a constaté qu’il avait appris tout seul. Lorsqu’il apprend une information de façon erronée, il est très

difficile de le corriger comme s’il restait figé dans l’erreur initiale. Pourtant, malgré ses difficultés d’apprentissage il suit avec intérêt l’histoire, la géographie, l’anglais et son stock de connaissances sémantiques est normal puisqu’il n’a aucun retard scolaire. L’IRM est normale tout au plus peut-on discuter d’une petite atrophie de l’hippocampe gauche, par contre le PET-FDG montre un hypo-méta-bolisme très net des deux régions hippocampiques et également de la région temporale externe gauche ainsi que le pole temporal gauche. Le bilan neuropsychologique réalisé en 2007 a montré une efficience intellectuelle globale normale, avec un QI total à 108. La mémoire à court terme et la mémoire de travail étaient excellen-tes et les performances aux subtests verbaux du test d’intelligence de Wechsler sont dans la moyenne de celles des enfants de son âge (indice de compréhension verbale de 103), montrant que sa mémoire sémantique était satisfaisante pour son âge. Les praxies constructives (copie de la figure complexe de Rey) et les fonctions exécutives étaient également préservées. Ces données contrastent avec les troubles de la mémoire épisodique décrits par l’entourage de l’enfant qui ont été confirmés par les résultats obtenus par PC sur plusieurs épreuves, que ce soit en modalité verbale ou visuelle. Le rappel de la figure complexe de Rey après un délai de rétention de cinq minutes était très perturbé (Fig. 1). L’apprentissage d’une

Fig. 1 – Résultats de PC obtenus à la figure de Rey, en copie (A) et en reproduction de mémoire cinq minutes plus tard (B).Results of PC : Rey’s copy (A) and reproduction after 5 minutes of delay (B).

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liste de seize mots, avec contrôle de l’encodage sémantique des mots au départ (Epreuve de Grober et Buschke adaptée aux enfants) a mis en évidence des difficultés d’apprentissage et de consolidation des mots. On retrouvait ces difficultés de mémoire épisodique sur un test plus écologique, le Rivermead behavioural Memory Test (score de 4/12). Enfin, l’évaluation des différentes composantes de la mémoire épisodique, c’est-à-dire le temps, l’espace et le fait, évaluées avec le test de Picard et al. (2007) met en évidence un déficit massif dans les trois composantes avec une aide significative de l’indiçage. Par ailleurs, les difficultés de PC semblaient être plus prononcées pour la composante temporelle du souvenir par rapport au contexte spatial. Toutefois, PC a obtenu des performances normales à l’épreuve de reconnaissance visuelle du DMS-48 (Barbeau et al., 2004) même après un délai de rétention de 7 jours. Ces performances sont tout à fait en accord avec les résultats obtenus par Jon, un patient décrit par l’équipe de Var-gha-Khadem. Enfin, la mémoire autobiographique de PC évaluée en adaptant deux tests normalement réalisés chez l’adulte (le questionnaire semi-structuré Autobiographical Memory Interview (AMI) de Kopelman et le test des mots indices) était déficitaire. Au questionnaire AMI, PC rapportait assez bien les éléments répétés (noms des professeurs, noms des amis, adresse) de sa biographie (sémantique personnelle), avec un pourcentage de réponses à 85 %. En revanche, il ne redonnait quasiment aucun souvenir épisodique, au sens autonoétique (17 % de rappel épisodique). un enfant de même âge obtenait respectivement 94 % et 73 % de rappel pour les parties sémantique et épisodique du test. On retrouvait cette difficulté de PC pour évoquer des souvenirs épisodiques au test des mots indices : les réponses étaient vagues, sans référence au contexte spatial ou temporel, peu détaillées ou génériques car répétées. Par exemple, au mot « TOMBER », PC fournissait comme réponse : « Quand je jouais au foot en poussin, papa disait que j’étais toujours par terre ».

3. Rôle de l’hippocampe dans l’apprentissage épisodique et sémantique

L’ensemble de ces données démontre bien que ces enfants, y com-pris PC, stockent des connaissances nouvelles assez rapidement avec leur répétition mais de façon figée avec peu de possibilité de correction en cas d’erreur. Ces connaissances peuvent être acqui-ses de façon naturelle, via la répétition, mais aussi en utilisant les méthodes issues de l’adulte permettant une analyse cognitive de la dynamique d’apprentissage dans une perspective rééducative (Martins et al, 2006 ; Guillery-Girard et al, 2004). La préservation de la mémoire sémantique permet de réaliser certaines tâches qualifiées de « épisodiques » telle que la reconnaissance d’items. En effet, PC obtient des performances optimales à l’épreuve de reconnaissance visuelle d’items (DMS-48) alors qu’il n’a aucun souvenir de la pièce où il l’a passée ni de la psychologue qui lui a fait passer le test, il ne se rappelle pas non plus qu’il avait été très intéressé au cours du test par la pose d’un hélicoptère sur le toit des urgences… Ceci explique qu’à toutes questions posées, il répond de façon plausible sémantiquement : par exemple si on lui demande ce qu’il fait ce jeudi après-midi il répond « je joue au football et j’ai un cours de géographie » y compris si la veille il y a eu annulation de l’activité. Ceci explique également qu’il ait été souvent traité de menteur, alors qu’il ne répondait qu’en

