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SONNETS EN FRANÇAIS 1 SONNETS Nicolas de Herberay, (- ? 1557 ?) AU LECTEUR, Bening lecteur, de jugement pourveu, Quand tu verras linvention gentille De cest autheur : contente toy du stille, Sans tenquerir sil est vray ce, quas leu. Qui est celhuy, qui peult dire : j ay veu Blasmer Homere, ou accuser Virgile, Pour nestre vrays ainsi que lEvangile, En escripvant tout ce quil leur a pleu ? Quand Appelles * nous a painct Jupiter En Cigne blanc, Thoreau, ou aultre beste : Des anciens il na esté repris. Doncq si tu veois en ce Livre, imiter Lantiquité, loue leffort honneste : Car tout bon œuvre est digne de bon prix (Le second livre dAmadis de Gaule... par le Seigneur des Essars, Nicolas de Herberay, 1541.) * Apelles : « Le premier lieu où Venus aborda fut Cythère, & de là en Chypre, doù elle est nommée Cytherée & Cyprienne. A ceste cause les anciens avaient souvent coûtume de la peindre, comme fraîchement née de la mer & nageant à bord dans une coquille. On dit quAlexandre le Grand en fit faire un tableau par Apelle, prince de tous les peintres qui jamais furent : & que pour linciter à mieux faire, il lui en fit prendre le portrait sur une sienne garce belle à merveille, laquelle il lui fit voir toute nue : & depuis sapercevant que le peintre contemplant cette garce à son plaisir, en était devenu amoureux, lui en fit present. » Clément Marot (1496-1544) ..A MADAME DE FERRARE Me souvenant de tes bontez divines Suis en douleur, princesse, à ton absence ; Et si languy quant suis en ta presence, Voyant ce lys au milieu des espines. O la doulceur des doulceurs femenines, O cueur sans fiel, o race dexcellence, O traictement remply de violance, Qui sendurçist pres des choses benignes. Si seras tu de la main soustenue De leternel, comme sa cher tenue ; Et tes nuysans auront honte et reproche. Courage, dame, en lair je voy la nue Qui ça et là sescarte et diminue, Pour faire place au beau temps qui sapproche. (1536 ?) Mellin de Saint Gelais (1487-1558) Au SEIGNEUR DES ESSARS N De HERBERAY Traducteur du present livre dAmadis de Gaule Au grand desir, à linstante requeste De tant damys dont tu peux disposer, Vouldrois tu bien (ô amy) topposer Par un reffus de chose tres honeste ? Chacun te prie et je ten admoneste, Que lAmadis quil ta pleu exposer Vueilles permettre au monde et exposer, Car par tes faitz gloire et honneur acqueste. Estimes tu que Cesar ou Camille Doibvent le cours de leur claire memoire Au marbre, ou fer, à cyseau ou enclume ? Toute statue ou medaille est fragile Au fil des ans, mais la durable gloire Vient de main docte et bien disante plume. 1541 Jacques Peletier du Mans (1517-1582) A TRES ILLUSTRE PRINCESSE MADAME MARGUERITE SŒUR DU ROY Ce que ma Muse en vers a peu chanter Ce quen François des autheurs a traduit Et ce quella delle mesme produit, Elle vous vient maintenant presenter, Et selle peut vostre esprit contenter, Ainsi quespoir et desir la conduit, De son grand heur, de sa gloire et bon bruit A tout jamais se pourra bien venter Car ceux qui sont coustumiers de medire Vostre grandeur noseront pas dedire : Quant au futur, elle ne craint rien tel. Pour ce quelleest certaine et assuree Que vostre nom demeurant immortel, Le sien sera de pareille duree. 1547 PACE NON TROVO, ET NON HO DO FAR GUERRA Paix je ne trouve, et nay dont faire guerre : Jespere et crain, je brulle, et si suis glace Je vole au Ciel, et gis en basse place : Jembrasse tout, et rien je ne tien serre. Tel me tient clos, qui ne mouvre nenserre, De moy na cure, et me tourne la face : Vif ne me veut, et lennuy ne mefface Et ne moccit Amour ny ne desserre. Je voy sans yeux, sans langue vais criant : Perir desire, et dayde jay envie : Je hay moymesme, autruy jaime et caresse: De deuil me pais, je lamente en riant : Egalement me plaisent mort et vie : En cest estat suis pour vous ma maistresse.

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SONNETS EN FRANÇAIS

1

SONNETS

Nicolas de Herberay, (- ? – 1557 ?)

AU LECTEUR,

Bening lecteur, de jugement pourveu,

Quand tu verras l’invention gentille

De cest autheur : contente toy du stille,

Sans t’enquerir s’il est vray ce, qu’as leu.

Qui est celhuy, qui peult dire : j’ay veu

Blasmer Homere, ou accuser Virgile,

Pour n’estre vrays ainsi que l’Evangile,

En escripvant tout ce qu’il leur a pleu ?

Quand Appelles * nous a painct Jupiter

En Cigne blanc, Thoreau, ou aultre beste :

Des anciens il n’a esté repris.

Doncq si tu veois en ce Livre, imiter

L’antiquité, loue l’effort honneste :

Car tout bon œuvre est digne de bon prix

(Le second livre d’Amadis de Gaule... par le

Seigneur des Essars, Nicolas de Herberay,

1541.)

*

Apelles : « Le premier lieu où Venus aborda fut

Cythère, & de là en Chypre, d’où elle est

nommée Cytherée & Cyprienne. A ceste cause

les anciens avaient souvent coûtume de la

peindre, comme fraîchement née de la mer &

nageant à bord dans une coquille. On dit

qu’Alexandre le Grand en fit faire un tableau

par Apelle, prince de tous les peintres qui

jamais furent : & que pour l’inciter à mieux

faire, il lui en fit prendre le portrait sur une

sienne garce belle à merveille, laquelle il lui fit

voir toute nue : & depuis s’apercevant que le

peintre contemplant cette garce à son plaisir, en

était devenu amoureux, lui en fit present. »

Clément Marot (1496-1544)

..A MADAME DE FERRARE

Me souvenant de tes bontez divines

Suis en douleur, princesse, à ton absence ;

Et si languy quant suis en ta presence,

Voyant ce lys au milieu des espines.

O la doulceur des doulceurs femenines,

O cueur sans fiel, o race d’excellence,

O traictement remply de violance,

Qui s’endurçist pres des choses benignes.

Si seras tu de la main soustenue

De l’eternel, comme sa cher tenue ;

Et tes nuysans auront honte et reproche.

Courage, dame, en l’air je voy la nue

Qui ça et là s’escarte et diminue,

Pour faire place au beau temps qui s’approche.

(1536 ?)

Mellin de Saint Gelais (1487-1558)

Au SEIGNEUR DES ESSARS N De

HERBERAY

Traducteur du present livre d’Amadis de

Gaule

Au grand desir, à l’instante requeste

De tant d’amys dont tu peux disposer,

Vouldrois tu bien (ô amy) t’opposer

Par un reffus de chose tres honeste ?

Chacun te prie et je t’en admoneste,

Que l’Amadis qu’il t’a pleu exposer

Vueilles permettre au monde et exposer,

Car par tes faitz gloire et honneur acqueste.

Estimes tu que Cesar ou Camille

Doibvent le cours de leur claire memoire

Au marbre, ou fer, à cyseau ou enclume ?

Toute statue ou medaille est fragile

Au fil des ans, mais la durable gloire

Vient de main docte et bien disante plume.

