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Journal des cadres d’Énéo, mouvement social des aînés Belgique - Belgë P.P. – P.B. Charleroi X B - 802 Agréation P 202112 Édito Quelle image les aînés ont-ils d’eux-mêmes ? Si tu t’imagines Vous rappelez-vous cette chanson que chantait Juliette Gréco en 1947, au départ d’un poème de Raymond Queneau ? « Si tu t’imagines, fillette, fillette, si tu t’imagines, xa va durer toujours la saison des amours, ce que tu te goures ». Je ne suis pas Juliette Gréco et vous n’êtes pas des fillettes. Cependant, j’ai envie de dire : il faut que nous nous imaginions. Il faut que nous nous regardions. Il faut que nous regardions notre propre image, celle des aînés de la société (et dans la société). Il faut que nous regardions notre image sans fard. Sans triomphalisme, mais aussi sans misérabilisme. Le projet Imag’Aînés lancé par Énéo en février dernier comporte deux volets. Le premier : le regard des aînés sur eux-mêmes. Le second : le regard de la société sur les aînés. C’est le premier volet qui a été au cœur de notre réflexion durant cette première moitié de l’année. À son sujet, j’aimerais faire trois observations : l’une sur la méthode, l’autre sur l’objectif et la dernière sur les moyens à mettre en œuvre au service de nos idées. 1. L’étude que nous avons lancée a connu un réel succès. Nous avons récolté plus de quinze cents réponses. Cette large participation est un signe en soi. Elle montre que, dans notre société, la préoccupation pour l’image (et notamment pour de l’image de soi) est prioritaire. Nous n’en doutions pas, mais nous en avons ici la vérification statistique. 2. Nous avons, chevillées au corps et au cœur, un certain nombre de convictions. Notamment, que les aînés ne sont pas des parias et ne doivent pas être les oubliés de la société. Ce n’est pas parce qu’ils ont décroché du milieu du travail qu’ils doivent se sentir irresponsables ou inutiles. Mais il ne suffit pas d’afficher des bons sentiments. Il ne suffit pas de clamer, dans nos congrès ou dans nos réunions, nos idées ou nos intuitions. Il faut leur donner une base aussi scientifique que possible. Il faut en vérifier le bien-fondé. Il faut aussi chercher à les expliquer ou à les justifier. En un mot, il faut objectiver notre discours. En ce sens-là, l’étude qui a été réalisée représente une étape fondamentale du projet Imag’Aînés. Nous ne parlons pas dans le vide : nous avons un dossier. 3. J’ai envie d’ajouter : « Ce n’est qu’un début, continuons le combat ». Notre étude, c’est un point de départ. C’est une étape importante dans la réalisation d’un projet qui va nous conduire à organiser une série de réunions et d’animations dans nos régions et groupements locaux. C’est l’amorce d’une campagne de sensibilisation auprès de nos membres, mais aussi auprès de la société. Si le projet Imag’Aînés est si important, c’est qu’il nous place face à nous-mêmes, nous oblige à nous regarder, comme dans un miroir. J’ai commencé par une chanson, celle de Juliette ; je finirai par une autre, celle de Marguerite. Chacun connaît le grand air du Faust de Gounod. Marguerite, alias la Castafiore, se regarde dans un miroir : « Est-ce moi ? Réponds, réponds, réponds, vite ! ». À tous, je dis : « Répondons » ! Francis Delpérée Président d’Énéo Trimestriel n° 42 | Mai - Juin - Juillet 2013

Si tu t’imaginesVous rappelez-vous cette chanson que chantait Juliette Gréco en 1947, au départ d’un poème de Raymond Queneau ? « Si tu t’imagines, fillette,fillette, si

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Balises n° 42 1

Journal des cadres d’Énéo, mouvement social des aînés

Belgique - BelgëP.P. – P.B.Charleroi X

B - 802Agréation P 202112

Édito

Quelle image les aînés ont-ils d’eux-mêmes ?

Si tu t’imagines

Vous rappelez-vous cette chanson que chantait Juliette Gréco en 1947, au départ d’un poème de Raymond Queneau ? « Si tu t’imagines, fillette, fillette, si tu t’imagines, xa va durer toujours la saison des amours, ce que tu te goures ». JenesuispasJulietteGrécoetvousn’êtespasdesfillettes.Cependant,j’aienviededire:ilfautquenousnousimaginions.Ilfautquenousnousregardions.Ilfautquenousregardionsnotrepropreimage,celledesaînésdelasociété(etdanslasociété).Ilfautquenousregardionsnotreimagesansfard.Sanstriomphalisme,maisaussisansmisérabilisme. LeprojetImag’AînéslancéparÉnéoenfévrierderniercomportedeuxvolets.Lepremier:leregarddesaînéssureux-mêmes.Lesecond:leregarddelasociétésurlesaînés.

C’estlepremiervoletquiaétéaucœurdenotreréflexiondurantcettepremièremoitiédel’année.Àsonsujet,j’aimeraisfairetroisobservations:l’unesurlaméthode,l’autresurl’objectifetladernièresurlesmoyensàmettreenœuvreauservicedenosidées.

1.L’étudequenousavonslancéeaconnuunréelsuccès.Nousavonsrécoltéplusdequinzecentsréponses.Cettelarge participation est un signe en soi. Elle montre que, dans notre société, la préoccupation pour l’image (et notamment pourdel’imagedesoi)estprioritaire.Nousn’endoutionspas,maisnousenavonsicilavérificationstatistique.

2.Nousavons,chevilléesaucorpsetaucœur,uncertainnombredeconvictions.Notamment,quelesaînésnesontpasdespariasetnedoiventpasêtrelesoubliésdelasociété.Cen’estpasparcequ’ilsontdécrochédumilieudutravailqu’ilsdoiventsesentirirresponsablesouinutiles.Maisilnesuffitpasd’afficherdesbonssentiments.Ilnesuffitpasdeclamer,dansnoscongrèsoudansnosréunions,nosidéesounosintuitions.Ilfautleurdonnerunebaseaussiscientifiquequepossible.Ilfautenvérifierlebien-fondé.Ilfautaussichercheràlesexpliquerouàlesjustifier.Enunmot,ilfautobjectivernotrediscours.Encesens-là,l’étudequiaétéréaliséereprésenteuneétapefondamentaleduprojetImag’Aînés.Nousneparlonspasdanslevide:nousavonsundossier.

3.J’aienvied’ajouter:«Cen’estqu’undébut,continuonslecombat».Notreétude,c’estunpointdedépart.C’estuneétapeimportantedanslaréalisationd’unprojetquivanousconduireàorganiserunesériederéunionsetd’animationsdansnosrégionsetgroupementslocaux.C’estl’amorced’unecampagnedesensibilisationauprèsdenosmembres,maisaussiauprèsdelasociété.

SileprojetImag’Aînésestsiimportant,c’estqu’ilnousplacefaceànous-mêmes,nousobligeànousregarder,commedansunmiroir.J’aicommencéparunechanson,celle de Juliette ; je finirai par une autre, celle deMarguerite. Chacun connaîtlegrandairduFaustdeGounod.Marguerite,alias laCastafiore,seregardedansunmiroir : « Est-cemoi ? Réponds, réponds, réponds, vite ! ». À tous, je dis :«Répondons»!

Francis DelpéréePrésident d’Énéo

Trimestriel n° 42 | Mai - Juin - Juillet 2013

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2 Balises n° 42

Sommaire

Édito 1

1. Introduction et contexte 3

2. Comment avons-nous procédé ? Quelques mots sur la méthodologie 4

3. Qui sont les répondants ? 5

4. Que montre l’étude ? Les résultats 7

4.1. Aînés, seniors, vieux ?   Les termes utilisés pour désigner les personnes de 50 ans et plus  7

4.2. Quel âge les aînés ont-ils l’impression d’avoir et voudraient-ils avoir ?  L’âge subjectif  8

4.3. Les différentes facettes de l’existence et de la personnalité des aînés  10

4.4. Comment les aînés perçoivent-ils leur vieillissement ?   15

4.5. Les aînés sont-ils satisfaits de leur existence ?   16

4.6. Les aînés ont-ils une bonne estime d’eux-mêmes ?   17

4.7. Ce que les aînés pensent que l’on pense d’eux. Les métastéréotypes  18

5. Apports et limites de l’étude 21

6. En guise de conclusion 21

7. Bibliographie 23

Quelle image les aînés ont-ils d’ eux-mêmes ?Présentation de l’étude menée par Énéo

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L’imagequelasociétérenvoiedesaînésest généralement sans complaisance. La vieillesse est vue comme une tare, comme une ennemie dont il faut seprotéger. Si les études sur l’âgisme et les stéréotypes négatifs qu’il charrie sontnombreuses,onnesaitquepeudechoses de ce qu’en pensent les princi-paux intéressés: les aînés eux-mêmes.Préfèrent-ils être qualifiés d’aînés, depensionnés ou de seniors ? Quel âge ont-ils dans leur tête ? Que pensent-ils des stéréotypes qui les disent lents, avares, seuls ou sages ? Comment sepositionnent-ils par rapport au vieillis-sement? À quel point sont-ils satisfaitsde leur existence? Quelle estime ont-ilsd’eux-mêmes ? Pourtenterdemieuxcomprendre la façon dont les aînés sevoientetderépondreàcesdifférentesquestions,Énéo,mouvement socialdesaînés, a mené une vaste étude. Plusde1500aînésd’horizonsdiverssesontlivrés, nous dévoilant ce qu’ils pensent d’eux-mêmes et de ce que la sociétépensed’eux.Leprésentnumérode Ba-lises viseàprésentercetteétudedansle détail.

Avant d’entrer dans le vif du sujet, ilest important de comprendre dans quel contextecetteétudeprendplace.Celle-

ci a été menée dans le cadre d’un vaste projetd’éducationpermanentequ’Énéoa appelé «Imag’Aînés ».Ceprojetviseà(s’)interroger sur les imagesdesaînés ; lesimagesqu’ilsontd’eux-mêmes,maisaussi les images que la société renvoie d’eux,notammentàtravers lesmédiaset les décisions politiques. Il vise aussi à se demander comment ces imagesmultiples interagissent, s’opposent ou serenforcent.Ceprojetaété lancé le25février2013,etl’étudedontilesticiquestion a été présentée et a démarré cemêmejour.

Énéo étant unmouvement d’éducationpermanente, les études que nous réalisons sont souvent le point de départ d’autresactions.Eneffet,notreobjectifest d’encourager la participation et l’engagement des aînés dans la viesociale, culturelle, économique et politique, notamment par le biais del’action collective. Bien évidemment, en corollaire, nous tentons de lutter contre toute discrimination dont souffriraientles aînés et de promouvoir leur bien-être physique, psychologique et social. L’étude dont il est ici question est étroitementliéeauxautrescomposantesduprojet«Imag’Aînés » que sont les ani-mations de terrain et les campagnes de

sensibilisation.Lespremièresontlaplu-part du temps lieu dans les groupements locauxd’Énéo,etvisentàencouragerlesaînés à s’exprimer et à construire uneparolecollective.Lessecondesvisentàdiffuserdesmessagesfortsauprèsd’unlargepublicenvuedeleconscientiseràlacausedesaînés.Cetteétude,enplusde son intérêt intrinsèque, servira donc àalimenterlesdébatsetlesanimationsauniveaulocalainsiqu’àconstruirelesmessagesquenoussouhaitonsdéfendreautraversdenotrecampagne.Leprojet«Imag’Aînés » se poursuivra jusqu’à lafindel’année2014.