fonction de ses connaissances générales. De même, toute une série de travaux démontre clairement que les performances de Jon, décrit par Vargha-Kadhem, à des tâches de reconnaissance ou de rappel indicé dépendent du degré de mobilisation de la mémoire sémantique (Baddeley et al., 2001 ; Brandt et al., 2006). Toutefois, bien que suffisante pour réaliser ces tâches, la mémoire sémanti-que ne permet pas la création de traces multimodales intégrant les relations entre les éléments constitutifs de l’événement et à l’origine du sentiment de reviviscence ou conscience autonoéti-que caractéristique de la mémoire épisodique. Quelles sont les répercussions d’un tel déficit sur la méta-mémoire de ces enfants. PC n’a pas de plainte spontanée mais il se sent concerné, un peu inquiet et très souvent il demande s’il a juste ou faux lorsqu’il répond à une question sur les événements récents. Il est difficile de savoir s’il a une vraie prise de conscience de son déficit épisodique puisque n’ayant jamais eu une mémoire normale. Il lui est difficile de comprendre l’étendue de la mémoire de ses camarades ou même la notion d’un fait unique revécu de façon détaillée dans la précision contextuelle de l’apprentissage.

Ces observations illustrent le fait que l’acquisition de nouvelles traces sémantiques peut se dérouler indépendamment de la mémoire épisodique (Guillery-Girard et al., 2004). L’hippocampe n’est donc pas indispensable chez l’enfant à l’acquisition d’un stock culturel et aux connaissances autobiographiques de type sémantique. Dans ce dernier cas, une voie lente qui nécessite de multiples expositions aux stimuli et dépendante du néocortex serait suffisante (Holdstock et al. 2002 ; Maguire et Frith 2004). Le travail récent de neuro-imagerie fonctionnelle centré sur la mémoire autobiographique, réalisé auprès d’un groupe de patients présentant une épilepsie temporale gauche dont la durée était en moyenne de 17 ans est particulièrement instructif (Addis et al., 2007). Contrairement aux témoins, le réseau sous-tendant le rappel autobiographique chez les patients implique très peu l’hippocampe (controlatéral à la lésion). En revanche, une activation des régions orbito frontales et cingulaires postérieures est observée de la même façon que chez les témoins. Probablement du fait de l’ancienneté de la lésion et de la plasticité cérébrale, ils sont capables d’activer le réseau néocortical médian indépendamment de l’hippocampe permettant ainsi le rappel d’événements autobio-graphiques mais de moindre qualité par rapport aux témoins. Ce renforcement des connexions extrahippocampiques, entre le cortex retrosplénial et préfrontal médian avait déjà été observé chez Jon (Maguire et al., 2001).

Donc plutôt que le concept d’une structure hippocampique nécessaire à tout encodage d’informations nouvelles épisodiques ou sémantiques avec la possibilité de sémantiser la donnée au bout d’un certain nombre d’années, comme le proposait le modèle de Alvarez et al., (1995) issu de l’étude de HM, la nouvelle perspective est que l’hippocampe permet de lier un nouveau stimulus et son contexte d’apprentissage (temporel, spatial, source…).

Puisque le classement temporel est particulièrement dépen-dant des structures hippocampiques et qu’il est évidemment crucial pour le fil de l’autobiographie, comment peut-on construire une conscience de soi avec une autobiographie aussi déficitaire ? C’est le lien que proposent plusieurs auteurs entre le self et la construction autobiographique. Paul Ricœur postule que le récit autobiographique construit l’identité narrative et que l’histoire fabrique le personnage dans cette construction successive des événements autobiographiques. La question est donc de savoir comment peut-on se construire « un self » avec un tel déficit

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épisodique et une connaissance de soi aussi « sémantisée » et peu adaptative, faite d’expériences accumulées mais télescopées dans le temps. Ce qui pour le moment ne semble pas avoir de retentisse-ment psychologique chez PC parfaitement inséré restera-t-il ainsi dans sa vie adulte ?

Conflits d’intérêt :Mme Lebrun-Grivois, Mme Thomas-Anthérion et B. Guillery-

Girard n’ont déclaré aucun conflit d’intérêt.B. Laurent n’a pas transmis leurs conflits d’intérêt.

RéféRenCeS

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