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Revue tRimestRielle d’infoRmation de la mtRl – n° 100 – décembRe 2018 – 1 ¤ LA REVUE DE LA MTRL Notre revue fête aujourd’hui ses 25 ans d’existence. Prochain rendez-vous festif pour son cinquantenaire… Hippocrate refusant les présents d’Artaxerxès

ses 25 ans d’existence. Prochain rendez-vous festif · Sel, sucre et graisses Le lien entre alimentation et santé est documenté depuis l’Antiquité. Hippocrate (vers - 460/vers

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Notre revue fête aujourd’huises 25 ans d’existence.Prochain rendez-vous festifpour son cinquantenaire…

Hippocrate refusant les présents d’Artaxerxès

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La Revue de la MTRLMutuelle et Santé

n° 100

La Revue de la MTRL -Mutuelle et Santé

est la publication officielle de la MTRL, une Mutuelle pour tous,37, avenue Jean-Jaurès 69007 LyonTél. : 04 72 60 13 02. Fax : 04 78 60 87 25Internet : mtrl.fr et mtrl-id.com

e-mail : [email protected]° de CPPAP : 0422 M 05960.25e année – trimestriel – décembre 2018 – n° 100Le numéro : 1¤, dans tous les bureaux et agences de la MTRL. Abonnement annuel : 4 ¤.Directeur de la publication : Romain Migliorini.Administrateur : Thierry Thévenet.Éditeur délégué : Les Éditions du Chaland.ISSN : 1253-921XImpression : Roto France, 77185 Lognes.

En couverture : Anne-Louis Girodet. Hippocrate refusant les présents d’Artaxerxès (1792).Musée d’histoire de la médecine, Paris. (Wikipédia).

a crise économique que nous traversons et qui affecte toutel’Europe provoque l’accroissement du chômage, accentue la baissedu pouvoir d’achat et multiplie dangereusement les cas de

pauvreté, voire de misère, tous phénomènes qui fragilisent le tissu social enrenforçant les attitudes égoïstes de repli sur soi. C’est contre cela que nousdevons lutter et prouver par notre cohésion que la solidarité n’est pas unevaleur abstraite. »

Ces lignes ont été écrites au début de l’année 1994, dans l’éditorial dupremier numéro de cette revue, et elles peuvent être reprises telles quelles dansla situation où se trouve notre pays en ce mois de décembre, à la seule diffé-rence qu’à cette heure nul ne sait comment s’achèvera le mouvement actueldes Gilets jaunes qui secoue le pays.

Autre concordance des temps : l’article de fond de ce premier numéro, sousle surtitre “Un plan de redressement… plutôt tordu”, analysait celui proposépar Simone Veil, redevenue ministre de la Santé dans le gouvernementBalladur, après avoir occupé ce poste en 1975 sous la présidence Giscardd’Estaing. Ce n’était que le dix-septième plan de redressement en quelquevingt ans, comme l’écrivait alors, dans le numéro suivant de la revue, Jean-Marie Clément, inspecteur général des affaires sociales. Et, si le débit s’en estun peu ralenti depuis, on redresse toujours avec ardeur puisque le derniervient juste d’éclore il y a deux mois. Hélas, si notre colloque récent, finseptembre, a pu donner le sentiment que de bonnes choses pourraient enadvenir, les événements sociaux aujourd’hui pourraient peser très lourdementsur les finances du pays et modifier, voire annuler, certaines mesures intéres-santes dont le coût ne pourrait plus être assuré.

Toujours est-il que l’on en revient systématiquement, dans ce pays, àl’accroissement continu des taxes et impôts divers qui génère cette humeurexécrable régnant dans de très larges couches de la population. Nous n’enferons pas le détail ici : chacun sait, car les médias le répètent à satiété, quenotre pays est champion d’Europe, voire du monde, de la pression fiscale, etce qui paraît relever presque de la fatalité dont on s’accommode avec dépitsuscite tout à coup une forme de rage pouvant devenir incontrôlable.

Prenons un seul exemple, mais une perle : la CSG, ce coup de maître dugouvernement Rocard, un véritable couteau suisse fiscal, venu renforcerpuissamment la TVA en termes de recettes. De 1,1 % à sa création en 1991,elle avait plus que doublé deux ans plus tard, passant à 7,5 % en 1998 pouravoisiner les 10 % aujourd’hui.

“En même temps”, la dette publique du pays approche les 100 % du PIB.Un particulier dans ces conditions d’endettement aurait été privé de chéquierdepuis longtemps par la Banque de France ! Il n’empêche, objectivement,nous sommes bien en état d’insolvabilité.

«L

Le président, Romain Migliorini

Vie de la MTRL• Brèves

3

Économie de la santéLa grande (mal)bouffe

6

Nouvelle approche médicaleL’EMDR pour reprogrammer

le mental10

Simple comme bonsoir !Vaincre l’insomniesans médicaments

14

Optimisation médicaleLe Dr Knock après neuf décennies

Le prophétisme de Jules Romains

16

Médecine de pointeChirurgie vasculaire :un saut technologiqueau bénéfice des malades

20

Au fil du tempsLa recherche

au Centre Léon-Bérard : une histoire assez récente

22

Dans ce numéro, un cahier centralde 16 pages, numérotées de I à XVIColloque d’économie de la santé

Temps couvert,humeur maussade

Le conseil d’administration et toute l’équipe de la MTRLvous présentent leurs meilleurs vœux

de bonne et heureuse année et d’excellente santé pour 20196 6

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3La Revue de la MTRL � décembre 2018 � numéro 100

Vie de la MTRL

Village Santé Prévention à Mornant (69) : une belle initiative !

La MTRL est partenaire de la ville de Mornant dans le cadre dynamique de la Mutuelle desMornantais. Cette commune est particulièrement engagée dans la prévention et la promotion dubien-être et de la qualité de santé. Mornant porte notamment chaque année une forte démarcheen faveur de la prévention du cancer dans le cadre d’Octobre rose.

La municipalité organise notamment un Village Prévention qui réunit de nombreuses associationsengagées dans la solidarité, la santé et l’action locale, et notamment la Ligue contre le cancer. Le 21 octobre dernier, le VillagePrévention, ses animations pourpetits et grands, ses espaces d’infor-mations santé, ses stands de décou-verte ont attiré un large public.

La MTRL avait répondu présent etanimait un stand. La Mutuelle aégalement offert l’apéritif villageoispour marquer le 3e anniversaire de la Mutuelle des Mornantais.

Succès de la conférence mémoire organiséepar la Fédération du Crédit Mutuel du Sud-Est et la MTRL

Le lundi 19 novembre, à Lyon, la Fédération du Crédit Mutuel du Sud-Est, avec le concoursde la MTRL, invitait ses sociétaires à une conférence de santé sur le thème de la mémoire,animée par le Dr Bernard Croisile, médecin neurologue. Un succès puisque plusieurscentaines de personnes ont assisté à un passionnant exposé suivi d’un temps de questions etréponses. Une initiative qui témoigne d’une forte volonté de promouvoir la prévention et

porter une inno-vante démarcheen faveur de lasanté.

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Vie de la MTRL

La Revue de la MTRL � décembre 2018 � numéro 100

La MTRL soutient le Comité régional olympique et sportif (CROS)et les Trophées des Associ’Actifs 2018

Vendredi 30 novembre, le CROS Auvergne-Rhône-Alpes, et plus particulièrement la commissionJeunes et Innovation, organisait la 4e édition du Trophée des Associ’Actifs à l’Hôtel de Région de Lyon.

Organisé tous les deux ans depuis 2012, cet événement se donne pour mission de valoriser l’engagementassociatif des jeunes bénévoles qui s’investissent au quotidien dans leurs structures sportives. Car, comme nous le savons, le bénévolat joue un rôle majeur dans les associations, il est à la fois la cléde leur succès et de leur pérennité.

Et cette année, pour la première fois, le CROS souhaitait également mettre en avant et récompenser les associations développant la pratique sportive pour les personnes en situation de handicap. Une démarche d’inclusion qui demande encore à se développer.

Ainsi, deux lauréats ont été récompensés dans les catégories suivantes :

� Catégorie dirigeants : Salomé Dujardin (Union cycliste Tain Tournon - cyclisme) et Quentin Vuviet(Académie d’escrime de Bron)

� Catégorie entraîneurs : Victoria Biteur (Grizzlys de Grenoble - baseball) et Kilian Combey (Vélo-ClubRumilien - cyclisme)

� Catégorie arbitres : Julie Maronda (Judo-Club Ytracois - judo) et Matthieu Vieira (Centre Léo-LagrangeDécines - échecs)

� Catégorie moins de 18 ans : Jade Lartigaud (Noble Art Moulinois - boxe anglaise) et Pierre-LomanChevalier (Sainte-Foy Rugby League - rugby à XIII)

� Et la nouveauté de cette année, la catégorie Sport et Handicap : Le Bourget Canoë-Kayak - Chambéryet La Jeune France de Villeurbanne

Des sportifs de haut niveau pour nous accompagner

Pour accompagner le CROS tout au long de cette soirée, Cyril Moré, quintuple champion paralym-pique en escrime, était présent pour animer la cérémonie. De même que Clémentine Lucine, cinq foischampionne du monde de ski nautique, et Manon Doyelle, championne de France de para-canoë, quiavaient toutes deux accepté d’être les marraines de cet événement.

Cette soirée de générosité a permis de remercier les différentes catégories de bénévoles et toutes celles et ceux qui s’appliquent chaque jour à s’investir dans leurs structures sportives.

Maintenant, rendez-vous en 2020 pour la prochaine édition du Trophée des Associ’Actifs !

Sensible à ces valeurs, la MTRL est partenaire de cette manifestation depuis plusieurs années.

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Vie de la MTRL

La Revue de la MTRL � décembre 2018 � numéro 100

Soirée théâtre et santé avec la Mutuelle des Monts-d’Or

Le vendredi 23 novembre, dans le cadre des actionsprévention santé de la Mutuelle communale desMonts-d’or (réunissant 11 communes), la mairie dela Tour de Salvagny (69) et la MTRL ont organiséune soirée théâtre et santé autour de la maladied’Alzheimer. Cette soirée s’est déroulée en deuxparties : la pièce Jacqueline, tendre et poétique,créée par la compagnie lyonnaise Tsemerys et uneconférence du Dr Bernard Croisile. Ce format“culture et santé” proposé et soutenu par la MTRLrencontre chaque fois un large public. Ce fut le caspour cette soirée du 23 novembre.

Hommage à Michel Lucas,ancien président du Crédit Mutuel - CIC

Michel Lucas vient de nous quitter ce 3 décem-bre. Avec lui, c’est un ami fidèle qui disparaît, unami et un compagnon de route dont l’huma-nisme et le sens de l’engagement au service desautres n’ont jamais dévié.

J’ai eu la chance de le connaître et de partager sesréflexions et ses projets, auxquels il apportait à lafois clairvoyance et enthousiasme.

J’en suis fier quand je mesure le travail accomplipour la réussite du Crédit Mutuel et je suis heureux du partenariat que nous avons porté etconstruit ensemble entre la MTRL et les ACM, avec leur directeur général Alain Schmitter.

Ce partenariat a notamment permis de développer une démarche et des actions de préventionsanté devenues référentes, tant pour leurs qualités que pour leur efficacité.

Aussi, par delà la tristesse que j’éprouve, je voudrais exprimer à Michel ma reconnaissance pourle soutien sans faille qu’il a toujours apporté aux initiatives prises par notre Mutuelle.

Romain Migliorini

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Sel, sucre et graissesLe lien entre alimentation et santé estdocumenté depuis l’Antiquité.Hippocrate (vers - 460/vers - 377)l’avait décrit, même si la phrase qu’onlui attribue : « Que ton aliment soit tonpremier médicament », n’est qu’unecréation littéraire. Les médecins decette lointaine époque, Hippocratecomme Galien (vers 131/vers 201),dont les principes ont été transmis enEurope par les traducteurs arabes etleurs successeurs européens, onttoujours classé l’alimentation commeune voie de guérison, au même titreque la pharmacopée et la chirurgie.Dans les années 1960-1970, les

recommandations médicales étaienttrès générales : éviter l’excès de sucre,de graisses pour le cholestérol, et l’excès de sel !

Sucre1 ! La consommation excessivede sucre, dans tous les pays, à tous lesâges, a été précédemment décrite.Elle entraîne un surpoids et une

obésité épidémiques. La prévalencedu diabète est passée de 5 à 7,8 %dans l’ensemble des pays OCDE,avec comme pays les plus atteints, dufait de la malbouffe : Mexique(15,8 %), Turquie (12,8 %), Etats-Unis (10,8 %), France (10 %), Portu-gal (9,9 %), Allemagne (7,3 %),Espagne (6,8 %), et meilleur classe-ment européen le Danemark(4,6 %). Chine et Inde sont déjàrespectivement à 9,8 et 9,3 %, indi-quant clairement que le développe-ment économique accompagne chezeux la malbouffe.

Graisses ! Si le cholestérol a étédécouvert en 1758 (François Poulle-tier de la Salle) dans les calculsbiliaires, ce n’est qu’en 1948 que l’onfera le rapprochement avec les autresfacteurs de risque cardiaque (tabac,alcool). C’est l’époque où le cholesté-rol devient un “ennemi public” aumême titre que le cancer. Avec cetteémergence du cholestérol apparaît

aussi la distinction entre graisses satu-rées et insaturées.2

Les lipides, qui sont indispensablesà notre vie, sont des corps biochi-miques dénommés acides gras, quipeuvent avoir de 4 à 22 atomes decarbone. Ceux de l’exemple suivanten ont 18. Quand, comme dans cecas, tous leurs atomes de carbone ontleur quatre liaisons, ils sont dits “satu-rés”. Ces acides gras saturés provien-nent du règne animal (beurre, lait,saindoux, graisses d’oie ou canard…)ou huile de noix de coco ou depalme. Ils ont tendance à favoriser lesdépôts de cholestérol dans les artères.Quand leur chaîne carbonée

contient une double liaison, les acidesgras sont dits “monoinsaturés”(oméga 3). Quand leur chaîne carbo-née contient plusieurs doubles liai-sons, ils sont dits “polyinsaturés”(oméga 6, oméga 9).C’est dans les diverses huiles végé-

tales que l’on trouve les polyinsaturés,mais toutes ces huiles comportent à lafois des saturés et des insaturés divers.Les polyinsaturés sont considérés

comme de “bons gras”. Encore faut-il,

6La Revue de la MTRL � décembre 2018 � numéro 100

La grandeLe terme “malbouffe” vise trois dans sa propre cuisine, ou dans

les aliments issus d’une agriculture cancers et diverses autres pathologies

En troisième lieu viennent toutes qui elles-mêmes sont en excès de sel,

épaississants, agents de texture

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neAutriche

Danemark

Hongrie

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Espagne

Slovénie

Portugal

4,4 4,7 4,7 4,7 5,1 5,1 5,2 5,3 5,56,0 6,1 6,2

6,9 7,2 7,3 7,4 7,4 7,7 7,8

9,9

Les données traitent de personnes âgées de 20 à 79 ans diagnostiquées diabétiques de type 1 ou type 2.(IDF Atlas, 7e édition, 2015)

Pourcentages des divers acides grasdans chaque huile

Huiles Acides�gras Acides�gras Acides�gras

saturés monoinsaturés polyinsaturés

Arachide 21 47 32

Olive 15 76 9

Tournesol 11 24 65

Noix 10 18 72

Colza 8 62 31

Beurre 67 30 3

© Lightsp

ring

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Proportion d’adultes diabétiques 2015

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selon les nutritionnistes, savoir doser.Il semble qu’en Occident la propor-tion ordinaire oméga 6 acide lino-léïque/oméga 3 acide alphalinoléïque)ne soit pas la bonne. Selon certains,elle devrait être dans un rapport de 6à 1, alors qu’elle serait de 30 à 1 dansl’alimentation ordinaire. En toutcas, les acides gras d’origine animalesont, non pas à proscrire, comptetenu de ce qu’en général ils sontinclus dans des protéines animalesencore considérées comme indispen-sables, sauf aux végétariens et“vegans” de divers types.

En 1973, Akra Endo découvrit lesstatines, qui devinrent le médicament“miracle” contre le cholestérol LDL etque les médecins sont tenus de pres-crire, et même “primés” à cette fin,jusqu’à ce qu’en 2015 le Pr PhilippeEven3 attaque bille en tête en affir-mant que leur usage était un “crimecontre la vie” : autant il serait légitimepour prévenir les récidives d’infarctus,autant il ne l’est pas des patientsn’ayant jamais eu d’accidentcardiaque. Le débat n’est pas tranché,

mais il est quand même recommandéde limiter fortement la consomma-tion des mauvaises graisses.En sens inverse, depuis une ving-

taine d’années, nos médecins nousrecommandent “cinq fruits etlégumes par jour”. Disons plus préci-sément cinq variétés. Les Français nesont pas les plus gros consomma-teurs. Ce sont l’Australie, laNouvelle-Zélande, l’Italie et le Portu-gal pour les fruits, la Corée, l’Austra-lie, la Nouvelle-Zélande et lesÉtats-Unis pour les légumes. Enréalité, dans les pays développés, lesprix des fruits et légumes sont tropchers pour que toutes les famillespuissent respecter la norme. EnFrance, manger cinq fruits et légumespar jour coûterait 115 à 225 € parmois pour une famille de quatrepersonnes4, soit 10 à 20 % du SMIC.

Sel ! C’est le troisième ingrédient àlimiter dans la “bonne bouffe”. Il faitmonter la tension artérielle, en rete-nant l’eau. Il peut être aussi à l’ori-gine de cancers de l’estomac,deuxième cancer le plus meurtrier

dans le monde. L’Organisationmondiale de la santé recommande delimiter la consommation à 5/6 g dechlorure de sodium, soit 2,4 g desodium, ou une cuillère à thé de selpar jour. En France, la consomma-tion de sel totale, y compris dans lesplats préparés et les conserves, est, encomptant aussi les ajouts de sel detable et sel de cuisson, de 10 g/jourchez les hommes et 8 g/jour chez lesfemmes. Les Français doivent doncprogresser sur ce point.Enfin – mais ce problème a déjà été

évoqué précédemment – la consom-mation d’alcool et le tabac sontévidemment des facteurs très négatifspour la santé5.

L’étiquetage nutritionnelLe sel, le sucre, les graisses sontévidemment aussi présents enproportion variable dans les prépara-tions alimentaires du commerce,fraîches, surgelées ou en conserve.Afin d’aider les consommateurs àchoisir le produit le meilleur – ou lemoins nocif ! – pour la santé, lesadministrations nationales et euro-péennes ont souhaité des étiquetagesnutritionnels. Elles en ont doncproposé, mais les industriels de l’ali-mentation et la grande distributionn’ont pas voulu être en reste, et ils ontfait, eux aussi, leurs propositions. Onen a trois exemples ci-dessous. Deuxissus du secteur privé français (Carre-four, Association des industriesalimentaires) ; on remarquera qu’au-cun des deux n’utilise d’indicationsuggestive sur le bien ou le mal

7

Économie de la santé

La Revue de la MTRL � décembre 2018 � numéro 100

(mal)bouffe déviances alimentaires. En premier lieu, divers excès de certains nutriments chez soi,

l’alimentation achetée, qui peuvent induire diverses pathologies. Mais aussi tous trop “chimique”, dont on découvre de plus en plus qu’ils favorisent, par les pesticides,

graves. En face d’eux se développent les produits “bio” qui sont censés en être exempts. les préparations alimentaires collectives, fraîches, en conserve ou surgelées,

sucre et graisses, notamment hydrogénées, et surtout incluent divers additifs stabilisants, ou exhausteurs de goût, etc. dont on a peu à peu découvert la nocivité.

