14
Sidî ‘Abd al-‘Azîz al-Mahdawî Biographie SLIMANE REZKI

Sidî ‘Abd al-‘Azîz al-Mahdawî · PDF file4 formes... Malgré cette distance initiale dans leurs rapports, Ibn ‰Arabî vénère sidi ‰Abd al-‰Azîz qu‱il appelle sans

  • Upload
    vancong

  • View
    220

  • Download
    5

Embed Size (px)

Citation preview

Sidî ‘Abd al-‘Azîz al-Mahdawî

Biographie

SLIMANE REZKI

1

Sidî ‘Abd al-‘Azîz al-Mahdawî

Biographie

SLIMANE REZKI

Mausolée de sidi ‘Abd al-‘Azîz à La Marsa

© Septembre 2014, Tabernacle des Lumières

2

Abu Muhammad ‘Abd al-‘Azîz b. Abû Bakr al-Qurashî al-Mahdawî

(m. 621/ 1224 EC)

‘Abd al-‘Azîz al-Mahdawî est l’exemple type du saint inconnu du grand public. Ce

grand maître spirituel tunisien du septième siècle de l’hégire nous est connu grâce

essentiellement aux indications qu’Ibn ‘Arabî nous livre dans sa somme intitulée Al-Futûhât

al-Mekkiyah. C’est d’ailleurs la source principale que nous utilisons ici pour rédiger ces

quelques lignes en hommage à cet homme vertueux.

On ne possède que peu de choses de lui, une prière lui est attribuée sans certitude

qu’elle soit vraiment de lui ainsi que quelques fragments de correspondance. Parmi les

diverses sources, nous nous inspirons du travail de M. Gerald T. Elmore dont l’étude intitulée

Shaykh ‘Abd al-‘Azîz al-Mahdawî, Ibn al-‘Arabî’s Mentor a été publiée par l’American

Oriental Society. Comme lui-même le suggère, il reste à explorer les notices biographiques

d’historiens locaux dans l’éventualité de nouveaux documents ou de nouvelles indications.

Ibn ‘Arabî visitera le Sheikh ‘Abd al-‘Azîz à deux reprises, en 590 H tout d’abord et

au cours de son second voyage vers l’Orient entre 597 et 598. Son nom nous renseigne déjà

sur sa filiation et son origine ; al-Mahdawî indique qu’il était originaire de la ville de

Mahdiya, l’ancienne capitale Fatimide. Al-Qurashî, nous indique qu’il est d’ascendance

Mecquoise, Quraychite. Etait-il de filiation prophétique ? Descendait-il de l’imâm ‘Alî

comme certains historiens le supposent ? Aucune certitude n’est possible à ce sujet. Lors de sa

première visite, il réside au centre qu’anime sidi ‘Abd al-‘Azîz en compagnie des autres

disciples et du maître même d’al-Mahdawî, sidi ‘Abd Allah al-Kinânî.

Nous devons nous arrêter ici sur ce personnage énigmatique qui constitue à plusieurs

titres un lien entre sidi ‘Abd al-‘Azîz et Ibn ‘Arabî. Ibn Khamîs al-Kinânî fut disciple direct

du grand pôle maghrébin sidi Abû Madyan. Ibn ‘Arabî nous dit dans son Rûh al-Quds qu’il se

rendit chez lui (al-Kinânî) pieds nus. Dans sa Durrat al-fâkhira Ibn ‘Arabî, selon les termes

de Claude Addas, se sent une profonde affinité voire une certaine complicité avec ce maître

tunisien (al-Kinânî). En parlant de lui, il dit : « Cet homme éminent fut l’un des shaykh de

‘Abd al-‘Azîz al-Mahdawî, qui, cependant, ne le connut pas dans toute sa réalité, car le

shaykh ne se dévoila pas totalement à lui […] Je restai en sa compagnie un peu moins d’un

an. Avant mon départ, il insista pour que je taise son état véritable à ‘Abd al-‘Azîz al-

Mahdawî ou à tout autre. Il me demanda aussi de ne plus y penser. »1 Sidi al-Kinânî, mieux

connu sous le nom d’al-Jarrâh, était chirurgien et vivait dans un ribât. Il était considéré

comme un soldat de Dieu. Tout comme Ibn ‘Arabî, il jouit du conseil et de la guidance d’al-

Khadir pôle des Afrâd et initiateur de Moïse dans la sourate al-Kahf. Toujours au sujet de ce

maître, Ibn ‘Arabî dit : « Nous nous étions mutuellement découverts, volontairement, lors

d’une rencontre sublime. »

1 Ibn ‘Arabî ou la quête du Soufre Rouge, pp. 144-145, Claude Addas, Ed. Gallimard, 1989, Paris.

3

Ce centre où Ibn ‘Arabî séjourne en leur compagnie est situé à la Marsa dans la

banlieue nord de Tunis là même où furent inhumés sidi al-Kinânî et sidi al-Mahdawî.

