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ZOO est édité par Arcadia45 rue Saint-Denis75001 Paris

Régie publicitaire :[email protected]

Envoyez voscontributions à :[email protected]

Directeur de la publication & rédacteuren chef :Olivier ThierryRédacteur en chef adjoint, secrétaire derédaction & maquettiste :Olivier Pisella([email protected])Rédaction de ce numéro :Julie Bordenave, Majestic Gérard, JulienFoussereau, Boris Jeanne, LouisaAmara, Jérôme Briot, Olivier Pisella,Jean-Marc Lainé, Christian Marmonnier,Thierry Lemaire, Kamil Plejwaltzsky,Olivier Thierry, Jean-Philippe Renoux,Egon Dragon, Nathalie le LuelCouverture :Jacques Tardi (mise en niveaux de gris :Cyrille Munaro)Strips et dessins : Sylvain Delzant,Yannick Lejeune & Paprika, Fabcaro,Paul ParryPublicité :Éditeurs BD : Marion Girard (06 34 16 2358) / autres annonceurs : Anne-LineAndry (06 22 29 00 05)

La BD est-elle un art ou unsimple divertissement populai-re ?». Cette question un peu

vaine a été posée et dissertée par beau-coup et la réponse est bien évidemment :les deux. De même que la littérature, lecinéma, la peinture, le théâtre et lamusique, avant la BD.Tous furent, à l’origine, des divertisse-ments populaires, puis ont pu, à unmoment ou un autre, atteindre desniveaux d’excellence et de génie qui lesélevèrent ainsi en art, sans que dispa-raisse par ailleurs leur pan populaire.De même que la littérature, le cinéma etle théâtre ont souvent flirté ensemble, laBD et la littérature ont entretenu pen-dant longtemps des liens étroits. Les rai-sons en sont multiples : auteurs ou mai-sons d’édition en quête d’inspiration, outout simplement plaisir d’adapter enimages et en cases des livres appréciéspar des auteurs de BD. Cet intérêt réci-proque ne date pas d’hier mais onconstate aujourd’hui un regain d’engoue-ment de part et d’autre. Rares sontdésormais les éditeurs qui n’adaptentpas, dans une partie de leur collection,des romans (fussent-ils littéraires oupopulaires). Et réciproquement, la litté-rature porte un intérêt de plus en plusprononcé à la bande dessinée, qu’ellecoopte désormais comme l’une de sesdéclinaisons. Dame ! La BD est la caté-gorie de «livres» qui se vend le plus enFrance ! Aux États-Unis, les Graphicnovels, littéralement : «Romans gra-phiques», sont les successeurs adulteset sérieux des Comic-books (eux-mêmesdéjà «Livres amusants»). La BD est éga-lement revenue dans les faveurs des ins-tituteurs qui ont bien compris qu’ellepouvait servir à nos chères têtes blondesde «pied à l’étrier» pour accéder à la lec-ture, contrairement à d’autres passe-temps à la mode. Le Salon du Livre, quis’ouvre le 14 mars, consacre de plus enplus de place chaque année à la bandedessinée. Gageons que ces «Liaisonsfructueuses» n’en sont encore qu’à leursdébut et qu’elles continueront à engen-drer de beaux enfants.

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AGENDA - NEWS

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Interview de Jean Van Hamme

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Dépôt légal à parution.Imprimé en France par ACTIS.

Les documents reçus ne pourront être retournés.Tous droits de reproduction réservés.

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es Humanos proposent de télécharger gratuitement uneadaptation de Megalex T.1 au format «VidéoBD», lisible sur

un terminal numérique dans un format maximum de 240 x 160pixels (iPhone (pour les plus riches), mobile Windows ou sur PC viale Flashplayer). De quoi s’agit-il ? D’un redécoupage et d’unereconstruction narrative à partir de scans de la BD d’origine, lesbulles étant remplacées par des voix de comédiens, et l’ensembleétant sonorisé et converti au format vidéo. Ce n’est pas tout à faitnouveau puisque des expériences du même type ont déjà vu lejour : adaptations de BD sur PSP ou sur téléphone portable(notamment en Corée). Toujours est-il qu’à ce jour l’éditeur annon-ce 30 000 téléchargements et que, le test étant concluant, il sou-haite développer ce nouveau format de lecture. De plus, il prévoieun grand portail Internet pour mai 2008 proposant VidéoBDs, nou-veaux talents en prépublication, BD en ligne, etc. Les prochainstitres du catalogue des Humanos à sortir en VidéoBD devraient êtregratuits, l’éditeur étant conscient que le piratage passera par là.C’est sûr, les Humanoïdes Associés, historiquement pionniers surl’utilisation des nouvelles technologies, décident de revenir sur ledevant de la scène. http://www.humano.com/megalex OP

N°12 mars-avril 20084AGENDA-NEWS

La BD prend ses quartiers au Salon du Livreannée 2008 est annoncée par le Salondu Livre comme étant celle du chan-gement et de la modernisation (du

moins en ce qui le concerne). Nouveau logo,circulation des visiteurs repensée, améliora-tion de la signalétique... Par ailleurs, la placeaccordée à la bande dessinée continue des’accroître. L’Escale BD, incluant pour ladeuxième année consécutive une sectiondédiée aux éditeurs indépendants, offre l’opportunité au public de rencontrer les professionnels de la BD et d’as-sister à des conférences et des débats, les talents en devenir rêvant de travailler dans la bande dessinée peuventquant à eux présenter leurs oeuvres lors de séances quotidiennes de speed-booking. Autres attractions, le Village

manga, nouveauté de cette édition, animé par Albert Algoud, l’exposition consacrée aux 25 ans du Chat de Geluck, la présence de TôruFujisawa, auteur de GTO (Pika), les 14 et 15 mars, la venue d’Art Spiegelman pour présenter son nouvel album Breakdows (Casterman),ainsi que la remise de deux prix : «le 14e prix France Info de la Bande dessinée d’Actualité et de Reportage» et «le Grand Prix de laCritique de Bande Dessinée» remis par l'ACBD, l'Association des Critiques et journalistes de Bande Dessinée, à Miriam Katin pourSeules contre tous (Seuil). OLIVIER PISELLA

uinzième festival de Perros Guirec, dit «Le Festival de laCôte de Granit Rose» : Régis Loisel, le parrain de cetteédition, joue doublement à domicile puisqu’il est cofonda-

teur du festival et qu’en plus, il a vécu quelques années dans cetteville, années durant lesquelles il a travaillé sur Peter pan, l’une deses oeuvres majeures. Auteurde nombreux succès de librai-rie (Les Farfelingues, La quêtede l’oiseau du temps, MagasinGénéral...) et lauréat du GrandPrix d’Angoulême 2003, Loiselsera entouré cette annéed’une trentaine d’auteurs debande dessinée dont Corteg-giani, Gégé, Morvan, Lax ouJuillard. Au programme,comme dans tout bon festival,des expositions (Loisel, ClaudeMarin, Bout d’homme, DeCape et de Crocs), des ren-contres, des dédicaces, mais àla différence des autres festi-vals, vous aurez ici l’immenseprivilège de découvrir lesCôtes d’Armor, départementqui, bizarrement, porte lenuméro 22 — mais cela s’ex-plique par le fait que le numé-ro 21 c’est la Côte d’Or, et quec’est au singulier.

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28e Salon du Livre,Israël, invité d’honneurDu 14 au 19 mars 2008Paris, Porte de Versailles, Hall 1

15e Festival BD de Perros-Guirec,Régis Loisel, invité d’honneurDu 19 au 20 avril 2008www.bdperros.com

Festival BD de Perros-Guirec :Loisel joue à domicile

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N°12 mars-avril 2008 5

migrée des éditions du Rouergue,Emeline Lautier crée les éditionsDiantre pour porter le projet

Adorâbles putains de Perrine Dorin :«Nous ne voulions surtout pas d’un ouvra-ge glauque ou putassier, mais montrer lacomplexité des choses sans pour autantperdre le lecteur. Ado, parent, jeunefemme urbaine, littéraire, lecteur assidude BD, chacun peut y trouver son compte.Par sa construction narrative, littéraire etgraphique très libre et très aboutie, il

représente à mon sens la voie que noussouhaitons explorer dans cette collec-tion», explique Émeline. Aux côtés deBigre, collection de romans graphiquesvisant les 15/25 ans, bouillonne la collec-tion jeunesse Blop, avec des«auteurs/illustrateurs qui ont de l’hu-mour, savent user d’impertinence sansêtre vulgaires ou gratuits, et qui ont ununivers graphique fort. Le but, c’est queles enfants accèdent à une initiation à lalecture, à la BD, à l’image de façonludique afin de leur communiquer le goûtde la lecture.» Pour l’instant dans le cata-logue ? Des auteurs au trait vif et singulier— mention spéciale à La fille à six bras deSammy Stein, fiancée idéale du petitenfant huître de Tim Burton — servant desthématiques hétéroclites : bataille contre

les kilos (Larmes de crocodiles de NicozBalboa), pitreries de sales mômes (Salemorveuse de Gally ou L’équipette deDomitille Collardey), ou encore… les affresdu ver solitaire (Beurk ! d’Aurélie Pollet). Si Diantre se présente comme un carre-four où se croisent pêle-mêle «auteurs delittérature, de BD, illustrateurs, desi-gners, graffeurs, plasticiens», la maisonn’en oublie pas moins le rôle premier d’unéditeur : savoir repérer certes, mais aussiaccompagner, soutenir, aiguiller sesauteurs. À venir en juin, l’adaptationpapier du Blog d’une grosse de Gally, etautres projets alléchants : l’ouvrage col-lectif Ménage à 3, ou l’aventure éditorialede Diantre par ses protagonistes (prévupour Angoulême 2009), ou encoreRockstore (attendu pour novembre pro-chain) collaboration entre le designerKRSN et Étienne Menu (traducteur duDictionnaire snob du Rock chez Scali) :«un livre protéiforme, avec de faux témoi-gnages, de faux groupes de rock, defausses pochettes… Sur notre blog il yaura une continuité, avec de fausses inter-views et de fausses chansons qu’on auraenregistrées nous-mêmes.» Et le filon nes’épuise pas ! «Nous avons environ 200projets dans nos tiroirs ! Rien qu’avec cesdeux collections, il y a tellement de chosesà explorer, que notre programme est pleinjusqu’à fin 2009.» Diantre !En savoir plus : www.diantre.fr

JULIE BORDENAVE

Diantre,maison d’édition transgenresShebam, pow, blop, wizz ! Une nouvelle maison d’édition pous-

se les portes du paysage BD de manière tapageuse. Forte d’une

ligne éditoriale mûrement réfléchie et nantie de dessinateurs

au trait incisif, Diantre a tout pour nous séduire.

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LES ÉDITIONS DIANTRE EN TOURNÉEDANS VOTRE VIE :- le 7 mars, soirée Blop ! Wizz ! au Café desSports, Paris 20e

- le 14 mars, Gally à la librairie Univers BD,39 bd St-Martin, Paris 3e

-le 15 mars, les auteurs de la collectionBlop à la librairie Album Bercy, 46 cour St-Emilion, Paris 12e

- le 8 mars, stand Blop avec Gally et exposi-tion d’originaux, FNAC de Nice- les 5 et 6 avril, Gally et Domitille Collardeyau Salon Escale du Livre, 11 rue Auguin,Bordeaux- les 5 et 6 avril, Aurélie Pollet et NicozBalboa au Salon de la BD, Auvers sur Oise- le 29 mars, Gally à la librairie Dialogues,Brest- le 19 avril, Nicoz Balboa à la librairieCalligrammes, La Rochelle

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N°12 mars-avril 20086

ommençons par quelques banalités. Est-il juste d’opposerbande dessinée et littérature ? Soyons Normands : à biendes égards oui, et à bien d’autres non. Ce sont bien sûr

deux médiums narratifs très différents, mais ce dénominateurcommun, la narration, les relie aussi efficacement que le téléfilmpeut l’être à la littérature, la bande dessinée au cinéma, la fictionsonore au roman-photo.

Il est désormais établi que l’illustration peut apporter beaucoup auroman adulte, et qu’elle ne dénature pas forcément le récit en «pri-vant» le lecteur de ses propres représentations visuelles. Le faitd’avoir dans un roman des dessins de tête de chapitre, à toutes lespages, ou répartis de manière plus éparse, est un procédé qui faitinstinctivement penser à la littérature jeunesse, et, suppose-t-on,permet d’inciter les enfants à la lecture de «vrais livres».Quiconque s’y est plongé se souviendra longtemps de l’étonnantevaleur ajoutée que Jacques Tardi apporta par ses dessins au chefd’œuvre de Louis-Ferdinand Céline Voyage au bout de la nuit(Futuropolis-Gallimard/1988). Quant au Petit Prince de Saint-

Exupéry, les dessins en sont devenus encore plus emblématiquesque le texte. Plus récemment, la collection Scali Graphic, dirigéepar le critique rock Patrick Eudeline (cf. interview page 11), a étécréée sur l’idée de publier exclusivement des romans contempo-rains illustrés par des dessinateurs, notamment des auteurs debande dessinée. Ainsi a-t-on pu découvrir comme première paru-tion de cette collection un très bon roman de Philippe Jaenada, LesBrutes, agrémenté de dessins de Dupuy et Berberian (2006) — uneréussite. À n’en plus douter, dessins et belles lettres peuvent fairebon ménage ; mais qu’en est-il de l’adaptation en bande dessinéed’une œuvre littéraire ?

Historiquement, le genre est plus ancien que la bande dessinéeelle-même, née sous les crayons du Suisse Rodolphe Töpffer en1827. Dès 1810, un de ses concitoyens, un certain François-Aimé-Louis Dumoulin, avait publié un livre d’art intitulé «Collection decent cinquante gravures représentant et formant une suite ininter-rompue des voyages et aventures surprenantes de RobinsonCrusoë». L’ouvrage n’étant pas accompagné du texte original deDaniel Defoe, ce n’était pas un roman illustré mais bel et bien, pourla première fois, un récit adapté autonome et en images.

