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Séquence I – Documents complémentaires François Mauriac, Le Romancier et ses personnages, 1933Dans son essai, Mauriac interroge la notion de personnage. Il souligne son artificialité et ainsi, met au jour la différence entre la littérature et le réel.

Acceptons humblement que les personnages romanesques forment une humanité qui n'est pas une humanité de chair et d'os, mais qui en est une image transposée et stylisée. Acceptons de n'y atteindre le vrai que par réfraction. Il faut se résigner aux conventions et aux mensonges de notre art.

On ne pense pas assez que le roman qui serre la réalité du plus près possible est déjà tout de même menteur par cela seulement que les héros s'expliquent et se racontent. Car, dans les vies les plus tourmentées, les paroles comptent peu. Le drame d'un être vivant se poursuit presque toujours et se dénoue dans le silence.

L'essentiel, dans la vie, n'est jamais exprimé.

Dans la vie, Tristan et Yseult parlent du temps qu'il fait, de la dame qu'ils ont rencontrée le matin, et Yseult s'inquiète de savoir si Tristan trouve le café assez fort. Un roman tout à fait pareil à la vie ne serait finalement composé que de points de suspension. Car, de toutes les passions, l'amour, qui est le fond de presque tous nos livres, nous paraît être celle qui s'exprime le moins. Le monde des héros de roman vit, si j'ose dire, dans une autre étoile, l'étoile où les êtres humains s'expliquent, se confient, s'analysent la plume à la main, recherchent les scènes au lieu de les éviter, cernent leurs sentiments confus et indistincts d'un trait appuyé, les isolent de l'immense contexte vivant et les observent au microscope.

Et cependant, grâce à tout ce trucage, de grandes vérités partielles ont été atteintes. Ces personnages fictifs et irréels nous aident à nous mieux connaître et à prendre conscience de nous-mêmes. Ce ne sont pas les héros de roman qui doivent servilement être comme dans la vie, ce sont, au contraire, les êtres vivants qui doivent peu à peu se conformer aux leçons que dégagent les analyses des grands romanciers. [...]

Les héros des grands romanciers, même quand l'auteur, ne prétend rien prouver ni rien démontrer, détiennent une vérité qui peut n'être pas la même pour chacun de nous, mais qu'il appartient à chacun de nous de découvrir et de s'appliquer. Et c'est sans doute notre raison d'être, c'est ce qui légitime notre absurde et étrange métier que cette création d'un monde idéal grâce auquel les hommes vivants voient plus clair dans leur propre cœur et peuvent se témoigner les uns aux autres plus de compréhension et plus de pitié.

Milan Kundera, Le Rideau, 2005Dans son essai intitulé Le Rideau, Kundera construit une réflexion sur le roman en analysant les romans de Franz Kafka (1883-1924) dont l'influence a été majeure sur la littérature du XXème siècle, il s'interroge sur la construction du personnage.

Les trois romans de Franz Kafka sont trois variantes de la même situation : l'homme entre en conflit non pas avec un autre homme, mais avec un monde transformé en une immense admnistration. Dans le premier roman (écrit en 1912), l'homme s'appelle Karl Rossmann et le monde est l'Amérique. Dans le deuxième (1917), l'homme s'appelle Joseph K et le monde est un énorme tribunal qui l'accuse. Dans le troisième (1922), l'homme s'appelle K. et le monde est un village dominé par un château.

Si Kafka se détourne de la psychologie pour se concentrer sur l'examen d'une situation, cela ne veut pas dire que ses personnages ne sont pas psychologiquement convaincants mais la problématique psychologique est passée au second plan : que K. ait eu une enfance heureuse ou triste, qu'il ait été le chouchou de sa maman ou élevé dans un orphelinat, qu'il ait derrière lui un grand amour ou non, cela ne changera rien ni à son destin ni à son comportement. C'est par ce renversement de la problématique, par cette façon d'interroger la vie humaine, par cette façon de concevoir l'identité de l'individu que Kafka se distingue non seulement de la littérature passée, mais aussi de ses grands contemporains Proust et Joyce.

[…] Pour qu'un personnage soit « vivant », « fort », artistiquement « réussi », il n'est pas nécessaire de fournir sur lui toutes les informations possibles ; il est inutile de faire croire qu'il est aussi réel que vous et moi ; pour qu'il soit fort et inoubliable, il suffit qu'il emplisse tout l'espace de la situation que le romancier a créée pour lui. (Dans ce nouveau climat esthétique, le romancier se plaît même à rappeler de temps en temps que rien de ce qu'il raconte n'est réel, que tout est son invention, comme Fellini qui, à la fin de E la nave va, nous fait voir toutes les coulisses et tous les mécanismes de son théâtre des illusions ».

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Le Roman de Chevalerie : Chrétien de Troye, Yvain, le chevalier au lion. Calogrenant a raconté à la cour du roi Arthur son combat dans la forêt de Brocéliande avec Esclados, chevalier

de la Fontaine et châtelain de l’endroit. Arthur, informé par Guenièvre, décide alors de se rendre à Brocéliande pour affronter et vaincre Esclados. Mais Yvain veut accomplir cet exploit seul pour venger l’honneur de Calogrenant et pour répondre aux moqueries de Keu. Il part avant le roi et après une première nuit, trouve la fontaine...

Puis il alla jusqu’à la fontaine. Là il vit tout ce qu’il voulait voir. Sans s’arrêter ni s’asseoir, il versa sur le perron toute l’eau du bassin. Aussitôt il se mit à venter et à pleuvoir. Il fit le temps qu’il devait faire, et quand Dieu ramena le soleil, les oiseaux vinrent sur le pin et firent entendre au-dessus de la fontaine périlleuse, leur grande joie. Mais avant qu’ils aient terminé, le chevalier vint, plus ardent que la braise, avec le même bruit que s’il chassait un cerf en rut. Dès que les deux chevaliers s’aperçurent, ils s’approchèrent et ils donnèrent l’impression de se haïr à mort. La lance de chacun est rigide et puissante. Ils se donnent nombre de coups violents, si bien que les écus qui pendent à leur cou sont percés et que les hauberts se détachent. Les lances se brisent et volent en éclats ; leurs morceaux volent en l’air. L’un et e l’autre s’attaquent à l’épée. Ils ont coupé les courroies des écus, et ceux-ci sont dans un tel état que les pièces en pendent. Les deux combattants ne peuvent s’en couvrir ; les écus ne les défendent pas car ils les ont mis en lambeaux. Aussi les côtés sont libérés, et les épées blanches frappent sur les bras et sur les hanches. Ils s’éprouvent tous deux dangereusement. Mais ils tiennent leur position et ne bougent pas plus que ne le feraient deux rochers. Jamais deux chevaliers ne furent si avides de hâter leur mort. Ils ne veulent pas perdre leurs coups, et les emploient donc du mieux qu’ils peuvent. Les heaumes se penchent en avant et se tordent, et les mailles des hauberts volent. Ils font couler beaucoup de sang car ils sont si échauffés que leur haubert ne les protège guère plus qu’un froc. Avec la pointe de leur épée, ils se frappent au visage. La durée de cette bataille si violente et si difficile est incroyable. Mais tous les deux sont si courageux qu’à aucun prix l’un ou l’autre ne cèderait du terrain avant d’avoir tué son adversaire. Ils ont agi avec d’autant plus de noblesse qu’ils n’ont jamais blessé ni mis à mal leurs chevaux, car ils ne le voulaient pas et trouvaient cela indigne. Ils se tinrent toujours à cheval et n’en descendirent jamais, ce qui rendit le combat encore plus beau. A la fin, Yvain brisa le heaume du chevalier. Le coup étourdit et affaiblit celui-ci, qui eut peur, car il n’en avait jamais reçu de si violent. Sous son casque, il a la tête fendue jusqu’à la cervelle : les mailles de son haubert blanc en sont teintées, ainsi que de son sang. Il ressentit une douleur si grande qu’il faillit défaillir. Il a raison de vouloir fuir car il se sent blessé à mort, il est donc inutile de se défendre.

