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SCHÉMAS ET MOTIFS EN SÉMANTIQUE PRÉPOSITIONNELLE : VERS UNE DESCRIPTION RENOUVELÉE DES PRÉPOSITIONS DITES « SPATIALES » Pierre Cadiot De Boeck Université | Travaux de linguistique 2002/1 - no44 pages 9 à 24 ISSN 0082-6049 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-travaux-de-linguistique-2002-1-page-9.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Cadiot Pierre , « Schémas et motifs en sémantique prépositionnelle : vers une description renouvelée des prépositions dites « spatiales » » , Travaux de linguistique, 2002/1 no44, p. 9-24. DOI : 10.3917/tl.044.0009 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour De Boeck Université. © De Boeck Université. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. 1 / 1 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 86.70.44.244 - 11/10/2011 21h14. © De Boeck Université Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 86.70.44.244 - 11/10/2011 21h14. © De Boeck Université

Schémas et motifs en sémantique prépositionnelle : vers une description renouvelée des prépositions dites « spatiales

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SCHÉMAS ET MOTIFS EN SÉMANTIQUE PRÉPOSITIONNELLE : VERSUNE DESCRIPTION RENOUVELÉE DES PRÉPOSITIONS DITES «SPATIALES » Pierre Cadiot De Boeck Université | Travaux de linguistique 2002/1 - no44pages 9 à 24

ISSN 0082-6049

Article disponible en ligne à l'adresse:

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-travaux-de-linguistique-2002-1-page-9.htm

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Pour citer cet article :

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Cadiot Pierre , « Schémas et motifs en sémantique prépositionnelle : vers une description renouvelée des prépositions

dites « spatiales » » ,

Travaux de linguistique, 2002/1 no44, p. 9-24. DOI : 10.3917/tl.044.0009

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Sémantique et pragmatiquede la préposition

SCHÉMAS ET MOTIFS EN SÉMANTIQUEPRÉPOSITIONNELLE :

VERS UNE DESCRIPTION RENOUVELÉEDES PRÉPOSITIONS DITES « SPATIALES »

Pierre CADIOT*

Paris VIII, Lattice

J’entends revenir ici brièvement sur l’idée déjà exposée dans destravaux antérieurs (Cadiot 1997, 1999, Visetti & Cadiot 2000, Cadiot &Visetti, 20011) selon laquelle l’approche de la sémantique prépositionnellequi alloue un statut privilégié à un sens spatial-configurationnel, volontiersidentifié avec le sens littéral ou premier ainsi opposé aux sens dérivés ouseconds (e.g. récemment Lindstromberg 1997), n’est pas aussi convaincantequ’il y paraît. Peut-être doit on aller jusqu’à dire que c’est son évidence« externe », psychologique, qui la condamne comme explication interne.

1.1. Sur un plan cognitif, la référence à l’espace vu oublie lesenseignements de la théorie de la Gestalt (ou encore de la phénoménologie

* Ad. pers. : 74, rue d’Hauteville – 75010. Paris (France) – Tél. 00 33 (0)1 48 00 84 75– Ad. prof. : E.N.S., – 1, rue Maurice Arnoux – 92120 Montrouge (France) –e-mail : [email protected].

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de la perception) qui souligne à l’inverse l’idée que les objets sont desproduits de l’activité subjective, ou encore des corrélats liés à l’explorationpar le sujet d’un « espace » d’abord autocentrique et qualitatif. Dans laconception dominante (notamment du côté des linguistiques et despsycholinguistiques dites « cognitives », mais aussi dans la grammairescolaire) d’un espace déjà acquis, réduit aux dimensions d’un simple contour,où le sujet n’aurait plus qu’à regarder et, autant dire, à traduirelinguistiquement des positions et des déplacements entre entités détachéeset disponibles a priori, il s’est opéré subrepticement un déplacement versun angle de vue externe, celui d’un observateur placé à une distanceappropriée, où l’expérience du corps propre est neutralisée. C’est ainsi que,par exemple, l’enfant qui se réfugie dans les bras de sa mère, loin d’effectuerun mouvement vertical – comme on peut en effet le « voir » en tantqu’observateur à distance – fait plutôt l’expérience d’une rupture, d’unresserrement, d’une sorte d’enfouissement et de recherche de douceur, d’unabandon (au double sens – quasi-contradictoire et complémentaire – duterme !). Notre hypothèse de base est donc tout simplement que la langue –et en l’espèce, les prépositions – avant de contribuer à l’inscription dansquelque espace neutralisé, traduit ces expériences dans leurs dimensionssynesthésiques et qualitatives. Ainsi est il révélateur qu’en anglais la notionde « containment », trop facilement réduite à sa version configurationnelle(contenant/contenu), soit en réalité beaucoup plus riche et inséparable dequelque valeur, plus dynamique, de « force », mais aussi, plus subjective,de contrainte ou de (re)tenue. De même, la particule anglaise « up » est unmarqueur aspectuel (d’achèvement) avant d’indiquer la verticalité, etc.