Ce lieu, comme tant d’autres situés sur la côte, donne sur la mer dont il n’est séparé

que de quelques mètres. Il servait de poste-frontière et était habité par des soldats.

Rapidement, il fut occupé par des hommes aspirant au recueillement. Résidant désormais dans

des lieux de retraite, la plupart des occupants de ces centres avaient la double qualité d’initiés

et de soldats prêts à défendre les limites du territoire. Ce qui constitue une similitude

étonnante avec la façon dont étaient décrits les Templiers en Occident : moines et soldats. Ce

fût aussi le cas du sanctuaire du saint tunisien sidi Bou Sa’îd situé non loin de là.

En ce centre de la Marsa, Ibn ‘Arabî retrouvera son cousin dont il évoque la tardive

adhésion au soufisme dans sa al-Durrah al-Fâkhirah. Son père se trouve également à Tunis à

cette période. Ce premier séjour ne semble pas excéder six ou sept mois. Peu après le départ

du Cheikh el-Akbar, le Sheikh al-Kinânî meurt à Tunis et laisse l’école d’enseignement soufi

à la charge de son principal disciple, sidi ‘Abd al-‘Azîz. C’est à la même époque que le père

d’Ibn ‘Arabî meurt en Andalousie. Ce premier séjour est évoqué dans plusieurs ouvrages du

Sheikh al-Akbar notamment dans ses Futûhât, dans le Mashâhîd al-Asrâr al-qudsiyah et dans

son Rûh al-Quds. Trois ouvrages qu’il dédie au Sheikh tunisien sidi ‘Abd al-‘Azîz.

La première rencontre entre ces deux personnages, Ibn ‘Arabî et ‘Abd al-‘Azîz al-

Mahdawî, ne semble pas s’être bien passée. Ibn ‘Arabî dit à ce sujet : « Je lui pardonnai car

c’est mon état extérieur et le témoignage des apparences qui l’avaient amené à cela. Je lui

avais en effet caché, à lui et à ses disciples, ce que j’étais réellement par un comportement

extérieur exécrable. » Il fait ainsi mention aux propos qu’il tint lors d’une assemblée où il

déclara Je suis le Coran et les Sept Redoublés, Et l’esprit de l’Esprit et non l’esprit des

4

formes... Malgré cette distance initiale dans leurs rapports, Ibn ‘Arabî vénère sidi ‘Abd al-

‘Azîz qu’il appelle sans cesse al-walî, le saint, le proche. Il écrira un éloge à l’adresse du

sheikh en vantant ses vertus, disant notamment qu’il possédait des qualités qu’il n’avait

jusqu’alors jamais rencontrées. Il loue son attachement à la vérité et son abaissement devant

elle. Il affirme de même qu’il ne tient aucunement compte de son cas personnel et ignore les

honneurs que lui accordent les dirigeants. Il dit que le sheikh aime dire je ne sais pas et, s’il

connait la réponse, il préfère l’entendre de quelqu’un d’autre. Il le compare même à une

brochette sur laquelle viennent, à l’image de la viande, s’enfiler les caractères nobles.

Dans l’épître du prologue des Futûhât qu’il lui dédie, Ibn ‘Arabî dit :

« Celui dont je ne cesse de chercher la personne,

Je l’ai trouvé sur la colline verte.

Le pays de la blancheur immaculée, La ville de Tunis.

La citadine, l’embellie, la convoitée,

En ce lieu sublime, dont la terre est sacrée,

Pour avoir accueilli l’homme à la qibla « oblique »,

Au sein d’un groupe d’êtres d’exception et d’élus,

L’élite des gens distingués (nujabâ) et des notables (nuqabâ).

Il les guidait à la lumière d’une science,

Puisée à la lueur de la tradition pure,

L’incantation (dhikr) ne cesse d’être entonnée et les connaissances se révèlent,

En lui du soir au soir,

Telle une pleine lune (badr) au quatorzième jour du mois,

Jamais on ne vit briller d’autre astre par une nuit de pleine lune.

Au sein de l’assemblée, Ibn Murâbit, unique en son espèce,

Et dont les connaissances sont trop hautes pour être divulguées,

Ses enfants tournent autour d’un trône qui s’érige là où il se trouve,

Il est l’imâm et eux les substituts,

Lui et eux en cette assemblée,

Sont comparable à la pleine lune entourée des étoiles célestes.

