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Numéro spécial "Actrices de changement" Décision historique : Ríos Montt sera jugé pour crimes de génocide (édito) Lettre d’information du Collectif Guatemala 1 Solidarité Guatemala n°202 février 2013 Numéro 202 février 2013 Collectif Guatemala 21 ter, rue Voltaire 75011 Paris - France Tel: 01 43 73 49 60 [email protected] www.collectifguatemala.org Directrice de publication : Isabelle Tauty Chamale ISSN 1277 51 69 Ont participé à ce numéro : Adelaïde Blot, Quentin Boussa- geon, Amandine Grandjean, Vanessa Góngora, Marilyne Griffon, Louise Levayer, Isa- belle Tauty, Maxime Verdier, Martin Willaume, Marina Yoc. Sommaire Edito p.2 par Marilyne Griffon Actrices de changement p.3 par Marina Yoc Violences sexuelles durant le conflit armé p. 4-5 par Maxime Verdier Oxlajuj B'ak'tun p.6-7 par Amandine Grandjean et Maxime Verdier Portrait de Carmen Samayoa p.8-9 par Louise Levayer Entretien avec Magda Chún p.10 par Quentin Boussageon Brèves p.11 « Nous représentons la voix des femmes ! Pourquoi ? Car nous sommes discriminées de trois façons : naître pour être femmes, pour rester analphabètes, pour rester sou- mises. Ici nous renaissons, nous allons renaître, ils se sont trompés sur notre compte. Nous donnons la naissance comme la Terre mère, et nous partageons les souffrances de notre mère. Nous sommes mères et aussi nous souffrons s’ils nous enlèvent nos terres, car nous ne pouvons plus nourrir nos enfants, nous ne savons pas où aller. Ce système nous opprime ! Ce système ne nous dira pas comment nous allons vivre, nous allons lui dire comment nous voulons vivre ! » Une dirigeante communautaire lors de la célébration du nouveau cycle à Zaculeu (p. 7) Escargot humain devant la pyramide centrale de Zaculeu, 20 décembre 2012 © Vanessa Góngora

Solidarité Guatemala 202

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Numéro spécial : actrices de changement

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Page 1: Solidarité Guatemala 202

Numéro spécial "Actrices de changement"

Décision historique : Ríos Montt sera jugé pour crimes de génocide (édito)

Lettre d’information du Collectif Guatemala

1 Solidarité Guatemala n ° 20 2 f é v r ie r 2 01 3

Numéro 202

février 2013

Collectif Guatemala 21 ter, rue Voltaire

75011 Paris - France Tel: 01 43 73 49 60

[email protected] www.collectifguatemala.org

Directrice de publication : Isabelle Tauty Chamale ISSN 1277 51 69

Ont participé à ce numéro : Adelaïde Blot, Quentin Boussa-geon, Amandine Grandjean, Vanessa Góngora, Marilyne Griffon, Louise Levayer, Isa-belle Tauty, Maxime Verdier, Martin Willaume, Marina Yoc.

Sommaire

Edito p.2

par Marilyne Griffon

Actrices de changement p.3

par Marina Yoc

Violences sexuelles durant le conflit armé p. 4-5

par Maxime Verdier

Oxlajuj B'ak'tun p.6-7

par Amandine Grandjean et Maxime Verdier

Portrait de Carmen Samayoa p.8-9

par Louise Levayer

Entretien avec Magda Chún p.10

par Quentin Boussageon

Brèves p.11

« Nous représentons la voix des femmes ! Pourquoi ? Car nous sommes discriminées

de trois façons : naître pour être femmes, pour rester analphabètes, pour rester sou-

mises. Ici nous renaissons, nous allons renaître, ils se sont trompés sur notre compte.

Nous donnons la naissance comme la Terre mère, et nous partageons les souffrances

de notre mère. Nous sommes mères et aussi nous souffrons s’ils nous enlèvent nos

terres, car nous ne pouvons plus nourrir nos enfants, nous ne savons pas où aller. Ce

système nous opprime ! Ce système ne nous dira pas comment nous allons vivre, nous

allons lui dire comment nous voulons vivre ! »

Une dirigeante communautaire lors de la célébration du nouveau cycle à Zaculeu (p. 7)

Escargot humain devant la pyramide centrale de Zaculeu, 20 décembre 2012

© Vanessa Góngora

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Edito

Solidarité Guatemala n ° 20 2 f é v r ie r 2 01 3

M ince était l’espoir de rédiger un jour un éditorial saluant une décision de justice historique au

royaume de l’impunité. Le 28 janvier 2013 pourtant, le juge Miguel Ángel Gálvez du tribunal

d’instance de Haut risque à Ciudad de Guatemala a ordonné l’ouverture du procès d’Efraín Ríos

Montt, dirigeant de facto du Guatemala de mars 1982 à août 1983, et de son directeur des services

secrets de l’époque, José Francisco Rodriguez Sánchez, pour crimes de génocide, crimes contre l’humanité, tor-

tures et disparitions forcées.

Le 4 février, le juge Gálvez acceptait toutes les preuves présentées par le Ministère public. Plus de 900 au total,

mettant en cause la responsabilité des deux ex militaires de 86 et 69 ans, dans 15 massacres de communautés

mayas ixil, ayant conduit à l’assassinat de 1 771 hommes, femmes et enfants. Trente et un ans après les faits, 13

ans après le premier dépôt de plainte, le crime est qualifié publiquement. Efraín Ríos Montt, l’incarnation des an-

nées de terreur au Guatemala devra répondre de ses crimes à partir du 14 août prochain.

L’espoir renaît parmi les survivant(e)s, familles et organisations qui luttent contre l’impunité et l’oubli. Mais ils ne

baissent pas les armes. L’annonce du procès a été faite après pas moins de 73 recours et une demande d’amnistie.

L’élite militaire, mêlée à l’oligarchie économique et politique, crie au lynchage et remet en cause l’impartialité de

personnalités du système judiciaire comme l’actuelle Procureure générale Claudia Paz y Paz, le juge Gálvez, les

avocats qui, par leur travail et leur persistance, ont ouvert cette voie vers la justice.

Cependant, si un nouveau projet de loi d’amnistie entre les mains de la Cour Constitutionnelle n’est pas encore

sorti, la frayeur de ceux qui combattent l’impunité a été grande début 2013, à la publication d'un décret présidentiel

retirant la compétence de la Cour Interaméricaine des Droits de l’Homme pour juger des crimes commis au Guate-

mala avant 1987, soit avant la date de ratification par le pays du statut de la cour de justice américaine, excluant

ainsi les pires années du conflit armé (1960-1996) et mettant fin aux enquêtes en cours sur 3 massacres.

« Suspendu » le 7 janvier par le président Otto Pérez Molina alors même qu’il l’avait fait publier, le message de ce

décret était clair : toutes les failles du droit, recours et autres embûches seront utilisés pour entraver tout procès des

responsables de la répression. Ex-général en poste dans la région Ixil au début des années 80, Pérez Molina donnait

déjà le ton lors de sa prise de fonction en janvier 2012 : « ici, il n’y a pas eu de génocide » (« aquí, no hubo genoci-dio »).

