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Sommaire Séquence 4 Lire Au Bonheur des Dames d’Émile Zola (1883) Durée approximative : 15 heures Séance 1 Découvrir le début du roman Séance 2 Analyser les débuts d’une jeune vendeuse Séance 3 Étudier la condition des employés au XIX e siècle Séance 4 Comprendre la stratégie commerciale de Mouret Séance 5 Analyser le succès de Denise Séance 6 Comprendre le fonctionnement d’une scène symbolique : l’enterrement de Geneviève Séance 7 Analyser les métamorphoses du grand magasin Séance 8 Étudier l’affiche du film d’André Cayatte Séance 9 Approfondir ses connaissances sur un écrivain et son œuvre Séance 10 Je m’évalue

Sommaire - f2.quomodo.comf2.quomodo.com/0DC3D9A1/uploads/235/Francais -Sequence-04.pdf · Et ils restèrent plantés, serrés les uns contre les autres, tout en noir, ... ouvrait

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Sommaire

Séquence 4Lire Au Bonheur des Dames d’Émile Zola (1883)

Durée approximative : 15 heures

Séance 1 Découvrir le début du roman

Séance 2 Analyser les débuts d’une jeune vendeuse

Séance 3 Étudier la condition des employés au XIXe siècle

Séance 4 Comprendre la stratégie commerciale de Mouret

Séance 5 Analyser le succès de Denise

Séance 6 Comprendre le fonctionnement d’une scène symbolique : l’enterrement de Geneviève

Séance 7 Analyser les métamorphoses du grand magasin

Séance 8 Étudier l’affiche du film d’André Cayatte

Séance 9 Approfondir ses connaissances sur un écrivain et son œuvre

Séance 10 Je m’évalue

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Socle communDurant cette séquence, tu auras l’occasion de développer tes connaissances et de travailler des items des compétences ci-dessous.

CompétenCe 1. La maîtrise de la langue française Repérer les informations dans un texte à partir des éléments explicites et des éléments

implicites nécessaires. Dégager, par écrit ou oralement, l’essentiel d’un texte lu. Rédiger un texte bref, cohérent et ponctué, en réponse à une question ou à partir

d’une consigne donnée.

CompétenCe 5. La culture humaniste Établir des liens entre les œuvres (littéraires, artistiques) pour mieux les comprendre.

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Séquence 4séance 1 —

Séance 1Découvrir le début du roman

Durée de la séance : 2 heures.

Dans cette séquence, tu vas découvrir un roman de Zola, Au Bonheur des Dames, publié en 1883.

Dans cette séance, tu vas découvrir les premières pages de l’œuvre de Zola et travailler sur le début du roman. Au début de chaque séance, tu trouveras un petit résumé des événements qui se sont déroulés. Ces résumés te permettront de situer les extraits dans l’ensemble du récit mais ne doivent pas remplacer ta propre lecture intégrale de l’œuvre.

Maintenant, lis attentivement l’extrait qui suit et écoute le début à la piste 8 de ton CD :

Denise était venue à pied de la gare Saint-Lazare, où un train de Cherbourg l’avait débarquée avec ses deux frères, après une nuit passée sur la dure banquette d’un wagon de troisième classe. Elle tenait par la main Pépé, et Jean la suivait, tous les trois brisés du voyage, effarés et perdus, au milieu du vaste Paris, le nez levé sur les maisons, demandant à chaque carrefour la rue de la Michodière, dans laquelle leur oncle Baudu demeurait. Mais, comme elle débouchait enfin sur la place Gaillon, la jeune fille s’arrêta net de surprise.

– Oh ! dit-elle, regarde un peu, Jean !Et ils restèrent plantés, serrés les uns contre les autres, tout en noir, achevant les

vieux vêtements du deuil de leur père. Elle, chétive pour ses vingt ans, l’air pauvre, portait un léger paquet ; tandis que, de l’autre côté, le petit frère, âgé de cinq ans, se pendait à son bras, et que, derrière son épaule, le grand-frère, dont les seize ans superbes florissaient, était debout, les mains ballantes.

– Ah bien, reprit-elle après un silence, en voilà un magasin !C’était, à l’encoignure de la rue de la Michodière et de la rue Neuve-Saint-

Augustin1, un magasin de nouveautés dont les étalages éclataient en notes vives, dans la douce et pâle journée d’octobre. Huit heures sonnaient à Saint-Roch, il n’y avait sur les trottoirs que le Paris matinal, les employés filant à leurs bureaux et les ménagères courant les boutiques. Devant la porte, deux commis2, montés sur une échelle double, finissaient de pendre des lainages, tandis que, dans une vitrine de la rue Neuve-Saint-Augustin, un autre commis, agenouillé et le dos tourné, plissait délicatement une pièce de soie bleue. Le magasin, vide encore de clientes, et où le personnel arrivait à peine, bourdonnait à l’intérieur comme une ruche qui s’éveille.

– Fichtre ! dit Jean. Ça enfonce Valognes3… Le tien n’était pas si beau.Denise hocha la tête. Elle avait passé deux ans là-bas, chez Cornaille, le premier

marchand de nouveautés de la ville ; et ce magasin, rencontré brusquement, cette maison énorme pour elle, lui gonflait le cœur, la retenait, émue, intéressée, oublieuse du reste. Dans le pan coupé donnant sur la place Gaillon, la haute porte, toute en glace, montait jusqu’à l’entresol4, au milieu d’une complication d’ornements, chargés de dorures. Deux figures allégoriques5, deux femmes riantes, la gorge nue et renversée, déroulaient l’enseigne : Au Bonheur des Dames. Puis, les vitrines s’enfonçaient, longeaient la rue de la Michodière et la rue Neuve-Saint-Augustin, où elles occupaient, outre la maison d’angle, quatre autres maisons, deux à gauche,

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deux à droite, achetées et aménagées récemment. C’était un développement qui lui semblait sans fin, dans la fuite de la perspective, avec les étalages du rez-de-chaussée et les glaces sans tain6 de l’entresol, derrière lesquelles on voyait toute la vie intérieure des comptoirs. En haut, une demoiselle, habillée de soie, taillait un crayon, pendant que, près d’elle, deux autres dépliaient des manteaux de velours.

– Au Bonheur des Dames, lut Jean avec son rire tendre de bel adolescent, qui avait eu déjà une histoire de femme à Valognes. Hein ? c’est gentil, c’est ça qui doit faire courir le monde !

Mais Denise demeurait absorbée, devant l’étalage de la porte centrale. Il y avait là, au plein air de la rue, sur le trottoir même, un éboulement de marchandises à bon marché, la tentation de la porte, les occasions qui arrêtaient les clientes au passage. […] Denise vit une tartanelle7 à quarante-cinq centimes, des bandes de vison d’Amérique à un franc, et des mitaines à cinq sous. C’était un déballage géant de foire, le magasin semblait crever et jeter son trop-plein à la rue.

L’oncle Baudu était oublié. Pépé lui-même, qui ne lâchait pas la main de sa sœur, ouvrait des yeux énormes. Une voiture les força tous trois à quitter le milieu de la place ; et, machinalement, ils prirent la rue Neuve-Saint-Augustin, ils suivirent les vitrines, s’arrêtant de nouveau devant chaque étalage. D’abord, ils furent séduits par arrangement compliqué : en haut, des parapluies, posés obliquement, semblaient mettre un toit de cabane rustique ; dessous, des bas de soie, pendus à des tringles, montraient des profils arrondis de mollets, les uns semés de bouquets de roses, les autres de toutes les nuances, les noirs à jours, les rouges à coins brodés, les chair dont le grain satiné avait la douceur d’une peau de blonde ; enfin, sur le drap de l’étagère, des gants étaient jetés symétriquement, avec leurs doigts allongés, leur paume étroite de vierge byzantine, cette grâce raidie et comme adolescente des chiffons de femme qui n’ont pas été portés. Mais la dernière vitrine surtout les retint. Une exposition de soies, de satins et de velours, y épanouissait, dans une gamme souple et vibrante, les tons les plus délicats des fleurs : au sommet, les velours, d’un noir profond, d’un blanc de lait caillé ; plus bas, les satins, les roses, les bleus, aux cassures vives, se décolorant en pâleurs d’une tendresse infinie ; plus bas encore, les soies, toute l’écharpe de l’arc-en-ciel, des pièces retroussées en coques, plissées comme autour d’une taille qui se cambre, devenues vivantes sous les doigts savants des commis ; et, entre chaque motif, entre chaque phrase colorée de l’étalage, courait un accompagnement discret, un léger cordon bouillonné8 de foulard crème. C’était là, aux deux bouts, que se trouvaient, en piles colossales, les deux soies dont la maison avait la propriété exclusive, le Paris-Bonheur et le Cuir-d’Or9, des articles exceptionnels, qui allaient révolutionner le commerce des nouveautés.

– Oh ! cette faille10 à cinq francs soixante ! murmura Denise, étonnée devant le Paris-Bonheur.

Jean commençait à s’ennuyer. Il arrêta un passant.– La rue de la Michodière, monsieur ?Quand on la lui eut indiquée, la première à droite, tous trois revinrent sur leurs

pas, en tournant autour du magasin. Mais, comme elle entrait dans la rue, Denise fut reprise11 par une vitrine, où étaient exposées des confections pour dames. Chez Cornaille, à Valognes, elle était spécialement chargée des confections. Et jamais elle n’avait vu cela, une admiration la clouait sur le trottoir. Au fond, une grande écharpe en dentelle de Bruges, d’un prix considérable, élargissait un voile d’autel, deux ailes déployées, d’une blancheur rousse ; des volants de point d’Alençon se trouvaient jetés en guirlandes ; puis, c’était, à pleines mains, un ruissellement de toutes les

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dentelles, les malines, les valenciennes, les applications de Bruxelles, les points de Venise12, comme une tombée de neige. À droite et à gauche, des pièces de drap dressaient des colonnes sombres, qui reculaient encore ce lointain de tabernacle13. Et les confections étaient là, dans cette chapelle élevée au culte des grâces de la femme : occupant le centre, un article hors-ligne, un manteau de velours, avec des garnitures de renard argenté ; d’un côté, une rotonde14 de soie, doublée de petit-gris ; de l’autre, un paletot de drap, bordé de plumes de coq ; enfin, des sorties-de-bal15, en cachemire blanc, en matelassé blanc, garnies de cygne ou de chenille. Il y en avait pour tous les caprices, depuis les sorties-de-bal à vingt-neuf francs jusqu’au manteau de velours affiché dix-huit cents francs. La gorge ronde des mannequins gonflait l’étoffe, les hanches fortes exagéraient la finesse de la taille, la tête absente était remplacée par une grande étiquette, piquée avec une épingle dans le molleton rouge du col ; tandis que les glaces, aux deux côtés de la vitrine, par un jeu calculé, les reflétaient et les multipliaient sans fin, peuplaient la rue de ces belles femmes à vendre, et qui portaient des prix en gros chiffres, à la place des têtes.

– Elles sont fameuses ! murmura Jean, qui ne trouva rien d’autre pour dire son émotion.

Du coup, il était lui-même redevenu immobile, la bouche ouverte. Tout ce luxe de la femme le rendait rose de plaisir. Il avait la beauté d’une fille, une beauté qu’il semblait avoir volée à sa sœur, la peau éclatante, les cheveux roux et frisés, les lèvres et les yeux mouillés de tendresse. Près de lui, dans son étonnement, Denise paraissait plus mince encore, avec son visage long à bouche trop grande, son teint fatigué déjà, sous sa chevelure pâle. Et Pépé, également blond, d’un blond d’enfance, se serrait davantage contre elle, comme pris d’un besoin inquiet de caresses, troublé et ravi par les belles dames de la vitrine. Ils étaient si singuliers16 et si charmants, sur le pavé, ces trois blonds vêtus pauvrement de noir, cette fille triste entre ce joli enfant et ce garçon superbe, que les passants se retournaient avec des sourires.

Depuis un instant, un gros homme à cheveux blancs et à grande face jaune, debout sur le seuil d’une boutique, de l’autre côté de la rue, les regardait. Il était là, le sang aux yeux, la bouche contractée, mis hors de lui par les étalages du Bonheur des Dames, lorsque la vue de la jeune fille et de ses frères avait achevé de l’exaspérer. Que faisaient-ils, ces trois nigauds, à bâiller ainsi devant des parades de charlatan ?

– Et l’oncle ? fit remarquer brusquement Denise, comme éveillée en sursaut.– Nous sommes rue de la Michodière, dit Jean, il doit loger par ici.Ils levèrent la tête, se retournèrent. Alors, juste devant eux, au-dessus du gros

homme, ils aperçurent une enseigne verte, dont les lettres jaunes déteignaient sous la pluie : Au Vieil Elbeuf, draps et flanelles, Baudu, successeur de Hauchecorne.

La maison, enduite d’un ancien badigeon17 rouillé, toute plate au milieu des grands hôtels Louis XIV qui l’avoisinaient, n’avait que trois fenêtres de façade ; et ces fenêtres, carrées, sans persiennes, étaient simplement garnies d’une rampe de fer, deux barres en croix. Mais, dans cette nudité, ce qui frappa surtout Denise, dont les yeux restaient pleins des clairs étalages du Bonheur des Dames, ce fut la boutique du rez-de-chaussée, écrasée de plafond, surmontée d’un entresol très bas, aux baies de prison, en demi-lune. Une boiserie, de la couleur de l’enseigne, d’un vert bouteille que le temps avait nuancé d’ocre et de bitume, ménageait, à droite et à gauche, deux vitrines profondes, noires, poussiéreuses, où l’on distinguait vaguement des pièces d’étoffe entassées. La porte, ouverte, semblait donner sur les ténèbres humides d’une cave.

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C’est là, reprit Jean.Eh bien ! il faut entrer, déclara Denise. Allons, viens, Pépé.

Au Bonheur des Dames, Émile Zola, chapitre I

Notes :1. « l’encoignure de la rue de la Michodière et de la rue Neuve-Saint-Augustin » : quartier situé dans le IIe arron-

dissement de Paris, modifié par les travaux d’Haussmann et la construction de l’Opéra.2. « commis » : employés.3. « Valognes » : petite ville de la Manche.4. « entresol » : demi-étage situé entre le rez-de-chaussée et le premier étage.5. « figures allégoriques » : figures représentant des idées abstraites sous une forme humaine.6. « glace sans tain » : elles permettent de voir sans être vu.7. « tartanelle » : étoffe de laine à carreaux.8. « bouillonné » : froncé.9. « le Paris-Bonheur et le Cuir-d’Or » : deux tissus de soie qui furent vendus au magasin du Louvre à partir de

1882.10. « faille » : tissu de soie à gros grain.11. « reprise » : attirée de nouveau.12. « les malines […] points de Venise » : différents types de dentelles.13. « tabernacle » : dans une église, petite armoire fermant à clé, située au centre de l’autel et contenant les hos-

ties.14. « rotonde » : manteau à larges plis de forme circulaire.15. « sortie-de-bal » : vêtement chaud porté sur une robe de bal pour se protéger du froid.16. « singuliers » : étonnants.17. « badigeon » : couleur à base de chaux avec laquelle on peint les murailles.

Pour vérifier ta lecture, réponds maintenant aux questions qui suivent sur ton cahier de brouillon. La première partie de ce travail porte sur le passage compris entre les lignes 1 et 24.

A L’arrivée à paris

1- a) Qui sont les trois personnages présents ? Quel âge ont-ils ?

b) Quel lien les unit ?

c) Pourquoi sont-ils vêtus de noir ?

d) D’où viennent-ils et où se rendent-ils ?

