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LA LITTERATURE FRANCAISE DE LA PREMIERE MOITIE DU XX SIECLE La Première Guerre mondiale-est le premier conflit armé de l’histoire qui a impliqué des pays de tous les continents. Elle a débuté en août 1914 et a pris fin le 11 novembre 1918, avec l’armistice de Rethondes. À la fin du XIXe siècle, les pays européens cherchent à agrandir leur zone de domination. Ils s’allient entre eux pour se protéger les uns des autres : la Triple-Entente réunit la France, la Russie et le Royaume-Uni (qui est alors la première puissance mondiale) ; la Triple-Alliance est constituée de l’Allemagne, l’Autriche- Hongrie et l’Italie. POURQUOI LA GUERRE EST-ELLE DÉCLARÉE? Le 28 juin 1914, François-Ferdinand, le prince héritier de l’Empire austro-hongrois, est assassiné à Sarajevo (en Bosnie- Herzégovine). Appelé l’attentat de Sarajevo , cet incident provoque des réactions diplomatiques en chaîne jusqu’à ce que l’Autriche- Hongrie déclare la guerre à la Serbie, le 28 juillet 1914. Par le jeu des alliances, l’Allemagne d’un côté, et la France, la Russie et le Royaume-Uni de l’autre, entrent en guerre dans les premiers jours du mois d’août 1914. La Première Guerre mondiale est tout d’abord une guerre de frontières : la France veut récupérer l’Alsace et la Lorraine , perdues en 1871 ; l’Empire austro-hongrois et l’Empire russe s’opposent pour dominer les peuples slaves . C’est aussi une guerre économique : la France, le Royaume-Uni et l’Allemagne sont des nations industrialisées qui espèrent, en gagnant le conflit, s’agrandir et donc conquérir de nouveaux marchés . QUELS SONT LES PAYS ENGAGÉS DANS LA GUERRE ? Entre 1914 et 1918, 32 nations participent au conflit, dont 28 dans le camp des alliés de la Triple-Entente ; par exemple, en 1915, les Alliés reçoivent le soutien de l’Italie (qui a quitté la Triple-Alliance) et de la Roumanie puis, en 1917, celui des États- Unis et de la Chine. 1

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LA LITTERATURE FRANCAISE DE LA PREMIERE MOITIE DU XX SIECLE

La Première Guerre mondiale-est le premier conflit armé de l’histoire qui a impliqué des pays de tous les continents. Elle a débuté en août 1914 et a pris fin le 11 novembre 1918, avec l’armistice de Rethondes.À la fin du XIXe siècle, les pays européens cherchent à agrandir leur zone de domination. Ils s’allient entre eux pour se protéger les uns des autres :– la Triple-Entente réunit la France, la Russie et le Royaume-Uni (qui est alors la première puissance mondiale) ;– la Triple-Alliance est constituée de l’Allemagne, l’Autriche-Hongrie et l’Italie.

POURQUOI LA GUERRE EST-ELLE DÉCLARÉE?Le 28 juin 1914, François-Ferdinand, le prince héritier de l’Empire austro-hongrois, est assassiné à Sarajevo (en Bosnie-Herzégovine). Appelé l’attentat de Sarajevo, cet incident provoque des réactions diplomatiques en chaîne jusqu’à ce que l’Autriche-Hongrie déclare la guerre à la Serbie, le 28 juillet 1914. Par le jeu des alliances, l’Allemagne d’un côté, et la France, la Russie et le Royaume-Uni de l’autre, entrent en guerre dans les premiers jours du mois d’août 1914.La Première Guerre mondiale est tout d’abord une guerre de frontières : la France veut récupérer l’Alsace et la Lorraine, perdues en 1871 ; l’Empire austro-hongrois et l’Empire russe s’opposent pour dominer les peuples slaves.C’est aussi une guerre économique : la France, le Royaume-Uni et l’Allemagne sont des nations industrialisées qui espèrent, en gagnant le conflit, s’agrandir et donc conquérir de nouveaux marchés.

QUELS SONT LES PAYS ENGAGÉS DANS LA GUERRE ?Entre 1914 et 1918, 32 nations participent au conflit, dont 28 dans le camp des alliés de la Triple-Entente ; par exemple, en 1915, les Alliés reçoivent le soutien de l’Italie (qui a quitté la Triple-Alliance) et de la Roumanie puis, en 1917, celui des États-Unis et de la Chine.Seuls l’Empire ottoman et la Bulgarie rejoignent l’Allemagne et l’Autriche-Hongrie.

SUR QUELS FRONTS SE DÉROULE LE CONFLIT ?Les combats de la Première Guerre mondiale ont principalement lieu en Europe, sur deux fronts : en France et en Belgique pour le front de l’ouest ; en Russie pour le front de l’est.D’autres combats ont lieu également dans le reste du monde : en Italie, dans les Balkans, en Asie, dans les colonies allemandes d’Afrique et d’Extrême-Orient, et sur la plupart des mers.

QUE SE PASSE-T-IL EN FRANCE ?À l’automne 1914, les Allemands envahissent le nord de la France en passant par la Belgique. Leur avancée est fulgurante et les Français vont jusqu’à réquisitionner tous les véhicules disponibles pour amener les soldats au front. Grâce aux fameux taxis de la Marne, les Allemands sont arrêtés in extremis, à environ 40 km de Paris.

Après cette « guerre de mouvement », le front se stabilise : les lignes établies à la fin de l’année restent pratiquement inchangées en 1915. Chaque armée creuse des tranchées pour se protéger de son adversaire : la guerre devient une « guerre de position ». Entre 1915 et 1917, les armées tentent des percées sur ce front afin d’affaiblir l’adversaire ; les combats sont meurtriers, mais

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aucun des deux camps n’obtient de victoire suffisante pour pouvoir avancer. Les principales offensives sont :– la bataille de l’Artois en 1915 ;– la bataille de Verdun en 1916. Elle fait 360 000 morts côté français et 330 000 côté allemand. C’est durant cette bataille que s’illustre le général français Philippe Pétain – la bataille de la Somme en 1916 ;– l’attaque suicidaire du Chemin des Dames en avril 1917.La guerre de mouvement reprend en 1918. Elle voit la victoire des Alliés en Champagne, en juillet 1918.

QUELLES SONT LES NOUVEAUTÉS DE CETTE GUERRE ?Les tranchéesLes tranchées apparaissent en 1915 : ce sont des fosses creusées par les soldats pour se protéger et défendre leurs positions. Entrecoupées de barbelés et de champs de mines (zone appelée le no man’s land), elles ne sont parfois qu’à quelques dizaines de mètres des lignes ennemies.Si les périodes d’attente dans les tranchées constituent la plus grande partie de ce conflit, la guerre de 1914-1918 n’est pas seulement une guerre de tranchées. Les offensives, au cours desquelles les poilus quittent les tranchées, sont nombreuses (et meurtrières).Les nouvelles armesÀ la demande des états-majors, les industriels mettent au point des armements toujours plus meurtriers pour les aider à dominer l’ennemi. En 1914, l’arme de base des soldats alliés est la baïonnette ; elle ne sert pas à grand-chose face aux obus et aux mitrailleuses de l’armée allemande, mieux préparée à cette guerre. À partir de 1915, les Allemands emploient les gaz asphyxiants et les grenades, puis les mortiers qui permettent d’atteindre des cibles enterrées. Durant le conflit, la radio, les chars, les sous-marins et les avions font leur apparition.La Première Guerre mondiale a commencé comme un conflit traditionnel, dans lequel les hommes s’affrontent au corps à corps. Elle prend fin en guerre moderne.

COMMENT LA PREMIÈRE GUERRE MONDIALE PREND-ELLE FIN?En avril 1917, le président des États-Unis, Woodrow Wilson, déclare la guerre à l’Allemagne. La même année, les Alliés perdent le soutien de l’Empire russe de Nicolas II (il se retire à cause de la Révolution bolchevique d’octobre 1917 menée par Lénine).Lorsque les troupes américaines arrivent en Europe en juillet 1918, les Alliés parviennent enfin à contenir les attaques allemandes et même à progresser, soutenus par les chars blindés. Les pays soutenant l’Allemagne se retirent du conflit et l’Allemagne doit se rendre. L’armistice de Rethondes est signé le 11 novembre 1918, dans un wagon stationné à Rethondes (dans la forêt de Compiègne).Le traité de Versailles du 28 juin 1919 punit lourdement l’Allemagne : elle est occupée, elle doit verser une énorme indemnité et elle doit rendre l’Alsace et la Lorraine à la France.

QUEL EST LE BILAN HUMAIN DE LA GUERRE ?Entre 1914 et 1918, 65 millions d’hommes ont été mobilisés ; 8,5 millions d’entre eux sont morts, ainsi que 2 millions de civils.

En France, sur 8,4 millions de mobilisés, on compte 1,3 millions de morts et plus de 2 millions d’invalides. On considère que presque toutes les familles françaises ont été touchées par ce conflit.

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Un quart des Français âgés de 18 à 27 ans sont morts. C’est une catastrophe démographique. L’État doit prendre en charge les mutilés, les veuves et les orphelins.

POURQUOI DIT-ON QUE LA PREMIÈRE GUERRE MONDIALE A DONNÉ NAISSANCE AU XXE SIÈCLE ?Première guerre moderne et mondiale, la guerre de 1914-1918 a donné un nouveau visage au monde occidental :– à l’issue de la guerre, les traités signés modifient l’apparence de l’Europe : les grands empires disparaissent et sont remplacés par des États démocratiques ;– en 1920, une première organisation internationale est créée : la Société des Nations (l’ancêtre de l’ONU). Elle doit régler les conflits entre États et préparer le désarmement mondial ;– enfin, la reconstruction de l’Europe se fait grâce à de l’argent américain et selon le modèle économique des États-Unis. À la fin de la guerre, les États-Unis deviennent la première puissance mondiale.

La Seconde Guerre mondiale- est le deuxième conflit armé de l’histoire qui a impliqué des pays de tous les continents. Elle a débuté en septembre 1939 en Europe, et a pris fin le 8 mai 1945 (en Europe) et en août 1945 (en Asie).

L’EUROPE À LA VEILLE DE LA SECONDE GUERRE MONDIALEDans les années 1930, des dictatures se mettent en place dans plusieurs pays d’Europe. Ce sont des régimes autoritaires dans lesquels l’armée tient un rôle important : en Italie, Benito Mussolini prend le pouvoir en 1922 et installe un régime fasciste ; en Allemagne, Adolf Hitler prend le pouvoir en 1933 et crée un régime nazi sous le nom de IIIe Reich ; en Espagne, le nationaliste Francisco Franco triomphe en 1939.

POURQUOI LA GUERRE EST-ELLE DÉCLARÉE ?Adolf Hitler a développé une théorie raciste : selon lui, le peuple allemand appartient à une «race supérieure» (qu’il appelle la race aryenne) ; et cette supposée supériorité lui donnerait des droits sur les autres peuples. En se fondant sur cette théorie, le dirigeant allemand veut imposer sa domination sur le monde, et d’abord sur l’Europe.L’armée allemande envahit l’Autriche (mars 1938), la Tchécoslovaquie (mars 1939) et la Pologne (1er septembre 1939). En réponse à ces invasions abusives, la France et le Royaume-Uni déclarent la guerre à l’Allemagne, le 3 septembre 1939.

QUE SE PASSE-T-IL EN FRANCE DURANT LA SECONDE GUERRE MONDIALE ?

L’invasion allemandeLa France est envahie en juin 1940 par l’armée allemande. En moins de dix jours, l’armée française bat en retraite : c’est ce que l’on appelle la débâcle. Les populations du nord de la France prennent la fuite et se réfugient dans le sud : c’est l’exode. Les Allemands entrent dans Paris le 14 juin 1940.L’armisticeLe 17 juin, le gouvernement appelle le maréchal Pétain à l’aide. Celui-ci demande aux Allemands l’arrêt des combats : l’armistice est signé le 22 juin 1940. La France est coupée en deux par une

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ligne de démarcation : le Nord est occupé par les Allemands (la zone occupée), le Sud reste libre (la zone libre). L’Alsace et la Lorraine deviennent allemandes.La collaborationLe gouvernement du maréchal Pétain s’installe à Vichy. La France n’est plus une République et prend le nom d’État français. Le gouvernement de Vichy entreprend une politique de collaboration avec l’occupant allemand.La RésistanceLes Français qui refusent la défaite et l’occupation allemande se regroupent au sein de mouvements de Résistance. Certains résistants migrent à Londres où ils rejoignent le général de Gaulle : ils constituent les Forces françaises libres (ou FFL). D’autres restent en France, rejoignent le maquis et combattent l’ennemi de l’intérieur ; ils se fédèrent en Forces françaises de l’intérieur (ou FFI) autour de Jean Moulin.

COMMENT LA GUERRE DEVIENT-ELLE MONDIALE ?En juin 1940, l’Italie entre dans la guerre aux côtés des Allemands. En septembre 1940, le Japon les rejoint. En juin 1941, Adolf Hitler attaque l’Union Soviétique (la Russie d’aujourd’hui). En décembre 1941, les Japonais bombardent la base militaire américaine de Pearl Harbor, dans l’océan Pacifique : les Américains entrent en guerre.

Le monde est désormais divisé en deux :– d’un côté, il y a les puissances de l’Axe : l’Allemagne d’Adolf Hitler, l’Italie de Benito Mussolini et le Japon de l’empereur Hirohito ;– de l’autre côté, il y a les Alliés : le Royaume-Uni de Winston Churchill, la France libre du général de Gaulle, l’Union soviétique de Joseph Staline et les États-Unis de Franklin Roosevelt. Mais comme les puissances de l’Axe et les Alliés ont des colonies, la guerre touche tous les continents : des combats terrestres, aériens et maritimes ont lieu en Europe (dans les Balkans, au Royaume-Uni, en Union soviétique, dans l’océan Atlantique), en Afrique (en Afrique du Nord), en Asie (dans l’océan Pacifique) ; ils touchent autant les militaires que les populations civiles.

COMMENT LA GUERRE PREND-ELLE FIN ?En EuropeÀ l’aube du 6 juin 1944 (appelé le jour « J »), les Alliés débarquent en France, sur les côtes de Normandie. Ils avancent jusqu’à Paris, qui est libérée le 25 août par le général Leclerc, un militaire appartenant à la Résistance française.Durant encore presque un an, l’armée allemande cumule les défaites sur tous les fronts. Le 30 avril 1945, Adolf Hitler se suicide. Le 8 mai 1945, le gouvernement allemand se rend sans condition : c’est la fin du IIIe Reich en Allemagne et de la guerre en Europe.En AsieCependant, la guerre se poursuit en Asie. Le 6 août 1945, un bombardier américain lâche une bombe atomique sur la ville japonaise d’Hiroshima (c’est la première bombe atomique de l’histoire). Trois jours plus tard, une autre bombe atomique est lâchée sur la ville de Nagasaki. Ces bombardements causent la mort de plus de 100 000 civils japonais. Le 15 août 1945, le Japon annonce sa reddition. La capitulation du Japon est officielle le 2 septembre 1945. C’est la fin de la guerre du Pacifique, et donc de la Seconde Guerre mondiale.

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À QUOI RESSEMBLE LE MONDE EN 1945 ?La Seconde Guerre mondiale a été très meurtrière. Elle a causé la mort d’environ 50 millions de personnes dans le monde. Pour sa part, la France dénombre environ 550 000 morts, dont 350 000 civils.Avant même la fin de la guerre, les Alliés se rencontrent pour décider du sort des pays qu’ils sont en train de vaincre. Du 4 au 11 février 1945, l’Américain Franklin Roosevelt, le Britannique Winston Churchill et le Soviétique Joseph Staline se retrouvent à Yalta (en Crimée). Ils parviennent à un accord sur l’organisation de l’Allemagne, mais aussi de l’Europe et du reste du monde après le conflit.Cependant, après la Seconde Guerre mondiale, les anciens Alliés s’affrontent. Entre l’Union soviétique et les États-Unis débute un conflit d’un tout nouveau genre : la « guerre froide » (c'est-à-dire un affrontement sans batailles).

LA BELLE EPOQUE- les années entre 1880 et 1914 qui ont précédé la Première guerre mondiale sont aujourd’hui connues comme « la belle époque »- la belle époque n’était pas belle pour tous, mais la classe bourgeoise jouit d’un niveau de vie aisé - durant cette période la joie de vivre caractérisait la vie quotidienne- à ce moment-là, les français n’appelaient pas cette période « la belle époque », rétrospectivement les horreurs des deux guerres rendent cette période d’avant-guerre plus belle - l’économie française connaît un progrès remarquable, il existe la stabilité monétaire, l’inflation est pratiquement nulle- l’activité intellectuelle et artistique était bien accordée à cette euphorie générale : les artistes du monde entier attirés par la réputation de l’école française de peinture du XIXème siècle se rassemblent à Paris- l’histoire de l’art au XXème siècle est marquée par la naissance de l’art abstrait qui cesse de reproduire les êtres ou objets réels, l’art n’est plus représentation ou création au sens stricte de ce terme- en peinture : fauvisme (Matisse, Derain, Dufy), l’art naïf (Rousseau), l’expressionnisme (Rouault), cubisme (Picasso, Braque)- la belle époque est caractéristique par un style appelé l’art nouveau – le source de ce style est la nature : les artistes voulaient créer des œuvres pour le public, d’après eux l’art n’était valable que si c’était quelque chose dont tout le monde pouvait jouir et utiliser - pendant ces années-là beaucoup de lieux de distraction apparaissent à Paris ; un de ces endroits était Montmartre où se rencontraient les artistes, les intellectuels, les touristes et c’était dans ce quartier qu’on trouvait les premiers cafés-concerts, les cabarets et les music-halls - les deux cafés-concerts les plus connus étaient Le Chat Noir et Les Folies Bergères - l’industrie du cinéma a été fondée pendant la belle époque et jusqu’à la P.g.m. le film français avait le primat du monde (Louis Lumière, Georges Méliès) - des noms célèbres dans le domaine de la science ont marqué la belle époque : Pierre et Marie Curie, Henri Poincaré, Louis Pasteur- vers 1880 – la bicyclette, en 1881 apparaissent les premières automobiles à essence- à Paris, comme à Vienne, on cultive la joie de vivre, le raffinement et la beauté ; les deux capitales d’élégance sont reliées par le fameux Orient-Express

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- c’est une période du progrès dans toutes les sphères de la vie, la période où apparaissent de nombreuses innovations techniques- Paris devient la capitale d’Europe et de la belle époque par son tourisme, ses spectacles, l’art, la science, la culture, le sport et la mode

La Philosophie de la Belle Epoque

1) Positivisme- le terme positivisme désigne un ensemble de courants qui dérivent de la pensée d'Auguste Comte- le courant philosophique du positivisme commença à se structurer en France dans la première moitié du XIX e   siècle - la doctrine positiviste de Comte est liée à la confiance dans le progrès de l'humanité par les sciences et à la croyance dans les bienfaits de la rationalité scientifique.- la connaissance doit reposer, selon Comte, sur l'observation de la réalité mesurée d'une façon scientifique et non sur des connaissances a priori. Le positivisme constitue donc une systématisation du rationalisme accompagné d'une sorte de confiance absolue dans la science, fondée sur un déterminisme mécaniste2) Marxisme- le marxisme est le courant politique se réclamant des idées de Karl Marx- politiquement, le marxisme repose sur l’analyse de l’histoire et la participation au mouvement réel de la lutte des classes, pour l’abolition du capitalisme- le marxisme analyse en observant la situation matérielle, politique, économique et sociale, mais cette situation varie au cours du temps et selon l'endroit, et c'est pourquoi les marxistes varient leurs analyses en fonction du temps, du lieu, des circonstances, et aussi de leur sensibilité politique3) Freud- l’inventeur de la psychanalyse - Freud crée le terme de psychanalyse pour désigner tout son champ de pratiques thérapeutiques et d’études théoriques- il étudie les rapports entre souvenirs d’enfance, rêves et troubles névrotiques et il définit la notion de « l’inconscient »- l'hypothèse freudienne de l'inconscient instaure, de fait, la dimension d'une «psychologie des profondeurs», d'une «métapsychologie», autrement dit de la psychanalyse comme telle- une telle hypothèse permet de comprendre certains processus pathologiques irrationnels fréquents concernant l'existence du sujet- «Le Moi n'est plus maître dans sa propre maison» (Freud)4) Bergson - il réagit très tôt contre le positivisme, contre l’intellectualisme, contre la part dominante faite à la raison dans la vie mentale- il définit l’intuition par laquelle nous avons une experience immédiate et directe de la réalité, et l’énergie spirituelle, et oppose au temps abstrait le temps „psychologique“, la durée concrète, libre et créatrice, qui est selon lui le fondement et la nature intime de la conscience- les ouvrages capitaux qui marquent l’évolution de sa pensée sont „L’essai sur les données immédiates de la conscience“, „Matière et mémoire“ et „L’Evolution créatrice“- il a aussi, comme Freud, étudié le phénomène de rêve et il dit que nos rêves dépendent des mémoires supprimées, nos souvenirs donnent la forme aux rêves

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La Belle Epoque dans les oeuvres littéraires

- Alain Fournier „Le Grand Meaulnes » - l’inconscient, le rêve, l’influence de Bergson et Young- dans son œuvre il donne une image idyllique de la province française, des valeurs traditionnelles dans la société rurale- Proust « A la recherche du temps perdu » - la description de la vie mondaine, une image de la bourgeoisie et de l’aristocratie du début du XXème siècle- Gide « Les Faux monnayeurs » - l’image de la bourgeoisie parisienne d’avant-guerre- Apollinaire « Alcools » - le progrès technique, l’image de Paris- Colette « Chéri » - la vie mondaine, la joie de vivre ; « Vagabonde » - Renée est une danseuse dans le music-hall (c’est aussi une partie autobiographique de Colette)- Duhamel « Les Pasquier » - la monté à l’échelle sociale- Martin du Gard « Les Thibault » - l’image de la bourgeoisie du début du siècle LE PROGRES TECHNIQUE

- le XXème siècle est marqué par un progrès technique qui va changer tous les aspects de la vie- la fin du XIXème siècle et le début du XXème sont la deuxième révolution industrielle- dans le domaine de physique – Einstein édifie la théorie de la relativité, Pierre et Marie Curie découvrent en 1895 la radioactivité- l’électronique, les télécommunications pénètrent dans la vie quotidienne - la chimie étend son domaine et crée de nouvelles matières comme l’essence synthétique, les colorants, les tissus artificiels - les techniques sont étroitement liées à l’activité industrielle et commerciale - le développement d’automobile et la naissance d’aviation- le moteur à gaz inventé par le belge Etienne Lenoir est remplacé par le moteur à essence, inventé par l’allemand Otto - l’aviation naît à la même époque – l’adaptation d’un moteur plus léger permet aux frères Wright de voler plus loin- on crée l’hélicoptère, l’hydravion, le ballon dirigeable- on établie des liaisons aériennes avec l’Amérique du Sud- l’avion de transport supersonique franco-britannique Concorde- l’exposition d’électricité – machines, téléphones, tramways, ascenseurs - le métro, construit par l’ingénieur Bienvenue en 1900- l’invention de la radiotélégraphe et de la télévision, le cinéma- l’enrichissement de l’expérience humaine dû au développement des moyens techniques, la découverte d’immédiat dans les relations humaines (téléphone, radio, photographie), tout cela bouleverse la vision que désormais l’écrivain se fera de son univers et de la fonction de l’écriture- tout cela l’oblige à remettre en question ses sources d’inspiration et sa technique- Apollinaire – le poète moderne, les éléments modernes appartiennent au monde industriel, l’image de la ville dans « Zone », les voitures, les affiches, les prospects, les avions- Péguy – l’image de Paris industrialisé dans « La présentation de Paris à Notre dame »- Saint-Exupéry – l’aviation dans « Le Vol de nuit »- Malraux – les avions guerriers, les armes qui sont le produit du progrès technique- Colette – le voyage en train, voiture- Duhamel – le développement des chemins-de-fer dans « Le Notaire du Havre »

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- le train chez Mauriac (« Thérèse D. »), chez Gide (« Les Caves du Vatican »)- Duras – Citroën dans « Un barrage », phonographe, cinéma- Etcherelli – voiture, métro, l’usine où on fabrique des voitures- Robbe-Grillet – cinéma

L’AFFAIRE DREYFUS

- l’affaire Dreyfus provoque la crise politique de la 3ème république qui a profondément divisé l’opinion publique et entraîné une crise nationale- une affaire d’espionnage en 1894 devient « l’Affaire » en 1898 ; au-delà de son aspect judiciaire elle voit s’affirmer deux conceptions opposées de l’individu et de la société – elle révèle des profonds clivages idéologiques et politiques de la France d’avant 1914- en 1894, on découvre au service de renseignement français un bordereau anonyme contenant une liste de documents militaires confidentiels destinés à l’ambassade de l’Allemagne- après une enquête sommaire, le capitaine Dreyfus, juif d’origine alsacienne, est accusé de cette trahison car l’écriture de celui-ci était semblable à celle qui apparaît sur le bordereau- il proteste de son innocence, mais il est arrêté et inculpé d’espionnage en faveur de l’Allemagne le 15 octobre- il est condamné à la dégradation et à la déportation à vie sur l’île du Diable en Guyane - en mars 1896, on découvre le vrai coupable, le commandant Esterhazy, il est accusé et puis libéré à cause du manque de preuves - la découverte d’un faux document dans le dossier Dreyfus, rédigé par le colonel Henry, relance la crise- le gouvernement rouvre le dossier Dreyfus et le nouveau procès se déroule à Rennes en 1899 ; le jury confirme la culpabilité de Dreyfus et le condamne à dix ans de prison- dix jours après le verdict, le président de la république Emile Loubet gracie Dreyfus- ce n’est qu’en 1906 que l’innocence de Dreyfus est définitivement reconnue par le Cour de cassation- il est réhabilité, le jugement de Rennes annulé, et il sera réintégré dans l’armée nommé chef de bataillonLes Conséquences - le lendemain de l’acquittement d’Esterhazy, « L’Aurore » publie une lettre au président de la république Félix Faure, signée d’Emile Zola sous le titre « J’accuse »- avant cette lettre, il a réagit avec un article en « Figaro », « Pour les juifs » où découvre que Dreyfus est innocent, mais l’armée cache le vrai coupable pour éviter le scandale - après cette lettre qui a dénoncé le déni de justice commis par l’armée et ses complices, Zola est condamné pour diffamation à un an de prison, mais il s’exile à Londres- depuis la bombe lancée par Zola, Dreyfus devient un symbole ; l’affaire militaire et judiciaire a tourné à la polémique politique et idéologique- dès lors, deux camps vont s’affronter : l’un pour la révision du procès, l’autre pour l’empêcher - chacun a sa presse, ses porte-parole, ses associations, ses appuis politiques – ce sont deux systèmes de valeurs morales, sociales et politiques qui s’opposent1) Les Dreyfusards - le camp dreyfusard, majoritairement de gauche, souvent anticlérical et antimilitariste, comprend des socialistes (Jean Jaurès), des radicaux (Clemenceau) et des républicains

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- au nom de la vérité, de la justice et des droits de l’individu, les partisans de la révision du procès exigent que le jugement de 1894 soit cassé- ils s’appuient sur une conception de l’individu, de la justice et de la liberté héritée de 1789 – c’est dans cet esprit qu’ils fondent La Ligue de Droits de l’homme et du citoyen en 1898- parmi eux il y a beaucoup d’intellectuels comme les écrivains Anatole France, Gide, Proust, Péguy, Mauriac, Fournier, les artistes Gallé, Monet, les universitaires et les étudiants en lettres – pour la première fois les intellectuels interviennent collectivement dans le débat politique

2) Les Antidreyfusards - ils défendent l’ordre établi contre la critique individuelle, ils placent la raison d’état, l’unité de la nation, l’honneur de l’armée au-dessus de l’intérêt d’un individu- ils préfèrent une injustice au désordre social- du côté des antidreyfusards, on trouve les nationalistes, souvent antisémites, les monarchistes et les catholiques – c’est aussi la position du président de la république Félix Faure- en 1898, les hommes de lettres fondent La Ligue de la patrie française pour s’opposer aux intellectuels du camp adverse - les écrivains dans ce camp sont Maurice Barrès, Alphonse Daudet, Pierre Loti, Jules VerneLes écrivains- Péguy – il ne doute pas l’innocence du condamné, il s’engage passionnément dans la campagne révisionniste - il publie deux manifestes : « De la cité harmonieuse » et « Marcel, premier dialogue de la cité harmonieuse »- Zola – écrit son livre « La Vérité en marche » en 1901 où il parle de l’injustice, de la corruption et de la lutte pour la vérité ; il a initié beaucoup d’écrivains à s’engager- France – lui aussi pousse sa voix pour la révision du procès, dans son œuvre « M. Bergeret à Paris » l’affaire Dreyfus occupe la première place – le personnage du professeur affirme son aspiration à un ordre plus humain et des convictions socialistes qui sont celle de France- Barrès – prend parti contre Dreyfus, dans « La Cocarde » il publie les articles nationalistes et désormais il sera un écrivain engagé dans la voie de nationalisme- Bourget – défend les thèses nationalistes et conservatrices- l’affaire aura des conséquences sur la conscience des écrivains et des Français- les écrivains se tournent vers le relativisme, donc après 50 ans de positivisme qui affirmait que les solutions peuvent se trouver grâce à l’intellect, c’est le retour vers le subjectif La politique- en mettant fin au gouvernement des centres, l’affaire rétablit l’opposition entre deux blocs- la gauche a montré qu’elle est plus unie, décidée et mieux organisée que la droite- la réputation de l’armée perdue - l’affaire a montré la corruption du pouvoir judiciaire- elle entraîne un reclassement des forces politiques et la formation d’un bloc des gauches décidés à appliquer un programme anticlérical qui aboutit à la séparation de l’église et de l’état en 1905- en 1901 ils font voter contre les congrégations religieuses la Loi sur les associations

LE VOYAGE

- au XXème siècle, les voyages sont plus accessibles à cause du progrès technique et on voyage par train, les bateaux, les automobiles et avions – tout cela rend les voyages plus rapides

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- beaucoup d’écrivains ont trouvé leur inspiration pendant les voyages- on peut en général parler de deux types de voyage – les voyages dans l’espace et les voyages symboliques (dans le rêve)

1) Claudel- il avait la double carrière de l’écrivain et du diplomate- il part pour Amérique en 1893 – ce premier séjour est encadré par deux tentatives dramatiques – « La jeune fille Violaine » et « L’échange » - il séjourne constamment en Extrême Orient – c’est la période où il écrit quelques livres majeurs  : « Connaissance de l’est » et « Partage de midi »- « Partage de midi » 1906 – cette œuvre est inspirée par le voyage en Chine en bateau où il a rencontré une Polonaise et tombé amoureux d’elle

2) Gide- en essayant de réconcilier son âme et son corps, sa nature et sa morale, il commence à voyager en 1893- en 1893 il part pour Afrique du Nord pour se soigner de tuberculose- en Tunisie, il devient conscient de son homosexualité - il séjourne en Algérie en 1895 où il rencontre Oscar Wild - en 1914 il a publié « Les Caves du Vatican » - les personnages voyagent en train de France à Italie- en 1925 il part pour le Congo et Le Tchad – il en rapportera « Voyage au Congo » journal où il dénonce les exactions du système colonial - en 1936, invité par le gouvernement soviétique, il effectue un voyage en URSS ; puis il publie « Retour de l’URSS » où il exprime sa déception du communisme

3) Malraux- entre 1923 et 1927 il a vécu en Extrême Orient et a participé à des expéditions archéologiques, des mouvements révolutionnaires et des vrais combats- de cette période nous avons le cycle d’extrême orient : « Les Conquérants », « La condition humaine », « La Voie royale » - puis, il a lutté dans l’aviation aux côtés des républicains espagnols à partir de 1936 – d’où son roman « Espoir »

4) Saint-Exupéry - il était pilote, engagé sur la ligne entre Toulouse et Dakar, puis à Buenos Aires - ses œuvres représentent un documentaire lyrique - dans « Courrier du sud » la ligne Toulouse – Dakar, dans « Vol de nuit » - trois pilotes sont partis pour Buenos Aires mais seulement deux sont arrivés, Fabien est perdu dans la nuit- le voyage est représenté comme un métier, comme un devoir

5) Du Gard- dans « Les Thibault » Jacques et Daniel voyagent à Marseille – il s’agit de la recherche de l’indépendance, de la révolte conte les préjugés, contre les contraints imposés par la société

6) Mauriac

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- Thérèse D. quitte les Landes et part à Paris – ce voyage symbolise la délibération de la vie passée et la vie nouvelle

7) Alain Fournier- le voyage a la valeur symbolique- Meaulnes voyage vers le domaine mystérieux qui symbolise le bonheur et le paradis perdu- voyage symbolise une recherche éternelle

8) Michaux- le thème de voyage est un de centraux- il voyageait beaucoup en Asie et Afrique, mais il voyageait en imagination aussi – les voyages provoqués par les drogues- « Au pays de la magie », poème « Emportez-moi »

9) Cendrars- il donne le journal de ses voyages en exposant les images comme sur le film- « Les Pâques à New York », « Prose de transsibérien »

LES INFLUENCES MUTUELLES DES ARTS

- jamais les rapports d’influence réciproque entre la littérature et les arts n’avaient pas été si complexes et si riches comme au XXème siècle- le XXème siècle est le siècle de la synthèse des arts et de la découverte du pouvoir de l’art- les artistes sont rassemblés dans les cafés, revues, ateliers, l’art n’est pas une discipline académique et conformiste mais une expérience vivante- ce qui caractérise tous les arts c’est la remise en question de toutes les valeurs et la quête des essences (poésie pure, roman pur, peinture pure)La peinture- une grande influence de l’impressionnisme du XIXème siècle (Monet, Renoir, Degas, Manet) – Proust a rempli son œuvre de merveilleux paysages à la façon de Manet - Gauguin et Van Gogh ont beaucoup influencé l’art du XXème siècle- ils inaugurent deux tendances nouvelles : les nabis et le fauvisme- fauvisme – Matisse, Dufy, Derain- les couleurs très vives, c’est la réaction contre la formation académique de certains peintres- cubisme – Picasso, Braque, Duchamp, Delaunay - le mouvement artistique né en 1907 avec « Demoiselles d’Avignon » de Picasso, qui rompt avec la vision naturaliste traditionnelle- ils peignaient les objets décomposés en éléments géométriques- Picasso subit l’influence de l’art africain, il invente le collage- le cubisme est soutenu par un groupe de poètes – Apollinaire, André Salmon, Max Jacob- Apollinaire, ami des cubistes leur a consacré son essai «  Les Peintres cubistes, méditation esthétique »- la poésie peut aussi être cubiste – dans les « Calligrammes » on trouve des idéogrammes lyriques- Max Jacob – s’inspire du cubisme (recueil « Le Cornet à dés »), il est admiré des surréalistes- Pierre Reverdy – dans « Poèmes en prose », il place l’image cubiste au centre de sa poétique

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- Apollinaire a aussi soutenu le futurisme de Marinetti (l’essai « L’Antitradition futuriste ») et a défendu la peinture métaphysique de Dechirico - en même temps, certains peintres ont illustré ses œuvres : « L’Enchanteur pourrissant » est illustré par Derain de gravures sur bois, les courts poèmes de « Bestiaires » par DufySurréalisme- il était à l’origine un projet essentiellement littéraire mais était rapidement adopté aux arts visuels (la peinture, la sculpture, la photographie, le cinéma)- ils affirment la prééminence du rêve et de l’inconscient dans la création- les surréalistes : Picabia, Chagall, Dali, Miro, Ernst- l’importance du hasard, de l’hallucination, de la folie- dimension poétique à la peinture - Blaise Cendrars fréquente à Paris Apollinaire et peintres de l’école de Paris – Sonia Delaunay a illustré son poème tableau « Prose du Transsibérien »La Musique- Ravel devient le représentant le plus typique du génie musical français- en 1925 il crée une fantaisie sur un livret de Colette – « L’enfant et les sortilèges » - à sa génération appartiennent Dukas, Roussel, Satie – le groupe de six- ils composent collectivement la musique pour le ballet de Cocteau « Les mariés de la Tour Eiffel »- Milhaud – l’auteur de « Bolivard », une opéra sur un livret de Supervielle - Honegger – l’auteur de « Jeanne au bûcher », texte de Claudel- Poulenc a composé des mélodies sur des poèmes d’Apollinaire, Cocteau, Jacob, Eluard, AragonCinéma- cinéma devient bientôt un art autonome – le septième art- au début, c’était le cinéma muet, mais grâce au progrès technique on invente le cinéma sonore- beaucoup de films sont des adaptations des romans, des pièces de théâtre ou des ouvrages historiques- inversement, la technique et l’art cinématographiques influencent les romanciers contemporains – Malraux, le nouveau roman…- les adaptations : « L’Espoir », « L’Etranger », « Elise ou la vraie vie », « Thérèse Desqueyroux »- Marguerite Duras « Hiroshima mon amour » (le scénario)

La musique dans les œuvres littéraires1) Romain Rolland « Jean Christophe »- il a fait une vaste étude en 4 volumes sur Beethoven - « Jean Christophe » est un roman musical, une sorte de symphonie héroïque- il décrit la vie d’un grand musicien allemand - c’est « Beethoven dans le monde d’aujourd’hui », l’œuvre est un monument à la « divine musique »- il a dit : « La musique a été mon premier amour, elle sera probablement le dernier. Ma vraie langue est la musique »2) Proust « A la recherche de temps perdu »- toute œuvre est empreinte par la musique, par la sonate de Vinteuil - la musique devient liée aux souvenirs, à l’amour – cette sonate devient le symbole de l’amour de Swann pour Odette et chaque fois qu’il l’entend, elle ravive le temps d’amour passé et il pense à Odette- avec cette sonate commence et finit son amour pour Odette

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- la musique est le véhicule grâce auquel la profondeur peut être atteinte et elle donne le sens à la vie, elle enrichit la vie et nous mène dans un univers différent du nôtre 3) Gide « Symphonie pastorale »- il s’agit de la symphonie numéro 6 de Beethoven (opus 68) dite « pastorale » parce qu’elle évoque un spectacle champêtre - Gertrude l’entend pour la première fois pendant un concert de Neuchâtel4) Alain Fournier « Le Grand Meaulnes »- Meaulnes a vu Yvonne de Galais pour la première fois pendant qu’elle jouait du piano - il ne voit que son dos, lorsqu’il voit cette inconnue dans le domaine mystérieux, il imagine qu’il est dans sa propre maison, marié, un beau soir, et que cette fille est sa femme5) Sartre « La Nausée »- Antoine Roquentin écoute, dans un café, une chanson de jazz, « Some of these days » et cette chanson soulage sa nausée, il se sent mieux pendant qu’il l’écoute6) Duras « Un barrage contre le Pacifique » - Joseph et Suzanne écoutent le phonographe, ils écoutent toujours le même disque et la même chanson

LES ECRIVAINS GUERRIERS

La Première Guerre Mondiale 1) Péguy – lieutenant, il est mort au début de la bataille de Marne, frappé d’une balle au front2) Apollinaire - en 1914, peu après de la déclaration de guerre, il s’engage et il est envoyé au front sur sa demande, où il est blessé 3) Breton – il était étudiant de médecine, il est mobilisé dans le service de santé4) Alain Fournier – à l’infanterie, il est mort en 1914, tué au cours d’une attaque, son corps est retrouvé dans une fosse commune où les Allemands l’avaient enterré 5) Montherlant – il était un simple soldat de l’infanterie, blessé grièvement en 19186) Green – engagé volontairement 7) Duhamel – engagé comme chirurgien militaire8) Giraudoux – mobilisé comme sergent en 1914, après deux blessures, il est chargé de missions au Portugal et aux Etats-Unis 9) Bernanos – il s’engage et fait toute la guerre de tranchées

La Deuxième Guerre Mondiale1) Malraux – il a commandé la célèbre brigade « Alsace-Lorraine » pendant la libération2) Saint-Exupéry – pilote, combattant de 1939-1940, exilé aux Etats-Unis, il revient aux armes en 1943 et disparaît au cours d’une mission aérienne3) Mauriac – journaliste de guerre, il écrit « Le cahier noir » une sorte de journal, il se met au côté de De Gaule 4) Camus – un rôle actif dans la Résistance, il fonde le journal « Combat », dans son roman « La Peste » il écrit de la lutte de l’humanité contre le mal5) Sartre – il est engagé politiquement, il participe à la Résistance6) Claude Simon – prisonnier en 1940, déporté en Allemagne, il s’évade, retourne en France, entre dans la Résistance, cette expérience sera la matière de son œuvre7) Eluard – poète de Résistance, les œuvres « Poésie et vérité », « Au rendez-vous allemand »

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8) Aragon – dans la Résistance, « Le crève cœur », « Je te salue ma France », « La Diane française »9) Char – il était chef d’un « maquis » en Provence, son pays natal

La Première Guerre Mondiale comme inspiration- Apollinaire – 1918 « Calligrammes » - les thèmes du passage, du passé, mais il introduit aussi le thème de la guerre, non comme la souffrance mais comme solidarité, exaltation ; les poèmes de la guerre et de la paix- Jules Romains – « Les hommes de bonne volonté » - l’évocation de la guerre, de la bataille de Verdun- Du Gard – une partie des « Thibault » s’appelle « Eté 1914 » où il évoque la guerre ; « Les Souvenirs de colonel Maumort » roman qui reste inachevé - Duhamel – « Vie de martyrs » et « Civilisation » restent parmi les témoignages les plus bouleversants inspirés par la guerre- Montherlant – « Le Songe » et « Le Relève du matin » les œuvres inspirées par la guerre- Giraudoux – ses souvenirs de guerre lui inspirent trois œuvres : « Lectures pour une ombre », « Amica America » et « Adorable Clio »- Romain Rolland – dans « Au-dessus de la mêlée » il donne une série d’articles qui lui ont été reprochés comme une trahison- Barrès – « Les Diverses familles spirituelles de la France » - un livre de réconciliation nationale

ALAIN FOURNIER – LE ROMANCIER MODERNE, LE SYMBOLISTE, LE ROLE SYMBOLISTE DE SES HEROINES

- il écrit dans la période qu’on appelle La Belle époque, la période où, sous l’influence du progrès technique et des sciences, règne un positivisme matérialiste nourri du pouvoir d’argent- comme une réaction contre le positivisme, il se tourne vers le symbolisme et impressionnisme en cherchant le monde des sens, car il croit aux sens et à l’amour platonique - il a mis l’âme humaine au centre de son intérêt et il nous présente cette âme à travers le subconscient c’est-à-dire à travers le rêve- il rejette le réalisme, le positivisme, le scientisme, qui limitent l’imagination de l’homme- il n’a jamais tout à fait abandonné la réalité, mais après la découverte de la poésie symboliste, il s’appliquera à unir le particulier et l’idéal- il a été influencé par les symbolistes – Jammes, Laforgue, puis Rimbaud etc.- l’influence de Jammes est sensible dans l’effort de naïveté, celle de Laforgue dans l’idée d’une prose poétique et dans un immense besoin de la femme, mais de la femme pure et d’une innocence parfaite- sous l’influence de Bergson qui a étudié le phénomène du rêve, considérant que le rêve naît du contact entre un souvenir oublié et un sensation présent, Fournier se tourne vers le monde intérieur de l’homme et situe les personnages de son roman dans un monde à mi-chemin entre rêve et réalité- l’inspiration de Fournier se trouve dans la campagne de son enfance, dans ses rêves enfantins, dans son ravissement par la poésie symboliste et dans la rencontre avec sa femme idéale Yvonne de Quiévrecourt - il est moderne par son sentiment de l’angoisse existentielle, de la peur devant la vie- il rejette l’idée d’une destinée qui déterminerait son avenir et il cherche à le créer lui-même

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- par-là il devient très proche des existentialistes en cherchant le sens de l’existence dans la création artistique- l’histoire d’Augustin Meaulnes est une quête des magies d’un univers entrevu, retrouvé puis quitté – symbole d’un bonheur qui ne se retrouve pas- le roman va et vient entre le rêve et la réalité- il est plein des paysages symboliques et les personnages eux-mêmes sont des symboles participant dans l’aventure de l’auteur, qui est dans la recherche d’un absolu- les paysages impressionnistes : la pluie, la brume, la lumière pâle qui éclaire les paysages – tout cela donne l’impression d’un pays imaginaire - Fournier aimait l’ambiance de la forêt, du château, d’une atmosphère du mystère - Paris symbolise les déchéances, la perte d’identité, l’insécurité- les personnages masculins François, Frantz et Meaulnes représentent les trois parties de la personnalité de l’auteur :1) François, le narrateur, représente la réalité et reflète les idées éthiques de l’auteur2) Frantz est un héros romantique, qui représente le rêve de l’auteur ; il refuse la réalité et tend à rester enfant à jamais3) Meaulnes est un héros symbolique et il forme le lien entre réalité de François et rêves de Frantz, et en même temps il représente les désirs réalisés de François - il est tout ce que François voudrait être ; il est lié à son passé et à son rêve de la femme idéale

- les personnages féminins symbolisent deux types de femme :1) Yvonne de Galais – elle représente le rêve et l’idéal, qui n’est que l’amour absolu et qui a les caractéristiques de l’art symboliste - elle est blonde, avec des vêtements blancs et elle vit dans un château dans la nature- Meaulnes l’a vue pour la première fois pendant qu’elle jouait du piano, il ne voit que son dos- lorsqu’il voit cette inconnue dans le domaine mystérieux, il imagine qu’il est dans sa propre maison, marié, un beau soir, et que cette fille est sa femme- elle devient sa femme idéale, il suit cette inconnue- elle est presque comme une vierge- elle représente un rêve d’enfance perdu à jamais, elle est à la fois tout et rien, elle est mère et sœur, amante et amie- elle doit rester inaccessible et elle ne peut pas vieillir, et c’est pourquoi elle ne peut pas faire partie de sa vie réelle - Meaulnes la rencontre toujours dans la nature, dans un paysage impressionniste où les rayons de soleil se reflètent sur l’eau

2) Valentine - elle est noire, vêtue de noir et qui ne vit que pendant la nuit, elle représente la réalité, une réalité dont on ne se contente pas- elle vit dans une rue étroite et obscure, les rencontres avec elle toujours ont lieu dans la nuit, près de la Seine, à Paris, sur l’asphalte gris- elle a introduit Meaulnes au monde des adultes

- ainsi sont opposées, d’une manière symbolique, les deux femmes qui représentent l’une le rêve et l’idéal et l’autre la réalité

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- la fin du roman est aussi symbolique : le départ de Meaulnes pour des aventures nouvelles représente le choix de Fournier d’être écrivain, puisque l’écriture de chaque nouvelle œuvre est bien une aventure- on peut constater que ce roman parle des charmes de l’enfance, des problèmes de la croissance et de l’abandon des rêves enfantins, mais d’une manière originale, voire symbolique

Alain Fournier – adolescence et symbolisme

« Le Grand Meaulnes » , l’unique roman d’Alain Fournier, cache, sous la simplicité de la narration, tout un monde complexe rempli des rêves d’enfance de l’auteur. On peut dire qu’il s’agit d’un roman d’aventures, d’un roman d’adolescence, mais aussi d’un roman symboliste. En fait, le roman parle des charmes de l’enfance, des problèmes de la croissance et de l’abandon des rêves enfantins, mais d’une manière originale, voire symbolique.L’inspiration d’Alain Fournier se trouve dans la campagne de son enfance, dans ses rêves enfantins, dans son ravissement par la poésie symboliste, surtout par la poésie de Laforgue et de Jammes, et dans la rencontre de sa Femme idéale, Yvonne de Quiévrecourt, sur les marches du Grand Palais.Suvisno (La Correspondance qu’il entretint avec Jacques Rivière, son beau-frère permet de cerner ses goûts littéraires : les symbolistes, Maurice Maeterlinck, Jules Laforgue, Francis Jammes, Arthur Rimbaud, André Gide, etc. L'influence de Jammes est sensible dans l'effort de naïveté, celle de Laforgue dans l'idée d'une prose poétique. Comme Laforgue, en effet, il se sent un immense besoin de la Femme, mais de la Femme pure et d'une innocence parfaite.)L’influence du symbolisme chez Fournier se reflète dans son refus du réalisme et du positivisme, dans son retour à l’enfance et au passé, dans la recherche d’une femme idéale, ctd de l’Amour, et dans l’adoption d’une prose vraiment poétique.

Dans son roman, c’est le narrateur, François Seurel, qui raconte la recherche de cet enfance parfaite mais perdue de son ami Augustin Meaulnes. Son histoire est une quête des magies d'un univers entrevu, retrouvé, puis quitté — symbole d'un bonheur qui ne se retrouve pas. L'espace et le temps se troublent, le roman va et vient entre rêve et réalité, confirmant soudain le fantasme dans la mort, vérité enfin fixée qui est aussi le refuge ultime du merveilleux de l'enfance. Les images symboliques apparaissent dès la première page du roman, par la description de l’école où François habite avec ses parents. De même, roman s’achève par la maison de Frantz où Le Grand Meaulnes habite avec sa fille. Ces maisons, symboles du foyer et du bonheur familiale encadrent les aventures à travers lesquelles les personnages du roman passent dans la quête d’une vie de leurs rêves. Les personnages eux-mêmes sont des symboles participant dans l’aventure de l’auteur, qui est dans la recherche d’un absolu. Les personnages masculins, François, Meaulnes et Frantz de Galais représentent les 3 parties de la personnalité de l’auteur.