Depuis, la BD a fait son chemin, mais n’a cessé d’entretenir desrelations incestueuses avec la littérature. Ses créateurs, par goûtautant que par nécessité professionnelle, sont des lecteurs bouli-miques. Les romans leur apportent une source intarissable de per-sonnages, d’événements cocasses, de situations inédites… autantd’éléments susceptibles d’enflammer leur imagination et de leurapporter l’idée d’une scène ou d’une intrigue. Par exemple, laséquence des Cigares du Pharaon où Tintin découvre avec effroiune pièce emplie de momies numérotées d’égyptologues (repriseen couverture de l’album) a été soufflée à Hergé par la lectured’une scène assez semblable dans L’Atlantide, de Pierre Benoît.

Lire, pour chaque lecteur, consiste à transformer des mots écritsen représentations mentales, en s’aidant de sa propre expérienceet de son imagination. Ces images, forcément personnelles,deviennent rarement publiques, car cela suppose la volonté et lafaculté de les retranscrire sur papier. Les dessinateurs de BD,habitués à dessiner d’après scénario, ont justement ce savoir-faire,et l’envie parfois de partager leur vision artistique d’une œuvreromanesque, connue ou non, et cela dépasse souvent le seul fait de«raconter l’histoire». Certains classiques de la littérature ontconnu de multiples adaptations en BD (Moby Dick notamment, doitdépasser la dizaine). Comme au théâtre, chaque représentation estlégitime. C’est la qualité de l’interprétation qui fait la différence.

Se lancer dans une adaptation littéraire a longtemps été une initia-tive des auteurs, en dehors de tout cadre éditorial. En 2007, leschoses ont changé et les éditeurs ont créé une véritable tendanceavec des collections spécialisées. Delcourt a ouvert le bal en mars2007 avec le label Ex-Libris dirigé par Jean-David Morvan.

BD & littérature :les liaisons fructueuses ?

Il n’est pas interdit de considérer que bande dessinée et littérature se doivent des comptes. Le pre-

mier serait le média du jeune décérébré fainéant, le second serait le seul médium intelligent qui,

trouvant grâce aux yeux des parents et des autorités, permettrait de flirter avec les muses et les

mots. ZOO festoie, ZOO célèbre dans ce numéro les noces impies mais raisonnables de la bande des-

sinée et de la littérature – en souhaitant l’alliance de la belle et de la bête qui semble encore scan-

daleuse.

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*EXTRAIT DE “À LA RECHERCHE DU TEMPS PERDU” T.1, DE STÉPHANE HEUET, DELCOURT

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N°12 mars-avril 20088EN COUVERTURE

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Gallimard a suivi, avec Fétiche. Adonis s’est lancé dans unvaste programme de parution de 50 albums du patrimoine littérai-re mondial, sous l’appellation Romans de toujours. Petit à Petit,déjà actif avec des collections de chansons, nouvelles ou poésies enBD, a complété son offre avec Littérature en BD et Théâtre en BD.Chez Soleil, le label spécialisé Noctambule devrait voir le jour ausecond semestre 2008. Enfin, Casterman prépare pour mai pro-chain le lancement d’une collection d’adaptations de romans poli-ciers du catalogue Rivages Noir.

Que les motivations des éditeurs soient artistiques, humanitaires(c’est l’argument d’Adonis, qui s’est assuré le soutien bienveillantde l’UNESCO), éducatives (la BD ayant retrouvé grâce aux yeux del’Éducation Nationale, il n’est pas sot de vouloir imaginer desœuvres calibrées pour être utilisables en classe), stratégiques (nesurtout pas laisser les autres éditeurs occuper seuls une niche quipourrait — qui sait ? — devenir fructueuse), ou économiques, noussommes indiscutablement face à une sorte de course éditoriale.

Il convient de s’interroger sur la pertinence de ces adaptations.S’agit-il d’une méthode pour vendre sous une forme nouvelle unehistoire mille fois recyclée ? Un procédé utile à l’auteur de BD enmal d’inspiration ? Un moyen pour démocratiser l’accès aux textes

les plus difficiles ? Que peut gagner uneœuvre littéraire racontée en bande des-

sinée ? Inversement, quelle est ledegré de déperdition d’une histoire

écrite uniquement avec des mots,quand elle est transposée en BD ? Detoute évidence, lecture de texte et lec-ture de bande dessinée sont deuxexpériences très différentes. Si lesnouvelles générations s’accommo-dent parfaitement du récit en des-

sins, nombreux sont les exemples delecteurs plus âgés de romans

qui, à la lecture d’une bandedessinée, sautent de bulle enbulle pour s’accrocher à unlangage qu’ils compren-nent, perdant par là-même

une part importante de lanarration en BD : tout ce quiest non-verbal.

De nos jours, alors quela bande dessinée n’est

plus reléguée au rang

des sous-littératures, l’adaptation littéraire reste un genre contro-versé. Parce que leur lecture est réputée plus facile, il n’est pasrare que les BD adaptées soient rangées dans la catégorie des«digests», ces résumés de livres pour lecteurs pressés. La compa-raison est totalement erronée : contrairement aux digests quiappauvrissent l’œuvre originale, les adaptations en BD font uneprojection dans un champ d’expression qui n’utilise ni les mêmescodes ni le même langage narratif. L’image, prépondérante en BD,contient une profusion de détails et d’informations qui ne figurentpas dans le texte original : costumes d’époque, architecture etdécoration des maisons, effets de foules… Lorsque Tardi adapte LeCri du peuple de Jean Vautrin, il apporte à l’histoire sa connaissan-ce experte du Paris du XIXe siècle et une représentation in situ despéripéties qui est hors de portée de l’imagination du lecteur nonspécialiste. Certes, le lecteur ne peut plus percevoir la qualité litté-raire du style de Vautrin à la seule lumière de l’adaptation de Tardi.C’est le style du dessinateur qui est perceptible dans la BD.

Les bandes dessinées adaptées de romans ne sont pas des pro-duits de substitution. Loin de dissuader les lecteurs de s’attaqueraux textes originaux, elles contribuent généralement à promouvoirles œuvres des écrivains adaptés auprès des lecteurs curieux d’ensavoir plus. Exemple emblématique, Stéphane Heuet a plus aidé lepublic à tenter l’expérience des romans de Marcel Proust, quenombre de gardiens du temple offusqués à l’idée que le grandmaître puisse être ainsi vulgarisé.Rappelons pour conclure que toutes les adaptations littéraires neprétendent pas être des chefs d’œuvres, pas plus que tous lesromans ni toutes les bandes dessinées. Le genre a produitquelques incontournables que nous vous invitons à découvrir enpages suivantes.ILLUSTRATION DE ROBERT CRUMB POUR LA NOUVELLE DE CHARLES

BUKOWSKY : “APPORTE-MOI DE L’AMOUR”

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JÉRÔME BRIOT, OLIVIER PISELLA ET LA RÉDACTION

Dans les années 80 aux États-Unis, Classics Illustrated s’efforçait de contrer la dominance des super-héros en publiant des adaptations de grands classiqueslittéraires en BD, dessinées par des auteurs connus. Sans grand succès cependant, compte tenu du peu de motivation et d’application des auteurs en question.Récemment cependant, la tendance a été relancée, notamment par Marvel : les Moby Dick, Illiade, Le portrait de Doriane Gray, et autres grands classiques dessalles de classe d’Amérique refont donc surface dans des moutures cette fois-ci plus attrayantes. Parallèlement, Marvel adapte certains grands romanciers popu-laires contemporains tel Orson Scott Cards, tandis que certains écrivains et scénaristes de séries TV sont tout simplement embauchés pour écrire les scénarios deséries de comic-books à succès, tel Joss Whedon sur X-Men. L’un des scénaristes maison de Marvel, Peter David, a lui depuis longtemps fait des allers-retoursentre roman et BD puisqu’il fut souvent présent dans les «New York Times best-sellers» tout en ayant écrit Hulk, Spider-Man et bien d’autres.

Au Canada, l’artiste Dave Sim, auteur d’une excellente saga en 6 000 pages, Cerebus, a carrément mélangé les genres en transformant sa saga, au bout d’uncertain moment, en un roman illustré voire un roman tout court (les personnages principaux lisent ou écrivent et l’auteur nous fait lire cette prose pendant desdizaines de pages) avant que de revenir au format dessiné habituel. Il met par ailleurs en scène Oscar Wilde dans sa galerie de personnages.

En France, au début des années 90, Dupuis lança une collection «Sullitzer» à grand renfort de publicité : trois séries furent lancées simultanément, adaptéesdes romans de Sullitzer. Malgré un dessin plus qu’honorable, l’intérêt du lectorat ne fut pas vraiment au rendez-vous et cette collection fut un flop : des milliers deces albums cherchent encore preneur aujourd’hui chez les soldeurs.

Si les adaptations littéraires en BD ont été par le passé plutôt médiocres, c’est souvent parce que les éditeurs se reposaient sur le seul nom du livre ou del’écrivain pour espérer faire vendre. Le dessinateur n’effectuait souvent là qu’un travail alimentaire. Ceci conduisit rarement au succès. C’est en conjuguant un bondessin, un bon livre et une bonne adaptation que le résultat en BD peut espérer tirer son épingle du jeu. Jules Verne, l’écrivain qui avec Edgar Allan Poe se prête leplus à l’adaptation en BD, fut plusieurs fois décliné en images, avec plus ou moins de bonheur. Les albums réalisés en 1976 par Franco Caprioli représentent à cetitre ce qui s’est fait de meilleur. (L’ïle mystérieuse, Michel Strogoff, et d’autres).

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EXTRAIT DE L’ADAPTATION EN BD DE L’ÎLE MYSTÉRIEUSE DE JULES VERNES

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N°12 mars-avril 2008 9

es transpositions de romans en bandes dessinées sontinnombrables, à tel point qu’il faudrait un ouvrage entierpour les référencer en fonction de leurs qualités, du réper-

toire auquel elles appartiennent, de la fidélité ou de la liberté vis-à-vis du texte d’origine, etc. Les relations entre littérature et bandedessinée ont été néanmoins profondément modifiées ces der-nières années.

Pendant longtemps, le neuvième art s’est vu considérer commeune dégénérescence de la littérature, au point d’entretenir unesorte de névrose œdipienne chez tous les acteurs de cet art nou-veau. Des néologismes absurdes comme le fameux «roman gra-phique» témoignent des difficultés de la bande dessinée à s’assu-mer en dehors de la littérature. Le début du XXIe siècle marque une étape dans la maturation de labande dessinée. Elle a en effet adapté un nombre très importantd’œuvres littéraires, mais les romanciers, en reconnaissant lavaleur ajoutée qu’elle apporte à leurs récits, ont amorcé une réci-procité nouvelle et équilibrée entre les deux arts. Ainsi, RayBradbury, grand inspirateur d’auteurs de comics américains, ad’abord considéré les illustrés comme un signe alarmant deparesse intellectuelle1 avant d’écrire lui-même des scénarios

pour les éditions EC. En France, la pas-serelle entre les deux univers narratifsa été le «polar» : les brillantes adapta-tions de Jacques Tardi ont encouragébeaucoup d’écrivains dont DidierDaeninckx, Tonino Benacquista etThierry Jonquet, à rechercher la bandedessinée comme support.Depuis peu, quelques dessinateurs etscénaristes de bandes dessinées sontallés vers la littérature, commeFabcaro ou José-Louis Bocquet ; plusétonnant encore, l’adaptation sousforme de roman de Quelque mois àl’Amélie de Jean-Claude Denis en 2002chez PLG.

L’œuvre de Dino Battaglia est emblé-matique des échanges entre littératureet bande dessinée. Cet auteur italien,né en 1923, est émerveillé par les illus-trations accompagnant les récits

La Bande Dessinée comme mémoire du roman«[…] On a tort de penser la bande dessinée comme neuvième art.

C’est en réalité le premier, car c’est un fait que l’humanité a d’abord dessiné son histoire sur les parois des grottes.»

Jean-Claude Denis («Festival de Pertuis», 2003).

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N°12 mars-avril 200810EN COUVERTURE

abcaro pour la BD, Fabrice Caro pour la littérature, pourquoideux signatures différentes ?Parce que ce sont deux approches totalement différentes, je

ne suis pas du tout dans le même état d’esprit quand je suis surune BD et sur un roman. C’est un peu schizophrène commedémarche mais nécessaire. Mais il n’y a surtout pas de volonté deparaître plus «sérieux» avec mon nom d’état civil parce que jeconsidère le roman comme une activité plus sérieuse. Je ne hié-rarchise pas les arts, ce ne sont que des outils, de simples vecteursd’idées.

Quelle est selon toi l’intérêt d’adapter un roman en BD ?A priori, non, ça n’a pas d’intérêt particulier. Si ce n’est qu’unebonne BD, c’est aussi une bonne histoire, et si un roman en fournitune, pourquoi s’en priver ? L’adaptation est réussie si, à mon sens,plutôt qu’une «déperdition», il en ressort un «dégraissage» dutexte. Et visuellement, il faut que l’image enrichisse le texte sansêtre redondant, sinon ça n’a aucun intérêt.

Es-tu satisfait de l’adaptation de ton roman Figurec en bande des-sinée ?Oui, vraiment. Il y a quelque chose d’assez jubilatoire à voir sesmots mis en image, de voir son univers confisqué par un autre.Christian a dessiné les personnages comme je les visualisais enécrivant, alors qu’il n’y a que très peu de descriptions physiquesdans le roman.

Pourquoi ne pas avoir fait toi-même le dessin ?Quand je viens de boucler un travail, j’aime tourner la page et pas-ser à autre chose, et si possible très différent de ce que je viens defaire. Ma seule motivation c’est l’excitation, c’est d’essayer de nejamais m’ennuyer. Je n’avais aucune envie de revenir sur Figurec.

Pour moi, c’était un dossierbouclé. Cela dit, quand bienmême j’aurais voulu le faire,j’en aurais été bien incapable.Christian a un vrai talent pourinstaller une ambiance etraconter une histoire sur lalongueur. Moi, en BD, je suisplutôt dans le fragment, le for-mat court. Et plutôt dans ladérision, le burlesque.