2- a) Repère dans le premier paragraphe les mots qui décrivent l’état dans lequel se trouvent les personnages en arrivant à Paris et recopie-les.

b) Devant quel bâtiment les personnages vont-ils s’arrêter ?

c) Souligne dans le troisième paragraphe (l.15-23) les indications permettant de localiser précisément ce bâtiment.

d) Observe maintenant ce plan de Paris datant de 1854 et marque d’une croix l’endroit où se trouvent les personnages.

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Séquence 4séance 1 —

Plan de Paris, Girard (1854) © Archives BnF

Tu peux maintenant comparer tes réponses avec celles contenues dans le corrigé avant de continuer ton travail. Attention, les deux parties suivantes portent sur l’ensemble de l’extrait.

B Le grand magasin

1- a) Quel est le nom du grand magasin que les personnages observent ?

b) Surligne dans le troisième paragraphe une comparaison* employée pour décrire ce grand magasin. Pour quelle raison, selon toi, le narrateur a-t-il choisi cette comparaison ?

2- a) À la fin de l’extrait, tu trouveras la description d’un autre magasin : Au Vieil Elbeuf. À qui appartient-il ?

b) Voici les deux magasins Au Bonheur des Dames et Au Vieil Elbeuf : complète les éléments des dessins par les expressions suivantes extraites du texte :

– enduite d’un ancien badigeon rouillé – profondes, noires, poussiéreuses

– les lettres jaunes déteignaient – deux femmes riantes

– les étalages éclataient en notes vives – toute en glace

– ouverte […] sur les ténèbres humides d’une cave – énorme

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Séquence 4 — séance 1

l’enseigne :

la porte :

vitrines :

Au Bonheur des Dames

Au Vieil Elbeuf les vitrines :

la porte :

l’enseigne :

c) Explique maintenant en quoi les deux magasins s’opposent l’un à l’autre par leur couleur et leur aspect.

Vérifie l’exactitude de tes réponses avant de passer à la suite de ce travail.

C La réaction des personnages

1- a) Relis les paroles rapportées aux lignes 8, 14, et 24. Quelle est, d’après toi, la première réaction des personnages lorsqu’ils découvrent le magasin Au Bonheur des Dames.

b) Dans les lignes 48 à 90, souligne trois phrases qui montrent à quel point les personnages sont attirés par les étalages du magasin. Ces phrases contiennent toutes les trois le mot « vitrine ».

c) Les différentes réactions (lignes 25 à 109) des trois personnages ont été placées dans le tableau suivant.

Inscris le nom du personnage auquel elles correspondent en haut de chaque colonne.

personnages

Réactions – immobile

– bouche ouverte

– rose de plaisir

– émue– intéressée– absorbée– une admiration

– troublé et ravi

– ouvrait des yeux énormes

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Séquence 4séance 1 —

d) Voici une image tirée du film d’André Cayatte, Au Bonheur des Dames, en 1943.

Recopie une phrase du début du texte qui pourrait correspondre à cette image.

Au Bonheur des Dames, A. Cayatte, 1943.Denise et ses frères.

2- a) Relis les passages suivants : l. 42 à 47, l. 75 à 79, l. 120 à 129. Les deux magasins sont décrits à travers le regard d’un personnage. Lequel ? Pour répondre à cette question, tu dois bien observer les verbes de perception et ceux qui expriment une impression.

b) Recopie maintenant deux expressions trouvées dans ces passages qui t’ont permis de répondre.

c) Relis le texte à partir de la ligne 75. Quel métier Denise exerçait-elle à Valognes ?

Tu vas maintenant compléter le « Je retiens » qui suit en t’appuyant sur tes réponses précédentes. Tu feras d’abord ce travail au brouillon.

Découvrir le début du roman

Les premières pages d’un roman, appelées aussi incipit, apportent au lecteur les ___________________ essentielles pour comprendre l’histoire :

– Le nom des personnages : _______________, ____________ et __________

– Leur situation : Ils viennent retrouver leur ______________.

– Le lieu où se déroulera l’action : __________

– Au Bonheur des Dames et Au Vieil Elbeuf sont deux magasins qui _________________ par leur taille et leur aspect. Le premier symbolise la modernité des grands magasins en plein développement ; le second, les anciennes boutiques du petit commerce.

– Ces deux magasins sont le plus souvent décrits selon le point de vue* de _____________.

je retiens

Tu peux maintenant vérifier tes réponses et recopier le « Je retiens » sur ton cahier afin de le mémoriser.

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Séquence 4 — séance 1

D Une écriture naturaliste

1- a) Relis le passage compris entre les lignes 75 et 97. La description des articles exposés dans les vitrines est-elle détaillée ou générale ?

b) Recopie deux termes techniques employés par l’écrivain pour désigner les vêtements.

2- Relis maintenant les paragraphes compris entre les lignes 117 et 129, consacrés à la description du magasin Au Vieil Elbeuf.

– « une enseigne verte, dont les lettres jaunes déteignaient sous la pluie »

– « la maison, enduite d’un ancien badigeon rouillé »

– « une boiserie […] que le temps avait nuancé d’ocre et de bitume »

– Sur quel aspect insistent ces trois expressions ?

3- Quelques pages plus loin, voici la présentation de Mme Baudu et de sa fille :

En quelques phrases brèves, il mettait au courant Mme Baudu et sa fille. La première était une petite femme mangée d’anémie1, toute blanche, les cheveux blancs, les yeux blancs, les lèvres blanches. Geneviève, chez qui s’aggravait encore la dégénérescence de sa mère, avait la débilité2 et la décoloration d’une plante grandie à l’ombre. Pourtant, des cheveux noirs magnifiques, épais et lourds, poussés comme par miracle dans cette chair pauvre, lui donnaient un charme triste.

Notes :1. « Anémie » : faiblesse due à la diminution des globules rouges dans le sang.2. « Débilité » : extrême faiblesse.

a) Souligne dans ce texte une expression qui montre que la faiblesse physique de la mère a été transmise à la fille.

b) Quelle métaphore* est employée pour caractériser Geneviève ?

Tu peux maintenant vérifier tes réponses dans le corrigé. Puis tu recopieras et mémoriseras le « Je retiens » qui suit.

Une écriture naturaliste

Influencée par les progrès de la science, l’écriture naturaliste de Zola se caractérise par :

l’aspect documentaire des descriptions précises et détaillées (les articles des étalages)

une attention portée à la transformation, à l’usure et la dégradation des choses (le magasin Au Vieil Elbeuf)

une prise en compte du corps et une mise au jour de l’hérédité (ici entre Geneviève et sa mère)

une analyse minutieuse des milieux sociaux et des rapports entre eux.

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Lis attentivement les quatre premiers chapitres. Comme Denise, tu entreras dans les deux magasins. Tu rencontreras de nouveaux personnages (l’oncle Baudu, Octave Mouret et bien d’autres).

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Séquence 4séance 2 —

Séance 2Analyser les débuts d’une jeune vendeuse

Durée de la séance : 1 h 30.

Voici un petit résumé des chapitres précédents.

Denise s’est présentée chez son oncle Baudu, propriétaire du Vieil Elbeuf, un vieux magasin de tissus. Elle est ensuite embauchée comme vendeuse au Bonheur des Dames, ce qui provoque la colère de Baudu. Elle rencontre le directeur, Octave Mouret, qui est troublé par cette jeune provinciale timide et mal à l’aise. La grande vente des nouveautés d’hiver arrive. Au cours d’une journée pénible, Denise subit les moqueries des autres vendeuses parce que sa robe est trop grande et qu’elle est mal coiffée. Le lendemain, la jeune fille est convoquée dans le bureau de Mouret.

Le lendemain, Denise était descendue au rayon depuis une demi-heure à peine, lorsque Mme Aurélie lui dit de sa voix brève :

– Mademoiselle, on vous demande à la direction.La jeune fille trouva Mouret seul, assis dans le grand cabinet tendu de reps1 vert. Il

venait de se rappeler « la mal peignée », comme la nommait Bourdoncle ; et lui qui répugnait d’ordinaire au rôle de gendarme, il avait eu l’idée de la faire comparaître pour la secouer un peu, si elle était toujours fagotée en provinciale. La veille, malgré sa plaisanterie, il avait éprouvé devant Mme Desforges une contrariété d’amour-propre, en voyant discuter l’élégance d’une de ses vendeuses. C’était, chez lui, un sentiment confus, un mélange de sympathie et de colère.

– Mademoiselle, commença-t-il, nous vous avions prise par égard pour votre oncle, et il ne faut pas nous mettre dans la triste nécessité de…

Mais il s’arrêta. En face de lui, de l’autre côté du bureau, Denise se tenait droite, sérieuse et pâle. Sa robe de soie n’était plus trop large, serrant sa taille ronde, moulant les lignes pures de ses épaules de vierge ; et, si sa chevelure, nouée en grosses tresses, restait sauvage, elle tâchait du moins de se contenir. Après s’être endormie toute vêtue, les yeux épuisés de larmes, la jeune fille, en se réveillant vers quatre heures, avait eu honte de cette crise de sensibilité nerveuse. Et elle s’était mise immédiatement à rétrécir la robe, elle avait passé une heure devant l’étroit miroir, le peigne dans ses cheveux, sans pouvoir les réduire2, comme elle l’aurait voulu.

– Ah ! Dieu merci ! murmura Mouret, vous êtes mieux ce matin… Seulement, ce sont encore ces diablesses de mèches !

Il s’était levé, il vint corriger sa coiffure, du même geste familier dont Mme Aurélie avait essayé de le faire la veille.

– Tenez ! rentrez donc ça derrière l’oreille… Le chignon est trop haut.Elle n’ouvrait pas la bouche, elle se laissait arranger. Malgré son serment d’être

forte, elle était arrivée toute froide dans le cabinet, avec la certitude qu’on l’appelait pour lui signifier son renvoi. Et l’évidente bienveillance de Mouret ne la rassurait pas, elle continuait à le redouter, à ressentir près de lui ce malaise qu’elle expliquait par un trouble bien naturel, devant l’homme puissant dont sa destinée dépendait. Quand il la vit si tremblante sous ses mains qui lui effleuraient la nuque, il eut regret de ce mouvement d’obligeance3, car il craignait surtout de perdre son autorité.

Enfin, mademoiselle, reprit-il en mettant de nouveau le bureau entre elle et

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Séquence 4 — séance 2

lui, tâchez de veiller sur votre tenue. Vous n’êtes plus à Valognes, étudiez nos Parisiennes… Si le nom de votre oncle a suffi pour vous ouvrir notre maison, je veux croire que vous tiendrez ce que votre personne m’a semblé promettre. Le malheur est que tout le monde ici ne partage point mon avis… Vous voilà prévenue, n’est-ce pas ? Ne me faites pas mentir.

Il la traitait en enfant, avec plus de pitié que de bonté, sa curiosité de féminin simplement mise en éveil par la femme troublante qu’il sentait naître chez cette enfant pauvre et maladroite. Et elle, pendant qu’il la sermonnait, ayant aperçu le portrait de Mme Hédouin, dont le beau visage régulier souriait gravement dans le cadre d’or, se trouvait reprise d’un frisson, malgré les paroles encourageantes qu’il lui adressait. C’était la dame morte, celle que le quartier l’accusait d’avoir tuée, pour fonder la maison sur le sang de ses membres.

Mouret parlait toujours.– Allez, dit-il enfin, assis et continuant à écrire.Elle s’en alla, elle eut dans le corridor un soupir de profond soulagement.À partir de ce jour, Denise montra son grand courage. Sous les crises de sa

sensibilité, il y avait une raison sans cesse agissante, toute une bravoure d’être faible et seul, s’obstinant gaiement au devoir qu’elle s’imposait. Elle faisait peu de bruit, elle allait devant elle, droit à son but, par-dessus les obstacles ; et cela simplement, naturellement, car sa nature même était dans cette douceur invincible.

D’abord, elle eut à surmonter les terribles fatigues du rayon. Les paquets de vêtements lui cassaient les bras, au point que, pendant les six premières semaines, elle criait la nuit en se retournant, courbaturée, les épaules meurtries. Mais elle souffrit plus encore de ses souliers, de gros souliers apportés de Valognes, et que le manque d’argent l’empêchait de remplacer par des bottines légères. Toujours debout, piétinant du matin au soir, grondée si on la voyait s’appuyer une minute contre la boiserie, elle avait les pieds enflés, des petits pieds de fillette qui semblaient broyés dans des brodequins4 de torture ; les talons battaient de fièvre, la plante s’était couverte d’ampoules, dont la peau arrachée se collait à ses bas. Puis, elle éprouvait un délabrement du corps entier, les membres et les organes tirés par cette lassitude des jambes, de brusques troubles dans son sexe de femme, que trahissaient les pâles couleurs de sa chair. Et elle, si mince, l’air si fragile, résista, pendant que beaucoup de vendeuses devaient quitter les nouveautés, atteintes de maladies spéciales. Sa bonne grâce à souffrir, l’entêtement de sa vaillance la maintenaient souriante et droite, lorsqu’elle défaillait5, à bout de forces, épuisée par un travail auquel des hommes auraient succombé.

Ensuite, son tourment fut d’avoir le rayon contre elle. Au martyre6 physique s’ajoutait la sourde persécution de ses camarades. Après deux mois de patience et de douceur, elle ne les avait pas encore désarmées. C’étaient des mots blessants, des inventions cruelles, une mise à l’écart qui la frappait au cœur, dans son besoin de tendresse. On l’avait longtemps plaisantée sur son début fâcheux ; les mots de « sabot », de « tête de pioche » circulaient, celles qui manquaient une vente étaient envoyées à Valognes, elle passait enfin pour la bête du comptoir. Puis, lorsqu’elle se révéla plus tard comme une vendeuse remarquable, au courant désormais du mécanisme de la maison, il y eut une stupeur indignée ; et, à partir de ce moment, ces demoiselles s’entendirent de manière à ne jamais lui laisser une cliente sérieuse. Marguerite et Clara la poursuivaient d’une haine instinctive, serraient les rangs pour ne pas être mangées par cette nouvelle venue, qu’elles redoutaient sous leur affectation de dédain. Quant à Mme Aurélie, elle était blessée de la réserve fière de

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Séquence 4séance 2 —

la jeune fille, qui ne tournait pas autour de sa jupe d’un air d’admiration caressante ; aussi l’abandonnait-elle aux rancunes de ses favorites, des préférées de sa cour, toujours agenouillées, occupées à la nourrir d’une flatterie continue, dont sa forte personne autoritaire avait besoin pour s’épanouir.

Au Bonheur des Dames, Émile Zola, chapitre V

Notes :1. « reps » : tissu d’ameublement.2. « réduire » : arranger, en parlant de cheveux.3. « mouvement d’obligeance » : mouvement d’amabilité, de gentillesse.4. « brodequins » : chaussures d’étoffe, de peau, couvrant le pied et le bas de la jambe.5. « défaillait » : s’affaiblissait, se trouvait mal.6. « martyre » : ici, grande souffrance physique.

Pour vérifier ta lecture, réponds aux questions qui suivent.

A L’entretien avec le directeur

1- a) Pour quelle raison Denise est-elle convoquée par le directeur ?

b) Qu’a-t-elle fait la nuit précédente pour améliorer son image ?

c) Lorsqu’elle se rend chez le directeur, de quoi Denise est-elle persuadée ?

2- a) Comment Mouret traite-t-il la jeune femme ?

b) Relève dans l’extrait une phrase qui pourrait correspondre à cette image tirée du film d’André Cayatte, Au Bonheur des Dames, réalisé en 1943.

Au Bonheur des Dames, A. Cayatte (1943).Denise et Mouret.

Vérifie tes réponses dans le corrigé avant de poursuivre ton travail. Attention, les questions qui suivent portent exclusivement sur le passage situé entre les lignes 49 et 86.

