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Parti communiste français u P. 6 LE DOSSIER CLASSE OUVRIÈRE : LE FANTÔME DE LA GAUCHE P. 34 SCIENCES PIC(S) ET ÉPUISEMENT DES RESSOURCES PÉTROLIÈRES, OÙ EN EST-ON ? P. 21 NOTES LA RENTRÉE SCOLAIRE, LA CRISE ET LES ÉLECTIONS P. 18 COMBAT D’IDÉES INDIVIDU ET COLLECTIF, QUOI DE NEUF ? N°10 SEPT 2011 REVUE POLITIQUE MENSUELLE DU PCF

SEPT P. 18 COMBAT D’IDÉES P. 21 NOTES P. 34 SCIENCES …

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P a r t i c o m m u n i s t e f r a n ç a i s

u P.6 LE DOSSIER

CLASSE OUVRIÈRE :LE FANTÔME DE LA GAUCHE

P.34 SCIENCES

PIC(S) ET ÉPUISEMENT DES RESSOURCES PÉTROLIÈRES,OÙ EN EST-ON ?

P.21 NOTES

LA RENTRÉE SCOLAIRE,LA CRISE ET LES ÉLECTIONS

P.18 COMBAT D’IDÉES

INDIVIDU ET COLLECTIF, QUOI DE NEUF ?

N°10SEPT2011

REVUEPOLITIQUEMENSUELLE

DU PCF

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LA REVUE DU PROJET - SEPTEMBRE 2011

2 SOMMAIRE4 FORUM DES

LECTEURS/LECTRICES

5 REGARDÉtienne Chosson La réalité du travail au débutdu XXe siècle par Lewis Hine

6 u17 LE DOSSIER

CLASSE OUVRIÈRE : FANTÔ ME DE LA GAUCHEGuillaume Quashie-Vauclin Un spectre hantela gauche : la classe ouvrière

Marion Fontaine La disparition  ?

Maryse Tripier Classe ouvrière française,classe immigrée

Véronique Sandoval Les employés des services, le nouveau prolétariat  ?

Michel Pigenet La classe ouvrière, la gaucheet le pcf  ; retour sur une relation historique

Henri Rey De la mésentente au rejet  ?

Olivier Ferrand La gauche doit aussi défendre les nouvelles classes populaires

Annie Collovald Le dégoût du peuple

Yann Le Pollotec Quelle place pour les ouvriers dans un projet de gauche  ?

Alain Obadia Une politique industrielle pour un développement émancipateur

Jacky Henin Répondre aux besoins humains en Europe

18 COMBAT D’ IDÉESGérard Sreiff : Individu et collectif. Quoi de neuf ? 

20 SONDAGES : Retraites à 60 ans :

réaliste ou non ?

21 NOTES DE SECTEUREcole La rentrée scolaire, la crise et les élections 

Economie A propos de la dette publique

International Palestine

Agriculture Construire la politique agricole

et alimentaire européenne du 21è siècle

International Dix ans après, que reste-t-il

du 11 septembre  ?

26 REVUE DES MÉDIASAlain Vermeersch La règle d'or : un carcan contre la démocratie

28 CRITIQUESCoordonnées par Marine Roussillon• Frédéric Lordon, D’un retournement l’autre• Isabelle Garo, Foucault, Deleuze, Althusser & Marx• Histoires croisées du communisme italienet français.• Recherche précarisée, recherche atomisée  : production et transmission des savoirs à l’heure de la précarisation

30 COMMUNISME EN QUESTIONStéphanie Roza Un programme socialiste au siècle des Lumières ?

32 HISTOIREMichel Biard La Constitution de 1793

34 SCIENCESAmar Bellal Pic(s) et épuisement des ressources pétrolières, où en est-on ?

36 CONTACTS / RESPONSABLESDES SECTEURS

L'équipe de la Revue du Projet a le plaisir de vous annoncer que nous disposons d'une Edition La Revue du Projetpubliée et recommandée par la rédaction de Mediapart. Nous vous invitons à participer à cette collaboration en réagis-sant, en commentant et en diffusant largement les contributions que nous mettons en ligne. http://blogs.mediapart.fr/edition/la-revue-du-projetNote : Pour tout commentaire concernant cette Edition, vous pouvez nous contacter à l'adresse suivante : [email protected]

2

Le récit du parcours personnel de Pierre Laurent proposé dansle premier chapitre Communiste, au singulier et au plurieltente de donner corps à ce choix démocratique. En rendanthommage à ceux qui lui « ont appris la valeur de l’engage-ment militant » entre Belleville et la Saône-et-Loire, entrecultures ouvrière et paysanne, puis de la rédaction de l’Hu-manité au congrès de 2008, Pierre Laurent rend visible l’arti-culation de l’individu et du collectif qui fonde l’engagement.On se prend alors à désirer que cette réflexion soit appro-fondie, qu’elle se nourrisse d’une analyse des débats qui traver-sent encore le PCF, qu’elle se prolonge dans une réflexion plusthéorique sur le parti ou sur l’union. Mais ce serait l’objet d’unautre livre. En attendant, Le Nouveau pari communiste a lemérite d’être un texte engagé qui dit avec force l’actualité duparti communiste. L’ouvrage s’achève par un appel à la jeunesse,que Pierre Laurent exhorte à se saisir du PCF : « Faites-en avecnous un parti à votre service, et les puissants qui dirigent ce payssentiront alors votre force. Vous y serez libres et conquérants.Mettons nos forces en commun ».

PIERRE LAURENT Le Nouveau pari communiste Éditions Le cherche midi, 2011

Par OLIVIER RITZ

Un an après son élection à la direction du Parti communiste,Pierre Laurent publie un ouvrage ancré dans l’actualité. L’in-troduction rappelle les principaux événements de l’annéeécoulée, le chapitre 2 Une nouvelle ambition de civilisationdresse un état des lieux politiques et le chapitre 3 se tourne versles échéances électorales à venir 2012, la France face à sonavenir . La gravité de la situation, « dans la gangrène financièredu capitalisme mondialisé », contraste avec un débat politiqueperverti par la personnalisation qui réduit les citoyens au rôlede « spectateurs d’une émission de télé-réalité ». Le motif domi-nant de l’ouvrage est au contraire la démocratie : « La démo-cratie en toutes circonstances comme moteur des révolutions,c’est sans nul doute le nouveau pari historique du commu-nisme du XXIe siècle tel que nous l’entendons ». Démocratiedans la société, en rendant « du pouvoir à ces hommes et cesfemmes qui créent les richesses du pays », et dans le Parti puisquele chapitre 4 Un parti communiste en pleine transformation faitde l’approfondissement de la démocratie militante un chan-tier prioritaire pour le PCF.

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SEPTEMBRE 2011- LA REVUE DU PROJET

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PATRICE BESSAC, RESPONSABLE DU PROJET

ÉDITO

L’UNITÉ ET LE FRONT DE GAUCHEL’unité est à mes yeux l'une des

questions fondamentales desdix ans à venir. Ce qui soutient

mes espoirs est de constater que laFrance est un pays de grande forcedes idées et des engagements d'al-ternative au capitalisme. La diver-sité et la force réelle, populaire,syndicale, sociale, intellectuelle desidées émancipatrices me semblentêtre bien plus immenses que lareprésentation que nous en avons.

La question de leur division et deleur représentation politique, ausens large, est ainsi une questiondéterminante à laquelle le Front degauche et le Parti communiste fran-çais essaient de répondre.

Le problème d'être d'accord sur lenucléaire, sur la croissance ou ladécroissance, sur le communismeou le socialisme, sur le choix de l'in-ternationalisme ou d'une autremondialisation, toutes ces diffé-rences ou ces oppositions binairessont-elles aussi importantes que le mouvement par lequel deshommes et des femmes s'unissentet construisent ensemble l'espacede l'unité de leur action ?

Au fond, au point actuel du combat,l'unité est-elle une fin ultime ou aucontraire la solidarité par laquellenous entendons forger une actionréellement commune ?

Le problème est-il d'exclure, enréduisant nos débats à des opposi-tions rangées ou au contraire deforger les espaces d'une dialectiquepopulaire ? En d'autres termes, le rôle principal du parti dans le combat de l'unité est-il de chercher à régler les questions qu'ils considèrent fondamentales ou

au contraire, et principalement,d'éclairer, de transformer et donc dese transformer lui-même au contactde ce que nous considérons commemarginalités pour nous-mêmes etqui pour d'autres sont au cœur deleurs propres engagements ?

Dans un climat politique et socialtroublé et divisé, l'unité commemouvement me semble beaucoupplus intéressante pour l'avenir dumouvement ouvrier et pour l'aveniret le rôle propre du Parti commu-niste français. Les contingencesélectorales et programmatiques nepeuvent ni résumer, ni dominer laquestion de l'unité en tant quemouvement par lequel nous enten-dons forger par petits et grands pasdes communautés de réflexion,d'action et de combat.

Au fond, chacune des oppositionsbinaires n'est intéressante pour lemouvement et pour notre proprepensée, que dans la mesure où leurexposé et leur débat permettent deforger des espaces politiques plusgrands et plus complets. Avoirraison tout seul, c'est avoir raisonpar l'exclusion non seulement dece qui est contradictoire maissurtout de la solution à cettecontradiction.

Je ne plaide pas pour un angélismepolitique bon teint, je plaide pourque chacun des problèmes soitexaminé raisonnablement avec àl'esprit le fait que le défi de l'unité– ou encore que le défi que ce quenous croyons juste l'emporte – estbien plus long et complexe que dessoubresauts d'impérialisme deforces ou d'individus.

Je plaide pour que le Parti commu-

niste français, pour que la coalitionque nous avons créée, le Front degauche, se comporte comme moyenouvert au service d'un ensembleplus large dans lequel nous devonsviser que des pans entiers du syndi-calisme, du peuple, des intellectuelss'intègrent non par négation de toutou partie de leur propres expé-riences et points de vues maiscomme contributeurs d'un mouve-ment qu'ils élargissent et transfor-ment, non pas par la négociation desynthèse mais par la qualité de l'es-pace contradictoire et libre que nousvoulons constituer.

Pour agir, nous avons besoin depoints de rencontre et de décisionscommunes. En un mot de poli-tique. Mais pour être unis, nousn'avons pas besoin de partager unetotalité de points de vue. Je diraismême le contraire, la recherched'unité a priori de points de vue estun frein à l'unité elle-même.Décider ce n'est pas décider pourtoujours, il y a dans le débat ouvert,sérieux et instruit plus de force que dans l'ignorance des faillesd'une réflexion considérée commeachevée.

Des basculements plus larges queceux que nous pouvons imagineraujourd'hui peuvent se produiretant il est vrai que les intérêts demasses importantes des forcessociales actuelles sont profondé-ment contradictoires et mises endifficulté par la domination ducapital financier. Ainsi se préparerà accueillir et à forger des combatscommuns avec celles et ceux quenous considérons comme animésde préjugés contradictoires avecnotre engagement présent, faitpartie du problème à affronter. n

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LA REVUE DU PROJET - SEPTEMBRE 2011

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FORUM DES LECTEURS

Les articles du dossier précédent sur Le multiculturalisme  : un cauchemar ? ont suscité de nombreuses réactions sur le site du PCF et sur Mediapart, en voici quelques unes :

L’égalitarisme naïf, une impasse (...) La France n’est pas mono-culturelle. Elle regroupe en elle une diversité culturelleaccumulée à travers les années d’histoire qui ont formé cette nation (...). Je pensequ’il ne faut pas confondre « multiculturalisme » et ce qu’on appelle souvent enFrance le « communautarisme ». (...) Est-ce que le fait d’éprouver du plaisir à rencon-trer des gens de sa communauté d’origine montre un quelconque rejet de son paysd’accueil ou de naissance ? (... ) Il ne suffit pas de proclamer une devise républicainepour que le pays soit républicain. Les populations qui souffrent de discriminations auquotidien, sont trop souvent confrontées à des difficultés qui font en sorte que, mêmelorsqu’elles font tout pour se comporter en « bons Français », on leur rappelle sou-vent qu’elles ont quelque chose qui ne l’est pas tout à fait. (...) Ceux qui se replient surleur communauté le font souvent parce qu’ils ne voient pas d’autre issue possible. (...)L’illusion est de marteler que nous sommes tous égaux, quand la réalité prouve lecontraire. (...) La France n’a pas une culture homogène. Elle s’est elle-même construiteavec les différences culturelles de toutes ses régions, tous ses territoires, tous ses dépar-tements qui la forment aujourd’hui. (...) C’est par le dialogue et l’interaction entre les cul-tures que les Français de toutes couleurs, origines, religions ou ethnies se sentirontcomme des « Français à part entière » et non pas comme des « Français entièrement àpart » (magnifique formule d’Aimé Césaire). Comme le disait si bien Antoine de Saint-Exupéry « Si tu diffères de moi, loin de me léser, ta différence m’enrichit ». C'est à nousde montrer au peuple que, quelle que soit son origine, son ethnie, sa langue, sa cou-leur ou sa religion, il a toute sa place dans la société française. C'est à nous de mon-trer ce que ce peuple si divers peut apporter comme richesse culturelle à la France.C’est au PCF d’ouvrir ses portes à ceux auxquels d’autres les ferment. Hegel a dit :« L’universel doit être tel qu’il accueille en lui la richesse du particulier » (...) Il n’y aque comme cela que le PCF sera un peu plus à l’image de la France. n

PEGGY CANTAVE FUYET

Un paradoxe  : intégrer c'est reconnaître la différence pour moins la remarquer ! (... ) Il ne faut pas que tous les habitants de la France, quelles que soient leurs origines,confondent l' "esprit" et la "politique" de la France. n

GUY

Les racines culturelles Chacun les imagine profondément enfouies dans la terre nourricière pourricière des ori-gines des parents et ancêtres alors que les "racines" (roots) sont au contraire et unique-ment "originaires" des feuilles, de la vie de ce qui me nourrit de l'air et des oiseaux et deschansons du vent dans les branches de mon arbre. Toute tentative... d'établir une "culture"une "origine" un "passé" qui me soient antérieurs en quelque sorte génétiques relèved'une erreur grave de jugement. L'existence précéde l'essence. Je crée mon essence.J'écris mon passé. n

KAKADOUNDIAYE

Des réactions aussi à :

L’éthiquedes TICJe trouve ca

pessimiste. Il mesemble que depuis votreconstat les lignes ontbougé. La crainte dugrand frère américainn'est pas nouvelle, etmême si les TIC serventaux multinationales, cesgrandes entreprisesbasent davantage leursinnovations sur le capitalsocial. Les TICpermettent un contre-pouvoir évident parl'accessibilité à ces outils.Bon nombre de produitsdématérialisés sontconçus pour vous fairequitter votre sphèreprivée et produire desrencontres. Pas sûr quele numérique serveencore longtemps unproductivisme sansfreins, mais bon, celareste à voir. n

FABIEN

Échangesavec nos lecteursPour écouter et débattre avec ses lecteurs La Revuedu Projet souhaite se déplacer dans les fédérations et organiser des rencontresdélocalisées àl’occasion de chaquenuméro. Indiquez nousvos disponibilités

[email protected]

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SEPTEMBRE 2011- LA REVUE DU PROJET

REGARD

Pionnier de la photographie documentaire et proche desmilieux progressistes, le photographe Lewis Hine inter-roge le monde dans ses contradictions en maintenant un

regard critique. Il défend ainsi une approche qui, tout en necessant pas d’être artistique en ce que motivée par un souciesthétique évident, assume sa dimension politique. Que ce soitpour faire témoigner l’exploitation humaine ou un salariat enprise à des transformations sociales à la fois nouvelles etprofondes.

C’est ainsi que son œuvre se propose de « montrer des chosesqui doivent être corrigées » et fait (enfin) l’objet d’une rétros-pective élogieuse à la Fondation Henri Cartier-Bresson.

Sociologue de formation, ce professeur de l’Ethical Culture Schoolest l’un des premiers à utiliser la capacité de la photographie àaider au changement du monde. Après des premiers travauxconsacrés aux conditions des immigrés arrivant à New York, ilparcourt les Etats-Unis de long en large afin de montrer la dureréalité du travail des jeunes enfants. Pour cela, tout les moyenssont bons : il se déguise pour pénétrer à l’intérieur deS usines,utilise des appareils de détectives cachés dans des cravates,utilise des objectifs tronqués qui photographient à 45° afin dene pas se faire surprendre…

Réalisant une série sur la construction de l’Empire State Buil-ding, loin de se contenter de photographier le bâtiment, Hines’inspire du constructivisme soviétique d’alors et préfère mettreen valeurs le travail des ouvriers. Alors, que l’époque portait àfaire croire que seule l’idée de progrès aurait fait sortir les bâti-ments de terre, Hine démontre au contraire que derrière lasociété il y a des milliers d’ouvriers et de travailleurs.

Lewis Hine est mort en 1940, oublié et dans la misère. Son travail,précurseur du style documentaire, fut pourtant l’inspirateur denombreux photographes engagés. La fondation Henri Cartier-Bresson nous fait (re)découvrir 150 tirages originaux et vousavez jusqu’au 18 decembre pour en profiter !

ÉTIENNE CHOSSON

La réalité du travail au début du XXe siècle par Lewis Hine

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LE DOSSIER

PAR GUILLAUME QUASHIE-VAUCLIN

Tout se passe comme si les ouvriersavaient disparu de l’horizon de lagauche. Ce n’est pas là le moindre

des paradoxes à l’heure où celle-ci – etcela n’a pas toujours été le cas – estdominée par des partis issus du « mouve-ment ouvrier » – le Parti communistebien sûr mais aussi le Parti socialiste,héritiers de la Section française de l’In-ternationale ouvrière. Disparus physiquement des rangs desélus et des dirigeants notamment les plusjeunes – voire même des militants, ainsiau PS comme l’a montré Rémi Lefebvre.Disparus symboliquement, desréflexions comme des discours. Classehier magnifiée à gauche, la classeouvrière semble être devenueaujourd’hui la classe oubliée de la gauche.Nombre de dirigeants socialistes, delongue date, n’en parlent plus – on serappelle Lionel Jospin – voire, pire, n’ypensent même plus. En caricaturant àpeine, on pourrait dire que les ouvriers,à gauche, on n’en entend plus parler :dans tous les sens du terme… Mais ilserait trop facile pour nous de jouer auxprocureurs de la social-démocratie. Faceaux tempêtes des vingt dernières années,n’avons-nous pas, nous aussi, eutendance à plier, délaissant quelque peule terrain ouvrier sous la puissance desvents contraires ? C’est que les ouvriers ont subi une offen-sive symbolique de première importanceà partir des années 1970. Au mépris declasse traditionnel de la droite, s’estajoutée en provenance d’une partie del’extrême gauche et, peut-être surtout,de la deuxième gauche, une constella-tion d’assimilation infamantes : les

ouvriers comme réservoir de machistes,racistes, simplistes appartenant à unpassé mourant. Rangés en somme parles dominants au rayon des ringards etdes réactionnaires face aux nouvellesluttes décisives à mener sur les bancs del’université, de la prison ou sur le frontde la « libération sexuelle » (je renvoiepour un éclairage partiel mais puissantau Foucault, Deleuze, Althusser & Marxd’Isabelle Garo). Il y a bien de l’injusticedans ce résumé grossier mais c’est pour-tant bien cette conjonction d’offensivesqui fit ternir l’auréole de gloire de laclasse ouvrière.

LA CLASSE OUVRIÈRE N’A JAMAIS ÉTÉAUSSI NOMBREUSE QU’AUJOURD’HUILe PCF en difficulté et plus que tout autreassocié à cette classe en déclin symbo-lique, fut d’autant plus tenté de délaisserquelque peu le terrain ouvrier qu’il étaitdans le même temps accusé de faiblessesur le terrain des luttes – ô combien légi-times ! – ne se situant pas sur le terraindirect de la lutte des classes. On se mitalors à parler aux « gens » – dès GeorgesMarchais note la sociolinguiste JosianeBoutet –, reléguant au second plan le nomet la figure des ouvrières et ouvriers.Quand les années 1980 apportèrent leurlot sinistre et fracassant de fermeturesd’usines, notre inconscient fut commegagné à l’idée qu’« ouvrier » rimait avec« passé ». De ceci, on trouve encore latrace dans le dernier livre de PierreLaurent où « ouvrier » est mentionné prèsde dix fois dans le chapitre 1 (consacréau passé) et une seule fois dans les autreschapitres – encore est-ce dans unephrase… au passé. Il n’y a bien sûr dansce simple relevé aucun procès personnelcar c’est bien collectivement que nous

avons intégré cette fable de l’idéologiedominante (Stéphane Beaud et MichelPialoux l’ont montré avec éloquence).Car il s’agit bien d’une fable ! Les ouvrierssont encore six millions dans notre payset ne pèsent pas moins du quart du sala-riat. Mieux, si on prend en compte lesouvriers à la retraite, la classe ouvrièren’a jamais été aussi nombreuse dans cepays qu’aujourd’hui ! Oui, oui ! Dès lors, ne s’agit-il pas de repartir à l’of-fensive en ce domaine décidémenttoujours décisif pour donner enfin aucombat émancipateur toute la force deses plurielles et indissociables facettes,dans les actes et dans les mots, dans lesgestes et dans les têtes ? Pour finir, je vousinvite à lire, à titre de signe, ces quelqueslignes de Didier Éribon, intellectuel pour-tant historiquement fort éloigné du PCF. « Quand le marxisme dominait la vieintellectuelle française […], les autresluttes paraissaient ‘secondaires’ ou,même, étaient dénoncées comme des ‘diversions petites-bourgeoises’ quidétournaient l’attention du seul combatdigne d’intérêt, du seul ‘vrai’ combat,celui de la classe ouvrière. En insistantsur toutes les dimensions que lemarxisme avait laissées de côté – lasubjectivation sexuée, sexuelle ou raciale,entre autres… – parce qu’il concentraitson attention exclusivement sur l’op-pression de classe, les mouvements quel’on désigna comme ‘culturels’ furentamenés à proposer d’autres probléma-tisations de l’expérience vécue, et ànégliger, dans une très large mesure, l’op-pression de classe.[…] Mais pourquoi nous faudrait-ilchoisir entre différents combats menéscontre différentes modalités de la domi-nation ? » (Retour à Reims, 2009).n

UN SPECTRE HANTE LA GAUCHE : LA CLASSE OUVRIÈRE…ÉDITO

Classe ouvriè re : fantôme de la gauche ?