Dans les sections qui suivent, nous pré-senterons les différentes facettes del’étude. Nous aborderons tout d’abordla méthodologie que nous avons utilisée pour collecter les données. Nous pas-serons ensuite en revue les caractéris-tiques des répondants (qui sont-ils en termes d’âge, de sexe, de répartitiongéographique, etc. ?). Nous décrirons ensuite en détail les principaux résul-tats que l’étude a permis de mettre en exergue.Enfin,nousconcluronsenreve-nant sur les apports et limites de cette étudeet sur le principalmessage à enretenir.

Nous espérons que la lecture de ce nu-méro de Balises vous éclairera sur les processus qui sont àl’œuvre dans la per-ceptionquelesaînésontd’eux-mêmesou, a minima, qu’elle vous aidera à yréfléchirdefaçonplusstructurée.

Quelle image les aînés ont-ils d’ eux-mêmes ?Présentation de l’étude menée par Énéo

1. Introduction et contexte

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Pour savoir ce que les aînés pensentd’eux-mêmes, ilnousaparuessentielde poser la question aux aînés eux-mêmes,personnen’étantplusàmêmedenouséclaireràcesujetquelesprin-cipaux intéressés.Notreobjectifétaitde recueillir un grand nombre de ré-ponses de personnes de 50 ans ou plus (aumoins700).Danslebutdetravaillersur base d’un large échantillon, nousavons opté pour une étude quantitative, avecunrecueildedonnéesparlebiaisdequestionnairesetdequestionsfer-mées.Toutepersonnefrancophonede50 ans et plus résidant en Belgique pou-vait y participer.

Surbased’unerevuede la littératuresur le sujet, nous avons construit unquestionnaire contenant 187 questions fermées. La plupart de ces questionsétaientenfaitdesaffirmationsparrap-portauxquelleslesrépondantsdevaientprendreposition.Dansbeaucoupdeson-dages,ondemandesimplementauxré-pondants s’ils sont d’accord ou non avec une série de propositions, avec deuxpossibilités («oui » ou «non »). Nous pensonsque leschosesnesontjamaisaussi simples et que, pour capturer la nuancedesopinions, il fautpermettredavantage de nuances. Nous avons donc choisi des échelles de réponses à 5degrés (permettant d’être «en désac-cord total », «plutôt en désaccord », «neutre », «plutôt en accord » ou «en accord total » avec la proposition). Les réponses à ces questions sont un peu plusdifficilesàtraiterquelesréponsesàdesimplesquestionsdichotomiques,mais elles permettent de respecter la complexitédesopinionsetdenepasforcerlesrépondantsàchoisirentredesalternatives trop simplistes.

Pourtoucherunmaximumdepersonnes,deuxversionsduquestionnaireontétéréalisées: une version papier et une version électronique. Le questionnaire papier faisait 8 pages. Après l’avoircomplété, lerépondantdevait lefaireparvenirauSecrétariatfédérald’Énéo,par la poste ou par l’intermédiaire d’un(e) animateur/trice régional(e). Huit cents questionnaires papier ont été imprimés et distribués aux diffé-rentes régionales d’Énéo, qui étaientelles-mêmes chargées de les diffuseraumaximumauprèsdeleursmembres,mais aussi auprès de personnes non membresd’Énéo.Uneversionélectro-nique du questionnaire, en tout point identique au questionnaire papier, a été mise en ligne sur notre site Internet. L’adressevers l’étudeaétéfortementrelayée au sein dumouvement Énéo,maisaussiparcourrieletpar lebiaisdes réseauxsociaux.Lesavantagesdelaformuleélectroniquesur laformulepapier étaient notamment qu’elle permettait facilementde toucherdesrépondants hors du mouvement, qu’elle rendaitlaréponseàtouteslesquestionsobligatoire(unquestionnaireincompletestproblématiqueàplusieurségards)et qu’elle automatisait l’encodage des réponses.

Le recueil des données a duré 3 mois (du25févrierau10avril2013pour laversionpapier,du25févrierau30avril2013 pour la version électronique, cette dernière ne nécessitant pas de temps d’encodage). Comme nous l’avonsmentionné précédemment, l’étude aété introduite lorsde la journéedelancement du projet «Imag’Aînés », le25février2013,àBouge.Lesparti-cipantsà lajournéeontreçuunques-tionnaireàcompléteretàfaireensuite

parvenirauSecrétariatfédérald’Énéo.Chaquerégionaled’Énéoaégalementreçu un ensemble de questionnairespapier à faire compléter sur leurterritoire d’action (pour des raisons d’équité, lenombredequestionnairesdistribués dépendait du nombre demembresÉnéodanslarégionaleetpasdunombred’habitantssursonterritoired’action). Pour que les réponses récol-tées soient les plus représentatives de la population générale, il a été deman-déde respecter, autantquepossible,une certaine répartition en termes de sexe,d’âge et d’appartenance au mou-vement (si nous n’avions récolté que des réponsesdefemmesentre55et65ansmembresd’Énéo,aurait-onencorepuparler de l’imagedesaînés ?).Chaquerégionaleadoncreçuunegrillederé-partition comme guide pour la récolte desdonnées.Afindecollerauplusprèsau réel, la répartition en termes d’âge etdesexeaétéréaliséesurlabasedesstatistiquesdémographiquesbelges.Deplus,comme ilétaitprobableque lesaînésdumouvementnesoientpastoutà fait des aînés «comme les autres » (moins isolés que la moyenne, notam-ment),nousavonsdemandéauxrégio-nalesd’essayerd’obtenir lamoitiédesréponses en dehors du mouvement.

Le recueil des données s’est déroulé sansencombre.Laversionélectroniquedu questionnaire a permis de recueillir beaucoupplusderéponsesqueprévu,ce qui a porté notre échantillon non pas à700,maisà1542répondants.Danslasection suivante, nous verrons quelles sont les principales caractéristiques so-ciodémographiques de ces répondants.

2. Comment avons-nous procédé ? Quelques mots sur la méthodologie

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L’étude a été largement diffusée, sibien que 1542 personnes de 50 ans etplus ont rempli le questionnaire. Qui sont ces personnes ? Nous allons main-tenant analyser cette question de plus près.Unéchantillonderépondantsestidéal quand il est totalement représen-tatifdelapopulationgénérale.Cequenous aurions donc souhaité, c’est qu’il soit le plus représentatif possible del’ensembledespersonnesde50ansetplusrésidantenBelgiquefrancophone.Bien entendu, cela reste un idéal àviser, mais rarement atteint, surtout quand la participation est volontaire (le faitd’accepterounondeparticiperestrarement anodin). À défaut d’avoir pu totalement contrôler notre échantillon pour le rendre tout à fait conforme àce que nous souhaitions, il est impor-tantdebiensereprésenterquisontlesrépondants de l’étude pour bien com-prendreenquoiilspeuventdifférerdela population générale, et en quoi nos résultats peuvent donc être, dans une certainemesure,biaisés.

Afin que l’échantillon des répondants soitleplusprochedelapopulationbelgedes personnes de 50 ans et plus, nous avons tenté d’approcher les statistiques officielles basées sur la tranche d’âge etlesexe.Cesstatistiquesmettentenévidence des éléments démographiques connus. En Belgique, il y a plus de femmesde50ansetplus(55,04 %) que d’hommes de cet âge (44,96%). Plusl’âge avance, plus les personnes sont susceptiblesdedécéder; les personnes de 50 et ans et plus sont ainsi consti-tuées de 38,38 % de personnes de 50-59 ans, de 26,69% de personnes de 60-69ans, de 21,69% de personnes de 70-79ans et de 13,31 % de personnes de 80 ans et plus. La répartition des répon-dants en termes d’âge et de sexe estreprise dans le Tableau 1. Bien que glo-balementenphaseaveclesstatistiquesofficielles, elle présente certains biaisde sélection. Ainsi, alors qu’on auraitsouhaité que les femmes de 60-69 ansreprésentent 14 % de notre échantillon,

ellesreprésententdanslesfaits31%dece dernier (le public touché par Énéo—et, de façon générale, par les asso-ciations non marchandes — y est vrai-semblablement pour quelque chose).En contraste, les hommes de 50-59 ans représentent 6% de notre échantillon,alors que nous aurions souhaité qu’ils en représentent 19% (le fait qu’une largeproportiond’entreeuxsoittoujoursenactivité professionnelle peut être uneexplicationàleurfaibleparticipation).Hormis ces deux écarts importants,les autres écarts aux statistiques offi-cielles sont relativement ténus (3,5 % en moyenne).Nousnepouvonspasaffirmerque notre échantillon soit pleinement représentatifdelapopulationgénérale,mais ilsemblenéanmoinsrelativementéquilibré et ne néglige aucun sous-groupe de la population des personnes de 50 ans et plus.

Les répondants provenaient de diverses régionsdelaBelgiquefrancophone.Pourpouvoir avoir une idée de la localisation desrépondantssansnuireàl’anonymatdes données, nous avons opté pour un procédé particulier. Nous avons deman-dé, aux membres Énéo, dans quellerégionale ils étaient et, auxpersonnesqui n’étaientpasmembresd’Énéo,quelétaitleurcodepostal(surbasedecelui-ci, nous avons pu déterminer de quelle régionale dépendait le territoire sur lequelilshabitaient).Delasorte,nousavonspudresserunbilandunombrede

répondantsparrégionale(àcomprendrecomme des territoires), ainsi que la proportion de membres et de non-membresquiontrépondudanschaquerégionale.Cesinformationssetrouventdans le Tableau 2. On y constate qu’en dépit des variations régionales, aucun territoire n’a été négligé, et que les ré-pondants de cette enquête proviennent biendel’ensembledelaBelgiquefran-cophone. Pour ce qui est de la réparti-tionentermesd’appartenanceàÉnéo,onconstatequelamajoritédesrépon-dants sont membres d’Énéo (62,2%),maisqu’unréeleffortaétéfaitpournepasselimiteràinterrogernosmembres(37,8 % des répondants ne sont pas membresd’Énéo).

Tout d’abord, il est intéressant dese pencher sur le média par lequel le questionnaireaétérempli.Surles1542questionnaires, 1216 (78,9%) ont étécomplétés via Internet et 326 (21,1%)au format papier. Ce résultat est in-terpellant, car il ne correspond pas àl’imagequel’onsefaithabituellementdes personnes de 50 ans et plus (que l’on voit fréquemment comme n’uti-lisant que peu — voire pas — les nou-velles technologies). S’il est évidem-ment réjouissant de constater que denombreux répondants ont participé via Internet, ilne faudraitpasen tirerdeconclusion hâtive sur l’usage des tech-nologies chez les personnes de 50 ans et plus.Eneffet,unquestionnaireparIn-

3. Qui sont les répondants ?

Femmes Hommes 50-59 ans 14 % (19 %) 6 % (19 %) 60-69 ans 31 % (14 %) 20 % (13 %) 70-79 ans 12 % (13 %) 11 % (9 %) 80 ans et plus 3 % (9 %) 3 % (4 %)

Tableau 1. Répartition des répondants en termes d’âge et de genre (la répartition de la population de la Fédération Wallonie-Bruxelles

est entre parenthèses).

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ternetestplusfacilementdiffuséqu’unquestionnaire papier, et le fait qu’il yait plus de réponses par Internet peut n’en être que le reflet. Il faudra doncresterattentifdansl’interprétationdesrésultats et ne jamais perdre de vueque, malgré nos efforts pour obtenirdes réponses représentatives de tous les aînés, il sepeutqu’elles soient le faitd’aînés «particuliers », surreprésentés dans notre étude.