1541

Jacques Peletier du Mans (1517-1582)

A TRES ILLUSTRE PRINCESSE

MADAME MARGUERITE SŒUR DU

ROY

Ce que ma Muse en vers a peu chanter

Ce qu’en François des autheurs a traduit

Et ce qu’ell’a d’elle mesme produit,

Elle vous vient maintenant presenter,

Et s’elle peut vostre esprit contenter,

Ainsi qu’espoir et desir la conduit,

De son grand heur, de sa gloire et bon bruit

A tout jamais se pourra bien venter

Car ceux qui sont coustumiers de medire

Vostre grandeur n’oseront pas dedire :

Quant au futur, elle ne craint rien tel.

Pour ce qu’elle’est certaine et assuree

Que vostre nom demeurant immortel,

Le sien sera de pareille duree.

1547

PACE NON TROVO, ET NON HO DO

FAR GUERRA

Paix je ne trouve, et n’ay dont faire guerre :

J’espere et crain, je brulle, et si suis glace

Je vole au Ciel, et gis en basse place :

J’embrasse tout, et rien je ne tien serre.

Tel me tient clos, qui ne m’ouvre n’enserre,

De moy n’a cure, et me tourne la face :

Vif ne me veut, et l’ennuy ne m’efface

Et ne m’occit Amour ny ne desserre.

Je voy sans yeux, sans langue vais criant :

Perir desire, et d’ayde j’ay envie :

Je hay moymesme, autruy j’aime et caresse:

De deuil me pais, je lamente en riant :

Egalement me plaisent mort et vie :

En cest estat suis pour vous ma maistresse.

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SONNETS EN FRANÇAIS

2

Joachim du Bellay (1522-1560)

L’Olive (1549-1550)

Ces cheveux d’or sont les liens Madame,

Dont fut premier ma liberté surprise,

Amour la flamme autour du cœur eprise,

Ces yeux le traict, qui me transperse l’ame.

Fors sont les neudz, apre, et vive la flamme

Le coup, de main à tyrer bien apprise,

Et toutesfois j’ayme, j’adore, et prise

Ce qui m’etraint, qui me brusle, et entame.

Pour briser donq’, pour eteindre, et guerir

Ce dur lien, ceste ardeur, ceste playe,

Je ne quier fer, liqueur’ny medecine,

L’heur, et plaisir, que ce m’est de perir

De telle main, ne permect que j’essaye

Glayve trenchant, ny froydeur, ny racine.

Les Antiquitez de Rome

XXV

Que n’ay-je encor la harpe Thracienne,

Pour réveiller de l’enfer paresseux

Ces vieux Cesars, & les Umbres de ceux

Qui ont basty ceste ville ancienne ?

Ou que je n’ay celle Amphionienne,

Pour animer d’un accord plus heureux

De ces vieux murs les ossemens pierreux,

Et restaurer la gloire Ausonienne ?

Peusse-je aumoins d’un pinceau plus agile,

Sur le patron de quelque grand Virgile

De ces palais les portraits façonner,

J’entreprendrois, veu l’ardeur qui m’allume,

De rebastir au compas de la plume

Ce que les mains ne peuvent maçonner.

Pierre de Ronsard (1524-1585)

Amours, 1552

XXXIX

Quand au matin ma Deesse s’abille

D’un riche or crespe ombrageant ses talons,

Et que les retz de ses beaulx cheveux blondz

En cent façons ennonde et entortille :

Je l’accompare à l’escumiere fille,

Qui or peignant les siens jaunement longz,

Or les ridant en mille crespillons

Nageoit abord dedans une coquille.

De femme humaine encore ne sont pas

Son ris, son front, ses gestes, ny ses pas,

Ny ses yeulx l’une & l’autre chandelle :

Rocz, eaux, ny boys, ne celent point en eulx

Nymphe, qui ait si follastres cheveux,

Ny l’œil si beau, ny la bouche si belle.

CX

Ce ris plus doulx que l’œuvre d’une abeille,

Ces doubles liz doublement argentez,

Ces diamantz à double rang plantez

Dans le coral de sa bouche vermeille,

Ce doulx parler qui les mourantz éveille,

Ce chant qui tient mes soucis enchantez,

En ces deux cieulx sur deux astres antez,

De ma Deesse annonce la merveille.

Du beau jardin de son printemps riant

Naist un parfum qui mesme l’orient

Embasmeroit de ces doulces aleines

Et de là sort le charme d’une voix,

Qui touts ravis, fait sauteler les boys,

Planer les montz & montagner les plaines.

Derniers vers, 1586

II

Ah longues nuicts d’hyver de ma vie bourrelles,

Donnez moy patience, et me laissez dormir,

Vostre nom seulement, et suer et fremir

Me fait par tout le corps, tant vous m’estes cruelles.

Le sommeil tant soit peu n’esvente de ses ailes

Mes yeux tousjours ouvers, et ne puis affermir

Paupiere sur paupiere, et ne fais que gemir,

Souffrant comme Ixion des peines eternelles.

Vieille umbre de la terre, ainçois l’umbre d’enfer,

Tu m’as ouvert les yeux d’une chaisne de fer,

Me consumant au lict, navré de mille pointes :

Pour chasser mes douleurs ameine moy la mort,

Ha mort, le port commun, des hommes le confort,

Viens enterrer mes maux je t’en prie à mains jointes.

Louise Labé (1524 ?- 1566 ?)

Lut, compagnon de ma calamité,

De mes soupirs témoin irreprochable,

De mes ennuis controlleur veritable,

Tu as souvent avec moy lamenté :

Et tant le pleur piteus t’a molesté,

Que, commençant quelque son delectable,

Tu le rendois tout soudein lamentable,

Feingnant le ton que plein avois chanté.

Et si te veus efforcer au contraire,

Tu te destens & si me contreins taire :

Mais me voyant tendrement soupirer,

Donnant faveur à ma tant triste pleinte :

En mes ennuis me plaire suis contreinte,

Et d’un dous mal douce fin esperer.

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SONNETS EN FRANÇAIS

3

Jean Antoine de Baïf (1532-1589)

Les Amours, 1552

Ô doux plaisir plein de doux pensement,

Quand la douceur de la douce meslée,

Etreint et joint, l’ame en l’ame mellée,

Le corps au corps accouplé doucement.

Ô douce mort ! ô doux trepassement !

Mon ame alors de grand’joye troublée,

De moy dans toy s’ecoulant a l’emblée,

Puis haut, puis bas, quiert son ravissement.

Quand nous ardentz, Meline, d’amour forte,

Moy d’estre en toy, toy d’en toy tout me prendre,

Par celle part, qui dans toy entre plus,

Tu la reçoys, moy restant masse morte :

Puis vient ta bouche en ma bouche la rendre,

Me ranimant tous mes membres perclus.

Agrippa d’Aubigné (1552-1630)

Le Printemps – L’hécatombe à Diane (1568-1575)

IV

Combattu des vents et des flots,

Voyant tous les jours ma mort preste,

Et abayé d’une tempeste

D’ennemis, d’aguetz, de complotz,

Me resveillant à tous propos,

Mes pistolles dessoubz ma teste,

L’amour me fait faire le poète,

Et les vers cerchent le repos.

Pardonne moy, chere maistresse,

Si mes vers sentent la destresse,

Le soldat, la peine, et l’esmoy :

Car depuis qu’en aimant je souffre,

Il faut qu’ils sentent comme moy

La poudre, la mesche, et le souffre.