LA REVUE DU PROJET - SEPTEMBRE 2011

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SEPTEMBRE 2011 - LA REVUE DU PROJET

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> SUITEPAGE 8

PAR MARION FONTAINE*

Lorsqu’en 2008 le film Bienvenue chezles Ch’tis connut le succès que l’onsait, peu de gens notèrent un détail

troublant. Ce film, censé exalter les tradi-tions d’une région qui avait été l’un descœurs de l’industrialisation du pays, avaitpour héros un… postier, installé àBergues, au beau milieu de la campagneflamande. Nulle trace d’usine, nulleprésence sensible d’ouvriers, encoremoins immigrés, sauf quelques imagescauchemardesques d’une cité minière,transformée en décor de théâtre, sauf ungros plan sur les supporters du RacingClub de Lens reprenant la chanson dePierre Bachelet, Les corons. Le silence, lemauvais rêve qui s’efface, la nostalgiepour quelque chose de plus en plusirréel : la société française contempo-raine a un problème avec la classeouvrière, elle a un problème avec lestermes mêmes de « classe » et « d’ou-vriers », et elle a un problème avec la

réalité que ces termes peuvent encore,ou non, recouvrir.

PAS D’IDÉALISATION RÉTROSPECTIVEIl faut se garder pourtant, même sur cepoint, de toute idéalisation rétrospec-tive. La classe ouvrière a rarement eu aufond le caractère d’une absolue évidence,et plus encore dans le cadre d’une Répu-blique française répugnant à reconnaîtrepubliquement tout groupe particulier,que cette particularité ait une base reli-gieuse, ethnique ou sociale. La Répu-blique ne s’est en somme pas montréebeaucoup plus tendre avec la classeouvrière (« ce vilain mot que je n’em-ploie jamais », disait Léon Gambetta)qu’avec n’importe quelle autre commu-nauté et, si elle a voulu l’intégration poli-tique de ces ouvriers, les a longtempsmaintenus dans une situation d’exclu-sion sociale. Ce phénomène s’est trouvéaccru par les particularités de l’indus-trialisation française. Lente, reposant surdes isolats, elle s’est longtemps combinée

avec la prépondérance politique etsociale maintenue du monde paysan. Lavolonté de préserver cette base rurale etla faiblesse de la croissance démogra-phique ont contribué à faire très tôt desimmigrés une composante majeure dugroupe ouvrier. L’unité et la stabilité dece dernier n’ont jamais été entièrementassurés et il est resté parcouru par denombreux clivages (hommes/femmes,artisanat/ouvriers des grandes usines,autochtones/étrangers).

LES ANNÉES 1930-1960 Cette période constitue à bien des égardsune rupture. L’accélération de l’indus-trialisation fait affluer aux marges desvilles une nouvelle population ouvrière,articulée aux grandes usines chimiquesou métallurgiques. Cette rupture socialecoïncide avec l’implantation d’un Particommuniste qui, en prenant en chargeles revendications de cette populationrivée aux machines et cantonnés dansles périphéries urbaines, s’impose peuà peu comme « le » parti de la classeouvrière, en muant la marginalité enfierté et en singularité revendiquée.Encore ne faut-il pas verser à nouveaudans le mythe d’une « Belle Epoque ».Temps des conquêtes sociales (1936,1945, voire 1968), ces décennies sontaussi celle des crises, des guerres et desdéfaites (1938, 1940, 1947-1948). Si elles

LA DISPARITION ? La société française contemporaine a un problème avec la classeouvrière, elle a un problème avec les termes mêmes de « classe »et « d’ouvriers », et elle a un problème avec la réalité que ces termespeuvent encore, ou non, recouvrir.

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LA REVUE DU PROJET - SEPTEMBRE 2011

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LE DOSSIER Classe ouvriè re : fantôme de la gauche ?

SUITE DELA PAGE 7 >

PAR MARYSE TRIPIER*

On comptabilise les étrangers dansles recensements depuis 1851, cequi correspond à la fixation des

frontières à l’heure de la cristallisationdes Etats-nations, mais les mouvementsde main d’œuvre ont précédé cette clas-sification. Auparavant existaient desmigrations qu’on qualifie aujourd’huid’internes mais qui avaient les caracté-ristiques qui déterminent les migrantsd’aujourd’hui. Bretons, Auvergnats,paysans ne pouvant plus vivre sur leurpetite propriété (cf Marx sur la« parcelle ») ont quitté leurs provincespour chercher du travail et étaient perçuscomme des « étrangers ». Belges, Alle-mands, Italiens, Polonais ont franchi lesfrontières lors de la première révolution

industrielle, (mines, sidérurgie...) Italiensencore, Espagnols, Portugais, Marocains,Algériens ont accompagné la seconde(automobile, bâtiment...).Les étrangers en France (ou immigrés,car les ressortissants des coloniesn’étaient pas comptabilisés comme tels)ont été et restent pour l’essentiel desouvriers. En 1954 sur 100 actifs étran-gers on trouve 65% d’ouvriers, en 1975cette part est de 77,3%. La part des étran-gers (sans les salariés agricoles) passe de6,1% en 1954 à 14,1% en 19751.

L’INTÉGRATION DES IMMIGRÉSCe double constat nous indique que- l’intégration des immigrés et puis deleurs enfants s’est opérée dans les quar-tiers populaires des villes, dans les coronset plus récemment les bidonvilles, les

foyers, les HLM. En effet, toute migra-tion de travail entraîne à terme, saufexception (comme les monarchies pétro-lières du golfe) une sédentarisation, doncune immigration de peuplement. L’in-tégration à la France, se fait donc via laclasse d’accueil, la classe ouvrière. Il fautdonc, à chaque époque connaître lesconditions de vie, de travail, les mouve-ments syndicaux et politiques pourcomprendre à quel ensemble s’intègrentces nouveaux prolétaires. Nous avonspu écrire que plus la classe ouvrière« autochtone » est « intégrée en elle-même », (concept qui s’oppose à celuid’anomie de fragmentation), mais sansfermeture xénophobe, plus l’intégrationest possible, avec le temps évidemment.À l’inverse, une classe ouvrière déman-telée, précarisée, affaiblie offre des pers-

CLASSE OUVRIÈRE FRANÇAISE, CLASSE IMMIGRÉE ?

voient s’affirmer une « génération singu-lière » (Gérard Noiriel) et une tendanceà l’homogénéisation du groupe, cettehomogénéité reste relative, aussi biensur le plan social (OS/ouvriers qualifiés,nouveaux/anciens migrants) que sur leplan politique. On observera surtout àquel point cette « génération singulière »s’inscrit dans une période brève et paraîtrelever davantage de l’exception que dela règle. Dès les années 1960, les prémicesde la crise industrielle sont tangiblesdans les mines ou encore le textile. Déjàon s’interroge sur une « nouvelle classeouvrière », davantage composée de tech-niciens que de manuels, et déjà on s’in-quiète de voir la singularité se diluer faceà une société de consommation dont lesouvriers vivent, eux aussi, l’attraction.

LA FIN DES CLASSES ?On connaît la suite, celle dans laquelle,d’une certaine manière, nous vivonsencore : l’accélération de la désindus-trialisation, la crise corrélative des formesd’organisation du groupe et sa désinté-gration dans des oppositions multiples(jeunes/vieux/chômeurs/travailleurs,intérimaires/titulaires d’un CDI, Fran-çais/immigrés, etc.), enfin la délégitima-tion de l’idée communiste et l’abandonen général du paradigme unifiant de « la »classe ouvrière. Est-ce pour autant la fin

des classes ? La plupart des travaux socio-logiques (Louis Chauvel) démontrent lecontraire : les classes restent visibles maiselles sont visiblement désarticulées(Olivier Schwartz) et surtout les obser-vateurs peinent à mettre des mots surce qui pourrait être la principale dicho-tomie, ou le principe essentiel de diffé-renciation. L’écrasante nébuleuse desclasses moyennes salariées contrel’étroite minorité des rentiers, vivant desrevenus du capital ? La masse des classespopulaires ou du salariat d’exécution (6millions d’ouvriers et 7 millions d’em-ployés) contre les élites ? Les outsiders(jeunes, précaires, chômeurs, minorités,habitants des « quartiers ») contre lesinclus (ceux qui disposent d’un emploi,d’un statut et d’une protection, aussiminime soit-elles) ? Jusqu’à quel pointde surcroît la question raciale (les« jeunes immigrés » transformés ennouvelles « classes dangereuses »)recoupe-t-elle, ou se substitue-t-elle àla question sociale ? « Ne pas savoir le sens des mots, voilàtout au plus ce qu’on pourrait appelerle nouveau mal du siècle », disait Aragonà la fin des années 1920. La boutade resteon ne peut plus actuelle. Plutôt que decéder à la nostalgie pour un monde quin’est plus ou à la déploration misérabi-liste des vaincus, des victimes ou au pire

des « prolos-abrutis-qui-votent-FN »,discuter des mots, de leur pertinence etdes réalités qu’ils sont susceptibles d’ex-primer pourrait bien être la premièrenécessité, y compris sur le plan poli-tique. Si la notion de « parti de classe »,qui n’a d’ailleurs jamais eu en France,même à gauche, qu’une légitimitépartielle, est aujourd’hui à peu prèsabandonnée, les partis doivent-ilsrenoncer du même coup à porter unereprésentation lisible de la société ? Onpeut le penser, tant est encore prégnantle souvenir des tragédies et de la désil-lusion à laquelle a abouti une certainemythologie ouvrière, tant aujourd’huiun républicanisme lui aussi mythifiéredonne sa vigueur à la peur de la divi-sion en classes ou en communautés. Onpeut penser au contraire, comme lefaisait Jaurès à propos de la SFIO, questructurer des partis sur la base d’unecertaine représentation de la société,des groupes qui la composent et duprojet susceptible de réunir au moinsune partie d’entre eux, participe moinsde la guerre civile que de la vitalité de lavie démocratique et contribue moins àl’enfermement dans une identité qu’àla dynamique d’une collectivité. n

*Marion Fontaine, maître de conférences enhistoire contemporaine à l'université d'Avignon

Une classe ouvrière démantelée, précarisée, affaiblie offre des perspectives d’intégration plus difficiles,comme d’ailleurs pour la jeunesse en général.

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LES EMPLOYÉS DES SERVICES, LE NOUVEAU PROLÉTARIAT ?La désindustrialisation et la tertiarisation de l’économie ontentraîné une recomposition desemplois.

PAR VÉRONIQUE SANDOVAL*

Loin de disparaître avec la désindus-trialisation, l’emploi non qualifié (unnoyau dur de professions qui cumu-

lent bas niveaux de qualification dansles conventions collectives, faiblessalaires et formations peu spécialisées)a connu un regain depuis le milieu desannées 1990. Il représente aujourd’huiun emploi sur cinq. Et au sein desemplois ‘non-qualifiés’, l’augmentationdu nombre d’employés, notamment desemployés de service, a plus quecompensé la diminution du nombred’ouvriers. En 2007, il existe 3,6 millionsd’ « employés non qualifiés », ou plutôtd’emplois non qualifiés correspondantà des emplois d’employé(e)s (ENQ)occupés par des salarié(e)s souventdiplômé(e)s, dont 3 sur 4 sont des« employés de service »(principalement

des assistantes maternelles, des femmesde ménage, agents de service dans l’édu-cation, les hôpitaux, des employés demaison, gardiens d’immeuble, agents desécurité, serveurs, commis en restaura-tion...), et 600 000 des employés decommerce (caissières, employés de libreservice...).Ils présentent des caractéristiques parti-culières. Les assistantes maternelles lesaides à domicile et les femmes deménage, comme les agents de service nesont, en effet, ni au cœur des collectifsde travail (leur rythme de travail nedépend pas de celui de leurs collègues),ni au cœur de la production (il n’est passurveillé continuellement par la hiérar-chie). Il leur est donc impossible d’éta-blir des liens avec des collègues pourrésoudre des problèmes rencontrés dansla réalisation ou l’organisation du travail.Les employé(e)s de service n’ont parailleurs souvent qu’un emploi à tempspartiel et sont, dans 1 cas sur 6, à larecherche d’un autre emploi en complé-ment ou en substitut de leur emploiactuel pour accroître leur revenu. Maisn’ayant que peu de chances d’accéder à

des professions plus qualifiées, maisbeaucoup plus de se retrouver auchômage, leur revenu salarial annuelest inférieur de 44 % au revenu moyendes autres salariés.

LES O.S. DU TERTIAIRELes emplois de service, comme l’en-semble des emplois non qualifiés, ontpar ailleurs des conditions de travail trèsdifficiles. Contrairement à une idéerépandue, le travail à la chaîne est loind’avoir disparu. Depuis une quinzained’années, le travail répétitif s’est mêmefortement développé avec l’émergencedes « OS du tertiaire » que sont les cais-sières de supermarché ou les employéesd’étage des chaînes hôtelières quienchaînent les chambres. Elles ontsouvent des horaires décalés, deshoraires tardifs ou doivent travailler leweek-end. Depuis quarante ans, ce sont les employé(e)s de service et decommerce qui, comme les ouvriers nonqualifiés (ONQ), ont porté l’essentiel desmutations du marché du travail : le poidsdu chômage de masse d’abord, maisaussi la précarisation des emplois. Ainsi,

pectives d’intégration plus difficiles,comme d’ailleurs pour la jeunesse engénéral. La classe ouvrière, dès son essorest confrontée à la dialectique unité-diversité (âge, sexe, métier, région,origine). Longtemps certaines catégo-ries ont servi de « locomotive ». Depuisles grèves de 1936 et pendant lesdites« trente glorieuses » en particulier : leshommes, blancs, métallos, plutôt quali-fiés, dans de grandes usines. Aujourd’huiles contours de cette classe sont à redé-finir, sa place dans l’espace public estmenacée par les délocalisations, laprécarité, l’individualisation des salaires,etc. (Je n’entre pas dans les débats surqu’est-ce qu’être ouvrier aujourd’hui ?)À l’inverse le caractère immigré de laclasse ouvrière, en terme de nationalité,n’est pas massif, mais inégal, contrasté.Ont existé et continuent d’exister desconcentrations dans certains secteurset dans certaines régions. Ainsi quelquesfigures ont surgi et ont fait sens : lemineur polonais, le maçon italien, lebalayeur sénégalais, la bonne espagnole,aujourd’hui le plongeur sans papier, oula nounou africaine.

LE MOUVEMENT DES SANS PAPIERS La mondialisation actuelle a affecté lacomposition de l’immigration ouvrière(le reste aussi, mais on n’en parle pasici). Pour Castles2, la mondialisationconduit plus que jamais à faire appel à l’immigration pour les 3-D Jobs(Dirty(sale), Demanding(non délocali-sable) and Dangerous(dangereux). Lemouvement migratoire se féminise etl’existence prolongée de « sans papiers »représente une dégradation des condi-tions de vie antérieures des étrangers.C’est devenu une « condition d’exis-tence » et non une étape. On ne restaitpas « sans papiers » dans les années 70-80 même si on subissait de nombreusesdiscriminations légales (liées au statutde non national) ou illégales (racisme).Le mouvement des « sans papiers » estd’une importance et d’un héroïsmetrop souvent sous-estimé. Il nousmontre que la question de l’unitéaujourd’hui comme hier passe à la foispar de la solidarité sur place mais mobi-lise ce que l’on appelait l’internatio-nalisme prolétarien qui s’était concré-tisé dans la guerre d’Algérie, la lutte

contre le franquisme et le salazarisme.Le mouvement ouvrier lutte contre laconcurrence mais pas contre le concur-rent, cela fait toute la différence avec lesidées d’extrême droite . n

M.-C. Blanc-Chaleard [2001], Histoirede l’immigration, Paris, La Découverte,Coll. RepèresG. Noiriel [1988], Le Creuset français.Histoire de l'immigration XIXe-XXe siècles,Paris, Seuil.A. Sayad [1979], “Qu’est-ce qu’unimmigré ?”, in A. Sayad [1991], L'Immi-gration ou les paradoxes de l'altérité, pp.49-77.

1) cf Tripier [1990]L'immigration dansla classe ouvrière en France, Ed.CIEMI-L'Harmattan. Paris, 332p. 2) Castles S. [2002], “Migration andCommunity Formation under Condi-tions of Globalization”, InternationalMigration Review, Vol. 36, n°4, pp.1143-1168.

*Maryse Tripier est professeur émérite desociologie à l’université Paris Diderot.

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LE DOSSIER

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Classe ouvriè re : fantôme de la gauche ?

PAR MICHEL PIGENET*

Le Parti communiste, la gauche, laclasse ouvrière… Longtemps, l’énu-mération est allée de soi, telle une

relation d’évidence. Les trois dernièresdécennies en ont rappelé le caractèrehistorique, donc, transitoire, marqué aucoin d’une singularité nationale. Lecommunisme distingua la France, eneffet, du reste de l’Europe occidentale,Italie exceptée, par sa longue prépondé-rance à gauche. Paradoxalement, si cette

situation coïncida avec « l’ouvriérisa-tion » maximum des Trente glorieuses –41 % des actifs en 1962, 8,6 millions en1975 –, la France ne figura jamais, pasplus que l’Italie, dans le peloton de têtedes sociétés les plus ouvrières du conti-nent. De fait, entre 1946 et la fin desannées 1970, la proportion des ouvriersfavorables au PCF, toujours supérieureau tiers, frôla souvent la moitié. Au-delàdu PCF, la classe ouvrière penchait massi-

vement à gauche : 68 % en 1967, 70 % en1981, soit 22 à 13 points de plus que l’ensemble des électeurs. Or, si le PS et le PCF se voulurent « partis de classe »,l’ancrage politique des ouvriers leur était antérieur, à l’instar du clivagegauche/droite issu de la Révolution fran-çaise. Les modalités et les acquis de celle-ci, puis les temps forts des combats politiques ultérieurs ont érigé le volon-tarisme en quasi-principe républicain,

LA CLASSE OUVRIÈRE, LA GAUCHE ET LE PCF ; RETOUR SUR UNE RELATION HISTORIQUE

entre 1998 et 2003, seuls 44 % des ENQprésents en 1998 n’ont pas changé deposte de travail et seuls 11 % ont connuune promotion. Ceux qui ont dû quitterleur entreprise (45% des ENQ), sont sansemploi en 2003 dans plus d’1 cas sur 3et ceux qui ont retrouvé un emploi ont,dans 1 cas sur 2, connu le chômage(pendant 13 mois en moyenne sur lapériode). En outre ils/elles sont lespremières victimes d’un accroissementsans précédent des contrats courts(CDD) et du temps partiel subi. Toutefois, même si les salaires, condi-tions d’emploi et de travail, des employésde service et de commerce sont trèsproches de celles des ONQ, et qu’en-semble ils constituent un segment demain-d’oeuvre à part, cela ne suffit pasà la constitution d’un groupe social. Ilfaudrait qu’ils aient conscience que denombreux salariés vivent la même choseet qu’il leur est possible de changer leschoses. Or qu’ils soient ouvriers ouemployés, les « travailleurs non quali-fiés », sont les salariés qui s’identifientle moins à une classe sociale.

UN SENTIMENT D’INUTILITÉ SOCIALEHoraires et lieux de travail éclatés, statutsd’emploi précaires constituent des obsta-cles à l’appartenance effective à descollectifs de travail et à la prise deconscience d’une communauté d’exploi-tation. Les employé(e)s de service et decommerce comme les ouvriers nonqualifiés sont très peu syndiqués et poli-tisés.14 % des ENQ, 17 % des ONQ mili-tent ou ont milité dans un parti, un

mouvement politique ou syndical contre23% des employés qualifiés et 20 % desouvriers qualifiés. Moins d’un tiers desnon-qualifiés (31% des employés deservice) se sentent proches d’un parti,d’un mouvement ou d’une cause poli-tique, contre 69 % des cadres et 47 % desemployés qualifiés. La précarisation deleurs emplois créé un sentiment d’ex-ploitation et d’inutilité sociale, conduitsouvent à la résignation et au retrait faceaux instances d’intégration liées aumonde du travail. Même si les élémentsd’environnement (les collègues, les lieuxde travail) leur apparaissent comme lesprincipaux aspects positifs du travail, ilsentretiennent moins fréquemment desrelations avec leurs collègues que lesautres salariés. Cette attitude entre rejetet résignation n’est pas sans danger.

DES TRAVAILLEURS SANS IDENTITÉ DE CLASSEEn l’absence d’une identité de classe, legroupe des travailleurs ‘non qualifiés’apparaît morcelé, opposant les jeuneset les plus âgés, les hommes et lesfemmes, les immigrés et les non-immi-grés… Les jeunes non qualifiés ne fontpas de la famille et du travail des réalitésprioritaires pour se définir. Ils jugent enparticulier le travail peu important,veulent changer de métier, d’horaire…Et pour ceux qui ont un diplôme, « lesdéclassés à leur entrée sur le marché dutravail », les emplois non qualifiés sontconsidérés, à juste titre ou non, commedes emplois d’insertion. En situation de reclassement après une

rupture professionnelle ou familiale ouà la fin d’une carrière effectuée commesalarié non qualifié, les plus âgés, eux,se résignent à une position profession-nelle et sociale qu’ils n’ont que peu d’es-poir de voir évoluer. Pour des femmesentrées en cours de carrière sans quali-fication professionnelle, ces emplois nonqualifiés correspondent aussi à des situa-tions plus durables, qui ne débouchentqu’en de rares cas sur des emplois plusqualifiés. Laissées pour compte dans lasphère professionnelle, plus âgées etmoins diplômées que les hommes, ellesn’espèrent plus voir s’améliorer leursemplois, mais dans certains cas – c’estle cas notamment de beaucoup d’em-ployées des services à la personne – trou-vent une compensation dans un travailqui a du ‘sens’, une utilité sociale. Au seindes non qualifiés, les immigrés appa-raissent enfin, encore plus que lesfemmes, en retrait quant à leur intégra-tion professionnelle et sociale, cettesituation, s’accompagnant d’une formede repli vers la communauté d’origine(à travers les amitiés et la religion). Faceà un sentiment d’injustice largementrépandu dans ce groupe social, seulel’espérance peut conduire à la comba-tivité. Le ressentiment, lui, porte au repliidentitaire. La question qui nous est dès lors posée estcelle de la concrétisation de notre projetde société alternatif, en partant de la frag-mentation de ce nouveau salariat. n

* Véronique Sandoval est responsable dusecteur travail au PCF.

C’est à partir de leurs valeurs et attentes que les ouvriers usent des ressources de la politique pour en modi-fier les objectifs et les modalités dans le sens d’une « politique ouvrière » accordée à l’éthique du « faire ».