1.2. Sur un plan linguistique, l’assimilation du système des prépositionsavec un schéma spatial se heurte au fait évident que les prépositions ne sontqu’un véhicule parmi bien d’autres des repérages spatiaux, statiques etdynamiques. Bien sûr adverbes, verbes, particules, classifieurs, etc. sontaussi porteurs d’indications spatiales. Les « prépositions » dans bien deslangues sont très génériques. Ainsi de ZAI en chinois qui a une valeurfonctionnelle (existentielle et/ou locative) très générique qui se combineavec des instructions bien plus précises d’adverbes et/ou classifieurs. Il està peine nécessaire d’insister sur la grande généricité de bien des prépositionsà travers les langues. Bien des langues ne connaissent pas une différence detype sur/dans, par exemple, ne serait-ce que l’espagnol. Pour d’autres, ladifférence entre le lieu (réponse à la question où ? ) et l’événement (réponseà la question quoi ? ) n’a pas de pertinence. Ainsi en Palikur, une languearawak parlée au Brésil et en Guyane, les expressions « inuewu », « ukuni »et « inugik » désignent des ciels différents, jamais conçus comme descontenants2. « Inuewu « réfère à un ciel qui se confond avec des mouvements

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réguliers (soleil, pluie, étoiles, essaims d’oiseaux ou d’insectes) ; « ukuni »évoque un ciel « bas », voire menaçant (nuages épais); « inugik » met enprésence un ciel ouvert, peuplé du mouvement d’oiseaux ou d’avions quittantle champ de la perception ordinaire pour s’évanouir dans le lointain (ducoup, « inugik » sert aussi à parler de Dieu).

2. Pour une typologie des prépositions spatialesen français

2.1. C’est une longue tradition, comme je viens de le rappeler, dans ladescription des langues indo-européennes que de projeter la sémantiquedes prépositions dans un espace géométrique, peu ou prou euclidien. On ytrouve des points, des lignes, des plans, des volumes, des positions, desprincipes kinestésiques (repères, orientations, déplacements, cibles et sites),mais aussi des points de vue (déictiques, intrinsèques), des complémentarités,des antonymies, des « grains » variés. Sans prétendre ni bien sûr que cetteoption soit vaine, ni que notre effort pour l’élargir soit entièrement neuf (jepense par exemple aux travaux de C. Vandeloise qui mettent l’accent sur ladimension plus fonctionnelle des repérages spatiaux), il me paraît essentield’aller plus loin en insistant sur le fait que les emplois des prépositionsspatiales sont conditionnés par des valeurs tout autres queconfigurationnelles : des valeurs ayant notamment trait à « l’intériorité », à« l’expressivité », au « programme interne » des entités-procès qu’ellesrelient dans l’expérience du sujet. La sémantique prépositionnelle me paraîtd’abord déterminée par des valeurs renvoyant à la dépendance, au contrôle,à l’appropriation réciproque, à l’anticipation et à l’attente, même s’il leurarrive aussi de s’effacer au profit de critères configurationnels, voirestrictement géométriques. Loin de considérer, comme on le fait le plussouvent, les valeurs aspectuelles, subjectives et qualitatives comme dessuppléments que la reconstruction linguistique devrait dériver dans undeuxième temps, il nous paraît qu’il faut les inscrire au cœur des « motifs »les plus originels attribués aux prépositions. Ces valeurs ne sont donc pasdes valeurs lexicales, pragmatiques, stylistiques ou discursives, excédant lenoyau grammatical de la langue : ce sont bien des valeurs grammaticales,c’est-à-dire des valeurs très génériques et indispensables, systématiquementet obligatoirement remises en jeu, « retravaillées » par chaque emploi. Ellesse réalisent suivant des « profils » divers, dans des emplois dits abstraitsaussi bien que concrets : donc en particulier en vue d’emplois spatiaux ouphysiques (repérant par exemple des localisations, ou des interactions detype forces) qui ne présentent à cet égard aucun privilège particulier,fondationnel ou autre, contrairement à ce qu’avancent Talmy (cf. notammentTalmy, 2000) ou même Vandeloise (notamment 1999). Enfin, certaines de

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ces valeurs débordent tout cadre qu’il serait légitime d’appeler schématiquedepuis Kant. Notamment (contra Langacker, 1987), les trois valeurstopologiques (donc schématiques) de l’inclusion (dans, entre, au milieu de,parmi), du contact entendu au sens de simple jonction (sur, contre, le longde) et de la proximité (vers, près de, par, en face de, au dessus de) sont, bienque fondamentales3, insuffisantes à exprimer le « motif » grammatical dequelque préposition que ce soit : sauf à enchevêtrer d’emblée ces valeurstopologiques à d’autres qui s’y expriment solidairement, et spécifiquementpour chaque préposition.

