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Vous deviez les protéger ! Mes anges L’âme est le seul oiseau qui soutienne sa cage. Victor Hugo Ces lignes vous sont dédiées, Benoit et Maëva, mes petits anges, sacrifiés comme tant d’autres au bon plaisir des services sociaux, ainsi qu’à tous ceux dont l’enfance a été bafouée. Je vous offre ce témoignage sur les quelques années d’enfance que j’ai connues de vous. Maëva, tu ne t’en souviens pas ou très peu, chez nous tu es arrivée tu étais encore un bébé, et toi Benoit, tu ne nous as pas oublié, tu étais toi aussi tout petit, deux ans de plus que ta sœur, tu venais d’avoir 4 ans, la veille de ton arrivée. Maëva, tu étais une petite princesse pour nous et Benoit, seul garçon au milieu de 3 filles, notre petit chouchou. « S’il te plait, dessine moi un monde meilleur.» Je pense à toi en retraçant les bons moments de ta plus tendre enfance, mon petit Benoit. Tu avais tout juste 4 ans, et j’ai aussi en tête et au plus profond de mon cœur, comme toi, ta petite sœur, Maëva qui n’avait pas 2 ans lorsque vous êtes entrés dans ma vie, avec vos beaux sourires d’anges et vos tendres câlins. A présent, je vous ai retrouvés grâce à « Facebook » et vous êtes des adultes, enfin, pour moi vous êtes encore des enfants car je ne vous ai pas vu grandir, toi Benoit, avec tes bisous mouillés, m’appelant maman à tout bout de champs et cherchant désespérément de l’amour… Dans ce monde là, il y aurait des hommes qui réfléchiraient avant d’agir, car ils sauraient qu’ils possèdent le destin d’enfants innocents et confiants entre leurs mains. Avec un tel pouvoir, on peut changer une vie, la faire basculer dans le pire ou dans le meilleur. On les appellerait « travailleurs vraiment sociaux » et ils auraient une telle foi en leur métier que, chaque soir, avant de s’endormir, leur conscience ne serait apaisée qu’après avoir songé au bien-être de leurs petits protégés. Mais protège-t-on assez des enfants, surtout lorsqu’on pense exercer un métier social et que l’on s’en réfère toujours à ses supérieurs, jamais à son cœur, « en son âme et conscience », comme on dit au tribunal ? Des professionnels de l’enfance, comme Madame D, présidente de l’Unité Territoriale de l’Aide Sociale à l’Enfance, enfin, à cette époque là, c’est ce qu’on pensait d’elle, une « professionnelle »… En tout cas, c’était écrit noir sur blanc sur le rapport de gendarmerie de l’adjudant Praline, commandant la brigade de Beaumes-de-Venise. Il avait essayé de me venir en aide, alors que je ne savais plus vers qui me tourner à l’époque. Ce commandant de gendarmerie, avait essuyé, selon ses

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Ces lignes vous sont dédiées, Benoit et Maëva, mes petits anges, sacrifiés comme tant d’autres au bon plaisir des services sociaux, ainsi qu’à tous ceux dont l’enfance a été bafouée. Je vous offre ce témoignage sur les quelques années d’enfance que j’ai connues de vous. Maëva, tu ne t’en souviens pas ou très peu, chez nous tu es arrivée tu étais encore un bébé, et toi Benoit, tu ne nous as pas oublié, tu étais toi aussi tout petit, deux ans de plus que ta sœur, tu venais d’avoir 4 ans, la veille de ton arrivée. Maëva, tu étais une petite princesse pour nous et Benoit, seul garçon au milieu de 3 filles, notre petit chouchou.

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Vous deviez les protéger !

Mes anges

L’âme est le seul oiseau qui soutienne sa cage.

Victor Hugo

Ces lignes vous sont dédiées, Benoit et Maëva, mes petits anges, sacrifiés comme tant d’autres au bon plaisir des services sociaux, ainsi qu’à tous ceux dont l’enfance a été bafouée. Je vous offre ce témoignage sur les quelques années d’enfance que j’ai connues de vous. Maëva, tu ne t’en souviens pas ou très peu, chez nous tu es arrivée tu étais encore un bébé, et toi Benoit, tu ne nous as pas oublié, tu étais toi aussi tout petit, deux ans de plus que ta sœur, tu venais d’avoir 4 ans, la veille de ton arrivée. Maëva, tu étais une petite princesse pour nous et Benoit, seul garçon au milieu de 3 filles, notre petit chouchou.

« S’il te plait, dessine moi un monde meilleur.»

Je pense à toi en retraçant les bons moments de ta plus tendre enfance, mon petit Benoit. Tu avais tout juste 4 ans, et j’ai aussi en tête et au plus profond de mon cœur, comme toi, ta petite sœur, Maëva qui n’avait pas 2 ans lorsque vous êtes entrés dans ma vie, avec vos beaux sourires d’anges et vos tendres câlins. A présent, je vous ai retrouvés grâce à « Facebook » et vous êtes des adultes, enfin, pour moi vous êtes encore des enfants car je ne vous ai pas vu grandir, toi Benoit, avec tes bisous mouillés, m’appelant maman à tout bout de champs et cherchant désespérément de l’amour…

Dans ce monde là, il y aurait des hommes qui réfléchiraient avant d’agir, car ils sauraient qu’ils possèdent le destin d’enfants innocents et confiants entre leurs mains. Avec un tel pouvoir, on peut changer une vie, la faire basculer dans le pire ou dans le meilleur. On les appellerait « travailleurs vraiment sociaux » et ils auraient une telle foi en leur métier que, chaque soir, avant de s’endormir, leur conscience ne serait apaisée qu’après avoir songé au bien-être de leurs petits protégés. Mais protège-t-on assez des enfants, surtout lorsqu’on pense exercer un métier social et que l’on s’en réfère toujours à ses supérieurs, jamais à son cœur, « en son âme et conscience », comme on dit au tribunal ?

Des professionnels de l’enfance, comme Madame D, présidente de l’Unité Territoriale de l’Aide Sociale à l’Enfance, enfin, à cette époque là, c’est ce qu’on pensait d’elle, une « professionnelle »… En tout cas, c’était écrit noir sur blanc sur le rapport de gendarmerie de l’adjudant Praline, commandant la brigade de Beaumes-de-Venise. Il avait essayé de me venir en aide, alors que je ne savais plus vers qui me tourner à l’époque. Ce commandant de gendarmerie, avait essuyé, selon ses

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mots, une « douche froide » de la part de cette responsable de haut niveau ! Madame D, « douche froide », ce surnom lui allait comme un gant et son alter ego Madame D (aussi), médecin du secteur, que nous surnommâmes avec mon mari Madame « qui pique » car son nom était le condensé de 2 plantes piquantes, allaient de pair.

L’arrivée

Avril 1993, je suis assistante maternelle pour l’aide sociale à l’enfance depuis deux ans. J’ai choisi d’accueillir des enfants parce que je souhaitais offrir à des oisillons perdus un nid de tendresse et une vie équilibrée, enfin, si tant est que l’on peut redresser ce qui a déjà été abimé par les aléas de la vie. Adoucir est le terme exact, je voulais rendre leur enfance plus douce.

J’ai une agréable maison plutôt spacieuse « la Passiflore », nichée dans un écrin de verdure. C’est un petit paradis au cœur des dentelles de Montmirail. Enfin, ce sont les amis qui le disent, « un lieu béni des dieux ».

De l’amour chez nous, il y en a à revendre, mes deux filles qui ont huit et dix sept ans sont affectueuses, comme moi, et sont heureuses d’accueillir d’autres enfants qui n’ont pas eu la même chance qu’elles. Et puis, comme on dit, quand il y a de l’amour pour deux, il y en a pour trois ou quatre, ou plus. Chez nous il y a un toboggan et à côté un gros tas de sable, un portique, une source qui alimente un bassin avec des poissons rouges, une petite piscine que nous avons faite nous même en pierre et une rivière qui coule paisiblement près de la maison. On peut courir avec le chien, il y a quelques chats qui vivent leur petite vie féline au calme, l’espace est infini, surtout pour des enfants, on peut gambader sans danger dans les bois ou au bord de l’eau. Au fond du terrain, les poules nous donnent des œufs, et il y a parfois des poussins. Il y aura d’autres animaux mais on ne les gardera pas longtemps, le mouton gagné à la tombola et la chèvre apportée par un ami ne seront que de passage ainsi que l’âne et les tortues.

Il n’y a que quelques pas à faire pour prendre les chemins de Provence aux fragrances de thym et de romarin, on est vraiment perdu au milieu de la pinède parmi les pins et les chênes dans lesquels on voit parfois des écureuils sauter de branches en branches. Un de ces arbres centenaires tombera l’année précédente lors des inondations, appelées « inondation de Vaison-la-Romaine ». On est loin de Vaison pourtant, mais nous serons bien touchés quand même, un copain serait emporté par les flots et nous aurons à traverser champs et rivière durant de longs mois, au grand amusement de ma plus jeune fille et du petit garçon dont j’ai la charge cette année là, car les ponts emportés devront attendre plusieurs mois avant d’être reconstruits.

Et puis, le week-end, il y a de la musique qui vibre un peu partout dans la maison, mon mari est guitariste et le studio de répétitions s’anime de musiciens qui viennent trouver dans ce lieu tranquille de quoi faire éclore leur inspiration. Toute la maisonnée résonne de notes mélodieuses et les amis égrainent quelques morceaux de Satie ou leur propre composition sur le piano de la maison, mais ils préfèrent quand même les synthétiseurs du studio. Là-bas, au fond du garage, cette pièce dédiée à la musique a été aménagée pour composer, les musiciens y ont installé claviers, batterie, percussions, guitare, boites à rythme, et table de mixage...

Tout n’est pas idyllique bien sûr, notre couple est bancale mais puisque rien n’est jamais parfait dans ce monde, c’est déjà beaucoup pour accueillir des enfants qui ne demandent que de l’affection. Il y a

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aussi les scorpions qui s’installent parfois dans la maison pour se mettre au frais, Benoit s’en souvient encore ! La maison a été construite à côté de murs en pierres sèches, alors on ne peut faire abstraction de ces petits locataires que personne n’apprécie chez nous.

Un petit garçon de sept ans vient de partir, il nous manque mais il est retourné avec sa maman, ce qui est le but pour ces petits enfants de passage en famille d’accueil. On le reverra encore quelquefois lorsqu’il se rendra chez ses grands-parents paternels, puis plus tard, à 17 ans, et il nous dira combien il était heureux chez nous. Ce n’est pas grand-chose, mais c’est une reconnaissance qui donne du baume au cœur.

Le 14 avril 1993, le téléphone sonne et on me demande si j’accepte de recevoir de toute urgence deux enfants, le frère et la sœur, dès le lendemain. Comment ne pas me souvenir de cette date, c’est l’anniversaire de maman et celui de ma meilleure amie (la seule dont je n’oublie jamais la date…) et c’est aussi celle de Benoit qui a 4 ans aujourd’hui.

Maman, toi qui est partie l’année dernière pour une autre vie, plus douce pour toi, maman, qui représentait la bonté, souviens-toi, lorsque nous allions te voir au bord de la mer et que nous ramassions les coquillages sur la plage, comme ils étaient heureux ces enfants là que tu recevais comme les tiens. Maman, toi qui vient encore me prendre dans tes bras la nuit, qui m’a aidée, dans mes rêves, à supporter bien des épreuves, toi qui me soutenais lorsque tu étais encore présente, ce qui m’énervait d’ailleurs parce que ton inquiétude et ta sollicitude envers tous, tes proches et les plus faibles, finissait par nous rendre parfois ta compassion pesante. Maman j’écris aussi ce témoignage pour toi, puisque ton regard là-haut ne peut qu’être objectif et bienveillant. Vois quels tourments ces deux innocents ont subi et le mépris qui nous fut infligé. Toi tu le sais combien un enfant à besoin d’amour et de stabilité, et pourtant, consciemment, on a trimballé Benoit, comme une vulgaire valise, dans cinq familles et deux foyers.