Aussi dès qu’il a repris ses esprits, il s’enfuit vers sa demeure. Le pont levis est baissé, la porte grande ouverte. Yvain éperonne de toutes ses forces. Comme le gerfaut qui poursuit rapidement la grue, il s’approche tout près du chevalier. Il croit le tenir mais ne le touche pas : celui-là fuit et celui-ci est tellement proche de lui qu’il peut presque le prendre dans ses bras. Si Yvain ne parvient pas à le rattraper, il est si près de lui qu’il peut l’entendre se plaindre. Mais le chevalier cherche toujours à fuir tandis que l’autre s’évertue à le rattraper : Yvain a peur d’avoir perdu sa peine s’il n’arrive pas à l’attraper mort ou vif et il se souvient des railleries de Keu. Il n’aura pas non plus tenu la promesse qu’il avait faite à son cousin et s’il n’apporte pas de vraies preuves jamais on ne le croira. Yvain a suivi le chevalier jusqu’à la porte de son château. Ils y sont entrés ensemble. Dans les rues, ils n’ont trouvé ni homme ni femme. A toute bride ils arrivent tous les deux jusqu’à la porte du palais. Celle-ci est haute et large, mais elle a une ouverture si étroite que les deux hommes sur leurs chevaux ne pourraient, sans ennui ni sans grand mal, y entrer en même temps. Elle était faite comme une arbalète qui guette le rat qui commet un forfait : l’espion qui est aux aguets tire, et frappe, et prend car la herse se met en marche et se détend quand quelque chose la touche même si c’est doucement. Deux pièges étaient placés sous la porte et soutenaient en haut la porte en fer, coulissante, aiguisée et tranchante. Quand quelque chose frôlait ce mécanisme, la porte d’en haut descendait, tous ceux qui étaient dessous étaient tués ou emprisonnés. Le passage était aussi étroit qu’un sentier. Le chevalier s’y est enfoncé avec prudence. Yvain, follement, lui court après à vive allure et il s’approche de si près qu’il s’accroche à l’arçon de derrière. Grâce à cela, comme il se penche en avant, il est sauvé : car il aurait été entièrement pourfendu, son cheval ayant marché sur le bois qui tenait la porte en fer. Ainsi, comme un diable de l’enfer, la herse descend, atteint par derrière la selle et l’animal et tranche tout en deux. Mais, dieu merci, elle ne toucha pas Yvain, si ce n’est qu’elle le griffa au ras du dos et qu’elle trancha les deux éperons ensemble au ras des talons. Il tomba tout effrayé. Le chevalier blessé à mort lui échappa de cette façon : derrière il y avait une autre porte pareille à la première. Le chevalier s’enfuit par là et la porte retomba après lui. Yvain fut prisonnier.

Plein d’angoisse, il resta enfermé dans la salle toute décorée de clous dorés, les murs joliment peints et aux riches couleurs. Mais sa plus grande douleur était de ne pas savoir de quel côté était allé le chevalier. D’une petite chambre à côté de cet endroit, il vit une porte étroite s’ouvrir. Une demoiselle en sortit, seule, très avenante et très belle, qui referma la porte derrière elle. Quand elle découvrit Yvain, elle eut d’abord très peur. « Chevalier, dit-elle, je crains que vous ne soyez pas le bienvenu. Si on vous voit ici, vous serez entièrement démembré, car mon seigneur est blessé à mort, et je sais bien que vous l’avez tué. Ma maîtresse éprouve une immense douleur et ses gens autour d’elle crient si fort qu’ils manquent de se tuer. Ils savent bien, pourtant, que vous êtes là, mais leur souffrance est si violente qu’ils ne savent pas encore s’ils veulent vous tuer ou vous faire prisonnier. Ils n’y manqueront pas quand ils viendront vous attraper ». Et Yvain répond : « Jamais, s’il plaît à Dieu, ils ne me tueront, ni jamais je ne serai pris. – Non, dit-elle, car j’y mettrai tout mon pouvoir. Celui qui doute n’est pas un homme de valeur, mais vous n’êtes pas trop effrayé, c’est pour cela que je crois que vous êtes un homme de valeur. Sachez bien que, si je le peux, je vous rendrai service et vous ferai honneur comme vous le fîtes avec moi. En effet, un jour, ma maîtresse m’envoya porter un message à la cour du roi. Peut-être n’étais-je ni si sage, ni si courtoise ni d’une si bonne condition que celle qu’une jeune-fille doit avoir, mais, à part vous seul qui êtes ici, il n’y eut pas un seul chevalier qui daigna m’adresser la parole. Vous, et je vous en remercie, vous m’avez honorée et servie. Je vous rendrai ici l’honneur que vous me fîtes là. Je sais bien quel est votre nom et je vous ai parfaitement reconnu. Vous êtes le fils du roi Urien et vous vous appelez Yvain. Soyez certain que, si vous voulez me croire, vous ne serez ni pris ni blessé. Vous prendrez mon anneau et vous me le rendrez, s’il vous plaît, quand je vous aurai délivré ». Alors elle lui donne l’anneau et lui dit qu’il a le pouvoir de le cacher pour qu’on ne le voit pas comme s’il était sous une écorce.