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condition de sa réception dans lesmilieux populaires auprès desquels laRépublique apparut comme le cadreapproprié d’une démocratisation perma-nente tendue vers l’idéal de bonheurpour le plus grand nombre.

L’ÉMERGENCE D’UNE OPINION ROUGETrès tôt, la cause républicaine eut desadeptes chez les ouvriers séduits par sespromesses d’égalité et d’émancipation.En 1830 comme en 1848, les travailleursprirent place sur les barricades, mais lesrépressions qui mirent fin aux efferves-cences politiques et sociales des lende-mains de révolution rompirent souventles fils tissés avec les républicains d’ori-gine bourgeoise. La première expériencedu suffrage universel permit malgré toutl’émergence d’une opinion « rouge », auxyeux de laquelle la « vraie » Républiquedevait être démocratique et sociale, forte,en 1849, du soutien de près de 25 % desvoix recueillies dans les villes ouvrièreset auprès de larges fractions du petitpeuple des campagnes. Le coup d’Etat de1851 défit les convergences esquissées.Sous l’Empire, les appels au séparatismeélectoral n’eurent guère d’écho, à la diffé-

rence de la voie syndicale, plus adaptéeà l’expression directe des revendicationsouvrières, mais dont les liens avec l’AITpréparèrent la Commune. Bref, l’épisodese conclut par la décapitation du mouve-ment ouvrier qui, couplée aux prioritésde la défense républicaine, atténua l’in-sertion du social dans les luttes politiquesavant la fin des années 1870. A priori, leterrain électoral n’était pas le plus propiceaux succès de partis de classe dans unpays où les ouvriers restaient minoritaires.À l’exception des circonscriptions faubou-riennes de grandes villes ou des bassinsminiers, l’électorat ouvrier, dilué, n’étaitpas en mesure d’assurer la désignationde « ses » représentants. Les connivenceset références partagées au fil des luttespolitiques aidant, cette faiblesse numé-rique fut toutefois compensée par lamultiplicité des passerelles que le dégradédes conditions mouvantes et poreusesdu salariat hexagonal maintenait avec lereste des classes populaires. Les progrèsélectoraux obtenus sur cette base orien-tèrent les socialistes sur une pente insti-tutionnelle. C’est contre ce processus d’in-tégration que réagit le syndicalismerévolutionnaire. Au plus fort de son

influence d’avant la Première Guerremondiale, un tiers des ouvriers votaientsocialiste. Beaucoup maintenaient leurconfiance aux radicaux, ces autres héri-tiers des « rouges », mais les politiquessociales municipales pouvaient conduiredes travailleurs à soutenir, par exempleau Havre ou à Rouen, les républicainsmodérés. Le paternalisme patronal entre-tenait des inclinations plus droitières,notamment en Lorraine sidérurgique ouau Creusot. Quant aux ouvriers deMazamet, cégétistes et catholiques, ilsvotaient régulièrement à droite contreleurs employeurs républicains et protes-tants.

LA CULTURE OUVRIÈRE FONDÉE SUR LE CONCRET Au vrai, la politique instituée, portée àl’abstraction et à la rhétorique, imprégnéede juridisme, tournée vers l’expressiond’opinions individuelles, est aux antipodesde la culture ouvrière fondée sur le concret,l’immédiat, la proximité, le quotidien etle collectif. Ni linéaire ni unilatérale, lapolitisation ouvrière relève moins de l’ac-culturation que de la réappropriationactive. C’est à partir de leurs valeurs et

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LE DOSSIERSUITE DE

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Classe ouvriè re : fantôme de la gauche ?

Comment la gauche peut-elledevenir majoritaire sans l’appuides classes populaires ?

PAR HENRI REY*

On doit saluer l’intérêt du texte deTerra Nova sur les stratégies électo-rales conseillées à la gauche: il dit

tout haut et sans afféteries ce que depuislongtemps déjà un certain nombre deresponsables et d’experts profèrent etpratiquent avec plus de discrétion oud’atermoiements : les ouvriers ne nousintéressent plus, ils sont passés à l’ex-trême-droite, à droite ou à l’abstention,voyons ailleurs. Depuis une vingtained’années s’est progressivement imposéel’idée que la classe ouvrière est en trainde disparaître et que sa dislocation s’ac-compagne de réactions répulsives : xéno-phobie, ressentiment à l’égard des élites,lutte de tous contre tous, pulsions sécu-ritaires, adhésion aux discours populistes,sans d’ailleurs qu’on s’interroge dans lemême temps sur les pratiques et discoursde la gauche en direction des milieuxpopulaires. La classe ouvrière d’avant lamondialisation néo-libérale, celle quivotait encore massivement pour Mitter-

attentes que les ouvriers usent desressources de la politique pour en modi-fier les objectifs et les modalités dans lesens d’une « politique ouvrière » accordéeà l’éthique du « faire ». À distance défiante,des politiciens et de la politique institu-tionnelle, elle oppose le contre-modèled’une politique « en acte » et « directe »dont les fondements sociologiques etanthropologiques ne préjugent pas d’af-finités partisanes, mais purent entrer enrésonnance avec le volontarisme et lesambitions sociales de la gauche.

LA SINGULARITÉ DU PCFDans la longue durée de cette relation,la singularité du PCF fut de réaliser, untemps, l’improbable synthèse de la« politique ouvrière » et de la politiqueinstitutionnelle à travers l’assimilationde son identité partisane à celle de laclasse. Le PCF se dota en conséquence,dans les douleurs de la bolchevisationexigée par Moscou, des moyens de sesobjectifs. À compter de 1924-1925, il necessa de privilégier la promotion de mili-

tants ouvriers et l’action en directiondes usines et des quartiers populaires.La rupture introduite par cette manièred’ériger l’illégitimité culturelle et socialeen critère de légitimation politiqueforgea une culture et une sensibilitépartisane inédite. Alors même que leslignes et le fonctionnement changeaient,la constance de son « ouvriérisation »garantissait la vigueur de l’ancrage duPCF dans la société française auxgrandes heures de la seconde industria-lisation et de l’État social. La radicalisa-tion consécutive au choc de 1968 et lerenouvellement du recrutement bous-culèrent les équilibres sur lesquels repo-sait la spécificité du communisme hexa-gonal. La gestion maîtrisée des tensionsinhérentes à la délicate synthèse socio-politique aux fondements du PCF s’en-raya, provoquant une série de crisesinternes sur fond de bouleversementssociaux. L’ouvriérisme communiste viraau handicap dès lors que l’image de l’ou-vrier et le sentiment d’appartenance declasse se dégradaient. Le retour au

gouvernement rongea la crédibilité du Parti, force d’appoint d’un pouvoirorganisant la dérégulation social-libé-rale. Contemporain du détachementprogressif des ouvriers de la gauche engénéral, la séparation du vote ouvrierd’avec le vote communiste s’accéléra aufur et à mesure que le recul du PCF lami-nait son attractivité. Non inscriptionélectorale, abstention, vote de repliprotestataire dont la stigmatisation favo-risait une identification moins attachéeà la rhétorique de droite extrême qu’auvolontarisme politique hors de saison àgauche. Le vote ouvrier perdait en cohé-rence plus qu’il ne s’effaçait. On le vérifialors du référendum de 2005, non sansune ambiguïté que la gauche, PCFcompris, se révéla incapable de travailler.Mais ne préjugeons pas des suites d’unehistoire qui reste ouverte. n

Michel Pigenet* est professeur d’histoirecontemporaine à l’université Paris-I. Il estdirecteur du Centre d’Histoire sociale duXXe siècle,

rand en 1988 aurait fini, avec la délocali-sation des usines, le chômage de masseet les diktat des fonds de pension, à sevolatiliser et ce qui en reste filerait dumauvais coton. L’avenir de la gauche sejouerait désormais du côté des classeséduquées, ouvertes au monde et à l’évo-lution des genres de vie, d’autant plus àgauche qu’elles sont bac++ et permis-sives. Trop de hâte pour voir pratique-ment achevée l’évolution pressentieconduit toutefois à sous estimer large-ment le poids démographique desouvriers et des employés, à oublier les50% du vote ouvrier pour Ségolène Royalau 2ème tour de 2007 (plus que les 47% deson résultat global), à amplifier l’emprisedéjà considérable du Front national,volontiers présenté comme le nouveauparti ouvrier et laisse sans réponse laquestion : comment devenir majoritairesans l’appui des classes populaires ?

INCONSISTANCE D’UNE GAUCHE POST-SOCIALISTEL’embarras de la gauche à l’égard des caté-gories populaires prend naturellementdes expressions diverses selon lescourants et les formations, mais il est bienréel et résulte à mon sens d’au moins troisgrands facteurs : le renoncement à leur

voir jouer un rôle moteur de transforma-tion sociale, la difficulté à imaginer unealliance entre les différentes composantesdes catégories populaires, entre elles etavec les couches moyennes, et l’incapa-cité à rendre crédible une alternative à lagestion courante conduite par la droiteen France et en Europe. Ces trois pointssont étroitement liés car ils renvoient, aufond, à l’inconsistance de l’identité d’unegauche post-socialiste, ayant répudiéjusque dans ses déclarations de principe,la notion de lutte de classes, hésitant à la simple énonciation du vocable« ouvrier », peu attentive au décryptageet à la gestion des contradictions qui divi-sent les catégories populaires et peuconfiante dans sa propre capacité à porterdes réformes appréciées comme signifi-catives par l’électorat populaire. Ne reste-rait alors, pour la gauche, qu’à reprendre,sous des formes plus ou moins renouve-lées, un discours républicain, qui ne ladistingue pas en propre, et à la classeouvrière à se fondre tant bien que maldans la masse des citoyens. n

*Henri Rey, est politiste, directeur derecherches à Sciences Po (CEVIPOF), auteurde La gauche et les classes populaires,Histoire et actualité d’une mésentente, Ed. LaDécouverte.

DE LA MÉSENTENTE AU REJET ?

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PAR OLIVIER FERRAND*

On nous a accusés de vouloir aban-donner les classes populaires auFront national. Rien n’est plus faux.

Ce que nous avons dit, c’est que lesclasses populaires d’aujourd’hui ne sontplus celles d’hier. Les classes populairesde 1981, c’étaient les ouvriers etemployés en emploi. Leur cœur : la classeouvrière. Leur figure emblématique : l’OSà l’usine. Ils étaient tous intégrés, enemploi stable (CDI), car ils vivaient dansla société du plein emploi. Dans la sociétéen crise de 2012, la réalité des classespopulaires n’est plus celle-là. À côté deces classes populaires intégrées, il y aaujourd’hui une masse nouvelle declasses populaires déclassées, qui ontune relation plus ou moins éloignée àl’emploi. Le phénomène récent, c’estl’explosion du précariat. En 2010, sur 19millions de contrats de travail signés enFrance, 12 sont des contrats de moinsde … un mois ! Au total, il y a aujourd’huien France six millions de précaires (CDD,interim, temps partiel subi), auxquelss’ajoutent trois millions de chômeurs, etencore trois millions d’exclus qui necherchent même plus un travail. Soitdouze millions d’outsiders, 40% de l’en-semble de la population active.

QUELS SONT LES VISAGES DE CES NOUVELLES CLASSES POPULAIRES ? Ce sont des jeunes peu qualifiés en galèrede petits boulots en CDD, des mères céli-bataires employées à temps partiel frag-menté, des blacks et des beurs debanlieue discriminés à l’embauche, desouvriers en chômage de longue durée…Les nouvelles classes populaires sont lesprincipales victimes de notre société encrise. Elles ont les revenus les plusmodestes et vivent le plus souvent sousle seuil de pauvreté. Elles sont les varia-bles d’ajustement à la crise : 80% desdestructions d’emploi subies depuis 2008ont été subies par les travailleursprécaires. Ce sont eux, les « gueux » dontparle Jean-Luc Mélenchon.Pire encore, ces populations sont violen-tées politiquement, en butte à la vindictepopuliste du FN et de l’UMP radicalisée.Elles sont agressées dans leur identitéculturelle : les « jeunes » fainéants, la« racaille » de banlieue, les Français del’immigration rejetés comme des étran-gers sur leur propre sol. Et elles sont stig-matisées socialement comme des« assistés ». À 466 euros, nous avons pour-tant les minima sociaux parmi les plusfaibles d’Europe : 35% à peine du revenumédian, une misère, contre 60% enmoyenne dans l’Union européenne et

80% dans les pays les plus solidaires (paysnordiques, Allemagne, Pays-Bas). Le problème, c’est que la plupart des poli-tiques et des intellectuels de gauche conti-nuent à faire référence aux classes popu-laires de 1981. Quand ils parlent des « classespopulaires », ils pensent en fait « classespopulaires intégrées » et ils ne voient pasles nouvelles classes populaires déclassées.« Les classes populaires, c’est le salariat »,dit Olivier Dartigolles, le porte-parole duParti communiste. Or justement, la majo-rité des classes populaires actuelles nefait pas partie du salariat ! Les nouvellesclasses populaires sont un angle mortdu discours politique de gauche, dontl’imaginaire demeure associé aux réfé-rents d’hier, incarnés par l’ouvrier àl’usine en CDI.Le message de Terra Nova est simple. Ladroite sarkozyste a dressé la « France quise lève tôt » contre les « assistés ». Il nefaut pas la suivre dans cette voie délé-tère. La gauche doit défendre aussi lesnouvelles classes populaires. n

Olivier Ferrand* est président de TerraNova

1) Olivier Ferrand et Bruno Jeanbart,Gauche : quelle stratégie électorale pour2012 ? (rapport de Terra Nova,www.tnona.fr, mai 2011).

LA GAUCHE DOIT AUSSI DÉFENDRE LES NOUVELLES CLASSES POPULAIRES

PAR ANNIE COLLOVALD*

Les classes populaires sontaujourd’hui bien impopulaires. Dumoins si l’on s’en tient aux commen-

taires les plus en vue sur leurs compor-tements électoraux et leurs motivationssociales. Considérées, depuis 1995 surla base des sondages, comme les prin-cipaux soutiens du FN au point de fairede celui-ci le premier parti ouvrier enFrance, elles sont maintenant perçuescomme culturellement incompatiblesavec la société que l’avenir appelle :

« tolérante, ouverte, solidaire, optimisteet offensive » selon les termes du rapportde Terra Nova. Les constats s’accumu-lent ainsi sur leur caractère hors jeud’une politique moderne. Leur incul-ture liée à leur manque de diplôme etleur faiblesse économique se conjuguentpour les doter d’une « crédulité récep-tive » aux solutions simplistes, autori-taires et xénophobes affichées par le FNet au charisme du leader « fort engueule » de ce parti. Si l’on relève déjàquelques difficultés d’interprétation surce point avec le remplacement du père

par la fille, on peut réfuter de telles affir-mations, non par volonté romantiquede « sauver la classe ouvrière », maisparce qu’elles ont tout d’une évidencetrès mal fondée.

L’EMPRISE DES PRÉJUGÉSRappelons d’abord quelques commen-taires de 2002, intéressants tant ils révè-lent combien, sous l’apparence dedécrire, s’opèrent des raccourcis terri-bles et des stigmatisations qui quittentle terrain scientifique pour celui de l’opi-nion préconçue. « … (Ceux qui votent

Le terme de « classes populaires » est source d’une grande confusion politique. Cette confusion est à l’origine de la polémique qui a entouré la publication du rapport de Terra Nova sur la stratégie électorale1.

Les classes populaires paraissent une cause perdue pour la politique, la démocratie et « la France de demain ».

LE DÉGOÛT DU PEUPLE

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Classe ouvriè re : fantôme de la gauche ?

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LE DOSSIERFN) sont des gens qui sont en bas del'échelle des revenus mais aussi del'échelle des savoirs. Plus le niveau deculture est élevé, plus on est à l'abri d'unvote Le Pen » affirme un politologue. Lesélecteurs du FN se retrouvent, soit pardéfaut d’éducation soit par adhésionidéologique, dans de mêmes attentesd'ordre, de sécurité et d'autorité (souhaitd'avoir un « chef ») et dans un même« ethnocentrisme » (« rejet des autres »)affirme un autre qui précise : « Il ne s'agitpas de n'importe quels ouvriers (quivotent FN), mais de la fraction la plus« ouvrière » d'entre eux, ceux qui sontnés, travaillent et se sont mariés dansce milieu… ». L’intégration dans lemonde ouvrier prédisposerait ainsi àadhérer aux thèses frontistes. Les inter-prétations reposaient néanmoins alorssur des jugements « à bascule » : ilsblâmaient les classes populaires(responsables du succès d’un partiindigne) tout en les plaignant (ellesavaient des excuses : elles étaient lesprincipales victimes d’une crise socialequi les laissaient déboussolées et dispo-nibles, par frustration et ressentiment,pour tout extrémisme). Maintenant,avec le rapport de Terra Nova, c’est enraison de leurs valeurs matérialistes etquasi réactionnaires les inclinant à s’arc-bouter sur leurs « acquis » et à défendre« le présent et le passé contre le chan-gement » que les catégories populairesseraient incapables de participer à laréalisation d’une société meilleure. Plusd’hésitations ou d’atermoiement ici : lanaturalisation des « indispositions à ladémocratie » est complète, au prixcependant d’une série de glissementset de projections inversées dans descommentaires déjà peu crédibles socio-logiquement. En 2002, le clivage principal opposaitles « gens d’en bas » (« ceux de la déses-pérance sociale ») aux « privilégiés » ;aujourd’hui la coupure passe entre lesinsiders (les ouvriers et les employés)et les outsiders (les femmes, les jeunes,les immigrés et toutes les catégoriescultivées qui les soutiennent). L’évoca-tion (même sommaire et caricaturale)des rapports de domination a disparu,remplacée par un double tour « de vice »symbolique. D’une part, les traits prêtésau FN sont transférés sur ses supposéssoutiens populaires. Nouvelle explica-tion apparue en 2002 qui changeait lespoints de vue sur l’extrême droite et lesmenaces pesant sur la démocratie, c’estle FN qui était jugé être un « insiderdangereux » : la raison en était son

caractère « trop démocratique » – ilentendait donner « trop de place aupeuple » – contrairement aux extrêmesdroites précédentes, dangereuses parleur « déloyalisme » et leur inclinationanti-démocratique, ce que désignait lelabel de « fasciste ». Aujourd’hui ce sontles ouvriers et les employés, hier vuscomme des « exclus », qui sont des insi-ders parfaitement intégrés à l’ordresocial dominant. Sont passées soussilence leur déstabilisation, leur démo-bilisation et les diverses formes de relé-gation sociale et politique que toute unesérie de politiques peu sociales leur fontsubir : c’est par manque de raisonne-ment et de conviction éclairés qu’ilsseraient devenus les supporters d’unconservatisme rétrograde ! D’autre part,le niveau d’études qui, en 2002, étaitprésenté (à tort) comme la premièresource des inégalités sociales et lavariable prédictive des orientations poli-tiques (moins de diplôme signifiaitmoins de compétence et donc plus decrédulité et d’engouement pour l’ex-trême droite) est maintenant retraduiten termes de « valeurs » ou plus préci-sément de « contre valeurs ». Comment,en complément de tous les dispositifsétablis ou envisagés de surveillance etde contrôle des « pauvres » toujourstricheurs, fraudeurs et menteurs, mieuxattester de l’infériorité statutaire etmorale des catégories populaires (et dela supériorité morale des élites) ? Déci-dément, aux pauvres, les mains et lespensées sales !

L’ENTÊTEMENT DES FAITSOn ne peut être que consterné devantla concordance de ces jugements qui,en toute tranquillité cognitive, sontassenés comme des constats. Nonseulement, ils ajoutent aux dégrada-tions sociales de vie une disqualifica-tion symbolique en déclassant les caté-gories populaires – hier pourtantavant-garde de lendemains heureux –pour les dépeindre sous la figurerepoussoir du « mauvais peuple » arriéréet dépassé, mais ils créent une distancemorale telle avec les plus démunisqu’elle justifie tous les abandons passéset futurs. Consterné aussi, même si l’ony était habitué, par l’expression sansfard d’un mépris social qui, sous couvertde science et d’expertise, ratifie despréjugés avec une ignorance des « faits »confinant au cynisme. Nombre de travaux sociologiques ontmontré que le premier parti des frac-tions populaires est l’abstention et non

le FN, que celles-ci continuent (quandelles votent) à donner leurs voix prin-cipalement à la gauche (la majorité deleurs membres ont voté S. Royal en2007) puis à la droite classique, que lanouveauté électorale les concernant estdouble : forte montée de l’abstentionconjuguée à une dispersion de leurssuffrages. Ce sont ces phénomènes quisont préoccupants pour la démocratie,du moins pour la démocratie concrètequi se fonde sur une pratique active etla participation de tous à la définitiondu souhaitable et du désirable ensociété. Ils signalent, chez les ouvrierset les employés, l’érosion du sens deleur place sociale et renvoient à leursituation actuelle et non à leurs dispo-sitions ou leurs valeurs. Une situationsociale et économique dans laquelleleurs vies ne cessent de s’abîmer(chômage, licenciements, absenced’avenir…) ; une situation politiqueégalement qui les voit de plus en pluslivrés à eux-mêmes dans l’expériencedes épreuves sociales et délaissés pardes organisations qui, il y a peu, sevouaient à les protéger des mécanismesde domination sociale et des humilia-tions vécues en dénonçant les injus-tices et en offrant un discours d’espé-rance. À l’inverse ainsi de ce qui estproclamé à satiété, les catégories popu-laires possèdent bien des verrousmoraux et une conscience sociale pourse réfugier d’abord dans le retrait élec-toral et social afin de préserver unedignité menacée. Ces dispositions,inculquées par l’histoire même dumouvement ouvrier, forgent uneéthique invitant davantage à la fidélitésilencieuse aux idéaux collectifs qu’à laconversion au pire. Une éthique pourle moins étrangère aux « importants »qui, eux, professent et adoptent sansgrands états d’âme les revirements oureniements politiques et qui aident,comme si besoin était, par leur mépriset leur ignorance, le probable à devenirdestin et fatalité : le propre de l’idéo-logie et des pratiques dominantes, lecontraire d’une lutte contre l’inaccep-table. n

*Annie Collovald est professeur de sociolo-gie à l’université de Nantes, directrice duCENS (centre nantais de sociologie) etmembre de l’association Savoir/Agir. Elle apublié Le populisme du FN : un dangereuxcontresens, édition du Croquant, 2004 et sonlivre Jacques Chirac et le gaullisme : biogra-phie d’un héritier à histoires vient de repa-raître en poche chez Belin, 2010.

