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Situation de communication et fonctionnement de la langue en créole haïtien: Approches pour une analyse Author(s): Robert Damoiseau Source: La Linguistique, Vol. 25, Fasc. 2 (1989), pp. 81-101 Published by: Presses Universitaires de France Stable URL: http://www.jstor.org/stable/30248992 . Accessed: 14/06/2014 11:02 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. . Presses Universitaires de France is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to La Linguistique. http://www.jstor.org This content downloaded from 188.72.126.108 on Sat, 14 Jun 2014 11:02:43 AM All use subject to JSTOR Terms and Conditions

Situation de communication et fonctionnement de la langue en créole haïtien: Approches pour une analyse

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Situation de communication et fonctionnement de la langue en créole haïtien: Approches pourune analyseAuthor(s): Robert DamoiseauSource: La Linguistique, Vol. 25, Fasc. 2 (1989), pp. 81-101Published by: Presses Universitaires de FranceStable URL: http://www.jstor.org/stable/30248992 .

Accessed: 14/06/2014 11:02

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SITUATION DE COMMUNICATION ET FONCTIONNEMENT DE LA LANGUE

EN CREOLE HAITIEN APPROCHES POUR UNE ANALYSE

par Robert DAMOISEAU

Centre de Linguistique appliqule, Universitd d'Etat d'Haiti

Les conditions memes de production du message linguistique font qu'il est ancrd dans une situation dont les 616ments constitutifs sont d'une part les acteurs de la communication eux-memes

(dnonciateur et allocutaire), d'autre part les coordonn6es spatio- temporelles du cadre A l'intdrieur duquel s'exerce l'acte de com- munication. A propos de cinq points pr6cis, en crdole haitien, nous voulons 6tudier les relations qui s'6tablissent entre la situation de communication et la langue pour conduire, dans chaque cas, A un type sp6cifique d'utilisation et d'organisation des unitds significatives. Il s'agit pour nous ici d'une tentative pour cerner la mise en ceuvre de certains procdd6s dans cette langue. Notre but est donc limit6. Cependant rien n'interdit qu'une telle

d6marche puisse Stre 6galement envisag6e, sur des points qui ne seraient pas n6cessairement correspondants, A propos d'autres langues cr6oles.

I. Situation de communication et valeur du monone de personne nou

Le moneme de personne nou, en crdole haitien, rdf6re A une collectivit6 pos'e par l'6nonciateur, mais sa particularit6 tient

La Linguistique, vol. 25, fasc. 2/1989

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A ce que cette collectivit6 inclut ou exclut l'6nonciateur. Nou

peut done correspondre :

- soit au montme de personne 4 : nous - soit au mon?'me de personne 5 : vous

du systeme frangais.

fr. nous (moi + vous) c. h. nou

fr. vous (vous)

qu'allons-nous faire ?

Ex. ki sa nou pral f6 ? qu'allons-nus faire ?

qu'allez-vous faire ?

Ce qu'il importe de remarquer, c'est qu'il n'y a jamais pour le ou les allocutaires ambiguit6 sur l'inclusion ou non de l'6noncia- teur dans le rJf6rent de nou. La situation de communication est

toujours porteuse d'indices qui precisent immediatement le contenu de ce ref6rent. Ce sont des 6~1ments qui font partie integrante de la situation de communication et qui conduisent de maniere infaillible le(s) r6cepteur(s) vers l'interpr6tation convenable du

message. C'est ainsi que dans la situation oi` nous avons relev6 l'6nonc6

precedent (une panne de voiture), les circonstances memes qui conduisent A la production de l'6noncd sont tout A fait 6difiantes

quant A l'implication ou non du locuteur dans le contenu rif6- rentiel de nou : ou bien il est lui-meme victime de la panne de voiture et done directement concerne, avec les autres, par les

consdquences qui en dtcoulent, ou bien il n'en est que le specta- teur et comme tel, ne s'inclut pas au groupe confront6 a une situation particulizre.

De par sa nature, nou fonctionne comme un lien entre le locuteur et les autres participants A l'acte de communication, de sorte que l'inclusion ou l'exclusion de l'Cnonciateur est claire

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pour les allocutaires. On peut done poser que la caractdristique du signifi6 de nou est de pouvoir inclure dans le trait << actant du procks le trait << 6nonciateur >>, cf.

nou = actant (ut 6nonciateur)

la pr6gnance de la situation de communication permettant de lever toute ambiguitd quant A l'inclusion ou l'exclusion du second trait'.

2. Situation de communication et valeur de la modaliti pridicative ap

La valeur premiere de ap est celle d'une modalit6 predicative d'aspect inaccompli2.