Teneur en cholestérol de divers aliments d’origine animale

Aliment Teneur�en�cholestérol Aliment Teneur�en�cholestérol

(mg/100�g) (mg/100�g)

cervelle de veau 2 200 ris de veau 225

jaune d’œuf 300 crème 124

rognons de mouton ou de veau 380 poulet 90 à 100

rognons de porc 365 fromage 50 à 100

foie de porc 340 veau 84

foie de veau 314 merlan 77

foie de bœuf 265 bœuf 67

beurre 260 poisson 60 à 70

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alimentaire, et n’utilise surtout pas lescouleurs verte et rouge beaucoup plus“parlantes”. L’étiquetage propre auRoyaume-Uni, sans rapport avec lesindustries, utilise, par contre, cescouleurs : un feu rouge pour décon-seiller l’alimentation, et un feu vertpour l’accepter.

Entre 2011 et 2016, le marchéalimentaire des produits bio aprogressé de plus de 82 %, pour unevaleur de 3,2 Mds€. L’année 2016 amarqué une accélération, avec unecroissance de plus d’1 Md€ (+ 21,5 %par rapport à 2015). Cette tendancese confirme en 2017 avec une crois-sance de 16 % par rapport à 2016, etpourrait se maintenir en 2018.Entre 2011 et 2016, les ventes ont

progressé pour tous les types deproduits bio, mais de manièrecontrastée. Les ventes des fruits etlégumes frais, des boissons alcoolisées(dont le vin), du groupe des produitsde la mer/traiteur/surgelés et de l’épi-cerie ont doublé au cours des cinqdernières années avec une accélérationparticulière en 2016. Les ventes deproduits du rayon crémerie, compre-nant notamment le lait et les œufsdont la part de consommation en bioest élevée, connaissent une progres-sion plus lente mais dépassant tout demême 40 % au cours de la période.Fin 2016, sur plus de 290 000

exploitations bio dans l’Europe des 28,étaient cultivés 12 Mha. Dans lemonde, le marché bio est de 87 Mds$,avec environ 20 % des surfaces culti-vées. En 2015, l’Europe représentait39,7 % de la demande mondiale etl’Amérique du Nord 49 %. Venaitensuite l’Afrique avec 9 %.Toutefois, ne pensons pas que le

bio est sûr à 100 %. Il y a, d’abord,les fraudes, mais, de plus, les biochi-mistes, en perfectionnant leursrecherches, sont amenés à restreindreles normes. C’est le cas du cuivre,

Économie de la santé

2002

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Feux tricolores (traffic lights)appliqués au Royaume-Uni

Dans le même esprit, le Nutriscore,conçu par Santé publique France etmis en place en 2016, a semblé pluspertinent à nombre d’experts. Mais lelobby alimentaire est parvenu à cequ’il ne soit pas obligatoire, en exci-pant de son argument habituel : nepas stigmatiser. Les sociétés privéesIntermarché, Leclerc, Auchan, FleuryMichon se sont engagées à le mettreen place sur l’ensemble de leursproduits, tandis que Mars, Coca-Cola, Nestlé, Pepsico et Unilever

ont refusé. Le lobbying améri-cain pour la malbouffe est,depuis longtemps, particuliè-rement puissant. En 1950, iloffrait 5 000 $ au président dela Harvard Medical Schoolpour qu’il rédige un articlerecommandant un soda, uneglace ou un Coca comme un

“en-cas” approprié pour un adoles-cent. Le lobbying Coca s’est large-ment déployé depuis à Bruxellesauprès des autorités européennes,atteignant 5,38 M$ pour 2018.

Lobbying annuel de Coca-Cola de 2002 à 2018

La consommationde produits “bio”

Il est un autre type de composants quinuit gravement à la santé, ce sont lesproduits phytosanitaires trop large-ment utilisés par nos agriculteurs etque nous consommons de force dansnos fruits et légumes. Ainsi pommeset poires subissent plus de dix traite-ments. Il en va évidemment de mêmedes produits maraîchers, mêmequand ils sont achetés sur nosmarchés locaux. En France, l’usagedes pesticides avait augmenté de 12 %entre 2014 et 2016, après 9,4 % de2013 à 2014. Ce qui signifie qu’entre2016 et 2018 l’augmentation a sansdoute été encore au moins de 10 %.En contrepartie, les consomma-

teurs se dirigent en nombre croissantvers les production bio.L’agriculture biologique est organi-

sée à l’échelle mondiale depuis 1972(International Federation of OrganicAgriculture Movements – IFOAM)et reconnue depuis 1999 dans leCodex Alimentarius, un programmecommun de l’Organisation desNations unies pour l’alimentation etl’agriculture (FAO) et de l’Organisa-tion mondiale de la santé. Il y avaiten France, en 2017, 36 664 produc-teurs6 de produits bio, soit uneprogression de 13,4 % par rapport à2016, ce qui laisse penser que lenombre de producteurs 2018 devraitêtre plutôt de 40 000. La superficiebio était de 1,7 Mha, partant dequasiment 0 en 1994.Dans un marché de l’alimentation

relativement atone, les ventes deproduits bio connaissent un dévelop-pement sans précédent.

100 %

150 %

200 %

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198 %

142 %

218 % 217 %

1

Épicerie Crémerie Fruits etlégumes frais

Boissonsalcoolisées

Évolution des ventes de produits entre 2011 et 2016

Agence BIO/OC 2018.

8La Revue de la MTRL � décembre 2018 � numéro 100

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notamment pour les vignes, contre lemildiou : les quantités autorisées sontde plus en plus limitées.

Les autres constituants de la “malbouffe”

En dehors des pesticides, quipolluent nos fruits, légumes, viandeset lait, en dehors du sel et du sucre,dont nous abusons, volontairement,ou involontairement dans les platspréparés, en dehors même des acidesgras saturés ou insaturés, les indus-triels de l’alimentation nous empoi-sonnent d’une dernière façon parplusieurs voies.Revenons d’abord aux graisses.

Celles que nous avons évoquées plushaut, saturées ou insaturées, peuventêtre, par ailleurs traitées par l’hydro-gène, ce qui accroit leur durabilité etles rigidifie, et en font des graisses“trans”. Diverses études ont malheu-reusement montré que les graissestrans font augmenter le taux sanguinde cholestérol LDL, donc le risquecardiovasculaire.Tant qu’on réduisait notre consom-

mation aux graisses trans naturelles,qui ne se retrouvent qu’en petitesquantités dans la nature, les risquespour la santé étaient pratiquementinexistants. Mais l’omniprésence desgraisses trans synthétiques dans lesproduits alimentaires transformés a

de quoi inquiéter les autorités sani-taires. On pense en effet que, au-delàd’un certain seuil (10 g de graissestrans par 100 g de matières grasses,soit 10 %), elles deviennent nocives.On estime qu’aux États-Unis parexemple, la consommation quoti-dienne de gras trans pourrait s’élever,dans certains cas, à 38,7 g. Selon cesmêmes chercheurs, ces graisses transproviennent à 90 ou 95 % des huileshydrogénées.On trouve les graisses trans dans les

plats préparés, les confiseries, lesbiscuits, les viennoiseries, les pâtes àtarte, les pâtes à tartiner, les chocolatscommerciaux, les pâtisseries commer-ciales, les croustilles, les craquelins, lescéréales, les barres granolas, le beurred’arachide (non naturel), la margarinefaite d’huiles partiellement hydrogé-nées, les shortenings, le saindoux,certains aliments “santé” des rayonsdes supermarchés, etc.Lorsque la liste des ingrédients

comprend les termes “huile(s) végé-tale(s) hydrogénée(s)” ou “partielle-ment hydrogénée(s)”, on sait que leproduit renferme des graisses trans.Leur position dans la liste d’ingré-dients est également un indicateur dequantité : plus ils se rapprochent dudébut de la liste, plus il y a de grastrans dans le produit.Nous terminerons cette revue un

peu sinistre des composants de lamalbouffe par les additifs chimiques.En réalité, dans les pays développés,les prix des fruits et légumes sont tropélevés pour que toutes les famillespuissent respecter la norme additifschimiques. Ceux-ci sont des colo-rants, des conservateurs, des antioxy-dants, des exhausteurs de goût, desantibiotiques, des gommes à mâcher,des édulcorants. Certains sont desproduits naturels donc sans risque(curcuma, chlorophylle, paprika,beta-carotène, zeaxantthine, rouge debetterave, anthocyane…). Mais pas

si, par exemple, partant d’un produitnaturel, comme le caramel, il estobtenu par ajout d’amonium ! Ouencore quand on obtient la couleurrose – très artificielle – du jamboncuit par le nitrite. De même laplupart des conservateurs…Il existe aujourd’hui des applica-

tions informatiques permettant dedéterminer instantanément la qualitéd’un aliment.Yuka, par exemple, affecte une note

qui tient compte pour 60 % de laqualité nutritionnelle à partir duNutriscore, 30 % de la présence oul’absence d’additifs nocifs à partir dela classification UFC Que choisir,enfin 10 % de la présence ou l’ab-sence d’un des deux labels bio, fran-çais (AB) ou européen (Eurofeuille).Les colorants suivants sont à pros-

crire : E104 jaune de quinoléïne ;E950 acésulfane ; E951 aspartame ;E124 rouge ponceau rouge coche-nille ; E127 érythrosine (cancerthyroïde, génotoxicité) ; E129 rougeallura (dommages à l’ADN) ; E151noir brillant BN (mutagène) ; E110jaune orange sunset (tumeurs surré-nales et des reins) ; E122 azorubine ;E249 à E251 (nitrites favorisent l’ap-parition de nitrosamine cancéreuse,notamment dans le jambon cuit) ;E214 à E219 parabènes charcuteries,pâtes à tarte, biscuits apéritifs ; E320BHA : produits chocolaterie etboulangerie ; E310 gallate de propyle.Ces applications peuvent être utili-

sées directement sur les rayons dumagasin. Elles permettent de parfairela lutte éventuelle contre la malbouffe,qui devient, dans le monde entier, lepremier facteur pathogène. Alors que80 % des cancers trouvent une issuefavorable, et que l’on progresse objec-tivement vers près de 100 %, l’alimen-tation devient bien le médicament,mais au sens grec de pharmakos(poison), qui maintiendra le cancer enposture victorieuse. �

Jean Matoukagrégé de sciences économiques,

professeur des universités

9

Économie de la santé

1. Revue de la MTRL n°97, mars 2018.Le coût économique et social des différentes addictions en France. (2e partie)

2. Revue La Nutrition - 14/01/2009.3. Corruptions et crédulité en médecine - Cherche Midi 20154. Baromètre de l’association Familles Rurales 2018.5. Revue de la MTRL n°96, déc. 2017.

Le coût économique et social des différentes addictions en France. (1re partie)6. Agence pour le développement et la promotion de l’Agriculture biologique.

100 %

150 %

200 %

2011 2012 2013 2014 2015 2016

1

154 %

135 %

209 %

189 %

4

Viandes Boulangerie Mer, traiteur,surgelé

Boissonssans alcool

alimentaires bio par groupe (indice base 100 pour 2011)

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Un peu d’histoire pour commencer, et une défini-tion : EMDR pour “eye movement desensitizationand reprocessing” ou “désensibilisation et retraite-

ment par le mouvement oculaire”. Cette technique a étéinventée à la fin des années 1990 par Francine Shapiro, quiest une brillante psychologue. Elle a pu mettre en évidenceau cours d’une promenade dans un parc que les mouve-ments des yeux qu’elle faisait en suivant le mouvement desoiseaux apaisaient les tensions qu’elle avait à l’intérieurd’elle-même. Elle suivait des yeux le vol des oiseaux migra-teurs et, petit à petit, elle sentait un apaisement arriver.Elle s’est demandé si c’était dû au hasard, puis elle a

commencé à faire des recherches. Aujourd’hui, il y a énor-mément de recherches et des centaines de publications, etc’est David Servan-Schreiber qui, le premier, a pu impor-ter cette technique en France à la fin des années 1990.Aujourd’hui, la science peut affirmer que les mouvementsoculaires sont efficaces dans la désensibilisation dutrauma, ou des traumas un peu moins importants de la viequotidienne, comme on le verra plus loin.Avant de vous expliquer comment cette technique

fonctionne et de vous présenter les mécanismes del’EMDR, je vais vous raconter une histoire. C’est l’his-toire de Sophie, à Paris, une jeune femme adulte qui aperdu l’homme de sa vie.

« Il y a quatre ans, mon compagnon était tué sur la routepar un chauffard. J’ai consacré beaucoup de temps etd’énergie à remonter la pente, à travailler avec un psychia-tre, à essayer de reprendre goût à la vie pour ma fille, pourmes proches, pour moi-même… Le chemin a été long etardu, mais j’avais goût à la vie. J’ai surmonté la perte decelui avec qui je me voyais passer le reste de mes jours…Jusqu’au moment où une relation s’est nouée avec unhomme, qui s’est enfui au bout quelques mois.« Ce nouvel abandon a réveillé chez moi des symptômes

que j’avais cru disparus pour toujours. J’étais dans uneimpasse avec mon psychiatre, à qui j’ai dit que j’avais lesentiment d’être au bout de la rue, de la parole…« J’avais entendu parler de l’EMDR par le livre de David

Servan-Schreiber, Guérir. En parlant de l’EMDR autourde moi, j’ai trouvé l’adresse d’une thérapeute. Les troispremières séances ont été consacrées au récit de cesdernières années, à des explications sur les fondementsscientifiques de l’EMDR et les aspects techniques de lathérapie. J’ai beaucoup apprécié l’honnêteté de la théra-peute, qui ne m’a jamais promis de résultats, mais a ditqu’elle pensait pouvoir m’aider.« Nous avons fait plusieurs séances pour parcourir les

sensations associées à l’événement traumatique de la pertede mon conjoint. Le premier parcours a été douloureux,bien entendu. J’ai pleuré de manière incontrôlée et, laséance suivante, j’étais vidée, juste épuisée. En quatreséances d’1 h 30, je ne vois plus mon compagnon à tousles coins de rue, je peux entendre du piano sans avoir debattements de cœur (il était pianiste), et je ressens un apai-sement totalement nouveau, comme si la pierre dechagrin que j’avais enfouie au fond de moi était dissoute.Bien sûr, je n’ai pas oublié : mon pianiste reste dans moncœur, je le promène avec moi comme une pépite debonheur. Je souhaite apporter ce témoignage à tous ceuxqui souffrent et ont le sentiment qu’ils n’avancent plusdans leur démarche. »Ce témoignage nous montre qu’on n’est pas obligé de

souffrir. Quel que soit l’âge, il y a toujours des solutions :médicamenteuses quand on est psychiatre, mais pas forcé-ment. On peut aller au-delà de ça et proposer des chosesqui font intervenir les ressources personnelles de chacun.

10

Nouvelle approche médicale

La Revue de la MTRL � décembre 2018 � numéro 100

L’EMDR pour reprogrammer L’EMDR a conquis aujourd’hui une place reconnue dans la plus large partie de la

a prouvé son efficacité à travers de nombreuses études scientifiques, et les instances

la Haute Autorité de santé, en France, l’Organisation mondiale de la santé plus

le traitement des troubles anxieux graves. Lors des journées d’études que la MTRL

le Dr Anne Dumont, psychiatre, nous l’avait fait découvrir. Voici le contenu de

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Qui peut être concerné par ce type de soin ?Ce sont des personnes qui ont connu des catastrophes, destraumas avec un grand “T” comme les appelle FrancineShapiro, qui se réfère aux catastrophes naturelles, aux atten-tats, aux agressions, aux accidents, aux traumas de guerre…Ensuite viennent les traumas avec un petit “t”, qui s’ap-

parentent plus aux événements de vie négatifs : ce peutêtre des événements répétitifs, notamment des agressionsdans l’enfance, sexuelles ou non. Il peut y avoir aussi lesphobies, les douleurs chroniques, le deuil… Et celas’adresse aux adultes comme aux enfants.Comme pour l’hypnose et la pleine conscience, sont

exclues de ces indications les psychoses, les dissociations etles idées suicidaires en l’occurrence, parce que l’EMDRactive l’émotionnel et peut faire décompenser les étatsdépressifs… Quand ce sont des dépressions graves, ellepeut aggraver les idées de suicide.A quel moment pouvez-vous être traité par l’EMDR ?

A n’importe lequel, quand on a vécu quelque chose dedouloureux. Lors de la catastrophe d’Haïti, il y a desthérapeutes qui sont partis immédiatement pour aller trai-ter les victimes et qui ont commencé l’EMDR dans lesdécombres, immédiatement. Il y a eu des résultats excep-tionnels très rapidement.Après, il y a les personnes qui essaient de gérer les

choses. Naturellement, le trauma peut aussi cicatriser.Mais, parfois, au bout de deux ou trois mois, lespersonnes continuent à avoir des cauchemars, à souffrird’angoisses, à avoir des flashs et des déclencheurs quandelles sont dans des situations qui leur rappellent letrauma… Dans ces cas-là, c’est le moment d’intervenir.Toujours dans une approche intégrative, avec un psychia-tre référent s’il y a un besoin médicamenteux, avec despersonnes pratiquant l’hypnose, la sophrologie, la cohé-rence cardiaque… On est toujours des acteurs en lienpour pouvoir travailler.Ensuite, il y a des personnes un peu plus âgées qui vien-

nent. On a notamment un patient de 86 ans qui est venuconsulter pour un trouble anxieux généralisé, avec descrises d’angoisse très fortes. Il a réussi en trois séances à neplus souffrir et à ne plus avoir de crises, ce qui était pournous une belle récompense, et pour lui encore plus !

On n’est jamais trop âgé ou trop jeune pour commen-cer et arriver à traiter ses vieux démons.Alors, par qui ? C’est une très bonne question. Il faut

vraiment avoir affaire à des personnes formées, qui soientde référence. Il y a une technique qui a été validée parFrancine Shapiro, l’inventeur de la thérapie EMDR, quia créé une association en Europe : l’EMDR Europe.Toutes les personnes adhérentes à cette association sontformées avec la technique Shapiro. Alors, pour être sûr dene pas aller à la mauvaise adresse, rendez-vous sur le sitede l’association, puis sur l’annuaire. Vous serez en debonnes mains.On revient sur l’idée que la douleur n’est pas une fata-

lité. On n’est jamais obligé de souffrir, on ne naît pas avecla douleur, la dépression ou le trouble anxieux généralisé.On peut trouver des alternatives à ça et changer notrefonctionnement, changer le lien qu’on a à soi.Pour cela, il faut travailler sur la pensée que l’on a de soi,

les cognitions, mais aussi sur l’émotionnel, le corporel…Vous verrez, dans les phases d’après, que l’EMDR va allercibler tout cela pour travailler et réactiver les choses, pourles remettre au travail.