Bien que la nouvelle soit un peu brutale, j’accepte les enfants sans hésitation, sans imaginer un seul instant combien ces deux jeunes âmes allaient bouleverser ma vie.

Le lendemain, branle-bas de combat, arrivent : un assistant social, une puéricultrice qui suit la petite fille qui n’a que 22 mois, la maman et les enfants, Benoit et Maëva, précipités chez nous, du jour au lendemain, sans comprendre ce qui se passe. Ils sont si jeunes ! On aurait pu les acclimater un peu plus doucement à leur nouveau foyer. Les services sociaux font leurs petits arrangements à leur sauce. Comme ils avaient été longs avant de nous confier l’enfant que nous avions reçus précédemment, il avait fallu quelques semaines « d’adaptation » avant qu’il puisse s’installer chez nous. Il était dans un foyer et nous allions lui rendre visite régulièrement, mais pour une raison qui nous était inconnue, pas question de le prendre à la maison tout de suite. Alors qu’il ne demandait que ça et nous aussi. Là c’est l’inverse...

Nous faisons aussi connaissance avec la maman, elle visite la maison et elle peut ainsi découvrir où vivront ses enfants qu’elle a souhaité confier aux services de l’ASE. Elle les recevra le samedi après-midi, un week-end sur deux, chacun à son tour. C’est donc à sa demande que les enfants ont été placés, un peu plus d’un an auparavant, dans une autre famille d’accueil, ils étaient encore des bébés. Cette maman est fragile psychologiquement et ne se sent pas capable d’élever seule ses enfants, les raisons qui l’ont amenée à se séparer d’eux à l’éclosion de l’âge me resteront inconnue mais je ne porterai jamais de jugement sur elle. Elle vit avec sa fille aînée, placée elle aussi jusqu’à ce

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qu’elle la reprenne auprès d’elle à l’adolescence. Un petit garçon naitra plus tard, qu’elle placera lui aussi en famille d’accueil lorsqu’il aura quelques mois.

Contrairement au petit garçon qui nous avait été confié précédemment, qui, d’émotion, saignera du nez le jour où son papa viendra lui rendre visite chez nous, ces deux enfants ne voient pas leur papa.

J’apprends donc, pour ce que l’on veut bien m’en laisser filtrer, que les enfants vivaient jusqu’à présent chez un couple âgé d’origine espagnole et que l’assistante maternelle, en mauvaise santé, réclamait une aide aux services sociaux afin de pouvoir continuer à s’occuper d’eux tout en ménageant son dos dont elle souffrait.

J’irai quelquefois rendre visite à ce couple à qui on avait confié ces enfants à la fleur de l’âge parce que j’estimais ne pas devoir couper les ponts subitement parce qu’on les changeait de famille, et, après tout, c’est eux qui avaient élevés les petits dans leurs tous premiers mois, Maëva devait avoir 7 ou 8 mis lorsqu’elle arriva chez eux. Et je comprendrais ainsi pourquoi, lorsqu’elle nous fut confiée, Maëva ne parlait pas et ne faisait pas de bisous et pourquoi elle nous repoussait lorsqu’on tentait de l’embrasser et de la câliner.

Je comprendrais aussi la raison des intonations espagnoles de Benoit qui nous amusaient tant lorsqu’il était arrivé. Il prononçait piano en accentuant le a, c’est-à-dire qu’il y mettait l’accent tonique comme avait dû le prononcer sa première nourrice et nous prenions plaisir à lui faire répéter la phrase « la souris qui est sur le piano ». Il n’y avait pas de souris sur notre piano bien sûr mais c’était sans doute une petite phrase de Benoit et que mes filles lui faisaient répéter à l’envie car il était si touchant avec son phrasé aux accents espagnols ! Mais comment apprendre une langue maternelle dans les premières années de sa vie dans une famille qui ne parle pas cette langue ! Je me disais aussi que ce pouvait-être une des raisons qui avaient poussé les services sociaux à les changer de famille, mais avec le recul, je ne les crois pas si attentionné aux enfants pour avoir pensé à ce détail qui avait pourtant une si grande importance.

Lorsque je rencontrerai ce couple, je m’apercevrai que le vieil homme ne s’exprime qu’en espagnol et sa femme dans un mélange de « français espagnol » que j’aurai bien du mal à interpréter. Dès ma première rencontre avec ceux-ci, je découvre que Maëva était laissée dans son lit de bébé des matinées entières, la vieille dame m’explique qu’il n’y a pas de parc et que son dos l’empêche de soulever et de porter l’enfant. Elle m’apprendra qu’elle n’embrasse Maëva que de loin, sans jamais l’effleurer et je n’en comprendrai pas la raison.

2 Le bonheur est dans le pré…

En ce jour rayonnant du 15 avril où vous débarquez, ce sont deux petits soleils qui font apparition dans notre nid. Deux oisillons qui ne demandent qu’à s’épanouir. Benoit est doux comme un ange, tendre comme un agneau et il me bisouille de ses baisers mouillés d’enfant à tout va. Moi qui suis affectueuse, je ne vais pas m’en plaindre. Il m’appellera bientôt « maman », bien sûr moi je demande à être « tatie », mais il ne semble pas pour Benoit être possible de ne pas m’assimiler à une maman. Il n’a que quatre ans et sa vraie maman, il la voit si peu. Il n’aurait que de l’amour à lui offrir mais lorsqu’il est auprès d’elle il se cabre car, malgré son jeune âge, il comprend bien que ces quelques heures par mois arrachées au temps ne durent…que quelques heures. Il est facile à vivre, il s’adapte à tout, il est gentil et, comme sa sœur, il a pour lui la beauté de sa maman.

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Maëva est bien plus difficile à apprivoiser, tout d’abord elle nous repousse lorsqu’on l’embrasse, elle refuse les câlins de mes filles, ce qui est normal, car à son âge on se réfère à ce que l’on a connu et elle n’a eu que les bisous de sa maman, éphémères et épisodiques. Mais nous, qui ne savons pas encore son passé chez le couple espagnol, ne comprenons pas la raison de ce refus. Dès qu’elle a posé ses petits pieds à la maison, elle a passé son temps à ouvrir les placards du bas qui lui étaient accessibles, peut-être n’avait-elle jamais fait ces gestes communs à tous les enfants ? Elle veut tout explorer, elle ne connait rien du monde qui l’entoure.

En tout cas, ce qui est certain c’est qu’elle n’a jamais fait de sortie en centre commercial ! La première fois que je l’emmène dans mon chariot, elle pleure et crie tant sa détresse que je dois abandonner les courses. Et il en sera longtemps ainsi avant qu’elle accepte de sortir en toute confiance. L’agitation humaine et le bruit doivent l’effrayer, elle qui n’a jamais quitté la maison de son premier foyer.

Maëva, qui signifie « bienvenue » en langue Tahitienne, le monde ne t’a pas accueillie avec bienveillance et tu te rebelles, tu as du caractère, tu n’as pas l’intention de te laisser faire. Tu es têtue, un peu capricieuse comme le sont tous les enfants, comme l’ont été mes filles, plus petites, comme on dit, tu as du tempérament. Et c’est surtout ton frère qui en fait les frais, comme souvent les plus jeunes avec leur aîné, tu l’embêtes car tu veux toujours ce qu’il a dans les mains. D’ailleurs parfois, pour te faire manger car tu n’as pas d’appétit, je joue au jeu qui est de faire semblant de donner la bouchée à Benoit et ainsi tu l’avales.

Tu ne vas pas encore à l’école alors je t’ai toujours avec moi, dans les bras ou coincée sur ma hanche. Pour moi tu es une petite poupée et je t’aime comme Benoit, comme mes propres enfants. Pourtant vous savez bien tous deux que vous avez une autre maman, la vraie et je veille à ne pas prendre sa place, même si parfois c’est tentant, je dois bien l’avouer. Benoit m’appelle toujours maman, mais il sait bien qui est sa vraie maman. Il a donc deux mamans, une vraie et une fausse. Pour Maëva, je suis « tatie ». Elle apprend vite à parler avec ses mots d’enfant, elle dit « les sausettes », ses babillages sont un vrai plaisir pour nous, elle a besoin de s’exprimer et elle rattrape le temps perdu. Elle ne m’appellera jamais maman, comme son frère, sa maman elle la connait, elle ne l’a jamais abandonnée. Elle a juste confié ses enfants à l’ASE pour que ce service que l’on dit social veille sur eux et pour l’instant, c’est moi qui ai cette responsabilité.

Il y aura des fêtes à la maison, on aime ça, fête des enfants, soirées entre amis, avec les musiciens. On aime danser accompagnés par les musiciens ou au son de la chaine BO. La maison est toujours vivante et chaleureuse.

Il y aura les sorties aux parcs d’attraction, au village des automates, au zoo, le lac au bord duquel nous allons régulièrement où les enfants se font une joie de patauger dans l’eau et de jouer avec le sable. Il y aura une sortie à la mer au Grau-Du-Roi avec vous, des amis et leurs enfants. Je me souviens du monsieur qui rallait parce que Maëva chahutait et courait un peu alors que nous déjeunions sur une guinguette au bord de l’eau. « Vous ne savez pas tenir les enfants » ou quelque chose comme ça, avait dit cet homme, je n’avais pas répondu mais lorsque peu après il renversa et cassa son verre de vin, sans en faire part au serveur, je ne pu m’empêcher de penser qu’il avait été puni pour la bêtise de sa phrase et que lui aussi, pourtant adulte, ne savait pas se tenir. Je me souviens aussi que ce jour là, mon mari avait dit en plaisantant une phrase toute banale mais qui à présent s’avère exacte. Maëva toujours aussi vive ne cessait d’ennuyer son frère qui chouinait et ne

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se défendait pas. Mon mari avait déclaré « mais ce n’est pas possible, c’est elle le garçon et lui la fille ! ». Et bien, il ne se trompait pas vraiment, Maëva, à présent tu as dix huit ans et tu passes ton bac, preuve de ta volonté de réussir malgré tout ce que tu as supporté, et tu es pompier volontaire, volontaire, tu l’es dans tes décisions car ton opiniâtreté t’as fait choisir ce métier dans le passé réservé aux hommes. C’est, lorsque je l’ai connue, ce que ta mère souhaitait mais un problème de santé l’en avait empêchée. Quant à toi Benoit, j’ai souvent pensé qu’avec ta beauté et le manque affectif qui t’avait tant perturbé, tu ferais souffrir les filles plus tard, et bien je me trompais, tu es resté sensible et débordant d’affection et tu sembles avoir un cœur d’artichaut, prêt à offrir ce cœur à toute personne digne d’intérêt et qui peut t’aimer. Peut-être est-ce un manque de confiance en toi, tu as été balloté de droite à gauche, sans père, sans repère, de familles en foyers, sans la présence constante d’une maman ou d’une autre femme qui aurait pu la remplacer provisoirement. J’espère que celle avec laquelle tu souhaites t’installer et fonder une famille saura combler ce manque là, si jamais la privation d’affection dans l’enfance puisse se rattraper un jour !