L'utilisation de ap correspond au d6sir du locuteur de pre- senter aux partenaires de 1'6nonciation le proces exprim6 par le

pr6dicat comme 6tant en train de se d'rouler et de les associer, comme timoins, au constat de son d6roulement. Ex. :

lapli ap tonbe : il pleut (le proces << chute de pluie >> est constatable au moment ohi l'e'nonc6 est

6mis).

L'emploi de ap a valeur d'aspect inaccompli se rel6ve done dans les cas d'une coincidence strictes entre le deroulement du

proces et la situation de communication (cf. valeur hic et nunc de ap).

A partir du moment o" la situation de communication n'atteste pas le d6roulement du proces (par exemple le fait que manifestement le proces << chute de pluie o n'est pas constatable au moment o- l'dnonc6 est 6mis) ap s'oriente vers une valeur temporelle << futur >>. Ainsi :

lapli ap tonbe : il pleuvra.

i. Le fonctionnement du pronom on frangais, dans certains de ses emplois, s'appa- rente a celui de nou. Ainsi dans l' nonc6 : Alors, on joue ? on peut inclure le locuteur (= nous -> Alors, nous jouons) ou non (= vous -> Alors, vous jouez ?).

2. Of. C. Alexandre, A. Bentolila, A. Fauchois, Modalit6s pr6dicatives en 6noncd simple, Espace creole, 5, I983, p. I7I-202.

3. Of. la diffdrence que nous avons soulignde sur ce point avec la valeur de la moda- lit6 de l'aspect inaccompli ka dans le systbme du creole martiniquais, R. Damoiseau, Etude syntaxique du criole d'un locuteur martiniquais unilingue, These pour le Doctorat de 3e cycle, Paris V, I979, 334 P.

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Dans la mesure oi le choix d'un montme de personne corres-

pond au choix d'un type de ref6rence aux participants A la communication il nous parait intiressant d'6tudier la valeur de ap en relation avec le montme de personne sujet du pr6dicat auquel ap est ant6pos6.

Etant donn6 la valeur fondamentale de ap on peut s'attendre A cc que sa fr6quence avec un moneme de personne 3 (li) ou 6 (yo), ref6rant A un non-participant A l'acte de communication, soit plus 6lev6e qu'avec un mondme dont le reftrent participe A la communication : mwen (pers. I), ou (pers. 2), nou (pers. 4-5). En effet un message informant du d6roulement du proces hic et nunc est hautement plus probable avec un sujet non 6metteur et non r6cepteur, ex. :

pers. 3 ii : Pap vini il vient (l'metteur et le rccep- teur constatent le d6-

pers. 6 yo : y'ap vini ils viennent roulement du proces)

qu'avec un sujet participant A l'acte de communication. Des lors que l'6metteur ou le r6cepteur du message est impliqu', en tant qu'agent, dans le proces, on congoit qu'il est fort peu probable que la langue mette en ceuvre une procedure (l'aspectualisation, marqu6e par ap) qui est utilis6e precis6ment pour appeler A la constatation du deroulement du procs. On peut done prevoir une plus grande fr6quence pour les 6noncis precedents que pour les 6nonces suivants :

pers. I mwen : m'ap vini (l'6metteur est

je viens agent du proces) (je suis en train de venir)

pers. 2 ou : w'ap vini (le r6cepteur est tu viens agent du procs)

(tu es en train de venir)

pers. 4 nou : n'ap vini (l'6metteur est nous venons agent du

proces) (nous sommes en train de venir)

pers. 5 nou : n'ap vini (le ricepteur est vous venez agent du procs)

(vous &tes en train de venir)

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La probabilit6 des 6nonces dans lesquels l'Fmetteur est agent du procs (pers. I et 4), I~ oh' pr6cisement I'emploi de ap corres-

pond A la volont6 du locuteur de faire constater le dtroulement du proces par le r6cepteur - par principe temoin de ce procs - est faible.

De meme, il est pr6visible que la frequence des enonces ouh l'agent du procks est le r6cepteur lui-meme (pers. 2, pers. 5) soit peu tlev6e, la formulation d'un message adresse au ricepteur pour qu'il prenne acte du d6roulement d'un procbs dont il est lui-meme l'agent ne correspondant pas aux besoins premiers de la communication.

On congoit alors qu'il se produise, dans ces conditions de communication, une sorte de glissement du signifi6 de ap vers une valeur<< futur ). C'est ainsi que les 6noncis :

m'ap vini

je viens (= je suis sur le point de venir) ou ap vini ?

tu viens ? (= tu es sur le point de venir ?)4

se voient confirer une valeur temporelle << futur >.