Pérez Molina ne s’est pas étendu sur les poursuites actuelles contre Ríos Montt. Quelques jours plus tôt, au Forum

économique mondial de Davos, il défendait son thème favori de détournement de l’attention médiatique et interna-

tionale: la dépénalisation des drogues, aux côtés du philanthrope George Soros, 7ème fortune mondiale, doublant ses

demandes d’aide de financement de la lutte contre le narcotrafic via la remilitarisation du pays, déjà relancée en

2012 avec l’ouverture de deux bases militaires en terre maya.

Parallèlement, le VRP guatémaltèque rencontrait les présidents de Nestlé, Meter Brabek Letmathe intéressé par le

café, et de Monsanto, Hugh Grant, pour les semences et fertilisants. Tout laisse à penser que les droits fondamen-

taux notamment d’accès à la justice et à la terre des populations paysannes et mayas, majoritaires au Guatemala,

n’étaient pas à l’ordre du jour des rencontres de Davos.

Les périodes les plus obscures du pays se basaient sur les mêmes priorités de la classe dominante de satisfaire leurs

intérêts et ceux des compagnies étrangères. Le coup d’Etat appuyé par la CIA à la demande de la multinationale

américaine exportatrice de bananes (United Fruit Company) en 1954, avait ainsi mis fin à la première et courte

expérience démocratique, accompagnée de réforme agraire et droits salariaux, qu’ait jamais connu le pays depuis la

colonisation.

Les intérêts défendus au mépris de la vie humaine ont conduit la dictature militaire, prise de zèle dans sa lutte anti-

communiste, à planifier l’éradication, par les massacres, tortures, violations sexuelles et disparitions forcées d’une

partie de la population pour soumettre totalement celle restante. Les années du gouvernement de Ríos

Montt marquent l’apogée dans l’horreur de cette répression. De telles méthodes ne sont plus utilisées, mais les lea-

ders et membres d’organisations et communautés en défense de la terre et de la justice continuent de subir des at-

taques, menaces, agressions et intimidations dès lors qu’ils remettent en cause l’ordre établi. ■

Par Marilyne Griffon

Décision historique : Ríos Montt sera jugé pour crimes

de génocide

Page 3: Solidarité Guatemala 202

Actualités

3 Solidarité Guatemala n ° 20 2 f é v r ie r 2 01 3

O n reconnaît aujourd’hui que les violences sexuelles

commises dans le cadre de conflits armés sont

passées systématiquement sous silence. Ce type de

violences a été une pratique commune et massive

dans toutes les guerres et dans tous les génocides, notamment

pour écraser l’ennemi à travers le corps de ses femmes. Pour-

tant, il a été interprété comme une pratique isolée commise par

des soldats « en quête de plaisir ». Pour Actrices de change-

ment («Actoras de Cambio), un collectif de femmes enquêtant

depuis dix ans au Guatemala, passer ces problèmes sous si-

lence ou ne pas les aborder en profondeur, revient à ne pas les

reconnaître, à les faire disparaître de la mémoire collective.

D’où l’intérêt d’aborder ce sujet comme un exemple de lutte

sociale des femmes guatémaltèques qui cherchent à « guérir,

récupérer et reconstruire leur vie en toute liberté ».

Ce dernier mot « liberté » est un terme difficile dans un con-

texte dans lequel le silence n’arrive pas par hasard, et n’est pas

dénué de sens. Dans ce contexte, au contraire, le silence pré-

sente un caractère androcentrique1, raciste, patriarcal et de

classes, qui prive les femmes de leur condition humaine. Ce

silence et cette négation de la condition humaine dévalorisent

les femmes et détruisent leur possibilité d’exister individuelle-

ment et collectivement, ce qui les empêche de mener une ac-

tion transformatrice et de se défaire de la relation de pouvoir

qu’a entraîné l’occupation collective et violente de leur corps,

et perpétue les relations d’oppression dans la société post-

conflit.

Aujourd’hui, au Guatemala, la violence perdure sous forme de

féminicide : au cours des deux premières semaines de 2013,

25 femmes ont été tuées et en un seul jour, le 16 janvier, six

femmes, âgées de 6 à 64 ans, ont été assassinées2.

En réalité, pour les femmes qui font partie du collectif Actoras

de Cambio, parler du « secret » qui a non seulement marqué

leur psyché mais aussi leur corps est ce qui a permis de cons-

truire collectivement une proposition différente. Dans leur vie,

ce « secret » a représenté des années d’invisibilité, de honte, de

souffrance et de stigmatisation au sein de leur communauté.

Ces années ont constitué la base d’une double victimisation

que les relations oppressives du patriarcat font peser sur de

nombreuses femmes dans le monde.

L’objectif du collectif fut d’initier un processus de transforma-

tion de leur vie, de leur communauté et de leur pays pour que

les femmes passent du statut de « victimes » à celui

« d’actrices », afin de faire naître un processus politique de

guérison psychosociale et de formation. Dans ce cadre l’ana-

lyse de la justice et la mémoire historique du point de vue des

femmes permettent de reconnaître et de dénoncer le fait que les

violences politiques systématiques dont elles ont été la cible

n’étaient pas de simples dommages collatéraux mais bien une

partie d’un plan contre-insurrectionnel, particulièrement im-

portant dans les années 1980. Il faut aussi identifier comment

les mécanismes de violence sont réorganisés en temps de

« paix » et passés sous silence en raison de l’impunité et de la

corruption qui perpétuent les inégalités profondes dans le pays.

Les blessures des femmes victimes de violences sexuelles ont

des répercussions sur leur vie privée et collective, mais aussi

sur le tissu social communautaire. Elles ont entraîné une rup-

ture brutale ayant provoqué des changements, aussi bien en

termes de croyances, de réseaux affectifs que de relations so-

ciales. La possibilité de parler, de partager et de réfléchir sur

leurs expériences de guérison leur a permis d’identifier l’exis-

tence d’une culture patriarcale, sexiste et raciste dans le pays,

ce qui leur a aussi donné la possibilité de cerner les méca-

nismes à l’œuvre dans la transformation en puissance du trau-

matisme généré par les violences sexuelles et la quête de chan-

gement dans leur propre vie et dans celle des autres. Ces expé-

riences de guérison ont impliqué des éléments de connaissance

du corps, à travers la peinture, la méditation, la déculpabilisa-

tion vis-à-vis de la honte, du péché, de la salissure imprégnant

leur corps. Elles ont reposé sur une méthodologie de guérison

propre comprenant des éléments spécifiques, tels que la cos-

movision maya. Le collectif est en effet composé à 95 % de

femmes du peuple maya, qui intègre des mécanismes de rési-

lience3 propres.