François, le narrateur, représente la réalité et le moment présent, et reflète les idées éthiques de l’auteur. Il traverse une phase qui mène à l’adolescence où l’attachement à la famille est remplacé par l’attachement à un chef, où il commence à refuser son entourage, à se rendre compte que ses parents ne sont pas idéaux. Alors il commence à créer son propre monde, sa propre famille, et c’est pourquoi il part à la recherche du monde des rêves et des aventures avec Meaulnes.Dès son installation dans la nouvelle maison, il erre autour du puits, il est calme et timide et comme s’il avait peur de découvrir la cour. Symboliquement, il n’est pas prêt à découvrir le lieu le plus

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intime de son âme. Ce n’est qu’à l’arrivée de Meaulnes que François commence à changer, ctd à mûrir.

Frantz et un héros romantique, tourné vers l’avenir puisqu’il fait des projets sans cesse, et qui représente le rêve de l’auteur. Il refuse la réalité et tend à rester enfant à jamais. Son monde est fait des fêtes et rempli des enfants. Il cherche des aventures, joue toujours, et il voit même son propre mariage comme un jeu. Il se déguise et danse au cirque. Dans son imagination, il a déjà vu Valentine mener une vie idéale avec lui dans leur maison, une vie remplie des jeux enfantins et entourée des enfants au lieu des adultes. Mais elle existe, elle appartient à la réalité, et elle s’enfuit. C’est le moment où il doit ouvrir les yeux devant la réalité, ce qui le mène à la tentation de se suicider. Puis il erre en cherchant sa fiancée, ctd il revient symboliquement dans son enfance où il peut mener une vie extraordinaire et aventureuse, ce qui est d’ailleurs son idéal.

Meaulnes, lui est un adolescent qui refuse les limites déterminés par les adultes, il pressent et désire un grand événement qui va changer sa vie. Il est un héros symbolique, et il forme le lien entre la réalité de François et le rêve de Frantz. Et en même temps il représente les désirs réalisés de François. Il est tout ce que François voudrait être. Il est lié à son passé et à son rêve de la Femme idéale. Sa recherche et ses aventures représentent une aventure et une recherche spirituelle et esthétique, durant laquelle le héros se transforme. Après son aventure dans le domaine mystérieux, il n’est plus le même. « Ce bond dans le paradis » l’a éloigné des autres. Il ne lui a resté que François. On peut reconnaître dans ce moment la découverte de la poésie symboliste par Fournier et son amitié avec Jacques Rivière.

Les détails dans le roman suggèrent les événements extraordinaires qui vont se passer : avant de son arrivée dans le domaine mystérieux, Meaulnes s’est endormi, et lorsqu’il s’est réveillé, il ne sait plus où il se trouve. Donc, le chemin qui mène vers le domaine mystérieux est secret, il se trouve quelque part entre la réalité et le rêve. Les événements qui suivent - son cheval est blessé, la nuit est tombée, il est blessé lui-même pendant qu’il a soigné le cheval – représentent les obstacles symboliques qu’il doit surmonter afin de prouver son courage et arriver jusqu’à la fille.

Lorsqu’il est arrivé dans le domaine mystérieux, il y trouve un monde où règnent les enfants en costumes anciens, qui vivent selon les lois de leur imagination. Ce monde est un monde à rebours : les enfants se comportent comme les adultes, et les adultes se disputent sans raison, comme les enfants. Dans le château il y a du sable, tandis que le parc et la cour sont parfaitement propres. Il entend une musique lointaine et il se souvient de sa mère qui joue du piano. Comme si ces souvenirs lui suggéraient la rencontre avec sa Femme idéale. Le réalité se mêle avec le rêve, le passé avec le présent, Meaulnes se trouve dans une réalité absolue, ctd dans une sur-réalité. Il rencontre une fille jouer du piano. Il ne voit que son dos, mais c’était un rêve pour lui, comme son rêve de jadis. Il a toujours rêvé d’une femme qui était assise au fond de son lit, et dont il n’a jamais vu le visage parce qu’il n’avait pas de force de sortir de son lit pour aller voir cette femme. Lorsqu’il voit cette inconnue dans le domaine mystérieux, il imagine qu'il est dans sa propre maison, marié, un beau soir, et que cette fille qui joue du piano est sa femme. Et elle devient sa Femme idéale. Il suit cette inconnue, ce qui est une des caractéristiques des adolescents. Pendant son retour du domaine, il s’endormit de nouveau et le lieu où se trouve ce monde merveilleux reste un paradis qu’il ne peut pas retrouver.

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La deuxième femme qu’il rencontre à Paris pendant qu’il cherche sa femme idéale, sera la cause de sa chute morale et de ses remords. Il se sent indigne d’Yvonne et le monde du domaine mystérieux devient symbole du bonheur passé.

Le mariage avec Yvonne ne sera pas le bonheur pour Meaulnes, parce qu’à ses yeux, le bonheur et le désir sont séparés. Elle n’est que L’Amour absolu, elle a les caractéristiques de l’art symboliste : elle est blonde, avec des vêtements blancs, et elle vit dans un château dans la nature, près de l’eau. Et c’est pourquoi elle ne peut pas faire partie de la vie réelle. Elle est symbole de la Femme pour Seurel aussi. Elle représente un rêve d’enfance perdu à jamais, elle est à la fois tout et rien, elle est mère et sœur, amante et amie, et mort. Elle doit rester inaccessible et elle ne peut pas vieillir, et c’est pourquoi elle doit mourir.

Et Valentine, la femme qui appartient à la réalité, est noire, toujours vêtue d’une robe noire, elle vit dans la ville, et elle a introduit Meaulnes dans le monde des adultes. Il rencontre Yvonne toujours dans la nature, dans un paysage impressionniste où les rayons du soleil se reflètent sur l’eau, tandis que ses rencontres avec Valentine ont lieu dans la nuit, près de la Seine, à Paris, sur l’asphalte gris. En plus, Valentine est toujours dans le noir : à part de ses vêtements, de ses yeux et ses cheveux noirs, elle habite dans un appartement sombre, dans une rue étroite et obscure et elle ne sort que le soir. Même son mariage avec Frantz devait se dérouler sous le clair de lune.

Ainsi sont opposées, d’une manière symbolique, les deux femmes, qui représentent l’une le rêve et l’idéal et l’autre la réalité.

La fin du roman est aussi symbolique : le départ de Meaulnes pour des aventures nouvelles représenterait le choix de Fournier d’être écrivain, puisque l’écriture de chaque nouvelle œuvre est une aventure nouvelle

Alain Fournier – romancier moderne

Alain Fournier écrit dans la période qu’on appelle La Belle époque, la période où, sous l’influence du progrès des sciences et de la technique, règne un positivisme matérialiste nourri du pouvoir de l’argent. A la fin du XIX siècle, les peintres et les écrivains ont en commun un refus du réalisme pur. Il ne veulent plus « décrire » et « montrer », mais suggérer des idées.Pour s’enfuir de ce monde matérialiste, quelques écrivains, comme Claudel et Jammes reviendront à la foi, tandis que les autres, dont Alain Fournier, ne feront que traverser une crise religieuse. Fournier n’a jamais tout à fait abandonné la réalité, mais après la découverte de la poésie symboliste, il s'appliquera à unir, par un phénomène de perception simultanée, le particulier et l'idéal, et aboutira à transposer comme automatiquement dans un monde quasi-surnaturel tout le spectacle abordé par son esprit. L’inspiration d’Alain Fournier se trouve dans la campagne de son enfance, dans ses rêves enfantins, dans son ravissement par la poésie symboliste, surtout par la poésie de Laforgue et de Jammes, et dans la rencontre de sa Femme idéale, Yvonne de Quiévrecourt, sur les marches du Grand Palais. La Correspondance qu’il entretint avec Jacques Rivière, son beau-frère, permet de cerner ses goûts littéraires : les symbolistes, Maurice Maeterlinck, Jules Laforgue, Francis Jammes, Arthur

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Rimbaud, André Gide, etc. L'influence de Jammes est sensible dans l'effort de naïveté, celle de Laforgue dans l'idée d'une prose poétique et dans un immense besoin de la Femme, mais de la Femme pure et d'une innocence parfaite. Sous l’influence de Bergson , qui a étudié le phénomène du rêve, considérant que ce sont nos souvenirs qui donnent la forme à nos rêves, et que le rêve naît du contact entre un souvenir oublié et un sensation présent, Fournier se tourne vers le monde intérieur de l’homme et situe les personnages du Grand Meaulnes dans un monde à mi-chemin entre rêve et réalité, un monde rempli des souvenirs et des rêveries. Alain Fournier est moderne aussi par son sentiment de l’angoisse existentielle, de la peur devant la vie. Il est conscient que la foi chrétienne n’apporte pas la sécurité, mais il ne peut pas renoncer au monde. Il rejette l’idée d’une destinée qui déterminerait son avenir, et il cherche à le créer lui-même. Par-là , il devient très proche des existentialistes, en cherchant le sens de l’existence dans la création artistique. D’ailleurs, c’est Sartre qui, dans son étude sur le Flaubert, souligne l’importance des souvenirs d’enfance, qui influencent la vie postérieure et dont l’artiste peut faire son idéal.

Ainsi, l'histoire d'Augustin Meaulnes est une quête des magies d'un univers entrevu, retrouvé, puis quitté — symbole d'un bonheur qui ne se retrouve pas. L'espace et le temps se troublent, le roman va et vient entre rêve et réalité, confirmant soudain le fantasme dans la mort, vérité enfin fixée qui est aussi le refuge ultime du merveilleux de l'enfance.

Le roman est plein des paysages symboliques, et les personnages eux-mêmes sont des symboles participant dans l’aventure de l’auteur, qui est dans la recherche d’un absolu. Les personnages masculins, François, Meaulnes et Frantz représentent les 3 parties de la personnalité de l’auteur. François, le narrateur, représente la réalité et reflète les idées éthiques de l’auteur. Frantz et un héros romantique, qui représente le rêve de l’auteur. Il refuse la réalité et tend à rester enfant à jamais. Meaulnes, lui est un héros symbolique et il forme le lien entre réalité de François et rêves de Frantz. Et en même temps il représente les désirs réalisés de François. Il est tout ce que François voudrait être. Il est lié à son passé et à son rêve de la Femme idéale. Sa recherche et ses aventures représentent une aventure et une recherche spirituelle et esthétique, durant laquelle le héros se transforme.

Les personnages féminins symbolisent deux sortes de femmes : Yvonne de Galais, qui représente le rêve et l’idéal, qui n’est que L’Amour absolu, et qui a les caractéristiques de l’art symboliste : elle est blonde, avec des vêtements blancs, et elle vit dans un château dans la nature, près de l’eau, et l’autre, Valentine, qui est noire, vêtue de noir et qui ne vit pas que pendant la nuit, représentant la réalité, une réalité dont on ne se contente pas.

« Le Grand Meaulnes » , l’unique roman d’Alain Fournier, cache, sous la simplicité de la narration, tout un monde complexe rempli des rêves d’enfance de l’auteur. En fait, le roman parle des charmes de l’enfance, des problèmes de la croissance et de l’abandon des rêves enfantins, mais d’une manière originale, voire symbolique. Pour l’auteur, il représente en même temps la quête d’une nouvelle esthétique et d’une vocation qui sera celle d’écrivain.

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APOLLINAIRE - né à Rome en 1880- en 1899 il arrive à Paris et bientôt il est engagé comme précepteur en Rhénanie, puis il tombe amoureux d’une jeune gouvernante, Annie Playden, en Allemagne - dès 1904, devenu ami de Picasso, Derain, il participe à tous les mouvements d’avant-garde, il élabore avec Picasso l’esthétique cubiste- il est l’auteur de nombreux écrits sur l’art (critiques, essais), il s’affirme comme un défenseur de l’avant-garde, notamment du cubisme- en 1911 il publie les courts poèmes de « Bestiaires » - en 1913 il fait paraître un essai théorique consacré à l’art contemporain « Les peintres cubistes, méditations esthétiques »- il va continuer d’écrire sur l’art ce qui l’amènera à soutenir le futurisme de Marinetti- en 1913 il publie « Alcools », le recueil qui devient le manifeste de la poésie moderne- en 1914, peu après de la déclaration de guerre, il s’engage et il est envoyé au front sur sa demande, où il est blessé - pendant sa convalescence paraît « Le poète assassiné », recueil de nouvelles et contes, à la fois mythiques et autobiographiques - dès sa guérison, il se remet à écrire ; en 1917 il fait mettre en scène « Les mamelles de Tirésias » et dans la préface de ce drame apparaît pour la première fois le terme « surréalisme »- en 1918 il publie « Calligrammes » sous-titré « poèmes de la paix et de la guerre »qui contiennent des pièces nées de la guerre ou de sa passion pour Louise de Coligny - on y trouve des premiers poèmes-conversations (« Lundi rue Christine ») et idéogrammes lyriques- il a hérité de la tradition romantique le goût d’une poésie intime, mais il a voulu rénover l’expression poétique- il a tenté d’appliquer à la poésie l’esthétique cubiste (dans « Zone » par exemple) grâce à une juxtaposition chaotique de motifs disparates - il a cherché la formule d’une esthétique nouvelle ; dans « La jolie rousse » il évoque la longue querelle de la tradition et de l’innovation- issu de la génération symboliste, il a défini les normes de la poésie moderne, son œuvre préfigure les grands bouleversements littéraires de l’entre deux guerres

«   Alcools   » - sous titre – poèmes 1898-1913- lorsqu’il a composé son recueil il ne s’attache pas à suivre l’ordre chronologique- il place « Zone », l’un de derniers poèmes, en tête du livre et il place également au début du livre « Le pont Mirabeau », écrit en 1911- le titre se réfère explicitement à Rimbaud et « Le bateau ivre » - la poésie est ivresse comme la vie doit être- il y a dans « Alcools » des poèmes d’inspiration symboliste, rhénane, un cycle d’Annie, puis un de Marie- il refuse l’ordre chronologique et thématique, supprime toute ponctuation - le rythme et la coupe des vers est la véritable ponctuation- la structure du recueil a pour origine un principe cubiste de composition – l’abandon d’une perspective unique pour une ordonnance fragmentée

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- on y trouve la juxtaposition au niveau de la langue et du vers, au niveau des images et au niveau de la structure- le recueil est composé à la manière d’une toile cubiste, écrit en vers libres rimés- la rime n’obéit plus à la règle de l’alternance entre rime masculine et féminine- on y trouve une union du trivial et du rare au niveau lexical (le vocabulaire insolite)- Apollinaire inaugure une perception nouvelle du monde et annonce le proche avènement du surréalisme- il est poète entre deux mondes – entre 19ème et 20ème siècle, entre l’ancien et nouveau, entre intimité et universalité, mythologie antique et modernité

Apollinaire – poète entre la modernité et la tradition

Parmi tous les poètes qui, au début du siècle, frayaient de nouveaux chemins à la poésie, Guillaume Apollinaire tient certainement la première place. Les Peintres cubistes (Braque, Picasso) l’ ont consideré comme écrivain d’ art, esthéticien de la peinture nouvelle, continuateur de la critique poétique en art. Son « manifeste », l’ antitradition futuriste a précisé sa position à la tête de toute nouveauté et lui a donné la réputation de chef du mouvement moderne en littérature. Ces poémes sont crées pendant L’Avant- Guerre, la période que l’ on appelle aussi La Belle Époque. C’était la période de l’ optimisme, de la curiosité et du désir intense.La poésie d’ Apollinaire contient des éléments traditionnels et modernes ; c’ est surtout visible dans le poème Zone dont la modernité est exprimée dans les images, dans la forme et dans la langue.

L’ année 1913 a été décisive pour lui. Il a publié Alcools, son premier recueil important dont Zone laisse l’ orientation nouvelle de sa poésie. Il y a une correspondence thématique entre le poème liminaire Zone et le poème terminal du recueil Vendémiaire. Tous les deux traitent du rapport de l’ individu et du monde, l’ un exprimant la lassitude du poète devant sa propre vie et ”ce monde ancien”:« A la fin tu es las de ce monde ancien » et l’ autre chante la soif du monde nouveau, le désir de consomner la vie :« Je suis ivre d’ avoir bu tout l’ univers » 

Il est remarquable que le poème Vendémiaire ressemble à un hymne de Paris, de la ville qui marquera Apollinaire pour la vie. Il est fasciné par sa beauté et par son charme artistique. Il y offre une image centralisée de Parcette, ville monumentale apparaît comme le maître de l’ univers.« Tu boiras à longs traits tout le sang de l’EuropeParce que tu es beau et que seul tu es nobleParce que c’est dans toi que Dieu peut devenir »La ville devient la source de l’ ivresse, mais une ivresse riche, généreuse. C’ est une soif universelle, élargissement progressif de la France à l’Europe et au monde.Dernier mot du recueil, le verbe « naître » nous fait penser que le poète a enfin triomphé des obstacles, grâce à alcool, qui n’est plus un refuge, mais la source d’ une ivresse, source de régénérescence.« Et les étoiles mouraient le jour naissait à peine. »Le poème a pour sujet une immense vendange miraculeuse : toutes les villes de France et d’Europe recueillent le sang des grappes de leurs vignes et se sacrifient en se transformant en vin pur, et viennent s’ offrir à Paris, capitale de la poésie, et au poète, «gosier de Paris ». « Ecoutez-moi je suis le gosier de Paris Et je boirai encore s’il me plaît l’univers»

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En effet, un des derniers vers de Vendémiaire peut être interprété comme une invitation du poète qui convie le lecteur à la modernité poétique :Ecoutez mes chants d’universelle ivrognerie. Vendémiaire est le poème capital, car il clôt le recueil. Sur le plan thématique Vendémiaire est un chant à la gloire de la création poétique.Zone a été publié en decembre 1912 dans les Soirées de Paris et peut- être sous l’ influence de Pâques à New York de Blaise Cendrars. Ce poème chante la ville moderne, l’activité industrielle, les avions, les autobus, les usines, les affiches, la vitesse et la machine; la tour Eiffel qui symbolise le sommet d’ architecture moderne. Guillaume Apollinaire est le premier qui introduit cette modernité nouvelle de la poésie.Il faut immédiatement remarquer que Zone est une synthèse d’Alcools. On peut parler de trois dimensions de ce poème: la dimension du temps, la dimension du lieu, et la dimension intérieure. La dimension du temps peut être encore divisée: la tradition face à la modérnité.La tradition ennuie Apollinaire, il fait le choix de tourner le dos aux formes du passé. Il veut s’orienter vers l’ avenir:« Tu en as assez de vivre dans l’ antiquité grecque et romaine» Il a aussi créé une tension entre le monde industriel et la nature :« Des troupeaux d’ autobus mugissant près de toi roulent »

Les mots troupeaux et mugissants transforment les autobus en animaux sauvages. Ce vers contient une allitération en [r] qui aide à créer cette atmoshère discordante. C’est un des effets sonores qu’ introduit Apollinaire dans le but de représenter la modernité ; le synonyme de discordant est déconcertant. Dans ce sens Apollinaire est proche des cubistes- il mélange la modernité avec la nature.

La religion est toujours présente dans la vie d’ Apollinaire, car il était très pieux jusqu’ à l’ adolescence. Elle apparaît comme moderne, le monde lui apparaît ancien, c’est une impression bizzare. Pour Apollinaire, la religion est immense, éternelle et au dessus du temps, mais dans ce monde moderne elle perd sa puissance :« La religion seule est restée toute neuve la religion seule Est restée simple comme les hangars de Port- Aviation »Apollinaire fait allusion au Pape Pie X, coservateur qui a interdit de danser le tango à cause des positions indécentes :« Seul en Europe tu n’es pas antique ô ChristianismeL’ Européen le plus moderne c’ est vous Pape Pie X »

Le Christ fait le lien entre le monde moderne et le monde ancien ; l’ image est inattendue, Apollinaire a transformé le Christ en aviateur :« C’ est le Christ qui monte au ciel mieux que les aviateurs Il détient le record du monde pour la hauteur »C’ est évident que Zone apparaît entre modernisme et tradition. L’ image de la tour Eiffel est le symbole même de la modernité. « Bergère ô tour Eiffel le troupeau des pont bêle ce matin »La Tour Eiffel est bergère qui se trouve près de berges de Paris. Cela nous fait penser au troupeau des ponts, le troupeau qui bêle comme les moutons et les voitures qui font du bruit.Pour mieux exprimer cette éternité il a fait la liaison entre les lieux et les époques. On peut expliquer cette apparence par deux termes : l’ ubiquité et la simultanéité. L’ ubiquité est représentée par l’ omniprésence spatiale du poète et la simultanéité par l’ omniprésence de temps. En effet, le poète est présent partout en même temps. Apollinaire est toujours présent dans le poème. Parfois, il parle à la première et parfois à la deuxième personne du singulier.

La ville est un élément très important de la poésie d’Apollinaire. Paris et la ville sont un nouveau thème poétique.

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Paris, avec ses rues était évidemment moderne et urbain et tout ce qui est urbain devient poétique. Mais, Apollinaire est très attiré par cette modernité et par la banalité de ce que l’on trouve dans les rues de Paris.« Tu lis les prospectus les catalogues les affiches qui chantent tout hautVoilà la poésie ce matin et pour la prose il y a les journaux »

L’ apparition des affiches dans la publicité était très importante pour l’esthétique moderne. Ensuite, on ajoute la ville de Paris où des hommes et femmes travaillent sous la sonnerie de la cloche :«  Les directeurs les ouvriers et les belles sténo- dactylographes Du lundi matin au samedi soir quatre fois par jour y passent Le matin par trois fois la sirène y gémit Une cloche rageuse y aboie vers midi »

C’ est ici la métaphore de la ville naturelle, on entend les ouvriers qui défilent dans la rue industrielle située à Paris entre la rue Aumont- Thiéville et l’ avenue des Ternes. Les couleurs de la ville sont en fonction des objets qu’ elles décrivent. Ce mélange des couleurs criardes, le rouge et l’or, est un mélange où les valeurs traditionnelles affrontent les idées modernes. L’image de la ville chez Apollinaire rappelle le cubisme de l’époque, on peut déduire que sa vision de la ville est très riche et universelle.

La vision du monde moderne est traduite par un langage qui semble nouveau et moderne, avec une liberté de ton et des images insolites. Mais l'ancienne poétique ne peut se saisir totalement du texte ; il reste en marge de la tradition ; il se situe dans une zone nouvelle, troublante, mais encore indécise. En effet le propre du poème était de se présenter, dans ses formes contraintes, comme un langage nécessaire.Après Zone, Apollinaire a mis le poème Le pont Mirabeau qui date de 1912, le rappel romantique d’ une souffrance personnelle et dans l’ image de l’ eau qui passe, le symbole d’ un évanouissement nécessaire. C’ est une oeuvre novatrice qui ressemble à une chanson avec le rythme et le refrain. Le poème se compose de quatre strophes suivies d'un même refrain. Chaque strophe est composée de trois décasyllabes, le deuxième vers (de quatre syllabes) et le troisième vers (de six syllabes) constituant ensemble un décasyllabe. Le refrain comprend deux vers de sept syllabes. Le poème emploie quatre rimes ; la première et la dernière strophe ont une rime identique. Ce poème est avant tout remarquable par son unité de forme et de fond. La suppression de toute ponctuation s'accorde parfaitement avec l'image centrale du poème, celle de l'eau qui coule, et avec un de ses thèmes principaux, la succession incessante des jours et des semaines. Les sonorités du poème servent à suggérer cette même continuité : les voyelles qui dominent la musique du poème, surtout le son ou qui y apparaît dix-huit fois dans des mots clefs (sous, coule, amours, souvienne, toujours, jours, courante), évoquent le cours fluide du temps et de l’eau.

Le poème n’a pas de conclusion définitive : le poète demeure et cette méditation lyrique, admirable par sa musique suggestive, par sa simplicité et par son analyse pénétrante, contrinue. C’ est un exemple d’ Apollinaire à la fois lyrique et instaurant une nouvelle écriture poétique.

Quant aux éléments du style, Apollinaire a adopté donc le vers libre et l'absence de ponctuation. En ce qui concerne la poncuation, il ne l’a pas supprimée parce qu’ elle lui a paru inutile. Une véritable ponctuation pour lui était le rythme même et la coupe des vers et il n’ est point besoin d’ une autre. La métrique irrégulière du poème et l’absence de rime donnent une sorte de nouvelle mélodie. Enfin, la juxtaposition est présente partout dans Alcools, il n’y a pas de rime, pas de strophes, pas de plan thématique suivi, vocabulaire très prosaïque...

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Tandis qu’ Alcools est plutôt le recueil d’un poète du passé et attaché au passé dans les Calligrammes Apollinaire devient « moderne ». La réalité chez Apollinaire est un point de départ et le métier qu’ il utilise pour sa propre réalisation. On sent aussi le tendance que la poésie cesse d’ être l’ imitation et qu’ elle commence à devenir une création. On y retrouve toute la diversité des thèmes qui font la richesse de la poésie d’Apollinaire, comme le mélange de sujets graves et banals, l’ironie et la nostalgie. Le Mercure de France publie Calligrammes, ses poèmes de la paix et de la guerre qu’ il date 1913- 1916, pour bien marquer la continuité avec Alcools. C’ est en effet de 1913 que date son premier projet de represénter plastiquement des poèmes, en idéogrammes lyriques. « Et moi je suis peintre «  tel devait être le titre d’ un recueil de cinq « idéogrammes lyriques coloriés».

Le plus célèbre, le calligramme « La Colombe poignardée et le jet d’ eau » exprime la mélancolie devant les amours défuntes et les amitiés dispersées. Apollinaire essaie de créer une écriture nouvelle en jouant avec l’ espace de la page. Parmi les six parties composant Calligrammes, certaines sont consacrées à des poèmes de guerre ou à des poèmes d’amour.On y trouve aussi le poème intitulé « la Jolie Rousse », dédié à sa femme Jacqueline. Ce poème pourrait constituer une espèce de bilan des années passées au front. Dans ce dernier poème du recueil Calligrammes, ilfaut remarquer que la femme annoncée n’ apparaît que dans les tout derniers vers :

« Qu’ elle prend afin que je l’ aime seulementElle vient et m’attire ainsi qu’unfer l’ aimant Elle a l’aspect charmant D’ une adorable rousse. »

On peut y voir, symboliquement, un retour à la femme pour homme qui sait être allé au bout de la longue initiation à la masculinité.Ce qui apparaît significatif, en tout cas, c'est que dans ce poème la femme aimée est désignée par "elle". La femme n'est plus interlocutrice, ni "tu" ni "nous", mais reléguée au contenu du message, alors que le poète, même s'il n'est plus au front, s'associe encore à ses anciens compagnons guerriers, comme on peut le constater dans ce vers : «  Pitié pour nous qui combattons toujours aux frontières »

«  La Jolie Rousse » est le testement poétique d’Apollinaire ; il combat, dit- il, « aux frontières de l’ illimité et de l’ avenir » :

« Nous voulons vous donner de vastes et d’ étranges domaines Où le mystère en fleurs s’ offre à qui veut le cueillir Il y a là des feux nouveaux des couleurs jamais vues Mille fantasmes impondérables Auxquels il faut donner de la realité »

Avec le poème « Lundi rue Christine », on rencontre un visage particulier de la poèsie d’ Apollinaire, celle qu’ il appelait « le poème- conversation ». C’ est un poème qui reproduit des

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fragments entendus par le poète dans un lieu public, en ce cas dans un café sur le bord d’ une table. Les locateurs se multiplient, de même que les niveaux d’ énonciation et les registres de langues. « Lundi rue Christine » n’ est pas un calligramme, mais les effets sont les mêmes. La difficulté de rendre compte, dans la linéarité de l’ écrit, de la simultanéité qui caractérise l’ oralité se réalise avec perfection. La lecture est deroutée et detournée de ses habitudes.Une allusion ironique aux reglès poétiques se glisse comme par hasard dans le poème « Ça a l’ air de rimer »

Apollinaire s’est affranchi des contraintes traditionnelles et il a crée sa propre musique originale. Le son joue en effet un grand rôle dans les poèmes. Ainsi, le poète utilise l’ allitération et l’ assonance, celles de l’ onomatopée :« Pin, pan, pin 

et dans un autre exemple : « Pan Pan PanPeruque PeruquePan Pan PanPeruque à canon»

De manière générale, les calligrammes ne sont rien de moins qu’une réécriture de l’ histoire poétique. On peut dire aussi que la démarhe poétique d’ Apollinaire est magistralement placée sous le signe de le liberté car il parvient à concilier modernité de son écriture et tradition d’un thème élégiaque ; Idéogrammes lyriques ou poèmes idéogrammatiques, ils n’ ont jamais suscité grand enthousiasme.Il faut dire que Guillamme Apollinaire est un poète qui a créé des poémes avec des dessins faits de mots pour nous faire sentir la poésie : le poème, dans sa forme lisible même, représentera ainsi la cravate, le canon, le jet d’ eau, dont il est question dans le poème. Apollinaire est désormais reconnu comme l’ un des plus grands poètes de son époque et il restera en tous cas l’ une des figures les plus complexes et les plus attachantes de littérature française. Comme le poète qui a apporté à la poésie de son pays d’ adoption un accent très neuf et à la fois traditionnel, il pense que la poèsie est autour de nous et que tous les moyens sont bons pour la capter. C’ est parce qu’ il a su regarder franchement l’ avenir sans refuser le passé qu’il est même, au début du XXe siècle, le poète par excellence.

Image de la ville dans la poesie d’Appollinaire Guillaume Apollinaire publie son recueil des poèmes, Alcools, en 1913. Ce recueil marquera cette époque en donnant un tour progressif à la poésie et à la vision de la vie quotidienne. Ces poèmes sont créés pendant la Belle Epoque, la période de l’optimisme dans la société. Pour mieux comprendre sa poésie, il faut bien connaître l’atmosphère qui régnait au début du siècle : A la Belle Epoque on assiste au développement économique, à la séparation de l’Etat et de l’Eglise, à l’affirmation de l’art nouveau. Le passéisme affronte la modernité : la Tour Eiffel est construite en même temps que l’église Sacré-Cœur à Monmartre. On assiste à l’apparition de la radio, du film, de l’électricité, du téléphone, de la voiture, de l’avion. Grâce à tout cela, le style de vie change radicalement : tout s’accélère et toutes choses obtiennent une forme différente. C’est le début du monde moderne.

Le premier à intégrer cette modernité dans la poésie, c’est Guillaume Apollinaire. On le considère le premier poète moderne parce qu’il sait réaliser l’unité du nouveau et du traditionnel aussi bien

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qu’appliquer le lyrique au réel. Tout simplement, il est un vrai grand poète qui ressent une énorme joie de vivre. « Je suis ivre d’avoir bu tout l’univers »

Il absorbe le monde nouveau et le recrée dans sa poésie. Par là il montrera la direction aux poètes comment incorporer les sténo-dactylographes, les tramways, l’industrie, etc. avec le lyrisme. « Tu lis les prospectus les catalogues les affiches qui chantent tout haut Voilà la poésie ce matin »Il est las du monde ancien : « Mondes qui vous ressemblez et qui nous ressemblez Je vous ai bu et ne fus pas désaltéré »et il croit pouvoir le renouveler à travers la poésie : « Je sais que seuls renouvellent le monde ceux qui sont fondés en poésie »

Dans les Alcools il crée son propre univers où il confond les lieux et les époques pour mieux sentir sa continuité, son immensité, son éternité. Chez Apollinaire, ce phénomène est expliqué par deux termes : l’ubiquité et la simultanéité. L’ubiquité représente l’omniprésence spatiale du protagoniste tandis que la simultanéité représente son omniprésence temporelle. C’est-à-dire, le protagoniste est présent partout à la même heure. Un poème peut embrasser le passé, le présent, l’avenir et une immense diversité des espaces géographiques. La plupart des poèmes du recueil sont situés dans la nature (par ex. Nuits rhénanes) et il n’y en a que deux qui évoquent l’image de la ville. Il s’agit du Zone, le poème liminaire, et du Vendémiaire, le dernier poème. En leur attribuant cette place dans le recueil, Apollinaire accorde à la ville une importance considérable.

Il parcours les villes des continents et des époques divers : Judée, Chanaan, Trèves, etc. Mais rarement ces villes sont évoquées pour leurs couleurs locales. A la limite ce sont les vers : « D’Afrique arrivent les ibis les flamants les marabouts » « Et d’Amérique vient le petit colibri   De Chine sont venus les pihis longs et souples »Le plus souvent ce sont de vifs souvenirs de ses voyages : « Te voici à Coblence à l’hôtel du Géant Te voici à Rome assis sous un néflier du Japon   Te voici à Amsterdam avec une jeune fille que tu trouves belle et qui est laide » « Je m’en souviens j’y ai passé trois jours et autant à Gouda » Au passage il mentionne les villes du Nord, de Sicile, puis Munich, Cologne, Prague, Londres, Lyon, Changaï. Même les souvenirs grotesques le prêtent à l‘inspiration, comme par ex. le cimetière de Munich où on exposait les morts dans les vitrines : « Pareilles à celles des boutiques de mode Les mannequins grimaçaient pour l’éternité » Quoique présentes très souvent, ces villes ne sont que de simples illustrations. Paris, voilà la ville qui marquera Apollinaire pour la vie. Il est fasciné par sa beauté et par son charme artistique. En plus, c’est le lieu où ses talents vont mûrir et où il optera définitivement pour la vocation de poète.

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Si l’on reconstitue l’image de la ville capitale d’après les vers éparpillés dans le recueil on se rend compte que c’est la Paris contemporaine d’Apollinaire qui lui a servi de base. Toute décomposée, l’image de la ville chez Apollinaire rappelle le cubisme de l’époque ; imprégnée de couleurs criardes, elle fait penser au fauvisme ; étant tout en mouvement et située dans un milieu industriel, son image évoque le futurisme. Sa vision de la ville est très riche et plus complexe qu’une simple description.Le ciel de sa ville imaginaire est lieu de rencontre du Christ, d’Icare, du premier aéroplane : « C’est le Christ qui monte au ciel mieux que les aviateurs Il détient le record du monde pour la hauteur »C’est un ciel pollué des usines tant adorées par les futuristes : «Nos cheminées à ciel ouvert engrossent les nuées »Tout est vivant, même les édifices et les objets : « Bergère ô tour Eiffel le troupeau des ponts bêle ce matin » « Une cloche rageuse y aboie vers midi » L’atmosphère est conviviale. Les aigles fraternisent avec les machines volantes, les rêves et les diables cohabitent, les saints et les laitiers se côtoient.Les pauvres émigrants de Saint-Lazare ont hâte de partir pour l’Amérique. Dans les rues industrielles, les ouvriers rencontrent ses directeurs et les prostituées. Le Montmartre bohémien avec ses cafés est le lieu préféré pour boire et s’amuser avec les amis : « Soirs de Paris ivres de gin » On y entend le bruit des nouveaux moyens de transport : tramways, voitures, avions. Toul le monde est pressé. On ressent même une angoisse dont on ne connaît pas la cause : « L’image qui te possède te fait survivre dans l’insomnie et dans l’angoisse »La religion chrétienne fait partie de la vie spirituelle, mais elle aussi sous une forme modifiée : « Seul en Europe tu n’es pas antique ô Christianisme L’Européen le plus moderne c’est vous Pape Pie X Et toi que les fenêtres observent la honte te retient D’entrer dans une église et de t’y confesser ce matin »Au fil du poème on reconnaît un éloignement de l’église plus retentissant : « Dormir parmi tes fétiches d’Océanie et de Guinée Ils sont des Christ d’une autre forme et d’une autre croyance Ce sont les Christ inférieurs des obscures espérances »

Quant au protagoniste, il est toujours présent dans le poème ou, du moins, le domine. Parfois il parle à la première et parfois à la deuxième personne du singulier.Il se réjouit de la grandeur de Paris et trouve beaucoup de plaisir à se balader dans le labyrinthe des rues : « J’erre à travers mon beau Paris Sans avoir cœur d’y mourir » En déambulant il réfléchit sur ce qu’il voit et pour lui toute chose est le point de départ pour la recherche de son identité : « Voici le paquebot de ma vie renouvelée Ses flammes sont immenses Il n’y a plus rien de commun entre moi

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Et ceux qui craignent les brûlures »Mais il observe aussi les gens qu’il rencontre au hasard et éprouve une compassion touchante pour eux : « Tu regardes les yeux pleins de larmes ces pauvres émigrants » « J’ai une pitié immense pour les coutures de son ventre »Quoiqu’il se sentît très à l’aise là-bas, il y avait deux souvenirs douloureux qui le troublaient sans cesse : « L’amour dont je souffre est une maladie honteuse »Et l’autre qu’il ne parvenait à oublier non plus : l’accusation d’avoir volé la Joconde : « Tu es à Paris chez le juge d’instruction Comme un criminel on te met en état d’arrestation »A la suite d’un tel désespoir, il dira : « J’ai vécu comme un fou et j’ai perdu mon temps » Pourtant, il n’a pas perdu son temps. Il cherchait inlassablement à améliorer ce monde à travers sa poésie en invitant les gens à la réflexion, à la création et surtout en donnant un essor à la poésie moderne et au cubisme. La ville pour Apollinaire veut dire une source inépuisable de l’inspiration et de la création.Vendémiaire ressemble à un hymne à Paris. Il y offre une image centralisée de Paris où cette ville monumentale apparaît comme le maître de l’univers : toutes les villes envoient leurs chansons à Paris et lui offrent généreusement leur vin. « Tu boiras à longs traits tout le sang de l’Europe Parce que tu es beau et que tu seul es noble Parce que c’est dans toi que Dieu peut devenir » Apollinaire est tellement ivre et assoiffé de la beauté et de la vie qu’il semble qu’il va engloutir l’univers même : « Ecoutez-moi je suis le gosier de Paris Et je boirai encore s’il me plaît l’univers Ecoutez mes chants d’universelle ivrognerie » Paris est le maître de l’univers, le poète est le maître de Paris ; par là il finit par être accaparé du lyrisme cosmique. Dans cet univers, qui est sa propre création, règnent les lois autonomes qui n’ont rien à faire avec les lois terrestres. N’ayant pas pleinement assouvi ses besoins avec Paris, il se lance vers l’espace extraterrestre : « Voie lactée ô sœur lumineuse   Des blancs ruisseaux de Chanaan Et des corps blancs des amoureuses  Nageurs morts suivrons-nous d’ahan Ton cours vers d’autres nébuleuses »APPOLINAIRE“Le pont Mirabeau

Analyse

Double symbolisme de ce pont qui se voulait d'avant-garde à l'époque :

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- endroit où Apollinaire passait souvent avec Marie Laurencin ; Apollinaire définit ce poème dans une lettre à Madeleine Pagès (1915) comme «la chanson triste de cette longue liaison brisée».- image de l'eau : symbolisme du temps qui passe et de l'opposition entre passage et permanence.

Primitivement, chaque strophe comprenait trois vers de décasyllabes en rimes féminines. Puis, suppression de la ponctuation ; les tercets se transforment en quatrains ; conservation de deux décasyllabes qui encadrent deux vers de 4 et 6 pieds.Arrêt spontané du lecteur à chaque deuxième vers des strophes, sur des mots porteurs de sentiments profonds : "et nos amours", "l'amour s'en va", "ni temps passé".

Importance de l'image du pont.

Symétrie entre le début et la fin du poème (reprise d'un même vers) : effet visuel et auditif du pont. Symbolisme de l'ensemble du poème qui suit le déroulement de l'image du pont.

Première strophe : Banalité du premier vers, mais dès le second, importance du souvenir et de l'idée d'amour, plutôt que des personnes qu'il représente. Voir la forme impersonnelle du troisième vers, assez vieillotte et qui symbolise donc d'autant mieux le passé.«et nos amours» n'est pas, grammaticalement, sur le même plan que «la Seine» ; il dépend plutôt du verbe «se souvenir» ; mais la suppression de la ponctuation rend la compréhension ambiguë : les amours semblent couler autant que l'eau !Valeur de l'imparfait duratif : le passé est envisagé de manière globale et durable : un amour houleux mais à l'issue heureuse : importance du terme «toujours» : l'avenir a contredit la pensée du poète, puisque cet amour a eu une fin.

Refrain : «vienne» : forme de subjonctif («que vienne») à valeur concessive («même si... vient») ; thème de l'opposition entre permanence et passage : le temps passe (champ lexical présent : heures, jours, nuits) ; permanence du poète, avec ses souvenirs et son poème.Rappel sous-jacent du scandale qu'a causé la construction de ce pont : certains voulaient sa destruction, mais il a résisté.Mélancolie du ton (tout passe), mais également consolation : les souvenirs font revivre le passé, ainsi que le poème.

Deuxième strophe :Thème du pont : le pont Mirabeau, le pont de nos bras ; thème de la permanence : le pont et les hommes restent, tandis que l'eau passe.Image du pont et idée de permanence renforcées par les enjambements : effet de continuité de la strophe dans son ensemble.Le cadre biographique est dépassé : alors que la liaison avec Marie est terminée, le poète emploie un présent de l'impératif : «restons».

Développement du thème de la permanence :- possession mutuelle et contemplation par le regard ;- éternité, non du temps, mais des hommes («éternels regards») ; l'eau et le temps sont ici pris l'un

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pour l'autre.Mais l'éternité de l'homme n'est qu'un chimère ; cette strophe ne s'inscrit pas dans le cadre biographique qui la contredit.

Deuxième refrain : sonorité presque gaie : l'homme a gagné contre le temps.

Troisième strophe :Premier emploi de «comme» : une comparaison ; deuxième emploi : une exclamation (combien) ; là encore, l'absence de ponctuation fait naître l'ambiguïté.Thème de l'eau lié encore à celui du passage, du temps qui passe. Monotonie auditive des trois premiers vers de cette strophe, mais rupture au quatrième : sonorités nouvelles et diérèse sur «violente». Vocabulaire religieux («espérance») : volonté de retrouver l'amour perdu, qui s'oppose à l'idée d'abandon.

Troisième refrain : contexte plus douloureux : vanité de l'espérance qui n'aboutit à rien de concret.

Quatrième strophe :Importance décisive du thème du temps, qui gouverne l'univers ; reprise exacte du thème du refrain : vers 1 de cette strophe : reprise du premier vers du refrain ; vers 2 et 3 : reprise de l'expression «les jours s'en vont» ; vers 4 : reprise de l'expression «je demeure».Une permanence vécue maintenant douloureusement : inutilité et vanité de cette permanence qui ne résout pas les problèmes personnels.

Quatrième refrain : une résignation qui marque la fin du poème.

Conclusion : Simplicité de ce poème dans le vocabulaire, la présentation (sous forme de chanson) et le thème central (vanité du souvenir). Symbolisme très récurrent : répétition de l'image du pont, de différentes manières ; fluidité de l'eau, évoquée d'autant mieux grâce à la suppression de la ponctuation. Importance enfin du thème de l'eau dans ce poème mais aussi dans l'ensemble du recueil : une eau qui évoque souvent la tristesse du temps qui passe et mène même à la mort par noyade, comme dans "La Lorelei" ou "La chanson du mal-aimé".L'effet (le sortilège de ce court poème tient pour une part à la quantité des vers, à leur disposition, ainsi qu'aux coupes et aux rimes ; ces dernières sont toutes féminines ; les masculines sont de fausses rimes.Les idées ou les impressions que nous rapporte “Le Pont Mirabeau” n'ont probablement duré chez celui qui les a eues que quelques secondes, le temps de quelques rides sur l'eau, guère plus.

LA POESIE DE L’INSPIRATION CHRETIENNE

1) Claudel

2) Péguy- dans un moment, l’écrivain de combat devient le poète mystique – il avait toujours montré beaucoup de sympathie pour l’idéal chrétien- il remanie « Jeanne d’Arc », un drame de sa jeunesse, qui devient « Le Mystère de la charité de Jeanne d’Arc » en 1910 ; elle ouvre la série de mystères

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- Jeanne d’Arc, l’héroïne de la foi et de la patrie ne cessera de l’inspirer- la forme adoptée – le verset – rappelle la Bible- en 1912, il passe du verset au vers régulier et il inaugure une nouvelle série d’œuvres poétiques – les tapisseries - il consacre aux thèmes de l’espérance et de la confiance au dieu «  Le Porche du mystère de la deuxième vertu » et « Le Mystère des Saints Innocents » - écrits en prose poétique- les tapisseries : de Sainte Geneviève et de Jeanne d’Arc, de Notre Dame, d’Eve- le dernier mystère Le propre de l’espérance reste inachevé car il meurt en 1914, au début de la bataille de Marne- il montre un idéalisme religieux – trop de catholiques fait de leur religion « la religion des riches » et Péguy voudrait qu’on revienne à l’esprit de l’église primitive

3) Jammes- le lyrisme chrétien- deux recueils – « De l’Angélus de l’aube à l’Angélus du soir » et « Le deuil des primevères » - fondent sa réputation de poète paysan, attentif aux aspects de la vie rustique- en 1906 il fait publiquement profession du catholicisme – recueil « Clairières dans le ciel »- l’inspiration religieuse et l’inspiration rustique se rejoignent dans « Géorgiques chrétiennes » en 1912 où la campagne apparaît comme un asile d’innocence et de vertu- ces dialogues entre le poète et la nature se déroulent en présence d’un dieu paternel, il s’adresse au créateur avec une familiarité hardie

SURREALISME

La naissance du surréalisme- la guerre de 1914 – 1918 a incité les philosophes, les poètes et les artistes à croire en absurdité de tout système humain, du monde, de l’existence même- les écrivains ont rejeté la réalité comme un cauchemar et se sont enfermés dans l’étude de leur moi le plus intime- ainsi est formé, en 1916 le mouvement dada à Zurich - un groupe de quelques jeunes gens audacieux qui dénonce violemment l’absurdité du monde et les mensonges de la société et ils proclament le mouvement révolutionnaire - le chef de ce mouvement était Tristan Tzara - comme dans tous les domaines de la pensée, cette explosion de révolte et de destruction, négation de toutes les valeurs, va tout bouleverser dans le domaine des arts- les dadaïstes organisent les soirées consacrées à de nouvelles formes de poésie et d’art, basées sur la recherche d’expressions brutes et primitives- ils inventent de nouvelles formes de langage utilisant les onomatopées et les suites incohérentes de phonèmes - ils introduisent le hasard dans la réalisation de leurs œuvres- sur les ruines de dada, qui est disparu à cause de son caractère destructif, s’est édifié le mouvement surréaliste- ils ont découvert Lautréamont qui était pour eux l’unique maître, autres précurseurs : Rimbaud, Marquis de Sade, Baudelaire, Apollinaire- le premier texte proprement surréaliste, « Les champs magnétiques », paraît en 1919 dans la revue « Littérature », fondée par Breton, Aragon et Soupault

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- le surréalisme n’est pas un mouvement exclusivement littéraire, il concerne toutes les formes d’expression (la peinture, le cinéma)- il est caractérisé par son opposition à toutes conventions sociales, logiques et morales- selon l’exemple de Freud, ils notaient les associations spontanées qui se formaient dans les rêves- ils écartent toute intention de faire œuvre littéraire, ils veulent maintenir leur esprit dans cet état de disponibilité absolue qui lui permettra d’accueillir les associations librement formées- les surréalistes : Breton, Paul Eluard, Louis Aragon, Philippe Soupault, René Char, Robert Desnos, Jacques Prévert

La poétique de surréalisme- ce mouvement a été défini et théorisé par André Breton, qui a, en 1924 publié «  Le Manifeste du surréalisme »- il affirme la prééminence du rêve et de l’inconscient dans la création- la définition que donne Breton de l’activité surréaliste : « Automatisme psychique pur par lequel on se propose d’examiner le fonctionnement réel de la pensée. Dictée de la pensée en absence de tout contrôle exercé par la raison, en dehors de toute préoccupation esthétique ou morale »- l’un des procédés les plus familiers aux surréalistes est l’écriture automatique – l’enregistrement incontrôlé des mots qui affleurent à la conscience - le surréalisme cherche à transcender la logique et la pensée ordinaire pour révéler des niveaux de signification plus profonds et des associations inconscientes- - ils refusent toutes les règles qu’on voudrait leur imposer- l’importance de l’exploration de la vie inconsciente – l’art devient le moyen de libérer le subconscient, seule vraie puissance de l’esprit- de là, l’importance primordiale qui a été donnée au hasard, au rêve, à l’hallucination, à la folie - le compte rendu des rêves est, avec l’écriture automatique, l’organe essentiel de l’expérimentation surréaliste- la valeur poétique et humaine du surréalisme c’est la pratique de l’art comme technique d’exploration de l’inconnu et les autres « ailleurs » - ainsi se trouve repris dans le surréalisme le thème nervalien et baudelairien du voyage - les thèmes essentiels :1) rêve – il ouvre la porte d’un monde merveilleux où tout devient possible car aucun contrôle de la raison ne s’y exerce2) le hasard – il est privilégié car il fait naître l’illumination poétique – la coïncidence devient aussi signifiante 3) la folie – elle est une forme supérieure de la connaissance et représente une source de la création poétique- en 1929 paraît le « Second manifeste du surréalisme », qui est plus polémique que le premier et il est marqué par un ralliement explicite au marxisme - le titre de la revue devient « Le surréalisme au service de la révolution » - alors se pose le problème d’une politique surréaliste et en particulier des rapports du surréalisme avec le communisme- ce problème amènera la désagrégation du groupe – Aragon et Eluard vont vers l’engagement et le communisme, Breton se consacre au maintien de l’intégrité surréaliste

BRETON André 

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Manifeste du surréalisme” (1924) : Ce fut, en même temps, l'acte de naissance du groupe et la définition de la méthode surréaliste selon Breton : - Vénération pour l'enfance où «tout concourait... à la possession efficace, et sans aléas, de soi-même» et qui approche le plus de «la vraie vie» ; pour la folie : «Les confidences des fous, je passerais ma vie à les provoquer. Ce sont gens d’une honnêteté scrupuleuse, et dont l’innocence n’a d’égale que la mienne».- Recours à l'automatisme psychique, la «voix surréaliste» s’attachant principalement à briser tous les dogmes qui entravent le renouveau de la pensée ; Breton entend débarrasser l'écriture de toute intention signifiante, afin de conquérir un espace inexploré, celui dont Freud a dessiné les coutours, avec sa théorie de l'inconscient, et Breton allègue les découvertes de Freud pour définir le nouveau concept :«SURRÉALISME : Automatisme psychique pur par lequel on se propose d’exprimer, soit verbalement, soit par écrit, soit de toute autre manière, le fonctionnement réel de la pensée. Dictée de la pensée, en l'absence de tout contrôle exercé par la raison, en dehors de toute préoccupation esthétique ou morale. Le surréalisme repose sur la croyance à la réalité supérieure de certaines formes d'associations négligées jusqu'à lui, à la toute-puissance du rêve, au jeu désintéressé de la pensée. Il tend à ruiner définitivement tous les autres mécanismes psychiques et à se substituer à eux dans la résolution des principaux problèmes de la vie.» ; l’écriture automatique doit permettre de faire parler ces forces de l'inconscient. tout en répondant à l'impératif majeur qui reste l’expression poétique. Le «parler somnambule» de Desnos illustre parfaitement cette théorie du «génie surréaliste».- Recours aux récits de rêves, l'unité du rêve et de la réalité permettant d’atteindre «une sorte de réalité absolue, de surréalité».- Recours aux collages : «Il est même permis d’appeler POÈME ce qu’on obtient par l’assemblage aussi gratuit que possible (observons, si vous voulez, la syntaxe) de titres et de fragments de titres découpés dans les journaux». Exemples : «Un éclat de rire de saphir dans l’île de Ceylan» - «Les plus belles pailles ont le teint fané sous les verrous».- Affirmation de la liberté totale de l'imagination qui «fait à elle seule les choses réelles» : «Chère imagination, ce que j'aime surtout en toi, c'est que tu ne pardonnes pas... Ce n'est pas la crainte de la folie qui nous forcera à laisser en berne le drapeau de l'imagination». - Affirmation de la primauté de l'inspiration.- Promotion de l’image dont Breton empruntait à Reverdy la notion : «On peut même dire que les images apparaissent, dans cette course vertigineuse, comme les seuls guidons de l'esprit... Il va, porté par ces images qui le ravissent, qui lui laissent à peine le temps de souffler sur le feu de ses doigts. C'est la plus belle des nuits, la nuit des éclairs : le jour, auprès d'elle, est la nuit.» - «La beauté de l'étincelle obtenue [dépend de] la différence de potentiel entre les deux conducteurs» - l'image sera «d'autant plus agissante que les réalités qu'elle met en présence sont plus éloignées».- Promotion de l’analogie et condamnation de «l'intraitable manie qui consiste à ramener l'inconnu au connu, au classable, berce les cerveaux»..- Refus du réalisme en art, que Breton rend responsable d'un appauvrissement du langage. - Refus des descriptions, ces «superpositions d’images de catalogue», à remplacer au besoin par des photographies.- Rejet catégorique du roman, exploitation de la fameuse confidence de Paul Valéry assurant «qu'en ce qui le concerne, il se refuserait toujours à écrire : "La marquise sortit à cinq heures"».- Opposition à toute «littérature».- Recours au merveilleux : «Tranchons-en : le merveilleux est toujours beau, il n’y a même que le

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merveilleux qui soit beau», et au fantastique : «Ce qu’il y a d’admirtable dans le fantastique, c’est qu’il n’y a plus de fantastique : il n’y a que le réel.». - Travail sur le message poétique... Loin de se dire issu de nulle part, comme on a parfois tendance à le penser, le surréalisme se cherche alors des précurseurs, des alliés, au premier rang desquels Lautréamont. Breton se défend par ailleurs d’avoir jamais rien inventé, si bien que «bon nombre de poètes pourraient passer pour surréalistes, à commencer par Dante et, dans ses meilleurs jours, Shakespeare». On rencontre déjà là une de ses idées-forces qui sera notamment reprise dans l'”Anthologie de l’humour noir” et “L’art magique” : le surréalisme a toujours existé, il traverse l’histoire de l’art et des idées, dont il est l’une des composantes essentielles. Breton évoquait le chemin parcouru jusque-là, nommait ses nouveaux compagnons.Essai.Commentaire : Dans ce témoignage capital sur l'état d'esprit originel du surréalisme, Breton déploya une rhétorique sans faille, développa une matière textuelle essentiellement ludique où apparut sa prédilection pour le renversement des clichés, les citations, la juxtaposition du sérieux et de l'absurde... Le manifeste représente non seulement un essai de réflexion, mais aussi un brillant exercice de style.