Et lorsqu’il te transmet une sagesse,

5

C’est en lieu et place du Phénix qu’il t’informe. »

Au cours de ce premier séjour, Ibn ‘Arabî étudie avec son maître le Kitâb al-hikma

d’Ibn Barrajân, ce soufi andalou condamné à mort par le sultan almoravide ‘Ali ibn Yûsuf ibn

Tashfîn de Marrakech pour son soutien aux thèses d’Ibn Masarra jugées hérétiques.

Le second séjour en 597 ou 598 H. dure plus longtemps, probablement neuf mois, et

est effectué en compagnie du disciple indéfectible du Sheikh al-Akbar, sidi ‘Abd Allah Badr

ad-Dîn al-Habashî. Les conditions ne sont plus les même, Ibn ‘Arabî y rédige un ouvrage

Inshâ al-Dawaïr wa al-Jadâwil2 qu’il dédie à son compagnon al-Habashî. Livre qui traite de

la genèse de la création. Il ne l’achèvera que bien plus tard occupé avant tout à rédiger sa

somme monumentale les Futûhât Mekkiyah dont l’une des copies originales sera dédiée au

Sheikh al-Mahdawî tout comme son livre Rûh al-Quds réunissant la biographie de plusieurs

saints andalous et maghrébins.

Copie de la version originale des Futûhât al-Mekkiyah se trouvant à Konya en Turquie et qui

fut dédié à Sadr ad-Din al-Qunyawî.

2 Ouvrage traduit et présenté par MM. Paul Fenton et Maurice Gloton aux éditions de l’Éclat, 1996, Paris.

6

Il nous faut faire une halte ici pour parler succinctement de ce grand disciple que fut

Badr ad-Dîn al-Habashî. Éthiopien d’origine, il rencontre Ibn ‘Arabî à Fès et ne le quitte plus

jusqu’à sa mort à Malatya en 617H. Le Sheikh al-Akbar compose pour lui plusieurs livres

dont ses Mawâqi’ an-Nujûm ainsi que Hilyat al-Abdâl3. Sidi al-Habashî rédigera également

un ouvrage consignant l’enseignement oral du Sheikh al-Akbar qu’il intitula Kitâb al-Inbâh

‘alâ tarîq Allah4. Ce second séjour est évoqué dans les Futûhât sans plus de détails.

Dans le prologue de ses Futûhât, Ibn ‘Arabî parle d’al-Mahdawî, de son serviteur Ibn

al-Murâbit qu’il évoque dans l’épître qu’il dédie au Sheikh al-Mahdawî et dont nous avons

traduit quelques vers plus haut, de lui-même et de son compagnon al-Habashî comme des

quatre piliers Awtâd qui régissent ce monde comme membre de la hiérarchie initiatique. Ces

piliers qu’il compare aux quatre angles de la noble Ka’ba.

Al-Mahdawî partit quelques temps en Orient, vers l’an 600 H., en passant par

Alexandrie en Égypte puis à la Mecque probablement pour le pèlerinage. Est-ce en réponse à

la demande que lui adresse Ibn ‘Arabî afin de le persuader de le rejoindre à la Mecque, « la

plus noble des demeures de pierre et de terre » comme il le dit lui-même, que sidi ‘Abd al-

‘azîz se rend en Orient ? Le rencontre-t-il à cette occasion ? Nous n’avons aucune trace d’une

éventuelle rencontre.

Ibn ‘Arabî fut le principal auteur à nous fournir des renseignements sur sidi ‘Abd al-

‘Azîz. D’autres auteurs évoquèrent notre saint tunisien mais sans force de détail suffisant.

Denis Gril nous dit dans sa traduction de la Risalah du sheikh égyptien Safi al-Dîn ibn Abî al-

Mansûr ibn Zafir qu’un sheikh soufi de la province d’al-Bahnasa, ‘Abd al-‘Adhîm al-Sharunî,

partit étudier en Tunisie auprès de sidi ‘Abd al-‘Azîz. Ce qui lui valut d’être qualifié comme

celui qui partit au Maghreb pour parfaire son éducation spirituelle.