Ces actions et autoformations les ont renforcées et poussées à

lancer des réseaux de soutien, de défense et de justice, au sein

de leur communauté, afin que leur histoire soit connue dans

tout le pays et dans d’autres parties du monde et afin de favori-

ser le soutien, la défense et la justice entre elles et avec

d’autres femmes du pays. Ces réseaux devraient constituer une

plateforme, qui articulera les forces pour dénoncer et chercher

des solutions face aux nouveaux projets économiques, néolibé-

Actrices de changement : une proposition pour guérir et recons-

truire sa vie en toute liberté

Les rapports de mémoire historique réalisés sur les 36 années de guerre civile au Guatemala, qui se sont soldées par 200 000

décès, 50 000 disparitions et plus d’un million de personnes déplacées et réfugiées, comprenaient également un chapitre sur les

femmes, afin de reconnaître le caractère systématique, massif et généralisé des violences sexuelles dont elles ont été victimes pen-dant la guerre. Cependant, aucun de ces rapports n’a abordé le sujet des violences sexuelles avec autant de force que pour les

autres crimes ni ne contient de recommandations à l’État pour qu’il qualifie ces violences de crimes contre l’humanité.

* Guatémaltèque installée en France depuis 2010, Aura Marina Yoc Cosayaj a rédigé son mémoire sur les femmes indigènes à

l’Université de Toulouse II.

Par Marina Yoc*

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Actualités

Solidarité Guatemala n ° 20 2 f é v r ie r 2 01 3

Le 24 septembre 2012, victimes et témoins de l’esclavage sexuel perpétré dans le détachement militaire de Sepur Zarco

(1982-1986), en Alta Verapaz, témoignent en audience préliminaire.1 Une première internationale car jamais un tribunal

national n’avait jugé un tel cas avant ce jour.

Violences sexuelles durant le conflit armé : lutte et espoir pour

les femmes du Guatemala

L es crimes d’esclavage sont systématiques au sein

des stratégies contre-insurrectionnelles2, complé-

mentaires de la répression armée, et beaucoup plus

difficiles à juger pour des raisons que nous dévelop-

perons. Il s’agit d’un processus d’isolement et de destruction

physique et psychologique des femmes, des familles et des

communautés. L’appareil d’Etat voulait ainsi s’attaquer aux

insurgés en frappant indistinctement la population et en impo-

sant l’exemple de ces pratiques comme réponse à la subver-

sion. Le récent conflit libyen a également laissé entrevoir

l’existence de cette stratégie ordonnée par les plus hautes ins-

tances.

Au Guatemala, nous devons cette première historique à un long

processus d’identification, d’accompagnement psychologique,

et de reconstruction de l’Histoire à partir des mémoires profon-

dément marquées des victimes et des témoins.

« Veuves, nous étions les jouets des soldats »

Devant le juge, 15 femmes et 4 hommes témoignent anonyme-

ment : en 1982, les forces armées régulières s’installent à Se-

pur Zarco avec l’aide de la population. Très vite, la tristement

célèbre logique s’installe : les militaires accusent des familles

d’appartenir ou de coopérer à la guérilla. Sur ces accusations

arbitraires, les hommes sont arrêtés, torturés, et exécutés dans

le secret des murs du détachement. Les femmes et leurs filles

sont violées et réduites à l'esclavage. De nombreuses femmes

vivent dans le camp militaire, sur le lieu de l’assassinat de leurs

maris, de leurs pères, de leurs amis tout en subissant les plus

basses volontés de leurs meurtriers jusqu’en 1986. Une victime

résume ainsi « veuves, nous étions les jouets des soldats ».

Affronter la politique du silence, de l’oubli et de l’impunité

A la suite du tribunal de conscience organisé en mars 2010 à

l'initiative de nombreuses associations, et porté par la volonté

des victimes d’accéder à un procès, l’association Mujeres Transformando el Mundo3 (MTM) commence un travail juri-

dique, non sans entraves.

A l’occasion d’une entrevue, Paula Barrios de MTM nous ex-

plique que « les cas d’esclavage sexuel sont indissociables du

génocide et de la responsabilité des instances gouvernantes de l’époque, et en tant que tel, la recherche de la vérité subit les

mêmes entraves et menaces que le procès contre les respon-

sables intellectuels du génocide ». Elle regrette qu’« il existe

une politique du pardon et de l’oubli, le refus de rechercher et

d’accepter la vérité du conflit armé »4.

Au niveau communautaire, la situation est tout aussi préoccu-

pante car les victimes cohabitent avec les coupables dans un

contexte de tensions et de divisions internes à l’image de la

société guatémaltèque : « justice » versus « silence, oubli et

impunité ».

Par Maxime Verdier

Pour aller plus loin

“Acompañamiento internacional, Festival de Mujeres en De-

fensa del Cuerpo y Territorio”, ACOGUATE, 27 octobre

2012, bit.ly/VSfrvf

“Panel de la Organización de Mujeres Actoras de Cambio”,

Radio Internacional Feminista, novembre 2008, bit.ly/VfsEM3

“Yo soy voz de la Memoria y Cuerpo de la libertad”, deu-

xième festival pour la mémoire à Chimaltenango, 2011,

bit.ly/12LeZRs

“Tejidos que lleva el Alma”, ECAP, UNAMG, 2009,

bit.ly/11FYcQr

Communiqué du peuple de Huehuetenango, “Cuerpo y Terri-

torio ante la masacre ocurrida en Totonicapán Guatemala”

raux et colonisateurs, qui remilitarisent les territoires en ayant

recours à la force, à l’exploitation et à l’expropriation de terres,

tout en marquant leur corps de nouveau. Pour que les femmes

puissent guérir et reconstruire leur vie en toute liberté, il est

indispensable de reconnaître que les violences sexuelles, dans

quelque contexte que ce soit, constituent un crime intolérable.

Nous avons besoin de croire que la justice est possible, que

l’on peut vivre en paix et que la violence est anormale, quel

que soit l’être humain qui en est la cible. ■

1 qui envisage le monde uniquement ou en majeure partie du point de vue

des êtres humains de sexe masculin

2 Escobar Sarti, Carolina. “El país donde mueren las mujeres”, Prensa

Libre, 19 janvier 2013, bit.ly/10p88w5

3 En psychologie, la résilience fait référence pour un sujet à la capacité à

surmonter des périodes de douleur émotionnelle et des traumatismes

Page 5: Solidarité Guatemala 202

Actualités

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Affronter le sexisme d’une société et le tabou du viol

Le défi est d’autant plus grand que le viol demeure un sujet

tabou, écrasé sous la pression sociale, le caractère patriarcal de

la société et l’inconscient collectif qui attribue à la victime la

faute du viol.

Paula Barrios mentionne l’affaire de la « rue Roosevelt », une

série récente de viols au cœur de la capitale, à laquelle le mi-

nistère de l'Intérieur aurait répondu par un communiqué appe-

lant les femmes à « ne pas porter de tenues provocatrices ». Au-delà du sens immédiat de ce type de déclaration qui se

passe de commentaires, s’installe la grave et séculaire menace

de reproduire les raisonnements inconscients qui favorisent la

stigmatisation de la victime du viol.

Avant le début du procès, nous avions rencontré Cécilia, char-

gée des problématiques des femmes indigènes au sein de

l’association Puente de Paz. Elle ajoute deux grands freins au

changement : l’influence de l’histoire et du droit.