La situation de communication peut ainsi orienter la moda- lite ap, dont la valeur fondamentale est celle d'un aspect inac- compli (le procks se d6roulant en stricte coincidence avec l'acte de parole), vers une valeur temporelle << futur >> (caract6risde par la dissociation entre 6nonciation et d6roulement du procs)5.

Tout se passe comme s'il y avait redondance entre l'utilisation de ap, marque du deroulement du proces dans le cadre de la situation de communication, et la participation A ce proces - comme agents - des partenaires dans I'acte d'6nonciation. Il s'opbre alors un effet de sens correspondant au diplacement du d6roulement du procks hors des limites du cadre de la com- munication.

4. Le fait que ces 6nonc6s apparaissent presque exclusivement k la forme interro- gative confirme que le ddroulement du proces ne coincide pas avec le moment d'6non- ciation : l'interrogation de l'6metteur porte non pas sur le d6roulement d'un proces en cours, dont l'agent est son interlocuteur et qu'il serait donc a m^me de constater, mais sur le d6roulement k venir de ce proces.

5. Sur ce point, nous avons 6galement soulign6 la diffErence avec la valeur de la modalitd ka en crEole martiniquais (Damoiseau, 1985, these citde).

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Cependant il faut noter que meme dans ce cas la valeur de ap comme modalit6 de la rdalite constatable, tangible, est conserv&e puisque son emploi correspond alors a un futur certain, qui se difftrencie du futur 6ventuel marqud par la modalit6 a (cf. infra, 4). Ap maintient I'existence d'un lien entre la situation de communi- cation et le dtroulement du procs en depit du dtcalage de l'un par rapport a l'autre.

En ce qui concerne la dynamique du creole haitien, on peut formuler l'hypoth6se que la valeur temporelle << futur >> de la

modalitd ap est apparue d'abord avec les monemes des personnes I, 2, 4 et 5, qui rdf6rent aux participants a l'acte de communication. Leur emploi comme agent d'un proces correspond a des situations

d'dnonciation telles que l'utilisation de ap comme marque d'aspect rdpond moins aux besoins premiers de la communication et est moins conforme au strict principe d'economie qui regit le fonc- tionnement de la langue.

On constate en tout cas que l'ancrage de l'agent dans l'acte d'6nonciation contribue a vider ap de sa valeur aspectuelle et

permet a la langue de lui conf6rer une valeur temporelle. On peut done parler 1a de possibilit6 de blocage de I'aspectualisation fournie par la situation de communication, en soulignant le caractere original de cette ddmarche. Elle se distingue notamment de celle qui conduit a la temporalisation << futur >> a partir de l'incompatibilitA entre la valeur d'aspect inaccompli de ap et le signifid non processif du prtdicat (ex. : m'ap la :je serai lA, l'ap vle : il voudra, etc.).

3. Situation de communication et choix des marques aspecto-temporelles zero et te

3.o. D'une enquete que nous avons effectuee en 1984 et 1985 aupres de 248 6lves-maitres dans six Ecoles normales d'Haiti a propos de P'aspect et du temps en crdole haitien6 nous extrayons quelques donn6es relatives au choix des marques 0 (zdro) et te a chez le locuteur crdolophone dans le cas d'un pr6dicat processif.

Le systeme aspectuel du cr6ole haitien repose sur une oppo-

6. Damoiseau, Aspect et temps en crdole haitien et en frangais. Premiers rdsultats d'une enquete mende auprbs d'&C1ves-maitres des Ecoles normales en Haiti, Espace criole, 1986.

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Situation de communication en croeble haitien 87

sition de type inaccompli (marque ap) - accompli (marque 0)'.

Ex. :

papa m'ap plante mayi ii a

mon pere seme son mais (le procs << semer )> est en train de se dirouler)

papa m's plante mayi li a mon pere a sem6 son mais (le proces < semer > est

arrivt a son terme)

L'introduction de la marque temporelle < pass ut>> te avec ces 2 marques :

te + ap (t'ap) te a+o

correspond & l'intention du locuteur :

- de situer le deroulement du proces dans le passe : papa m' t'ap plante mayi li a mon ptre etait en train de semer son mals;

- de situer le point d'achevement du proces dans le passe :

papa m' te o plante mayi ii a.

a sem=6

mon p&re son mais

avait semi

En nous fondant sur trois couples d'6nonc6s nous nous pro- posons d'dtudier ce qui peut d6terminer le locuteur a choisir la marque te + o (par opposition

ut. o seul), c'est-a-dire a faire le

choix de situer le terme du proces dans le passe8.

7. Alexandre, Bentolila, Fauchois, ouvr. citd. 8. Prdcisons que le recours A l'dcrit, pour cette enqubte, a en regle g6n6rale favoris6

la temporalisation. Cependant les 6carts, dans les diff6rents 6nonc6s, entre les friquences d'utilisation de la marque de l'aspect accompli (o) par rapport A celle du temps pass6 (te + o) fournissent indiscutablement matibre A analyse.