Nous allons à présent passer en revuedifférentescaractéristiquessociodémo-graphiquesdesrépondants.Cesderniersont des milieux de vie variés, 35,6%d’entre eux vivant en zone rurale,35,4%,enzonesemi-urbaineet28,8%,enzoneurbaine.Encequiconcerneleplus haut niveau d’étude atteint, 38,3 % des répondants ont un diplôme de l’en-seignement supérieur de type long ; 13,6%, un diplôme de l’enseignementsupérieur de type court ; 22,8 %, un di-plôme de l’enseignement secondaire su-périeur ; 18,5 %, un diplôme de l’ensei-gnement secondaire inférieur et 1,8%,un diplôme de l’enseignement primaire. Ceschiffresnesontpasenphaseaveclapopulationbelge,puisque,selonune

enquêteduSPFEconomie,PME,Classesmoyennes et Énergie (2010), il n’y a en Belgique que 27,3 % de la population de plus de 15 ans qui a un diplôme de l’enseignement supérieur (contre 51,9 % dans notre échantillon).

Les répondants ont été interrogés sur leur principal statut socioprofession-nel durant leur carrière. Parmi les sta-tuts les plus fréquents, on retrouve32,6%de fonctionnaires (y compris lesenseignants), 28 % d’employés, 14,5 % de cadres, 6,2% d’indépendants, 4,3%d’ouvriers et 3,4 de répondants qui n’ont pas exercé de profession. Parmiles répondants, 81,8% n’exercent pasou plus d’activités professionnelles,tandisque17%enontune.Àpartirde65ans,ilsnesontque2,5%àtravailler.Endeçà,ilssont34,1%.

En ce qui concerne l’état matrimonial, unemajoritédesrépondantssontmariésou en concubinage (66,9%). Viennentensuite les divorcés (14,3%), les veufs(12,3) et les célibataires (6,3%). Pourcequiestdeladescendance,86,8%desrépondantsontunouplusieursenfants(quand ils en ont, ils en ont 2,44 en

moyenne)et69,6%d’entreeuxontunouplusieurspetits-enfants(quandilsenont, ils en ont 4,08 en moyenne).Lagrandemajoritédesrépondantssontd’originebelge(94,1%).Pourcequiestde leur appartenance au milieu asso-ciatif,54,3%d’entreeuxsontmembresd’un groupement ou d’une association autre qu’Énéo.Sionadditionneceux-cià ceux qui sont chez Énéo, 79,2% desrépondants font partie d’un groupe-ment ou d’une association (Énéo com-pris).Cetteproportionestgigantesque.Il semble donc que, plutôt que d’être représentatifs de tous les aînés, lesaînésquenousavonsinterrogéslesontdavantage des aînés qui s’engagent. Cela pourrait transparaître dans cer-taines des réponses recueillies.

Proportion des répondants de la régionale

(par rapport au total)

Pour la régionale concernée

Proportion des membres

Proportion des non-membres

Namur 17,4 % 62,8 % 37,2 % Liège 16,5 % 62,2 % 37,8 % Brabant wallon 14,5 % 66,4 % 33,6 % Hainaut Picardie 13,8 % 71,4 % 28,6 % Hainaut oriental 12,1 % 67,2 % 32,8 % Bruxelles 9,7 % 45,0 % 55,0 % Verviers 7,1 % 69,7 % 30,3 % Luxembourg 5,8 % 65,2 % 34,8 % (inconnu) 3,2 % 12,0 % 88,0 %

Tableau 2. Répartition des répondants par régionale et appartenance ou non à Énéo.

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Après cette présentation des caracté-ristiquesdesrépondants,entronsàpré-sentdanslecœurdusujet:les résultats de l’étude. Les données que nous avons recueillies sont nombreuses (quand1542 personnes répondent chacune à187questions,lesdonnéesfontplusde288000nombres!). La richesse des don-néespermettraitdeseposerbeaucoupde questions. Nous ne présenterons ici que certains résultats relatifs à cer-taines questions. Il est néanmoins très probablequelesdiscussionsetinterpel-lations qui auront lieu après la parution de ce numéro de Balises nous inciteront àenanalyserd’autres,afindeparfaire,encore et toujours, notre compréhen-sionde la façondont lesaînés seper-çoivent.

La présentation des résultats suivra une structure thématique. Nous évoquerons toutd’abordlaquestiondestermesuti-lisés pour désigner les personnes de 50 ansetplus(seniors,aînés,pensionnés,vieux…) et tenterons de comprendrelesquels de ces termes sont acceptés ou, au contraire, rejetés par les prin-cipaux intéressés. Nous aborderonségalement l’importante notion d’âge subjectif et pointerons le fait que lesaînés n’ont pas toujours l’impressionde faire leur âge et qu’ils aimeraientparfois avoir un autre âgeque le leur.Nousanalyseronsensuitelesdifférentesfacettesdel’existenceetdelaperson-nalité des aînés. Nous verrons s’ils seconsidèrentdifférentsdespersonnesdemoinsde50anssurcesdifférentesfa-cettes,etcomment.Nousenprofiteronspourfairelepointsurlesrelationsquipeuvent exister entre les stéréotypesàl’égarddesaînésetlafaçondontilsse perçoivent. Nous nous attarderonsensuitesur laperceptionque lesaînésont du vieillissement, sur leur degré desatisfactionparrapportà leurexis-tenceetsurleurestimed’eux-mêmes.Avantdeconclure,nousaborderonslesmétastéréotypesdesaînés,c’est-à-direles stéréotypes qu’ils pensent que les

autresontàleurégard.Nousessaieronségalement de déterminer quels sont les publics que les aînés considèrentcomme les plus stigmatisants (jeunes,médias, etc.).

4.1. Aînés, seniors, vieux ? Les termes utilisés pour désigner les personnes

de 50 ans et plus

Il existe plusieurs termes qui per-mettent de désigner les personnes de plus de 50 ans. Si ces termes sont, a priori, des synonymes, ils n’en restent pas moins chargés de connotations. On constate généralement que les termes tels «aînés » ou «seniors » ont une meilleure connotation que le terme «vieux ».Cedernier,dansnotresociétéjeuniste,insisteeneffetbeaucouptropsur la facette «déficitaire » du vieillis-sement. Les termes que l’on peut repé-rerdanslesmédiassonttrèsnombreux,ce qui montre aussi qu’on pressent une difficulté à désigner de façon correcteles personnes de cette tranche d’âge et unrisquededéplaireparlechoixd’un termeinadéquat.Enguised’exemples,voici quelques-uns des termes que l’on peut retrouver:vieux,personnesâgées,aînés,vétérans,troisièmeâge,seniors,anciens,inactifs,tempesgrises,papys-boomers, etc. La connotation de cestermes semble essentiellement varierquant au fait qu’ils «font vieux » ou pas.Ainsi,dansunsondageTNSSofresde 2009 (cité par Ennuyer, 2011), on a demandéàpartirdequelâgedifférentsqualificatifspouvaientêtreutilisés.Lesrésultats ont montré qu’un baby-boo-merestunepersonned’environ56ans,qu’unaînéaenviron58ans,unsenior,61 ans, un vétéran, 68 ans, un ancien72 ans, une personne âgée, 74 ans et un vieux,76ans.Leterme«vieux » a donc uneplusforteconnotationd’âgeavancéque le terme «aîné ».

Dans notre étude, nous avons demandé aux répondants de se positionner parrapport à des affirmations comme «Je me définis volontiers comme un se-nior ». Les résultats sont présentés dans la Figure 1 et mettent en évidence que le terme qui est largement plébiscité(81,9% se disent plutôt ou tout à faitd’accord avec la proposition) est «per-sonne de plus de 50 ans », soit un terme objectif, qui ne laisse aucune placeà l’appréciation subjective. Viennentensuite les termes «aîné » (60,5%d’ac-cord), «retraité » (52 % d’accord), «se-nior » (49,5 % d’accord) et «pensionné » (43,5 % d’accord). Trois termes sont da-vantagerejetésqu’acceptés:«ancien » (44,2 % de désaccord), «personne âgée » (68,2%dedésaccord)et«vieux » (81,9 % de désaccord).

Analysés du point de vue d’Énéo, cesrésultats indiquent que le qualificatifdu mouvement («mouvement social desaînés ») n’est pas mal choisi (c’est ledeuxièmetermeparordredepréfé-rence), mais qu’il n’en reste pas moins rejetépar26%desrépondants(unepro-portionquimonteà39%pourlesmoinsde65ans!).Celainviteàréfléchirauxéventuelles répercussions du nom de notremouvementsursacapacitéàatti-rerdesmembresdetouteslestranchesd’âge. En revanche, l’abandon, il y aquelquesannéesdéjà,duterme«pen-sionnés » semble avoir été judicieux,dèslorsqu’ilestrejetépar4personnesde 50 ans et plus sur 10.

Le fait d’accepter ces qualificatifsdépend assez logiquement de l’âge du répondant. Les résultats indiquent que plus une personne est âgée, plus elle acceptecesqualificatifs.Parexemple,si 81,9% des répondants rejettent leterme «vieux »,89,5%desmoinsde65anset80,7%des65-74anslerejettent,pour seulement 60,3% des plus de 75ans. Néanmoins, on le voit, le terme continue de déplaire avec l’avancée en âge. Les participants de 85 ans et plus sontencore41,4%àlerejeter!

4. Que montre l’étude ? Les résultats

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8 Balises n° 42

Une question plus complexe que l’onpeut également se poser à propos deces qualificatifs, c’est de savoir s’ilsdisent quelque chose de l’estime de soi et de la satisfaction de vie de la per-sonnequi les accepte. Imaginons deuxpersonnesde70ans, dontune rejetteenbloclequalificatifde«vieille » et pas l’autre ; la première a-t-elle une autre expérience de l’existence que la se-conde ? Nous avons mené certains tests statistiques pour le savoir. À âge égal, les personnes qui acceptent davantage lesqualificatifsde«vieux » ou de «per-sonnes âgées » ont une estime d’elles-mêmes réduite. En ce qui concerne la satisfaction de vie, on constate quelespersonnesquisedisentplus facile-mentseniors,aînéesouretraitéessontdavantagesatisfaitesdeleurexistence,alors que les personnes qui se disent «vieilles » le sont moins.

Nous venons de le voir:les termes uti-liséspourqualifierlespersonnesde50ans et plus sont très loin d’être anodins et peuvent être, dans certains cas, largementrejetés.Ilestdoncessentieldenepaslaisserlechoixdestermesauhasard quand on s’adresse à ces per-sonnes, car ils peuvent se révéler très stigmatisantsou,àtoutlemoins,inef-ficaces si l’objectif est de toucher lacible.

4.2. Quel âge les aînés ont-ils l’impression

d’avoir et voudraient-ils avoir ? L’âge subjectif

L’âge subjectif désigne une réalitésimpleetnéanmoinstrèsintéressante:à quel point un individu se sent âgé.En contraste avec l’âge chronolo-gique, l’âge subjectif correspond à lareprésentation et au ressenti qu’une personneena,àl’âge avec lequel elle se sent «en phase ». L’âge subjectifest le seul âge qui peut s’accélérer, se ralentir, cesser d’évoluer ou encore s’inverser (Versele, 2005). Dans les pre-mièresrecherchesàcesujetmenéesparBlau(1956)ainsiqueTuckmanetLorge(1958), l’âgesubjectifestdéfinicomme«l’âgeoulegrouped’âgederéférenceauquel un individu s’identifie en fonc-tiondesrôlessociauxqu’illuiattribue » (Blau, 1956). Cet âge subjectif auraitplusieurs facettes (Jamin,2006): l’âge que l’individu a le sentiment d’avoir (feel  age), l’âge qui correspond à sescentres d’intérêt (interest age) et l’âge qui transparaît à travers ses actes (do age).