B Analyser le vocabulaire de la souffrance

1- Les souffrances endurées par Denise sont de deux natures différentes. Lesquelles ?

2- « le martyre physique »

a) Souligne, dans les lignes 54 à 69, les mots et expressions désignant les souffrances physiques précises de Denise.

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Séquence 4 — séance 2

b) Dans ce passage, certains mots ou expressions sont synonymes (= de même sens). À toi de les retrouver en t’aidant de l’initiale :

F _ _ _ _ _ _ (S) = L _ _ _ _ _ _ _ _

À _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ = É_ _ _ _ _ _

c) Voici des listes de mots employés dans ce passage. Recopie chaque liste en classant les termes par leur sens : du plus faible au plus fort. Tu peux consulter le dictionnaire pour t’aider.

– Liste 1 : maladies – fatigues – troubles – Liste 2 : meurtries – broyés – courbaturée – Liste 3 : défaillir – succomber – souffrir

3- « la sourde persécution de ses camarades » (l. 71)

a) Souligne dans les lignes 70 à 82 les mots ou expressions désignant les différentes façons dont Denise est persécutée par ses collègues.

b) Quels sont les deux mots qu’emploient les vendeuses pour parler de Denise ?

c) Recherche dans le dictionnaire les différents sens de l’adjectif qualificatif « sourd » et recopie celui qui correspond à l’expression « la sourde persécution de ses camarades ».

4- a) « À partir de ce jour, Denise montra son grand courage » (l. 49). Surligne dans la suite du texte (l. 49 à 67) deux synonymes du mot «courage ».

b) « Elle allait devant elle, droit à son but par-dessus les obstacles ; […] » (l. 52). Par quel nom peut-on désigner le trait de caractère dont fait preuve Denise ? Tu trouveras la réponse dans les lignes qui suivent.

c) Relève dans le dernier paragraphe une expression qui annonce l’évolution des qualités de vendeuse de Denise.

Tu peux maintenant vérifier tes réponses dans le corrigé. Puis tu recopieras et mémoriseras le « Je retiens » qui suit.

Le vocabulaire de la souffrance

Dans ce passage, les souffrances endurées par Denise sont à la fois physiques (fatigue, épuisement, courbatures, ampoules) et morales (mots blessants, moqueries, humiliation).

Le lexique est varié et permet d’exprimer des degrés différents dans la souffrance.

Les noms : délabrement, lassitude, tourment, persécution, martyre, torture.

Les verbes : meurtrir, blesser, défaillir, souffrir, succomber.

je retiens

C expression écrite

Pour terminer cette séance, tu vas faire un petit exercice d’écriture.

Tu décriras, dans un petit paragraphe de 5 à 8 lignes, une personne effectuant un métier difficile et fatigant.

Pour réussir ton exercice, tu dois :

– décrire une personne effectuant un métier difficile et fatigant

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Séquence 4séance 3 —

– employer le vocabulaire de la souffrance étudié dans cette séance

– conjuguer les verbes à l’imparfait.

Fais d’abord cet exercice au brouillon. Vérifie ensuite que tu as bien respecté les consignes.

Mets une croix dans le tableau quand c’est le cas.

Je vérifie que… Fait

J’ai décrit une personne effectuant un métier difficile et fatigant.

J’ai employé le vocabulaire de la souffrance étudié dans la séance.

J’ai conjugué les verbes à l’imparfait.

Quand tu as vérifié ton paragraphe, recopie-le dans ton cahier puis lis dans le corrigé un exemple de ce qu'il était possible d'écrire.Maintenant, achève la lecture du chapitre V : les difficultés financières de Denise, sa relation avec Pauline, la sortie à la campagne. Tu peux aussi commencer à lire le chapitre VI pour préparer la séance suivante.

Séance 3Étudier la condition des employés au XIXe siècle

Durée de la séance : 2 heures.Denise s’est liée d’amitié avec une vendeuse du rayon lingerie, Pauline, qui lui témoigne beaucoup de sympathie. Mais elle subit toujours les moqueries de ses collègues. Dans cette séance, tu vas étudier la condition des employés au XIXe siècle. Tu travailleras donc sur le lexique de la critique sociale. Tu découvriras également le fonctionnement des propositions subordonnées circonstancielles de cause, de conséquence et de but.Lis maintenant très attentivement l’extrait qui suit et écoute le début à la piste 9 de ton CD. Il s’agit du début du chapitre VI.

Quand la morte-saison d’été fut venue, un vent de panique souffla au Bonheur des Dames. C’était le coup de terreur des congés, les renvois en masse dont la direction balayait le magasin, vide de clientes pendant les chaleurs de juillet et d’août.

Mouret, chaque matin, lorsqu’il faisait avec Bourdoncle son inspection, prenait à part les chefs de comptoir, qu’il avait poussés, l’hiver, pour que la vente ne souffrît pas, à engager plus de vendeurs qu’il ne leur en fallait, quitte à écrémer1 ensuite leur personnel. Il s’agissait maintenant de diminuer les frais, en rendant au pavé un bon tiers des commis, les faibles qui se laissaient manger par les forts.

– Voyons, disait-il, vous en avez là-dedans qui ne font pas votre affaire… On ne peut les garder pourtant à rester ainsi, les mains ballantes.

Et, si le chef de comptoir hésitait, ne sachant lesquels sacrifier :– Arrangez-vous, six vendeurs doivent vous suffire… Vous en reprendrez en

octobre, il en traîne assez dans les rues !

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D’ailleurs, Bourdoncle se chargeait des exécutions. Il avait, de ses lèvres minces, un terrible : « Passez à la caisse ! » qui tombait comme un coup de hache. Tout lui devenait prétexte pour déblayer le plancher. Il inventait des méfaits2, il spéculait sur les plus légères négligences . « Vous étiez assis, monsieur : passez à la caisse ! – Vous répondez, je crois : passez à la caisse ! – Vos souliers ne sont pas cirés : passez à la caisse ! » Et les braves eux-mêmes tremblaient, devant le massacre qu’il laissait derrière lui. Puis, la mécanique ne fonctionnant pas assez vite, il avait imaginé un traquenard, où, en quelques jours, il étranglait sans fatigue le nombre de vendeurs condamnés d’avance. Dès huit heures, il se tenait debout sous la porte, sa montre à la main ; et, à trois minutes de retard, l’implacable : « Passez à la caisse ! » hachait les jeunes gens essoufflés. C’était de la besogne vivement et proprement faite.

– Vous avez une sale figure, vous ! finit-il par dire un jour à un pauvre diable dont le nez de travers l’agaçait. Passez à la caisse !

Les protégés obtenaient quinze jours de vacances, qu’on ne leur payait pas, ce qui était une façon plus humaine de diminuer les frais. Du reste, les vendeurs acceptaient leur situation précaire3, sous le fouet de la nécessité et de l’habitude. Depuis leur débarquement à Paris, ils roulaient sur la place, ils commençaient leur apprentissage à droite, le finissaient à gauche, étaient renvoyés ou s’en allaient d’eux-mêmes, tout d’un coup, au hasard de l’intérêt. L’usine chômait, on supprimait le pain aux ouvriers ; et cela passait dans le branle4 indifférent de la machine, le rouage inutile était tranquillement jeté de côté, ainsi qu’une roue de fer, à laquelle on ne garde aucune reconnaissance des services rendus. Tant pis pour ceux qui ne savaient pas se tailler leur part !

Maintenant, les rayons ne causaient plus d’autre chose. Chaque jour, de nouvelles histoires circulaient. On nommait les vendeurs congédiés, comme, en temps d’épidémie, on compte les morts. Les châles et les lainages surtout furent éprouvés : sept commis y disparurent en une semaine. Puis, un drame bouleversa la lingerie, où une acheteuse s’était trouvée mal, en accusant la demoiselle qui la servait de manger de l’ail ; et celle-ci fut chassée sur l’heure, bien que, peu nourrie et toujours affamée, elle achevât simplement au comptoir toute une provision de croûtes de pain. La direction se montrait impitoyable, devant la moindre plainte des clientes ; aucune excuse n’était admise, l’employé avait toujours tort, devait disparaître ainsi qu’un instrument défectueux, nuisant au bon mécanisme de la vente ; […].

Cependant, Denise, au milieu de ce coup de balai, était si menacée, qu’elle vivait dans la continuelle attente d’une catastrophe. Elle avait beau être courageuse, lutter de toute sa gaieté et de toute sa raison, pour ne pas céder aux crises de sa nature tendre : des larmes l’aveuglaient dès qu’elle avait refermé la porte de sa chambre, elle se désolait en se voyant à la rue, fâchée avec son oncle, ne sachant où aller, sans un sou d’économie, et ayant sur les bras les deux enfants. Les sensations des premières semaines renaissaient, il lui semblait être un grain de mil5 sous une meule puissante ; et c’était, en elle, un abandon découragé, à se sentir si peu de chose, dans cette grande machine qui l’écraserait avec sa tranquille indifférence. Aucune illusion n’était possible : si l’on congédiait une vendeuse des confections, elle se trouvait désignée. Sans doute, pendant la partie de Rambouillet, ces demoiselles avaient monté la tête de Mme Aurélie, car cette dernière la traitait depuis lors d’un air de sévérité, où il entrait comme une rancune. On ne lui pardonnait pas d’ailleurs d’être allée à Joinville, on voyait là une révolte, une façon de narguer le comptoir tout entier, en s’affichant dehors avec une demoiselle du comptoir ennemi. Jamais Denise n’avait plus souffert au rayon, et maintenant elle désespérait de le conquérir.

– Laissez-les donc ! répétait Pauline, des poseuses qui sont bêtes comme des oies !

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Mais c’était justement ces allures de dame qui intimidaient la jeune fille. Presque toutes les vendeuses, dans leur frottement quotidien avec la clientèle riche, prenaient des grâces, finissaient par être d’une classe vague, flottant entre l’ouvrière et la bourgeoise ; et, sous leur art de s’habiller, sous les manières et les phrases apprises, il n’y avait souvent qu’une instruction fausse, la lecture des petits journaux, des tirades de drame, toutes les sottises courantes du pavé de Paris.

– Vous savez que la mal-peignée a un enfant, dit un matin Clara, en arrivant au rayon.

Et, comme on s’étonnait :– Puisque je l’ai vue hier soir qui promenait le mioche !... Elle doit le remiser6

quelque part.À deux jours de là, Marguerite, en remontant de dîner, donna une autre nouvelle.– C’est du propre, je viens de voir l’amant de la mal peignée… Un ouvrier,

imaginez-vous ! oui, un sale petit ouvrier, avec des cheveux jaunes, qui la guettait à travers les vitres.

Dès lors, ce fut une vérité acquise : Denise avait un manœuvre pour amant, et cachait un enfant dans le quartier. On la cribla d’allusions méchantes. La première fois qu’elle comprit, elle devint toute pâle, devant la monstruosité de pareilles suppositions. C’était abominable, elle voulut s’excuser, elle balbutia :

– Mais ce sont mes frères !– Oh ! ses frères ! dit Clara de sa voix de blague.Il fallut que Mme Aurélie intervînt.– Taisez-vous ! mesdemoiselles, vous feriez mieux de changer ces étiquettes…

Mlle Baudu est bien libre de se mal conduire dehors. Si elle travaillait ici, au moins !Et cette défense sèche était une condamnation. La jeune fille, suffoquée comme

si on l’avait accusée d’un crime, tâcha vainement d’expliquer les faits. On riait, on haussait les épaules. Elle en garda une plaie vive au cœur. Deloche, lorsque le bruit se répandit, fut tellement indigné, qu’il parlait de gifler ces demoiselles des confections ; et, seule, la crainte de la compromettre le retint. Depuis la soirée de Joinville, il avait pour elle un amour soumis, une amitié presque religieuse, qu’il lui témoignait par ses regards de bon chien. Personne ne devait soupçonner leur affection, car on se serait moqué d’eux ; mais cela ne l’empêchait pas de rêver de brusques violences, le coup de poing vengeur, si jamais on s’attaquait à elle devant lui.

Denise finit par ne plus répondre. C’était trop odieux, personne ne la croirait. Quand une camarade risquait une nouvelle allusion, elle se contentait de la regarder fixement, d’un air triste et calme. D’ailleurs, elle avait d’autres ennuis, des soucis matériels qui la préoccupaient davantage. Jean continuait à n’être pas raisonnable, il la harcelait toujours de demandes d’argent. Peu de semaines se passaient, sans qu’elle reçût de lui toute une histoire, en quatre pages ; et quand le vaguemestre7 de la maison lui remettait ces lettres d’une grosse écriture passionnée, elle se hâtait de les cacher dans sa poche, car les vendeuses affectaient de rire, en chantonnant des gaillardises8. Puis, après avoir inventé des prétextes pour aller déchiffrer les lettres à l’autre bout du magasin, elle était prise de terreurs : ce pauvre Jean lui semblait perdu. Toutes les bourdes9 réussissaient auprès d’elle, des aventures d’amour extraordinaires, dont son ignorance de ces choses exagérait encore les périls. C’étaient une pièce de quarante sous pour échapper à la jalousie d’une femme, et des cinq francs, et des six francs qui devaient réparer l’honneur d’une pauvre fille, que son père tuerait sans cela. Alors, comme ses appointements et son tant pour cent10 ne suffisaient point, elle avait eu l’idée de chercher un petit travail, en dehors de son emploi. Elle s’en était ouverte à

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Robineau, qui lui restait sympathique, depuis leur première rencontre chez Vinçard ; et il lui avait procuré des nœuds de cravate, à cinq sous la douzaine. La nuit, de neuf heures à une heure, elle pouvait en coudre six douzaines, ce qui lui faisait trente sous, sur lesquels il fallait déduire une bougie de quatre sous.

Au Bonheur des Dames, Émile Zola, chapitre VI

Notes :1. « écrémer » : licencier une partie du personnel.2. « méfaits » : mauvaises actions.3. « précaire » : instable, dont la durée est incertaine.4. « branle » : mouvement.5. « mil » : céréale à petits grains cultivée surtout en Afrique.6. « remiser » : mettre à l’écart pour le cacher.7. « vaguemestre » : ici, personne chargée de remettre le courrier aux employés.8. « gaillardises » : paroles un peu libres et osées.9. « bourdes » : mensonges.10. « tant pour cent » : pourcentage du chiffre de la vente reversé aux vendeurs.

Pour vérifier ta lecture, tu vas répondre aux questions suivantes qui portent toutes sur le passage situé entre les lignes 1 et 45.

A « Le coup de terreur des congés »1- « Un vent de panique » (l. 1)

a) Pourquoi un « vent de panique » souffle-t-il au Bonheur des Dames ?

b) Pourquoi cela intervient-il en été ?

2- a) Quel personnage se charge de renvoyer les commis ?

b) Quelle phrase ce personnage prononce-t-il toujours pour annoncer aux vendeurs qu’ils sont renvoyés ?

c) Recopie trois exemples de motifs utilisés pour licencier les employés.

d) Ces motifs te paraissent-ils justes ?

Compare maintenant tes réponses avec le corrigé puis poursuis ton travail.

B La critique sociale

1- a) Les renvois sont désignés par le mot « exécutions » (l. 14). Souligne, dans les lignes 14 à 24, cinq termes qui développent cette métaphore*.

b) Relie chacun des verbes suivants à son complément et tu retrouveras quatre expressions employées dans l’extrait pour exprimer le renvoi des commis.

Verbes Compléments

écrémerbalayer rendredéblayer

••••

••••

au pavé le plancherle personnelle magasin

c) D’après tes réponses aux questions a) et b), l’image de ces renvois est-elle péjorative* ou méliorative* ?

