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Schopenhauer, Le monde, Livre III, §38 - mlasagesse.fr · Schopenhauer, Le monde, Livre III, §38 3 conséquence logique de celui qui est esclave du désir, il sera dans l'impossibilité

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Schopenhauer, Le monde, Livre III, §38

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Schopenhauer

Le monde comme volonté et comme représentation,

Désir et bonheur

Livre III, §38

« Tout vouloir procède d’un besoin, c’est-à-dire d’une privation, c’est-à-dire d’une

souffrance. La satisfaction y met fin ; mais pour un désir qui est satisfait, dix au moins sont

contrariés ; de plus le désir est long et ses exigences tendent à l’infini ; la satisfaction est

courte et elle est parcimonieusement mesurée. Mais ce contentement suprême n’est lui-même

qu’apparent ; le désir satisfait fait place aussitôt à un nouveau désir ; le premier est une

déception reconnue, le second est une déception non encore reconnue. La satisfaction d’aucun

souhait ne peut procurer de contentement durable et inaltérable. C’est comme l’aumône qu’on

jette à un mendiant : elle lui sauve aujourd’hui la vie pour prolonger sa misère jusqu’à

demain. – Tant que notre conscience est remplie par notre volonté, tant que nous sommes

asservis à la pulsion du désir, aux espérances et aux craintes continuelles qu’il fait naître, tant

que nous sommes sujets du vouloir, il n’y a pour nous ni bonheur durable, ni repos.

Poursuivre ou fuir, craindre le malheur ou chercher la jouissance, c’est en réalité tout un ;

l’inquiétude d’une volonté toujours exigeante, sous quelque forme qu’elle se manifeste,

emplit et trouble sans cesse la conscience ; or sans repos le véritable bonheur est impossible.

Ainsi le sujet du vouloir ressemble à Ixion attaché sur une roue qui ne cesse de tourner, aux

Danaïdes qui puisent toujours pour emplir leur tonneau, à Tantale éternellement altéré ».

A. Schopenhauer, Le monde comme volonté et comme représentation (1818), trad.A.Burdeau, éd.

PUF, 1966, Livre III, §38 pp.252-253.

Éléments d’introduction

- Notions explicites : désir, bonheur, conscience ; implicites : liberté, vérité

- Thèmes complémentaires : besoin, volonté

- Thèse : la satisfaction des désirs ne peut conduire au bonheur car ils sont causes de souffrance et

d'illusion.

- Antithèse : pour être heureux, il suffit de satisfaire ses désirs, de rechercher le plaisir total qu'offre

leur satisfaction.

- Question : désirer est-ce la voie qui conduit au bonheur ?

Faut-il chercher à satisfaire tous ses désirs pour être heureux ?

- Problème : pour tout un chacun, le moyen qui est considéré de manière évidente comme devant

conduire au bonheur est la satisfaction des désirs, le paradis est ainsi souvent conçu comme la

satisfaction de tous nos désirs. Le bonheur serait donc synonyme de désirs satisfaits.

Cependant lorsque l'on observe la vie des êtres humains, on constate que désirer c'est bien souvent

souffrir, être déçu, vivre une expérience négative faite de souffrance et de frustration.

Que doit-on penser ? Qu'en est-il des relations entre désir et bonheur : l'un est-il condition de l'autre

comme on le croit très spontanément ou bien faut-il dissocier la recherche du bonheur et la quête de la

satisfaction des désirs ?

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Schopenhauer, Le monde, Livre III, §38

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- Enjeux : Il est nécessaire d'abord de connaître les définitions exactes du désir et du bonheur afin

d'espérer savoir quelles sont leurs relations. Et ceci est nécessaire afin de savoir quelle place je dois /

je peux légitimement accorder à la satisfaction des désirs si je veux être heureux, quelle valeur, donc,

je peux leur attribuer dans le cadre de la quête du bonheur. A quelle condition le bonheur est-il

accessible par la satisfaction des désirs ?

Plan et structure de l'argumentation

Dans un premier temps, Schopenhauer présente quelles sont, à son sens, les relations entre le désir et

la satisfaction des désirs. Il commence ainsi par poser ce qui constitue une partie de la définition du

désir en affirmant que la source universelle de tout désir se trouve dans le besoin. Il précise

immédiatement le sens de ce terme en énonçant une série de termes identiques, équivalents, dans

laquelle il s'inscrit : privation et souffrance. (L'ensemble de ces termes est de valeur négative. C'est

donc dans une expérience de départ douloureuse que naît le désir, il est d'emblée connoté

négativement par Schopenhauer).