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Antoine Furetière, Le Roman Bourgeois, 1666 - Manuel p 76 : « Un bourgeois ridicule » CHARROSELLES ne voulait point passer pour auteur, quoique ce fut la seule qualité qui le rendît

recommandable, et qui l’eût fait connaître dans le monde. Je ne sais si quelque remords de conscience des fautes de sa jeunesse lui faisait prendre ce nom à injure1 ; tant y a qu2’il voulait passer seulement pour gentilhomme3, comme si ces deux qualités eussent été incompatibles, encore qu’il n’y eût pas plus de trente ans que son père fût mort procureur4. Il s’était avisé de se piquer de noblesse dès qu’il avait eu le moyen d’atteler deux haridelles5 à une espèce de carrosse toujours poudreux et crotté. Ces deux Pégases6 (tel fut leur nom pendant qu’ils servirent à un nourrisson du Parnasse7) ne s’étaient point enorgueillis, et n’avaient la tête plus haute ni la démarche plus fière que lorsqu’ils labouraient les plaines fertiles d’Aubervilliers. Leur maître les traitait aussi délicatement que des enfants de bonne maison. Jamais il ne leur fit endurer le serein 8 ni ne leur donna trop de charge ; il eût voulu presque en faire des Bucéphales9, pour ne porter ou du moins ne traîner que leur Alexandre. Car il était toujours seul dans son carrosse ; ce n’est pas qu’il n’aimât beaucoup la compagnie, mais son nez demandait à être solitaire, et on le laissait volontiers faire bande à part. Quelque10 hardi que fût un homme à lui dire des injures, il n'osait jamais les lui dire à son nez, tant ce nez était vindicatif et prompt à payer. Cependant il fourrait son nez partout, et il n’y avait guère d’endroits dans Paris où il ne fût connu. Ce nez, qu’on pouvait à bon droit appeler son Éminence, et qui était toujours vêtu de rouge, avait été fait en apparence pour un colosse ; néanmoins il avait été donné à un homme de taille assez courte. Ce n’est pas que la nature eût rien fait perdre à ce petit homme, car ce qu’elle lui avait ôté en hauteur, elle le lui avait rendu en grosseur, de sorte qu’on lui trouvait assez de chair, mais fort mal pétrie. Sa chevelure était la plus désagréable du monde, et c’est sans doute de lui qu’un peintre poétique, pour ébaucher le portrait de sa tête, avait dit :

On y voit de piquants cheveux,Devenus gras, forts et nerveux,

Hérisser sa tête pointue,Qui tous mêlés s’entr'accordants,

Font qu’un peigne en vain s'évertueD’y mordre avec ses grosses dents.

Aussi ne se peignait-il jamais qu’avec ses doigts, et dans toutes les compagnies11 c'était sa contenance ordinaire. Sa peau était grenue comme celle des maroquins13, et sa couleur brune était réchauffée par de rouges bourgeons qui la perçaient en assez bon nombre. En général il avait une vraie mine de satyre. La fente de sa bouche était copieuse14, et ses dents fort aiguës : belles dispositions pour mordre. Il l'accompagnait d’ordinaire d’un ris badin15, dont je ne sais point la cause, si ce n’est qu’il voulait montrer les dents à tout le monde. Ses yeux gros et bouffis avaient quelque chose de plus que d'être à fleur de tête. Il y en a qui ont cru que, comme on se met sur des balcons en saillie hors des fenêtres pour découvrir de plus loin, aussi la nature lui avait mis des yeux en dehors, pour découvrir ce qui se faisait de mal chez ses voisins. Jamais il n’y eut un homme plus médisant ni plus envieux ; il ne trouvait rien de bien fait à sa fantaisie. S’il eût été du conseil de la création16, nous n’aurions rien vu de tout ce que nous voyons à présent. C'était le plus grand réformateur en pis qui ait jamais été, et il corrigeait toutes les choses bonnes pour les mettre mal. Il n’a point vu assemblée de gens illustres qu’il n’ait tâché de la décrier : encore, pour mieux cacher son venin, il faisait semblant d’en faire l'éloge, lorsqu’il en faisait en effet la censure, et il ressemblait à ces bêtes dangereuses qui en pensant flatter égratignent : car il ne pouvait souffrir la gloire des autres, et autant de choses qu’on mettait au jour, c'étaient autant de tourments qu’on lui préparait.

Antoine Furetière, Le Roman Bourgeois, Livre 2, 1666

1 Prendre ce nom à injure : le considérer comme une injure2 Si bien que 3 Gentilhomme : homme de naissance noble 4 Détail réel : le père de Charles Sorel était en effet procureur 5 Haridelles : chevaux maigres, sans valeur6 Pégases : cheval ailé dans la mythologie grecque7 Parnasse : Montagne de Grèce, séjour des Muses et d'Apollon8 Serein : humidité qui tombe au crépuscule9 Bucéphale : cheval d'Alexandre le grand 10 Aussi hardi 11 Compagnies : en société13 Grenue : qui est ou paraît recouverte d'une multitude de petits grains saillants /Maroquins : cuir de bouc ou de

chèvre14 Copieuse : large15 Rire léger16 S'il avait participé à la création du monde

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Le roman réaliste Honoré de Balzac, Les Illusions Perdues, 2ème partie « Un grand homme de Province à Paris », 1839

Lucien de Rubempré a quitté Angoulème pour monter à Paris. Là, il fait la connaissance des artistes du Cénacle, dont le poète d’Arthez est l’un des membres. Celui-ci vit misérablement, s’acharne au travail et se donne entièrement à l’art. Lucien rencontre également Lousteau, un journaliste. Ce dernier l’invite à l’accompagner à une représentation théâtrale qui doit avoir lieu à huit heures, puis à un souper qui comptera aussi le rédacteur en chef et le propriétaire du journal dans lequel il travaille…

La bonhomie de camarade [de Lousteau], qui succédait au cri violent du poète peignant la guerre littéraire, toucha

Lucien tout aussi vivement qu'il l'avait été naguère à la même place par la parole grave et religieuse de d'Arthez. Animé

par la perspective d'une lutte immédiate entre les hommes et lui, l'inexpérimenté jeune homme ne soupçonna point la

réalité des malheurs moraux que lui dénonçait le journaliste. Il ne se savait pas placé entre deux voies distinctes, entre

deux systèmes représentés par le Cénacle et par le Journalisme, dont l'un était long, honorable, sûr ; l'autre semé

d'écueils et périlleux, plein de ruisseaux fangeux où devait se crotter sa conscience. Son caractère le portait à prendre le

chemin le plus court, en apparence le plus agréable, à saisir les moyens décisifs et rapides. Il ne vit en ce moment

aucune différence entre la noble amitié de d'Arthez et la facile camaraderie de Lousteau. Cet esprit mobile aperçut dans

le Journal une arme à sa portée, il se sentait habile à la manier, il la voulut prendre. Ébloui par les offres de son nouvel

ami dont la main frappa la sienne avec un laissez-aller qui lui parut gracieux, pouvait-il savoir que, dans l'armée de la

Presse, chacun a besoin d'amis, comme les généraux ont besoin de soldats ! Lousteau, lui voyant de la résolution, le

racolait en espérant se l'attacher. Le journaliste en était à son premier ami, comme Lucien à son premier protecteur : l'un

voulait passer caporal, l'autre voulait être soldat.

Le néophyte revint joyeusement à son hôtel, où il fit une toilette aussi soignée que le jour néfaste où il avait voulu se

produire dans la loge de la marquise d'Espard à l'Opéra. Mais déjà ses habits lui allaient mieux, il se les était appropriés.