Cette parution a assis l’autorité de Breton. Mais, même s’il était un homme plus fragile qu'il n'y paraissait, tiraillé qu’il était par des contradictions et des doutes, il montra déjà quelques signes d'intransigeance à l'égard des impératifs catégoriques de sa morale. Dès le troisième numéro, il l prit la direction de l'organe du groupe, la revue “La révolution surréaliste” (1924 à 1929). Il publia :

Nadja” (1928) : Le narrateur (qui, de diverses manières, nous confirme bien qu'il s'appelle André Breton : «André? André?... Tu écriras un roman sur moi») ouvre son texte sur un long prologue né de sa question : «Qui suis-je?». Il se livre à la notation, à la fois volontairement objective et sans plan préconçu, quasi documentaire, des faits de sa vie quotidienne et de sa subjectivité. Profitant d’une parfaite disponbilité («Rien ne sert d'être vivant, s'il faut qu'on travaille»), il déambule au hasard dans Paris, lieu d'errance et de suprême disponibilité à l'insolite sous toutes ses formes : affiches publicitaires, statues commémoratives, stations de métro, fenêtres fermées sur leur mystère, seul ou en compagnie de ses amis, Aragon, Soupault ou Desnos, orientés qu’ils sont dans le labyrinthe de la capitale par les mots conducteurs «bois-charbons». Ils attendent «l'événement dont chacun est en droit d'attendre la révélation du sens de sa propre vie». Des photographies contribuent avec force à intégrer la banalité dans le fantastique. Il rapporte les sensations éprouvées devant certains lieux et objets dotés d'un magnétisme singulier, comme la statue d'Étienne Dolet, place Maubert, qui l'a «toujours tout ensemble attiré et [lui a] causé un insupportable malaise», devant une pièce de Grand-Guignol, ou un film vu, selon leur habitude, sans avoir consulté le programme.Au deuxième tiers du livre(«à la fin d’un de ces après-midi tout à fait désoeuvrés et très mornes, comme j’ai le secret d’en passer», 57), tel jour de 1926, quelque part dans Paris, il croise une inconnue dont la fragilité, le sourire imperceptible et le curieux maquillage inachevé retiennent son attention. Cette jeune femme énigmatique, «toujours inspirée et inspirante», habite Paris. Breton la voit tous les jours, et, lors de chaque rencontre, dans des cafés ou dans la rue, il l’observe et l’écoute avec un mélange de fascination et d'inquiétude qui crée la tension tragique de cette relation : «D'où vient que projetés ensemble, une fois pour toutes, si loin de la terre, dans les courts intervalles que nous laissait notre merveilleuse stupeur, nous ayons pu échanger quelques vues incroyablement

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concordantes par-dessus les décombres fumeux de la vieille pensée et de la sempiternelle vie?». Sa relation avec elle se présente parfois comme un journal, a l'apparence d'un procès-verbal. «Elle me dit son nom, celui qu'elle s'est choisi : "Nadja parce qu'en russe c'est le commencement du mot espérance, et parce que ce n'en est que le commencement». À cette question qu’il lui pose, «Qui êtes-vous?», elle répond : «Je suis l’âme errante» (69) - «Si vous vouliez, pour vous je ne serais rien, ou qu'une trace». Cette femme, fragile détentrice d'une vérité étrangère à celle de la rationalité, s'exprime par des phrases énigmatiques et par des dessins qu’elle lui livre comme autant de clés énigmatiques et qu’il reproduit sans guère les commenter, visions souvent effrayantes. Elle est capable de divination, «reconnaissant» un masque africain qu'elle n'a jamais vu. Mais Nadja, «génie de l'air» et prostituée occasionnelle, parfois lamentablement évaporée, est soumise à de telles difficultés matérielles (le narrateur lui vient en aide, comme il le peut), révèle des abîmes si sordides («Elle n'était pas fâchée de me narrer les péripéties les plus lamentables de sa vie») que, «savant du merveilleux» englué dans un discours théorique et rassurant, il ne peut «sauter le pas» : «Je n'ai pas été à la hauteur de ce qu'elle me proposait», confesse-t-il. D’ailleurs, elle s'enfonce dans la nuit, elle est internée, ocasion pour lui de manifester son mépris de la psychiatrie. Les dernières pages sont adressées à Suzanne Musard qui lui inspire un amour pur et simple et à laquelle il déclare : «Tu n'es pas une énigme pour moi». Mais il donne tout de même à son récit «la conclusion que je voulais lui donner avant de te connaître... : La beauté sera convulsive ou ne sera pas».Autobiographie de 150 pages.Commentaire : On voit d’abord Breton faire de Paris un vrai mythe moderne. La ville devient un lieu d'errance et de suprême disponibilité à l'insolite sous toutes ses formes. Rien n'exprime mieux la démarche surréaliste que cet investissement par l'imaginaire d'un lieu réel où la diversité des spectacles offerts au promeneur déconcerte sa raison et le plonge dans «le vent de l'éventuel». Mais tout est vrai comme le prouvent les photographies insérées, pour imposer au lecteur la simple réalité des personnes ou des lieux évoqués sans passer par l'intermédiaire de descriptions qui prétendraient inutilement concurrencer l'évidence du réel. Il s’agissait pour Breton d’affirmer la séparation nécessaire entre le texte et l’image, chacun conservant son potentiel propre.En ce qui concerne Nadja, tout est vrai aussi, et la consultation des papiers personnels de Breton permet aujourd'hui de mesurer la très faible part de son invention : authenticité d'abord de Nadja ; authenticité de ses lettres, de ses dessins, des mots que Breton nous fait entendre. Cette vérité, il prit soin de la signifier aussi par des photographies, voulant éviter qu'on puisse lire “Nadja” comme un roman, genre contre lequel il avait des préventions, comme contre la «littérature» en général, proclamant ici, avec joie, la mort de la «littérature psychologique à affabulation romanesque». Mais Nadja évolue avec l'assurance de l'initiée au milieu des énigmes dont Breton découvre qu’elles sont comme autant de figurations tangibles de ses propres fantasmes. Aussi est-elle aussi une initiatrice qui a tous les attributs d'une véritable médiatrice qui vient éclairer de sa présence la lanterne de l'homme perdu dans une forêt de signes. Elle lui paraît être la magicienne qui pourrait satisfaire l’appétit du merveilleux des surréalistes. Elle s’identifie d’ailleurs à Mélusine et, «pour se faire la tête de Mélusine», elle obtient de son coiffeur qu'il distribue «ses cheveux en cinq touffes bien distinctes, de manière à laisser une étoile au sommet du front. Ils devaient en outre être tournés pour finir en avant des oreilles en cornes de bélier, l'enroulement de ces cornes étant aussi un des motifs auxquels elle se rapportait le plus souvent.» (123). En effet, la femme-serpent ne cesse de la hanter et, devenue clairement «sirène», est présente sur trois dessins. Dans le commentaire qu’il fait de l'un d’eux, intitulé «Le salut du diable», Breton s'attarde de manière

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significative sur ces cornes : «Il y a a lieu d'insister sur la présence de deux cornes d'animal, vers le bord supérieur droit, présence que Nadja elle-même ne s'expliquait pas car elles se présentaient à elle toujours ainsi, et comme si ce à quoi elles se rattachaient était de nature à masquer obstinément le visage de la sirène.» La Femme a, pour Breton, cette fonction souveraine parce qu’elle a conservé des contacts étroits avec la nature qui lui permettent de reconnaître l'artifice des antinomies établies par l'ordre culturel masculin qui est fondé sur des catégories logiques. Il souhaitait qu'enfin on se décide à faire la plus large place à l'entendement féminin. La profonde étrangeté des valeurs masculines pour la femme se manifeste avec d'autant plus de netteté que l'héroïne est dotée de capacités médiumniques et finit dans l'aliénation mentale. Elle révèle, par sa folie féconde, l’activité fantastique de l’esprit, la valeur de l’amour et du beau que le narrateur se devait de connaître en tant que poète.Si elle recourt aux dessins, c’est que ce n'est pas par le langage verbal qu’elle peut remplir son rôle, car le langage est porteur des valeurs masculines qu'elle prétend subvertir. Et ces dessins, elle laisse le «témoin hagard» qu'est devant elle le narrateur les déchiffrer ou nous laisser y lire autant de «signes». Ces dessins gravitent d'abord autour de symboles «élémentaires» qu'ils essaient de syncrétiser tant bien que mal : on y remarque en effet la part ascendante et rédemptrice qu'y jouent le feu et l'air (les cheveux de Breton comme des flammes «aspirées par le vent d'en haut») et le rôle antithétique et pourtant conjugué qu'y tiennent l'eau et la terre. Avec elle, nous entrons dans une nouvelle phase de l'exploration du hasard objectif, l'une des plus importantes pour Breton qui a toujours montré son intérêt pour les manifestations de l'inconscient, voire de la folie, qui lui semblait une des manifestations les plus authentiques de l'Esprit (ce qui l'opposa gravement à Freud). Mais les aberrations de son comportement, si fascinants étaient-ils, ont fait naître en lui l'inquiétude qu’il manifestera aussi face à Antonin Artaud. Le chantre de l'art des fous inspectait les abîmes avec des filins de sécurité. Devant Nadja en tout cas, il tint à la fois du «témoin hagard» et du savant tenaillé par l'envie de savoir, mais jamais il ne pensa, malgré l'étrange fascination qu’elle exerçait tout au long du récit sur lui, à l’aider à abolir par l’amour la malédiction qui l'accablait.. C’est pour cette raison sans doute que, lors de la seconde édition de l'œuvre, en 1962, il effaça l'allusion à une nuit passée avec Nadja dans un hôtel de Saint-Germain, pour ne pas laisser entendre qu'ait pu se passer alors quelque chose comme de l'amour. Et les dernières pages sont consacrées à une autre femme qui le détourne de l'énigme. Pour la psychiatrie, elle était une folle menant hors de l'asile une vie de bohème délirante et qui y retourna. “Nadja” est une sorte de parabole éclairant la difficulté de marier le rêve et l’action, d’unir l'être humain et l'Esprit. Mais la signification profonde de cette aventure étrange ne peut se livrer, si ce n'est sous une forme interrogative ; d’où la suite de questions que suscite cette brève rencontre : «Se peut-il qu'ici cette poursuite éperdue prenne fin?... Qui étions-nous devant la réalité, cette réalité que je sais maintenant couchée aux pieds de Nadia, comme un chien fourbe?... Est-ce vous Nadja? Est-il vrai que l'au-delà, tout l'au-delà soit dans cette vie? Qui vive? Est-ce moi seul? Est-ce moi-même?»«La beauté sera CONVULSIVE ou ne sera pas» signifie que, loin de reposer «sur un travail de perfectionnement volontaire», elle résulterait d'une sécrétion naturelle et spontanée, immédiatement saisissante. Breton trouvait vain de «corriger, se corriger, polir, reprendre, trouver à redire et non puiser aveuglément dans le trésor sujectif pour la seule tentation de jeter de -ci de-là sur le sable une poignée d’algues écumeuses et d’émeraudes» (“Point du jour”), préconisait une écriture sans relecture.Le livre peut donc être lu aussi comme un récit d'apprentissage où Breton partait, en même temps qu’à la recherche de Nadja, à la recherche de lui-même. À sa question du début, «Qui suis-je?», il a

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pu répondre : «Tout ne reviendrait-il pas à savoir qui je hante?», ce qui suggère que Nadja surgit de son moi le plus profond comme un revenant issu d'un arrière-monde inconnu.L’écriture a le ton neutre, quasi documentaire, d’un journal, d’un procès-verbal pour tendre à prouver l’aspect «scientifique» auquel prétendait le surréalisme et parce qu’à l’époque contemporaine, devant l’inexplicable soudain et fugitif, on fuit le lyrisme, on préfère le silence, la peur reste muette. La construction en séquences discontinues permet au temps de l'écriture et à celui des faits de se télescopeer. Le livre reçut les éloges attendus de Crevel dans “Comœdia”, de Daumal dans “Les cahiers du Sud”. La critique fut parfois perplexe devant ce texte inclassable. Mais son succès dépassa le cercle des amis de Breton : pour Morand, c'est avec cette oeuvre que le surréalisme «donne enfin sa fleur et cette fleur, Nadja, est un roman» (“Nouvelles littéraires”, 10 déc. 1928).Le texte a été réédité en 1963 dans une version «entièrement revue par l'auteur», avec l'adjonction d'un “Avant-dire” et de notes de bas de page.

VALERY – SA POETIQUE

- la poésie pour Paul Valéry était, au sens vague la sensibilité, et au sens plus précis la fabrication des poèmes- le mot « fabrication » souligne déjà l’importance du travail qui s’oppose à l’inspiration à la manière romantique - poeta faber et poeta vatas – Valéry a réussi de concilier ces deux côtés- le poète, d’après lui, doit être lucide, en mesure de susciter les émotions et les idées vécues chez les lecteurs- pour produire cet effet on a besoin d’un langage capable de susciter cet état- ce langage Valéry nomme langage dans le langage- selon lui, il faut chasser tous les éléments de la prose – ainsi on obtient un langage épuré qui est capable d’exprimer la poésie pure- la poésie pure reflète un univers poétique où des objets et des êtres vivants ont une autre vie et d’autres liaisons que celles du monde pratique- dans l’univers poétique, la nature est soumise aux puissances du langage – c’est une réalité transformée- le poème doit être dépouillé du message puisque c’est une construction de l’esprit tout à fait autonome - il faut rejeter la poésie à thèse, bannir tout ce qui est utile- la poésie absolue est insaisissable, la perfection de l’expression est impossible à atteindre- un poème ne peut jamais être achevé, seulement abandonné, il n’y a pas une interprétation définitive du poème- l’acte d’écriture, d’après Valéry, a deux phases 1) la traduction des sentiments, des mouvements d’âme en une langue intelligible 2) travail minutieux sur la forme- si la forme est bien choisie, le sens vient avec – la structure d’une œuvre doit être préméditée- dans son poème « Le Cantique de colonnes » il nous montre que la belle forme résiste au temps- dans une lettre à un amie, il expose les règles de sa poétique :1) chaque mot a sa place dans une construction poétique et ne put pas être déplacé sans nuire au sens2) l’idéal d’une composition parfaite est la symphonie

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3) la moyen de l’atteindre est l’alexandrin 4) le méthode dont il se sert largement est l’intrasonorité – le même son répété plusieurs fois dans un vers- il y a une tension persistante entre les deux côtés de sa poésie – entre le côte sensuel et intellectuel, obscur et clair, précis et vague, le contenu et forme- on peut dire qu’il a bien exploré ces côtés – classique aussi que symbolique- son côté classique est représenté par l’exigence de la clarté dans le domaine de la forme et du langage ; son côté symbolique révèle l’importance de la musique et de la sonorité

La Poésie pour Paul Valéry était, au sens vague - la sensibilité et au sens plus précis- la fabrication des poémes. Le mot "fabrication" souligne déjà l'importance du travail qui s'oppose à l'inspiration à la manière romantique. Cela fait penser déjà sur la tradition des divinités grecques - Apolon et Dyonis, les symboles qui figurent depuis l'antiquité dans la poésie. D'un côté Apolon qui représente le travail minutieux - poeta faber et de l'autre Dyonis; inspiré par les Muses, poète qui est en proie à une ferveur créatrice - poeta vates.Paul Valéry a réussi de réconcilier ces deux côtés.

Le Poète, d'après lui, doit être lucide, en mesure de susciter les émotions et les idées vécues chez les lecteurs. Il devrait, non pas expliquer ses émotions au lecteur, mais le changer en un inspiré. Cette idée est déjà présente au XVIII siècle chez Diderot (Le paradoxe sur le comedien) qui disait "Il faut pas montrer les larmes, mais les faire couler ". Pour produire cet effet, on a besoin d'un langage capable de susciter cet état incantatoire (d'ou vient une des représentations de son receuil "Charmes" comme envoûtement et l'autre est "poéme" du latin "carmina"). Ce langage que Valéry nommelangage dans le langage, doit regagner toutes les ressources que l'utilisation dans la vie courante lui a hôtée: la sonorité, le rythme, les alliterations…Il faut aussi, chasser tous les éléments de la prose. Ainsi , on obtient un langage épuré qui est capable d'exprimer la poésie pure. Cette notion souvent contestée est loin d'avoir une connotation morale ou réligieuse. C'est une notion purement analytique. La pureté absolue est un idéal. Elle nous montre le chemin qu'il faut prendre, à quoi il faut dévouer ces forces intellectuelles. La poésie pure reflète un univers poétique ou "des objets et des êtres vivants ont une autre vie et ont d'autres libertés et d'autres liaisons que celles du monde pratique".Par cette définition il s'est fortement rapproché des surréalistes (même s'il avait une conception tout à fait différente au sujet de la création. Valéry opte pour la conscience dans la création poétique). Dans l'univers poétique la nature est soumise aux puissances du langage. L'univers poétique est une réalité transformée, liberée de la pesanteur du réel. Le Poème comme un produit qui vient de l'univers poétique doit être dépouillé du message puisque c'est une contruction de l'esprit tout à fait autonome. Il faut rejeter la poésie a thèse, bannir tout ce qui est utile dans la poésie parce que " c'est avec des mots qu'on fait des vers, pas avec des idées". La poésie cherche ses pouvoirs évocateurs, magiques, parfois même au dépens du sens.

Valéry compare souvent la poésie avec la danse. Elles se ressemblent par la force évocatrice qu'elles possèdent au moment de leur exécution. La sonorité et la signification en poésie et le mouvement et la musique dans la danse restent inséparables. C'est la raison pourquoi Valéry déclare que "L'exécution du poème est le poème" . Au moment de la lecture le poème est complet, mais il est jamais achevé.

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La vérité absolue, la poésie absolue sont insaisissables. La perfection de l'expression est impossible à atteindre. C'est pourquoi un poème ne peut jamais être achevé, mais seulement abandonné. Puisque il n' y a pas une vérité suprême, ou au moins on est incapable de la saisir; il n'y a pas une interprétation définitive du poème. Il se prête aux interprétations les plus diverses. Le désespoir que cette constatation provoque oblige Valéry d'abandonner la poésie pour une vingtaine d'années. Il se retire au "cloître d'intellect" pour regarder de près les mécanismes du fonctionnement de la pensée. Il s'oblige de "tuer la marionnette en soi", d'apaiser l'impulsion dévastatrice de créer, d'apprivoiser la pousée d'inspiration. Le but est de considérer " la création poétique comme un jeu dont le produit le plus important n'est pas l'œuvre mais l'aptitude intellectuelle". Valéry était conscient que les mouvements d'âme et de pensée, et tout ce chaos effervescent qu'il a trouvé dans son esprit, ne peut pas être exprimé par le chaos verbal. Le Poète doit être lucide, éveillé, afin de traduire ce chaos en une réalité intélligible. Et pour mieux l'expliquer il donne quelques précisions.

L'acte d'écriture d'après lui a deux phases: 1) la traduction des sentiments, des mouvements d'âme en une langue intelligible 2) travail minutieux sur la forme

En se posant les contraintes de la forme il fait naître une belle poésie qui est le résultat de la lutte entre le contenu et la forme. C'est une tradition très vivante dans la poésie française depuis longtemps - Baudelaire, Mallarmé, pour ne citer que les plus représentatifs. Valéry croit que le sens épouse une forme bien appropriée. Si la forme est bien choisie, le sens vient avec. Souvent, c'est le rythme qui donne l'impulsion créatrice (Le Cimetière marin). La structure d'une œuvre doit être préméditée, ce qui est l'influence evidente de "Philosophie de la composition" de E.A.Poe.

De cette admiration pour la forme vient son interêt pour l'architecture et la musique. Les deux possèdent leur propre logique et leurs lois et surtout une force créatrice grâce auxquelles ils sont en mesure de produire un univers tout à fait nouveau n'imitant pas la réalité. C'était aussi le cas avec son univers poétique. Il devrait y avoir des lois et de la logique bien reglées pour que cette construction de l'esprit ne s'écroule pas. Dans son poème "Le cantique des colonnes" il nous montre que la belle forme résiste au temps.

Dans une lettre a son ami Pierre Louys il expose les règles de sa poétique:

- Les mots sont les éléments pareils aux couleurs et aux mots - Chaque mot a sa place dans une construction poétique et ne peut pas être déplacé sans nuire au sens - Chaque mot évoque une musique, chaque rythme a sa signification - l'idéal d'une composition parfaite est la symphonie - le moyen de l'atteindre est l'alexandrin - la méthode dont il se sert largement est l'intrasonorité - le même son répété plusieurs fois dans un vers: "La flûte sur l'azur enseveli module"

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La beauté de la forme pure et claire et les représentents de cette beauté - la Mer, le Soleil le rapprochent de l'antiquité grecque. Les héros de la mythologie grecque deviennent les symboles en lesquels il transpose ses idées:

Orphée - symbole du constructeur et musicien qui "influence le monde réel par les lois de la musique" Narcisse - symbole de la recherche infinie du Moi inépuisable, toujours fugitif, toujours différent Pythie - symbole du prophète au proie des Dieux qui représente l'nspiration à la romantique dont Valéry se moque

Il opte pour la poésie qui est le résultat d'un travail conscient et d'un choix. L'artiste doit résister à l'inspiration pour pouvoir diriger sa plume et choisir en toute conscience. Il refuse d'être soumis aux forces extérieures. La personification de cette attitude est M.Teste, l'idole intellectuel. Il représente notre raison personifiée qui doit toujours veiller sur notre pensée et ses démarches. Mais, Valéry n'a jamais banni l'inspiration de sa poétique: " Le premier vers est toujours un don - il faut créer le second qui sera digne du précédent." Il faut être patient et savoir comment utiliser ce que l'inspiration nous accorde. " Ne hâte pas cet acte tendre, Douceur d'être et de n'être pas, Car j'ai vécu de vous attendre, Et mon cœur n'était que vos pas." Même s'il a été plusieurs fois nommé le poète philosophe il méprisait tous les systèmes philosophiques et théoriques. Il disait: "Le système , c'est moi". Sur la phyilosophie il déclare : " Toute philosophie pourrait se réduire à chercher labourieusement cela même qu'on sait naturellement" et sur l'histoire: "L'histoire justifie ce qu'on veut. Elle n'enseigne rigoureusement rien. Car elle contient tout et donne des exemples de tout."

Pourtant, les formules mathématiques semblaient l'avoir réconforté. Comme un vrai adepte de Kant il a conclu que chaque système reste dans le domaine de subjectivité. Chacun de nous habite son univers subjectif qui doit être le sujet de ses recherches. L'homme, étant l'être éphémère, épuise sa grandeur dans la connaissance de soi-même.

" Qui pleure là, sinon le vent simple, à cette heure seule avec diamants extrêmes?…Mais qui pleure, si proche de moi-même au moment de pleurer?"

Pendant toute une éternité cette question demeure sans réponse.

La poésie est plus qu'une recherche de l'identité, elle est pour lui un état d'union absolue entre le non-moi et moi, étant ainsi complet.

Il y a une tension persistante entre les deux côtés de sa poésie. Cette tension entre le côté sensuel et intellectuel, obscur et clair; précis et vague, le contenu et la forme nous pouvons facilement imaginer comme une corde tendue d'harpe qui justement grâce à cette tension est en mesure de produire les sons incantatoires.

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Puisque sa vision de la poésie était très complexe il est très difficile et même injuste de la réduire à un néoclassisime intellectuel, rigoureux. C'est plûtot la conséquence entraînée par la conquête du chaos créateur. " Tout classissisme suppose un romantisme antérieur."

Il faut prendre ces termes au sens le plus large. Ce ne sont pas seulement les courants littéraires mais aussi les deux conceptions de l'art connues déjà depuis l'antiquité. Valéry nous explique que chaque écrivain qui porte un critique en soi-même et qui l'associe intimement à ses travaux est un classique. Une connaissance profonde de ces deux côtés de l'art procure une vision plus complete de l'art en général. On peut dire que Valéry a bien exploré tous ces côtés - classique, aussi que surréaliste ou symbolique. Son côté classique est représenté par l'exigence de la clarté dans le domaine de la forme et du langage. Son côté symbolique révèle l'importance de la musique et des sonorités. Le côté surréaliste confirme l'existence de l'univers poétique et les images qui sont données par ordre associatif, par conséquent , assez difficile à suivre.

Borges dans un discours sur la poésie française nous énonce l'importance de l'œuvre de Paul Valéry en une seule phrase : " Proposer aux hommes la lucidité dans une ère bassement romantique telle était la mission de Valéry ."

ELUARD – LES NOUVEAUTES DANS LA POESIE

- avec Breton et Aragon, Eluard était un des fondateurs et un des plus importants représentants du mouvement surréaliste- après sa rupture avec Breton et son engagement idéologique, l’art poétique d’Eluard devient plus libre, sans jamais perdre certaines caractéristiques de l’esthétique surréaliste- au centre de sa poétique est sa conception de l’image : « L’image est une création pure de l’esprit. Elle ne peut naître d’une comparaison, mais du rapprochement de deux réalités plus ou moins éloignés. »- il veut nous apprendre à voir les choses- à vingt ans il est à recherche d’un langage – il puisera du surréalisme une science du mot- l’une des images très présentes dans la poésie d’Eluard est celle de la femme aimée- pour lui l’amour est l’essence de la vie, l’amour permet à l’homme de se dépasser, d’être au dehors da la banalité du quotidien- dans sa vie existaient trois femmes : Gala, Nusch et Dominique- l’importance du regard – pour confirmer ma propre existence, il faut que l’autre me regarde, que j’existe dans ses yeux, grâce à son regard je découvre qui je suis- il trouve dans le regard de la femme aimée un univers entier, elle ouvre la voie vers merveilleux - après la mort de Nusch, il est presque mort et ce n’est pas par hasard qu’il utilise le symbole de Phénix, l’oiseau qui, une fois brûlé, renaît de ses cendres- la femme est la lumière qui métamorphose le poète à nouveau et le fait renaître de ses cendres- sa poésie est fortement lyrique et possède une extraordinaire richesse d’images- les recueils « Capital de la douleur » (composé de poèmes en vers libre et en prose), « L’Amour la poésie », « La Rose publique »- dans un moment il commence à s’intéresser aux problèmes sociaux et il s’engage idéologiquement- il passe du rêve solitaire au rêve et l’espoir pour l’égalité et la fraternité des hommes

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- dans sa vocabulaire on trouve des mots du langage ordinaire – il n’y a pas d’expressions insolites- sa poésie transmet au lecteur la vision d’un optimisme exceptionnel - les recueils « Le Livre ouvert », « Poésie et vérité », « Au rendez-vous allemand »

Paul Eluard, poète français, de son vrai nom Eugène Émile Paul Grindel, est né à Saint-Denis en 1895. Apres avoir obtenu son brevet à l’école supérieure Colbert à Paris, il est obligé d’interrompre ses études a l’âge de seize ans. Avec une tuberculose pulmonaire, il est hospitalisé dans un sanatorium suisse pendant deux ans. C'est là-bas qu'il rencontre la première inspiratrice de sa poésie, Helena Diakonova, une jeune Russe en exil, qu’il surnomme Gala. Les deux se marient en 1917. En 1918, il fait partie du mouvement Dada, qui se forme autour de Tristan Tzara. Ensuite il se joint à André Breton pour former le mouvement de surréalisme. Dès 1925, il adhère au parti communiste. Gala, qui était ouvertement la maîtresse da Max Ernst, quitte le poète pour le peintre Dali.  Peu après, il rencontre Maria Benz, une artiste de music-hall franco-allemande surnommée "Nusch" avec qui il se marie en 1934. Exclu du parti communiste, il continue sa lutte pour la révolution. Comme l’ambassadeur du surréalisme, il voyage partout dans l’Europe. Lorsque la Deuxième Guerre mondiale éclate, il rejoint le parti communiste et le jour de la Libération il est fêté avec Louis Aragon comme le grand poète de la résistance. Après la guerre, en 1946, la mort subite de la femme aimée bouleverse de nouveau la vie d’Eluard. Les années qui vont suivre, il est engagé pour défendre la paix dans le monde, et c’est au Mexique qu’il rencontre Dominique Lemor, avec qui il rentre en France. Les deux se marient en 1951. Eluard est mort un an plus tard en  Charenton-le-Pont et est enterré au cimetière du Père-Lachaise à Paris.

L’œuvre

Influencé d’abord par Dada, formé autour de Tristan Tzara, (qui est en réaction à l’absurdité de la grande guerre et remet en question le monde tel qu'il est), et puis par le surréalisme qui en est issu, Eluard traduira quelques principes de ces mouvements dans sa poésie. Comme André Breton et Louis Aragon, il est en recherche d’un nouveau mode d’expression poétique lié au rêve, à l’imaginaire et à l’inconscient et dont l’un des aspects sera l’écriture automatique. Le mouvement a aussi une dimension politique : l’art est considéré comme un moyen de « changer la vie » ce qui explique l’adhésion des surréalistes, y inclus Eluard, au parti communiste. Cependant, Eluard n’est pas entièrement d’accord avec tous les principes surréalistes. Il se distingue des autres surréalistes par son désir de communication, et l’écriture automatique ne constitue pour lui la manière poétique par excellence. Pour Eluard, la poésie est une activité consciente ou l’automatisme ne fait qu’enrichir le champ de vision. Il est poète de l’imagination, sa peinture du monde n’est pas celle d’un photographe. Sa création poétique comprend une sorte de recréation du réel, d’abord la destruction du réel, et puis sa reconstruction par synthèse de l’image perçue par les sens (la vue, l’odorat, l’ouïe, le goût, et le toucher) et l’imagination:

« Tout est au poète objet à sensations et, par conséquent, à sentiments. Tout le concret devient alors l'objet de son imagination et l'espoir, le désespoir passent, avec les sensations et les sentiments, au

concret. »La lumière, les sons, les odeurs, rien de ce qui peut être perçu par les sens humain ne doit rester étranger au poète. L’imagination est celle qui motive la création poétique, elle métamorphose la perception et crée ainsi un second univers, plus beau que le premier.

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Cependant, on ne doit pas négliger l’importance de l’amour et de la femme dans la poésie d’Eluard. Dans son œuvre on peut voir les figures des femmes inspiratrices et même les cycles de chacune d’elle : le cycle de Gala (1914-1930), celui de Nusch (1930-1946) et de Dominique (1949-1952). Le titre d’un de ses recueils nous éclaire l’importance de l’amour: « L’amour la poésie ». Il y supprime la conjonction, il ne dit pas « L’amour et la poésie », parce que pour lui ces deux idées-la sont si étroitement liées qu’elles ne peuvent exister l’une sans l’autre.

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Le visuel dans l’œuvre d’EluardPour commencer notre étude du visuel notons d’abord seulement les titres des recueils de poésie de Paul Eluard qui appartiennent au champ sémantique de la vue : Les yeux fertiles, Donner à voir, Perspectives, Voir, A l’intérieur de la vue, De l’horizon d’un seul à l’horizon de tous, La courbe de tes yeux etc. Dès le début, on confirme l’importance du visuel et de l’organe principal de sa perception : l’œil. La plupart des recueils publiés pendant la vie du poète est illustrée, par des amis peintres ou photographes. Les premiers amis d’Eluard, déjà à l’époque Dada, sont Max Ernst, Giorgio de Chirico et Picasso, et plus tard, Salvador Dali, Man Ray, Chagall, Magritte, etc. Dans son recueil de poésie Capitale de la douleur on peut lire des poèmes intitulés Max Ernst, Giorgio de Chirico, Pablo Picasso, Georges Braque, Joan Miró. Il est ouvertement fasciné par Picasso, et approuve son effort de libérer la vision du monde. Il dit de Picasso: « Cet homme tenait en mains la clef fragile du problème de la réalité. Il s'agissait pour lui de voir ce qui voit, de libérer la vision et d'atteindre à la voyance. Il y est parvenu. »C’est le monde du concret qui règne dans la poétique d’Eluard. D’ailleurs, les substantifs forment le gros du vocabulaire de ce poète. Et parmi les substantifs, on peut remarquer la prédominance de ceux qui désignent les parties du corps humain, surtout le visage. Il est inévitable que le poète se serve des substantifs abstraits, et le plus souvent il les accompagne des verbes concrets. Il dit : « Je chante…la candeur de t’attendre, l’innocence de te connaître.»En évoquant les objets dans ses poèmes, il ne les décrit pas, il utilise leurs caractéristiques habituelles en les appliquant métaphoriquement aux autres objets. La langue dont se sert le poète est celle de tous les jours, mais les rapports entre les choses sont établis avec le plus de spontanéité possible. Le résultat est une poésie évocatrice et sensible, qui touche l’esprit avec plus de force. Mais voyons de plus près suivantes catégories du visuel dans sa poésie : les formes, les couleurs, la lumière, les lieux, le miroir, le regard amoureux…

Les formes

La poétique d’Eluard semble plus ouverte aux formes rondes ou courbes qu'aux lignes droites :

« La courbe de tes yeux fait le tour de mon cœurUn rond de danse et de douceur;

Auréole du temps, berceau nocturne et sûr... »

Ces formes rondes sont proches de celle du cercle qui est traditionnellement regardée comme symbole de perfection, d’infini, d’éternel. Le mot « auréole » apporte l’idée de l’amour sacré, pur. L’évocation du « berceau » peut apporter une notion de chaleur, protection, en tant que symbole de naissance, et dans le poème, naissance de l’amour et du poète-même.

Les couleurs

Les couleurs sont omniprésentes, et peut-être sont-elles le plus abondantes quand il les emploie à propos de la femme aimée :

« Dans cette vaporeuse région, dans ces espaces iriséesPar les fées, tu viens vers moi, large et généreuse,

Rose et rouge, mauve et violette sous les dehors de ta blancheur. »

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De même, à l’exemple de ses amis peintres, il aime se jouer avec les couleurs, en altérant les rapports entre les choses, et créant ainsi des effets inattendus. Il est fameux son vers : « La terre est bleue comme une orange qui frappe l'esprit à cause de l'illogisme sensoriel. Si on se donne un peu de liberté et d’imagination, la couleur bleue peut-être symbolise ici l’infini, l’azur de Mallarmé. La forme sphérique de l’orange est proche de celle de la terre, ce qui peut suggérer que le poète trouve de l’infini sur la terre.La lumière

La lumière, comme phénomène qui dévoile les objets et sans laquelle il serait impossible de voir, est très fréquente dans sa poésie. Elle apparaît sous les formes différentes, comme «soleil », «feu», «rayon », «jour», «aube», «flamme» etc. A cause de son rôle essentiel pour la vision, elle est toujours associée aux sentiments positifs de la joie, de la liberté, de l’amour :

« Le soleil est vivant ses pieds sont sur la terreSes couleurs font les joues rougissantes de l'amour

Et la lumière humaine se dilate d'aise »Par contre, l’absence de la lumière, pendant le sommeil, quand les yeux sont fermés, montre la volonté de s’isoler du monde :

« Et quand tu n’es pas làJe rêve que je dors, je rêve que je rêve»

«Il dort, il dort, il dort.L’aube a eu beau lever la tête,

Il dort. »Les lieux

En évoquant le monde concret, certains lieux deviennent symboliques. À part la notion de transparence que suscite l’usage du mot « fenêtre », on constate aussi la signification de découverte d’un nouveau monde, possibilité de s’enfuir:

«C’est par la fenêtre que l’on sort

Prisonnier, c’est par la fenêtre

Que l’on gagne un autre monde »

Le « désert » symbolise la solitude du poète après la mort de Nusch :

« Mon désert contredit l’espace

Désert pauvre désert livide

De ma morte que j’envie »

Le miroir

Dans la poésie d’Eluard, le regard apparaît aussi sous la forme de reflet. Le miroir, comme l’objet d’un reflet parfait, peut montrer aussi la réciprocité des sentiments dans l’amour :

« Notre amour a plus besoin

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D'amour que l'herbe de pluie

Il faut qu'il soit un miroir »

Ici, on a une image de l’amour qui se nourrit de lui-même, qui survit grâce au reflet. L’amour naît dans le miroir, on n’aime que le reflet : nous-mêmes dans les autres. D’ailleurs, la poésie d’Eluard n’existe sans la présence de l’autre, soit la femme aimée, soit le lecteur.

A cet égard, Eluard dit aussi :

«La plupart d'entre eux (les peintres) s'est misérablement borné à reproduire le monde. Quand ils faisaient leur portrait, c'était en se regardant dans un miroir, sans songer qu'ils étaient eux-mêmes un miroir. Mais ils en enlevaient le tain, comme ils enlevaient le tain de ce miroir qu'est le monde

extérieur, en le considérant comme extérieur »Pour Eluard, les choses n’existent que par leur reflet, le miroir sans reflet n’est pas un miroir. Pour exister, il faut être vu par quelqu’un, et c’est souvent par la personne aimée :

« Et si je ne sais plus tout ce que j’ai vécuC’est que tes yeux ne m’ont pas vu. »

Le regard amoureux

L’amour eluardien est l’union de deux êtres, ou l’un se perd et se retrouve dans l’autre, et le lien entre les deux s’établit par le regard :

« Elle est debout sur mes paupières

Et ses cheveux sont dans les miennes,

Elle a la forme de mes mains,

Elle a la couleur de mes yeux

Elle s’engloutit dans mon ombre

Comme une pierre sur le ciel.

Elle a toujours les yeux ouverts

Et ne me laisse pas dormir… »

La femme aimée est définie par les yeux et les mains du poète, et se trouve dépendante de lui. Aussi longtemps qu’elle regarde il ne peut pas dormir parce que les yeux de la femme sont ceux du poète lui-même. C’est dans les yeux féminins que réside le couple amoureux. La dépendance mutuelle se voit clairement dans les vers suivants:

« Comme le jour dépend de l’innocenceLe monde entier dépend de tes yeux purs

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Et tout mon sang coule dans leurs regards. »

Ici, le sang, symbole de vie, ne coule plus dans le corps du poète, mais dans les yeux de la femme aimée. C’est grâce au regard de la femme que le monde existe, que le poète le voit, et qu’il est vivant.

Chez Eluard, (et c’est le cas dans le poème déjà citée au-dessus, « L’amoureuse » ) on a la thématique de fusion de deux êtres, ce qui pourrait bien être la recréation du mythe d’androgyne, mythe platonicien, où l’homme est condamné à chercher sa moitié auparavant perdue. La femme et le poète ne font qu’un, elle n’apparait plus comme le reflet, le visage, mais la moitié du poète lui-même.

La vue, chez Paul Eluard permet une relation entre les choses, entre les personnes. C’est la base de tout ce qui existe, ou pour le dire ainsi, les choses n’existent que par leur possibilité d’être vues ou de voir. Cette relation qu’établit le regard avec l’univers est d’ordre primordial. L’acte de voir est évidemment sensuel, mais plus que cela, il est vital. Pour cela, il n’étonne pas qu’Eluard donne à ce sens-là une signification si large : « Voir, s'est comprendre, juger, transformer, imaginer, oublier ou s'oublier, être ou disparaître. »La réalité altérée par son regard et l’imagination est parfois difficile à saisir pour les lecteurs. Mais c’est justement par ses images arbitraires, si chères aux surréalistes, qu’Eluard exprime ce qui est en lui le plus pur, le plus profondément humain: « Un jour, tout homme montrera ce que le poète a vu. Fin de l'imaginaire.

ROMAN

Le Roman fleuve- les années 30 marquent la faveur du « roman cycle », une formule littéraire utilisé autrefois par Balzac (La Comédie humaine), Zola (Les Rougon-Maquare), Proust (A la recherche du temps perdu) et Romain Rolland (Jean-Christophe) - la forme – le roman est organisé en épisodes successifs ou simultanés, avec retour cyclique des personnages- la signification – le roman fleuve englobe l’analyse psychologique des caractères, la grande fresque historique et sociale et le symbolisme moral et philosophique- le roman reste réaliste dans la mesure où il se fonde sur une documentation détaillée et se préoccupe de faire vivre la réalité sociale d’une époque- trois grandes séries romanesque dominent à cet égard la production de 1920-1940 : « Les Thibault » de Roger Martin du Gard, « La Chronique des Pasquier » de George Duhamel et « Les Hommes de bonne volonté » de Jules Romains 1) Martin du Gard- il a été influencé par « Guerre et paix » de Tolstoï- en 1920 il conçoit le plan détaillé d’un vaste roman cyclique qui s’intitulera « Les Thibault »- il décrit une famille des individus nettement typés, des milieux sociaux divers peints avec une rigueur- on y trouve aussi la présence du romancier à travers les obsessions et les inquiétudes de ses personnages

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- Martin du Gard y apparaît surtout comme un historien moraliste qui tient le journal d’une génération, mais aussi son propre journal avec le retour de ses grands thèmes : le destin, la justice, le dialogue de l’esprit et du cœur et le mystère de la mort2) Duhamel - biologiste et médecin, engagé à titre de chirurgien militaire dans la Première guerre mondiale, il conserve de cette expérience une immense et profonde compassion pour les hommes- son roman va tenter de concilier réalisme et idéalisme- la structure essentielle de « La Chronique de Pasquier » est le journal du médecin-biologiste Laurent Pasquier - Duhamel réussit le complexe contrepoint de ce journal avec l’évocation vivante et précise d’une société en état de crise, et aussi avec l’analyse minutieuse et vivante d’une galerie de caractères et de types- « La chronique de Pasquier » compte dix titres et elle a pour sujet principal l’accension d’une famille du peuple à l’élite entre 1880 et 1930- Duhamel se proposait de peindre « un moment de la vie française »3) Romains- pendant la guerre il est mobilisé dans le service auxiliaire et après la guerre s’élabore son œuvre maîtresse « Les Hommes de bonne volonté »- son dessein était, en effet, de brosser une vaste fresque de la vie politique, économique et sociale entre 1908 et 1933- les 27 volumes de « Les Hommes… » ont été publiés entre 1932 et 1946- il voulait écrire un roman unique, mais suffisamment vaste où des personnages multiples, individus, familles, groupes, paraîtraient et disparaîtraient tour à tour comme les thèmes d’une immense symphonie - il peint des intellectuels, des artistes, des professeurs, des hommes d’argent, des ouvriers, des bourgeois LES FORMES ROMANESQUES AU XXeme SIECLE

- de 1900 – 1914, c’est l’époque des maîtres officiels : Bourget, France, Barrès- les romans à thèse ou à idée, comment l’appelait Bourget- après la Guerre – le roman de l’aventure poétique, la poésie se déployait dans les romans(Jammes, Proust « Les plaisirs et les jours », Gide « Les nourritures terrestres », Alain Fournier « Le Grand Meaulnes »)- Proust – précurseur du roman moderne – « A la recherche du temps perdu », le chroniqueur d’un temps, d’une société- Gide – ses premiers livres dans un climat post-symbolique - le roman fleuve- à partir de 1925, on voit apparaître un renouveau du roman chrétien, dont le thème principal est l’inquiétude spirituelle- George Bernanos, Mauriac, Green- le roman de la condition humaine – vers 1930, Malraux, Aragon, Bernanos, Montherlant, Saint-Exupéry – c’est une génération « éthique »- l’homme devant la nature – Colette- le roman existentialiste- le nouveau roman

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- le roman féministe des années 60

MARTIN DU GARD – LA BOURGEOISIE, LE MONDE DE SES PERSONNAGES

Les Thibault

La première partie de ce roman, qui s’appelle « Le Cahier gris », est publié en 1922, et l’action se déroule à Paris, en 1905. Il s’agit de deux familles, Thibault et De Fontanin. La famille Thibault est composée du père Oscar Thibault, un grand bourgeois parisien, un catholique autoritaire, futur sénateur, et ses deux fils, Antoine, un médecin assez conservateur et Jacques, un garçon de 14 ans, un individu révolté et très vif. La famille De Fontanin, une famille protestante, est composée des parents Thérèse et Jérôme, fils Daniel et fille Jenny. Jacques noue une amitié avec son camarade de classe, Daniel de Fontanin, dont les parents appartiennent à un milieu plus libéral que les siens. Ils ont une correspondance passionnée, mais, elle est découverte et jugée suspecte, notamment par le père de Jacques. Indigné par la réaction de son père, Jacques fait une fugue avec Daniel. Peu après, ils sont arrêtés et rendus à leurs familles. Mais, tandis que Daniel est accueilli avec bienveillance par ses parents, Jacques sera placé au pénitencier de Crouy. En écrivant ce roman-fleuve, Martin du Gard était influencé par un roman fameux de Tolstoï – « Guerre et Paix ». Il voulait donner une grande fresque historique et sociale de ce temps, ça veut dire le début du XXème siècle. Il le fait à travers une famille bourgeoise parisienne. Dans « Le Cahier gris », Oscar Thibault n’est que la caricature de lui-même. Du Gard peint le portrait satirique d’un bourgeois, qui ridiculise l’égoïste et vaniteuse bourgeoisie. Dès le début du « Cahier gris », il apparaît violent, impatient, hypocrite et plus occupé par le Congrès des Sciences morales que par la disparition de Jacques. « L’impossibilité d’en finir tout de suite par un acte d’autorité, et la pensée du Congrès des Sciences Morales qui s’ouvrait à Bruxelles le surlendemain, et où il était invité à présider la section française, firent monter une bouffée de rage au front de M. Thibault. » Il montre une attirance particulière vers les institutions disciplinaires – il s’adresse à la gendarmerie et à la police pour retrouver les fugitifs, et à cause de la peur du scandale, il ira jusqu’à souhaiter que Jacques lui soit ramené « menottes aux poignets ». Nous voyons aussi le bilan de son action chéritable, quand il énumère les brochures qu’il a écrites, les ligues qu’il a fondées, les congrès auxquels il a participé. « THIBAULT ( Oscar- Marie). – Chev. Lég. d’hon. – Ancien député de l’Eure. – Vice-président de la Ligue morale de Puériculture. – Fondateur et Directeur de l’Oeuvre de Préservation sociale. – Trésorier du Syndicat des œuvres catholiques du Diocèse de Paris. – 4 bis, rue de l’Université. » Il a même fondé le pénitencier à Crouy où il va envoyer son propre fils. « Est-ce que je n’ai pas créé, à ma colonie pénitentiaire de Crouy, un pavillon spécial où les enfants vicieux lorsqu’ils appartiennent à une autre classe sociale que nos pupilles, sont soumis à

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un traitement particulièrement attentif ? […] ce pavillon est toujours vide ! Est-ce à moi d’obliger les parents à y enfermer leurs fils ? »

Mais, à la fin du « Cahier gris », on le trouve dans une scène où il montre l’autre côté de sa personnalité – c’est un moment où il enlève son « masque » et dit une prière pour l’ âme de son fils. « Là, seul, redevenu lui, le gros homme arrondit les épaules ; un masque de fatigue paraît glisser de son visage, et ses traits prennent une expression simple […] Il s’approche du prie-Dieu et s’agenouille avec abandon. […] Il offre à Dieu sa déception, cette épreuve nouvelle ; et, du fond de son cœur délesté de tout ressentiment, il prie, comme un père, pour le petit égaré.  De l’autre côté, on a Jacques qui représente tout ce qui est contraire à son père. Il lit Musset, Zola, Goethe, les livres qui ne sont pas en accord avec l’éducation que son père veut qu’il ait ; il écrit des poèmes lui-même. Il y a en lui une sensibilité que le milieu familial et scolaire étouffe. La fugue qu’il fait avec son ami Daniel est une sorte de libération de ce milieu où il se sent incompris ; c’est aussi une manière d’exprimer sa révolte. Il nous rappelle Bernard des « Faux Monnayeurs » qui aussi cherche sa liberté hors de sa famille et loin de l’autorité paternelle. Ce qui nous rappelle aussi les « Faux Monnayeurs », c’est la situation conjugale des Fontanin. A la différence de madame Molinier, Thérèse de Fontanin décide de ne pas se taire ; elle a divorcé de son mari et elle s’est réfugiée dans un certain mysticisme. Mais, on peut voir qu’elle est toujours faible quant à Jérôme et elle s’efforce vraiment de résister à ses essais de la séduire de nouveau et de regagner son amour. « Oh, je veux bien vous croire, je vous ai si souvent cru, déjà ; mais, cela n’a guère d’importance. Coupable ou non, responsable ou non, Jérôme, le mal a été fait, le mal se fait tous les jours, le mal se fera encore, - et cela ne doit pas durer… Séparons-nous, enfin. Séparons-nous définitivement. »

André Gide et Roger Martin du Gard ont décrit le monde et la société où ils vivaient, les gens qu’ils connaissaient et rencontraient. Ils vivaient dans la même époque et dans la même société et on peut tirer des leurs romans des traits communs. C’est la bourgeoisie française d’avant-guerre qui est vaine, hypocrite, tournée vers l’argent et la carrière, qui cache les sentiments et la vérité en essayant de maintenir une image fausse d’elle-même devant les autres. On voit l’homme comme un être corrompu par la société qui essaie constamment de s’adapter aux conditions que son environnement lui impose. De l’autre côté, on trouve des adolescents qui se rebellent contre l’autorité de leurs parents et de l’école, donc, contre tout ce qui les empêche de vivre comme ils voudraient. Ce qui est typique pour les deux œuvres, c’est la présence constante d’une sorte de lutte entre le côté conservateur, représenté par la génération plus ancienne, c’est-à-dire les bourgeois, et le côté libéral, représenté par les jeunes, qui tendent à vivre comme ils veulent, sans que leurs parents se mêlent.