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PAR YANN LE POLLOTEC*

Depuis 1988, le PS n’a gagné aucuneélection présidentielle, alors quec’est le type d’élection où la parti-

cipation est la plus forte. Certes le PS etla gauche gagnent les élections intermé-diaires et locales, mais dans un contexted’abstention de plus en plus massive. Ilexiste une contradiction de plus en plusdifficile à dépasser, entre la fortedemande de protection et de justicesociale des classes populaires, et lesconséquences de l’acceptation par le PSdu cadre économique du capitalismecontemporain. Le caractère antagonistede cette contradiction conduit soit àrenier les promesses sociales lorsqu’onarrive au pouvoir, soit à être dans la nonréponse assumée à la demande socialedes classes populaires comme le futJospin avec son « l’État ne peut pas tout »en 2001. Dans les deux cas on produitde l’abstention, on dévalorise la poli-tique et la démocratie en particulierauprès des classes populaires.

TERRA NOVA, L’ABANDON DES CLASSESPOPULAIRES AU FN C’est avec la prétention de résoudre ceproblème que Terra Nova1, a produit sonrapport : « Gauche quelle majorité pour2012 ». L’idée maîtresse de ce rapport estque les ouvriers, les employés, les classespopulaires ne sont plus et ne peuventplus être le socle électoral de la Gauche. Terra nova théorise l’abandon des classespopulaires au FN : « bientôt fréquen-table, le FN de Marine Le Pen a opéré unretournement sur les questions socioé-conomiques, basculant d’une posturepoujadiste néolibérale (…) à unprogramme de protection économiqueet sociale équivalent à celui du Front degauche. Pour la 1ère fois depuis plus de30 ans, un parti entre à nouveau enrésonnance avec toutes les valeurs desclasses populaires : protectionnismeculturel, protectionnisme économiqueet social. Le FN se pose en parti desclasses populaires2 »

L’électorat de gauche doit se recomposerautour de « valeurs culturelles », la libertédes mœurs, la dépénalisation desdrogues, l’ouverture aux différencesculturelles, acceptation de l’immigra-tion et de l’Islam… et non d’enjeuxéconomiques et sociaux. Ce nouvel élec-torat « la France de demain » seraitconstitué par les jeunes, les femmes, les« Français de la diversité », les diplômés,les urbains et les non catholiques.

DIVISION DU SALARIAT ENTRE OUTSIDERS ET INSIDERSTerra nova joue la division du salariat enopposant les outsiders (précaires,chômeurs, exclus, « minorités visibles »,employées qui, par leurs supposées« valeurs culturelles », peuvent intégrer« la France de demain »), et les insiders(salariés masculins en CDI et retraitésqui, arqueboutés sur « leurs droitsacquis » et taraudés par l’angoisse dudéclassement), ont vocation à voter FN.Les insiders sont assimilés aux classespopulaires. Par leurs « droits acquis » ilsempêcheraient l’entrée sur le marché dutravail des outsiders. Terra Nova proposeune recomposition de l’électorat du PSqui n’est qu’une version francisée duprojet social-libéral-libertaire de « 3e voie »d’Anthony Giddens et de Tony Blair, dontl’axiome de base était que « les sociétésmodernes ne sécrètent plus de projetcollectif en dehors des aspirations indi-viduelles de chacun ». Il s’agit de gagnersa place dans la société et non de lachanger.

UNE FORME D’APARTHEID SOCIALRestreindre les classes populaires auxseuls ouvriers et employés masculins enCDI comme le fait Terra nova, relèved’une conception pour le moins singu-lière de la sociologie. Considérer que lesclasses populaires sont fatalement etuniformément dominées par des valeursculturelles réactionnaires participe d’uneforme d’apartheid social et non d’uneanalyse rigoureuse des évolutions de lasociété française. Terra Nova fait l’im-

passe sur les contradictions et lestensions qui minent la gauche françaisedepuis la fin des années 80 : Le fait quel’opposition révolutionnaire / réformisteait laissé la place à une opposition entreceux qui veulent changer les rapportssociaux et ceux qui veulent que chacuntrouve sa place dans la société tellequ’elle est.La contradiction entre les choix poli-tiques mis en œuvre par la gauche aupouvoir dans les institutions nationaleset européennes et les intérêts objectifsdu salariat. Le fossé qui existe entre ceux qui repré-sentent le peuple dans les institutionset la réalité sociale de ce peuple.

A CONTRARIO, LE SALARIAT SOCLE ÉLECTORAL DE LA GAUCHEA contrario des orientations avancéespar Terra Nova, le salariat qu’il soit enactivité, en formation, au chômage ou àla retraite, dans toutes ses dimensions –genre, cultures, orientation sexuelle, foireligieuse... – et dans la recherche de sonunité, doit constituer le socle électoralde la gauche. Une gauche authentiquese doit de répondre aux aspirationséconomiques et sociales des classespopulaires, aux besoins de nouvellesprotections sociales, mais ces combatssont indissociables de la lutte contretoutes les dominations et pour desvaleurs de liberté, d’égalité, de solida-rité, d’internationalisme, de paix…Lagauche doit non seulement présenterune alternative, mais aussi rendrecrédible à l’échelle d’une vie humaine lechemin politique pour y parvenir. C’estpourquoi elle doit s’appuyer sur lescombats émancipateurs de la jeunesse,des femmes et du féminisme, des « Fran-çais de toute la diversité »… en conver-gence avec toutes les luttes sociales pourconstruire le rassemblement politiquedu peuple afin de changer radicalementles rapports sociaux et de bâtir uneFrance de demain pour tous. n

Yann Le Pollotec* est membre du conseilnational du PCF.

1) Plus qu’un think tank, Terra Nova est legroupe de pression idéologique et média-tique de l’aile la plus social-libérale du PS2) Page 15 du rapport Terra Nova « Gauchequelle majorité pour 2012 »

QUELLE PLACE POUR LES OUVRIERS DANS UN PROJET DE GAUCHE ?

A contrario des orientations avancées par Terra nova, le salariatqu’il soit en activité, en formation, au chômage ou à la retraite,dans toutes ses dimensions – genre, cultures, orientation sexuelle,foi religieuse... – et dans la recherche de son unité, doit constituerle socle électoral de la gauche.

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LE DOSSIER Classe ouvriè re : fantôme de la gauche ?

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La définition d’une politiqueindustrielle novatrice mobilisedes enjeux très concrets d’em-ploi, de prospérité du pays etd’indépendance.

PAR ALAIN OBADIA*

L a stratégie d’abandon industrielmenée par la classe dirigeante depuisplus de trente ans a conduit à la

destruction de près de 3 millions d’em-plois dans l’industrie. Le développementdes services n’a pas apporté la solutionmiracle proclamée par les chantres de lasociété post industrielle. Entre 2002 et 2011,le chômage s’est aggravé (+ 650 000) et laprécarité du travail a explosé. La dégrada-tion de la balance commerciale n’est pasqu’une statistique. Elle signifie que laFrance doit s’appauvrir pour se procurerles produits qu’elle n’est plus en mesurede fabriquer. Les échanges internationauxsont une excellente chose mais leurdéséquilibre structurel est dangereux surla durée. Nous en subissons désormais lesconséquences. Notre déficit extérieur n’estpas dû uniquement au dumping social,aux pays à bas coûts. Le second poste défi-citaire après la Chine est celui de l’Alle-magne. Ce pays est, à l’inverse du nôtrestructurellement excédentaire. Cela pèsesur le rapport des forces en Europe. Au-delà des rodomontades de Sarkozy, laFrance est désormais à la remorque desexigences allemandes par exemple en cequi concerne la gestion de la crise de l’Euro.

JOUER SUR LES SYNERGIESAinsi, la nécessité de mener une politiqueindustrielle au service de l’emploi et dudéveloppement humain est un deséléments importants conditionnant notreavenir.Il est faux d’opposer l’industrie et lesservices. Ils ne fonctionnent pas commedes vases communicants mais au contrairedans des relations d’interaction. Il est fauxd’opposer industrie et enjeux écologiques.Dès lors que la bataille est menée pourintégrer ces enjeux aux objectifs de gestion,les mesures de protection de l’écosystèmejouent avec efficacité. Les expérimenta-tions de l’écologie industrielle dont ladémarche est d’intégrer l’approche écolo-gique dès l’origine des process est parti-culièrement prometteuse. L’une des

manières les plus opérantes de diminuerl’empreinte carbone des productions estde les relocaliser. Les mensonges propagésil ya quelques années selon lesquels unenouvelle division du travail se seraitinstaurée qui nous permettrait de garderles activités à haute valeur ajoutée et larecherche alors que les pays émergents secontenteraient d’être l’atelier du mondeont volé en éclat. La Chine, l’Inde, le Brésiletc. n’ont nullement l’intention de nouslaisser être les têtes pensantes alors qu’ilsseraient les petites mains. Ils ont bienraison. Chacun peut contribuer au progrèsde tous et l’exigence de coopération estplus pressante que jamais. Ainsi, notreaction pour l’industrie n’est pas un combatpasséiste. Bien au contraire elle conduit àposer la satisfaction des besoins humainscomme moteur d’un mode de développe-ment émancipateur.

UN DÉVELOPPEMENT ÉMANCIPATEURLa politique industrielle n’a pas pour butde soutenir à coup de fonds publics des« champions nationaux »- en fait des multi-nationales à base française- qui ensuitedélocaliseraient les productions. Elle doitau contraire intégrer comme préoccupa-tions prioritaires : la création d’emplois etnotamment d’emplois qualifiés, la sauve-garde de l’écosystème, le développementdes territoires, la synergie avec les serviceset les services publics.Elle doit s’appuyer sur des systèmes definancement profondément transformés. La durabilité de l’activité industrielle estincompatible avec les exigences de taux derentabilité à deux chiffres exigés par lesactionnaires; incompatible également avecle primat du court terme qui caractériseleur logique. C’est pourquoi il est essentielde se battre pour réorienter les finance-ments et mobiliser de nouveaux moyensfinanciers. La création d’un pôle financierpublic au service d’une nouvelle politiquedu crédit, des Fonds Régionaux, Nationalet Européen la mettant en œuvre pourpromouvoir l’emploi, le développementterritorial et la préservation des écosystèmesen constituent les instruments privilégiés.La politique industrielle doit s’inscrire dansune stratégie cohérente. A cette fin, il estprimordial de doter notre pays de capa-cités prospectives au service de ces objec-tifs, d’outils de planification concernantles grands projets structurants et surtoutde procédures de décisions novatrices pour

que les choix conditionnant l’avenir relè-vent de la démocratie et non des exigencesdes marchés financiers.La politique de recherche doit conjuguerune recherche fondamentale de hautniveau n’obéissant pas à des objectifs derentabilité à court terme et un développe-ment de la R&D des entreprises aujourd’huinotoirement insuffisante. Les pôles decompétitivité doivent être transformésprofondément pour devenir des « pôlestechnologiques de coopération » favori-sant la production aval sur le territoire. Une véritable politique de développementdes filières stratégiques favorisant lescoopérations entre branches doit être miseen œuvre et être dotée des compétenceshumaines et des moyens financiers néces-saires. Une vingtaine de filières de ce typepeuvent être identifiées de l’aérospatialeà la pharmacie en passant par l’automo-bile, l’énergie, les industries de la commu-nication et du virtuel ou les transports etc.En lien avec les exigences d’efficacitésociale et de démocratie, des pôles publicsdoivent être constitués dans ces filièresstratégiques pour entraîner des politiquesstructurantes d’investissements et de déve-loppement.Une attention particulière doit être portéeaux nœuds technologiques qui condition-nent l’avenir des activités industrielles :des biotechnologies aux nanotechnolo-gies en passant par les nouveaux maté-riaux, les technologies énergétiques etc.Plus généralement, les relations donneurd’ordres/sous-traitants doivent êtreprofondément transformées dans un sensde coopération en rupture avec les rela-tions actuelles fondées sur la brutalité desrapports de force.

LA DIMENSION EUROPÉENNE Elle est d’une importance primordiale. Ilest urgent que la France mène la bataillenécessaire pour que l’Europe se dote d’unepolitique industrielle répondant à desobjectifs de progrès humain et écologique.Le Fonds de développement social euro-péen proposé par le PGE peut devenir unoutil de premier plan dans cette perspec-tive. L’Europe est également un niveaud’action pertinent pour faire prévaloir l’in-troduction de clauses sociales et environ-nementales dans les échanges internatio-naux. Cela permettrait de s’opposer auxlogiques de moins disant social et envi-ronnemental qui constituent le socle desstratégies de délocalisation. n

Alain Obadia* est responsable du secteurNouveau mode de développement au PCF.

UNE POLITIQUE INDUSTRIELLE POUR UN DÉVELOPPEMENT ÉMANCIPATEUR

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PAR JACKY HÉNIN*

L’industrie européenne vit l’échec dela stratégie de Lisbonne. L’Unioneuropéenne, à l’exception de

quelques niches ou pays, se désindus-trialise alors que l’industrie des paysémergents monte d’une manière accé-lérée en puissance et en gammes. C’estla Chine populaire et non l’Europe quimet en œuvre les objectifs de la Stratégiede Lisbonne.

Les grands groupes industriels nedaignent conserver un outil de produc-tion et de recherche en Europe qu’auxtermes d’audits financiers très pousséset d’une très forte pression sur lessalaires, les conditions de travail et l’em-ploi. En 1980 sur les pays de la zone Euro,il fallait dans l’industrie 18.500 personnespour créer une valeur d’un milliardd’euros de richesse. Aujourd’hui, il suffitde 3.900 salariés pour produire ce mêmemilliard d’euros de richesse. Soit unrapport de 1 à 4,74, la productivité appa-rente du travail industrielle s’est doncaccrue deux fois plus vite que le nivauxdes salaires et du PIB ! Les salariés n’ontainsi perçu qu’une infime partie de larichesse produite par ce gigantesqueeffort de productivité. Par contre, ils ontdu assumer une très forte intensifica-tion de leur travail et la dégradation deleur protection sociale et contractuelle.L’essentiel de ces gains de productivitéont été gaspillés dans des activités finan-cières et dans des exportations massivesde capitaux.

Contrairement aux affirmations dudiscours politique dominant, jamais lenombre et la qualité des emplois indus-triels détruits depuis la fin des années70 n’ont pu être compensés par le déve-loppement d’activité de services ou denouveaux secteurs industriels. Plus unpays est désindustrialisé, plus les inéga-lités sociales s’accroissent et plus lesalaire médian est faible.

UN VÉRITABLE CANCER FINANCIERLes entreprises industrielles sont rongéespar un véritable cancer financier. Ellessubissent la loi des prédateurs que sontles différents les fonds financiers, avec

en particulier les “Private équity” et leur“LBO”. La responsabilité des banques etdes institutions financières est acca-blante. Le poids de la finance dans lagestion des entreprises et les choix stra-tégiques y compris celui de délocaliser,est déterminant.

Réindustrialiser, relocaliser, créer desemplois industriels implique decombattre le cancer financier qui détruitnos entreprises et nos emplois. Cecombat passe par une réquisitionpublique du crédit au service de l’em-ploi, de la R&D et de l’activité en Europe.Je pense à la mobilisation des fonds dela BEI (Banque européenne d’Investis-sement), à la mise en place d'un pôlepublic des banques et du crédit au niveaunational et européen, mais aussi desfonds européens d’aide à la réindustria-lisation et aux relocalisations, sur la basede crédits sélectifs et de véritables plansde formation.

APPROPRIATION SOCIALE DES MOYENS DE PRODUCTIONIl faut aussi travailler à une appropria-tion sociale des savoirs faire et desconnaissances qui fasse que cela soit lessalariés qui soient propriétaires dessavoir faire, des brevets, des copyrights,et non les actionnaires

De nouvelles formes d'appropriationssociales des moyens de production etd’échange sont nécessaires pour donneraux salariés, aux élus et aux citoyens deréels pouvoirs d’interventions sur lesgestions. Des nationalisations démocra-tiques devraient déboucher sur des réor-ganisations de secteurs industriels stra-tégiques. Par exemple on pourrait créerun pôle public européen de l’Energie etdu traitement des déchets. Nous avonsbesoin de travailler à des planificationsdémocratiques au niveau régional,national et européen.

Enfin sur le plan international l’Unioneuropéenne se doit d’agir afin remettreen cause les règles de l’OMC pourprotéger les salariés, les citoyens et lesterritoires des dumpings salariaux, sani-taires, sociaux, fiscaux, et environne-mentaux. Afin de casser l'hégémonie du

dollar mortelle pour notre industrie, elledoit soutenir la proposition des BRIC(Brésil, Russie, Inde, Chine) d’unemonnaie commune mondiale

L’industrie est indispensable au déve-loppement humain. Sans industrie il n’yaura par exemple ni transition énergé-tique et ni réponse au vieillissement dela population.

L’industrie est au centre d’un formidableaffrontement de classe. Quelles richessesproduire ? Pour satisfaire qui et quelsbesoins ? Produire ce qui demande peud’investissement et rencontre une fortedemande solvable, ou produire et investirpour la réponse aux besoins humains.En clair, l’industrie européenne a-t-ellevocation à enrichir les actionnaires ou àrépondre aux besoins de tous.

* Jacky Hénin est député européen commu-niste.

1) La stratégie de Lisbonne avait l’ambitionde « faire de l’Europe l’économie de laconnaissance la plus compétitive et la plusdynamique du monde d’ici 2010, avec unecroissance durable assise sur une améliora-tion quantitative et qualitative de l’emploi etsur une plus grande cohésion sociale »

2) Aéronautique, machines outils.

3) Essentiellement Allemagne et Tchéquie.

4) En euro constant

5) leveraged buy-out

RÉPONDRE AUX BESOINS HUMAINS EN EUROPERéindustrialiser, relocaliser, créer des emplois industriels implique de combattre le cancer financierqui détruit nos entreprises et nos emplois.

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D’ IDÉES

LA REVUE DU PROJET - SEPTEMBRE 2011

COM

BAT

«Tu peux tout accomplir dans la vie si tu as le courage de le rêver, l’intelligence d’en faire un projet

tion, de vie publique, durablement dis-créditées. ( La seule chose publiquerestée très à la mode, c'est «  ladette  »!...). Mais les choses changent.Le tout-individu commence à êtremontré du doigt. Dans un article éner-gique, publié le 27 mars dernierdans   Le Monde, par exemple, le philo-sophe Tzvetan Todorov, qu'on a connumoins bien inspiré, regrette que «  lesdéfenseurs du bien commun parais-sent aujourd'hui archaïques  » ; il mon-tre comment, en Europe de l'Est, «  l'in-térêt collectif y est aujourd'hui frappéde suspicion : pour cacher ses turpi-tudes, le régime précédent l'avait invo-qué si souvent que plus personne ne leprend au sérieux, on n'y voit qu'unmasque hypocrite. Si le seul moteur ducomportement est de toute façon larecherche de profit et la soif de pou-voir, autant cesser de faire semblant etassumer ouvertement la loi de la jun-gle.  » Todorov pointe aussi cette nou-velle droite occidentale, américainenotamment avec le mouvement du«  Tea Party  », qui est en guerre contrele collectif, l'Etat, l'impôt : « Quiconques'oppose à cette vision du monde esttraité de cryptocommuniste !  » Il selivre à une descente en flèche du«  nouveau monstre : un individualismedébridé qui exerce sa domination auxdépens de la société. (…) On passed'un extrême à l'autre, du tout-Etattotalitaire au tout-individu ultralibéral,d'un régime liberticide à un autre,d'esprit sociocide si l'on peut dire.  » EtTodorov termine sa critique en cestermes : «  Rien ne nous oblige à nousenfermer dans le choix entre tout-Etatet tout-individu : nous avons besoin dedéfendre les deux, chacun limitant lesabus de l'autre  ».

UN DOUBLE LOGICIELCe rééquilibrage individu-collectif estégalement pointé par Edgar Morin dansson dernier opus, La voie (Fayard). Ilévoque (p 263) ces « deux plus profondeset complémentaires aspirations humaines »que sont l'autonomie et la communauté.Tout un chapitre de son livre (pp 275-277), consacré à ce qu'il appelle laréforme morale, insiste sur cette dialec-tique du «  je  » et du «  nous » : «  Si ondéfinit le sujet humain comme un êtrevivant capable de dire « je », autrementdit d'occuper une position qui le met aucentre de son monde, il s'avère quechacun de nous porte en lui un principed'exclusion (personne ne peut dire « je» à ma place). Dans le même temps, lesujet porte en lui un principe d'inclusionqui nous donne la possibilité de nousinclure dans une relation avec autrui,avec les « nôtres » (famille, amis, patrie),et qui apparaît dès la naissance où l'en-fant ressent un besoin vital d'attache-ment. Ce principe est un quasi logicield'intégration dans un « nous », et il subor-donne le sujet, parfois jusqu'au sacrificede sa vie. L'être humain est caractérisépar ce double principe, un quasi doublelogiciel : l'un pousse a l'égocentrisme, àsacrifier les autres à soi ; l'autre pousseà l'altruisme, à l'amitié, à l'amour... Tout,dans notre civilisation, tend à favoriserle logiciel égocentrique. Le logicielaltruiste et solidaire est partout présent,mais inhibé et dormant. Il peut se réveiller.C'est donc ce logiciel qui doit êtrestimulé.  »En conclusion, il note encore :  « En vertude la trinité humaine : individu / société /espèce, il faut concevoir une éthique entrois directions », à savoir l'éthique indivi-duelle, l'éthique civique et l'éthique dugenre humain.

Par GÉRARD STREIFF

Après avoir valorisé, exalté, magnifié le tout-individu pendant un bon quartde siècle, le balancier idéologique serait-il en train d'amorcer un lent dépla-cement vers le collectif ?

es signes divers et convergents,qui relèvent aussi bien du débat politiqueou philosophique que de sondages ou demodes publicitaires, tendraient à l'indi-quer. Signes encore fragiles. Et puis il nes'agit certainement pas d'un retour à unmodèle ancien mais d'une sorte de rééqui-librage entre individu et collectif.

Ces dernières semaines, une grande banquefrançaise a tapissé nos murs, rempli lescolonnes de nos journaux de placards publi-citaires où s'affichent des collectifs (d'ou-vriers, de sportifs ou de fillettes en tutu)avec ce slogan « Rien n'est plus beau quel'esprit d'équipe ». Après nous avoir longtemps vanté l'ultra-individuel, le chacun-pour-soi, le « perso »,la finance trouverait que le «  commun  »,l'  «  ensemble  », ça se vendrait mieux ?C'est nouveau. En tout cas, pour qu'unbanquier parie sur «  l'esprit d'équipe  »,c'est qu'il y a quelque chose dans l'air. Maisquoi ?