XCVI

Je brusle avecq’ mon ame et mon sang rougissant

Cent amoureux sonnetz donnéz pour mon martire,

Si peu de mes langueurs qu’il m’est permis d’escrire

Soupirant un Hecate, et mon mal gemissant.

Pour ces justes raisons, j’ay observé les cent :

A moins de cent taureaux on ne fait cesser l’ire

De Diane en courroux, et Diane retire

Cent ans hors de l’enfer les corps sans monument.

Mais quoy ? puis-je connaître au creux de mes hosties,

A leurs boyaux fumans, à leurs rouges parties

Ou l’ire, ou la pitié de ma divinité ?

Ma vie est à sa vie, et mon ame à la siene,

Mon cœur souffre en son coeur. La Tauroscytienne

Eust son desir de sang de mon sang contenté.

C

Au tribunal d’amour, après mon dernier jour,

Mon cœur sera porté, diffamé de bruslures,

Il sera exposé, on verra ses blesseures,

Pour cognoistre qui fit un si estrange tour,

A la face et aux yeux de la celeste cour

Où se prennent les mains innocentes ou pures ;

Il seignera sur toi, et compleignant d’injures

Il demandera justice au juge aveugle Amour :

Tu diras : C’est Venus qui l’a fait par ses ruses,

Ou bien Amour, son filz. En vain telles excuses !

N’accuse point Venus de ses mortels brandons,

Car tu les as fournis de mesches et flammesches,

Et pour les coups de traict qu’on donne aux Cupidons

Tes yeux en sont les arcs, et tes regards les flesches.

Chanson anonyme (1578)

Las ! ô Pauvre Didon, contre Amour qui s’obstine

Furieux dans ton cœur, ne saurait-on trouver

Quelque piteux secours qui te puisse sauver

Des assauts de la mort jà prête à ta ruine ?

Laisse, laisse forcer les flots de la marine

À ce traitre cruel. Ah! te veux-tu priver

Encor de tout espoir, et toi-même grever,

D’un fort glaive enfonçant ton indigne poitrine ?

S’il te laisse, pourtant il n’échappera pas

La vengeance des dieux qui talonnent ses pas

Eh ! vois avec ta sœur la tombante Carthage ;

Ne crois, hélas, ne crois cet amour déréglé

Qui te force le sens, car il est aveuglé ;

Et ne trompe ton mal par un plus grand hommage.

Héliette de Vivonne (1558-1625)

ÉNIGME

Pour le plus doux ébat que je puisse choisir,

Souvent, après dîner, craignant qu’il ne m’ennuie,

Je prends le manche en main, je le tâte et manie,

Tant qu’il soit en état de me donner plaisir.

Sur mon lit je me jette, et, sans m’en dessaisir,

Je l’étreins de mes bras et sur moi je l’appuie,

Et, remuant bien fort, d’aise toute ravie,

Entre mille douceurs j’accomplis mon désir.

S’il advient, par malheur quelquefois qu’il se lâche,

De la main je le dresse, et, derechef, je tâche

Au jouir du plaisir d’un si doux maniement :

Ainsi, mon bien aimé, tant que le nerf lui tire,

Me contemple et me plaît, puis de lui, doucement,

Lasse et non assouvie enfin je me retire.

(Le luth)

(Vers 1590)

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SONNETS EN FRANÇAIS

4

Gabrielle de Coignard (1550-1586),

Œuvres chrestiennes, posthume1595

Invocation

Obscure nuit laisse ton noir manteau.

Va réveiller la gracieuse aurore ;

Chasse bien loin le soin qui me dévore,

Et le discours qui trouble mon cerveau :

Voici le jour gracieux, clair et beau,

Et le Soleil qui la terre décore,

Et je n’ay point fermé les yeux encore,

Qui font nager ma couche toute en eau.

Ombreuse nuit, paisible, et sommeillante,

Qui sais les pleurs de l’âme travaillante,

J’ay ma douleur cachée dans ton sein :

Ne voulant point que le monde le sache

Mais toutefois je te pri’ sans relâche,

De l’apporter aux pieds du Souverain.

Marc Papillon de Lasphrise (vers 1555 - 1599)

Les Premières Œuvres poétiques du Capitaine

Lasphrise (1597-1599)

Quand je sens l’ardent flot (non point extrêmement)

Car toute extrémité n’est saine tant soit bonne,

Ma duisable chaleur atteint plus la personne,

Si mon intérieur sort du trou mollement.

Vénus mère d’Amour me désire ardemment,

La même chasteté ainsi m’affectionne,

Toutefois sans Vénus, qui de son surgeon donne,

Nul ne voudrait jouir de mon bien nullement.

En m’aidant je lui aide avec naïve flamme,

Et de plusieurs façons on use de mon âme,

Rois, Bergers sont remplis de sa fécondité.

Qui sans coût est utile, à la longue on s’en fâche,

Trop de mol fait vomir, trop de dur serre et lâche,

Mais son Ovale engendre œuvre plus souhaité.

explication

C’est un œuf mollet, que l’on a mis en un pot bouillir

qui par sa chaleur é hauffe la personne à luxure, et

qui est fort sain, dont les plus sages en mangent

ainsi : mais sans estre salé on n’en pourroit manger,

l’un s’accommode avec l’autre, le sel seul, ni l’œuf

sans sel ne seroit trouvé bon : on en mange

diversement, de pochez, fricassez, etc. C’est une

viande dont les Princes usent et tous les pauvres gens

comme d’une manne feconde, qui est bonne sans

despense. Mangeant ordinairement des œufs molets

on s’en degouste, ils font mal au cœur et sont

vomitifs, et estans durs ils restreignent le ventre, et

en prenant trop ils le dévoyent et gastent l’estomach.

L’œuf, d’où vient ce mot d’ovale, estant faicte

comme un œuf, engendre un poulet, qui vaut mieux,

et que l’on desire plus que luy.

Philippe Desportes (1546-1606)

Les Amours de Cléonice, 1583

Cléonice

Le temps léger s’enfuit sans m’en apercevoir,

Quand celle à qui je suis mes angoisses console :

Il n’est vieil, ni boiteux, c’est un enfant qui vole,

Au moins quand quelque bien vient mon mal décevoir.

A peine ai-je loisir seulement de la voir,

Et de ravir mon âme en sa douce parole,

Que la nuit à grand pas, se hâte et me la vole,

M’ôtant toute clarté, toute âme et tout pouvoir.

Bienheureux quatre jours, mais quatre heures soudaines !

Que n’avez-vous duré pour le bien de mes peines ?

Et pourquoi vôtre cours s’est-il tant avancé ?

Plus la joie est extrême et plus elle est fuitive ;

Mais j’en garde pourtant la mémoire si vive,

Que mon plaisir perdu n’est pas du tout passé.

François Malherbe (1555-1628)

Il n’est rien de si beau comme Caliste est belle :

C’est une œuvre où Nature a fait tous ses efforts

Et notre âge est ingrat qui voit tant de trésors,

S’il n’élève à sa gloire une marque éternelle.

La clarté de son teint n’est pas chose mortelle,

Le baume est dans sa bouche, et les roses dehors :

Sa parole et sa voix ressuscitent les morts,

Et l’art n’égale point sa douceur naturelle.

La blancheur de sa gorge éblouit les regards :

Amour est en ses yeux, il y trempe ses dards,

Et la fait reconnaître un miracle visible.