Une autre source importante est le Ma’âlim al-imân fî ma’rifat ahl al-Qayrwân rédigé

par un historien local, ‘Abd ar-Rahmân ibn Muhammad al-Dabbâgh (m. 696 H/1221 EC) fils

d’un des membres éminents des disciples d’Abû Madyan. Cet ouvrage nous conte la longue

amitié qui unit le saint de Tunis sidi al-Mahdawî et le dernier personnage dont traite ce livre

biographique, le sufi Abû Yûsuf Ya’qûb ibn Thâbit al-Dahmânî. Ces deux maîtres se rendent

ensemble à Béjaia en Algérie pour recevoir l’enseignement et l’éducation du pôle sidi Abû

Madyan. Installé à Kairouan, al-Dahmânî entretiendra une correspondance avec sidi ‘Abd al-

‘Azîz. Correspondance qui confirmera le respect et la proximité que se témoignaient ces deux

maîtres. Al-Dabbâgh raconte une anecdote dans son Ma’âlim, il dit qu’ : « En arrivant à

Béjaia, le saint Abû Madyan dit à certains de ses compagnons : prenez soin de ces deux

maîtres car ils assumeront la fonction polaire pendant sept ans. Quelqu’un demanda s’ils

assureraient cette fonction en partenariat ? Non répondit le Maître puis il ajouta : Le premier à

devoir l’assumer sera al-Dahmânî et, s’il meurt, sidi ‘Abd al-‘Azîz lui succèdera. » Al-

Dahmânî décéda au mois de Muharram de l’an 621 H. et al-Mahdawî décéda six mois plus

tard au mois de Rajab de la même année. Ce qui nous permet de penser que sidi ‘Abd al-‘Azîz

assuma la fonction polaire pendant six mois, jusqu’à son décès. Cette assertion n’étant

3 Cet ouvrage est traduit par Michel Vâlsan aux éditions de l’Œuvre Paris. 4 Cet ouvrage a été traduit par Denis Gril aux Annales islamologiques, XV, 1979, pp. 97-164.

7

confirmée par aucune autre source, il y a lieu de se demander comment comprendre cette

annonce du saint bougiote sidi Abû Madyan. Désirait-il parler de la fonction de guide

suprême ou de représentant attitré des disciples soufis de son ordre situé en Tunisie ? Ou

s’agissait-il de la fonction polaire suprême comme l’avait assumait sidi Abû Madyan lui-

même peu avant de mourir ?

Un certain Mahdawî est mentionné dans l’épître d’Ahmad al-Qûsî (m. 708 H/1308

EC) Al-Wahîd fî sulûk ahl at-Tawhîd et rapporté dans la Risâlat Sâfi ad-Dîn traduit par Denis

Gril. Il est fort improbable qu’il s’agisse du même personnage. Pour cela il aurait dû être

disciple du saint de Louxor Abû al-Hajjâj al-Uqsûrî, celui-là même qui occupa la fonction de

pôle juste avant sidi Abû al-Hassan ach-Chadhîlî. La source principale après les indications

données par Ibn ‘Arabî est très certainement Uns al-faqîr wa ‘izz al-haqîr d’Abû al-‘Abbâs

Ahmad ibn Hassan ibn ‘Alî ibn al-Khatîb mieux connu sous le nom de Ibn al-Qunfudh (m.

810 H/1407 EC). Ce personnage fut l’auteur d’un dictionnaire biographique recensant les

maîtres et les disciples d’Abû Madyan. C’est encore adolescent que, lors d’un voyage au

Maroc, il entre en contact direct avec l’ordre fondé par le saint de Bougie. Il fréquente les

lieux d’invocations soufis à travers le Maghreb dont Tunis. Il visite les mausolées d’al-

Mahdawî et d’al-Kinânî à la Marsa.

Le Sheikh Tâdilî rapporte dans son Al-Tashawwuf ilâ rijâl at-tasawwuf une anecdote

concernant l’imâm de la grande mosquée de Mahdiya l’ancienne capitale Fatimide. Ce

dernier, apprenant que le sheikh al-Mahdawî venait d’entrer en retraite spirituelle (khalwa)

pour quarante jours à Monastir, dit : « Si ‘Abd al-‘Azîz venait à mourir, personne ne devra

prier sur lui car il se sera tué lui-même. » Les règles de la retraite sont en effet difficiles et

réclament une préparation adéquate, préparation que le sheikh al-Mahdawî n’ignorait pas bien

évidemment à l’inverse de l’imâm en question. Entendant ces propos, le sheikh ‘Abd al-‘Azîz

répondit : « C’est lui qui mourra le premier et ‘Abd al-‘Azîz priera pour lui. » C’est ce qui se

passa effectivement. Les quarante jours écoulés, quelques disciples lui apportèrent du bouillon

qu’il ne put boire. Voyant l’inquiétude de ses proches, il leur dit : « J’ai connu un mode de vie

par lequel ne mourrai pas. » Cette anecdote est révélatrice de la différence de point de vue

entre les littéralistes et les soufis. Si les premiers se restreignent à la rigueur de la lettre, les

seconds privilégient toujours la miséricorde. Cette différence de points de vue nous montre

également la sphère matérialiste dans laquelle sont enfermés les rigoristes. Ils n’envisagent

même plus qu’un homme puisse, par la grâce de Dieu, s’élever à des états supra-humain et

vivre sans manger ni dormir par exemple.