Un calcul qui est souvent intéressantest celui de la différence entre l’âge chronologique et l’âgesubjectif(Perrig-Chiello,2001).Après ledébutde l’âge

adulte, la plupart des gens se sentent plus jeunes que leur âge (par ex.,Montepare&Lachman,1989;Rubin,&Berntsen,2006).Desétudesontmontréque cet écart augmente avec l’âge, et particulièremententre50et60ans(à60ans, l’écart est de 10 ans en moyenne), période durant laquelle les personnes auraient une véritable attitude anti-âge,quilesferaitsesentirplusjeunesqu’elles ne le sont. Durant cette pé-riode, une sorte de déni du vieillisse-ment peut avoir lieu, en raison tant des représentations négatives qu’il charrie que de la peur de la maladie et de la mort (Versele, 2005). Quand on envisage l’âgesubjectifde façondichotomique,c’est-à-dire simplement surbasede laréponseàlaquestion«vous-sentez-vous vieux ? »,onobservedeuxposturesclas-siques(deux«idéauxtypiques », comme disent les sociologues) : le refus de seconsidérer comme vieux et l’accepta-tion du statut de vieux. Les premiersperçoivent une continuité entre cequ’ils sont et ce qu’ils ont été, alors que les seconds y voient une certaine discontinuité(Caradec,2003).

Le concept d’âge subjectif estinfiniment plus riche que celui d’âge chronologique. Dans de nombreux cas,il s’avère d’ailleurs être un meilleur prédicteur du fonctionnement psycho-logique et physique des aînés que nel’estleurâgechronologique(Montepare& Lachman, 1989). Par exemple, des

Figure 1. Les termes utilisés pour désigner les personnes de plus de 50 ans.  

0 % 10 % 20 % 30 % 40 % 50 % 60 % 70 % 80 % 90 % 100 %

Personne de plus de 50 ans

Aîné(e)

Retraité(e)

Senior

Pensionné(e)

Ancien(ne)

Personne âgée

Vieux/Vieille

Tout à fait d'accord Plutôt d'accord Neutre Plutôt en désaccord Tout à fait en désaccord

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Balises n° 42 9

auteurs spécialisés dans l’analyse des comportements des consommateurs ont montré que l’âge subjectif permettaitmieuxdeprédire leurscomportementsque l’âge chronologique (Stephens,1991 ; Wilkes,1992).Unerécenteétudebritannique (Haslam et coll., 2012) aégalementmis en exergue que les se-niors qui se percevaient comme «plus vieux » étaient cinq fois plus enclins àrépondre positivement au diagnostic de démence que ceux qui se percevaientcomme «plusjeunes»…

Dans la présente étude, nous avons me-suré trois facettes de l’âge subjectif:l’âge ressenti («La plupart du temps, quel âge avez-vous l’impression d’avoir ? »), l’âgedésiré («Si vouspou-viez choisir votre âge, quel âge aime-riez-vous avoir ? ») et l’âgeperçu(«Quel âge pensez-vous que l’on vous donne [après avoir parlé 10 minutes avec vous] ? »).

Les résultats sont présentés à la Fi-gure 2. Concernant l’âge ressenti, les répondants se sentent, en moyenne, 8,

96ansplusjeunesqueleurâgechrono-logique.Cettevariationaugmenteavecl’âge, puisqu’elle est de 7, 83 ans pour lesmoinsde65ans,de9,12anspourles65-74ansetde12,44anspourles75 ans et plus.Concernant l’âge souhaité, les répondants souhaiteraient, en moyenne, avoir17,3ansdemoinsqueleurâge!Ici aussi, cet écart augmente avec l’âge:il estde14,78anspourlesmoinsde65ans,de18anspourles65-74ansetde24,12anspourles75ansetplus.Ceschiffresmontrent combien la jeunesseresteenviable,ycomprischezlesaînés.

Enfin, concernant l’âge perçu, lesparticipants pensent enmoyenne faire7,47ansdemoinsque leurâge,biaisqui augmente également avec l’âge: il est de 6, 22 ans pour lesmoins de 65ans,de7,91anspourles65-74ansetde 10, 6 ans pour les 75 ans et plus.L’âge perçu semble être une formed’âge ressenti corrigé pour l’apparence physique (et aussi parce qu’on essaie de semettre à la place d’autrui). Le faitqu’ilsoitde7ansinférieuràl’âgechro-

nologiquemontreuneperceptionfaus-séedesrépondants.Eneffet,sionpartdel’idéequ’ilexistedespersonnesquifont plus que leur âge et d’autres quifontmoinsqueleurâge,ondevrait,enmoyenne,n’observeraucunedifférenceentre l’âge chronologique et l’âge per-çu. Ce résultatmontre que les répon-dantsaimentàpenserqu’ilsparaissentplusjeunesqu’ilslesont,mêmes’ileststatistiquementprobablequeçanesoitpastoujourslecas.Ils’agitévidemmentd’uncomportementquiestpositif,caril protège l’estime de soi.

Commenousvenonsdelevoir,lesaînésn’ont pas l’impression d’avoir l’âge qu’ils ontet nepensentpas faire leurâge. À choisir, ils aimeraient être plus jeunesqu’ilslesont.Cequecesrésul-tats indiquent indirectement, c’est que les aînés n’ont pas l’impression d’être plusâgésquelesautres.Celaimpliquesans doute qu’ils n’apprécient pas d’être traités «différemment » par la société.

Figure 2. L’âge chronologique et l’âge subjectif.  

59,17

68,59

79,80

51,33

59,46

67,20

44,39

50,59

55,51

52,97

60,65

69,07

moins de 65 ans

65-74 ans

75 ans et plus

Âge chronologique Âge ressenti Âge souhaité Âge perçu

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10 Balises n° 42

4.3. Les différentes facettes de l’existence et de la personnalité

des aînés

Une large partie du questionnaire del’étude invitait les répondants à sepositionner par rapport à diversesaffirmations relatives à différentesfacettes de leur existence et de leurpersonnalité. Les questions reprises dans cette section ont été conçuessur base de deux outils anglo-saxonsexistants. Le premier (Weiss & Lang,2012) consiste en une liste de 24 adjectifs (12 positifs, 12 négatifs) parrapportauxquelsonrelèvesouventdesattitudesstéréotypéesàl’encontre des aînés(ex.compréhensifs,sages,avares,lents, etc.). Le second (Kornadt&Ro-thermund, 2011) est un outil qui permet d’évaluerdifférentesfacettesdel’exis-tence et qui se décline en plusieurs versions:une version qui peut être dis-tribuéeàunaînélui-même,uneautre,àunepersonnequis’imaginecommentelle sera quandelle sera aînée et unetroisième, à une personne qui prendposition par rapport aux aînés. Nousavonsmiscesdeuxoutilsencommun—fusionnantaupassagelesquestionsquiseressemblaienttrop—etavonstraduitet adapté en français les affirmationsretenues. L’ensemble consiste en 53affirmations.

Pour chaque affirmation, il était de-mandé aux répondants de dire s’ilstrouvaient qu’elle leur correspondait plus ou moins qu’aux personnes demoins de 50 ans.Nous avons fonction-né de la sorte pour plusieurs raisons. Toutd’abord,s’ilavaitsimplementétédemandé de donner un degré d’accord avec les différentes propositions, lesrépondants auraient répondu en se com-parantauxpersonnesauxquellesilsontl’habitudedesecomparer,soitlesper-sonnesdeleurâgeetdeleursexe.Sije

suisunefemmede85ansetqu’onmedemande de me positionner par rapport à la proposition «Je suis seule », j’au-raitendanceàmeposerlaquestionencomparaison avec les femmes de monâge que je connais.Ainsi, si je reçoisla visite de 4-5 personnes sur le mois, mais que mes contemporaines ont ten-danceàvoirmoinsdemonde, jediraiquejesuisendésaccordaveclapropo-sition «Je me sens seule ».Si jereçoislemêmenombredevisitesà55ans,ilestprobablequejerépondequejesuisplutôt en accord avec la proposition. On le voit, les personnes auxquellesnous nous comparons spontanément — qu’on appelle des «ciblesdecomparai-son » —varient,etcelapeutentraînerdesdifficultésdanslacomparaisondesréponses. Pour résoudre ce problème,nousavonsdécidédedemanderàtouslesrépondantsd’utiliserlamêmeciblede comparaison — les personnes de moins de 50 ans — afin d’homogénéi-ser les choses et de pouvoir tirer des conclusionsvalables.Unedeuxièmerai-sonquinousapoussésàtravaillerdelasorterésidedanslefaitqu’unesecondeétudeestd’oresetdéjàprévueetpor-tera,quantàelle, sur l’imageque lesmoins de 50 ans ont des aînés. Il serapossibledeposer lesmêmesquestionsàcespersonnesennechangeantquelaciblede lacomparaison (lespersonnesde50ansetplus).Decettefaçon,nouspourrons comparer les perceptions des deuxpublicsetentirerdiversenseigne-ments.

Avantdeprésenterlesrésultatsrelatifsàcesaffirmations,ilesttrèsimportantdesoulignerque,pourchaqueaffirma-tion, il y a en moyenne 48,9 % des ré-pondants qui pensent qu’ils ne sont pas différentsdesmoinsde50anssurcettefacette.Celaindiquequ’ilsconsidèrent,d’unecertainefaçon,lecritèredel’âge comme non pertinent pour dire quoi que cesoitd’unepersonnesurcesdifférentesfacettes.Cetteattitudesoutientcequedes chercheurs ont appelé la théorie de la continuité (Atchley, 1971, 1989;

Troll& Skaff, 1997). Selon cette théo-rie, nous ne changeons pas vraiment en vieillissant ; nous continuons notre vie surbasedenotrehistoireetdecequiaprécédé. Dans cette perspective, l’âge est bienmoins indicateur et explicatifque ne l’est la personnalité de l’indivi-du.Siprèsdelamoitiédesrépondantsont dumal à imaginer qu’ils sont dif-férents des personnes de moins de 50anssurcesdifférentscritères,certainssepositionnentnéanmoins.C’estsurlabase de leurs réponses que la balancea bougé et indique qu’ils se sentent«plus » ou «moins»… que les moins de 50 ans. Nous ne répéterons pas chaque foiscombienlespersonnes«centristes » sont nombreuses et nous focaliseronssur les résultats moyens et le sens dans lequelilsfontpencherlabalance.

Une première facette importante quenous avons étudiée concerne la vie sociale et affective ainsi que les élé-ments de personnalité qui l’impactent (voir Figure 3). À cet égard, plus de 50 % des répondants rapportent être plus ou-verts et tolérants que les personnes de moins de 50 ans. Ils pensent aussi avoir moins de relations conflictuelles avecleur famille,conserverplus facilementleursamitiés,avoirmoinsdedifficultéà nouer de nouvelles relations, avoirplus d’amis et de connaissances, s’épa-nouir davantage dans leur vie de couple et être moins seuls. En contraste, ils sont 44%àconsidérerqu’ilsontuneviesexuellemoinsactivequelesmoinsde50 ans.

Unesecondefacettetientauxaspectsfi-nanciers (voir Figure 4). Les répondants se considèrent comme moins avares, plus économes et moins pauvres que les moins de 50 ans. Ils disent soutenir en-viron autant d’autres personnes que les moins de 50 ans, et se disent légèrement plus obligés de se montrer économes.N’ayant,pourlamajoritéd’entreelles,plusderevenusprofessionnels,ilestas-sez logique que les personnes de 50 ans et plus doivent davantage se montrer

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Balises n° 42 11

économes. Le stéréotype connexe estgénéralement qu’elles sont avares, mais moins de 5 % des répondants acceptent de se dire plus avares que les moins de 50 ans. On constate donc que les répon-dants tiennent à indiquer la nuanceimportantequiexisteentre les termes«avares » et «économes», le premier étant négativement connoté alors que

le second ne l’est pas. La question de la pauvreté des aînés apparaît fré-quemment dans les discours ambiants.La présente étude montre qu’ils ne se considèrent pas comme plus pauvres que les moins de 50 ans (au contraire, même). Ça ne signifie nullement quel’argent n’est pas un problème poureux,puisquecettequestionn’apasété

posée (elleadéjà fait l’objetd’inves-tigations plus approfondies dans cer-taines de nos précédentes études ; voir Gengler, 2008 ; Royen, 2011). La réponse àcettequestionnedoitdoncenaucuncasnousdispenserdecontinueràlutterpour que tous les aînés puissent jouird’un niveau de vie décent.