Les rapports familiaux dans Les Thibault

Les Thibault est un roman composé de huit volumes: Le Cahier gris (1922), Le Pénitencier (1922), La Belle Saison (1923), La Consultation (1928), La Sorellina (1928), La Mort du Père (1929),

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L’Eté 1914 (1936) et Épilogue (1940). Il décrit l’histoire de deux familles parisiennes Les Thibault et Les Fontanin qui se déroule dans la première moitié du vingtième siècle.

1.1. La famille Thibault

On voit déjà dans le titre que la plus grande partie de l’œuvre est dédiée aux membres de la famille Thibault. Ceci exige une analyse détaillée des rapports entres les membres de cette famille.

I. Monsieur Thibault et son fils JacquesOscar Thibault est le père autoritaire, grand bourgeois, veuf, dévoué à la religion catholique qui pense faire toujours tout comme il faut. Son épouse est morte en donnant naissance à Jacques, son fils cadet, qui a quatorze ans. Jacques est vif, idéaliste, un étudiant qui s’intéresse à la littérature, aux sentiments et rêve de la liberté et de grands espaces. Malgré tout cela, il est le personnage le plus clairvoyant du roman. C’est lui qui comprend le premier que la vie dans sa famille est fondée sur le mensonge. La rigueur de son père le pousse à fuir. Monsieur Thibault traite ses enfants durement. Il n’a pas la même relation avec ses fils et il nous semble qu’il préfère l’aîné. Il pourrait aimer Jacques s’il lui donnait de quoi être fier. Fâché, il dit : «Au moins s’il est dehors, il n’aura pas trop froid.» Donc, il se préoccupe de son fils et de son attitude. Quand même, étant engagé dans la vie sociale, Monsieur Thibault veut seulement éviter le scandale. Possible relation homosexuelle de son fils avec un ami n’est pas aussi importante que l’image de lui en public et le fait que cet ami vient d’une famille protestante. Il fonde une maison de correction où il laisse son fils avec les autres délinquants sans demander de ses nouvelles ou s’intéresser aux conditions dans lesquelles son enfant se trouve. Il est sûr qu’il a rempli tous ses devoirs paternels envers son fils malheureux et que sa conscience est tranquille. Jacques souffre beaucoup, mais il ne pense pas que son père soit mal. Au contraire, il dit qu’il est bon et il le défend quand son frère le critique.

II.Monsieur Thibault et son fils AntoineEnvers son fils aîné Oscar Thibault n’est pas si strict et si cruel. Il le respecte parce qu’il est calme, mesuré, intelligent, un bon étudiant de médicine qui veut devenir un médecin connu et le chef de l’hôpital. Antoine est ambitieux, il pense à sa carrière. Son regard de médecin est exact-le corps ne peut pas mentir. Quand même, ses analyses psychologiques sont souvent fausses. Il ne comprend pas son frère. Monsieur Thibault apprécie ses opinions et il est surpris de voir son fils s’opposer à lui, la tête de la famille, à cause de Jacques.

III.Jacques et Antoine ThibaultDeux frères sont très différents. Ils s’aiment l’un l’autre, mais ils ne peuvent pas se synchroniser. Antoine s’occupe de son frère, il va le visiter au pénitencier et essayer de forcer Jacques à lui faire des confidences. Il réagit comme un père quand il s’agit de Jacques. Il veut le sauver des conditions terribles dans la maison de correction. Les frères ne passent pas beaucoup de temps ensemble à cause de la profession d’Antoine. Il est content d’avoir pris la responsabilité de Jacques, mais il a des doutes constamment : « Pion ! L’imbécile. Pion ! Il me le paiera. S’il croit qu’il peut se permettre – il se trompe ! Ma soirée est perdue, je suis incapable de travailler maintenant. Il me le paiera. Ma tranquillité d’autrefois. Quelle sottise j’ai faite ! Et pour ce petit imbécile. Pion ! Plus on en fait pour eux…».Antoine craint de ne pas pouvoir travailler et pense que son petit frère lui prend beaucoup de temps. Il est fier d’être un Thibault et dit à Jacques qu’ils ne sont pas comme tout le monde justement parce

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qu’ils sont des Thibault. Cela montre son haute opinion de soi-même. Il se sent supérieur et plus important que les autres, comme le reste de sa famille. C’est une caractéristique commune à tous les Thibault.

1.2. La famille FontaninQuand Jacques et son ami Daniel Fontanin s’enfuient à Marseille, les lecteurs ont l'opportunité d’avoir un aperçu sur les rapports familiaux et la vie de la famille Fontanin. On peut voir que cette famille et celle de Monsieur Thibault ne sont pas complètement pareilles. La famille Fontanin est libérale, protestante et moins riche que la famille Thibault.

I.Monsieur et Madame de FontaninJérôme de Fontanin est un aventurier, il a plusieurs maîtresses (même la cousine de son épouse) et dépense de l’argent sur elles. Néanmoins, il s’occupe de sa famille. Il leur donne une aide financière, n’oublie pas les anniversaires de ses enfants et il a de l’affection pour sa femme. Thérèse de Fontanin n’est pas heureuse avec lui. Son mariage est un échec, mais elle aime son mari et lui permet de la tromper. «Elle avait vu Jérôme débaucher ses bonnes, une à une enjôler ses amies.» Sa fille Jenny est malade et c’est pourquoi elle se tourne vers le mysticisme. Jérôme est toujours absent. Thérèse cache tout ce qu’il fait pour protéger ses enfants. Elle veut divorcer, mais elle abandonne cette idée parce qu’elle est amoureuse de la religion et pardonne tout à Jérôme.

II.Madame de Fontanin et ses enfantsMadame de Fontanin a une relation spécifique avec son fils Daniel et sa fille Jenny. Ses enfants peuvent tout lui dire sans crainte d'être grondés. En raison de cela, elle est toute surprise quand Antoine lui dit que les garçons se sont enfuis. Thérèse sait que son fils ne lui cache rien. Quand Daniel et Jacques sont retrouvés et sont venus à Paris, le retour à la maison n’est pas le même pour les deux amis. Le père de Jacques ne veut pas parler avec lui, pendant que la mère de Daniel l’accepte avec douceur, elle l’embrasse et elle est très contente de le revoir. Antoine et Jacques Thibault sont présents quand cela se passe et les deux sont affectés par la situation. Jacques commence à pleurer et Thérèse l’embrasse, lui aussi. On peut conclure qu’il lui manque une mère.

III.Génétique Comme chez les Thibault, on voit que les enfants de Monsieur et Madame de Fontanin ressemblent à leurs parents. Jenny est patiente, tranquille et veut devenir comme sa mère un jour pendant que Daniel est comme son père physiquement, mais en même temps mentalement. Il attaque sa cousine Nicole. «L’image exécrée de Jérôme restait devant ses yeux. Le fils ferait d’elle ce qu’elle pensait que Jérôme avait fait de sa mère.» Ce sont les caractéristiques héréditaires qui trouvent leur expression dans la génération suivante.

Les rapports familiaux dans Les Faux-MonnayeursLes Faux-Monnayeurs (1925), un roman plus complexe que Les Thibault, suit l’histoire de plusieurs familles – Profitendieu, Molinier, Vedel-Azaïs, Passavant et La Pérouse.

1.1. La famille ProfitendieuLa famille Profitendieu est une des deux familles à laquelle l’auteur dédie beaucoup d’espace dans son œuvre.

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I.Les enfants de la famille Profitendieu Monsieur et Madame Profitendieu ont quatre enfants. Charles est le fils l’aîné de la famille qui veut devenir un avocat. Bernard, le deuxième, n’aime pas Charles. Il est jaloux parce que son père le respecte plus que lui. Cécile est une fille dont on n’apprend pas beaucoup de détails. Le plus jeune fils est Caloub qui n’est mentionné qu’en quelques endroits dans le roman. Les enfants ne passent pas beaucoup de temps ensemble.II.Monsieur Profitendieu et Bernard ProfitendieuAlbéric Profitendieu est juge d’instruction de l’état. Une fois, Bernard découvre accidentellement que Monsieur Profitendieu n’est pas son vrai père. Il reproche à son père de se comporter d’une manière différente avec lui. Ceci provoque sa rage, il s’oppose à son père et se réfugie chez son ami. Il lui laisse une lettre où il explique ses actions et écrit : «Dites-lui [à ma mère], si vous en avez le courage, que je ne lui en veux pas de m'avoir fait bâtard; qu'au contraire, je préfère ça à savoir que je suis né de vous.» Quand il apprend qu’il est «un fils naturel», il souffre beaucoup. Il se révolte contre sa famille et contre la morale bourgeoise. L’attitude de la société envers ces enfants non-souhaités est reflétée dans les mots de Monsieur Molinier quand il dit qu’ils sont les fruits du désordre qui deviennent souvent des anarchistes. Albéric Profitendieu est frappé par la réaction de Bernard. Il est triste, il sent qu’il l’aime comme il n’aimait jamais les autres enfants. Il constate qu’un enfant peut rendre un parent bien misérable. Bernard croit qu’il déteste son père, mais plus tard il devient conscient que ce n’est pas la vérité et reconnaît s’être trompé.

III.Monsieur Profitendieu et Madame Profitendieu Les mariages dans Les Faux-Monnayeurs ne sont jamais heureux. Marguerite Profitendieu trompe son mari, tombe enceinte de son amant et rentre à la maison. Monsieur Profitendieu lui pardonne tout et ils continuent à vivre ensemble. La famille comme institution et le mariage dans la société de ce temps-là sont seulement une tromperie.

1.2. La famille MolinierC’est la deuxième famille dans ce roman qui est en amitié avec les Profitendieu.

I.Monsieur et Madame MolinierL’histoire des Molinier est similaire à celle du couple Profitendieu. Dans leur cas, c’est le mari qui trompe. Pauline Molinier fait une erreur quand elle se marie avec Oscar, le président de la chambre. Les mariages d’intérêt ne fonctionnent pas. Ils sont formels. Pauline cache à ses enfants les bêtises que son mari fait, ses maîtresses, ses lettres, etc. Elle veut que ses enfants respectent son mari même si il n’a aucune autorité dans la maison. Il cesse de résister à sa femme et elle prétend lui croire tout. Oscar essaie d’être inclus dans la vie familiale et contrôler ses enfants, mais il ne parvient pas à le faire. Pauline aime sa famille et les enfants sont les plus importants pour elle.

II.Les enfants MolinierOlivier Molinier, ami de Bernard Profitendieu, a deux frères. Vincent, l’aîné, est étudiant de médecine et Georges, le petit, est inscrit à la pension Vedel. Olivier et Vincent semblent faibles pendant que Georges ose se joindre à un groupe des délinquants qui produisent la fausse monnaie et ose voler les lettres d’amours de son père pour les utiliser contre lui. Il vole aussi de l’argent à sa famille et sa mère ne lui demande rien et invente quelques excuses pour ses actions parce qu’elle a peur d’entendre la vérité. Cependant, deux frères faibles font aussi les choses terribles. Olivier vole

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et Vincent tue son amante en Afrique. Donc, le père se lutte contre les criminels alors que les criminels sont ses fils.

III.Oncle ÉdouardÉdouard fait partie de la famille Molinier. Il est demi-frère de Pauline, amoureux de son neveu Olivier. Ayant des sentiments homosexuels, il s’occupe d’Olivier mieux que son propre père. Pauline a une grande confiance en lui : « Je sens bien que vous l'aimez autant que moi. » Édouard est un homme qui veut aider tout le monde et c’est sa maturité intellectuelle qui fascine Olivier.

1.3. La famille Vedel-AzaïsDans cette famille hypocrite, il y a cinq enfants. Armand est révolté, comme Bernard et Olivier, par l’éducation rigoureuse. Il est un réaliste qui ne supporte pas ses sœurs. Alexandre dépense beaucoup d’argent et fait des dettes dans les colonies. Rachel veut cacher cela à ses parents, elle ne juge jamais à personne, elle se sacrifie pour tous et veut rester pure. Sarah ne veut pas obéir ou vivre sous les règles strictes de sa famille et commence à profiter de la vie. Laura, timide et bien élevée, épouse un professeur qu’elle n’aime pas. Après, elle devient la maîtresse de Vincent Molinier. Quand il l’abandonne enceinte, elle décide de rentrer chez son mari qui promet d’aimer l’enfant de Laura comme le sien. Il lui écrit : « Ne tarde pas. Je t’attends de toute mon âme qui t’adore et se prosterne devant toi.» Le pasteur Azaïs, le père de la famille, pense que Laura est heureuse avec son mari. En réalité, tout est un mensonge.

1.4. La famille PassavantIl est intéressant de mentionner le Vicomte de Passavant et son frère Gontran. Robert de Passavant est un homme cruel, égoïste qui ne pense qu’à lui-même. Il refuse d’être en deuil de son père et croit « que tout lui était dû.» Robert pense que son père n’a personne aimé et qu’il a fait souffrir tout le monde. Son jeune frère est à côté du corps du défunt pendant que Robert discute d’autres choses. En apprenant la mort de son père, il n’est pas choqué et ne lamente pas sur sa mort. Robert est sans cœur.

1.5. La famille La PérouseLe couple La Pérouse est un autre exemple de mariage raté, une liaison sans amour. Monsieur La Pérouse est un professeur de piano qui n’est pas en bons termes avec son épouse. Ils ne peuvent pas supporter l’un l’autre. Monsieur La Pérouse veut se débarrasser de sa femme qui «devient complètement folle [et] ne sait plus quoi inventer.» Madame de la Pérouse pense qu’il planifie de la tuer. Quand il était jeune et pur, il l’aimait avec innocence. Puis, elle défendait toujours leur fils. Après sa mort, il leur reste un petit-fils, Boris. La femme de Monsieur La Pérouse le fait vivre en enfer. Il décide consciemment de se suicider, mais il ne peut pas. Par contre, son petit-fils, faible et déprimé, le fait avec le pistolet de Monsieur La Pérouse. Donc, son grand-père porte la responsabilité pour le suicide de ce garçon qui a été provoqué par le groupe des garçons pour lesquels cela était un jeu.Dans l’analyse profonde des rapports familiaux des protagonistes, on a vu les auteurs aborder plusieurs sujets. Premièrement, il se pose la question des fausses valeurs, du manque de sincérité et du mensonge. Dans Les Faux-Monnayeurs, Madame Profitendieu trompe son mari. Bernard sacrifie ses rêves au profit du confort bourgeois. La famille Vedel-Azaïs, où on a les pasteurs, est la réincarnation de l’hypocrisie. Le Vicomte de Passavant séduit les femmes pour cacher son homosexualité. Dans Les Thibault, Monsieur Jérôme de Fontanin trompe sa femme et elle le sait. Comme Roger Martin du Gard l’a dit, elle joue un rôle. La prostitution est la fausse monnaie du

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mariage. Oscar Thibault est un père sévère qui, sous le prétexte de faire quelque chose d’humain, fonde une maison de correction terrible et envoie son propre fils là-bas. Deuxièmement, on trouve chez Gide un sujet très important – les bâtards. Après avoir découvert qu’il n’était pas le fils de Monsieur Proftendieu, Bernard avait peur et il était furieux. Cela l’affecte particulièrement. Il sait qu’il n’est pas souhaitable et que la société hypocrite n’a pas une bonne opinion d’«un fils naturel». Il dit qu’il n’a pas de famille et signale à Laura que l’enfant qu’elle attend sera le même que lui. Troisièmement, en relation avec ce qui a été précédemment dit est le thème de l’amour, ou mieux dire du manque d’amour, dans les familles des protagonistes. Dans les deux œuvres, on voit qu’il n’y a pas d’amour chez ceux qui sont mariés. Ce sont les Fontanin, les Profitendieu, les Molinier, les Douviers et la famille La Pérouse. Le mariage est malheureux, spécialement pour les femmes – Thérèse de Fontanin, Marguerite Profitendieu, Pauline Molinier, Laura Douviers et Madame de La Pérouse. Les relations sont froides et existent à cause des enfants. Pendant que Madame de Fontanin exprime son amour pour ses enfants, Monsieur Thibault mène une lutte intérieure, attend que son fils fasse le premier pas et il ne veut pas céder à ses sentiments paternels. Édouard représente une figure paternelle pour Olivier et Georges. Le Vicomte de Passavant critique son père et il le méprise parce qu’il était un mauvais parent. Ce manque d’amour provoque la révolte contre les parents et la société à double face. Les révoltés sont les garçons Jacques, Daniel, Bernard, Olivier et Armand. Finalement, on rencontre la confusion des sentiments. Laura Douviers est le meilleur exemple. Tout cela affecte les rapports entre ces personnages. Les Thibault et Les Faux-Monnayeurs sont des romans qui, en racontant les histoires de plusieurs familles, découvrent la triste réalité de la vie de leurs membres. Les familles sont différentes, mais ce sont les problèmes similaires qui les relient.

Les Faux Monnayeurs

Ce roman a été publié en 1925 et son action se déroule à Paris vers 1914. Il est presque impossible d’énumérer tous les personnages et leurs relations, parce que chacun est lié à chacun d’une manière ou d’autre, mais, quand même, on pourrait en mentionner trois qui sont les personnages principaux. Bernard Profitendieu est l'un des trois personnages principaux de l'histoire. Adolescent difficile et impulsif, il n'aime pas son père et ne supporte pas l'éducation qu'il lui a donné. Lorsqu'il apprend que ce n'est pas son vrai père, il rompt toute attache avec sa famille et s'enfuit pour vivre sa vie. Il est le meilleur ami d'Olivier et devient le secrétaire d'Edouard pour un temps. Olivier Molinier est le personnage central de l'histoire, même s'il n'en est pas le principal, tout le roman ou presque gravite autour de lui, ainsi que les personnages qui lui sont liés soit par un lien de sang, soit par une histoire le concernant. Garçon timide et sensible, en manque d'affection, il recherche cette dernière chez ses amis. Admiratif et amoureux de son oncle Edouard, il désespère de pouvoir le lui exprimer, et s'en veut de sa maladresse lorsqu'il est en sa présence. Ces deux garçons ont des caractères assez différents, mais, évidemment, cela ne les empêche pas d’être meilleurs amis.

« Oh ! Parbleu, toi tu oses toujours tout. Tout ce qui te passe par la tête, tu le fait. – Tu me le reproches ? – Non, je t’envie. « 

Edouard est le troisième personnage principal de l'histoire. Il entretient un journal personnel dans lequel il relate les différents événements de sa vie et dans lequel il note l'avancée de son projet littéraire.

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Au début, il faudrait expliquer le titre, qui peut être compris sur trois niveaux : - D’abord, il y a un groupe de garçons qui distribuent la fausse monnaie et ils sont les faux monnayeurs dans le sens littéraire du titre.- Les écrivains que Gide appelle « les faux monnayeurs » parce qu’il croit qu’ils essaient de présenter leurs œuvres comme quelque chose de grande valeur, des vrais chef-d’œuvres, mais, en fait, cela n’a aucune valeur véritable.- Finalement, ce sont tous les faussaires de l’ âme, tous les êtres, tant adultes qu’ adolescentes, qui vivent sous une « épaisseur de mensonge ».

Les faux monnayeurs sont présents partout dans le roman – c’est la bourgeoisie, ce sont les gens qui acceptent tout sans s’opposer, ils acceptent la vie qui n’est pas authentique. Les paroles prononcées par les personages sont trompeuses, leurs attitudes et relations sont également insincères et fausses. On cache la réalité, on essaie de créer une image fausse de soi-même. Les meilleurs représentants des faux monnayeurs sont les gens qui appartiennent à la bourgeoisie parisienne – les personnages comme comte de Passavant, Lady Griffith, la famille Vedel, le vieil Azais, les parents de Bernard et Olivier, surtout leurs pères, Albéric Profitendieu et Oscar Molinier. D’abord, on trouve une abondance de mensonge et de faux-semblants dans la famille. La famille Profitendieu cache un secret – Bernard n’est pas le fils de M. Profitendieu, un juge d’instruction, qu’on peut considérer comme un représentant typique de la bourgeoisie, par son travail comme par ses attitudes. Bernard trouve une lettre de sa mère, de laquelle il comprend qu’il est un fils bâtard et décide de quitter sa maison ; il n’est pas tellement triste, il se sent plutôt libéré des contraintes de sa famille.

De l’autre côté, on a le père d’Olivier, Oscar Molinier, qui est un magistrat, et qui trompe à sa femme Pauline, mais, bien qu’elle le sache, elle se tait. Il est tiraillé entre sa femme, sa famille et sa maîtresse. On peut voir quelle est l’opinion d’Edouard sur lui, pendant une conversation, où Molinier lui avoue qu’il a une maîtresse et que sa femme a trouvé ses lettres :

« Je n’éprouvais pour lui que du dégoût. Je l’acceptais père de famille, bourgeois rangé, honnête, retraité ; amoureux, je ne l’imaginais que ridicule. » En assistant à cette même conversation, on voit aussi qu’il s’agit d’un homme plein de préjugés, l’exemple concret du préjugé sur Bernard et sur bâtardise, ce qui nous donne de lui l’image d’un homme assez conservateur et d’un esprit bien étroit :

«  Je préfère qu’Olivier ne fréquente pas trop ce garçon. […] Ce n’est pas qu’un enfant naturel ne puisse avoir de grandes qualités, des vertus même ; mais, le fruit de désordre et de l’insoumission porte nécessairement en lui des germes d’anarchie… »

Ensuite, le mensonge est présent dans les relations amoureuses. Le meilleur exemple est celui de Laura et Douviers, dont le marriage est fondé sur les apparences et le mensonge – elle ne l’aime pas, elle a un amant, Vincent, futur médecin et frère d’Olivier. Quant à lui, il ne sent pas tellement d’amour vers Laura, mais, plutôt une sorte d’obligation, parce qu’elle porte son enfant. Il accepte cette obligation et décide de prendre soin d’elle et de lui donner une somme d’argent, en croyant que c’est son devoir.

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« On ne fait pas un enfant à une femme sans se sentir quelque peu engagé vis-à-vis d’elle, surtout lorsque cette femme a quitté son mari pour vous suivre »

En même temps, il est amant de Lady Griffith et devient l’objet du jeu d’elle et de comte de Passavant, qui tout les deux ont des raisons pour le persuader qu’ils sont ses vrais amis. Ils lui prêtent d’argent, que Vincent va perdre dans un salon de jeu, où il a été emmené par comte de Passavant.

Lady Griffith et comte de Passavant sont les bourgeois typiques, avec toutes les pires caractéristiques qu’on peut avoir. Elle est amoureuse de Vincent et il veut établir un contact avec le frère de Vincent, Olivier, alors ils feignent de lui être amis pour obtenir ce qu’ils veulent de lui. En certains moments, ils nous rappellent les deux personnages principaux du roman « Les Liaisons dangereuses », vicomte de Valmont et marquise de Merteuil – eux aussi, ils s’ennuient, alors ils jouent avec les gens, avec leurs vies et leurs destins. Ils sont malicieux, cyniques, sans scrupules… Dans un dialogue, Lady Griffith ex plique à Vincent comment elle a changé après un naufrage :

« J’ai compris que j’avais laissé une partie de moi sombrer avec la Bourgogne, qu’à un tas de sentiments délicats, désormais, je couperais les doigts et les poignets pour les empêcher de monter et de faire sombrer mon cœur. « 

Comte de Passavant est un écrivain, un homme froid qui ne voit que son intérêt et son but. Il n’a jamais aimé son père et il ne montre aucune trace de tristesse en parlant de sa mort. Peut-être Lady Griffith le décrit le mieux quand elle dit : « Vous avez toutes les qualités de l’homme de lettres : vous êtes vaniteux, hypocrite, ambitieux, versatile, égoïste… »

Dans un chapitre, on peut même voir quelle est l’opinion d’écrivain, c’est-à-dire d’André Gide :

« Fortune, intelligence, beauté, il semble qu’ils aient tout, fors une âme. […] Ils sont sans loi, sans maîtres, sans scrupules. »

Une autre famille où on trouve beaucoup d’exemples de faux monnayeurs est la famille Vedel-Azais, composée des parents, quatre enfants et vieil Azais. Cette famille possède une pension, dont l’atmosphère est très étouffante et accable les résidents.

« Il connaît la pension Azais ; il sait l’air empesté qu’on y respire sous l’étouffant couvert de la morale et de la religion.  On y trouve la fausse morale, la religiosité excessive et une abondance du mensonge. Chacun dans cette famille est seul face à soi-même, chacun avec ses difficultés et chacun des enfants en proie à la solitude. Armand, un des enfants, possédé d’une rage immense, nous décrit très bien la situation dans sa famille :

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« Grand-père, lui, n’y voit que du feu. Maman s’efforce de ne rien comprendre. Quant à papa, il s’en remet au Seigneur. A chaque difficulté, il tombe en prière et laisse Rachel se débrouiller. […] Je comprends qu’il étouffe ici; moi, j’y crève. »

Le mensonge est présent partout dans la société. Ce sont les conventions sociales qui déforment toutes les relations. Manipuler et mentir – ça veut dire posséder l’aptitude à s’adapter à la société. Les êtres purs qui ne peuvent pas mentir n’ont pas de place dans la société. Le problème central de ce roman, c’est l’authencité d’un être, les relations compliquées entre ce que l’homme est ou peut être, et ce qu’il se croit être parce qu’il se soumet à ce que les autres pensent qu’il doit être.

Les Thibault

La première partie de ce roman, qui s’appelle « Le Cahier gris », est publié en 1922, et l’action se déroule à Paris, en 1905. Il s’agit de deux familles, Thibault et De Fontanin. La famille Thibault est composée du père Oscar Thibault, un grand bourgeois parisien, un catholique autoritare, futur sénateur, et ses deux fils, Antoine, un médecin assez conservateur et Jacques, un garçon de 14 ans, un individu révolté et très vif. La famille De Fontanin, une famille protestante, est composée des parents Thérèse et Jérôme, fils Daniel et fille Jenny. Jacques noue une amitié avec son camarade de classe, Daniel de Fontanin, dont les parents appartiennent à un milieu plus libéral que les siens. Ils ont une correspondance passionnée, mais, elle est découverte et jugée suspecte, notamment par le père de Jacques. Indigné par la reaction de son père, Jacques fait une fugue avec Daniel. Peu après, ils sont arrêtés et rendus à leurs familles. Mais, tandis que Daniel est accueilli avec bienveillance par ses parents, Jacques sera placé au pénitencier de Crouy. En écrivant ce roman-fleuve, Martin du Gard était influencé par un roman fameux de Tolstoi – « Guerre et Paix ». Il voulait donner une grande fresque historique et sociale de ce temps, ça veut dire le début du XXème siècle. Il le fait à travers une famille bourgeoise parisienne. Dans « Le Cahier gris », Oscar Thibault n’est que la caricature de lui-même. Du Gard peint le portrait satirique d’un bourgeois, qui ridiculise l’égoïste et vaniteuse bourgeoisie. Dès le début du « Cahier gris », il apparaît violent, impatient, hypocrite et plus occupé par le Congrès des Sciences morales que par la disparition de Jacques. « L’impossibilité d’en finir tout de suite par un acte d’autorité, et la pensée du Congrès des Sciences Morales qui s’ouvrait à Bruxelles le surlendemain, et où il était invité à présider la section française, firent monter une bouffée de rage au front de M. Thibault. » Il montre une attirance particulière vers les institutions disciplinaires – il s’adresse à la gendarmerie et à la police pour retrouver les fugitifs, et à cause de la peur du scandale, il ira jusqu’à souhaiter que Jacques lui soit ramené « menottes aux poignets ». Nous voyons aussi le bilan de son action chéritable, quand il enumère les brochures qu’il a écrites, les ligues qu’il a fondées, les congrès auxquels il a participé.

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« THIBAULT ( Oscar- Marie). – Chev. Lég. d’hon. – Ancien député de l’Eure. – Vice-président de la Ligue morale de Puériculture. – Fondateur et Directeur de l’Oeuvre de Préservation sociale. – Trésorier du Syndicat des œuvres catholiques du Diocèse de Paris. – 4 bis, rue de l’Université. » Il a même fondé le pénitencier à Crouy où il va envoyer son propre fils. « Est-ce que je n’ai pas créé, à ma colonie pénitentiaire de Crouy, un pavillon spécial où les enfants vicieux lorsqu’ils appartiennent à une autre classe sociale que nos pupilles, sont soumis à un traitement particulièrement attentif ? […] ce pavillon est toujours vide ! Est-ce à moi d’obliger les parents à y enfermer leurs fils ? »

Mais, à la fin du « Cahier gris », on le trouve dans une scène où il montre l’autre côté de sa personnalité – c’est un moment où il enlève son « masque » et dit une prière pour l’ âme de son fils. « Là, seul, redevenu lui, le gros homme arrondit les épaules ; un masque de fatigue paraît glisser de son visage, et ses traits prennent une expression simple […] Il s’approche du prie-Dieu et s’agenouille avec abandon. […] Il offre à Dieu sa déception, cette épreuve nouvelle ; et, du fond de son cœur délesté de tout ressentiment, il prie, comme un père, pour le petit égaré.  De l’autre côté, on a Jacques qui représente tout ce qui est contraire à son père. Il lit Musset, Zola, Goethe, les livres qui ne sont pas en accord avec l’éducation que son père veut qu’il ait ; il écrit des poèmes lui-même. Il y a en lui une sensibilité que le milieu familial et scolaire étouffe. La fugue qu’il fait avec son ami Daniel est une sorte de libération de ce milieu où il se sent incompris  ; c’est aussi une manière d’exprimer sa révolte. Il nous rappelle Bernard des « Faux Monnayeurs » qui aussi cherche sa liberté hors de sa famille et loin de l’autorité paternelle. Ce qui nous rappelle aussi les « Faux Monnayeurs », c’est la situation conjugale des Fontanin. A la difference de madame Molinier, Thérèse de Fontanin décide de ne pas se taire ; elle a divorcé de son mari et elle s’est réfugiée dans un certain mysticisme. Mais, on peut voir qu’elle est toujours faible quant à Jérôme et elle s’efforce vraiment de résister à ses essais de la séduire de nouveau et de regagner son amour. « Oh, je veux bien vous croire, je vous ai si souvent cru, déjà ; mais, cela n’a guère d’importance. Coupable ou non, responsable ou non, Jérôme, le mal a été fait, le mal se fait tous les jours, le mal se fera encore, - et cela ne doit pas durer… Séparons-nous, enfin. Séparons-nous définitivement. »

André Gide et Roger Martin du Gard ont décrit le monde et la société où ils vivaient, les gens qu’ils connaissaient et rencontraient. Ils vivaient dans la même époque et dans la même société et on peut tirer des leurs romans des traits communs. C’est la bourgeoisie française d’avant-guerre qui est vaine, hypocrite, tournée vers l’argent et la carrière, qui cache les sentiments et la vérité en essayant de maintenir une image fausse d’elle-même devant les autres. On voit l’homme comme un être corrompu par la société qui essaie constamment de s’adapter aux conditions que son environnement lui impose. De l’autre côté, on trouve des adolescents qui se rebellent contre l’autorité de leurs parents et de l’école, donc, contre tout ce qui les empêche de vivre comme ils voudraient. Ce qui est typique pour les deux œuvres, c’est la présence constante d’une sorte de lutte entre le côté conservateur, représenté par la génération plus ancienne, c’est-à-dire les bourgeois, et le côté

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libéral, représenté par les jeunes, qui tendent à vivre comme ils veulent, sans que leurs parents se mèlent.

LES FAUX MONNAYEURS – LE ROMAN D’UN ROMAN

- « Les Faux monnayeurs » est la seule de œuvres de Gide qu’il ait accepté de nommer roman- la structure de ce roman interroge les limites du genre romanesque, anticipant les recherches du nouveau roman- le Journal des Faux monnayeurs, tenu pendant la longue élaboration du livre, précise la pensée et le dessein de l’auteur- c’est un roman qui tend à bouleverser la conception du roman et même à nier la possibilité du genre- « le roman d’un roman » est la formule lancée par le romancier Edouard au moment où il parle de l’œuvre qu’il projette sous le même titre que celle de Gide- « Les Faux monnayeurs » ne sont que le roman d’un roman en train de s’écrire- l’opinion de Gide : le roman, nécessairement voué à l’échec puisqu’il prétend restituer la complète vérité de la vie, n’est intéressant que par les problèmes techniques nés de cette tentatives- la structure complexe du roman qui abandonne chronologie linéaire, multiplie les intrigues (le roman est irrésumable) et les niveaux de fiction (journal, intime, narration omnisciente), ne comprend pas moins de 25 personnages, et qui mêle différents points de vue narratifs jusqu’à creuser une mise en abyme avec l’intervention de l’auteur lui-même- la technique de la mise en abyme – le procédé emprunté à la peinture, où l’artiste utilise un miroir dans lequel se réfléchit, en plus petit, la scène principale, donnant ainsi au tableau l’illusion de la profondeur - le récit dans le récit, structure d’une œuvre qui en contient une autre en abyme – une œuvre montrée à l’intérieur d’une autre qui en parle

L’INNOVATION DE LA TECHNIQUE NARRATIVE

- après la guerre, le roman est en crise et on attend une technique romanesque pour exprimer la confusion où vivent les intellectuels - Gide a renouvelé le roman psychologique par la hardiesse et par la profondeur de ses analyses- par la publication des « Faux monnayeurs » il a bouleversé la conception traditionnelle du roman

1. la présentation indirecte des faits- il veut à tout prix éviter le simple récit impersonnel - il veut que les événements ne soient jamais racontés directement par l’auteur, mais plutôt exposés sous des angles différents par des personnages- la plupart de personnages assument tour à tour le rôle du narrateur- l’avantage – la présentation indirecte décrit autant celui qui parle que celui dont on parle- la multitude de personnages

2. la mise en abyme - le journal d’Edouard sert comme une sorte de miroir – nous avons le reflet des événements sur les personnages qui les vivent

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3. il n’y a pas de personnage principal – la composition est très complexe et chacun devient principal

4. il renonce à l’unité du sujet – il disloque le récit pour mieux le faire ressembler au désordre de la vie

5. narrateur n’est pas omniprésent - il n’a pas d’influence sur l’action- il découvre les événements en même temps que le lecteur- Gide préfère le style à la 3ème personne parce qu’il permet une distance plus grande entre le narrateur et le personnages

- Gide veut purifier roman de toute prétention au réalisme- il réduit le décor à quelques notions, les lieux sont vaguement localisés- la vie mentale des personnages s’exprime tout naturellement en monologues, lettres, discussions…

L’IMPORTANCE DE LA RELIGION DANS « LA SYMPHONIE PASTORALE »

- publié en 1919, c’est un bref récit qui surprend par la retour de Gide à une forme ancienne, et il retourne aussi à la question de la religion et la morale - le premier titre de ce livre était « L’Aveugle »- « pastorale » - cet adjectif qualifie ironiquement l’attitude du pasteur qui trompe Gertrude en lui donnant du monde une image harmonieuse où le mal et le péché ont été volontairement gommés- le substantif « symphonie » renvoie à une forme musicale et la métaphore ainsi créée évoque le discours de pasteur destiné à charmer Gertrude- c’est une histoire de la petite Gertrude, fille aveugle et abandonnée, qui est accueillie un jour par le pasteur- le pasteur est marié, chargé d’enfants, toute sa famille montre mécontentement - sa femme Amélie montre la jalousie parce qu’il donne beaucoup plus d’attention à Gertrude qu’aux autres enfants, mais elle accepte de s’occuper de la petite aveugle- son fils Jacques est aussi amoureux d’elle- lorsque après des années, le pasteur s’aperçoit que son affection pour Gertrude s’est changée en amour, il cherche à confirmer sa conviction qu’un sentiment si naturel et si pur ne peut pas être un péché - c’est alors qu’il, tout comme Gide lui-même, relit l’Evangile d’un œil nouveau et il n’y trouve proclamé que la loi d’amour et s’en autorise, avec une mauvaise foi inconsciente, pour légitimer dans son cœur la passion qui l’entraîne- Gide dénonce l’opposition entre le message évangélique du Christ et les lois établies dans l’église par Saint-Paul- Jacques se pose en défenseur de Saint-Paul, le pasteur en défenseur du Christ- Jacques l’emporte sur son père puisqu’il lit Saint-Paul à Gertrude - après avoir vu le pasteur, Gertrude a compris que c’était Jacques qu’elle aimait - accablée par tant de révélations, elle se jette au torrent et elle meurt peu après- le scandale, le désastre familial et la mort ont été les terribles conséquences - Jacques qui s’est converti au catholicisme par réaction contre son père, décide Gertrude à abjurer avant sa mort, et lui-même va entrer dans les ordres

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- Gide est fondé à dire que « La Symphonie pastorale » dénonce les dangers de la libre interprétation des Ecritures

André GIDE

Les nourritures terrestres” (1895) : Dans cette succession de rêveries poétiques, Gide prescrit au jeune Nathanaël, à la fois disciple et objet de séduction, d'abandonner toute règle morale et toute habitude de pensée, de fuir les conventions pour mieux rejoindre l'errance et la spontanéité du vivant, de goûter la vie dans sa spontanéité, de mieux connaître soi-même et le monde. Prônant désormais la légitimité d'un bonheur humaniste («rien que la terre») et le refus des acquisitions de l'éducation ou des impératifs de la morale, l'écrivain y exalte «la ferveur et l'ivresse d'une disponibilité sensuelle» : «Heureux, pensais-je, qui ne s'attache à rien sur la Terre et promène une éternelle ferveur à travers les constantes mobilités». Cette exaltation du sensualisme et ce culte de la disponibilité impliquent cependant un effort personnel, un don total de soi : «Que l'importance soit dans ton regard, non dans la chose regardée». Roman de 280 pages..Commentaire : Cette leçon d’existence, qui s'inspirait de sources multiples (contes orientaux, grands textes bibliques et discours inspirés de Nietzsche) et dont le ton lyrique n'exclut pas le caractère didactique, rencontra d’abord «une incompréhension presque totale» (“Si le grain ne meurt”) mais exerça plus trard une influence considérable.

“Les caves du Vatican” (1914) : Une rumeur se répand selon laquelle le pape serait séquestré dans les caves du Vatican par la bande de Protos. Lafcadio, un jeune homme sans famille, être de toutes les exigences et de toutes les audaces, à la recherche de l'«acte gratuit», commet sans raison le meurtre d'un inconnu rencontré dans un train, le vieillard Amédée Fleurissoire, qu'il pousse par la porte parce que rien ne l'en empêche. Puis il peut ensuite tout aussi bien sauver la vie d'une jeune fille. Roman d'aventures de 280 pages.Commentaire : Le texte décousu et ironique, que l'auteur définissait comme une «sotie», mêle intrigues et personnages dans un ton souvent parodique. Il scandalisa les milieux catholiques.

“La symphonie pastorale” (1919) : Dans les sévères montagnes de la Suisse, une jeune fille aveugle recouvre la vue grâce aux soins d'un pasteur protestant (d'où l'équivoque du titre) qui ne se rendait pas compte de la véritable raison de l'intérêt qu'il lui portait et qui se réveille d'un long sommeil hypocrite alors que les neiges fondent. Roman psychologique de 150 pages.Commentaire : Dans ce drame moral et conjugal, le classicisme de l'expression sert la ferveur sincère du ton.

GIDE ROMANCIER

- il a très tôt reçu l’héritage d’une stricte tradition protestante, ce qui marquera profondément son œuvre- il éprouve tôt, jusqu’à l’angoisse, le sentiment de n’être pas comme les autres- en 1891 il décide de se consacrer entièrement à la littérature

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- pour ses premières publications il se confond avec le personnage de André Walter, héros d’œuvres assez hermétiques selon l’idéal symboliste : « Les cahiers d’André Walter », « Le traité du Narcisse », « Le voyage d’Urien »- en 1893 il part pour Afrique du Nord pour se soigner de tuberculose - là, il devient conscient de sa homosexualité et désormais il ne pourra plus nier ni contenir cette part de son être- de retour en France, il publie une sotie « Paludes », où il raille la vie confinée des hommes de lettres parisiens – le monde qu’il a connu lui paraît bien fade et hypocrite* sotie – un genre dramatique de moyen âge, l’auteur y présente sous forme symbolique les thèmes de ses méditations sur l’homme et la condition humaine- après une rencontre avec Oscar Wild en Algérie, il commence la rédaction des « Nourritures terrestres » qui ont paru en 1897- cette œuvre chante la libération que Gide a connu pendant son premier séjour en Tunisie – elle est sans doute celle qui, aujourd’hui, offre l’attitude gidienne devant la vie- il se fiance avec sa cousine Madeleine, parce qu’un médecin l’a assuré que ses tendances homosexuelles disparaîtront avec le mariage - mais, une contradiction éclate entre les deux exigences qu’il porte en lui – dès lors commence son existence « d’immoraliste » tourmenté par les problèmes moraux- ces problèmes se réfléchiront dans « L’Immoraliste » de 1902 – récit partiellement autobiographique où sa femme apparaît sous les traits de Marcelline- le personnage principal, Michel, malgré l’amour qu’il éprouvait pour sa femme, sent naître en lui un goût furieux de la vie et le besoin de posséder une liberté absolue- en 1909 apparaît « La Porte étroite » - l’héroïne Alissa, inspirée par Madeleine, est antithèse de Michel le héros d’Immoraliste- sous l’influence des grands œuvres de Dostoïevski, il concevait le roman comme une œuvre de vastes dimensions, présentant une multiplicité d’événements et de personnages- « Les Caves du Vatican » était en 1913 la première approche de ce roman d’aventure vers lequel il se sentait attiré- en 1919 il publie « La Symphonie pastorale »- en 1920 il publie le livre « Si le grain ne meurt » - mémoires qui vont de l’enfance à l’époque des fiançailles – l’œuvre autobiographique- en 1925 – « Les Faux monnayeurs » - roman qui ouvre la voie au roman moderne, somme des réflexions sur le genre romanesque, il a bouleversé la conception traditionnelle du roman- c’est la première œuvre que Gide appelle « roman »- 1927 – « Voyage au Congo » où il dénonce les exactions du système colonial - en 1935 – parution des « Nouvelles nourritures » qui ont marqué l’intérêt inattendu de cet individualiste pour le communisme- à la veille de la Seconde guerre mondiale, il livre au public 50 ans de sa vie dans « Le Journal » qui comprend la période de 1889 à 1939- Gide a parlé de lui-même par l’entremise des personnages qu’il a créé- la notion de gidisme ou « culte de moi » est étroitement liée à la libération gidienne c’est-à-dire à son choix sexuel

Marcel Proust

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Marcel Proust est un des plus grands écrivains français du XXe siècle. Son œuvre la plus connue ''À La Recherche du Temps perdu’’ est l'ensemble d'une quinzaine de volumes où dominent les thèmes: l'amour, la jalousie, la mort, la mémoire, le temps.Toute la vie de Marcel Proust est le sujet de son œuvre. La Recherche, c'est le drame d'un homme velléitaire, l'histoire de la métamorphose d'un garçon maladif et hypersensible en artiste.Marcel Proust est le premier écrivain qui ait fait de la mémoire le fondement, le sujet et le centre d'une grande œuvre, écrit Benjamin Crémieux dans la Nouvelle Revue Française.

''Toute la vie maladive de Proust est une économie de forces, une lutte contre la mort, une préservation de ce qui est, de ce qui fut. Toute son œuvre est une conservation ou une poursuite du passé et met d'abord en œuvre la mémoire, l'instrument à reconquerir le passé.''

Dans le premier volume Du Côté de chez Swann, le narrateur, Proust lui-même est un homme qui pendant une nuit d'insomnie, évoque les faits et les personnages en revivant les sensations d'un temps. Dans ce voyage à la recherche du passé, le narrateur se rappelle son enfance, la maison de sa grand-tante à Combray où il passait les vacances.''Combray'' est un petit ensemble qui ouvre La Recherche du Temps perdu. La première partie de l'œuvre monumentale de Marcel Proust raconte le drame du coucher qui obsède le narrateur. La phrase: ''Longtemps je me suis couché de bonne heure'', si peu proustienne, est peut-être la phrase la plus connue dans la littérature française. Pour expliquer sa découverte essentielle du romancier du temps passé, le narrateur se souvient de ses inquiétudes enfantines. Il raconte à quel point l'heure du coucher était une torture pour lui. Il allait passer une nuit loin de sa maman, ce qui l'angoisse au plus haut point: ''Le moment où il faudrait me mettre au lit, loin de ma mère et de ma grand-mère, dans une chambre à coucher, redevenait le point fixe et doulereux de mes préoccupations.''