En ce nombre infini de grâces, et d’appas,

Qu’en dis-tu ma raison ? crois-tu qu’il soit possible

D’avoir du jugement, et ne l’adorer pas ?

*

Beaux et grands bâtiments d’éternelle structure,

Superbes de matière, et d’ouvrages divers,

Où le plus digne roi qui soit en l’univers

Aux miracles de l’art fait céder la nature.

Beau parc, et beaux jardins, qui dans votre clôture,

Avez toujours des fleurs, et des ombrages verts,

Non sans quelque démon qui défend aux hivers

D’en effacer jamais l’agréable peinture.

Lieux qui donnez aux cœurs tant d’aimables désirs,

Bois, fontaines, canaux, si parmi vos plaisirs

Mon humeur est chagrine, et mon visage triste:

Ce n’est point qu’en effet vous n’ayez des appas,

Mais quoi que vous ayez, vous n’avez point Caliste :

Et moi je ne vois rien quand je ne la vois pas.

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SONNETS EN FRANÇAIS

5

Caliste, en cet exil j’ai l’âme si gênée

Qu’au tourment que je souffre il n’est rien de pareil :

Et ne saurais ouïr ni raison, ni conseil,

Tant je suis dépité contre ma destinée.

J’ai beau voir commencer et finir la journée,

En quelque part des cieux que luise le soleil,

Si le plaisir me fuit, aussi fait le sommeil :

Et la douleur que j’ai n’est jamais terminée.

Toute la cour fait cas du séjour où je suis :

Et pour y prendre goût je fais ce que je puis :

Mais j’y deviens plus sec, plus j’y vois de verdure.

En ce piteux état si j’ai du réconfort,

C’est, ô rare beauté, que vous êtes si dure,

Qu’autant près comme loin je n’attends que la mort.

André Mage de Fiefmelin (1560-1603)

Ce monde comme on dit est une cage à fous,

Où la guerre, la paix, l’amour, la haine, l’ire,

La liesse, l’ennui, le plaisir, le martyre

Se suivent tour à tour et se jouent de nous.

Ce monde est un théâtre où nous nous jouons tous

Sous habits déguisés, à malfaire et médire.

L’un commande en tyran, l’autre humble au joug soupire:

L’un est bas, l’autre haut, l’un jugé, l’autre absous.

Qui s’éplore, qui vit, qui joue, qui se peine,

Qui surveille, qui dort, qui danse, qui se gêne,

Voyant le riche saoul et le pauvre jeûnant ?

Bref ce n’est qu’une farce ou simple comédie

Dont la fin des joueurs la Parque couronnant,

Change la catastrophe en triste tragédie.

Jean de la Ceppède (1548 ou 1550 - 1623)

Théorèmes sur le Sacré Mystère de notre

Rédemption (1613-1621, + de 500 sonnets)

Cette rouge sueur goutte à goutte roulante

Du corps de cet athlète en ce rude combat,

Peut être comparée à cette eau douce et lente

Qui la sainte montagne en silence rebat.

L’aveugle-né, qui mit tous les siens en débat

Pour ses yeux, fut lavé de cette eau doux-coulante,

Et dans le chaud lavoir de cette onde sanglante

Toute l’aveugle race en liberté s’ébat.

Et l’un et l’autre bain ont redonné la vue,

Siloë du pouvoir dont le Christ l’a pourvue,

Et celui-ci du sang de son propre pouvoir.

Aussi ce rare sang est la substance même

De son cœur, qui pour faire à nuit ce cher lavoir

Fond comme cire au feu de son amour extrême.

Le Sieur Vital d’Audiguier (1565 ? -1624)

Faire l’amour, alors qu’il me défait,

Et tout défait l’amour même défaire,

Le défaisant, le rendre plus parfait,

Le parfaisant, l’éprouver plus contraire.

Se délecter aux plaies qu’il me fait,

Chanter l’honneur de mon fier adversaire ;

Et de cent maux endurés en effet

Ne rapporter qu’un bien imaginaire.

Cacher son mal de crainte de le voir,

Crier merci de faire son devoir,

En même temps se louer et se plaindre.

Se détester et se faire la cour

Se mépriser et soi-même se craindre

C’est en deux mots la défaite d’amour.

François Maynard (1542-1646)

Les Œuvres (1646)

Contre le Cardinal Richelieu

Par vos humeurs le monde est gouverné,

Vos volontés font le calme et l’orage ;

Et vous riez de me voir confiné

Loin de la cour dans mon petit village.

Cléomédon, mes désirs sont contents ;

Je trouve beau le désert où j’habite,

Et connais bien qu’il faut céder au temps,

Fuir l’éclat et devenir ermite ;

Je suis heureux de vieillir sans emploi,

De me cacher, de vivre tout à moi,

D’avoir dompté la crainte et l’espérance ;

Et si le ciel, qui me traite si bien,

Avait pitié de vous et de la France,

Votre bonheur serait égal au mien.

*

Cloris vit sous les dures lois

D’un mari, dont la rêverie

Le fait même jaloux des rois

Qui sont peints dans sa galerie.

Il lui prêche que le devoir

L’oblige à fuir la rencontre ;

Je serai privé de la voir

Sans le songe qui me la montre.

Ce doux sorcier de mes ennuis

Me l’amène toutes les nuits

Tant il est soigneux de me plaire.

Que mon sort est capricieux !

Pour voir le soleil qui m’éclaire,

Il faut que je ferme les yeux.

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SONNETS EN FRANÇAIS

6

Théophile de Viau (1590-1626)

Ministre du repos, sommeil père des songes,

Pourquoi t’a-t-on nommé l’Image de la Mort?

Que ces faiseurs de vers t’ont jadis fait de tort,

De le persuader avecque leurs mensonges!

Faut-il pas confesser qu’en l’aise où tu nous plonges,

Nos esprits sont ravis par un si doux transport,

Qu’au lieu de raccourcir, à la faveur du sort,

Les plaisirs de nos jours, sommeil, tu les allonges.

Dans ce petit moment, ô songes ravissants!

Qu’Amour vous a permis d’entretenir mes sens,

J’ai tenu dans mon lit Élise toute nue.

Sommeil, ceux qui t’ont fait l’Image du trépas,

Quand ils ont peint la mort ils ne l’ont point connue:

Car vraiment son portrait ne lui ressemble pas.

*

Au moins ai-je songé que je vous ai baisée,

Et bien que tout l’amour ne s’en soit pas allé,

Ce feu qui dans mes sens a doucement coulé,

Rend en quelque façon ma flamme rapaisée.

Après ce doux effort mon âme reposée

Peut rire du plaisir qu’elle vous a volé,

Et de tant de refus à demi consolé,

Je trouve désormais ma guérison aisée.

Mes sens déjà remis commencent à dormir,

Le sommeil qui deux nuits m’avait laissé gémir

Enfin dedans mes yeux vous fait quitter la place.

Et quoiqu’il soit si froid au jugement de tous,

Il a rompu pour moi son naturel de glace,

Et s’est montré plus chaud et plus humain que vous.

*

D’un sommeil plus tranquille à mes amours rêvant,

J’éveille avant le jour mes yeux et ma pensée,

Et cette longue nuit si durement passée,

Je me trouve étonné de quoi je suis vivant.

Demi désespéré je jure en me levant

D’arracher cet objet à mon âme insensée,

Et soudain de ses vœux ma raison offensée

Se dédit et me laisse aussi fol que devant.