Figure 3. La vie sociale et affective.

0 % 10 % 20 % 30 % 40 % 50 % 60 % 70 % 80 % 90 % 100 %

Je suis ouvert(e) et tolérant(e)

J’ai une relation conflictuelle avec ma famille

Je conserve facilement mes amitiés

J’ai des difficultés à nouer de nouvelles relations

J’ai beaucoup d’amis et de connaissances

Je m'épanouis dans ma vie de couple

Je suis seul(e)

Je ne me sens pas en sécurité

J'ai une vie sexuelle active

Beaucoup moins que les - de 50 ans Moins que les - de 50 ans Ni plus ni moins que les - de 50 ans

Plus que les - de 50 ans Beaucoup plus que les - de 50 ans

Figure 4. Les aspects financiers.  

0 % 10 % 20 % 30 % 40 % 50 % 60 % 70 % 80 % 90 % 100 %

Je suis quelqu’un d’avare

J’économise mon argent pour ne pas être un fardeau pour les autres

Je suis pauvre

Je soutiens financièrement d’autres personnes

J’ai peu d’argent et suis obligé(e) de me montrer économe

Beaucoup moins que les - de 50 ans Moins que les - de 50 ans

Ni plus ni moins que les - de 50 ans Plus que les - de 50 ans

Beaucoup plus que les - de 50 ans

Figure 3. La vie sociale et affective.

0 % 10 % 20 % 30 % 40 % 50 % 60 % 70 % 80 % 90 % 100 %

Je suis ouvert(e) et tolérant(e)

J’ai une relation conflictuelle avec ma famille

Je conserve facilement mes amitiés

J’ai des difficultés à nouer de nouvelles relations

J’ai beaucoup d’amis et de connaissances

Je m'épanouis dans ma vie de couple

Je suis seul(e)

Je ne me sens pas en sécurité

J'ai une vie sexuelle active

Beaucoup moins que les - de 50 ans Moins que les - de 50 ans Ni plus ni moins que les - de 50 ans

Plus que les - de 50 ans Beaucoup plus que les - de 50 ans

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12 Balises n° 42

Figure 6. Les loisirs et l’engagement.  

0 % 10 % 20 % 30 % 40 % 50 % 60 % 70 % 80 % 90 % 100 %

J’ai des opportunités de m’engager dans des activités

Je m’engage dans des activités de loisirs

Je fais des projets

Je suis quelqu’un d’actif

J’ai de l’énergie pour m’engager dans des activités

Beaucoup moins que les - de 50 ans Moins que les - de 50 ans

Ni plus ni moins que les - de 50 ans Plus que les - de 50 ans

Beaucoup plus que les - de 50 ans

Une troisième facette concerne lasanté physique et mentale des répon-dants (voir Figure 5). En la matière, le résultat qui émerge le plus clairement, c’est que les répondants se disent moins

déprimésetplusheureuxquelesmoinsde50ans.Ilsdisentaussitombermoinsmaladesets’ensortirmieuxtoutseulsque les moins de 50 ans. Ils se disent lé-gèrementmoinsfaiblesetmoinsentra-

vés dans leurs activités que les moins de 50ans.Ilssedisentenaussibonnesantéque les moins de 50 ans. En revanche, ils se disent très légèrement plus lents, rapportent avoir une mémoire légère-

Figure 5. La santé physique et psychologique.  

0 % 10 % 20 % 30 % 40 % 50 % 60 % 70 % 80 % 90 % 100 %

Je suis quelqu’un de déprimé

Je suis heureux/se

Je tombe malade

Je m’en sors tout(e) seul(e)

Je suis faible

Je suis entravé(e) dans mes activités quotidiennes enraison de problèmes de santé

Je suis en bonne santé

Je suis lent(e)

J’ai une mauvaise mémoire

Je suis quelqu’un d’alerte

Je suis attirant(e) physiquement

Beaucoup moins que les - de 50 ans Moins que les - de 50 ans Ni plus ni moins que les - de 50 ans

Plus que les - de 50 ans Beaucoup plus que les - de 50 ans

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Balises n° 42 13

ment moins bonne, et se considèrentcomme un peu moins attirants que les personnes de moins de 50 ans.

Unequatrième facette toucheaux loi-sirs et engagements (voir Figure 6). C’estunefacetteimportantepourÉnéo(dont le slogan est, pour rappel, «plus de50ans,mettezvosprojetsenmou-vement!»). À cet égard, ce qui ressort defaçonclaire,c’estqueles50ansetplus disent avoir plus d’opportunités de s’engager dans des activités que les moins de 50 ans et, du coup, s’y enga-gerdavantage.Ilsdisentaussifaireplusdeprojetsetêtreplusactifs.Enfin,ilsrapportent même avoir légèrement plus d’énergie pour s’engager dans des acti-vités. Ces résultats laissent entendreque la notion de «nouvelle vie » est bienchoisiepourparlerdelaretraite.Letempslibérésembleêtreuneréelle

invitation à se lancer dans des projetsetàresteractifendehorsdumondedutravail.

Une cinquième facette concerne l’ex-périence professionnelle, la produc-tivité et le passage à la retraite (voirFigure 7). Les répondants se disent plus expérimentés au niveau professionnelque les moins de 50 ans (et il est haute-mentprobablequ’ilslesoienteffective-ment). Ils disent aussi être plus àl’aise avec l’idée de la retraite. Il est pos-siblede lecomprendrepar le faitquebeaucoupd’entreeuxsontàlaretraiteet, du coup, savent vraiment de quoi il s’agit. Or, on craint plus facilementce qu’on ne connaît pas que ce qu’onconnaîtbien.Ilsdisentparailleursavoirdavantagededifficultésàêtreaussipro-ductifsqu’ilslevoudraient.Lajuxtapo-sitiond’uneexpérienceprofessionnelle

élevée et d’une moindre productivité pourrait plaider en faveur des travail-leurs seniors et de l’aménagement des carrières: on peut très bien continueràprofiterde l’expériencedesaînés, àcondition d’aménager leur travail pour diminuersapénibilité.

Une sixième facette touche à la spiri-tualité des répondants (voir Figure 8). Ceux-cidisents’intéresserdavantageausens de la vie que les moins de 50 ans. Ils rapportent également avoir une vie spi-rituellequ’ilsjugentplusriche,etvoirdavantage de sens dans les pratiques religieuses. Ces résultats sont assezconformesàcequ’onpouvaitimaginer.L’avancéeenâgesemblefaireprendreuncertainreculsurl’existenceetper-mettre l’émergence et le déploiement desgrandesquestionsexistentielles.

Figure 7. L’expérience professionnelle, le passage à la retraite et la productivité.  

0 % 10 % 20 % 30 % 40 % 50 % 60 % 70 % 80 % 90 % 100 %

Je suis professionnellement expérimenté(e)

Je suis mal à l’aise avec l’idée de la retraite

J’ai des difficultés à être aussi productif/ve que je le voudrais

Beaucoup moins que les - de 50 ans Moins que les - de 50 ans Ni plus ni moins que les - de 50 ans

Plus que les - de 50 ans Beaucoup plus que les - de 50 ans

Figure 8. La spiritualité.  

0 % 10 % 20 % 30 % 40 % 50 % 60 % 70 % 80 % 90 % 100 %

Je m’intéresse au sens de la vie

J’ai une vie spirituelle riche

Je perçois les pratiques religieuses comme vides desens

Beaucoup moins que les - de 50 ans Moins que les - de 50 ans Ni plus ni moins que les - de 50 ans

Plus que les - de 50 ans Beaucoup plus que les - de 50 ans

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14 Balises n° 42

Figure 9. La personnalité et la façon d'appréhender l'existence.  

0 % 10 % 20 % 30 % 40 % 50 % 60 % 70 % 80 % 90 % 100 %

Je suis quelqu’un de compréhensif

Je suis quelqu’un d’égoïste

Je suis quelqu’un d’amical

Je suis quelqu’un de sage

Je suis quelqu’un de généreux

J’ai tendance à me plaindre

Je suis quelqu’un de borné

Je suis quelqu’un qui ose s’affirmer

Je suis quelqu’un de dépendant

Je suis quelqu’un de suspicieux

Je suis quelqu’un de dur

Je suis vite submergé(e) par les problèmes

Je ne sais pas comment faire face à certainsproblèmes importants

Je suis quelqu’un d’intéressant

Je suis quelqu’un d’intelligent

Beaucoup moins que les - de 50 ans Moins que les - de 50 ans

Ni plus ni moins que les - de 50 ans Plus que les - de 50 ans

Beaucoup plus que les - de 50 ans

Unedernièrefacette,plus hétéroclite, touche à la personnalité et à la façond’appréhender l’existence (voirFigure 9).Àcesujet,lesrépondantssedisentpluscompréhensifsquelesmoinsde50ans, moins égoïstes et moins bornés,plusamicaux,plussages,etplusgéné-reux.Ilssevoientcommeosantdavan-tage s’affirmer, comme étant moinsdépendants,moins suspicieuxetmoinsdurs. Ils se voient légèrement moins dé-munisfaceauxdifficultés.Enfin,ilssou-lignentmassivementque le faitd’être intéressant et intelligent n’arienàvoiravec l’âge.

Ce qui ressort de ces résultats, c’estquelesrépondantsontunebonneimage

d’eux-mêmes. Sur 85% des affirma-tions,ilssedéfinissentcomme«mieux » que les personnes de moins de 50 ans. On peut légitimement se demander comment il se fait qu’ils aient une sibonne vision d’eux-mêmes. Une pre-mière interprétation tient au fait que,pour contrer les stéréotypes ambiantsqui stigmatisent les aînés, il convientd’avoirunebonnedosed’optimismeetde détermination, quitte à «en rajou-ter une couche ». À un niveau person-nel, il peut se révéler très protecteur de conserver une image positive du vieil-lissement, et de voir l’avancée en âge nonpascommeuneperteetundéficit,mais, au contraire, comme un moment où l’on mûrit, où l’on se consacre da-

vantage à ce qui compte vraiment etoù,d’unecertainefaçon,onseréalisepleinement. On constate aussi que le secteur pour lequel ils reconnaissent le plusdedéficitsestlesecteurdelasantéphysique,unsecteuroùilestimpossibled’enjoliverleschoses.

Uneautredefaçond’analysercesrésul-tatsconsisteàtrierlesdifférentesques-tionssurbasedeleurvalence(positiveou négative) et de l’intensité selon la-quelle les répondants se distinguent des moins de 50 ans. D’une part, on retrouve des aspects pour lesquels les répondants disent que les moins de 50 ans ont ten-danceàlessurpasser.Ainsi,ilssedisentmoins actifs sexuellement, moins pro-

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Balises n° 42 15

ductifs, moins attirants physiquement,moins alertes, plus lents et ayant une moinsbonnemémoirequelesmoinsde50ans.Cesontlesseulsaspectsoùilssedisent surpassés par les générations plus jeunes.Surtouslesautresfacteurs,lesrépondants disent dépasser les généra-tions plus jeunes, et tout particulière-ment sur certains facteurs. Par ordred’importance, ils se disent plus intéres-sés par le sens de la vie, plus compré-hensifs, plus libres de s’engager dansdes activités, plus ouverts et tolérants, moins égoïstes, moins déprimés, plus en accordavec leur famille,plusamicauxet plus sages que les moins de 50 ans.