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Séquence 4 — séance 3

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2- a) Pourquoi les vendeurs acceptent-ils leur « situation précaire » ?

b) Complète ce schéma sur l’emploi des métaphores* à l’aide de mots du texte.

le magasin

machine

mécanique

les employés

____________

____________

c) De manière générale, les directeurs de magasins ou d’usines se préoccupent-ils du sort de leurs employés ? Relève dans les lignes 27 à 35 une expression qui t’a permis de répondre.

3- « L’usine chômait, on supprimait le pain aux ouvriers » (l. 32)

a) Souligne deux mots dans cette phrase qui montrent que le propos du narrateur ne concerne plus seulement les commis du Bonheur des Dames mais prend une dimension plus générale.

b) Dans cette phrase, quelle relation logique (opposition, cause, conséquence, but, condition) y a-t-il entre les deux propositions ?

c) Réécris cette phrase en exprimant cette relation logique par une conjonction de coordination ou de subordination.

d) Comment cette phrase traduit-elle l’aspect mécanique et répétitif des licenciements ?

4- a) Relève dans les lignes 27 à 35 une phrase dans laquelle le narrateur intervient pour émettre un jugement. Observe particulièrement le type de phrase employé.

b) D’après l’ensemble de tes réponses précédentes, précise quel regard le narrateur porte sur la façon dont les employés sont traités et renvoyés.

Tu peux vérifier tes réponses dans le corrigé. Passe maintenant à l’exercice d’expression écrite qui suit.

C expression écrite

Pour terminer cette séance, tu vas maintenant faire un petit travail d’expression écrite.

Sujet : Comment Émile Zola présente-t-il dans cet extrait la condition des employés au XIXe siècle ?

Rédige sur ton cahier de brouillon un paragraphe argumenté de quelques lignes.

Ton paragraphe comprendra les mots clés suivants : renvois – précaire - indifférence – mécanique – métaphore – péjoratif – jugement – dénoncer.

Séquence 4séance 3 —

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Comment structurer sa réponse argumentée ?

On attend une réponse claire et synthétique. La réponse comporte :

– une brève introduction qui est une réponse claire à la question. Cette réponse reprend les éléments de la question.

Ex. : À quel registre appartient le texte étudié ? Le texte étudié est fantastique.

– un développement composé de justifications qui sont des arguments.

Les arguments sont des éléments qui justifient un point de vue. Dans un texte littéraire, ce peut être des procédés littéraires et linguistiques ou des thèmes.

Quand il y a plusieurs arguments, il est nécessaire de les introduire par des connecteurs (mots de liaison) tels que « d’abord », « ensuite », « enfin »… :

Ex. : Le texte étudié est fantastique (réponse/point de vue). D’abord, il est écrit à la première personne du singulier comme la plupart des textes fantastiques (argument 1). Ensuite, le champ lexical de la peur y est omniprésent (argument 2).

Compare maintenant ton paragraphe argumenté avec celui proposé dans le corrigé, puis recopie-le sur ton cahier sous la forme d’un « Je retiens ».

D Les propositions subordonnées circonstancielles : cause, conséquence, but

Tu vas maintenant travailler sur les propositions subordonnées circonstancielles. Avant d’effectuer ce travail, lis attentivement le rappel ci-dessous.

Rappel :

• On appelle phrase complexe une phrase comportant plusieurs propositions, donc plusieurs verbes conjugués.

• Dans une phrase complexe, les propositions peuvent être :

– juxtaposées : reliées par un signe de ponctuation

– coordonnées : reliées par une conjonction de coordination (mais, ou, et, donc, or, ni, car) ou par un adverbe de liaison (alors, ensuite, puis…)

– subordonnées : reliées par un mot subordonnant (pronom relatif, conjonction de subordination, mot interrogatif).

1- Voici trois phrases dans lesquelles des propositions subordonnées circonstancielles ont été soulignées.

Phrase 1 : « Cependant Denise, au milieu de ce coup de balai, était si menacée, qu’elle vivait dans la continuelle attente d’une catastrophe. »

Phrase 2 : « Alors, comme ses appointements et son tant pour cent ne suffisaient point, elle avait eu l’idée de chercher un petit travail, en dehors de son emploi. »

Phrase 3 : « Mouret, chaque matin, lorsqu’il faisait avec Bourdoncle son inspection, prenait à part les chefs de comptoir, qu’il avait poussés, l’hiver, pour que la vente ne souffrît pas, à engager plus de vendeurs qu’il ne leur en fallait, quitte à écrémer ensuite leur personnel. »

a) Encadre la conjonction de subordination (ou locution conjonctive) employée dans chaque proposition subordonnée.

Séquence 4 — séance 3

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b) Précise pour chaque phrase la circonstance (temps, cause, conséquence, opposition, condition, but…) exprimée par la proposition subordonnée.

c) Quel est le mode et le temps du verbe « souffrît » employé dans la phrase 3 ? Tu peux consulter des tableaux de conjugaison pour t’aider, et tu seras attentif à la terminaison verbale en -ît.

Vérifie maintenant tes réponses dans le corrigé. Puis recopie et mémorise le « Je retiens » qui suit.

Les propositions subordonnées circonstancielles de cause, de conséquence et de but

1- La cause et la conséquence

• Cause et conséquence sont deux notions étroitement liées. Un événement est à l’origine (= la cause) d’un autre, qui en est le résultat (= la conséquence).

•Ilestpossibled’insistersurlacause :

> Les employés craignaient Bourdoncle parce qu’il se chargeait des renvois.

ou la conséquence : cause (raison)

> Bourdoncle se chargeait des renvois si bien que les employés le craignaient.

conséquence (résultat)

La proposition subordonnée circonstancielle de cause est introduite par les conjonctions de subordination suivantes : parce que, puisque, comme, étant donné que et le verbe qu’elle contient est en général à l’indicatif.

La proposition subordonnée circonstancielle de conséquence est introduite par les conjonctions de subordination suivantes : de sorte que, si bien que. Elle peut aussi être introduite par que et dépend alors d’un adverbe d’intensité (si, tellement, tant) situé dans la proposition principale. Son verbe est généralement à l’indicatif.

> Jean a tellement besoin d’argent qu’il en demande régulièrement à Denise.

2- La proposition subordonnée circonstancielle de but

•Lapropositionsubordonnéecirconstancielledebut exprime l’objectif à atteindre.

Elle est introduite par les conjonctions de subordination : pour que, afin que, de peur, de crainte que.

Le verbe de la subordonnée est conjugué au mode subjonctif :

> Denise donne le meilleur d’elle-même afin que Mouret soit satisfait.

je retiens

Entraîne-toi maintenant en faisant le petit exercice suivant.

2- Dans les phrases suivantes, souligne la proposition subordonnée circonstancielle, encadre la conjonction de subordination et indique en dessous la circonstance (cause, conséquence, but). Attention, tu as trois opérations à faire pour réaliser cet exercice.

– Comme les clientes sont moins nombreuses l’été, il faut renvoyer un tiers des commis.

– Denise donne de l’argent à son frère, afin qu’il puisse payer ses dettes.

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– La jeune vendeuse était si courageuse qu’elle avait pris un second travail.

– Une cliente s’est plainte parce qu’une vendeuse avait mangé de l’ail.

Vérifie tes réponses dans le corrigé.

Denise conservera-t-elle sa place ? Pour le savoir, achève la lecture du chapitre VI.

Ensuite, lis les chapitres VII et VIII : comment et pourquoi tout un quartier de Paris se transforme-t-il ?

Séance 4Comprendre la stratégie commerciale de Mouret

Durée de la séance : 1 h 30.

Lis le petit résumé qui suit.

Denise a été renvoyée du Bonheur des Dames. Elle a, en effet, refusé les avances de l’inspecteur Jouve qui surveille les employés du magasin. Elle est par ailleurs accusée à tort de recevoir son amant dans les locaux du Bonheur des Dames, alors qu’il s’agit en réalité de son frère Jean. Denise loue alors une chambre chez le vendeur de parapluies, le vieux Bourras, et trouve un emploi chez Robineau, un ancien employé du grand magasin qui a ouvert sa propre boutique. Mouret est mécontent du renvoi de la jeune fille et lui propose, lors d’une rencontre fortuite aux Tuileries, de reprendre sa place au Bonheur des Dames. Denise accepte sa proposition et retourne travailler pour le grand magasin qui s’est considérablement agrandi, grâce à l’aide du financier, le baron Hartmann. Mouret inaugure ses magasins neufs par une grande exposition des nouveautés d’été.

Dans cette séance, tu vas étudier la stratégie commerciale de Mouret, un homme moderne, qui a compris le profit que l’on peut tirer de la publicité et de la connaissance psychologique de la femme.

Lis maintenant le texte qui suit. Il s’agit d’un extrait situé au début du chapitre IX.

Dès six heures, cependant, Mouret était là, donnant ses derniers ordres. Au centre, dans l’axe de la porte d’honneur, une large galerie allait de bout en bout, flanquée à droite et à gauche de deux galeries plus étroites, la galerie Monsigny et la galerie Michodière. On avait vitré les cours, transformées en halls ; et des escaliers de fer s’élevaient du rez-de-chaussée, des ponts de fer étaient jetés d’un bout à l’autre, aux deux étages. L’architecte, par hasard intelligent, un jeune homme amoureux des temps nouveaux, ne s’était servi de la pierre que pour les sous-sols et les piles d’angles, puis avait monté toute l’ossature en fer, des colonnes supportant l’assemblage des poutres et des solives1. Les voûtins2 des planchers, les cloisons des distributions intérieures, étaient en briques. Partout on avait gagné de l’espace, l’air et la lumière entraient librement, le public circulait à l’aise, sous le jet hardi des fermes3 à longue portée. C’était la cathédrale du commerce moderne, solide et légère, faite pour un peuple de clientes. En bas, dans la galerie centrale, après les soldes de la porte, il y avait les cravates, la ganterie, la soie ; la galerie Monsigny était occupée par le blanc et la rouennerie4, la galerie Michodière par la mercerie, la bonneterie, la draperie et les lainages. Puis, au premier, se trouvaient les confections, la lingerie, les châles,

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les dentelles, d’autres rayons nouveaux, tandis qu’on avait relégué au second étage la literie, les tapis, les étoffes d’ameublement, tous les articles encombrants et d’un maniement difficile. À cette heure, le nombre des rayons était de trente-neuf, et l’on comptait dix-huit cents employés, dont deux cents femmes. Un monde poussait là, dans la vie sonore des hautes nefs5 métalliques.

Mouret avait l’unique passion de vaincre la femme. Il la voulait reine dans sa maison, il lui avait bâti ce temple, pour l’y tenir à sa merci. C’était toute sa tactique, la griser6 d’attentions galantes et trafiquer de ses désirs, exploiter sa fièvre. Aussi, nuit et jour, se creusait-il la tête, à la recherche de trouvailles nouvelles. Déjà, voulant éviter la fatigue des étages aux dames délicates, il avait fait installer deux ascenseurs, capitonnés7 de velours. Puis, il venait d’ouvrir un buffet, où l’on donnait gratuitement des sirops et des biscuits, et un salon de lecture, une galerie monumentale, décorée avec un luxe trop riche, dans laquelle il risquait même des expositions de tableaux. Mais son idée la plus profonde était, chez la femme sans coquetterie, de conquérir la mère par l’enfant ; il ne perdait aucune force, spéculait sur tous les sentiments, créait des rayons pour petits garçons et fillettes, arrêtait les mamans au passage, en offrant aux bébés des images et des ballons. Un trait de génie que cette prime des ballons, distribuée à chaque acheteuse, des ballons rouges, à la fine peau de caoutchouc, portant en grosses lettres le nom du magasin, et qui, tenus au bout d’un fil, voyageant en l’air, promenaient par les rues une réclame vivante !

La grande puissance était surtout la publicité. Mouret en arrivait à dépenser par an trois cent mille francs de catalogues, d’annonces et d’affiches. Pour sa mise en vente des nouveautés d’été, il avait lancé deux cent mille catalogues, dont cinquante mille à l’étranger, traduits dans toutes les langues. Maintenant, il les faisait illustrer de gravures, il les accompagnait même d’échantillons, collés sur les feuilles. C’était un débordement d’étalages, le Bonheur des Dames sautait aux yeux du monde entier, envahissait les murailles, les journaux, jusqu’aux rideaux des théâtres.

Il professait8 que la femme est sans force contre la réclame, qu’elle finit fatalement par aller au bruit. Du reste, il lui tendait des pièges plus savants, il l’analysait en grand moraliste. Ainsi, il avait découvert qu’elle ne résistait pas au bon marché, qu’elle achetait sans besoin, quand elle croyait conclure une affaire avantageuse ; et, sur cette observation, il basait son système des diminutions de prix, il baissait progressivement les articles non vendus, préférant les vendre à perte, fidèle au principe du renouvellement rapide des marchandises. Puis, il avait pénétré plus avant encore dans le cœur de la femme, il venait d’imaginer « les rendus », un chef-d’œuvre de séduction jésuitique9. « Prenez toujours, madame : vous nous rendrez l’article, s’il cesse de vous plaire. » Et la femme, qui résistait, trouvait là une dernière excuse, la possibilité de revenir sur une folie : elle prenait, la conscience en règle. Maintenant, les rendus et la baisse des prix entraient dans le fonctionnement classique du nouveau commerce.

Mais où Mouret se révélait comme un maître sans rival, c’était dans l’aménagement intérieur des magasins. Il posait en loi que pas un coin du Bonheur des Dames ne devait rester désert ; partout, il exigeait du bruit, de la foule, de la vie ; car la vie, disait-il, attire la vie, enfante et pullule10. De cette loi, il tirait toutes sortes d’applications. D’abord, on devait s’écraser pour entrer, il fallait que, de la rue, on crût à une émeute ; et il obtenait cet écrasement, en mettant sous la porte les soldes, des casiers et des corbeilles débordant d’articles à vil prix ; si bien que le menu peuple s’amassait, barrait le seuil, faisait penser que les magasins craquaient de monde, lorsque souvent ils n’étaient qu’à demi pleins. Ensuite, le long des galeries,

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il avait l’art de dissimuler les rayons qui chômaient, par exemple les châles en été et les indiennes en hiver ; il les entourait de rayons vivants, les noyait dans du vacarme. Lui seul avait encore imaginé de placer au deuxième étage les comptoirs des tapis et des meubles, des comptoirs où les clientes étaient plus rares, et dont la présence au rez-de-chaussée aurait creusé des trous vides et froids. S’il en avait découvert le moyen, il aurait fait passer la rue au travers de sa maison.

Au Bonheur des Dames, Émile Zola, chapitre IX

Notes :1. « solives » : pièces de charpente sur lesquelles sont fixés les planchers.2. « voûtins » : parties d’une voûte.3. « fermes » : pièces maîtresses de charpentes supportant la toiture.4. « rouennerie » : toiles de coton fabriquées à Rouen.5. « nefs » : parties situées entre le portail et le chœur des églises, où se tiennent les fidèles.6. « griser » : enivrer, étourdir.7. « capitonnés » : rembourrés.8. « professait » : déclarait hautement.9. « jésuitique » : hypocrite.10. « pullule » : se multiplie, se reproduit.

Pour vérifier ta lecture, réponds maintenant aux questions qui suivent.

A Un magasin moderne

1- Cet extrait comporte cinq paragraphes. Voici les principaux thèmes abordés dans chacun d’eux. Numérote-les de façon à respecter l’ordre du texte.

– la force de la publicité : no __

– la psychologie de la femme : no __

– l’architecture et la structure du magasin : no __

– les aménagements intérieurs des magasins : no __

– des attentions pour les femmes : no __

Les questions qui vont suivre portent sur les deux premiers paragraphes de l’extrait (l. 1 à 36).