Ibn al-Qunfudh nous raconte qu’en compagnie de six autres maîtres tunisiens, sidi

‘Abd al-‘Azîz se rendit de nouveau auprès de sidi Abû Madyan à Bejaia en Algérie afin de

parfaire son initiation soufie.

8

Lieu actuel à Béjaia de ce qui fût le lieu de résidence et la zawiya de sidi Abû Madyan.

Subsistent encore les fondations d’une coupole, d’un escalier et d’une salle séparée où les

indigents étaient nourris et logés.

A cette occasion le saint bougiote nommera sidi ‘Abd al-‘Azîz Le lion des âmes. Ibn

al-Qunfudh nous apprend aussi que ses disciples l’appelaient « notre père Abû ‘Abd Allah »

(Abûnâ ‘Abd Allah). Affirmation que contestera un autre historien tunisien, Muhammad ibn

Ibrahîm az-Zarkashî dans son ouvrage intitulé Tarikh ad-Dawlatayn : al-Muwahhidiyah wa

al-Hafsîyah. Ce dernier établit une distinction entre les deux personnages : sidi ‘Abd al-‘Azîz

et un certain ‘Abd Allah ibn ‘Ali al-Hawwârî an-Nâbulî qui seraient enterrés au cimetière de

la Marsa. Le même historien, Ibn al-Qunfudh, nous parle d’al-Mahdawî comme d’un maître

Ummî. Cette précision mérite de s’y arrêter pour être précisée. Régulièrement traduit par

illettré, ce terme peut aussi, et surtout dirions-nous, signifier intuitif dans le sens où l’être

ummî est celui qui ne reçoit sa science que par intuition intérieure directe. Il est impossible de

croire sidi ‘Abd al-‘Azîz illettré sachant que des preuves de sa correspondance ou de sa poésie

existent.

On rapporte par exemple qu’écrivant à sidi Abû Madyan, il le décrit ainsi :

« Ô Shu’ayb saint de Dieu et secret de Ses serviteurs,

Abû Madyan, profit pour l’humanité et gloire de celle-ci,

Gardien du refuge et modèle de guidance,

Transmetteur de la connaissance divine selon Son ordre,

9

Tu es présent tout en étant absent et absent et non absent,

Vous êtes en chacun ajouté en sa tour5,

Par votre lumière apparaît la voie infaillible menant à la Lumière de Dieu,

Qui donc au sein de l’humanité pourrait éteindre Sa Lumière ? »

Bien que peu de choses subsiste, nous savons maintenant que le terme ummî n’est pas

à prendre à la lettre dans le cas de sidi ‘Abd al-‘Azîz. D’ailleurs, il nous semble que dans le

cadre du soufisme, ce terme n’est jamais à prendre dans le sens d’illettré. La question s’est

posée pour le Prophète lui-même ; certains évènements nous laissent penser que sa qualité

d’Ummî répondait à la définition donnée plus haut. On se souvient qu’à la fin de sa vie, il

demande un parchemin et une plume afin de rédiger un testament spirituel permettant aux

musulmans de ne pas s’égarer après lui. Pourquoi demanda-t-il une plume et un parchemin

s’il ne savait pas écrire ?

Tâj al-‘Arifîn ibn al-Munâwî nous parle également du sheikh al-Mahdawî sans

apporter de nouveaux éléments à sa biographie. Il reprend essentiellement ce qu’en dit Ibn

‘Arabî dans son Mashâhid al-Asrâr. Ce qui par contre est plus étrange, c’est que le grand

saint soufi égyptien sidi ‘Abd al-Wahhâb ash-Sha’rânî ne fait aucunement mention de sidi

‘Abd al-‘Azîz al-Mahdawî dans ses Tabaqât. Proche d’Ibn ‘Arabî6 et de son œuvre, on aurait

pu penser qu’il lui consacre une notice biographique. Surtout qu’à son époque, le califat

Ottoman s’emploie à redorer l’image d’Ibn ‘Arabî. Ce qui se traduit par une remise à

l’honneur de tous les maîtres soufis en rapport avec le Sheikh al-Akbar dont sidi al-Mahdawî

en Tunisie où les dirigeants sont des deys nommés par la Sublime Porte.