On irait jusqu’au bout du monde avec ces enfants là, le bonheur est à porté de main, cours y vite, cours y vite. Pour eux, pour nous, tout est rose, la vie et la petite robe de Maëva, notre petite princesse.

Et puis, pendant quelques mois, maman ne vous prend plus, elle est hospitalisé et ne peut vous garder ni vous rendre visite, on s’habitue donc à vous avoir tout le temps, même si parfois on aimerait bien, comme tous parents, un petit week-end tranquille. On a demandé à l’assistant social si on peut vous placer de temps en temps, dans la famille où vous étiez avant nous, ça leur ferait plaisir et nous reposerait mais cela ne semble pas intéresser les services sociaux alors on n’insiste pas, il en faut peu pour les contrarier, mais je n’ai pas encore idée à quel point. Pour l’instant je ne connais que les bons côtés de l’Aide Sociale à l’Enfance.

Tous les quinze jours, sur Avignon, je dois assister à divers cours de psychologie et autre pour améliorer la formation d’assistante maternelle. Je n’y apprendrai pas grand-chose mais cela me permets de rencontrer d’autres assistantes maternelles et de me lier d’amitié avec certaines. Plusieurs d’entre elles trouvent que ce métier est mal rémunéré. Pas moi, bien au contraire, c’est le plus beau métier du monde pour moi. Elever mes enfants et ceux qu’on me confie tout en restant chez moi. Le salaire me convient, de plus on nous donne un supplément pour habiller les enfants, je le dépasse bien souvent mais c’est un vrai plaisir de gâter ces enfants, de leur acheter des jeux. Il y aura surtout besoin de faire le plein de jouets de garçon, Maëva dispose de ceux des filles, nous avons une pièce entièrement consacrée aux jouets. Le bonheur est à la Passiflore, il y a des rires d’enfants, Benoit apprend à faire du velo, Maëva joue avec le sable, ils se glissent sur le tobogan, s’envolent sur la balançoire en criant. Les petits respirent le bonheur. Ils ont trouvé un refuge de douceur pour leurs premières années.

Le problème, avec cette formation, c’est que rien n’est prévu pour garder Maëva qui n’a pas deux ans, il me faudra la mettre à la crèche du village qui a bien voulu faire une exception pour accepter cette enfant qui ne fait pas encore parti de la commune.

Maëva, je devrai t’emmener quelquefois chez l’ORL ca tu as un drain dans l’oreille, et il faut toujours faire attention, lorsqu’on te douche, de ne pas faire couler d’eau dans tes oreilles. Plus difficile, ton test BCG révélera que tu as une primo-infection et on nous demandera de faire des radios des poumons afin de savoir si l’un d’entre nous est porteur de la tuberculose. La famille précédente y

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aura droit aussi sans que l’on ne trouve aucun porteur. Il me faudra donc te faire faire des examens sanguins et pour cela, tu devras subir de nombreuses prises de sang. Moi qui crains la vue du sang, je te prendrai sur mes genoux et tu auras à chaque fois la sucette de l’infirmier pour compenser tes pleurs bien compréhensifs. Je prends soin de toi comme de mon enfant et j’en voudrai plus tard à ceux qui t’on abimée.

Quant à Benoit, tu dois aller chez une pédopsychiatre chaque semaine, là-bas tu traceras, durant vingt minutes, tes petits dessins enfantins. Tu n’a pas de problèmes psychologiques, c’est simplement le manque maternel qui s’imprime en toi, petit à petit, à mesure que tu grandis c’est si simple à comprendre, pas besoin d’être grand psychologue pour comprendre que tu n’es pas un enfant compliqué, juste un petit être perturbé de ne pas avoir ta maman à tes côtés. En tout cas, chez nous, tu es adorable et gai comme un pinson.

Donc, la vie de tous les jours prend une douce allure, l’assistant social chargé du suivi des enfants vient à peu près chaque mois faire son petit tour en moto pour nous rendre visite. Il est sympa, on parle de son dernier voyage à moto en Afrique, des petits chemins de traverse qu’il a pris pour venir chez nous (il aura toujours une heure de retard sur l’heure de rendez-vous qu’il nous donne, en fait, il doit confondre heure de départ et heure d’arrivée). C’est super ici la région, dit-il, car il arrive de Paris où le rythme est un peu fou. Ici, c’est juste le vent qui est fou, mais grâce au soleil, on s’y habitue. Il nous demande quand même si tout se passe bien avec les enfants, après tout il est là pour ça, et comme tout va toujours bien, il repart tranquillement pour d’autres balades à moto. La visite n’est que formalité, j’apprends surtout ses goûts, où il habite et surtout qu’il a des enfants du même âge que mes petits protégés. On reparlera de celui-ci plus tard. Lui doit se trouver consciencieux avec son petit train-train ; cool, c’est la Provence, on peut arriver en retard. A Paris c’est peut-être normal avec les embouteillages, mais, ici, à quinze minutes de chez nous par les routes de campagne, qu’est-ce qui l’empêche d’’être ponctuel ? Il est décontracte avec nous, alors comme ça se passe bien, on ne lui fait pas de remarque mais pour moi qui suis toujours ponctuelle, ça m’agace un peu.

Il me fera pourtant taper lourdement sur les doigts, plus tard, tout simplement parce que nous avons essayé de l’approcher, croyant trouver un être humain digne de ce nom en ce travailleur social.

Cours-y vite, il va passer…

Ce bonheur là dure un an, environ, je ne me rappelle pas la date de départ des enfants ni celle de ce fameux jour où l’on nous a appelé pour nous dire qu’ils allaient partir pour une autre famille. Cette fois, nous sommes prévenus un peu en avance, ce n’en est pas plus facile pour autant. Bien sûr, notre avis, celui de la maman et encore moins celui des enfants ne compte pas. Pourtant c’est de leur sort qu’il s’agit, il serait naturel et humain de demander, au moins au plus grand, Benoit, qui a cinq ans, ce qu’il en pense.

Mais on les voit nous quitter sans rien pouvoir faire, impuissant à les retenir, c’est l’ASE qui décide et ces services sont composés de professionnels qui doivent bien savoir ce qu’ils font, ce doit-être pour le bien des enfants, enfin on imagine. Nous sommes tristes, mes filles, enfin surtout la plus jeune qui jouait avec eux n’y comprennent rien, comment expliquer puisqu’on ne nous donne pas de raison ?

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Plus tard, à nos interrogations il nous sera répondu que cela ne nous regarde pas, ça marche comme ça dans les services de l’ASE. Les enfants partis, il ne nous appartient plus de savoir ce qu’ils deviennent. Tout d’abord nous pensons à la maman, qui a peut-être demandé à ce qu’on nous les enlève, une petite jalousie bien naturelle pouvant en être la cause. Mais elle nous affirme que non et nous la croyons sur parole. Elle n’apprécie d’ailleurs pas que ses enfants soient changés de foyer, ce qu’elle souhaite, c’est que ses enfants soient heureux, là où on les place. Pourtant, on ne lui a pas enlevé ses enfants puisque c’est elle-même qui les a placés de son plein gré, elle devrait avoir un droit de regard ou donner au moins son avis sur ce changement de famille d’accueil, il semble que ce ne soit pas le cas. Les services jouent aux échecs avec les enfants. Une case tu gagnes, une autre tu perds.

Bien sûr, je me cabre, quand quelque chose de particulier m’arrive, je cherche toujours à comprendre, je suis ainsi faite, ça me joue parfois des tours mais on ne change pas sa nature aussi facilement. J’aimerais quand même savoir la raison de ce départ, il doit bien y en avoir une, peut-être nous sommes-nous trop attachés aux enfants, il faut nous le dire, tout simplement. Y avait-il un problème chez nous, comme dans la famille précédente ? Peut-être parce que Benoit m’appelait maman, j’essaye de trouver une cause valable à ce « transfert » mais je n’aurai jamais de réponse.

Peut-on exprimer la souffrance de ces petits bout de choux, placés dans une famille puis une autre, et ainsi de suite, au bon vouloir (je n’ose pas employer le mot plaisir mais avec le recul, quelques années plus tard, je comprendrai que ces enfants étaient les enjeux d’une affaire où une certaine madame D avait dû avoir du plaisir à tourmenter des fillettes, mais on n’en est pas encore là).

Devant mon insistance, quelques semaines plus tard, ces deux dames D, la chef d’Unité Territoriale du Comtat et le Médecin Promotion de la Santé acceptent de me recevoir ainsi que mon mari pour m’expliquer…qu’il n’y a rien à comprendre. Je demande si la nouvelle famille est plus apte à s’occuper d’eux, pour je ne sais quelle raison et là j’apprends que la dame est enceinte, qu’elle a déjà deux garçons en bas âge et…qu’elle travaille. Ce que j’en comprends pour l’instant, c’est que les petits seraient moins choyés là-bas, à moins qu’il ne tombe sur une gentille femme prête à se démultiplier pour eux.

Après maintes gesticulations, bien vaines, car on brasse du vent depuis qu’ils nous ont quittés, on fini par accepter le départ des enfants en pensant que l’autre famille leur apportera de l’amour dont ils manquent tant et qu’elle contribuera à les aider dans leur épanouissement psychique et physique, comme on l’a fait lorsqu’ils vivaient chez nous. Après tout, nous ne sommes pas irremplaçables, d’autres familles doivent être comme nous, pleines de tendresse réconfortante à donner à deux petits oisillons tombés du nid. Et puis, nous ne sommes pas le couple parfait, mon mari a mauvais caractère et hélas, on se dispute, l’autre famille est peut-être plus calme, on peut toujours trouver mieux, où qu’on aille et dans n’importe quel domaine. Mais je me dis cependant qu’un foyer heureux ne demande que de la chaleur pour réchauffer ceux qui vivent en son sein. Même si l’âtre est parfois encrassé, l’important est qu’il y ait des braises et des buches pour l’alimenter.

Les semaines puis les mois passent, je prends régulièrement des nouvelles des enfants auprès de leur maman qui les reçoit tous les quinze jours. Je les revois chez elle dès que possible et les prends

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même occasionnellement avec nous, mais il ne faut surtout pas que la famille d’accueil le sache et puis, il est vrai que c’est fortement déconseillé, s’il arrivait quelque chose aux enfants à ce moment là, ils sont sensés être sous la garde de leur maman. Donc, la coupure est inévitable. Je ne reverrai pratiquement plus Benoit, il a 7 ans.

Puis, petit à petit, la maman qui semblait déjà remarquer des indices de tristesse chez ses enfants, m’alerte un jour pour me signaler les problèmes de Maëva. Depuis le début, elle hurle lorsqu’elle la ramène dans cette famille. Ce qui n’arrivait pas chez nous, bien qu’au tout début, parfois elle pleurait lorsqu’on l’amenait chez sa maman et pleurait lorsque la maman la ramenait chez nous (c’est dire toute la détresse de cette petite fille déjà complètement perturbée qui n’avait pas besoin de plus). Maëva perd ses cheveux, me dit-elle, elle a des bleus à l’oreille, et sur le front des bosses. La maman s’inquiète beaucoup, on peut être une maman qui ne souhaite pas élever ses enfants mais ne pas être une mauvaise mère. C’est difficile à comprendre mais cette maman aura toujours à mes yeux plus de circonstances atténuantes que les services sociaux. Elle a un cœur, même si ce cœur fait parfois souffrir ses enfants, elle n’est pas insensible, comme le sont ceux qui, exerçant un travail social au profit de l’enfance défavorisée, traitent ceux-ci comme des pions, alors que ces petits innocents trimballés de ci de là ne sont pour eux que des gagne-pain.