Le phénomène de la mémoire

À la Recherche du Temps perdu est à la fois l'histoire d'une époque et l'histoire d'une conscience, écrit Ramon Fernandez; ce dédoublement et cette conjonction en font la profonde, la surprenante originalité. Cette œuvre, en effet, est à la fois observation et introspection; elle est le monde et elle est le moi, car la grande découverte de Proust c'est que non seulement le monde s'ordonne autour de nous, mais qu'il est en nous, qu'il est nous-même.Marcel Proust a fait une révolution dans la littérature française parce qu'il a plongé dans la sphère de l'inconscient. Proust a reconnu clairement la part de l'inconscient dans la vie de l'homme. Il a compris la complexité de notre ''moi'', l'existence de plusieurs êtres qui résident en nous, dont un seul être agît sous le contrôle de notre volonté. Les souvenirs oubliés qui existent en nous, peuvent être retournés dans notre mémoire, mais ces souvenirs sont si faibles, si pâles. Son génie est une longue mémoire, écrit Robert Traz dans sa Note sur l'inconscient chez Marcel Proust. Cette surprenante imagination mémorisée, il s'en est servie non seulement pour se rappeler mais pour découvrir. Le premier, il a vu qu'elle était le seul moyen de communiquer avec l'inconscient.Il existe deux types de mémoire: la mémoire volontaire ou intellectuelle et la mémoire involontaire ou affective. La mémoire volontaire peut restituer le passé mais cette image est blême et sans vivacité. D'autre part, la mémoire involontaire peut faire revivre et sentir le passé qui se manifeste comme un souvenir inatendu, involontaire. Cette sensation est plus dynamique et plus

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impressionnante. Proust rejette la mémoire volontaire et la mémoire involontaire devient le point de départ de sa création. ''Son point de départ est une sensation oubliée qui se réveille fraîche, active et soulève de proche en proche, et jusqu' à l'âme des émotions.''Toute œuvre de Proust est fondée sur le souvenir involontaire. C'est grâce à ce souvenir qu'il a redécouvert le temps oublié dans son grand roman psychologique. Ce souvenir ne diminue pas notre plaisir et n'augmente pas le regret. Cette mémoire devient la source de notre satisfaction, la cause du plaisir. Grâce à cela, le temps passé devient plus qu'un temps actuel, il devient une chose stable et durable. À ce moment-là, vraiment extraordinaire, les ''moi'' d'autrefois ressuscitent et prennent place à côté de notre ''moi'', actuel et conscient. Afin d'obtenir cet effet, il suffit parfois de goûter un morceau de gâteau, de toucher les lèvres avec une serviette de table, de se heurter le pied contre une pierre, ou n'importe quel autre sentiment du passé qui en ressuscitant le même sentiment fait revivre automatiquement toute une situation et l'atmosphère, des personnages et l'état de l'âme.

''Le corps se souvient''De même, quelque position de notre corps peut nous rapporter un certain événement du passé lointain. Notre corps se rappelle, il est le gardien fidèle de notre passé. Cela veut dire que notre mémoire n'est pas concentrée seulement dans le cerveau et que nous nous souvenons de tout notre corps. Donc, la mémoire du corps vient au secours de la mémoire célebrale. Voici un extrait qui éclaircit le phénomène du corps qui se souvient:

Mon corps, [...] cherchait, d'après la forme de sa fatigue, à repérer la position de ses membres... Sa mémoire, la mémoire de ses côtés, de ses genoux, de ses épaules lui présentait successivement plusieurs des chambres où il avait dormi... Et avant même que ma pensée [...] eût identifié le logis[...], lui mon corps se rappelait pour chacun le genre du lit: la place des portes, la prise de jour des fenêtres, l'existence d'un couloir [...] et mon corps, le côté sur lequel je reposais, gardiens fidèles d'un passé que mon esprit n'aurait jamais dû oublier me rappelaient la flamme de la veilleuse de Bohème, [...] le cheminet de marbre de Sienne dans ma chambre à coucher de Combray chez mes grands-parents, [...] et que je reverrai tout à l'heure quand je serais tout à fait éveillé.

Pendant longtemps, le narrateur se souvient de Combray, de son enfance et de ses séjours dans la maison de sa grand-tante Léonie, grâce à sa mémoire volontaire. Cependant il n'en est pas content parce que tous les renseignements ne sont pas l'image authentique du passé. C'est ainsi que, pendant longtemps, quand, réveillé la nuit, je me ressouvenais de Combray [...] Mais comme ce que je m'en serais rappelé m' eût été fourni seulement par la mémoire volontaire, la mémoire de l' intelligence, et comme les renseignements qu'elle donne sur le passé ne conservent rien de lui, je n'aurais jamais envie de songer à ce reste de Combray. Tout cela était en réalité mort pour moi

Combray était en réalité mort pour lui. A cet instant le mécanisme de la mémoire intellectuelle est impuissant à évoquer notre passé. C'est une preuve de plus que la mémoire mécanique que nous mettons en marche quand nous voulons, ne peut pas conserver le passé. En ce moment tous les efforts de notre intelligence sont inutiles. Alors on se demande si ce passé est disparu pour toujours. Conscient de la faiblesse de la mémoire active, Proust pressent la puissance d'une autre mémoire- involontaire et inconsciente. Il était excessivement sensible aux perceptions sensuelles de l'odeur et du goût. La mémoire se cache dans le goût et l'odeur plus que dans la vue et l'oreille. Il s'agit évidément d'une autre forme de mémoire - la mémoire des sens qui est, selon Proust, plus puissante que la mémoire de l'intelligence.

''Les petites Madeleines''

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Un évenement inattendu sera d'une grande importance pour le narrateur. C'est un moment de sa vie qui va enfin réveiller son esprit d'inertie. Cet exemple illustré par l'épisode ''des petites madeleines'', qui lui permet d'évoquer toute son enfance, est la clef du phénomène de la mémoire chez Marcel Proust.

Il y avait déjà bien des années que de Combray, tout ce qui n'était pas le théâtre et le drame de mon coucher, n'existait plus pour moi, quand un jour d'hiver, comme je rentrais à la maison, ma mère, voyant que j'avais froid, me proposa, contre mon habitude, un peu de thé. Elle envoya chercher un de ces gâteaux courts et dodus appelés Petites Madeleines[...]Et bientôt, machinalement,[...] je portais à mes lèvres une cuillerée du thé où j'avais laissé s'amollir un morceau de madeleine. Mais à l'instant même où la gorgée mêlée de miettes de gâteau toucha mon palais, je tressailis, attentif à ce qui se passait d'extraordinaire en moi. Un plaisir délicieux m'avait envahi, isolé, sans la notion de sa cause. Il m'avait aussitôt rendu les vicissitudes de la vie indifférentes, [...]. en me remplissant d'une essence précieuse: ou plutôt cette essence n'était pas en moi, elle était moi. J'avais cessé de me sentir médiocre, contingent, mortel. D'où avait pu me venir cette puissante joie?' Observons maintenant de plus près l'expérience de la petite madeleine et voyons ce qui déclenche ''le plaisir délicieux'' qui accompagne la ressurection du monde oublié de l'enfance. Est-ce le petit morceau de madeleine trempé dans le thé ou son goût? Regardons à ce propos le temoignage du narrateur.

Je sentais qu'elle était liée au goût du gâteau mais qu'elle le dépassait infinement, ne devait pas être de même nature. D'où venait-elle? Que signifiait-elle? Je bois une seconde gorgée où je ne trouve rien de plus que dans la première, une troisième qui apporte un peu moins que la seconde. Il est temps que je m'arrête, la vertu du breuvage semble diminuer. Il est clair que la vérité que je cherche n'est pas en lui mais en moi.La répétition fortuite d'impressions analogues, signalées par une joie indicible, permettra à l'auteur de découvrir enfin le secret de cette joie. Le narrateur tente de remonter à la source de cette joie. Il sent en lui quelque chose qui se déplace, voudrait s'élever; il éprouve la resistance et entend la rumeur des distances traversées. Il dévine que, ce qui palpite ainsi au fond de lui, ce doit être l'image, le souvenir lié à cette saveur.A partir de ce moment-là, la mémoire remue.

'Et tout d'un coup le souvenir m'est apparu. Ce goût, c'était celui du petit morceau de madeleine que le dimanche matin, à Combray [...], quand j'allais lui dire bonjour dans sa chambre, ma tante Léonie m'offrait après l'avoir trempé dans son infusion de thé ou de tilleul. La vue de la petite madeleine ne m'avait rien rapporté avant que je n'y eusse goûté [...] peut-être, parce que, de ses saveurs abandonnées si longtemps hors de la mémoire, rien ne survivait, tout s'était désagrégé;[...] Mais quand d'un passé ancien rien ne subsiste, après la mort des êtres, après la destruction des choses, seules, plus frêles, mais plus vivaces, plus immatérielles, plus persistantes, plus fidèles, l'odeur et la saveur restent encore longtemps, comme des âmes, à se rappeler, à attendre, à espérer, sur la ruine de tout le reste, à porter sans fléchir, sur leur gouttelette presque impalpable, l'édifice immense du souventLa résurrection du passéGrâce à cette sensation le souvenir est apparu. C'était sa tante Léonie qui lui offrait des petites madeleines trempées dans le thé. C'est alors que, des années après son enfance le thé et les miettes du gâteau ont fait remonter la partie de sa vie passée à Combray. Dès que le narrateur a reconnu le goût des petites madeleines, tout Combray a surgi de sa tasse de thé. Et dès que j'eus reconnu le goût du morceau de madeleine trempé dans le tilleul que me donnait ma tante (quoique je ne susse pas encore et dusse remettre à bien plus tard de découvrir pourquoi ce souvenir me rendait si heureux), aussitôt la vieille maison grise sur la rue, où était sa chambre vint comme un décor de théâtre s'appliquer au petit pavillon donnant sur le jardin, qu'on avait construit par mes parents[...] et avec la maison, la ville [...] la place où on m' envoyait avant de déjeuner, les rues où j'allais faire des courses, les chemins qu' on prenait si le temps était beau. Et comme dans ce jeu où les Japonais s'amusent[...] de même maintenant toutes les fleurs de notre jardin et celle du parc du M. Swann, [...] et les bonnes gens du village et leurs petits logis et d' église et tout Combray et ses environs, [...] est sorti, ville et jardins, de ma tasse de thé.Tout Combray a ressuscité. A cet instant le temps est retrouvé et vaincu puisque le fragment du passé est transformé au présent. Le narrateur a vaincu toute une éternité. Il a fait revivre tout un monde, oublié pour toujours. L'œuvre romanesque de Marcel Proust est une reflexion sur le temps et la mémoire affective. L'auteur a livré dans la Recherche du Temps perdu de grandes analyses sur le temps, grâce à sa

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théorie de la madeleine. La madeleine cristallise la théorie proustienne de la mémoire. Les médias de la reminescence sont l'odeur et la saveur. Autrement dit, il s'agit d'une action sensuelle, et non d'une entreprise intellectuelle.Au moment de l'extase suscitée par ''les petites madeleines'' l'auteur ne sait pas clairement pourquoi ce souvenir le rend si heureux. C'est sans doute le préssentiment de sa propre vocation de l'écrivain. Grâce à la mémoire involontaire Proust réussira à raconter son passé. Il réussira à transformer cette ville, l'église et les habitants dans une grande œuvre littéraire.Le monde animé par Proust n'est pas comme celui de Balzac ajouté au monde réel. Son surréalisme consiste à affirmer que l'homme peut vaincre le temps, s'en rendre maître. Il a lutté contre la mort: la mémoire sur laquelle est fondée son œuvre est-il autre chose, dans le monde mental, que le triomphe de la vie sur la mort?Un amour de Swan- Charles Swann, un riche bourgeois, amoureux de l’art et de la musique, fait connaissance d’Odette de Crécy, une cocotte du demi-monde. Peu à peu, Swann tombe amoureux de cette femme et, aveuglé par cet amour, il ne réalise pas qu’Odette est une femme facile qui le trompait. Il souffre de la jalousie énorme, mais avec le temps il finit par se détacher d’elle. Cette histoire se déroule du temps de la jeunesse de Swann et Odette, plusieurs années avant la naissance de narrateur.

La description physique d’Odette

Au début, Swann ne s’intéressait pasàOdette. Il ne la trouvait pasbelle pour son goût et n’avait aucun désir pour elle. Elle était apparue à Swann non pas certes sans beauté, mais d’un genre de beauté qui lui était indifférent, qui ne lui inspirait aucun désir, lui causait même une sorte de répulsion physique […] Elle avait un profil trop accusé, la peau trop fragile, les pommettes trop saillantes, les traits trop tirés. Ses yeux étaient beaux mais si grands qu’ils […] fatiguaient le reste de son visage et lui donnaient toujours l’air d’avoir mauvaise mine ou d’être de mauvaise humeur.Analysant la description d’Odette, on peut voir une répétition du mot trop qui donne l’impression que toutes ses qualités, exagérées, se transforment en défauts.Plus tard, Swann trouve la ressemblance entre Odette et Zéphora, la fille de Jéthro, dans la fresque de Botticelli. À partir de ce moment-là il commence à regarder Odette d’une manière différente.Une fois transformée en chef-d’œuvre, la chair d’Odette ne constitue plus un obstacle. Debout à côté de lui, laissant couler le long de ses joues ses cheveux qu’elle avait dénoués, fléchissant une jambe dans une attitude légèrement dansante pour pouvoir se pencher sansfatigue vers la gravure qu’elle regardait […] elle frappa Swann par sa ressemblance avec cette figure de Zéphora, la fille de Jéthro, qu’on voit dans une fresque de la chapelle Sixtine. […] Il plaça sur sa table de travail, comme une photographie d’Odette, une reproduction de la fille de Jéthro. Il admirait les grands yeux, le délicat visage qui laissait deviner la peau imparfaite, les boucles merveilleuses des cheveux le long des joues fatiguées.

La cocotte Odette

Odette est une femme avec une grande expérience dans les relations amoureuses. Elle sait subtilement manipuler les gens, particulièrement les hommes. Au début, elle tente de séduire Swann en usant de la flatterie. Elle lui montre qu’elle est toujours disponible pour lui.

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Et puis d’ailleurs vous aussi, lui avait-il dit, je sais bien ce que c’est que les femmes, vous devez avoir des tas d’occupations, être peu libre. – Moi, je n’ai jamais rien à faire ! Je suis toujours libre, je le serai toujours pour vous. À n’importe quelle heure du jour ou de la nuit où il pourrait vous être commode de me voir, faites-moi chercher, et je serai trop heureuse d’accourir.D’une part, quand ils parlent des travaux et collections de Swann, Odette se dévalorise en disant qu’elle voulait savoir tout concernant ses travaux, mais qu’elle ne sait rien. Je comprends que je ne peux rien faire, moi chétive à côté de grands savants comme vous autres, lui avait-elle répondu. Je serais comme la grenouille devant l’aréopage.D’autre part, elle glorifie Swann en disant qu’il n’était pas comme tous les autres, qu’il était pour elle quelque chose de plus que les autres êtres. Vous avez peur d’une affection ? Comme c’est drôle, moi qui ne cherche que cela, qui donnerais ma vie pour en trouver une, avait-elle dit d’une voix si naturelle, si convaincue, qu’il en avait été remué. Vous avez dû souffrir par une femme. Et vous croyez que les autres sont comme elle. Elle n’a pas su vous comprendre ; vous êtes un être si à part. C’est cela que j’ai aimé d’abord en vous, j’ai bien senti que vous n’étiez pas comme tout le monde.Ils se rencontraient chaque soir dans le salon des Verdurin et Swann n’était pas toujours conscient de la nécessité de ce bonheur, de pouvoir passer le temps avec elle. Mais, un soir, Odette n’était pas chez les Verdurin quand il est venu. Swann la cherchait désespérément par les rues de Paris, et, quand il l’a trouvée,elle s’est troublée tant que les fleurs de son corsage, catleyas,sont tombés. C’est à ce moment-là queleurs relations intimes commencent. Et quand on dit »faire catleyas« ça signifie faire l’amour. Cela ne vous gêne pas que je remette droites les fleurs de votre corsage qui ont été déplacées par le choc. J’ai peur que vous ne les perdiez, je voudrais les enfoncer un peu. Elle, qui n’avait pas été habituée à voir les hommes faire tant de façons avec elle, dit en souriant : Non, pas du tout, ça ne me gêne pas. […] Sérieusement, je ne suis pas désagréable ? Et en les respirant pour voir s’ils n’ont vraiment pas d’odeur non plus ? Je n’en ai jamais senti, je peux ? Dites la vérité ? Souriant, elle haussa légèrement les épaules, comme pour dire : vous êtes fou, vous voyez bien que ça me plaît.Enfin, Odette a réussi à établir une liaison avec Swann. Elle a obtenu tout ce qu’elle voulait. Swann, pour maintenir son affection,lui donnaitl’argent et beaucoup de cadeaux, et elle était sûre qu’il ne pourrait plus se passer d’elle.

Jalousie de Swann

Bientôt, elle a invité chez les Verdurin un autre homme, le comte de Forcheville, et elle commence à se comporteravec indifférence envers Swann. Elle lui donnait des rendez-vous, mais chaque fois elle cherchait un nouveau prétexte pour ne pas le recevoir. Il arriva chez elle après onze heures, et, comme il s’excusait de n’avoir pu venir plus tôt, elle se plaignit que ce fût en effet bien tard, l’orage l’avait rendue souffrante, elle se sentait mal à la tête et le prévint qu’elle ne le garderait pas plus d’une demi-heure, qu’à minuit, elle le renverrait ; et, peu après, elle se sentit fatiguée et désira s’endormir. -Alors, pas de catleyas ce soir ? lui dit-il, moi qui espérais un bon petit catleya.Et d’un air un peu boudeur et nerveux elle lui répondit : Mais non, mon petit, pas de catleyas ce soir, tu vois bien que je suis souffrante !Swann était tourmenté par le doute qu’elle lui mentait, qu’elle n’était pas fatiguée, mais qu’elle attendait quelqu’un d’autre. Cette pensée le fit revenir chez elle pour voir si ses doutes étaient vrais.Parmi l’obscurité de toutes les fenêtres éteintes depuis longtemps dans la rue, il en vit une seule d’où débordait […] la lumière qui remplissait la chambre et qui, tant d’autres soirs, du plus loin

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qu’il l’apercevait, en arrivant dans la rue le réjouissait et lui annonçait : elle est là qui t’attend, et qui maintenant, le torturait en lui disant : elle est là avec celui qu’elle attendait. […] Il souffrait […] d’entendre ce murmure qui révélait la présence de celui qui était venu après son départ, la fausseté d’Odette, le bonheur qu’elle était en train de gouter avec lui. […] Il regarda. Devant lui, deux vieux messieurs étaient à la fenêtre. […] Il s’était trompé et avait frappé à la fenêtre suivante qui appartenait à la maison voisine.Ici, nous pouvons voir à quel point Swann arrive aux extrêmes, et il se ridiculise en se trompant de fenêtre. C’est exactement la jalousie qui lui montre la véritable identité d’Odette, mais il ne le réalise pas, il ne voit pas qu’elle le trompe réellement.Swann et Odette se rencontraient seulement le soir et il ne savait pas comment elle passait ses journées. Il imaginait beaucoup de situations différentes et c’est pour cela qu’il a décidé de la visiter unaprès midi. Mais, ce jour-là, Odette gardait la porte fermée pour lui, parce qu’elle était en compagnie de Forcheville. Quelques heures après, il estrentré chez elle, cette fois ci elle a ouvert la porte et a commencéà s’excuser. Swann savait qu’elle mentait àl’expression de son visage. Quand elle mentait, prise de peur, se sentant peu armée pour se défendre, incertaine du succès, elle avait envie de pleurer, par fatigue, comme certains enfants qui n’ont pas dormi.

La fin de l’amour

Swann essaie par tous les moyens de récupérer Odette, mais il comprend qu’il ne pouvaitrécupérer le bonheur passé et qu’elle ne pourra plus jamais l’aimer comme avant. Avec la fin de son amour, il reçoit une lettre anonyme par laquelle il apprend pour la passé d’Odette. Un jour il reçut une lettre anonyme, qui lui disait qu’Odette avait été la maîtresse d’innombrables hommes (dont on lui citait quelques-uns parmi lesquels Forcheville, M. de Bréauté et le peintre), de femmes, et qu’elle fréquentait les maisons de passeEn posant des questions à Odette sur ces rumeurs, Swann découvre que tout cela est vérité. Elle ne faisait pas ça seulement dans son passé lointain, mais aussi dans le temps où il croyait d’êtreheureux. Mais, l’amour de Swann le quitta.  Il se disait : La vie est vraiment étonnante et réservé de belles surprises; en somme le vice est quelque chose de plus répandu qu’on ne croit. Voilà une femme en qui j’avais confiance, qui a l’air si simple, si honnête, en tous cas, si même elle était légère, qui semblait bien normale et saine dans ses goûts : sur une dénonciation invraisemblable, je l’interroge et le peu qu’elle m’avoue révèle bien plus que ce qu’on eût pu soupçonner.

Mme de VerdurinEn dehors d’Odette il y a un autre personnage féminin très important. C’est Mme de Verdurin, une riche bourgeoise parisienne qui règne avec beaucoup d’autorité sur son salon, son petit clan. Derrière une façade de gentillesse, Mme de Verdurin dissimule une nature profondémentobsessionnelle. Elle devient très jalouse quand un de ses invités, ses fidèles, visite régulièrement un autre salon.Au début, Mme de Verdurin favorise le rapprochement entre Swann et Odette.

Odette était allée s’asseoir sur un canapé de tapisserie qui était près du piano :- Vous savez, j’ai ma petite place, dit-elle à Mme de Verdurin.Celle-ci, voyant Swann sur une chaise, le fit lever :- Vous n’êtes pas bien là, allez donc vous mettre à côté d’Odette.

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Mais, un jour Swann déclare qu’il fréquente des gens haut placés. Extrêmement jalouse et possessive, Mme de Verdurin considère que c’est une infidélité et une trahison et à partir de ce moment-là commence la disgrâce de Swann.Dans un esprit de vengeance, Mme de Verdurin s’emploie à séparer Swann d’Odette et favorise une liaison entre Odette et comte de Forcheville.

- Odette, nous vous ramenons, dit Mme de Verdurin, nous avons une petite place pour vous à côté de M. de Forcheville.- Oui, madame, répondit Odette.- Comment, mais je croyais que je vous reconduisais, s’écria Swann […].- Mais Mme de Verdurin m’a demandé…- Voyons, vous pouvez bien revenir seul, nous vous l’avons laissée assez de fois, dit Mme de Verdurin.- Mais c’est que j’avais une chose importante à dire à Madame.- Eh bien ! vous la lui écrirez…

Ici, on peut voir qu’elle adore faire les couples, mais aussi les défaire. À partir de ce moment Swann ne visitera plus le salon des Verdurin, seule Odette continuera à le fréquenter.Non seulement insensible, Mme de Verdurin est aussidépourvue de bon goût et de sens esthétique. En prétendant d’être passionnée pour l’art et la musique, elle espère s’élever au même niveau que les aristocrates. Et la seule réaction qu’elle montre en écoutant sa sonate favorite consiste à fondre en larmes.

- Ah ! non, non pas ma Sonate ! cria Mme de Verdurin, je n’ai pas envie à force depleurer de me fiche un rhume de cerveau avec névralgies faciales, comme la dernière fois ; merci du cadeau, je ne tiens pas à recommencer ; vous êtes bons vous autres, onvoit bien que ce n’est pas vous qui garderez le lit huit jours !

Tout ce qu’on sait d’Odette de Crécy est connude ces relations avec les hommes, et, concrètement, de sa relation avec Charles Swann. Toute leur histoire est résumée dans la dernière phrase, quand Swann dit : Dire que j’ai gâché des années de ma vie, que j’ai voulu mourir, que j’ai eu mon plus grand amour, pour une femme qui ne me plaisait pas, qui n’était pas mon genre !En un moment, une femme naïve, bonne, incapable de ne pas dire la vérité, et l’instant d’après si vulgaire, la pauvre petite, elle est tellement bête.Proust a même dit : Tels personnages se révéleront plus tard différents de ce qu’ils sont dans le volume actuel, différents de ce qu’on les croira, ainsi qu’il arrive bien souvent dans la vie, du reste.

On peut conclure que les femmes sont les protagonistes et les initiateurs de la vie mondaine. D’une côté, Odette de Crécy, une cocotte, qui a accédé à la société bourgeoise par ses relations amoureuses, et de l’autre côté, Mme de Verdurin, par laquelle le monde de la bourgeoisie est introduit, et qui serve d’un prétexte pour la critique de la vie mondaine de la bourgeoisie.Marcel PROUST”Du côté de chez Swann” (1913) : Le texte de 420 pages se subdivise en trois parties :

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”Combray” : Le narrateur, enfant né au cours du dernier tiers du XIXe siècle, est nerveux et maladivement attaché à sa mère. Il évoque les personnalités de ses parents qui vivent à Paris, son père qui semble avoir des fonctions au ministère des Affaires étrangères et surtout sa mère ; mais aussi sa grand-mère, sa tante Léonie, la servante Françoise, son oncle Swann, son enfance qu’il a passée en particulier dans le village de Combray où il s'est formé, avec les paysages des environs dont la topographie est élevée à la hauteur d'un symbolisme spatial. Un jour, en goûtant à une «petite madeleine» trempée dans le thé, ce qu’il n’avait pas fait depuis son enfance, il a la révélation de ce qui va lui permettre de retrouver son passé, le temps perdu. C’est un «ressouvenir inconscient», une sensation-souvenir grâce à laquelle, par une analyse aux confins du conscient et de l'inconscient, remarquable par sa délicatesse pénétrante, il a découvert une mémoire involontaire liée à ces sensations et qui supplée à l'insuffisance de la mémoire volontaire. Cela conduit à cette constatation fondamentale : «Mais, quand d'un passé ancien rien ne subsiste, après la mort des êtres, après la destruction des choses, seules, plus frêles mais plus vivaces, plus immatérielles, plus persistantes, plus fidèles, l'odeur et la saveur restent encore longtemps, comme des âmes, à se rapeller, à attendre, à espérer, sur la ruine de tout le reste, à porter sans fléchir, sur leur gouttelette presque impalpable, l'édifice immense du souvenir.» Ces sensations sont très «frêles» (d'où la difficulté à les cerner qui est rapportée précédemment), ce ne sont que des «goutelettes presques impalpables» mais elles portent «l'édifice immense du souvenir», Proust s'étant très habilement employé à ce que sa longue phrase solennelle, à l'ampleur lyrique, se termine sur cette antithèse significative. Cette expérience psychologique est l'ouverture de l'immense "recherche du temps perdu" au terme de laquelle le temps est «retrouvé». Le narrateur sera donc le poète de ces «instants privilégiés», de ces «réminiscences brusques», de ces moments d'intuition d'une durée intemporelle, mais aussi, fatalement, de tous les autres moments inutiles et gâchés qui précédèrent cette trouvaille et qu'il appellera le temps perdu. Dans cette page, après les travaux de Bergson sur “Les données immédiates de la conscience”, Proust a donné sur le fonctionnement de la mémoire une ouverture originale, et elle a eu un grand écho dans la littérature du XXe siècle.La petite madeleine restitue au narrateur la vie à Combray, la tante Léonie, l'église, ses vitraux, son clocher, M. Legrandin, Eulalie, l'oncle Adolphe et «la Dame en rose», Bergotte, Bloch, M. Vinteuil et sa fille. Un jour, du côté de chez Swann, il rencontre la fille de celui-ci, Gilberte, qui lui lance un regard étrange. D'un talus par une fenêtre ouverte, il assiste à une scène de sadisme entre Mlle Vinteuil et son amie. Il a déjà des velléités littéraires, mais doute de son talent. Un jour, cependant, au cours d'une promenade à Martinville avec le Dr Percepied, il éprouve une impression très forte de trois clochers dans l'espace. Les mots que lui inspire cette impression seront les premiers signes de sa vocation. Pour ses promenades solitaires s’offrent deux «côtés», comme on dit à la campagne, le côté de Guermantes et le côté de Méséglise, et il découvre le rôle que ces deux «côtés» auront dans sa vie future, chacun représentant une direction de sa vie sentimentale et sociale. Ces deux côtés paraissent sans communication possible à ses yeux d'enfant.

“Un amour de Swann” : Swann, l'homme le plus élégant de sa génération, est un grand bourgeois supérieurement intelligent, un être fin et distingué, un amateur délicat et un esthète passionné d'art, dont l'activité principale est l'étude de grands maîtres de la peinture, en particulier Vermeer de Delft, et certains maîtres italiens dont Botticelli, Ghirlandajo, Tintoret. Lorsqu'il rencontre, dans une soirée musicale et mondaine, la dame en rose, Odette de Crécy, demi-mondaine, il est frappé par sa ressemblance avec un personnage faisant partie d'une fresque de la chapelle Sixtine : Zéphora, la fille de Jéthro. Cette femme, sans valeur et dont il n'aime même pas le type, fréquente assidûment

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un salon présidé par de petits snobs : les Verdurin. Swann essaie de s'y faire introduire par le grand-père du narrateur qui ne cache pas son mépris : «Ah bien ! Nous allons avoir de l'agrément si Swann s'affuble des petits Verdurin !» Ce «petit clan» est formé de riches bourgeois vulgaires entichés de bohème et dédaigneux, jusqu'à nouvel ordre, des gens du monde. Les fidèles, dont le Dr Cottard, sont toujours prêts à encenser les maîtres de maison : madame Verdurin, «ivre de camaraderie, de médisance et d'assentiment, sanglotait d'amabilité». Au cours d'une soirée où participent des musiciens, Swann est très ému par une phrase musicale de «la sonate de Vinteuil», dont le souvenir sera toujours lié à la présence d'Odette. Cette dernière donne tous les signes du grand amour, courtise habilement le jeune homme et le transforme peu à peu en une sorte d'esclave d'elle-même et des Verdurin avec lesquels, cependant, il a peu de points de communication. Ce qu'éprouve Swann pour Odette, c'est un désir physique intense mais toujours lié à des émotions artistiques. Par contre, très rapidement, celle-ci se dérobe à son amour : elle lui donne des rendez-vous auxquels elle ne se rend pas, elle prétexte une migraine pour ne pas le recevoir, refuse de se montrer en public avec lui. Toutes ces attitudes engendrent chez Swann un vif sentiment d'inquiétude et de jalousie. Il essaie de l'intéresser à l'art, mais elle trouve cela bête et ennuyeux ; ne lui dit-elle pas, en parlant de Vermeer : «Vous allez vous moquer de moi, ce peintre, je n'avais jamais entendu parler de lui ; vit-il encore?». Chez les Verdurin, le manque d'admiration de Swann pour les choses médiocres le fait entrer en disgrâce et on l'invite de moins en moins. Il continue à combler Odette de présents et d'argent, ne recevant en retour que mépris et absence de cette femme au teint pâle, aux joues tavelées de rouge. Or la rumeur lui apprend qu'elle est bien peu digne de son intérêt : elle aurait mené une vie plus que galante à Nice, dans des villes d'eaux. S'il la questionne à ce sujet, elle ment effrontément, et il avoue que, plutôt que de vivre ce tourment, il préférerait être frappé d'une maladie mortelle. Il recommence à fréquenter des salons auxquels il était habitué auparavant, où il peut goûter plus d'esprit tout en n'étant pas dupe, là non plus, du snobisme. Petit à petit, il se guérit de cet amour néfaste, notamment grâce à la musique, la fameuse phrase musicale de «la sonate de Vinteuil», compositeur en qui il sent un «frère inconnu et sublime qui, lui aussi, avait dû tant souffrir». Un jour, il reçoit une lettre anonyme accusant Odette de galanterie, de prostitution et d'homosexualité. Il ne sera jamais fixé sur la véracité du contenu de cette lettre, pas plus que sur son auteur. Désabusé, il clôt son aventure sur ces mots : «Dire que j'ai gâché des années de ma vie, que j'ai voulu mourir, que j'ai eu mon plus grand amour, pour une femme qui ne me plaisait pas, qui n'était pas mon genre !» Roman psychologique de 250 pages.Commentaire : Ébauché dans les “Carnets” dès 1909, doté de son titre en 1911 et publié séparément dans sa première version chez Grasset en 1913, à la fois roman complet et moment de l'immense ensemble, sorte d'ouverture de l'opéra, ce petit roman dans le roman est la reconstitution, par le narrateur de “Combray”, de l'histoire de la passion amoureuse de son oncle Swann, qui venait parfois chez sa tante Léonie, pour Odette de Crécy. Ce récit plus ramassé que les autres et qui est d'une très grande importance dans l'oeuvre, présente donc la particularité d'être écrit à la troisième personne. Surtout, il est presque exclusivement centré sur l'amour : amour-passion, amour-déception, incommunicabilité entre les êtres et les sexes. Apparemment, l'histoire de cet amour malheureux est celle d'un visage que le temps défait, mais, de l'aveu même du narrateur, il eut, quinze ans avant qu'il évoque «le côté de chez Swann», une influence particulière sur l'idée qu'il allait se faire de l'amour, et par suite sur sa conduite en amour. En fait, il s'agit tout autant de l'amour de cet élégant et froid esthète pour les mots et les images, de son rêve de littérature. Le roman évoque ces «tendresses successives», cet oubli peu à peu de l'image qui les avait suscitées, ce temps perdu à aimer un être d'absence, de fuite et même d'inexistence. Les scènes se passent

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presque toujours le soir ou dans le noir. L'amour est une nuit, l'attente une fenêtre striée de lumière, la jalousie une flamme enténébrant le coeur. Puis vient la fin et, tandis que «le peu de jour qui restât faiblissait», le fantôme d'Odette regarde sa petite montre et dit : «Il faut que je m'en aille». C'est peut-être l'amour lui-même, et non l'objet qui le conjugue au passé recomposé, qui n'avait pas été le genre de Swann? Pour le narrateur-Proust, «l'amour est le moteur de l'homme, qui le meut, l'égare souvent mais enfin le pousse le long de sa vie». Tous les thèmes (mensonge, attente, délire, passion, mondanité, intérêt) se retrouvent dans le roman, écrit par quelqu'un qui ne croyait qu'à celui, toujours perdu, de Maman. Pour Jung, le mot amour «recouvre de façon extensible tout un monde qui va du ciel à l'enfer et qui embrasse en lui le bien et le mal, le sublime et l'abject». C'est bien ainsi que Swann vit son amour : désir, naïveté et foi se mêlent à l'égard de quelqu'un qui ne le mérite aucunement, dans un état d'extrême anxiété et de jalousie, pour enfin surmonter sa douleur grâce à la démarche artistique qui est sa forme de sublimation. Mais il n'est qu'un écrivain raté qui, certes, écrit, publie des articles élégants, mais n'achève pas son essai sur Vermeer. Triste et sans oeuvre, Swann est comme le cygne dont il porte le nom, qui paraît-il n'a pas de voix. Il reste «le cadre vide d'un chef-d'oeuvre absent». Pourquoi? Parce qu'il partage avec le narrateur la conviction qu'entre l'amour et l'écriture il faut choisir, et que réussir dans l'une est échouer dans l'autre. Swann serait un Marcel qui a réussi à aimer les femmes, mais échoué à faire des livres. Au fond, ils s'opposent face à l'attente maternelle. Certes, comme le petit Marcel espérant en vain le baiser de Maman, Swann aussi a ses «rendez-vous du soir» et attend le baiser d'Odette, plaisir suprême qui le garantit des atteintes de la jalousie. Il l'aime comme une mère hors d'atteinte, avec le même espoir toujours déçu qu'elle apaisera sa solitude. Fixé au baiser de la dame en rose, avec laquelle faire l’amour est «faire catleya», il ne peut pas faire l'amour à sa femme, non plus qu'achever un livre. Marcel, lui, dépris d'Albertine, n'attendra que de son roman la revanche sur le délaissement.

“Les noms de pays” : Le narrateur évoque les noms des pays où il désire se rendre. Mais la maladie ajourne ses projets. Il se rappelle alors les Champs-Élysées et la naissance de son amour pour Gilberte Swann. Il se rend aussi dans l'allée des Acacias, au Bois, pour admirer l'élégance de Mme Swann. La Première Guerre mondiale eut de profondes répercussions sur la manière d'écrire de Marcel Proust car il sentait parfaitement l'écroulement du monde qu'il dépeignait dans son travail. L’ensemble de ces romans, plus de trois mille pages, dont les premières éditions comportaient quatorze ou quinze volumes, tandis que l’édition dans la Pléiade n’en a que trois, selon le voeu de l'auteur, l'un des points d'aboutissement des œuvres cycliques commencées par Balzac, constitue “À la recherche du temps perdu” qui est à la fois :

Une confession : Proust a prétendu que son oeuvre est bien un roman et non une autobiographie, ce que contredit sa biographie ; et il a donné au narrateur son prénom qui n’apparaît cependant qu’à deux ou trois reprises. À l’exception de l’épisode intitulé “Un amour de Swann”, il a vécu directement tout ce qu’il conte. L'oeuvre pourrait être intitulée “À la recherche du livre désiré”. C'est un livre sur un livre qui ne s'écrit pas et sur les cent manières de ne pas écrire : converser, correspondre, caresser, regarder, étouffer, attendre, jouir, sortir, embrasser, dormir, voyager, lire. Quitte à rater sa vie, autant en faire un roman, mais, en cela, tous les personnages de Proust échouent, Charles Swann étant le plus talentueux de ces ratés. Mais le narrateur parvient à une découverte de soi dans tous les sens que l'on peut donner à ce mot : exploration, retrouvailles, gratitude, identification, etc

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Un document social : Dans cette découverte de soi est impliqué le monde entier. Le roman constitue la somme d’une époque, la Troisième République jusqu’à la fin de la guerre de 1914-1918. Proust dépeint particulièrement, souvent avec une ironie féroce :le petit monde snob du début du XXe siècle où bourgeoisie riche (les Verdurin) et aristocratie (les Guermantes) finissent par fusionner et se niveler ; - l'atmosphère des bords de mer ;- les oisifs aristocrates pédants et ridicules ;- les valets de chambre et les cuisinières dont Proust vanta le bon sens ; - les hommes de métier (le docteur Cottard) ;- les créateurs (le peintre Elstir, l'écrivain Bergotte (à travers lequel le narrateur découvre sa vocation d’écrivain), le musicien Vinteuil).Le roman verse souvent dans le bavardage mondain.

Une enquête psychologique : Dans cette histoire d'une conscience, Proust étudie avec une impitoyable perspicacité :- les altérations que le temps apporte dans le champ de la vie intérieure (les «intermittences du coeur») ; - le prodige de la mémoire intérieure ; - la relativité, chez le même individu, des désirs et des affections soumis aux puissances inconscientes de l'imaginaire (“Un amour de Swann”).Mais, s’il n'avait cherché qu'une connaissance de soi sur le plan psychologique, il n'aurait été qu'un moraliste.

Une conception du monde : Pour Proust, l'art est le moyen d'échapper au temps (en saisissant l'essence d'une réalité enfouie dans l'inconscient et «recréée par notre pensée») et de retrouver le temps perdu (en utilisant les éclairs de la mémoire involontaire qui sont portés par des «correspondances furtives», en dégageant l'essence de nos sensations). Mauriac a remarqué que «Dieu est terriblement absent de l'œuvre de Marcel Proust... Aucun des êtres qui la peuplent ne connaît l'inquiétude morale, ni le scrupule, ni le remords, ni ne désire la perfection».

Un renouvellement du roman : - par le déroulement ample et musical de phrases haletantes au débit asthmatique, souvent labyrinthiques pour tenter d'enserrer la réalité dans de vastes toiles ;- par l'utilisation subtile d’images et de métaphores vertigineusement filées qui ont cependant une préciosité fin XIXe siècle ; - par l'impressionnisme du récit où le poète cherche à rendre la joie sublime qu'une impression arrivée à l'expression lui donnait parfois, dans une déflagration instantanée ;- par la structure architecturée à laquelle Proust attachait une extrême importance, car il aimait lui-même comparer ce vaste roman à une cathédrale et avait, un instant, songé à donner aux diverses parties des titres tels que : nef, abside, vitraux, etc. ;- par la composition cyclique : le roman que le héros écrira étant celui que nous venons de lire, la fin précédant en quelque sorte le commencement, comme l’ouroboros, le serpent de la fable qui mord éternellement le bout de sa queue ; Proust a dit avoir écrit la fin du livre immédiatement après les premières pages afin de bien marquer ce caractère cyclique et de fermer la boucle ;

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- par le point de vue subjectif (l'emploi du «je») et la technique du monologue intérieur ;- par l’intégration de la réflexion sur l'écriture comme composante propre de la fiction.

GREEN – LE REVE, L’INCONSCEINT, LA SOLITUDE

La solitude- la solitude est une des caractéristiques les plus marquantes des héros greeniens- ils ne communiquent pas car ils éprouvent une totale impossibilité à sortir d’eux-mêmes et d’aller vers les autres- ces personnages sont des solitaires, la solitude est une prison, un mur contre lequel ils viennent se fracasser- la solitude est le résultat d’une passion ou d’une idée fixe qui les enferme en eux-mêmes- souvent les personnages tentent de fuir, de s’évader de leur « moi », de leur vie, mais en vain, car la solitude et le silence qui les oppressent sont une condamnation du destin- peu à peu, le silence et le vide de leurs vies deviennent intolérables et ils sombrent dans l’angoisse, le désespoir, parfois même dans la folie- la démesure devient alors une des conséquences de la solitude, une haine les envahit et la violence trouve en eux un terrain fertile - l’instinct de destruction des personnages aboutit souvent au sadisme et au meurtre (par exemple dans « Mont-Cinère » ou « Adrienne Mesurat »)

Le rêve- la fiction greenienne se projette dans une dimension onirique où toute atmosphère peut prendre un aspect d’irréalité- il mêle sans cesse le plan de la réalité et celui de rêve- les personnages vivent presque tous dans un rêve permanent - pour ses personnages le monde de rêve est l’unique monde possible, le rêve est le seul refuge de la réalité, hors du monde réel agressif et oppressant- Adrienne Mesurat plonge peu à peu dans le rêve, afin de tromper son ennui, et ensuite le rêve la conduira à la folie ; avec le meurtre de son père, elle s’éloigne définitivement de la réalité- ils refusent de faire face à la réalité et à la monstruosité de leur geste- presque chaque roman de Green est construit sur un enchevêtrement du rêve et de la réalité- dans « Minuit », Elisabeth, puisqu’elle a peur de nuit, fait souvent des cauchemars (elle rêve de son propre enterrement)

L’inconscient- il peint les personnages faibles, mais obscurément poussés par des forces irrationnelles - les thèmes obsessives – la nuit, la mort, la peur, l’ennui- il s’intéresse pour l’inconscient et subconscience et cet intérêt l’approche aux surréalistes - il est sensible à toute forme de spiritualité - dans une période de sa création, Green se tourne vers le mysticisme- le réel se mêle au rêve et à la hallucination

GREEN – L’IMPORTANCE DE LA NUIT DANS « MINUIT »

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- la nuit est une de thèmes obsessives de Green- pour les personnages de « Minuit », la nuit a un double sens :1) c’est le temps où la peur atteint sa culmination (Elisabeth)2) c’est le temps de la métamorphose, refuge de la vie quotidienne qui donne la libération (M. Edme)- l’action du roman se déroule généralement pendant la nuit, « Minuit » commence au crépuscule et finit dans la nuit- Elisabeth a peur presque physique de la nuit qui peut s’expliquer comme peur métaphysique de la vie et de ses secrets- chaque fois qu’elle a peur, elle se cache dans le coin le plus sombre - après avoir été obligée de se coucher dans une chambre sans aucune lumière, elle décide de s’enfuir de ses tantes- pour les locataires de Fontfroide, la nuit est le temps où on comprend mieux les choses- ils dorment pendant le jour et vivent pendant la nuit- dans l’isolation, dans cette vie mystérieuse, M. Edme trouve le refuge de la solitude et la vie- il préfère la nuit, il vit pendant la nuit- pour lui, la vie n’est supportable que dans cette maison, loin de tout, où il rassemble ses cousins pour ne pas sentir l’horreur de sa solitude- la nuit représente le repos d’une âme qui souffre- pour lui, l’aube et la lumière sont fatales, mais pour Elisabeth la lumière est le salut- l’obscurité a le sens d’un mystère qui pèse sur tous les personnages de Fontfroide- beaucoup de personnages du roman sont aussi vêtus en noir- l’importance de la nuit est expliquée par la tendance vers le passage du monde réel au irréel, du visible à invisible - ce passage d’un monde à l’autre se réalise pendant la nuit- la nuit est aussi l’arrivée du rêve quand on oublie le monde quotidien- le rêve et les rêveries représentent un asile où le monde réel, quotidien, tombe dans l’oubli et où tout devient possible- la nuit apporte la libération, au moins provisoire - elle représente l’état des âmes humaines, et c’est l’obscurité

Julien Green (1900-1998) est né à Paris, de parents américains, au debut il s’appelait Julian mais l’éditeur français l’a changé en Julien. L’événement qui a changé sa vie est sûrement la mort de sa mère, ensemble avec ses sœurs quand il avait seulement 14 ans. Il a commencé à penser à la mortalité des hommes, aux angoisses existentielles. Ensemble avec le problème de la foi et les vices humains, ce seront les sujets principaux dans ses œuvres. Après, il s’est engagé à l’armée française et est parti pour les États-Unis pour la première fois où il s`est inscrit à l`Université de Virginie. Là-bas il a écrit son premier livre en anglais, avant de revenir vivre en France.

Il est retourné aux États-Unis après la défaite de la France en 1940. et à cause de son fort patriotisme, il a continué à combattre les Nazis en émettant les émissions Voice of America où il s`adressait à son peuple. Après la guerre il a continué à contribuer à la vie artistique et littéraire de Paris en écrivant son journal, son œuvre le plus complexe, dans une période de plus de 70 ans.

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« Un journal est une longue lettre que l’auteur s’écrit à lui-même, et le plus étonnant est qu’il se donne à lui-même de ses propres nouvelles 

Il se préoccupe des problèmes contemporains, de l’incertitude de l’existance humaine, de la lutte entre le mal et le bien, tout cela ensemble le fait un écrivain classique, concernant la valeur de ses œuvres, mais aussi un écrivain moderne à cause des sujets qu’il a traités.Il était le premier non français élu à l'Académie française, mais il n'a jamais possédé la nationalité française, bien qu’on la lui ait proposé.

La nuit comme un motif en général

La nuit est l’un des motifs les plus répandus quand il s’agit de tout les types de l’art. Pour les artistes la nuit représente un moyen de découvrir l’irrationnel, de comprendre les choses en leurs sens complets, elle découvre l’envers des choses.

Pendant le romantisme l’importance de la nuit s’élargit à cause de la volonté de priviléger l’original comme l’unique chose authentique, les artistes lui donnent la force obscure, l’énergie inaliénable travaillant l’homme et le monde, la nuit efface toutes les contraintes qui nous sont imposées ou peut-être la nuit nous sert de rapprocher du fantastique. Dans la littérature on a Les nuits de Musset, Les soleils couchants de Victor Hugo, dans la musique on a des nocturnes de Chopin, Tristan et Izolde de Wagner et dans la peinture on a Le radeau de la Méduse de Théodore Géricault et Le festival de Saint Isidro de Francisco Goya.

Les artistes de la fin du 19e siècle ont utilisé le thème de nuit pour exprimer une multitude de points de vue émotionnel et esthétique qui peut être constatée dans les peintures d'Edgar Degas Intérieur (surnommé Le Viol) qui a été vu comme la douloureuse nuit de noce d'un roman de Zola, Vincent van Gogh Terrasse du café le soir, et d'autres. Quand il s’agit de la littérature on a l'intention de dépeindre les gens ordinaires et les événements difficiles au travail, les voyages, ou tout simplement être absorbés dans leur vie quotidienne, pendant la journée et la nuit – Balzac, Zola, Flaubert.

Green comme l’écrivain

«Le subconscient est un écrivain qui sait très bien son métier, j'écris pour savoir ce qui va se passer ; l'inconscient, lui, le sait et ne me le dévoile que petit à petit.»

De cette citation nous pouvons conclure ce que représentait pour lui l’art d’écriture. Les critiques se torturaient de trouver à quel courant littéraire il appartenait, les uns le considéraient comme un romancier d’analyse psychologique, les autres comme un peintre des mœurs ou comme un romancier catholique (il niait fortement cette dernière thèse, parce qu’il se prenait pour un catholique qui écrivait les romans). Tout ce qui précède est vrai, sans aucun doute, mais il s’agit des thèses incomplètes, ce serait injuste de classer Julien seulement en une de ces catégories, son talent mérite d’être apprécié comme une richesse abondante.

Pourtant, il faut indiquer l’influence de la foi sur son être et précisément sur son écriture. Pour lui, la foi était très importante, particulièrement dès qu’il s’est converti au catholicisme. Il s’occupait surtout de côté sombre de l’homme, de la lutte entre le bien et le mal qui se passe dans tous les

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êtres, entre les vices et les vertus. Il est resté fidèle jusqu’à la fin à l’Église catholique, en dépit de ses condamnations de l’homosexualité.

À cause de sa moyen d’écrire spécifique, il a développé un certain type des personnages qui apparaît dans ses romans. Les personnages sont désespérés, souvent prisonniers d’eux-mêmes, souffraient du déchirement diabolique entre le spirituel et le charnel. Il a mis au jour la vérité d’âme à la recherche d'un paradis perdu, les personnages sont poussés par la passion charnelle qui n’est jamais atteinte et tourmentés par les règles réligieuses qui s’imposent, c’est la même réalité dans laquelle vivait Green.

Quant au destin humain, il voulait exprimer le problème, l’illustrer, il s’opposait vigoureusement à l’hypocrisie et au conformisme qui régnaient souverainement dans la société. Contrairement à Saint-Éxupéry, Sartre et Camus, qui voulaient éléver la lutte au niveau supérieur, en cherchant le sens de l’éxistence, les personnages greeniens s’échappent dans les rêves, sensations charnelles, comportement sadique…etc Ils sont dans la recherche constante de découvrir la seule chose importante : qui suis-je?

Par ses préoccupations et son refus de la réalité corrompue et oppressive, il appartient aux artistes engagés, néanmoins son âme poétique qui dégage les images incroyables de souffrance humaine le met au siècle dernier.