2- a) Un architecte intelligent a réalisé les travaux d’agrandissement du Bonheur des Dames. Quels sont les deux principaux matériaux de construction de cette architecture « des temps nouveaux » ?

b) Souligne dans le premier paragraphe une phrase qui montre que cette architecture rend le magasin plus agréable.

c) Voici une gravure représentant le nouvel escalier du Bon Marché, un des grands magasins du Second Empire dont s’est inspiré Émile Zola pour son roman.

Complète les différentes légendes en t’aidant du texte.

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« des______________de fer s’élevaient du rez-de-chaussée. »

« Des __________ »« On avait_______les cours, transformées en _______ »

d) Quelle métaphore* est employée dans le premier paragraphe pour désigner le Bonheur des Dames ?

e) Quel effet de sens l’utilisation de cette métaphore implique-t-elle ?

3- a) Souligne dans le deuxième paragraphe les aménagements conçus par Mouret pour le confort des clientes.

b) Quels nouveaux rayons crée-t-il pour « conquérir la mère par l’enfant » (l. 30-31) ?

Tu vas maintenant vérifier tes réponses dans le corrigé avant de poursuivre ton travail.

B Le triomphe de la publicité

1- a) Quel synonyme de « publicité » est employé plusieurs fois dans cet extrait ?

b) Relis attentivement le troisième paragraphe et cite les quatre supports employés pour faire la publicité du magasin Au Bonheur des Dames.

c) Comment Mouret réussit-il à rendre ses catalogues plus attrayants ?

Vérifie tes réponses puis passe à l’exercice suivant.

2- Expression écrite.

Voici une affiche publicitaire pour le grand magasin Au Paradis des Dames. Observe-la attentivement puis décris-la en quelques lignes en analysant les arguments de vente du magasin.

Le grand escalier des magasins du Bon Marché, rue de Sèvres, à Paris, VIIe arr., vers 1872. Gravure de Karl Fichot (1872), © BnF

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Delas imprimeur. Affiche publicitaire, 1856, © BnF, Estampes et Photographie.

Pour réussir ton exercice, tu dois :– décrire et expliquer ce que représente le dessin– analyser le texte présent sur l’affiche et la typographie (= les différents types de caractères

utilisés et leur mise en valeur) employée– identifier les différents arguments de vente du magasin.

Fais d’abord cet exercice au brouillon. Vérifie ensuite que tu as bien respecté les consignes.Mets une croix dans le tableau quand c’est le cas.

Je vérifie que… Fait

J’ai décrit et expliqué ce que représente le dessin.

J’ai analysé le texte de l’affiche et la typographie employée.

J’ai identifié les différents arguments de vente du magasin.Recopie ton texte dans ton cahier puis lis dans le corrigé un exemple de ce qu'il était possible d'écrire.

C L’analyse de la femme

Ces questions portent sur le quatrième paragraphe situé entre les lignes 38 et 48.

1- a) Souligne dans le début de ce passage les deux observations que fait Mouret sur la psychologie féminine et sur lesquelles il base son système de vente.

b) Explique en quelques mots en quoi consiste le système des « rendus ».

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2- a) Mouret étudie soigneusement la psychologie féminine. Retrouve et recopie dans le passage deux expressions qui l’expriment.

b) Mouret tendait « des pièges » aux femmes. Comment considère-t-il alors les clientes ?

Vérifie maintenant tes réponses puis recopie le « Je retiens » qui suit et mémorise-le.

La stratégie commerciale de mouret

Mouret est un homme moderne : il analyse parfaitement les enjeux du nouveau commerce et met en place un système de vente efficace qui s’appuie sur :

•unearchitecturedumagasinagréableetlumineuse

•desaménagementsintérieursefficacesquiséduisentlaclientèleféminine

•lerecoursàlapublicité

•laventeparcorrespondance

•ladiminutiondesprixetlesystèmedesrendus.

je retiens

Le coin des curieux…• Les magasins dits « de nouveautés » apparaissent au XVIIIe siècle et deviennent les

grands magasins au XIXe siècle. Leur création entraînent des changements importants dans le commerce car ils s’appuient sur des pratiques nouvelles : l’affichage et l’étiquetage des prix, la baisse des prix, le recours à la publicité.

•1852 : création du Bon marché par Aristide Boucicaut.

•1855 : création des Grands magasins du Louvre par Alfred Chauchard et Auguste Hériot.

•1865 : naissance du Printemps fondé par Jules Jalouzot.

•1870 : création de La Samaritaine par Ernest Cognacq et Louise Jay.

•1893 : ouverture des Galeries Lafayette, fondées par Théophile Bader et Alphonse Khan.

Achève la lecture du chapitre IX dans lequel est relatée une journée exceptionnelle, celle de la grande vente du lundi. Tu comprendras que cette journée est importante pour le Bonheur des Dames et pour Denise aussi.

Ensuite lis le chapitre X : en ce dimanche d’inventaire, Denise est très troublée par une invitation à dîner : l’acceptera-t-elle ?

Poursuis ta lecture du roman avec les chapitres XI (tu y rencontreras le baron) et XII (où commence le « règne de Denise »).

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Séance 5Analyser le succès de Denise

Durée de la séance : 1 h 30.

Lis maintenant le petit résumé qui suit.

Mouret, le directeur du Bonheur des Dames, est tombé amoureux de Denise. La jeune fille, attirée elle aussi, résiste pourtant à ses avances parce qu’il multiplie les conquêtes et ne se comporte pas en homme sérieux. Mme Desforges, maîtresse de Mouret, devient jalouse de la jeune vendeuse et tente de l’humilier. Mais Denise a pris désormais un réel ascendant sur le directeur, qui prend sa défense et lui avoue son amour lors d’une dispute. La jeune fille décide alors de faire de lui un « brave homme » et de lui donner quelques conseils pour améliorer le fonctionnement du Bonheur des Dames.

Dans cette séance, tu vas analyser le succès de Denise et les réformes qu’elle suggère à Mouret. Tu travailleras également sur l’orthographe de quelques séries suffixales et préfixales.

Maintenant, lis attentivement l’extrait ci-dessous qui est tiré du chapitre XII.

Le lendemain, Denise était nommée première. La direction avait dédoublé le rayon des robes et costumes, en créant spécialement en sa faveur un rayon de costumes pour enfants, qui fut installé près du comptoir des confections. Depuis le renvoi de son fils, Mme Aurélie tremblait, car elle sentait ces messieurs devenir froids, et elle voyait de jour en jour grandir la puissance de la jeune fille. N’allait-on pas la sacrifier à cette dernière, en profitant d’un prétexte quelconque ? Son masque d’empereur soufflé de graisse semblait avoir maigri de la honte qui entachait maintenant la dynastie des Lhomme ; et elle affectait de s’en aller chaque soir au bras de son mari, rapprochés tous deux par l’infortune1, comprenant que le mal venait de la débandade de leur intérieur2 ; tandis que le pauvre homme, plus affecté3 qu’elle, dans la peur maladive qu’on ne le soupçonnât lui-même de vol, comptait deux fois les recettes, bruyamment, en faisant avec son mauvais bras de véritables miracles. Aussi, lorsqu’elle vit Denise passer première aux costumes pour enfants, éprouva-t-elle une joie si vive, qu’elle afficha à l’égard de celle-ci les sentiments les plus affectueux. C’était bien beau de ne pas lui avoir pris sa place. Et elle la comblait d’amitiés, la traitait désormais en égale, allait causer souvent avec elle, dans le rayon voisin, d’un air d’apparat, comme une reine mère rendant visite à une jeune reine.

Du reste, Denise était maintenant au sommet. Sa nomination de première avait abattu autour d’elle les dernières résistances. Si l’on clabaudait4 toujours, par cette démangeaison de la langue qui ravage toute réunion d’hommes et de femmes, on s’inclinait très bas, jusqu’à terre. Marguerite, passée seconde aux confections, se répandait en éloges. Clara elle-même, travaillée d’un sourd respect en face de cette fortune5 dont elle était incapable, avait plié la tête. Mais la victoire de Denise était plus complète encore sur ces messieurs, sur Jouve qui ne lui parlait à présent que courbé en deux, sur Hutin pris d’inquiétude en sentant craquer sa situation, sur Bourdoncle enfin réduit à l’impuissance. Quand ce dernier l’avait vue sortir du cabinet de la direction, souriante, de son air tranquille, et que le lendemain le directeur avait exigé du conseil la création du nouveau comptoir, il s’était incliné, vaincu sous la terreur sacrée de la femme. Toujours il avait cédé ainsi devant

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la grâce de Mouret, il le reconnaissait pour son maître, malgré les fuites du génie et les coups de cœur imbéciles. Cette fois, la femme était la plus forte, et il attendait d’être emporté dans le désastre.

Cependant, Denise avait le triomphe paisible et charmant. Elle était touchée de ces marques de considération, elle voulait y voir une sympathie pour la misère de ses débuts et le succès final de son long courage. Aussi accueillait-elle avec une joie rieuse les moindres témoignages d’amitié, ce qui la fit réellement aimer de quelques-uns, tellement elle était douce et accueillante, toujours prête à donner son cœur. Elle ne montra une invincible répulsion que pour Clara, car elle avait appris que cette fille s’était amusée, comme elle en annonçait en plaisantant le projet, à mener un soir Colomban chez elle ; et le commis, emporté par sa passion enfin satisfaite, découchait maintenant tandis que la triste Geneviève agonisait. On en causait au Bonheur, on trouvait l’aventure drôle.

Mais ce chagrin, le seul qu’elle eût au dehors, n’altérait6 pas l’humeur égale de Denise. C’était surtout à son rayon qu’il fallait la voir, au milieu de son peuple de bambins de tout âge. Elle adorait les enfants, on ne pouvait la mieux placer. Parfois, on comptait là une cinquantaine de fillettes, autant de garçons, tout un pensionnat turbulent, lâché dans les désirs de la coquetterie naissante. Les mères perdaient la tête. Elle, conciliante, souriait, faisait aligner ce petit monde sur des chaises ; et, quand il y avait dans le tas une gamine rose, dont le joli museau la tentait, elle voulait la servir elle-même, apportait la robe, l’essayait sur les épaules potelées, avec des précautions tendres de grande sœur. Des rires clairs sonnaient, de légers cris d’extase partaient, au milieu de voix grondeuses. Parfois, une fillette déjà grande personne, neuf ou dix ans, ayant aux épaules un paletot7 de drap, l’étudiait devant la glace, se tournait, la mine absorbée, les yeux luisant du besoin de plaire. Et le déballage encombrait les comptoirs, des robes en toile d’Asie rose ou bleue pour enfants d’un à cinq ans, des costumes de marin en zéphir8, jupe plissée et blouse ornée d’appliques en percale9, des costumes Louis XV, des manteaux, des jaquettes, un pêle-mêle de vêtements étroits, raidis dans leur grâce enfantine, quelque chose comme le vestiaire d’une bande de grandes poupées, sorti des armoires et livré au pillage. Denise avait toujours au fond des poches quelques friandises, apaisait les pleurs d’un marmot désespéré de ne pas emporter des culottes rouges, vivait là, parmi les petits, comme dans sa famille naturelle, rajeunie elle-même de cette innocence et de cette fraîcheur sans cesse renouvelées autour de ses jupes.

Maintenant, il lui arrivait d’avoir de longues conversations amicales avec Mouret. Quand elle devait se rendre à la direction pour prendre des ordres ou pour donner un renseignement, il la retenait à causer, il aimait l’entendre. C’était ce qu’elle appelait en riant « faire de lui un brave homme ». Dans sa tête raisonneuse et avisée de Normande, poussaient toutes sortes de projets, ces idées sur le nouveau commerce, qu’elle osait effleurer déjà chez Robineau, et dont elle avait exprimé quelques-unes, le beau soir de leur promenade aux Tuileries. Elle ne pouvait s’occuper d’une chose, voir fonctionner une besogne, sans être travaillée du besoin de mettre de l’ordre, d’améliorer le mécanisme. Ainsi, depuis son entrée au Bonheur des Dames, elle était surtout blessée par le sort précaire des commis ; les renvois brusques la soulevaient, elle les trouvait maladroits et iniques10, nuisibles à tous, autant à la maison qu’au personnel. Ses souffrances du début la poignaient11 encore, une pitié lui remuait le cœur, à chaque nouvelle venue qu’elle rencontrait dans les rayons, les pieds meurtris, les yeux gros de larmes, traînant sa misère sous sa robe de soie, au milieu de la persécution aigrie des anciennes. Cette vie de chien battu rendait mauvaises les meilleures ; et le triste défilé commençait : toutes mangées par le

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métier avant quarante ans, disparaissant, tombant à l’inconnu, beaucoup mortes à la peine, phtisiques12 ou anémiques, de fatigue et de mauvais air, quelques-unes roulées au trottoir13, les plus heureuses mariées, enterrées au fond d’une petite boutique de province. Était-ce humain, était-ce juste, cette consommation effroyable de chair que les grands magasins faisaient chaque année ? Et elle plaidait la cause des rouages de la machine, non par des raisons sentimentales, mais par des arguments tirés de l’intérêt même des patrons. Quand on veut une machine solide, on emploie du bon fer ; si le fer casse ou si on le casse, il y a un arrêt du travail, des frais répétés de mise en train, toute une déperdition de force. Parfois, elle s’animait, elle voyait l’immense bazar idéal, le phalanstère14 du négoce, où chacun aurait sa part exacte des bénéfices, selon ses mérites, avec la certitude du lendemain, assurée à l’aide d’un contrat. Mouret alors s’égayait, malgré sa fièvre. Il l’accusait de socialisme15, l’embarrassait en lui montrant des difficultés d’exécution ; car elle parlait dans la simplicité de son âme, et elle s’en remettait bravement à l’avenir, lorsqu’elle s’apercevait d’un trou dangereux, au bout de sa pratique de cœur tendre. Cependant, il était ébranlé, séduit, par cette voix jeune, encore frémissante des maux endurés, si convaincue, lorsqu’elle indiquait des réformes qui devaient consolider la maison ; et il l’écoutait en la plaisantant, le sort des vendeurs était amélioré peu à peu, on remplaçait les renvois en masse par un système de congés accordés aux mortes-saisons, enfin on allait créer une caisse de secours mutuels, qui mettrait les employés à l’abri des chômages forcés, et leur assurerait une retraite. C’était l’embryon des vastes sociétés ouvrières du vingtième siècle.

D’ailleurs, Denise ne s’en tenait pas à vouloir panser les plaies vives dont elle avait saigné : des idées délicates de femme, soufflées à Mouret, ravirent la clientèle. Elle fit aussi la joie de Lhomme, en appuyant un projet qu’il nourrissait depuis longtemps, celui de créer un corps de musique, dont les exécutants seraient tous choisis dans le personnel. Trois mois plus tard, Lhomme avait cent vingt musiciens sous sa direction, le rêve de sa vie était réalisé. Et une grande fête fut donnée dans les magasins, un concert et un bal, pour présenter la musique du Bonheur à la clientèle, au monde entier. Les journaux s’en occupèrent, Bourdoncle lui-même, ravagé par ces innovations, dut s’incliner devant l’énorme réclame. Ensuite, on installa une salle de jeu pour les commis, deux billards, des tables de trictrac et d’échecs. Il y eut des cours le soir dans la maison, cours d’anglais et d’allemand, cours de grammaire, d’arithmétique, de géographie ; on alla jusqu’à des leçons d’équitation et d’escrime. Une bibliothèque fut créée, dix mille volumes mis à la disposition des employés. Et l’on ajouta encore un médecin à demeure donnant des consultations gratuites, des bains, des buffets, un salon de coiffure. Toute la vie était là, on avait tout sans sortir, l’étude, la table, le lit, le vêtement. Le Bonheur des Dames se suffisait, plaisirs et besoins, au milieu du grand Paris, occupé de ce tintamarre, de cette cité du travail qui poussait si largement dans le fumier des vieilles rues, ouvertes enfin au plein soleil.

