4
C. R. Acad. Sci. Paris, t. 332, Série I, p. 91–94, 2001 Théorie des nombres/Number Theory Sommes exponentielles, splines quadratiques et fonction zêta de Riemann Philippe BLANC École d’ingénieurs du Canton de Vaud (eivd), CH-1400 Yverdon-les-Bains, Suisse Courriel : [email protected] (Reçu le 25 octobre 2000, accepté le 13 novembre 2000) Résumé. Étant donné des entiers a<b et des fonctions γ et f à valeurs réelles définies sur [a, b], on pose S = b k=a γ(k)e 2πif (k) . Sous certaines conditions sur γ et f on sait qu’il existe des fonctions ˜ γ et ˜ f définies sur [α, β], où β α<b a, telles que S = β k=α ˜ γ(k)e 2πi ˜ f (k) + R, où R est petit. Nous montrons que l’approximation de γ et f par des fonctions polynomiales par morceau conduit à une expression de R que la méthode classique, basée sur une approximation de S par une somme d’intégrales, ne permet pas d’obtenir. 2001 Académie des sciences/Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS Exponential sums, quadratic splines and the Riemann zeta-function Abstract. Given integers a<b and real-valued functions γ and f defined on [a, b], we set S = b k=a γ(k)e 2πif (k) . Under some conditions on γ and f we know that there exist functions ˜ γ and ˜ f defined on [α, β], where β α<b a, such that S = β k=α ˜ γ(k)e 2πi ˜ f (k) + R, where R is small. We show that the approximation of γ and f by piecewise polynomial functions leads to an expression of R that the classical method, based on approximation of S by sum of integrals, cannot produce. 2001 Académie des sciences/Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS 1. Introduction Dans de nombreux problèmes de la théorie des nombres on est amené à transformer une somme exponentielle longue en une somme courte. Une manière classique de réaliser cette transformation consiste à approcher la somme longue par une somme courte d’intégrales trigonométriques et d’estimer chacune de ces intégrales par la méthode de la phase stationnaire. On pourra consulter à ce sujet l’article de van de Corput [2] dont certains résultats sont contenus dans Titchmarsh [5] et celui de Karatsuba [3] repris dans Karatsuba–Voronin [4]. L’objet de cette Note est de présenter une méthode basée sur l’utilisation de splines quadratiques qui, lorsque f est petite, fournit la partie principale du terme R défini dans le résumé. En guise d’illustration nous appliquons notre résultat à la fonction zêta de Riemann. On trouvera dans [1] les démonstrations des résultats annoncés dans cette Note. Note présentée par Enrico BOMBIERI. S0764-4442(00)01779-1/FLA 2001 Académie des sciences/Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés. 91

Sommes exponentielles, splines quadratiques et fonction zêta de Riemann

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: Sommes exponentielles, splines quadratiques et fonction zêta de Riemann

C. R. Acad. Sci. Paris, t. 332, Série I, p. 91–94, 2001Théorie des nombres/Number Theory

Sommes exponentielles, splines quadratiqueset fonction zêta de RiemannPhilippe BLANC

École d’ingénieurs du Canton de Vaud (eivd), CH-1400 Yverdon-les-Bains, SuisseCourriel : [email protected]

(Reçu le 25 octobre 2000, accepté le 13 novembre 2000)

Résumé. Étant donné des entiersa < b et des fonctionsγ et f à valeurs réelles définies sur[a, b], on poseS =

∑b

k=aγ(k) e2πif(k). Sous certaines conditions surγ et f on sait

qu’il existe des fonctions̃γ et f̃ définies sur[α,β], où β − α < b − a, telles queS =

∑β

k=αγ̃(k) e2πif̃(k) +R, oùR est petit. Nous montrons que l’approximation deγ etf

par des fonctions polynomiales par morceau conduit à une expression deR que la méthodeclassique, basée sur une approximation deS par une somme d’intégrales, ne permet pasd’obtenir. 2001 Académie des sciences/Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS

Exponential sums, quadratic splines and the Riemann zeta-function

Abstract. Given integers a < b and real-valued functions γ and f defined on [a, b], we setS =