Il mit son beau pantalon collant de couleur claire, de jolies bottes à glands qui lui avaient coûté quarante francs, et son

habit de bal. Ses abondants et fins cheveux blonds, il les fit friser, parfumer, ruisseler en boucles brillantes. Son front se

para d'une audace puisée dans le sentiment de sa valeur et de son avenir. Ses mains de femme furent soignées, leurs

ongles en amande devinrent nets et rosés. Sur son col de satin noir, les blanches rondeurs de son menton étincelèrent.

Jamais un plus joli jeune homme ne descendit la montagne du pays latin.

Gustave Flaubert, Bouvard et Pécuchet, Incipit 1881Lorsqu'il prépare son projet en 1872, Flaubert définit ainsi le roman qu'il imagine déjà : « Je vomirai sur mes contemporains le dégoût qu'ils m'inspirent. Cette chose est Bouvard et Pécuchet, sorte de roman philosophique d'un comique grinçant. » Pour cela, il lui faut des « héros » : ce sont Bouvard et Pécuchet, deux médiocres copistes.

Deux hommes parurent. L'un venait de la Bastille, l'autre du Jardin des Plantes. Le plus grand, vêtu de toile, marchait le chapeau en arrière, le gilet déboutonné et sa cravate à la main. Le plus petit, dont le corps disparaissait dans une redingote marron, baissait la tête sous une casquette à visière pointue. Quand ils furent arrivés au milieu du boulevard, ils s'assirent à la même minute, sur le même banc. Pour s'essuyer le front, ils retirèrent leurs coiffures, que chacun posa près de soi ; et le petit homme aperçut écrit dans le chapeau de son voisin : Bouvard ; pendant que celui-ci distinguait aisément dans la casquette du particulier en redingote le mot : Pécuchet. - Tiens ! Dit-il, nous avons eu la même idée, celle d'inscrire notre nom dans nos couvre-chefs.- Mon Dieu, oui ! on pourrait prendre le mien à mon bureau ! - C'est comme moi, je suis employé. Alors ils se considérèrent. L'aspect aimable de Bouvard charma de suite Pécuchet. Ses yeux bleuâtres, toujours entreclos, souriaient dans son visage coloré. Un pantalon à grand-pont, qui godait par le bas sur des souliers de castor, moulait son ventre, faisait bouffer sa chemise à la ceinture ; - et ses cheveux blonds, frisés d'eux-mêmes en boucles légères, lui donnaient quelque chose d'enfantin. Il poussait du bout des lèvres une espèce de sifflement continu. L'air sérieux de Pécuchet frappa Bouvard. On aurait dit qu'il portait une perruque, tant les mèches garnissant son crâne élevé étaient plates et noires. Sa figure semblait tout en profil, à cause du nez qui descendait très bas. Ses jambes prises dans des tuyaux de lasting manquaient de proportion avec la longueur du buste ; et il avait une voix forte, caverneuse. Cette exclamation lui échappa : - « Comme on serait bien à la campagne ! »Mais la banlieue, selon Bouvard, était assommante par le tapage des guinguettes. Pécuchet pensait de même. Il commençait néanmoins à se sentir fatigué de la capitale, Bouvard aussi. Et leurs yeux erraient sur des tas de pierres à bâtir, sur l'eau hideuse où une botte de paille flottait, sur la cheminée d'une usine se dressant à l'horizon ; des miasmes d'égout s'exhalaient. Ils se tournèrent de l'autre côté. Alors, ils eurent devant eux les murs du Grenier d'abondance.

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Décidément (et Pécuchet en était surpris) on avait encore plus chaud dans les rues que chez soi ! Bouvard l'engagea à mettre bas sa redingote. Lui, il se moquait du qu'en dira-t-on ! Tout à coup un ivrogne traversa en zigzag le trottoir ; - et à propos des ouvriers, ils entamèrent une conversation politique. Leurs opinions étaient les mêmes, bien que Bouvard fût peut-être plus libéral. Un bruit de ferrailles sonna sur le pavé, dans un tourbillon de poussière. C'étaient trois calèches de remise qui s'en allaient vers Bercy, promenant une mariée avec son bouquet, des bourgeois en cravate blanche, des dames enfouies jusqu'aux aisselles dans leur jupon, deux ou trois petites filles, un collégien. La vue de cette noce amena Bouvard et Pécuchet à parler des femmes, - qu'ils déclarèrent frivoles, acariâtres, têtues. Malgré cela, elles étaient souvent meilleures que les hommes ; d'autres fois elles étaient pires. Bref, il valait mieux vivre sans elles ; aussi Pécuchet était resté célibataire. - Moi je suis veuf, dit Bouvard, et sans enfants !- C'est peut-être un bonheur pour vous ? Mais la solitude à la longue était bien triste.

Honoré de Balzac, Avant-propos de La Comédie HumaineLe hasard est le plus grand romancier du monde : pour être fécond, il n’y a qu’à l’étudier. La Société française allait être l’historien, je ne devais être que le secrétaire. En dressant l’inventaire des vices et des vertus, en rassemblant les principaux faits des passions, en peignant les caractères, en choisissant les événements principaux de la Société, en composant des types par la réunion des traits de plusieurs caractères homogènes, peut-être pouvais-je arriver à écrire l’histoire oubliée par tant d’historiens, celle des mœurs. Avec beaucoup de patience et de courage, je réaliserais, sur la France au dix-neuvième siècle, ce livre que nous regrettons tous, que Rome, Athènes, Tyr, Memphis, la Perse, l’Inde ne nous ont malheureusement pas laissé sur leurs civilisations, et qu’à l’instar de l’abbé Barthélemy, le courageux et patient Monteil avait essayé pour le Moyen-Age, mais sous une forme peu attrayante.

Ce travail n’était rien encore. S’en tenant à cette reproduction rigoureuse, un écrivain pouvait devenir un peintre plus ou moins fidèle, plus ou moins heureux, patient ou courageux des types humains, le conteur des drames de la vie intime, l’archéologue du mobilier social, le nomenclateur des professions, l’enregistreur du bien et du mal ; mais, pour mériter les éloges que doit ambitionner tout artiste, ne devais-je pas étudier les raisons ou la raison de ces effets sociaux, surprendre le sens caché dans cet immense assemblage de figures, de passions et d’événements. Enfin, après avoir cherché, je ne dis pas trouvé, cette raison, ce moteur social, ne fallait-il pas méditer sur les principes naturels et voir en quoi les Sociétés s’écartent ou se rapprochent de la règle éternelle, du vrai, du beau ? Malgré l’étendue des prémisses, qui pouvaient être à elles seules un ouvrage, l’œuvre, pour être entière, voulait une conclusion. Ainsi dépeinte, la Société devait porter avec elle la raison de son mouvement.