« Le sexisme de notre société ne date pas seulement d’il y a 500 ans et du développement de la religion catholique au Gua-

temala; si la féminité du divin dans la société traditionnelle

maya apportait un certain respect de la femme engendrant la vie à l’image de la Terre Mère, l’organisation de la commu-

nauté demeurait profondément masculine. Il serait faux de ne blâmer que la culture importée d’Europe » et d’ajouter que «

les lois sont faites par les hommes, pour les hommes. Prenons

les titres de propriétés des terres : sur les documents notariés, seul le nom de l’homme est mentionné. Il est donc seul pro-

priétaire, et la famille, aux yeux de l’Etat, c’est l’homme. Si une femme fuit le foyer pour violences ou viol conjugal, avec

ou sans ses enfants, elle n’aura aucun moyen de subsistance,

aucune terre à cultiver. Elle est donc liée à un foyer, à un

homme, et le droit n’est pas fait pour lui offrir l’opportunité de

lutter contre cette situation »5.

Devant tous ces défis, à l’instar des jugements pour les crimes

d’esclavage sexuel commis en Yougoslavie et au Rwanda6,

pourquoi le cas de Sepur Zarco n’a t-il pas été présenté devant

les instances internationales ? Paula Barrios nous répond :

« Nous aurions pu présenter le cas à l’étranger… Mais c’est

ici que les barrières doivent tomber ! ». ■

Une femme témoigne en audience préliminaire du 24 septembre 2012

1 « Les victimes témoignes des outrages des soldats ». Prensa Libre, 25

septembre 2012. http://bit.ly/13Jo4ce

2 « La violence sexuelle dans les conflits armés : une pratique cruelle,

inacceptable et pourtant évitable ». Comité International de la Croix

Rouge, 2 mars 2011. http://bit.ly/VNhY86

3 « Femmes Transformant le Monde »

4 « Preuves anticipées dans un cas d’esclavage sexuel durant le conflit

armé interne ». ACOGUATE, 10 décembre 2012. http://bit.ly/11CTqC1

5 Entretien du 14 septembre 2012, Playa Grande, Ixcán

6 « Le viol comme méthode de génocide au Rwanda ». The New York

Times – Traduction Courrier International, 14 novembre 2002. http://

bit.ly/103mTj9

Solidarité Guatemala n ° 20 2 f é v r ie r 2 01 3

© Sandra Sebastián

Page 6: Solidarité Guatemala 202

Les guides spirituels mayas considèrent la fin de ce cycle comme le commencement d’une nouvelle ère spirituelle, politique

et sociale, à travers le réveil et le soulèvement du peuple. Retours sur la signification et les activités du Oxlajuj B’ak’tun

d'après nos rencontres au Guatemala.

L e 13 B'ak'tun dans le calendrier maya

Le calendrier maya repose sur les cycles astrono-

miques, et plus particulièrement sur celui du Soleil

et de Venus, grâce un incroyable travail d’observa-

tion et de modélisation réalisé par les scientifiques

mayas ; soit quelques 3 000 ans avant que les communautés

scientifiques et religieuses européennes ne reconnaissent l’hé-

liocentrisme comme valide ! A l’inverse du calendrier Grégo-

rien, le calendrier Hab’Solar maya ne suit pas une logique li-

néaire, mais cyclique. Ainsi, 13 jours consécutifs présenteront

13 nahuals différents (au jour 1 Tz’inkin, succédera le jour 2

I’x), comme le montre l’illustration ci-contre1.

Ce cycle initial se répète jusqu’à créer des comptes longs :

- Un Winak : vingt jours.

- Un Tun : 18 Winaks, soit un an.

- Un K’atun : 20 Tun ou 20 ans.

- Un B’ak’tun : 20 K’atun soit 400 ans.

- Un Oxlajuj B’ak’tun : 13 cycles B’ak’tun soit 5 200 ans.

- Le compte le plus long étant le Alawtun, soit 160 000

B’ak’tun, soit 1 152 millions d’années.

Le 20 décembre 2012 est le dernier jour de l’actuel Oxlajuj (13) Ba’k’tun, la fin du treizième B’ak’tun, et au 21 décembre

a débuté un nouveau cycle du calendrier ; le 1er janvier de l’an

1 si l’on se réfère à la logique grégorienne. Ce calendrier de-

meure valide pour des millions de Mayas vivant actuellement

au Guatemala, Honduras, El Salvador, Belize et au Chiapas

(sud du Mexique).

La mesure cyclique du temps en comptes longs permet d’attri-

buer un caractère quasi unique et une interprétation à chaque

jour. Pour cela il est aussi correct de parler de calendrier astro-

nomique que de calendrier astrologique. A travers les textes

sacrés du Popol Wuj, du Chilam Balam ou du Codex dit « de

Madrid », les guides spirituels mayas interprètent le temps pas-

sé, présent et futur ; les trois niveaux étant indissociables.

Avant la colonisation espagnole, les Mayas disposaient de mil-

liers de textes sacrés comme ces derniers, utilisés ou rédigés

pour ou par la pratique de la divination astrologique. Toutefois,

l’Eglise catholique ayant souhaité la disparition totale des

croyances mayas pour imposer « sa vérité », toutes traces de

ces écrits ont été effacées dans de grands autodafés. Les trois

uniques textes originaux restant sont la propriété de musées

européens (Berlin, Madrid et Paris, Madrid).

La fin du monde, injustement « prophétisée » par les Occiden-

taux comme événement cosmique, est perçue par les Mayas,

avant tout, comme une conséquence évidente des torts de l’hu-

main, de son irresponsabilité face à la nature et aux autres

peuples. L’espoir réside dans la croyance au succès de la lutte

pour le changement. Le destin de l’humanité n’est pas écrit,

seul le défi qui s’impose à elle est explicite.

« Oui, la fin du monde est tout à fait possible,

mais seulement si nous ne changeons pas le

système qui le détruit (…) » nous explique Nicolás

Lucás, guide spirituel de l’association Oxlajuj Ajpop.

Luttes et résistances. Zaculeu, Huehuetenango

A Zaculeu, site archéologique d'une ancienne cité maya et lieu

sacré, se sont réunies des centaines de personnes des différents

peuples mayas du département de Huehuetenango, sur invita-

tion du Conseil des Peuples autochtones d'Occident (CPO).

Oxlajuj Ajpop y célébrait une cérémonie dans la nuit du 20

décembre. Le 21 décembre le CPO organisait une matinée de

réflexion sur les luttes et résistances des peuples de Huehuete-

nango et du Guatemala animant à continuer et à renforcer l'or-

ganisation et l'union des peuples contre le système d'oppression

existant et à défendre le droit à l'autodétermination pour un

buen vivir2. Extraits choisis des discours de l'activité :

Francisco Rocael de l’Assemblée départementale en défense

du territoire de Huehuetenango : « Toutes et tous, nous avons entendu que le nouveau B’ak’tun serait l’espoir, le temps de la

solidarité, de la lutte et de la dignité que nos peuples méritent.