Les remarques qui suivent ne prétendent offrir aucune synthèse, nimême un résumé équilibré. Nous cherchons tout juste à mettre en exerguequelque faits caractéristiques. On examinera ainsi, en revenant sur destravaux plus anciens (notamment Cadiot 1999 et Cadiot & Visetti 2001)quelques prépositions impliquées dans l’expression grammaticale del’espace, en allant de celles qui passent pour les plus configurationnelles(sur, sous, dans), à d’autres qui le seraient moins (chez, en, par).

2.2. Le cas de SUR

Cette préposition sert notamment à construire :

(a) Une « région SUR » construite au niveau du prédicat ETRE SUR(construction d’un site déclenchée par la connexité [prép + nom-régime] ; localisation du nom sujet, et mise en contact via le prédicat):

[1] le livre est sur la table

Dans d’autres cas, la « région SUR » n’est qualifiée comme telle qu’à traversle cadre global de l’énoncé, qui permet justement une requalification desanticipations lexico-syntaxiques. Ainsi on dira :

[2] Pierre s’est écroulé dans un fauteuil[3] Pierre a posé (timidement) une fesse sur le fauteuil

Le motif « contact » est induit/permis par le prédicat. Au contraire d’unetable ou d’un trottoir, un fauteuil n’est pas a priori agréé comme argumentdu prédicat ETRE SUR. La requalification est favorisée par la référencespécifique (article LE plutôt que UN).

(b)Une zone construite comme cadre pour ce qui se passe dans la régionSUR. Par rapport à (a), les possibilités de jeu entre contact etlocalisation s’élargissent :

[4] les enfants jouent sur le trottoir

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Toutefois, il y a encore coïncidence simple entre une notion topologique etune localisation univoque dans l’espace thématisé : mais cette coïncidenceest complexifiée, comme dans bien d’autres emplois avec implicationspatiale. Par exemple, le syntagme prépositionnel peut ne pas localiser lesujet de l’énoncé :

[5] Pierre joue avec sa poupée sur la table[6] Pierre a vu un chat sur le balcon.

Rien n’indique que le référent de « Pierre » soit localisé par la « régionSUR » (sur la table, sur le balcon). Une situation opposée est mêmesensiblement plus vraisemblable. Revenant à l’exemple [4], on notera surtoutque la valeur du trottoir est tout autant fonctionnelle que localisatrice, etqu’à travers la mise en contact opérée par SUR s’opère une requalificationdu jeu dans son rapport à cette zone.

(c) La « région SUR » n’a plus de limites spatiales déterminées au niveauetic (au sens de Pike, c’est-à-dire dans l’extériorité, en tant qu’ellepeut être linguistiquement marquée) dans des exemples comme :

[7] Pierre travaille sur Paris (= son activité professionnelle est localisablepar Paris)

[8] Pierre est représentant sur la région Nord.

L’instruction topologique de contact est intégralement conservée au niveauemic (toujours au sens de Pike, c’est-à-dire dans l’intériorité de l’activité deconstruction linguistique), mais elle est investie dans la construction d’entitésrelevant d’espaces « fonctionnels » (zones spécifiées dans le domaine duprédicat), et non d’espaces physiques.

(d) Le motif du « contact », que l’on pouvait encore croire simplementtopologique sur la base des exemples précédents, se requalifie pourtantaisément en induisant de nouveaux effets interprétatifs pour lesquelsles inférences spatiales sont de plus en plus évanescentes, et semontrent inséparables de modulations temporelles et qualitatives(Dendale & De Mulder, 1997, à qui les exemples qui suivent sontempruntés) :

– support (poids, imminence) :

[9] Une menace plane sur la ville

– fondement («assise») :

[10] Juger les gens sur la mine[11] Il a été condamné sur de faux témoignages

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– recouvrement :

[12] la nappe est sur la table

– objectif (point de visée, structurellement temporel) :

[13] marcher sur Rome[14] poser/fixer/laisser... son regard sur quelqu’un

– visibilité, accès immédiat (par opposition à l’inclusion, qui signifieraitdépendance, interposition d’un bord ou d’un écran) :

[15] Il y a un trou sur ta manche.