Au Bonheur des Dames, Émile Zola, chapitre XII

Notes :1. « infortune » : malheur.2. « débandade de leur intérieur » : les problèmes rencontrés par les membres de leur famille.3. « affecté » : touché, frappé, ici affligé.4. « clabaudait » : disait du mal.5. « fortune » : ici succès.6. « altérait » : modifiait.

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7. « paletot » : manteau.8. « zéphir » : lainage très fin.9. « percale » : tissu de coton fin et serré.10. « iniques » : injustes.11. « poignaient » : (du verbe poindre) blessaient.12. « phtisiques » : tuberculeuses.13. « roulées au trottoir » : devenues prostituées.14. « phalanstère » : communauté, association de travailleurs.15. « socialisme » : doctrine d’organisation sociale qui entend faire prévaloir l’intérêt, le bien général, sur les

intérêts particuliers.

A La victoire de Denise1- « la victoire de Denise ». Souligne dans le troisième paragraphe deux synonymes du mot

« victoire ».

2- De quel rayon Denise est-elle nommée première ?

3- Quand les collègues du Bonheur des Dames apprennent sa promotion, ils ont des réactions différentes. Associe chaque personnage à la réaction qui lui est propre.

personnages Réactions

Mme AurélieMargueriteClaraJouveHutinBourdoncle

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est réduit à l’impuissancese répand en élogesaffiche des sentiments affectueuxest pris d’inquiétudelui parle courbé en deuxest travaillée d’un sourd respect

4- Relis le troisième paragraphe et cite trois qualités de la jeune fille qui la font « réellement aimer de quelques-uns » (l. 35-36).

Toutes les questions qui suivent portent sur les lignes 62 à 117.

B étudier le vocabulaire de la misère

1- a) Souligne dans les lignes 62 à 117 deux expressions qui montrent que Denise souffre encore de la misère de ses débuts au Bonheur des Dames.

b) Comment juge-t-elle les renvois brusques des commis ?

c) Quel sentiment Denise éprouve-t-elle lorsqu’elle rencontre une nouvelle vendeuse dans les rayons ?

2- a) « cette vie de chien battu » (l. 76). Que désigne cette expression ?

b) Relis les lignes 76 à 81. Qu’arrive-t-il aux vendeuses qui disparaissent, « mangées par le métier » ? Trois possibilités sont envisagées.

Compare tes réponses avec celles contenues dans le corrigé, puis passe à l’exercice suivant.

C Les idées de Denise sur le nouveau commerce

1- a) Relis le cinquième paragraphe, des lignes 62 à 99. Quelles sont les deux raisons pour lesquelles Denise veut améliorer le sort des commis et des vendeuses ? Tu trouveras une raison que son cœur lui dicte et une autre que la logique lui suggère.

b) Retrouve, dans les lignes 92 à 99, puis recopie les deux réformes importantes qui améliorent le sort précaire des vendeurs.

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c) Denise pense également au bien-être et aux loisirs des employés. Montre-le en soulignant dans le dernier paragraphe de l’extrait quelques-unes des améliorations apportées au Bonheur des Dames grâce à elle.

2- a) Face aux idées de Denise, comment réagit Mouret ?

b) Explique l’expression : « le Bonheur des Dames se suffisait » (l. 114-115).

c) Quelle métaphore* est employée à la fin de l’extrait pour désigner le Bonheur des Dames après ces changements ?

d) Explique le sens de cette métaphore.

Compare tes réponses avec celles contenues dans le corrigé, puis passe à l’exercice suivant.

D L’orthographe de quelques séries préfixales

1- accueillait – dédoublé – disparaissant – incapable – impuissant – emportait – entachait

a) Décompose ces mots par un trait vertical, de manière à faire apparaître le radical* et le préfixe*.

b) Que peux-tu conclure sur l’orthographe du préfixe commun aux mots impuissant et incapable ?

Vérifie maintenant tes réponses dans le corrigé puis recopie et mémorise le « Je retiens » qui suit.

L’orthographe de quelques séries préfixales

• Unpréfixe est un élément qui se place devant le radical et en modifie le sens.

• Certains préfixes ont une orthographe qui varie en fonction de l’initiale du radical.

Le préfixe ad- (idée de direction, vers) : adjoindre

Ad- + c = ac- : accueillir (accourir) ad- + f = af- : affiner (affluer)

Ad- + r = ar- : arrondir ad- + p = ap- : apporter

Le préfixe con- (avec, ensemble): contenir

Con- + m, b, p = com- : comprendre con- + l = col- : collaborer

Con- + r = cor- : correspondre

Le préfixe dé- (idée de séparation, de cessation) : découcher

Il peut s’écrire dés- devant une voyelle (désarmer), dis- pour certains mots (disparaître).

Le préfixe in- (idée du contraire, privé de) : inquiétude. Il peut s’écrire :

– im- devant m, b, p (impuissance)

– il- devant la consonne l : illégal

– ir- devant la consonne r : irrégulier

Le préfixe sous- (idée de « en dessous ») est le plus souvent uni au radical par un trait d’union (sous-bois) mais peut s’orthographier sou- (souterrain), sup- (supporter), sub- (submerger).

je retiens

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Maintenant, entraîne-toi avec l’exercice qui t’est proposé.

2- Complète les mots suivants en ajoutant le préfixe con- ou une de ses variantes.

…. pagnon – ….lection – ….riger – ….sacrer – ….mettre – ….parer

Vérifie tes réponses avant de poursuivre le travail.

E L’orthographe de quelques séries suffixales

1- comptoir – victoire – fillette – enfantine – musicien – armoire – trottoir – culottes

Décompose ces mots par un trait vertical, de manière à faire apparaître le radical* et le suffixe*.

Vérifie tes réponses dans le corrigé puis recopie et apprends le « Je retiens » ci-dessous.

L’orthographe de quelques séries suffixales

• Lessuffixes permettent de former des mots de classes grammaticales différentes.

• Certainssuffixesposentdesproblèmesorthographiques.

-oir / -oire

– Les suffixes -oir et -oire servent à former respectivement des noms masculins et féminins : un comptoir, un trottoir / une armoire, une victoire.

– Il existe quelques exceptions : un laboratoire, un accessoire, un auditoire…

– Les adjectifs masculins et féminins se terminent par -oire sauf noir(e) : illusoire.

-ette

– Le suffixe -ette sert à former des noms féminins (diminutifs) : fille, fillette.

– Les adjectifs qualificatifs masculins terminés par -et ont un féminin en -ette :violet, violette. Sauf complet, concret, discret, secret, inquiet qui ont un féminin en -ète.

-ote / -otte

– Les suffixes -ote et -otte servent à former des noms et des adjectifs féminins (souvent de sens diminutif ou péjoratif) : tremblote, roulotte, vieillotte.

– Il est utile de consulter le dictionnaire pour vérifier l’orthographe des mots terminés par ces suffixes.

n ou nn ?

– Les suffixes -in, -ain, -ein ne doublent pas le « n » au féminin : hautain/hautaine ; Divin/divine

– Les suffixes -éen, -ien, -on doublent le « n » au féminin : musicien/musicienne –européen/européenne.

je retiens

Pour t’entraîner, tu vas réaliser l’exercice suivant.2- Recopie les adjectifs et noms suivants en les mettant au féminin.

Ancien – inquiet – muet – secret – méditerranéen – pâlot – sot – cadet – douillet

Lis à présent le chapitre XIII qui concerne la famille Baudu.

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Séance 6Comprendre le fonctionnement d’une scène symbolique :

l’enterrement de Geneviève

Durée de la séance : 2 heures.

Lis le petit résumé suivant.

Le Bonheur des Dames s’agrandit encore : Mouret fait construire une nouvelle façade sur la nouvelle voie du Dix-Décembre. Les travaux sont gigantesques. Face à la concurrence impitoyable du Bonheur des Dames, beaucoup de petits commerçants voient leur chiffre d’affaires baisser et leurs clients disparaître. Par ailleurs, Colomban, le commis de Baudu, quitte le Vieil Elbeuf pour rejoindre Clara, une vendeuse du Bonheur des Dames. Geneviève Baudu, sa fiancée, se laisse mourir de chagrin.

Dans cette séance, tu étudieras le fonctionnement d’une scène symbolique, l’enterrement de Geneviève.

Maintenant, lis attentivement l’extrait qui suit tiré du chapitre XIII.

Ce fut un samedi que tomba l’enterrement, par un temps noir, un ciel de suie qui pesait sur la ville frissonnante. Le Vieil Elbeuf, tendu de drap blanc, éclairait la rue d’une tache blanche ; et les cierges, brûlant dans le jour bas, semblaient des étoiles noyées de crépuscule. Des couronnes de perles, un gros bouquet de roses blanches, couvraient le cercueil, un cercueil étroit de fillette, posé sur l’allée obscure de la maison, au ras du trottoir, si près du ruisseau, que les voitures avaient déjà éclaboussé les draperies. Tout le vieux quartier suait d’humidité, exhalait son odeur moisie de cave, avec sa continuelle bousculade de passants sur le pavé boueux.

Dès neuf heures, Denise était venue, pour rester auprès de sa tante. Mais, comme le convoi allait partir, celle-ci, qui ne pleurait plus, les yeux brûlés de larmes, la pria de suivre le corps et de veiller sur l’oncle, dont l’accablement muet, la douleur imbécile inquiétait la famille. En bas, la jeune fille trouva la rue pleine de monde. Le petit commerce du quartier voulait donner aux Baudu un témoignage de sympathie ; et il y avait aussi, dans cet empressement, comme une manifestation contre le Bonheur des Dames, que l’on accusait de la lente agonie de Geneviève. Toutes les victimes du monstre étaient là, Bédoré et sœur, les bonnetiers de la rue Gaillon, les fourreurs Vanpouille frères, et Deslignières le bimbelotier1, et Piot et Rivoire les marchands de meubles ; même Mlle Tatin, la lingère, et le gantier Quinette, balayés depuis longtemps par la faillite, s’étaient fait un devoir de venir, l’une des Batignolles, l’autre de la Bastille, où ils avaient dû reprendre du travail chez les autres. En attendant le corbillard2 qu’une erreur attardait, ce monde vêtu de noir, piétinant dans la boue, levait des regards de haines sur le Bonheur, dont les vitrines claires, les étalages éclatants de gaieté, leur semblaient une insulte, en face du Vieil Elbeuf, qui attristait de son deuil l’autre côté de la rue. Quelques têtes de commis curieux se montraient derrière les glaces ; mais le colosse gardait son indifférence de machine lancée à toute vapeur, inconsciente des morts qu’elle peut faire en chemin.

Denise cherchait des yeux son frère Jean. Elle finit par l’apercevoir devant la boutique de Bourras, où elle le rejoignit pour lui recommander de marcher près de l’oncle et de

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le soutenir, s’il avait de la peine à marcher. Depuis quelques semaines, Jean était grave, comme tourmenté d’une préoccupation. Ce jour-là, serré dans une redingote noire, homme fait à cette heure et gagnant des journées de vingt francs, il semblait si digne et si triste, que sa sœur en fut frappée, car elle ne le soupçonnait pas d’aimer à ce point leur cousine. Désireuse d’éviter à Pépé des tristesses inutiles, elle l’avait laissé chez Mme Gras, en se promettant d’aller l’y chercher l’après-midi, pour lui faire embrasser son oncle et sa tante.

Cependant, le corbillard n’arrivait toujours pas, et Denise, très émue, regardait brûler les cierges, lorsqu’elle tressaillit, au son connu d’une voix qui parlait derrière elle. C’était Bourras. Il avait appelé d’un signe un marchand de marrons, installé en face, dans une étroite guérite3, prise sur la boutique d’un marchand de vin, et il lui disait :

– Hein ? Vigouroux, rendez-moi ce service… Vous voyez, je retire le bouton… Si quelqu’un venait, vous diriez de repasser. Mais que ça ne vous dérange pas, il ne viendra personne.

Puis, il resta debout au bord du trottoir, attendant comme les autres. Denise, gênée, avait jeté un coup d’œil sur la boutique. Maintenant, il l’abandonnait, on ne voyait plus, à l’étalage, qu’une débandade pitoyable de parapluies mangés par l’air et de cannes noires de gaz. Les embellissements qu’il y avait faits, les peintures vert tendre, les glaces, l’enseigne dorée, tout craquait, se salissait déjà, offrait cette décrépitude rapide et lamentable du faux luxe, badigeonné sur des ruines. Pourtant, si les crevasses anciennes reparaissaient, si les taches d’humidité avaient repoussé sous les dorures, la maison tenait toujours, entêtée, collée au flanc du Bonheur des Dames, comme une verrue déshonorante, qui, bien que gercée et pourrie, refusait d’en tomber.

– Ah ! les misérables, gronda Bourras, ils ne veulent même pas qu’on l’emporte !Le corbillard, qui arrivait enfin, venait d’être accroché par une voiture du Bonheur,

dont les panneaux vernis filaient, jetant dans la brume leur rayonnement d’astre, au trot rapide de deux chevaux superbes. Et le vieux marchand lançait vers Denise un coup d’œil oblique, allumé sous la broussaille de ses sourcils.

Lentement, le convoi s’ébranla, pataugeant au milieu des flaques, dans le silence des fiacres et des omnibus brusquement arrêtés. […]

Denise, cependant, était montée dans une voiture, agitée de doutes si cuisants, la poitrine serrée d’une telle tristesse, qu’elle n’avait plus la force de marcher. Il y eut justement un arrêt rue du Dix-Décembre, devant les échafaudages de la nouvelle façade, qui gênait toujours la circulation. Et la jeune fille remarqua le vieux Bourras, resté en arrière, traînant la jambe, dans les roues mêmes de la voiture où elle se trouvait seule. Jamais il n’arriverait au cimetière. Il avait levé la tête, il la regardait. Puis, il monta.

– Ce sont mes sacrés genoux, murmurait-il. Ne vous reculez donc pas !... Est-ce que c’est vous qu’on déteste !

Elle le sentit amical et furieux, comme autrefois. Il grondait, déclarait ce diable de Baudu joliment solide, pour aller quand même, après de tels coups sur le crâne. Le convoi avait repris sa marche lente ; et, en se penchant, elle voyait en effet l’oncle s’entêter derrière le corbillard, de son pas alourdi, qui semblait régler le train4 sourd et pénible du cortège. Alors, elle s’abandonna dans son coin, elle écouta les paroles sans fin du vieux marchand de parapluies, au long bercement mélancolique de la voiture.

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– Si la police ne devrait pas débarrasser la voie publique !... Il y a plus de dix-huit mois qu’ils nous encombrent, avec leur façade, où un homme s’est encore tué l’autre jour. N’importe ! lorsqu’ils voudront s’agrandir désormais, il leur faudra jeter des ponts par-dessus les rues… On dit que vous êtes deux mille sept cents employés et que le chiffre d’affaires atteindra cent millions cette année… Cent millions ! mon Dieu ! cent millions !