Mais cette possibilité dépend de nous, de chacun, de la cons-truction d’un nouveau système politique, économique, culturel

Actualités

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Oxlajuj B'ak'tun : changement de cycle dans le calendrier maya et perspectives des luttes du Guatemala

Par Maxime Verdier et Amandine Grandjean

Solidarité Guatemala n ° 20 2 f é v r ie r 2 01 3

Page 7: Solidarité Guatemala 202

dre cet engagement : nous dirons non aux entreprises, nous dirons non aux mégaprojets ! Et nous continuerons à lutter

pour le bonheur, nous défendrons le territoire, nous lutterons pour que le corps des femmes ne soient plus un objet sexuel,

nous lutterons pour nos droits, nous vivrons comme le vou-

laient nos ancêtres, heureux sur nos territoires, unis, libres ! »

Une dirigeante communautaire ajouta : « Nous représentons la

voix des femmes ! Pourquoi ? Car nous sommes discriminées de trois façons : naître pour être femmes, pour rester analpha-

bètes, pour rester soumises. Ici nous renaissons, nous allons

renaître, ils se sont trompés sur notre compte. Nous donnons la

naissance comme la Terre mère, et nous partageons les souf-

frances de notre mère. Nous sommes mères et aussi nous souf-

frons s’ils nous enlèvent nos terres, car nous ne pouvons plus nourrir nos enfants, nous ne savons pas où aller. Ce système

nous opprime ! Ce système ne nous dira pas comment nous allons vivre, nous allons lui dire comment nous voulons

vivre ! »

Alvaro Ramazzini, évêque de Huehuetenango : « L’expérience ici m’a profondément marqué et je me sens l’un de vous. Je

pensais connaître mon pays. Il a fallu que je vive à San Marcos pour comprendre que je m’étais trompé, pour apprendre la

force de la résistance des peuples autochtones. (…) Quand

nous dénonçons les injustices, on ne nous entend pas. Je vou-drais parler de la lettre que nous avons écrite avant les Ac-

cords de paix. Nous disions que deux parties du peuple ont

toujours été discriminées : le peuple autochtone et nos frères et sœurs paysans. Et encore une fois, je regrette car aujourd’hui

même il y a là-bas des cérémonies gouvernementales, et ici le peuple4. Cela me rend triste, car le gouvernement n’a jamais

rendu réels les désirs des Accords de paix. Nous sommes un

peuple pluriculturel et pluriethnique, nous devrions tous être unis ici. […] Ce pays a besoin d'une démocratie non seulement

réelle mais aussi radicale, où le peuple décide de son avenir et

prenne les décisions qui lui apportent le bonheur. Nous avons

besoin aussi d’une économie radicalement différente, qui ré-

ponde à nos besoins et préserve nos richesses naturelles. […] Nous sommes les 99%, eux sont le reste, n’ayons pas peur de

parler des différences de classes ! […] Acceptons l’indigna-

tion, et exigeons la réforme agraire intégrale dont nous avons besoin pour vivre sans faim ! […] Qu’ils ne viennent pas nous

dire qu’ils défendent les droits, car défendre les droits, ce n’est

pas défendre les intérêts de quelques uns contre le peuple. » ■

et social. ».

« La réforme présidentielle de la Constitution politique de la

République, les réformes de la Loi sur l'exploitation minière et sur la carrière d'instituteur, sont des initiatives du gouverne-

ment qui ne sont pas en faveur de nos peuples, au contraire, elles constituent des retours en arrière sur les conquêtes des

luttes sociales puisqu'elles sont destinées à consolider le mo-

dèle économique d'accumulation basé sur l'agrobusiness, les mines, le pétrole, les barrages hydroélectriques, la privatisa-

tion des services publics, qui bénéficient uniquement à un nombre réduit de familles qui ont historiquement exploité et

réprimé nos peuples3. »

Pour María Guadalupe Hernández, de l’organisation de

femmes Mamá Maquín : « Nous ne sommes pas ici seulement

pour commémorer, mais aussi pour dénoncer tout ce que le système et l’oppresseur nous ont imposé. La pression, la me-

nace, la répression qui pèsent sur nous depuis 500 ans, depuis l’invasion espagnole. Nous sommes ici aussi pour dire que

nous allons continuer à lutter pour nous, peuples, pour dire à

nos ancêtres que nous allons défendre leurs valeurs, leurs sou-venirs, leurs sentiments et leur savoir. Nous leur disons que

nous ne verrons jamais la Terre Mère comme un commerce,

que nous continuerons à la voir comme la mère qui donne la vie. Nous sommes ici pour prendre un engagement, pour pren-

Actualités

7

1 Consultez la version intégrale de l'article “Le fonctionnement du calen-

drier Maya et le 21-12-2012“ sur le site internet du CG : bit.ly/XzMeiW.

Propos et analyse recueillis à travers une entrevue avec Félipe Gomez,

membre de l’association guatémaltèque de guides spirituels mayas Oxla-

juj Ajpop.

2 La vision du buen vivir (bien-être) est revendiquée par les peuples au-

tochtones à travers tout le continent américain. La vidéo de l'activité est

disponible en ligne : bit.ly/YWKrY9

3 Communiqué du CPO “Posicionamiento Político en el Marco del

Oxlajuj B’ak’tun”, 30 novembre 2012

4 A quelques mètres de la tribune du CPO avait lieu une activité promue

par le gouvernement, lequel n'a pas manqué de faire du zèle sur le dé-

ploiement de l'armée, de policiers et même des “forces spéciales de po-

lice”. Voir aussi le photo-reportage de James Rodríguez : bit.ly/X7vhgx

María Guadalupe Hernández, Zaculeu

Solidarité Guatemala n ° 20 2 f é v r ie r 2 01 3

© Vanessa Góngora

Page 8: Solidarité Guatemala 202

8

Portrait

« Malgré des soucis, assez courants pour une famille moyenne des années 60, je pense que j'ai grandi dans une atmosphère

familiale pleine de musique, de danse, de blagues, d’histoires drôles, satiriques et tendres … qui m'ont appris la valeur de

l'amitié et de l'humour ». C’est ainsi que Carmen décrit son enfance. Et on l’imagine bien en rencontrant ce petit bout de

femme énergique, au large sourire, dont on sent très vite la créativité, l’espièglerie, la générosité et l’ouverture aux autres.

Retour sur ce parcours de femme, exilée guatémaltèque, installée en France depuis 1983.

Carmen Samayoa, « l’enlaçeuse de mondes »

C armen a grandi à Ciudad de Guatemala, la capitale.

A l’écoute de son désir précoce de devenir danseu-

se, la mère de Carmen l’inscrit à l’école nationale

de danse à l’âge de 9 ans, ce qui l’amènera à deve-

nir danseuse de ballet classique pendant 6 ans. Mais, comme à

l’école où l’histoire du Guatemala commence avec la

« découverte » des Amériques, la danse enseignée dans cette

école d’Etat est basée sur des critères occidentaux. A 20 ans,

Carmen s’inscrit à un cours d’expression corporelle : « Là j'ai trouvé le chemin vers une expression artistique qui cherchait à

s'enraciner dans notre propre histoire, à comprendre l'injusti-

ce qui nous entourait ».