Comment ça marche ?Les mécanismes sont mal connus pour l’instant, et nousn’avons que des hypothèses. L’hypothèse première, c’estque les mouvements oculaires que l’on fait volontairementen EMDR – les stimulations bilatérales alternées –ressemblent aux mouvements que l’on fait au cours denotre sommeil paradoxal, pendant nos rêves. On part duprincipe que le rêve est une manière de retraiter l’informa-tion que l’on a vécue dans la journée, et qu’il permet dedigérer les événements de la vie, plus ou moins importantsou plus ou moins graves. On a une capacité naturelle àretraiter l’information que l’on a vécue. Ça, c’est d’abordle mécanisme pressenti.Ensuite, l’hypothèse pour continuer de travailler avec

cette technique est le traitement adaptatif de l’informa-tion, le concept selon lequel notre système nerveux centralest capable, en mettant des mécanismes de traitementadaptatif de l’information, d’aller faire digérer les souve-nirs quels qu’ils soient, traumatiques ou non. On part

11La Revue de la MTRL � décembre 2018 � numéro 100

le mental communauté médicale : cette thérapie

publiques nationales et internationales –

récemment – la recommandent pour

avait organisées pour son 50e anniversaire,

son intervention en mai 2015.

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Page 12: ses 25 ans d’existence. Prochain rendez-vous festif · Sel, sucre et graisses Le lien entre alimentation et santé est documenté depuis l’Antiquité. Hippocrate (vers - 460/vers

donc du principe que les réseaux de mémoire sont à labase des symptômes et de la santé mentale.Les souvenirs non traités sont à la racine de la patho -

logie, et les souvenirs traités viennent renforcer nosressources et font parties de notre bagage. C’est ce quinous permet de faire face, d’avoir de l’expérience.La méthodologie se passe en huit phases, qui doivent être

respectées de manière très rigoureuse pour ne pas se perdredans les plans de ciblage de l’EMDR. Le modèle taille, c’estle système de traitement adaptatif de l’information.

On part du principe que le cerveau est un organecomme tout autre organe de l’appareil humain. Quand onse blesse au niveau de la peau (qui est un organe), on a desmessagers chimiques, les neuromédiateurs, qui viennentstimuler l’inflammation et donner une réponse de répara-tion. On obtient une cicatrisation. Le cerveau, c’est pareil.Il va aller chercher de l’information pour la stocker demanière adaptative.Quand l’information qui arrive est trop difficile, trop

lourde, c’est un peu comme un fichier que vous n’arrivezpas à charger dans votre ordinateur parce qu’il est tropgros : il faut le fragmenter. C’est la même chose pour lecerveau : quand ses capacités de défragmentation sontdépassées, il bloque et ne peut pas digérer l’information.Ce sont ces événements de vie traumatiques et excessive-ment douloureux, qui ne peuvent pas être stockés immé-diatement, que l’EMDR va cibler. Le système cérébralneurosensoriel et cognitif est programmé pour aller vers laguérison, tout comme le système cutané.Le système du traitement adaptatif de l’information va

faire basculer la perturbation émotionnelle de l’événementtraumatique vers une résolution adaptée. Les mouvementsdes yeux vont permettre de remettre en route le systèmedu traitement de l’information. Comme si on revivait letrauma de manière atténuée. Ça remet en marche lesystème de retraitement, comme si on pouvait le vivre uneseconde fois, mais en sécurité avec un thérapeute, dans unlieu sécurisant, et avec des mouvements qui stimulent l’in-tégration du souvenir.Ce sont donc des réseaux associatifs qui sont à la source

de la guérison de l’EMDR. Différents éléments composentle souvenir. Car le souvenir, c’est à la fois des images

(quand vous pensez par exemple à des vacances paradi-siaques ou à une personne que vous avez perdue), mais cesont aussi des émotions que vous ressentez, voire des sensa-tions corporelles… Un souvenir, c’est une pelote de toutesces sensations, de tous ces messages sensoriels. Et quand onstimule la mémoire pour remettre le trauma et l’activer, onpeut avoir accès à ce matériel pour aller le travailler.

Les huit phasesque comporte une séance d’EMDR

La première phase, c’est de faire l’historique avec lepatient ; comme dans toute relation thérapeutique, il fautinstaller une confiance. On ne peut pas commencerl’EMDR de but en blanc : il faut toujours avoir un tempsd’approche et de connaissance mutuelles. Il faut aussiapprécier l’état de stabilité du patient : est-il capable defaire face à l’exposition au souvenir à nouveau ? On vientquand même activer des choses difficiles, et si la personneest trop anxieuse ou trop déprimée, on peut aggraver sonétat psychique. Donc on essaie toujours de stabiliser lepatient, d’où aussi l’approche intégrative de cette méde-cine, une équipe pluridisciplinaire, l’hypnose, la sophrolo-gie… Pour pouvoir travailler en renforçant les ressources,pour stimuler le positif avant d’aller traiter le trauma.Ensuite, on établit ensemble un plan de ciblage, qui va

aller chercher toutes les images, les séquences qui auraientpu rester bloquées et enkystées dans la mémoire. Là, c’estle patient qui va devoir effectuer un gros travail, puisqu’onva lui demander d’aller chercher dans sa mémoire pourtrouver ce qui est le plus difficile aujourd’hui, ce quicontinue de le faire souffrir, ce qui est encore là mainte-nant. Grâce au patient et à ses capacités de mémoire, onva pouvoir aller cibler chaque problématique, les repren-dre les unes après les autres toujours en commençant parla source, c’est-à-dire le souvenir le plus ancien et la causedu problème au niveau chronologique.Une fois que vous avez pu, avec votre thérapeute, établir

les cibles que vous voulez aller traiter, vous allez avoir unephase de préparation, où on va vous expliquer commentça se passe, comment on s’installe, comment on procèdeau niveau des mouvements des yeux… On est très prochedu patient (les pieds des chaises sont croisés) et on fait derapides mouvements devant ses yeux. Environ vingt outrente secondes plus tard, on lui demande ce qu’il voit. Etle patient donne une réponse sans réfléchir, sans juger dece qui va venir. Il laisse ses pensées agir sans faire d’efforts.Ensuite on continue, on continue, encore et encore. Petità petit, le canal du souvenir va venir s’épuiser, les émotionsliées à l’image vont pouvoir s’atténuer et, naturellement,une pensée positive va être intégrée à la place.Tout cela a été objectivé par des PET-scans, des examens

au niveau du système sympathique, parasympathique…On a vu qu’il y avait des différences entre l’activation dusouvenir avant/après. Vous pouvez aussi retrouver toutesles preuves scientifiques dans les publications du sitewww.emdr-france.org

12

Nouvelle approche médicale

La Revue de la MTRL � décembre 2018 � numéro 100

Francine Shapiro

Francine Shapiro est une thérapeute comportementale de

nationalité américaine fondatrice de la méthode EMDR (Mouvement

des yeux, désensibilisation et retraitement de l’information).

Docteur en psychologie au Mental Research

Institute de Palo Alto, elle découvre l’EMDR

en 1987. Elle l’applique d’abord sur un groupe

de volontaires puis sur des vétérans du

Vietnam avant d’en publier les résultats

en 1989.

En 2002, elle reçoit le prix

Sigmund-Freud pour son apport

à la psychothérapie.

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Huitième colloque d’économie de la santé organisé par la MTRL et l’association Charles-Gide le 29 septembre 2018 à Lyon I

Huitième colloque d’économie de la santéorganisé par la MTRL et l’association Charles-Gidele 29 septembre 2018 à Lyon

Jean Matoukprofesseur honorairede scienceséconomiques

Jacques Kopferschmittprofesseur des universités,

praticien hospitalier(Strasbourg)

Antoine Vialmédecin, expert en santé publique,

auteur de Santé, le trésor menacé

Meneur de jeu : Jean-Pierre Vacher, directeur d’antenne de Télé Lyon Métropole

Les débats avaient lieu dans la salle de théâtredu musée Gadagne, dans le Vieux-Lyon, et ils réunissaient :

Le terme “hôpital” synthétise ici l’ensembledes établissements publics de santé, dont le malaiseest patent depuis de nombreuses années déjà maisqui semble atteindre aujourd’hui son acmé : un déficitannuel chronique (et qui explose en 2017), des personnelsau bord de la crise de nerfs, des usagers – cela s’appelledes malades en ces lieux – qui subissent…D’aucuns parlent même d’hôpitaux en mode survie !L’annonce de la réforme santé est intervenue quelquesjours seulement avant notre rencontre et a fait ainsil’objet de commentaires “à chaud“ sur les mesures lesplus emblématiques proposées : réorganisation complètedu système hospitalier bâtie sur trois niveaux (hôpitauxde proximité, centres hospitaliers intermédiaires, CHU),créations de postes de médecins salariés dans cesmêmes hôpitaux de proximité, création également de4 000 assistants médicaux dénommés aides-soignantsde ville, relance du Dossier médical personnalisé,fin du numerus clausus en 2020…

L’hôpital en attente d’une “réforme globale”

Frédéric Bizardéconomiste, enseignantà Sciences-Po Pariset président fondateurde l’Institut Santé

Jean-Louis Touraineprofesseur d’immunologie,député du Rhône

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F idèle à la tradition, le président Migliorini a souhaité la bienvenue aux participants de ce8e colloque organisé par la MTRL et l’association Charles-Gide, autour d’un thème ô combiend’actualité s’agissant de l’hôpital, d’autant que le ministère de la Santé venait, dans les jours

précédents, de dévoiler ses propositions de réforme.

« Choisir d’évoquer le thème complexe de l’hôpital est d’autant plus pertinent que cette questionmajeure est l’un des axes de la réforme que souhaitent mener les pouvoirs publics. Par ses missions,par ses compétences, par ses problématiques qui ne cessent de s’amplifier, par son poids économiqueet ce qu’il pèse dans la dépense globale de santé, l’hôpital est au cœur de toutes les questions et de tousles défis. Les problèmes sont connus : difficulté et mal-être des personnels soignants, organisation dessoins, situations d’urgence, parcours du patient, tarification des actes, budget en baisse, gestion tendue,rationalisation des actes… Les sujets ne manquent pas, notre seule ambition est d’aborder l’hôpitaldans la complexité de ses enjeux, en apportant notre modeste contribution au débat. Nous sommestous allés, ou irons à l’hôpital, ce thème est pleinement celui de la santé publique, et nous sommesheureux de recevoir nos éminents intervenants, dont quelques fidèles. Merci à vous d’être présents. »

Jean-Pierre Vacher : « Le thème de cette année ne pouvait être mieux choisi, quelques jours aprèsla présentation du plan santé par Emmanuel Macron. Par “hôpital”, nous entendons tout ce quiconcerne les établissements publics de santé. Que penser de ce plan ? S’agit-il de la réforme globaletant attendue ? D’une annonce ou d’une amorce seulement, qui ne traite pas à fond tous les problèmes ?C’est ce que nous allons évoquer. Beaucoup de choses ont été mentionnées dans ce plan : la suppressiondu numerus clausus à l’horizon 2020, la T2A, et des nouveautés avec la création des assistantsmédicaux, des médecins salariés… Nous évoquerons également la question des urgences, celledes généralistes et de la médecine de proximité, des médecines complémentaires et de la formation. »

Après une courte présentation des intervenants, il lance le débat en s’adressant au premier d’entre eux :« À vous, Jean Matouk, pour nous présenter, grâce au tableau que vous avez réalisé, comment se situela France par rapport aux principaux pays de l’OCDE en termes de dépenses de santé. »

Jean Matouk : « En résumant ces sept années de colloques, il me semble utilede vous présenter ces chiffres du panorama de la santé que l’OCDE publiechaque année, et qui permettent des comparaisons utiles. Sur la première ligne :les dépenses de santé en pourcentage du PIB. La France, avec 11 %, se situeparmi les fortes dépenses, à égalité avec la Suède, mais légèrement après la Suisseet l’Allemagne. La plus forte dépense reste cependant aux USA (17,2 %), liéeà une médecine entièrement privée, puisque même la réforme Obama a étésupprimée. Par habitant, notre pays se situe également en dessous de l’Allemagne,par exemple, qui compte 5 551 $ par habitant alors que nous sommes à 4 600,pour une espérance de vie de 82,4 ans. L’espérance de vie de l’Italie et cellede l’Espagne sont élevées par rapport à la nôtre, avec des dépenses de santé bieninférieures. Est-ce lié à une meilleure hygiène de vie ou au régime alimentaire ?

« En nombre de médecins pour 1 000 habitants, la France se situe en dessousde l’Allemagne, de l’Autriche, de la Belgique, du Danemark… Cela est liésans doute au numerus clausus, et ne nous empêche pas d’être globalementbien soignés. Quant aux consultations annuelles, nous consultons moins

que les Allemands mais plus que les Autrichiens, que les Danois, que les Italiens, etc. Est-ce queces gens du nord ont une meilleure hygiène de vie ? Est-ce qu’ils sont mieux éduqués à ces questions ?Je crois que l’on devrait consacrer beaucoup plus de temps, et ce dès le collège, à enseigner l’hygiènede vie et la prévention. D’autant plus que l’on est abreuvé d’informations sur notre santé à traversInternet et que l’on devient des interlocuteurs difficiles pour les médecins. Nous devrions apprendreà nous servir de l’information d’Internet avec eux de manière plus pertinente.

« Concernant l’hôpital, la part des dépenses de santé consacrée aux hôpitaux en France est plutôt dansla partie haute. Cela représente 40 % en France contre 29 % seulement en Allemagne, ce qui signifieque nous consacrons une part importante de notre budget santé aux établissements hospitaliers. Moinsque le Danemark ou l’Italie, et à peu près autant que l’Espagne. Pourquoi ? La médecine de ville est-ellemoins pertinente chez nous que dans les pays du Nord ? Les gens vont-ils moins à l’hôpital là-bas ?

Huitième colloque d’économie de la santé organisé par la MTRL et l’association Charles-Gide le 29 septembre 2018 à LyonII

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« Concernant les infirmiers nouvellement diplômés, ils sont moins nombreux en France qu’ailleurs.Sur leur rémunération, nous sommes nettement mauvais : le salaire moyen d’un infirmier à l’hôpitalest égal à 0,95 du salaire moyen de la population. C’est-à-dire qu’on paie nettement moins bienque tous les autres pays. C’est ce que disait Martin Hirsch, directeur de l’AP-HP (l’Assistance publique -hôpitaux de Paris) : « Nous sommes un des rares pays où les infirmiers ont un salaire moyen inférieur à celui de la population, alors que nous sommes évidemment l’un des pays qui consacrent les plus fortessommes à leurs dépenses de santé. »

« En France, le nombre de lits pour 1 000 habitants est correct, même s’il y en a moins qu’enAllemagne ou en Autriche, alors que l’on se plaint d’un manque de lits. La durée moyenne de séjourà l’hôpital est beaucoup plus longue en France que dans beaucoup de pays voisins. Cela signifieque l’hospitalisation à domicile et l’hospitalisation de jour sont moins importantes chez nous ; elles nesont pas assez développées. Mais en France, quinze jours après des hospitalisations de jour de personnesâgées, 30 % des patients reviennent. Cela multiplie les actes inutiles. Enfin, deux chiffres assez terribles :le nombre de séances de scanners et d’IRM pour 1 000 habitants. Nous en faisons moins que les États-Unis mais beaucoup trop par rapport aux autres pays.

« Quelques jours avant le lancement de ce plan santé, les consultations de télémédecine ont étérémunérées, à 25 € la séance. Il y a deux ans, nous avions consacré un colloque à l’utilisation dela télémédecine. Nous avions également évoqué les déserts médicaux, la difficulté d’accès de certains

praticiens, notamment les spécialistes. Je pense que c’est autour de ces questions qu’a été organiséce plan, avec la création de 400 postes de médecins salariés dans des hôpitaux de proximité, et quitravailleront à la fois dans les hôpitaux de proximité et en libéral. Notons également la création,d’ici à 2022, de 4 000 assistants médicaux, qu’on appellera des aides-soignants de ville et qui assisteronttous les médecins de toutes spécialités à condition qu’ils soient réunis en cabinet. Cela sera appliquéen priorité dans les déserts médicaux. Ces assistants médicaux seront chargés de prendre la tension,de surveiller le poids, de prendre la température, etc. C’est déjà le cas dans un cabinet d’ophtalmologie :on vous fait passer des examens avant que l’ophtalmologiste vous reçoive. Dans le même temps,des Communautés professionnelles territoriales de santé seront capables de proposer, sur tous lesterritoires de 20 000 à 100 000 habitants, l’accès à un médecin traitant pour les urgences et de fairecoopérer les médecins entre eux.

Huitième colloque d’économie de la santé organisé par la MTRL et l’association Charles-Gide le 29 septembre 2018 à Lyon III

11,3 10,4 10,4 10,4 9 17,2 11 8,9 10,5 9,7 11 12,4

5 551 5 227 4 840 5 199 3 248 9 892 4 600 3 391 5 385 4 192 5 448 7 919

80,7 81,3 81,1 85 83,3 78,3 82,4 82,6 81,5 81 82,3 83

4,1 5,1 3 3,7 3,9 2,6 3,3 3,8 3,5 2,8 4,2 4,2

2 416 1 295 2 254 1 230 2 000 1 624 2 020 1 744 2 360 – 692 996

29 39 33 44 41 34 40 45 38 42 35 35

6,2 6,3 8,4 4,8 10,1 4,2 7,1 6,3 7,3 8,5 6,1 5,2

7,7 7,4 7 4,3 7,9 6,5 5,6 5,4 5,4 7,1 4,2 5,1

13,3 8,1 10,3 16,7 6,4 11,3 9,9 5,4 10,3 7,8 11,2 18,4

54,3 54,2 48,7 92,2 23,2 63 38,3 20,4 43,5 27 35,3 93,4

1,13 – 1,11 1,07 1,28 1,24 0,95 1,06 1,15 1,04 – –

8,1 7,6 6,2 2,6 3 2,8 6,1 3,2 4,2 2,6 2,4 4,6

9 8,6 7,6 8,5 7,3 6,1 10,21 7,8 6,2 7 5,9 8,4

143,8 – 198,8 161,8 104,9 245,3 197,4 – 80,8 79,3 – 100,3

131,3 55 85,6 82,1 78,3 117,8 104,8 – 51,8 52,6 – 69,9

Dépenses santéen % du PIB

Dépenses santé/habitants

Espérance de vieà la naissance

Médecins/1 000 habitants

Consultations annuellespar médecin

Part des hôpitauxdans dépense santé

Mortalité 30 jours aprèshospitalisation. AVC (%)

Idem infarctus (%)

Personnel infirmierpar 1 000 habitants

Infirmiers nouvellementdiplômés/1 000

Rémunération des infirmiersà l’hôpital/salaire moyen

Lits hôpitaux/1 000

Durée moyenneséjour hôpital

Examens de scan/1 000 hab.

