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Si la nuit tombe

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Catalogue de l'exposition "Si la nuit tombe."

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Si la nuit tombe.

« Il fait toujours nuit, sinon on aurait pas de lumière » Thélonious Monk.

Ainsi commence le dernier roman de Thomas Pynchon « Contre jour », et ainsi, par une double citation qui situe, justement plus qu’elle ne décrit, ce texte sur l’exposition « Si la nuit tombe ».

Projet d’exposition collective mené par Yannis Perez et Ludovic Sauvage, « Si la nuit tombe » rassemble dans des locaux prêtés pour la durée d’un week-end, une trentaine d’artistes autour d’une phrase et d’une indépendance de moyens.

Il est question d’éventualité dans « Si la nuit tombe », à l’inverse d’une régularité quotidienne, on est ici dans une situation créée.

Si le projet peut se lire comme une situation, il est le résultat de données: le son est peut être le premier élément constitutif du projet, viennent ensuite la fiction et son penchant post-moderne qui veut que l’on puisse passer de lignes imprimées à des façons de remplir le temps et l’espace.

Enfin, « Si la nuit tombe » ne développe ni thématique, ni démonstration, le processus de création et d’exposition est une question politique induite par le statut indépendant de l’exposition et l’occupation de lieu non-dédié.

Mais il est ici question de traduction, qui, d’un «titre-phrase» à une expérience de l’exposition prend son épaisseur et devient projet.

Texte: Ludovic Sauvage

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Des surfaces monochromes, en papier ou toile, côtoient des représentations graphiques, pho-tographiques, ou modélisées. Une fine bande de charbon pilé cerne les plinthes de la seconde salle et souligne sa forme en diamant. Une table cou-verte d’éditions, un tapis, une cloche, partagent le volume des deux pièces.

Aux deux coins opposés de la pièce en diamant, deux séries quasi identiques de trois monochro-mes petit format se répondent. Blancs, gris, et noirs, semblables à des repères, ils sont séparés par une enfilade de trois fenêtres.

Trois posters sont disposés de part et d’autre de la série de droite. À sa gauche, un poster noir et blanc retenu par un coin, résiste à ses propres faiblesses, exhibant une surface soumise à des découpages rectangulaires quasi fatidiques. À sa droite, deux posters format standard, l’un rouge et l’autre jaune, se dissocient nettement de la sur-face murale par des pliures régulières.

L’autre série de monochromes, à gauche en en-trant, départage en leitmotiv une paire puis un simple. A sa gauche, un dessin sur papier à la pierre noire et au fusain présente le reflet on-duleux d’un paysage urbain encadré par un vide aux contours irréguliers. Viennent ensuite quatre fois quatre séries de feuillets perforés A4 présen-tant des Propositions. Les feuilles sont retenues bord à bord par des punaises dorées formant les repères d’une grille. A sa droite, une photogra-phie montre une cave de la Renaissance dont le sol est jonché de pièces dorées. Dans le coin, un tourne disque repose sur un mirroir supporté par des pieds. Contre le mur central, une longue table rectangulaire présente des éditions colorées ou en noir et blanc, des livres sans texte, des revues artistiques regroupant des articles théoriques.

Au centre, la cloche de bronze et d’étain est sus-pendue à deux portants métalliques symétriques se rejoignant pour former un sommet. Sur son manteau, une inscription en relief révèle une dédicace. Son tintement retentit parfois. Dans le même temps, des disques colorés tournent en rond dans une vibration magnétique turbu-lente.

La pièce rectangulaire présente une Moquette, trois projections, et un autre poster monochro-me, bleu cette fois-ci. La forme modélisée d’un gemme tournant silencieusement sur lui même est projetée sur celui ci. Ses facettes géométriques répondent aux plis orthogonaux de la surface déployée. Placé en face de l’ouverture, scindant l’espace en deux, le jeu de lumière changeant sur ses facettes happe l’espace vers une profondeur artificielle.

Sur les murs adjacents, les projections de deux pay-sages semblables dans les tons semblent s’incrus-ter dans les losanges camouflés du papier peint.

Sur le mur gauche, quelques toits d’immeubles et quelques façades vitrées forment le cadre d’une scène répétée en boucle : la chute perpé-tuelle d’une feuille verte tombée d’une plante au balcon. Sur le mur de droite, deux projecteurs de diapositives projettent chacun une photographie. La superposition des deux images révèlent une vallée au ciel limpide.

Au sol, un fragment de moquette carré, découpé, retourné, et augmenté d’une cinquième pointe, épouse le seuil de la porte-fenêtre. La gomme de son envers a été retirée ; la surface porte un mo-tif de losanges en abyme. Sa couleur grise et son relief rugueux évoque un bas relief.

Texte: Alys Demeure

Apport

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1% Lacan - Lettres adhésives, Word - outil de synthèse automatique (1%) Sur l’intervention de Jacques Lacan à proposs de la com-muncation de Charles Odier, 1934 - Julien Bouillon - 2009.

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Trouble World (Tokyo)- Fusain, Pierre noire - Yann Denes- 2009.