Si ces questions peuvent mettre enévidence les facteurs qui varient avecl’âge, une autre façon de les mettreen évidence consiste à comparer lesréponses des répondants de différentsâges. Cet exercice permet demontrerque plusieurs éléments varient avec l’âge.Avecl’avancée en âge, on accepte demieuxenmieuxl’idéedelaretraite,on devient moins borné, moins suspi-cieux,onamoinstendanceàseplaindre,on voit plus de sens dans les pratiques religieuses, on est moins déprimé, on a unerelationmoinsconflictuelleavecsafamille…Avec l’avancéeenâge, laviesexuelledevientmoinsactive,lescom-pétencesprofessionnelless’estompent,on devient moins alerte et plus lent, on faitmoinsdeprojets,ons’ensortmoinsbien tout seul, on a moins d’opportu-nités et d’énergie pour s’engager dans des activités. Tous ces effets de l’âge ont été testés statistiquement et se sont révéléssignificatifs.

Avant de conclure cette section, ilsembleintéressantdes’attardersurlesinfluencesquis’exercentsurlapercep-tionquelesaînésontd’eux-mêmes.Eneffet,celle-cisubitinévitablementl’in-fluencedesdiscoursambiants.Eneffet,l’âge est lié à des stéréotypes positifs(ex. sages) et négatifs (ex. séniles),mais il ne fait hélas aucun doute quelesattributsnégatifsl’emportent (Hum-

mert, 1990). On peut donc assez logi-quement se demander quel impact ces stéréotypesnégatifsontsurlesaînés.

Lasciencedistinguegénéralementdeuxprocessus par lesquels les stéréotypes peuvent influencer l’évaluation que les aînés ont d’eux-mêmes (Bennett&Gaines, 2010 ; Kotter-Gruhn, & Hess,2012). La première théorie, la théorie de l’étiquetage, suggère que les aînésintègrent les stéréotypes dans leurs auto-évaluations et, d’une certaine façon, les assimilent (Rothermund &Brandtstädter, 2003). On parle aussi d’hypothèse de contamination. Des re-cherches assez impressionnantes ont par exemplemontréque,quandonévoquechezeuxdesstéréotypesnégatifsliésàl’âge,lesaînésonttendanceàavoirunedémarchepluslenteetdemoinsbonnesperformancesdemémoire(p.ex.,Hess,Hinson,&Statham,2004;Levy,1996)!À l’inverse, une seconde théorie — la théorie de la résilience — suggère que la confrontation avec des stéréotypesnégatifs amène à de meilleures per-ceptionsdesoi.Ceteffetdecontrasteserait le résultat d’un processus de comparaison par lequel l’individu se dé-marque volontairement du stéréotype. Quand les gens se sentent menacés, ils secomparentàceuxquisontmoinsbienqu’euxpourrestaurerunebonneimaged’eux-mêmes(c’estcequ’onappelledela comparaison descendante). Pinquart (2002)aparexemplemontréque,faceàunstéréotypenégatif, lesgensamé-lioraient leur perception de leur com-pétence, alors que celle-ci ne changeait pas si on ne présentait pas de stéréo-types. Il semble que les résultats quenous avons recueillis soutiennent cette seconde théorie.

4.4. Commentles aînés perçoivent-ils

leur vieillissement ?

Unedeschosesquivientspontanémentàl’espritquandonparledespersonnesde 50 ans ou plus, c’est qu’elles sont confrontées, de plus en plus, au vieil-lissement. Dès lors, nous avons souhaité interroger les répondants au sujet dece que l’on peut appeler la «percep-tion du vieillissement ». Pour ce faire,nous avons utilisé une version franco-phone de l’Aging  Perceptions  Ques-tionnaire (Ingrand et coll., 2012). Cequestionnaire de 32 questions mesure différentes facettes de la percep-tiondu vieillissement.Tout d’abord, ils’intéresseà la consciencequ’a l’indi-vidu de son vieillissement. D’une part, on retrouve le sentiment constant de vieillir (ex. de question: «Je suis tout le temps conscient[e] de mon âge ») et, d’autre part, le sentiment de vieillir de façon variable et discontinue (ex. «La consciencequej’aideprendredel’âge varie beaucoup d’un jour à l’autre»).Une seconde facette tient aux consé-quences du vieillissement, tant posi-tives (ex. «J’ai l’impression de me bonifieravecl’âge »)quenégatives(ex.«Avecl’âge,toutdevientbeaucoupplusdifficile»). Une troisième facette seréfèreaucontrôleque l’onpeutexer-cersursonvieillissement(ex.«C’estàmoi de faire en sorte qu’avec l’âge la vie garde des côtés positifs») ou, au contraire, à l’absencedecontrôlequel’onpeutexercersursonvieillissement(ex. «Le ralentissement dû à l’âge est quelque chose que je ne peux pascontrôler »).Unequatrièmeetdernièrefacettetientauxémotionssuscitéesparlevieillissement(ex.«Celamerévoltedepenserquejevieillis »).

Sur base des réponses des répondantsauxdifférentesquestions, ilaétépos-sibledecalculerunscorepourchacune

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16 Balises n° 42

desfacettesdelaperceptionduvieillis-sement. La Figure 10 présente les résul-tats pour chacun des trois groupes d’âge. Pourpresquetouteslesfacettes,l’âge a unimpactsurlesréponses.Ainsi,l’im-pression que le vieillissement est pré-sent—quecelasoitdefaçonchroniqueou cyclique — augmente avec l’âge. Avec l’âge, les répondants perçoiventmoins de conséquences positives et plus de conséquences négatives au vieillissement. Ils font moins l’expé-rience d’avoir du contrôle sur leur vieil-lissementetdavantagel’expériencedene pas pouvoir le contrôler. Par contre, lesémotions liéesaufaitdevieillirnevarient pas de façon significative avecl’âge.

Il est également intéressant de consta-ter qu’à âge égal, la perception duvieillissement est liée à la satisfactionde vie. Unepersonnede70ansquin’apas l’impression de vieillir, qui voit le vieillissement comme ayant des consé-quencessouhaitablesetquial’impres-

siondepouvoirmaîtrisersonvieillisse-menta tendanceàêtreplus satisfaitede sa vie qu’une personne de 70 ans qui n’a pas une perception aussi positive de son vieillissement. Dans le même ordre d’idéeetdefaçonplussurprenanteen-core, des chercheurs ont montré qu’une bonneperceptiondesonproprevieillis-sementest liéeàunemeilleure longé-vité(Levy,Slade,Kunkel,&Kasl,2002)!

4.5. Les aînéssont-ils satisfaits de

leur existence ?

Lasatisfactiondevieestunedescom-posantes importantes du bien-être etse réfère à l’évaluation globale qu’un individufaitdesonexistence.C’estunecomposanterelativementstable,quiva-riepeud’unjouràl’autre.Lasatisfac-tion de vie peut être considérée comme unfacteurclédecequ’onappelle«le

vieillissement réussi ». Quand on re-garde les liens entre l’avancée en âge et lebien-êtresubjectif,onconstatequece dernier augmente avec l’âge. Dès lors,onparleparfoisdu«paradoxedubonheur»: étant donné le déclin phy-siqueetcognitifainsiquelespertesquiaccompagnent inexorablement le vieil-lissement,onauraitpus’attendreàcequ’ilsoitdifficiledegarderlemêmeni-veaudebien-être(Kunzmann,Little,&Smith,2000;Mroczek&Kolarz,1998).

Les chercheurs ont examiné plusieursexplications de ce paradoxe apparent.Le modèle d’optimisation sélective avec compensation — dont le nom est inutilement compliqué — en offre unepremière(Freund&Baltes,1998 ; Jopp &Smith,2006).Ilavancequelesaînésmaximisent les affectspositifs (ex. lesgains)etminimisentlesaffectsnégatifs(ex.lespertes)parlasélection,l’opti-misation et la compensation. Selon cemodèle, le vieillissement réussi consiste às’investirdefaçonsélectivedanscer-

Figure 10. La perception du vieillissement.

2,38

2,83

3,80

2,68

4,05

2,76

2,50

2,57

2,91

3,69

2,92

4,03

2,93

2,55

2,87

3,09

3,61

3,38

3,89

3,09

2,66

J'ai l'impression que levieillissement est chronique

J'ai l'impression que levieillissement est cyclique

Le vieillissement a desconséquences positives

Le vieillissement a desconséquences négatives

J'ai du contrôle sur monvieillissement

Je n'ai pas de contrôle surmon vieillissement

Le vieillissement génère enmoi des émotions négatives

moins de 65 ans 65-74 ans 75 ans ou plus

Figure 10. La perception du vieillissement.

2,38

2,83

3,80

2,68

4,05

2,76

2,50

2,57

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3,38

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3,09

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J'ai l'impression que levieillissement est chronique

J'ai l'impression que levieillissement est cyclique

Le vieillissement a desconséquences positives

Le vieillissement a desconséquences négatives

J'ai du contrôle sur monvieillissement

Je n'ai pas de contrôle surmon vieillissement

Le vieillissement génère enmoi des émotions négatives

moins de 65 ans 65-74 ans 75 ans ou plus

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tains buts et certains contextes ainsiqu’à s’appuyer sur l’expertise acquisepour optimiser les performances danscertains domaines bien choisis, ce quipermet de compenser les déficits quis’avèrent, tôt ou tard, souvent inévi-tables.Unedeuxièmeexplicationpeutêtreofferteparlathéoriedel’adapta-tionhédonique(Diener,Lucas,&Scollon,2006).Seloncettethéorie,lesgensonttendanceàreveniràuncertainniveaudebien-êtreaprèsunévénementdevienégatif,carilss’yadaptent.Enfin,unetroisième explication est proposée parla théorie de la sélectivité socioémo-tionnelle.Cettethéories’appuiesurlefaitquel’horizontemporelestmodifiéavec l’avancée en âge, et que les per-sonnes peuvent en prendre conscience. Decefait,ellesprivilégieraientdeplusen plus les buts socioémotionnels (et,plus largement, la recherche du plai-sir)parrapportauxbutscognitifspourrendre leurs relations sociales aussi har-monieuses que possible (Carstensen etcoll., 1999, 2003, 2011).

Pourmesurerlasatisfactiondevie,nousavons utilisé la version française de laSatisfaction With Life Scale, une échelle de cinq questions validée scientifique-ment (Diener et coll., 1985). Sur basede ces questions, on peut calculer un scoredesatisfactiondevie.Dansnotreétude, ce score est de 3, 64 sur uneéchelleallantde1à5,cequi indiqueque les répondants sont, en moyenne, plutôt satisfaits de leur existence. Les

résultats sont présentés question par questionàlaFigure 11.

Dansnotreétude,lasatisfactiondevieaugmente légèrement avec l’âge des répondants: plus les répondants sont âgés, plus ils ont tendance à se diresatisfaits de leur existence. Le fait devivre en couple et d’avoir des enfantsetdespetits-enfantsestaussiliéàunesatisfaction de vie plus importante (etplusceux-cisontnombreux,pluslasa-tisfactionatendanceàaugmenter).Lefait de se qualifier davantage commeun senior, un aîné, un retraité ou unpensionnéestaussiliéàlasatisfactiondevie.Assezlogiquement,onconstateaussi que, moins les répondants sou-haitent être plus jeunes que leur âge,plusilssontsatisfaitsdeleurexistence:lefaitd’êtresatisfaitdesonâgeestliéàlasatisfactiondevieglobale.

4.6. Les aînés ont-ils une bonne estime

d’eux-mêmes ?