Les points (c) et (d) trouvent un prolongement immédiat dans les emploisdéfinitivement «non spatiaux», comme :

[16] l’impôt sur le revenu[17] agir sur ordre, partir sur un coup de tête[18] Pierre travaille sur cette question depuis longtemps

Ou encore :

[19] Sur cette question, Pierre n’a plus rien à dire depuis longtemps

où le motif du contact se trouve investi dans un zonage thématique, qui netrouve à se spécifier que dans le domaine ouvert par le prédicat ou l’argumentnominal introducteur.

Rappelons également les emplois temporels différentiellementspécifiables (Franckel & Paillard, 1998), qui se profilent encore à partir dumotif de « contact » :

[20] Sur ce, il disparut à jamais (« enchaînement »)[21] Pierre est sur le départ (« imminence »)[22] Des gelées ont eu lieu sur le matin (TLF, cité in Dendale & De Mulder,

1997) (« approximation, survenue »)[23] Il faut agir sur le champ.

Enfin, citons des cas limite comme compter sur ses amis, miser sur le boncheval, où la préposition se requalifie comme marqueur rectionnel, sanspour autant que soit entièrement effacée une certaine valeur « d’appui »,que nous pouvons toujours considérer comme une modulation du motiforiginel, tel que nous cherchons à le cerner.

A nos yeux, ces exemples n’invalident pas seulement les explicationsen termes de spatialité ou de physicalité. Ils fragilisent également lesexplications en termes de schématisme topologique « abstrait », quiparaissent souvent artificielles, et réclament en tout état de cause des

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remaniements qui font douter de leur qualité d’invariant. Surtout ce type deschématisme diffère l’explication, et de fait n’explique pas, que ce soienttelles valeurs spécifiques, et non d’autres, qui soient alors induites (parinteraction avec le matériel lexical environnant, dit-on alors). Il manque icila possibilité, non pas tant d’expliquer (cela ne relève pas de la seulelinguistique), mais d’abord de reconnaître l’affinité de ces différentes valeurs,telle qu’elle est constituée par les motifs grammaticaux qui les unifient.

Ainsi l’instruction topologique, même purement configurationnelleet déspatialisée (c’est-à-dire déliée de l’espace perçu), paraît céder le pasdevant un principe plus ouvert et plus riche de définition-délimitation dedeux « segments » ou « phases » par le biais de leur « mise en contact ». Ala différence des figures souvent invoquées de « surface » (notiongéométrique), voire même de « hauteur » (Weinrich 1989: 379), déjà bientrop spécifiques, ce motif de la « mise en contact » aurait le même statutque celui de « coalescence » dans le cas de en ou de « médianité » dans lecas de par (cf. infra). Il est évidemment bien difficile de l’expliciter : endeçà ou au delà de sa valeur pleinement dynamique, il comporte bien lapossibilité d’un acquis statique qui en est comme un effet de bord ou unevariante stabilisée (localisation, assise, support) ; mais il estfondamentalement un motif aspectuel et « intentionnel » de visée etd’approche, en même temps qu’un motif d’exploitation, de valorisation ducontact par un certain « travail » (appui, rebond, perlaboration entre les deux« phases » qui restent cependant extérieures l’une à l’autre) : d’où les valeursd’objectif, d’imminence, d’atteinte, d’incidence, d’enchaînement. Sonexpression configurationnelle, lorsqu’elle est pleinement déployée, comportesans doute un repérage « axial » de la dynamique d’élan, un autre repérage« transversal » pour la zone de contact, et l’extériorité maintenue des deux« phases » ainsi délimitées (si la zone de contact est bien la frontièretopologique de la zone d’accès, elle n’est pourtant pas appropriée commeson bord, mais lui reste « extérieure » : d’où la tension paradoxale aveccertaines réalisations thématiques comme dans Max dort sur le dos). Il vade soi que les termes mobilisés par ce travail d’explicitation (« support »,« visée », « élan »…) sont à prendre avec toute l’ouverture de sens possible,leur polysémie restant ici suspendue, et surtout pas résolue (il ne s’agitdéfinitivement pas d’un métalangage !). A titre de comparaison, et sansvouloir suggérer par là une simple symétrie, examinons maintenant

2.3. Le cas de SOUS

Il existe également une « région SOUS », construite par le prédicat « ÊTRESOUS X », mais plus souple et déformable que dans le cas de SUR. Cettedéformabilité est sensible dans cette série d’exemples :

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[24] Jean est sous l’arbreJean est dans la zone projetée au sol par le feuillage et/ou la ramée del’arbre[25] Le cercueil est sous l’arbreLe cercueil est dans la terre dans une zone approximativementdélimitée par l’arbre4

[26] Vingt mille lieux sous les mers« Les mers » sont profilées comme surface (et en même tempsthématisées comme la région intérieure ainsi délimitée).