Comment as-tu collaboré avecChristian de Metter ?En fait, nous n’avons pas vrai-ment collaboré. Castermannous a présentés, le courantest passé tout de suite, nousnous sommes découvert un tasde points communs, la BD bien sûr, la musique, et un tas d’autreschoses. J’ai découvert son travail et j’ai tout de suite compris que jen’interviendrai pas. Christian n’est pas seulement un dessinateur,c’est aussi un auteur. Je ne voyais pas l’intérêt de m’immiscer dansson travail. Et lui n’aurait pas supporté de m’avoir sur le dos enpermanence. C’était un peu la condition sine qua non à l’adapta-tion, qu’il puisse s’approprier le projet à sa guise sans contraintes.

Adapteras-tu toi-même ton prochain roman en BD ?Non. Toujours pas. Fabrice Caro n’a aucune envie de confier sontravail à Fabcaro qui en ferait n’importe quoi...

Six questions à Fabrice Caro

PROPOS RECUEILLIS PAR OLIVIER PISELLA

Fabrice Caro est l’auteur d’un premier roman remarqué – Figurec, chez Gallimard, adapté en

BD chez Casterman (cf. ZOO n°9) –, ainsi que de plusieurs bandes dessinées, éditées notamment

par La Cafetière, en tant que scénariste ou dessinateur.

F

épiques des journauxpour enfants. Il débute ainsi enqualité d’illustrateur de contes,reproduisant le style desgrands dessinateurs italiens,dont Bernardini, Porcheddu etTerzi. Puis, au lendemain de laseconde guerre mondialegrâce au développement de labande dessinée américaine, ilfait la connaissance de HugoPratt, qui le sensibilise aux tra-vaux de Milton Caniff et deFoster, et l’encourage à un tra-vail plus personnel. Battaglia, membre de «l’As depique», multiplie les collabora-tions avec des éditeurs friands

de l’écriture américaine. Mais très rapidement, les scénariosqu’on lui propose lui apparaissent trop stéréotypés ou trop étouf-fants. Il mature son style graphique au contact de Sergio Bonelli etde Toppi dans les pages de Linus. Ce journal — où sévit un certainUmberto Eco —, lui permet de fouiller des formes originales denarration et c’est en puisant dans le répertoire fantastique de seslectures de jeunesse qu’il trouve enfin des récits à sa convenance.

Il met en images Poe, Lovecraft,Shiel et aussi Swift, Dickens, VonChamiso, Büchner, Meyrink,Gozzi, Crane, Daudet, Andersen,les frères Grimm, Rabelais…Hoffmann et Maupassant aurontses préférences. Le premier luioffre l’occasion d’affirmer sa fas-cination pour l’expressionismeallemand. Quant à Maupassant,c’est sa peinture incisive de lasociété de province qui l’inspire.

L’obstination de Michel Jans des éditions Mosquito a tiré Battagliad’une longue éclipse médiatique. Redécouvrir une œuvre telle quela sienne, discerner les influences dont elle s’est nourrie et qu’el-le a exercées, nous prouve que la bande dessinée reste uneauthentique source d’enrichissement culturel et ses adaptations,autant d’opportunités de redécouverte d’histoires oubliées2.

Merci à Philippe Marcel, Michel Jans et surtout Helen.

KAMIL PLEJWALTZSKY1 Dans Fahrenheit 451, Ray Bradbury, Ballantine Books, New York 1953.2 Citons le cas des Aventures d’Edward John Trelawney de Marasmo aux éditions Delcourt,adaptation d’un récit d’Alexandre Dumas indisponible actuellement en roman.

* DR

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N°12 mars-avril 2008 11

omment es-tu devenu directeur de collection chez SCALI ?Je travaillais avec Bertil Scali depuis un moment, notam-ment en tant qu’apporteur d’idées. Scali avait envie à l’é-

poque de se brancher sur la contre-culture au sens large du terme.J’ai eu l’idée de créer une collection ayant pour principe de publierdes romans d’auteurs contemporains et de les faire illustrer. Nousavons donc mis cela en place tous les deux. Selon moi, les bullesont tué le roman illustré du siècle dernier et je voulais sortir de cepiège de la bande dessinée. J’adore les vieux Fantômas,Rouletabille, etc., tous ces feuilletons et romans illustrés du débutdu siècle d’avant, et j’ai pensé que ce serait pas mal de proposer çaaux lecteurs de maintenant.

Pourquoi choisir seulement des romans contemporains ?C’est à la fois indélicat et facile de prendre des grands noms quisont dans le domaine public et de les illustrer. Ça me fait penseraux remix dans la musique. Quand une œuvre existe on n’y touchepas sans demander l’avis de son auteur. On ne s’amuse pas nonplus à remixer Beethoven en techno. Donc ça ne m’est presque pasvenu à l’idée de travailler avec des textes plus anciens et de lesfaire illustrer, ou alors il faut vraiment que ce soit très bien fait, etc’est forcément rare. À ce titre Tardi est une exception.

Comment ont été accueillis les premiers titres de la collection :Eneco par Castelbajac, Les Brutes par Jaenada, Mrs Ombrella etles musées du désert par Darrieussecq… ?Les Brutes de Jaenada a bien marché, c’est notre plus grandsuccès ; la plus grosse déception c’est le livre de Darrieussecq. Lesautres titres ont été accueillis correctement. Mais comme enmusique, il n’y a plus que l’artillerie lourde qui parvient à se faireune place. Dans cette société où tout s’est resserré, il n’existe plusde contre-culture forte, et même pour la littérature que nouspublions, qui n’est quand même pas une littérature parallèle, c’esttrès difficile d’exister.

Faut-il, dans le choix des écrivains,qu’ils aient une écriture qui, comme

celle de Jaenada, se prêteparticulièrement bien àl’illustration ?Pour certains écri-

vains ça ne me viendraitpas à l’idée de les faire

illustrer. Mais par mesgoûts personnels, ce sont

toujours des auteurs dont l’é-criture est très visuelle, qu’ils’agisse de quelque chose deréaliste, d’onirique ou de

tordu.

Comment prospectes-tu pourtrouver qui va illustrer quelécrivain ?Dans le cas des Brutes dePhilipe Jaenada, je savais qu’ilconnaissait bien Berberian et ça m’a paru comme une totale évi-dence de réunir leurs univers. Donc parfois je peux faire l’entre-metteur, ou alors c’est l’écrivain qui me propose un nom, ce fût lecas avec Marie Darrieussecq. Quoi qu’il en soit je pars du texte pouraller vers un dessinateur, et non l’inverse. Je n’ai pas la prétentionde m’y connaître en dessin donc je préfère partir de ce que jeconnais bien.

Qu’est-ce qu’apporte selon toi l’illustration à la littérature ?Déjà cela apporte une œuvre nouvelle, dans l’absolu. Les Brutes,c’est plus fort avec les dessins que sans, je pense. Le dessin c’estune interprétation. Tout dépend donc du talent du dessinateur. À ladifférence du cinéma et de la photographie où l’on fixe les repré-sentations visuelles du spectateur, le dessin laisse une ouvertureet en aucun cas ne tue l’imaginaire.

Penses-tu que l’illustration d’un roman soit plus légitime que sonadaptation en bande dessinée ?Les deux sont légitimes, c’est une question de talent. Il me sembletoutefois plus difficile et périlleux d’adapter un roman en bandedessinée que de l’illustrer, notamment parce que le format de laBD n’est pas forcément adapté et qu’il existe ce risque de raccour-cir et simplifier l’histoire.

Es-tu lecteur de BD ? Quels sont tes goûts en la matière ?J’ai des goûts assez classiques, je suppose. Je suis un enfant desannées 60 donc j’ai été élevé par la ligne belge. Et puis surtout, j’aiété témoin de l’explosion de la contre-culture, les Américains,Crumb, etc. En France j’ai vu naître l’Écho des Savanes, je lisaisPilote quand j’étais gamin, j’ai vu la BD s’adresser de plus en plusaux adultes… Je suis effectivement plus attiré par la ligne claire,par les choses bien dessinées qui racontent des trucs que par lestyle crobard. Dans les auteurs d’aujourd’hui j’aime beaucoup,Mezzo, Dupuy et Berberian, je trouve ça très bon, réel, je respectebeaucoup. À l’époque je lisais Dodo et Ben radis, des trucs commeça…

Quels sont les prochains titres prévus pour SCALI Graphic ?Un Ann Scott va sortir. C’est une personne très exigeante et elle afini par accepter un dessinateur qu’on lui a proposé, qui dessinaitdéjà pour Scali, alors que les 45 précédents noms ne lui conve-naient pas. Castelbajac fera peut être un second livre, un peu plusdirigé cette fois. Sinon, Virginie Despentes va nous en faire un, c’estsigné et c’est en cours. Pour plus tard on a pensé à Ravalec ouencore Nicolas Rey.

Tour à tour musicien, journaliste gonzo et écrivain, Patrick Eudeline

trimballe sa silhouette de dandy émacié depuis une trentaine d’années

dans le milieu rock français. La collection Graphic qu’il dirige depuis

2006 chez l’éditeur Scali propose de revenir aux sources du roman gra-

phique. Entre deux amplis Fender, une anthologie des Beatles et trois

mégots de Pall Mall, le dernier des dandys parisiens nous a parlé

d’illustration et de roman dans son antre montmartroise.

Lunettes noires pournuits blanches

C

PROPOS RECUEILLIS PAR JULIE BORDENAVE ET OLIVIER PISELLA

ILLUSTRATION DEDUPUY ET BERBERIAN

POUR “LES BRUTES” DEPHILIPPE JAENADA

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© Julie Bordenave

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N°12 mars-avril 200812EN COUVERTURE

Van Hamme entre roman et BDNon content d’être scénariste à succès, Jean Van

Hamme fut aussi romancier. Il écrivit ainsi la

série Largo Winch avant de l’adapter en BD. Une

très bonne raison pour l’interroger sur sa façon

d’appréhender les deux médiums.

n terme dec r é a t i o n ,q u ’ e s t - c e

qui distingue réel-lement le romande la BD ?Il y a quelquesdifférences. Dansun roman, par

exemple, il est plus facile de communiquer aulecteur ce qui se passe dans la tête d’un person-nage. Vous pouvez très bien écrire : «Et pendantce temps, il se posait des questions pour savoir siréellement il allait s’acheter du hareng fumé oude la pizza mozzarella», ce qu’en BD vous nefaites pas vraiment. À moins, ce qui se pratiquede plus en plus souvent, d’avoir un texte off. Leroman joue davantage l’identification. On vousdécrit ce que ressent le personnage. Tandis qu’enBD, on essaye de vous le suggérer par l’image.C’est d’ailleurs pour cette raison qu’il est difficiled’émouvoir en BD.

Mais la BD ne repose pas uniquement sur lesimages. Bien sûr. Je ne dis pas qu’il faut des scènes d’ac-tion et des poursuites en voiture à toutes lespages, mais qu’il faut privilégier l’image. Pourprendre l’exemple de Largo Winch, je peuxdemander à Philippe Francq de dessiner unesuperbe vue carte postale de la baie de HongKong qui est une page marquante du tome 15.Dans le roman, je ne m’étendrais pas beaucoupsur la vue de cette baie, mais plutôt sur ceque ressent le héros. Et inversement, enBD, je ne mettrais pas une bulle avec lepersonnage qui, en pensée, se dit : «Ohhh,je ressens quelque chose de merveilleuxdevant cette baie de Hong Kong…». Ce n’estpas nécessaire puisque le lecteur leressent lui-même en voyant le des-sin.

Et quelles sont les autresdifférences ?Le découpage est for-cément différent. Enroman, vous pouvezvous lâcher. Vousn’êtes pas tenus pardes contraintes dedurée. Personne nevous demande d’é-crire 192 ou 252pages. En BD, lacontrainte de

durée est très présente si on veut tenir dans unesérie traditionnelle de 44 ou 46 pages.

Et en ce qui concerne l’adaptation d’un roman enBD, est-ce que vous avez rencontré des difficultésparticulières ?Pas vraiment. Simplement, il faut éliminer beau-coup de choses. Le seul critère qui me limite enBD, c’est la capacité du dessinateur à rendre uneidée. Il y a des choses que je ne vais pas deman-der car je sais qu’elles ne vont pas fonctionner.

Existe-t-il d’autres écueils à éviter ?C’est plutôt une question d’autocen-sure. Avec les romans Largo Winch,je m’étais amusé à faire des scènesérotiques, mais suggérées. Parceque le texte permet de le suggérersans être cru dans le choix desmots. C’est assez difficile de le faireen BD. Vous êtes obligé de montrer l’image. Et çane m’intéressait pas. C’est le même problèmepour la violence. C’est plus facile de la suggéreren roman qu’en dessin. Mais ce sont descontraintes que je me suis imposé à moi-même.

Vous avez écrit dix romans et 120 scénarios deBD. À vos yeux, quelle activité a été la plus grati-fiante ?Il y a deux formes de gratification. Il y a bien sûrle succès public. Il est évident que quand vousécrivez quelque chose, c’est avec l’espoir d’êtrelu. Donc, quand vous faites quelque chose quimarche bien, avec sincérité, c’est indiscutable-

ment gratifiant puisque vous atteignez votre but.Et puis, il y a des expériences gratifiantes d’unautre genre. Il y a une quinzaine d’années, j’aiécrit le roman Le Télescope. Tiré à 1900 exem-plaires chez Le Cri, un petit éditeur, il est celui

qui s’est le moins vendu des dix que j’aiécrits et pourtant, c’est celui que jepréfère. J’ai pris tellement de plaisir àécrire une histoire plus intimiste quema gratification est venue de ce plaisirlà.

Et vous ne pouvez pas le faire en BD ?Si, mais c’est un peu biaisé. Je peux toutà fait écrire un one shot plus intimiste,

mais comme j’ai un nom en BD, l’albumse vendra de toutes façons correctement.

Mais finalement, je vais quand même passer àl’acte puisque je viens de terminer l’adaptation duTélescope en BD. Cet album de 82 pages, dessinépar un dessinateur hollandais, sera publié dans

un peu plus d’un an chez Casterman.