L’estime que l’on a de soi-même, soit la valeur que l’on s’attribue, est unecomposante très importante du psy-chisme. Elle s’avère en outre liée au bien-être, à la satisfaction de vie, àla réussite sociale et aussi à la santé(Stinson et coll. 2008). On peut spon-tanément se demander comment

notre estime de nous-mêmes évolue au cours de notre vie. Dans la littérature à ce sujet, on retrouve des résultatsdivers, qui manquent de consistance (Brandtstädter&Greve,1994).Laplu-partdesétudestrouventunliennégatifentre l’âge et l’estime de soi (p. ex.,Robins et coll., 2002), mais certainestrouventunlienpositif(p.ex.,Goveetcoll., 1989), voire pas de lien du tout (Ryff, 1989). Une gigantesque étudemenée aux États-Unis (Robins et coll.,2002) indique que l’estime de soi aug-menteraitdefaçonrégulièreentre49et69ans,pourensuitedéclinerjusqu’à90ans. Les hommes ont une estime d’eux-mêmessupérieureàcelledesfemmes.Plusprèsdecheznous,uneétudefran-çaise(Martinetcoll.,2005)asuiviplu-sieurs centaines de seniors et n’a, àaucun moment, montré de lien entre l’âge et l’estime de soi. Par contre, il y a un lien entre le «biais d’âge » (la différenceentrel’âgechronologiqueetl’âgesubjectif)etl’estimedesoi:plus unepersonne se sent jeune,meilleureest son estime d’elle-même (Alaphi-lippe, 2008).

Dans notre étude, nous avons mesuré l’estime de soi des répondants àl’aide d’unquestionnairescientifiquementva-lidé de 10 questions (Échelledel’Estime de  Soi, Vallières & Vallerrand, 1990),reprises à la Figure 12. Sur la basede ces questions, on peut calculer un scored’estimedesoiglobal.Dansnotreétude, ce score est de 4 sur une échelle

Figure 11. La satisfaction de vie.  

0 % 10 % 20 % 30 % 40 % 50 % 60 % 70 % 80 % 90 % 100 %

Je suis satisfait(e) de ma vie

Mes conditions de vie sont excellentes

Jusqu’à maintenant, j’ai obtenu les choses importantes que je voulais de la vie

En général, ma vie correspond de près à mesidéaux

Si je pouvais recommencer ma vie, je n’y changerais presque rien

Tout à fait en désaccord Plutôt en désaccord Neutre Plutôt d'accord Tout à fait d'accord

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allantde1à5,cequi indiqueque lesrépondantsontunebonneestimed’eux-mêmes.Conformémentàcertainsrésul-tats antérieurs, ce score n’est pas lié àl’âge des répondants: l’estime de soi ne varie pas avec l’âge. Elle ne varie pas non plus selon le genre: hommes etfemmesontunevisionaussipositived’eux-mêmes. Par ailleurs, assez logi-quement, on trouve une relation entre l’estimedesoietlasatisfactiondevie:les répondants ont une vision d’autant plus positive d’eux-mêmes qu’ils sontplus satisfaits de leur existence. Il estnéanmoinsdifficiled’interpréterlesensde cette relation:on peut tirer une cer-taine fierté d’une vie réussie, mais laconfianceensoipeutaussiaideràprofi-terdelavie.Cequiestparcontreplusétonnant,c’estl’absencedelienentrel’âgesubjectifetl’estime de soi.

4.7. Ce que les aînéspensent que l’on

pense d’eux.Les métastéréotypes

Les métastéréotypes sont un cas parti-culier de métaperceptions. Les méta-perceptions sont des évaluations de la façon dont les autres nous voient,nous perçoivent. Elles sont intéres-santes à étudier, car les gens désirentêtre perçus positivement et, du coup,sont assez logiquement préoccupés de lafaçondontlesautreslesperçoivent.Les métastéréotypes concernent ce que lamajoritédespersonnesd’ungroupe(ici, les moins de 50 ans) pensent des membresd’unautregrouped’âge (ici, les50ansetplus).Certainesrecherchessuggèrentquelesmembresd’un groupe sont généralement conscients des sté-réotypesquelesautresontàleurégard(p.ex.,Klein&Azzi,2001 ; Vorauer et coll., 1998). De plus, il s’avère par-fois plus intéressant de savoir ce quequelqu’un pense qu’on pense de lui plu-

tôtquedesavoircequ’ilpensedelui…La question de savoir si ces métasté-réotypessontexacts—c’est-à-dires’ilssontconformesauxstéréotypesquelesautresonteffectivement—peuts’avé-rertrèséclairante(Finkelsteinetcoll.,2012). Nous tenterons d’y apporter une réponse dans une étude ultérieure.

Dans une large partie du questionnaire, nous avons adapté toutes les affirma-tions concernant les différentes fa-cettesdelaviedesaînés(voirsection«Lesdifférentesfacettesdel’existenceetdelapersonnalitédesaînés »)afindeleurposerunequestionpluscomplexe:comment pensent-ils qu’on les voit ? Ainsi, l’affirmation «Je suis quelqu’un d’avare » est devenue «Selon moi, lespersonnes de moins de 50 ans consi-dèrent que les personnes de 50 ans et plus sont des personnes avares ». Par rapportàchacunedecespropositions,lesrépondantsétaientinvitésàseposi-tionner sur une échelle (de 1, «pas du tout d’accord »,à5,«toutàfaitd’ac-cord »).

Les résultats indiquent que les répon-

Figure 12. L’estime de soi.  

0 % 10 % 20 % 30 % 40 % 50 % 60 % 70 % 80 % 90 % 100 %

Je suis capable de faire les choses aussi bien que lamajorité des gens

Je pense que je possède un certain nombre de bellesqualités

Je pense que je suis une personne de valeur, au moins égal(e) à n’importe qui d’autre

J’ai une attitude positive vis-à-vis de moi-même

Dans l’ensemble, je suis satisfait(e) de moi

J’aimerais avoir plus de respect pour moi-même

Je sens peu de raisons d’être fier/fière de moi

Parfois, je me sens vraiment inutile

Il m’arrive de penser que je suis un(e) bon(ne) à rien

Tout bien considéré, je suis porté(e) à me considérercomme un(e) ratée

Tout à fait en désaccord Plutôt en désaccord Neutre Plutôt d'accord Tout à fait d'accord

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Balises n° 42 19

dantsneperçoiventpasuneformetrèsaiguë de discrimination sur beaucoupdefacteurs.Iln’yaqu’unaspectsur5environpourlesquelsilsperçoiventquelesmoinsde50anslesjugentnégative-ment. Ils pensent que les moins de 50 ans les voient comme peu productifs,comme ne se sentant pas en sécurité, comme ayant une mauvaise mémoire, comme étant entravés dans leurs activi-tés, comme lentes, plaintives, peu atti-rantes physiquement, comme ayant une vie sexuelle peu active, comme étantvite submergées par les problèmes etcomme seules. En analysant l’écart entre lesréponsesauxdeuxquestions(cellesoù les répondants disent comment ils se perçoivent et celles où ils disentcommentilssesententperçus),onpeutobservercertaineschosesintéressantes.En effet, si les aînés se disent avareset pensent qu’on les considère comme tels, alors on ne peut pas vraiment parler de stéréotypes et de stigmatisa-tion. Par contre, plus l’écart entre ces deux perceptions est important, plusle répondant estime que les personnes de son groupe sont perçues de façonbiaisée.Parmilesperceptionsnégativesrelevéesplushaut,cellesquisemblentlesplusbiaiséespourlesrépondantssontle faitqu’ils sontvuscommeplaintifs,comme insécurisés et comme entravés dans leurs activités pour des raisons de santé. En contraste, les répondants ne perçoiventpasunbiais importantdansle fait d’être vus comme étant moins

Figure 13. La perception des attitudes envers les aînés.  

0 % 10 % 20 % 30 % 40 % 50 % 60 % 70 % 80 % 90 % 100 %

La façon dont les adolescents voient les 50+ est…

La façon dont le monde politique voit les 50+ est…

La façon dont les médias voient les 50+ est…

La façon dont les jeunes adultes voient les 50+ est…

La façon dont les 30-50 ans voient les 50+ est…

La façon dont les enfants voient les 50+ est…

La façon dont les 50+ se voient est…

Très négative Négative Neutre Positive Très positive

actifs sexuellement, moins attirantsphysiquement et plus lents, car ils re-connaissent «un fonddevérité » àcesimagesd’eux-mêmes.

Dans une dernière partie de notre ques-tionnaire, les répondants ont été invi-tés à s’exprimer sur la façon dont ilspercevaient les attitudes de certains publics à leur égard. Pour ce faire, ilsdevaient compléter des propositions comme «Selon moi, la façon dont lesmédiasvoientles50ansetplusest… », avec une possibilité de nuancer leurréponse (entre 1, «très négative », et 5, «très positive »). Les résultats rela-tifsàcesquestionssontprésentésàlaFigure 13. On y constate que les répon-dants ont l’impression d’être vus plutôt négativement par les adolescents et le monde politique. Les médias auraient uneperceptionassezneutredesaînés,tandis que cette perception deviendrait pluspositiveenvieillissant(parex.,laperception des jeunes adultes est vuecomme plus négative que celles des adultesde30à50ans).Lesrépondantsrapportent que le public qui lesconsidèrelemieux—aprèseux-mêmes—,cesontlesenfants(onconstatedoncun effet générationnel particulier). Entermes d’âge, les personnes de 50 ans et plus ont l’impression que, plus on est jeune, plus on a uneperceptionnéga-tive de leur tranche d’âge, perception qui devient de plus en plus positive en s’approchant de cette tranche d’âge. La

seule exception concerne les enfants,qui peuvent dès lors s’avérer être des ciblesparticulièrementadéquatespourdes actions intergénérationnelles spon-tanément réussies. Les adolescents peuvent évidemment être d’excellentspartenaires d’actions intergénération-nelles, mais celles-ci nécessitent sans doute des conditions favorables pourpouvoir être menées à bien. On peutaussi relever que le regard «sociétal », particulièrement vigoureux à traversles médias et les actions politiques, est considéré avec une certaine suspicion:le monde politique est vu comme ayant unevisionlégèrementnégativedesaînés(on peut le comprendre vu l’accent qu’il met régulièrement sur le «problèmeduvieillissement »), tandis que la vision des médias est légèrement positive (ce quis’expliquesansdoutepartiellementpar la presse pour seniors). Enfin, unemise en relation de ces perceptions et de l’âge des répondants montre qu’en avançantenâge,onaplusl’impressionque l’attitude des adolescents envers lesaînésestnégativeetquel’attitudedes médias est positive.

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20 Balises n° 42

Les membres d’Énéo sont-ils différents des autres aînés ?

Nous avons analysé la question de près etmis en évidence que, par rapport aux non-membres dumêmeâge, lesmembresd’Énéos’identifientdavantageàleurgrouped’âgeetsequalifientplusfacilementdeseniors,deretraités,depensionnés,d’aînésetdepersonnesdeplusde50ans.Parailleurs,ilss’engagentplusdansdesactivitésdeloisirs,ontplusd’opportunitésetd’énergiepours’engagerdansdesactivitésetfontplusdeprojets.Enfin,ilssontlégèrementplussatisfaitsdeleurexistenceetontl’impressiond’avoirunpeuplusdecontrôlesurleurvieillissement.