MinuitMinuit, l’une des œuvres les plus caractéristiques pour Julien Green, qui contient tous les sujets typiques : la peur, la mort, la solitude, la lutte, est paru en 1936, dans la période de son aliénation de l’Église.L’histoire commence avec le suicide de Blanche, une femme malheureuse en amour. Puisqu’elle avait une fille de onze ans, ses sœurs l’ont recueillie, bien qu’elles s’intéressent plus à leur popularité qu’elles avaient gagnée par la suicide spéctaculaire de sa sœur qu’à soin pour Élisabeth. Le premier soir qu’Élisabeth a dû passer dans la maison de sa tante Rose était si horrifiant qu’elle s’est enfui de là immédiatement. Elle était logée dans une chambre sans aucune lumière où elle a eu son premier cauchemar que la nuit avait apporté.M. Lerat l’a rencontrée ce soir-là et l’a apportée chez lui où elle a vécu jusqu’à sa mort imprévue après laquelle elle a été envoyée dans le manoir mystérieux de Fontfroide. La personne qui l’a adoptée est son père biologique qui a fondé une sorte de communauté spirituelle dont il est le guide. Cet immeuble est très spécifique, les gens y dorment pendant les jours et vivent dans l’obscurité des nuits. Y vivent les personnages étranges dont le seul lien est le maître des lieux, M. Edme. Après quelques tentatives d’y échapper, elle comprend de ne pas pouvoir le faire, elle sent comme s’il existait une force qui la tenait. À la fin elle commet le suicide en se jettant par la fenêtre avec son ami / amant. Le roman s’achève, en dépit de la mort, sur une vision paisible.

Les personnages greeniens sont presque toujours des faibles, des malheureux qui essaient d’échapper à la cruelle réalité du monde, à travers les rêveries, la solitude, le comportement sadique et à la fin, la mort. En tant que victime du destin, l’être dans lequel la lutte entre les forces incompréhensibles à l’homme, Élisabeth est une des figures les plus marquantes de philosophie de Green.

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À travers elle nous pouvons distinguer les sujets principaux dont se préoccupe l’auteur. Le sentiment qui apparaît le plus souvent est sans doute la peur, pour laquelle l’écrivain utilise plusieurs mots de presque même signification : angoisse, crainte, effroi, anxiété, horreur…Élisabeth a peur presque physique d’elle-même, de ses actions et le plus de l’existence. La cause de cette immense peur, selon Green, se trouve dans forces incompréhensibles, qui dirigent les hommes et leur destin. Les hommes errent dans la vie cherchant le vrai sens de leur existence.

La peur d’un enfant est un monde dont les grandes personnes ne connaissent guère la configuration ténébreuse ; il a son ciel et ses abîmes, ciel sans étoiles, abîmes sans aurore. Le voyageur de dix ans s’enfonce malgré lui dans ce pays nocturne où le silence parle et l’ombre voit.

Il utilise aussi des autres motifs pour mettre en évidence la peur. La solitude marque tous les héros greeniens, à cause de leur peur de l’existence même, ils n’ont pas besoin de communiquer et de se rapprocher des autres. Les personnages veulent s’enfuir d’eux – mêmes, éviter leur destin, mais la silence et la solitude sont leurs murs qui font la frontière entre eux et le reste du monde.

- Tu es là, Élisabeth? .[…]- Élisabeth était là. Assise dans l’encoignure d’une fenêtre, elle entendait avec horreur ces exclamations sans suite, ces bouts de phrases bredouillées, tout ce monologue haché de silences terribles, et par crainte d’apprendre ce qu’au fond de son cœur elle savait déjà, l’enfant, portant les mains à ses oreilles, fermait les yeux comme pour se réfugier dans la nuit.

Le rêve représente aussi l’un des thèmes obsessifs de Green. La signification du rêve est presque la même que de la réalité, c’est-à-dire du monde visible d’où les personnages échappent acculés par la mélancolie et la solitude. On y oublie la vie quotidienne, là-bas tout est possible, le rêve nous permet de connaître la psychologie humaine, cet intérêt pour la subconsience le rend plus proche des surréalistes. Dans  Minuit, le rêve est complétement intégré à la structure romanesque, où ces deux "réalités" s’entrecroisent si souvent que quelque fois il est difficile de les distinguer. L’un des symboles du rêve est le château Fontfroide. Les châteaux sont toujours liés aux récits chevaleresques et contes, avec lesquels notre enfance commence. Cela nous aide d’engager notre imagination et sensibilité.

Un songe bizarre troubla son sommeil. Elle rêva qu’au milieu de la nuit, la porte de sa chambre s’ouvrait tout doucement et qu’un homme entrait chez elle.[…]Elle entendait distinctement son souffle bref et rauque comme celui d’un homme qui a couru. La tête bourdonnante, elle ferma les yeux. Quelques minutes s’écoulèrent, puis les lames du plancher se mirent à grincer et à gemir. Lorsque Élisabeth rouvrit enfin les paupières, elle était seule dans la chambre.

La fonction de la nuitMinuit est un roman essentiellement nocturne, ce qui ne fait que renforcer le climat de mystère entourant ses protagonistes au moins autant que ses lieux. Il commence au crépuscule avec le suicide de Blanche et se finit dans la nuit avec la fuite de la réalité de sa fille Élisabeth.

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Il existe deux types de nuit chez Green, l’une est passage entre les mondes, qui nous permet de connaître mieux le monde Irréel par lequel Green était obsédé, à cause de sa sensibilité à toute forme de spiritualité, et l’autre est la nuit spirituelle, l’obscurité de la solitude.

Dans le Fontfroide les locataires dorment pendant le jour et vivent pendant la nuit . Au debut c’était très étrange pour Élisabeth, elle était très curieuse de découvrir qui était ce M.Edme qui l’avait adoptée et pourquoi toutes les activités sont soumises à sa volonté. Elle a commencé à explorer le labyrinthe en Fontfroide, en voulant y échapper. Ses exploration étaient conduites pendant les nuits en utilisant les allumettes jusqu’au moment où elle a vu pour la première fois Serge, un beau garçon qui dormait. Cette quête pour la sortie de cet endroit effrayant s’est finie par une histoire amoureuse, qui permet le passage de l’enfance à l’âge adulte.

La fin de la journée est une transition séduisante et vaguement inquiétante à la fois . Pour les personnages de Minuit la nuit a double sens, c’est le temps où la peur atteint sa culmination, la nuit symbolise la mort et l’enfer, depuis le temps de l’homme primitif, et la journée la lumière et le salut, et c’est le temps de la métamorphose, refuge de la vie quotidienne qui donne la libération. M.Edme ne peut pas supporter la lumière du jour, d’après lui, la nuit est le temps où on comprend mieux les choses. La nuit peut représenter aussi le repos de son âme qui est tourmenté par le sentiment de culpabilité pour la mort de Blanche.

M.Edme et Serge illustrent le mieux la dualité quotidiennement vécue d’une âme et d’un corps, du malheur qu’elle apporte, de ce problème insoluble dont se préoccupait Green. Serge représente la passion corporelle, aspiration au matériel et sensuel qui rattrape complètement Élisabeth et M.Edme tout au contraire représente le spirituel.

À cause de son sensibilité à toute forme de spiritualité, on ne peut pas être sûr si la nuit et la vie nocturne dans le Fontfroide sont les symboles d’errance de l’homme dans la vie, en cherchant son but ou la partie du jour où tout est visible, les choses sont plus claires et compréhensibles, c’est le passage d’un monde cruel, plein d’exigeances irréalisables en un autre où la vie quotidienne tombe dans l’oubli et le sentiment de liberté lui fait oublier l’absurdité du monde.

La fuite de la réalité peut aussi conduire à la mort et à la folie. La silence et le vide de leurs vies deviennent insuportables et les gens tombent dans la profonde mélancolie et quelque fois dans la folie. La mort s’impose comme la combinaison de la nuit et du sommeil, comme le salut définitif. Nombreux personnages greeniens se tournent vers la mort, qui offre la paix .

Puisque Green ne sait pas où ses personnages vont le méner, quel monde va-t-il éprouver, il se demande aussi comment échapper à la réalité. La mort est un état absolu, la seule vraie réalité, qui contient la réponse à la question qui nous intéresse le plus : Qui sommes-nous? Qu’est-ce que notre sens de l’existence?

LES ROMANCIERS CATHOLIQUES

- à partir de 1925, on voit apparaître un renouveau du roman chrétien dont le thème principal est l’inquiétude spirituelle

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- de George Bernanos à François Mauriac et Julien Green, ce roman chrétien prend volontiers des couleurs tragiques- c’est de Dostoïevski que procède en France, au lendemain de la guerre, cette résurgence d’un roman tragique

Mauriac- le domaine propre à Mauriac est l’âme de l’homme, royaume divisé contre lui-même, dans les combats sans fin de la chair et de l’esprit- mais, la paix et l’espérance éclairent plus souvent une œuvre très sombre- il traite les sujets comme :1) le déchirement entre la nostalgie de l’amour conjugal et la tyrannie de l’amour maternel (« Le Génitrix ») 2) l’isolement des êtres qui vivent souvent côte à côte sans se comprendre (« Le désir de l’amour »)3) la tentation du crime, qui apparaît comme une issue à une jeune femme enfermée dans la monotonie de la vie provinciale - sa préférence est toujours allée aux « brebis perdues » aux âmes égarées - il a sondé profondément la misère de l’homme sans dieu - il a vu dans tout homme deux postulations simultanées, l’une vers dieu, l’autre vers satan et il en a fait le drame essentiel de ses personnages- ses personnages on soif de la solitude, de pureté, d’amour, de la paix spirituelle- il arrive parfois que les héros rencontrent la grâce de dieu – dans « Le nœud de vipères » on assiste à une progressive conversion où les puissances de la haine s’effacent devant les élans de la charitéBernanos- passionnément épris de grandeur et liberté, il s’inscrit dans la lignée spirituelle de Péguy qu’il a souvent évoqué- son œuvre se déclare contre tout ce qui blesse ou avilit l’être humaine dans son âme et sa personne ; elle est constamment éclairée de ce qu’il appelle « l’esprit d’enfance »- pour lui, l’enfant est son modèle idéal par sa pureté et le goût d’absolu- les martyrs et les saints y participent aussi- les romans : « Sous le soleil de satan », « L’Imposture », « La Joie », « Le Journal d’un curé de campagne »Green- il a longtemps cherché un équilibre spirituel- élevé dans le protestantisme par sa mère, il s’est convertit au catholicisme ; il oscille entre aspirations religieuses et rejet de ses croyances- les thèmes principaux de ses œuvres sont la morale, la religion et la sexualité- ses premiers romans « Mont-cinère », « Adrienne Mesurat » - le cadre provincial et la fureur passionnelle de ses personnages- Adrienne, comme Thérèse D. cède à une tentation criminelle, elles sont conduites au crime par des puissances obscures et elles sont incapables de dire la raison de leurs actes- puis, il alterne dans des romans teintés de mysticisme, les thèmes de mort et de rêve : « Minuit », « Le Visionnaire »- à partir de son roman « Moira » il réussit à transcender ses contradictions, notamment à travers le théâtre – ses pièces montrent une évolution vers la réconciliation interne- il peint des personnages de tous les jours, mais obscurément poussés par des forces irrationnelles- il est sensible à toute forme de spiritualité

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- il analyse l’âme humaine, la vie intérieur de l’homme- la préoccupation de tous ses romans est le salut- les thèmes : la nuit, la mort, la péché, le mal, la folie, la quête d’identité

MAURIAC – « THERESE DESQUEYROUX » UN ROMAN CLASSIQUE

- ce roman n’est pas tout à fait classique bien qu’il y existe de nombreux éléments classiques1) la composition – d’un roman classique, on peut différer l’introduction qui décrit la vie de Thérèse avant le mariage et sa connaissance avec Bernard, puis l’intrigue – le mariage et sa tentative de tuer Bernard, et enfin la conclusion – le départ de Thérèse à Paris, la vie libre, séparée 2) la structure classique – le roman est composé de 13 chapitres, presque de la même longueur 3) la forme d’expression – 3ème personne de singulier, donc l’écrivain est le narrateur en même temps- cela contribue à l’objectivité de l’histoire- seulement au prologue l’écrivain s’adresse au 2ème personne de singulier4) le traitement psychologique du personnage principal – ce roman s’occupe de l’analyse des sentiments et des gestes de Thérèse, de ses réflexions et ses rêves- elle était en désaccord avec son environnement - fille d’un propriétaire industriel des Landes, plus instruite que la plupart des jeunes filles de bonnes familles, elle se distingue de son environnement radicalement - rien de commun avec son amie Anne de la Trave qui n’aime que coudre, jacasser et rire- elle rêve d’une société d’amis cultivés, elle aimerait suivre des cours, des conférences et des concerts5) la fresque sociale et historique – en arrière plan est située la vie de la bourgeoisie provinciale de la fin du XIXème siècle- c’est une société où il importe avant tout de « bien penser et avoir des idées saines », des principes, du bon sens, de bonnes manières, de lire de bons livres- ce sont les hommes qui ne s’occupent que de leurs propres intérêts – le père de Thérèse s’inquiète à cause de scandale et non pas à cause de la vie de Thérèse, il est satisfait que tout est étouffé, que sa carrière est sauvé - les idées reçues y constituent un héritage de préjugés qu’on se garde de mettre en question- Bernard pense et parle par formules et par proverbes- ainsi toute personne de la famille qui la déshonore doit disparaître, être effacée 6) le conflit profond entre les personnages – Bernard, la famille, la société trouvent que Thérèse est coupable7) l’auteur s’est inspiré d’un événement réel – la base de l’histoire est réelle, mais l’histoire est inventée

- ce qui n’est pas classique c’est que l’écrivain rend l’action en arrière- c’est caractéristique pour les romans policiers- nous apprenons d’abord le résultat de son procès, puis son crime, ses réflexions, ses sentiments et ensuite les motifs- dans le prologue, l’auteur s’adresse à son héroïne

MAURIAC – L’IMAGE DE LA PROVINCE

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- dans « Thérèse Desqueyroux » Mauriac décrit une famille bourgeoise qui vit à Argelouse, qui est un hameau (zaseok) des Landes – les maisons des Larroque et des Desqueyroux y sont voisines- c’est un environnement où tout est « à la voie »- tout le monde est conforme à la norme et ils vivent dans la peur de « dévier » ctd. de sortir de la voie tracée- dans le milieu bourgeois décrit par Mauriac, il importe avant tout de « bien penser et avoir des idées saines », des principes, du bon sens, de bonnes manières, de lire de bons livres- les idées reçues y constituent un héritage de préjugés qu’on se garde de mettre en question- Bernard s’en tient aux définitions établies – il pense et parle par formules et par proverbes- il regrette que Thérèse n’ait pas cru en dieu et redouté le châtiment céleste- être juif, c’est une maladie- sa mère, Mme de la Trave est une virtuose du cliché – ses propos forment un recueil d’expressions stéréotypées, de lieux communs, la parfaite banalité de son langage révèle la banalité totale d’un esprit- le catholicisme des La Trave et de Bernard n’est qu’un catholicisme de tradition et de convenance, non une foi authentique- on ne trouve chez eux aucun esprit de prière, aucune dévotion réelle- ils manifestent un manque total de charité- leur catholicisme s’accommode aussi du culte de l’argent- faire fortune, accroître cette fortune, étendre son domaine, semble au moins aussi important que faire son salut- Bernard ne manque jamais de faire remarquer ce que lui coûte le repas au restaurant - quand il quitte Thérèse à un café parisien, sa dernière parole est pour lui rappeler « que les consommations étaient payées »- « pour la famille », « au nom de la famille », « dans l’intérêt de la famille » - ces formules appellent le dévouement de tous les membres d’une famille bourgeoise à la valeur qui la fonde- toute personne de la famille qui la déshonore doit disparaître, être effacée, tout scandale qui la menace doit être étouffé- le mariage ne fait pas exception aux principes qui gouvernent ces familles, l’amour y serait un intrus- Thérèse et Bernard étaient destinés l’un à l’autre parce que leurs propriétés semblaient faites pour se confondre- Anne, en dépit de sa répugnance, épousera le fils Deguilhem, un riche héritier - Thérèse rêve d’être sans famille ou du moins de choisir les siens afin d’avoir le droit et la possibilité d’être elle-même- mais, dans le milieu où elle vit, le mensonge lui est imposé - tout tentative de franchise, tout cri sincère qui lui échappe se heurtent au refus d’écouter ou de prendre sérieux – son mari, ses parents s’emploient à rappeler Thérèse aux convenances, à la simplicité, à l’opinion commune- se masquer est le seul moyen dont elle dispose pour les satisfaire- la dissimulation est devenue chez elle comme une seconde nature

Thérèse Desqueyroux

Thérèse Desqueyroux est un roman qui parle du malheureux destin d’une femme. Après avoir été justement accusée et alors libérée, grâce au faux témoignage de son mari, Thérèse quitte le

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palais de la justice et s’en va à la maison. En train elle fait un voyage dans le passé et essaie de trouver l’excuse ou au moins la raison pour laquelle elle a fait ce qu’elle avait fait. Ce voyage l’emmène à Argelouse où elle a passé beaucoup de temps avec son amie Anne, et c’est son frère, Bernard, qui sera le mari de Thérèse. Nous recevons une image d’une vie familiale qui étouffait Thérèse chaque jour de plus en plus. La jalousie envers Anne, l’aversion envers son mari, prison de laquelle elle ne pouvait pas s’enfuir, la rangeait de l’intérieur. Pendant toutes ces réflexions elle ne peut pas trouver une raison concrète pour avoir empoissonné Bernard. Elle pense sur tout ce qu’elle doit dire à son mari quand elle soit revenue à la maison, mais il la surprend en ayant tout un plan pour elle. Dès ce jour-là elle devient vraiment une prisonnière et la préservation de l’honneur de la famille est la seule raison à cause de laquelle elle reste dans la maison de la famille.

La théorie de l’art classique

On considère que c’est Boileau qui a formulé la théorie du classicisme. Il s’inspire de la tradition et la littérature antique. Selon lui une œuvre doit être basée sur la raison qui empêche que les sentiments soient exagérés comme dans la littérature baroque. Il s’oppose aux miracles et aux êtres fantastiques, il croit que la littérature doit présenter un évènement vraisemblable. Les classiques s’intéressent à l’homme et à son destin. Le but de la littérature est de faire penser sur les problèmes de la place de l’homme dans ce monde. Concernant le style, une œuvre doit être claire, simple, courte avec un ton sublime.

Nouvelle ou petit roman "d'analyse"

Avant de commencer avec l’analyse de cette œuvre il faut, d’abord, dire quelque chose sur la nouvelle et le roman " d’analyse ". Ces deux genres étaient très importants dans la période de classicisme.

« Le roman d'analyse s'attache à décrire les variations et les contradictions de la passion, et à les lier à des notations morales, à des aperçus sur les constantes et les mécanismes de la psychologie humaine. »

« La nouvelle se distingue du roman essentiellement par sa brièveté et par sa densité. De construction dramatique, elle présente des personnages dont la psychologie n'est étudiée que dans la mesure où ils réagissent à l'événement qui forme la trame du récit. »

Regardant la structure de Thérèse Desqueyroux, qui a 184 pages, on peut conclure qu’il peut s’agir d’une longue nouvelle psychologique ou d’un petit roman d’analyse. On ne peut jamais être sûr parce que ce sont les nuances qui distinguent ces deux genres. Les deux comprennent, entre autre, un évènement simple, vraisemblable et quotidien avec l'enchaînement naturel, petit nombre de personnages et l’étude psychologique des personnages. Thérèse Desqueyroux ne compte que neuf personnages dont les personnalités sont nuancées. L’évènement principal est l’empoisonnement de Bernard qui peut se passer dans la vie quotidienne et le résultat de cela est l’abandonnement de Thérèse ce qui est le résultat, disons, attendu.

Cependant, une nouvelle peut être racontée en une ou deux phrases, et nous ne pouvons pas faire pareil avec cette œuvre-ci. Thérèse Desqueyroux est plus semblable à La Princesse de

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Clèves, de Madame de La Fayette, qui est un petit roman d’analyse par excellence. La nouvelle est plus serrée qu’un roman et raconte une seule situation et des évènements qui sont liés à cette situation, tandis que le roman exprime plusieurs situations et il n’a pas la structure aussi simple que la nouvelle. Ce roman est un roman a tiroir, et pour cela est encore plus proche à La Princesse de Clèves. Outre l’empoisonnement, il y a l’histoire d’amour entre Jean Azévédo et Anne, la tente de suicide de Thérèse, l’histoire de la famille Desqueyroux, etc.

L’homme et sa place dans le monde

Le roman de Mauriac peut être appelé le roman-tragédie. Comme dans la tragédie classique on a un évènement au centre duquel il se trouve un personnage dont la fatalité est certaine. Il fait entrer de nouveau le motif de la prédestination, c’est-à-dire, ses personnages sont les victimes de sa destinée. Comme Phèdre de Racine, Thérèse est aussi un personnage condamné par ses sentiments, par amour surtout. Elle aimait Bernard, malgré qu’elle ne l’ait pas montré toujours et « si Bernard lui avait dit : « Je te pardonne ; viens… » Elle se serait levée, l’aurait suivi », mais il n’avait jamais dit ce qu’elle voulait entendre.

À cause de l’insatisfaction de la vie conjugale et la déception parce qu’elle n’avait trouvé le refuge qu’elle attendait de ce mariage, l’amour de Thérèse se transforme en haine et elle essaie de trouver des autres moyens de remplir sa vie avec bonheur. En cherchant le bonheur, elle trouvera, comme Phèdre, sa perdition.

La perdition de Thérèse et de Phèdre était attendue parce qu’elles étaient prédestinées à tomber. Phèdre le savait bien :

« O haine de Vénus ! O fatale colère !

Dans quels égarements l’amour jeta ma mère ! [...]

Ariane, ma sœur, de quel amour blessée

Vous mourûtes aux bords ou vous fûtes laissée ! [...]

Puisque Vénus le veut, de ce sang déplorable

Je péris la dernière et la plus misérable »

Thérèse le sent aussi en se rappelant Julie Bellade, sa grand-mère « dont nul ne savait rien, sinon qu’elle était partie un jour ». Donc, elle a aussi un membre de la famille dont elle suit le destin.

Elle est aussi condamnée par sa nature si incompréhensible pour les gens de la province.

« Je ne voulais pas jouer un personnage, faire des gestes, prononcer des formules, [renier enfin à chaque instant une Thérèse qui…]»

Son père avait d’habitude de dire sur les femmes : « toutes les hystériques quand elles ne sont pas des idiotes. Alors, Thérèse se trouve seule dans ce monde où elle peut être considérée soit

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stupide soit « hystérique», elle n’a aucun autre choix que de se taire. Cette solitude était interrompue par les conversations avec Jean Azévédo, et c’était la seule fois qu’elle s’intéressait à ce que quelqu’un disait. Son départ était pour elle très dur mais elle ne le montre pas.

« Ce fut surtout après le départ d’Azévédo que je l’ai connu, ce silence »

Nous pouvons associer cette image et celle du roman Princesse de Clèves, quand Mme de Chartre est morte. Les deux deviennent seuls dans ce monde rempli des gens qui ne les comprennent pas et où une personne est « condamnée au mensonge jusqu'à la mort ». Cette solitude les ronge de l’intérieur et elles n’ont pas une seule personne à qui confier leurs sentiments. Elles se trouvent devant un choix : faire quelque chose pour se libérer ou rester malheureux. Les deux font le même choix de se libérer pour découvrir plus tard que ce choix les fera encore plus malheureuses qu’elles étaient avant.

« Elle trouva qu'elle s'était ôté elle−même le cœur et l'estime de son mari, et qu'elle s'était creusé un abîme dont elle ne sortirait jamais. »

Thérèse, comme la princesse de Clèves, voit une seule sortie, l’isolement complet. À la fin, Bernard laisse Thérèse aller à Paris ce qu’elle a voulu toujours. Et une question se pose  : « Est-ce qu’elle le voulait vraiment ? »

Comparant les règles classiques, concernant la structure et le contenu, avec le roman Thérèse Desqueyroux on peut conclure qu’il s’agit vraiment d’une œuvre classique. Même s’il ne s’agit pas d’une reine antique ou d’une princesse, Thérèse est aussi une victime d’une malheureuse destinée et mérite la place à côté des grands personnages comme Phèdre et Mme de Clèves.

La Symphonie pastorale- a été écrite en 1919, et ce récit d’amour est le livre de Gide le plus lu.Dans cette œuvre il s’agit d’une jeune fille aveugle de quinze ans, Gertrude, recueillie par un pasteur qui s’en préoccupe par devoir moral après la mort de la grand-mère de Gertrude. Comme la vieille était sourde, la jeune fille, vivant seulement avec elle, n’a pas eu la possibilité de découvrir le monde et de communiquer avec quelqu’un. Elle n’était jamais sortie de sa maison et elle ne s’était jamais trouvée en présence de personne. Dans la maison de sa grand-mère, la jeune aveugle n’avait pas appris à parler, donc, elle n’avait rien appris sur le monde qui l’entourait. Malgré le désaveu da sa famille, le pasteur doit aider la jeune fille de sortir des ténèbres. Il tient un journal intime dans lequel il raconte les difficultés de la jeune fille et l’éducation qu’il lui offre. Le progrès de Gertrude est rapide, quelque mois après, la fille est capable de comprendre et de lire la Bible en alphabet pour aveugles, et de valoriser la vie. Mais, la présence des sentiments nouveaux complique la situation, et le pasteur et son fils Jacques tombent amoureux de Gertrude. Après une opération, Gertrude recouvre la vue et réalise qu’elle aime Jacques et aussi, elle peut voir tout ce que le pasteur lui avait caché – le mal, la tristesse, le péché. Déçue par ses découverts, elle a tenté de se suicider en se jetant dans la rivière. A la fin, Gertrude meurt de froid.A l’origine du titre de ce récit, c’est La Symphonie pastorale de Beethoven qui représente l’harmonie universelle dans le monde fait par Dieu. Le pasteur et Gertrude ont assisté au concert dans lequel est jouée la cinquième symphonie de Beethoven et Gertrude était impressionnée. Gide établit un parallèle entre la découverte des couleurs et harmonie des sons.LE MENSONGE

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Quand le pasteur a commencé à travailler avec la jeune aveugle, il a dit qu’il ne va pas utiliser du mensonge pieux et c’est exactement ce qui est arrivé. Comme il a obtenu sa confiance absolue, il s’est trouvé en position de faire une sélection des choses qui parviennent à elle. Par exemple, concernant la Bible, il ne lui lit pas les commentaires de saint Paul où on trouve des menaces, des défenses. En s’appuyant sur les paroles du Christ : « Si vous étiez aveugles, vous n’auriez point de péché », le pasteur dit que le parfait bonheur de Gertrude vient de ce qu’elle ne connait pas le péché. « Il n’y a en elle que de la clarté, de l’amour.» Le pasteur veut que Gertrude ne connaisse pas le monde imparfait, plein de mal. Il devient évident aussi que le pasteur crée une telle illusion par envie de créer un univers où leur amour ne sera pas punissable. L’image de ce monde imaginaire est la preuve à Gertrude qu’elle ne commettra pas de péché si elle déclare son amour à pasteur. Après avoir appris que Jacques est amoureux de Gertrude, il interdit le mariage entre eux et après cela Gertrude déclare son amour au pasteur:Vous savez bien que c’est vous que j’aime… Oh ! Pourquoi retirez-vous votre main ? Je ne vous parlerais pas ainsi si vous n’étiez pas marié. ». Mais, on n’épouse pas une aveugle. Alors, pourquoi ne pourrions-nous pas nous aimer ? Dites, pasteur, est-ce que vous trouvez que c’est mal ? – Le mal n’est pas dans l’amour.Peu de temps après, cet amour est menacé de nouveau – la jeune fille doit être opérée et c’est ce qui lui donnera la vue. Elle retrouve la vue et elle comprend toute la situation. N’étant plus aveugle, Gertrude se rend compte que c’est Jacques qu’elle aime et qu’Amélie est toujours seule et triste. Donc, Gertrude commence à se sentir coupable et elle devient consciente du fait que l’amour entre elle et le pasteur n’est pas innocent comme elle croyait. De plus, Jacques avait changé de confession et s’était converti au catholicisme. Quelques jours après l’opération, Jacques accompagne Gertrude et il lui parle du monde tel qu’il est réellement. Gertrude aussi change de confession. Ce qui est aussi très important c’est que Gertrude ne peut plus se marier avec Jacques parce qu’il est devenu moine catholique. Ses dernières paroles sont adressées au pasteur : Souvenez-vous des paroles du Christ : « Si vous étiez aveugles, vous n’auriez point de péché. » Mais à présent, j’y vois. Dans le temps que j’ai passé à la clinique, j’ai lu, ou plutôt, me suis fait lire, des passages de la Bible que je ne connaissais pas encore, que vous ne m’aviez jamais lus. Je me souviens d’un verset de saint Paul, que je me suis répété tout un jour : «  Pour moi, étant autrefois sans loi, je vivais ; mais quand le commandement vint, péché reprit vie, et moi je mourus. » Dans cette œuvre, Gide condamne tous ceux qui emploient les idées suprêmes pour justifier leurs ambitions personnelles et aussi, cette œuvre parle de tous ceux qui ont le pouvoir d’utiliser le mensonge et la vérité comme un instrument.

L’AVEUGLEMENTCe que Gide critique ici, c’est le pasteur qui n’était pas sincère envers soi-même, il est de mauvaise foi. Gide écrit son récit sous la forme du journal du pasteur, mais le pasteur n’écrit pas vraiment pour lui-même. C’est comme une nécessité de se justifier devant les lecteurs. Sa femme remarque dès le début que ce n’est pas l’amour d’un ’’père’’ pour sa fille et se discute avec lui en lui disant  : « Tu fais pour elle ce que tu n’aurais fait pour aucun des tiens. » C’est elle-même qui l’a obligé à justifier, à augmenter et qui fera découvrir sa mauvaise foi.Selon Henri Maille: La Symphonie pastorale (est la critique) d’une forme de mensonge à soi-même, il n’y a aucune raison de ne pas accorder plein crédit à la formule : mensonge à soi-même incarné en la personne

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du pasteur ; mensonge à la fois sentimental – il travestit l’amour passionnel en charité chrétienne -, moral – il se persuade qu’il fait bien -, religieux – il prétend trouver une approbation dans l’Evangile. »Maillet a beaucoup parlé de cette œuvre de Gide, et il a aussi mentionné : A côté des aveugles qui voient, bien qu’étant privés de regard, il y a les aveugles qui ne voient pas parce qu’ils ont des yeux. Les uns, sans la vue, voient mieux que ceux qui ont leurs yeux, soit les beautés (Gertrude), soit des laideurs cachées (Tirésias) du monde (…) Les autres, pourvus d’yeux, ne voient pas leur erreur (le Pasteur) ou leur faute (Œdipe). Donc, la véritable cécité n’est pas physique, celle de Gertrude, elle existe dans la mauvaise foi du pasteur qui, justifiant ses actes par la volonté divine, ne veut pas avouer la nature réelle de ses sentiments.

LES RELATIONS FAMILIALES

La famille se définit comme un des plus complexes, plus vieux et plus durables groupes sociaux. C’est quelque chose le plus saint dans notre vie, quelque chose irremplaçable où l’homme se forme comme un individu. Dans cette œuvre, André Gide nous a présenté une famille un peu rare. C’est une famille très nombreuse, mais, dans son journal, le pasteur ne parle point des enfants. A quelques endroits il les mentionne et il les compare avec Amélie. Il pense que tous les défauts qu’ils possèdent viennent d’elle. Sarah ressemble à sa mère(…) je ne découvre en Sarah d’autres préoccupations que vulgaires ; à l’instar de sa mère elle se laisse affairer uniquement par de soucis mesquins ; les traits mêmes de son visage, que ne spiritualise aucune flamme intérieure, sont mornes et comme durcis. Aucun gout pour la poésie, ni plus généralement pour la lecture ; je ne surprends jamais, entre elle et sa mère, de conversation à quoi je puisse souhaiter prendre part.Mais, on peut constater que Charlotte a un rôle spécial. On peut relier cela au fait qu’elle est la seule qui a accepté Gertrude. « Seule ma chère petite Charlotte a commencé de danser et de battre les mains quand elle a compris que quelque chose de nouveau, quelque chose de vivant allait sortir de la voiture. »Avec sa femme Amélie, le pasteur n’est pas en bons termes. Elle est une femme honnête, travailleuse, la plupart du temps silencieuse, mais aussi prête à juger son mari. Elle est la première qui a compris l’amour de son mari pour une autre femme mais, elle ne s’exprime pas clairement. « Elle eut ce sourire un peu crispé du coin de la lèvre, par quoi elle accompagne parfois et protège ses réticences, et en hochant la tête obliquement : - S’il fallait que je t’avertisse de tout ce que tu ne sais pas remarquer ! (…) Mon pauvre ami ! »Entre Jacques et son père il y a une tension parce qu’ils sont de différentes confessions. Ils discutent toujours sur la religion et entrent en conflit. Dans cette œuvre il y a beaucoup de citations bibliques qui nous montrent les différences entre la conception protestante et catholique. Quand le pasteur a finalement connu le sentiment qu’il a pour Gertrude, il a réalisé qu’il a en son fils Jacques un rival. Henri Maillet nous a expliqué cette chose de cette façon :L’habileté de Gide est d’avoir dissimulé le conflit sentimental sous le conflit religieux, ce qui a l’avantage de conférer à la situation une originalité authentique et de lui ôter toute vulgarité. Jacques est le champion de saint Paul, le pasteur celui de Jésus, dans cette problématique du christianisme contre le Christ selon laquelle les Epitres s’opposent aux Evangiles : le pasteur voit dans le christianisme amour et liberté, Jacques, soumission et acceptation de la contrainte. Mais

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cette fois-ci le pasteur a prétendu battre Jacques avec ses propres armes en lui opposant un verset de saint Paul ; l’arme se retourne contre lui : tout l’intérêt, subtil, du texte est là.Gertrude, au début une fille aveugle, impuissante et alors, à l’aide du pasteur, une fille très intelligente. Son arrivée a influencé cette famille et a dérangé l’atmosphère monotone qui régnait dans la maison. « Et chaque fois que je m’occupais de Gertrude elle trouvait à me représenter que je ne sais qui ou quoi attendait cependant âpres moi, et que je distrayais pour celle-ci un temps qui j’eusse du donner à d’autres. »Le pasteur l’a appelée « la brebis perdue » et il la situe au-dessus de toute sa famille. Mais, quand Gertrude a recouvré la vue, elle a réalisé qu’elle était déçue. En réalisant qu’elle aime Jacques et que ne peut plus être avec lui, et la peine faite à Amélie, elle se sent coupable et décide de se suicider. Quand vous m’avez donné la vue, mes yeux se sont ouverts sur un monde plus beau que je n’avais rêvé qu’il put être ; oui, vraiment, je n’imaginais pas le jour si clair, l’air si brillant, le ciel si vaste. Mais non plus je n’imaginais pas si osseux le front des hommes ; et quand je suis entré chez vous, savez-vous ce qui m’est apparu tout d’abord…

CONCLUSIONSi nous essayons de définir les notions de vérité et de mensonge, nous serons confrontés avec beaucoup de problèmes. Nous savons par expérience qu’il y a beaucoup de théories de la vérité et cela nous confirme que chaque personne a sa propre compréhension, ses propres intérêts et principes. Mais, tous ces théoriciens ne sont que des êtres humains, faibles, qui, en atteignant leurs buts, sont menés par les motifs personnels et ceux de sa société.Dans ce récit, Gide nous a donné un bon exemple - le pasteur. Au début, insincère envers soi-même, et alors, sous le prétexte que son amour est divin, il se permet tout ce que la foi lui interdit. Quoiqu’il sache que son amour est interdit, il le continue. « Elle a besoin de mon amour… » A la fin, Gertrude était victime d’un père et son fils qui, voulant la protéger d’une certaine manière, l’ont trahie. Pour cette raison-là, une vie humaine est terminée.

LES MOYENS D’EXPRESSION MODERNE DANS LES TRAITEMENTSDES MYTHES ANTIQUES CHEZ LES DRAMATURGES DU XXe SIECLE

Les écrivains entre deux guerres

- Cocteau, Giraudoux, Anouilh – ils écrivent leurs pièces avec l’inspiration antique- ils modifient le mythe selon leurs besoins, selon les besoins de leur temps- le langage est un langage contemporain, moderne, les personnages n’utilisent pas des expressions sublimes comme les héros antiques- les personnages ne sont pas importants comme des individus, mais comme les traits, idées- à travers le mythe, les dramaturges traitent les graves problèmes et des vérités éternelles - ils s’efforcent de saisir l’homme à travers les situations mythiques- ils effacent les barrières du temps et de l’espace, ils veulent rapprocher au spectateur moderne les événements et les mœurs antiques- avec la langue moderne, les écrivains veulent montrer qu’on peut jouer et traiter un sujet connu d’autrefois d’une manière tout à fait nouvelle en exprimant les thèmes d’un temps différent

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- on peut aussi, dans leurs drames, trouver un lien entre le mythe et le présent : dans « La Guerre de Troie n’aura pas lieu », Giraudoux, à travers sa vision pessimiste et son scepticisme, présentait les efforts faits dans les années trente pour éviter une autre guerre, qui, en effet, a eu lieu en 1940- parfois, même les vêtements sont modernes – chez Anouilh, dans « Antigone », Créon est en habit, les gardes en gabardine - on trouve chez ces dramaturges beaucoup d’innovations poétiques : chez Cocteau, dans « La Machine infernale », le Sphinx se présente sous les traits d’une jeune fille avant de revêtir son apparence monstrueuse ; Giraudoux même invente certains personnages

Sartre- dans son drame « Les Mouches », Sartre renouvelle, après Giraudoux, le mythe d’Electre, à travers lequel il exprime les idées de sa philosophie existentialiste et c’est au théâtre que Sartre a le plus volontiers illustré ses thèses sur la liberté- le mythe grec est particulièrement simple et riche, et, pour Sartre, il s’agit moins d’une histoire que de l’expression d’une idée ou d’un ensemble d’idées- l’acte d’Oreste, l’acte de meurtre d’Egisthe et de Clytemnestre, devient le symbole de la liberté humaine incompatible avec l’existence de dieu, de la responsabilité assumée dans un geste authentique, étranger aux notions traditionnelles de Bien et Mal- l’acte d’Oreste se justifie par la lutte contre l’abus du pouvoir et de la tyrannie – le drame avait une actualité spécifique puisqu’ il est né de la France occupée et de la Résistance- les habitants d’Argos sont les hommes qui se font « choses » et se renient comme « personnes », ils ne sont plus qu’un repentir vivant- les mouches sont le symbole de remords, elles ne touchent pas Oreste, mais c’est Electre qui sent leurs pattes sur son corps

Analyse thématique de l’oeuvre La Condition Humaine

André Malraux (1901-1976) est un écrivain et un homme politique français, il est né à Paris le 3 novembre 1901 dans une famille bourgeoise d’armateurs ruinés. Il a fait des études au lycée Condorcet, fréquent l’école des langues Orientales. A l'âge de dix-sept ans, il a abandonné ses études secondaires, mais il a suivit des cours au musée Guimet et à l'École du Louvre. Il était contemporain de la génération perdue. Et aussi, il est sûrement marqué par la guerre qui a fait la rage dans le monde. Il a quitté sa famille à 18 ans et a vécu difficilement. Il a mené une vie indépendante puis il a commencé à écrire. A la fin des années 1920, André Malraux a été irruption sur la scène littéraire, il a imposé d'emblée un ton, un style, un personnage. En lui, l'action et la littérature, la politique et la morale semblaient se réconcilier. A 20 ans il a épousé Clara Goldschmidt, elle était une jeune allemande. En 1923, elle était sa première compagne d’aventure, il s’est rendu en Indochine pour une expédition archéologique. il s’est aventuré jusqu’à un temple et il y a détaché 7 statuettes dans un site archéologique khmer à l’abandon. Il a condamné à 3 ans de prison. Les protestations des milieux littéraires français ont parvenu à le faire libérer. De ce voyage, il a rapporté une connaissance directe de la nature asiatique et de l'art khmer. Là-bas, Malraux a constaté que le régime colonial est injustifiable en particulier parce qu'il humilie

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l'homme. En 1926, il a publié son premier essai : « La tentation de l’Occident ». L’Occident lui a donné l'inspiration et la matière pour ses trois premiers romans: Les Conquérants (1928), La Voie royale (1930), La Condition humaine (1933). Il est rentré en France en 1927 avec son épouse Clara. A son retour à Paris en 1927, il s’est lié avec André Gide qui l’a fait entrer comme directeur artistique chez Gallimard (1928).En 1933, André Malraux a publié le plus célèbre de ses romans   « La Condition Humaine.» Ce roman a été publié en extraits dans La Nouvelle Revue française. Son épouse a inspiré quelques passages de la Condition Humaine. Ce roman lui a valu de remporter le prix Goncourt et d’être reconnu sur le plan international. Donc, « La Condition Humaine » a fait de Malraux, à trente-deux ans, l'un des écrivains français les plus célèbre. Il s’est engagé bientôt aux côtés des républicains dans la guerre d’Espagne, et le séjour en Espagne lui a inspiré un roman Le Temps du Mépris (1935). Dans l’ardeur de l’action, il a conçu un vaste roman épique, l’Espoir (1937), où il a rapporté son expérience sur le mode épique et lyrique, mais dans un style à la fois journalistique et cinématographique. Malraux a écrit des études sur l'art formant un ensemble publié en 1951 : Les Voix du silence. En 1958, Malraux a nommé ministre des Affaires culturelles. Parallèlement, il a écrit ses mémoires (Antémémoires en 1967). André Malraux est mort en novembre 1976 à Créteil.

La Condition Humaine

L’oeuvre est divisée en sept partie qui sont chronologiquement reparties selon les dates des actions.

Première partie (21 mars)

L’histoire se passe à Shanghai le 21.mars 1927. Le partie communiste et le partie nationaliste commandé par Chang-Kaï-Shek préparent l’insurrection contre le gouvernement qui laisse l’économie aux mains des occidentaux. La nuit du 21 mars, Tchen, un révolutionnaire communiste, a tué un trafiquant d’armes, Tang-Yen-Ta pendant que celui dormait. Tang-Yen-Ta a été responsable pour l’achat de trois cents révolvers pour le gouvernement. Avec les papiers qui se sont trouvés dans le portefeuille du médiateur, les communistes voulaient prendre possession des révolvers pour armer les insurgés. Mais quand Kyo a regardé ces papiers plus précis, malheureusement il a découvert que les armes n’avaient pas été payées d’avance. Kyo a demandé de l’aide à Clappique pour avoir les armes. Katow s’est occupé de la recrue. Tous les hommes enfin armés, donc l’insurrection peut commencer. Donc aussi cette première partie présente les principaux protagonistes : Kyo et sa compagne May, Tchen et son maître,le Professeur Gisors, qui est aussi le père de Kyo, Orphelin, élevé par un pasteur américain.

Deuxième partie (22 mars)

Le lendemain, l’insurrection a éclatée. Les troupes du général Tchang Kaï-chek sont sur le point d’entrer à Shanghai. Tchen a commandé quelques insurgés qui ont occupé des postes de police. Par consèquence, il s’est battu pour lui-même, sans égard sur sa propre vie. La troupe de Tchen était couronnée de succès, comme la plupart des groupes de choc. Dans 24 heures, les révolutionnaires ont controlé toutes les positions importantes. Ferral a appris tous les avancements dans son bureau,

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dans lequel Martial, le directeur de la police française, a débattu avec un envoyé de Chang-Kaï-Shek. Ensuite il a rejoint Valérie, elle était sa maîtresse.

« … qu’elle était sa maîtresse pour qu’il finit par l’aimer. Elle ignorait, elle, que la nature de Ferral et son combat présent, l’enfermaient dans l’érotisme, non dans l’amour.»1

Troisième partie (29 mars)

Kyo est allé à Han-Kéou pour chercher conseil chez l’Internationale. Mais celle-ci n’a pas voulu appuyer les communistes et se déclarer contre le Kuomintang. Là -bas Kyo a rencontré Tchen à Han Kéou. Kyo est resté encore quelques heures pour chercher l’appui d’un ami, c’était le Baron de Clappique, mais il l’a attendu en vain. Il n’est pas venu parce que le casino l’a fasciné assez pour qu’il n’était plus capable de se débarrasser de l’ivresse.

Quatrième partie (11 avril)

Tchen et deux compagnons ont fait un premier essai de tuer Chang-Kaï-Shek. L’attentat a échoué. Ils voulaient se cacher chez Hemmelrich,mais il les a priés de partir parce qu’il avait peur pour sa femme et son enfant.

„...les bombes, reprit-il, je ne peux pas en ce moments. S’ils trouvent des bombes ici,ils tueront la femme et le goss.“ „...comprends-moi Tchen: le gosse est très malade, et la mère n’est pas brillante Il regardeait Tchen, les mains tremblantes. -Tu ne peux pas savoir, Tchen, tu ne peux pas savoir le bonheur que tu as d’etre libre!“

Tchen a décidé de se faire Kamikaze et se suicider en se jettant sous la voiture de Chang-Kaï-Shek. Mais le général n’était pas dans l’auto attaqué et la mort de Tchen était pour rien.

Cinquième partie

Kyo est emprisoné et à cause de cela Clappique va visiter le directeur de la police du Kuomintang, qui était un ancien ami de lui. Malgré les prières de Clappique, cet ami ne voulait pas mettre Kyo en liberté. De l’autre coté Hemmelrich voulait chercher des nouvelle de Tchen. Mais quand il est rentré à sa maison il a decouvert que sa femme et son enfant sont tués. La mort de sa famille a fait de lui un vengeur et un meurtrier. A partir de ce moment, le chemin était libre pour participer activement et sans égard à la révolution.

Sixième partie

Katow est arrêté au combat et il a rencontré Kyo dans la prison improvisé. Kyo s’est tué en avalant de la cyanure près de Katow(napisati citat kako umire). Katow va jusqu'au bout du sacrifice. Il a fuit dans la mort douce que donne le poison et finalement il triomphe de la condition humaine.

Septième partie

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L’action se passe à Paris en juillet. Ferral, qui avait soutenu Chang-Kaï-Shek, a perdu ce qu’il aimait le plus. Ses entreprises devaient déclarer la banqueroute parce que les banques en France n’ont plus payé. A Kobé, au Japon, chez le peintre Kama, May et Gisors se rencontre et au contraire de Gisors, renfermé sur lui-même, May est tournée vers l’avenir, ouverte à la vie . « Il faut aimer les vivants et non les morts. » «Je ne pleure plus guère, maintenant, dit-elle avec un orgueil amer.»

Les personnes importantes dans l’œuvre

Tchen est Chinois. Ses parents ont été tués au pillage de Kalgan par les troupes blanches et il a été confié à un oncle. Tchen n’a jamais aimé les paroles. Son caractère était toujours plein d’action. Les sentiments de Tchen sont complexes, troubles et contradictoires. Au moment du meurtre, il éprouve une sorte d'inhibition qui le paralyse. En même temps, il éprouve la nostalgie du combat. Il a aussi l’impression d’une profonde solitude. Il se sent loin du monde des hommes. La victime est innocente et sans défense, mais sa mort est indispensable au succès de la révolution.Gisors était en quelque sorte la tête intellectuelle de la révolution. Les personnes les plus importantes lui demandaient conseil quand ils ne savaient plus quoi faire. Il connaissait Tchen mieux que Kyo parce qu’il avait modifié les pensées de Tchen, mais la perte de Kyo serait un coup trop profond pour Gisors. La seule impulsion de vivre activement pour lui était l’existance de Kyo.Il est pour Kyo et Tchen le Sage, le Maître, le Père.Kyo était un homme très important pour les révolutionnaires. Il avait organisé une grande partie de l’insurrection. Il a quitté son père très jeune pour vivre sa vie. Le départ de la maison paternelle est le trait de la personnalité de Malraux. Kyo aime et il est aimé. Kyo est un personnage tragique. Il est la victime du destin. Kyo s’est empoisonné , mais cette mort était facile.Le Baron de Clappique est un des plus intéressants du livre et le plus original. Il a pensé à Kyo et Gisors, quand il a réalisé que l’avertissement était sérieux. Ses amis lui signifiaient beaucoup, au moins à l’instant qu’il a su qu’il est menacé. Avec le temps, il a oublié quelle importance il avait pour Kyo et ses compagnons.Katow est un russe. Katow était un des plus éxperimenté des insurgés. Il a donné l’assistance à Hemmelrich, parce qu’il connaissait sa situation. Apres la mort de sa femme Katow a senti une sorte de liberté. Malgré son aventure avec les troupes blanches, il croyait au bien des gens. Il a voulu attendre et suivre le conseil de l’Internationale. Avant sa mort qui était certaine, il donne l’opium à ses compagnons. Il a donné du cyanure à un camarade et cet acte était du vrai héroïsme.Hemmelrich est technicien belge, marié à une Chinoise. Pour Hemmelrich, la vie ne comprenait que des misères. Sa vie n’a plus eu de valeur, après que sa famille avait été tuée. Il s’est libéré du sentiment de la peur, puisqu'il n'a plus rien à perdre. Hemmerlich est devenu un héros qui est ignoré.

Ferral était président de la „Chambre de Commerce française". Ferral a eu beaucoup d’influence sur les événements à Shanghaï et dans tout l’Indochine. Il a aimé montrer sa puissance dont l’argent lui concédait. Il est un type du capitaliste ambitieux. L’esprit de Ferral connaissait seulement le profit. La vie des ouvriers et des autres gens n’avait aucune importance pour lui. Il a ruiné des milliers d’hommes en assistant Chang-Kaï-Shek pour des raisons de profit.

L’image des femmes

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Il y avait deux différentes images des femmes. L’une qui prédominait l’époque était la notion que les femmes devaient être possédées par les hommes. Cette image est montrée souvent, par exemple chez Ferral, qui n’a pas voulu légitimer la dignité des femmes. Pour lui, les femmes n’existaient que pour amuser les hommes.