UNE CRITIQUE DU TOUT-INDIVIDU Pourtant, depuis les années 70, lanotion de «  collectif  » n'a cessé de sedévaloriser, de perdre de son attrait.Dans la foulée d'un esprit libertarienissu de 1968, «  l'individu  » a pris uneplace dominante, au moment même,paradoxe apparent, où FrançoisMitterrrand s'installait au pouvoir. En1989, la «  chute du mur  » porte unnouveau coup dur au concept de «  col-lectif  », entraînant dans sa débandadeles notions d'Etat, de nationalisation,d'impôts, de solidarité, de redistribu-

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Individu et collectif.

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réaliste, et la volonté de voir ce projet mené à bien.» Sidney A. Friedman, économiste américain

LES ENQUÊTESLa SOFRES depuis 1990 décrypte «  lesvaleurs des Français » en testant (tous lesdeux ans) auprès d'un vaste public desmots clés. Après une période marquéepar le repli sur soi (2006), puis la « bunke-risation  » (2008), l'agence parleaujourd'hui de « Français qui font avec (lacrise), avec la situation, avec eux-mêmes,avec les autres... Et ce pour recréer dulien, s'adapter, inventer, innover  ». Danssa dernière livraison, celle de 2010, laSOFRES observe : «  Ayant survécu à lacrise, les Français (...) se réorientent versdes valeurs plus positives, plus collec-tives ». Plus exactement encore, elle pointe « unedouble dynamique qui se décline tant surle plan personnel que social voire sociétal ».D'un côté, une prise en charge individuelle(débrouillardise, etc). De l'autre, ce qu'elleappelle la reliance (terme utilisé souventpar Edgar Morin) ou l'envie de lien socialavec l'autre. Pour l'agence, « cette ouver-ture sur soi et aux autres est perceptibledans un attachement renforcé aux valeursde «  sociabilité  », «  vertus sociales  » oud'«  effervescence  » au détriment de« conflit », de la « volonté de puissance »ou du « repli », du détachement. L'engoue-

ment croissant pour les réseaux sociaux,les apéros géants, la fête des voisins, oubien encore les achats groupés en témoi-gnent ».Derniers exemples de ce nouvel air dutemps : à Cannes s'est tenu en avril leMIPTV, le marché des (futurs) programmestélévisuels. Selon un expert Le Monde(6/4) : «  Désormais la nouvelle tendancedu petit écran, c'est la survie et l'entraide » ;au même moment sort en librairie ledernier essai de l'américain Jeremy Rifkin,Une nouvelle conscience pour un mondeen crise. Civilisation de l'empathie (EditionsLes liens qui libèrent) où il montre qu'« avecla mondialisation émergent aussi des senti-ments altruistes, généreux ».

LIBRE DÉVELOPPEMENT DE CHACUNSur le rapport individu/collectif, on pourralire avec profit l'intervention de DominiqueBelougne, secrétaire d'Espaces Marx Aqui-taine aux rencontres «  Actualités de lapensée de Marx », Sciences Po-Bordeaux,2008. Il y rend hommage à trois philo-sophes : Lucien Sève et son  Penser Marxaujourd'hui (La Dispute) ; Arnaud Spireet Marx cet inconnu  (Desclée deBrouwer) ; et Jean-Louis Sagot-Duvau-roux, Emancipation (La dispute).

Extraits: «  C'est de la conception égocen-trique de l'individualité bourgeoise queMarx propose de se débarrasser, pourpartager enfin entre tous les membresde la société l'individualité universellequi leur fait défaut. Priorité au libre déve-loppement de chacun. Le chapitre II duManifeste se conclut sur une pétition deprincipe. L'individu que doit faire surgirle communisme dans son mouvement yest évoqué en ces termes : À la place del'ancienne société bourgeoise, avec ses anta-gonismes de classes, surgit une association oùle libre développement de chacun est la condi-tion du libre développement de tous. Denombreux marxologues, influencés parla caricature dominante du marxismeprivilégiant le «  collectif  » ont lu cettephrase à l'envers : le libre développe-ment de tous est la condition du libredéveloppement de chacun. C'est ainsique – dérive des pays socialistes euro-péens aidant – s'est répandue l'idée faus-sement attribuée à Marx que l'objectifd'un révolutionnaire serait d'abord defaire la révolution et qu'ensuite seule-ment il s'occuperait de l'épanouissementindividuel de lui-même et d'autrui. » (Voirle site d'Espacesmarxbordeaux.) n

Quoi de neuf ?

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D’ IDÉESCO

MBA

T SONDAGES

La Sofres a testé le programme du PS,les 30 propositions avancées par Martine

Aubry. Parmi celles-ci figure le projet derétablir l'âge légal de départ à la retraiteà 60 ans. Il est intéressant de voir commentcette idée a été accueillie par l'opinion. Trois réponses étaient possibles : 1 = c'est une proposition que j'approuve etqui me semble réaliste ; 2 = c'est une proposition que j'approuveet qui ne me semble pas réaliste ; 3 = c'est une proposition que je désap-prouve.On ne discutera ici ni de l'intitulé des ques-tions (il y aurait pourtant de quoi faire) nide la détermination socialiste. On sebornera à pointer l'état de l'opinion.Si l'on prend l'ensemble des Français, onvoit trois blocs d'importance à peu prèségales. 26 % désapprouvent, 36 % sontpour mais jugent l'idée non réaliste ; 34%approuvent. On voit à la fois que l'idée deretraite à 60 ans dans l'opinion est large-ment majoritaire, 70% au total, soit leschiffres publiés lors du mouvement de2010. En même temps, le doute sur le« réalisme » de la suggestion a grandi, fruitdu pilonnage idéologique du pouvoir.Les chiffres pour les sondés sympathisantssocialistes sont : 14% désapprouvent, 39%apprécient mais doutent, 46% approuvent,soit un électorat très majoritairement favo-rable à l'idée mais seule une minorité (trèsforte) croit possible ce rétablissement.

Retraite à 60 ans : réaliste ou non ?

Page réalisée par GÉRARD STREIFF

L’ÉLECTORAT SOCIALISTE ET LE RETOURDE LA RETRAITE À 60 ANS

L’OPINION ET LE RETOUR DE LA RETRAITE À 60 ANS

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Fin de l’histoire : place aucapitalisme sans rivages,porteur de paix, de progrèset d’harmonie ! Voici cequ’on serinait jadis. Vingtans plus tard, la réalité apercuté ces dogmesfrontalement. La paix ?Depuis le 11 septembre, ilen est toujours moinsquestion (Afghanistan,Libye…). Le progrès etl’harmonie ? Le capitalismea renoué avec ses crisessystémiques et la misèrequ’elles génèrent.

Analyse de ces dynamiqueset écho des luttes pourdépasser ce système à boutde souffle : voici ce quedonnent à voir, ce mois-ci,les notes ici rassemblées. 21

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NOTES Chaque mois, des secteurs de travail du PCF produisent des analyses,des propositions, des notes. Cette rubrique publie leurs travaux :ù

ÉCOLE

LA RENTRÉE SCOLAIRE, LA CRISE ET LES ÉLECTIONSLes conflits sur l’école sont aussi desconflits sur les moyens de sortir de lacrise et le type de société que nousvoulons construire.

Dans le contexte de la crise du capita-lisme, les luttes contre la casse del’éducation nationale prennent une

portée nouvelle : réformer l’éducation,c’est configurer le salariat de demain ettracer l’avenir de notre économie et denotre société.

L’ÉCOLE ET LA CRISE DU CAPITALISMELa réponse de la droite à la crise se déclineautour de trois axes :- la réduction des dépenses publiques :poursuite des suppressions de postes dansl’éducation nationale et transfert desdépenses vers les familles et les collecti-vités locales ;- l’asservissement de la production et dela diffusion des savoirs aux intérêts dupatronat : casse de la formation profes-sionnelle, autonomie des établissementspour donner plus de pouvoir aux finan-ceurs privés…- la division du salariat : l’individualisa-tion des formations, la casse des diplômesnationaux, et la construction d’une écoleà plusieurs vitesses visent à former dessalariés isolés, sans culture ni qualifica-tion commune.Au contraire, de plus en plus d’écono-mistes progressistes affirment que la sortiede crise passe par un accroissement desdépenses publiques pour les servicespublics et l’emploi1. Les dépenses deformation contribuent notamment àdévelopper l’emploi qualifié. Mieux, elles peuvent permettre de former dessalariés émancipés : unis par une culturecommune et capables de maîtriser leurschoix individuels et les choix collectifs .Notre réponse à la crise, c’est donc la trans-formation de l’école pour permettre uneélévation générale du niveau des savoirsdans la société 2.

LES GRANDS AXES DU DÉBAT À GAUCHEÀ la veille des élections de 2012, la résistanceau projet de la droite est très forte3. Les propo-sitions des syndicats, des associations et deschercheurs4 convergent largement. Maisla traduction politique fait défaut : lagauche ne porte pas le projet de transfor-mation de l’école dont la société a besoin.

TOUS CAPABLES OU PAS ?Une grande partie de la gauche a repris àson compte l’idéologie des dons et partdu principe que tous les enfants n’auraientpas les mêmes dispositions pour proposerune école différenciée. Le PS défend la distinction entre un socle communminimal enseigné à tous et desprogrammes réservés à quelques uns. LePG ne souhaite pas inscrire la relance ducollège unique dans le programmepartagé. Au contraire, parce que tous lesélèves sont capables d’apprendre5, nousdéfendons la proposition d’une écolecommune, donnant à tous le droit d’ac-céder à des savoirs émancipateurs. C’estune proposition de progrès, c’est aussiune condition du rassemblement pourchanger l’école.

AUTONOMIE DES ÉTABLISSEMENTS OU SERVICE PUBLIC NATIONAL ? Toute la gauche s’accorde à défendre leservice public d’éducation nationale,seul à même d’assurer un même accèsà l’éducation sur tout le territoire et quelque soit le milieu social. Cependant, le PS défend dans le même temps l’autonomie des établissements6 ! Denombreuses collectivités locales degauche, pour pallier le désinvestisse-ment de l’État, développent des poli-tiques locales d’éducation (contratsd’éducation, soutien scolaire, voireouverture d’écoles privées financées parles municipalités7), contribuant ainsi àl’aggravation des inégalités territorialeset à la casse du service public national.Les partis du Front de gauche et leursélus se battent résolument contre ceslogiques de dénationalisation.

LE MÉTIER D’ENSEIGNANT ? Pour les partis du Front de gauche, la reva-lorisation du métier d’enseignant passepar la recréation des postes supprimés, lacréation de postes sous statut de la fonc-tion publique d’État, le rattrapage dessalaires et le développement d’une forma-tion initiale et continue qui permette auxenseignants de retrouver la maîtrise deleur métier. Le Parti Socialiste au contraireadhère à la politique de réduction desdépenses publiques : il ne propose pas derevenir sur les suppressions de postes etn’envisage de revaloriser les salaires qu’auprix d’une remise en cause du statut desenseignants et des personnels.Il est urgent de mener ces débats le pluslargement possible, avec tous les acteursde l’éducation pour faire bouger les posi-tions à gauche et imposer les transforma-tions nécessaires. > SUITE

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NOTES Chaque mois, des secteurs de travail du PCF produisent des analyses,des propositions, des notes. Cette rubrique publie leurs travaux :

DES CAMPAGNES DE PROPOSITION ET D’ACTION DU RÉSEAU ÉCOLEDans cette perspective, le réseau écolepropose des campagnes de propositionet d’action pour rassembler ceux quirésistent dans l’élaboration d’un projettransformateur pour l’école :Défendre le service public national avecles élus locaux. Nous pouvons nousappuyer sur nos élus pour alerter lapopulation sur les conséquences dudésengagement de l’État. Utilisons lescompétences des collectivités locales(infrastructures, cartes des formations)pour mettre l’État face à ses responsa-bilités, en résistant à la logique de déna-tionalisation de l’éducation.Mener le débat sur l’école avec lesfamilles des quartiers populaires. Dansles quartiers, des parents s’organisentpour reprendre la main sur l'avenir deleurs enfants. En lançant un Appel desfamilles des quartiers populaires pourl’école, nous voulons amplifier leur voixet donner une traduction politique àleurs exigences.Défendre et transformer l’école mater-nelle. Nous lançons une campagne pourl’ouverture de classes de maternelle etle droit à la scolarité dès 2 ans. Il s’agit à la fois de constituer un frontde lutte, de gagner dès maintenant et demettre en débat nos propositions pourla transformation de l’école8. n

MARINE ROUSSILLONresponsable du réseau école (ré[email protected])

1) Voir le Manifeste des économistes atterrés : http://atterres.org/?q=node/12) Sur le détail de nos propositions, voir La Revue du Projet, n°3 : http://pro-jet.pcf.fr/56603) En juillet 2011, l’école est la premièrepréoccupation des Français devant l’emploi : http://www.pcf.fr/109644) Voir par exemple l’Appel des 50 chercheurs aux partis de gauche :http://www.democratisation-scolaire.fr/spip.php?article855) Cette affirmation a longtemps été un principe progressiste, c’est aujourd’huiun constat scientifiquement prouvé.6) Voir l’analyse des propositions socialistes sur l’école dans La Revue du Projet, n°8 : http://projet.pcf.fr/9743 etdans la Lettre du réseau école, juin 2011.7)Voir :http://www.sauvonsluniversite.com/spip.php?article48948) La Lettre du réseau école de septembre2011 est consacrée à la maternelle.

ÉCONOMIE

À PROPOS DE LA DETTEPUBLIQUESans une tout autre politique on nerèglera pas le problème de la dette.

En France, de 21,2% du PIB en 1978,elle passe à 36% en 1983, pourbondir à 60% en 1998, 63,3% du PIB

en 2003, 79% en 2009, puis 82,3% en2010, soit 1591,2 milliards d'euros. Laseule dette de l'État, qui était de 44milliards d'euros en 1978, a été multi-pliée par 25 depuis, pour atteindre 1101milliards d'euros fin 2009. Avec 50milliards d'euro, la charge d'intérêts dela dette est devenue le troisième postede dépense du budget. Tous les paysavancés ont connu le même phénomèneavec le passage du financement desdépenses publiques par la créationmonétaire de la Banque centrale à leurfinancement par le marché financier. Apartir des années 1980, les pays euro-péens, France en tête, se lancent dansun vaste effort d'internationalisation deleur dette publique en vue de constituerun marché financier unique susceptible,avec l'euro, de rivaliser avec Wall-Streetdans l'attraction des capitaux mondiaux.Simultanément, la baisse des taux d'in-térêt liée à la marche en avant vers l'euroa favorisé un trés important endette-ment, notamment en Europe du sud,servant surtout à la croissance financièreet à la spéculation. Les dettes publiquesaugmentent brutalement en 2008-2009avec l'intervention massive des Etats faceà l'explosion de l'excès d'endettementprivé accumulé depuis des années. L'en-dettement public a pris ainsi le relai del'endettement privé pour continuer desoutenir l'accumulation capitaliste.Tout cet argent public a été accordé sansaucun changement des critères du créditet sans contrepartie en emplois, forma-tions, salaires exigées sur les aides. Pourcontrer cette évolution, il aurait fallu, outrela recherche d'une plus grande efficacitésociale de la dépense, augmenter lesprélèvements obligatoires1. Or, lesgouvernements successifs n'ont cessé demultiplier les cadeaux fiscaux au profitdes entreprises, au nom de la compétiti-vité, et des grandes fortunes, sous prétextequ'elles ne soient pas délocalisées.

LE RÔLE DE L’EUROL'euro a facilité un fort endettement desEtats membres en retard de développe-ment, qui ont pu ainsi bénéficier de taux

d'intérêt trés abaissés. Mais cet argentemprunté, au lieu de servir à développerles capacités humaines, a servi à la crois-sance financière des capitaux et à laspéculation, immobilière notamment,sans parler des exportations de capitauxet délocalisations. Simultanément, lesservices publics végétaient et lesdépenses d'armement et de soutien auxcapitaux financiers s'envolaient. D'oùune croissance réelle insuffisante,pauvre en emplois, trés déséquilibréeet qui s'est effondrée quand cette "bulle"a éclaté.Les réponses d'ampleur apportéesdemeurent insuffisantes et, surtout, tréscontradictoitres, cherchant, avant tout,à rassurer et encourager les créanciersen continuant de lever d'énormes fondssur les marchés, avec, en contrepoint,l'écrasement des dépenses salariales etsociales et des services publics. Ellescassent donc la croissance et l'emploiet rendent encore plus improbables lesremboursements. D'où la poursuite dela spéculation contre les pays concernés,dont le défaut de paiement est anticipé,mais aussi contre tout le système del'euro, avec les risques d'une contagion.

QUELLE AUTRE POLITIQUE ?La dette n'est pas mauvaise en soi. Il y ade bonnes et de mauvaises dettes. Toutdépend de l'utilisation que l'on fait del'argent emprunté. S'il est utilisé pouraccroître les richesses réelles, parexemple (en dépenses courantes et eninvestissements) pour la santé, l'éduca-tion, la recherche, le logement social, lasécurisation de l'emploi, de la formationet des salaires, l'environnement, cela faitde la croissance durable et saine. Celle-ci va alors entraîner un accroissementdes recettes publiques (impôts et coti-sations sociales), ce qui permettra derembourser l'argent emprunté. Parcontre, si l'argent emprunté sert àspéculer sur les marchés boursiers etimmobiliers, à délocaliser, à détruire desemplois, à déqualifier et à tirer les salairesvers le bas, cela freine la croissance,raréfie les recettes, ce qui creuse les défi-cits et les dettes.La dette constitue unproblème, d'autant qu'aujourd'hui elleest détenue à 70% par des non-résidents,allemands surtout.Au lieu d’aller chercher l’argent sur lesmarchés financiers on peut augmenteret rendre plus efficaces les prélèvementsobligatoires. Il faut une réforme de lafiscalité, non seulement pour accroîtreles recettes des impôts et faire reculer lesinégalités mais aussi pour pénaliser la

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croissance financière des capitaux, larecherche de l'argent pour l'argent, lesdélocalisations et, au contraire, encou-rager les comportements favorables à lacroissance de l'emploi et des richessesréelles. Il faut aussi de nouvellesressources immédiatement pour laprotection sociale. On peut utiliser autre-ment l'argent des prélèvements obliga-toires avec un contrôle et une évaluationpublique et sociale de la dépense et dela dette publiques, au lieu d'un ration-nement systématique par la RGPP. Il fautnon pas baisser les "charges sociales",mais pérenniser un financement efficacede la protection sociale et baisser lescharges financières des entreprises (inté-rêts payés sur les crédits). Une réformedu calcul des cotisations sociales patro-nales est nécessaire pour accroître dura-blement leurs recettes en les rendant inci-tatives à l'emploi en quantité et qualité.Il faut en finir avec les gâchis de créditpour la spéculation, les exportations decapitaux des grands groupes, et avec lerationnement imposé aux PME. Un Pôlefinancier public, avec des banques rena-tionalisées, un Fonds national et régio-nalisé de sécurisation de l'emploi et de laformation développeront un nouveaucrédit sélectif, pour les investissementsmatériels et de recherche des entreprises,qui serait d'autant plus avantageux, avecun taux d'intétrêt pouvant devenir nul,voire négatif, que ces derniers program-meraient plus d'emplois et de formations.On peut faire appel à la création moné-taire de la BCE, c'est ce que fontaujourd'hui la FED et la Banque d'An-gleterre, à la différence de la BCE.

DANS L’IMMÉDIATLa mise en place d'une taxe Tobin surles transactions financières est plusnécessaire que jamais. En même temps,il faudrait mettre à contribution, par unprélèvement spécifique, les banques,les sociétés d'assurances, les OPCVM ettous les fonds spéculatifs, dans chaquepays et à l'échelle de l'Europe. Les fondspublics ainsi collectés devront êtreaffectés à une réduction de la dettepublique grecque. En même temps ilfaut refuser tout plan d'austérité enFrance et en Europe et, au contraire,augmenter les dépenses pour lesservices publics, et solliciter pour cela,lors du refinancement des dettes, la créa-tion monétaire de la BCE. Sortir de l'euro ferait redoubler les diffi-cultés et la spéculation, exacerberait lesrivalités entre Européens et, au total,consoliderait la domination mondiale

du dollar. Surtout, cela reviendrait à sepriver de la force d'une création moné-taire commune à l'échelle européenneet, alors, à se contenter de conditionsde financement qui serait très limitée,à l'heure de la mondialisation, parrapport à des pays-continents commeles États-Unis ou la Chine. Le bond enavant dans le fédéralisme européen,avec notamment l'émission d'euro-obli-gations (sur les marchés financiers), necontribuerait qu'à éloigner encore plusles centres de pouvoir des salariés, despeuples et de leurs élus, pour les concen-trer au service de la domination desmarchés.

UN FONDS SOCIAL ET SOLIDAIRE POUR LE DÉVELOPPEMENT EUROPÉENLe PCF, dans le Front de gauche, et leParti de la gauche européenne (PGE)proposent de construire un Fonds socialet solidaire pour le développement euro-péen. Seraient ainsi émis des titres natio-naux de dette publique rachetés par laBCE à un taux d'intérêt nul dont lesrecettes alimenteraient ce nouveauFonds. Celui-ci serait chargé de lesrépartir, démocratiquement, entrechaque pays, selon leurs besoins respec-tifs, dans le but, expressément, de déve-lopper leurs services publics et leurpotentiel de croissance sociale nouvelle,en coopération, au lieu d'une créationmonétaire inflationniste. La dénoncia-tion du pacte de stabilité, le rejet déter-miné du pacte de l'euro +, marcheraientde paire avec le lancement d'un nouveaupacte de progrès. Il s'agirait, insépara-blement, de réorienter la politiquemonétaire de la BCE dont le contrôledevrait être assuré par les parlementseuropéen et nationaux.Il faut en finir avec la dictature desagences de notation privées pour lecompte des marchés financiers et laspéculation. L' Europe peut jouer unrôle majeur dans ce sens,en se tournantvers les besoins de développement dumonde arabe en révolution et del'Afrique sub-Sahara avec un nouveauplan de type Marshall sans dominationet en se rapprochant des pays émergentspour faire reculer le rôle du dollar et allervers la création d'une monnaiecommune mondiale de coopération, àpartir des droits de tirage spéciaux (DTS)du FMI, comme l'envisagent désormaisexplicitement la Chine, la Russie, laCNUCED. n

YVES DIMICOLI

responsable du secteur économie du PCF

INTERNATIONAL

PALESTINELa reconnaissance de l’Etat, la relanced’un vrai processus de paix

Le 20 septembre, à l'occasion de l'As-semblée générale de l'ONU, l'Auto-rité palestinienne, transmettra au

Secrétaire général une demande de sièged'Etat membre de plein droit. L'abou-tissement de cette initiative majeuredépendra des votes de l'Assemblée géné-rale et du Conseil de Sécurité.