Je sais bien que la mort suit de près ma folie,

Mais je vois tant d’appas en ma mélancolie

Que mon esprit ne peut souffrir sa guérison.

Chacun à son plaisir doit gouverner son âme,

Mithridate autrefois a vécu de poison,

Les Lestrygons de sang, et moi je vis de flamme.

Phylis, tout est …tu, je meurs de la vérole,

Elle exerce sur moi sa dernière rigueur :

Mon v.. baisse la tête et n’a point de vigueur,

Un ulcère puant a gâté ma parole.

J’ai sué trente jours, j’ai vomi de la colle ;

Jamais de si grands maux n’eurent tant de longueur,

L’esprit le plus constant fût mort à ma langueur,

Et mon affliction n’a rien qui la console.

Mes amis plus secrets ne m’osent approcher,

Moi-même, en cet état, je ne m’ose toucher :

Phylis le mal me vient de vous avoir …tue.

Mon Dieu, je me repends d’avoir si mal vécu :

Et si votre courroux à ce coup ne me tue,

Je fais vœu désormais de ne …tre qu’en cul.

Pierre de Marbeuf (1596-1645)

Recueil de vers, 1628

Et la mer et l’amour ont l’amer pour partage,

Et la mer est amère, et l’amour est amer,

L’on s’abîme en l’amour aussi bien qu’en la mer,

Car la mer et l’amour ne sont point sans orage.

Celui qui craint les eaux, qu’il demeure au rivage,

Celui qui craint les maux qu’on souffre pour aimer,

Qu’il ne se laisse pas à l’amour enflammer,

Et tous deux ils seront sans hasard de naufrage ?

La mère de l’amour eut la mer pour berceau,

Le feu sort de l’amour, sa mère sort de l’eau

Mais l’eau contre ce feu ne peut fournir des armes.

Si l’eau pouvait éteindre un brasier amoureux,

Ton amour qui me brûle est si fort douloureux,

Que j’eusse éteint son feu de la mer de mes larmes

Antoine Girard, sieur de Saint-Amant (1594-

1661) Les Œuvres, « Railleries à part », 1649

Sonnet sur des mots qui n’ont point de rime

Phylis, je ne suis plus des rimeurs de ce siècle

Qui font pour un sonnet dix jour de cul de plomb

Et qui sont obligés d’en venir aux noms propres

Quand il leur faut rimer ou sur coiffe ou sur poil.

Je n’affecte jamais rime riche ni pauvre

De peur d’être contraint de suer comme un porc,

Et hais plus que la mort ceux dont l’âme est si faible

Que d’exercer un art qui fait qu’on meurt de froid.

Si je fais jamais vers, qu’on m’arrache les ongles,

Qu’on me traîne au gibet, que j’épouse une vieille,

Qu’au plus fort de l’été je languisse de soif,

Que tous les mardi-gras me soient autant de jeûnes,

Que je ne goûte vin non plus que fait le Turc,

Et qu’au fond de la mer on fasse mon sépulcre.

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SONNETS EN FRANÇAIS

7

Assis sur un fagot, une pipe à la main,

Tristement accoudé contre une cheminée,

Les yeux fixés vers terre, et l’âme mutinée,

Je songe aux cruautés de mon sort inhumain.

L’espoir qui me remet du jour au lendemain,

Essaie à gagner temps sur ma peine obstinée,

Et me venant promettre une autre destinée,

Me fait monter plus haut qu’un empereur romain.

Mais à peine cette herbe est-elle mise en cendre,

Qu’en mon premier état, il me convient descendre,

Et passer mes ennuis à redire souvent :

Non je ne trouve point beaucoup de différence

De prendre du tabac à vivre d’espérance,

Car l’un n’est que fumée, et l’autre n’est que vent.

Sonnet inachevé

Fagoté plaisamment comme un vrai Simonnet,

Pied chaussé, l’autre nu, main au nez, l’autre en poche,

J’arpente un vieux grenier, portant sur ma caboche

Un coffin de Hollande en guise de bonnet.

Là, faisant quelquefois le saut du sansonnet,

Et dandinant du cul comme un sonneur de cloche,

Je m’égueule de rire, écrivant d’une broche

En mots de patelin, ce grotesque sonnet.

Mes esprits à cheval sur des coquecigrues,

Ainsi que papillons s’envolent dans les nues,

Y cherchant quelque fin qu’on ne puisse trouver.

Nargue : c’est trop rêver, c’est trop ronger ses ongles ;

Si quelqu’un sait la rime, il peut bien l’achever.

Vincent Voiture (1597-1648)

La belle matineuse

Des portes du matin l’Amante de Céphale,

Ses roses épandait dans le milieu des airs,

Et jetait sur les cieux nouvellement ouverts

Ces traits d’or et d’azur qu’en naissant elle étale,

Quand la Nymphe divine, à mon repos fatale,

Apparut, et brilla de tant d’attraits divers,

Qu’il semblait qu’elle seule éclairait l’Univers

Et remplissait de feux la rive Orientale.

Le Soleil se hâtant pour la gloire des Cieux

Vint opposer sa flamme à l’éclat de ses yeux,

Et prit tous les rayons dont l’Olympe se dore.

L’Onde, la terre et l’air s’allumaient alentour

Mais auprès de Phylis on le prit pour l’Aurore,

Et l’on crut que Phylis était l’astre du jour. (l’amante de Céphale = Eos, l’aurore)

Tristan l’Ermite (1601-1655)

La belle esclave maure

Beau Monstre de Nature, il est vrai ton visage

Est noir au dernier point, mais beau parfaitement :

Et l’Ebène poli qui te sert d’ornement

Sur le plus blanc ivoire emporte l’avantage.

Ô merveille divine, inconnue à notre âge !

Qu’un objet ténébreux luise si clairement ;

Et qu’un charbon éteint, brûle plus vivement

Que ceux qui de la flamme entretiennent l’usage !

Entre ces noires mains je mets ma liberté ;

Moi qui fus invincible à toute autre Beauté,

Une Maure m’embrasse, une Esclave me dompte.

Mais cache-toi, Soleil, toi qui viens de ces lieux

D’où cet Astre est venu, qui porte pour ta honte

La nuit sur son visage, et le jour dans ses yeux.

Paul Scarron (1610-1660)

Vous faites voir des os quand vous riez, Hélène,

Dont les uns sont entiers et ne sont guère blancs ;

Les autres, des fragments noirs comme de l’ébène,

Et tous, entiers ou non, cariés et tremblants.

Comme dans la gencive ils ne tiennent qu’à peine

Et que vous éclatez à vous rompre les flancs,

Non seulement la toux mais votre seule haleine

Peut les mettre à vos pieds, déchaussés et sanglants.

Ne vous mêlez donc plus du métier de rieuse ;

Fréquentez les convois et devenez pleureuse :

D’un si fidèle avis faites votre profit.

Mais vous riez encore et vous branlez la tête !

Riez tout votre soûl, riez vilaine bête :

Pourvu que vous creviez de rire, il me suffit.

Isaac de Benserade (1613-1691)

Madame, je vous donne un oiseau pour étrenne

Duquel on ne saurait estimer la valeur ;

S’il vous vient quelque ennui, maladie ou douleur,

Il vous rendra soudain à votre aise et bien saine.

Il n’est mal d’estomac, colique ni migraine

Qu’il ne puisse guérir, mais surtout il a l’heur

Que contre l’accident de la pâle couleur

Il porte avecque soi la drogue souveraine.