∑b

k=aγ(k) e2πif(k). Under some conditions on γ and f we know that there

exist functions γ̃ and f̃ defined on [α,β], where β − α < b − a, such that S =∑β

k=αγ̃(k) e2πif̃(k) + R, where R is small. We show that the approximation of γ and

f by piecewise polynomial functions leads to an expression of R that the classical method,based on approximation of S by sum of integrals, cannot produce. 2001 Académie dessciences/Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS

1. Introduction

Dans de nombreux problèmes de la théorie des nombres on est amené à transformer une sommeexponentielle longue en une somme courte. Une manière classique de réaliser cette transformation consisteà approcher la somme longue par une somme courte d’intégrales trigonométriques et d’estimer chacune deces intégrales par la méthode de la phase stationnaire. On pourra consulter à ce sujet l’article de van deCorput [2] dont certains résultats sont contenus dans Titchmarsh [5] et celui de Karatsuba [3] repris dansKaratsuba–Voronin [4]. L’objet de cette Note est de présenter une méthode basée sur l’utilisation de splinesquadratiques qui, lorsquef ′′ est petite, fournit la partie principale du termeR défini dans le résumé. Enguise d’illustration nous appliquons notre résultat à la fonction zêta de Riemann. On trouvera dans [1] lesdémonstrations des résultats annoncés dans cette Note.

Note présentée par Enrico BOMBIERI.

S0764-4442(00)01779-1/FLA 2001 Académie des sciences/Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés. 91

Page 2: Sommes exponentielles, splines quadratiques et fonction zêta de Riemann

P. Blanc

Notations. – Poura, b entiers on pose

b∑a

= 0 si a > b etb∑a

′f(k) =1

2f(a) +

b−1∑a+1

f(k) +1

2f(b) si a < b.

Étant donné un nombre réelx on désigne par[x] sa partie entière, par{x} = x− [x] sa partie fractionnaireet on pose[x]− = −[−x]− 1. On introduit les espaces de fonctions polynomiales par morceau définis par

V 0[a, b] ={ψ : [a, b]→R

∣∣ ψ|]k,k+1] est une constante pour toutk = a, . . . , b− 1 etψ(a) = ψ(a+)},

V 2[a, b] ={g ∈ C1[a, b]

∣∣ g|[k,k+1] est un polynôme de degré au plus deux pour toutk = a, . . . , b− 1}

et on utilise la notationA = Oα(B) pour signifier qu’il existe une constante positiveC(α) telle que|A|� C(α)B.

2. Résultat principal et application

La formulation des hypothèses du théorème de Karatsuba [3] s’avère pratique et nous l’avons adoptée.

THÉORÈME 1. –Soient a < b des entiers et soient γ ∈ C2[a, b] et f ∈ C5[a, b] des fonctions à valeursréelles possédant la propriété suivante : il existe une constante c � 1 et des constantes H > 0, U � b− aet A � c−1 telles que A � cU satisfaisant

c−1A−1 � f ′′(x) � cA−1,∣∣f (3)(x)

∣∣ � cA−1U−1,∣∣f (4)(x)

∣∣ � cA−1U−2,∣∣f (5)(x)

∣∣ � cA−1U−3,∣∣γ(x)∣∣ � cH,

∣∣γ′(x)∣∣ � cHU−1,

∣∣γ′′(x)∣∣ � cHU−2

pour tout x ∈ [a, b].Soient encore φ la fonction définie sur ]0,∞[×[0,1] par

φ(λ,µ) =

∫ ∞

0

sinh(2π

(µ− 1

2

)x)

sinh(πx)ei(π/2−πλx2) dx

et x(·) l’unique fonction satisfaisant f ′(x(y)) = y pour tout y ∈ [f ′(a), f ′(b)]. Alors

b∑a

′γ(k) e2πif(k) = eiπ4

[f ′(b)]∑[f ′(a)]+1

γ(x(k))√f ′′(x(k))

e2πi(f(x(k))−kx(k)) +R(b)−R(a) + Oc(H), (1)

où R(�) = γ(�) e2πif( )φ(f ′′(�),

{f ′(�)

}).