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3. 1. Soit les deux 6nonc&s franvais suivants, pour lesquels nous avons demand6 une traduction creole A nos informateurs :

Ei Jacques a achet6 une belle voiture : regarde comme il en prend soin.

E2 Jacques a achet6 une belle voiture mais il n'en a jamais pris soin. Maintenant il est A pied.

Le relev6 des friquences pour la traduction de a achetd dans les deux 6nonces presente les resultats suivants :

Ei E2 0 achte 45,6 % 38,7 %

te o achte 53,0o % 59,9 %

Dans aucun des deux inonces le proces << achat d'une voiture >> n'est localis6 de faqon explicite dans le passe. Or on note un taux de frequence plus important de la marque te (marque du

pass') dans l'6nonc6 E2 que dans l'nonc6 EI, la frequence de la marque o (aspect accompli) 6tant paralldlement plus 6lev&e en Ei qu'en E2.

C'est qu'en EI la situation de communication atteste le

proces << acheter >> : le fait de prendre soin de la voiture constitue en quelque sorte le prolongement de l'achat. En E2, par contre, les informations apportees par la deuxi me partie de l'6nonc6 contribuent A cr6er une dissociation entre l'acte d'acheter la voiture et la situation de parole, BA loigner l'un de l'autre, c'est-A- dire A situer le point d'achevement du proces << acheter >> dans le

pass6.

3.2. L'importance de la corr6lation entre persistance du proces dans la situation de communication et choix de la marque de

l'aspect accompli (marque o), non passe, aux d6pens du pass6 (marque te + o) apparait clairement dans l'analyse des deux 6nonces suivants :

E3 Mon ptre a plant6 son mais la semaine derni"re mais les pintades ont picor6 tous les grains.

E4 Il y a deux mois que mon pere a plant6 son mais : il est

d6jA haut.

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Ces deux 6nonces pr6sentent un proces accompli (<< planter >>) dont le terme est situ6 ant6rieurement a l'acte de parole. Or c'est dans l'Nnonc6 - creole - E3, oi l'dloignement objectif du

point d'achevement du proces par rapport "

l'acte de parole est le plus reduit, que la frequence de la marque te est la plus 6levie :

E3 E4 (<< la semaine (<< il y a deux mois

derniere) que... >>)

o plante 30,6 % 46,4 % te o plante 68,7 % 52,8 %

L'existence dans la situation de communication d'une conse- quence constatable du proces (croissance du mais, en E4) dtablit, pour beaucoup d'informateurs, un lien qui abolit l'Cloignement physique (deux mois) entre l'achevement du proces et le point d'emission de l'6nonce, et conduit au choix de la marque o.

Par contre l'absence, dans la situation de communication, du resultat attendu de l'acte de << planter >> qu'est la croissance de la plante contribue 'a crier en E3 une distanciation entre le point d'ach&vement du proces et le moment d'6nonciation et conduit au choix de la temporalisation (marque te), malgr6 une distance objective (cf. << la semaine derniere >) rtduite entre proces et point d'6nonciation.

3.3. Cette possibilit6 de transgression du temps physique en fonction d'4lkments fournis par la situation de communication est confirmee par les traductions proposees pour les $noncs suivants :

E5 II a beaucoup plu l'annee derniere et maintenant P6ligre est complktement ensabl6.

E6 On a asphalt6 la route qui conduit a l'h6pital en 196o, et maintenant on s'y rend facilement.

Dans ces deux 6nonc6s on a affaire a un proces accompli (<< chute de pluie >> en E5, << asphaltage d'une route >> en E6), situ6 dans le pass6 (<< I'ann'e derniere > en E5, << en Ig96o>> en E6), chaque procds 6tant reli6 au moment d'6nonciation par la mention d'une consdquence constatable (<< ensablement d'un barrage ut en E5, << circulation sur la route >> en E6).

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90 Robert Damoiseau

Cependant les 6noncis cr6oles correspondants prtsentent une

disparit6 importante quant au choix des deux marques o et te :

E59 E6

0 10,9 % 40,3 %

te 0 70,6 % 57,7 %

On constate en effet que le recours a la temporalisation << passe >> (marque te) est nettement plus frequent en E5 qu'en E6, bien que le proces < chute de pluie >> soit situ6 dans un pass6 moins 6loignd que < l'asphaltage de la route >>.