On peut pointer cinq types expérientiels en ressemblance de famille :

– position basse : sous l’armoire, sous les nuages ;– couverture/protection : sous la couette ; (objet enfoui) sous la neige ;

sous une même formule ;– exposition : sous la pluie ; (marcher) sous la neige ; sous les regards ;

sous les bombes ; sous la menace ;– inaccessibilité : sous terre ; sous le sceau du secret ;– dans la dépendance d’un état externe : sous surveillance ; sous

influence, sous la contrainte ; sous garantie5.

Ces effets résultent d’un co-ajustement aux valeurs prises par les régimesde la préposition, et dans certains cas par l’élément introducteur (cf.l’exemple de la neige). Ensemble, ils évoquent les notions de couverture,de protection, d’inaccessibilité, d’exposition et de dépendance, à des degrésd’explicitation variables. Peut-on proposer, bien en deçà des valeursdirectement spatiales ou physiques, un motif qui anticipe suffisamment surtous ces exemples, et fonde leur affinité ? Parmi les notions évoquées,certaines se situent conceptuellement près d’un pôle topologique-schématique (surfaçage construit à partir du régime de la préposition, etdégagement d’un espace intérieur à partir de cette frontière) ; d’autres plusprès d’un pôle que nous avons qualifié d’instructionnel (Cadiot 1999) : cedeuxième pôle regroupe des valeurs dynamiques, aspectualisées par uneperspective quasi-praxéologique (pas de dynamique de sortie, ouverturebloquée), elle-même indexée sur l’ambivalence de la situation (couverturevs exposition). Articulant ces deux pôles, la frontière, qui reste séparée del’espace intérieur, est bien l’expression configurationnelle du blocage et deson ambivalence. Comme dans le cas de SUR, ce motif complexe serencontre diversement profilé et stabilisé : par valorisation, spécification,ou au contraire inhibition, retrait, « aspectualisation » de telle ou telle desvaleurs qu’il unifie.

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2.4. Le cas de CONTRE

Notons pour commencer les quatre types expérientiels suivants :

– proximité avec contact : être assis contre un mur, ci-contre, tout contre– opposition (conflit) : être contre le mur de Berlin, contrarier, contre

toute attente– échange : troquer sa vieille bagnole contre une mobylette– proportion (comparaison) : vingt films médiocres contre un bon.

Considérons alors le doublet suivant :

[27] Max s’est heurté contre le poteauMax s’est heurté au poteau

Avec contre, on a le sentiment que le poteau est « actif », qu’il réagit commeune contre-force. Ce sentiment est tout à fait absent de Max s’est heurté aupoteau. On retrouve le même effet interprétatif de contre-force dans larubrique « échange », où contre s’oppose à pour :

[28] Max donne un briquet (contre + pour) un couteau de pocheMax reçoit un briquet (*contre + pour) un couteau de poche

À la différence de pour, la bonne occurrence de contre (avec le verbe donner)correspond à l’évocation d’une activité positive (orientée comme une contre-force, une contre-activité) du receveur. La passivité d’un état de réceptioninvalide contre (cf. Cadiot, 1991). On retrouve aussi ce phénomène à larubrique « opposition » :

[29] Léa a de l’antipathie/aversion/inimitié (pour + *contre) JulesLéa entre en compétition contre ses amies

Contre est impossible en dépit des vraisemblances lexicales qui font del’antipathie, de l’aversion et de l’inimitié des sentiments adversatifs.L’inacceptabilité de contre dans ces contextes traduit là encore le fait quel’individu visé par ces sentiments n’est supposé exercer aucune contre-force.Le contraire est vrai avec « entrer en compétition ».

En résumé, nous pourrions tout simplement proposer pour contre unmotif instituant l’affinité du rapprochement et de l’opposition (prise, trèsen amont, en un sens plus ouvert qu’un jeu déclaré de force et contre-force :plutôt, donc, une forme de mise en regard « oppositive »). Ce motif estjusqu’à un certain point récupérable dans le cadre d’un schématisme detype kantien, qui serait capable d’imager dans une pluralité d’espaces (nonnécessairement physiques) des catégories relationnelles de type « force ».Un tel motif-schème doit être modulé et spécifié suivant les profils : ainsi lavaleur de contre-force, de même que la phase dynamique du rapprochement,

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peuvent disparaître presque entièrement du profil (« se virtualiser ») ; maiselles subsistent comme motivation, précisément, i.e. sous forme « d’aspect »,de « perspective » interne à la dynamique constituante, comme dans il y aun canapé contre le mur. De même, on peut admettre que la valeur deproximité se virtualise considérablement dans les emplois oppositifs (intenterune action contre X).