Avant de donner quelques éléments de la démonstration de ce théorème nous en donnons une applicationà la fonction zêta de Riemann.

THÉORÈME 2. –Soient 0 < σ0 � σ � 1, t � 2π et m un entier tel que√

t/(2π) � m � t. Alors

ζ(s) =m∑

n=1

1

ns+ e−2πiθ(t)

( t

)1/2−σq∑

n=1

1

n1−s− 1

msφ

(t

2πm2,{− t

2πm

})+ Oσ0

(m−σ

),

où s = σ + it, q = [ t2πm ]− et θ(t) = t

2π log t2π − t

2π − 18 .

Remarque 1. – Le théorème 2 fournit une version de l’équation fonctionnelle approchée de la fonctionzêta dans laquelle le terme classiqueOσ0

(t1/2−σqσ−1

)est explicité.

92

Page 3: Sommes exponentielles, splines quadratiques et fonction zêta de Riemann

Sommes exponentielles longues et sommes courtes

La première étape de la démonstration du théorème 1 consiste à obtenir une forme explicite de larelation (1) pour des fonctionsγ ∈ V 0[a, b] et f ∈ V 2[a, b]. C’est l’objet des lemmes 1 et 2.

LEMME 1. –Soient n un entier, p(x) = αx2 + βx + γ un polynôme à coefficients réels où α > 0, φ lafonction définie dans le théorème 1 et soit encore z(·) l’unique fonction satisfaisant p′(z(y)) = y pour touty ∈R. Alors

1

2

(e2πip(n) + e2πip(n+1)

)=

eiπ4√

p′′(n + 12 )

[p′(n+1)]∑[p′(n)]+1

e2πi(p(z(k))−kz(k))

+ e2πip(n+1) φ

(p′′

(n +

1

2

),{p′(n + 1)

})− e2πip(n) φ

(p′′

(n +

1

2

),{p′(n)

}).

Démonstration. – On commence par utiliser la formule de Poisson pour obtenir

1

2

(e2πip(n) + e2πip(n+1)

)=

∞∑−∞

∫ n+1

n

e2πi(p(x)−kx) dx.

PourM suffisamment grand on vérifie alors que

M∑−M

∫ n+1

n

e2πi(p(x)−kx) dx =

[p′(n+1)]∑[p′(n)]+1

∫ ∞

−∞e2πi(p(x)−kx) dx + AM

n+1 −AMn , (2)

AM = −

[p′( )]∑−M

∫ ∞

e2πi(p(x)−kx) dx+

M∑[p′( )]+1

−∞e2πi(p(x)−kx) dx. (3)

En posantx = � + z etk = [p′(�)] + 1−m dans le premier terme du membre de droite de (3) etx = �− zetk = [p′(�)] +m dans le second, il vient

AM = e2πip( )

M+[p′( )]+1∑m=1

um − e2πip( )

M+[p′( )]+1∑M−[p′( )]+1

∫ ∞

0

e2πi(αz2+(−{p′( )}+m)z) dz,

oùum =∫∞0

(e2πi(αz2+(−{p′( )}+m)z) − e2πi(αz2+({p′( )}+m−1)z)

)dz. On fait alors usage de l’identité

∫ ∞

0

ei(az2+bz) dz =

∫ ∞

0

e−bz+i(π/2−az2) dz

valable poura > 0 et b � 0 afin de vérifier queAM tend verse2πip( )φ

(p′′

(� + 1

2

),{p′(�)}

)lorsqueM

tend vers l’infini. On achève la démonstration en explicitant la somme du membre de droite de (2).✷LEMME 2. –Soient ψ ∈ V 0[a, b], g ∈ V 2[a, b] telle que g′′

(k+ 1

2

)> 0 pour tout k = a, . . . , b− 1 et z(·)

l’unique fonction telle que g′(z(y)) = y pour tout y ∈ [g′(a), g′(b)]. Alors

1

2

b−1∑a

ψ

(k +

1

2

)(e2πig(k) + e2πig(k+1)

)= ei

π4

[g′(b)]∑[g′(a)]+1

ψ(z(k))√g′′−(z(k))

e2πi(g(z(k))−kz(k)) + R, (4)