C'est que le lien qui unit achevement du proces et moment d'6nonciation est plus fort en E6 qu'en E5. La cons6quence de

l'asphaltage de la route est vecue avec plus de force, est ressentie comme plus importante pour la vie quotidienne que celle r6sultant de la chute de pluie. Sa force contribue A actualiser le proces, meme s'il est deroul6 dans un pass6 math6matiquement plus 6loignL. Au contraire le lien entre la chute de pluie et l'ensable- ment du barrage (E5) n'agit pas comme un lien dynamique prolongeant le proces dans la situation de parole, mAme si la distance qui les separe est objectivement reduite.

3-4. Ii existe donc un rapport entre le choix, par le locuteur, pour un prtdicat donne, de la marque o de l'aspect accompli et l'existence d'un lien dynamique entre la situation de commu- nication et le proces exprimA par ce predicat. Mais c'est precise- ment la situation de communication qui d6cide de sa valeur

dynamique. En fonction des indices qu'elle prtsente, le locuteur pourra

percevoir le point d'achAvement du proc6s comme proche (il choisira alors la marque o de l'accompli), ou AloignA (il recourra A la marque te du passe). On voit en quoi la situation de commu- nication peut rendre relatif - voire meme neutraliser - le

principe du temps physique.

g. Nous avons icartd de notre releve les pr6dicats non processifs, non marqu6s aspectuellement, cf. : te gen anpil lapli : il a beaucoup plu, ce qui explique un total inf6rieur 9 go % ici.

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4. Nigation et valeur de la modaliti pridicative a

Par opposition A ap, qui garde, de son fonctionnement comme modalit6 d'aspect inaccompli, la valeur d'un futur certain quand elle bascule dans la temporalisation (cf. plus haut, 2), la modalit6 a est celle d'un futur 6ventuel. Cf.

Ei N'ap we dimanch

Nous nous verrons dimanche (j'y compte bien). E2 Pa enkyete ou - N'a we on jou, si Dye vle.

Ne t'en fais pas - Nous nous reverrons bien un jour, s'il plait a Dieu.

Cette valeur d' <<ut ventuel >> explique la haute fr6quence de a avec un pr6dicat 2 exprimant un proces dont le d6roulement est subordonn6 A la r6alisation d'un proces exprim6 par un pr6dicat I (cf. << conditionnelle >>). Ex. :

E3 Si timoun nan pase, m'a ba ili kich6y Si l'enfant passe, je lui donnerai quelque chose.

Or on constate que la langue n'accepte pas la coexistence de la negation et de la modalit6 a :

* Si timoun nan pase, m'pa a ba li anyen

alors que la negation est compatible avec la modalit6 ap, cf. :

E4 M'p'ap ba li anyen Je ne lui donnerai rien.

L'op6ration de n6gation, compatible avec un proces dont le locuteur a toutes raisons de penser qu'il se rdalisera (il l'envisage comme certain), n'a pas lieu d'etre engagee d&s lors qu'il n'est pressenti (par le meme locuteur) que comme 6ventuel.

On conqoit alors la meme incompatibilit6 dans le cas d'un

proc& dont la realisation est pr6sent6e comme encore moins probable (cf. valeur de potentiel de la forme ta = modalite < passb >> te + a). Cf. :

E5 Si timoun nan pase, m'ta ba li kichby Si l'enfant passait, je lui donnerais quelque chose

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mais :

* Si timoun nan pase, m'pa ta ba Ii anyen.

Par contre la suite : negation + ta est attestke dans un contexte oii ta a une valeur d'irr'el :

E6 Si timoun nan te pase, m'pa ta ba ii anyen Si l'enfant 6tait pass6, je ne lui aurais rien donn6.

La negation porte ici sur un proces qui aurait pu se derouler, mais dont on sait qu'il ne s'est pas deroul6 (cf. rble de la modalit6 << pass6 ut te devant pase, marquant que la condition n'a pas 6tt r6alis&e, d'oh la valeur d'irr6el du passe de ta ba).

L'op6ration de negation n'est donc en fait compatible qu'avec la certitude de la realisation ou de la non-rdalisation du proces exprim6 par le pr6dicat. Un procds dont le locuteur pressent qu'il peut ne pas se r6aliser ne rentabilise pas une telle op6ration. On a la1 affaire a un exemple de rapport 6troit entre utilisation des unit6s et procedure 6nonciative.