Examens IRM/1 000 hab.

Chiffres divers sur la santé et les hôpitaux(Panorama de la santé - OCDE - 2017)

Allemagne Autriche Belgique Danemark Espagne USA France Italie Pays-Bas Royaume-Uni Suède Suisse

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UNE RÉORGANISATION COMPLÈTE DU SYSTÈME HOSPITALIER

« Ces trois mesures montrent la volonté du gouvernement de tenter de résoudre le problème des désertsmédicaux et de regagner du temps médical en contrant l’exercice isolé et individuel de la médecine.La réorganisation du système hospitalier ira dans le même sens : un l’hôpital de proximité destiné auxpremières urgences, à la médecine générale, à la gériatrie et aux soins de suite, avec des plateaux d’imagerieet de biologie, de télémédecine, etc. 500 à 600 de ces établissements seraient labellisés d’ici à 2022.

« Viendront ensuite les centres hospitaliers intermédiaires avec des blocs chirurgicaux et les maternités :cela implique la suppression de certaines petites maternités qui ne font pas assez d’actes pour les incluredans ces centres hospitaliers intermédiaires.

« Enfin les CHU, pour les interventions les plus pointues et la formation des médecins. L’idée derrièretout cela est de soulager les urgences, notamment en assurant une médecine de ville de 8 à 20 heures,voire, dans les années à venir, de 8 à 22 heures.

« La relance du Dossier médical personnalisé (DMP), également. Un effort financier non négligeableest réalisé puisque 3,4 Mds€ seraient injectés dans le système d’ici à 2022. Dont 1,6 Md€ auxmesures précitées pour les déserts médicaux, 920 M€ à l’hôpital, 500 M€ au numérique et 420 M€à l’évolution des métiers et des formations. Le plafond des dépenses de santé pour 2019 est remontéde 0,2 %, ce qui fait 400 M€. […]

« Enfin, il est question dans le plan de revenir sur le remboursement des hôpitaux et notammentde faire reculer la T2A. Lors du 1er colloque, nous avions proposé, notamment pour les affectionsde longue durée et pour les généralistes pour leurs patients au-delà de 70 ans, de remplacer le paiementà l’acte de la médecine de ville par la capitation. La T2A, c’est le paiement à l’acte à l’hôpital. Leprésident avait annoncé qu’il souhaitait faire reculer de 75 à 50 % la part de la T2A dans le financementde l’hôpital, or je n’ai pas trouvé cet engagement dans le plan. La T2A s’avère être un gros facteurde récriminations à l’hôpital, cela pousse à gérer un hôpital comme une entreprise, et les médecinsrappellent, non sans raison, que l’hôpital est d’abord un lieu de soins avant d’être une entreprise.Et je regrette que dans ce plan on ne revienne pas assez sur ce rôle. »

Jean-Pierre Vacher à Jacques Kopferschmitt : « Êtes-vous satisfait ou déçu par ce plan santé,en attendiez-vous plus d’ambition ? On dit que l’hôpital est à bout de souffle, est-ce qu’on a bienrépondu à toutes les attentes ? »

Jacques Kopferschmitt : « Il est important de prendre en compte que les bases de notre système desanté ont considérablement changé. Il y a une prise de conscience de la nécessité d’une adaptation, etc’est l’aspect remarquable de la réforme qui nous est proposée. Même si le navire va mettre un certaintemps à trouver sa voie, on considère maintenant qu’il y a une dualité de la médecine, et notre systèmeest constitué de deux parties très différentes. Il y a les maladies aiguës qui sont parfaitement traitées,qui sont les soins techniques qui ont développé la T2A, la tarification à l’activité, et il y a les maladieschroniques qui ont pris une ampleur considérable, et les troubles du comportement, notammentla psychiatrie, largement rappelée dans le plan. Ces deux évolutions se font en sens opposé. Dansle premier cas, c’est l’explosion des moyens d’exploration, des diagnostics, qui explique peut-être

aussi cette appétence qu’ont beaucoup de médecins, et notamment les plus jeunes,pour l’innovation technologique. Dans les études de médecine, on parle plussouvent de progrès technologiques que de relations humaines. Ces différents niveauxde spécialisation font que l’hôpital est devenu une entreprise, c’est un changementde paradigme qui est redoutable actuellement, où la réflexion est remplacée parla prescription.

« L’autre point dans ce changement d’évolution concerne le patient, qui est devenuacteur. Peut-être que la réforme le prend plus en compte. Il y a un événement

important dans notre société française, c’est la transformation transculturelle. Nous avons unemultiplication d’approches transculturelles qui s’installent dans notre pays, des populations qui n’ontpas les mêmes habitudes de soins, qui sont plus orientées vers l’hôpital que vers la médecineambulatoire et il faut en tenir compte. Et puis le concept de soins a aussi beaucoup évolué. Je mepermets de rappeler que pour être un bon médecin il faut être un bon examinateur. Un bon médecinest un bon manuel, c’est quelqu’un qui sait s’approcher d’un patient. C’est en porte-à-faux par rapport

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La relation humaine,on le voit dans leshôpitaux, tend às’effacer derrièrel’approchetechnologique

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à l’intelligence artificielle : la relation humaine, on le voit dans les hôpitaux, tend à s’effacer derrièrel’approche technologique. Ces rapports humains, dont on parle peu dans le rapport prévu, représententdu temps, et le temps n’est pas valorisé par un acte, par quelque chose de particulièrement significatif.Il y a donc des points faibles notables dans notre pays : inégalités sociales, inégalités territoriales, desprofessionnels de santé souvent incapables de coopérer entre eux, un dialogue difficile, peut-être à caused’une certaine fierté du corps médical. Et, dans ce sens, la réforme est particulièrement utile.

« Présenté ainsi, le paysage peut paraître dramatique, mais il est important de remettre tout à plat sansattendre. La priorité des premiers soins a souvent été mal traitée et toutes les conférences depuis Alma-

Ata n’ont pas beaucoup fait évoluer notre concept de premiers soins enFrance. Or, si l’on parle de la surcharge des urgences, il est évident que leproblème est lié à la désorganisation de ces premiers soins. Il y a une guerreinterne dans les hôpitaux, c’est la recherche du lit… qu’on ne trouve jamais.Comment faire en sorte que ce système devienne cohérent ? Ce qui merassure dans l’évolution de ce plan, c’est sa vision assez globale. Il est un peuintimiste, il faudrait être plus ambitieux, mais si on l’était trop peut-être quele démarrage serait plus difficile. On a dans notre pays un tort important,celui de la comparaison : on met en concurrence les hôpitaux, et cettecomparaison est malsaine. Par ailleurs, il est clair que le malaise des servicespublics fait le bonheur des structures privées. Les nombreux services d’urgencequi ont fermé et les nombreux services d’hôpitaux qui sont en voie defermeture sont rapidement remplacés par une offre privée. En l’espacede quelques années, de 1996 à 2016, nous sommes passés de 10 millionsà 20 millions de personnes qui vont dans les services d’urgence. Cela peutparaître énorme mais, dans beaucoup de pays, les services d’urgence sont les

premiers recours. 7 à 8 % de la population ne sont pas couverts, pas proches d’un secteur hospitalier…Il y a d’énormes travaux à faire et, en dépit de la fermeture de 46 services publics en France,124 structures privées ont eu l’autorisation de s’installer au cours de ces vingt dernières années.

« L’exception territoriale est fondamentale, il y a des zones d’ombre à couvrir, pas forcément enmaternité. Cette carte territoriale régulièrement recomposée en France pose un problème de cohérence,dans le temps, qui est extrêmement complexe. De nombreux constats ont été faits, les statistiques sontmultiples, mais nous faisons partie de l’Europe, il faut donc regarder ce que font lesautres, s’il y a du bon à prendre et inversement.

« Pour revenir à la question de la prise en charge des urgences en France, on compte10 % d’urgences vitales seulement. Aux urgences, on ne peut pas savoir si une pathologieest urgente avant de l’avoir examinée. Toutes les statistiques actuelles sont faites sur desexpérimentations a posteriori. Une fois que l’on a vu le patient, on peut dire que cen’était pas une urgence, mais avant c’est difficile. Je n’excuse pas cette surconsommation,mais dans certains pays il n’y a pas de généralistes et on va directement à l’hôpital. Certaines prioritésont changé, les affections cardiologiques et neurologiques sont devenues des priorités dans les servicesd’urgence. L’approche a évolué, les complications aiguës des cancers et les pathologies chroniques sontégalement devenues des priorités. Les niveaux épidémiologiques ont changé, il est donc compliquéde dire “il ne faut pas y aller”. Je pense que les structures d’urgence sont ce qu’on appelle le “hub”d’un hôpital, c’est-à-dire la zone, le noyau vers lequel vont se répartir un certain nombre de pathologies.Encore faut-il que la gestion hospitalière soit de bonne qualité… Il y a une certaine aversion intra-hospitalière vis-à-vis des urgences. Cette désorganisation intra-hospitalière est la source desdysfonctionnements majeurs. Il y a des pathologies qui le justifient et d’autres qui ne le justifient pas.Un service d’urgence qui ne cesse d’agrandir sa structure n’est pas la solution. La réorganisation desurgences, comme le reste de l’hôpital, est au cœur de notre préoccupation. Quand on explique à undirecteur d’hôpital qu’avec le recrutement au travers des structures d’urgence il va pouvoir développer uncertain nombre de moyens intra-hospitaliers, il dresse l’oreille. Quand on commence à être comptable, onse rend compte que c’est une source de revenus assez importante pour hôpital. Nous avons maintenantun élan particulièrement fort pour réorganiser l’hôpital dans les années à venir, mais nous ne pouvonsplus attendre. Le personnel est à bout, on lui demande beaucoup alors que les effectifs sont réduits : lenombre de postes vacants dans les hôpitaux est absolument considérable. Les trois spécialités les plusprisées par les internes après l’internat sont la dermatologie, la gynécologie et puis d’autres pathologies.Des spécialités relativement faciles qui permettent une vie peut-être un peu plus tranquille.

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Les urgences àl’hôpital sont une sourcede dysfonctionnementsmajeurs

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« Le juste soin au bon endroit est donc particulièrement important, parce que les besoins ne sont pasforcément les mêmes dans tous les endroits du territoire. Par ailleurs, nous avons un tort considérable,que ce soit aux urgences ou dans le reste de l’hôpital, c’est le manque de cohérence et le manque derespect des référentiels. En ce qui concerne la prise en charge des césariennes par exemple, il y a desréférentiels, et il faut les respecter. Je ne vais pas entrer dans le débat économique, mais il est choquantde constater la surconsommation. Sauf qu’avant de taper sur les doigts de celui qui prescrit, on peutcommencer par la mise en place d’une pédagogie d’accompagnement. Dans notre pays, l’innovation estvalorisée et c’est une excellente chose, mais la prise en charge humaine, qui est moins consommatrice,ne l’est pas. Nous allons revenir aux études médicales qui elles ne sont pas du tout adaptées à cetteévolution. Le plan pour l’hôpital est intéressant mais il faudra, en dehors du numerus clausus donton ne connaît pas encore le fonctionnement, une réforme plus profonde sur le contenu des étudesmédicales, avec une revalorisation de la médecine générale, en évitant “l’hospitalo-centrisme”. »

Même question de Jean-Pierre Vacher à Antoine Vial : « Quel jugement portez-vous sur ce plan ? »

Antoine Vial : « Le sujet est complexe, le regard économique ne suffit pas, le regard statistique enlèvele ressenti et le ressenti est essentiel dans la maladie. Quand on regarde le dossier des urgences en tantqu’expert en santé publique, on découvre que l’offre a disparu : l’obligation de garde qu’on a faitdisparaître pour les médecins généralistes, la fin des dispensaires… On cherche à le remettre en place enchangeant le nom en Maison de santé mais il s’agit de la même chose. Une étude menée à La Rochelleil y a trois ans par l’Union des médecins libéraux de la région montrait une chose évidente :l’intelligence des patients. Effectivement, si j’ai eu une fracture ouverte, je ne vais pas aller voir monmédecin généraliste, de même si je saigne beaucoup et que j’ai besoin de points de suture ou si j’aibesoin d’une imagerie, ma décision sera d’aller à l’hôpital. Le patient est tout sauf un imbécile et ila une intelligence que nous ne prenons pas assez en compte. Je pense que nous ne pourrons refondernotre système que si nous prenons cela en considération. Nous avons évoqué l’intelligence artificielle(IA) et Internet, mais que va-t-il se passer ? Les internes se plaignent de ce que les patients arrivent avec

Doctissimo. Certes ce n’est pas drôle d’être confronté à des imbécillités, et pire àdes discours commerciaux – puisque Doctissimo est un site commercial qui venddu médicament et de la prestation médicale – mais, un jour très proche, des patientsvont arriver avec le diagnostic de l’université du Massachusetts, et quelle réponsealors leur apporter ?

L’information médicale est également un vrai problème. Aujourd’hui, à quel typed’information médicale le patient a-t-il accès ? Il tape un mot sur son moteur derecherche et, parmi les premières références, il trouve Doctissimo et des sites privésdont le modèle économique repose sur la publicité, plus ou moins déguisée. Où est

l’information publique ? Normalement, elle est à la charge de la Haute Autorité de santé, mais elleest morcelée. Si on est à Lyon, on accède à l’information de l’hôpital Édouard-Herriot, à l’informationde l’Agence régionale de santé et à d’autres informations au niveau de sa caisse primaire et de sacomplémentaire… L’information n’accompagne pas le parcours du patient. C’est un vrai problèmequi a été soulevé par l’histoire du Levothyrox, où on a bien vu qu’il y avait un tel défaut d’informationque la santé des patients était mise en jeu. Il y a donc un énorme effort à faire. On ne changera pasla façon d’utiliser notre système de santé, l’offre de soins, sans une meilleure information de citoyensresponsables, qui savent mieux que beaucoup de médecins s’occuper de leur santé.

« Les statistiques ne sont pas toujours suffisantes. L’espérance de vie, par exemple, est bonne, etpourtant elle est en baisse depuis deux ans. L’espérance de vie en bonne santé est aussi en baissesignificative en France depuis quatre ans. Quant au DMP, le dossier médical personnalisé, il a déjàcoûté plus de 500 M€ et il n’y a pas grand-chose. Cela pose également un problème quand onse compare avec les pays voisins. En 2018, la iatrogénie médicamenteuse fait encore 13 000 mortspar an selon une étude de la Haute Autorité de santé. Deux autres études tout aussi sérieuses,dont une du Lien, montent à 35 000 morts par an par iatrogénie médicamenteuse. 195 000 à198 000 hospitalisations ne sont pas programmées et liées à des problèmes de prescription.Ces questions nous ramènent à la formation des médecins.

« Concernant la réforme en cours, la majeure partie de la population peut se reconnaître dansce bilan, que ce soit le citoyen, l’assuré, le patient ou le professionnel de santé libéral ou hospitalier. […]

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Dans l’histoire duLevothyrox, on a bien vuqu’il y avait un tel défautd’information que lasanté des patients étaitmise en jeu

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Le plan annonce une répartition en trois types d’établissements : soins de proximité, soins spécialiséset soins ultra-spécialisés. Il annonce également la fermeture “en cas de danger”, en l’absence d’unmédecin qualifié qui ne permet pas de sécuriser le service. Je mets cela face au taux de vacance, quidésigne les praticiens quand ils ne sont pas là. Cela n’est pas lié au numerus clausus. Ces dix dernièresannées, les cliniques privées ont augmenté de 88 % le nombre de médecins chirurgiens orthopédistesdans leurs établissements, quand l’hôpital public l’a augmenté de 8 % sur la même période. Par ailleurs,l’âge moyen des praticiens hospitalo-universitaires est de 57 ans… Compte tenu de l’âge de la retraiteaujourd’hui, il y a là aussi un problème. Cela pose de vraies questions : que se passe-t-il le jour où unepatiente obèse arrive dans un établissement privé pour une prothèse de hanche ? On va l’orienter versle CHU en évoquant les risques cardiovasculaires encourus. Le médecin ne voudra pas mettre en causesa rentabilité. Je n’ai pas d’idéologie sur le privé ou le public, mais peut-on tout confier, jusqu’auxurgences, au privé ?

« Peut-être que la concurrence actuelle est bonne, mais la concurrence estdéloyale. La réforme prévoit de fermer les établissements dangereux, ceux oùle taux de vacance est trop élevé. Mais, dans certaines spécialités, ce taux peuts’élever à 41 %, et c’est un quart de l’activité en chirurgie orthopédique.Comment faire alors, avec un tel taux de vacance pour trouver les médecins quivont remplir des cases, cinq jours au minimum ? Cela conduira évidemment àla fermeture. Quelque chose est écrit dans le texte mais n’est pas dit : nous allonsfermer des centaines de services hospitaliers publics, et certainement d’hôpitaux.

« En ce qui concerne l’organisation des soins, si le médecin généraliste doit êtremis en avant dans les centres de proximité et assurer un continuum du soin enaccompagnant le parcours de santé, il va falloir le former à bon escient et luiredonner un certain nombre de responsabilités et de devoirs. Si on reconnaît auxmédecins généralistes leur rôle indispensable dans l’organisation des soins, il estimportant de revaloriser leur position dans l’ensemble de notre système. Lorsquel’on paie la consultation d’un médecin généraliste 25 €, il n’est pas étonnant quela consultation ne dure que 7 minutes en moyenne et que de plus en plus depraticiens ne touchent plus leurs patients, ce qui est une ineptie médicale. Alors,effectivement, l’intelligence artificielle sera totalement justifiée… Je vais jusqu’à penser qu’il faudraitmettre le paiement de l’acte des médecins généralistes au même prix que celui des spécialistes.Cela révolte les spécialistes, qui justifient la différence de tarif par leurs quatre années d’étudessupplémentaires. Mais ils sont dans un système qui est remboursé et ils ont des patients solvables.Aussi, je considère les généralistes comme tout aussi importants que les spécialistes, il serait doncnormal qu’ils soient payés de la même façon. Et cela va plus loin. Comment se comporte-t-on quandon a affaire à un médecin généraliste ou à un spécialiste ? Nous prêtons plus d’attention à la parole duspécialiste, car celle du médecin généraliste a été dépréciée. Il n’y est pas pour rien, c’est lui qui a vouluabandonner un certain nombre de choses. Pour moi, la grandeur et l’intérêt de ce métier-là c’est lamédecine interne de l’hôpital. Celui qui faisait de la petite urgence, de l’obstétrique, de la gynécologie – a-t-on besoin d’un gynécologue pour effectuer un frottis vaginal ? –, de la pédiatrie. Nous avonsretourné notre système au fur et à mesure et aujourd’hui il va falloir repartir de l’autre côté. Mais,pour retourner le système, il faudrait que tout le monde soit d’accord. Or j’entends des hospitaliersse plaindre qu’il n’y ait plus d’argent pour l’hôpital… et certainement il va y en avoir moins.

« C’est un vieil atavisme : en parlant de “tous les établissements”, nous évoquons l’hôpital, mais pasle médico-social, pas les EHPAD, ni les maisons d’accueil spécialisées pour les personnes handicapées.Pourtant, ce sont des établissements de soins, et nous avons vu la maltraitance qui touche autantles soignés que les soignants.