Denise n’avait rien à répondre. Le convoi venait de s’engager dans la rue de la Chaussée-d’Antin, où des embarras de voitures l’attardaient. Bourras continua, les yeux vagues, comme s’il eût maintenant rêvé tout haut. Il ne comprenait toujours pas le triomphe du Bonheur des Dames, mais il avouait la défaite de l’ancien commerce. […]

Le corbillard traversait alors la place de la Trinité, et, du coin de la sombre voiture, où Denise écoutait la plainte continue du vieux marchand, bercée au train funèbre du convoi, elle put voir, en débouchant de la rue de la Chaussée-d’Antin, le corps qui montait déjà la pente de la rue Blanche. Derrière l’oncle, à la marche aveugle et muette de bœuf assommé, il lui semblait entendre le piétinement d’un troupeau conduit à l’abattoir, toute la déconfiture des boutiques d’un quartier, le petit commerce traînant sa ruine, avec un bruit mouillé de savates, dans la boue noire de Paris. Cependant, Bourras parlait d’une voix plus sourde, comme ralentie par la montée rude de la rue Blanche.

– Moi, j’ai mon compte… Mais je le tiens tout de même et je ne le lâche pas. Il a encore perdu en appel. Ah ! ça m’a coûté bon : près de deux ans de procès, et les avoués, et les avocats ! N’importe, il ne passera pas sous ma boutique, les juges ont décidé qu’un tel travail n’avait point le caractère d’une réparation motivée. Quand on pense qu’il parlait de créer, là-dessous, un salon de lumières, pour juger la couleur des étoffes au gaz, une pièce souterraine qui aurait relié la bonneterie à la draperie ! Et il ne dérage plus, il ne peut avaler qu’un vieux démoli de mon espèce lui barre la route, quand tout le monde est à genoux devant son argent… Jamais ! je ne veux pas ! c’est bien entendu. Possible que je reste sur le carreau. Depuis que j’ai à me battre contre les huissiers, je sais que le gredin recherche mes créances5, histoire sans doute de me jouer un vilain tour. Ça ne fait rien, il dit oui, je dis non, et je dirai non toujours, tonnerre de Dieu ! même lorsque je serai cloué entre quatre planches, comme la petite qui s’en va, là-bas.

Quand on arriva au boulevard de Clichy, la voiture roula plus vite, on entendit l’essoufflement du monde, la hâte inconsciente du cortège, pressé d’en finir. Ce que Bourras ne disait pas nettement, c’était la misère noire où il était tombé, la tête perdue dans les tracas du petit boutiquier qui sombre et qui s’entête pour durer […]. Denise, au courant de sa situation, rompit enfin le silence, en murmurant d’une voix de prière :

– Monsieur Bourras, ne faites pas le méchant davantage… Laissez-moi arranger les choses.

Il l’interrompit d’un geste violent.– Taisez-vous, ça ne regarde personne… Vous êtes une bonne petite fille, je sais

que vous lui rendez la vie dure, à cet homme qui vous croyait à vendre comme ma maison. Mais que répondriez-vous, si je vous conseillais de dire oui ? Hein ? vous m’enverriez coucher… Eh bien ! lorsque je dis non, ne mettez pas votre nez là-dedans.

Et, la voiture s’étant arrêtée à la route du cimetière, il descendit avec la jeune fille. Le caveau des Baudu se trouvait dans la première allée, à gauche. En quelques

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minutes, la cérémonie fut terminée. Jean avait écarté l’oncle, qui regardait le trou d’un air béant. La queue du cortège se répandait parmi les tombes voisines, tous les visages de ces boutiquiers, appauvris de sang au fond de leurs rez-de-chaussée malsains, prenaient une laideur souffrante, sous le ciel couleur de boue. Quand le cercueil coula doucement, des joues éraflées de couperose6 pâlirent, des nez s’abaissèrent pincés d’anémie7, des paupières jaunes de bile, meurtries par les chiffres, se détournèrent.

– Nous devrions tous nous coller dans ce trou, dit Bourras à Denise, qui était restée près de lui. Cette petite, c’est le quartier qu’on enterre… Oh ! je me comprends, l’ancien commerce peut aller rejoindre ces roses blanches qu’on jette avec elle.

Au Bonheur des Dames, Émile Zola, chapitre XIII

Notes :1. « bimbelotier » : marchand de bimbelots, c’est-à-dire de bibelots.2. « corbillard » : véhicule servant au transport des morts.3. « guérite » : petite cabane servant d’abri pour un gardien.4. « train » : allure, vitesse.5. « créances » : dettes.6. « couperose » : rougeur au niveau du visage due à la dilatation des vaisseaux sanguins.7. « anémie » : faiblesse due à la diminution des globules rouges dans le sang.

Les questions qui suivent portent sur les lignes 1 à 25.

A Une scène de deuil

1- a) Quel temps fait-il le jour de l’enterrement de Geneviève ?

b) Quelles sont les deux couleurs dominantes dans le premier paragraphe ? Relève dans ce paragraphe les mots qui t’ont permis de répondre.

c) Voici une autre image extraite du film d’André Cayatte. On y voit Baudu, incarné par l’acteur Michel Simon, sortir du Vieil Elbeuf pour suivre le corbillard qui emporte le cercueil de Geneviève.

Au Bonheur des Dames, A. Cayatte, 1943.L’enterrement de Geneviève.

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Séquence 4 — séance 6

Observe-la attentivement puis souligne dans le premier paragraphe du texte deux éléments du décor que tu retrouves sur cette image.

d) Relis attentivement la dernière phrase du premier paragraphe. Pourquoi peut-on dire que la description du vieux quartier est en accord avec l’atmosphère de deuil ?

2- Pourquoi Denise est-elle chargée par sa tante de veiller sur son oncle Baudu ?

Vérifie maintenant tes réponses dans le corrigé avant de poursuivre ce questionnaire.

B Un enterrement symbolique

1- a) Les commerçants du quartier suivent le convoi funèbre. Relie par un trait les noms des personnages à leur métier.

Commerçants métiers

Bédoré et sœurVanpouille frèresDeslignièresPiot et RivoireMlle TatinQuinette

••••••

••••••

gantierfourreurslingèrebonnetiersbimbelotiermarchands de meubles

b) La présence de ces commerçants peut être interprétée de deux manières différentes.

Retrouve et recopie deux expressions du deuxième paragraphe qui correspondent à ces deux interprétations.

c) Qui est accusé d’être responsable de la mort de Geneviève ?

2- a) Souligne dans le deuxième paragraphe deux métaphores* désignant le magasin Au Bonheur des Dames.

b) Quels sont les deux aspects par lesquels « les vitrines claires, les étalages éclatants de gaieté » (l.21-22) du Bonheur des Dames s’opposent à l’atmosphère de deuil ?

c) Quel sentiment éprouvent les commerçants du quartier pour le grand magasin ?

Attention, les questions qui suivent porteront sur l’ensemble de l’extrait.

3- a) Les petits commerçants sont présentés comme « les victimes » du grand magasin.

Repère dans la suite de l’extrait une métaphore* exprimant leur disparition prochaine.

b) Relis maintenant les onze dernières lignes de l’ensemble du texte (l. 123-133). Quelle image le narrateur donne-t-il des commerçants ?

c) Quel personnage incarne ici la résistance des boutiquiers face aux appétits du Bonheur des Dames ?

d) Relis les dernières paroles de Bourras (l. 131-133). Que symbolise selon lui l’enterrement de Geneviève ?

Compare maintenant tes réponses avec celles contenues dans le corrigé, puis poursuis ton travail.

C expression écrite

Tu vas maintenant faire un travail d’expression écrite.

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Séquence 4séance 6 —

Sujet : Comment l’écrivain montre-t-il que l’enterrement de Geneviève illustre en réalité la mort symbolique des petits commerçants du quartier ?

En t’appuyant sur tes réponses précédentes, rédige sur ton cahier de brouillon un paragraphe argumenté de quelques lignes.

Compare ton paragraphe argumenté avec celui du corrigé puis recopie-le sur ton cahier sous la forme d’un « Je retiens » que tu mémoriseras.

© Cned / N. Julo

Comment ajouter des exemples à une réponse argumentée ?

Tu l’as vu précédemment, les arguments sont les éléments qui justifient ta réponse. Les citations sont les exemples des différents arguments. Elles doivent être précises (le numéro des lignes doit toujours être indiqué entre parenthèses) :

Ex. : Le texte est fantastique. D’abord, il est écrit à la première personne du singulier comme la plupart des textes fantastiques (« je », (l. 2), « moi » (l. 3)). Ensuite, le champ lexical de la peur y est omniprésent (« effrayant » (l. 13), « terrifiant » (l. 16)).

D Dictée

Tu vas à présent t’entraîner à la dictée. Le texte est un extrait du passage que tu viens d’étudier.

Prends ton CD et écoute la piste 10 pour faire la dictée.

Ensuite, prends le corrigé et vérifie la dictée. Lis bien les explications qui te sont données afin de comprendre tes erreurs et de ne pas les renouveler.

Recopie ensuite les points corrigés correspondant à tes erreurs.

Le roman s’achève. Tu peux lire le dernier chapitre maintenant ou à la fin de la séquence.

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Séquence 4 — séance 7

Séance 7Analyser les métamorphoses du grand magasin

Durée de la séance : 1 h 30.

Dans cette séance, tu vas travailler sur les métamorphoses que subit le Bonheur des Dames tout au long de ce roman. Tu découvriras que ces métamorphoses sont de deux types. Il s’agit, tout d’abord, des agrandissements successifs du magasin qui rythment le récit, et s’inscrivent dans le cadre des grands travaux entrepris par le baron Haussmann sous le Second Empire. Ensuite, tu étudieras comment le Bonheur des Dames est métamorphosé par l’emploi de certaines images, comme les métaphores et les comparaisons, qui lui donnent une dimension mythique.

Lis attentivement l’extrait suivant qui est tiré du chapitre VIII et écoute-le à la piste 11 de ton CD.

Cependant, tout le quartier causait de la grande voie qu’on allait ouvrir, du nouvel Opéra à la Bourse, sous le nom de rue du Dix-Décembre. Les jugements d’expropriation1 étaient rendus, deux bandes de démolisseurs attaquaient déjà la trouée, aux deux bouts, l’une abattant les vieux hôtels de la rue Louis-le-Grand, l’autre renversant les murs légers de l’ancien Vaudeville2 ; et l’on entendait les pioches qui se rapprochaient, la rue de Choiseul et la rue de la Michodière se passionnaient pour leurs maisons condamnées. Avant quinze jours, la trouée devait les éventrer d’une large entaille, pleine de vacarme et de soleil.

Mais ce qui remuait le quartier plus encore, c’étaient les travaux entrepris au Bonheur des Dames. On parlait d’agrandissements considérables, de magasins gigantesques tenant les trois façades des rues de la Michodière, Neuve-Saint-Augustin et Monsigny. Mouret, disait-on, avait traité avec le baron Hartmann, président du Crédit Immobilier, et il occuperait tout le pâté de maisons, sauf la façade future de la rue du Dix-Décembre, où le baron voulait construire une concurrence au Grand-Hôtel. Partout, le Bonheur des Dames rachetait les baux3, les boutiques fermaient, les locataires déménageaient ; et, dans les immeubles vides, une armée d’ouvriers commençait les aménagements nouveaux, sous des nuages de plâtre. Seule, au milieu de ce bouleversement, l’étroite masure du vieux Bourras restait immobile et intacte, obstinément accrochée entre les hautes murailles, couvertes de maçons.

Au Bonheur des Dames, Émile Zola, chapitre VIII

Notes :1. « expropriation » : le fait de déposséder légalement quelqu’un de la propriété d’un bien.2. « l’ancien Vaudeville » : l’ancien théâtre.3. « les baux » : (pluriel de « bail ») contrat par lequel quelqu’un loue un bien à une autre personne.

A Les travaux du Bonheur des Dames

1- a) Encadre dans le texte le nom de la grande avenue que l’on construit.

b) Quels sont les deux lieux parisiens qui seront reliés par cette avenue ?

2- a) Avec qui Mouret s’est-il entendu pour agrandir ses magasins à tout le pâté de maisons ?

b) Souligne dans le texte les conséquences de ces travaux d’agrandissements du Bonheur des Dames.

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Séquence 4séance 7 —

Vérifie tes réponses dans le corrigé puis poursuis ce questionnaire.

3- Lis attentivement l’extrait qui suit.

Du reste, leur situation allait empirer encore. En septembre, l’architecte, craignant de ne pas être prêt, se décida à faire travailler la nuit. De puissantes lampes électriques furent établies, et le branle ne cessa plus : des équipes se succédaient, les marteaux n’arrêtaient pas, les machines sifflaient continuellement, la clameur toujours aussi haute semblait soulever et semer le plâtre.

Au Bonheur des Dames, Émile Zola, chapitre VIII

a) Que décide l’architecte pour que les travaux ne prennent pas de retard ?

b) Souligne dans l’extrait une expression qui correspond bien à ce que tu peux observer sur l’image ci-dessous.

Percement de la Butte-des-Moulins. Dessin par G. Guiaud. Le Journal illustré, 28 janvier 1877 © BnF

Compare tes réponses avec celles du corrigé avant de poursuivre ton travail.

Le coin des curieux… Sous le Second empire, Paris est profondément transformé. Napoléon III et le baron

Haussmann, préfet de la Seine de 1853 à 1870, lancent un grand programme de rénovation afin d’aérer et d’embellir la ville. Tu en as un exemple avec la rue du Dix-Décembre, dans l’extrait étudié.

• Degrandsboulevards sont créés pour améliorer l’hygiène des vieux quartiers et faciliter la circulation dans la capitale.

• Surcesgrandsaxessontconstruitsdesimmeubles haussmanniens qui se caractérisent par une même hauteur, des lignes horizontales fortes, l’emploi de pierres de taille, et de nombreux balcons.

Pour en savoir un peu plus sur les grands travaux haussmanniens, tu peux lire un autre roman d’Émile Zola, La Curée, publié en 1871.

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Séquence 4 — séance 7

B Les métamorphoses du grand magasin par les images

Maintenant lis attentivement l’extrait qui suit.

Alors, Denise eut la sensation d’une machine, fonctionnant à haute pression, et dont le branle aurait gagné jusqu’aux étalages. Ce n’étaient plus les vitrines froides de la matinée ; maintenant, elles paraissaient comme chauffées et vibrantes de la trépidation intérieure. […] Mais la chaleur d’usine dont la maison flambait, venait surtout de la vente, de la bousculade des comptoirs, qu’on sentait derrière les murs. Il y avait là le ronflement continu de la machine à l’œuvre, un enfournement de clientes, entassées devant les rayons, étourdies sous les marchandises, puis jetées à la caisse. Et cela réglé, organisé avec une rigueur mécanique, tout un peuple de femmes passant dans la force et la logique des engrenages.

Au Bonheur des Dames, Émile Zola, chapitre I

1- a) Quelle métaphore* est employée pour désigner le Bonheur des Dames ?

b) Souligne dans le texte tous les termes qui développent cette métaphore.

c) Quels sont les effets de sens produits par l’emploi de ce développement métaphorique ?

d) Quel est le point de vue adopté pour cette description ?

2- Lis attentivement les extraits suivants.

extrait 1

« On eût dit que le colosse, après ses agrandissements successifs, pris de honte et de répugnance pour le quartier noir, où il était né modestement, et qu’il avait plus tard égorgé, venait de lui tourner le dos, laissant la boue des rues étroites sur ses derrières […]. »

extrait 2

« C’était la cathédrale du commerce moderne, solide et légère, faite pour un peuple de clientes. »

extrait 3

« Denise, cédant à la séduction, était venue jusqu’à la porte, sans se soucier du rejaillissement des gouttes, qui la trempait. À cette heure de nuit, avec son éclat de fournaise, le Bonheur des Dames achevait de la prendre toute entière. Dans la grande ville, noire et muette sous la pluie, dans ce Paris qu’elle ignorait, il flambait comme un phare […]. »

a) Souligne dans les deux premiers extraits les images employées pour désigner le Bonheur des Dames.

b) Rappelle le nom de ce type d’images, et indique les significations qu’elles ajoutent à la réalité décrite.

c) Souligne maintenant dans le troisième extrait une comparaison employée pour décrire le magasin.