PROPOS RECUEILLIS PAR THIERRY LEMAIRE

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Surf Story, collectif,ATELIER BBZ, 48 P. COUL., 10 €

Premier albumcollectif desmembres del’atelier BBZ,Surf Story estun sympathiquerecueil d’his-toires sur lethème imposédu surf. Collectifoblige, le style

graphique des sept histoires, leurlongueur et leur intérêt respectifssont très variables. Certains desmembres de BBZ sont vraimentsurfers, d’autres non, mais dans uncas comme dans l’autre, chacun asu trouver un angle personnel parlequel aborder cette discipline — quedis-je, cet art de vie. Retrouveztoutes les informations sur le sitewww.myspace.com/surfstorys. Ànoter que le prochain thème estdéjà défini : le vélo Solex (un autreart de vie).

OLIVIER PISELLA

L’Idiot, T.2, de Kang FullCASTERMAN, COLL. HANGUK,372 P. COULEURS, 14,75 €

Dénouementtout en finessede cette histoi-re en deuxvolumes duCoréen KangFull. Le pre-mier tome étaitun régal tant lemode narratif,

pourtant lourd et lent au premierabord, se révélait adéquat pourdécrire des sentiments des plussubtils et touchants. La fin du dip-tyque est à la hauteur ; une étrangeimpression de légèreté accompagneces pages empreintes de vérité, denostalgie et parfois de cruauté.

OP

Figurines exclusives de collection,de Manara, ALTAYA,16 P. COUl., 11,99 €

Passons lanonchalanceavec laquellesont peintes leshéroïnes deManara, leurlaideur, la vul-garité criantedes expres-sions, les

fautes anatomiques, passons aussisur la trivialité du matériau danslequel sont exécutés (il n’y a pasd’autre mot) les personnages etparcourons le fascicule vendu encomplément. La maquette d’un raremauvais goût et les nombreusescoquilles découragent la lecture dece fourre-tout qui, à l’évidence, s’é-vertue au remplissage à *

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N°12 mars-avril 200814EN COUVERTURE

Robinsonen chair et en âme

grands coups de paraphrases,tautologies ou citations balourdes.Ce n’est pas nouveau, Altaya mépri-se ses éventuels lecteurs ; ce quil’est, c’est que Manara aussi.

KAMIL PLEJWALTZSKY

110%, de Tony Consiglio,ÇÀ ET LÀ, 138 P. N&B, 10,50 €

Cathy, Sasha etGertrude sontinconditionnellesdes 110%, ungroupe debellâtres for-matés pourmidinettes. Riende bien tragiquesi ce n’est queces femmes

d’âge mûr semblent ainsi échapperau vide de leur quotidien. Cette pas-sion adolescente devient au fil durécit une addiction aliénante, aupoint de les éloigner irrémédiable-ment d’un bonheur qui n’est pour-tant pas loin. Tony Consiglio décritde manière habile trois directions àpartir de cette situation dont l’uned’elle se soldera par un désastre. Enchacun de nous, sommeille uneonce de cette déraison : il suffit pourcela de substituer au boys-band, unecollection de BD, un militantismeassociatif, ou un hobby quelconque.Une BD intelligente à rajouter aucrédit des éditions Çà et Là.

KAMIL P.

Tanka, de Toppi,MOSQUITO, 72 P. N&B, 13 €

Toppi est sansconteste ungrand faiseurde contes dou-blé d’un virtuo-se du trait. Cedessinateursempiternelle-ment méses-timé expéri-mente au fil de

ses albums un graphisme ciselé, undécoupage magistral et démontrecomme nul autre sa maîtrise desespaces vides ou saturés. Tankacompile quatre récits inédits enFrance sur fond de Japon médiévalet invite le lecteur, par une grandeéconomie d’éléments, à un dépayse-ment total. La troisième histoire,Sato, retient particulièrement l’at-tention par son évidente filiationavec Les Septs Samouraïs de AkiraKurosawa. Du grand art.

KAMIL P.

Okko, Le cycle de la terre II, de Hub,DELCOURT, 58 P. COUL., 12,90 €Dénouement du mystère qui hanteles montagnes de ce Japon médiévaloù Okko et sa troupe sont aux prisesavec d’étranges moines sorciers.Ces derniers, après avoir durementéprouvé le héros et ses compa-

*

*

zoom bd

C’est ce livre qui fit naître mes pre-miers émois de lecteur de littérature.

Robinson m’a énormément donné. Dans monenfance, j’ai dû lire le roman une dizaine defois.» Christophe Gaultier le précise lui-mêmeen avant-propos du premier tome, le livre deDaniel Defoe tient une place particulière dansson panthéon littéraire. À la lecture des troisvolumes de son adaptation en BD, on le croitbien volontiers. Car Robinson Crusoé est certai-nement la série la plus personnelle et peut-êtrela plus réussie de la collection Ex-Libris deDelcourt.La construction en trois volumes est équilibréeet parfaitement cohérente. Le premier opusdécrit les tribulations de Crusoé, jeune hommede bonne famille en mal d’aventure, avant lenaufrage fatidique. Un prélude essentiel à lacompréhension du héros, totalement occultédans l’imaginaire collectif par son séjour surl’île déserte. Qui sait en effet aujourd’hui queRobinson a connu un premier naufrage, a été leprisonnier de pirates turcs, est parvenu à s’éva-der, puis a été recueilli par un navire portugais ?Peu de monde en vérité. Et qui se souvient qu’ils’installa au Brésil et fit fortune dans la canne à

sucre ? Pas plus. Christophe Gaultier s’emploieà nous rafraîchir la mémoire en décrivant unjeune homme un peu naïf irrésistiblement attirépar l’appel de la mer. Appel qui le fait s’embar-quer une nouvelle fois, direction la Guinée, dansle but d’acheter des esclaves pour ses planta-tions. Le voyage de trop. Une tempête surprendle navire et propulse ses occupants au fond del’océan. Fin du premier acte.

On le croyait mort noyé, il n’en est rien. Au débutdu deuxième album, Robinson se réveille surune plage. Vivant. Mais le bonheur est de courtedurée car l’apprenti marin se rend vite comptequ’il est piégé sur une île déserte. Et l’on retrou-ve enfin le héros bien connu. Le plus dur à fairevivre pour Christophe Gaultier, car chacun a sapetite idée sur le sujet. Le dessinateur aussi.Son trait expressionniste et ses ombres traméesconfèrent à l’histoire un caractère inquiétant,lourd de menaces. Robinson est-il vraiment seulsur l’île ? Succombera-t-il aux fièvres ?Tombera-t-il dans la folie, rongé par la solitu-de ? La voix off, omniprésente, renforce la schi-zophrénie : on croirait entendre Robinson décri-re ses propres actions. Les années passent au fildes cases et le jeune ingénu devient un vraibaroudeur. Avec pour seuls compagnons unchien et un perroquet, il oscille entre peur, joie,espoir et chagrin, jusqu’au jour où il découvreeffaré que des cannibales prennent son havre depaix pour une table d’hôtes. Rideau.La couverture du tome 3 est parfaitement clai-re : Robinson n’est plus seul sur son île ! À sescôtés, presque plus impressionnant que sonmaître, se trouve Vendredi, un sabre passé dans

la ceinture. Après plus de 20 ansd’isolement, l’aventure de Crusoétouche à sa fin. Le retour à la civi-lisation, Robinson le fait parpaliers, par rencontres succes-sives. Vendredi d’abord, qu’il asauvé de la tribu ennemie quis’apprêtait à le dévorer. Puis unEspagnol, rescapé lui aussi descannibales, et enfin un équipageanglais débarqué sur l’île par desmutins. Et grâce au navire recon-quis des Anglais, Robinson peutenfin, après tant d’années, s’é-chapper de sa prison. Mais aumoment de quitter les lieux, la joien’est pas si franche. Le lien que lenaufragé a tissé avec ce petit boutde terre est dur à briser. En regar-

dant l’île s’éloigner à l’horizon, Crusoé ne saitplus très bien si ces 28 années d’isolement ontété un enfer ou une bénédiction. Et nous nonplus.En 144 planches, Christophe Gaultier a su distil-ler une large palette de sentiments contrastés.Le pari est réussi, le lecteur est touché.

THIERRY LEMAIRE

Il y a les adaptations de commande, fades, sans flamme. Et puis il y a les

autres, celles où le souffle du roman est si bien transposé que les pages

de la BD semblent tourner sans même qu’on les touche. Avec RobinsonCrusoé, Christophe Gaultier signe une trilogie poignante qu’on empor-

terait forcément sur une île déserte.«©

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N°12 mars-avril 2008 15

Sur les bords duMississippi

est en 1876 que le premier volume deTom Sawyer voit le jour sous la plume del’écrivain américain Mark Twain (1835-

1910). Les aventures de Tom Sawyer est ungrand succès populaire, surtout auprès desenfants, et c’est l’histoire comportant ce person-nage qui sera la plus fréquemment adaptée.Parce qu’en effet, le turbulent orphelin, élevé parsa tante Polly, devient un personnage récurrentdans l’œuvre de Twain. Il apparaît notammentdans Les aventures de Huckleberry Finn, deuxiè-me grande réussite du romancier.

S’il semble établi quela génération de ceuxqui ont apprécié ledessin animé dans lesannées 80 (49 épi-sodes) tend irrémédia-blement à passer lamain à ceux qui kiffentNaruto, il n’est pasinutile de rappeler quiest Tom Sawyer. Toutd’abord, il faut savoirque Tom Sawyer «c’estl’Amérique», qu’il est«haut comme troispommes» et que c’est

«un joyeux garçon» (les génériques de début etde fin sont fabuleux). Par ailleurs, malgré sonjeune âge, Tom est un jeune surdiplômé ne trou-vant pas de travail, pourtant il se lève tôt : cham-pion de l’école buissonnière, premier prix decamaraderie et galopin d’élite. À côté de cela, ilest fermement décidé à devenir pirate, et sonamour pour la fille du juge, Becky Thatcher, estun moteur dans sa vie — mais c’est vrai qu’avecelle on déconne moins qu’avecHuckleberry Finn, son meilleur ami,dont la vie de vagabond l’ impres-sionne. Et puis, comme chacun lesait, un bon méchant est souventprimordial pour qu’il y ait une bonnehistoire. Il est ici incarné par celuique l’on nomme Joe l’Indien, et quidans la vie inspire un sentiment depeur à son entour, un peu commeTrifon Ivanov sur un terrain de foot-ball, en son temps.Depuis mai 2007, deuxéditeurs de BD publientquasi-simultanément une adap-tation des Aventures de Tom Sawyer. D’un

côté nous avons Del-court, collection Ex-Libris, un tome paru etun deuxième prévu pouravril 2008. Une tripletted’auteurs : Morvan etVoulysé au scénario,lefèbvre au dessin. Del’autre côté, les éditionsSoleil ont fait appel à unduo de dessinateursméconnus : Julien etMathieu Akita, deuxfrères franco-japonais,et à Jean-Luc Istin pour le scénario ; deux tomesont déjà été publiés et le troisième et derniervolume devrait paraître novembre 2008.Difficile de départager ces deux adaptations (eten plus Majestic Gérard est très consensuel). Ilfaut bien admettre que chacune d’entre elles ade bons arguments à faire valoir, en particulierun bon rafraîchissement de l’univers dessiné.Signe des temps, le trait est influencé par lemanga dans les deux versions (rappelons que ledessin animé évoqué ci-dessus était déjà uneœuvre nippone, quoique Tom Sawyer ne portaitpas encore des cheveux en mèches façon DragonBall Z). Graphiquement parlant, les personnagesdessinés par les frères Akita sont toutefois plusconvaincants que leurs homologues croqués parSéverine Lefèbvre. Côté scénario, si l’histoire debase est la même, la narration des auteurs deSoleil tire tout de même son épingle du jeu : elleapparaît plus fluide et mieux adaptée en raisond’un plus grand classicisme de mise en scène.Quoiqu’il en soit, c’est un réel plaisir de retrouveren BD ces personnages si familiers. À lire enmangeant un paquet de Paille d’Or.

NB : Remarquez les trois consonnes doubles de«Mississippi».

MAJESTIC GÉRARD

Plus de 130 ans après sa création, et plus de 25 après la série animée

diffusée dans le cadre de l’émission Récré A2, Tom Sawyer a toujours

bon pied (nu) bon œil (facétieux). Le garnement du Mississippi s’accor-

de aujourd’hui les faveurs de plusieurs auteurs de bande dessinée.

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gnons,s’apprêtent àlancer surl’empire duPajan unehorde de mortsvivants. Sansdoute l’épisodele plus déce-vant de cettesaga, jusque-là

agréable par sa fraîcheur et son ori-ginalité. Le récit a perdu de sa flui-dité, la mise en couleur souffred’inspiration au même titre que lescénario lui-même. Autrement dit,d’une intrigue prometteuse, lesmontagnes des Sept Monastères ontaccouché d’une souris.

KAMIL P.

Titine au bistrot, T. 2, Délire total !,de Yan Lindingre, FLUIDE GLACIAL,48 P. COULEURS, 9,95 €

Pour ceux quine les connais-sent pas, Titineet son jeunefrère Bouffi fontpartie, avec lecoupleBidochon, de lagrande famillede la France

d’en bas. Si ces derniers subissentla modernité avec plus ou moins desuccès, Titine et les siens en sontdes purs produits. La série entaméepar Lindingre évoque à bien deségards l’univers des Simpsons ima-giné par Matt Grœning avec cepen-dant une dose d’irrévérence supplé-mentaire. Drôle, incisive et quelquepeu effrayante Titine est l’une desmeilleures révélations de FluideGlacial de ces dernières années.

KAMIL P.

Kaamelott, Les sièges de transport,d’Alexandre Astier et Steven Dupré,CASTERMAN, 48 P. COUL., 11,36 €

La série phé-nomène devenueculte arriveraprochainementau cinéma. Maisavant cela,AlexandreAstier, l’auteur,acteur, réalisa-teur, monteur,

compositeur, de cette perle d’hu-mour au quotidien a décidé d’enfaire une BD. En adaptant lui-mêmeson œuvre, il assure ainsi aux fanset aux novices une garantie maison :l’humour, les bons mots, les per-sonnages, tout l’esprit de la sérieest là. Mais on regrettera le gra-phisme approximatif qui tente dereproduire à l’identique le physiquedes acteurs, sans y parvenir tout àfait. Toutefois, l’ensemble reste vifet distrayant. Un véritable encaspour les fans avant un nouveau cof-fret DVD.