Et cette maman là me demande d’intervenir auprès de l’ASE qui ne veut pas l’écouter, elle ne parvient pas à faire entendre ses craintes, moi non plus d’ailleurs, personne ne m’écoutera, jamais.

Tout d’abord lorsque je signale que Maëva est peut-être maltraité, on me fait savoir sèchement que ce ne sont pas mes affaires et que les enfants étant partis de chez moi, je n’ai pas à m’ingérer dans leur suivi. Ces enfants n’ont aucun problème, ils sont bien encadrés par les travailleurs sociaux etc.

Cependant, au fil du temps, la maman insiste, elle m’apprend que quelquefois la famille d’accueil ne lui amène pas les enfants, avec, à chaque fois, une raison différente. Panne de voiture, enfants malades. Et lorsqu’elle revoit Maëva son état empire. Je signale donc de nouveau les faits et il m’est répondu que la petite fille fait une dépression ce qui a causé la chute de ses cheveux. Alors je me dis que si Maëva fait une dépression, c’est qu’elle est vraiment malheureuse de ce changement ou qu’il y a réellement un grave problème dans cette famille. Chez nous elle resplendissait. Avec son frère et mes filles on aurait pu les croire frères et sœurs tellement ils s’entendaient bien et Maëva respirait le bien-être, elle riait. A présent elle ne fait plus que pleurer.

Le temps passe et la situation de Maëva ne s’améliore pas. Je ne sais vers qui me tourner pour faire savoir qu’elle est peut-être maltraitée. Personne ne nous écoute, bien au contraire, je commence à subir des menaces concernant mon agrément. J’explique aux travailleurs sociaux que, non seulement la petite fille a des traces de coups et perds ses cheveux (ou on les lui arrache, ce qui est plus proche de la réalité) mais de plus, la famille ne respecte pas les droits de visite de la maman. Bref, cette famille fait ce qu’elle veut avec ces enfants. C’est plutôt curieux, car les assistantes maternelles doivent respecter scrupuleusement certaines règles et spécialement les visites aux parents. Lorsque j’effectuais ma formation, j’avais discuté avec une assistante maternelle qui devait, malgré elle, envoyer chez son père le petit garçon dont elle avait la charge bien qu’elle savait les sévices que le père lui infligeait et avait annoncé la couleur. Là, c’est l’inverse, on dirait que cette famille est intouchable. Ce ne sont pas les parents biologiques mais ils font tout à leur guise. Je n’apprendrai la véritable raison que bien plus tard, le secret est bien gardé pour l’instant.

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Devant l’instance de la maman, on questionne quand même la famille d’accueil qui cette fois raconte une histoire d’automutilation. Et petit à petit le comportement de Maëva change, à présent, elle se referme comme une huitre, elle est ne parle plus, son regard déjà triste naturellement n’exprime plus rien. Benoit quant à lui fait bêtises sur bêtises lorsqu’il est avec sa maman. Une fois il veut mettre le feu à l’appartement, une autre fois il jette les deux chatons dans la poubelle murale, heureusement ils ne tomberont pas de haut, sa maman habite au premier étage. Pas besoin d’être fin psychologue pour comprendre qu’il appelle sa mère au secours du haut de ses 6 ans. Les petits chats jetés à la poubelle, ce sont eux, la maman ne comprend-t-elle pas le message ? « Maman, nous sommes fragiles comme ces petits chatons, pourquoi nous as-tu rejetés, nous ne voulons qu’une seule chose, être auprès de toi ».

Je recontacte les services et à nouveau je me fais taper sur les doigts, je dois absolument cesser de m’immiscer ainsi dans le suivi des petits. L’assistante maternelle leur a fait savoir que Maëva s’automutilait ! C’est la nouvelle version officielle. Pour moi, pas question de laisser les enfants être maltraités par une famille qui à été choisie par l’ASE pour les protéger et les élever, je ne lâche pas. D’autant plus que l’état de Maëva ne s’arrange pas et que sa maman est de plus en plus inquiète. Elle ne sait, comme moi-même à qui s’adresser puisque personne ne l’écoute.

Alors me vient une idée, je fais appel à la pédiatre qui a suivi ma plus jeune fille et elle accepte de nous recevoir un week-end où la maman a les enfants à sa charge. Le premier rendez-vous confirme nos appréhensions. La pédiatre est gentille, sur son bureau trône la photo de Jean-Lou Chrétien, elle me dit que c’est un membre de sa famille. Tout de suite la confiance s’installe. Elle ausculte la petite fille et nous dit que celle-ci est non seulement maltraitée mais aussi déshydratée. Je lui demande si l’automutilation peut-être envisagée, elle me répond qu’à cet âge là l’automutilation n’existe pas.

Nous y retournerons deux fois, et chaque fois cette pédiatre de Carpentras, qui ne nous fera pas payer et qui viendra spécialement dans son cabinet pour nous le samedi, constatera de nouvelles traces de maltraitance. Nos soupçons sont confirmés. Je lui demanderai quelques mois plus tard de me faire un courrier attestant que la petite fille présente des signes évidents de maltraitance, pour le remettre en main propre au Médecin chef de la Commission Consultative Paritaire Départementale devant laquelle commission je devrai comparaitre. Mais on n’en est pas encore là. En tout cas, je remercie cette femme pour l’écoute et l’appuie qu’elle nous a apporté. C’est la première professionnelle de l’enfance digne d’être citée dans ce témoignage.

Les enfants sont toujours les souffre-douleur de l’assistante maternelle de cette famille d’accueil qui est sensée les protéger, et comme je continue de me manifester, nous sommes convoqués, avec mon mari, auprès de la Présidente par délégation, attachée territoriale des se( r )vices de l’ASE, Madame G.

Lorsqu’elle nous reçoit, se trouve avec elle Madame D, le médecin de promotion de la santé qui entre temps à vu les enfants pour un bilan médical et n’a rien trouvé d’anormal ! C’est la maman qui a fait part de ses inquiétudes car moi je n’ai aucun droit de signalement sur ces enfants, et celle-ci, médecin référent des enfants a sans doute été dans l’obligation de faire un peu son travail. Les a-t-elle au moins reçu ? On ne le saura jamais, est-elle de mèche, comme on dit, avec madame D la Présidente de l’UT, son pendant ? Là non plus la question n’aura pas de réponse. Toujours est-il que Maëva présente de nombreuses traces de sévices et que ce médecin n’a rien vu. Benoit ne semble pas avoir de traces apparentes de maltraitance pour l’instant, sans doute parce qu’il est plus docile

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que sa sœur et qu’il se soumet plus facilement à l’assistante maternelle. Lorsqu’il m’écrira pour me confier son parcours, il y a quelques semaines, alors que je le retrouverais à l’âge de vingt ans, il me dira que cette « folle » lui avait frappé la tête alors qu’il déjeunait, l’envoyant à l’hôpital pour trois points de suture et que c’est lui, du haut de ses sept ans qui avait alors demandé à changer de famille d’accueil !

Donc nous sommes à Avignon, dans les bureaux de la Direction de la Vie Sociale, au service de l’Unité Territoriale du Comtat et ces deux femmes nous font la leçon. Ces enfants sont très bien là où ils se trouvent, il n’y a pas de maltraitance, juste un problème entre frère et sœur ! Là, on tombe des nues, c’est une nouvelle version qui nous est contée. On explique à ces professionnelles de l’enfance que chez nous les petits se chamaillaient comme tous frères et sœurs qui ont peu d’années d’écart mais qu’ils ne se frappaient jamais. D’ailleurs, au fond de moi j’ai plutôt la vision de Maëva bousculant son grand frère qui ne sait pas se défendre et non le contraire. Cela devrait m’amuser d’y penser mais entendre de telles bêtises me révolte. J’explique que ces enfants n’avaient pas de difficultés entre eux quand ils vivaient chez nous. Et qu’on ne voit pas pourquoi ce serait le cas à présent, et puis surtout que d’autres versions avaient été avancées, ce qui devrait faire réfléchir ces dames : « que Maëva était dépressive, c’est la raison pour laquelle elle perdait ses cheveux, puis qu’elle s’automutilait, que c’était un problème entre frère et soeur ». Mais non, ces femmes s’obstinent dans l’idée que j’empiète sur le terrain des services sociaux. Ces trois premières versions, bien différentes devraient au moins les alerter, mais il n’en est rien. Le sort de ces enfants leur est complètement indifférent, puisque c’est de nous uniquement qu’elles souhaitent parler.

Nous sommes sur la sellette, je ne suis pas professionnelle car je m’immisce dans les affaires de l’ASE, les enfants ne sont plus chez nous et notre travail est terminé, ce qu’il advient d’eux ne nous regarde pas, etc. Après tous ces palabres stériles qui servent uniquement à nous effrayer, la conclusion est brutale, « si je me signale encore auprès de leurs services, on m’enlèvera mon agrément, point final ».

Leur agrément, ils peuvent se le garder, de toute façon, on ne m’a plus confié d’enfant depuis le départ des petits, je devrais déjà comprendre la leçon. Seulement, ce qu’ils ignorent c’est que ces enfants je les aime. De plus, lorsqu’on est au courant de maltraitance il doit y avoir signalement et moi, je fais ce que je crois être de mon devoir, c’est-à-dire prévenir les autorités compétentes. Je pensais que c’était les services de l’ASE qu’il fallait alerter mais je me rends compte petit à petit que non seulement ils font la sourde oreille mais en plus c’est eux qui ont choisi le guêpier dans lequel ils ont fourré ces enfants.

La situation ne s’arrange pas (la famille aurait pu se calmer, vu les suspicions qui devraient peser sur elle, mais il n’en est rien), le cas de Maëva ne s’améliore pas, elle ne parle plus et son petit corps est toujours aussi martyrisé.

Je me tourne alors vers l’adjudant et commandant de la gendarmerie de mon village Beaumes-de-Venise. Je le connais un peu, on s’est reçu quelquefois avec sa femme et mon mari et il se doute que je ne fabule pas. Il écoute attentivement mon histoire et la prends en compte. Plus tard, il me fera lui aussi un courrier pour expliquer son intervention, courrier qui ne servira à rien mais je le remercie lui aussi d’avoir pris la peine de m’écouter. Il va se charger de signaler aux services qu’il y a un problème dans cette famille d’accueil. La réponse de madame D, la présidente chef de l’UT est sans appel « la petite fille est comédienne et elle est suivie par un travailleur social ». Lorsque ce commandant

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m’appelle pour me donner la réponse de cette professionnelle, il en est tout secoué. J’ai reçu une douche froide me dit-il. Plus tard lors du verdict du procès de celle-ci, j’entendrai à la radio (je n’ai pas souhaité me rendre au palais de justice) un journaliste dire que cette femme était sèche et dénuée de tous sentiments.

Mais pour l’instant je ne sais qu’une chose, les enfants sont entre de mauvaises mains et personne dans les services de l’ASE ne veut nous écouter, ni la maman ni moi.

Au cours de ma formation j’ai entendu parler du Maire de Sorgues, monsieur Milon qui est devenu Sénateur depuis 2004. A l’époque il est Président de la Commission Vie Sociale. On me dit que ce médecin est humain et à l’écoute, peut-être pourra-t-il m’aider ? Je rencontre le maire de mon village à qui j’expose les faits et il envoi un courrier à cet homme politique.

La réponse ne tarde pas, mais c’est toujours la même musique, puisque personne ne vérifie et que chacun répond en fonction de ce dont on veut lui faire part. On nous a fait savoir que. La constellation administrative brille de toutes ses lumières !