Carmen Samayoa

Par Louise Levayer

Solidarité Guatemala n ° 20 2 f é v r ie r 2 01 3

Avec des jeunes venant de la danse

et du théâtre, ils orientent leur pra-

tique artistique vers une recherche

de leur identité, de leurs racines di-

verses, et cherchent à révéler par

leur travail une réalité sociale passée

sous silence, étouffée. Ainsi naît la

troupe du Teatro Vivo en 1977.

« Là, je trouvais la possibilité de connecter cœur et tête, corps et es-

prit, conscience individuelle et col-

lective, développement personnel et

participation sociale ».

« Nos créations inspirées de la réa-

lité guatémaltèque, nos représenta-tions ainsi que nos ateliers dans des

écoles, bidonvilles, syndicats, etc. ne pouvaient qu'être considérés comme

subversifs par le gouvernement mili-

taire autoritaire et répressif des années 80 ». Carmen et ses amis du

Teatro Vivo décident alors, comme

des milliers d’autres Guatémal-

tèques, de quitter leur pays. Le

1er juillet 1980, ils se réfugient au

Mexique.

« Je suis partie en toute hâte, dans la peur, et avec la certitude de ne

pas savoir quand je pourrai rentrer.

La situation était devenue impos-sible, nos maisons étaient surveil-

lées, la menace de compter bientôt

parmi les si nombreux séquestrés et

disparus était devenue évidente ».

© CIMI’ mondes

Page 9: Solidarité Guatemala 202

Portrait

9

Au Mexique, malgré les difficultés, il leur fallait continuer à

faire du théâtre par tous les moyens. « Nous ne voulons pas,

nous ne pouvons pas, nous ne savons pas faire autre chose et il

n'y a rien de plus clair que c'est cela notre chemin ».

Pour Carmen, c’est le début d’une longue itinérance qui lui

ouvre les portes d’autres cultures qui nourriront son travail et

son expression artistique. Avec le Teatro Vivo, elle va jouer en

Amérique du Sud, en Amérique centrale, au Canada, et aussi

aux Etats-Unis où ils sont invités notamment par le comité de

solidarité avec le Guatemala NISGUA1, puis en Europe. Les

réseaux de solidarité avec l’Amérique centrale qui naissent un

peu partout en Europe et en Amérique du Nord dans les années

80 ont été un soutien important pour la diffusion de leur travail

artistique.

En 1983, alors qu’ils sont en Suède où ils ont été invités, Car-

men et sa troupe apprennent qu’ils ne peuvent plus rentrer au

Mexique. Les réfugiés, notamment du Salvador et du Guatema-

la, sont arrivés en masse au Mexique et en 1982 le gouverne-

ment a pris des mesures pour forcer le retour et empêcher leur

entrée dans le pays. « Comme nous ne remplissions pas les

critères économiques pour obtenir le visa, nous sommes restés

en France où nous avons pu légaliser notre situation et obtenir

le droit de résidence et de travail ».

Ils avaient été invités dans l’hexagone pour des représentations

par des membres fondateurs du Collectif Guatemala2, qui les

ont informés du statut de réfugié et des démarches à mener

auprès de l’Office français de protection des réfugiés et apa-

trides (OFPRA) pour l’obtenir.

Une fois le statut obtenu,

la troupe a continué son

itinérance, cette fois en

Europe, de longues pé-

riodes en Espagne, des

tournées en Suisse, en

Autriche et notamment en

Allemagne où leurs spec-

tacles trouvaient davantage d’écho. À Paris, Carmen a étudié à

l’université et appris le français. Un ami guatémaltèque, pro-

fesseur de théâtre au Conservatoire, leur a fait découvrir

l'Ariège et leur a proposé sa maison. Elle est installée depuis

dans cette région montagneuse et ensoleillée qui lui rappelle un

peu les paysages du Guatemala.

Carmen y développe de nombreux projets : cours de théâtre,

spectacles, seule ou avec de nouveaux partenaires. Elle cherche

à montrer la diversité et ce qu’elle nous apporte, à construire

des liens entre les personnes, des ponts entre les cultures. Elle

participe par exemple à l’animation du groupe de réflexion et

d’échanges « Regards de Femmes » où elle donne des cours de

théâtre. C’est d’ailleurs avec cette association qu’elle a organi-

sé avec le Collectif Guatemala une rencontre à Pamiers avec

Carmen Mejía et María Guadalupe Hernandez lors de leur

tournée en France de décembre 20103.

Dans ces spectacles elle

refait vivre des contes, des

mythes et des musiques

des Amériques, marqués

de racines précolom-

biennes, indiennes, africaines. Aujourd’hui Carmen continue

sur ce chemin avec le projet « Enlaceurs de Mondes » qu’elle

mène avec le musicien argentin Gabriel Jordan4. Carmen est

retournée à plusieurs reprises au Guatemala. La première fois

en 2000. Elle avait alors présenté avec le Teatro Vivo la pièce

« Ixok » qui parle des femmes, des survivantes ayant fui les

massacres. Elle rêve aujourd’hui de fouler et enlacer à nouveau

sa terre en y jouant ses dernières créations. ■

1 NISGUA est l’un des partenaires du Collectif au Guatemala au sein du

projet d’accompagnement international ACOGUATE.

2 Camilo, Juan Mendoza et Arturo Taracena (voir Solidarité Guatemala

n°200).

3 voir Solidarité Guatemala n° 192

4 « L’Illusion du Serpent à Deux Têtes », « Pourquoi le lapin a-t-il de

grandes oreilles ? ». Voir le site www.cimi.mondes.sitew.com

« Nous ne voulons pas, nous ne pouvons pas,

nous ne savons pas faire autre chose et il n'y a

rien de plus clair que c'est cela notre chemin . »

Carmen à propos de sa passion du théâtre

Affiche du dernier spectacle des Enlaceurs de Mondes

Solidarité Guatemala n ° 20 2 f é v r ie r 2 01 3

© CIMI’ mondes

Page 10: Solidarité Guatemala 202

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Entretien

Solidarité Guatemala n ° 20 2 f é v r ie r 2 01 3

L’Unité de protection des défenseur(e)s des droits humains au Guatemala (UDEFEGUA) analyse la situation des droits humains,

accompagne à leur demande les leaders paysans, syndicaux, étudiants et autres représentants ou intégrants du mouvement social pacifique guatémaltèque et leur apporte sécurité et soutien psychologique lorsque ceux-ci sont menacés. Depuis l'année 2000

marquée par un regain d’agressions commise à l’égard des défenseurs des droits humains, UDEFEGUA répertorie de manière exhaustive les actes d'agression, afin de publier des rapports et créer un suivi. UDEFEGUA entend démontrer que ces agressions

sont directement liées à la faiblesse d’un Etat de droit, à l’impunité reine, un contexte très éloigné de celui annoncé dans les Ac-

cords de paix signés en 1996.