*

LOUISA AMARA

TOM SAWYER SUR LE FRONTISPICEDE LA PREMIÈRE ÉDITION

DU ROMAN DE TWAIN (1876)

COUVERTURE DU TOME 1 DES AVEN-TURES DE TOM SAWYER, DELCOURT

EXTRAIT DE TOM SAWYER, SOLEIL

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N°12 mars-avril 200816

insi, le dessinateur de BD serait unartiste contemporain comme lesautres ? C’est en tout cas le parti pris

courageux adopté par l’artothèque deCherbourg, à l’origine de la Biennale du 9e art.«Faire entrer des auteurs de BD dans un muséed’art a fait grincer quelques dents, expliqueVéronique Liévin, co-commissaire de l’exposi-tion. Le projet a pas mal bousculé les menta-lités.» Il s’inscrit pourtant dans la continuité ducabinet des estampes du musée Thomas-Henry.«La mission de l’artothèque de Cherbourg, pour-suit Véronique Liévin, est la valorisation del’œuvre imprimée et multiple. Les dessinateurschoisis font de la sérigraphie, de la litho pourcertains, et utilisent toutes les techniques et lesspécificités de la gravure pour faire vivre leurœuvre en dehors du contexte des bandes des-sinées.»

Tant pis pour le frileux milieu de l’art contempo-rain, le public, lui, est conquis. 10 400 visiteursse délectent de la première Biennale. 15 000sont attendus cette année. Un beau succès.Précisons ici l’intelligence du propos : les expo-sitions ne sont pas de simples rétrospectivesmais questionnent l’œuvre de l’artiste sous uncertain angle qui est, comble de raffinement, enrapport avec la ville de Cherbourg. En 2002, Bilals’expose sous le signe du transit, en parallèleavec la gare transatlantique. Deux ans plus tard,Schuiten hérite du thème du voyage. En 2006,Juillard se mesure aux œuvres du peintre Millet,

dont un grand nombre est conservé dans lemusée.

Pour Loustal, coloriste de talent, le choix s’esttout naturellement porté sur la lumière. Pourcapter la luminosité de la Normandie, l’artiste apassé trois jours dans la région à scruter lesconstructions militaires de Vauban. Il en résultedix fusains de toute beauté. À ces crayonnéss’ajoutent 150 originaux dénichés dans son ate-lier, aux atmosphères variées, de jour comme denuit, aux couleurs acidulées ou électriques. Pourterminer la visite, l’imprimeur d’art FranckBordas a réalisé dix tirages monumentaux de3 m sur 1,5 m à partir d’aquarelles de la tailled’une feuille A4. Une qualité de rendu impres-sionnante. Vous cherchiez une raison pour visiterCherbourg, la voilà : une exposition exigeantedestinée au grand public. Quant au nom du pro-chain artiste, Véronique Liévin préfère encoregarder le secret. Seul indice pour nous faire tré-pigner d’impatience jusqu’à 2010 : c’est un trèsgrand.

THIERRY LEMAIRE

Loustal en pleine lumièreSi Jacques Loustal est considéré à juste titre comme l’un des auteurs de

BD les plus littéraires, il est avant tout un illustrateur hors pair. Dans le

cadre de la quatrième Biennale du 9e art, le musée d’art Thomas-Henry

de Cherbourg accueille une exposition qui lui est consacrée, sur le thème

du clair-obscur.

ART & BD

zoom art

Dessins érotiques et toiles de grandedimension de Cédric LolliaCédric Lollia, jeune artiste de 32 ansd’origine antillaise, a notamment faitses armes dans le graff sous le nomd’Apolo, en opérant par exemple dansdes tunnels de métro ; par la suiteLollia est revenu à un art moinsempreint de dangers : customisationde T-Shirts sous le nom de Clothart,peintures sur chutes de bois et ensei-gnement artistique à des enfants.Sous la houlette du galeriste NicolasLefebvre, la galerie Pierre Cardinaccueille aujourd’hui les oeuvres deLollia qui, précedemment, ont étévisibles à Londres, Prague, Berlin,Bruxelles et New York. Autant sesgrandes peintures sont chargées,ébouriffantes et insolemment coloréespour certaines, autant ses dessinsérotiques, présentés dans un «Cabinetde Curiosités», sont de petit format,minimalistes, et expriment souplesse,langueur, lascivité. À découvrir.Galerie Pierre cardin, Paris.Du 13 mars au 15 avril 2008.

Keith HaringArtiste phare de la scène new yorkaisedes années 80, héritier du mouvementbeatnik et des années psyché, inspirépar la bande dessinée, le graff, lesécrits de William Burroughs ou encorepar sa rencontre avec Jean-MichelBasquiat, l’oeuvre protéiforme,bouillonnante et colorée de KeithHaring (1958-1990) est mise à l’hon-neur au MAC de Lyon jusqu’à l’orée del’été. Cette exposition rétrospectivepropose au visiteur un parcours erra-tique à la chronologie incertaine. KeithHaring est symptomatique de sadécennie, les 80’s, marquées parl’avènement du SIDA, du capitalismedécomplexé et triomphant, de la cul-ture gay... Fans ou victimes desannées 80, cette expo est pour vous.Musée d’art contemporain de Lyon,Du 22 février au 29 juin 2008.

LOUSTAL CLAIR OBSCUR

MUSÉE D’ART THOMAS-HENRY

QUATRIÈME BIENNALE DU 9E ART

CHERBOURG

DU 4 AVRIL AU 21 SEPTEMBRE

© Loustal / numérisation de Franck Bordas

OLIVIER PISELLA

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N°12 mars-avril 200818

lors qu’Astérix aux Jeux Olympiquesatteint péniblement ses objectifs finan-ciers, sa parfaite antithèse est sortie peu

après et constitue la preuve par six qu’une adap-tation (française) de BD peut être intelligente etsophistiquée. Plus précisément, il s’agit d’un filmcomposé de six segments sur le thème de lapeur, écrits spécialement par plusieurs auteursdessinateurs de BD reconnus, Blutch, CharlesBurns, Marie Caillou, Pierre Di Sciullo, LorenzoMattotti, et Richard McGuire. Ayant chacun etchacune des obsessions et des styles différents,il n’était pas chose aisée de trouver un thèmecommun et une unité visuelle. C’est le choix duthème, et du noir et blanc pour l’aspect visuel quiont été déterminants. Saluons la démarche desproducteurs, elle a permis tout d’abord, de sus-citer la curiosité des amateurs de dessins etd’histoires mystérieuses mais surtout de donnerà des auteurs talentueux la possibilité d’expri-mer leurs idées les plus cauchemardesques endéveloppant chacun leur style librement. Ledirecteur artistique, Etienne Robial, a su égale-ment proposer pour chacune de leurs histoiresla technique d’animation la plus adaptée. Le noiret blanc faisant le lien entre chaque segment, lanervosité du trait de l’un rencontre la froideur etla netteté du dessin de l’autre, le tout monté avecune grande efficacité. Le choix des acteurs est àsouligner, la voix reconnaissable et attachantede Nicole Garcia rencontre celle plus neutre deGuillaume Depardieu, cela change agréablementde la politique de doublage de certains gros filmsd’animation où la star compte plus que son per-

sonnage.Par ailleurs, on remarquera des points com-muns entre les segments, étonnant puisquechaque auteur a travaillé séparément. Ainsi cer-tains semblent avoir un singulier problème avecles femmes, elles représenteraient leurs bour-reaux, mais peut-être estiment-ils qu’unefemme cruelle est bien plus terrifiante qu’unhomme ? On ne saurait que trop vous conseillerd’aller fouiller dans les œuvres des auteurs pourtrouver la réponse à cette question.Chaque spectateur aura son ou ses histoire(s)favorite(s) mais toutes sont riches sur les plansvisuel, narratif et même psychologique. En effet,les peurs évoquées nous touchent tous et lesinterrogations des personnages, en particuliercelui de Nicole Garcia, sont les nôtres. Peur dunoir, des bruits dans la nuit, des chiensméchants et de leurs maîtres sadiques, despetites bêtes, des grosses, peur d’être enfermé,d’être violé, torturé ou pire, peur de nous-mêmes, un concentré intense de toutes cespeurs en 1h30 vous attend. Et vous, de quoi avez-vous le plus peur ?

LOUISA AMARA

Peur(s) du noirzoom ciné

Soyez sympas rembobinez ! deMichel GondryDevenu accidentellement magné-tique, Jerry efface toutes les VHS duvidéo-club miteux dans lequel bosseMike, son meilleur ami. Pris decourt, les deux gus ont une idéefolle : retourner en quatrième vites-se les classiques de location via uncaméscope pourri. Derrière lecaractère potache de cette histoire,Gondry signe une belle déclarationd’amour au cinéma. Le savantmélange de débrouille et de créati-vité visuelle cher au cinéaste permetau film de prendre une toute autredimension : celle du cinéma démo-cratique et tisseur de lien socialdans lequel le quotidien recèle deprojets artistiques ne demandantqu’à être dégoupillés.

JULIEN FOUSSEREAU

There will be blood, de PT Anderson

Présenté comme un classique ins-tantané, le cinquième film de PaulThomas Anderson est bien à la hau-teur de sa renommée. L’ascensionfulgurante et implacable d’unmagnat du pétrole californien,campé par un Daniel Day Lewis hal-lucinant, se révèle être une paraboleterrifiante sur le capitalisme sansfrein et les dérives religieuses ron-geant l’Amérique du 20e siècle.There Will Be Blood apparaîtcomme le film le plus maîtrisé, leplus fou aussi de son auteur d’au-tant plus que la virtuosité un peuclinquante de ses débuts laisseenfin place à une réalisation plusposée d’où jaillissent montéesd’adrénalines et saillies expérimen-tales. There will be a chef d’œuvre.

JULIEN FOUSSEREAU

Deux soeurs pour un roi, de JustinChadwick, sortie le 2 avrilScarlett Johansson, Natalie Port-man, Eric Bana, rien que l’affichemérite le déplacement, stars mise àpart, cette reconstitution d’unepériode agitée de la cour du roiHenri VIII, au 16e siècle vaut par laqualité de ses acteurs autant que deses décors, costumes, et surtout parla tension que les scénaristes ont suinstallée. Quand le roi veut une nou-velle maîtresse et surtout un héri-tier mâle, c’est tout le royaume quivacille. Sexe, trahison, manipulation,meurtre, tous les ingrédients sont làpour nous tenir en haleine 2 heuresdurant. Tragique et magnifique filmd’époque qui vous emportera aucœur des tourments de celui qu’onappellera plus tard Barbe-bleue.

Six dessinateurs de bande dessinée de renom nous confient dans ce film

d’animation en noir & blanc leurs peurs les plus intimes. Avec Étienne

Robial en chef d’orchestre (auteur des anciennes chartes graphiques de

Canal + et de Futuropolis), nous escomptions une réussite esthétique.

Verdict : c’en est une.

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PEUR(S) DU NOIR

DE BLUTCH, CHARLES BURNS, MARIE

CAILLOU, PIERRE DI SCIULLO, RICHARD

MCGUIRE, LORENZO MATTOTI

ANIMATION N&B

DURÉE DU FILM : 85 MIN

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CINÉ & BD

LOUISA AMARA

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N°12 mars-avril 200820

Les 101 Dalmatiens en DVD

éterminer la dimension intem-porelle d’un Disney de l’âge d’orreposerait sur trois critères :

l’association quasi immédiate du titreavec une ou plusieurs chansons, l’an-crage mémoriel du méchant, sansoublier les qualités «technico-artis-tiques». En effet, par rapport à sesillustres prédécesseurs sortis de l’écu-rie Mickey, le présent film ne comportequ’une seule véritable chanson.Mais quelle chanson ! «Cruellediablesse, cruelle diablesse […]Cruelle, cruelle diablesse !» Le

simple fredonnement de cette entêtante ritournelle évoqueirrémédiablement l’inquiétante Cruella d’Enfer. Cette bour-geoise caressant le projet de se confectionner un manteauen fourrure de dalmatiens, est entrée de plain pied dans lamythologie des méchants «disneyiens» par son look «d’en-fer» : pommettes saillantes, crinière mi-noire mi-blanche,teint blafard pour un cadavre ambulant charismatique.

Cruella est incontestablement une réussite que l’on doit augénial Marc Davis, l’un des neufs sages qui constituaient le

noyau dur des animateurs de la grande époque ; certainement undes points positifs de ces éditions Collector depuis Le Roi Lion :réhabiliter ces hommes de l’ombre et leur savoir-faire innovant.C’est ainsi que l’on apprend que, suite à l’échec relatif de la trèscoûteuse Belle au bois dormant, le procédé Xérographie fut misau point. Il consistait à photocopier les traits directement sur cel-luloïd au lieu de les peindre à la main. Ce choix artistique repré-senta un gain de temps et d’argent considérable bien que WaltDisney, chantre du graphisme lisse et romantique, détestait cerendu crayonné. Il fut bien seul puisque Les 101 Dalmatiens fit un

tabac partout dans le monde et renfloua lescaisses de son empire endetté. Voici donc unbref aperçu de la mine d’informations disponi-bles dans ce DVD irréprochable.

JULIEN FOUSSEREAU

Le classique de Walt Disney ressort enfin dans un DVD Collector. Outre une superbe remasterisa-

tion, les suppléments passionnants sur le caractère innovateur de son animation en font un achat

immanquable.

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LES 101 DALMATIENS

DE CLYDE GERONIMI, HAMILTON

LUSKE, WOLFGANG REITHERMAN

ANIMATION (1961)

WALT DYSNEY - 2 DVD

DURÉE DU FILM : 80 MIN E20

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DR

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oraemon est un manga né à uneépoque où le Japon est dansl’accomplissement de sa révolu-

tion industrielle. Une révolution qui seconcentre sur le développement de l’é-lectronique. Début de l’histoire : unrobot-chat débarque dans la maison dujeune Nobita Nobi. Il est envoyé du futurpar le petit fils de Nobita pour éviter quecelui-ci ne rate sa vie et ne couvre dedettes plusieurs générations de descen-dants. Pour remédier à cela, le robotDoraemon est chargé de surveillerNobita et d’influer sur son destin. Aujour le jour, cela se traduit par dessketchs burlesques où le garçon pleuresur son sort et trouve le soutien deDoraemon qui lui fournit un gadget futu-riste afin de le venger, par exemple, desbrimades reçus régulièrement de sespetites camarades de classe. Malheu-reusement, le gadget (dôgu en japonais)est malmené par Nobita et l’usage sou-haité se retourne en général contre lui.Tout cela induisant une tacite morale àl’épisode vécu.