« Pour résumer, le diagnostic posé est assez consensuel, pour ne pas dire plus, l’approche thérapeutiqueparaît la bonne, il faut attendre une mise en situation. J’aimerais voir davantage de délégations detâches. Nous en avons parlé avec les infirmiers et les ophtalmologues, il faut repenser les métiers.Mais on se heurte à des corporatismes invraisemblables. C’est le cas quand il s’agit de confier égalementla vaccination aux pharmaciens, les médecins s’y opposent. Y a-t-il une raison objective, scientifique ?Non, car le risque est infime. Cette refonte va se trouver confrontée à des corporatismes qu’il seradifficile de lever. Je pense que c’est par la participation, par le travail collaboratif avec les patients,avec tous les soignants, et pas seulement les médecins, avec les infirmiers qui ont été totalement oubliés,que cela pourra se faire. »

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Question de Jean-Pierre Vacher à Frédéric Bizard : « Partagez-vous ce qui vient d’être dit, notammentsur ces corporatismes, et cette réforme vous paraît-elle être à la hauteur des enjeux ? »

Frédéric Bizard : « Si l’on réfléchit à partir d’un système de contraintes, on est évidemment trèscontraint pour se projeter dans l’avenir. La santé est probablement le secteur le plus complexe àréformer pour un homme politique. Parce que cela concerne l’intimité de chacun, parce qu’il y a desforces économiques et corporatistes extrêmement puissantes… Celui qui voudra réformer le systèmedevra trouver, comme en 1945, une forme de compromis social.

« Je ne pense pas que la santé soit un sujet clivant. Il y a un débat sur la nécessité d’une refonte dusystème : peut-on continuer à essayer d’ajuster l’ancien modèle au nouveau monde ? Ce plan santé estla quatrième réforme que l’on nous propose depuis 2004, et elles sont toutes strictement sur la même

ligne. Et on essaie toujours de montrer qu’il y aura un avant et un après cethistorique. Pourquoi faut-il refondre ? Il y a trois raisons, liées à une tripletransition. Une transition démographique, on assiste à un vieillissementhistorique : entre 2010 et 2035, nous assisterons à un vieillissement sansprécédent de la population. L’ampleur est colossale. Cela entraîne deuxchoses : il nous faut un système qui s’occupe des bien-portants. Dans notresystème, on attend que les gens soient malades pour les soigner et nousavons le pays le plus efficace pour soigner les gens une fois qu’ils sontmalades. Mais nous ne sommes pas passés à la deuxième étape, qui consisteà créer un système qui considère que la santé publique est la priorité dumodèle et que tout le reste dépend de considérations de santé publique.Deuxièmement, la stratégie consiste à repousser la maladie pour amortirle vieillissement. En fait, on ne vieillit pas d’une génération à l’autre, on

rajeunit. Le capital santé d’une personne de 70 ans aujourd’hui est plus élevé que celui d’une personnede 70 ans de la génération précédente. Il y a dix ans, on nous annonçait une épidémie d’Alzheimerépouvantable, mais cela a été évité parce qu’on a réussi à repousser l’âge de contraction de la maladie.À un âge donné, la prévalence de la maladie d’Alzheimer ne cesse de diminuer. C’est une bonnestratégie, et cela signifie qu’il faut changer notre fusil d’épaule en matière de stratégie nationale de santé,et bâtir un pôle de santé publique. Cela n’existe pas aujourd’hui, car en France, à partir des années1980, on a créé une multitude d’agences, une vingtaine, toutes cloisonnées, pour essayer de résoudreles questions de sida, de cancer, etc.

« Mais il n’y a pas de pilote dans l’avion. Notre État ne connaît pas les besoins sanitaires de lapopulation, il ne peut donc pas évaluer les actions sanitaires menées. On considère que tout cequi est hors du système curatif n’a pas d’utilité ni de rentabilité puisqu’on ne peut pas le mesurer.On laisse donc se creuser toutes les inégalités sociales, qui sont beaucoup plus importantes en Franceque dans la moyenne des pays développés, mais pas au moment du soin. Il vaut mieux avoir unemaladie grave dans ce pays que dans bien d’autres pays. Par contre, on retrouve tout le gradient socialdes inégalités en amont du soin, dans l’optimisation de son capital santé. Il faut créer ce pôle de santépublique, avec une volonté politique forte, en réarmant l’État en matière de santé publique, tout enle gardant à distance du pilotage des soins.

« Cette transition démographique entraîne un changement radical par rapport à notre système de santé,changement qui a été réalisé dans la plupart des autres pays. Si l’on regarde les pays anglo-saxonscomme l’Angleterre et les États-Unis, ils ont un système de soins bien moins performant que le nôtremais une culture de santé publique depuis un siècle. Certains pays nordiques ont cette culture de lasanté publique chevillée au corps, bien plus développée que la nôtre. Les ministres au Danemark ouen Suède se déplacent à vélo, les messages de santé publique sont entendus dès la petite enfance.

« La deuxième transition est une transition épidémiologique qui touche tout le modèle social, c’estun système de gestion de risque. Pourquoi avoir un système de santé ? Pourquoi ne pas laisser les genss’occuper eux-mêmes de leur santé et de leurs soins ? Ce système de gestion de risque doit être collectifpour être efficace. Or ce risque s’est considérablement transformé. On est passé de risques courts à desrisques longs. On ne peut pas avoir la même conception du système de retraite quand il protège vingt-cinq ans de la vie des individus que quand il en protège dix, voire moins au moment de sa conception.Près de 11 millions de Français souffrent d’affections de longue durée et vont vivre des années durantavec une pathologie dont les coûts vont être démultipliés. Cela parce que la durée de vie s’allonge,

VIII

En fait, on ne vieillitpas d’une générationà l’autre, on rajeunit.Le capital santé d’unepersonne de 70 ansaujourd’hui est plus élevéque celui d’une personnede 70 ans de la générationprécédente

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ce qui est une excellente nouvelle, car on arrive à chroniciser ces pathologies, et parce que lestechnologies permettent aujourd’hui de mieux soigner mais pas encore de guérir. Foucault l’avaitévoqué, en parlant de ressources finies pour des besoins infinis. C’est plus que jamais le cas aujourd’hui.On est incapable de proposer toutes les nouvelles technologies à tout le monde. Mais le système doittendre vers cet objectif. Cela signifie que si l’on veut sauver l’hôpital public, il faut être obsédé parla bonne utilisation de l’argent public. Nous pouvons abandonner la T2A, mais comment va-t-onla remplacer ? Par le budget global ? La dotation globale d’avant ? Est-ce que les hôpitaux qui dépensentle plus sont ceux qui auront le plus l’année suivante ? De même pour le paiement à l’acte, le problèmen’est pas de le supprimer mais de le diversifier. Il vaut mieux qu’un médecin soit payé à l’acte pourdu soin courant, pour recevoir ses patients convenablement, plutôt qu’il soit payé à la capitation.La capitation est excellente pour la prévention parce que le médecin a intérêt à recevoir ses patientsle moins longtemps possible et à ce qu’ils soient en forme. Ce changement de risque-là oblige à ceque Kant appelait “sortir l’individu de l’état de minorité”. Il faut donner les clés du camion, renforcerle pouvoir des individus par rapport à la santé. Parce qu’à partir du moment où ce risque estextrêmement long, chacun doit être le pilote pas simplement de sa santé quand on est bien portant,mais de sa santé quand on a une pathologie, parce qu’on va vivre avec pendant des années. C’est unevéritable refondation, l’ordre médical doit complètement changer. Cela n’impacte pas seulementles métiers, mais l’ensemble des structures, des liens entre les structures, la façon de les concevoir.

« La troisième transition est technologique. La technologie aura les impacts que les hommes luiattribueront : ce ne sont pas encore les robots qui vont décider de l’organisation de la médecine.Il ne faut donc ni la subir ni la craindre, mais la prévoir et l’intégrer dans les systèmes. Elle permettrade résoudre les deux premières transitions qui ne sont pas faciles, et d’aider clairement pour la première

transition : rendre les gens capables d’optimiser leur capital santé,rendre l’information accessible à tous. C’est une véritable lacuneen France par rapport aux autres pays. Rien ne nous empêche deproposer une offre publique d’information à la santé, mais noussommes confrontés un problème de vision politique. Nous sommescapables de faire aussi bien que les autres : nous avons les ressourceshumaines, les ressources technologiques, les ressources financières.

« Concernant l’hôpital, c’est une chance d’avoir des cliniquesprivées, car si on veut faire vivre cette liberté de choix des patientsdans le secteur hospitalier, on ne peut pas avoir un secteuruniquement public. La concurrence doit être régulée, le problèmene réside pas dans la nature de l’opérateur mais dans la qualité dela régulation. Le public peut très bien être défaillant à remplir desobjectifs de santé publique, ou des objectifs sociaux, comme le privépeut être très performant à remplir ces objectifs sociaux. Sousréserve qu’une régulation impose au privé de bien respecter lesobjectifs sociaux, c’est ce que l’on appelle la délégation de service

public. Au cœur de notre système de santé, elle rend le système extrêmement complexe parce que cetterégulation est difficile. Aujourd’hui se profile la destruction de l’hôpital public. Ce n’est pas unevolonté, ni de la gauche ni de la droite, mais c’est ce qui arrive par l’absence de réformes. Or la qualitéde notre système hospitalier dépendra de la force de notre système public. Cela parce qu’il y a descompétences exclusives en matière de santé publique, et ces ordonnances de 1958 qu’il faut faireévoluer. Elles sont extrêmement structurantes et font que l’excellence en soins, l’excellence en formationet l’excellence en recherche partent de l’hôpital public.

« Selon nous, il y a trois piliers à revoir. Au premier niveau, la gouvernance et le management.Notre système de santé dysfonctionne, un mot garantit l’échec de tout système économique : c’estla gouvernance. Le système a trois têtes aujourd’hui : l’État pour l’hôpital public, l’Assurance maladiepour la médecine de ville et la Caisse nationale de santé et d’autonomie pour le médico-social.Au niveau régional, par contre, avec les Agences régionales de santé, on a tout mis sous la tutelle del’État. On constate donc une discordance qui est une garantie d’échec. En ce qui concerne l’hôpital,on a l’expression des conséquences d’un étatisme excessif dans l’organisation opérationnelle des soins.Certes, il faut un État stratège fort en santé publique, mais plus l’État commence à s’occuperd’organisation et plus on observe une perte d’efficience. Il faut repenser cette gouvernance.Si l’État ne pilote pas les hôpitaux, qui s’en charge ?

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REPENSER LES STRUCTURES HOSPITALIÈRESSELON TROIS MODÈLES QUI SE DÉVELOPPERONT DEMAIN

« Concernant le management interne des hôpitaux, la loi de 2009 est un échec complet : cettegouvernance d’entreprise que l’on a voulu instaurer en pensant qu’il suffit de mettre un directeuradministratif qui décide de tout à la tête de l’hôpital pour que ça fonctionne… on peut reconnaîtreque c’est un échec ! Il faut donc repenser cela et ce n’est pas très difficile. Ensuite, il faut faire évoluerces ordonnances de 1958 en sortant de l’illusion de cette triple valence assurée par chaque PU-PH.Il est illusoire de faire porter sur un seul homme des projets de recherche, d’enseignement, etc.Il faut revoir la gestion des carrières, avec un maximum de deux valences. Le praticien hospitalierqui passe 100 % de son temps à l’hôpital doit repenser sa gestion de carrière pour qu’elle ne soit pasmonolithique : il sait même combien il va gagner tous les quatre ans puisque le système est uniquementlié à l’ancienneté… Avec ces carrières, il faut repenser la façon dont cette triple mission va être remplie.Enfin, il faut repenser les structures hospitalières. Trois modèles hospitaliers se développeront demain :l’hôpital ultra-spécialisé, la tête de pont, qui sera un CHU rénové, tourné vers l’excellence. Puis l’hôpitalspécialisé, de plus en plus ambulatoire et ouvert sur la ville, et l’hôpital de proximité, pour les personnesfragiles ou âgées. Il est important de différencier ces trois structures pour allouer les ressources à desstructures d’avenir plutôt qu’à des structures du passé. Quand je vois qu’on est encore en train de bâtirdes hôpitaux généralistes, quel gâchis d’argent public ! Aujourd’hui, ce sont les personnels hospitaliersqui les paient en étant sous-payés.

« Il y a donc beaucoup de pédagogie à faire parce qu’il faut convaincre les citoyens et les responsablespolitiques. Trouver un compromis social pour demain est une absolue nécessité. Le but n’est pas defaire des économies, l’économie n’est qu’une conséquence d’un système plus efficient. »

Jean-Pierre Vacher : « On a bien entendu, Jean-Louis Touraine, que vous ne vouliez pas intervenir entant que député, que parlementaire, mais comment l’homme de santé que vous êtes perçoit-il ce plan, et comment pensez-vous que l’on peut encore l’améliorer ? »

Jean-Louis Touraine : « Je suis député de la majorité, je partagedonc beaucoup d’idées émises mais je vais m’en exonérer en partie.Par ailleurs, en tant que vice-président de la Fédération hospitalièrede France pour la région Auvergne - Rhône-Alpes, j’ai unesympathie particulière pour l’hôpital. Mais je m’exprime en tantque praticien de terrain de l’hôpital, que j’ai été pendant unecinquantaine d’années. Je ne suis pas économiste de la santé, etpeux donc émettre des opinions critiquables, mais le fait de nepas être confronté aux difficultés budgétaires au quotidien autorisepeut-être davantage d’imagination. L’hôpital a été décrié, et on a pului reprocher de représenter une fraction de notre budget de santéplus importante que dans beaucoup d’autres pays à développementcomparable. C’est un fait, mais on ne demande pas la même choseà l’hôpital français qu’aux hôpitaux des autres pays, et ce pour uneraison historique. Petit à petit, l’hôpital non seulement remplit lesmissions qui sont les siennes, mais en plus de toutes les maladiesimportantes, du fonctionnement du plateau technique sophistiqué,de l’innovation, de la recherche, de l’enseignement, des urgences,

etc., l’hôpital a dû combler toutes les défaillances des autres champs de la santé. Défaillance de la santépublique, défaillance de la prévention, défaillance de la permanence des soins… Depuis maintenantquelques décennies, les médecins installés n’ont plus l’obligation de participer à la permanence dessoins, il n’y a donc souvent plus d’autre endroit où aller qu’à l’hôpital. Par ailleurs, le malade préfèreparfois choisir une consultation hospitalière sur laquelle on ne lui demande pas d’avance definancement. Enfin, à cause de la désertification médicale dans certains territoires de métropole oud’outre-mer, l’hôpital est parfois le seul endroit de soins. Si l’hôpital est aujourd’hui considéré commeattirant une partie substantielle du financement de la santé, c’est parce qu’il est le seul acteur majeurayant pallié toutes les défaillances de tous les autres systèmes. Il ne le fait pas bien partout, mais il faitdes choses qui, ailleurs, ne lui sont pas dévolues.

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« Depuis plusieurs années, l’Ondam (Objectif national de dépenses d’assurance maladie) pourla médecine de ville est en progression plus grande que l’Ondam pour l’hôpital. Chaque année,la fraction d’argent attribuée à l’hôpital diminue par rapport à la fraction donnée au secteur extra-hospitalier. Cela fonctionne à condition que l’on oblige tel ou tel acteur du secteur extra-hospitalierà prendre des gardes, à s’occuper de la permanence des soins, etc. Mais cela n’a pas été fait, et lesurgences hospitalières continuent d’augmenter en imposant une activité de plus en plus considérable,sans que les financements progressent comparativement. Il faut effectivement transformer l’ensembledu système de santé, pour confier à nouveau aux autres acteurs la part qu’ils n’auraient jamais dû laisser.

Nous allons voter les mesures annoncées par le gouvernementet analyser le projet de loi de financement de la Sécurité sociale en y apportant des amendements. Le projet sera donc modifiépour mieux coller à diverses réalités. Mais tout cela ne sera pasperceptible avant dix ans en moyenne. Prenons le numerus clausus,écarté en 2020, cela concernera des médecins opérationnelsen 2030, et qui ne seront installés dans les déserts médicauxqu’en 2040. Le temps d’installation d’un médecin, après la thèse,est de dix ans environ, période où il exerce des remplacements,des intérims, mais n’est pas installé.

« Ainsi les mesures prises aujourd’hui n’auront pas d’effet à courtterme. Par ailleurs, le développement des pratiques avancées chezles infirmiers est une chose remarquable qui évitera à certains

médecins des actes qu’ils n’ont pas vocation à faire et qui seront bien mieux effectués par des infirmiers.Par exemple, les Anglais ont montré dans une publication récente que les coloscopies effectuées parles infirmiers présentent beaucoup moins de complications, moins de perforations de l’intestin, quequand elles sont faites par des médecins. Ce n’est pas que les infirmiers soient plus précautionneux, mais quand ils font une coloscopie ils ne font que cela alors que le médecin ou le chirurgien, quiest souvent débordé, n’a pas la même attention. Là encore, les infirmiers qui poursuivront leurs étudesavec un cycle de formation complémentaire ne seront pas en poste avant cinq ou six ans.

« Je crois donc qu’une correction importante aujourd’hui est bénéfique, mais pour autant elle n’aura pas d’effet à court terme. Or l’hôpital d’aujourd’hui est en grande souffrance, il est menacé d’implosion.Et c’est le cas de l’ensemble des établissements médico-sociaux. Cette crise majeure touche lefonctionnement et les personnels des EHPAD autant que ceux des hôpitaux publics. Jusque dansles années 1930 en France, l’hôpital était le lieu d’accueil des indigents, la médecine n’y était pasperformante, même s’il y avait des premières médicales mondiales et des célébrités reconnues. Mais ce n’était pas le lieu de la prise en charge optimale que nous connaissons depuis. La fin des années 1930a déjà vu une première modification avec le classement des hôpitaux en trois catégories : en fonction des villes où il y avait une faculté, des hôpitaux de taille intermédiaire et des hôpitaux “de troisièmecatégorie”. Cette disposition a été prise en 1940, mais le fonctionnement à l’hôpital était encore trèsintermittent. Ce sont les ordonnances de 1958 qui ont transformé les choses. Ces ordonnances ont étéréfléchies par le Conseil national de la résistance, à Londres, sous la houlette du professeur RobertDebré entouré du groupe des 13. Ces médecins étaient mendésistes, progressistes, jeunes, et ilsessayaient de développer un système original en tirant parti de leurs expériences à l’étranger. Ce projeta été présenté en même temps que le projet de création de la Sécurité sociale en 1945. Il n’a pas étéretenu, seule la Sécurité sociale l’a été, et pas de très bon gré. Elle s’est imposée avec le temps etaujourd’hui plus personne n’oserait la remettre en cause. Pour les hôpitaux, l’inertie a été beaucoupplus grande, puisque le projet élaboré par le travail des 13 s’est prolongé pendant les années 1950 pourn’aboutir qu’en 1958. Il a fallu ensuite plus de dix ans pour que ce projet soit approprié. En 1969encore, une grande majorité de médecins hospitaliers refusait de pratiquer le temps plein à l’hôpital.C’était l’élément essentiel : les médecins devaient pratiquer à temps plein à l’hôpital. Nombre d’entreeux refusaient, car ils pensaient leur clientèle privée plus rémunératrice que leur salaire hospitalier etuniversitaire. À l’époque, tous les médecins hospitaliers dans les villes universitaires étaient en mêmetemps universitaires. Il n’y avait pas de praticien hospitalier non universitaire. On s’est rendu comptepar la suite que les besoins n’étaient pas identiques, et il a fallu compléter le dispositif. Les chosesont évolué depuis et, à cette triple mission de soin, d’enseignement et de recherche, on a ajoutéla participation à la gestion de l’hôpital, et des missions de prévention et de santé publique.