« …Après renseignements pris auprès des services concernés, il s’agirait d’un problème entre frère et sœur. Les enfants sont suivis de près par madame G, et le dossier est en cours d’étude. Par ailleurs, votre demande d’agrément est en cours de révision et devrait passer lors d’une prochaine Commission de la vie sociale. » Histoire de me rappeler que je ne vais plus garder mon agrément bien longtemps. Personne ne va à la base, personne ne se renseigne auprès des enfants, de la maman, personne ne surveille l’état des enfants ou ne s’intéresse à la famille. Chacun répète bêtement ce que l’autre veut bien lui faire entendre.

Entre temps j’avais écrit une longue lettre au Ministère des Affaires Sociales à Madame Simone Veil dont voici la réponse :

« Madame Simone Veil, Ministre d’Etat, Ministre des Affaires Sociales de la Santé et de la Ville, a pris connaissance de la correspondance…

J’ai l’honneur de vous faire savoir que, bien que Madame le Ministre d’Etat comprenne que cette situation soit vécue douloureusement par chacun, il ne lui est pas possible d’intervenir car il s’agit là d’une affaire qui ne relève pas de sa compétence.

En effet, depuis 1983 la loi sur la décentralisation a confié au Président du Conseil Général l’ensemble des missions de l’aide sociale à l’enfance qui était auparavant exercées par l’Etat.

Toutefois, soyez assurée que cette situation fait l’objet d’une attention particulière des services concernés… »

La secrétaire de Madame Veil me contactera par la suite, m’exprimant sa sympathie tout en me proposant de la rappeler s’il y avait une évolution dans cette affaire. C’était agréable toutefois d’être entendue même si je savais que cet appui était lointain et sans nul doute dérisoire. J’aurais pu rappeler plus tard, lorsque les institutrices ont prévenu que Maëva était maltraitée et que mes doutes étaient confirmés. Peut-être aurais-je pu sauver Benoit d’un plus long séjour dans cette famille. Mais, lorsqu’on m’eut enlevé le fameux agrément, j’étais écœurée par toute cette hiérarchie qui avait laissé faire sans lever le moindre regard, le moindre bout du petit doigt pour sauver ces

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enfants. Pas un seul acteur de ces services dit sociaux n’avait pas pris la peine d’effectuer son travail qui était de surveiller les agissements de cette famille et je ne voulais plus entendre parler de tout ça. A ce moment là, j’allais rendre visite à la petite fille qui avait été placée en foyer et son sort me faisait oublier celui de Benoit pour qui je ne pouvais rien.

A qui s’adresser alors. On piétine, personne ne nous écoute. J’essaye alors de joindre l’assistant social qui avait été chargé du suivi des enfants lorsqu’ils étaient chez nous, il semblait humain, sympa, peut-être pourra-t-il intervenir ? Je l’avais rencontré avec ses enfants, il va m’écouter, il peut comprendre lui puisque les siens sont en de bonnes mains, il peut imaginer, s’il les savait en danger, ne se battrait-il pas ? Mais il ne me répondra jamais. Ni a son travail, ni chez lui. Nous savons où il habite, puisqu’il nous l’a expliqué, alors, en désespoir de cause, avec mon mari, on se rend chez lui mais il semble être absent.

Quelques jours plus tard je recevrai une semonce de la part du Directeur de la Vie Sociale, informé de notre visite par ce dernier. « J’ai été informé par monsieur F, Assistant Social Enfance, référent des enfants Benoit et Maëva, de votre intervention à son domicile le 27 mars dernier. Ce fait constitue une atteinte intolérable à la vie privée de ce professionnel qui motiverait (en cas de reproduction) un dépôt de plainte à votre encontre. Par ailleurs, votre démarche témoigne que vous continuez à vous immiscer dans le suivi par mes services des enfants qui ne vous sont plus confiés, malgré les recommandations faites par madame G, inspecteur de l’ASE. Par conséquent, je vous enjoins de cesser toute intervention de ce type faute de quoi je serais amené à prendre les mesures qui s’imposent ».

Et ces mesures ne tardent pas à tomber, la sanction : « la révision de votre agrément. » Pour être honnête, mais on a vu que dans ces services l’honnêteté, la rigueur, l’intégrité ne sont pas de mise, ils devraient plutôt dire : « la suppression de votre agrément ». Ce qui éviterait une réunion inutile à ces gens là. Mais bon, ils doivent justifier leur travail et leur petite réunion doit pour cela se tenir, avec ou sans moi.

Le 30 mai je reçois un courrier du président de la vie sociale qui me signale que « la Commission d’Agrément de l’Unité Territoriale a souhaité une révision de votre agrément en raison de graves difficultés survenues lors du placement des enfants qui vous avaient été confiés et de leurs incidences sur le travail même ». Je suis invitée à venir présenter mes observations ou bien à me faire assister ou représenter à la Commission Consultative Paritaire Départementale qui se réunira à la Direction de la Vie Sociale d’Avignon.

Pour moi tous ces termes pompeux ne veulent rien dire, je retiens juste que personne n’a bougé pour étudier le problème de près et la maltraitance que nous dénonçons depuis des mois avec la maman ne sera jamais entendue. Et pour cause…

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Face à la Commission Consultative Paritaire Départementale

Je suis plutôt timide devant une assemblée mais je décide de me représenter moi-même, une amie assistante maternelle comme moi, qui fut assistante sociale mais a préféré abandonné ce métier qui ne lui correspondait pas me propose de m’accompagner.

14 juin 1995, me voilà devant ces trois personnes qui représentent la fameuse Commission, le Directeur de la vie sociale, un Médecin chef que je ne connais pas et une autre personne qui a dû se présenter mais dont je ne me rappelle plus la fonction.

C’est un petit tribunal qui m’entend et me juge ou plutôt me jauge ce jour là ! Moi qui n’aie fait que dénoncer des faits de maltraitance ! Devoir de tout homme digne de ce nom. Le Président est agréable, il semble m’écouter et peut-être même me croire. Mais a-t-il du poids devant tous les autres acteurs de l’ASE ? Je tends au Médecin le courrier que m’a remis la pédiatre puis au Président la lettre de mon commandant de gendarmerie. Mais j’ai aussi une pétition, avec les signatures de mon entourage, pour signifier que les enfants étaient heureux et s’étaient épanouis chez nous.

Il y a sur celle-ci les signatures du le maire de mon village et celle du maire du village voisin où Benoit allait à l’école, son fils venait parfois chez nous à l’occasion d’anniversaires. Des signatures mais aussi des mots de soutien des voisins, des amis. Et la maitresse de Benoit, qui était parfois critiquée par certains parents (qui n’a pas critiqué une institutrice ?) cette maitresse d’école maternelle qui disait lorsque je venais le chercher : « file Benoit, y’a maman qui arrive). Elle écrit combien elle a vu évoluer Benoit en une année scolaire.

Cette femme que je remercie aujourd’hui par ce témoignage pour sa finesse d’esprit. Elle savait bien évidemment que je n’étais pas la maman de Benoit, mais que les enfants ne se font pas de cadeaux entre eux, et que ce petit garçon de quatre ans avait besoin d’entendre ce mot là, comme tous les autres petits écoliers, c’est tout. Ce mot là valait bien celui de nounou, ce n’était qu’un mot mais il faisait du bien à Benoit. Et me revient le souvenir de mon petit bonhomme revenant apeuré de l’école car le « grand Thomas » lui faisait des misères. Ce grand Thomas qui l’embêtait avait 5 ans, il était à la grande section de la maternelle !

Avec le recul, je crois que la pétition était complètement inutile, comme tout le reste, mais dans ces cas là, lorsqu’il s’agit de défendre des enfants, on est spontané, on ne réfléchie pas. On sait qu’il y a urgence, et on agit selon son cœur et le courage prend le dessus sur le discernement. J’aurais dû comprendre que tout était inutile. Cependant je développe jusqu’au bout mon histoire d’enfants maltraités, qui doit sans doute laisser tout le monde indifférent. Je leur explique que je voulais simplement signaler l’état dans lequel se trouvait la petite fille mais que personne ne m’a écouté. Que son frère était moins marqué parce qu’il était sans doute plus docile, qu’il se soumettait.

Mais le seul but de cette réunion je pense, était la démonstration de mon implication dans le suivi des enfants.

Et une semaine plus tard, le 22 juin 1995, je reçois un courrier qui ne me surprend pas :

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« Madame, vous avez été entendue par les membres de la Commission Consultative…vous avez présenté vos observations par rapport à l’avis défavorable au maintien de votre agrément qui vous avait été notifié par la Commission d’Agrément de Vaison.

Je vous informe que les membres de la C.C.P.D. ont confirmé la décision de retrait d’agrément. En effet votre implication trop importante dans la situation des enfants qui vous ont été confiés, ne vous permet pas de garder le recul et le professionnalisme nécessaire dans l’exercice de la profession… ».

Bon débarras, mon agrément je leur offre, qu’ils aillent au diable avec celui-ci.

C’est Madame D, la chef Unité Territoriale du Comtat qui m’avait donné l’attestation d’agrément, c’est elle qui me l’a fait enlever. Elle ira en prison quelques années plus tard, condamnée à 10 ans pour des fautes encore plus lourdes que celles que je dénonce à présent, mais tout se tient.

Je ne fais plus partie des services de l’ASE mais la maman se plaint toujours qu’elle ne peut voir ses enfants les jours et heures des visites et Maëva est encore dans le même état, prostrée. Elle si enjouée et têtue n’est plus qu’une petite ombre qui reste silencieuse et ne pleure même plus lorsque sa maman la ramène dans la famille d’accueil. L’assistante maternelle la menace « du foyer » lorsque celle-ci crie à son retour. Pauvre Maëva, sait-elle d’ailleurs à 3 ans ce qu’est un foyer ? Peut-elle imaginer que ce ne sera pas pire que chez cette femme qui est devenue son bourreau ?

Pour clore le tableau, cette femme raconte que nous la menaçons, que nous la harcelons au téléphone alors qu’il n’en est rien. On ne connait pas leur numéro de téléphone et nous ne les avons jamais vus !

Nous irons encore, en dernier recours signaler la maltraitance à la gendarmerie de Pernes-les-Fontaines où réside cette famille. Nous nous y rendrons avec la maman et la grand-mère pour exprimer notre inquiétude et là, oh surprise, les gendarmes nous diront qu’ils ont des suspicions sur cette famille mais qu’il n’y a pas possibilité d’intervenir actuellement. Est-ce-que de la maltraitance n’est pas une raison valable pour se manifester, pourquoi ne feront-il pas d’enquête, mystère ?

Maëva sauvée

Un matin, la maman des enfants arrive chez moi en catastrophe, les institutrices ont demandé à faire enlever Maëva de sa famille d’accueil. Elle n’en sait pas plus. La petite fille est dans un foyer et elle ne pourra lui rendre visite que dans quelque temps.

Nous prenons rendez-vous avec les institutrices de l’enfant et elles nous reçoivent assez rapidement.

Celles qui ont osé donner l’alerte au sujet de l’état de Maëva et signaler les problèmes dans cette famille d’accueil sont trois. Il y a la directrice de l’école, l’institutrice de Maëva et celle de Benoit. Elles nous expliquent leurs doutes depuis bien longtemps, la petite Maëva devenant autiste. Elles l’ont connue gaie et vive comme tous les autres enfants lorsqu’elle a commencé son année scolaire puis, petit à petit, celle-ci l’ont vue se refermer, ne plus parler et changer complètement de comportement. La métamorphose les a inquiétées d’autant plus que la petite fille arrive avec des

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hématomes à l’oreille, sur le visage et des bosses un peu partout. L’assistante maternelle ne l’amène pas régulièrement et lorsque Maëva revient d’une longue absence à l’école, elle présente encore des traces de maltraitance, estompées mais encore visibles.