Onpeutenconclurequ’ilexisteunlienentrelefaitd’êtremembred’Énéoetd’acceptersonâge.Malheureusement,vuqu’ilnes’agitqued’unrésultatdenaturecorrélative,ilestimpossiblededéterminerquelleestlacauseetquelestl’effet.Defait,ilsepeutqu’Énéoaidelesmembresàaccepterleurâge,às’identifieràleurgrouped’âgeetàsedéfinircommeunaîné,maisilsepeutaussiqu’acceptersonâgeetsequalifiercommeaînéaideàentrerdanslemouvement,puisquecederniersequalifieexplicitementdemouvementpouraînés.Assezlogiquement,lesmembresÉnéodisentavoirplusdeprojetsetd’activités.Ànouveau,est-celefaitd’êtreàÉnéoquilesmetenprojet,ouceuxquisontenprojetrejoignent-ilsplusÉnéo?Lesdeuxpossibilitéscoexistent.Enfin,lasatisfactiondevieetlesentimentdecontrôlesurlevieillissementsontliésaufaitd’êtremembreÉnéo.Ànouveau,ilestpossiblequ’Énéoaméliorel’existencedesesmembresetleurfasseprendreconscienceducontrôlequ’ilsontsurleurvieillissement.Néanmoins,ilestaussipossiblequelefaitd’êtresatisfaitdesonexistenceetd’avoirprisconsciencequel’onpeutfairedeschosespourendiguerlevieillissementpousseàrejoindreÉnéo(quiseraitdèslorsunesortede«cerisesurlegâteau»).

Enfin,ilestimportantdesoulignerquedesanalysesstatistiquesontrévéléquedesconstatsidentiquespouvaientêtretirésencomparantlesréponsesdetouslesrépondantsquiappartenaientàuneassociationouungroupementàcellesdesrépondantsquinefontpartied’aucungroupement.Cesconstatsnesontdoncpasl’apanagedesmembresd’Énéo,maisbiendesaînésquis’engagentdansdesstructures.

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Pourconclure,noustenonstoutd’abordàrésumer,danslestrèsgrandeslignes,lesdifférentsrésultatsdecetteétude.En moyenne, les personnes de 50 ans etplus 1) n’aimentpasêtrequalifiéesdevieux/vieillesoudepersonnesâgées(sansforcémentsereconnaîtredans leterme «aînés »),2)sesentent8à12ansplusjeunesqueleurâge,3)ontuneper-ception positive d’elles-mêmes, 4) sont satisfaitesdeleurexistence,5)ontunetrèsbonneestimed’elles-mêmeset6)se sentent perçues négativement parle monde politique et par les adoles-cents.Sil’ondevaitrépondredefaçontrèscourteàlaquestion«Quelle image lesaînésont-ilsd’eux-mêmes ? »,ilfau-drait sans doute répondre:«unebonne

image,àcentlieuesdecertainesimagessociétales encore trop présentes ».

Cette étude prend place au sein d’unprojetdanslequeldeuxétudessontpré-vues. La première, dont il est ici ques-tion,traitedel’imagequelesaînésontd’eux-mêmes.Unedeuxièmeétude,quiaura lieu ultérieurement, portera sur l’image que la société a des aînés. Enplusdel’analysedesrésultatsdesdeuxétudes respectives, les questions de la deuxièmeétudeserontformuléesdefa-çonàpouvoircomparerlesrésultatsdecetteétudeavecceuxde lapremière.Prisdansleurensemble,lesrésultatsdeces deux études nous permettront demieux appréhender l’image des aînés,

ce qui permettra de concevoir de meil-leures animations et de meilleures cam-pagnes, ainsi que de mieux communi-queraveclesaînés.

Noustenonsàremercierlesnombreusespersonnesquiontcontribué,deprèsoudeloin,àlaréalisationdecetteétude,et tout particulièrement les 1542 per-sonnes qui y ont répondu et les perma-nents et volontaires qui, en régions, ont largement encouragé la participation d’ungrandnombred’aînés.

Jean-Baptiste Dayez,Chargé d’études 

au Secrétariat fédéral d’ÉnéoE-mail : [email protected]

5. Apports et limites de l’étude

L’étude sur l’image que les aînés ontd’eux-mêmesquenous avons pu réali-serestànotreconnaissancelapremièreétudebelgeàavoirétudié cette ques-tion ; elle permet donc d’observer unphénomènequin’avaitjusqu’icijamaisété observé. En outre, elle a étéme-née auprès d’un nombre important derépondants, ce qui rend ses résultats plus solides.

Malgrésesatouts,cetteétuden’estpassans défauts et limites. Tout d’abord— et ce, malgré nos efforts —, notreéchantillon ne peut pas être considéré comme pleinement représentatif desaînés,carlesrépondantsonttendanceàêtreplusqualifiésetplusengagésquelamoyennedesaînésbelges.Uneautredifficulté réside dans le questionnairequi a été utilisé. Ce dernier faisait 8pages et contenait 187 questions. Plu-

sieurs répondants ont fait savoir qu’ilsl’avaient trouvé long et fastidieux. Eneffet, puisque nous avons utilisé deséchellesvalidéesscientifiquement,plu-sieursquestionsseressemblaient(c’esthabituel dans les questionnaires dequalité),cequiaparfoissemblérépé-titifauxrépondants.Lechoixdeques-tions fermées, essentiel pour traiterautantdequestionnaires,aparfoisétévu comme une contrainte empêchant d’exprimer son opinion dans toute sanuance. De plus, la version électronique ne permettait pas de sauter des ques-tions,cequiaétévucommefrustrantpar certains participants. En outre, les questions que nous avons posées dans les questionnaires n’étaient pas tou-jours faciles. Certaines questions for-mées négativement ont posé des diffi-cultésauxrépondants (parex.,cocher«pas du tout d’accord » en regard de

l’affirmation«Jen’aipasconfianceenmoi » revientàdirequ’onaconfianceensoi…).D’autresdemandaientdeseposi-tionnerparrapportàungroupedeper-sonnes hétérogène (les moins de 50 ans) ou encore de se positionner par rapport àcequed’autrespensent.Certainsré-pondantssesontretrouvésendifficultédevantcesquestions.Enfin,deuxques-tions (une sur la vie de couple et une sur laviesexuelle)sontapparuespourtousles participants, qu’ils soient ou non en couple.Cesquestionsontparfoissuscitél’embarrasdesrépondantsquin’étaientpas ou plus en couple.

Endépitdeceslimites,nombreuxsontles répondants qui ont apprécié de par-ticiper à l’étude, certains rapportantqu’elle les avait amenés à réfléchir àleur vie et, parfois, à se remettre enquestion.

6. En guise de conclusion…

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Si les aînés sont satisfaits de leur existence, est-il vraiment si important de défendre leurs intérêts ?

Silesrésultatsdecetteétudedoiventêtreprisausérieux,ilnefaudraitpaspourautantlesextrapolerexagérément.Eneffet,cen’estpasparcequelesaînésontunebonneimaged’eux-mêmesetunebonnesatisfactiondeviequetoutest rose. Plusieurs éléments doivent être soulignés.

Toutd’abord,lesrésultatsdecetteétudesontbaséssurdesmoyennes.Chaquepersonneauneperceptionéminem-ment individuelled’elle-même.Si,enmoyenne, l’estimedesoiet lasatisfactiondeviesontbonnes, iln’enrestepasmoinsquecen’estpaslecaspourtouslesrépondants.Parexemple,1répondantsur6estplutôtinsatisfaitdesonexistence(scoredesatisfactioninférieurà3surl’échellede1à5).Nousnepouvonsenaucuncasnoussatisfaired’apprendrequelesaînés,enmoyenne,sontsatisfaits.Toutlemondemérited’avoiruneviedigneetdécente,etchaque personne qui en est privée est une personne de trop.

Ensuite,ilfautgarderàl’espritque,malgrénosefforts,l’échantillondespersonnesquiontparticipéàl’étuden’estpasparfaitementreprésentatifdel’ensembledesaînés.Parexemple,dufaitdelacomplexitéduquestionnaire,laparticipationdesaînéslesmoinsinstruitsetlesplusdiminués(maladies,dépendance,etc.)aforcémentétémarginale.Lefaitd’avoirrecueillilesdonnéesparl’intermédiaired’unmouvementd’aînésaégalementengendréunesurrepré-sentationdesaînésengagésetactifs,audétrimentdesaînésisolésetdésengagés.Cettesous-représentationdesaînéslesmoinsgâtésparlavieacertainementengendréunecertainesurévaluationdelasatisfactiondevieetdel’estimedesoidesaînés.Ilnefaudraitdoncpasenconclurequ’aucunaînénerencontrederéellesdifficultésdanssavie,carrienn’estplusfaux.

Enfin,ilestimportantdesoulignerque,quandonévaluelasatisfactionquel’onretiredesonexistenceoul’estimequ’onadesoi-même,ilyadenombreuxprocessuspsychologiquesenjeu.Nousl’avonsvu,faceàdesstéréotypesnégatifsquilesconcernent,lesindividusontparfoistendanceàvouloirsedémarquerenaffirmantuneidentitéréso-lumentinverseàcellequ’onessaiedelesfaireendosser.Danslequestionnaire,lesstéréotypessontomniprésents,puisqu’onnecessededemanderauxrépondantsleuravisparrapportàcesstéréotypes.Decefait,ilesttoutàfaitpossiblequelesrépondantsaientsouhaité«forcerletrait»pourmontrerquecesstéréotypesnesontqu’uneimagesimpliste—etdonc,fausse—d’eux-mêmes.Parailleurs,onconstatequelesaînésn’ontpasl’impressiond’êtresimalperçusparlasociétéqu’onauraitpulepenser.Doit-onenconclurequelesaînésnesonteffectivementpassimalperçusqueça?C’estprobablementunraccourci.Eneffet,personnen’aimesesentirstigmatisé;ducoup,pournousprotégerdes impactsnégatifsd’uneéventuellestigmatisation,nousavonsparfoistendanceà laminimiser.L’étudequenousavonsmenéenenouspermetpasdeprouverquecephénomènedeminimisationaeffectivementlieu,carnousn’avonsaucuneidéedelavéritableperceptionquelasociétéadesaînés(notreprochaineétudeyapporterauneréponse).Néanmoins,ilesttrèsprobablequ’unprocessusdecetypesoitàl’œuvre.Enrésumé,lesréponsesquenousavonsrecueilliessontcellesquelesaînésontsouhaiténousdonner,etilestprobablequ’ellesaientnotammentpourfonctiondedonnerunebonneimaged’eux-mêmesauxpersonnesquiprendrontconnaissancedel’étude,maisaussiàeux-mêmes.

Pourconclure,sinotreobjectifavaitétédecomprendrequelsétaientlesbesoinsinsatisfaitsdesaînésetleurssou-haitslespluschers,ilauraitfalluposerlesquestionsentermesdebesoinsetdesouhaits.Cetypedequestionsauraitd’ailleurstrèscertainementpermisdemontrerqueplusieursbesoinsimportantsdesaînésdevraientêtremieuxren-contrés.Ici,notreobjectifn’étaitpaslà.Ilétaitdemontrerquelesaînésontuneperceptiond’eux-mêmesquin’estpasenphaseaveclaperceptionquel’onatropsouventd’eux(parexemple,onlesimaginesubirunvieillissementquilesaccableetlesrendmalheureux,maisiln’enestrien).Tireruneconclusiondutype«lesbesoinsdesaînéssontrencontrés»surbased’unrésultatquimontreque«lesaînéssontsatisfaitsdeleurexistence»estindubitablementuneerreurànepascommettre!Cetteétuden’indiqueenaucuncasqu’iln’estplusnécessairedesesoucierdesaînésnidecontinueràdéfendreleursintérêts.

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Numéro 42

Journal des cadres locaux,régionauxetfédérauxd’Énéo,mouvementsocialdesaînés.Énéoestlemouvementdesaînés delaMutualitéchrétienne.

Editeurresponsable: Jean-PierreMailleux,chaussée de Haecht 579, BP 401031Bruxelleswww.eneo.beE-mail:[email protected]

Ontcollaboréàcenuméro:Jean-Baptiste Dayez et Francis Delpérée.

Secrétariatderédaction:AnneLepèreRelecture:AnneLepèreMiseenpage:MCgraphicCréditphoto:Flickr.

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