5. Monhmes de personne, ndgation et fonctionnement du se d'identification et du se d'identiti

Nous n'&tudions ici que les monemes se susceptibles d'apparaitre au sein de l'6nonc6. Nous excluons de cette etude le moneme se

d'emphase, qui apparait toujours comme premier l'616ment de l'6nonc6, fonctionnant en relation avecye dans le cas d'un pr6dicat non verbal (ex. sefrh m'li ye : c'est monfrhre) ou avec la duplication du predicat s'il est verbal (ex. : se bliye m'bliye / j'ai complitement oublie)10,

5. I. Soit

Ei Pye se fr6 m' Pierre etre frere pers. I

Io. Sur le fonctionnement de ce moneme se avec les verbo-adjectivaux, voir R. Damoi- seau et G. Saint-Louis, Les verbo-adjectivaux en creole haitien, Modiles linguistiques, 1986, t. VIII, fasc. I, p. 1o3-135.

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Situation de communication en criole haitien 93

Anonce qui, selon nos informateurs", peut &tre transform6 & la forme negative en :

E2 Pye se pa fre m'

OU

E3 Pye pa fr6 m'.

Ii se pose alors la question de savoir selon quels criteres se coexiste avec la ntgation (cf. E2) ou s'efface en sa presence (cf. E3).

5.2. Si dans l'6nonce Er on remplace le sujet Pyd par le moneme de personne correspondant (personne 3), on obtient :

Er Pye se fre m' -+ E4 li se fre m'.

Or un tel enonc ne connait qu'une transformation possible A la forme n6gative :

E4 li se friS m' -* E5 li pa fre m'

oi nous constatons l'effacement du se, alors que l'6nonc6 :

EI Pye se frn m'

peut se transformer soit en un 6nonce negatif riv6lant la presence de se (cf. E2), soit en un 6nonc6 n6gatif oif le se s'efface (cf. E3)

E2 Py& se pa frt m'

Er Pyd se fri

m'

E3 Py 6 pa fr m '

* li se pa fr6 m'

E4 li se frfr mm'

E5 li pa m'

Ix. Nous remercions ici les dtudiants de 2e annde du C.L.A. (1985-1986) qui ont bien voulu rdpondre & notre questionnaire.

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Cependant, si l'6nonc6 * li se pa fr6 m' est refus6 par nos informateurs, l'dnonc6 E6 li menm se pa fre m' est acceptd.

Or l'adjonction de menm au moneme de personne est un

proc'dd d'emphatisation de la personne. Le syntagme : mon'me de personne + menm est une forme emphatique 2, qui ne fonc- tionne pas comme sujet, mais comme elMment annongant le moneme de personne sujet. Ainsi :

E7 Tout moun ap travay. Li menm, li p'ap f6 anyen. Tout le monde travaille. Lui, il ne fait rien.

E8 Mwen menm, m'pa ladan.

Moi, je ne suis pas concernd.

Nous interpretons done :

- d'une part I'impossibilit6 de la structure :

mon6me de personne + se + n6gation

-+ * li se pa frb m';

- d'autre part et conjointement l'obligation de recourir 'a une forme emphatisle du moneme de personne dans le cas oiL se coexiste avec la ndgation :

- ii menm se pa fre m'

comme nous permettant d'analyser se, dans ce cas, comme un se a valeur de presentatif, qui fonctionne sans sujet, la forme empha- tique du sujet allant de pair avec une pause'3.

Notons que l'enonc6 affirmatif correspondant est :

Eg li menm se fre m'.

I1. Remarquons que dans un dnoncd comme : li menm ki f& sa ! c'est lui qui a fait cela

ki est rv6lateur de la valeur emphatique de li menm, la langue faisant 1a l'6conomie du moneme se d'emphase (cf. introduction, p. 92) :

(se) li menm ki f6 sa !

13. La longueur de la pause, la pause elle-m^me, n'6tant pas phenomenes ais6s & analyser avec pricision, nous avons prdf6rd I'interprdter comme un fait accompagnant l'utilisation de se comme prdsentatif que comme l66ment d'identification de cc se.

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Situation de communication en criole haitien 95

La meme analyse, conduisant a la mise en evidence de la valeur presentative de se, peut etre faite a partir du monme de

personne yo (ref6rant a des non-participants A l'acte de communi- cation, cf. < ils >> ou < elles >>). Ainsi :

EII Pyd ak jaklin se pa pitit mwen

Eio Py ak Jaklin se pitit mwen

Pierre et Jacqueline-etre-enfant-pers.

E2 Pyak Jaklin pa pitit mwen

* yo se pa pitit mwen

E13 yo se pitit mwen

E yo pa pii mwen EI4 yo pa pitit mwen E15 yo menm se pa pitit mwen

Ei6 yo menm se pitit mwen

On constate, comme dans le cas du moneme de personne 3 li, l'obligation de recourir a la forme emphatisee yo menm pour que se coexiste avec la n6gation pa, ce qui nous conduit a inter- preter se, ici, comme un prdsentatif.