Série culte

Le manga est constitué de récits courtsqui jouent parfois sur des paradoxestemporels mais pas seulement, car lesgadgets imaginés révèlent aussi biendes éléments magiques de contes etlégendes, japonais ou non, que des anti-cipations scientifiques. Dans cettecontrainte narrative de comique à répétition,l’humour se fait malgré tout assez varié. Dansl’épisode extrait du tome 4 (planche ci-contre),Nobita se gave de «patates musicales» pourémettre des gaz mélodieux et devient un véri-table pétomane, capable de s’envoler dans le cielazuré.Doraemon est un classique du manga moderne.Sa publication a débuté fin 1969 sous l’impulsiond’un duo d’amis d’enfances, Hiroshi Fujimoto etMotoo Abiko, qui signaient alors sous le pseudo-nyme commun de Fujiko Fujio. Lorsqu’ils seséparèrent en 1987, la série fut reprise parHiroshi Fujimoto seul (sans doute le principalartisan de l’œuvre) sous le nouveau pseudo deFujiko Fujio F., puis enfin celui de Fujiko F. Fujio,et ce jusqu’à l’arrêt définitif du manga, c’est-à-dire à la mort de son auteur, en 1996. Mais entre-temps, la saga dessinée avait engendré uneautre succession, plus incroyablement populaire,

à travers des séries animées pour NipponTelevision (1049 épisodes de 1973 à 2005) et detrès nombreux films, constamment rediffusés.Le succès est tel que les ventes des 45 volumesdu manga édités par Shogakukan sont énormeset que Doraemon a inspiré de nombreux produitsdérivés, les plus communs étant les dizaines dejeux vidéos qui s’en inspirent. Mais Doraemon estsurtout devenu une figure du patrimoine japonaisidentifiable de tous. Un phénomène.

DoraemonIcône incontournable de la culture populaire japonaise,

la série humoristique au chat bleu venu du futur est

connue de tous les habitants de l’archipel. Sur le ton de

la douce rigolade, elle a autrefois incarné un Japon moderne qui lorgnait

vers les technologies de pointe tout en ne reniant ni passé ni croyances.

D

zoom BD Asie

Golgo 13, le choix de l’auteur,de Takao Saito, GLÉNAT,1180 P. N&B, 20 €

Étant donnéque ce titreest l’un desplus longsde l’histoiredu mangaadulte, qu’ilest né il y a40 ansexactementdans lespages deBig Comic

(Shogakukan) et qu’il comporte plusde 140 tomes, il est peu probablequ’un éditeur français envisage sonadaptation complète. Profitons dece deuxième best of qui arrive aprèsune anthologie de 13 récits choisispar les lecteurs (Glénat, 2006).Cette fois, les 13 choix sont faits parl’auteur et forment un bottin de 1,7Kg qui permet de reconsidérer lesaventures du célèbre tueur à gages.Elles offrent en effet des points devue, certes discutables, sur lessociétés humaines. L’épisode 3(1984) montre ainsi les difficilesrelations entre l’emploi du nucléai-re civil et les vélléités du mondepolitique. Ajoutons que ce pavéessentiel comporte plusieurs entre-tiens, dont un avec Saito lui-même.

CHRISTIAN MARMONNIER

Yôkai, dictionnaire des monstresjaponais, de Shigeru Mizuki,PIKA, 250 P. N&B,(second tome en juin), 9,95 €

L’auteur deNonNonBâ etKitaro lerepoussantest tombédedansquand il étaitpetit.Explications :il adore lebestiaire desesprits, des

fantômes et des divinités qui peu-plent la culture japonaise, héritiairede l’animisme shintô. Il les faitintervenir dans ses mangas et, sur-tout, il compile des renseignementssur eux. Ce dictionnaire illustrévous apprendra que Hyakumé(«cent yeux») se déplace la nuit, quelorsqu’il croise quelqu’un, l’un deses yeux sort de son orbite pour lesuivre partout mais regagne finale-ment le corps de son maître, qu’iln’a pas de bouche, et que l’on nesait même pas ce qu’il mange, nicomment. Ce n’est bien sûr qu’unrésumé.Cinq cents autres monstres sontlonguement décrits sur deux tomesd’utilité publique.

CME

DORAEMON

DE FUJIKO. F. FUJIO.

190 P. NOIR & BLANC PAR VOLUME

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SORTIE DU TOME 5 LE 21 MARS 20086,25

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CHRISTIAN MARMONNIER

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ôru Fujisawa est l’un des invités d’hon-neur du tout nouveau Village Mangas duSalon du Livre de Paris. Il est donc temps

de faire le point sur cet auteur prolifique qui abeaucoup donné pour le manga tant au Japon (35millions de volumes vendus en 1998) qu’enFrance (le dernier tome de GTO se classe 4e ventede BD de l’année). Né en 1967, publié dès 1989, ila connu le succès très rapidement avec la venueau monde en 1991 d’un personnage extraordinai-re, Eikichi Onizuka, prince décoloré de la bastonet de la moto, qui forme avec son pote RyujiDanma le très redouté Onibaku Combi, ce qui enbon français désigne le «duo démon-bombe»…Ce sont tout simplement deux lycéens dont la vieest entièrement dédiée à la bagarre, à la moto, etaux filles — avec une incontestable réussite surles deux premiers plans, assortie d’un naufrageconsternant côté meufs. Onizuka est le bagarreurle plus redouté de Tokyo, mais il est aussi lepuceau le plus connu de la région.

Ce qui va lui donner une étrange idée à l’issue des31 tomes de Young GTO : s’il n’a réussi à se sor-tir aucune fille au lycée en tant qu’élève, aucuned’entre elles ne lui résistera s’il devient prof…Alors que Ryuji s’installe dans un garage avec sacopine, Eikichi notre redoutable zoku (loubard)décoloré profite du fait qu’au Japon n’importe quipeut devenir professeur stagiaire pour s’installerdans un lycée (il squatte la terrasse au dernierétage avec ses K7 porno) et donner des cours d’é-ducation civique à des élèves qui en savent plusque lui. La série passe alors le monde enseignantau Kärcher, puisqu’Onizuka s’avère le seul prof àtenter de comprendre ce qui se passe dans saclasse réputée ingérable, alors que tous lesautres enseignants se contentent de fuir les pro-

blèmes ou d’essayer d’entraîner les filles aukaraoké. Il devient le Great Teacher Onizuka,incontrôlable et incompétent, mais candide aumilieu d’une société sclérosée dès l’école etconstamment au bord de la crise de nerfs… D’unpitch improbable (un ancien loubard devient profpour se taper des minettes), Fujisawa a sorti undes meilleurs mangas de tous les temps.

Alors qu’il doit tout au shônen, genre ultra-baliséet très peu critique, ses dernières créations serévèlent ensuite beaucoup plus sombres et vio-lentes, ce qui dérange beaucoup ses éditeursjaponais (la Kodansha arrête Rose Hip Rose au 4e

volume) mais pique beaucoup la curiosité deslecteurs européens. On peut saluer l’initiative dePika qui sort simultanément Rose Hip Rose etTokkô dans des éditions de très bonne facture.Les aventures d’Onizuka ne manquaient déjà pasde critiques sur la société japonaise, mais res-taient cantonnées à un lycée, à un quartier — alorsqu’avec les histoires de monstres sanguinairesde Tokkô, c’est toute la ville de Tokyo qui donnecadre à l’histoire. L’incapacité chronique de lapolice et des institutions revient également dansRose Hip Rose et sa fliquette de choc, comme siFujisawa s’était lassé de l’humour potache dushonen pour tenter d’évoluer vers un manga pluspolitique façon Sanctuary… Mais bon, ça reste duFujisawa : têtes déformées, obsédés sexuelsdans la hiérarchie, et préoccupations quoti-diennes (jeux vidéos, pachinko…) restent demise entre les démons exterminateurs et lesarmes automatiques ! Profitons bien de cetteparenthèse : cette face sombre de Fujisawa neplaît pas au Japon et il a annoncé le retourd’Onizuka dans une nouvelle série — cartonassuré ! BORIS JEANNE

Great MangakaFujisawa

Eikichi «Great Teacher» Onizuka n’est

pas humain. Son créateur Tôru Fujisawa

non plus sans doute, comme tous les man-gaka créateurs de séries au long cours

dont une livraison hebdomadaire est

attendue systématiquement par toute

une génération d’ados – Fujisawa a livré

31 volumes de Shonan Junaï Gumi(connu chez nous sous le nom de YoungGTO) puis 25 de GTO, sans compter les

adaptations en animé puis en live…

Comment passer à autre chose ensuite,

et garder cet attrait unique d’un per-

sonnage inclassable, inhumain peut-

être mais humaniste au fond, dur au

cœur tendre, ridicule flamboyant ?

C’est peut-être ce que vous pourrez lui

demander au Salon du Livre de Paris…

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Le fleuve Shinano, T.2, de KazuoKamimura et Hideo Okazaki,ASUKA, 224 P. N&B, 9,95 €

Dans lecadre del’énormepublicationpatrimonia-le organiséepar les édi-teursfrançaispour profi-ter àmoindrecoût de l’é-

norme engouement mangaphile, ontrouve quelques pépites des années1960-1970 magnifiquement serviespar une édition somptueuse : c’étaitLady Snowblood et le chambaraprécédemment, place au FleuveShinano et au gekiga ce mois-ci. Cesous-genre du manga pour adulteest censé traiter de vrais problèmessociaux : Le fleuve Shinano suit lesétapes de la vie difficile et roman-tique de Yukié Takano, indéfectibleamoureuse au milieu d’une périodetourmentée pour le Japon (l’èreShôwa, entre 1925 et 1989). Et c’esttrès beau.

Nés pour cogner T.1, de Shin’IchiSakamoto, DELCOURT,226 P. N&B, 7,50 €

Le shônenva-t-il enfinentrer danssa périodepost-moder-ne ? Il estessentielle-ment ques-tion debagarre etde filles dansNés pourcogner,

comme d’habitude, mais là on nes’embarrasse pas de métaphorespour montrer une bande de mecsse comparer leurs engins : c’estcelui qui a la plus grosse qui se batle mieux, au final. Même si ça faitpeur aux filles… À force d’avancersur cette ligne de bourrin, le mangaen devient attachant, et comme ilest remarquablement dessiné, onattend la suite !

Comme elles, T.1, de SakuraFujisue, DELCOURT,200 P. N&B, 5,95 €Pas facile de renouveler le boymeets girl ! Sakura Fujisue décidedonc de ne rien réinventer, mais aucontraire de s’attacher à suivre pasà pas le destin amoureux de deuxpetits couples élément par élément,rencard par rencard, et dont labanalité est évitée par une attentionextrême aux petites phrases, auxpetites expressions des corps et desvisages qui font toute la beautéd’une histoire d’amour (ou de trom-perie) même si on l’a déjà lue(vécue ?) mille fois. BORIS JEANNE

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N°12 mars-avril 200824

aul Pope est un de ces artistes qui nelaisse pas indifférent, et dont le talent etl’originalité font pâlir d’envie — et d’admi-

ration — les autres artistes.Il grandit aux États-Unis puis fait des étudesd’art graphique dans l’Ohio, pendant lesquellesil découvre la bande dessinée européenne quiaura une grande influence sur lui : notammentHugo Pratt, Micheluzzi et Moebius.Il effectue alors un parcours peu commun puis-qu’il est remarqué dés ses débuts par le grandéditeur de manga japonais Kodansha qui l’inviteà travailler pour lui au Japon sur divers projets,qui ne verront d’ailleurs in fine pas le jour.Qu’importe. Paul Pope revient aux États-Unis,et, fort de sa triple influence : manga, BD etcomics, il commence à travailler sur des projetspersonnels pour divers éditeurs indépendants.Ce sera notamment THB, une sorte d’anthologiede science fiction, puis Escapo, The One-trickRip-off (Arnaque à l’arrachée, en France), HeavyLiquid, et enfin, plus récemment, 100%, plusquelques travaux de commande chez Marvel etDC sur les personnages de Spider-Man etBatman.

Paul Pope est un artiste à part parce que trèscomplet et original. Il écrit lui-même ses scéna-rios, dessine, et fait également du design. Pourlui-même — ses BD sont remplies d’objets, demécanismes et de vêtements de son invention —mais également pour d’autres : il travaille pourla marque de vêtements Diesel, pour DKNY ainsique pour des galeries. Compulser un ouvrage dePaul Pope revient donc toujours à faire un voya-ge en avant dans le temps et dans l’ailleurs.«J’ai lu beaucoup de SF et je me demande tou-jours, du point de vue du concepteur et de l’ingé-nieur, comment les choses, les vêtements sontfabriqués, avec quels objectifs et comment ilsfonctionnent. C’est une des choses qui est amu-sante avec la SF : la possibilité de concevoir des

nouveaux mondes, de nouvelleschoses», dit-il.Ses histoires sont effectivementessentiellement situées dans desunivers de science fiction relative-ment proches de nous et dans uncontexte policier, mais ce ne sontque des prétextes à dessiner desinventions, à dépeindre des per-sonnages en quête d’identité, enplein devenir, et surtout : des liai-sons amoureuses raciniennes desplus émouvantes. Les person-nages de Paul Pope luttent contrel’adversité et l’environnementpour tenter d’atteindre un bon-heur que la société et leur entou-rage semblent leur refuser.

Paul Pope à 100%Au confluent de la BD européenne, des mangas et des comics, l’artiste

américain Paul Pope se fait de plus en plus présent en France, pour notre

plus grand bonheur.