UNE RESPONSABILITÉ COLLECTIVEA la mort du processus d'Oslo a succédédepuis le début des années 2000 unesituation de blocage politique total, d'ac-célération de la colonisation dans uneviolence militaire israélienne rarementégalée, avec une extrême droite quidomine les orientations gouvernemen-tales israéliennes. Un succès de ladémarche palestinienne serait une miseen cause directe de cette intolérablesituation, un rappel au respect du droitet à l'exigence d'un règlement politique.Il est donc décisif que la France et sespartenaires de l'UE s'engagent dès main-tenant à reconnaître l'Etat de Palestineet à soutenir la démarche palestinienneà l'ONU. Le but d'une reconnaissanceinternationale de l'Etat de Palestine n'estpas de pousser Israéliens et Palestiniensà dialoguer entre eux. C'est pourtant ceque répètent inlassablement les auto-rités en France, en Europe, aux États-Unis. Ce qui doit s'imposer politique-ment, et du point de vue du droit c'estun processus politique multilatéral.Construire une paix durable dans lajustice au Proche-Orient et faire appli-quer des dispositions reconnues commeun droit international commun, c'est,en effet, d'abord une responsabilitécollective.

DES SANCTIONSRessasser l'idée du dialogue bilatéral eten rester là c'est vouloir laisser le pluspuissant, Israël, à l'écart de toute pres-sion extérieure. Alors que c'est précisé-ment l'inverse qu'il faut obtenir. Poli-tiquement mais aussi très concrètementpar des sanctions par exemple lasuspension de l'accord d'associationUE/Israël, ou l'arrêt immédiat de toutevente ou coopération portant sur lesarmements. Une politique de lacontrainte – appelons-là comme ça –c'est aussi le boycott des produits des > SUITE

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NOTES Chaque mois, des secteurs de travail du PCF produisent des analyses,des propositions, des notes. Cette rubrique publie leurs travaux :

G20 Agricole à Paris, le Parti de la GaucheEuropéenne a pris position.

L’ALIMENTATION, UN BIEN COMMUN DE L’HUMANITÉIl s'engage à faire de l'alimentation unbien commun de l'humanité. Laconquête de ce droit fondamental àchaque être humain impose un nouveaumode de développement de la planèteen rupture avec les marchés spéculatifs.Les terres agricoles devraient être consa-crées à la production alimentaire pournourrir les peuples. Cela implique quel'agriculture et l'alimentation soientextirpées des logiques néolibéralesactuelles de l'OMC, du FMI, de la banquemondiale et du traité de Lisbonne. Nousproposons une nouvelle organisationinternationale dans le cadre des NationsUnies. Nous soutenons la réforme duComité de la sécurité alimentaire de laFAO, qui associe de manière inédite lesEtats, les institutions internationales etla société civile. Nous pensons que leCSA est aujourd'hui l'instance légitimede l'expression démocratique despeuples, et pourrait être l'institution arbi-trale des politiques publiques agricoleset alimentaires.

DES MESURES CONCRÈTES EN EUROPENous proposons que l'Union Euro-péenne soit porteuse de mesuresconcrètes, pour agir dès maintenant.Instaurer une clause de sauvegardeinternationale lorsque les terres, les eaux(pêche) d'un pays sont menacées despéculation et de détournement deproduction vivrière.Mettre en place des outils de régulationdes marchés agricoles, de stocks régu-lateurs et de mesures contre la spécula-tion. Un premier pas pourrait être la créa-tion d'une convention internationale surla non spéculation des biens alimen-taires.Relégitimer les taxes sur les importa-tions et exportations déstabilisant lesmarchés locaux, afin de financer la relo-calisation de productions.Arrêter de soutenir la production etl’importation d’agrocarburants.

LA NOUVELLE PAC 2014 – 2020 Alors que la nouvelle PAC 2014 – 2020est en cours de définition, le PGE proposede lui assigner une nouvelle ambition,de nouvelles orientations pour lesprochaines décennies : fondamentale-ment elle doit garantir la souverainetéet la sécurité alimentaire de ses peuples.Face au défi alimentaire, la production

colonies et de ce qui nourrit la coloni-sation puisque le cœur du problèmepolitique est là. C'est encore les désin-vestissements concernant les projets(comme le tramway de Jérusalem) quiaident à la colonisation.

L’UNITÉ PALESTINIENNEEnfin, une autre condition paraît incon-tournable : l'unité palestinienne. Cetteunité dépend des Palestiniens eux-mêmes – le Fatah et le Hamas – maisaussi du contexte que l'Europe, lesEtats-Unis et d'autres devraient créerpour favoriser un climat favorable àune solution véritable : l'édificationd'un Etat palestinien indépendant, àcôté de l'Etat d'Israël, dans les fron-tières de 1967, avec Jérusalem-Est pourcapitale, avec le respect du principe dudroit au retour pour les réfugiés et lalibération de tous les prisonniers. Celasignifie le démantèlement des colonieset du mur d'annexion ainsi que la findu blocus de Gaza. Le défi est considé-rable. Mais comment construire autre-ment une souveraineté étatique pales-tinienne ?

MARQUER NOTRE SOLIDARITÉLes autorités israéliennes s'y opposentfrontalement, multiplient les prépara-tifs militaires, menacent de rompre lesrelations économiques et sécuritairesavec les Palestiniens et d'abroger lesAccords d'Oslo. Mais Netanyahou et songouvernement s'inquiètent, et d'autantplus que le mouvement social des indi-gnés israéliens, soutenu par 80% de l'opi-nion mais aussi par le PCI et d'autresprogressistes et anticolonialistes, pour-rait affaiblir un consensus politique israé-lien aujourd'hui en question. En tous lescas la situation est plus ouverteaujourd'hui.Les autorités françaises n'ont pasencore annoncé ce qu'elles feront àl'ONU. Elles en appellent à l'unité des« 27 » alors que les pays de l'UE sontjustement très divisés. Raison de plus

pour marquer avec force notre solida-rité et notre volonté d'obtenir unereconnaissance française et internatio-nale de la Palestine. Quelque chosed'important peut se passer aux NationsUnies en septembre. C'est une batailleà mener. n

Signez, diffusez et faites signer la péti-tion internationale Avaaz sur le site:www.avaaz.org/fr/middle_east_peace_now_fr

JACQUES FATH

AGRICULTURE

CONSTRUIRE LA POLITIQUEAGRICOLE ET ALIMENTAIREEUROPÉENNE DU 21e SIÈCLE1

L'agriculture est aujourd'hui en crise,minée par le capitalisme. Alors que laproduction agricole pourrait nourrir lemonde, plus d'une personne sur septsouffre de la faim. Partout, le produc-tivisme et la libre concurrence ontdévasté nos campagnes. Spéculation,accaparement des terres, dumping, ilest temps de stopper ce gâchis !

En Europe, pour « rester compétitif »,réformes après réformes, la préfé-rence communautaire à été sacri-

fiée, la régulation des prix et des marchésabandonnée. Crises après crises la Poli-tique Agricole Commune (PAC) a favo-risé l'élimination des exploitations fami-liales, tout en concentrant les outils deproduction au profit des géants de l'agro-alimentaire et de la grande distributionet aux dépens de la santé publique et duconsommateur. Quand aux exploitationsqui subsistent elles peinent à défendreleurs revenus, au détriment de la qualitéde travail et de la vie des familles. À l’ou-verture de la rencontre ministérielle du

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SEPTEMBRE 2011- LA REVUE DU PROJET

européenne agricole doit être soutenuepar de nouvelles politiques publiquesrépondant aux besoins humains,garantir une alimentation de qualité,nutritive et gustative à tous.Vivre dignement de son travail est uneexigence sociale légitime. Une justerémunération du travail paysan et dessalariés agricoles est la condition dudéveloppement de l’emploi agricole.Cela impose de garantir des prix rému-nérateurs, de planifier la production, deréguler les marchés, préserver les terresagricoles, de soutenir les exploitationset filières les plus fragiles. Empêtrée dansle productivisme, l'Europe agricole doitsortir par le haut et initier un mode dedéveloppement plus écologique, d'ex-ploitations plus autonomes agro écono-miquement. L'agriculture paysannerépond à ces objectifs. L’Europe doitorienter prioritairement ses aides danscette direction et interdire la culture etl’usage des OGM.

DES MESURES IMMÉDIATES DANS LA CONSTRUCTION DE LA FUTUREPOLITIQUE AGRICOLE ET ALIMENTAIREEUROPÉENNE (P.A.A.E).• L'application de la préférence commu-nautaire et la suspension des accordsbilatéraux de libre échange négociés parl'Union Européenne (Mercosur).• L'affirmation de la souverainetéalimentaire par la constitution de stockseuropéens de sécurité.• La mise en place d'outils économiquesencadrant les marges et pratiques desgéants de l'agroalimentaire et de lagrande distribution.• Dans l'urgence, face à la sécheresse quifrappe l'Europe, nous demandons ledéblocage de fonds européens pour veniren aide aux producteurs. Face au risqueclimatique, nous proposons que l'Eu-rope s'engage dans un outil de protec-tion des activités du vivant que sont laterre, la mer et la forêtDans l'urgence, suite aux évènements dela « crise de la bactérie ECEH », de la déci-sion de l'Allemagne de suspendre lesimportations de fruits et légumes espa-gnols, causant de sérieuses pertes écono-miques pour les agricultures, travailleursagricoles et de l'industrie, il est néces-saire de renforcer les mécanismes decontrôle de l'agence européenne de sécu-rité alimentaire pour que ces incidentsne se reproduisent pas au sein de l'UE.

La Gauche doit être audacieuse sur lechamp des politiques publiques agri-coles et alimentaires. Avec responsabi-

lité, le PGE propose aux peuples euro-péens, aux forces citoyennes et socialesd'en être les acteurs. Nous ferons valoirces orientations dans les institutions,notamment avec nos élus au sein duParlement européen. Le PGE entendœuvrer à construire en Europe des majo-rités politiques, déterminés à relever cedéfi premier de l'humanité à se nourrir.

1) Déclaration validée par l'executif PGE dejuillet, support pour l'atelier "le marché dela faim" lors de l'université du PCF. n

XAVIER COMPAINresponsable secteur agriculture

INTERNATIONAL

10 ANS APRÈS, QUE RESTE-T-IL DU 11 SEPTEMBRE ? Avec près de 3000 victimes, et la puis-sance des images aidant, le 11septembre, pour beaucoup, marquaun basculement de l'histoire et le débutdu 21è siècle.

Ce fut un événement dans le nouveausiècle alors que la rupture histo-rique a déjà eu lieu avec la chute du

mur, la fin de l'antagonisme politico-militaire Est/Ouest, l'extension du néo-libéralisme à l'ensemble de la planète.

UN SYSTÈME EN CRISEQuelle interprétation donner à ce 11septembre et à la guerre contre le terro-risme qui suivit ? Le terrorisme, qualifiéle plus souvent de menace irréductiblepour les «démocraties occidentales», estune forme spécifique de la violence poli-tique. C'est un produit d'un système encrise, d'humiliations durables, de déses-pérances et de fanatismes, de stratégiesde domination de plus en plus rejetéespar des peuples. Le caractère totalementcondamnable de cette violence – cela nesouffre d'aucune ambiguïté pour le PCF –ne doit pas permettre qu'on en passesous silence les causes profondes quimériteraient une vraie analyse.Le 11 septembre, mais aussi l'instrumen-talisation du terrorisme à des fins politico-stratégiques par les Etats-Unis et les puis-sances occidentales, posent en réalité cettegrande question de l'ordre internationalet social que l'on veut dans un monde enpleine mutation. Choisir « la guerre contrele terrorisme » permet d'écarter toute ques-tion sur la crise systémique du capitalisme,sur les intérêts de puissance qui s'y expri-

ment, sur les droits des peuples, sur lesconditions d'une vraie sécurité interna-tionale. On comprend bien que cette« guerre » est d'abord une constructionidéologique. Elle ne peut d'ailleurs êtregagnée par personne et le fiasco de deuxguerres déclenchées du fait du 11septembre (en Afghanistan et en Irak) meten évidence que l'usage de la force – interditpar la Charte de l'ONU – fondamentale-ment, ne peut rien régler. Il aggrave lescrises et les conflits dans des pays déjàaffaiblis ou brisés par le sous-développe-ment et la pauvreté.

UN HÉRITAGE LOURDAvec la chute du mur, le capitalisme aperdu un adversaire antagonique exté-rieur. Il est devant ses contradictionsinternes. Le système a besoin d'obtenirun détournement de sa mise en accusa-tion sur un adversaire à la fois extérieuret criminalisable. Le 11 septembreapporta la réponse. Ce fut le moyen pourGeorge Bush de la mise en cohérenced'une stratégie fondée sur la guerrepermanente et la politique de force. Unestratégie dont la vocation était de réaf-firmer une hégémonie américaine dansun monde en crise, instable et incertain.Barak Obama s'est fait élire notammentsur l'échec et le rejet de cette politiquetotalement en contradiction avec lacomplexité d'un monde dans lequelaucun pays à lui seul ne peut imposer sesvolontés et dans lequel monte l'exigencede solutions véritables à la crise. Faute deréponse à cette exigence, il est lui-mêmeaujourd'hui en sérieuse difficulté. Lessoulèvements et les révolutions du mondearabe confirment que la courte périodeouverte par le 11 septembre est politique-ment close. Mais l'héritage est lourd : deuxguerres néo-impériales, une militarisa-tion des relations internationales, un reculdes valeurs et des libertés, une montéede l'islamophobie, une guerre idéologiquefondée notamment sur la dangereusethèse du choc des civilisations...Aujourd'hui, cependant, les peuplescommencent à prendre l'initiative. Etpas seulement dans le monde arabe. Lamouvance de l'islamisme politique resteprégnante mais elle n'a pas joué de rôleessentiel dans les mobilisations popu-laires. C'est en quelque sorte un retourau monde réel, le monde des aspirationshumaines, de la confrontation de classes,des batailles pour le changement poli-tique. L'histoire continue. n

JACQUES FATHresponsable des relations internationales

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LA REVUE DU PROJET - SEPTEMBRE 2011

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REVUE DES MÉDIASPar ALAIN VERMEERSCH

Le plan d'austérité a dominé les médias durant les deux mois desvacances d'été. Avec ce mot magique « La règle d'or ».

pas résoudre une telle équation... A cesquatre conditions vient s'en ajouter unecinquième, cruciale pour garantir notreavenir et celui de nos enfants : voter larègle d'or. En exigeant de tous les gouver-nements qu'ils s'engagent à revenir àl'équilibre budgétaire et qu'ils expliquentquand et comment, cette règle placerala lutte contre la dette à l'abri des aléaspolitiques...»N. Sarkozy a envoyé une lettre aux parle-mentaires afin de voter cette règle d'or.Dans La Tribune (09/08), C. Jay avance« Nicolas Sarkozy décidera à la rentrées'il convoque ou non le Congrès àVersailles. L'issue sera un enjeu pour laprésidentielle. D'ailleurs, la règle d'ors'est déjà largement invitée dans le débatpolitique. Ainsi les candidats à la primairesocialiste se retrouvent-ils contraintspar la crise de la dette de préciser leurspositions respectives, avec pour résultatl'émergence de divergences entre lesopposants purs et durs et ceux qui ysont plus ouverts. « Le secrétaire généralde l'UMP, Jean-François Copé, militepour que le chef de l'Etat convoque leParlement en Congrès à Versailles. Pouravoir force de loi, ce projet de loi consti-tutionnelle doit être adopté par les troiscinquièmes des parlementaires réunisen Congrès à Versailles, ce qui supposel'appoint d'au moins une partie des voixde l'opposition. Or les socialistes ontprévenu qu'ils voteraient contre.  » Le

Monde (02/09). Convoquer le Congrès pourfaire adopter une «règle d'or» consti-tutionnelle de redressement descomptes publics «comporterait un grandrisque au regard des marchés finan-ciers», estime Patrick Devedjian. Dansun entretien au Monde (03/09), l'ancienministre UMP de la Relance, voix critiqueau sein de la majorité, juge qu'il n'estpas nécessaire de pousser NicolasSarkozy «au suicide politique».

DES SOCIALISTES DIVISÉS, DES PROPOS CONSENSUELSManuel Valls s'est adressé aux candi-dats des primaires dans Libération (21/08)

«  Avec sa «  règle d'or  », le présidentde la République cherche aujourd'huimoins à recadrer les finances publiquesqu'à nous tendre un piège sans que l'in-térêt de la France y trouve son compte.Pourtant, j'ai déjà eu l'occasion de ledire : je suis favorable au principe d'une«  règle d'or  ». Sacrifier l'avenir et lesnouvelles générations est insuppor-table. Laisser filer le déficit de la dette,c'est se mettre dans les mains desmarchés. Face à l'inquiétude des fran-çais, nous devons formuler nos propo-sitions. Proposons une vraie règle d'or,un engagement contraignant de retourprogressif aux équilibres, étalés dansle temps pour ne pas menacer l'acti-vité, mais commençant tout de suite. »Selon Le Monde (04/09), les socialistesFrançois Hollande et Ségolène Royaln'ont pas exclu dimanche le principed'une "règle d'or" constitutionnelle surl'équilibre budgétaire, mais ont réitéréleur refus de la voter avant le scrutinprésidentiel de 2012. «  Il vaut mieuxfaire ça devant les Français après l'élec-tion présidentielle », a déclaré FrançoisHollande, favori des sondages pour laprimaire socialiste, invité du Grand JuryLe Figaro-RTL-LCI. « Les Français choi-siront la trajectoire des financespubliques, les voies et moyens », a-t-ilajouté. Une position partagée par Ségo-lène Royal, elle aussi candidate à l'in-vestiture PS pour le scrutin de l'anprochain, qui ne s'est pas privée deprendre le contre-pied du PS en décla-rant que «  la règle d'or est une trèsbonne règle. Je l'inscrirai dans la Consti-tution, mais en début de mandat, en2012  », a-t-elle dit sur BFM TV (04/09).Le patron par intérim du Parti socia-

LE PLAN PÉCRESSE ET LES MANŒUVRESDE SARKOZY-COPÉDans le Figaro (01/08) Valérie Pécresseexpose «  Cinq conditions pour désen-detter le pays ». Elle prévient « dans lesmois qui viennent, tous les candidats àl'élection présidentielle devront aussidire comment ils entendent concrète-ment et précisément réduire la dette. »Elle souligne « aucune stratégie de désen-dettement sérieuse ne pourra s'exonérerdes cinq conditions suivantes. La premièrede ces conditions, c'est de reconnaîtreque la réduction de la dette passe néces-sairement par la réduction des déficits...Notre dette a en effet deux composantesbien différentes. D'une part, une dettede crise, justifiée par les circonstances...L'autre composante de notre dette, deloin la plus importante, est injustifiable.Elle est le fruit de vingt-cinq années defacilité, durant lesquelles les déficits ontété considérés comme un mal néces-saire... Tout candidat qui affirmera vouloirdésendetter nos administrations devradonc s'inscrire dans la voie qui ramènerale déficit à 3 % du PIB, puis en deçà de3 %, pour rompre définitivement aveccette dette héritée du passé. Deuxièmecondition : cet objectif de 3 % de déficitdevra impérativement être atteint d'icià 2013... Troisième condition : la luttecontre les déficits devra se faire confor-mément aux règles actuelles du pactede stabilité et de croissance... Quatrièmecondition à respecter : continuer àmaîtriser les dépenses publiques. Biensûr, chaque candidat proposera sonpropre chemin vers les 3 % de déficit...il est faux de prétendre que l'on pourraità la fois être à 3 % de déficit public et,dans le même temps, augmenter lenombre de fonctionnaires, les dépensesd'assurance-maladie, doubler le budgetde tel ou tel ministère ou encore revenirà la retraite à 60 ans. L'impôt ne peut

La règle d’or : un carcancontre la démocratie

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sont en pilotage automatique complet,et l’on débouche sur une crise politiqued’envergure : tout serait réglé, depuisBruxelles, par des mécanismes techno-cratiques. Quelle naïveté, du coup, devouloir imposer cette règle d’or… C’estcertes un beau piège politique que l’ontend à l’opposition, mais ce n’est passérieux. »Jean-Marie Harribey (25/08) écrit dansson blog « C’est dommage que le ridi-cule ne soit pas lourdement taxé aprèsle revirement sur les exonérations decotisations sociales des heures supplé-mentaires, ça aurait rapporté gros. Leridicule et l’ignorance. En effet, Fillona déclaré que nous étions dans unecrise de l’endettement. Ah bon, et d’oùvient-elle  ? Est-ce que le gouverne-ment lit les rapports qui lui sontdestinés et qu’il a commandés ? « Enl’absence de baisses de prélèvements,la dette publique serait environ 20points de PIB plus faible aujourd’huiqu’elle ne l’est en réalité, générant ainsiune économie annuelle de chargesd’intérêts de 0,5 point de PIB. », selonPaul Champsaur et Jean-Philippe Cotisdans le Rapport sur la situation desfinances publiques, d’avril 2010... « Lacrise explique au plus 38 % du déficit,qui est surtout de nature structurelleet résulte largement de mesures discré-tionnaires. », assène le Rapport de laCour des comptes sur la situation etles perspectives des finances publiquesen juin 2011. Alain Minc nous avait déjàgratifiés en 1996 d’une «  mondialisa-tion heureuse ». On sait ce qu’il en fut :la plus grave crise de l’histoire.. DansLe Figaro (24 /08), il se faisait l’avocatde l’austérité la plus vertueuse,entendez la plus sévère. Et il ne lésinepas sur les formules. «  Un nouveauparadigme  : les Français plus préoc-cupés par la dette que par l’emploi. Untriptyque salvateur : vertu budgétaire,confiance, croissance. Une grandemesure: augmenter de deux points laTVA dans les 27 pays de l’UE. Commeelle est impossible, à la place : réduireles dépenses de santé et celles descollectivités locales. Ainsi, les Françaispourront conserver la note AAA, trésornational, à condition toutefois de voterla règle d’or qui est une ceinture dechasteté.  » Bien qu’on n’ait aucunexemple historique où l’austérité aitdynamisé l’économie, Alain Mincpropose la chasteté pour les peuples...Surtout que Minc ne dit rien de l’ori-gine principale de la dette : les cadeauxfiscaux. » n

liste Harlem Désir s'est étonné que Fran-çois Fillon n'ait pas invité le PS dans lecadre de ses consultations sur la "règled'or", appelant le Premier ministre àfaire en sorte que «  les droits de l'op-position soient pleinement respectés ».Matignon a annoncé que François Fillonentamerait mercredi 7 septembre sesconsultations d'experts et de respon-sables politiques en vue d'une éven-tuelle adoption de la "règle d'or" deretour à l'équilibre budgétaire. Pourfaire adopter la règle d'or budgétaire,qui fixera dans la Constitution le chemi-nement vers l'équilibre des financespubliques, par le congrès du Parlement,le gouvernement doit réunir une majo-rité des 3/5e, ce qui implique deconvaincre des membres de l'opposi-tion de s'y rallier.Dans une tribune à Slate.fr (02/08), H. Védrine propose un plan bipartisanpour redresser la France « dans la gravesituation économique et politique dela France (comme de l’Europe, et mêmede l’Occident), comment nier qu’unaccord bipartisan, dans quelquesdomaines clefs, pour quelques années,à condition d’être loyal, favoriseraiténormément le redressement de notrepays... Quel serait le cœur de ceprogramme? La combinaison de l’exi-gence de justice sociale et de l’équitéfiscale que porte la gauche, avec l’appelau travail à l’effort et à la compétitivitéque revendique la droite.. »