93

Page 4: Sommes exponentielles, splines quadratiques et fonction zêta de Riemann

P. Blanc

où g′′− est la fonction définie par g′′−(x) = limy→x− g′′(y), R = R−(b)−R+(a) +∑3

i=1 Ri où

R±(�) = ψ(�± 1

2

)e2πig( )φ

(g′′

(�± 1

2

),{g′(�)}

),

R1 =−b−1∑a+1

(ψ(k +

1

2

)−ψ

(k− 1

2

))e2πig(k)φ

(g′′

(k− 1

2

),{g′(k)}

),

R2 =−b−1∑a+1

ψ(k +

1

2

)e2πig(k)∂λφ

(g′′

(k− 1

2

),{g′(k)}

)(g′′

(k +

1

2

)− g′′

(k− 1

2

)),

R3 =−b−1∑a+1

ψ(k +

1

2

)e2πig(k)Bk

(g′′

(k +

1

2

)− g′′

(k− 1

2

))2

,

Bk =

∫ 1

0

∂2λλφ

(g′′

(k− 1

2

)+ t

(g′′

(k +

1

2

)− g′′

(k− 1

2

)),{g′(k)}

)(1− t)dt.

Pour pouvoir appliquer le lemme 2 nous construisons un interpolantg ∈ V 2[a, b] def dont les dérivéesdiscrètes d’ordre3 et4 satisfont des propriétés analogues aux dérivées def .

LEMME 3. –Soit f une fonction vérifiant les hypothèses du théorème 1 et soit g ∈ V 2[a, b] l’uniquefonction satisfaisant g(k) = f(k) pour k = a, . . . , b et g′(a) = f ′(a)− 1

12 f ′′′(a). Alors

g′(k) = f ′(k)− 1

12f ′′′(k) + r1,k, g′′

(k +

1

2

)= f ′′

(k +

1

2

)+ r2,k,

g′′(k +

1

2

)− g′′

(k− 1

2

)= f ′′′(k) + r3,k,

g′′(k +

3

2

)− 2g′′

(k +

1

2

)+ g′′

(k− 1

2

)= r4,k,

où |ri,k|� CicA−1U−2 avec C1 = 1/10, C2 = 1/2, C3 = 2 et C4 = 5. De plus, si U � c, alors

(2c)−1A−1 � g′′(k +

1

2

)� 2cA−1, k = a, . . . , b− 1. (5)

Remarque 2. – Le terme 112 f ′′′(a) qui apparaît dans le choix deg′(a) assure la stabilité des dérivées

discrètes du spline.

Notons que siU < c alorsb− a < c, c−1 � A < c2 et le théorème 1 est trivial. On suppose doncU � cde sorte que la relation (5) a lieu et on applique le lemme 2 avec la fonctionψ ∈ V 0[a, b] définie parψ(k + 1

2

)= 1

2 (γ(k) + γ(k + 1)) pourk = a, . . . , b− 1 et la fonctiong définie dans le lemme 3. On achèvela démonstration du théorème 1 en vérifiant que les membres de gauche des relations (1) et (4) ainsi que lesmembres de droite de ces mêmes relations diffèrent par unOc(H).

Remerciements. Je tiens à remercier le Professeur Jean Descloux de l’École polytechnique fédérale de Lausannepour la relecture de cette Note et ses conseils avisés.

Références bibliographiques

[1] Blanc P., On the rôle of the quadratic splines in the study of some exponential sums, Rapport du département demathématiques de l’EPFL, Lausanne, 2001.

[2] van der Corput J.G., Zahlentheoretische Abschätzungen, M.A. 84 (1921) 53–79.[3] Karatsuba A.A., Approximation of exponential sums by shorter ones, Proc. Indian Acad. Sci. 97 (1987) 167–178.[4] Karatsuba A.A., Voronin S.M., The Riemann Zeta-Function, De Gruyter Expositions in Mathematics 5, 1992.[5] Titchmarsh E.C., The Theory of the Riemann Zeta-Function, The Clarendon Press, 1986.

94