PLa Couleur de la neige, de JodiPicoult, PRESSES DE LA CITÉ,489 P., 20,50 €

Comme toujourschez JodiPicoult, ledrame familialde l’enfancemaltraitée agitcomme un acidequi ronge letissu social.Mais dans ce

nouveau roman, la récente scéna-riste d’une aventure de WonderWoman (héroïne publiée aux USApar DC Comics) crée le personnagede Daniel Stone, auteur de BD quiretranscrit dans sa série,L’Immortel Wildclaw, les affres dela paternité blessée. Le roman pré-sente des pages du comics enquestion, allégorie de la fictioncomme exutoire d’une réalité tropdouloureuse.

JEAN-MARC LAINÉ

Star Wars Magazine, bimestriel,ÉDITIONS DELCOURT COMICS,4,95 €, en kiosques)

Attiré par StarWars, vous nesavez pas par oùcommencer ?Star WarsMagazine estVOTRE revue !Des aventuresde personnagessecondaires !

Des récits alternatifs ! des one-shots ! Des histoires courtes, c’estl’occasion de retrouver des auteursde renoms (Tim Truman, Ron Marzet même Alan Moore) et de décou-vrir l’immense variété de cet uni-vers, sans se lancer dans d’inter-minables collections.

JEAN-MARC LAINÉ

L’homme à la tête de vis, et autreshistoires déjantées, de MikeMignola, DELCOURT, 80 P., 12,90 €

Amateursd’ArthurMachen, EdgarAllan Poe,Howard PhilipsLovecraft, cerecueil d’his-toires courtes,alternant avecbonheur cou-leurs et noir &

blanc, est pour vous. Drôles, inci-sifs, surréalistes, ces récits courtsjouent sur l’absurdité et l’inutile.Donc indispensable. Et même lesamateurs du Mask se régaleront !Spleeeenndide !

JEAN-MARC LAINÉ

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N°12 mars-avril 2008 25

Star Wars :Il y a longtemps, dans une très lointaine librairie…Les deux trilogies cinématographiques sont connues du monde entier. Ce que l’on sait moins,c’est que l’univers Star Wars créé par George Lucas en 1977 s’est développé dans d’autresmédias : d’abord les romans, puis les BD.

Paul Pope est également un grand amateur de musique rock, cequi se ressent dans ses planches parfois foisonnantes de traitscomme le rock foisonne de notes.

Autre passion et dada : la tragédie grecque et l’emploi fréquent demasques pour ses personnages. «J’aime la notion du théâtre grecqui fait du masque un avatar, c’est-à-dire la personnification ou lesymbole de quelque chose qui est reconnu et partagé par tous.J’adore Sophocle et Eurypide. J’ai emprunté au théâtre grec cettenotion du masque et j’en ai fait un symbole de la psychologie.Quiconque revêt un masque devient ce que ce masque représen-te.» Son troisième grand opus, 100%, publié il y a six ans (!) auxÉtats-Unis est enfin traduit en France, par Dargaud, égalementéditeur de son œuvre précédente : Heavy Liquid. Le graphisme enest, comme à son habitude, splendide, surprenant, envoûtant.Quant à l’histoire, elle est contemporaine et nous fait suivre leschemins de personnages qui s’entrecroisent, un peu à la maniè-re d’un (bon) film de Lelouch.

La science-fictionet l’aspect «thril-ler» de ses précé-dents albums ysont cette foissensiblement ab-sents, Paul Popepréférant s’attar-der sur les des-

tins de ses personnages, qui pro-viennent d’ailleurs de son observa-tion : «L’idée de Heavy Liquidm’est venue de l’observation desmangas et de mon amour pour lerock : j’ai donc essayé de combinerles deux. Quant à 100%, j’ai eul’idée de faire quelque chose quiserait… 100% vrai, tiré de mapropre expérience. 100% est tiréede ma vie et est entièrementauthentique.» Intéressant lorsquel’on lit l’album qui compte tout demême un certain nombre de situa-tions peu communes.

Autre sortie récente : Pulp Hope,une monographie comportant ungrand nombre de dessins inédits etd’études de design. Prochaineétape : un projet directement pourDargaud en France intitulé ChicaBionica. En attendant, nous nesaurions que trop vous conseillerde lire ou relire ses précédentesœuvres, dont certaines sont entrain d’être rééditées en France.

OLIVIER THIERRY

ès la sortie deStar Wars, parais-sent des romans

faisant la part belle à l’ar-rière-plan du film. Citonsles Tales of the Mos-Eisley Cantina de KevinAnderson, ou le Han Soloat Star’s End, de BrianDaley. Ils sortent dans lesillage du premier film(rebaptisé depuis A NewHope), parallèlement auxstrips de presse (par RussManning puis Al William-son) et aux comics Marvel(qui commencent paradapter le film, maisaussi le roman de Daley).Les lecteurs se référentalors à une time-line1 quicouvre 50 ans d’histoireen amont et en aval de laguerre de l’étoile noire.

Personnages secondaires ou héros des sagas futures sontexploités : Wedge Antilles, le pilote héros des romans X-WingsSquadron de Michael Stackpole ; Mara Jade, la tueuse au servicede l’Empereur, qui finira par changer de camp et rejoindre lesbras de Luke ; les jumeaux de Han et Leia, héros de Young Jedi

Knights, destiné aux plus jeunes lecteurs.Dans les années 90, Marvel ayant abandonné la licence Star Wars,l’éditeur Dark Horse reprend l’adaptation en BD. Spécialiste deslicences (Terminator, Predator, Indiana Jones, Robocop, Aliens,James Bond…), Dark Horse adapte les romans, exploite la fameu-se time-line, et explore des périodes que ne couvrent pas lesfilms : adaptations de Splinter on the mind’s eye d’Alan DeanFoster, de la trilogie Heir of the Empire/Dark Force Rising/theLast Command de Timothy Zahn (premier volet adapté par MikeBaron et Olivier Vatine), ou de Dark Apprentice, de KevinAnderson.En France, Delcourt se charge de la traduction. Sous l’égide deThierry Mornet, responsable comics, la time-line est publiée danstous les volumes. Les collections se structurent autour desméchants (Côté Obscur), ou de périodes clés (Clone War,République, Rebellion…). Développant de nouvelles péripéties, lesBD sont l’avenir des films.L’avenir, il en est question dans Legacy, qui se situe 150 ans aprèsla période que nous connaissons. Cade Skywalker, descendantd’Anakin et de Luke, est un barbouze qui ferait passer Han Solopour une péronelle évaporée. Legacy est un récit cynique et demauvais esprit, dû au scénariste John Ostrander et à la dessina-trice Jan Duursema, créateurs du Jedi amnésique et bordelineQuinlan Vos, héros de la collection «Jedi», qui a tellement marquéles esprits que sa compagne et Padawan, Aayla Secura, fait unecourte, et tragique, apparition dans l’Episode III. Décidément,Legacy, c’est l’avenir de Star Wars.

JEAN-MARC LAINÉ

PULP HOPE

© Paul Pope

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DE PAUL POPE

DARGAUD

256 P. N&B

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1Trame chronologique

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N°12 mars-avril 200826ACTU BD

Un serpent dans unnid de vipères

zoom bd

The invincible Iron Man,The Complete Collection,MARVEL, 1 DVD-Rom, 35 €

Plus besoin dedébourser unefortune pour lireles grands clas-siques descomics améri-cains. Et plusbesoin d'avoirune bibliothèqueénorme que l'on

doit dépoussiérer constamment.De plus en plus, des sériesentières du patrimoine des comicssont proposées au format PDF surDVD-Rom. Dernier en date: IronMan. Un seul DVD. Plus de 500épisodes, des années soixantes ànos jours, pour près de 35 euros.Plus de 10 000 pages à une frac-tion du coût et de la place. Biensûr, il faut lire à l'écran (quandbien même vous pouvez imprimerles pages que vous souhaitez). Etc'est en Anglais. La France suivra-t-elle ?

OLIVIER THIERRY

Petite Nature, T. 2, Même paspeur, de Chauzy, Lindingre etBarrois, FLUIDE GLACIAL,48 P. COULEURS, 11,95 €

Jean-ChristopheChauzy a depuislongtemps l’in-telligence derire de lui-même. AvecL’âge ingrat (Ed.Les rêveurs,2000), l’auteur

avait retracé ses pérégrinationsd’adolescent en employant l’au-todérision comme pudeur maisaussi comme panacée.Aujourd’hui, Chauzy relate avec cemême humour ces tracas du quo-tidien (aidé par les propres expé-riences de Lindingre et Barrois)qui nous font croire qu’une conspi-ration mondiale s’acharne surnotre personne. Chauzy, Fabcaroet Bouzard sont à eux trois ce quise fait de mieux dans cettebranche de l’autobiographie quivoit dans ses lecteurs des com-plices et non pas ses faire-valoir.

KAMIL P.

Blake & Mortimer, T. 18, Le sanc-tuaire du Gondwana, de Sente etJuillard, BLAKE & MORTIMER,56 P. COULEURS, 14 €Les crus des Blake & Mortimerpost Jacobs sont pour le moinsinégaux. Ce nouvel opus au cœurde l’Afrique ne restera pas dansles mémoires. Yves Sente réussitplutôt bien à mystifier le lecteuravec un procédé scénaris-

ean-David Morvan a beau avoir unebibliographie longue comme deux bras,le scénariste de Nomad, Sillage, Zorn &

Dirna et autres Spirou et Fantasio n’en oublie paspour autant de tenter de nouvelles expériences.Ainsi, avec le tome 1 de Naja, il a voulu tester leslimites de la voix off. Je ne parle pas ici de cestartines indigestes à la Blake & Mortimer quirépètent mot pour mot l’action qui se dérouledans la case. «Et soudain, l’infâme Olrik seretourna !» et effectivement, il se retourne. Ni deces récitatifs de début de scène nécessaires à labonne compréhension de l’action. «Janvier 1969,quelque part à l’ouest de Paris.» Non, je penseplutôt aux commentaires d’un narrateur, lui-même spectateur des péripéties décrites dansles cases. À ce petit jeu, Morvan n’a pas choisi lamodération : la voix off ne laisse la place à unepremière bulle qu’à la planche 19 ! Pour mieuxreprendre et rythmer le récit jusqu’aux dernièrespages. Au total, seules 13 planches contiennentdes phylactères.Et l’effet est assez étonnant. Bien sûr, tout celacrée une distanciation par rapport à l’histoire.

Tout au long de l’al-bum, pendant quel’action se déroule,le narrateur inconnudistille les rensei-gnements sur Naja,tueuse à gage n°3dans l’organisationcriminelle qui l’em-ploie. Comme si lelecteur vivait le brie-fing d’un agent

secret sur sa prochaine cible. Mais le procédéentraîne également un curieux sentiment.L’absence de bulles donne presque l’impressiond’assister à un film muet commenté, dont labande son reprend à chaque apparition d’un phy-lactère. Intéressant. Ce mutisme d’ailleurs colleparfaitement avec le caractère de la jeunefemme, plus glaciale que Carole Bouquet. Il fautdire que la belle a quelques circonstances atté-nuantes : elle ne ressent aucune douleur et n’é-prouve aucun sentiment. Pourquoi, comment ?Mystère pour l’instant.Le dessin de Bengal, qui avait déjà montré l’é-tendue de son talent dans Meka, parachève lepropos de Morvan avec son trait fin et précis etdes décors parfois à la limite de l’esquisse. Leregard du lecteur est ainsi focalisé sur unehéroïne qui évolue dans un monde un peu floupar moments. Ne reste plus alors qu’à plaquersur cette trame une intrigue inspirée des filmsd’espionnage : n°1 est persuadé à tort que n°3veut l’éliminer, il essaye donc de la prendre devitesse. Comment Naja va-t-elle se tirer de ceguêpier ? Après ce prologue de 46 planches, on abien envie de connaître la ssssuite.

Avec une tueuse à gage pas très bavarde et insensible à la douleur, un

collègue quand même très parano et l’accueillante Islande comme toile

de fond, Naja est plus froid que la peau d’un reptile.

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NAJA

DE JEAN-DAVIS MORVAN (SCÉNARIO)

ET BENGAL (DESSIN)

48 P. COULEURS

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SORTIE LE 21 MARS 2008 13*

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THIERRY LEMAIRE

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N°12 mars-avril 2008 27

reakdowns, le premier livre d’Art Spiegel-man, n’avait bizarrement jamais bénéficiéd’une édition française. Ses histoires les

plus mémorables avaient tout de même étépubliées chez nous dans diverses revues debandes dessinées, de façon sporadique et sansligne éditoriale précise. Même aux États-Unis, lelivre sorti en 1978 n’avait jamais été réédité, endépit d’un tirage plus que limité (5000 exem-plaires, dont une partie avec un défaut d‘impres-sion), inversement proportionnel à la notoriété del’auteur de Maus. Ce livre se vendait une petitefortune sur le marché secondaire de la collection,ce qui pouvait irriter son auteur et les lecteursdésireux de le lire sans se ruiner. L’éditeur amé-ricain Panthéon décida donc d’en sortir une nou-velle édition, généreusement complétée. On ytrouve bien sûr tout le matériel originellementpublié, mais en plus une longue histoire récented’Art Spiegelman, ainsi qu’une passionnante etutile postface de son auteur. Et c’est cette versioncomplétée que nous propose enfin en françaisCasterman, trente ans après la sortie initialeaméricaine. Comme quoi, la patience finit parfoispar être récompensée!