Mais le désir est-il réductible à cette expérience source négative ? Schopenhauer répond

immédiatement, presque sous forme de concession : le terme du désir, en tant que fin et but, est la

satisfaction. Celle-ci renvoie à une expérience positive de plaisir.

Cependant Schopenhauer ne nous laisse pas le temps de nous attarder sur cette expérience de plaisir

puisqu'il commence immédiatement par dévaloriser celle-ci. Il oppose à cette satisfaction des contre-

exemples quantitatifs qui prouvent que cette satisfaction est très mince comparée à la force du désir-

exigence. Premièrement S. met en évidence qu'un désir satisfait c'est 10 autres auxquels on a, au moins

ponctuellement, renoncé faute de pouvoir tous les satisfaire en même temps. Toute satisfaction est

donc une goutte d'eau dans le désert. La quantité de désir qui exige satisfaction est toujours beaucoup

plus importante que les possibilités matérielles (temps, occasions, énergie) dont nous disposons pour

les satisfaire. A cela il faut ajouter la différence temporelle qui sépare l'expérience du désir (longue

attente) comparée à l'expérience de la satisfaction qui elle est très courte. Enfin, dernier argument

quantitatif : les exigences tendent à l'infini alors que la satisfaction est toujours très mesurée et rare.

A cette première salve d'arguments visant à établir le caractère insatisfaisant structurellement de la

satisfaction, S. ajoute que celle-ci se révèle être après coup une pure illusion. La satisfaction n'est en

effet qu'apparente puisque l'insatisfaction renaît sans cesse telle les têtes de l'hydre de l'Herne que l'on

croyait avoir décapitées. La satisfaction qui se donnait comme terme du désir n’en est en réalité pas un

puisqu’elle relance le désir, elle le fait renaître sans cesse. Pourquoi entraine-t-elle cette renaissance ?

C’est parce que, comme le montre ensuite S., la satisfaction est en son fond déception.

S. peut enfin conclure ce premier temps en affirmant ce qui constitue l'essentiel de sa thèse : le

contentement final qui est visé ne peut en aucun cas être atteint par la satisfaction du désir. Il illustre

cette idée par le biais d'un exemple qui compare le sujet désirant à un mendiant et la satisfaction à

l'aumône qu'il reçoit qui lui donne suffisamment pour prolonger sa misère. Le sujet désirant est donc

uniquement identifié à Pénia, mère d'Eros selon Diotime dans Le Banquet de Platon. La cause du

malheur (la misère) n'étant pas guérie, la satisfaction ponctuelle apportée n'est qu'un bref soulagement

qui en fait alimente la misère.

Dans un second temps Schopenhauer va s'attacher à préciser quelles ont les conséquences qui

découlent d'une telle caractérisation de la satisfaction sur les relations entre désir et bonheur. Il énonce

ainsi une série de relations de cause à effet qui existent entre un certain comportement de l'être humain

et la capacité à trouver le bonheur qui en découle. Ce qui domine c'est l'absence de liberté qui est

entraînée par l'omniprésence de la volonté à la conscience, il synthétise cette situation en parlant du

"sujet du vouloir" esclave du désir et du malheur qu'il entraîne. Il répète ainsi ce qui fait la

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conséquence logique de celui qui est esclave du désir, il sera dans l'impossibilité de connaître le

bonheur véritable qui implique le repos.

Il montre ensuite que toutes les activités humaines qui sont organisées autour du désir d’une manière

ou d’une autre (poursuivre ou fuir), toutes ces attitudes en apparence contradictoires sont en fait

différents visages d'une même volonté qui pousse aveuglément le monde, les êtres à désirer toujours.

Le résultat n'est que trouble et inquiétude tout le contraire donc du bonheur qui est pour S. repose et

tranquillité. S énonce alors ce qui est une condition nécessaire selon lui du bonheur : le repos,

quiétude, paix éternelle.

Il termine cette critique du lien causal abusivement établit selon lui entre satisfaction et désir en

énonçant une série de comparaisons empruntées à la mythologie grecque, figures de condamnés aux

tortures infernales toutes plus horribles les unes que les autres et auxquelles il identifie le sujet du

désir.