“les hommes ont des voyages, les femmes ont des amants“. Avait-dit la veille.“   ... Aucun homme ne peur parler des femmes, cher, parce qu’aucun homme ne comprend que tout nouveau maquillage, toute nouvelle robe, tout nouvel amant, proposent une nouvelle âme.“

Un autre exemple était le fait que Hemmelrich avait acheté sa femme de quelqu’un qui ne l’avait plus voulu. De l’autre côté, il existait une image très progressiste, par exemple chez Kyo. Celui a accordé à May la liberté totale, au moins théoriquement. May était la seule figure féminine de l’oeuvre qui n’était pas une courtisane. Elle a vécu avec Kyo un amour total, qui ne se sépare pas par l’idéologie, l’action et la vie privée.

La solitude

Le thème central du roman est celui de la solitude absolue de chaque conscience. L’expérience originelle est celle de la séparation. Le modèle de cette expérience est l’étonnement de Kyo, il entend sa voix enregistrée sur un disque, sans la reconnaître. Tout homme est enferemé en soi, est pour soi-même une subjectivité pure, et c’est ce qui définit la condition humaine. Les sentiments et les réflexions sont aussi représentatifs de cette solitude.

La vengeance

Le thème qui est d’une grande importance aussi est certainement celui da la vengeance. Par exemple Ferral qui a voulu se venger chez les parlementaires en France qui l’avaient chutté. Une autre raison se trouve chez Tchen. Ses parents ont été tués par les troupes blanches donc, il n’était pas totalement libre des sentiments de vengeance. La même impulsion nous pourrions trouver chez Katow qui avait été gravement blessé par les troupes blanches et était presque mort. Cet événement a sûrement changé toute sa vie. Pour la plupart des personnes importantes de cette insurrection, la révolution était une opportunité pour satisfaire leur avidité de sang et de vengeance. Il y avait quelques uns, par exemple Kyo, qui a lutté pour les droits des hommes et leur dignité, mais ceux-ci étaient rare.

L’héroïsme

Il y a une relation évidente entre la dignité de l’homme et le courage,c’est-à-dire l’aptitude à risquer la souffrance et la mort. Le peintre Kama dit:

„ qu’on peut communiquer avec la mort. C’est le plus difficile, mais peut- être est-ce le sens la vie.“

Mais il y a aussi une relation entre l’héroïsme et la camaraderie. Les véritables héros de La condition humaine sont ceux qu’ont su se lier à une communauté concrète et s’engager, jusq’à en mouirir. Tchen était le seul homme décrit qui n’a pas pensé comme les autres. Il n’a pas voulu sauver la révolution en l’apportant entre les gens. Son but était de devenir un héros. L’héroïsme de

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ses personnages est une manière de faire table rase pour fonder l’homme en eux-mêmes. Il s’agit de trouver dans l’individu, une valeur suprême qui définisse le domaine humain.

La complicité de l’amour

Le première évidence qui s’impose à Kyo, c’est qu’il ne connaît plus May, q’il a d’elle une connaissance subjective et passionnée. Il y a une relation entre la connaissance qu’on a d’une personne et l’action qu’on a sur elle. Mais pour May seule, Kyo n’est pas un étranger, parce qu’elle le connaît de l’intérieur. Ce qu’elle connaît de lui c’est ce qu’il pense et ce qu’il sent. L’amour est une manière de préférer l’autre comme on se préfère soi-même à tout le reste du monde.

L’opium

Opium est une drogue qu’on a consommé avant tout à la Chine et à l’Inde. Cette drogue est consommé pour appaiser la douleur et ensuite provoquer des sentiments de joie et d’euphorie. Gisors a utilisé l’opium plusieurs fois, la plupart pour se librer des douleurs que le destin lui a apporté. Mais il n’a plus fumé d’opium après la mort de Kyo pour montrer en quelque sorte sa douleur aux gens. Cet thème nous parle aussi du malheur de ce temps qui a touché chaque personnage plus ou moins de cette oeuvre.

„...Kyo avait dit à May:“L’opium joue un grand rôle dans la vie de mon père, mais je me demande parfois s’il la détermine ou s’il justifie certaines forces qui L’inquiètent lui-meme.“

Ce roman est plus encore métaphysique que d'aventure. Malraux nous décrit l’histoire d’heure en heure, mais ce n’est pas uniquement une suite d’actions. Ses personnages sont courageux, ils souffrent, ils pensent, ils existent. Mais tous les héros de La Condition Humaine seront morts! Cela donne un ton tragique de cette oeuvre, une sorte de roman choc. Le livre a beaucoup de thèmes intérressants et pour cela j’ai essayé d’expliquer cette oeuvre en la répétant en quelque sorte.

Quelques mots sur le terme roman-fleuve

Le mot roman-fleuve apparaît la première fois dans l’œuvre «Jean Christophe» de Romain Rolland, qui constitue la premier véritable roman-fleuve. On peut dire que les précurseurs du roman-fleuve sont la «Comédie humaine» de Balzac ou «Les Rougons-Macquart» de Zola. Ils en possèdent la forme, mais ils ne proposent qu’un point de vue bourgeois de la société, à la différence des romans-fleuves de l’entre-deux-guerres.

Communément, le roman-fleuve présente un vaste roman en plusieurs tomes (souvent plus d’une dizaine). «Ils forment un tout, on retrouve en effet les mêmes personnages d’un tome à l’autre, mais peuvent néanmoins se lire séparement. Ils constituent souvent la fresque d’une famille bourgeoise sur un fond d’histoire contemporaine.»

En regardant dans les dictionnaires de termes littéraires, le terme roman-fleuve est présenté aussi comme un roman dont les thèmes sont larges et comprennent toute une suite d’événements dans la vie des personnages. Les personnages appartiennent à des générations différentes et leur représentation donne la possibilité de comprendre une société entière.

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Le seul mot de fleuve, on peut le caractériser comme quelque chose grand, qui a la longueur de son cours. «L’image du fleuve semble naître dès le XVII-ième siècle, dans la langue précieuse et romanesque : un fleuve de larmes… C’est ce que l’on appelle communément une hyperbole, c’est-à-dire une exagération littéraire : beaucoup de larmes versées… Et si les larmes sont si nombreuses qu’elles forment un torrent, puis un fleuve… c’est qu’elles ne se tarissent pas. C’est à partir de cette deuxième image, qu’on peut doucement glisser vers le roman : c’est celui dont l’inspiration ne se tarit pas, volume après volume… l’écrivain trouve toujours quelque chose à écrire…»Les caractéristiques du roman-fleuve dans l’œuvre Les Thibault

Roger Martin du Gard est l’auteur marquant de la première moitié du XX-e siècle avec sa vaste œuvre Les Thibault. Dès l’adolescence il a senti une vocation précoce d’écrivain. Fils d’une famille de magistrat, il obtient un diplôme d’archiviste paléographe et après la guerre, il se consacre à l’écriture d’un grand roman. Il reçoit un prix Nobel de littérature en 1937 pour l’ensemble de son œuvre. C’est à la lecture de La Guerre et La Paix de Tolstoï et de Jean Christophe de Romain Rolland que Martin du Gard décida d’écrire Les Thibault. Cette suite romanesque qu’il écrit entre 1922 et 1939 comprend huit parties : Le Cahier gris, Le Pénitencier, La Belle Saison, La Consultation, La Sorellina, La Mort du père, L’Eté 1914, Epilogue. Ce roman raconte l’histoire de deux grandes familles bourgeoises entre 1914 et 1918 et il entreprit une grande fresque de la société bourgeoise de cette époque.

Cette œuvre demeure dans l’idée de présenter une situation générale dans la société française dans la période avant et pendant la Première Guerre Mondiale. C’est pourquoi il choisit ce type de roman, car le roman-fleuve offre la possibilité d’exprimer un ensemble d’idées, de situations, de relations et de personnages, et tout cela est important pour donner une image vraie d’une socété, d’une époque.

«Martin du Gard n’avait cherché qu’à faire en laissant chaque personnage agir selon sa psychologie propre…» Et aussi, on ne doit pas négliger certains aspects autobiographiques dans cette œuvre : la bourgeoisie qu’il décrit et à laquelle appartenaient les Martin du Gard, puis, ce confort matériel et moral, son service militaire et son attitude vis-à-vis de la guerre à travers Jacques…

Roger Martin du Gard montre, dans son œuvre, une image de la bourgeoisie française d’avant-guerre, la bourgeoisie vaine, hypocrite et paternaliste (celle d’Oscar Thibault), tournée vers l’argent et la carrière, qui cache les sentiments et la vérité en essayant de maintenir une image fausse d’elle-même devant les autres. C’est la bourgeoisie française nationaliste et revancharde.

Dans Les Thibault on peut aussi voir l’étude des problèmes et des relations familiales. Dans les deux premiers volumes, Cahier gris et Pénitencier, Roger Martin du Gard montre deux familles, les Thibault et les Fontanin.

La famille Thibault est composée de M. Thibault, père, du fils aîné Antoine et du fils cadet Jacques. Le père, Oscar Thibault, un grand bourgeois parisien, catholique, autoritaire, orgueilleux, un républicain, qui est considéré comme le symbole d’un ordre suranné, un portrait satirique d’un

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grand Bourgeois. Il fait tout pour conserver la moral et sa position dans la société. De la première page du Cahier gris il apparaît violent, impatient, frappant du pied, hypocrite et l’esprit plus occupé par le Congrès des Sciences morales que par la disparition de Jacques. «Du point de vue moral, le père Thibault prend sur lui tous les péchés de la bourgeoisie.» On trouve dans La Mort du Pére les thèmes de son agonie et de sa mort.

De l’autre côté Martin du Gard représente les fils, mais opposés l’un à l’autre.

Antoine apparaît comme une personne méthodique et positif, un brillant étudiant en médecine. Interne aux hôpitaux de Paris, dévoué aux autres et assez conservateur, il a refusé l’engagement politique pour se vouer entièrement à sa carrière. «Cet Antoine équilibré, si bien organisé pour être heureux, pour devenir un grand homme, un grand médecin.» Antoine sert à la socété sans préjugés des classes comme son père. Il cherche le moyen de ramener son frère sur le droit chemin, mais il ne réussit pas. Par la pensée de madame Fontanin, l’auteur peint Antione disant : «Avec ce front –là l’homme est incapable de bassesse.» Il est aussi orgueilleux mais d’une manière différente de son père.

Jacques, il représente un énergique rebelle, tout en revolte contre son père. «Quant à Jacques, demi-pensionaire dans une école catholique, issu d’une famille où les pratiques religieuses tenaient une grande place, ce fut de plus aux barrières qui l’encerclaient, qu’il se plut à rechercher l’attention de ce protestant, à travers lequel il présentait déjà un monde opposé au sien.» Jacques est tourné vers l’idéalisme passionnné, il tombe à désobéissance.

Jacques et Antoine appartiennent dans une certaine mesure à la famille de Roger Martin du Gard, l’un avec son traditionalisme et l’autre avec sa révolte. Leurs destins opposés les feront vivre jusqu’à leur mort dans l’incompréhension l’un de l’autre.

Parallèlement, l’auteur represente une autre famille, la famille Fontanin. Il met l’accent sur la différence entre ces deux familles. En ce qui concerne la religion, la famille Thibault est catholique de la haute bourgeoisie et la famille Fontanin protestante de la petite bourgeoisie. Les catholiques rejetent les protestants en les appelant les hugenots. Oscar Thibault empêche ses enfants d’avoir les amis protestants. Il refuse de colaborer avec madame Fontanin et juge son fils d’être coupable pour le comportement de Jacques. Les Fontanin sont composés de Thérèse, une protestante, tolerante et humaine avant tout, de Jérôme, son mari, infidèle et charmant, et des deux enfants : Daniel, qui a l’âge de Jacques Thibault, et Jenny, d’un an plus jeune, une curieuse enfant, qui ammène une vie intérieure avancée, pour laquelle Jacques montre certains sentiments. Les deux familles sont réliées par une amitié entre Jacques Thibault et Daniel Fontanin, qui sont les représentants d’une nouvelle génération qui battent pour la libertté. «A travers la vie et les aventures des Thibault et des Fontanin, Roger Martin du Gard s’est livré à une enquête sur la condition humaine, et il a voulu à la manière de Tolstoï exprimer le tragique d’existence.»

Une des caractéristiques du roman-fleuve, qu’on peut trouver dans ce roman, est aussi celle que l’auteur introduit les mouvements historiques et les changements sociaux. Dans la partie Sorellina on trouve Jacques exilé en Suisse et membre d’un groupe révolutionaire international où il se batte avec ses amis de la même pensée pour protéger la paix, pour l’avènement de la révolution sociale . «De fait, L’Eté 1914 présente la genèse de la guerre et les premiers jours de conflit, du 28 juin au

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10 août 1914... Aucun tableau historique ici, aucune fresque guerrière, aucune reconstitution de bataille. Ce qui importe à Martin du Gard, c’est de mettre toute la conviction de son pacifisme, la force de sa raison au service des individus broyés par le monstrueux engrenage, au service des libertés démocratiques que l’on avait pensé assurées au début de siècle.» Roger Martin du Gard exprime son pacifisme et ses idées à travers Jacques. Le pacifisme est défini comme la doctrine et l’action des partisans de la paix ou du rétablissement de la paix. Au contaire de Jacques, Antoine refuse tout engagement politique. Tout ce qui se passe est suivi par cette constante divergence entre deux frères, et Martin du Gard voulait opposer deux attitudes à l’égard de la société et de la guerre.

En parlant des caractéristiques du roman-fleuve, on doit mentionner aussi l’analyse psychologique des caractères, communes à d’autres romans également. Roger Martin du Gard donne dans la première partie un des traits des Thibault. Il dit : «Tous les Thibault sont violents. Et aussi, un des traits au moment où Antoine dit : «L’orgueil des Thibault. Pourquoi non? L’orgueil c’est mon levier, le levier de toutes mes forces.» et aussi : «Moi, je peux vouloir. Et toi aussi tu peux vouloir. Les Thibault peuvent vouloir. Et c’est pour ça que les Thibault peuvent tout entreprendre. De passer les autres! S’imposer!» La timidité et l’orgueil sont deux facteurs psychologiques qui appartiennent aussi à tous les Thibault et qui établissent entre Jenny et Jacques une ressemblance supplémentaire.

Posséder des idées morales, pour un roman-fleuve est très important. Roger Martin du Gard décrit dans Le Cahier gris une correspondance passionnée entre Jacques et Daniel qui sont jugés par leur parents. La fugue que Jacques fait avec son ami est une sorte de libération de ce milieu où il se sent incompris, c’est aussi une manière d’exprimer sa révolte.

Et comme la définition du roman-fleuve dit que les volumes peuvent être lus séparément, c’est aussi le cas dans Les Thibault. Chaque volume pour soi-même est une histoire qui porte certaines idées. On y trouve le processus in medias res, alors, Roger Martin du Gard introduit immédiatement l’action sans description et sans allusion au dernier volume.

Le roman-fleuve est un type de roman dans lequel l’histoire est fondée sur des documents et des faits, c’est pourquoi dans le roman-fleuve l’auteur reste réaliste. Le style de ce roman «relève l’objectivité la plus positive, mais la sensibilité se fait jour plus à chaque instant.»Toutes les caractéristiques données montrent que l’œuvre de Roger Martin du Gard est bien construite et qu’elle a une valeur considérable. Il introduit le romancier en parlant des inquiétudes de ses personnages et cela avec la présentation d’une famille, des individus, de la société où il vivait. Et on peut conclure, qu’il a vraiment réussi à faire un tout.

«Ce qui vieillit une œuvre, ce qui la démonétise, ce que la postérité laisse tomber, c’est justement ce à quoi l’auteur attachait le plus de prix.» – Roger Martin du Gard

CLAUDEL Paul 

“Partage de midi” (1906) : La rencontre, sur un bateau à destination de l’Orient, de Mésa et d’Ysé, épouse de De Ciz, va susciter la passion la plus exaltée que deux êtres puissent éprouver l’un pour l’autre. Interdit par les lois divines et humaines, cet implacable amour adultère ne trouvera d’issue que dans la mort des deux amants.

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Drame en trois actes. Commentaire : Dans cette véritable tragédie, par certains côtés autobiographique (Claudel a rencontré «Ysé» sur le bateau qui le ramenait en Chine, et “Partage de midi” serait «la relation exacte de l’aventure horrible où je faillis laisser mon âme et ma vie après dix ans de vie chrétienne et de chasteté»), le vrai sujet est la quête de l’absolu, la glorification de l’amour de Dieu, et le lyrisme doit donner le ton.

Revenu en Europe, Paul Claudel fut consul de France à Prague de 1909 à 1911 (Franz Kafka fait mention de lui dans son journal à la date du 6 novembre 1910), puis à Francfort, et Hambourg, quittant l’Allemagne en 1914.

L’annonce faite à Marie” (1912)Drame en quatre actes.Commentaire : Claudel avait d’abord écrit, en 1892, un drame intitulé “La jeune fille Violaine”, situé à une époque incertaine, où les épisodes et les noms des personnages différaient de ceux de “L'annonce”. En 1899, il fit paraître une seconde version de “La jeune fille Violaine”, située cette fois à l'époque contemporaine. Les noms des autres protagonistes (Mara, Pierre de Craon...) sont alors fixés. En 1911, il rédigea sa troisième version appelée “L'annonce faite à Marie”, se déroulant dans l’atmosphère d’un Moyen Âge finissant, où les grands voyages des navigateurs vont imposer une vision nouvelle du monde. La pièce est simplifiée en vue d’accroître l'unité dramatique. Mais c'est en 1940 que parut la version définitive pour la scène. Quelques éléments diffèrent de la version précédente : l'épilogue a disparu, le rôle de Pierre de Craon est réduit, ainsi que le nombre de décors. L'auteur a réduit l’action à sa plus simple expression et, paradoxalement, à l'essentiel, c'est-à-dire le message divin à faire passer. Ce sujet marquait un renouveau d’un théâtre religieux qu'on peut qualifier de théocentrique, influencé par la Bible. Les thèmes de la sainteté, de la pureté, du sacrifice, de la chair, du péché et de la grâce sont autant de leitmotivs qui scandent les ouvrages de Claudel. Les personnages des deux sœurs opposées mais aux destins indissociables mettent en lumière ces thèmes : Mara la noire, qui incarne les passions terrestres, âme noire et disgraciée, profondément ancrée dans la terre, est en quelque sorte le repoussoir de Violaine, âme pure qui rayonne du surnaturel et qui, victime volontaire, par son sacrifice, fait triompher l’ordre de Dieu. C'est par la jalousie de l'une que l'autre endure son calvaire et atteint l'état de sainteté. Violaine, ayant sacrifié à sa sœur les biens de la terre qui lui revenaient de droit (elle est l'aînée), son fiancé Jacques qu'elle aime et sa vie de femme en général, est parvenue à l'état de transparence spirituelle. Lorsque, la nuit de Noël, elle ressuscite l'enfant de Mara, la vierge aveugle enfante, telle Marie, un être qui aura ses yeux. Quinze siècles plus tard, elle refait symboliquement les gestes de la Vierge. C'est en fin de compte Mara, la dure, la jalouse, qui a le destin le plus tragique. Elle est peu aimée de ses parents (ils lui préfèrent la douce Violaine), et sa jalousie née de frustrations ne fait que croître. Privée de biens, privée d'amour, elle tente d'usurper l'un et l'autre, mais n'en tire que souffrance : elle perd l'enfant de celui qu'elle aime, et le perd deux fois, lorsqu'il revient à la vie, il est devenu celui de Violaine. Quant à Jacques, elle ne parvient pas à le conquérir pleinement. Derrière sa dureté qui va jusqu'au crime, c'est Mara qui est la plus douloureusement humaine.La lèpre joue également un double rôle : si, au départ, elle est synonyme de péché en général (celui du corps et de l'âme), elle devient par la suite signe d'élection, et moyen d'obtenir la rédemption. Mara, au-delà des apparences.“Le soulier de satin” (1924) : Au temps de la Renaissance, quand l’Espagne et l’Église voulaient dominer le monde, un impossible amour unit don Rodrigue à dona Prouhèze, femme du vieux

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Pelage. Consumés d’une passion ardente, ils s’acheminent douloureusement sur la voie d’un renoncement qui répond aux desseins de la providence. En perdant toutes ses dignités, en sacrifiant sa liberté même, Rodrigue, le conquistador victorieux, se délivre en même temps, pour l’amour de Prouhèze, de sa pesanteur terrestre. Drame en quatre journées Commentaire : Foisonnant de personnages et d’intrigues secondaires, multipliant les lieux et confondant les époques, baroque comme le Siècle d’or qu’il évoque, ce drame romantique, qui illustre les thèmes principaux de la pensée poétique de Claudel. On peut y voir la métaphore du triomphe de l’universalisme politique. Le drame fut représenté pour la première fois à la Comédie-Française, dans une version abrégée due à la collaboration du poète et de J.L. Barrault (1943). Marcel de Oliveira l’adapta au cinéma dans son intégralité en 1985. En 1987, Antoine Vitez, puis, en 2002, Olivier Py, le mirent en scène pour le théâtre dans sa version canonique qui dure neuf heures.

CLAUDEL – LA VISION DE LA SOCIETE DANS « L’ANNONCE FAITE A MARIE »

- le problème du destin de l’homme se trouve dans le centre de l’œuvre de Claudel- sa vision du monde, profondément imprégnée du mysticisme chrétien, est fondée sur la foi en dieu qui a créé le monde et l’a donné à l’homme pour recevoir sans cesse de lui les expressions de l’obéissance et de l’amour- l’action de « L’annonce faite à Marie » se déroule à la fin d’un Moyen âge de convention, au sein d’une famille de riches paysans, la famille Vercors - la société est patriarcale et la volonté du père doit être respectée (le père de cette famille, Anne Vercors, part en croisade)- le cadre historique – l’action est située au cœur de la crise provoquée par la guerre de cent ans- elle est donc intégrée dans un épisode populaire de l’histoire française où les personnages les plus importants étaient le roi Charles qui s’est fait sacrer à Rheims et Jeanne d’Arc qui a chassé les Anglais d’Orléans - la période décrite dans « L’annonce » est pleine de grands événements de l’histoire politique et religieuse- dans cette pièce on trouve une opposition entre deux sœurs – Violaine et Mara- Violaine – elle sent en elle-même une vocation qui ne peut se réaliser que par le sacrifice- son renoncement est aussi sa deuxième naissance et évolution vers une sainte- elle renonce au bonheur terrestre, à l’amour et à la vie, pour atteindre le bonheur suprême, divin- on peut établir une parallèle entre elle et la Vierge Marie – elle est bienfaitrice, elle comprend tout, elle est prête à pardonner même les pires choses- d’autre côté, Mara réagit par la haine, la fureur et l’agressivité- elle est complètement attachée à ce qu’elle aime : son mari, son enfant, elle veut la vie à la terre- elle est l’incarnation de l’égoïsme, du péché et du criminel- une autre opposition qu’on y trouve est celle entre Jacques et Pierre de Craon - Jacques est semblable à Mara, il est passionné pour des chose terrestres, il est avide et possessif, très jaloux, il y a chez lui un certain complexe d’infériorité - Pierre de Craon s’oppose à lui parce qu’il est profondément attaché à une mission spirituelle plus que matérielle – en tant qu’architecte des églises, il est voué aux œuvres de dieu- le rapport vers les lépreux – ils sont isolés dans les léproseries, la société les repousse

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- ce drame présente d’abord un profond intérêt humain en montrant les diverses facettes de la rivalité amoureuse de deux sœurs et les réactions des deux hommes qui les aiment ainsi que de leurs parents- c’est surtout le miracle, accompli devant le public, qui donne une dimension religieuse à ce drame- Claudel a résumé cette pièce comme « la représentation de toutes les passions humaines rattachées au plan catholique »- le destin n’est pas une volonté extérieure, imposée par le dieu, mais une volonté intérieur d’un être qui veut atteindre le bonheur suprême par le sacrifice et par le renoncement du bonheur terrestre

CLAUDEL – L’INSPIRATION ESPAGNOLE

- « Soulier de satin » est le testament sentimental et dramatique de Claudel, l’œuvre majeure où il a rassemblé l’essentiel de sa vie, son art et sa pensée- le drame a été achevé en 1925- c’est d’abord un drame d’amour où il tentait de trouver l’apaisement, la résolution, l’explication et la conclusion- il s’est inspiré des écrivains comme Calderon et Lopes de Vega - l’action se déroule en Espagne pendant la renaissance, au temps des conquistadors, à la fin du XVIème siècle- l’Espagne est le champion du catholicisme en Europe, en Afrique au Nouveau monde et jusqu’en Extrême Orient- c’est une vaste fresque, une parabole historique illustrant l’esprit d’une époque et d’une civilisation animées d’une foi conquérante - Rodrigue, le héros du drame, est passionnément amoureux d’une femme mariée, Prouhèze, à laquelle il devra renoncer ; celle-ci, après la mort de son mari, épousera Don Camille, un officier qui la tient à la merci, et elle refusera de se donner à Rodrigue ; son sacrifice et sa mort contribueront au salut de Camille et Rodrigue- une passion adultère a servi au salut des âmes, conformément au sous-titre de l’œuvre, emprunté à Calderon, « le pire n’est pas toujours sûr »- un drame sentimental s’approfondit en un drame mystique- l’auteur trait le thème du sacrifice, ce thème est omniprésent dans ce drame théologique en quatre journées où Claudel, à travers le destin de Rodrigo célèbre la vie comme une quête spirituelle- la diversité des lieux (Espagne, Amérique, Mogador, Bohème), le contraste de tons, la multiplicité des personnages et la complexité entraînent une composition originale- il y a de nombreuses scènes comiques, parodiques et burlesques- des personnages surnaturels (Ange gardien) se mêlent aux héros humains- la scène est constamment variée, transportée d’un continent à l’autre, mais il existe une unité du sujet- le baroquisme de sa dramaturgie – la composition fondée sur le mouvement, la variété, les effets de contraste et de couleur- la dramaturgie est réalisée dans une perspective anticlassique, dans la continuité de Shakespeare et Calderon - « Le soulier de satin » s’impose comme un drame baroque et historique puisque Claudel met ses personnages dans un décor réaliste inspiré par ses propres voyages au Portugal et en Espagne- multipliant les personnages, les lieux et les tons, il invente une dramaturgie totale

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- il trouve à fondre dans ce drame « catholique » tous les engagements de sa vie intime, professionnelle, spirituelle et artistique

La religion, l’inspiration chrétienne- l’épisode fondateur de sa vie était sa révélation de la foi catholique à l’occasion de Noël 1886 (« Mon cœur fut touché et je crus »)- sous le signe de la foi catholique il va élaborer une œuvre poétique et dramatique- les premières œuvres écrites pour théâtre sont marquées par sa conversion et par le symbolisme (« Tête d’or », « La ville », « Jeune fille Violaine »)- à Pékin il écrit « Cinq grandes odes », son chef-d’œuvre poétique, poèmes marqués par la liturgie - pour Claudel, l’enthousiasme est la clef de toute œuvre poétique, mais l’inspiration est une forme particulière de la grâce- l’univers qu’il chante est celui qu’a décrit saint Thomas : une hiérarchie de créatures qui, toutes, l’attestent la gloire de dieu- on trouve en lui l’unité de la poésie et de la foi, le poète est l’imitateur de dieu et la poésie l’imitation de la création- dans son œuvre théâtrale et poétique, il éclaire le mystère de l’univers et le destin de l’homme à la lumière de la foi chrétienne- les êtres s’étagent sur deux plans différents : les célestes et les terrestres- les terrestres représentent l’ordre de la chair ou du péché, ils symbolisent dans leur solitude égoïste, l’angoisse ou la détresse de la créature sans dieu - les célestes représentent l’ordre de la sainteté ou de la grâce, ils sont souvent contraints d’exercer un douloureux effort pour se détacher de la terre, ils s’acheminent peu à peu vers la vérité- selon Claudel, l’univers réalise une complexe, mais harmonieuse unité de subtils accords entre le corps et l’esprit, la terre et le ciel, le visible et l’invisible, et le rôle du poète est de suggérer cette grandiose « mélodie »

COLETTE (LES ANIMAUX, LA NATURE, LES RESSEMBLANCES DE LA FEMMEET DE LA CHATTE)

- née à Yonne (Bourgogne), elle a célébré toute sa vie la royaume de son enfance et sa terre natale- elle peint l’homme dans son état pur, avec les instincts, les émotions, les passions et les faiblesses- à l’influence de sa mère Sido, Colette a pénétré dans le monde mystérieux de la nature, le monde des plantes et des animaux - elle trait très passionnément un autre sujet – la nature et notamment les animaux- le précurseur de zoo psychologues, elle peint les animaux dans leur diversité, de l’air physique jusqu’aux méandres les plus cachés- elle étudiait et observait leurs vie et réactions- pour l’analyse psychologique des animaux, Colette a employé toutes les qualités – son intelligence, son don de psychologie, son intuition ; elle dit ce que les bêtes lui ont dicté par leurs gestes, leurs mouvements, leurs yeux et leurs voix- les œuvres sur les animaux : « Les dialogues des bêtes », « Prison et paradis », « La Chatte »- elle montre dans ces romans un don psychologique, le sens pour observer- on trouve souvent chez ses personnages les ressemblances avec les animaux parce que Colette veut décrire ce qu’il y a de commun entre l’homme et l’animal- en étudiant l’homme, elle s’intéresse surtout au fond animal chez lui, les instincts

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- ses personnages sont menés par les instincts et se laissent à la vie des sens- elle a rigoureusement individualisé les animaux, elle ne les considère pas comme les êtres d’une espèce entière, mais comme des individus - elle étudie l’intelligence et l’instinct, mais elle donne aussi une peinture de la sensibilité des animaux- elle étudie surtout les chats et les chiens- elle veut montrer la capacité des chiens et des chats à comprendre la parole humaine, elle parle aussi du rêve des animaux- son roman « La Chatte » est le chef d’œuvre de la psychologie animale, elle y donne une description de l’amour entre l’homme et l’animal- le sentiment de la jalousie de la chatte est omniprésent - dès le début du roman on voit le commencement du drame de la jalousie entre Saha et Camille- Saha voit en Camille une rivale, pourtant dans sa jalousie et dans son antipathie pour la jeune femme, Saha montre de la dignité et de la discrétion - on se demande si la chatte agit en femme ou la jeune femme en animal, et on conclut qu’elles agissent toutes les deux- Colette considère la dignité et l’orgueil du chat comme ses qualités maîtresses - dans la scène de l’éclatement de la tragédie (Camille décide à précipiter la chatte du 9 ème étage) c’est la chatte qui a plus de sang-froid, plus de sagacité et plus de dignité- en regardant les animaux que Colette peint, on a l’impression qu’il s’agit des êtres humains- la chatte Saha ou la chienne Fossette ont des traits humains : elles peuvent sourire, sentir, réfléchir, elles sont capables d’exprimer tous les sentiments- la solitude humaine est souvent soulagée par la présence des animaux-dans « La Vagabonde », Fossette, la chienne de Renée, regard son départ et attend son retour, elle sent la fatigue de Renée- de l’autre côté, Renée devient comme un animal qui s’enfuit chaque fois que quelqu’un s’approche d’elle

- Colette aime les jardins, elle aime les chats, et elle en parle avec autorité, elle aime la nature qu'elle perçoit par tous ses sens - au monde des humains, elle préfère le monde des animaux- le charme d’un paysage, la délicatesse d’une fleure, la grâce d’un animal éveillent son attention passionnée - profondément attachée à la terre, elle voudrait en savourer toutes ses joies – « Mon royaume est sur la terre »

COLETTE (POETE ENGAGE, POETE REBELLE)

- volontiers provocatrice, Colette n’a pas hésité à décrire sa vie et à la vivre, même si elle pouvait faire l’objet du scandale : en 1908 elle a eu une liaison avec une comtesse et cette homosexualité aggrave sa réputation de femme à la vie dissolue- on peut dire que Colette est une de précurseurs du féminisme – au début du siècle, elle a commencé à écrire ses œuvres pleines de destinés féminines qui allaient de la passion, soumission, douleur jusqu’à la révolte et l’égalité- indifférente aux dogmes religieux et moraux, elle refusait l’angoisse qui paralyse et les conventions qui pétrifient

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- dans ses œuvres elle traite toutes les formes d’amour et de la passion : troubles d’adolescence, la jalousie, le drame du couple, de mystérieuses liaisons- elle soulève des masques de son époque, dénonce la condition féminine - sans jamais s’associer aux mouvements féministes, elle s’indigne de l’asservissement des femmes, le plus souvent sans métier, exploitées, n’ayant d’autre statut possible que celui de femme mariée ou de femme entretenue - sa propre vie et le parcours de ses héroïnes prônent la responsabilité des femmes dans la construction de leur destin- souvent dans ses livres elle peint la lutte de la femme entre la soumission et la liberté, entre la raison et le cœur, et de l’autre côté elle peint la femme qui refuse d’être l’objet du regard d’un homme- alors son héroïne est supérieure par rapport à l’homme – ainsi Colette a contribué à l’idée d’égalité entre les sexes - il faut mentionner que chez Colette la femme n’est pas une féministe, mais une personne forte, un être travailleur, humain, plein de joie de vivre- dans « Chéri » elle donne une confusion des appartenances sexuelles traditionnelles – ici c’est la femme qui est tranquille, organisatrice et l’homme est capricieux - son héros, Chéri, lui permet de montrer que la beauté et la puissance sexuelle font de certains hommes les jouets du désir féminin- à l’âge de 20 ans elle a épousé Henry Gauthier Villars (pseudonyme Willy) - il l’introduit au monde des lettres, mais il a signé ses premiers livres, il l’a trompé sans cesse et elle divorce en 1910- elle trouve refuge auprès de la marquise Mathilde de Morny, dite Missy- elle gagne sa vie sur la scène comme mime, danseuse, actrice et partage la condition errante des artistes de music-hall - le roman « Vagabonde » transpose cette phase de sa vie- elle devient une journaliste très active- en 1912 elle épouse Henry de Jouvenel - elle écrit les reportages pendant la guerre, elle écrit pour le cinéma, pour la presse féminine, des essais et des chroniques, elle enregistre aussi des émissions de radio- elle est devenue membre de l’Académie royale de Belgique et de l’Académie Goncourt, grand-officier de la Légion d’honneur- elle a été saluée par les plus grands écrivains du demi-siècle : Gide, Valéry, Cocteau, Claudel, Mauriac- la République française honore sa muse officielle – décorations, cérémonies, dialogue avec le président- une foule considérable d’admirateurs l’accompagnera en 1954 lors de ses funérailles

L’IMAGE DE LA FEMME MONDAINE DANS CHERI

- il s’agit d’un chef-d’œuvre de Colette, c’est une étude fine et lucide des rapports entre l’homme et femme- une analyse psychologique des sentiments féminins et d’un drame du couple- le roman met en présence des personnages qui font une société fermée

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- « Chéri » a inversé le couple romanesque ordinairement formé d’une jeune femme et d’un homme plus âgé ; à cette inversion des âges s’ajoute une confusion des appartenances sexuelles traditionnelles – ici c’est la femme qui est tranquille, organisatrice et l’homme est capricieux - son héros, Chéri, lui permet de montrer que la beauté et la puissance sexuelle font de certains hommes les jouets du désir féminin- Léa de Lonval – une courtisane et une cocotte de cinquante ans, elle est la maîtresse de Fred Peloux appelé Chéri- elle est une personne tolérante, elle supporte les caprices de Chéri, parfois son regard est plein de soucis comme le regard d’une mère- elle est jalouse de mariage de Chéri, bien qu’elle sache qu’il est jeune et qu’il est naturel qu’il se marie ; il est aussi jaloux à cause de ses amants avec lesquels elle voyageait- à la fin, Léa reste seule, mais non pas désespérée, elle va profiter de la beauté de son âge, de la vie calme- la grande qualité des héroïnes de Colette est le don de supporter cette condition, l’échec ou le défait- toute l’œuvre de Colette est une étude de la psychologie féminine - la peinture narquoise d'un certain milieu mondain, l'analyse subtile de l'âme féminine, les charmes cruels de la séduction, l'humour un peu triste de la romancière font de Chéri une des œuvres les plus attachantes et les plus célèbres de Colette

COCTEAU Jean 

“Antigone” (1922) : Antigone explique à Ismène que, malgré l'interdit de Créon, elle va aller rendre les honneurs funèbres à Polynice («Le temps où je dois plaire aux morts est plus considérable que celui où il me faut plaire aux vivants»). Créon, face au peuple, confirme la justice de sa décision, mais un garde annonce qu'on a rendu les honneurs à Polynice. Créon tonne contre l'anarchie, contre l'ignoble argent qui achète des traîtres. Mais déjà on amène Antigone coupable, et qui s'affirme telle : «Je savais la mort au bout de mon acte. Je mourrai jeune : tant mieux. Le malheur était de laisser mon frère sans tombe. Le reste m'est égal.» Viennent ensuite Ismène en larmes, puis Hémon, lequel, contre Créon, son père, affirme l'erreur de qui veut gouverner seul et sans cette intelligence qui permet de se contredire. Créon enrage devant ces folies de «raisonneur» et ordonne le supplice. Antigone est emmenée après une dernière apostrophe au peuple. Alors tout se précipite : Tirésias annonce le malheur, Créon hésite, se trouble, se décide à céder, disant : «Je crains qu'il soit impossible de s'en tenir toujours aux vieilles lois.» Mais Antigone est déjà morte, et Hémon se perce le cœur en maudissant son père.Tragédie.Commentaire : Cocteau a repris ce sujet antique à Sophocle, mais en contractant l'œuvre du Grec pour en tirer l'équivalent de ce que tire d'un paysage sa vue à vol d'oiseau : son relief, sa structure profonde ; en lui donnant le rythme de son époque et en universalisant le drame par le recours délibéré à l’insolite et à l’anachronisme. La pièce a été représentée le 20 décembre 1922 au théâtre de l'Atelier, Dullin tenant le rôle de Créon, Antonin Artaud celui de Tirésias et Jean Cocteau celui du Chœur ; les décors étaient de Picasso, les costumes, de Coco Chanel. Elle provoqua un chahut surréaliste, l’inimitié étant virulente entre Cocteau et André Breton qui, affichant son homophobie, le qualifia d’«être le plus haïssable de ce temps». Sous l’influence de Radiguet, il s’éloigna de l'esthétique d'avant-garde, «nouveau conformisme»

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(“Le secret professionnel”) pour adopter une sobre forme classique dans le roman comme dans la poésie :

Les enfants terribles” (1929) : Grâce à un territoire de jeu inscrit dans la chambre d'Élisabeth (âgée de seize ans) et de Paul, son frère cadet, un groupe d'adolescents se coupe de la réalité pour y faire surgir un monde imaginaire et secret. Le roman s'ouvre dans la cité Monthiers, où, au cours d'une bataille de collégiens, Paul est blessé par une boule de neige lestée d'une pierre par le turbulent Dargelos dont il est amoureux. Il est ramené rue Montmartre par Gérard, qui pénètre ainsi dans l'intimité de la chambre : «Le désordre [...] s'aggravait et formait des rues. Ces perspectives de caisses, ces lacs de papiers, ces montagnes de linge, étaient la ville du malade et son décor. Élisabeth se délectait de détruire les points de vue essentiels [...] et d'alimenter à pleines mains cette température d'orage sans laquelle ni l'un ni l'autre n'eussent pu vivre» (chapitre III). Les adultes de la famille, accaparés par leur malheur (la mère infirme, a été abandonnée par un époux alcoolique), ont permis à Élisabeth et Paul de donner libre cours au «jeu» qui s'éternise avec la convalescence de Paul, et dont Gérard devient le témoin. Au centre du jeu, un bric-à-brac poétique compose le «trésor» qui cristallise bientôt cet espace sacré. Dargelos, «le coq du collège», dont la photo est une pièce maîtresse, en est l'idole incontestée. La timide Agathe, amie d'Élisabeth et sosie de Dargelos, remplace progressivement l'amour malheureux de Paul en un amour possible. La mort de la mère, puis celle de Michaël, le milliardaire qui épouse Élisabeth et, le jour même, se tue en voiture, font peser une malédiction sur le «génie créateur de la chambre» (chapitre V). Dans la deuxième partie du roman, trois ans ont passé. La chambre est recréée à l'hôtel de l'Étoile : Élisabeth, «gardienne du temple» et désormais riche héritière, en assure la pérennité. Véritable vierge sacrée, elle désamorce l'amour que lui porte Gérard et, à force de mensonges, crée de toutes pièces un couple bourgeois, Gérard et Agathe. Mariés, ils sortent du jeu, sauvegardant ainsi le couple incestueux. Mais Paul rencontre Dargelos qui, agent cruel du destin, le frappe à nouveau en lui offrant une boule noire, un poison mystérieux que Paul avale lorsqu'il croit avoir perdu l'amour d'Agathe. Celle-ci accourt à son chevet ; ils découvrent leur amour et la machination d'Élisabeth qui, en tragédienne superbe, se donne la mort au moment où Paul succombe : «Ils montent côte à côte. Élisabeth emporte sa proie. Sur les hauts patins des acteurs grecs, ils quittent l'enfer des Atrides. [...] Encore quelques secondes de courage et ils aboutiront où les chairs se dissolvent, où les âmes s'épousent, où l'inceste ne rôde plus». (chapitre XIII). Roman en deux parties, comportant respectivement dix et six chapitres.Commentaire : Cocteau écrivit ce roman durant un séjour à la clinique de Saint-Cloud où il faisait une cure de désintoxication dont le livre “Opium” constitue le journal. Paul et Élisabeth se prêtent à tous les jeux de leurs inconscients morbides dans l’espace clos de la chambre qu’ils partagent. Il ne faut pas voir dans cette passion exclusive un vulgaire inceste. Cocteau relatait sur le mode tragique «une fatalité de neige et de mort». Ce conte aux lisières du fantastique se déroule en effet sur un rythme lent et selon une construction rigoureuse de tragédie. La perfection formelle et la rapidité du récit, sa charge symbolique en font un des sommets de l’oeuvre en prose de Cocteau. La langue conserve un style classique, aux périodes bien scandées : «Elle ressemblait à Paul [...]. Deux ans de plus accusaient certaines lignes, et, sous sa chevelure courte, bouclée, la figure de la sœur cessant d'être une ébauche, rendait celle du frère un peu moite, s'organisait, se hâtait en désordre vers la beauté» (chapitre II) - «Les privilèges de la beauté sont immenses. Elle agit même sur ceux qui ne la constatent pas.».Ce roman lu par toute une jeune génération, qui y reconnut les lois et les mécanismes de ce que Roger Lannes appela «l'éthique de l'adolescence», toucha un vaste public. «Ce livre, écrivit

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Cocteau, devint le bréviaire des mythomanes et de ceux qui veulent rêver debout» (“De la lecture”, dans “La difficulté d'être”). En 1950, il fut adapté au cinéma par Jean-Pierre Melville avec des dialogues et un scénario, de Jean Cocteau qui choisit aussi pour musique le concerto de Bach.

La machine infernale” (1934) : Dans le court prologue, l'oracle d'Apollon est annoncé aux parents, en deux affirmations au futur, sèchement juxtaposées : «Il tuera son père. Il épousera sa mère». Dans une suite de courtes phrases au présent, se déroule tout le destin d'Oedipe, c'est-à-dire celui d'un mortel dont se jouent les dieux (car il faut, nous dit-on, «que les dieux s'amusent beaucoup»).Près des remparts de Thèbes, devant les boîtes de nuit bruyantes, le roi Laïus vient d'être tué. Son fantôme essaie de prévenir la reine Jocaste du danger qui la menace. Malgré ses efforts, le rendez-vous avec la veuve ne peut se réaliser. Elle rencontre un soldat qui a les traits de son fils, Oedipe. En même temps, Oedipe, fuyant son pays natal pour empêcher l'oracle de s'accomplir, rencontre le Sphinx sous la forme d’une jeune fille : celle-ci, lasse de tuer, tombe amoureuse d'Oedipe. Pour sauver le héros, elle lui donne d'avance la réponse à l'énigme. Oedipe triomphe donc de I’épreuve. Ce faisant, et sans le savoir, il noue son destin à celui de sa mère. Guidé par les dieux, Oedipe épouse Jocaste. De leur union naissent deux garçons, Étéocle et Polynice, et deux filles, Ismène et Antigone. Mais Ia peste décime Thèbes ; l'irréparable est accompli, la machine infernale explose. Jocaste et Oedipe comprennent : «Lumière est faite. Avec son écharpe rouge, Jocaste se pend. Avec la broche d'or de sa femme pendue, Oedipe se crève les yeux». Jocaste morte, réapparaît son fantôme qui est celui de la mère d'Oedipe. Elle conduit son fils vers la gloire en s’incarnant dans Antigone.Tragédie en quatre actes.Commentaire : Fasciné par la tragédie et les mythes dans ce qu'ils ont d'intemporel et de moderne, Cocteau a repris ce sujet antique, mais en lui donnant le rythme de son époque et en universalisant le drame par le recours délibéré à l’insolite et à l’anachronisme. Dans un condensé de Sophocle, il a réuni les grandes figures d’Oedipe, de Jocaste, d’Antigone, de Créon. Les thèmes sont connus d'avance, ils ne peuvent ni surprendre le spectateur, ni nourrir l’effet dramatique. En grand virtuose, l'auteur fait naître, comme par enchantement, des beautés verbales, et philosophiques entremêlées d'ironie et de surréalisme. La tragédie d’Oedipe a reçu chez Cocteau un titre qui indique à la fois la férocité inconsciente d'un objet qu'on ne peut ni convaincre ni arrêter et une menace d'autant plus effrayante qu'elle émane d'une force invisible née des ténèbres et de la malfaisance. Il indiqua que le héros est victime de l’"une des plus parfaites machines construites par les dieux infernaux pour l'anéantissement mathématique d'un mortel". Les dieux infernaux étaient, dans la mythologie gréco-latine, les dieux du monde souterrain où descendaient tous les morts, les bons comme les méchants, les maîtres d'un au-delà triste et désincarné, sans vraie lumière, ni vie réelle. Les dieux inventent l'oracle pour que, loin de les prémunir contre le parricide et l'inceste, il pousse victimes et bourreau les uns vers les autres. Sans cesse présents, ils agissent de façon à mener leurs proies où ils veulent. Ils envoient «le fléau du sphinx» sans lequel Oedipe n'aurait pas songé à Jocaste. Ils «compliquent...les noces monstrueuses» par des «années...prospères» et une belle descendance. Au moment qui leur convient, ils font que «la peste éclate», alors, ils «accusent un criminel anonyme...et exigent qu'on le chasse». Sur ce thème du destin, Cocteau nous montre comment, peu à peu, chacun des héros se moule dans sa propre légende. Dans le prologue, la Voix nous a tout dit. Nous connaissons la programmation complète. À quoi bon nous attarder à la représentation? Mais il est intéressant de voir comment Cocteau réussit à «faire passer» cette histoire énorme. Il exploite évidemment les immenses possibilités psychologiques, ou psychanalytiques du thème. Mais ce n'est pas l'essentiel de son propos. Il voulut

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rendre sensible sur une scène parisienne l'intrusion des dieux dans notre monde rationnel. C'est le pari qu’il tente sur le thème d’Oedipe.Alors que Sophocle prit son récit au moment où la chance tourne et va s'acharner sur Oedipe, roi respecté et aimé de son peuple, époux heureux, père comblé par quatre beaux enfants, Cocteau partit de plus loin, montra le héros avant sa réussite et se risqua dans les épisodes les plus délicats de sa légende : - le premier, la victoire sur le sphinx, n'est pas crédible pour des esprits rationnels.- le second, les noces incestueuses, choque profondément la morale.Ils gênent, et c'est sans doute pour cette raison que le tragique grec n'y fait que de brèves allusions.La démarche différente de Cocteau nous permet, lorsqu'au dernier acte arrivent la révélation et la punition, d'y être mieux préparés que chez Sophocle, où le châtiment, s'abattant sur un prince vertueux, semblait plus injuste et révoltant. Comme souvent dans le théâtre contemporain, nous y perdons probablement en grandeur ce que nous gagnons en simple humanité. Les trois premiers actes sont de longueur sensiblement égale, tandis que le dernier n'est que la moitié des précédents.Le style frappe par son extrême variété : il va du dépouillé au précieux, de l'argotique au littéraire, du classique au plus audacieux ; toutefois, une image, une construction de phrase, un mot nous rappellent que la poésie est toujours présente chez Cocteau, et qu'elle crée, au-delà des styles disparates, l'unité de la pièce. La technique est simple, presque impressionniste ; l'auteur accumule point par point des détails peu importants en soi qui se trouvent soudainement valorisés à la fin. Il utiiise systématiquement l'anachronisme (expressions modernes dans le dialogue, dans les idées ou dans le décor) qui concrétise la valeur éternelle du drame, modernise les personnages et les situe hors du contexte historique, hors du temps, et contribue à l’universalité de l'œuvre. La pièce a été représentée pour la première fois le 10 avril 1934 au théâtre Louis-Jouvet (Comédie des Champs-Élysées), et publiée en 1934.Marguerite Yourcenar commenta : «Il y a des scènes inoubliables, comme le double moment de demi-sommeil du fils et de la mère, bien qu’il y ait aussi des platitudes de petit théâtre. C’était d’ailleurs peut-être inévitable, étant donné ce qu’était et ce qu’est le théâtre de notre temps, mais certaines légèretés gênent parce qu’on y sent des concessions.»Les parents terribles” (1938) : Un appartement, que ses occupants, doux rêveurs à cent lieues de la réalité, ont surnommé “La roulotte” et où les portes claquent, est à leur image, car c’est un capharnaüm. Yvonne partage son existence entre Georges, son mari, un inventeur fantaisiste, raté et veule qui eût pu être génial, Léonie, que chacun appelle Léo, sa sœur, et Michel, son fils. C'est en fonction de ce dernier, à qui elle voue une passion exclusive et dévorante, qu'elle oriente ses moindres faits et gestes. Si Léonie vit avec le couple, c'est parce que, jadis, elle et Georges se sont aimés, mais il lui a préféré Yvonne. Elle a été assez héroïque et bête pour le laisser partir, mais trop amoureuse pour le quitter tout à fait. Elle a même consacré à la famille sa fortune personnelle. Par son goût de l’ordre et sa raison, Léo est le pilier de la maisonnée, qu’elle dirige. L'équilibre précaire entre un mari délaissé, une mère possessive, femme-enfant, malade aux nerfs fragiles, et une tante vieille fille se trouve soudain menacé par un événement inhabituel et bouleversant : Michel n'est pas rentré de la nuit. Il est en compagnie de Madeleine ; mais, lassé de l'aimer en secret, il s'apprête à annoncer son idylle à sa mère. Cette décision l'exalte et l'angoisse en même temps. Il lui révèle également la situation ambiguë dans laquelle s'est empêtrée, bien malgré elle, sa bien-aimée : dans un moment de dépression, elle a noué une relation avec un veuf de cinquante ans qui s'est attaché à elle car il retrouve chez elle la tendresse de sa fille perdue. À l'issue de ces aveux, une jalousie féroce arrache à Yvonne larmes et hurlements qu’elle met aussitôt sur le compte de l'histoire

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«sordide» que lui a racontée son fils. Bien que calme et pondérée, la réaction de Georges n’est pas plus enthousiaste ; dans la description brève de Michel, il a tôt fait de reconnaître une autre Madeleine qui, pourtant, ne fait qu'une avec celle que son fils aime. Une Madeleine qui lui échappe, à qui il a inventé un personnage de veuf pour l'émouvoir et la garder. Il est effondré en s'apercevant que Madeleine ne rompt avec lui que pour épouser son fils. C'est à Léo la fidèle, qui l’aime en silence, qu'il se confie aussitôt et elle imagine une issue diabolique à l'aventure des jeunes gens : est monté de toutes pièces un face-à-face entre Georges et Madeleine à qui il révèle sa véritable identité et la menace de tout révéler à Michel si elle ne renonce pas à lui. Yvonne, qui ne veut pas partager Michel, est d'accord avec lui. Ensuite, il force la malheureuse à inventer à Michel un troisième homme dans sa vie et à déclarer leur union impossible. Entre voir sa relation avec Georges dévoilée, et inventer une nouvelle union, quelle solution choisir? Madeleine prend celle qui blesse le moins son orgueil rudement éprouvé. Georges, apaisé, se félicite du stratagème. Mis au courant, Michel, fou de douleur, s'enfuit chez lui, pour y retrouver une Yvonne qui ne cache pas son bonheur de mère surprotectrice.Mais un grain de sable a tôt fait d'enrayer la machine : Léo, qui ne connaissait pas Madeleine, retrouve chez elle un ordre à son image et la trouve aussitôt sympathique. Pressée de réparer le gâchis dont elle est l'instigatrice, elle rentre à “la Roulotte” et persuade Georges d'avouer à Michel leur complot. Elle lui demande également de raisonner Yvonne afin qu'elle admette l'amour des jeunes gens, ce que Georges accepte, enfin convaincu que leur malheur ne lui rendra pas son bonheur. À l'issue des explications, Michel rejoint Madeleine qui est donnée une place parmi les membres de la famille dans “la Roulotte”. Mais Yvonne se sent rapidement exclue d'un amour dont elle n'est plus l'objet unique. Incapable de surmonter sa douleur, elle absorbe des barbituriques, laissant une place désormais vide entre Georges et Léo, seuls face à face dans l'acceptation ambiguë de sa disparition...Drame en trois actes.Commentaire : Cocteau donna aux “Enfants terribles” leur pendant tragique dans cette pièce où, pourtant, il s’attacha à renouveler le théâtre de boulevard. «J'ai voulu essayer ici un drame qui soit une comédie, et dont le centre même serait un nœud de vaudeville si la marche des scènes et le mécanisme des personnages n'étaient dramatiques.» L'originalité de la pièce tient moins à ce projet qu'à la qualité singulière des personnages : une famille de rêveurs qui se trouvent plongés dans le drame dès qu'ils retombent dans la réalité. En effet, la trame aurait pu être celle d'une comédie mélodramatique et l'intrigue amoureuse, celle d'un bon vaudeville. Mais Cocteau transcenda cette banalité apparente de la vie quotidienne en drame, évoluant en crescendo vers une «tragédie familiale», une tragédie moderne. Il joua habilement d'une situation mélodramatique pour montrer la lutte déchirante du vrai et du faux... Le style est frémissant, nerveux, écorché, vif, celui de la passion quand elle a jeté le masque.» Le thème est celui de l'amour entre une mère possessive et un fils, d'une passion impossible puisqu'elle doit aboutir à une séparation inévitable, à l’espoir de se rejoindre dans l’au-delà qui hante avec désespoir toutes les fictions de Cocteau, thème auquel se greffe ici l’ombre fatale du théâtre grec : c’est le mythe de Jocaste transporté à notre époque. Il se mêle à la jalousie de Georges et à l’amertume de Léo, qui est toujours secrètement amoureuse de lui. Mais l'auteur sublime le thème : la passion qui dévore la mère ne peut endurer de séparation, sinon celle de la mort. Les sentiments s’exacerbent jusqu’au drame final. Les dialogues passionnés, nerveux, la mise en scène et le jeu des acteurs (Jean Marais, pour qui Cocteau avait créé le rôle de Michel, Josette Day, Gabrielle Dorziat, Yvonne de Bray, Marcle André) ont concouru également à donner à la pièce une dimension tragique. Elle fut représentée pour la première fois au Théâtre des Ambassadeurs le 14 novembre 1938 et publiée la même année. Ce fut la pièce qui révéla Cocteau

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au grand public et qui est restée la plus populaire avec “La machine infernale”. En 1948, il en donna une version cinématographique avec la même distribution, et en respectant scrupuleusement la structure scénique de l’oeuvre, ses décors, son atmosphère (on entend même, au début, frapper les trois coups). Le film réussit la gageure d’être pourtant du pur cinéma où jamais on n’est gêné par l’effet de théâtralité, et il est considéré comme un chef-d'œuvre du genre. En 2003, Josée Dayan l’a adaptée à la télévision, avec Jeanne Moreau (Léo), Nicole Garcia (Yvonne), François Berléand (Georges), Cyrille Thouvenin (Michel), sa mise en scène impressionniste exprimant parfaitement l’atmosphère pesante de “la Roulotte” et mettant en valeur le sublime trio Moreau-Garcia-Berléand.