Magda Chún Simon, travailleuse sociale d’origine maya mam, a travaillé 2 ans à UDEFEGUA jusqu’à décembre 2012.

Entretien avec une défenseure des droits humains

Quelle était ta mission au

sein d'UDEFEGUA?

Je travaillais sur le thème

de la sécurité, directement

avec les organisations pay-

sannes, de femmes, syndi-

cales, etc. en étudiant avec

eux les mécanismes de

protection personnelle,

organisationnelle ou col-

lective. Ma section permet-

tait donc de donner des

outils de défense face aux

menaces, attaques et agres-

sions des personnes que

nous qualifions de défenseurs des droits humains. Je m'occu-

pais aussi de la vérification des cas de personnes suivies et de

l'accompagnement des défenseurs dans les procès ou devant les

instances institutionnelles, à l’origine ou le plus souvent ne

réagissant pas face à ces menaces voire criminalisant les défen-

seurs en les poursuivant en justice.

Quel rôle jouent les femmes au sein d’UDEFEGUA et des

mouvements qui luttent en faveur des droits humains?

L'équipe est composée de 24 personnes dont 13 femmes. La

coordination des projets est majoritairement composée de

femmes. UDEFEGUA soutient n'importe quel type de défen-

seur, il n'y a pas de priorité concernant le genre, cependant il

s'est créé au sein de l'organisation un réseau de femmes prove-

nant de différentes organisations, tant nationales que régio-

nales, travaillant pour la défense des droits humains. Cet es-

pace s'est créé car les femmes souffrent d'attaques et de me-

naces qui touchent directement à leur genre, les rendent vulné-

rables et peuvent se traduire par exemple par des attaques

sexuelles. Au sein de ce réseau, ces femmes se partagent les

incidents ou menaces graves dont elles ont été victimes et à

partir de cela elles peuvent établir avec l'aide d'UDEFEGUA

des mesures collectives ainsi qu'un accompagnement psycho-

social ou d'autres types de conseils qui dépendent du cas ou du

soutien légal. Ceci a permis à ces femmes d’avoir de meilleurs

outils de protection et de défense. Malheureusement lors des

derniers mois, il y a eu une augmentation d'assassinats et me-

naces à l'encontre de ces femmes luttant pour la défense des

droits humains. Le rapport d'UDEFEGUA des deux premières

semaines de 2013 a comptabilisé 33 féminicides1, des meurtres

qui dans la plupart des cas restent impunis. Dans le cas des

assassinats de femmes du mouvement social, il est difficile de

dire s’ils sont commis pour leurs activités de défense des droits

humains ou pour une autre raison, toujours est-il que les crimes

envers les femmes ont augmenté. En 2012, deux défenseures

de la lutte en défense du territoire et des ressources naturelles

contre les mégaprojets, ont été persécutées, attaquées, mena-

cées et sont criminalisées: Lolita Chavez du Conseil des

peuples d’Occident (CPO, organisation des autorités mayas de

l’Ouest du Guatemala) et Yolanda Oqueli (leader des commu-

nautés en résistance au projet de mine El Tambor à quelques

kilomètres de la capitale)2.

Comment décrire Claudia Virginia Samayoa et son rôle

comme coordinatrice générale d'UDEFEGUA ?

Le rôle que joue Claudia implique aussi les attaques et me-

naces à son encontre3. Elle-même a été suivie à plusieurs re-

prises. Son travail et celui d’UDEFEGUA ont été criminalisés

notamment par les opposants aux personnes accompagnées,

comme les compagnies minières qui nous accusent de soutenir

des narcotrafiquants ou des groupes criminels. La ténacité et la

personnalité de Claudia sont fondamentales. Grâce à son tra-

vail de lutte et de défense des droits humains, elle a acquis une

reconnaissance nationale et internationale. Cela lui a permis

d’accéder aux espaces institutionnels et de peser dans les déci-

sions des organismes de l'Etat, comme le bureau du Procureur

des droits humains (PDH) et le Ministère Public, entre autres.

En outre le soutien de la coopération internationale est venu

grâce au travail rendu visible d’UDEFEGUA par la publication

de ses rapports mensuels, trimestriels et annuels qui réperto-

rient et analysent les attaques, agressions, menaces, et d'une

manière plus large, la criminalisation des défenseur(e)s des

droits humains suivis par UDEFEGUA.

Pus d'informations sur www.udefegua.gt.org ■

1 Feminicidio ou femicidio en espagnol, signifie meurtre d’une femme

pour sa condition de femme.

2 Sur Lolita Chavez, lire « Ils nous accusent d’être des terroristes et des

usurpateurs » : bit.ly/Nt2a5N Sur Yolanda Oqueli, lire l’article d’« Un

conflit minier met en jeu des vies et des moyens de subsistance » bit.ly/

LGGdfE

3 Lire le cas de Claudia Samayoa page 17 du rapport d’Amnesty Interna-

tional « Transformer la douleur en espoir. Les défenseurs des droits hu-

mains dans les Amériques » bit.ly/11IRkMo

Par Quentin Boussageon

© Louise Levayer

Magda Chún à Paris

Page 11: Solidarité Guatemala 202

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Brèves

Vol de données au siège de l’Association pour le Progrès des Sciences Sociales (AVANCSO)

Dans la nuit du 17 janvier, des individus non identifiés pénètrent dans les locaux de l’ssociation pour le progrès des sciences so-

ciales (AVANSCO) et procèdent au vol ciblé de données (ordinateurs, cartes mémoires, disques durs, documents…) en laissant

derrière eux nombre d’équipements de valeur. UDEFEGUA (protection des défenseurs des droits humains), dans son communi-

qué en date du 18 janvier, dénonce une nouvelle attaque évidente contre la mission sociale d’AVANSCO au Guatemala, avec

l’objectif clair de s’approprier les données des enquêtes et des analyses réalisées auprès de la population.

L’infraction intervient en représailles au soutien de l’organisation à l’initiative de Loi de Développement Rural Intégral 40-84,

AVANSCO subit une stratégie de criminalisation qui consiste à l’accuser de terrorisme et de « diffusion de l’idéologie commu-

niste ». Loin d’être un événement isolé, l’association avait déjà souffert à de nombreuses reprises des méthodes de répression

illégale qui s’observent dans le pays. Rappelons l’assassinat de l’anthropologue et activiste Myrna Mack Chang en 1990, et les

nombreuses menaces et pressions contre les membres d’AVANSCO dans les années 2000.

UDEFEGUA réclame une enquête immédiate et impartiale afin que soient déterminées les responsabilités et identifiés les respon-

sables matériels et intellectuels de cette nouvelle attaque, et critique l’inaction du gouvernement en matière de protection des dé-

fenseurs des droits humains.