Stendhal, Le Rouge et le Noir , Deuxième partie, Chapitre II (1830)Julien Sorel, fils d'un charpentier de Franche-Comté, rêve de quitter son milieu familial. Passionné par les livres, dont les mémoires de Napoléon, son idole, il met tout en œuvre pour satisfaire son ambition. D'abord précepteur de la famille de Rênal, il délaisse cet univers bourgeois pour faire son entrée dans une école religieuse, un séminaire, qui le place sous la protection de l'abbé Pirard. Ce dernier le fait engager comme secrétaire par le marquis de la Mole : il allait enfin paraître sur le théâtre des grandes choses.

Julien s’arrêtait ébahi au milieu de la cour.

— Ayez donc l’air raisonnable, dit l’abbé Pirard ; il vous vient des idées horribles, et puis vous n’êtes qu’un enfant ! où est le nil mirari d’Horace ? (Jamais d’enthousiasme.) Songez que ce peuple de laquais, vous voyant établi ici, va chercher à se moquer de vous ; ils verront en vous un égal, mis injustement au-dessus d’eux. Sous les dehors de la bonhomie, des bons conseils, du désir de vous guider, ils vont essayer de vous faire tomber dans quelque grosse balourdise.

— Je les en défie, dit Julien en se mordant la lèvre, et il reprit toute sa méfiance.

Les salons que ces messieurs traversèrent au premier étage, avant d’arriver au cabinet du marquis, vous eussent semblé, ô mon lecteur, aussi tristes que magnifiques. On vous les donnerait tels qu’ils sont, que vous refuseriez de les habiter ; c’est la patrie du bâillement et du raisonnement triste. Ils redoublèrent l’enchantement de Julien. Comment peut-on être malheureux, pensait-il, quand on habite un séjour aussi splendide !

Enfin ces messieurs arrivèrent à la plus laide des pièces de ce superbe appartement, à peine s’il y faisait jour ; là se trouva un petit homme maigre, à l’œil vif et en perruque blonde. L’abbé se retourna vers Julien, et le présenta. C’était le marquis.

Julien eut beaucoup de peine à le reconnaître, tant il lui trouva l’air poli. Ce n’était plus le grand seigneur, à mine si altière, de l’abbaye de Bray-le-Haut. Il sembla à Julien que sa perruque avait beaucoup trop de cheveux. À l’aide de cette sensation, il ne fut point du tout intimidé. Le descendant de l’ami de Henri III lui parut d’abord avoir une tournure assez mesquine. Il était fort maigre et s’agitait beaucoup. Mais il remarqua bientôt que le marquis avait une politesse encore plus agréable à l’interlocuteur, que celle de l’évêque de Besançon lui-même. L’audience ne dura pas trois minutes. En sortant, l’abbé dit à Julien :

— Vous avez regardé le marquis, comme vous eussiez fait un tableau. Je ne suis pas un grand grec dans ce que ces gens-ci appellent la politesse, bientôt vous en saurez plus que moi ; mais enfin la hardiesse de votre regard m’a semblé peu polie.

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On était remonté en fiacre ; le cocher arrêta près du boulevard : l’abbé introduisit Julien dans une suite de grands salons. Julien remarqua qu’il n’y avait pas de meubles. Il regardait une magnifique pendule dorée, représentant un sujet très indécent selon lui, lorsqu’un monsieur fort élégant s’approcha d’un air riant. Julien fit un demi-salut.

Le monsieur sourit et lui mit la main sur l’épaule. Julien tressaillit et fit un saut en arrière. Il rougit de colère. L’abbé Pirard, malgré sa gravité, rit aux larmes. Le monsieur était un tailleur.

— Je vous rends votre liberté pour deux jours, lui dit l’abbé en sortant ; c’est alors seulement que vous pourrez être présenté à Mme de la Mole. Un autre vous garderait comme une jeune fille, en ces premiers moments de votre séjour dans cette nouvelle Babylone.

Honoré de Balzac, Le Père Goriot, 1835

Dans Le Père Goriot, le lecteur suit en parallèle la lente déchéance du héros éponyme, ruiné par ses deux filles Anastasie de Restaud et Delphine de Nucingen, et l'ascension sociale d'Eugène de Rastignac, jeune provincial venu à Paris pour suivre des études de droit. Eugène, découvrant les différents moyens de réussir dans la société, se sent partagé entre son ambition démesurée et sa conscience morale. Le roman s'achève par les obsèques du père Goriot, avec qui Eugène s'était lié d'amitié à la pension où ils logeaient tous les deux.

Quand le corbillard vint, Eugène fit remonter la bière, la décloua, et plaça religieusement sur la poitrine du bonhomme une image qui se rapportait à un temps où Delphine et Anastasie étaient jeunes, vierges et pures, et ne raisonnaient pas, comme il l'avait dit dans ses cris d'agonisant. Rastignac et Christophe accompagnèrent seuls, avec deux croque-morts, le char qui menait le pauvre homme à Saint-Etienne-du-Mont, église peu distante de la rue Neuve-Sainte-Geneviève. Arrivé là, le corps fut présenté à une petite chapelle basse et sombre, autour de laquelle l'étudiant chercha vainement les deux filles du père Goriot ou leurs maris. Il fut seul avec Christophe, qui se croyait obligé de rendre les derniers devoirs à un homme qui lui avait fait gagner quelques bons pourboires. En attendant les deux prêtres, l'enfant de chœur et le bedeau, Rastignac serra la main de Christophe, sans pouvoir prononcer une parole.- Oui, monsieur Eugène, dit Christophe, c'était un brave et honnête homme, qui n'a jamais dit une parole plus haut que l'autre, qui ne nuisait à personne et n'a jamais fait de mal. Les deux prêtres, l'enfant de chœur et le bedeau vinrent et donnèrent tout ce qu'on peut avoir pour soixante-dix francs dans une époque où la religion n'est pas assez riche pour prier gratis. Les gens du clergé chantèrent un psaume, le Libera, le De profundis. Le service dura vingt minutes. Il n'y avait qu'une seule voiture de deuil pour un prêtre et un enfant de choeur, qui consentirent à recevoir avec eux Eugène et Christophe.- Il n'y a point de suite, dit le prêtre, nous pourrons aller vite, afin de ne pas nous attarder, il est cinq heures et demie.