Jean GIRAUDOUX

Amphitryon 38” (1929) : En l'absence d'Amphitryon, général des Thébains, Jupiter séduit Alcmène, son épouse, après avoir pris l'apparence du mari. Simultanément, la métamorphose de Mercure en Sosie, valet d'Amphitryon, et le retour inopiné de ce dernier entraînent une joyeuse succession de quiproquos.Comédie.Commentaire : Le chiffre 38 s'explique parce que Giraudoux avait dénombré trente-sept versions antérieures de ce sujet inauguré par Plaute (v.-124) et traité en particulier par Molière (1668), Dryden (1690), Kleist (1807), etc..

“La guerre de Troie n'aura pas lieu” (1935) : Pâris ayant enlevé Hélène au roi Ménélas, la ville de Troie assiégée attend de pied ferme la délégation grecque conduite par Ulysse, chargé d'obtenir sa libérer. Hector, le fils aîné du roi Priam, revient de la guerre et, ayant promis à sa femme, Andromaque qui, comme les autres Troyennes, est convaincue de la sanglante vanité de la guerre, que c'était la dernière, il ne souhaite qu'une chose : la paix. Le prétexte de l'enlèvement d'Hélène lui paraît trop futile pour être la cause d'une guerre. Ainsi essaie-t-il de convaincre son jeune frère, Pâris, de libérer Hélène. Il y consent d'autant plus volontiers que leur amour n'était qu'une passade. Mais la prophétesse Cassandre lui révèle que le roi Priam, les vieillards de la ville et les intellectuels, dont le poète Demokos, condamnent cette attitude où ils ne veulent voir que de la lâcheté et ont déjà pris leur décision : ils feront tout ce qui est en leur pouvoir pour conserver celle qu'ils appellent la beauté, au sein de la cité, même si le prix à payer en est la guerre. Hector, accompagné de sa mère, Hécube, essaie bien de les en dissuader, mais rien n'y fait. Le poète Démokos a déjà organisé un concours d'injures afin d'en abreuver l'ennemi. Hector n'entrevoit qu'une issue : convaincre Hélène de rejoindre les Grecs afin d'éviter cette guerre absurde. Elle y consentirait bien volontiers, mais elle ne se voit pas rentrer chez les siens. Elle s'y voit d'autant moins qu'elle bénéficie, tout comme Cassandre, du don de double vue et qu'elle est incapable d'entrevoir l'image de la paix que cette dernière tente d'évoquer. Tandis que le Conseil des Anciens demande au juriste Burisis de présenter le débarquement grec comme une offense à la cité, Hélène taquine le jeune Troïlus à qui elle promet un baiser. À sa vue, Andromaque déplore que la cause de la guerre ne soit même pas un grand amour. Hector, de son côté, tente désespérément de contrarier le destin qui pèse sur la ville et prononce un discours de paix bientôt interrompu par l'arrivée d'Ulysse et de ses compagnons. Démokos profite de l'occasion pour exhorter la foule à prendre les armes contre la délégation grecque. Dans ce climat de tension, le moindre incident peut être l'étincelle d'où jaillira la guerre. Oiax, un jeune Grec ivre, s'en prend à Andromaque et à Hector qu'il gifle en présence de tous. Hector se contient et, afin d'éviter l'irréparable, assure aux Grecs que leur

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roi peut être tranquille : Hélène n'a pas connu Pâris. Ulysse, qu'un même désir de paix anime, est prêt à croire le Troyen, malgré le démenti que les marins troyens, croyant sauver leur honneur, opposent à cette affirmation. Au moment où, enfin, la guerre semble évitée, surgit Démokos qui tente de précipiter l'irréparable en haranguant la foule. Hector ne peut que le tuer d'un coup de javelot. Dans un dernier sursaut de volonté, Démokos accuse le Grec Oiax de l'avoir assassiné. Ni Hector ni Ulysse ne peuvent désormais arrêter le destin : la guerre de Troie aura bien lieu.Drame en deux actes.Commentaire : Écrite en 1935, la pièce est avant tout l'expression d'une fatalité et de la lutte inégale qui oppose les hommes à leur destin. Hector, l'ancien combattant, rentre à Troie, persuadé de l'inutilité des guerres, quelles qu'elles soient. Il est l'exacte antithèse de Démokos qui pare la guerre de toutes les vertus (héroïsme, exaltation des morts, bon droit). Pourtant, ni l'un ni l'autre ne sont totalement libres de leurs actes ni de leurs pensées. Dès la première scène, Cassandre attire l'attention du spectateur sur le destin qui, une fois ébranlé, ne peut être arrêté : «Je tiens seulement compte de deux bêtises : celle des hommes et celle des éléments». Sous le regard indifférent des dieux, la guerre échappe aux êtres humains et, quelle que soit leur bonne volonté (celle d’Ulysse), leurs efforts désespérés (ceux d’Hector), des hasards, des éléments incontrôlables (l'enlèvement d'Hélène, Oiax le Grec ivre, la mort de Démokos), président à son déclenchement. À travers sa vision pessimiste et son scepticisme quant aux chances qu'ont les hommes de bonne volonté de se faire entendre en pareilles circonstances, Giraudoux présentait les efforts faits dans les années trente pour éviter une autre guerre qui, cependant, lui paraissait inéluctable et qui a, en effet, bel et bien eut lieu en 1940. Mais, si la pièce peut être replacée dans un contexte historique, son écriture, sa parenté avec le thème antique ainsi que la distance par rapport au modèle et aux événements (anachronismes) en font une pièce actuelle. Elle est d'abord une mise en garde, un avertissement. Hector, malgré sa bonne volonté et l'ardeur qu'il met à défendre la paix, reste impuissant. Tout comme Démokos, qui semble triompher, ne peut rien sans la foule qui le soutient. C'est le peuple qui lynche Oiax et rend la guerre inévitable. La fatalité en soi n'existerait-elle donc pas? Pas au sens d'un destin inéluctable. Ce sont les humains qui forgent leur destin. Selon Giraudoux, le malheur réside dans le fait que ce ne sont pas les intellectuels qui décident en fin de compte, mais la foule qu'un hasard, un incident, suffit à faire basculer dans un camp ou dans l'autre.

Électre” (1937) : Le roi d’Argos, Agamemnon, est mort mystérieusement à son retour de Troie, et sa femme, Clytemnestre, règne avec son amant, Égisthe. Le fils d’Agamemnon et de Clytemnestre, Oreste, qui avait fui la ville, y est de retour sous les traits de «l’Étranger». On prépare le mariage de sa soeur, Électre, qui poursuit leur mère d'une haine implacable dont il ignore les raisons, que n'adoucissent pas les retrouvailles attendries entre Oreste et Clytemnestre, et que commente, sibyllin, un mendiant, peut-être Dieu (acte I). Le “lamento du jardinier”, entre les deux actes, explique la tragédie : «C'est cela, la Tragédie, avec ses incestes, ses parricides : de la pureté, c'est-à-dire, en somme, de l'innocence.» L'aube dévoile la vérité (acte II) : Électre a «vu» sa mère et Égisthe assassiner Agamemnon. Tous «se déclarent». Face à l'attaque ennemie, Égisthe se mue en roi responsable, proposant d'épouser Clytemnestre. Mais Électre envoie Oreste tuer les meurtriers : «J'ai ma conscience, j'ai Oreste, j'ai la justice, j'ai tout», conclut Électre, en réponse aux Euménides qui, désormais poursuivent son frère (acte II, scène 10). La ville brûle, mise à sac par les Corinthiens. Alors qu'on lui demande de qualifier ce désastre («Comment cela s'appelle-t-il, quand le jour se lève, comme aujourd'hui, et que tout est gâché, que tout est saccagé..., que les innocents s'entretuent?»), Électre fait répondre par le Mendiant : «Cela s'appelle l'aurore» (dernière réplique de la pièce).

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Drame en deux actes, comprenant respectivement onze et dix scènes, et en entracte le “lamento du jardinier”.

Analyse

Intérêt de l’action

Apparemment, “Électre” est d'abord une tentative pour faire renaître la tragédie par la reprise d'un vieux thème. Les auteurs contemporaine ont eu besoin de recourir à ces vieux thèmes pour redonner au théâtre une force qu’il avait perdue. Mais ce n’est que dans une certaine mesure que Giraudoux est fidèle aux modèles antiques. Il réalise une synthèse entre le vieux thème et la réalité moderne. Il donne une version «bourgeoise» de la tragédie grecque en introduisant des scènes de vaudeville (Clytemnestre explique qu'elle a assassiné Agamemnon, non pour mettre son amant, Égisthe, à sa place, mais parce qu'il dressait en l'air le petit doigt quand il prenait sa tasse de thé ou mettait sa couronne sur la tête, preuve de l'agacement comme facteur de destruction des couples), ) et politiques («Il est des vérités qui peuvent tuer un peuple» (II, 8).Apparemment aussi, "Électre” se conforme aux règles de la tragédie classique. Mais, en réalité, cette tragédie refuse le tragique (voir le "lamento du jardinier", p. 95-96). Giraudoux se moque de l'intrigue en nous révélant tout de suite l'issue de la pièce. Il méprise la vraisemblance (le temps dramatique coïncide pas avec le temps réel), et s’éloigne du réalisme, animé qu’il par une volonté de poésie (des digressions poétiques : «La terre est ronde pour ceux qui s'aiment» [II, 3]), mélangeant les genres, s'amusant à introduire des anachronismes délibérés qui font sourire et diminuent la tension dramatique.Le débat existe moins entre les personnages qu’entre un des personnages et le public (d’où l’importance des monologues). C’est parce que la question de l'innocence d'Électre, elle-même justicière absolue, est au centre de l'intrigue que Giraudoux définissait lui-même sa piéce comme une «pièce policière».La fin n’est pas une catastropheTous ces caractères concourent à donner beaucoup d'importance au langage.

Intérêt littéraire

Le théâtre de Giraudoux est avant tout un théâtre écrit et bien écrit. Cette affirmation de la puissance du verbe correspondait aux idées de Louis Jouvet et de Charles Dullin et s'opposait à la tendance d’autres metteurs en scène (Antonin Artaud) à appuyer sur les éléments visuels. Or Giraudoux est un poète et un styliste précieux.C’est un poète animiste qui croit aux correspondances (d’où les énumérations , les métaphores, les paraboles) qui refuse le réalisme pour la fantaisie, l'humour (les anachronismes, les jeux de mots, les mots de théâtre, les phrases qui font mouche).C’est un styliste qui pense que le langage de la scène ne doit pas copier le langage quotidien, qui recherche la subtilité (son goût de la litote, son érudition virtuose), qui cultive la préciosité (phrase pleine, riche, sinueuse, qui se termine souvent de façon inattendue ; voir les derniers mots de la pièce).Un tel génie verbal peut empêcher le lecteur, et surtout le spectateur d’apprécier la profondeur de la pièce.Un théâtre fondé sur une langue aussi littéraire et sur une pensée aussi subtile et qui veut dérouler

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une sorte de solennité religieuse dans cadre exceptionnel peut paraître démodé aujourd'hui

Intérêt psychologique

Giraudoux se sépare aussi du modèle de la tragédie classique par :- sa réduction des personnages de la légende, en donnant des aperçus sur leur envers, comme en tenant compte des révélations de la psychanalyse ;- son dédain de la psychologie, les personnages principaux étant en réalité des archétypes réduits à quelques traits et les personnages secondaires n'étant que de simples réactifs ou des porte-parole de l’auteur.Électre, une de ces jeunes filles chères à Giraudoux, idéal de la jeune fille, qui a ici un rôle qui prime celui d’Oreste, est l’incarnation de la vertu d’intransigeance.Clytemnestre s’oppose à Électre par sa légèreté. Agathe est une Clytemnestre en miniature.Égisthe, conforme au personnage de légende au début de la pièce, se transforme, à partir du second acte, son conflit avec Électre prenant alors une autre tournure. Le Président est un Égisthe en miniiature.- sa création désinvolte de personnages : le mendiant (son mystère, son utilité dramatique, son évolution) ; le jardinier (porte-parole de l’auteur, son homme idéal?) ; le président et Agathe (couple qui est l’image réduite du couple royal, anachronisme flagrant).

En prenant de telles libertés, Giraudoux voulait surtout jeter un coup d’oeil moderne sur les moeurs, donner son avis sur les problèmes de l'amour, sur les problèmes du couple (ceux qu’il nous montre sont de faux couples).Ainsi, “Électre” peut être considérée comme une tragédie privée.

Intérêt philosophique

Giraudoux plaisantait évidemment quand il disait qu’il ne fallait pas chercher à comprendre son théâtre? Il présente toute une vision du monde. Il est chargé d'intentions critiques, voire doctrinales? La pièce donne un sens nouveau au thème d’Électre.On peut remarquer l'animisme de Giraudoux. Son monde est un cosmos panthéiste où ce n'est pas l'être humain qui est important, mais les liens qui le rattachent à l'ensemble (d'où le rôle des paraboles). Les femmes jouent un rôle privilégié dans un tel univers. Dans une telle perspective, le tragique ne peut avoir le même visage chez Giraudoux que chez les Grecs ou chez Racine. Les dieux ne sont qu’indifférents, les personnages de la pièce n’ont que du mépris pour eux. La «théologie» de Giraudoux est un agnosticisme souriant. Le destin de chaque personnage est plutôt sa conscience, et c’est pourquoi les Euménides grandissent au cours de la pièce. L'univers de Giraudoux est donc un univers apollinien (d’où le «sens de l’aurore») et non prométhéen : il croit en la possibilité du bonheur. Giraudoux conserve un thème profond de la tragédie, celui de la vérité, dont Électre dit : «C'est là ce qui est si beau et si dur dans la vérité, elle est éternelle mais ce n'est qu'un éclair». Pour la morale de Giraudouix, on peut remarquer que le débat entre Égisthe et Électre est la représentation d’un conflit éternel. Il condamne les dangers de l’intransigeance.En évoquant ce problème éternel, Giraudoux entendait prendre position sur les problèmes politiques de son temps. Il y a deux conceptions de la patrie dont l'une est défendue par Égisthe et par Électre. Argos représente la France pourrie de 1937, mais la pièce a encore une valeur aujourd'hui.

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Représentée à l'Athénée le 13 mai 1937 et publiée en juin 1937, “Électre” remporta un vif succès public (178 représentations), mais la critique fut mitigée, déconcertée notamment par le long monologue du jardinier, que les dialogues brillants ne parvenaient pas à compenser. Colette écrivit : «On ne fait pas une ceuvre théâtrale avec des jeux de l'esprit». Giraudoux répliqua par “L'impromptu de Paris” (1937). À son “Électre”, Sartre opposa “Les mouches” (1943).

François MAURIACThérèse Desqueyroux” (1927) : Thérèse Desqueyroux est une jeune femme qui a été accusée d'avoir empoisonné son mari, mais qui, grâce au témoignage de celui-ci, soucieux avant tout de «faire le silence», d'étouffer le scandale et de préserver l'honneur de la famille qui appartient à la bourgeoisie bordelaise, a bénéficié d'un non-lieu. Au rythme du train qui la ramène vers la maison, s'apprêtant à faire face à son mari, à subir «le vrai procès», un procès «interminable et sans espoir» que lui fera la famille à huis clos, elle revoit son passé, elle se remémore par quel enchaînement de circonstances elle a été conduite à ce geste : au temps de l'adolescence, l'amitié exaltée pour Anne, le mariage avec son frère, Bernard («leurs propriétés semblaient faites pour se confondre»), la déception de l'amour charnel, le dégoût de cet époux égoïste et mesquin, de cet homme fruste, trop différent d'elle, l'asphyxie par le milieu, la jalousie pour l'amour d'Anne et de Jean Azévédo, la nausée du sentiment maternel, enfin la tentative d'empoisonnement pour échapper à cet enserrement. Désormais, du fait de la vindicte familiale, elle est séquestrée à Argelouse, dans la région des Landes. Elle songe au suicide, mais «se cabre devant le néant», se demandant : «Est-il un Dieu? S'il existe cet Être... et si c'est sa volonté qu'une pauvre âme aveugle franchisse le passage, puisse-t-Il, du moins, accueillir avec amour ce monstre, sa créature». Ce qui l'arrête dans son geste, ce n'est pas la pensée de sa fille (dont on l'a séparée), c'est la mort imprévue de la vieille tante. Elle est soumise à une telle réclusion, elle s'enferme dans une telle prostration qu'après trois mois son mari s'en effraie. «Il décide de lui rendre sa liberté» et la conduit à Paris : «Paris, non plus les pins déchirés, mais les êtres redoutables, la foule des hommes après la foule des arbres».Roman psychologique de180 pages. Commentaire : Ce roman est l'un des plus significatifs de Mauriac par sa concision. Il a un côté policier par la question qui se pose de la réalité du crime de Thérèse à partir d’indices, de preuves, d’arguments.Le tableau de la région des Landes est précis, l’auteur donnant une évocation sensible de la nature : ce pays est un désert où il n'y a pas d'eau et où on a planté des pins, d'où les cimes innombrables, d'où «les poteaux de mine, la gemme, la térébenthine». L'histoire est située dans le temps par toute une série d'indices, et l’on a aussi un tableau satirique de la vie de province, de l'appareil judiciaire, du catholicisme (aspect essentiel puisque Bernard est un catholique de façade, que le curé de la paroisse est sans communication avec ses paroissiens qui le trouvent «fier : ce n'est pas le genre qu'il faut ici.»).Mauriac est un bon psychologue capable de pénétrer dans une psychologie de femme. Il ne nous fait découvrir l’histoire qu’à travers la conscience de Thérèse, en adoptant ce qu’on appelle «le point de vue de Dieu», ce que Sartre lui a reproché. Thérèse, qui a eu une éducation laïque, dont le père est un politicien de gauche, qui est intelligente et sensible, sur laquelle l’imagination a une grande puissance, éprouve une grave frustration amoureuse, est assoiffée d'affection mais «renfermée», mal mariée, attirée par Jean Azévédo qui s'intéressait à elle : «Je sens dans toutes vos paroles», lui disait-il, «une faim et une soif de sincérité»), éprouve une véritable nostalgie de la pureté et aspire à connaître Dieu. Pourtant, le portrait est flou, ambigu. Il n’y a que quelques traits du caractère de

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Thérèse dont on peut être sûr. Pour les autres, on trouve ambivalence, versatilité, sinon contradiction. Est-elle une criminelle? Peut-on l’excuser,la justifier ou même l’innnocenter? L’auteur montre pour elle une sympathie affectueuse. L’épigraphe est intrigante. La fin est paradoxale.Se pose alors la question de la morale du livre. Est-elle chrétienne? Le livre, dont l’héroïne est athée. témoigne des déchirements psychologiques et religieux de Mauriac. Le roman fait réfléchir par sa dénonciation d'une société hypocritement religieuse et cruellement matérialiste et conformiste ; par la protestation de la femme contre la domination de l'homme (combien n'y a-t-il pas de Thérèse Desqueyroux aujourd'hui encore, en dépit ou à cause du féminisme?) ; par l'aspiration à Dieu de la part d'une âme qui a reçu une éducation laïque (thème essentiel chez ce romancier au catholicisme affirmé qu'est Mauriac).“Le noeud de vipères” (1932) : Reclus au premier étage de sa propriété de Calèse, en Gironde, dans «la plus vaste chambre, et la mieux exposée», un vieil homme de soixante-huit ans malade mais furieux, le coeur défaillant, qui a «lui seul pour témoin de sa gloire et de sa raison», se penche sur son passé en attendant la mort. Plus qu'une attente, c'est pour lui une espérance, celle de pouvoir enfin assouvir quarante ans de rancunes, en laissant, à sa mort, dans un coffre-fort vide, une lettre où il annoncera qu'il a dépouillé de l'héritage qui doit lui revenir sa «famille aux aguets, qui attend le moment de la curée». Cependant, c'est surtout sa femme, Isa, qu'il espère ainsi atteindre : à celle qui «s'enlèverait le pain de la bouche» pour ses enfants, nulle douleur ne sera plus cruelle que de les voir souffrir. Afin de parachever son œuvre de haine, il rédige à l'intention de celle-ci une lettre vengeresse où il épanche enfin son cœur, «ce nœud de vipères saturé de leur venin». Le portrait qu'il y fait de lui-même n'est certes pas flatté : très tôt orphelin de père, choyé par une mère d'extraction paysanne qu’il n’a jamais su aimer, il fut un adolescent bûcheur, méprisant ses condisciples mais envieux de leur richesse, de leur statut social. Nanti, à vingt ans, d'une belle fortune, grâce à la sage gestion maternelle, il s'est tourné vers la politique d'opposition, mais il l'a vite abandonnée lorsqu'il a compris que, malgré son anticléricalisme forcené et un certain désir de justice sociale, il serait «toujours du côté des possédants». Cet être inflexible et solitaire a pourtant connu une brève période, de paix, de bonheur : ses fiançailles puis son mariage avec une demoiselle Fondaudège, un des grands noms de la bourgeoisie bordelaise, lui ont permis de se croire enfin parvenu à la réussite sociale convoitée, tandis qu'il se découvrait capable «d'intéresser, de plaire, d’émouvoir». D'autant plus dure a été sa chute, amenée par une confidence d'Isa, lui révélant qu'il n'avait été, pour elle, qu'un prétendant providentiel face au célibat menaçant. Alors commence pour cet époux de vingt-trois ans une longue lutte silencieuse, implacable, qui fera de lui un mari détesté, un père démoniaque. «L'homme qu'on n'avait pas aimé, celui pour qui personne au monde n'avait souffert», va organiser autour de lui, avec volupté, un enfer domestique, ne va plus cesser de haïr et d'être silencieusement haï en retour. Des enfants naissent, qu'alternativement il jalouse ou cherche à gagner à sa cause. Seul, à cet homme, réussissait son métier. Avocat au barreau de Bordeaux, tout entier absorbé par une carrière lucrative mais harassante, devenu, à moins de trente ans, un avocat d'affaires surmené, salué déjà comme un jeune maître dans ce barreau, le plus illustre de France après celui de Paris, remportant des succès comme, en 1893, dans l'affaire Villenave qui consacra sa réputation, se révélant en outre comme un grand avocat d'assises alors qu’«il est très rare d'exceller dans les deux genres». Mais sa femme était la seule à ne pas s'en rendre compte. Si elle l’avait aimé, elle aurait chéri sa gloire ; elle lui aurait appris que l'art de vivre consiste à sacrifier une passion basse à une passion plus haute... «La tare dont tu m’aurais guéri, si tu m'avais aimé, c'était de ne rien mettre

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au-dessus du gain immédiat, d'être incapable de lâcher la petite et médiocre proie des honoraires pour l'ombre de la puissance». Mais il n'est rien d'autre, pour la suffisance bien-pensante du cercle familial, qu'un athée à sauver en même temps qu'un homme à ménager, car il «gagne gros». «Isa, vois comme j'ai été malheureux... Je ne crois pas à ton enfer éternel, mais je sais ce que c'est que d'être un damné sur la terre, un réprouvé, un homme qui, où qu'il aille, fait fausse route ; un homme dont la route a toujours été fausse ; quelqu'un qui ne sait pas vivre... Isa, je souffre».Le cœur lourd, il se réfugie dans une débauche «affreusement simple... réduite à sa pure horreur», tarifée («J'aime à savoir d'avance ce que je dois payer. Ce qui me plaisait dans la débauche, c'était peut-être qu'elle fût à prix fixé... Je déteste qu’on me roule ; mais ce que je dois, je le paie»). Bien des jeunes femmes, au-delà de l'homme d'affaires, auraient souhaité émouvoir l'homme. «Mais, à première vue, je décelais l'intérêt qui animait celles dont je sentais la complicité, dont je percevais l'appel». Chez un tel homme, quel lien peut-il encore subsister entre le désir du cœur et le plaisir? «Les désirs du cœur, je n'imaginais plus qu'ils pussent être jamais comblés ; je les étouffais à peine nés».Seuls de brefs éclairs de tendresse illuminent cet enfer domestique. Sa petite-fille, Marie, est le seul de ses enfants qui ait su émouvoir son cœur. Mais, au cours d’un été délirant, elle est emportée par la fièvre typhoïde, et Isa l’en rend responsable. L'abbé Ardouin, candide homme de Dieu, lui porte de la sympathie. Il bénéficie aussi de la confiance de sa belle-sœur, Marinette, qu’il est le seul à savoir réconforter. À son tour, elle meurt en couches. Mais elle laisse un enfant, Luc, et Louis est touché par l'édénique innocence de «ce petit garçon... le seul être au monde pour lequel je ne fusse pas un épouvantail. Quelquefois, je descendais avec lui jusqu'à la rivière, lorsqu'il pêchait à la ligne... La joie jaillissait de lui... Tout le monde l'aimait, même moi... Puis-je dire que je l'ai chéri comme un fils? Non. Car ce que j'aimais en lui, c'était de ne m'y pas retrouver». Mais il fut emporté dans la guerre, en 1917 au Chemin des Dames, après lui avoir envoyé une carte qu’il garde dans son portefeuille : «”Tout va bien, ai reçu envoi. Tendresses.” Il y a écrit “Tendresses”. J'ai tout de même obtenu ce mot de mon pauvre enfant». L'amour même lui est offert lorsqu'une de ses clientes s'attache sincèrement à lui. Mais son instinct destructeur est le plus fort, et il se contente de lui faire l'aumône d'une petite rente lorsqu'elle le quitte, enceinte de lui. Maintenant, terrassé par la maladie, il ne vit que pour se venger, cruellement, d'avoir tant souffert. Un répit survenu dans son mal lui permet de gagner Paris, où il tente d'exécuter un projet diabolique, celui de rendre seul bénéficiaire de sa fortune son fils illégitime, Robert. Sa fille, Geneviève, son fils, Hubert, défendant la première sa propre fille, le second sa situation, parviennent à faire échec à cette machination, qui d'ailleurs le mortifie car Robert, qu'il n'avait jamais vu auparavant, est un être veule, mesquin, et finalement indigne de lui. Isa meurt en son absence, et sa propre haine meurt avec elle. Revenu à Calèse, il va terminer son atroce existence en l'unique compagnie de sa petite-fille, Janine, que l'échec de son amour fait vaciller vers la folie et qu'il sauve d'elle-même. Le récit s'achève sous forme de journal où, brûlant les étapes, au moment où va s'achever son existence de réprouvé, Dieu vient à la rencontre du vieil incroyant que la mort saisit au milieu d'un cri d'espérance. Qu'importe que la famille, cet autre «nœud de vipères», continue à tordre sa hideuse masse, puisque son cœur s'est enfin abîmé dans le divin Amour.Intérêt philosophique

“Le noeud de vipères”, roman à thèse, roman édifiant, fait réfléchir d’abord sur l’obsession de l’argent et de la propriété dont on voit bien qu’elle n’est aussi grande que lorsque, dans une

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existence, sont bannis les plaisirs de l'amour et de la famille.Trois personnages y échappent et font preuve d'un désintéressement qui fascine le vieil avare. Marie, à qui «l'argent ne tient pas aux doigts» (p. 99) ; Luc qui refuse, pour partir à la guerre, de s'encombrer de «toute monnaie» (p. 146) ; Marinette qui préfère un mariage d'amour aux millions du baron Philipot. L'argent, la possession sont de fausses valeurs. Se dépouiller de sa fortune, c’est un peu comme se dépouiller de sa fausseté morale. Le débat sur la propriété se superpose au débat sur la religion qu'il reproduit et complique. Le renoncement aux biens matériels permet d'atteindre le dénuement ascétique de l'amour spirituel. «Ô Dieu, s'écriait sainte Thérèse d'Avila, considérez que nous ne nous entendons pas nous-mêmes et que nous ne savons pas ce que nous voulons, et que nous nous éloignons indéfiniment de ce que nous désirons...» Le personnage de Mauriac ne sait pas ce qu'il désire, il n'aime pas ce qu'il croit aimer. «Comme un chien aboie à la lune», il a été «fasciné par un reflet» ; et toute sa vie s'est passée à être le prisonnier d'une passion qui ne le possédait pas, pareil en cela à «ces jeunes bêtes que le chasseur attache et abandonne dans les ténèbres pour attirer les fauves».Toute la démarche de Louis, dans cette confession, consiste à se libérer de la pesanteur étouffante qui opprime son corps et son cœur Il se rend compte de l'illusoire possession de la terre et des êtres. Les dernières lignes substituent à l'oppression du mal, un souffle nouveau qui n’aura pas le temps de s'exprimer : «Ce qui m’étouffe, ce soir...» (p.274).“Le nœud de vipères” est un roman à thèse dont le sujet est la découverte de Dieu par un être qui semblait le plus éloigné de lui, l'itinéraire d'un individu qui était épris de Dieu et qui l'ignorait, comme l’était déjà Thérèse Desqueyroux, de l’irréligion haineuse à une foi d'amour. Mauriac a trouvé un incomparable accent pour saisir, enfouies dans la pleine touffe de la haine, les racines vivantes de la charité et de l’amour. Le cœur humain demeure plein de ténèbres et le secret des âmes est l'affaire de Dieu qui, au bout du roman, est «à l’affût». La progression vers la lumière semble se résumer en un mot «amour», hypothétiquement lancé à la fin du premier temps («Un amour? Peut-être un amour... », p. 153), affirmé avec confiance à l’achèvement du second («Cet amour dont je connais enfin le nom ador... », p. 274). Par rapport à la tiédeur des chrétiens conventionnels, alors que le Christ a bien prévenu qu’il vomirait les tièdes, le monstre qu’est Louis, le plus désespéré des solitaires, le forcené le plus misérable, «le plus malheureux des hommes», qui porte en lui, à son insu, les signes très visibles du gibier de Dieu qu’il est, apparaît à la fin comme une espèce de saint et de martyr de la monstruosité. «Dieu, dit Mauriac, nous aime quand nous connaissons notre férocité...». Ce chasseur qui devient une proie, ce bourreau devenu victime, marche sur les traces de Marguerite de Cortone qui écrivait : «Le monde se hait lui-même infiniment... La volonté de puissance le pousse à se déchirer les entrailles, non pas dans une crise de folie furieuse, mais lentement, année par année... La souffrance est une monnaie d'échange pour le crime. Cela a été cru depuis qu'il y a des hommes ; et même ceux qui vivent sans Dieu agissent pratiquement comme s'ils le croyaient. Cela fait partie du langage courant de dire d'un condamné qu'il a payé sa dette».On s'accorde à considérer “Le nœud de vipères” comme une des plus grandes réussites de Mauriac, le couronnement de sa carrière littéraire, la définition la plus nette de ce qu’on peut appeler le mauriacisme.

Jean-Paul SARTRE

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La nausée” (1938) : À Bouville, petite ville de France, Antoine Roquentin, intellectuel solitaire, célibataire de trente-cinq ans, vit retiré après avoir vécu une vie de voyages dont, très vite, il s'est lassé. Il travaille à la rédaction d'un mémoire qui traite de la vie d'un aristocrate du XVIIIe siècle, Monsieur de Rollebon. “La nausée” est le journal qu'il a entamé lorsqu'il s'est aperçu, en ramassant un galet au bord de la plage, que les objets ou la perception qu'il en avait avaient changé. À force d'observer une racine, il ne sait plus la nommer. Les objets les plus ordinaires semblent animés d'une vie propre. Lorsqu'il ramasse une feuille de papier, il n'a plus le sentiment de se saisir d'un objet inanimé mais bien d'être touché, comme si celui-ci s'était transformé en animal vivant. Le monde inanimé des choses provoque en lui une impression d'écœurement douceâtre, de nausée. Un après-midi, après s'être examiné longuement dans la glace de sa chambre d'hôtel, il perd le goût de lui-même, ne se reconnaît pas. Comme une nouvelle nausée s'annonce, il se réfugie au café, “Le rendez-vous des cheminots”, dont l’ambiance est le seul rempart qu'il ait réussi à opposer à cette agression, la musique et l'atmosphère bruyante semblant le protéger. Il passe par une série de désillusions et se demande même s'il n'est pas en train de devenir fou. Les mythes rassurants qui justifiaient son existence s'effondrent les uns après les autres dans la dérision. Mais ces désillusions sont autant de démystifications. L'illusion des aventures se dissipe. Simple leurre aussi que les moments parfaits que son ancienne amie, Annie, prétendait créer. À la bibliothèque, son étude sur Monsieur de Rollebon le laisse indifférent ; déçu par les résultats hypothétiques de son travail, il écarte la narration historique et observe plutôt les autres lecteurs et plus particulièrement l'Autodidacte. Ce clerc de notaire, héros grotesque de la culture, a la particularité de vouloir lire systématiquement tous les livres de la bibliothèque municipale en en suivant l'ordre alphabétique. Quant aux gens de bien, qui se figurent avoir trouvé leur place dans la société et l’occupent avec bonne conscience, qui sont engoncés dans leur respectabilité arrogante, qui paradent à la sortie de la messe ou au musée de Bouville, ils sont démasqués par le narrateur qui voit en eux des «salauds». Il rompt tous ses liens avec cette société mesquine, conventionnelle, étouffante, pour mettre à nu l'existence. S'il lui arrive de se laisser aller à quelque lyrisme, ses exaltations passagères se brisent vite : l'horreur de la nature et du monde l'emporte et la nausée le poursuit. Tout en effet est de trop, les hommes comme les choses ; d'obscures menaces pèsent sur la ville, et des proliférations monstrueuses surgissent des campagnes environnantes. Il se sent de plus en plus mal à l'aise devant l'existence des choses puis devant sa propre existence soumise au regard des autres et il la ressent progressivement comme «une mollesse, une faiblesse de l'être». S’il pense à se tuer, il découvre que son suicide lui-même serait dépourvu de sens : il se sentent «en trop» dans un monde «trop plein». Le dimanche, il s'essaie à l'aventure des promenades sur la jetée, mais la vraie mer est «froide, noire et pleine de bêtes». Tous ces instants mis bout à bout lui font pressentir que le sentiment d'aventure serait tout simplement celui de l'irréversibilité du temps. Un déjeuner avec l'Autodidacte, qui ne cesse de l'admirer, provoque une nouvelle nausée. Les propos du clerc sont si naïfs, si empreints d'humanisme et de bonne volonté, et surtout d’un socialisme sorti tout droit de la littérature, que Roquentin ne peut s'empêcher de le contredire, lui faisant sentir que les gens qui les entourent ne savent même pas qu'ils existent. La nausée, ce sont les objets qui existent, c'est le monde qui existe sans que les gens ne distinguent la mince pellicule dont se parent les objets et les êtres. Roquentin perçoit leur réalité, leur existence. Roquentin peut enfin nommer sa nausée : c'est l'expérience de l'absolu, de l'absurde irréductibilité du monde car exister, c'est être là, gratuitement, et lorsqu'on s'en rend compte, on ne peut échapper à la nausée. Anny, une ancienne amie, lui donne rendez-vous à Paris. Se remémorant le temps passé avec elle, ses mises en scène qui dépouillaient leurs rapports de la banalité de la répétition mais qui les compliquaient aussi, il songe aux moments parfaits qu'elle prétendait créer. Il la retrouve, mais elle ne croit plus aux moments parfaits ; elle se survit et

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nie la similitude de leur découverte. De retour à Bouville, Roquentin apprend que l'Autodidacte a fait scandale et a été renvoyé de la bibliothèque pour pédophilie. Au “Rendez-vous des cheminots”, tout en faisant ses adieux, Roquentin écoute une dernière fois son disque préféré qui a le pouvoir de le transporter ailleurs, là où l'écœurement que distille l'existence des choses se dissipe. Il constate que, s'il est une justification, c'est celle de l'œuvre d'art. La solution est peut-être là : écrire non pas une œuvre historique, l'Histoire ne parlant que de ce qui a existé et jamais un existant ne pouvant justifier l'existence d'un autre existant, une histoire «belle et dure comme de l'acier, et qui fasse honte aux gens de leur existence», une œuvre de fiction.Roman de 240 pages.Commentaire : Proposé sous le titre “Melancholia” aux éditions Gallimard et rebaptisé “La nausée” lors de sa publication, ce livre est la première œuvre littéraire de Sartre publiée. Le roman s'établissait dans une parfaite rupture avec les modèles du roman français, car si, comme la plupart des écrivains de sa génération, Sartre s'est senti, d'abord et avant tout, une vocation de romancier, il s'est attaché manifestement à remettre en question toutes les formes romanesques. Son livre est plus un récit à intentions philosophiques qu’un roman. C’est le journal d'un homme sans passé qui ne peut retrouver «le temps perdu», qui est privé à tout jamais de ce qui constituait son essence, qui s’éveille à l’existence, qui est piètre, timide, velléitaire, écrasé par la vie des autres comme par la sienne propre, toujours au bord d’un dégoût qui lui fait rejeter les apparences parmi lesquelles il déroule dles fastes médiocres de sa triste existence, qui se sent peu à peu happé par les désillusions, qui évolue suivant un double principe : d'une part, la découverte métaphysique de l'absurdité de l'existence, qui est un défaut de l'être, et, d'autre part, la mise en question et la démythification de principes tels que l'aventure, l'humanisme, les instants parfaits, les gens bien pensants, etc.. Ce chef-d’oeuvre du roman philosophique au XXe siècle illustre cette phrase de “L'être et le néant” : «Une nausée discrète et insurmontable révèle perpétuellement mon corps à ma conscience». Le thème sartrien par excellence de la fascination de la conscience devant le réel devient la trame même du roman et le drame intérieur de Roquentin dont le journal, à la fois métaphysique et satirique, semble tout détruire. La découverte de l'existence que fait Roquentin, bien que d'ordre philosophique, se place d’abord sur le plan de la sensation. Ce qui a changé, ce n'est pas le monde mais la manière dont le héros le perçoit. D'abord effrayé par ce qu'il croit être la manifestation d'une maladie mentale qu'il va chercher à analyser (c'est le but de son journal), il va peu à peu considérer la nausée comme partie de lui-même. Ce dégoût résulte de sa perception des objets comme existants, c'est-à-dire doués de qualités. Les objets touchent, bougent, refusent de se laisser nommer, les choses ne se laissent plus fixer. La nausée vient de ce sentiment de flou, de flasque, de flottement des objets qui, peu à peu, s'animent jusqu'à en devenir agressifs. Roquentin découvre la résistance passive des choses qui, dès qu'il les observe de près, ne sont jamais totalement elles-mêmes. L'essentiel, c'est la contingence. Exister, c'est être là simplement, mais cela ne signifie pas que l'on puisse déduire les choses. Elles sont, gratuitement. L'existence ne se laisse pas penser de loin. Et l'être humain, tout comme le monde, est là, sans plus. Le journal ne dévoile qu'un absolu, et c'est l'absurdité. Face à cette découverte, toutes les illusions que l'être humain s'invente s'effondrent. Les rêves d'Anny n'existaient pas, elle voulait agir, profiter de situations privilégiées afin de créer des moments parfaits et lorsqu'elle retrouve Roquentin, c'est pour lui avouer l'échec de son entreprise. Mêmes espoirs, mêmes illusions en ce qui concerne l'Autodidacte, amoureux éperdu du genre humain et de la culture qu'il emmagasine par ordre alphabétique et qui finit par être chassé de la bibliothèque pour pédérastie. À travers l’Autodidacte, l'humanisme traditionnel est caricaturé et sombre dans la mauvaise foi. Ne parlons pas de l'esprit d'aventure et des voyages dont Roquentin est revenu. L'aventure n'est même pas au coin de la rue un dimanche après-midi, ce n'était qu'une illusion.

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Quant aux gens de bien, ceux-là mêmes qui s'exhibent à la sortie de la messe, tellement sûrs d'eux-mêmes et de leur respectabilité, Roquentin ne voit en eux que des salauds. Si l'histoire est un leurre, les mythes une dérision, l'aventure une dangereuse illusion, les instants privilégiés une fausse route, que reste-t-il à l'être humain qui puisse justifier son existence? Le roman décrit aussi la libération d'une conscience qui s'arrache à toutes les tentations gluantes du monde, qui se refuse à «être» quoi que ce soit, et qui découvre en l'«existence» comme un défaut de l'«être» : l'être humain accepte l'idée que rien ne le justifie, et qu'il n'aura jamais l'opacité et le poids des choses. La justification par l'œuvre d'art est le paradoxe de Sartre lui-même, qui décrit l'absurdité de l'existence et son horreur profonde avec l'allégresse de l'écrivain heureux. Le récit de cette expérience sinistre, en effet, ne cesse d'inspirer une gaieté tonique. C'est grâce à la musique qui dissipe la nausée de Roquentin qu’il découvre une porte de salut. La seule justification de l'être humain, le seul acte qui puisse lui accorder l'opacité et le poids des choses, est sans doute l'œuvre d'art que Roquentin se proposera d'écrire. Si l’existence est gratuite, est «un plein que l’homme ne peut quitter», il peut au moins la justifier par la création. Roquentin écrira une histoire qui raconte une aventure comme il ne peut en exister. Le style de “La nausée” n'était pas révolutionnaire. L'influence de Céline (une phrase de “L’Église”, pièce que Céline publia en 1933 mais qu’il avait écrite avant “Voyage au bout de la nuit” est placée en épigraphe : «C’est un garçon sans importance collective... juste un individu») y est visible : la brutalité, la gouaille, les raccourcis familiers ou argotiques ont leur place. Mais la variété des tons est extrême : satire cynique, dialogues grotesques, vertiges hallucinés, cauchemars contrôlés, méditations métaphysiques situées dans des cafés ou des jardins publics. La fragmentation des scènes et des épisodes, dans ce roman encyclopédique et destructeur, rappelle “Bouvard et Pécuchet”. Mais le roman flaubertien est ici désintégré d'une manière plus radicale encore et Roquentin, différent en cela des héros de Flaubert, découvre sa liberté au terme d'une cascade d'échecs : à l'horreur du monde, il oppose l'héroïsme de l'écriture.

L'être et le néant” (1943) : S’opposent «l’en-soi», l’être plein, massif et opaque des choses, et le pour-soi, la conscience comme pouvoir de néantisation et comme sujet et liberté. La conscience est impossible à définir comme nature dotée de caractères déjà donnés, d’une essence (selon la formule devenue célèbre : «L’existence précède l’essence»). En situation dans un monde «toujours déjà là», la conscience, dont les structures sont la facticité et la contingence, la transcendance, la temporalité, y rencontre «le regard de l’autre» (c’est l’expérience du «pour-autrui»), rencontre qui s’effectue sur le mode du conflit, du choc de deux libertés qui tentent de se détruire en tant que libertés (analyses du désir, de l’amour, de la haine). L’être humain, pour Sartre, se révèle comme «projet d’être» dont les conduiites sont de vaines tentatives pour réaliser l’impossible synthèse de «l’en-soi» et du «pour-soi», tentatives contradictoires que la psychanalyse existentielle cherchera à mettre en évidence en dévoilant le choix fondamental et libre fait par l’individu. Il est condamné à une liberté absolue, sans recours car l’existentialisme sartrien est athée : «Il n’y a rien au ciel, ni Bien, ni Mal, ni personne pour me donner des ordres». Cette liberté, qui l’oblige à inventer lui-même son chemin sans que rien ne le justifie, est le fondement de toutes les valeurs et le rend responsable de ses choix devant lui-même et devant les autres. Il peut sans doute être tenté de se mentir à lui-même, de se dissimuler à soi-même et aux autres en jouant sa vie, en passant son temps à se laisser «hanter par autrui qui nous souffle nos attitudes», mais cette démission est précisément «la mauvaise foi» d’une liberté qui croit pouvoir se soustraire à ses exigences : choisir et s’engager.

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