DES VOIX S'ÉLÈVENT CONTRE CETTE RÈGLE D'ORJacques Sapir Marianne2 (03/08) avance«  trois arguments : La volonté demettre les règles économiques horsd’atteinte du pouvoir politique est uneconstante dans l’histoire politiquerécente... Rien ne justifie donc une tellemesure, qui n’est qu’un gadget de poli-ticien visant à semer la discorde chezses principaux adversaires... Ensuite,vouloir limiter l’action discrétionnairedu gouvernement en matière budgé-taire est une idée dangereuse. Elle peutd’ailleurs conduire à la catastrophecomme le montre l’exemple de l’Au-triche dans les années 1920 et 1930.Ce pays avait connu immédiatementaprès le premier conflit mondial unegrave crise hyper inflationniste... lerecours à la règle constitutionnelle enéconomie, sauf à proférer des hypo-thèses d’omniscience, ne fait pas dispa-raître le risque d’incertitude radicale.Par contre, en omettant d’organiserune voie de sortie par la reconnais-

sance de la légitimité de l’action discré-tionnaire, elle même issue d’un pouvoirdémocratique, ce recours à la règleconstitutionnelle institue une incerti-tude supplémentaire, celle sur lesconséquences de l’émergence de lasolution à la crise... Enfin, c’est uneidée qui est profondément anti-démo-cratique. Les règles, et au premier lieules règles budgétaires, renvoient néces-sairement à des structures sociales.Vouloir les disjoindre du contrôle quela représentation de la société (la Parle-ment) peut exercer sur elles revient àvider de son sens la démocratie... Sicette mesure de « constitutionnalisa-tion » d’une règle limitant le déficitbudgétaire devait être adoptée, nonseulement serions-nous confrontés àune atteinte évidente aux principes dela démocratie, mais – et surtout – nousaurions la garantie d’être confrontésà terme à une crise bien plus gravequand nous ne pourrions plus respectercette règle.  »Dans le Journal du dimanche (17/08),Henri Sterdyniak estime que « La "règled'or " des finances publiques n'a rien àvoir avec ce que préconise NicolasSarkozy. La "règle d'or" consiste à direau contraire que l'on peut avoir un déficitpublic tant qu'il n'est pas supérieur àl'investissement public, ce qui autorise,en France, un déficit de l'ordre de 3%du PIB. Depuis 1999, tous les pays de lazone euro ont signé le pacte de stabi-lité et se sont engagés à avoir un déficitpublic inférieur à 3% du PIB. Naturel-lement, ils n'ont pas tenu cet engage-ment à tenir. Nous avons besoin d'avoirde la flexibilité dans les politiques budgé-taires lorsqu'on est en situation dedépression. Il est inutile et contre-productif d'introduire dans la Constitu-tion des règles que nous sommes inca-pables de suivre et qui n'ont aucun senséconomique.Pour Robert Boyer Médiapart (20/08)

«  Cette histoire de “règle d’or” estabsurde. Le pacte de stabilité (qui fixele plafond de 3% du PIB pour les défi-cits publics, ndlr) est de droit européen.Il est donc de toute façon supérieur auxconstitutions nationales, et cela n’a pasempêché les pays de le violer allègre-ment. Les exécutifs européens ont perdule levier du taux de change, avec l’euro,et le levier du taux d’intérêt, avec laBanque centrale européenne (BCE). Ilne leur restait donc plus que l’outilbudgétaire. La seule politique possibleétait de laisser filer les déficits… C’estce qu’a fait la France. Sinon, les pays

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Chaque mois, des chercheurs, des étudiants vous présentent des ouvrages, des films, des DVD...

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CRITIQUES

D’un retournement l’autre. Comédiesérieuse sur la crise financière. En quatre actes,et en alexandrinsSeuil, 2011

FRÉDÉRIC LORDON

Par STÉPHANIE LONCLE

Avec cette « comédie sérieusesur la crise financière », FrédéricLordon, chercheur enéconomie (CNRS), ravive unedes facettes du théâtre du XVIIIe

siècle, à l’époque où lettres etsavoirs économiques étaientdiscutés sur et par la scène.La crise a déjà éclaté : banquierset journalistes partagent leursangoisses devant l’ampleur du krach. Ils en appellent à« l’État », leur « sauveur suprême », et convainquent le Prési-dent de mettre l’argent public au service du rétablissementdes banques. Au milieu de cette cour de financiers, unétrange banquier prédit un aggravement de la crise : il estlimogé. Il avait pourtant raison, et un nouveau krach menaceles banques. À qui la faute ? À l’État bien sûr, à la dettepublique « dont le niveau est devenu astronomique ». Quefaire ? Une seule solution : « Nous devons déférer aux loisde l’univers / Et c’est pourquoi je dis la rigueur nécessaire ».Plus tard, le Président s’intéresse enfin à d’autres solutions :« Et notamment ceci refinancer l’État / Lui ouvrir des crédits,aux taux les plus bas », mais il est déjà trop tard : « Desémeutes partout… »La pièce propose ainsi une lecture synthétique de la criseet de ses mécanismes. Le personnage du bon conseiller quidit le vrai mais n’est jamais écouté réduit cependant laréflexion politique à une démonstration un peu lourde del’impuissance des mots et des idées. Mais s’il n’est pas dansles mots, où le pouvoir se situe-t-il et comment agit-il ? Cettequestion est essentielle à une analyse de la crise, et le théâtre,où l’on imite les actions des hommes pour mieux les juger,peut être un outil formidable pour la poser. La pièce semblepourtant l’éviter au point que l’auteur éprouve le besoind’y répondre dans une postface. Frédéric Lordon s’efforced’y justifier un pouvoir de l’art : les images, contrairementaux « idées », seraient capables d’agir sur les « affects » et les« corps », véritables lieux du pouvoir et de l’action. Maischercher à séparer, dans l’expérience du spectateur ou dulecteur de théâtre, les idées des affects, n’est-ce pas oublierla joie que procure l’exercice de la pensée juste ? De plus,en expliquant à son lecteur ce qu’il doit juger et commentle faire (il devra « ressaisir » grâce au théâtre la réalité d’unecrise qui sans cela « échapp[erait] à [son] entendement »),l’auteur semble pris dans une contradiction : obliger parles mots son lecteur à adhérer à sa théorie de l’impuissancedes mots. Ne perd-il pas de vue que c’est dans la liberté dujeu et du jugement que se jouent le plaisir et le pouvoir duthéâtre ? n

Foucault, Deleuze,Althusser & Marx Démopolis, 2011

ISABELLE GARO

Par FLORIAN GULLI

Foucault, Deleuze, Althusser, troisphilosophes phares des années 1960-1990, aujourd’hui encore au cœur dudébat intellectuel à gauche. Isabelle Garo choisit de lireleurs œuvres à la lumière du rapport qu’elles entretien-nent avec Marx et le marxisme. L’hypothèse est féconde.Il apparaît nettement que ces philosophes produisent, surle terrain des problèmes marxistes, des théories alterna-tives au marxisme (ce qui est valable aussi pour Althusser). Ces productions intellectuelles ambitieuses, profondé-ment liées au contexte de leur apparition, furent des symp-tômes de la mutation théorique et organisationnelle de lagauche à la fin des années 1970. Elles furent aussi deséléments actifs de cette transformation. Mais elles ne four-nirent presque pas d’armes théoriques pour résister à larévolution néolibérale des années 1980. Le marxisme était évidemment à réformer ; mais devait-ilêtre abandonné pour autant ? Produire une alternative aumarxisme, c’était révéler des problèmes auxquels il étaitresté aveugle jusque là, mais c’était aussi oublier des ques-tions qu’il avait été le seul à aborder. L’économie politique par exemple est la grande absentede ces œuvres philosophiques. Le capitalisme existant faitl’objet de peu d’analyse ; l’idée de classe sociale disparaît.Il est vrai qu’à l’époque beaucoup prophétisaient la stabi-lisation définitive du capitalisme; mais aujourd’hui, enpleine crise du capitalisme, il serait dommageable pour lagauche d’en rester à de telles élaborations, aussi impor-tantes soient-elles.La nécessité d’une organisation des classes populaires,d’un Parti, disparaît quant à elle au profit de logiques indi-viduelles (on se transforme soi même plutôt que l’ordredu monde). Les organisations ouvrières pouvaient certesêtre aliénantes, mais fallait-il aller jusqu’à condamner touteforme d’organisation (Althusser finira par écrire que l’or-ganisation est domination) ? La politique alors privée deses médiations s’installait durablement sur le seul terrainphilosophique. Le pouvoir d’État relativisé – un pouvoir parmi tant d’au-tres – devait cesser d’être l’obsession d’une politique trans-formatrice. L’objectif ne devait plus être l’accès au pouvoirmais la mise en œuvre dès maintenant de modes de viealternatifs. Le néolibéralisme a su montrer, depuis, l’effi-cacité du pouvoir d’État pour changer en profondeur lavie des gens. Le livre d’Isabelle Garo veut contribuer à l’ouverture d’unenouvelle séquence théorique et politique. Il propose deréactiver un marxisme alliant une analyse attentive au réelcentrée sur la compréhension du capitalisme et l’interven-tion politique auprès des classes populaires. n

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Histoires croisées du communismeitalien et françaisCahiers d’Histoire, revue d’histoire critique n°112-113

Par PIERRE LAROCHE

L’histoire comparée porte sur lestransferts, les emprunts et ne se faitplus sur des bilans qui figent les situa-tions (S. Wolikow, « Méthodologie ethistoriographie »). La comparaisondu PCF et du PCI a longtemps misl’accent sur des divergences natio-nales : il s’agit maintenant d’envisageraussi le poids de l’international ausein des systèmes politiques nationaux. Ainsi, les positionsdifférentes du PCF et du PCI, ou plutôt de Thorez et Togliatti,face à Khrouchtchev (R. Martelli, « Le PCI et le PCF face àKhrouchtchev ») peuvent être rapportées non seulementaux évolutions différentes de la société en France et enItalie, mais aussi et parfois surtout, aux changementsmondiaux (URSS, Chine, 1956 en Hongrie). La détenteinternationale et le fait que Khrouchtchev semble disposéà concéder quelque autonomie posent la question d’uneredéfinition du rapport entre voies nationales, solidaritéenvers l’URSS et stratégie internationale (M. Di Maggio,« PCI, PCF et la notion de centre »). Le PCF, proche desconservateurs soviétiques et surtout de Mao Zedong, refusela méthode et le contenu, l’existence même, du « rapportsecret ». Le PCI choisit la direction des voies nationales,Togliatti cherchant les bases de la réorganisation du mouve-ment communiste dans la construction de pôles régio-naux. En 1968, les deux partis adoptent des positions diffé-rentes face aux mouvements étudiants (G. Stripoli, « LePCF et le PCI face aux mouvements étudiants de 1968 »).Le PCF aurait oscillé entre compréhension – faisant entrerce mouvement dans ses propres schémas interprétatifs –et prise de distance, en se référant aux enseignements deLénine contre des attitudes gauchistes, aventuristes. LePCI de son côté aurait repris les mots de la contestation etde la révolte sans parvenir à exprimer une ligne politiqueprécise et aurait finit par négliger les éléments qui étaientapparus d’abord come des nouveautés réelles. n

Recherche précarisée, recherche atomisée : production et transmission des savoirs à l’heure de la précarisationRaisons d’agir, 2011

P.É.C.R.E.S.

Par DINA BACALEXI

La passion : voilà ce qui fait tenir les quelques 50 000précaires de l’enseignement supérieur et de la recherche(ESR). L’envie de poursuivre une œuvre engagée, le besoin

d’être partie prenante de la production et de la diffusiondu savoir. Passion, mais aussi lucidité menant au déses-poir ces personnes hautement qualifiées ayant choisi l’undes métiers de l’ESR, mais que l’ESR malmène et margina-lise.Ce livre est issu d’une enquête nationale menée en 2009par le collectif au nom évocateur P.É.C.R.E.S. (Pour l’Étudedes Conditions de travail dans la Recherche et l’Enseigne-ment Supérieur) à la demande de l’intersyndicale de l’ESR,des syndicats étudiants et des associations SLR et SLU.Graphiques, références documentaires, glossaire et témoi-gnages (parmi les 4409 recueillis) dépeignent ces visibles-invisibles sans lesquels bien des réalisations scientifiquesn’auraient jamais vu le jour.Le glissement de la précarité, couvrant des besoins ponc-tuels, à la précarisation, durable, structurant l’emploi scien-tifique, survient avec la recherche sur projets et appels d’of-fres qui s’oppose au temps long de la maturation et dudébat. Service public en régression, science déconsidérée :tout en feignant de reconnaître l’anormalité de la situation,les pouvoirs publics l’ont érigée en norme. Les plus précairessont en sciences humaines et sociales : signe de leur dépré-ciation par ceux qui n’arrêtent pourtant pas d’en faire l’éloge.Les plus précaires sont à l’université : hypocrisie de confierles jeunes à des personnels trop instables professionnelle-ment pour en assurer un suivi durable.Un quart des précaires a plus de 35 ans. Leurs contrats dedroit public sont moins protégés que ceux du privé. Lerecours fréquent aux vacations ou à des formes d’emploiet de rémunération illégales favorisant la dépendance et leclientélisme entraîne une sélection sociale, une exclusionde ceux dont les moyens financiers sont limités, la familia-rité avec le système moindre, les réseaux de relations aléa-toires ou inexistants.Le gâchis des compétences et la rupture de la chaîne deleur transmission est un choix idéologique : asservir laconnaissance, bien cumulatif et non marchand, au capi-talisme.Résultat des stratégies européennes de l’économie de laconnaissance, dont émanent des lois (LRU) et des mesures(Grand Emprunt) françaises, la précarisation appelle aussides luttes dans le cadre européen. Son éradication ne pourrase faire que dans l’unité des précaires et des titulaires. Dansla convergence de tous les secteurs où l’on flexiblise, où l’on

liquide des savoir-faire et desmétiers. Dans la perspective d’unedémocratie pleine et entière, de laconquête de nouveaux droits et durétablissement des anciens. Ce n’estpas une solidarité humanitaire, c’estun objectif éminemment politique.Mais n’est-ce pas quand l’humani-taire et le politique, jadis séparés, serencontrent, que renaît l’espoir d’unavenir lumineux pour tous ? n

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COMMUNISME EN QUESTION

Par STÉPHANIE ROZA*

l'auteur de la Basiliade lui-même, prenaitdonc la plume, cette fois-ci, pour menersur le plan théorique une des attaquesles plus violentes, en ce siècle de critiquede toutes les institutions, contre la plussacrée peut-être, celle de la propriétéprivée. Fait encore plus original, cettecritique comportait un versant positif :le lecteur découvrait en effet à l'issuedes trois premières parties un « Modèlede législation conforme aux intentionsde la nature », autrement dit l'esquisseconstitutionnelle d'une société basée surl'appropriation commune des moyens etdes produits du travail commun. Par là,l'auteur (un certain Morelly, dontaujourd'hui encore on ignore presquetout) introduisait une très importanteinnovation dans la tradition, déjàancienne, des utopies «  communau-taires  » qui, depuis le roman fondateurde Thomas More, L'Utopie, de 1516, seprésentaient toutes sous la couverturerassurante et irréelle du rêve, de la fiction. Bien que l'état d'esprit de notre auteur,marqué par le scepticisme, soit en celatout à fait au diapason de celui de sesprédécesseurs (« Je donne cette esquissede lois par forme d'appendice, et commeun hors-d'œuvre, puisqu'il n'est malheu-reusement que trop vrai qu'il seraitcomme impossible, de nos jours, deformer une pareille république », p. 148),cette forme choisie par lui imprimait defait une inflexion dans l'histoire de ce

genre politico-littéraire si difficile àcirconscrire. À travers elle, comme l'écrivitle grand historien de la Révolution Fran-çaise Albert Soboul, s'effectuait lepassage des grandes odyssées roma-nesques de la période précédente à la«  théorie sociale  », dans laquelle uncertain nombre de révolutionnaires dela fin du siècle iront puiser leurs prin-cipes d'action2. Avec le Code de la nature,l'utopie de la communauté des biensémergeait donc des limbes de l'imagi-naire pour s'ancrer dans le terrain de laréflexion «  sérieuse  », fût-elle encorepurement spéculative. C'était assuré-ment une étape nécessaire dans soncheminement vers la pratique politique.

REPENSER L’HOMMELa démonstration s'efforce tout d'abordd'établir que la nature humaine est fonda-mentalement compatible avec l'idéalsocial représenté dans la Basiliade. Ils'agit donc de repenser l'homme ànouveaux frais, et de rejeter l'anthropo-logie sombre, directement dérivée de ladoctrine chrétienne et dominée par l'idéedu péché originel qui prévaut jusque làdans la morale et la philosophie. Danscette entreprise, Morelly n'est pas seul :au contraire, sa tentative s'inscrit plei-nement dans un mouvement général despenseurs des Lumières, qui reprochentglobalement à leurs aînés d'avoir peintl'homme plus méchant qu'il ne l'est ; toute

n 1755 paraissait – anony-mement et sous un nom d'éditeur fictif–le Code de la Nature1 ou le véritable espritde ses lois. Ce petit livre, mi-pamphlet,mi-essai philosophique, prenait vigou-reusement la défense d'un roman inti-tulé Le Naufrage des isles flottantes, ouBasiliade du célèbre Pilpai, paru deuxans plus tôt et attaqué par la critique del'époque pour son extravagance. Pensezdonc : cette utopie dépeignait dans desallégories bien trop faciles à déchiffrerla société d'Ancien Régime, son culte del'intérêt personnel, la vanité de sesGrands, et l'étendue de ses inégalités,sous des couleurs horrifiques ; elle luiopposait l'image idyllique d'un peuplevivant sous le régime de la communautédes biens, uni dans la fraternité et la soli-darité les plus complètes. Pouvait-on rienimaginer de plus absurde ? L’auteur du Code de la nature, qui s'avèredans le cours du texte n'être autre que

Un programme au siècle des Lumières ?

*STÉPHANIE ROZA est professeur de philo-sophie. Elle prépare actuellement une thèsesur le socialisme républicain au siècle deslumières.

Avec le Code de la nature, l’utopie de la communauté desbiens émergeait des limbes de l'imaginaire pour s'ancrerdans le terrain de la réflexion « sérieuse », fût-elle encorepurement spéculative. C'était assurément une étape néces-saire dans son cheminement vers la pratique politique.

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31ESPÉRANCE ÉMANCIPATRICEPourtant, et même si les temps ne sontpas encore venus, l'utopiste conserve foien un rétablissement futur du bon ordresocial. Dans le cadre d'un déisme ratio-naliste qui rappelle par bien des aspectsla religion de Jean-Jacques Rousseau,Morelly affirme que la Providence présideaux destinées de l'humanité ; que cetteProvidence ne peut vouloir le malheur del'espèce. C'est pourquoi le règne de lapropriété ne peut être que transitoire ;mieux même, il a ce sens historique dedonner aux hommes l'occasion de prendrepleinement conscience de leur vocationcommunautaire. Au terme de l'aventure,éclairés sur leur situation, ils doiventretrouver sur un plan supérieur l'étatsocial harmonieux et bienheureux qui seulpermet l'épanouissement complet de leursfacultés. Au-delà de cette profession defoi dans un avenir meilleur, il faut releverque l'invocation de la Providence est enfait mise au service d'une invitation faiteaux hommes à se réapproprier leur propredestinée, et ce, par la prise de consciencedes causes qui produisent les maux de lasociété. Espérance émancipatrice, encorefloue sans doute, que d'autres se charge-ront pourtant d'inscrire sur leurs drapeauxbien peu de temps après. En effet, si la question des moyens propresà mettre en œuvre la transformationsociale, ne fait pas partie des préoccu-pations de Morelly, en revanche la préci-

sion— et à certains égards, l'originalité—de son plan de législation lui confèrentune valeur programmatique qui n'échap-pera pas aux idéologues du «  premierparti communiste agissant »3, le groupede Babeuf. Les Égaux reprendront ainsivraisemblablement au Code de la Nature,à côté de mesures que l'on retrouve danstoute la tradition utopique, certains pointsspécifiques : le projet d'une organisationde base de la société en «  classes detravail », élisant leurs propres magistrats ;une conception de l'État comme devantà ses membres un ensemble de servicessociaux indispensables ; l'idée d'un travail«  libre  » à partir de l'âge de quaranteans4. Devant ses accusateurs au procèsde Vendôme, Gracchus Babeuf revendi-quera l'héritage de l'auteur du Code, qu’ilconsidère comme le «  plus fougueuxathlète du système »5. Peu connu en son temps, probablementéclipsé par son contemporain Rousseau,pourfendeur des inégalités sociales,Morelly est retombé, dans un oubli injuste.Il est temps de redonner à ce novateurla place qui lui revient, dans l'histoireintellectuelle en général, et dans celledes idées socialistes en particulier. Ilconviendra aussi, sans doute, de lui rendrel'hommage particulier que méritent ceuxqui, dans un isolement parfois complet,ne craignirent pas de s'élever contrel'ordre établi et son cortège d'injustices.Sans doute cette leçon de courage intel-lectuel ne paraîtra-t-elle pas superflueaujourd'hui, note discordante dans leconformisme ambiant. n

1) Un Programme socialiste au siècle desLumières ? Le Code de la Nature de Morelly,La Ville Brûle, 2011. 2) Voir à ce sujet l'article, co-écrit avec I. Hartig : « Notes pour une histoire del'utopie en France au XVIIIe siècle », AnnalesHistoriques de la Révolution Française,n°224, 1976, pp.161-179. 3) L'expression, célèbre, est de Marx. 4 )ur ce point, voir la discussion menée dansles colonnes des Annales Historiques parR.N. Coe, J. Dautry et A. Saitta : "La théoriemorellienne et la pratique babouviste",AHRF n°150, 1958, pp. 38-64. 5) Le plaidoyer de Babeuf est reproduit in extenso dans le volume II de l'Histoire de Gracchus Babeuf et du babouvisme, par V. Advielle, Paris, rééd. CTHS, 1990.