5 -3. Or cette valeur presentative de se dans ce cas est confirmde par l'impossibilit6 de la coexistence de se + n6gation avec les monemes de personne I : mwen

2 : ou

4-5 :nou

y compris avec ces monemes de personne sous leur forme empha- tique :

* mwen se pa fr6 ou

* mwen menm se pa frC ou

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96 Robert Damoiseau

* ou se pa frC m' * ou menm se pa frb m'

* nou se pa pitit ou * nou menm se pa pitit ou.

C'est que la valeur << pr6sentative>> de se n'est pas compatible avec des monemes de personne r6f6rant aux participants A 1'acte de communication14. Cf. :

mwen : pers. I = locuteur

ou : pers. 2 = allocutaire.

pers. 4 = locuteur + allocutaire(s)

pers. 5 = allocutaires

L'opdration qui consisterait A presenter les participants A l'acte de communication, livr6s par la situation de communication elle- meme, serait en contradiction avec le strict principe d'6conomie qui r6git le fonctionnement du discours dans la langue &tudi6e. On congoit alors l'impossibilit6 de tout emploi de se << prdsentatif> avec un moneme de personne I, 2, 4 et 5, y compris sous leur forme emphatis&e :

* mwen menm se fre ou

* ou menm se fre m'

* nou menm se pitit ou

par opposition A :

Eg 9i menm se fri m'.

Cette incompatibilitd nous permet de poser une valeur diff6- rente pour se lorsqu'il apparait avec les personnes I, 2, 4 et 5.

14. Cf. analogie de fonctionnement avec le se << pr6sentatifb du creole martiniquais, Damoiseau, these citee, p. 218.

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Situation de communication en criole haitien 97

5.4. Rappelons le fonctionnement de se avec les moncmes de

personne I, 2, 4 et 5 d'une part, avec les monemes de personne 3 et 6 d'autre part.

mwen se fre ou

mwen se pa fr6 ou

mwen pa fra ou

Pers. I

*mwen menm, se fr? ou * mwen menm, se pa fr6 ou

mwen menm, m'se fre ou - mwen menm, m'pa ou

* ou se pa fri m'

ou se frt m'

ou pa frt m'

Pers. 2

* ou menm, se fr6 m' * ou menm, se pa fre m'

ou menm, ou se frh m' -+ ou menm, ou pa fre m'

nou s pitit ou *nou se pa pitit o

nou pa pitit ou

Pers. 4-5

* nou menm, se pitit ou * nou menm, se pa pitit ou

nou menm, nou se pitit ou -ut nou menm, nou pa pitit ou LL - 4

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98 Robert Damoiseau

* li se pa fr& m'

li se frm' m'

li pa frd m'

Pers. 3

li menm, se m' - li menm, se pa fr6 m'

li menm, li se frb m' - li menm, li pa fr+ m'

yo se pitit mwen *yo se pa pitit mwen

yo pa pitit mwen

Pers. 6

yo menm, se pitit mwen --

yo menm, se pa pitit mwen

yo menm, yo se pitit mwen - yo menm, yo pa pitit mwen.

On constate que :

a / Seuls les monemes de personne 3 (li) et 6 (yo) - ne rdf6rant

pas a des participants B l'acte de communication - a condition

qu'ils prtsentent une forme emphatique, apparaissent avec un moneme se - & valeur pr4sentative - et qui coexiste avec la negation.

b / Tous les monezmes de personne : - pers. I (mwen), 2 (ou), 4-5 (nou) r6f6rant aux participants

a l'acte de communication; - pers. 3 (li), 6 (yo) ne reftrant pas aux participants B l'acte

de communication

sont compatibles avec un moneme se, qui s'efface en prtsence de la negation.

c / Les montmes de personne rif6rant aux participants & l'acte de communication fonctionnent exclusivement avec ce moneme se.

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Situation de communication en crGole haitien 99

En partant de ces faits il nous est possible de pr6ciser la valeur de chacun des deux mon~mes se ainsi que certaines caract6ristiques de leur fonctionnement.

- Le moneme se, qui apparait exclusivement avec les mondmes de personne 3 et 6 ne requiert pas la pr6sence d'un sujet. C'est un auxiliaire de pr6dication qui inthgre la fonction sujet. Ceci entraine deux types de cons6quences :

I) II peut apparaitre comme premier e16ment de l'6nonc6 : la forme emphatique du mon~me de personne et la pause entre ce moneme de personne et le mon6me se confirment le r61le de non-

sujet de ce moneme de personne. 2) Sa fonction de sujet en fait un 6l6ment obligatoire dans

l'6nonc6, y compris en 6nonc6 nigatif ou temporalis'5. Cette fonction sujet est A mettre en relation avec la non-

implication dans l'acte de communication des 6lments auxquels refrrent les monemes de personne 3 (li) et 6 (yo) avec lesquels il est compatible. Dans la mesure oth sur le plan rh6torique se est un instrument de pr6sentation de rif6rents qui ne participent pas A l'acte de communication, nous lui reconnaitrons le r6le d'l16- ment d' << identification >>.