Une dame le vit dans ma main, l’autre jour

Qui me dit que c’était un perroquet d’amour,

Et dès lors m’en offrit bon nombre de monnoie ;

Des autres perroquets il diffère pourtant :

Car eux fuient la cage, et lui, il l’aime tant

Qu’il n’y est jamais mis qu’il n’en pleure de joie.

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SONNETS EN FRANÇAIS

8

Zacharie de Vitré, (XVIIe siècle, dates inconnues)

Essais de méditations poétiques sur la Passion, mort

et résurrection de notre Seigneur Jésus-Christ. 1659

L’âme de cette mère, avec son fils en croix,

Y sent tout ce qu’il sent, et d’un cruel mystère,

Le fils dans ses tourments sert de croix à sa mère,

Puisqu’elle souffre en lui ce qu’il fait sur ce bois.

Elle que les ennuis ont réduite aux abois,

Sert de croix à ce fils lorsqu’il la considère ;

Les tendresses qu’elle a la lui font plus amère,

Et le font remourir une seconde fois.

Enfin l’âme du fils de son corps arrachée,

Celle-là de la mère y demeure attachée ;

Et si quand on perça le cœur du Crucifix,

Ce sanguinaire épieu n’y trouva plus son âme,

Lors celle de la mère étant celle du fils

Pour glaive de douleur eut vraiment cette lame.

Claude Le Petit (1638-1662)

Le Bordel des muses, 1662

Aux Précieuses

Courtisanes d’honneur, putains spirituelles,

De qui tous les péchés sont des péchés d’esprit,

Qui n’avez du plaisir qu’en couchant par écrit,

Et qui n’aimez les lits qu’à cause des ruelles ;

Vous chez qui la nature a des fleurs éternelles,

Précieuses du temps, mes chères sœurs en Christ,

Puisque si justement l’occasion vous rit,

Venez dans ce bordel vous divertir, mes belles.

Si l’esprit a son vit aussi bien que le corps,

Votre âme y sentira des traits et des transports,

A faire décharger la femme la plus froide.

Et si le corps enfin est par l’amour fléchi,

Ce livre en long roulé, bien égal et bien roide

Vaudra bien un godemichi.

Sonnet foutatif

Foutre du cul, foutre du con,

Foutre du Ciel et de la Terre,

Foutre du diable et du tonnerre,

Et du Louvre et de Montfaucon.

Foutre du temple et du balcon,

Foutre de la paix, de la guerre,

Foutre du feu, foutre du verre,

Et de l’eau et de l’Hélicon.

Foutre des valets et des maistres,

Foutre des moines et des prestres,

Foutre du foutre et du fouteur.

Foutre de tout le monde ensemble,

Foutre du livre et du lecteur,

Foutre du sonnet, que t’en semble ?

François Colletet a rapporté en 1662 :

« Ce jourd’hui premier jour de septembre fust

bruslé en place de Grève, à Paris, après avoir eu le

poing coupé, fait amende honorable devant Nostre-

Dame de Paris, esté étranglé, Claude Petit, advocat

en Parlement, auteur de L’Heure du Berger, et de

L’Escole de l’Interest pour avoir fait un livre

intitulé : Le Bordel des Muses, escrit l’Apologie de

Chausson, le Moyne renié et autres compositions de

vers et de prose pleine d’impiétés et de blasphèmes,

contre l’honneur de Dieu, de la Vierge et de l’Estat.

Il estoit âgé de vingt et trois ans et fut fort regretté

des honnestes gens à cause de son bel esprit qu’il

eust peu employer à des choses plus dignes de

lecture.

Nicolas Boileau, (1636-1711)

Art Poétique, Chant II, vers 82-96, 1674

On dit, à ce propos, qu’un jour ce dieu bizarre,

Voulant pousser à bout tous les rimeurs françois,

Inventa du Sonnet les rigoureuses lois ;

Voulut qu’en deux quatrains, de mesure pareille,

La rime, avec deux sons, frappât huit fois l’oreille ;

Et qu’ensuite six vers, artistement rangés,

Fussent en deux tercets par le sens partagés.

Surtout, de ce Poème il bannit la licence ;

Lui-même en mesura le nombre et la cadence ;

Défendit qu’un vers faible y pût jamais entrer,

Ni qu’un mot déjà mis osât s’y remontrer.

Du reste, il l’enrichit d’une beauté suprême :

Un sonnet sans défauts vaut seul un long Poème.

Mais en vain mille auteurs y pensent arriver,

Et cet heureux phénix est encore à trouver.

Antoine Houdar de la Motte (1672-1731)

Dans les pleurs et les cris recevoir la naissance,

Pour être des besoins l’esclave malheureux ;

Sous les bizarres lois de maîtres rigoureux,

Traîner dans la contrainte une imbécile enfance

Avide de savoir, languir dans l’ignorance ;

De plaisirs fugitifs follement amoureux,

N’en recueillir jamais qu’un ennui douloureux ;

Payer d’un long regret une courte espérance.

Voir avec la vieillesse arriver à grand pas,

Les maux avant-coureurs d’un funeste trépas ;

Longtemps avant la mort en soutenir l’image.

Enfin, en gémissant, mourir comme on est né.

N’est-ce que pour subir ce sort infortuné,

Que le ciel aurait fait son plus parfait ouvrage ?

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SONNETS EN FRANÇAIS

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Évariste Parny (1753-1814)

Vers sur la mort d’une jeune fille

Son âge échappait à l’enfance.

Riante comme l’innocence,

Elle avait les traits de l’Amour ;

Quelques mois, quelques jours encore,

Dans ce cœur pur et sans détour

Le sentiment allait éclore.

Mais le Ciel avait au trépas

Condamné ses jeunes appas.

Au Ciel elle a rendu sa vie,

Et doucement s’est endormie

Sans murmurer contre ses lois :

Ainsi le sourire, s’efface ;

Ainsi meurt, sans laisser de trace,

Le chant d’un oiseau dans les bois.

Charles-Augustin Sainte-Beuve (1804-1869)

Pensées d’août (1837)

Sonnet de Sainte Thérèse à Jésus crucifié

Ce qui m’excite à t’aimer, ô mon Dieu,

Ce n’est pas l’heureux ciel que mon espoir devance,

Ce qui m’excite à t’épargner l’offense,

Ce n’est pas l’enfer sombre et l’horreur de son feu !

C’est toi, mon Dieu, toi par ton libre vœu

Cloué sur cette croix où t’atteint l’insolence ;

C’est ton saint corps sous l’épine et la lance,

Où tous les aiguillons de la mort sont en jeu.

Voilà ce qui m’éprend, et d’amour si suprême,

Ô mon Dieu, que, sans ciel même, je t’aimerais ;

Que, même sans enfer, encor je te craindrais !

Tu n’as rien à donner, mon Dieu, pour que je t’aime ;

Car, si profond que soit mon espoir, en l’ôtant,

Mon amour irait seul, et t’aimerait autant !

Felix Arvers (1806-1850)

Mes heures perdues, 1833

Sonnet imité de l’italien

Mon âme a son secret, ma vie a son mystère :

Un amour éternel en un moment conçu.

Le mal est sans espoir, aussi j’ai dû le taire,

Et celle qui l’a fait n’en a jamais rien su.

Hélas ! j’aurai passé près d’elle inaperçu,

Toujours à ses côtés, et pourtant solitaire,

Et j’aurai jusqu’au bout fait mon temps sur la terre,

N’osant rien demander et n’ayant rien reçu.