Dans son Jamî’ karâmât al-awliyâ, Yûsuf ibn Isma’îl an-Nabhânî consacre une notice

dans laquelle il reprend les évènements les plus connus de la vie du saint en y mentionnant

une anecdote. Celle-ci nous montre sidi ‘Abd al-‘Azîz en train de lire le Coran auprès de sidi

Abû Madyan bien qu’il soit présenté comme illettré. Il nous dit encore que sidi ‘Abd al-‘Azîz

était très porté sur l’ascétisme, qu’il portait le froc soufi et que, quand une faiblesse se

manifestait, il entrait dans la mer vêtu de son froc bien gênant pour évoluer dans l’eau. Une

fois sorti de l’eau, il se mettait à prier jusqu’à ce que celui-ci soit sec. Notre biographe

commet une erreur de chronologie en le faisant décéder en 671 H. au lieu de 621 H., ce qui

semble est une erreur d’impression car la date chrétienne qu’il donne (1224) est correcte.

Une autre source contemporaine, Al-Haqîqah at-tarîkhiyyah li-l tassawuf al-islâmî7 de

Muhammad Bahlî an-Nayyâl, jeune tunisien qui nous rajoute quelques données intéressantes

pour notre étude. Il nous dit que sidi al-Mahdawî rencontra sidi Abû Madyan à Tunis en

compagnie de son maître Jarrâh al-Kinânî, d’al-Dahmânî, d’al-Dabbâgh, d’Abû Sa’îd al-Bâjî

et Abû ‘Alî an-Naftî. Alors qu’Abû Madyan était sur le chemin du pèlerinage, ils se

5 La tour Tûr signifie aussi le mont, nous pensons qu’il s’agit des lieux de retraite des aspirants qu’il guidait.

6 Voir à ce sujet sur notre site « tabernacledeslumieres.net » la traduction des « Gemmes précieuses » Al-Yawâqît

wa al-Jawâhir de l’imâm ash-Sha’rânî. Cette œuvre représente un résumé introductif à l’œuvre d’Ibn ‘Arabî

unique en son genre. 7 Publié à Tunis aux éditions Maktabat an-Najâh.

10

rencontrèrent dans une mosquée proche d’un marché que l’on nomme depuis Mosquée d’Abû

Madyan.

C’est le Sheikh Abû Sa’îd al-Bâjî qui vécut avec ses disciples à la Manârah qui vint

laver et préparer le corps de sidi ‘Abd al-‘Azîz lorsque ce dernier fût rappelé à Dieu. Proche

de lui et plein de vénération à son égard, il l’accompagna jusqu’à sa dernière demeure en le

déposant lui-même en terre. Sept ans plus tard, en 628, il mourra à son tour et sera enterré à la

Manârah, lieu qu’il affectionnait particulièrement pour ses retraites spirituelles notamment.

Bien que le phare de Tunis était un lieu de retraite spirituelle privilégié, comme le

mentionne Ibn ‘Arabî au chapitre IV des Futûhât, al-Mahdawî préférait le cimetière et les

tombes comme compagnie de ses retraites. Ibn ‘Arabî l’explique en disant que cela est dû à la

présence de saints en ces lieux. Attrait que partage avec lui Ibn ‘Arabî qui raconte à plusieurs

reprises ses séjours parmi les défunts qu’il qualifie de « vivants ».

11

As-Salât al-mubârakah ‘alâ ar-Rasûl al-‘Alâ

Prière bénie sur l’Envoyé divin suprême

attribuée à sidi al-Mahdawî 8

Seigneur, prie sur la Table de ta Miséricorde universelle sur laquelle Tu as inscrit au moyen

du Calame de ta Miséricorde élective9 : « Allah ne punit pas un peuple alors que tu te

trouves parmi eux. »10

Seigneur prie sur le Trône où s’harmonise Tes Noms attributifs

sachant que ta fonction de divinité est en totalité à caractère miséricordieux. Par Ta

bénédiction englobante et totalisatrice contenue dans ta parole : « Nous ne t’avons missionné

que comme miséricorde pour les mondes. »11

Ô Seigneur des mondes prie sur la miséricorde

des mondes. Seigneur prie sur l’Homme origine de tout au niveau de Ton Unicité et de la

synthèse de la synthèse de Ton Unité comme l’exprime clairement Ta parole : « Ô Prophète,

Nous t’avons suscité comme témoin, annonciateur, comme avertisseur et prédicateur

invitant à Dieu par Son autorisation ainsi que flambeau lumineux. Annonce aux croyants

qu’Allah leur réserve un surcroît immense. »12

L’annonciateur n’est autre que le libérateur

l’ayant missionné. Nous espérons l’audition de son verbe. Seigneur, délie les nœuds de nos

cœurs par la clé de son amour et noircit13

(Kahhal) la vue de nos yeux par l’antimoine de sa

lumière. Fais apparaître les secrets de l’intérieur de nos cœurs au moyen de sa contemplation

et de sa proximité au point que nous ne puissions percevoir autre que Toi au sein de

l’existence qui est Ton support de manifestation. Du sommeil par lequel Tu nous rends

inconscient, nous fuyons. Seigneur, prie sur le Kâf de Ta suffisance (Kifâyatuka), puis sur le