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Senza titolo - tirage photographique de l’installation à la villa medicis - Jean Baptiste Ganne - 2007.

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Mother Ray - Bronze à cloche, cordes, structure en acier - Mathieu Tilly - 2008.

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Tirelires - Inconnu, Bénares 2008, Nicolas Cukzma, Crest 2009 - Collection Heloïse Bariol- 2009.

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Ré-éditions - Savoir revivre, Ashtàvakra Gita, Le scivias domini - Antoine Delaigues - 2010.

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St- Ouen 13 mai 2004 - Vidéo PAL, 5 minutes 04 en boucle - Thomas Léon - 2005.

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Moquette - Moquette, découpes, assemblage recto-verso - Sarah Lis & Ludovic Sauvage - 2010.

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West end erzats - Deux séries de trois tableaux de formats carrés, acrylique sur toile -

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Monochromes de salon - Posters sérigraphiés format A0 - Yannis Pérez - 2007.

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Pretty Stones - Projections vidéo sur posters sérigraphiés format A0 - Yannis Pérez & Nicolas Tilly - 2009.

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‘I Have Never Seen It So Far Away’ - Poster, découpes, édition limitée de cent exemplaires- Manuel Raeder - 2008.

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Ash Drawing - Charbon pilé - Stéphanie Raimondi- 2010.

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Propostions- Feuilles A4, punaises- Fabrice Reymond - 2009.

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Vallées - Double projection diapo, diapoprojecteurs, socles - Ludovic Sauvage - 2009.

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SciFi - Techniques mixtes, cadres - Nicolas Tilly - 2009.

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Système de diffusion sonore utilisé durant l’expositon - Collection de vinyls rares - Selection par Frelon Man & Shazzula

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Mindless pleasures (Série bannières)- Encres, toile - Ludovic Sauvage - 2009.

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Revue 2.0.1 - N°1, novembre 2008 - 2.0.1 - 2008.

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Pliss -édition limitée de sept exemplaires - Héloïse Bariol - 2008.

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Table de présentation des éditions et multiples.

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Le regroupement des propositions de Si la nuit tombe détermine un champ à dimensions varia-bles : celui de l’exposition comme zone de visibi-lité d’une pratique. Si le temps d’une exposition peut être généralement compris comme extérieur à celui de l’oeuvre, il s’agirait ici de prendre cette détermination temporelle comme matière pre-mière, d’inverser centre et périphérie, et ainsi faire intégrer à la définition de l’objet la délimi-tation de son contexte.

L’espace dont il est question est soutenu par des cloisons poreuses. Son plan a la forme d’un pris-me, et même si c’est une coïncidence, il peut être compris sans insignifiance, comme un heureux hasard. Les propositions, comme autant de va-riations du spectre lumineux, sont reliées par une réflexivité au temps et au lieu de son dévoi-lement.

Le primat accordé à la présentation apparaît à tra-vers la prédominance du plan et une constante des formes traditionnelles de l’image. Rectangles et carrés, formes standard du cadre, investissent sol et murs. Mais leur récurrence, animée par la variation de leur contenu fait hésiter à détermi-ner ce choix comme minimal ou schématique.

Cette ambiguïté s’incarne dans la planéité constan-te des œuvres sélectionnées, dont la définition largement écrite serait rattrapée par sa présenta-tion ici comme propriété, à la fois qualitative et distinctive. Cette planéité concrète est d’abord le caractère de la surface continue, celle qui recouvre le mur et se distingue de lui, comme les posters de Yannis Pérez, ou encore celle qui reçoit, com-me la Moquette de Sarah Lis et Ludovic Sauvage. Les punaises de Yannis Pérez affirment encore la prédominance du plan de la feuille qui aurait dû s’effacer dès la lecture des Propositions de Fabrice Reymond.

L’hésitation évoquée plus haut quant à l’intention conceptuelle placée derrière ces formes simples révèle un choix porté sur l’oscillation du sens. Cette ambiguité est signifiante, entre présenta-tion des œuvres pour leur prise directe avec l’ espace physique et détournement des représen-tations traditionnelles de l’oeuvre. De l’énoncé au monochrome, en passant par le paysage, les formes pérennes et reconnues par l’histoire de l’art se déclinent tout en investissant le lien qui les unit au cadre spatio-temporel de leur mons-tration.

Ce rapport ouvert est donc aussi bien mis en abîme par les oeuvres, que par leur rapprochement for-mel, mais aussi par la prise en compte directe des opérations antérieures et postérieures à la

pratique. La table d’éditions installées parmi les oeuvres affirme ce croisement. Le désir de pré-senter un panel diversifié d’approches de l’art rencontre le glissement de la trace écrite vers la forme, pour offrir des objets au statut ambigu.

Prise en tant que support ou en tant que plan dans l’espace, la planéité des œuvres laisse en ce sens place à la dimension contextuelle de la présen-tation des œuvres. Au delà du sens créé par leur relation de cohésion ou d’ écarts, chacune d’en-tre elles implique une distanciation physique ou conceptuelle. Les posters monochromes de Yan-nis Pérez renvoient à ces objets dénués de fonc-tion utilitaire dont même la dimension icônique a été évacuée. La couleur pure et la géométrie des pliures qui affirment l’unicité de la surface, induisent le geste de l’affichage comme intention constitutive.