A la suite de la libération des prisonniers politiques de Barillas,

une délégation visite des instances nationales et internationales pour témoigner

Après plus de huit mois d'emprisonnement injuste, et grâce à la lutte de leurs avocats, les huit derniers prisonniers politiques de

Barillas ont été libérés, le 9 janvier dernier. Victimes de criminalisation de la part du gouvernement et des intérêts privés (qui

s'acharnent à entrer sur ce territoire maya Qanjobal,) ils avaient été arrêtés dans d'obscures conditions suite à l'état de siège décla-

ré le 1er mai, après que soit assassiné Miguel Andrés -et deux personnes blessées- par deux gardes de sécurité privée de l'entre-

prise espagnole Hidro Santa Cruz, qui construit un barrage hydroélectrique sur la rivière Cambalam.*

Les 17 et 18 janvier, la délégation composée d’ex-détenus politiques, de leaders du mouvement social de Barillas et de leur avo-

cat a rencontré de nombreux acteurs de l’Etat et les représentants d’institutions internationales. Les prisonniers avaient été accu-

sés, à tort, d’être à l’origine de la contestation sociale suivant l'attaque perpétrée par la sécurité de l'entreprise, faits pour lesquels

les employés de sécurité sont accusés et en cours de procès.

A l’occasion de réunions en commission parlementaire au Congrès, ou devant les représentants du Procureur des Droits de

l’Homme (Procuradoría de los Derechos Humanos) et du Haut-Commissariat de l’ONU pour les Droits de l'homme, la déléga-

tion a témoigné des pressions et des menaces constantes, et de la corruption policière et militaire. Ils ont remis une pétition signée

par plus de 15 000 personnes de la municipalité de Barillas, réclamant un accompagnement physique et des enquêtes objectives

sur la situation des droits humains. La même pétition a également été remise au secrétariat de la Présidence de la République.

Nous avons pu constater l’attention et le soutien apporté par certains députés et les instances internationales. Toutefois, face au

comportement de l’Etat, les habitants de Barillas demeurent fortement préoccupés quant à leur situation de sécurité. Les menaces

qui pèsent sur leurs vies et leurs familles restent une inquiétude majeure qui n’a pas à ce jour trouvé de réponse satisfaisante.

« Nous vivons aujourd’hui ce que nous vivions à l’époque du conflit armé. L’armée fouille nos maisons, vide les sacs de maïs et

de haricots, ils renversent les lits, retournent le linge… ils cherchent des armes. Et les enfants ont peur. Et moi je pleure.

L’unique pouvoir réel à Barillas, est aujourd’hui celui de l’entreprise qui achète les services de l’Etat, de la police et de l’armée

». (Leader social de Barillas s’exprimant devant la PDH).

Le 23 janvier, une délégation de parlementaires et sénateurs espagnols, en mission d'observation du respect des droits humains au

Guatemala, s'est réunie à Huehuetenango avec des représentants de la résistance de Santa Cruz Barillas. A cette occasion, ils et

elles ont pu présenter leurs témoignages sur les violations de droits humains provoquées par l'entreprise espagnole Hidro Santa

Cruz S.A., en compagnie de membres de l'association de défense des ressources naturelles CEIBA et de leur avocat Carlos Be-

zares qui a présenté un exposé sur les cas de détentions arbitraires.

En attendant, plus d'une vingtaine de personnes est toujours sous la menace de mandats d'arrêts et au moins deux personnes sont

toujours réfugiées hors de leur foyer. Cependant le peuple est plus que jamais uni, après le retour dans leurs communautés des ex-

prisonniers politiques, célébré par des milliers de personnes. Un leader commentait aux députés : « Barillas demande que l'entre-

prise s'en aille. »

* Voir brèves dans Solidarité Guatemala n°198 et 200 pour plus d’informations sur les sources du conflit

Solidarité Guatemala n ° 20 2 f é v r ie r 2 01 3

Page 12: Solidarité Guatemala 202

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Le Collectif Guatemala Qui sommes-nous ? Fondé en 1979 par des réfugiés guatémaltèques et des militants français, le Collectif Guatemala est une association 1901 de solidarité

internationale. Il est composé d’associations et de particuliers, dont une bonne dizaine de membres actifs, sur lesquels repose la vie de

l’association. Depuis octobre 2002, l’équipe s’est étoffée avec l’arrivée d’un permanent à mi-temps. Depuis mars 2006, l’association a

ouvert un bureau de coordination pour ses activités au Guatemala (accompagnement international et campagne de soutien aux militants

luttant contre le pillage de leurs ressources naturelles).

Les activités du Collectif au Guatemala

● L’accompagnement international

√ des populations indigènes victimes du conflit armé impliquées

dans des procès contre les responsables de violations massives

des droits humains,

√ des personnes menacées du fait de leurs activités militantes.

Comment ?

√ à la demande des groupes ou personnes menacées,

√ en recherchant et en préparant des volontaires qui resteront au

minimum 6 mois sur le terrain.

Pourquoi ?

√ pour établir une présence dissuasive,

√ pour avoir un rôle d'observateur,

√ pour relayer l'information.

Les accompagnateurs/trices sont des volontaires majeurs, de tous

horizons, désirant s’engager pour une durée minimum de 6 mois.

Des sessions d’information et de préparation ont lieu en France

avant le départ. Au Guatemala, les accompagnateurs sont intégré

au projet international d’accompagnement ACOGUATE.

● L’outil vidéo

√ organisation d’ateliers vidéo destinés aux membres d’organisa-

tions communautaires pour la réalisation documentaire

√ soutien à la diffusion de ces films à la capitale et dans les com-

munautés

√ réalisation de film-documentaires comme outil de campagne et

de sensibilisation en France

Les activités du Collectif en France

● L'appui aux organisations de la société civile guatémal-

tèque qui luttent pour plus de justice et de démocratie

√ en relayant des dénonciations de violations des droits de

l'Homme,

√ en organisant des campagnes pour soutenir leurs revendica-

tions,

√ en recherchant des financements pour soutenir leurs projets,

√ en recevant en France et en Europe des représentants de dif-

férentes organisations pour leur permettre de rencontrer des

décideurs politiques et financiers.

● L’information et la sensibilisation du public français

Sur quoi ?

√ la situation politique et sociale au Guatemala,

√ la situation des droits humains,

√ l'action des organisations populaires, indiennes et paysannes.

Comment ?

√ par la diffusion d’une lettre à l’adhérent bimestrielle,

√ par l'organisation ou la participation à des conférences, dé-

bats, réunions, projections documentaires

√ par des réunions mensuelles ouvertes à toute personne inté-

ressée.

● Le travail en réseau avec différents types de partenaires

présents au Guatemala

√ associatifs,

√ institutionnels.

Contact: [email protected]

ADHÉSION / ABONNEMENT Le Collectif Guatemala vous propose plusieurs formules de soutien :

Adhésion au Collectif, permettant de recevoir la Lettre à l’Adhérent - Solidarité Guatemala 23 €

Adhésion à tarif réduit (étudiants, chômeurs etc. joindre justificatif) 15 €

Don, un soutien supplémentaire pour nos activités ………

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Les dons et cotisations peuvent être déductibles des impôts à hauteur de 66%.

Solidarité Guatemala n ° 20 2 f é v r ie r 2 01 3