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Le développement despratiques avancées chez les infirmiers est une choseremarquable qui évitera à certains médecins desactes qu’ils n’ont pasvocation à faire et quiseront bien mieux effectuéspar des infirmiers

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« Aujourd’hui, il est impossible de remplir correctement toutes ces missions. Les étudiants sont lespremiers à s’en plaindre et à dénoncer les professeurs d’université auxquels ils reprochent de ne pas faired’enseignement de terrain, au quotidien. Il faudrait répartir différemment ces missions : chacun devraitcontribuer aux soins et, en plus de cela, les uns feraient plus d’enseignement, les autres plus derecherche, et peut-être de la santé publique… Mais si l’on veut traverser cette prochaine décennie dansde bonnes conditions, il faut mettre en place un dispositif qui permette de redorer le blason de l’hôpital.

On ne fait pas de réforme sans moyens, parce qu’une réforme nécessite dedépenser de l’argent pour le projet futur, mais aussi pour continuer à fairevivre le système avant sa mise en place. Il faut donc trouver des moyens etaccepter le fait que l’hôpital, au cours des prochaines années, sera encore lepremier consommateur de moyens pour la santé dans notre pays. Peut-êtrequ’il faudrait également, pour cette période à venir, sortir de notrejacobinisme et imaginer un système décentralisé, au moins à titreexpérimental. Aujourd’hui, l’hôpital est soumis à l’ARS (Agence régionalede santé), laquelle est soumise au ministère de la Santé, lequel est soumisau gouvernement de la République, un système pyramidal, ultra-jacobin,

qui doit faire fonctionner de la même façon l’hôpital de Rodez, celui de Chambéry et l’AP-HP(Assistance publique-Hôpitaux de Paris). Si quelques hôpitaux, pendant plusieurs années, avaient unemission et un fonctionnement différent qui était évalué, corrigé et amélioré, ce système décentralisédonnerait enfin toute responsabilité à l’hôpital, ou au groupement hospitalier d’un territoire. Un telfonctionnement aurait pour mission de trouver un équilibre avec des moyens donnés un petit peusupérieurs, et avec une obligation de résultats. Cela impliquerait la même modification de rééquilibrageentre la T2A et les autres modalités de financement. Il ne faut pas se priver des bénéfices la T2A, maisne pas non plus en faire le seul moyen de financement parce que c’est un système très inflationnisteet inapproprié qui a favorisé l’augmentation d’actes non pertinents. Les hôpitaux seraient ainsi pilotésconjointement par une équipe de direction administrative et par une équipe médicale, et pas seulementun directeur, patron d’entreprise, et un président de CME (commission médicale d’établissement).Il faut bien entendu régler les conditions d’arbitrage en cas de conflits, mais il peut y avoir une équipede plusieurs médecins, comme il peut y avoir plusieurs sous-directeurs épaulant le directeur dansles décisions délicates.

« La première urgence et d’entendre la souffrance des personnels paramédicaux et administratifs,de les faire davantage participer à cette évolution. Aujourd’hui, ils n’ont pas de reconnaissance, pasde gratification et aucune considération malgré tous les efforts qui leur sont demandés, et ce manquede considération contribue largement au défaut d’attractivité de l’hôpital. S’il y a aujourd’hui très peude médecins dans les hôpitaux et peu de recrutement d’autres personnels, c’est parce qu’ils vont versd’autres secteurs et parce qu’ils ne s’estiment pas considérés dans leur activité professionnelle. Cela nevaut-il pas la peine de mettre en place un système différent dans certains hôpitaux et d’évaluer chacund’entre eux ? Nous savons qu’un étudiant s’améliore grâce à l’évaluation, il en va de même pour lesprofesseurs et directeurs. Si, dans un système de responsabilisation, l’évaluation est conduite, il fautlaisser tranquilles ceux qui maintiennent le cap et aider les autres à rectifier la gestion de leur budget. »

Jean-Pierre Vacher ; « Merci beaucoup, Jean-Louis Touraine. Nous allons prendre maintenant quelquesquestions. »

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CD

Il faut accepter lefait que l’hôpital, au coursdes prochaines années,sera encore le premierconsommateur de moyenspour la santé dans notrepays

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Question – Je suis naturopathe, de formation scientifique. Est-ce que, dans cette réforme, la naturopathie, la médecine chinoise, le bien-être, le yoga, etc. vont être pris en compte ? Vous dites qu’il faudra vingt ansavant que cette réforme soit mise en place, mais vingt ans c’est trop long. Je vois tous les jours en consultationdes gens qui vont très mal. Y aura-t-il enfin une collaboration entre les médecins et les médecines naturelles,ainsi que la recherche scientifique ?

Jacques Kopferschmitt : « Je suis chargé de mission par le président de l’Université pour développerl’implantation, la recherche et l’enseignement. Il manque dans notre pays l’impulsion d’une véritablerecherche scientifique dans le domaine des thérapies complémentaires. Elles ne sont pas touteséquivalentes, certaines sont un avantage culturel important et ont fait leurs preuves. En Allemagne,la médecine intégrative est fondamentale. Une charte a été signée par de nombreux pays européens,mais pas encore par la France, pour le développement de lamédecine intégrative. Nous sommes actuellement dans unepolémique gravissime, mais justifiée, car il faut poser des jalonset l’hôpital ne veut pas incorporer n’importe quoi. Or cesdifférentes thérapies entrent à l’hôpital par les paramédicaux,mais on ne peut pas continuer sur ce mode-là. Il ne faut pasdésespérer, parce que ces approches thérapeutiques ont unintérêt pour le patient, mais aussi pour le personnel. Laméditation de pleine conscience, par exemple, est bénéficiaire.Dans mon CHU, deux séances hebdomadaires sont accessiblesà l’ensemble du personnel, y compris le personneladministratif. C’est quelque chose qui va prendre un certaintemps. Pour l’instant, il est difficile d’intégrer le bien-êtredans le soin normal, ce n’est pas quelque chose qu’on enseigneà la faculté de médecine. Les cancérologues l’ont compris etje pense que cela évolue. »

Jean-Louis Touraine : « J’avais demandé au précédent ministre de la Santé de la République populairede Chine : « Comment faites-vous pour intégrer dans vos hôpitaux en même temps la médecine dite“occidentale” et la médecine chinoise ? » Il m’a répondu qu’ils les évaluent de la même façon, selonles principes de l’evidence based medicine, c’est-à-dire une médecine basée sur les preuves. Les maladessous traitement conventionnel ou de médecine chinoise sont évalués en comparaison avec des patientsqui prennent un placebo ou un autre traitement. Sont ensuite retenus tous les traitements efficaces,quels qu’ils soient. Les traitements de médecine chinoise sont souvent moins onéreux, avec uneefficacité égale. Pour ce qui nous concerne, je crois qu’il faut adopter la même démarche. Si les étudesscientifiques prouvent les bienfaits d’un traitement, il n’y a pas de raison d’en priver des malades.Cette amélioration tient parfois à une preuve concrète et chiffrée, mais parfois c’est une évaluation duconfort et du bien-être, avec pour base des échelles, comme celle utilisée pour la douleur. Si une mesuresemble avoir plus d’effet que le placebo, il y a une chance pour que l’efficacité existe. Il faut doncconsidérer cette possibilité, sans se laisser envahir par des pratiques inefficaces ou indirectementdangereuses dans la mesure où elles risqueraient de priver certains malades de soins efficaces. »

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DES QUESTIONS DANS LA SALLE

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Q. – Je suis gériatre au CHU de Lyon, j’ai une interrogation sur le positionnement de la gériatrie, parent pauvre de la prise en charge ambulatoire et hospitalière. Je souhaiterais éclaircir la sémantique. La gériatrie n’est pas le long séjour ni l’EHPAD, c’est la prise en charge des malades âgés polypathologiques.Les maladies chroniques explosent parce que nous ne guérissons pas les gens, nous leur permettons de vivre avecleur maladie. Je pense que le sujet âgé a besoin de haute technologie, car nos gestes sont de plus en plusavancés. Je crains que l’on ne marginalise au premier et au deuxième niveau la prise en charge des sujets âgés,qui est éminemment complexe, et pour laquelle notre formation est peu développée. Ma deuxième questionconcerne la schizophrénie entre la réforme des études médicales et le plan. La communication entre les soignants va être difficile parce que chacun restera sur ses rails.

Antoine Vial : « Il y a une vingtaine d’années, quand les EHPAD ont émergé, on y entrait vers 65 ans.Aujourd’hui, la moyenne d’âge d’entrée frôle les 85 ans : les EHPAD deviennent des maisons de finde vie. Il faudrait réfléchir à la question de la fin de vie, où se passe-t-elle ? L’attente de la population

est de finir ses jours à domicile. Mais, sur 83 % de gens qui souhaitent mourir à lamaison, seulement 30 % environ y parviennent. Cela parce qu’un accident se produit,suivi d’une hospitalisation, et qu’il n’y a pas d’intelligence collective mise au profit decette population, qui pourtant s’accroît. Il y a là un irrespect vis-à-vis de cette population,et je n’ai pas vu dans la réforme la question de la destination des EHPAD. Aujourd’hui,ce sont effectivement les endroits où l’on meurt, or les protocoles de médication de finde vie y sont très peu appliqués. Il y a là un problème de formation, de destination desétablissements et de l’ensemble de l’organisation puisqu’elle ne répond pas à nos besoins,à nos demandes et à nos attentes. Quant à la formation, le stage de six mois chez lemédecin généraliste enseignant sera maintenu, ce qui est indispensable. Dans l’Aveyron,les déserts médicaux sont nombreux, et les endroits où il n’y a pas de déserts médicauxsont ceux où l’on trouve un médecin généraliste enseignant. C’est le cas à Laguiole où

un médecin généraliste enseignant s’est installé. Les internes qu’il reçoit pour six mois découvrent larichesse de ce métier et, pour certains, s’installent.

« Lorsqu’une personne âgée est à domicile, on rencontre des problèmes moteurs, notamment ence qui concerne le lever et le coucher. On fait alors appel à des personnels soignants, et c’est ce quiva occasionner le fait de se retrouver en EHPAD, alors qu’on n’en a pas la volonté. Dans un certainnombre de centres de Soins de suite et de réadaptation (SSR), des rails de transfert permettent lesdéplacements du lit jusqu’au fauteuil, du fauteuil à la douche, ou au salon… C’est beaucoup plusconfortable pour la personne, mais douloureux pour les soignants qui souffrent de dorsalgie.Mais les rails de transfert sont une solution. Où est la recherche en innovation, en technologiequi permettrait incontestablement des maintiens à domicile plus nombreux ? Il existe un certainnombre de choses que l’on pourrait faire dans l’intérêt du patient et qui ont également un intérêtéconomique. C’est est une illustration du fait que la gériatrie et les patients âgés sont effectivementles parents pauvres de notre système. »

Jean Matouk : « Quand on voit ce qui se passe dans les EHPAD, je me demande s’il ne faudrait pasdévelopper le suicide assisté dans la loi de bioéthique. Dans une émission récente d’Élise Lucet surles EHPAD, deux établissements ont fait l’objet de comparaisons. L’un qui coûte 2 300 € par mois etl’autre 3 500 € par mois. Il s’avère que les gens étaient plus mal traités dans l’EHPAD le plus onéreuxparce que le groupe économique qui détient ces EHPAD exige 8,7 % de rentabilité. On constate que,dans les pays du nord (Danemark, Suède et Norvège), il y a un membre du personnel pour un résidentdans les EHPAD. Ce n’est pas le cas chez nous et ça relève d’une question de moyens.

« Le professeur Grimaldi, diabétologue, a dit dans une interview qu’il y avait selon lui trois modesde financement de l’hôpital : garder la T2A pour les urgences et pour un certain nombre d’actes,reprendre le prix de journée pour la gériatrie et instaurer le forfait pour les affections de longue durée. Je pense effectivement qu’il faut s’orienter vers cela. »

Frédéric Bizard : « Concernant la gériatrie, nous sommes face à un véritable échec des pouvoirs publics,qui ne saisit pas cette chance que représente le vieillissement de la population pour développer la silvereconomy. Il faut là aussi de mon point de vue changer complètement le paradigme de la population parrapport à ce vieillissement. Nous avons un vieillissement en bonne santé, avec une dégradation de l’étatde santé qui peut être en grande partie tempéré par l’innovation technologique. Et nous en sommes

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Aujourd’hui,les EHPAD sonteffectivement lesendroits où l’on meurt,or les protocolesde médication de finde vie y sonttrès peu appliqués

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toujours à cette culture très hospitalo-centrée, avec une liberté de choix relativement réduite entrela maison et l’EHPAD. Les spécialistes du vieillissement montrent qu’on peut maximiser l’autonomiedes individus jusqu’au bout. C’est un véritable objectif que de permettre une décision autonomede son choix de fin de vie. C’est quelque chose que l’on fait peu. Plus on vieillit et plus on est prisdans un système de contraintes financières ou institutionnelles. D’autres pays ont développé une offreabondante avec l’adaptation du domicile ou l’installation dans un domicile adapté. En France, toutela silver economy autour de la domotique, des alertes, etc. est en friche. Il y a là un potentieléconomique et social qui n’est pas exploité. Pourquoi n’est-il pas exploité ? Parce que nous sommes prisdans un fatras organisationnel pour tout ce qui touche au médico-social et à la gestion du grand âge…Entre l’État, l’Assurance maladie, la CNSA (Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie), lesrégions, les départements et les communes, le système n’est pas du tout organisé. Cela est vrai pourune entreprise, un hôpital, un ministère ou une région, quand il n’y a pas de pilote dans l’avion oude structure de gouvernance clairement définie, ça ne peut pas fonctionner. C’est donc un énormegâchis et il faut une régulation car l’absence de régulation des acteurs privés est absolument scandaleuse.Le privé a pris une grande partie de la valeur de ce qu’il pouvait obtenir de cette situation en tirant surles retraites, en mettant à contribution les descendants sur les successions, etc. Il y a là une gouvernanceà réinventer et il y a urgence. »

Jean-Pierre Vacher, pour conclure, souhaiterait que l’on dise quand même un mot sur les médecinescomplémentaires.

Jacques Kopferschmitt : « Concernant les médecines complémentaires, nous sommes dans une périodede discussion et d’ouverture. Il faut tenir compte du fait que, dans certains pays, on traite quasiexclusivement avec des thérapies complémentaires. Au Mali, par exemple, on a considérablementamélioré la prise en charge du VIH grâce à cette approche. Si la culture médicale ne se fait pas, onn’avancera pas, ou alors au travers d’officines qui ne seront pas labellisées. Je n’approuve pas ce qui a étédit sur l’evidence based medecine. On ne peut pas appliquer la recherche d’un médicament lambda auxthérapies complémentaires, il faut envisager une autre forme, et des propositions sont faites en ce sens,qui tiennent compte de certains éléments sociologiques, anthropologiques… Il faut revenir à unerecherche qualitative et à l’utilisateur qui est l’élément clé. Il faut revenir à des observations singulières,et les services de l’État qui s’en occupent sont en train de changer leur culture. Les thérapiescomplémentaires se font sous la pression des utilisateurs, qui sont demandeurs, et qui sont peut-êtredéçus par la médecine actuelle. Quand il s’agit de santé publique, il faut essayer d’avoir une visionassez globaliste. Une population qui va mieux est un objectif de santé majeur, et en cela les thérapiescomplémentaires sont un apport. Il n’est pas important de connaître le mécanisme d’action d’unmédicament lorsqu’on connaît les résultats cliniques. En cancérologie, les thérapies complémentairespermettent de passer à travers les mailles d’un certain nombre d’effets indésirables. Les étudiants enmédecine ne connaissent absolument rien des plantes alors que toute la pharmacopée est fondée sur

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les plantes… Actuellement, nous sortons d’une logique de l’industrie chimique pour partir vers lagénétique, mais nous oublions les plantes. L’herboristerie est le fondement même de la thérapie actuelle.400 thérapies complémentaires sont référencées. En 2013, l’Académie de médecine a validé globalementl’hypnose et autres ; de son côté l’Inserm, avec Bruno Falissard, a mené de nombreux travauxintéressants qui ne montrent pas d’efficacité au sens strict du terme, mais des effets cliniques évidents.Les hôpitaux doivent revoir leur culture parce qu’il est extrêmement valorisant d’ajouter une plus-valueà l’activité professionnelle d’un soignant, à condition de respecter des règles de sécurité. Certains paysont tranché, c’est le cas de la Suisse, après une votation en 2009 pour introduire certaines pratiques,mais en France on peine à imaginer de rembourser la médecine anthroposophique, par exemple,ce serait considéré comme le diable ! Dans certains pays d’Amérique centrale, l’utilisation des plantesa permis de passer à travers un bon nombre de pathologies.