Tu peux maintenant vérifier l’exactitude de tes réponses dans le corrigé. Ensuite, recopie et apprends le « Je retiens » suivant.

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Séquence 4séance 7 —

La métamorphose du Bonheur des Dames par les images

Tout au long du roman, le Bonheur des Dames est transformé par l’emploi d’images comme les métaphores et les comparaisons. On en repère deux principales :

une machine : dès les premières pages du roman, Denise associe le grand magasin à une machine, « fonctionnant à haute pression ». Cette métaphore essentielle traverse tout le roman.

une cathédrale : le Bonheur des Dames est régulièrement présenté comme un temple élevé à la gloire des femmes, le lieu d’une nouvelle religion.

Par le jeu des points de vue, les métaphores et les comparaisons sont parfois attribuées à certains personnages et peuvent alors exprimer une vision presque fantastique du magasin. Ainsi, les Baudu qui « restaient effrayés devant la vision du Bonheur des Dames flambant au fond des ténèbres, comme une forge colossale, où se forgeait leur ruine. »

L’emploi de ces images confère au Bonheur des Dames une impression de grandeur et une dimension religieuse.

je retiens

C expression écrite

Pour terminer cette séance, tu vas faire un petit exercice d’écriture.

Tu rédigeras un petit paragraphe de cinq à six lignes dans lequel tu décriras le Bonheur des Dames à l’aide de la métaphore du monstre dont tu développeras le champ lexical. Tu t’appuieras sur tes connaissances concernant le fonctionnement du grand magasin. Tu pourras commencer ton travail par « Alors Denise eut la sensation d’un monstre… »

Pour réussir ton exercice, tu dois :

– décrire le Bonheur des Dames en employant la métaphore du monstre

– employer le champ lexical du monstre

– mobiliser tes connaissances sur le fonctionnement du grand magasin.

Fais d’abord cet exercice au brouillon. Vérifie ensuite que tu as bien respecté les consignes.

Mets une croix dans le tableau quand c’est le cas.

Je vérifie que… Fait

J’ai décrit le Bonheur des Dames en employant la métaphore du monstre.

J’ai employé le champ lexical du monstre.

J’ai mobilisé mes connaissances sur le fonctionnement du grand magasin.

Quand tu as effectué tes vérifications, recopie ton paragraphe dans ton cahier puis lis dans le corrigé un exemple de ce qu'il était possible d'écrire.

© Cned / N. Julo

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Séquence 4 — séance 8

Séance 8Étudier l’affiche du film d’André Cayatte

Durée de la séance : 1 heure.

Dans cette séance, tu vas étudier l’affiche du film Au Bonheur des Dames réalisé en 1943 par André Cayatte.

Observe bien cette affiche.

Affiche du film Au Bonheur des Dames, André Cayatte (1943)

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Séquence 4séance 8 —

A observer le texte de l’affiche

1- a) Quelles sont les différentes informations données par le texte de cette affiche (quatre éléments sont attendus) ?

b) L’adaptation d’André Cayatte est-elle absolument fidèle au roman de Zola ? Relève l’expression qui t’a permis de répondre.

c) Quels sont les deux principaux acteurs du film ? Comment leurs noms se distinguent-ils de ceux des autres acteurs ?

d) Observe bien la typographie employée pour les lettres du titre. À quoi te font-elles penser ?

Compare maintenant tes réponses avec celles du corrigé puis poursuis le travail.

B observer les différents éléments de l’image

1- a) Quels sont les différents éléments que tu peux observer sur cette image ?

b) Comment le magasin Au Bonheur des Dames est-il mis en valeur sur cette image?

Tu observeras sa place sur l’affiche, les couleurs ou les formes employées pour le représenter.

c) Que peut symboliser selon toi le soleil représenté à l’arrière-plan ?

2- a) Observe bien la représentation du magasin Au Vieil Elbeuf. Quels points communs peux-tu trouver avec la description proposée au début du roman par l’écrivain ? (Reporte-toi au texte de la séance 2).

b) Comment le dessinateur a-t-il traduit l’opposition entre les deux magasins ?

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Séquence 4 — séance 8

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3- Regarde bien ces quatre personnages.

a) Sur l’affiche, où ces quatre personnages sont-ils situés par rapport au magasin du Bonheur des Dames ?

b) En quoi le personnage no 1 se distingue-t-il des autres ? Observe par exemple l’expression des visages.

c) Dans quelle direction les personnages nos 3 et 4 regardent-ils ?

d) Comment peut-on interpréter ce regard ?

e) À partir de tes réponses et de ta connaissance du roman, écris maintenant le nom des personnages sous les différents portraits.

4- Que représente selon toi la figure féminine placée au centre de l’affiche ?

Vérifie maintenant tes réponses à l’aide du corrigé.

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Séquence 4séance 9 —

Séance 9Approfondir ses connaissances sur un écrivain et son œuvre

Durée de la séance : 1 heure.

Pour terminer la séquence et approfondir tes connaissances sur l’écrivain, tu vas étudier un article d’encyclopédie sur Émile Zola et son œuvre. Pour voir un portrait de l’écrivain, tu peux te reporter à la séance 3 de la séquence III.

À présent, lis attentivement le texte qui suit.

Zola Émile, 1840-1902, né à Paris, écrivain français. Fils d’un ingénieur italien, il passa son enfance à Aix-en-Provence, perdit son père à l’âge de 7 ans et suivit sa mère à Paris en 1858, où il trouva un modeste travail de bureau, avant d’être engagé à la librairie Hachette. Il y découvrit les dessous de l’édition1, fit connaissance avec le monde des auteurs et fut bientôt chargé du secteur publicité. Il entama ensuite une carrière de journaliste et de critique (Mes haines, 1866), qui le mit financièrement plus à l’aise, et publia ses premiers récits, en partie autobiographiques (Contes à Ninon, 1864 ; La Confession de Claude, 1865). Avec Thérèse Raquin (1867), il inaugura une nouvelle conception romanesque consistant à analyser les errements2 psychologiques comme on fait une analyse médicale ou chimique.

« Les Rougon-Macquart ». Cette conception l’amena à mettre en place sa série des Rougon-Macquart (20 volumes de 1870 à 1893) où il suivit, d’un roman à l’autre, les multiples ramifications de l’arbre généalogique d’une famille. Le sous-titre énonçait à lui seul le programme de Zola : Histoire naturelle et sociale d’une famille sous le Second Empire. Inspirée par les travaux de Claude Bernard, la littérature « naturaliste » reprenait avec lui le modèle de la science, cherchant dans les lois de l’hérédité3 le moteur de l’action et de la production romanesque. C’est ainsi que La Fortune des Rougon (1870) lança le cycle et que Le Ventre de Paris (1873), La Faute de l’abbé Mouret (1875), Nana (1879), Germinal (1885), L’Œuvre (1886), La Bête humaine (1890), L’Argent (1891) le poursuivirent imperturbablement. Et cela en dépit des scandales que suscitèrent La Curée (1871), L’Assommoir (1877) ou La Terre (1887) dont on souligna surtout le caractère vulgaire et l’usage des mots crus4 ainsi que la description de réalités sordides. En fait, l’ambition de Zola était de composer l’épopée5 de son époque, mais une épopée attachée au souci scientifique de peindre le réel en ses moindres occurrences. C’est ce qui donne ce double visage à Zola, à la fois rigoureux et précis (il accumulait documentation et enquêtes pour ses ouvrages), comme le veut la doctrine naturaliste qu’il avait mise au point (Le Roman expérimental, 1880), et entraîné par son souffle épique et ses facultés de poète visionnaire (combien de descriptions de choux dans Le Ventre de Paris ou de mines dans Germinal deviennent d’authentiques envolées poétiques, parfois proches du fantastique). En 1893 parut le dernier des 20 volumes (Le Docteur Pascal) où s’expliquait et se résorbait toute l’architecture de la série.

L’intellectuel en révolte. Hormis les Rougon-Macquart, Zola publia aussi des contes (Nouveaux Contes à Ninon, 1874 ; Naïs Micoulin, 1884) et produisit une œuvre critique, défendant ses amis (Maupassant, Huysmans ou les peintres impressionnistes) ou attaquant ses détracteurs6 (Les Soirées de Médan, 1880 ; Les

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Séquence 4 — séance 9

Romanciers naturalistes, 1881). Puis il se lança dans deux autres cycles : Les Trois Villes (Lourdes, 1894 ; Rome, 1896 ; Paris, 1898) et Les Quatre Évangiles (Fécondité, 1899 ; Travail, 1901 ; Vérité, 1903 [posthume] ; et Justice, qui ne vit jamais le jour). L’ambition scientifique se conjuguait toujours davantage à la critique sociale ; il ne s’agissait plus de décrire des faits objectivement, mais de prendre parti, voire de prendre à partie les responsables des maux sociaux et des malversations7 politiques : l’écrivain devenait un « intellectuel ». Ce fut l’affaire Dreyfus qui conduisit Zola à s’engager de la sorte du côté de la justice et de la morale contre les manipulations du pouvoir militaire et politique, notamment avec J’accuse8 qui parut le 13 janvier 1898 dans L’Aurore9. Condamné par la justice, il se battit farouchement pour la réhabilitation de Dreyfus, multipliant les articles et les interventions. Il mourut brutalement, asphyxié dans son appartement par une cheminée bouchée, laissant une œuvre ambitieuse qui marqua le point culminant de la relation entre idéologie scientiste, réalisme sentimental et poésie épique du quotidien.

Article « Émile Zola », Encyclopédie Bordas, Paris, 1994

Notes :1. « les dessous de l’édition » : la partie non connue du monde de l’édition.2. « errements » : égarements, errances.3. « hérédité » : transmission des caractères d’un être vivant à ses descendants.4. « mots crus » : mots choquants.5. « épopée » : long poème où le merveilleux se mêle au monde réel et qui a pour but de célébrer les exploits d’un

héros. L’épopée désigne aujourd’hui une suite d’événements de caractère héroïque.6. « détracteurs » : ceux qui le critiquent, le dénigrent.7. « malversations » : fautes graves commises dans l’exercice d’une charge ou d’un mandat politique.8. « J’accuse » : titre d’un article de Zola.9. « L’Aurore » : nom d’un journal quotidien.

Pour vérifier que tu as bien lu, tu vas maintenant compléter une fiche biographique sur Émile Zola.

A Compléter une fiche biographique

Recopie la fiche biographique ci-dessous sur ton cahier de brouillon et complète-la en t’appuyant sur les informations trouvées dans l’article.

AUteUR (date de naissance – date de mort)

Sa vie :

– lieux de naissance et de vie :

– métiers, activités :

– principaux événements personnels :

– personnages ou événements ayant marqué l’auteur :

Son œuvre :

– principaux genres littéraires abordés (roman, théâtre, poésie…) :

– titres des œuvres principales :

– principales caractéristiques du style de l’auteur :

Vérifie maintenant tes réponses dans le corrigé, puis poursuis ton travail.

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Séquence 4séance 9 —

B Approfondir la connaissance de l’œuvre

1- a) Comment se nomme le grand cycle romanesque de vingt volumes écrit par Zola ?

b) Repère dans l’article et recopie le sous-titre de cette série.

2- a) Recherche dans un manuel d’histoire ou dans une encyclopédie les dates de la période du Second Empire.

b) Qui dirigeait la France pendant cette période ?

3- a) Pour quelles raisons certains romans comme La Terre ou L’Assommoir ont-ils provoqué des scandales ?

b) Comment Zola travaillait-il pour peindre la réalité avec la plus grande exactitude ?

c) Par quel mot la littérature (ou la doctrine) de Zola, qui s’appuie sur les progrès de la science, est-elle qualifiée ?

Tu vas maintenant compléter le « Je retiens » qui suit en t’appuyant sur tes réponses précédentes. Tu feras d’abord ce travail au brouillon.

L’œuvre littéraire d’émile Zola

– L’œuvre romanesque d’Émile Zola est essentiellement constituée d’un cycle appelé ____________________ et constitué de _______ volumes. Dans ces romans, l’écrivain retrace l’histoire naturelle et sociale d’une ______________ qui vit sous le _____________________.

– La littérature de Zola, qualifiée de __________________ , se donne pour but de décrire et d’analyser les différents milieux sociaux en s’appuyant sur les progrès de la ____________.

– Pour peindre avec exactitude et précision la réalité historique et sociale, l’écrivain accumule une _________________ très riche et se livre à de nombreuses _____________ sur le terrain (dans les mines pour Germinal, dans les grands magasins pour Au Bonheur des Dames).

je retiens

Tu peux maintenant vérifier tes réponses et recopier le « Je retiens » sur ton cahier afin de le mémoriser.

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Séquence 4 — séance 10

Séance 10Je m’évalue

Durée de la séance : 1 heure.

Comme à la fin de chaque séquence, tu vas faire un bilan de ce que tu as appris. Cela te permettra de faire le point sur ce que tu dois savoir, et ce que tu dois être capable de faire pour le devoir. Complète maintenant le tableau suivant. Tu peux, bien sûr, utiliser ton cours si tu as oublié quelque chose. Quand tu auras fini, prends le corrigé afin de vérifier tes réponses. Il est très important que ce tableau de synthèse ne comporte pas d’erreur.

Je connais… Je suis capable de…

Émile Zola et son œuvre. Je sais que l’ensemble de ses romans

sont regroupés sous le titre les ________________________.

Ses romans se déroulent pendant le _________________________.

Je sais que sa littérature est qualifiée de ________________________.

Nommer deux titres de romans écrits par Émile Zola : ________________

________________

Les principaux personnages du roman Au Bonheur des Dames. Je sais que l’héroïne se nomme

_____________ , que son oncle nommé ___________ possède un magasin appelé ________________.

Je sais que le directeur du Bonheur des Dames se nomme ___________.

Nommer certains personnages secondaires comme : ___________ le vendeur de parapluies

qui tente de résister au Bonheur des Dames.

_____________, la cousine malheureuse de Denise.

_______ et _______, les deux frères de Denise.

Les techniques de vente moderne employées par Mouret : Le recours à la _______________. La diminution des ______ et le système

des ___________. La vente par ______________. Les aménagements intérieurs pour mieux

piéger les clientes.

Citer trois supports différents pour la publicité :__________________________________________________________________________________________

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Séquence 4séance 10 —

Je connais… Je suis capable de…

Les propositions subordonnées circonstancielles de :•___________________•___________________•__________________

Souligner dans une phrase la proposition subordonnée circonstancielle et d’indiquer la circonstance exacte.

•DeniserefuselesavancesdeMouretparce que celui-ci n’est pas un homme sérieux. (________________)

•Deniseproposedesréformesafinquele sort des employés soit amélioré. (________)

•Legrandmagasinproposedesprix très bas, si bien que les petits commerces réalisent moins de ventes. (________________)

L’orthographe de quelques séries préfixales :___/ ____/ ____/ ____/ ____/

L’orthographe de quelques séries suffixales :____ / _____/ _____/ _____/

Isoler le préfixe dans les mots suivants : subvenir – commettre – illégal – disparaître – dénouer – apprendre – soumettre – corrompre – imprévu

Mettre au féminin les mots suivants : Parisien – taquin – coquet – diluvien –pâlot – malsain - méditerranéen

La principale métaphore employée dans le roman pour désigner le magasin :Celle de la _____________ .

Encadrer une comparaison et souligner une métaphore dans une phrase :

•«Au-dessousd’eux,s’étendaitl’immensevitrage de la galerie centrale, un lac de verre borné par les toitures lointaines, comme par des côtes rocheuses. »