Cependant au moment où le corps fut placé dans le corbillard, deux voitures armoriées, mais vides, celle du comte de Restaud et celle du baron de Nucingen, se présentèrent et suivirent le convoi jusqu'au Père-Lachaise. A six heures, le corps du père Goriot fut descendu dans sa fosse, autour de laquelle étaient les gens de ses filles, qui disparurent avec le clergé aussitôt que fut dite la courte prière due au bonhomme pour l'argent de l'étudiant. Quand les deux fossoyeurs eurent jeté quelques pelletées de terre sur la bière pour la cacher, ils se relevèrent et l'un d'eux, s'adressant à Rastignac, lui demanda leur pourboire. Eugène fouilla dans sa poche et n'y trouva rien ; il fut forcé d'emprunter vingt sous à Christophe. Ce fait, si léger en lui-même, détermina chez Rastignac un accès d'horrible tristesse. Le jour tombait, un humide crépuscule agaçait les nerfs, il regarda la tombe et y ensevelit sa dernière larme de jeune homme, cette larme arrachée par les saintes émotions d'un cœur pur, une de ces larmes qui, de la terre où elles tombent, rejaillissent jusque dans les cieux. Il se croisa les bras, contempla les nuages, et le voyant ainsi, Christophe le quitta. Rastignac, resté seul, fit quelques pas vers le haut du cimetière et vit Paris tortueusement couché le long des deux rives de la Seine, où commençaient à briller les lumières. Ses yeux s'attachèrent presque avidement entre la colonne de la place Vendôme et le dôme des Invalides, là où vivait ce beau monde dans lequel il avait voulu pénétrer. Il lança sur cette ruche bourdonnant un regard qui semblait par avance en pomper le miel, et dit ces mots grandioses : - A nous deux maintenant ! Et pour premier acte du défi qu'il portait à la Société, Rastignac alla dîner chez Mme de Nucingen.

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Le monologue intérieur James Joyce – Ulysse, 1922 ( trad. A. Morel, V. Larbaud, S. Gilbert et J. Joyce)

Ecrit entre 1914 et 1921, cet immense roman se déroule sur une seule journée à Dublin. Il s'agit d'une parodie de L'Odyssée d'Homère : le voyage de retour du héros d'Homère est remplacé par l'errance de Léopold Bloom, mari trompé qui décide de laisser sa femme Molly avec son amant. Ulysse est avant tout le roman fondateur du monologue intérieur, technique narrative qui permet l'expression ininterrompue de la pensée du personnage. 1) Dans Weastland Row il s'arrêta devant la vitrine de la Belfas and Oriental Tea Company et se met à lire les étiquettes des paquetes au papiers de plomb : Mélange premier choix, Qualité supérieure, Thé des Familles. Quelle chaleur ! Du thé. Je pourrai en avoir par Tom Kernan. Mais impossible de lui demander ça à un enterrement. Tout en continuant sa lecture machinale il ôta son chapeau dont il flaira l'odeur de brillantine, et avec une lenteur pleine d'aisance se passa la main droite sur le front et sur les cheveux. Vraiment chaud ce matin. Son regard sous ses paupières abaissées alla au nœud minuscule de la bande de cuir à l'intérieur de son chap de luxe. Elle y est bien. Sa main droite plongeai comme dans une vasque. Il trouva tout de suite derrière la bande de cuir une carte qu'il fit passer dans la poche de son gilet. Comme il fait chaud. Sa main droite refit plus lentement dans ses cheveux et sur son front le même geste : Mélange premier choix, composé des meilleurs Ceylans, L'Extrême-Orient. Quel beau pays ça doit être : le jardin de la terre, grandes feuilles paresseuses pour se laisser aller dessus à la dérive, cactus, prairies tout en fleurs, lianes-serpents comme ils les appellent. Est-ce vraiment comme ça ? Et ces Cinghalais qui tirent leur flemme au soleil en dolce farniente. N'en fichent pas un coup de la journée. Dorment six mois sur douze. Trop chaud pour se disputer. Influence du climat. Torpeur. Fleurs d'oisiveté. Surtout l'air qui les nourrit. Azotes. La serre chaude du Jardin Botanique. Sensitives. Nénuphars. Pétales qui n'ont pas la force de. Maladie du sommeil de l'air.

2) Dans la dernière partie du roman, le monologue intérieur de Molly efface complètement le récit. J'aurais voulu pouvoir sucer mes os de poulet avec mes doigts il était tellement juteux et doré et tendre comme tout seulement je ne voulais pas manger tout ce qu'il y avait sur mon assiette ces fourchettes et couteaux à poisson étaient en argent massif j'aimerais en avoir quelques-uns j'aurais facilement pu en faire glisser une paire dans mon manchon tout en jouant avec toujours dépendre d'eux pour l'argent au restaurant pour la bouchée qu'on se met dans le bec il faut encore dire merci même pour une misérable tasse de thé comme si c'était une grande faveur à reconnaître tout de même la manière dont le monde est partagé en tout cas si ça doit continuer je veux au moins deux autres jolies chemises pour commencer et puis mais je ne sais pas quelle sorte de pantalons il aime pas de pantalons du tout je crois à ce qu'il a dit oui et la moitié des jeunes filles à Gibraltar n'en mettaient jamais non plus des dessous nature cette Andalouse qui chantait sa Manola elle ne cachait rien de ce qu'elle n'avait pas oui et ma seconde paire de bas en simili-soie les mailles ont filé le premier jour j'aurais pu les rapporter ce matin chez Lewers et faire de la musique et me les faire changer par celui-là si ce n'avait pas été par peur de m'énerver et courir le risque de le rencontrer et de tout gâter et il me faudrait un de ces corsets qui gantent comme de la peau annoncés bon marché dans La Femme chic avec des soufflets élastiques sur les hanches c'est lui qui a retapé celui qui me reste il ne vaut rien ils disent que ça donne une ligne ravissante 11 shillings 6 remédiant à la trop grande largeur si déplaisante au bas des reins et diminuant l'embonpoint mon ventre est un peu trop gros je serai forcée de supprimer le stout après dîner.

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Louis-Ferdinand Céline, Voyage au bout de la nuit ,1932Extrait 2 :Bardamu a été blessé puis réformé. Il a rencontré Lola, une infirmière, qui sera sa première petite amie.Mais c’est impossible de refuser la guerre, Ferdinand ! Il n’y a que les fous et les lâches qui refusent la guerre quand leur Patrie est en danger…Alors vivent les fous et les lâches ! Ou plutôt survivent les fous et les lâches ! Vous vous souvenez d’un seul nom par exemple, Lola, d’un de ces soldats tués pendant la guerre de Cent Ans ?… Avez-vous jamais cherché à en connaître un seul de ces noms ?... Non, n’est-ce pas ?... Vous n’avez jamais cherché ? Ils vous sont aussi anonymes, indifférents et plus inconnus que le dernier atome de ce presse-papier devant nous, que votre crotte du matin… Voyez donc qu’ils sont morts pour rien, Lola ! pour absolument rien du tout, ces crétins ! Je vous l’affirme ! La preuve est faite ! Il n’y a que la vie qui compte. (…) Lorsqu’elle découvrit à quel point j’étais devenu fanfaron de mon honteux état, elle cessa de me trouver pitoyable le moins du monde… Méprisable elle me jugea, définitivement.