2.5. Le cas de DANS

Que l’inclusion fasse partie du motif de dans n’étonnera sans doute personne.Mais comme l’ont abondamment souligné plusieurs auteurs, il s’agit d’uneinclusion au sens d’une topologie générale, qui déjà dans le cas des emploisspatiaux n’est pas directement déductible des morphologies perceptivesbrutes. Il faut, pour étayer cette intuition de l’inclusion topologique dans lecas des emplois spatiaux, postuler la construction de régions et de bordsfictifs (Talmy, 2000), qui puissent définir une enceinte, mais déjàéventuellement immatérielle, construite à partir du régime de la préposition,par exemple :

[30] la bague est dans la boîte, Anne est dans le train, les étudiants sontdans l’amphi, l’avion est dans le ciel, la grand-mère est dans lefauteuil, tu la trouveras dans la file d’attente, mon nom est dans laliste

Le caractère configurationnel « fictif » de l’enceinte corrélée à dans semanifeste particulièrement dans les alternances suivantes :

[31] les enfants jouent dans la rue (vs. sur le trottoir)les vaches broutent dans le pré (vs. les oiseaux sont posés sur le pré)les promeneurs marchent dans le désert (vs. sur la plage).

On retrouve cette valeur d’enceinte fictive, i.e. d’inclusion au sens d’unetopologie générale, dans la plupart des emplois non directement spatiaux :

[32] il arrive dans la semaine, il a plu dans la nuit, il est dans la misère/dans les nuages, dans le temps tout était plus facile, le billet coûtedans les cinq francs.

En même temps, de nombreux auteurs (Berthonneau 1999, Leeman 1999,Vandeloise 1999, à qui sont empruntés la plupart de nos exemples) soulignentque l’inclusion n’est pas la seule valeur fondamentale en cause. Dansentretient une affinité immédiate avec la dépendance, le contrôle, lacausalité :

[33] l’enfant est dans les bras ; ?les fleurs sont dans le vase (mets lesfleurs dans le vase !) ; l’ampoule est dans la douille (*la bouteille

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est dans la capsule) ; dans sa chute, il s’est cassé la cheville ; dansl’histoire, j’ai tout perdu…

Dans le cas des emplois spatiaux, on doit invoquer une relation contenant/contenu, qui intègre précisément inclusion et dépendance. Le bordtopologique du contenant fonctionne alors comme une contrepartieconfigurationnelle de cette dépendance.

C’est sans doute pour cette raison (la prégnance de la notion dedépendance à construire, ou encore de dépendance pour un état de phase)que la mise en jeu de l’inclusion obéit à des contraintes spécifiques. Onconstate ainsi que les relations méréonymiques prévues analytiquement dansles notions se concilient mal avec dans :

[34] *les reins sont dans l’homme*le lapin est dans le pâté*le volant est dans la voiture

(sauf s’il est sur le siège arrière ! On peut dire de même : il y a un volantdans une voiture, car l’opération thétique du il y a, et l’emploi en promotiongénérique, permettent de dissocier le volant avant de le réintroduire).

Il semble donc que la relation d’inclusion portée par dans soitentièrement un effet de cette dynamique de mise en phase de la relation dedépendance. Elle peut d’ailleurs perdre entièrement sa contrepartieconfigurationnelle, ses contours, fictifs ou réels, et ne se traduire que par unphénomène d’attraction, voire de prégnance thématico-localisante, commedans ces exemples très simples, mais rarement commentés :

[35] Boire dans un verreParlez dans le micro !

F. Lebas (1999) invoque une perspective comparable pour expliquer aussiles emplois, rares, qui semblent aller à l’encontre du schéma d’inclusion :

[36] Elle repart dans trois jours

(c’est-à-dire, justement, une fois révolu l’espace d’attente délimité par lestrois jours !)

Lebas propose que dans calibre de façon très générale un « gested’insertion », opérant comme un aspect de la dynamique constituante. Ce« geste » serait alors calibré, soit par construction d’une inclusion ou d’unchamp de force, comme dans la plupart des emplois, soit par mention deson terme, comme dans l’exemple précédent.

En résumé, nous ne voyons aucune raison de traiter commesecondaires, dérivées, ou tardives certaines de ces dimensions plutôt qued’autres : inclusion topologique avec bornage, contrôle et dépendance, aspect

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d’insertion (non pré-constituée). Elles font toutes partie du motif central dedans, qui instaure entre elles une affinité, une transaction constituante, quechaque profil observé remanie à sa façon. L’inclusion n’en est donc qu’unedimension, sans doute plus écliptique qu’on ne croit, comme l’indiquentles exemples suivants où l’on observe une certaine difficulté à stabiliser àchaque fois un espace bien défini qui supporte le schème topologique del’inclusion.