Voilà un travail d’édition digne de louanges,même s’il ne figurera sans doute pas en tête desventes de l’année. Il faut quand même se féliciterde sa disponibilité qui permettra aux amateursles plus pointus d’enfin le découvrir. Spiegelmanest autant un théoricien qu’un auteur, les his-toires présentées sont des pièces mémorables del’histoire de la BD américaine, à mille lieues deséternels combats de catch des super-héros mus-clés et masqués de Marvel ou DC (le comics demasse pour adolescents, donc). Et pourtant lelivre n’est pas facile à lire, même avec la postfa-ce qui resitue dans le contexte de l’époque et per-met de mieux comprendre les préoccupations del’auteur au moment de leur conception. En dépitde vingt ans de carrière chez le vendeur de che-wing-gum à vignettes Topps, Art Spiegelman nesemble pas vouloir donner dans le graphismefacile et joli, il faut dire que sa carrière de créa-teur BD a démarré en pleine période under-ground et donc que la provocation était plus àl’ordre du jour que la séduction (l’insertion dequelques cases explicites dans l’histoire LittleSigns of passion n’avait pas vraiment facilité lacommercialisation du livre dans une Amériquepuritaine). Dés le début des années soixante-dix,Spiegelman décida de se pencher sur les modesde fonctionnement de la BD. Un peu comme lefera bien plus tard Scott McCloud (cf. ZOO n°10),

il s’interroge sur le mouvement du temps, et leseffets que produisent différents angles de vue surune situation donnée. Il réfléchit aussi à l’impor-tance de la couleur et de l’utilisation de trames etde dessins reproduits. Tout cela prendra de l’am-pleur avec sa revue avant-gardiste ou magazinegraphique, Raw, qui révèlera les plus grandsauteurs de la BD indépendante américaine (ChrisWare, Charles Burns, Dan Clowes). Et où il teste-ra différents formats (du tabloïd au format depoche), le tout imprimé sur différentes sortes depapier, pour mieux faire ressortir les spécificitésde chaque trait. Il est probable que la revue-livreLapin éditée par l’Association s’en est un peu ins-pirée pour son concept, son format et ses exi-gences. Mais le mouvement de l’expression artis-tique indépendant est le seul qui soit véritable-ment international, pour ne pas dire universel.

Signalons que l’album Breakdowns contient unecourte histoire de trois pages, intitulée Maus, quiest en quelque sorte le brouillon condensé de cequi deviendra ensuite l’important roman enimages du même nom. Ainsi que l’émouvantehistoire Prisoner on the Hell Planet, dont le trai-tement graphique s’inspire de l’expressionnismeallemand. Deux pièces fondatrices de la bandedessinée indépendante et de la vague autobiogra-phique, donc, apposées sur les ruines du mouve-ment underground, qui permirent l’émergenced’une nouvelle tendance majeure dans les 30 ansqui suivirent. JEAN-PHILIPPE RENOUX

Casterman publie Breakdowns, le

premier livre du célèbre auteur de

Maus. Pas vraiment d’inédits mais

assurément un très bon travail édi-

torial.

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Casterman met àjour le patrimoine

Spiegelman

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BREAKDOWNS

DE ART SPIEGELMAN

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CASTERMAN

COLL. UNIVERS D’AUTEURS

SORTIE LE 19 MARS 2008 25

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MAN tique que je

vous laissedécouvrir, maispasse complè-tement à côtéde l’intrigueprincipale.Cette civilisa-tion humaineinconnue,

apparue avant même les dino-saures, semblait pourtant pleinede promesses narratives. Sentel’aborde en pointillés et préfères’attarder sur le voyage de notrecher professeur vers la citéoubliée. Dommage.

THIERRY LEMAIRE

Prince Lao, T.3, Pirate des cimes,de Gauckler, LE LOMBARD,48 P. COULEURS, 9,25 €

Avec PrinceLao, LeLombard avraimenttrouvé sonnouveauYakari. Certes,le petit hérosqui parle auxanimaux évo-

lue en Himalaya et pas enAmérique, mais il dégage le mêmesentiment de sympathie que sonalter ego indien. Accompagné d’unyéti et d’une belette, le jeunegarçon parcourt la montagne pourretrouver sa famille emportée parune avalanche. Rencontres, expé-riences et amitiés nouvelles jalon-nent son voyage. Voilà une sériejeunesse qui mérite la reconnais-sance du public.

THL

KuroKami Black God,de Lim Dall Young et Park SungWoo, KI-OON, 226 P. N&Bet 4 P. COULEURS, 7,50 €

Il fallait bienqu’on s’inté-resse un jouraux produc-tions mangade SquareEnix, l’éditeurdes jeux vidéoDragon Questet FinalFantasy — et

ce sont les éditions Ki-oon qui ensortent les séries les plus intéres-santes (Übel Blatt, mais surtoutReset et Manhole), en laissant tou-tefois le phénomène Full MetalAlchemist à Kurokawa. Pourquoichoisir KuroKami ? Parce qu’il esten fait par des Coréens qui dessi-nent bien mieux que la moyennedes productions manhwa ; parceque les héros sont courageux maisaiment aussi l’argent ; parce qu’ily a un petit chiot tellement kawaïqu’on ne peut pas lui résister…

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BORIS JEANNE

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N°12 mars-avril 200828

u fond de sa campagne, Joubert se souvient. Au momentoù Dynamite s’est créé, en 2002, le marché spécialisé étaitau plus bas. Il était même devenu impossible, ou presque,

d’éditer de la BD porno. «Mais c’est ce qui ren-dait l’aventure intéressante à mes yeux !,s’exclame-t-il. Sortir un genre méprisé dughetto, et carrément de la tombe, c’étaittout à fait dans la lignée de mon com-bat de journaliste contre la censure.»

Commençons d’abord cette présenta-tion en déniaisant ceux qui croient enco-re aux rumeurs venues d’un autre âge :NON, LE CUL NE SE VEND PAS BIEN ! Lavérité sur les tirages et les ventes deDynamite : «La mise en place en librairiede notre premier titre, l’intégraled’Horny Biker Slut de John Howard, aété de 150 exemplaires. Le suivant, letome 1 des Petites Vicieuses de Monicaet Béa, de 250. Des chiffres extrême-ment bas, mais qui furent suivis deréassorts réguliers. Avec la VPC, lescatalogues et le festival d’Angoulême,nous avons fini par épuiser les 2000exemplaires des Petites Vicieuseset par le réimprimer. HBS, qui estplus underground (et que j’adore),doit en être à 1000 exemplairesseulement, mais c’était son seuild’amortissement, donc tout vabien. Aujourd’hui, nos mises enplace oscillent entre 400 et 500.Nous avons épuisé quelquestirages de 3000 – le premierBaldazzini, Chiara Rosenberg, oule premier Casotto, que nousvenons de réimprimer –, mais c’estexceptionnel.»

En ce début 2008, le catalogueDynamite est néanmoins composé de36 titres répartis sur trois collections :de grands cartonnés (Canicule), descomic books (Petit Pétard) et des pavésfaçon romans graphiques (Outrage).Toutes les tendances sont mélangéeset, s’il n’y a pas de thématique particu-lière pour chaque section, un pointcommun les relie : «Il faut que que cesoient de bonnes lectures. Ce qui a tuéle porno à l’ancienne, c’est que, tropsouvent, les scénarios n’étaient que cli-chés et dialogues stupides. De la BDconne. Pas de ça en Dynamite. Même si je repè-

re dans une revue étrangère un auteur au dessin superbe, je veuxle lire et le trouver intéressant avant de me décider. Je ne deman-de pas que tout soit génial, mais qu’au moins l’attention du lecteursoit retenue.»

Pour cette raison, l’auteur du Dictionnaire des livres et journauxinterdits (paru en septembre dernier au Cercle de la Librairie)

avoue que son catalogue comporte peu de créations. «J’aiété refroidi par l’une de nos premières, s’agace notrehomme. J’avais imaginé qu’en donnant carte blanche àAbuli, le scénariste de Torpedo, on obtiendrait un chef-d’œuvre. Humour noir et porno, ça allait être une

bombe ! Mais ça n’a ressemblé qu’à un honorable poc-ket Elvifrance.» Cette mésaventure lui a appris qu’il fallait

fuir les mercenaires car ces derniers ne s’investissent pasassez. «Tous les auteurs que publie Dynamite aiment

fortement ce qu’ils font, de la même manière qu’il fautaimer l’humour quand on collabore à Fluide glacial.»Et l’amour dont il est question ici est réciproque. «Jetravaille avec Baldazzini et von Götha depuis unedizaine d’années. Je me sens comme une sage-femme les aidant à accoucher de leurs œuvres.Baldazzini, je lui dis : “Tu es un artiste, fais ce qui te

plaît ! ”Avec von Götha, ce serait plutôt : “Vous avezencore fait des bêtises, Erich !” Et il me répond : “C’està cause de mon grand âge, mais demain ça iramieux.”»

Mais (car il y en a un) Joubert fatigue : «J’envisagesérieusement de quitter Dynamite. J’ai toujours misun point d’honneur à ce qu’il n’y ait aucune forme decensure, mais je dois de plus en plus batailler avec LaMusardine, dont dépend Dynamite. Le dernier Casottoa été distribué sous plastique – en tant que lecteur, jedéteste ça – et l’Ardem qui sortira en juin ne sera tout

simplement pas distribué en librairie. C’est comme sion torpillait mes cinq années d’efforts de sortie du ghet-to. Ma succession n’est pas encore ouver-

te, mais si des candidats veulent semanifester...»Tout n’est donc pas si rose dansla BDX.

CHRISTIAN MARMONNIER

Prévisions 2008 : unnouvel Erich von Götha, le

tome 3 de Twenty, accompa-gné de la réédition des deuxpremiers tomes. Et puis, lachose est suffisamment rarepour qu’elle soit soulignée, uninédit en album de GeorgesPichard.

Le X fait-il tache dans(sur) la bande dessinée ?

DHistorien de la censure, Bernard Joubert s’occupe de la destinée du label Dynamite au sein des

éditions La Musardine. Rencontre avec un esprit libre qui déteste les contraintes de tous ordres.

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© Von Götha

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N°12 mars-avril 2008 29

éros célèbre et piquant du Roman, Renart a fini par lais-ser jusqu’à son empreinte dans la langue française, élimi-nant le terme de «goupil» qui désignait autrefois l’animal.

Le passage du nom propre «Renart» au nom commun «renard»témoigne de l’immense popularité rencontrée par l’épopée anima-le dans l’imaginaire médiéval. Le succès du Roman de Renart nes’est d’ailleurs jamais démenti jusqu’à aujourd’hui : plusieurs foisréécrit au cours des siècles (de la langue romane au françaismoderne), il a également fait l’objet beaucoup plus récemmentd’adaptations tout d’abord pour le cinéma, mais également pour latélévision. En 1941, en France, le goupil et autres protagonistes duRoman apparaissaient sous la forme de marionnettes dans unlong métrage réalisé en 1930 sous la direction du Russe LadislasStarewitch et inspiré du Reineke Fuchs de Goethe. À l’opposé en2005, c’est l’acteur Frédéric Diefenthal qui prête sa voix à Renartdans un film d’animation luxembourgeois réalisé par ThierrySchiel. Et on se souvient encore d’une série télévisée d’animationfrançaise des années 80 et 90, intitulée « Moi Renart », où, sous lestraits de l’animal roux et fourbe, se cachait un jeune provincialarriviste débarqué à la capitale (adaptation libre et création parBruno René Huchez), dessin animé dont le générique colle encoreaux oreilles de certains :«Renart sacripant, sacripouille, coquet, coquin,Renart chenapan, chacripouille, sacré vaurien».

Enfin, dernier domaine à s’être intéressé au Roman de Renart,celui du neuvième art : en effet, fréquemment illustrée, l’épopéeanimale n’avait en revanche jamais été adaptée en bande dessinée

avant 2007 ! Ont d’ailleurs parula même année le premiertome cité précédemment deMathis et Martin chezDelcourt, et un album chezGallimard par l’auteur-illus-trateur Bruno Heitz (Le Romande Renart, tome 1, Ysengrin).Inclus dans une collection jeu-nesse, ces deux transpositionsimagées s’adressent, comme

leurs prédécesseurs cinématogra-phiques et télévisuels, en priorité auxenfants et adolescents. Elles s’oppo-sent, en revanche, tant du point de vuedu niveau de langue (soutenu chezDelcourt avec en arrière-plan le «par-ler» médiéval fantasmé) que de celui dugraphisme… Si chez Gallimard, on achoisi un dessin très enfantin aux cou-leurs pastel brossées, chez Delcourt,les planches sont d’un graphisme soi-gné, qui se rapproche de la BD adulte,avec des couleurs délicates et tra-

vaillées en fonction des différents espaces (forêt, village, etc.)occupés par le récit.Cependant, la grande nouveauté — et parconséquent l’intérêt ! — de la série de M. et M. est d’avoir remis enévidence l’aspect très négatif de Renart que l’animal avait perduavec le temps, notamment à travers la puissante imagerie de WaltDisney où - il ne faut pas l’oublier - le renard prêtait ses traits àRobin des Bois, héros par excellence des pauvres et des opprimés

(1973). Le goupil de M. et M. n’est pas celui qui se bat pour la sur-vie de sa famille mais celui qui a faim et qui est prêt à toutes lestraîtrises pour y arriver. Fini le hors-la-loi sympathique auquel onpouvait s’identifier ! Derrière ses larcins, son anticléricalisme, sesmensonges, meurtres et même viol évoqué dans le tome 2, et cemalgré la stupidité affichée de ses compagnons de forêt, Renartne fait pas rire, car toute la satire sociale de l’œuvre littéraireéchappe aussi à la série : l’animal montre ses seulesruse et fourberie, presque effrontément étalées. Pasde morale saupoudrée ici à la fin de chaque histoire,les auteurs assument leur goupil ! NATHALIE LE LUEL(membre active de la très honorableSociété Internationale Renardienne)

Gare au rusé Renart !La très populaire suite d’histoires médiévales connues sous le titre du Romande Renart inspire la création d’une nouvelle série de BD éponymes mises en

scène par Jean-Marc Mathis et dessinées par Thierry Martin, aux éditions

Delcourt. Le deuxième tome vient de sortir sous le titre Le puits : il fait réfé-

rence à l’un des épisodes les plus connus du Roman au cours duquel le rusé

renard se joue encore une fois de son compère féroce mais naïf, le loup ! Le

tome 1 intitulé Les jambons d’Ysengrin mettait déjà à l’honneur l’antagonisme

sans fin entre les deux principaux protagonistes de l’univers animalier qui

s’anime ici élégamment entre bulles et dessins. Un troisième album est prévu…

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ZOOLOGIEÀ chaque numéro, Zoo étudie un éminent représentant du petitpeuple animalier de la BD.

SCREENSHOT DU DESSIN ANIMÉ “MOI, RENART”

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YSENGRIN DESSINÉ PAR BRUNO HEITZ

RENART DESSINÉ PAR THIERRY MARTIN

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PAPRIKA & YANNICK LEJEUNE

FABCARO

ACTU BDSTRIPS

SYLVAIN DELZANT

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