Extrait 3 :L’extrait suivant se situe peu avant la fin du roman. Celui-ci a relaté les années d’errance de Bardamu, en Afrique puis aux Etats-Unis, puis en tant que médecin dans la banlieue parisienne.J'avais beau essayer de me perdre pour ne plus me retrouver devant ma vie, je la retrouvais partout simplement. Je revenais sur moi-même. Mon trimbalage à moi, il était fini. (…) Pour endurer davantage j'étais plus prêt non plus !... et cependant j’avais même pas été aussi loin que Robinson moi dans la vie !... J'avais pas réussi en définitive. J'en avais pas acquis moi une seule idée bien solide comme celle qu'il avait eue pour se faire dérouiller. Plus grosse encore une idée que celle de ma tête, plus grosse que toute la peur qui était dedans, une belle idée, magnifique et bien commode pour mourir... Combien il m'en faudrait à moi pour que je m'en fasse ainsi une idée plus forte que tout le monde ? C'était impossible à dire ! C'était raté ! Les miennes d'idées elles vadrouillaient plutôt dans ma tête avec plein d'espace entre. C'étaient comme des petites bougies pas fières et clignoteuses à trembler toute la vie au milieu d'un abominable univers bien horrible.Ça allait peut-être un peu mieux qu'il y a vingt ans, on pouvait pas dire que j'avais pas fait des début de progrès mais enfin c'était pas à envisager que je parvienne jamais moi, comme Robinson, à me remplir la tête avec une seule idée, mais alors une superbe pensée tout à fait plus forte que la mort et que j'en arrive rien qu'avec mon idée à en juter partout de plaisir, d'insouciance et de courage. Un héros juteux.

L'existentialisme

Jean-Paul Sartre, La Nausée, 1938J'existe. C'est doux, si doux, si lent. Et léger: on dirait que ça tient en l'air tout seul. Ça remue. Ce sont des effleurements partout qui fondent et s'évanouissent. Tout doux, tout doux. Il y a de l'eau mousseuse dans ma bouche. Je l'avale, elle glisse dans ma gorge, elle me caresse - et la voila qui renaît dans ma bouche, j'ai dans la bouche à perpétuité une petite mare d'eau blanchâtre - discrète - qui frôle ma langue. Et cette mare, c'est encore moi. Et la langue. Et la gorge, c'est moi.

Je vois ma main, qui s'épanouit sur la table. Elle vit - c'est moi. Elle s'ouvre, les doigts se déploient et pointent. Elle est sur le dos. Elle me montre son ventre gras. Elle a l'air d'une bête à la renverse. Les doigts, ce sont les pattes. Je m'amuse à les faire remuer, très vite, comme les pattes d'un crabe qui est tombé sur le dos. Le crabe est mort: les pattes se recroquevillent, se ramènent sur le ventre de ma main. Je vois les ongles - la seule chose de moi qui ne vit pas. Et encore. Ma main se retourne, s'étale à plat ventre, elle m'offre à présent son dos. Un dos argenté, un peu brillant - on dirait un poisson, s'il n'y avait pas les poils roux à la naissance des phalanges. Je sens ma main. C'est moi, ces deux bêtes qui s'agitent au bout de mes bras. Ma main gratte une de ses pattes, avec l'ongle d'une autre patte; je sens son poids sur la table qui n'est pas moi. C'est long, long, cette impression de poids, ça ne passe pas. Il n'y a pas de raison pour que ça passe. A la longue, c'est intolérable... Je retire ma main, je la mets dans ma poche. Mais je sens tout de suite, à travers l'étoffe, la chaleur de ma cuisse. Aussitôt, je fais sauter ma main de ma poche; je la laisse pendre contre le dossier de la chaise. Maintenant, je sens son poids au bout de mon bras. Elle tire un peu, à peine, mollement, moelleusement, elle existe. Je n'insiste pas: ou que je la mette, elle continuera d'exister et je continuerai de sentir qu'elle existe; je ne peux pas la supprimer, ni supprimer le reste de mon corps, la chaleur humide qui salit ma chemise, ni toute cette graisse chaude qui tourne paresseusement comme si on la remuait à la cuiller, ni toutes les sensations qui se promènent là-dedans, qui vont et viennent, remontent de mon flanc à mon aisselle ou bien qui végètent doucement, du matin jusqu'au soir, dans leur coin habituel.

Je me lève en sursaut: si seulement je pouvais m'arrêter de penser, ça irait déjà mieux. Les pensées, c'est ce qu'il y a de plus fade. Plus fade encore que de la chair. Ça s'étire à n'en plus finir et ça laisse un drôle de goût. Et puis il y a les mots, au-dedans des pensées, les mots inachevés, les ébauches de phrases qui reviennent tout le temps: "Il faut que je fini... J'ex... Mort... M. de Roll est mort... Je ne suis pas... J'ex..." Ça va, ça va... et ça ne finit jamais. C'est pis que le reste parce que je me sens responsable et complice. Par exemple, cette espèce de rumination douloureuse :j'existe, c'est moi qui l'entretiens. Moi. Le corps, ça vit tout seul, une fois que ça a commencé. Mais la pensée, c'est moi qui la continue, qui la déroule. J'existe. Je pense que j'existe.

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Nouveau Roman Alain Robbe-Grillet, La Jalousie, 1957Partant du principe que le réel est insaisissable et que chacun n'en a qu'une vision parcellaire qui passe par le prisme de la subjectivité, Alain Robbe-Grillet illustre par son œuvre l'idée que le monde n'est « ni signifiant ni absurde », il « est », tout simplement. Dans la Jalousie, il trompe le lecteur sur le véritable énonciateur du roman et l'enferme dans la répétition de séquences sérielles – les gestes sans cesse repris de A. et de Franck- qui empêchent toute construction narrative et font émerger l'impuissance de l'écriture confrontée à la reproduction du réel.

Maintenant la maison est vide. A... est descendue en ville avec Franck, pour faire quelques achats urgents. Elle n'a pas précisé lesquels. Ils sont partis de très bonne heure, afin de disposer du temps nécessaire pour leurs courses et pouvoir

cependant revenir le soir même à la plantation. Ayant quitté la maison à six heures et demie du matin, ils comptent être de retour peu après minuit, ce qui

représente dix-huit heures d'absence, dont huit heures de route au minimum, si tout marche bien. Mais des retards sont toujours à redouter avec ces mauvaises pistes. Même s'ils se mettent en route à l'heure

prévue, aussitôt après un dîner rapide, les voyageurs peuvent très bien n'être rentrés que vers une heure du matin, ou même sensiblement plus tard.

En attendant la maison est vide. Toutes les fenêtres de la chambre sont ouvertes, ainsi que ses deux portes, sur le couloir et la salle de bains. Entre la salle de bain et le couloir la porte est aussi ouverte en grand, comme celle donnant accès depuis le couloir sur la partie centrale de la terrasse.

La terrasse est vide également ; aucun des fauteuils de repos n'a été porté dehors ce matin, non plus que la table basse qui sert pour l'apéritif et le café.

J. Alain Robbe-Grillet, Pour un nouveau roman, 1963Dans son essai Pour un nouveau roman, Alain Robbe-Grillet réfléchit à une nouvelle conception du roman et du personnage. Son texte devient le manifeste d'une esthétique et d'une école littéraire nouvelles.