Hâ’ de Ton ipséité (Huwâytuka), puis sur le Yâ’ de Ta droite (Yaminuka), puis sur le ‘Ayn de

Ta perfection (‘Içmatuka) et sur le Çâd de Ta voie (Çirâtuka) qui est la voie d’Allah à qui

appartient tout ce qui se trouve dans les cieux et sur la terre. N’est-ce pas vers Allah

qu’aboutissent toutes les choses. C’est la voie de ceux que Tu as gratifiés et non celle de ceux

qui provoquent Ta colère ou s’égarent. Seigneur, prie sur Ta lumière infime qui intercède par

Tes Noms auprès du Nommé. L’origine de sa manifestation existentielle tient à Ta science qui

par définition est englobante. Comme l’origine des secrets de sa générosité tient à la nature

englobante de Ta largesse. De même que l’origine de la reproduction de tous les éléments du

monde créé tient à l’universalité de Ta volonté. L’origine de sa détermination incontournable

tient à l’ampleur illimitée de Ta puissance et de Ton pouvoir de contrainte. L’origine de son

8 L’attribution n’est pas certaine, certains connaisseurs pensent que cette prière n’est pas de sidi ‘Abd al-‘Azîz

al-Mahdawî. C’est Muhammad Bahlî an-Nayyâl qui dans son travail d’investigation retrouva ce texte qui fut

attribué au saint de La Marsa, sidi ‘Abd al-‘Azîz. Une copie existe dans le fonds documentaire de la Mosquée de

la Zeytouna à Tunis et dans le catalogue des manuscrits de la bibliothèque Königlichen de Berlin avec de très

légères variantes. 9 Miséricorde tenant du Nom al-Rahîm qui se distingue de la précédente tenant du Nom al-Rahmân par le fait de ne toucher que certaines personnes qui à ce titre sont élues par la grâce divine. À l’inverse, la première, de

caractère universel, touche tout le monde sans distinction et tient à la nature miséricordieuse de Dieu. 10 Coran 8 : 33. 11 Coran 21, 107. 12

Coran 33 : 46. 13 Cette mention signifie maquille ou embellit nos yeux. Le kuhûl est une poudre dont se servait le Prophète pour

embellir ses yeux mais aussi pour les purifier. Cette pratique permet de préserver les yeux et de conserver une

vision optimum. Ce qui peut être transposé et se comprendre comme une prière conduisant à éprouver une vision

supérieure permettant de saisir des réalités inaccessibles à l’œil corporel.

12

caractère indicatif de la perfection tient à l’universalité de l’ampleur de Ta miséricorde… Tu

l’as institué comme intercesseur auprès de Toi et parmi Tes anges, Tes prophètes et Tes

envoyés divins. Il est la porte de l’agrément et l’Envoyé agréé. Il est la réalité essentielle de

Ta Réalité divine et la quintessence de Ta création. En sa lumière sont réunis les porteurs du

Trône et par son secret Tu as élevé Tes cieux et aplani Ta terre. Il est le ciel de Tes Noms et le

lieu où se trouve Ta perfection. Il est encore la manifestation de Ton exaltation et de Ton

autorité. Tu es Celui qui le connait vraiment car Tu es Dieu et la Réalité unique. Ô Seigneur,

prie sur lui selon la science que Tu possèdes de tout cela et prodigue lui Ton affection auprès

de Toi.

Ô Seigneur, par le mérite de son compagnon le véridique (As-Saddîq), du discriminateur (al-

fâruq) honoré du rang de la véridicité ainsi que par celui du possesseur des deux lumières

(nurayn) et par le mérite de celui qui scella le califat, le fils de son oncle, ‘Ali le réalisé.

Seigneur réunis nous à Toi par Toi et rejette-nous de Toi vers Toi14

. Permets-nous de le (le

Prophète en tant que réalité immuable) contempler au niveau de la synthèse qui ne contient

aucune séparation ni obstacle. Tu es Celui qui gratifie et pourvoit, Tu gratifies qui Tu veux au

moyen de Ta largesse seigneuriale de ce que Tu désires et pour ceux que Tu élis au sein de

Tes gens. Seigneur nous Te demandons de nous ressusciter au sein de sa faction et de nous

compter parmi les gens de ayant suivi son modèle. Ne nous écarte pas de la voie qu’il institua

ni du chemin qu’il traça. Tu es celui qui entend les suppliques de ceux qui implorent ou qui

tendent l’oreille en étant témoin.