« Même si maintenant la consommation d’antibiotiques a un petit peu baissé (de 1 % environ),le problème reste entier. Plusieurs bactéries bien identifiées montrent que l’on n’a pas de traitement.Dans la prévention d’un certain nombre de maladies, notamment les maladies nosocomiales, il est peut-être possible de faire autrement. Les hygiénistes s’intéressent par exemple à l’utilisation d’un certainnombre d’huiles essentielles dans la prévention de ces infections redoutables, car certaines ont unpouvoir anti-infectieux ou anti-inflammatoire particulièrement puissant. Je remercie l’Académie demédecine d’appeler ces traitements “complémentaires” et non “alternatifs”. La naturopathie est un modeexistentiel extrêmement intéressant mais nous en sommes encore assez loin en France. La nutrition quel’on nous apprend actuellement est une macro-nutrition, c’est assez grossier, alors que tous les élémentsde micro-nutrition sont particulièrement importants à connaître, et nous ne les connaissons pas.Cela renvoie à la nécessité d’une culture précoce des jeunes sur le sujet, avec une labellisation.Un positionnement clair doit être tranché, mais les autorités n’ont pas cette compétence. L’universitéavance de son côté, mais elle se fait taper sur les doigts. Je suis très content que le président de laconférence des doyens ait pris une position claire en disant : « Regardons ce qui se passe, ne soyonspas négatifs. » Je suis plein d’espoir sur ce sujet. »

À Romain Migliorini de conclure en remerciant les participants à cette matinée de réflexion :« L’hôpital est au cœur de notre système de soins, mais affaibli par des réformes successives quimalmènent le budget, l’investissement, l’organisation et la qualité des soins. En regard des décisionsque comporte la réforme en cours, nos débats ont permis de mesurer la complexité des enjeux humains,économiques, techniques et leurs interactions. La priorité est double : prodiguer des soins de qualité,adaptés, utiles, dans une organisation rigoureuse, fiable et efficace. Le chantier est ouvert, il y a urgence.Restons vigilants, exigeants, mais positifs. »

Huitième colloque d’économie de la santé organisé par la MTRL et l’association Charles-Gide le 29 septembre 2018 à LyonXVI

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Après, on arrive vers du positif, à un stade où vous vousrendez compte que vous n’avez plus de perturbations.Exemple : « Je n’ai plus mal quand je repense à ma mère.Elle est morte il y a maintenant six mois, mais je n’arrivaisplus à vivre, à me lever le matin sans penser à elle. Et là,quand j’y repense, je ne vois plus que les bons souvenirs.C’était vraiment quelqu’un que j’aimais très fort, mais lelien a changé. » C’est ça le travail de l’EMDR : le lienchange, mais on n’oublie pas.Une fois que ce positif est arrivé, qu’on l’a ancré et qu’il

est vraiment habité par la personne, on va aller l’installer,le renforcer encore plus, toujours à l’aide des mouvementsoculaires. Et quand la pensée est vraiment là, vraimentancrée, et qu’on est sûr d’être tranquille avec ça, qu’on n’aaucune perturbation, on passe à une phase qu’on appellele scanner corporel. C’est-à-dire qu’on va aussi chercher si,quand vous pensez à cette situation, votre corps renfermedes perturbations bloquées. S’il y a quelque chose, oncontinue jusqu’à ce que la perturbation soit épuisée etqu’elle disparaisse.Cette manière de faire, on l’exécute systématiquement

pour chaque cible et, une fois que tout est bien traité, laséance est terminée. On débriefe, et après on se dit que, laprochaine fois, on visera une autre cible. Si la cible n’a pasété retraitée pendant la séance complète, on reprend là oùon en était, on ne va pas trop vite, on laisse du temps…Mais c’est vous qui faites le travail, le thérapeute est làpour guider le travail.

Quelle est la durée moyenne du traitement ?La durée du traitement est quelque chose d’aléatoire. Celadépend du type de soins, du type de pathologie qu’on doittraiter. Quelqu’un qui a des capacités d’élaboration trèsfortes, qui a déjà fait de la psychanalyse, qui a déjà eu desthérapies, va peut-être être plus accessible, parce qu’il auradéjà des cibles et des problématiques en tête.

Après, il y a des personnes qui sont aussi beaucoup dansle contrôle, qui aiment avoir leurs affaires bien rangées,qui ont besoin de contrôler leurs pensées, ce qui est rassu-rant ! Mais ce qui est rassurant peut parfois bloquer letravail. C’est pour cela que les techniques de sophrologie,d’hypnose et de cohérence cardiaque sont très importanteset vont aider le patient à aller dans le lâcher-prise, etpouvoir aussi travailler en EMDR.Parfois, il y a des déblocages très rapidement, mais

c’est souvent pour les traumas avec un grand “T”, pourtout ce qui est “bombe atomique” ou grandes catas-trophes de ce type.Pour terminer, et comme je vous le disais en commen-

çant, il n’est jamais trop tard pour guérir, vous n’êtes pascondamné à souffrir. Quel que soit votre niveau de souf-france, ce n’est pas un fardeau que vous devez traînertoute votre vie.L’EMDR reste un outil thérapeutique dans une boîte à

outils. Il n’y en a pas qu’un seul quand on doit travailler :on prend un outil, on fait le travail à effectuer, maisparfois on a besoin de détente et d’auto-soins à domicile,de refaire des exercices de relaxation, et puis, avant tout,de pouvoir demander de l’aide.Cette thérapie s’appuie sur les ressources du patient,

aussi utilise-t-on des techniques en dehors des séances dedésensibilisation pour renforcer les ressources. Des tech-niques comme la technique de l’éponge, c’est-à-dire pren-dre plusieurs qualités, les souder ensemble et les ancrerdans le mental.

Enfin, avant d’être en confiance, vérifiez bien que lapersonne auprès de qui vous êtes est bien agréée par lesystème de formation ! �

Dr Anne Dumont, psychiatre

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Nouvelle approche médicale

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E xtrêmement fréquente puis-qu’elle concerne près de 40 %de la population, l’insomnie est

souvent considérée comme une sim-ple perte de qualité de vie, une gênefonctionnelle en quelque sorte. Enréalité, le manque de sommeil a desconséquences beaucoup plus rava-geuses que l’on imagine :� fatigue, découragement, dépres-sion, stress, difficultés de concen-tration et de mémorisation ;

� augmentation de poids, diabète ;� hypertension artérielle avec toutesses possibles conséquences cardio-vasculaires ;

� risque immunitaire avec plus d’in-fection et augmentation descancers digestifs ;

� enfin, réduction de l’espérance de vie.Traiter l’insomnie n’est donc pas unesimple question cosmétique, c’est unsujet vital !

Les multiples causesde l’insomnie

Problèmes d’environnementNombre de facteurs peuvent influernégativement sur la qualité de nosnuits :� la lumière : le soleil est notre prin-cipal horloger ; il nous remet tous lesjours à l’heure. Or l’invention du feu,de l’ampoule électrique et des écransprovoque un déphasage avec, d’unepart, un risque d’insomnie d’endor-missement, voire une dépression et,d’autre part, une baisse de la qualitédu sommeil du fait du blocage de lasécrétion de la mélatonine, cettehormone que nous produisons tousles soirs et qui indique à notrecerveau qu’il va bientôt falloir aller secoucher. Ordinateurs, smartphones,tablettes, liseuses rétroéclairéesdevraient être interdits en soirée et jesuis résolument en faveur de l’instau-ration d’un couvre-feu digital !

� le bruit n’est gênant pour lesommeil que s’il est discontinucomme dormir à côté d’un aéroportou dans un immeuble mal insono-risé ; chaque bruit accélère notrecœur, même s’il ne nous réveille pas,et risque de mener à une augmenta-tion de la tension artérielle ;� la température : tout le monde saitqu’en cas de canicule il est difficile detrouver le sommeil. La bonne tempé-rature est celle où l’on se sent bien,autour de 18 °C ;� la literie : dormir sur un matelas en“noyaux de pêches” n’est pas recom-mandé. La poussière, les acariens nonplus pour les personnes allergiques ;� la sécurité : dormir avec un parte-naire inquiétant, se faire du souci, nepas être certain d’avoir fermé laporte d’entrée, avoir vu un filmd’épouvante...

Hygiène des rythmesCombien de temps de sommeil nousest-il nécessaire et à quels horaireschacun de nous est-il à son opti-mum ? Pour savoir si l’on respectecorrectement ses rythmes, il suffit devérifier sa bonne forme dans la jour-

née, sans coups de pompe, ni somno-lence, ni difficultés de concentrationou de mémorisation.

Les poisons du sommeilLe plus fréquent est la caféine conte-nue dans le café, le thé, le chocolat,les boissons à base de cola ou énergi-santes. C’est souvent la caféine priseà 16-17 heures qui perturbe lesommeil nocturne. De nombreuxmédicaments provoquent uneinsomnie, comme certains de ceuxcontre l’hypertension artérielle ou leParkinson. En cas de perturbation, ilfaut se poser la question du nouveautraitement.

Problème médicalToutes les douleurs, toutes les fièvres.De même, beaucoup de maladiesaltèrent le sommeil. Il faut prendregarde aux trois insuffisances :cardiaque, respiratoire et rénale ; lessomnifères deviennent alors trèsdangereux. Les problèmes urinaires(prostate), avec nécessité de se soula-ger plusieurs fois la nuit, sont unecause très fréquente chez les hommesde plus de 60 ans.

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Simple comme bonsoir !

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Vaincre l’insomnie

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Problèmes psychologiquesCe sont les trois quarts des causesd’insomnie. L’anticipation d’unévénement est une cause fréquented’insomnie passagère. On dort aussimal la veille de son mariage qued’une mise en examen… Parmi lescauses psychiatriques, la dépressionvient en tête et de loin. Toutepersonne qui se réveille épuisée ouavec des maux de tête et qui s’amé-liore au cours de la journée pour sesentir bien après 17 heures estsuspecte de dépression… même enl’absence de tristesse !

Désordre propre au sommeilLe syndrome d’apnées du sommeilest en général une hypersomnie maisil peut provoquer une insomnie enparticulier chez les jeunes adultes.Le syndrome de retard dephase : les sujets s’en-dorment de plus enplus tard, parfois à6 heures du matinet finissent par se retrouver eninversion dephase : ils dor-ment le jour et veil-lent la nuit ! Dans cecas, soit on change demétier et on devient gar-dien de nuit ou star du showbiz,soit on accepte une resynchronisationen laboratoire de sommeil et, surtout,on s’y tient dans le temps, ce qui n’estpas facile…Enfin, l’insomnie sans cause, sinon

peut-être un défaut de fonctionne-ment des horloges internes. Leproblème est que le sujet s’organiseautour de son symptôme, ne penseplus qu’à ça, ce qui le met en boucleet l’aggrave.Il ne faut pas non plus oublier les

“vraies fausses insomnies” : le sujet ne

perçoit pas son sommeil. Persuadé dene pas fermer l’œil de la nuit, il esttrès surpris, quand on l’enregistre, deconstater qu’il dort bel et bien !

Types d’insomnieL’insomnie d’endormissementfrappe plutôt les sujets du soir alorsque le réveil matinal trop précoceceux du matin. Enfin, il existe desinsomnies de maintien du sommeilavec réveils nocturnes et difficultésde réendormissement.

Alors que faire ?Le premier principe est d’éviterautant que possible les somnifères ettranquillisants, dont les inconvé-nients surpassent de très loin lesavantages... d’autant plus qu’ils nefont pas vraiment dormir mais pro-

voquent une sorte d’anes-thésie légère bien loind’engendrer les béné-fices du véritablesommeil. Ceuxqui sont devenusdépendants doi-vent avec leurmédecin envisagerun sevrage... sauf si tout va bien et

que les doses sont auminimum !

La mélatonine est à consom-mer sans modération ! C’est une desbases du traitement de l’insomniesoit sous forme immédiate pour lesproblèmes d’endormissement, soitsous forme à libération prolongée(Circadin®1 ou ChronobianeLP®2) en cas de difficultés de main-tien du sommeil, soit en spray sub-lingual en cas de réveil nocturne.

Cette neuro-hormone provoque trèspeu d’effets secondaires et onrecommande simplement de poserla question à son médecin ou phar-macien si on a un autre traitementen cours comme un anticoagulantpar exemple.Certaines plantes ont scientifique-

ment prouvé leur efficacité : passiflore,valériane, eschscholtzia et, dans unemoindre mesure car elle a été moinsétudiée, l’huile essentielle de lavandesur les poignets ou sur l’oreiller.Les thérapies cognitives et compor-

tementales (TCC) permettent d’unepart de retrouver une bonne hygiènedes rythmes et d’autre part de suppri-mer les effets du stress, de la phobiedu sommeil, etc. Les TCC ontdémontré qu’elles marchent au moinsaussi bien que les médicaments etsurtout qu’elles sont beaucoup plusdurables dans le temps. L’hypnose, laméditation en pleine conscience, lasophrologie, le yoga, la cohérencecardiaque sont également très utiles.Enfin, certains dispositifs comme le

Do-Dow, les lunettes PSIO, Sleapie,etc. rendent aussi de grands servicesaux insomniaques mais attention, il estrecommandé de ne pas dormir avec unobjet connecté dans la chambre.

En conclusion, l’insomnie est unproblème qu’il faut prendre ausérieux si l’on veut éviter un certainnombre de maladies, mais pourlaquelle il faut éviter les médicamentsdits allopathiques qui en provoquentencore plus ! �

Dr Patrick Lemoinepsychiatre

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Simple comme bonsoir !

La Revue de la MTRL � décembre 2018 � numéro 100

« Bien dormir et bien manger sont les deux piliers de la prévention »

1. Délivré uniquement sur ordonnance mais non remboursé.2. Complément alimentaire en vente libre.

sans médicaments

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La petite histoire de la pièceL’écrivain et dramaturge JulesRomains n’avait pas convaincu laComédie française mais, quand lecomédien Louis Jouvet lut la pièce, ilen fut enthousiasmé, lui qui avait étépharmacien avant d’embrasser lascène. Au fil des répétitions, Romainsle convainquit d’être lui-même, cour-tois, sarcastique et sûr de lui. Lors dela création à la Comédie des Champs-Élysées, l’auditoire est si enthousiasméque le célèbre André Gide s’empressed’aller féliciter Jouvet dans sa loge.Jouvet s’est investi dans le rôle aupoint que cette pièce remplira sacarrière comme acteur et scénariste :plus de 1 440 représentations et, fina-lement, deux films dont le secondlancé en 1951.

Pourquoi revisiter ce classiquedu théâtre français ?

D’abord parce que deux médecinsgénéralistes anglophones – la britan-nique Iona Heath de Londres, grandedéfenderesse de la médecine à visage

humain – et surtout I’Écossais IainBamforth de Strasbourg, connucomme traducteur et essayiste, ontapporté des éclairages intéressants enrapprochant l’hygiène de la politique.Leur lecture vaut le détour*.Ensuite parce que Knock est en

avant de son temps, Romains est unprophète, rompant avec la traditionlittéraire française qui ne s’intéressaitqu’à la médecine pratiquéejusqu’alors. En 1928, Jules Romainsnous présente la médecine du futur etneuf décennies plus tard, ses intui-tions se sont toutes confirmées,certaines ayant même été dépassées.Comme pour Jules Verne, quicommença son œuvre de science-fiction en 1863.On attendra un demi-siècle avant

de lire la Nemesis médicale de IvanIllich. En relisant cette pièce, on latrouve très moderne ; il suffit seule-ment de transposer personnages etcomportements à la société contem-poraine.

Les personnages principaux� Saint-Maurice (nom fictif ) : villagechef-lieu du canton éponyme à l’estde Lyon, dans les années 1920, enpleine campagne.� Dr Knock : s’installe comme nou-veau médecin dans le chef-lieu du can-

ton de Saint-Maurice, où il va révolu-tionner la conception de la santé et lapratique de la médecine en achetant laclientèle du médecin d’alors.� Dr Parpalaid : le médecin qui vendsa pratique rurale au Dr Knock.� Mousquet : le pharmacien, dont lechiffre d’affaire va connaître unecroissance inattendue, 500 %.� Le crieur public : dit “tambour deville” à l’époque, qui diffusera dans lecanton les annonces professionnellesdu Dr Knock, remplacé aujourd’huipar les agences de communication,qui utilisent tous les médias, depuisles revues les plus savantes jusqu’auxréseaux sociaux, pour faire de lapromotion directe et indirecte.� Bernard : l’instituteur, qui assureral’éducation du canton en santépublique en utilisant des messages etoutils de communication fournis parle Dr Knock, qui se comportecomme le font maintenant les phar-maceutiques innovantes avec leursrédacteurs professionnels et leurscliniciens prête-noms (par la magiedu ghostwriting).� Mme Rémy : l’hôtelière, qui verrason établissement se transformer enhébergement médicalisé débordant declients transformés en patients sous

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Optimisation médicale

Le Dr Knock après Le prophétisme de

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L’instituteur.Le pharmacien.Le tambour de ville.

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l’influence de Knock... (la bonne portedésormais une coiffe d’infirmière).� La dame en violet : une clientetransformée en militante de la(sur)médicalisation du canton.� La dame en noir : un cliente quiaccepte illico de se soumettre à uncontrôle hygiénique total comme lejeûne au lit dans le noir pour unesemaine, et acceptera dès la prochainevisite de se soumettre à un traitementtrès long et très coûteux.

La formation du Dr KnockC’est en mer que sa vocation demédecin autoritaire et médicalisantfait ses débuts. Knock fut en effetofficier de santé quand les navires decommerce n’exigeaient pasd’avoir “un vrai docteur”pour remplir cette fonction.Très jeune, il avait apprisà lire la pharmacopée sur les étiquettes autour des potsde pilules, il en connaissaitpar cœur tous les effetssecondaires.– Dr Knock : « Depuis monenfance, j’ai toujours lu avecpassion les annonces médi-cales et pharmaceutiques desjournaux, ainsi que les pros-pectus intitulés “mode d’em-ploi” que je trouvaisenroulés autour des boîtes depilules et des flacons de sirop. »À Marseille sur les quais, un navire

marchand à destination des Indesrecherche un médecin. Il se fait enga-ger comme officier de santé sans êtremédecin.– Dr Knock : « Je vois annoncé qu’unvapeur de 1 700 tonnes à destinationdes Indes demande un médecin, legrade de docteur n’étant pas exigé. »Une fois en route pour six mois, il

s’empresse d’envoyer tous les 7 passa-gers et 28 membres d’équipage à l’in-

firmerie, à tour de rôle. En consul-tant le rôle d’équipage, il voit à cequ’il y ait toujours assez de personneldisponible pour la navigation et lesmachines.– Mme Parpalaid : « Mais commentle bateau a-t-il pu marcher ? »– Dr Knock : « Un petit roulement àétablir. »Ce fut la confirmation qu’il était

capable de médicaliser tout un collec-tif de bien-portants, grâce à sa“méthode”, nom qu’il donne à sonhabileté à les convaincre que “Touthomme bien portant n’est qu’unmalade qui s’ignore”, selon l’expres-sion consacrée du physiologisteClaude Bernard.

Hygiène et politiqueAlors qu’il organise la surmédicalisa-tion de tout un canton au nom de laMédecine, Knock se défend de lamême manière que nos leadeursd’opinion et nos porte-parole sponso-risés contemporains, qui prétendentmédicaliser au nom de ce qu’onappelle aujourd’hui la “médecinefactuelle”, et non par intérêt person-nel ou politique.Pour Simone Weil (An Anthology,

New York : Weidenfeld ; 1986), les

institutions puissantes ont ce don de“secréter des abstractions”, commenteIain Bamforth, et la comédie sur leDr Knock deviendra une tragédieune décennie plus tard, quand lesmédecins allemands se feront les fer-vents complices de la purificationethnique par le national-socialisme.

Les “abstractions” enquestion, dans ce cas,seront une utopiesanitaire, la puretéraciale et la santé par-faite par l’épurationdes malades mentauxet des infirmes irrécu-pérables et par l’hy-giène du peuple sous-tendue par une “santépublique” coercitiveau besoin (les pre-mières chambres à gazsont nées dans deshôpitaux psychia-triques allemands).

Et aujourd’hui, l’establishmentmédical est devenu une institutionpuissante dans plusieurs pays déve-loppés, avec le soutien de l’industriemondialisée du médicament, tant auniveau de la pratique que de la santépublique.Pour Iona Heath, ex-présidente du

Collège royal des Médecins généra-listes (Royaume-Uni), le philosophePopper soutenait en 1945 qu’il y a unrisque de totalitarisme chaque foisqu’on laisse un “concept abstrait”

17La Revue de la MTRL � décembre 2018 � numéro 100

neuf décennies Jules Romains

La dame en noir.