Nous en a-t-on assez parlé du « personnage » ! Et ça ne semble, hélas, pas près de finir. Cinquante années de maladie, le constat de son décès enregistré à maintes reprises par les plus sérieux essayistes, rien n'a encore réussi à le faire tomber du piédestal où l'avait placé le XIXe siècle. C'est une momie à présent, mais qui trône toujours avec la même majesté quoique postiche au milieu des valeurs que révère la critique traditionnelle. C'est même là qu'elle reconnaît le « vrai » romancier : « il crée des personnages »...Pour justifier le bien-fondé de ce point de vue, on utilise le raisonnement habituel : Balzac nous a laissé Le Père Goriot, Dostoïesvski a donné le jour aux Karamazov, écrire des romans ne peut plus donc être que cela : ajouter quelques figures modernes à la galerie de portraits que constitue notre histoire littéraire.Un personnage, tout le monde sait ce que le mot signifie. Ce n'est pas un il quelconque, anonyme et translucide, simple sujet de l'action exprimée par le verbe. Un personnage doit avoir un nom propre, double si possible : nom de famille et prénom. Il doit avoir des parents, une hérédité. Il doit avoir une profession. S'il a des biens, cela n'en vaudra que mieux. Enfin il doit posséder un « caractère », un visage qui le reflète, un passé qui a modelé celui-ci et celui-là. Son caractère dicte ses actions, le fait réagir de façon déterminée à chaque événement. Son caractère permet au lecteur de le juger, de l'aimer, de le haïr. C'est grâce à ce caractère qu'il léguera un jour son nom à un type humain, qui attendait, dirait-on, la consécration de ce baptême.Car il faut à la fois que le personnage soit unique et qu'il se hausse à la hauteur d'une catégorie. Il lui faut assez de particularité pour demeurer irremplaçable, et assez de généralité pour devenir universel. On pourra, pour varier un peu, se donner quelque impression de liberté, choisir un héros qui paraisse transgresser l'une de ces règles : un enfant trouvé, un oisif, un fou, un homme dont le caractère incertain ménage çà et là une petite surprise... On n'exagérera pas, cependant, dans cette voie : c'est celle de la perdition, celle qui conduit tout droit au roman moderne. Aucune des grandes œuvres contemporaines ne correspond en effet sur ce point aux normes de la critique. Combien de lecteurs se rappellent le nom du narrateur dans La Nausée ou dans L'Étranger ? Y a-t-il là des types humains ? Ne serait-ce pas au contraire la pire absurdité que de considérer ces livres comme des études de caractère ? Et Le Voyage au bout de la nuit, décrit-il un personnage ? Croit-on d'ailleurs que c'est par hasard que ces trois romans sont écrits à la première personne ? Beckett change le nom et la forme de son héros dans le cours d'un même récit. Faulkner donne exprès le même nom à deux personnes différentes. Quant au K. du Château, il se contente d'une initiale, il ne possède rien, il n'a pas de famille, pas de visage ; probablement même n'est-il pas du tout arpenteur.On pourrait multiplier les exemples. En fait, les créateurs de personnages, au sens traditionnel, ne réussissent plus à nous proposer que des fantoches auxquels eux-mêmes ont cessé de croire. Le roman de personnages appartient bel et bien au passé, il caractérise une époque : celle qui marqua l'apogée de l'individu.Peut-être n'est-ce pas un progrès, mais il est certain que l'époque actuelle est plutôt celle du numéro matricule. Le destin du monde a cessé, pour nous, de s'identifier à l'ascension ou à la chute de quelques hommes, de quelques familles. Le monde lui-même n'est plus cette propriété privée, héréditaire et monnayable, cette sorte de proie, qu'il s'agissait moins de connaître que de conquérir. Avoir un nom, c'était très important sans doute au temps de la bourgeoisie balzacienne. C'était important, un caractère, d'autant plus important qu'il était davantage l'arme d'un corps-à-corps, l'espoir d'une réussite, l'exercice d'une domination. C'était quelque chose d'avoir un visage dans un univers où la personnalité représentait à la fois le moyen et la fin de toute recherche.Notre monde, aujourd'hui, est moins sûr de lui-même, plus modeste peut-être puisqu'il a renoncé à la toute-puissance de la personne, mais plus ambitieux aussi puisqu'il regarde au-delà. Le culte exclusif de « l'humain » a fait place à une prise de conscience plus vaste, moins anthropocentriste. Le roman paraît chanceler, ayant perdu son meilleur soutien

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d'autrefois, le héros. S'il ne parvient pas à s'en remettre, c'est que sa vie était liée à celle d'une société maintenant révolue. S'il y parvient, au contraire, une nouvelle voie s'ouvre pour lui, avec la promesse de nouvelles découvertes.

K- Nathalie Sarraute, L'ère du soupçon, 1956L'Ère du soupçon peut passer pour le premier manifeste avant la lettre du Nouveau Roman. Nathalie Sarraute y explique les raisons pour lesquelles l'auteur et le lecteur ont rompu les relations qui les unissaient naguère : « Non seulement ils se méfient du personnage de roman, mais, à travers lui, ils se méfient l'un de l'autre. Il était le terrain d'entente, [...] il est devenu le lieu de leur méfiance réciproque.» Ce que [le lecteur] a appris, chacun le sait trop bien, pour qu'il soit utile d'insister. II a connu Joyce, Proust et Freud; le ruissellement, que rien au-dehors ne permet de déceler, du monologue intérieur, le foisonnement infini de la vie psychologique et les vastes régions encore à peine défrichées de l'inconscient. II a vu tomber les cloisons étanches qui séparaient les personnages les uns des autres, et le héros de roman devenir une limitation arbitraire, un découpage conventionnel pratiqué sur la trame commune que chacun contient tout entière et qui capte et retient dans ses mailles innombrables tout l'univers. Comme le chirurgien qui fixe son regard sur l'endroit précis où doit porter son effort, l'isolant du corps endormi, il a été amené à concentrer toute son attention et sa curiosité sur quelque état psychologique nouveau, oubliant le personnage immobile qui lui sert de support de hasard. II a vu le temps cesser d'être ce courant rapide qui poussait en avant l'intrigue pour devenir une eau dormante au fond de laquelle s'élaborent de lentes et subtiles décompositions; il a vu nos actes perdre leurs mobiles courants et leurs significations admises, des sentiments inconnus apparaître et les mieux connus changer d'aspect et de nom.

II a si bien et tant appris qu'il s'est mis à douter que l'objet fabriqué que les romanciers lui proposent puisse receler les richesses de l'objet réel. Et puisque les auteurs qui pratiquent la méthode objective prétendent qu'il est vain de s'efforcer de reproduire l'infinie complexité de la vie, et que c'est au lecteur de se servir de ses propres richesses et des instruments d'investigation qu'il possède pour arracher son mystère à l'objet fermé qu'ils lui montrent, il préfère ne s'efforcer qu'à bon escient et s'attaquer aux faits réels.