Et un jour, pour ces institutrices s’en est trop, les mauvais traitements sont si flagrants qu’elles décident d’intervenir et de signaler le problème. Je ne me souviens pas de leur cheminement, si elles préviennent la gendarmerie ou les services sociaux, mais à mon avis c’est plutôt la gendarmerie qui sera alertée car les travailleurs sociaux auraient encore trouvé le biais pour ne pas enlever la petite à sa famille d’accueil. Alors, l’assistante maternelle racontera que la petite fille est tombée du toit d’une cabane, ben voyons, ce n’est que la toute dernière version des sévices infligés à Maëva.

On demande quand même aux maitresses ce qu’elles pensent des rapports entre frères et sœurs puisqu’une des versions faisait état « d’un problème entre eux ». Elles nous répondent que dans la cour les enfants s’entendent parfaitement. En classe, ils ne sont pas ensemble. Lorsque nous leur expliquons notre sentiment concernant cette assistante maternelle, elles nous confortent dans nos convictions mais disent ne pas pouvoir dénoncer réellement cette maltraitance qu’elles ont constaté, elles ont alerté c’est tout, elles n’ont pas vu faire, juste des soupçons. Aujourd’hui je remercie ces trois courageuses professionnelles de l’enfance qui, contrairement aux services sociaux, ont protégé et sorti des griffes d’une chatte sauvage cette enfant qui leur avait été confiée, alors que ce n’était pas dans leurs attributions premières mais bien celles des services sociaux.

Maëva, petite poupette de trois et quatre ans, tu as résisté seule face à une adulte qui voulait te faire plier, elle t’a mis la tête sous l’eau dans la baignoire, elle t’a arraché les cheveux, pincé les oreilles jusqu’à te les noircir, elle t’a frappé la tête et fait subir d’autres sévices que nous ignorons, tu étais si petite, tu ne peux t’en souvenir. Lorsque ta maman te ramenait chez celle qui devait prendre soin de toi et te protéger tu criais ta détresse. Personne dans les services sociaux n’a voulu savoir. Et le premier, l’assistant social qui devait, c’est la moindre des choses, veiller à l’état de santé de ces enfants confié à son œil vigilant, ne remarquera rien. Honte à lui qui préférait sa moto à ces enfants là.

Maëva placée au foyer de la sauvegarde de l’enfance

C’est lui, l’assitant social, qui emmènera Maëva, pleurant encore son désespoir, dans ce foyer de l’enfance. Lorsqu’il racontera les pleurs à sa maman, ne se remet-il pas en question ? Sans doute pas, il se fait plutôt tout petit, car il n’y pas matière à être fier, petit c’est tout ce qu’il, et pour moi, inutile dans ce travail de la protection de l’enfance.

A cette époque, je pleure souvent la nuit en pensant au malheur de cette petite fille, retirée à nouveau d’un foyer où elle est maltraitée et qui bascule dans un monde qu’elle ne connait pas, sans son frère qui était jusqu’à présent son seul repère, son seul soutient. Comment peut-elle comprendre à son âge ce qui vient de lui arriver ?

La maman aura l’autorisation de la voir quelques semaines plus tard, je l’accompagnerai mais chaque fois, ce sera un déchirement lorsque nous partirons. Maëva se cabre lorsque nous arrivons, elle doit en vouloir aux adultes, que fait-elle là, pourquoi sa maman ou moi-même ne la reprenons-nous pas

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avec nous ? Elle ne parle pas, puis petit à petit elle se remet à jouer, on va faire de la balançoire dans le parc, elle reprend vie, l’espace d’une heure, celle que nous passons auprès d’elle. Mais on doit bien repartir et là ce sont encore cris et larmes. Travailleurs sociaux, Madame D, la décisionnaire, qu’avez-vous faits à cette enfant qui, avec son frère, auraient pu rester quelques années chez nous pour avoir une enfance à peu près normale ? La colère gronde en moi face à un tel gâchis.

Au foyer de la sauvegarde de l’enfance, à Avignon, tu resteras quelques mois Maëva. Là-bas le personnel semble gentil, mais peut-on savoir ce qui se passe dans ta tête d’enfant durant toutes ces semaines, pourquoi te laisses-t-on là-bas alors que ta maman accepte finalement de te reprendre ? Que font les services sociaux, peut-être une enquête sur la famille, mais non, Benoit restera là-bas encore un an et rien n’arrivera à cette « folle », comme tu la surnommeras Benoit lorsque tu m’écriras ton parcours, quatorze ans plus tard.

Pauvre Benoit, que cette femme a fait plier, te terrorisant à tel point que, lorsqu’on te reprendra avec nous pour un week-end ou une journée, tu ne parles plus, toi qui était si attachant. La peur est entrée dans ta petite âme et nous ne saurons pas avant longtemps ce qui s’est passé dans cette famille te concernant. Vous ne vivrez plus jamais ensemble dans le même foyer, vous si proches ! Les services sociaux, en vous enlevant de chez nous pour vous placer dans cette « si gentille famille » a brisé à tout jamais votre complicité enfantine. Vous serez ballotés chacun de votre côté, de familles en familles. Beau travail !

Retour chez la maman

La maman a décidé de reprendre sa fille avec elle. On l’autorise enfin, après quelques mois sa sortie du foyer. Mais sentant que le poids est trop lourd pour ses épaules, je lui propose de prendre en charge Maëva, cela s’appelle « tierce personne digne de confiance », le terme est le même que celui qu’on donna à Madame D lorsqu’elle dirigeait le lieu de vie L.R .

Ta maman accepte, Maëva, mais les démarches sont compliquées et je pense qu’elle craint de perdre quelque chose dans cette procédure, l’autorité parentale, l’amour de ses enfants, des aides financières, je ne sais pas. Je l’accompagnerai un jour au tribunal pour l’enfance, mais c’est afin de savoir si elle est souhaite reprendre la garde de Benoit. En est-elle capable ? En effet, on lui a fait savoir qu’ayant placé elle-même ses enfants depuis plusieurs années, si elle veut avoir droit de regard sur eux, c’est-à-dire les reprendre à sa guise, elle doit, soit reprendre Benoit auprès d’elle, comme sa sœur, soit décider de le confier à la tutelle de l’Etat et des services sociaux.

Je suis à ses côtés sur les bancs de la salle d’attente, mais je ne sais pas ce quelle dira aux juges ce jour là. Elle ressort en m’annonçant qu’elle ne reprendra pas Benoit. Je n’en saurai pas plus. Benoit ira donc de familles en familles mais plus chez sa maman, avant bien longtemps.

En tout cas, puisque Maëva est chez sa maman, elle est en de bonnes mains et je peux la garder chez moi à volonté. Tu deviens une belle fillette, tes cheveux longs que je bataillais à peigner et que l’assistante maternelle t’avait coupés ont repoussé. Flore, ma plus jeune fille se plait à te faire belle, elle te coiffe, tu redeviens une petite fille féminine et extravertie mais j’ai l’impression que ton

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sourire et ton regard resteront triste à tout jamais. Ou c’est la souffrance que je connais de toi qui me donne cette idée en tête ? Lorsque je te retrouverai, en en photo sur « Facebook », si jolie, c’est cette expression du regard, triste et un peu ailleurs que je reconnaitrai.

Malheureusement l’accueil chez ta maman ne durera pas et, petite Maëva au triste regard, tu seras de nouveau placée, tu dois avoir 5 ou 6 ans et je ne te reverrai plus.

Et toi Benoit, mon tendre petit garçon qui aimait tant les câlins, je passerai parfois te voir chez ta maman pendant « ses » week-end avec vous, mais je suis déchirée de te savoir encore dans cette famille. Tu ne dis rien, il se peut que tu ais peur de parler, je ne sais pas mais tu te venges lorsque tu es avec ta maman en faisant des bêtises. Tu lui en fais baver pour attirer son attention. Je ne te reverrai plus toi non plus, tu dois avoir 7 ans, 8 ans, je ne sais plus.

Chacun suit son chemin.

Notre plus grand mérite n’est pas de ne jamais tomber, mais de nous relever à chaque fois.

Ralph Waldo Emerson

Nous sommes en 2000, j’ai changé de vie, d’homme et de département et je passe rendre visite à la maman. Celle-ci est en plein déménagement, elle part pour la Drôme, j’habite moi aussi ce département mais dans le sud, elle part pour le nord. Je lui donne mes coordonnées et lui demande de me téléphoner quelquefois pour me donner ses nouvelles coordonnées afin d’avoir des nouvelles des enfants. Je ne saurai plus jamais ce qu’il est advenu de vous. C’est toi Benoit qui, à 20 ans, me racontera ton enfance et ton adolescence.

J’aurais bien essayé une fois, de revoir Maëva, car la maman d’une amie sait chez quelle assistante maternelle la petite est placée, elle est toujours dans le Vaucluse alors que sa mère habite dans le nord de la Drôme. Benoit restera d’ailleurs lui aussi toujours dans le Vaucluse.

J’appelle donc l’assistante maternelle dans l’espoir de revoir Maëva, je me présente et celle-ci m’annonce qu’il lui faut demander la permission aux services sociaux. Sûr qu’elle est plus professionnelle que moi ! Pour une telle visite, de mon côté, je n’aurais prévenu personne. Je n’irai pas revoir ta petite frimousse Maëva, je ne veux plus entendre parler de ce milieu social et je me dis que de toute façon ce serait un déchirement pour toutes les deux de nous voir ainsi en coup de vent. Tu es dans une nouvelle famille, je ne sais pas si elle t’aime et te rend heureuse mais au moins tu n’es plus maltraitée.

A présent, tu as dû m’oublier, tu étais si petite. A 5 ou 6 ans les souvenirs sont vagues, s’ils existent encore ? Dans combien de familles as-tu résidé, plus, ou moins que Benoit ? Lui ne nous a pas oublié,

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il me racontera son parcours. Vous avez été séparés alors que la déontologie, si ce n’est l’humanité, voudrait que vous restiez ensemble, c’était la seule force que vous aviez devant les adultes, votre seul repère.

Benoit, mon joli petit garçon, j’ai souvent pensé à toi, me disant que tu en ferais sans doute baver aux filles. Avec ta beauté et le manque d’affection que fut le tien, tu te vengerais sur le sexe faible. Mais j’avais oublié comme tu étais sensible, doux, gentil et affectueux ! On dirait, à présent que je t’ai retrouvé, que ce sont les filles qui ont le dessus sur ton cœur tendre. Tu es comme on dit « un cœur d’artichaut », tu t’attache facilement. Tu viens d’adopter un chiot et tu veux être papa. Ce qui semble donner sens à ta vie c’est de créer une vraie famille, celle que tu as toujours recherché et qui ne ta jamais été accessible…

Déontologie :

« Ces normes sont celles qui déterminent les devoirs minimums exigibles par les professionnels dans l’accomplissement de leur activité ». Quels devoirs avez-vous appliqués ? Alors qu’on nous demandait tant de notre côté pour accueillir ces enfants, un an de démarches, de rendez-vous avec des psychologues et tout le tintouin, même le fils de mon mari, qui ne vivait pas chez nous, avait été convoqué avec mes filles.