Point de puissance ni de force si ce n’est par Allah le sublime, l’immense et que l’action de

grâce (la prière) unitive d’Allah soit sur notre Maître Muhammad (que la prière et la paix

divines lui soient consenties).

Remarque :

Nous retrouvons dans cette prière nombre de points communs avec les diverses prières de cet

ordre écrites par les maîtres soufis. Elle n’est pas sans nous rappeler la célèbre prière de ce

saint marocain lui aussi disciple d’Abû Madyan et maître de sidi Abû al-Hassan ach-Chadûlî,

sidi ‘Abd as-Salâm ibn Machîch. Dans tous les cas, nous retrouvons comme sujet central, la

conception de l’Envoyé de Dieu dans sa dimension lumineuse, éternelle, et spirituelle. Sans

faire abstraction de la dimension humaine du Prophète, ces maîtres décrivaient sa dimension

intérieure et primordiale. La Haqîqah al-Muhammadiyah est avec la Wahdat al-Wujûd le

concept essentiel du soufisme. Ces deux concepts transposant l’Unicité divine et la fonction

prophétique dans leur dimension la plus métaphysique furent les principales pierres

d’achoppement entre l’exotérisme et l’ésotérisme. Assimilé à tous les principes fondamentaux

tels le Calame, la Table préservée, le Trône, la miséricorde universelle… le Prophète est le

miroir divin parfait en lequel se reflète totalement l’ensemble des attributs divins. En disant :

14 Autrement dit, éloigne-nous de la rigueur de Ta transcendance pour nous rapprocher de la douceur de Ton

immanence. Tout est Dieu, mais les modalités de Sa présence et de Sa compagnie varient selon les plans

d’existence. Un verset nous dit qu’Allah est avec nous là où nous nous trouvons, donc partout. Il vaut mieux

donc se trouvait avec Lui au Paradis qu’en Enfer.

13

« Il (le Prophète) est la réalité essentielle de Ta Réalité divine et la quintessence de Ta

création », tout est dit. On a l’impression de lire un texte d’Ibn ‘Arabî. On peut d’ailleurs se

demander si, comme Abû Madyan, sidi ‘Abd al-‘Azîz n’influença pas le sheikh al-Akbar au

moins dans la formulation.

Quand le sheikh dit : « Seigneur réunis-nous à Toi par Toi et rejette-nous de Toi vers Toi »,

l’allusion à la Wahdat al-Wujûd est claire. La seule Réalité efficiente et autonome est Dieu

qui par grâce nous permet d’en partager la conscience.

Certains historiens commentant cette prière virent dans sa dimension ésotérique une influence

ismaélienne. Il nous semble contradictoire de voir cette influence et en même temps d’y

trouver un appel à la bénédiction des quatre premiers califes pour obtenir la proximité divine :

Ô Seigneur, par le mérite de son compagnon le véridique (As-Saddîq), du discriminateur (al-

fâruq) honoré du rang de la véridicité ainsi que par celui du possesseur des deux lumières

(nurayn) et par le mérite de celui qui scella le califat, le fils de son oncle, ‘Ali le réalisé.

Seigneur réunis nous à Toi par Toi et rejette-nous de Toi vers Toi15

. Permets-nous de le (le

Prophète en tant que réalité immuable) contempler au niveau de la synthèse qui ne contient

aucune séparation ni obstacle.

Pour conclure, il nous suffira de dire que l’intérêt que le plus grand des Maîtres, sidi Muhy

ad-Dîn Ibn ‘Arabî, porta à sidi ‘Abd al-‘Azîz est suffisamment éloquent. La dédicace de

plusieurs de ses livres dont le Rûh al-Quds et surtout ses Futûhât al-Mekkiyah parle d’elle-

même. Il fit également le projet de rédiger les hauts faits (manâqîb) de sidi al-Mahdawî, projet

qu’il ne put apparemment accomplir.

Qu’Allah nous fasse profiter des sciences, des vertus, des sagesses et des bénédictions de ses

nobles maîtres, l’élite de l’élite.

15 Autrement dit, éloigne-nous de la rigueur de Ta transcendance pour nous rapprocher de la douceur de Ton

immanence. Tout est Dieu, mais les modalités de Sa présence et de Sa compagnie varient selon les plans

d’existence. Un verset nous dit qu’Allah est avec nous là où nous nous trouvons, donc partout. Il vaut mieux

donc se trouver avec Lui au Paradis qu’en Enfer.