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l’emporter sur les besoins réels desindividus, en sorte qu’une entitésociale ait des besoins qui passentavant ceux des vraies personnes bienen vie, d’où l’impératif en 2017 derésister au totalitarisme séculaire dessoins de santé contemporains et deremettre l’emphase sur le vécu despatients dans leur situation sociale etle récit de leurs problèmes, en lesécoutant et les examinant, avec atten-tion et imagination.– Dr Parpalaid : « Est-ce que, dansvotre méthode, l’intérêt du maladen’est pas un peu subordonné à l’inté-rêt du médecin ? »– Dr Knock : « Vous oubliez qu’il y aun intérêt supérieur à ces deux-là :celui de la médecine. »Alors qu’il organise le surdiagnostic

systématique, il dit y croire enoubliant qu’il en est le principalbénéficiaire, ainsi que le pharmacienet ainsi que l’hôtel du village(converti en maison de santé).Aujourd’hui, bien des carrières lucra-tives reposent sur des dépistages(cancérologiques, métaboliques,psychiatriques ou cardiovasculaires).– Knock : « Mon rôle, c’est de lesamener à l’existence médicale. Rienne m’agace comme cet être ni chair nipoisson que vous appelez un hommebien portant. »Il se réjouit d’un taux élevé d’ob-

servance d’une méthode de surveil-lance d’une variable biologique (latempérature rectale) dont touteélévation amènera les clients à soncabinet. Aujourd’hui, nous évoque-rions plutôt la glycémie quoti-dienne, la lipidémie systématique,les prises tensionnelles répétées, lesbilans de santé périodiques, lesdensitométries osseuses, l’index demasse corporelle, les tests demémoire, l’humeur évaluée par casesà cocher infantilisées, la turbulencescolaire, etc.– Knock : « Songez que, dansquelques instants, il va sonner dixheures, que pour tous mes malades,dix heures, c’est la deuxième prise detempérature rectale, et que, dansquelques instants, 250 thermomètresvont pénétrer à la fois. »

Une cliente,la dame en violet

Elle devient une militante de lasurmédicalisation introduite par cenouveau médecin.Son insomnie bénigne (un simple

symptôme) est transformée en mala-die, puis en maladie dont certainescauses pourraient être très graves.Nous sommes dans le façonnage demaladies si bien dénoncé par lesHadler, Welch, Healy, Jamoulle,Moynihan, Pasca, Heath, et tantd’autres…Aujourd’hui, on pourrait

comparer la dame en violet aux prési-dent.e.s d’associations de patientsqui bénéficient des encouragementsbien concrets des industriels et finis-sent par penser comme eux etlégitimer indirectement desmessages promotionnels qu’ilsrelaieront, consciemment de bonnefoi ou inconsciemment.

Quand un pèrede la médecine scientifiquemoderne confirmela vision de Jules Romains

Le médecin et méthodologiste améri-cain David Sackett fut un pionnier del’épidémiologie clinique et de lamédecine factuelle aux universitésOxford (Royaume-Uni) et McMaster(Hamilton, Ontario). Il s’indigna

toutefois en fin de carrière d’unecertaine médecine préventivemoderne qui se revendique pourtantde la science clinique contemporaine(alias médecine factuelle ou evidencebased medicine en anglais). On saitque cette science clinique a permisd’immenses progrès, mais aussiqu’elle a été en partie dévoyée depuisles années 1980 par des intérêts parti-culiers professionnels et industriels.Pour Sackett, cette médecine allé-

guée préventive est :a) péremptoire chez des individusindemnes de tout symptôme en leurdisant ce qu’il faut faire pour rester enbonne santé ;b) présomptueuse, prétendant que lesinterventions qu’elle défend feront enmoyenne plus de bien que de mal àceux qui l’accepteront et y adhére-ront ;c) tyrannique, faisant tout pour exer-cer son autorité.Ces trois qualificatifs s’appliquent

tout à fait à la médecine duDr Knock : campagnes de peur indi-viduelles et publiques ; médiatisation(par le crieur public) ; éducationpopulaire (par l’enseignant) ; compli-cité (par le pharmacien, qui profiteralargement de la surmédicamenta-tion ; par certains clients comme ladame en violet ; par l’hôtelière quiaffiche complet en tout temps).

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Optimisation médicale

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Le Dr Knock et la dame en violet.

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Rédaction en sous-main pourl’instituteur, Monsieur Bernard

Jules Romains avait prévu la rédac-tion en sous-main (ghostwriting).Knock s’adresse ici à l’instituteur :– Dr Knock : « J’ai ici la matière deplusieurs causeries de vulgarisation,des notes très complètes, de bonclichés (pas en noir, en couleurs) etune lanterne [projecteur]… Tenez,pour débuter, une petite conférencetoute écrite, ma foi, et très agréable,sur la fièvre typhoïde. »On croirait entendre un visiteur

médical qui fournit à un meneurd’opinion sponsorisé le matérieldidactique de conférences destinées àla formation médicale continue pourfaire mousser le nouveau produit deson employeur.

Les profits du pharmacienMousquet : multipliés par cinq

– Mousquet : « Il est certain que j’aiquintuplé mon chiffre d’affaires, et jesuis loin de le déplorer. L’esprit phar-maco-médical court les rues, lesnotions abondent. »Les intérêts du pharmacien de

Saint-Maurice convergent avec ceuxde l’instigateur de la médicalisationréussie de tout le canton.Aujourd’hui, c’est pareil. Au Québec,les pharmaciens propriétaires gagnentplus qu’un médecin généraliste.

Les annoncesprofessionnelles diffuséespar le crieur public

– Le tambour de ville : « Le docteurKnock donnera les lundis matin uneconsultation gratuite… dans unesprit philantropique et pour enrayerles progrès inquiétants des maladiesde toutes sortes. »L’industrie du médicament tient le

même discours aujourd’hui :a) Elle offre des échantillons auxcliniciens sous prétexte qu’ils les refi-leront aux patients les plus pauvres etqu’ils apprendront à les bien pres-crire, alors que ce sont souvent lesfamilles et les amis qui en profitent,et que ces échantillons ne sont pasaccompagnés des précautions etmises en garde appropriées.

b) Elle développe desproduits destinés aux mala-dies inventées par elle-mêmeà l’aide de glissementssémantiques ou decampagnes de dépistage de lapré-hypertension, du pré-diabéte, de la pré-hyperlipi-démie, de la pré-dépression,de l’ostéoporose, de la pré-démence, du risque de VIH,du risque de rechute dépres-sive, et j’en passe…

Fixation des prix selonla capacité de payer

Le Dr Knock connaît les revenus detoute sa clientèle car il sait la faireparler et prend des notes.– La dame en noir : « J’ai 18 vaches,2 bœufs, 2 taureaux, une jument, unpoulain, 6 chèvres, 12 cochons plusla basse-cour, 3 valets, une servanteplus les journaliers. »On croirait lire les recensements

des plus prospères de nos ancêtresaprès leur arrivée en Nouvelle-France !De nos jours, le marketing analyse

dans chaque pays la capacité de payer

des caisses d’assurance médicamentpubliques et privées, et celle de labourgeoisie non assurée, avant defixer les prix de lancement et ultérieu-rement de les augmenter proportion-nellement à la cupidité desactionnaires du moment.

KnockismeCe néologisme est entré dans le voca-bulaire de l’anthropologie médicaleen 1998 selon Bamforth, pour dési-gner la crédulité populaire. Cettecrédulité n’est-elle pas en partieresponsable du Trumpisme qui balaieles États-Unis en 2017 ? �

Pr Pierre Biron

19La Revue de la MTRL � décembre 2018 � numéro 100

P rofesseur honoraire de pharmacologie à l’Universitéde Montréal, engagé sur toutes les questions depharmacologie sociale, Pierre Biron n’a aucun lien

d’intérêt. Observateur critique de la scène médico-phar-maceutique, il est auteur et co-auteur de nombreux arti-cles et chapitres de livres sur des thèmes tels que :l’influence de l’industrie pharmaceutique sur la médecine,la médecine préventive (et en particulier l’abus de préven-

tion), la surmédicalisation, les surdiagnostics, les surtraitements, la surcon-sommation de médicaments et leurs conséquences, les formes de diseasemongering (façonnage de maladies), les politiques du médicament… Pierre Biron est l’auteur de l’Alterdictionnaire : un dictionnaire engagé,

critique et évolutif, anglais/français, de la médecine dans ses rapports à l’in-dustrie pharmaceutique. C’est un chantier ouvert (work in progress) hébergépar le site L’Encyclopédie de l’Agora, accessible sur cette page.

http://agora.qc.ca/documents/le_dr_knock_apres_neuf_decennies_le_prophetisme_de_jules_romains

*a) Iain Bamforth. Knock : a study in medical cynicism. J Med Ethics : Medical Humanities2002 ; 28 :14-18. L’auteur polyglotte connaît bien la pièce, il l’a traduite en anglais.b) Iona Heath. The missing person: The outcome of the rule-based totalitarianism of too muchcontemporary healthcare. Patient Education and Counseling 2017 ; 100 : 1969–1974).

Le Dr Parpalaid et Mme Rémy, l’hôtelière.

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L ’aorte est la plus grosse artère ducorps. Pour opérer les patholo-gies les plus graves (anévrismes

et dissections), des procédures mini-invasives ont peu à peu supplanté lachirurgie conventionnelle : lesmalades sont traités sans ouverturechirurgicale, grâce à la pose deprothèses par l’intérieur desvaisseaux. On parle d’endoprothèses.« Certains anévrismes, particulière-

ment complexes, englobent lesartères viscérales et ne peuvent pasêtre traités par des endoprothèsessimples, explique le Pr AntoineMillon, chirurgien vasculaire à l’hô-pital Louis-Pradel. Ils nécessitent la

pose d’endoprothèsesaortiques sur mesure etfenêtrées. Ce type d’en-doprothèse est composéde plusieurs “branches”,munies de trous (des“fenêtres”) et leur poseconstitue un véritabledéfi : il s’agit de posi-tionner les multiplesrepères de façon extrê-mement précise, juste enregard des artères vitales(artères du rein, du cerveau…). Uneerreur de positionnement pourraitinterrompre l’apport sanguin dans lesorganes et être fatale. »

Pour réussir ce challenge technique,la navigation et le positionnementnécessitent un repérage assisté par demultiples logiciels. Grâce à l’installa-

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Médecine de pointe

La Revue de la MTRL � décembre 2018 � numéro 100

Chirurgie vasculaire : au bénéfice

La première salle dite “hybride” de grande envergure dans un Centre hospitalo-

le 18 octobre dernier. Hybride en ce qu’elle associe un bloc opératoire

au cours d’une intervention et de procéder ainsi à d’éventuels ajustements.

bénéficier d’une prise en charge de pointe, grâce notamment à un équipement

La salle hybride vide.

Les explications du Pr Millon lors de l’inauguration de la salle.

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tion de la nouvelle salle hybride, cestechnologies médicales de toutedernière génération font désormaispartie intégrante du bloc opératoire.

L’équipement de la sallehybride financé grâce ausoutien de la Fondation HCL

Une fois acté par les HCL le principede l’installation d’une salle hybride àl’hôpital Louis-Pradel, les instancesde la Fondation HCL ont souhaité

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Médecine de pointe

La Revue de la MTRL � décembre 2018 � numéro 100

un saut technologique des malades

universitaire français a été inaugurée à l’hôpital cardiologique Louis-Pradel (HCL),

conventionnel à des équipements d’imagerie, elle permet par exemple de faire un scanner

Les patients souffrant de pathologies très complexes de l’aorte peuvent désormais

de toute dernière génération, financé par la Fondation Hospices Civils de Lyon.

Quels sont, concrètement, les apports du logiciel financé

par la Fondation HCL ? Les explications du Pr Antoine Millon.

« Le robot est indissociable du logiciel mais le

logiciel est également indissociable du robot ;

c’est-à-dire qu’on ne peut pas utiliser cette

machine complexe sans un logiciel

extrêmement précis qui nous aide non

seulement à la manipuler, mais aussi à la faire

se déplacer, à tourner autour du patient.

Cette version du logiciel en particulier nous

permet de travailler en réalité augmentée,

c’est-à-dire de fusionner des images réalisées

en pré-opératoire avec les images du patient prises au

moment même où nous intervenons. Nous avons donc, à

l’écran, l’image “de l’intérieur” du patient ; nous travaillons

dans son scanner, en 3 dimensions et en couleur, et non

plus avec une image en 2 dimensions et en noir et blanc.

Cela nous apporte une immense précision de navigation

endovasculaire. Avec ce logiciel, nous avons gagné une

précision incroyable et des temps d’intervention réduits.

Il en résulte des procédures moins agressives, avec de

meilleurs résultats, et les patients se rétablissent mieux

et beaucoup plus vite. »

aller encore plus loin pour offrir lemeilleur de la technologie médicaleaux patients. Objectif : mettre à ladisposition des chirurgiens uneversion encore plus innovante dulogiciel utilisé pour la pose desprothèses aortiques, inté-grant des techniques degéolocalisation sophisti-quées (rayons X, ultrasons,fusion d’images, visualisa-tion en 3 dimensions) et de

navigation robotisée. Grâce aux donsdu public, des entreprises et à unmécénat majeur, la Fondation HCL aainsi financé l’équipement de la sallehybride pour un montant total de250 000 €. �

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S i la recherche menée sur le sitedu Centre Léon-Bérard estaujourd’hui reconnue au niveau

international, elle était pourtant trèsembryonnaire il y a à peine trente ans.

D’une rechercheembryonnaire…

Historiquement, dès les années 60, leCLB a toujours été fortement impli-qué dans la recherche clinique. Dansles années 80, elle bénéficiait d’uneculture médicale bien ancrée et d’unegrande expérience dans la prise encharge des personnes atteintes d’uncancer. Des études cliniques ontd’ailleurs été mises en place à l’initia-tive des cliniciens du CLB dans demultiples domaines : thérapeutique,diagnostics, épidémiologiques, pré-vention, qualité de vie, pratiquesmédicales et études d’impacts…En revanche, les moyens humains

et matériels alloués à la recherchefondamentale et de transfert étaientquasi inexistants. Il a fallu attendre ledébut des années 90 pour qu’ilssoient considérablement renforcés.

« Lorsque je suisarrivé en 1979, lediagnostic était que leCentre était “unebonne clinique” quisoignait bien lesmalades mais qui avaitune seule unité derecherche fondamen-tale, une recherche detransfert inférieure àdix personnes et une

recherche clinique plutôt embryon-naire. Le Centre avait besoin absolu-ment de se transformer », nous confieThierry Philip, directeur général duCentre Léon-Bérard de 1989 à 2009.

… à une stratégie d’excellence et d’innovation

Le Centre Léon-Bérard a donc prisle parti, à la fin des années 80, sousl’impulsion du directeur général del’époque, le professeur ThierryPhilip, de participer au développe-ment d’une recherche en cancéro-logie d’excellence sur son site,notamment en permettant etappuyant fortement le rapproche-ment, sur un même lieu géogra-phique, d’équipes de recherchefondamentale aux côtés de sespropres équipes de médecinsimpliqués en recherche clinique.Cette stratégie est guidée par une

ambition forte : réunir sur unmême site patients, médecins etchercheurs afin de raccourcir lesdélais entre les découvertes faitesen laboratoires et leur applicationconcrète au bénéfice des personnesmalades.C’est en 1993, que le CLB accueille

son premier laboratoire de recherchefondamentale avec l’installationd’une unité labellisée Inserm.

Un don exceptionnelL’histoire se poursuit grâce à la géné-rosité d’un couple de Savoyards,Augusta et Bruno Cheney. Suite à undon important des époux Cheney auCentre Léon-Bérard au début desannées 90, la construction dupremier bâtiment de recherche a pudébuter. La pose de la première pierreen 1994 a fait l’objet d’une visite deFrançois Fillon, ministre de l’Ensei-gnement supérieur et de la Recherchede l’époque. Depuis, les bâtiments derecherche du Centre Léon-Bérard onttous été baptisés “Cheney” enhommage à ce couple très engagé

dans la lutte contre le cancer. Brunoet Augusta Cheney sont respective-ment décédés en 1991 et 2002.

Plus de 15 000 m² dédiésà la recherche

Le secteur recherche du CLB s’étendactuellement sur plus de 15 000 m²,répartis au sein de quatre bâtiments,baptisés Cheney A, B, C et D.

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La recherche au une histoire

Le Pr Thierry Philip, aux côtés du ministreFrançois Fillon et des époux Cheney.

Vue aérienne datant de 2018 avec les 4 bâtiments

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La recherche menée sur le site duCentre est aujourd’hui extrêmementriche et couvre l’ensemble desdomaines clés de la “chaîne de larecherche” :� La recherche fondamentale s’inté-resse à comprendre les mécanismesbiologiques fondamentaux quiconduisent à la formation et au déve-loppement d’un cancer.� La recherche de transfert permet detransformer les découvertes issues de larecherche fondamentale en applica-tions pour la recherche clinique (ex…)� La recherche clinique mesure latolérance et l’efficacité sur les patientsdes nouveaux médicaments ou d’unenouvelle façon d’utiliser un traite-ment avant leur mise sur le marché.Le Centre Léon-Bérard abrite

aujourd’hui plus de 500 chercheurs,contre moins de 30 en 1992.

L’établissement est devenu unacteur majeur de la recherche encancérologie au niveau national,européen et international. Il déve-loppe et favorise une recherche inter-disciplinaire à visées diagnostique etthérapeutique en gardant commepréoccupation essentielle et moteurd’innovation : la personne malade. La

proximité entre chercheurs et clini-ciens permet de faciliter les échangeset d’accélérer le transfert des avancéesentre le laboratoire et l’hôpital. �

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Au fil du temps

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Centre Léon-Bérard : assez récente

« IL EXISTE UN MONDE entre les chercheurs attachés à comprendre lesmécanismes biologiques fondamentaux qui conduisent à la formation destumeurs, des travaux qui s’inscrivent sur le long terme, et celui des méde-cins qui soignent les malades et souhaitent pouvoir leur donner le plusrapidement possible le traitement le mieux adapté.« En faisant travailler côte à côte ces personnes qui sont placées aux deux

extrémités de la chaîne de la recherche, on se donne les moyens d’accélé-rer un processus qui aujourd’hui prend en moyenne vingt ans entre ladécouverte faite en laboratoire et la sortie d’un nouveau médicament.« En levant les barrières géographiques, culturelles et de métiers, nous

créons les conditions pour stimuler l’innovation et l’émergence de colla-borations nouvelles. »

Pr Jean-Yves Blay, directeur généraldu Centre Léon-Bérard

de recherche visibles sur la partie haute de la photo.

Vue aérienne datant de la fin des années 50.

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La MTRL fête le 100e numérode sa revue Mutuelle et Santé

18 heures - conférence

Améliorer et préserverles capacités de son cerveau

PR PIERRE-MARIE LLEDOneurobiologiste

19 heures - Histoire de la Revueet vœux du président Romain Migliorini

19h30 - Exposition et cocktail apéritif

Entrée libre, dans la limite des places disponibles.Inscription en ligne obligatoire : www.weezevent.com/mutuelle-et-santé-100