Vous aviez eu maintes fois la possibilité de faire votre travail avec humanité, laissant ces enfants heureux dans notre foyer tout d’abord. Puis, lorsqu’on vous a alerté sur tous les tons des sévices subis par la petite fille, jusqu’à en perdre mon agrément, vous avez laissé les enfants à la personne maltraitante qui les avaient à sa charge. Bien sûr, il y avait des enjeux concernant la présidente de l’UT du Comtat, mais à l’époque je n’en connaissais pas les tenants et les aboutissants, comment aurais-je pu m’imaginer tout ce que ce placement cachait !

Honte aux services sociaux pour le mal qu’ils ont fait à ces enfants, volontairement ou par manque de vigilance, ou tout simplement pour ne pas se fatiguer. Quand on réfléchi, c’est fatigant, et si l’on n’est pas du même avis que son supérieur, on risque d’être rétrogradé. Alors vous avez fait les moutons de panurge, sans souci de faire du mal à de petits agneaux, ce pourrait-être vos enfants pourtant, n’y avez-vous jamais pensé ?

Chapitre 2

Où les événements se précipitent, on m’informe de l’arrestation de Madame D.

Janvier 2002, c’est encore un coup de fil qui vient bouleverser le « ronron » de ma vie. Un ami du Vaucluse m’annonce que la présidente de l’Unité Territoriale du Comtat vient d’être arrêtée. Elle est accusée de complicité de viol et actes de barbarie sur mineures. Entre 1985 et 1991, cette ancienne assistante sociale dirigeait, -dans un joli petit village du Vaucluse où nous allions parfois nous baigner au bord d’un lac avec les enfants- un lieu de vie où elle accueillait des enfants brisés, entre 8 et 15 ans. Ceux-ci, essentiellement des filles, étaient confiées à l’assistante sociale en qualité de tiers digne de confiance. En fait, ces jeunes filles, bien souvent sans famille furent jetées dans la gueule du loup.

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Quatre des pensionnaires placées dans ce lieu de vie, qui perdurera pendant six ans, lieu de vie qui deviendra pour elles un lieu de cauchemar, ont fini par trouver le courage de déposer plainte. L’une d’entre elles témoigne de son calvaire : « J’ai été envoyé à L.R avec mon frère par un juge pour enfant. Nous étions orphelins et nous faisions pas mal de fugues à l’époque… ». Considérée comme un cas limite, celle-ci a 14 ans lorsqu’elle rejoint madame D, assistante sociale en disponibilité de Vaucluse, et son ancien amant PS, secrétaire de l’association.

« La journée, on s’occupait des chevaux ou on faisait le ménage Lorsqu’il nous arrivait de sortir avec des copines et qu’on rentrait en retard, on prenait une trempe ». La voix, s’étrangle. En sanglotant, elle lâche un déchirant « ils m’ont fait beaucoup de mal ».

Le reste de ce bouleversant récit n’est qu’une plaie à jamais ouverte. « Je suis tombé enceinte. C’était PS le père. Au bout de quatre mois, comme je n’avais pas mes règles, je suis allée voir madame D. Elle m’a dit : « et oui, tu es enceinte, il va falloir avorter ». Ils m’ont emmenée à Marseille, subir en cachette une IVG. Mais je tiens à dire que Madame D savait. Elle savait que PS venait dans ma chambre le soir. Et lorsque je lis qu’il affirme que les filles avec lesquelles il a couché étaient consentantes je peux vous assurer que c’est faux.

Péniblement, elle poursuit : « S voulait que je travaille pour lui. Que je me prostitue quoi. Il me l’a demandé, une fois. J’ai refuse, violemment. Il ne m’a plus embêté avec ça ».

Il y aura quatre témoignages comme celui-ci mais le plus difficile pour les enquêteurs de la brigade de recherche de Carpentras sera de retrouver les pensionnaires qui ont séjourné à L.R, entre 1984 et 1991. Curieusement, il est très difficile de déterminer l’identité de ces adolescents puisqu’il n’y a pas d’archives. Le registre, conservé 10 ans selon madame D, aurait été détruit volontairement puisqu’il ne représentait plus aucune utilité. Seule une photocopie du registre fournie à l’époque au Conseil général par l’association indique le passage de 36 jeunes mais de façon anonyme. Y sont juste inscrits le sexe et l’âge des pensionnaires.

C’est grâce au témoignage de la première jeune fille, qui s’était confié au printemps dernier à une association de femmes battues sur la Côte d’Azur, que les gendarmes ont pu identifier d’autres victimes potentielles. Et commencer ainsi, à reconstituer une liste qui reste bien mystérieuse.

Une plainte avait été déposée en 1992 (peut-être par l’assistante maternelle qui accueillera les enfants l’année suivante ?) par une pensionnaire. L’acte de procédure, retrouvé, interrompt le délai de prescription. Le parquet de Carpentras respire à grosses goulées d’air. Grâce à « La Provence », qui indiquait le 29 janvier dernier qu’une enquête avait été ouverte au début des années 90, un acte de procédure émanant du substitut du procureur de l’époque a été, opportunément retrouvé dans les archives du bureau d’ordres. Un acte qui avait interrompu la prescription en mai 1992. L’action publique en matière criminelle étant prescrite au bout de 10 ans, un nouveau délai était reparti à cette date ; lequel arrivera à expiration en…mai 2002. On est en mars 2002.

Pour comprendre le bien-fondé de ce retournement de situation rocambolesque, un bond de 10 ans en arrière s’impose.

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L.R, le lieu de vie de ce village de Provence, -dont le lac où nous allions nous ébattre avec les enfants porte le nom- est dirigé par l’ancienne assistante sociale madame D, et son amant de l’époque PS, ferme définitivement ses portes début 1992. Le dépôt de plainte d’une pensionnaire précipite sans doute les choses. En mai 1992, la jeune fille alerte le parquet de Marseille. Placée à L.R dès 1984, à l’âge de 8 ans, elle affirme avoir été violenté sexuellement et droguée par PS. Le dossier est transmis à Carpentras et quelques jours plus tard, le substitut du procureur de l’époque, par un « soit-transmis », ordonne l’ouverture d’une enquête, confiée à la brigade territoriale du village qui abrite ce lieu de vie. Le personnel et les pensionnaires de L.R sont entendus dans le cadre d’investigations qui sont entendus dans le cadre d’investigations qui restent infructueuses.

Malgré les affirmations de la jeune fille, le Parquet décidera de classer l’affaire. Et le « soit-transmis » opportun est mis en sommeil de longues années…

La jeune S, âgée aujourd’hui de 27 ans, a été de nouveau entendue en octobre dernier, après l’ouverture de la seconde enquête. Elle a réitéré ses accusations envers PS mais n’a pas déposé plainte une nouvelle fois. Néanmoins, c’est son action de 1992 qui devrait aujourd’hui sauver la procédure.

La grande question en ce 29 janvier 2002 (à ce jour je ne sais pas si la réponse a été donnée) est : « qui finançait cette association qui a fonctionné de 1986 à 1991 ? Le Conseil général de Vaucluse affirme ne lui avoir jamais versé de subventions ? »

C’est du fond de sa cellule, à la maison d’arrêt d’Avignon, que l’ancienne assistante sociale Madame D, (à l’heure de son arrestation présidente de l’Unité Territoriale de Vaucluse) écrouée pour « complicité de proxénétisme et viols aggravés » a appris l’émoi suscité par « l’affaire L.R ».

Adepte du « tout social », madame D, décide de créer une structure accueillant « les cas limites » des jeunes devenus indésirables dans les centres sociaux traditionnels. C’est presque logiquement qu’elle intègre son amant dans la structure en tant que secrétaire mais aussi homme à tout faire. Aujourd’hui, à la lumière des témoignages des victimes présumés, elle estime avoir été « dupée » par PS.

Moi je sais, que, contrairement à la petite Maëva, Madame D est une très bonne comédienne, mes démêlées avec cette personne me l’ont appris, il y a quelques années. Cette femme ment, elle avait été capable d’inventer de misérables scénarios concernant de fragiles petits enfants pour arranger ses affaires.

Pour l’instant je ne fais aucun rapprochement lorsqu’on mon ami m’explique les faits au téléphone. Plus tard, il me remettra quelques coupures de journaux de « La Provence » concernant l’affaire L.R, ce lieu de vie qui porte maintenant le nom d’une affaire sordide.

Cependant, pour avoir eu à défendre envers et contre tous mes deux protégés et m’étant fait taper sur les doigts par la plus haute autorité de l’ASE de mon secteur, c’est-à-dire celle qui est accusée à présent de complicité de viol et de proxénétisme, je me dis que mon témoignage à son sujet peut intéresser la justice.

Le 7 février 2002, j’envoie une lettre recommandé au procureur de Carpentras, expliquant le plus concrètement possible, tout en essayant d’être concise, ce qui s’était déroulé quelques années

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auparavant. Les deux enfants qui m’avaient été confiés, le placement ensuite dans cette famille maltraitante et surtout l’impossibilité d’être entendue par cette Chef d’Unité. Et je pensais que pour ce procureur, mon histoire devait être bien dérisoire.

Pourtant Le procureur m’écoute et me fait témoigner.

Avec stupéfaction je reçois, une quinzaine de jours plus tard, une convocation au commissariat de mon domicile, dans la Drôme, et me voilà repartie dans le passé, en 1993 puis 94 et 95.

Je raconte mon histoire, le parcours des enfants, comment, essayant de dénoncer un phénomène de maltraitance, je n’ai jamais été écoutée et surtout combien tout ça avait été préjudiciable pour les enfants. Les enquêteurs écoute avec intérêt semble-t-il ma déposition et on en reste là.

Mars 2003, cette fois c’est un coup de fil de la gendarmerie de Carpentras, ceux-ci demandent à entendre de nouveau mon témoignage. Finalement ils se déplaceront dans la gendarmerie de la ville où je réside dans la Drôme. Ils sont deux et semblent porter grand intérêt à mon récit.

Je reste près de deux heures dans les locaux de la gendarmerie et j’apprends au compte goutte ce qu’ils veulent bien me dire. C’est-à-dire pas grand-chose, ils tiennent à garder le secret professionnel. J’apprneds juste que le père du mari de l’assistante maternelle qui gardait Benoit et Maëva avait tenu lui aussi un autre lieu de vie, à la même époque et dans le même village que celui de madame D.

C’est à peu près tout ce que j’ai pu leur soutirer. Ils sont vraiment sympathiques et je suis donc à l’aise pour leur confier mon récit. Ils me conseillent d’assister au procès en assises, même si je n’y suis pas appelée à témoigner, que j’apprendrai beaucoup et que j’allais tomber des nues.

En mars 2005, lorsque le procès aura lieu, je n’y assisterai pas, je n’ai pas été amenée à témoigner finalement et ce n’est pas plus mal. J’aurai eu trop de colère envers cette femme par qui les enfants ont perdu l’innocence d’une partie de leurs plus jeunes années, tout ça ne m’intéresse plus, la sanction est trop tardive. Et puis je travaille, je ne peux abandonner mon emploi pour aller assister à un procès dans lequel je ne suis pas directement impliquée. C’est vrai, j’aurai aimé en savoir un peu plus, mais par moi-même j’analyse et adapte le scénario qui n’est pas très difficile à imaginer.

Tout d’abord, mon ami du Vaucluse, celui qui m’avait prévenu de l’arrestation de Madame D, me dit avoir reçu quelquefois la petite troupe de L.R, à l’époque florissante de leurs agissements, entre 86 et 91. Il a quelques chevaux comme eux, et il apprend à piloter un avion grâce à Monsieur PS, l’homme à tout faire de ce lieu de vie. Il passera même grace lieu son brevet de pilote, sans savoir bien sûr qu’il a à faire à un ancien proxénète.