Pour elle, quoique Dieu l’ait faite douce et tendre,

Elle ira son chemin, distraite, et sans entendre

Ce murmure d’amour élevé sur ses pas ;

À l’austère devoir pieusement fidèle,

Elle dira, lisant ces vers tout remplis d’elle :

« Quelle est donc cette femme ? » et ne comprendra pas.

Gérard de Nerval (1808-1855) Les Chimères (1854)

El Desdichado

Je suis le ténébreux, - le veuf, - l’inconsolé,

Le prince d’Aquitaine à la tour abolie :

Ma seule étoile est morte, - et mon luth constellé

Porte le Soleil noir de la Mélancolie.

Dans la nuit du tombeau, toi qui m’as consolé,

Rends-moi le Pausilippe et la mer d’Italie,

La fleur qui plaisait tant à mon cœur désolé,

Et la treille où la pampre à la rose s’allie.

Suis-je Amour ou Phébus ?… Lusignan ou Biron ?

Mon front est rouge encore du baiser de la reine ;

J’ai rêvé dans la grotte où nage la syrène…

Et j’ai deux fois vainqueur traversé l’Achéron :

Modulant tour à tout sur la lyre d’Orphée

Les soupirs de la sainte et les cris de la fée.

Alfred de Musset (1810-1857)

Premières poésies (1852)

Sonnet

Que j’aime le premier frisson d’hiver ! le chaume,

Sous le pied du chasseur, refusant de ployer !

Quand vient la pie aux champs que le foin vert embaume,

Au fond du vieux château s’éveille le foyer ;

C’est le temps de la ville. - Oh ! lorsque l’an dernier,

J’y revins, que je vis ce bon Louvre et son dôme,

Paris et sa fumée, et tout ce beau royaume

(J’entends encore au vent les postillons crier),

Que j’aimais ce temps gris, ces passants, et la Seine

Sous ses mille falots assise en souveraine !

J’allais revoir l’hiver. - Et toi, ma vie, et toi !

Oh ! dans tes longs regards j’allais tremper mon âme

Je saluais tes murs. - Car, qui m’eût dit, madame,

Que votre coeur sitôt avait changé pour moi ?

Poésies nouvelles (1854)

Tristesse

J’ai perdu ma force et ma vie,

Et mes amis et ma gaieté ;

J’ai perdu jusqu’à la fierté

Qui faisait croire à mon génie.

Quand j’ai connu la Vérité,

J’ai cru que c’était une amie ;

Quand je l’ai comprise et sentie,

J’en étais déjà dégoûté.

Et pourtant elle est éternelle,

Et ceux qui se sont passés d’elle

Ici-bas ont tout ignoré.

Dieu parle, il faut qu’on lui réponde.

Le seul bien qui me reste au monde

Est d’avoir quelquefois pleuré.

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SONNETS EN FRANÇAIS

10

Théophile Gautier (1811-1872)

La Comédie de la mort (1838)

La Caravane

La caravane humaine au Sahara du monde,

Par ce chemin des ans qui n’a pas de retour,

S’en va traînant le pied, brûlée aux feux du jour,

Et buvant sur ses bras la sueur qui l’inonde.

Le grand lion rugit et la tempête gronde ;

A l’horizon fuyard, ni minaret, ni tour ;

La seule ombre qu’on ait, c’est l’ombre du vautour,

Qui traverse le ciel, cherchant sa proie immonde.

L’on avance toujours, et voici que l’on voit

Quelque chose de vert que l’on se montre au doigt :

C’est un bois de cyprès, semé de blanches pierres.

Dieu, pour vous reposer, dans le désert du temps,

Comme des oasis, a mis les cimetières :

Couchez-vous et dormez, voyageurs haletants.

Charles Leconte, dit Leconte de Lisle (1818-

1894) Poèmes barbares, 1862

L’ecclésiaste

L’Ecclésiaste a dit : Un chien vivant vaut mieux

Qu’un lion mort. Hormis, certes, manger et boire,

Tout n’est qu’ombre et fumée. Et le monde est très vieux,

Et le néant de vivre emplit la tombe noire.

Par les antiques nuits, à la face des cieux,

Du sommet de sa tour comme d’un promontoire,

Dans le silence, au loin laissant planer ses yeux,

Sombre, tel il songeait sur son siège d’ivoire.

Vieil amant du soleil, qui gémissais ainsi,

L’irrévocable mort est un mensonge aussi.

Heureux qui d’un seul bond s’engloutirait en elle !

Moi, toujours, à jamais, j’écoute, épouvanté,

Dans l’ivresse et l’horreur de l’immortalité,

Le long rugissement de la Vie éternelle.

Charles Baudelaire (1821-1867)

Les Fleurs du mal (1857-1861)

Bohémiens en voyage

La tribu prophétique aux prunelles ardentes

Hier s’est mise en route, emportant ses petits

Sur son dos, ou livrant à leurs fiers appétits

Le trésor toujours prêt des mamelles pendantes.

Les hommes vont à pied sous leurs armes luisantes

Le long des chariots où les leurs sont blottis,

Promenant sur le ciel des yeux appesantis

Par le morne regret des chimères absentes.

Du fond de son réduit sablonneux le grillon,

Les regardant passer, redouble sa chanson ;

Cybèle, qui les aime, augmente ses verdures,

Fait couler le rocher et fleurir le désert

Devant ces voyageurs, pour lesquels est ouvert

L’empire familier des ténèbres futures.

Tristan Corbière (1845-1875)

Les Amours jaunes, (1873)

Féminin singulier

Eternel Féminin de l’éternel Jocrisse

Fais-nous sauter, pantins nous pavons les décors

Nous éclairons la rampe... Et toi, dans la coulisse,

Tu peux faire au pompier le pur don de ton corps.

Fais claquer sur nos dos le fouet de ton caprice,

Couronne tes genoux ! ... et nos têtes dix-corps ;

Ris ! montre tes dents ! ... mais ... nous avons la police,

Et quelque chose en nous d’eunuque et de recors.

...Ah tu ne comprends pas ?... - Moi non plus - Fais la belle,

Tourne : nous sommes soûls ! Et plats ; Fais la cruelle !

Cravache ton pacha, ton humble serviteur!...

Après, sache tomber ! - mais tomber avec grâce -

Sur notre sable fin ne laisse pas de trace ! ...

- C’est le métier de femme et de gladiateur.

I Sonnet

Avec la manière de s’en servir Réglons notre papier et formons bien nos lettres

Vers filés à la main et d’un pied uniforme,

Emboîtant bien le pas, par quatre en peloton ;

Qu’en marquant la césure, un des quatre s’endorme...

Ça peut dormir debout comme soldats de plomb.

Sur le railway du Pinde1 est la ligne, la forme ;

Aux fils du télégraphe ; - on en suit quatre, en long;

A chaque pieu, la rime – exemple : chloroforme.

- Chaque vers est un fil, et la rime un jalon.

- Télégramme sacré – 20 mots. – Vite à mon aide...

(Sonnet - c’est un sonnet -) ô Muse d’Archimède2 !

- La preuve d’un sonnet est par l’addition :

- Je pose 4 et 4 = 8 ! Alors je procède,

En posant 3 et 3 ! - Tenons Pégase3 raide :

"O lyre ! O délire : O..." - Sonnet - Attention ! Pic de la Madaletta – Août

1. Pinde : montagne grecque ; dans l’antiquité, dédiée à Apollon (dieu de la musique et de la poésie) et aux Muses.

2. Archimède : savant grec (mathématicien et physicien) du IIIe

s. av. J-C. 3. Pégase : cheval ailé d’origine divine dans la mythologie

grecque, souvent associé à l’activité poétique.