La double série de monochromes de Guillaume Louot conserve la dimension réflexive d’une pla-néité pure, renforcée ou affaiblie par ce dédou-blement. Cetté série est d’abord issue de la dé-couverte fortuite d’une photographie : celle d’un astronaute apposant une charte de gris sur la sur-face lunaire. Le tableau monochrome est alors in-troduit par l’artiste dans la dualité constante de la non signifiance de sa forme (deux fois trois fonds de non couleurs) et sa raison d’être, aidée par son acceptation dans l’histoire de la peinture.

En contre partie, l’introduction du texte ou de l’image, avec l’installation Vallées de Ludovic Sauvage, nous amène à percevoir le plan en tant qu’écran. Même si cela peut être entendu comme un paradoxe, c’est à partir de la projection de deux diapositives qu’ une image impossible se crée sous le regard frontal du spectateur. Le paysage qui ne peut être perçu que de biais révèle alors une image vouée à être altérée par son ombre, sans jamais être oblitérée.

Pretty Stones, gemme formé par la réunion de segments orientés au hasard, renoue finalement avec la question de l’image, du motif pour n’en offrir que les points de fuite.

Le motif figé du Gemme de Nicolas Tilly, circons-crit par sa forme et décrit par son titre, enfermé dans sa rotation invariable, indique aussi de ma-nière directe le constant rapport du plan à l’es-pace, pour finalement se dérober dans un sublime synthétique. Paradoxalement, il est perçu comme un point fixe qui cristalliserait et catalyserait à la fois les projections et le rhombe en abyme du tapis par son mouvement circulaire. Dans la salle attenante, le Ash Drawing de Stéphanie Raimon-di souligne matériellement le contour de la pièce par une ligne de charbon pilé. Au delà de la sépa-

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ration spatiale, deux systèmes de temporalité s’af-frontent alors : la dynamique solitaire et régulière du gemme tournant dans le vide contrebalancé par le temps linéaire du tracé noir des dépôts de charbon pilé.

Selon les oeuvres, les écarts de distanciation par rapport au contexte de monstration induisent des propositions concentrée sur leur temps de réalisation et de perception. Mais outre cette transposition induite dans des objets visuels, l’introduction de la cloche marque un parti pris décisif quant à l’importance de la temporalité. Là où les éditions tiraient les oeuvres vers l’»après», Mother Ray insiste sur le «pendant». Elle échappe à la préciosité de ses reflets pour faire retentir l’ensemble de l’évènement dans une dimension sonore. Placée au centre de l’espace, la forme graphique de la structure portante marque déjà symboliquement son rôle, elle agit comme pivot, repoussant au dehors les confins matériels de l’exposition.

Le tintement ponctuel de la cloche comme mar-quage du temps est aussi le signe utilisé pour atti-rer l’attention, prendre conscience. Sa ponctualité rappelle cette fugacité de l’apparition du sens, en-tre la vue et la reconnaissance. Les oeuvres pré-sentées dans l’exposition semblent y faire écho, comme par exemple Trouble world, reflet au fusain d’une vue urbaine de Yann Denes qui se joue iro-niquement du dessin sur le motif. Saint Ouen, mai 2004, animation virtuelle de Thomas Léon dont la boucle presque imperceptible s’enchaîne dans la chute perpétuelle d’une feuille trop verte, comme une surimpression temporelle, renie l’objet de la scène qu’elle présente.

Si la nuit tombe en tant que titre implique enfin lui même une condition temporelle, celle de tous les vernissages du monde. Il n’est pas une thématique, il est un énoncé de possibilités. Le contexte n’est plus pris comme une contrainte mais comme une des lectures possibles. Le potentiel de ces trans-criptions contredit l’image pour ne soumettre l’œuvre qu’à sa condition temporaire de visibilité, et ainsi la comprendre comme objet ni éphémère, ni pérenne, mais dont l’existence serait comprise dans cet interstice de monstration.

L’artificialité de l’image vient donc ici se résoudre non pas dans une matérialité épaissie ou dans l’ex-cès technicolor. Confrontée à la projection fixe ou en mouvement, à la photographie ou au dessin de paysage, elle est plutôt intégrée en tant que re-présentation objective potentielle, mais inévitable-ment distanciée de sa matrice réelle en tant que trace, construction ou leurre. Son rapprochement avec le monochrome allié aux facettes du gemme modélisé pose enfin la question d’une représen-tation éclatée dont la détonation prendrait effet au cœur d’une couleur pure et dont les scories auraient été matérialisées dans les cendres tom-bées le long des murs.

Si l’exposition induit essentiellement la visibilité des pratiques artistiques, les délimitation figées de son contexte ne peuvent en offrir qu’un substrat, c’est à dire leur report comme déplacement de leur objet dans un cadre convenu. C’est à travers un temps en déclinaison et l’étirement de ce cadre que les oeuvres, libérées de leurs marges blanches, peuvent alors s’affranchir.

Texte: Alys Demeure

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