- Le mon6me se, qui peut apparaitre avec tous les monemes de personne, a une valeur et un type de fonctionnement diff6rents. Prec6d6 obligatoirement d'un sujet, on le relkve toujours au sein de l'6nonce. Sa position entre sujet et pr~dicat explique qu'il puisse s'effacer dans le cas d'un 6nonc6 n6gatif ou temporalis6, par opposition au moneme se pr6c6dent. Mais A cette cause structurelle s'ajoute une raison d'ordre 6nonciatique, plus d6ter- minante : si on pose que, par opposition au mon me se pr6c6dent, que nous avons appel6 se d' << identification >, le moneme se que

15. Nous avons fait le choix de la ndgation comme un des d61ments permettant la mise en 6vidence des 2 monemes se. Nous aurions pu tout aussi bien choisir une modalitd temporelle.

Pyt se te fr6 m'

Ex. : se fr n m'

Pyd te fri m'

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I00 Robert Damoiseau

nous 6tudions maintenant maintenant &tablit une identit6l& entre les deux 616ments sujet-pr6dicat, on congoit que la notion d'iden- tit6 ne soit pas compatible avec sa n6gation ni avec sa temporali- sation. Dans la langue 6tudi6e l'identit6 est d6truite par sa n6gation ou sa projection hors du moment d'6nonciation. Le processus d'identification, par contre, est compatible avec la n6gation ou la temporalisation : nier une identification ou la temporaliser ne la d6truit pas, mais 6quivaut a en poser une autre.

5 - 5. L'6nonc6 :

Er Py6 se fre m'

qui nous a servi d'&nonc6 de base, peut donc s'interpr6ter de deux fagons diff6rentes, selon que se est interpr&t6 lui-meme comme un moneme d'identification ou un mondme d'identit6.

Dans le premier cas (identification)

Pyd se frx m' --

Pyd se pa fre m'

Pierre c'est mon frere Pierre ce n'est pas mon frere

peut s'6crire :

Pye, se fr6 m' -* Py%, se pa fr6 m'

et se transformer en :

li menm, se fre m' ->-li menm, se pa fre m'

lui, c'est mon frere lui, ce n'est pas mon frere.

Dans le deuxieme cas (identit6), on a affaire a un autre 6nonc6 :

Pyd se fr& m' --

Pye pa fr6 m' Pierre est mon fr&re Pierre n'est pas mon frere

qui se transforme en :

li se fr6 m' -* li pa fr6 m' il est mon frdre il n'est pas mon fr"re

16. On a pule ddsigner aussi comme un mondme se< marque de I'egalit >>, Fauchois, Nature et fonction des montmes se en crdole haitien, Cahiers du Centre de Linguistique appliquie, 1983, p. 2o.

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Situation de communication en crGole haitien 0 o

Par ces analyses ponctuelles nous avons tent6 de montrer

l'importance, dans le fonctionnement de la langue, de certains 'l6ments inherents

. la r'alit6 de la communication. L'6tude

des conditions de l'implication de l'6nonciateur et de l'allo- cutaire dans le message, la prise en compte des donn6es qui constituent le cadre dans lequel s'exerce la communication s'ins- crivent dans toute entreprise d'analyse du fonctionnement d'une langue. Une telle demarche parait inevitable dans le cas des langues creoles, pour lesquelles le caractere 6conomique (ou optimal) de l'utilisation des unit6s s'explique par une exploitation rigoureuse de tous les indices que fournit la situation. La subtile implication des ~6lments situationnels dans l'6change linguistique n'autorise plus, en tout cas, k leur donner un statut d'61ements < extra-linguistiques >>. Mais il convient de souligner aussi que l'etude de la langue ne peut se faire 1a sans ref6rence a l'histoire qui a conduit a sa formation, au type d'organisation des commu- naut6s qui l'utilisent et aux besoins auxquels elle a & faire face actuellement. On peut formuler l'hypothese que ces conditions changeant, son mode de fonctionnement 6voluera parallelement7.

17. Les informations fournies par l'enquete effectu6e sur les notions d'aspect et de temps (cf. Damoiseau, Aspect et temps en creole haitien..., 1986, art. cit6) nous per- mettent notamment d'6tablir une relation entre 1'usage 6crit de la langue (l'enqu&te sollicitait des r6ponses dcrites) et la forte frdquence de la temporalisation << passd >> (cf. plus haut, note 8, p. 87).

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