Cet ami m’explique avoir rencontré l’assistante maternelle à qui on confiera Benoit et Maëva plus tard. Elle n’est qu’une adolescente à cette époque, elle lui à même proposé « une gâterie ». Elle est facile à reconnaître car elle a une tâche sur le visage. La maman me l’avait dit, une brûlure je crois. Je ne l’ai jamais vu, mais je pense que Benoit me le confirmera.

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Là où l’on voit qu’elles furent les raisons du placement des enfants dans cette famille.

Voici ce que je peux imaginer :

en 1992 donc, madame D qui est assistante sociale ferme son lieu de vie et gravit comme fusée les échelons des services sociaux. En 1993, elle est donc Chef de l’Unité Territoriale et c’est elle qui signe mon agrément pour les deux enfants, autrement dit c’est elle qui fait la pluie et le beau temps dans ce service. Tous ceux à qui j’aurais à rendre des comptes gravitent autour d’elle. Elle est l’alpha et l’oméga du social en Vaucluse.

Mais il y a une jeune femme qui a subi un calvaire dans cet ancien lieu de vie. Peut-être est-ce celle qui évoque avec émotion ce qu’elle a vécu là-bas. « Je suis ton éducateur, je peux tout te faire » lui dira S. Elle pensait trouver un répit à L.R. Pourtant à l’entendre, PS, un homme violent, n’avait de cesse de les harceler, les caresser et leur imposer des relations sexuelles. Parfois à trois, parfois avec des objets. Et d’évoquer même des pratiques zoophiles. On surnommera le couple « les Thénardier du sexe » ou « les Thénardier des temps moderne ».

En tout cas, celle qui martyrisa mes petits protégés était l’une d’entre elles. Et, le lieu de vie fermé et la plainte étouffée, elle peut faire chanter madame D en menaçant de tout raconter. Après tout, elle n’est pas la seule à avoir subi l’enfer là-bas et son témoignage ajouté à d’autres peut ouvrir les yeux de la justice.

Cette future assistante maternelle peut donc, sans avoir à passer par tous les rouages nécessaires à l’obtention de l’agrément, demander la garde d’enfants placés par l’ASE. Et puis après tout pourquoi pas deux, ça rapportera plus ! Elle a pourtant deux enfants en bas âge, un futur bébé qui ne va pas tarder de naitre et, bien qu’elle travaille, on accepte de lui confier ces deux bambins. Par quel miracle, ce premier placement chez elle se retrouve-t-il être double ?

Lorsqu’on obtient l’agrément, un seul enfant nous est confié, puis deux, c’est progressif, si tout se passe bien avec un enfant, on peut demander et obtenir l’agrément pour deux, ainsi de suite.

Ce n’est qu’une supposition, mais elle m’apparait si évidente qu’il n’a pu en être autrement.

Cette jeune femme qui connait très bien la Chef de l’UT, puisqu’elle a fait un séjour dans ce lieu de vie, peut-être même un très long séjour (l’une d’entre elles raconte être entrée dès l’âge de 8 ans), fait appel à Madame D, notre nouvelle Chef de service social, pour obtenir un accueil et demande deux enfants. Dans le cas contraire, elle révélera les sévices qu’elle a subis dans ce lieu de terreur.

Et ainsi, la Chef de l’ASE se voit obligée d’accepter. De toute façon, madame D ne va pas faire de sentiment pour des enfants, elle en est dénuée. Elle recherche une fratrie, plutôt malléable, car elle doit connaitre le caractère exécrable de la jeune femme. Ainsi, deux enfants en bas âge feront parfaitement l’affaire. Vous êtes peut-être les seuls, Benoit et Maëva, à ce moment là sur « le marché » aux enfants placés aux bons soins de l’ASE ! Et le sort en est jeté, vous serez les enjeux d’un bien terrible fait divers. On vous enlève à nous pour vous mettre en enfer. Vous deviendrez les victimes collatérales de cette affaire.

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Le procès.

Mars 2005, le procès en assises du couple D et S a lieu. Une cellule psychologique est mise en place pour soutenir et accompagner les quatre victimes constituées partie civile. Cet accompagnement est assuré sur un plan logistique avec l’organisation et la prise en charge des victimes mais a surtout été social et psychologique. Tout au long du procès, la présence aux côté des parties civiles d’une équipe de cinq psychologues spécialisés en victimologie a été assurée. « Dans ce procès très lourd pour les victimes il était important de proposer cette aide car sans elle les victimes n’auraient pu témoigner comme elles l’ont fait », analyse le bâtonnier Patrick Gontard, avocat du Conseil général.

Ce dispositif, traditionnellement mis en œuvre par le Conseil général au bénéfice des mineures, l’a été pour la première fois au profit des majeures. Une décision prise en raison de la nature de ce procès où « la responsabilité au sens très large du Conseil général apparaît » indique André Castelli le vice-président du conseil général.

Et vous quelle cellule psychologique vous prendra-t-elle en charge ?

Et vous, Benoit et Maëva, sacrifié pour couvrir les crimes de cette femme ? Qui vous prendra en charge psychologiquement ? Le Conseil général, je l’ai alerté, j’ai même été entendue au Conseil général, devant une commission où présidait un Directeur de la vie sociale. Personne n’a écouté la plainte que j’exprimais à votre sujet. Il aurait peut-être fallu que l’un d’entre vous meure sous les coups de cette femme pour vous réveiller ?

Et moi, à qui on a enlevé l’agrément, mon travail, tout simplement parce que j’avais eu l’audace de dénoncer, comme tout citoyen qui en est témoin doit le faire, des faits de maltraitance ? Quelle cellule psychologique nous a soutenu monsieur le Vice Président du Conseil Général ? Qui réparera le mal fait à ces enfants ? Qui assurera la sérénité des enfants lorsqu’ils seront adultes et que leurs traumatismes enfouis reviendront faire surface ? Qui soulagera vos états d’âme lorsque les traumatismes du passés reviendront hanter votre vie affective ?

Et l’assistante maternelle, l’a-t’on sanctionnée ? Non seulement personne à l’époque n’a cherché à « savoir » mais de plus on lui a laissé la garde de Benoit ! C’est lui, m’expliquera-t-il, qui du haut de ses 7 ans demandera à être changé de famille car les trois points de sutures à la tête fourniront enfin la preuve de sa maltraitance. A cette âge là, on peut s’exprimer, pour Maëva, elle était trop petite et bien trop terrorisée.

Cette assistante maternelle, bien qu’ayant des circonstances atténuantes, puisqu’elle avait séjournée dans ce lieu de vie (d’agonie devrait-on dire) qu’a-telle eu comme sanction ? Lui a-ton enlevé son agrément, exerce-t-elle toujours, sévit-elle encore ?

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… Lors des débats, les quatre victimes constituées partie civile n’ont pas pu adresser la parole aux accusés. « Ceci est révélateur de leur terreur. Le soutien psychologique les a aidé à rester, avec une certaine sérénité dans la même pièce que les accusés mais elles ne sont pas encore prêtes à un échange avec leur bourreau ». Le verdict a abasourdi M, l’une des victimes : « Pour la première fois de sa vie, sa parole a été prise en compte, elle a été crue. Maintenant tout reste cependant à faire, comme l’a expliqué lors des débats la psychologue experte ».

« Déboussolée, il faut désormais aborder l’avenir, mais personne n’est prévu pour l’assister dans ce cheminement difficile. Pourtant maintenant, tout le monde sait que les victimes vont présenter tous les symptômes d’une « décompensation massive » engendrant un profond déséquilibre… »

Le verdict.

Samedi 12 mars 2005, j’écoute à la radio le verdict concernant S et Madame D sa complice. Le journaliste décrit une femme dénuée de toute humanité, froide, ah ah, ce journaliste aurait parlé d’une femme humaine et chaleureuse que j’aurais pensé au miracle ! Mais elle est bien ainsi, sans compassion, froide et menteuse, cette femme qui décrivait Maëva « comédienne », sans la connaitre ? Que les coups qu’elle portait provenaient de disputes avec son frère, ou qu’elle s’automutilait. A cet âge là, 3 ans et demi, joue-t-on la comédie au point de s’arracher les cheveux et de se couvrir d’hématomes ! Qui connait des frères et sœurs si jeunes capables de se faire de tels sévices ? Comment tous ces adultes ayant sans doute un bagage culturel relativement important, ayant fait des études et travaillant de plus dans le social, n’ont-ils pas fait le lien entre tous ces mensonges. Pourquoi aucun gendarme n’a eu la possibilité de faire une enquête alors qu’il semblait y avoir un problème au sein de cette famille. Je ne parle pas de vous Monsieur Praline, commandant de la gendarmerie de mon village, vous êtes depuis bien longtemps à la retraite sur la côte et mon plus grand souhait serait que vous lisiez ces pages, vous seriez ainsi que j’avais raison, envers et contre tous, là l’époque et que votre aide, si minime et inutile fut-elle m’a été précieuse. Mais je parle des gendarmes de la ville où habitait cette famille, nous étions trois, une mère, une grand-mère et moi-même, à vous signaler la maltraitance ?

Et voici le verdict : « 18 ans de prison ferme pour lui, 10 ans pour elle ». Pour la première fois de ma vie, le sentiment de justice, même si la sanction ne correspond pas aux faits qui me touchent, me semble exister. La justice des hommes, je n’y crois guère, par expérience. Pourtant ce jour là, je remercie au fond de moi ces juges et ces jurés qui ont fait leur travail. Ils vengent, en même temps que ces jeunes femmes, les petits innocents de mon récit.

Journal du 10 mars 2005 :

« CRIMES : le couple véritable « Thénardier du sexe », PS détenu depuis janvier 2002, déjà condamné à 9 reprises notamment pour proxénétisme aggravé, dirigeant du centre alternatif pour adolescents en difficultés L.R à M dans le Vaucluse, à été condamné vendredi 18 ans de prison ferme par la cour d’assises du Vaucluse pour viols de mineures avec actes de torture ou de barbarie, relations à

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plusieurs, sodomie, actes de zoophilie et coups, commis dans ce centre. Sa compagne, madame D, (dont on ne cite plus à présent que le nom de jeune fille puisqu’elle a divorcé entre temps), 57 ans, présidente de l’association L.R qu’elle avait créée en 1984 avec S, a écopé de 10 ans de prison pour complicité. Elle a été arrêtée à l’énoncé du verdict. Une jeune fille arrivée à l’âge de 9 ans, a subi un avortement à l’âge de 16 ans. Quatre jeunes femmes, aujourd’hui âgées d’une trentaine d’années, partie civile, sont toujours prises en charge par des psychologues. ».

Le passé n’est jamais là où vous l’avez laissé.

Katherine Anne Porter

Je remercie les amis qui m’ont soutenue, ceux qui m’ont aidée parce qu’ils en avaient le pouvoir, même si leur soutien a été vain. Mais je remercie aussi ceux qui m’ont simplement écoutée et qui ont crus en ma parole. Maman, toi qui, plus sensible encore que moi-même, a suivi en son temps le triste sort de ces enfants et la détresse de ta fille, de là haut, avec d’autres bonnes âmes à tes côté, vois que justice se fait toujours, tôt ou tard. Bien sûr, quelques années de prison ne remplacent pas une enfance gâchée, rien ne remplace ces années d’innocence qu’on vous a volé mais le geste est symbolique, il pourrait venir de la main divine.