[37] Dans sa chute, il s’est cassé la chevilleDans son élan, il a renversé la chaiseCe livre est intéressant dans sa démarcheLes étudiants, dans leur majorité, attendent de profonds changementsMarie est modeste dans sa miseCela me confirme dans mes soupçonsPaul a été juste dans sa critiquePaul est embarrassé dans ses gestes

Pourquoi cette difficulté ? A des degrés divers, l’une des fonctions de dans(profiler une inclusion en vue de son installation dans la thématique) semblese doubler ici d’une autre, que l’on pourrait dire prédicative, car elle consisteà connecter deux prédications, en prélevant pour ainsi dire l’une sur le fondde l’autre. Selon cette analyse, dans son élan, il a renversé la chaise sedécompose en p1 : il a renversé la chaise et p2 : (la dynamique de) son élana renversé la chaise. De même, ce livre est intéressant dans sa démarche sedécompose en p1 : ce livre est intéressant, et p2 : la démarche de ce livreest intéressante.

Semblable en cela à un mécanisme fond/forme, le phénomène estcelui d’une prédication de p1 sur fond de p2, où p2 inclue bien p1, maiscomme dupliqué et saisi dans un « état de phase » différent. Il s’agit là d’unphénomène très général (cf. Cadiot, 2000). Le schème d’inclusiontopologique opère entre p1 et p2, mais se trouve déstabilisé par un processusanalogue à une prédication seconde, qui transforme l’inclusion en unerelation de type fond/forme, et plus précisément en une relation de« prélèvement », de « repérage » qualifié de p1 par rapport à p2. L’inclusionse trouve réduite à l’état de motif instable de la dynamique de thématisationen cours, ou alternativement fait retour dans une perception qualitatived’absorption de p1 dans le fond p26.

Ces quelques observations sur ces « prépositions spatiales »d’excellence que sont SUR, SOUS, CONTRE, DANS suffisent sans doute,non à démontrer, mais au moins à faire comprendre notre propos. La thèseprincipale de ce texte peut encore se résumer comme suit : (i) pas de privilègedes emplois spatiaux ou physiques, et donc pas de doctrine du transfert desens, figuré ou métaphorique, (ii) recherche de motifs grammaticaux, c’est-à-dire de modes de donation et d’appréhension qui soient immédiatement

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disponibles dans toutes les régions de l’activité de langage, (iii) refus d’uneréduction de ces motifs à leur expression configurationnelle, qui n’en estqu’un versant, et (iv) interprétation de ces motifs comme des « germes »instables, aptes à se stabiliser en syntagme par reprise au sein de dynamiquesde « profilage » qui ne leur sont pas immanentes.

3. Conclusion

Ainsi, il apparaît que la signification (emic) des prépositions n’a pas à êtreformulée à partir de propriétés référentielles, ou spatiales. Elle peut, il estvrai, se formuler en types expérientiels (mais d’une expérience qui n’estque par la langue), c’est-à-dire en termes de profils génériques qu’il estsouvent possible de présenter selon le modèle de la ressemblance de famille.Mais on peut dégager en même temps des motifs, des noyaux de dimensionspartagées d’un emploi à l’autre, parce que constituées comme affines parchaque préposition. Ces motifs peuvent alors soutenir une hypothèsemonosémique récurrente à travers les divers types expérientiels, à conditionde ne pas en avoir une vue immanentiste : c’est-à-dire à condition de ne pasen faire des principes auto-suffisants, produisant par simple déformationinterne la variété des profils où ils se trouvent engagés.

Nous avons vu que ces motifs, qui comportent évidemment desdimensions configurationnelles, ne s’y réduisent pas, et du reste entrentavec difficulté dans la continuité du schématisme kantien. Ils contribuentsystématiquement au profilage des vues ouvertes par la parole, que ce soitau niveau du syntagme, de la phrase ou de l’énonciation : ce par quoi ilsrelèvent bien de la grammaire. Ils ne remplissent pas leur fonction partransfert de sens, sens figuré ou autres, mais comme des unitésimmédiatement disponibles en toute région de l’expérience.