Fête de l’Humanité : Dimanche 12h au villagedu Livre : Deux pensées critiques au siècle desLumières : Rousseau et la philosophie, Morellyet l'utopie avec Claude Mazauric (historien,auteur de Jean Jacques Rousseau à 20 ans),Stéphanie Roza (initiatrice de la rééditionCode de la Nature ou le véritable esprit de seslois, d’Étienne-Gabriel Morelly), PatrickCoulon (Espaces Marx).

la théorie du droit naturel, matrice desDroits de l'Homme, s'enracine d'ailleursdans l'idée d'un état social primitif, « l'étatde nature », où tout était commun. L'originalité de Morelly cependant,consiste à prendre appui sur les acquisde son siècle pour aller au-delà de sesobjectifs généraux, égalité juridique, luttecontre le despotisme politique et le fana-tisme religieux, etc. De fait, il radicalisela vision optimiste de l'homme que portel'air du temps, à partir de la notion« d'amour de soi » (ou instinct de conser-vation, dans des termes plus modernes),que chacun s'accorde à placer au fonde-ment des actions humaines. Notre auteurmontre que cet amour ne peut se satis-faire que dans la coopération avec autrui,dans la mesure où les besoins de l'hommeexcèdent toujours « de quelque chose »ses forces propres. Cette interdépendancenaturelle est renforcée par «  l'inégalitéharmonique  » qui prévaut parmi nous,c'est-à-dire la « variété » des besoins etla «  diversité de forces, d'industries, detalents » qui produit un équilibre généralentre les atouts et les faiblesses dechacun. C'est dire combien l'homme estprédisposé à une vie sociale marquée parl'entraide, et le bonheur commun. C'estdire aussi, que la mort de la communautéoriginelle et l'établissement de lapropriété privée a signifié la corruptionde l'espèce humaine, sa dégénérescencemorale et matérielle.

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HISTOIRE

La Constitution de 1793Il suffit de lire et relire cette Déclaration pour se convaincre non seulementde ses audaces, mais des rêves qu’elle peut encore susciter près de 220ans plus tard par sa reconnaissance du droit à l’existence, du droit au travail, du droit à l’instruction, et bien sûr du fameux droit de résistance àl’oppression qui peut aller jusqu’à légitimer l’insurrection contre un gouver-nement violant les droits du peuple .

e texte constitutionnel, sou-vent décrit comme le plus démocra-tique qu'ait connu la France, a eu undestin pour le moins étrange. Jamaismis en application, en raison du terriblecontexte de l’été 1793, lorsque laRépublique devait faire face tout à lafois aux révoltes hostiles à laRévolution et aux armées étrangèresqui l’attaquaient sur plusieurs fronts àla fois, a longtemps fait rêver nombrede militants, ceux de l’an III (1794-1795)comme ceux du XIXe siècle. L’adoptionde cette Constitution, la seconde néede la Révolution et donc la seconde del’histoire de France, est devenue néces-saire aux lendemains du 10 août 1792dès lors que cette journée révolution-naire a abouti au renversement de lamonarchie. La Constitution de 1791,dont le roi était un rouage fondamen-tal, ne pouvait être maintenue sitôt quela République se substitua à la monar-chie constitutionnelle le 20 septembre1792. Aussi convenait-il de rédiger unnouveau texte constitutionnel et, dès lafin de septembre 1792, l’un des comitésde la Convention nationale (la nouvelleAssemblée détentrice du pouvoir légis-latif), baptisé comité de constitution,

* MICHEL BIARD est professeurd’Histoire du monde moderne et de la Révolution française,Université de Rouen.

fut chargé de mettre au point un projet.Le sort à réserver au ci-devant roi(guillotiné le 21 janvier 1793), d’unepart, l’affrontement politique entreGirondins et Montagnards, d’autre part,retardèrent les débats, de sorte que lepremier projet (rédigé par Condorcet)ne parut devant la Convention natio-nale que le 15 février 1793. A côté de ceprojet porté par son comité de consti-tution, la Convention nationale enreçut plus de 300 autres, présentés pardes représentants du peuple (titre alorsdonné aux députés) ou de simples par-ticuliers, voire des étrangers soutenantla Révolution française.

Rien n’était encore décidé le 2 juin1793, lors de l’arrestation des meneursde la Gironde et de la mise à l’écart decette mouvance politique au sein de laConvention nationale. Devenus désor-mais les plus influents, les Montagnardss’employèrent à accélérer la rédactionet l’adoption d’un nouveau texte consti-tutionnel, de manière à ôter un argu-ment de poids à ceux qui se révoltèrenten juin et juillet pour protester contrele coup de force du 2 juin (révolteconnue sous le nom de «  fédéra-lisme  »). Présenté devant l’Assembléele 10 juin 1793, adopté le 24, le texte futsoumis à la ratification des électeurs,autrement dit à ce que nous qualifie-rions aujourd’hui de «  référendum  ».

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Par MICHEL BIARD*

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SEPTEMBRE 2011- LA REVUE DU PROJET

Le oui obtint près de 1.8 million de voix,le non en reçut environ 11  500 (avecune participation proche du tiers desélecteurs, ce qui représentait unemobilisation tout à fait honorable euégard aux conditions du moment).Symboliquement, cette adhésion mas-sive des citoyens donna lieu à une céré-monie fixée au 10 août 1793, jour dupremier anniversaire de la chute du« dernier des tyrans ». Toutefois, en rai-son du contexte, la Convention natio-nale décida d’ajourner l’application dela nouvelle Constitution et proclama, àl’automne suivant, le gouvernement«  révolutionnaire jusqu’à la paix  ».L’adjectif «  révolutionnaire  » étant icipris comme un synonyme d’« extraor-dinaire  », le «  Gouvernement révolu-tionnaire  » devenait de facto un gou-vernement de guerre, prenant desmesures extraordinaires et créant des«  institutions révolutionnaires » desti-nées à coexister avec les institutionsordinaires tant que la guerre durerait.Pour autant, si la Constitution étaitmise en sommeil, la nouvelleDéclaration des droits de l’homme etdu citoyen, qui l’accompagnait, faisait,elle, l’objet d’une large diffusion, d’affi-chages, de commentaires, etc. Or, il suf-fit de lire et relire cette Déclarationpour se convaincre non seulement deses audaces, mais des rêves qu’ellepeut encore susciter près de 220 ansplus tard par sa reconnaissance dudroit à l’existence, du droit au travail,du droit à l’instruction, et bien sûr dufameux droit de résistance à l’oppres-sion qui peut aller jusqu’à légitimer l’in-surrection contre un gouvernementviolant les droits du peuple «  Quand legouvernement viole les droits du peu-ple, l’insurrection est pour le peuple […]le plus sacré et le plus indispensabledes devoirs ».

Les 9 et 10 thermidor an II (27-28 juillet1794), l’arrestation puis l’exécution deMaximilien Robespierre et ses amissonna le glas non du Gouvernementrévolutionnaire, mais bien vite celui dela Constitution de 1793 devenuegênante aux yeux des « Thermidoriens »(la coalition éphémère des vainqueursen thermidor) qui aspiraient à renforcerle pouvoir exécutif. Les rouages duGouvernement révolutionnaire furenten grande partie maintenus afin que laConvention nationale puisse conserver

le pouvoir, mais, après les dernièresjournées révolutionnaires de germinalet prairial an III (printemps 1795), unenouvelle Constitution fut donc rédigéeavec des principes radicalement diffé-rents de ceux de 1793 et une troisièmeDéclaration dite cette fois des droits etdes devoirs. Ce texte, connu sous le nomde Constitution de l’an III, fut adopté le5 fructidor an III (22 août 1795) et servitde fondement au Directoire (1795-1799).La Constitution de 1793, jusque-là sim-plement mise en sommeil, était pure-ment et simplement supprimée sansmême avoir été appliquée.

UNE RÉFÉRENCE POUR NOTRE DÉMOCRATIE ?Il ne saurait être question d’entrer icidans les détails du texte constitution-nel de 1793, mais simplement d’en souligner quelques caractéristiquesmajeures, notamment celles qui expli-quent à quel point il a pu faire rêver lessans-culottes de 1793-1794 (l’an II) etcomment il peut, le cas échéant, encoreservir de référence dans notre démo-cratie. La Constitution de 1791 séparaitavec soin les pouvoirs exécutif et légis-latif  ; en revanche, celle de 1793 plaçaittoute l’autorité réelle dans un Corpslégislatif, émanation de la souverainetépopulaire, sans pour autant allerjusqu’à supprimer l’Exécutif. Là où lapremière avait confié au roi un pouvoirexécutif fort (avec, entre autres, lecélèbre droit de veto suspensif, grâceauquel le roi pouvait refuser les loisvoulues par l’Assemblée législative), laseconde affaiblissait donc très nette-ment l’Exécutif. Confié à un Conseil de24 membres (ministres), celui-ci étaitsubordonné au Corps législatif, ne dis-posait d’aucun veto, était réduit à lastricte application des lois et devaitrendre compte de ses actes. Pour peuque l’on compare cette situation à celleensuite mise en place sous leDirectoire, a fortiori sous le Consulat etl’Empire, voire sous notre actuelle Ve

République, force est de constater lerôle fondamental de cet affaiblisse-ment du pouvoir exécutif dans lavolonté de faire naître une démocratieconçue comme exemplaire. Pour sapart, le Corps législatif (qui aurait doncdû succéder à la Convention nationalesi la Constitution avait été appliquée),composé d’une seule Chambre, étaitélu pour un an seulement et au suf-

frage universel (masculin). Ses pou-voirs n’avaient d’autres bornes queceux liés à la souveraineté populaire,mais celles-ci étaient loin d’être négli-geables. En effet, les citoyens pou-vaient intervenir directement dansl’exercice du pouvoir législatif. La loivotée par le Corps législatif n’avaitqu’une valeur de proposition qui devaitensuite être «  sanctionnée  » (c’est-à-dire acceptée) par les citoyens. Qu’onse rassure quant à la complexité de cecheminement de la loi, cela ne signifiaiten rien que toute loi était soumise à unvote populaire et que les citoyensdevaient donc subir semaine aprèssemaine référendum sur référendum  !Leur consentement était tacite si la loivotée par le Corps législatif ne soule-vait pas de contestations dans un délaide quarante jours  ; dans le cascontraire, un vote devait être organiséet, de ce fait, les citoyens partageaientalors avec leurs députés l’exercice dupouvoir législatif. Certes, une subtiledivision permettait de distinguer deslois et des décrets, tous ces textesadoptés par le Corps législatif n’étantpas soumis à un même contrôle descitoyens, donc il ne s’agissait pas icid’une sorte de «  démocratie directe  »(d’autant que, pour qu’il y ait contesta-tion, il fallait que proteste au moins undixième des assemblées primaires ras-semblant les citoyens dans la moitié[plus un] des départements).

On peut toutefois se prendre à rêver deposséder ce genre de droits au XXIe siè-cle, là où les représentations nationalesfinissent hélas par n’être plus que desreflets parfois très infidèles de la sou-veraineté populaire. Songeons auxrécentes lois réformant le régime desretraites et au sort qui eût été le leurpour peu qu’existât un système simi-laire à celui de 1793… n

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SCIENCESLa culture scientifique est un enjeu de société. L’appropriation citoyenne de celle-ci participe de la constructiondu projet communiste. Chaque mois un article éclaire une actualité scientifique et technique. Et nous pensonsavec Rabelais que « science sans conscience n’est que ruine de l’âme ».

le travail humain qui produit la richesse!ne l'oublions pas) : près de 100 milliardsde dollars de financement à trouver. Dansce cas, tant que ces investissements nese concrétisent pas, cela reste dans ledomaine des ressources et non desréservesRéserves ultimes  : ce sont l'ensemble desréserves et ressources avec en plus cequi a été produit, on parle aussi deressources initiales.

Le graphique ci-dessus illustre la situa-tion mondiale depuis 1970  : les réservesultimes n'ont pas augmenté, il n y a paseu de découvertes majeures de nouveauxgisements. L’augmentation des réservesest surtout le fait de la transformationdes réserves probables et possibles déjàconnues à l’époque, en réserves prou-vées, notamment par des investissementset le progrès des techniques d’extractiondurant ces quarante dernières années(passage du jaune au violet). En 1970, lesréserves prouvées correspondent doncbien à 40 ans de consommation mondialede l'époque. Par contre, en 2005, on le voit, il n'y a pratiquement plus deressources (en jaune) à transformer enréserves prouvées. On est bien face à unepénurie physique imminente de pétrole.

Pic(s) et épuisement des ressourcespétrolières, où en est-on ?Il y a urgence à prendre toutes les dispositions pour ne pas subir le pic pétrolier et nous préparer à la décroissance prévisible de la production.

E*AMAR BELLAL est ingénieur, membrede la commission écologie du PCF.

n 1970 on annonçait la fin dupétrole dans 40 ans  ; aujourd'hui, lesréserves pétrolière seraient estimées àprès de 1 000 milliards de barils, soitl'équivalent de 35 années de consom-mation mondiale de l'année 2009… Quepenser  de telles prévisions  ? Qu'en estil réellement de l'état des ressourcespétrolières aujourd'hui ? Par quel mystèreles réserves en pétrole augmentent régu-lièrement d'année en année sans qu'il yait réellement de découvertes majeures ? Tout d'abord, quelques définitions  :

RÉSERVES PROUVÉES, PROBABLES, POSSIBLES, ULTIMES...Réserves prouvées : pétrole dont on est sûrà 90% qu'il existe et qu'il sera possibled'extraire dans les conditions technico-économique du moment et avec les puitsdéjà existants ou en cours de construc-tion. Pour les réserves probables et possi-bles, les probabilités sont respectivementde 50 et 10%. Les ressources  : le pétrole a été découvert,mais pour l'instant pas d'investissementsd'infrastructure pour les produire, et il n’estpas vraiment sûr que le prix du baril soitsuffisamment élevé pour garantir la renta-bilité. Pour qu'une ressource devienneréserve, il faut augmenter le taux de récu-pération.Un exemple pour illustrer, celui de l’offs-hore profond brésilien récemment décou-vert au large de Rio de Janeiro : 50milliards de barils annoncés. Mais pourtransformer ces ressources en réservesprouvées, il faudrait construire desdizaines de plateformes, des centainesde puits, des centaines de km d’oléoducs,former des milliers de spécialistes (c'est

35 ANS DE PÉTROLE ?La réponse à cette question n'est pasune simple division de la quantité desréserves prouvées par la consommationmondiale annuelle (1000 milliards divisépar 35 milliards=30 ans environ). C’estbeaucoup plus compliqué….

- d'abord, comme pour un puits de pétrole,il faut oublier l'image d'une production àdébit constant et puis du jour au lendemain,

plus rien : non,en réalité, laproductionpasse par un picet déclineensuite lente-ment. Ce picintervient quandla moitié desressourcesultimes ont déjàété produites :avec approxima-tivement 1 000milliards debarils déjàproduits depuisl'ère du pétroleet en estimant à

1 000 milliards les réserves restantes, nousy sommes donc en plein dedans, à quelquesannées près.

- ajoutons à cet aspect, la consomma-tion mondiale qui augmente régulière-ment de 2% (Chine, Inde, surconsomma-tion occidentale…) pour revenir sur notrevision d'une simple opération de division,réserve restante/consommation=durée,non seulement le numérateur diminue,mais en plus, le dénominateur (consom-mation) augmente chaque année jusqu'àatteindre le fameux mur physique qu'estle pic de production : là plus de choixpossible, limitation physique oblige, laproduction annuelle ne peut plus suivrela demande mondiale, et ne peut quediminuer de manière inexorable. Donc

Par AMAR BELLAL*

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SEPTEMBRE 2011- LA REVUE DU PROJET

nous avons à la fois à faire face au doubleproblème du pic pétrolier et de l'augmen-tation continue de la demande, ce quinous donne la situation (explosive) (voirgraphique page suivante).

Pour pouvoir satisfaire à la fois lademande et faire face au pic du pétrole,il faudrait investir massivement dans desprojets de construction de nouveaux puitset infrastructures du côté des pétrolesnon conventionnels notamment (offs-hore profond, sable bitumineux duCanada, huile lourde du Venezuela,schiste bitumineux, Arctique...) mais faceà la volatilité du prix du baril et d'absencede visibilité du marché à plus de troisans, et indépendamment des problèmesécologiques que posent cette fuite enavant (effet de serre, pollutions liées àces types d'exploitation) : les compagniespétrolières n'investissent pas dans cesprocédés très coûteux, les dividendesdes actionnaires et les investissementsfinanciers, plus sûrs et plus rentables,étant prioritaires notamment. C'est leconstat de l'AIE dans son rapport de 2009(voir graphique). À partir de 2012, cesinvestissements manquants vont se fairecruellement sentir, ce qui se traduira parune demande non satisfaite, des tensions,une envolée du prix du baril, avec descrises économiques et de probablesguerres (l'Irak, la Libye en sont des exem-ples). Cette décroissance de la produc-tion devrait durer jusqu'à la fin du siècle :il y aura donc encore du pétrole au delàdes 35 prochaines années mais pas pourtout le monde ! Et surtout très très cher(400, 500…1 000 dollars le barils ?).

PIC GÉOLOGIQUE OU... PIC TECHNICO-ÉCONOMIQUE ?Allons nous assister d'ici 2015 à un pic

dicté par la géologie ? Ou plutôt un piclié à l'insuffisance des investissementset de compétences humaines ? En réalité,du pétrole il y en a… si nous regardonsdu coté des non conventionnels :Mais pour les produire, il faut notammentdépenser de l'énergie afin de les trans-former en pétrole liquide, ce qui renchéritle prix du baril et avec des conséquencespour l'environnement dévastatrices. Suiteà l'insuffisance de l'offre en pétrole conven-tionnel à venir, une flambée du prix du barilrisque de relancer l'intérêt des investisse-ments pour exploiter les non convention-nels. Mais tous ces investissements vontprendre du temps, au moins dix ans, neserait ce que pour former les centaines demilliers de spécialistes, période danslaquelle le monde sera plongé dans unecrise très grave en attendant que lesnouveaux moyens de production, en coursde construction, fonctionnent à pleinrégime et pallient l'insuffisance de l'offre.Nous allons donc assister dans un premiertemps à un pic technico-économique, puisune chute pendant plusieurs années, etenfin un redressement de la production.Une fois les non conventionnels exploitéset ces nouvelles technologies d'extractionet de production rodées, cette nouvellephase pourrait nous amener à un deuxièmepic, le "vrai" cette fois, le pic géologique,qui nous indiquera que nous sommes vrai-ment sur le point d'épuiser tout le pétroleprésent dans la croute terrestre. Mais toutcela est il souhaitable ?

PIC ÉCOLOGIQUE MONDIAL POUR 2020 ?Nous ne pouvons pas souscrire à la "péda-gogie par la douleur" prônée par certainscourants de pensée qui se réjouissent decette situation de blocage. Cette pénurieimminente est avant tout une trèsmauvaise nouvelle pour les peuples car

non préparés à ce changement de civili-sation. Le pragmatisme impose de nousdonner encore quelques années de sursisen effectuant les investissements adéquatspour satisfaire la demande en pétrole pourau moins dix ans encore. Durant cettepériode, des investissements très impor-tants dans des projets d'économied'énergie et de développement de moyensde transport électrique (le pétrole étantà 80% utilisé dans ce secteur) doiventêtre entrepris. Cela pose la nécessité d'uneplus grande place du vecteur énergie élec-trique, à condition qu'elle soit produiteproprement, sans gaz à effet de serre etsans rejets toxiques dans la biosphère.Cela demande de reconsidérer le débatsur l'énergie nucléaire et la place des éner-gies renouvelables dans nos systèmes.

Une conférence internationale consacréeà cette question, à l'image de Kyoto et deCopenhague pour le climat, en ayantconscience de toutes leurs insuffisances etcontradictions, doit être organisée. Ce seral'occasion de poser la question politique dela sortie planifiée à l'échelle mondiale dela civilisation du pétrole, tout en relevantle défi de répondre aux besoins énergé-tiques d'une planète qui comptera près dedix milliards de personnes en 2050. En clairdécider ensemble d'un "pic écologique" àl'horizon de 2020, décision concertée auniveau mondial de baisser la production depétrole à partir de cette date. Ce sera l'oc-casion aussi de poser la nécessité d'unemeilleure répartition de cette ressource etde l'arrêt de son gaspillage : 80% desressources étant consommées par 20% dela population. Cette situation est largementdue au système capitaliste et au mode devie qu'elle impose à des milliards depersonnes dans le monde. Et comme nousle proposons pour l'eau, pourquoi ne pasfaire du pétrole un bien commun de l'hu-manité sous administration de l'ONU etcessant d'être la rente privée des capita-listes ? L'utopie aujourd'hui pourrait bienêtre la réalité de demain, à condition quenous engagions dès maintenant les bataillespolitiques… n

Pour en savoir plus :• Paul Sindic, Urgences Planétaires, Le tempsdes cerises, 2010.• Yves Mathieu, Le dernier siècle du pétrole ? Lavérité sur les réserves mondiales, Technip, 2011.• Albert Legault, Pétrole et Gaz et les autresénergies, Technip, 2007.• Site de l'AIE (Agence Internationale del'Énergie) • Économie et Politique, septembre 2011.• Le plein, s'il vous plait, la solution au pro-blème de l'énergie Jean-Marc Jancovici, AlainGrandjean, 2007

(AGROCARBURANTS)

(Projet de pétrole non conventionnel hors OPEP)

(Pétrole non conventionnel horsOPEP)

(Pétrole non conventionnel OPEP)

(Pétrole conventionnel OPEP)

(Projet de pétrole conventionnelhors OPEP)

(Projet de pétrole conventionnelOPEP)

(Pétrole conventionnel hors OPEP)

CONSOMMATION MONDIALE

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