Il est par ailleurs difficile de les qualifier d’invariants : le terme renvoieà une problématique dont nous voulons justement dépasser les apories. Cesont des unités de couplage, hautement instables, entre des dimensions quin’apparaissent comme hétérogènes qu’à d’autres niveaux de stabilisation.Ces unités sont construites, non pas seulement par abstraction, mais aussipar des processus analogues à des synesthèses : des systèmes de transactions,de renvois multiples entre valeurs qui s’entre-expriment, ce qui est une cléessentielle pour comprendre la variété des profils obtenus. C’est en oubliantce caractère transactionnel que l’on tombe dans les réductionsconfigurationnelles. La théorie de la grammaire aura connu ainsi deuxinvolutions antagonistes, mais comparables sous ce rapport : celle del’autonomie de la syntaxe, puis celle de l’autonomie des structuresconfigurationnelles en sémantique (icônes à la Langacker)7. Ces théories(en fait surtout la seconde) sont des analogues, en linguistique, de celles qui

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en psychologie de la perception, présentent le rapport à l’espace commeune saisie de morphologies pures, et la catégorisation perceptive des objetscomme le déclenchement d’un invariant construit seulement, ou d’abord, àpartir de ces morphologies. S’il nous fallait pointer, au contraire, vers unethéorie de la perception qui soit en affinité avec cette approche, nos choixse porteraient (si elle existe) sur une théorie motrice et intentionnelle de laperception, une théorie sémiotique et transactionnelle de l’espace, constituéepar la saisie concomitante de valeurs aspectuelles, praxéologiques,subjectives, axiologiques.

NOTES

1. La deuxième partie de ce texte (de loin la plus importante) est une repriselégèrement remaniée d’un chapitre du livre Cadiot & Visetti (2001). Je remercievivement Yves-Marie Visetti dont la contribution à ce texte est à tous égards décisive.

2. Cf. bien sûr en français aussi le ciel est bas, le ciel est menaçant, le ciel estpar-dessus les toits, monter au ciel… !

3. Les valeurs topologiques sont d’autant plus fondamentales qu’elles ne sontpas vraiment localisatrices par elles-mêmes, ce qui se traduit jusque dans les emploisspatiaux des prépositions. Comme l’ont montré tous les travaux sur la question (ycompris ceux de Talmy ou Langacker), les prépositions en emploi spatial necontraignent pas absolument l’organisation des lieux : elles construisent plutôt desrepères régionaux, qui restent fortement sous-spécifiés.

4. Exemples empruntés à Vandeloise (1986) et Lang (1991).5. Cf. Anscombre (1992), Kotschi (1998). Ainsi la mauvaise adéquation de ?la

table est sous le livre (déjà signalée in Vandeloise, 1986) procède d’une combinaisonde ces critères : bien qu’en position basse, la table n’est pas configurée commecouverte, inaccessible, plus généralement dépendante du livre pour son accès. Demême, si l’on dit plutôt d’un nageur qu’il est sous l’eau, mais d’un poisson qu’il estdans l’eau, c’est sans doute par allusion à une certaine dépendance de l’homme parrapport à la surface (remarque de B. Victorri).

6. D’autres phénomènes peuvent également se manifester : ajustement« méréonymique » du profil de p1 en relation avec une « partie » de p2 (ce livre estintéressant dans sa démarche ajuste l’un à l’autre livre et démarche… de mêmePaul a été juste dans sa critique synthétise Paul et sa critique …) ; étirement dusens des prédicats entre valeurs absolues (juste, intéressant) et valeurs relatives(juste dans sa critique, intéressant dans sa démarche). On pourra comparer avecd’autres exemples (pris à Kleiber, 1996) comme les pieds (les chaussures)mouillé(e)s, les garçons couraient sous la pluie, ou les pattes en sang, le chienaboyait à mort. Des changements de « phase » analogues interviennent, qui facilitentcette fois la transformation de relations non immédiatement méréologiques (piedsou chaussures/garçons, pattes/chien) en relations de cadrage circonstanciel corréléà une anaphore associative. Là encore dans une vaste littérature, signalons l’articleinitiateur de B. Fradin (1984).

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7. Langacker pourrait répondre que ses diagrammes doivent être compris enliaison avec des routines cognitives qui les exploitent. T. Regier (1992) avait ainsimodélisé les valeurs configurationnelles associées à un certain nombre deprépositions (de l’anglais, du russe) à partir de processus de diffusion déclenchésau niveau des trajecteurs et des repères impliqués : par exemple, l’inclusion A ⊂ Bs’évalue en déclenchant une diffusion d’activité à partir de A, dans l’espacetopologique adéquat ; selon que l’activité parvient ou non au cadre délimitant lascène, i.e. selon que le bord de B comporte ou non des lacunes qui laissent passercette activité, l’inclusion n’est pas, ou est, prédicable. Une telle routine cognitivedéfinirait effectivement la relation du « système » à l’inclusion topologique, que lediagramme ne fait que figurer. Nous répondrions à notre tour : sans doute y a-t-ilainsi relation, mais c’est une relation unique et homogène, non qualifiée et co-constituée par quoi que ce soit d’autre.

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