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SONNETS EN FRANÇAIS

11

Paul Verlaine (1844-1896)

Fêtes galantes, 1869

L’Allée

Fardée et peinte comme au temps des bergeries

Frêle parmi les nœuds énormes de rubans,

Elle passe sous les ramures assombries,

Dans l’allée où verdit la mousse des vieux bancs,

Avec mille façons et mille afféteries

Qu’on garde d’ordinaire aux perruches chéries.

Sa longue robe à queue est bleue, et l’éventail

Qu’elle froisse en ses doigts fluets aux larges bagues

S’égaie un des sujets érotiques, si vagues

Qu’elle sourit, tout en rêvant, à maint détail.

- Blonde, en somme. Le nez mignon avec la bouche

Incarnadine, grasse, et divine d’orgueil

Inconscient. - D’ailleurs plus fine que la mouche

Qui ravive l’éclat un peu niais de l’œil.

Sagesse, 1880

III, VIII

Parfums, couleurs, systèmes, lois !

Les mots ont peur comme des poules.

La chair sanglote sur la croix.

Pied, c’est du rêve que tu foules,

Et partout ricane la voix,

La voix tentatrice des foules.

Cieux bruns où nagent nos desseins,

Fleurs qui n’êtes pas le Calice,

Vin et ton geste qui se glisse,

Femme et l’œillade de tes seins,

Nuit câline aux frais traversins,

Qu’est-ce que c’est que ce délice,

Qu’est-ce que c’est que ce supplice,

Nous les damnés et vous les Saints ?

Jadis et Naguère, 1884

À la louange

de Laure et de Pétrarque

Chose italienne où Shakspeare a passé

Mais que Ronsard fit superbement française,

Fine basilique au large diocèse,

Saint-Pierre-des-Vers, immense et condensé,

Elle, ta marraine, et Lui qui t’a pensé,

Dogme entier toujours debout sous l’exégèse

Même edmondschéresque ou francisquesarceyse,

Sonnet, force acquise et trésor amassé,

Ceux-là sont très bons et toujours vénérables,

Ayant procuré leur luxe aux misérables

Et l’or fou qui sied aux pauvres glorieux,

Aux poètes fiers comme les gueux d’Espagne,

Aux vierges qu’exalte un rhythme exact, aux yeux

Epris d’ordre, aux cœurs qu’un vœu chaste accompagne

Parallèlement, 1889

Sappho

Furieuse, les yeux caves et les seins roides,

Sappho, que la langueur de son désir irrite,

Comme une louve court le long des grèves froides,

Elle songe à Phaon, oublieuse du Rite,

Et, voyant à ce point ses larmes dédaignées,

Arrache ses cheveux immenses par poignées ;

Puis elle évoque, en des remords sans accalmies,

Ces temps où rayonnait, pure, la jeune gloire

De ses amours chantés en vers que la mémoire

De l’âme va redire aux vierges endormies :

Et voilà qu’elle abat ses paupières blêmies

Et saute dans la mer où l’appelle la Moire, -

Tandis qu’au ciel éclate, incendiant l’eau noire,

La pâle Séléné qui venge les Amies.

Épigrammes, 1894

Nascita di Venere - Botticelli

Vénus, debout sur le plus beau des coquillages

Aborde nue, au moins sauvage des rivages,

Ne cachant de son corps avec ses longs cheveux

Que juste ce qu’il faut pour qu’y dardent nos vœux

Une nymphe, éployant un clair manteau, s’empresse À vêtir en impératrice la déesse ; Et deux vents accourus, beaux éphèbes ailés,

Des cuisses et des bras l’un à l’autre mêlés,

De qui l’un est Zéphire et dont l’autre est Borée,

Soufflent l'amour divin et la haine sacrée Le visage est suavement indifférent

Comme attendant le culte à venir que lui rend

Toute herbe et toute chair depuis cette naissance,

Et se pare d’une inquiétante innocence.

Arthur Rimbaud (1854-1891)

Ma Bohème

Je m’en allais, les poings dans mes poches crevées ;

Mon paletot aussi devenait idéal ;

J’allais sous le ciel, Muse ! et j’étais ton féal ;

Oh ! là là ! que d’amours splendides j’ai rêvées !

Mon unique culotte avait un large trou.

— Petit-Poucet rêveur, j’égrenais dans ma course

Des rimes. Mon auberge était à la Grande-Ourse.

— Mes étoiles au ciel avaient un doux frou-frou.

Et je les écoutais, assis au bord des routes,

Ces bons soirs de septembre où je sentais des gouttes

De rosée à mon front, comme un vin de vigueur ;

Où, rimant au milieu des ombres fantastiques,

Comme des lyres, je tirais les élastiques

De mes souliers blessés, un pied près de mon cœur !

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SONNETS EN FRANÇAIS

12

Vénus anadyomène

Comme d’un cercueil vert en fer blanc, une tête

De femme à cheveux bruns fortement pommadés

D’une vieille baignoire émerge, lente et bête,

Avec des déficits assez mal ravaudés ;

Puis le col gras et gris, les larges omoplates

Qui saillent ; le dos court qui rentre et qui ressort ;

Puis les rondeurs des reins semblent prendre l’essor ;

La graisse sous la peau paraît en feuilles plates;

L’échine est un peu rouge, et le tout sent un goût

Horrible étrangement ; on remarque surtout

Des singularités qu’il faut voir à la loupe...

Les reins portent deux mots gravés : Clara Venus ;

− Et tout ce corps remue et tend sa large croupe

Belle hideusement d’un ulcère à l’anus. 27 juillet 1870

Charles Cros (1842-1888)

Le Coffret de santal (1873-1879)

Tsigane

Dans la course effarée et sans but de ma vie

Dédaigneux des chemins déjà frayés, trop longs,

J’ai franchi d’âpres monts, d’insidieux vallons.

Ma trace avant longtemps n’y sera pas suivie.

Sur le haut des sommets que nul prudent n’envie,

Les fins clochers, les lacs, frais miroirs, les champs blonds

Me parlent des pays trop tôt quittés. Allons,

Vite ! vite ! en avant. L’inconnu m’y convie.

Devant moi, le brouillard recouvre les bois noirs.

La musique entendue en de limpides soirs

Résonne dans ma tête au rhythme de l’allure.

Le matin, je m’éveille aux grelots du départ,

En route ! Un vent nouveau baigne ma chevelure,

Et je vais, fier de n’être attendu nulle part.

Le Collier de griffes (posth.1908) À Ulysse Rocq, peintre

Vent d’été, tu fais les femmes plus belles

En corsage clair, que les seins rebelles

Gonflent. Vent d’été, vent des fleurs, doux rêve,

Caresse un tissu qu’un beau sein soulève.

Dans les bois, dans les champs, corolles, ombelles

Entourent la femme ; en haut les querelles

Des oiseaux, dont la romance est trop brève,

Tombent dans l’air chaud. Un moment de trêve.

Et l’épine rose a des odeurs vagues,

La rose de mai tombe de sa tige,

Tout frémit dans l’air, chant d’un doux vertige.

Quittez votre robe et mettez vos bagues ;

Et montrez vos seins, éternel prodige,

Baisons-nous, avant que mon sang se fige.

Stéphane Mallarmé (1842-1898)

Poésie (posth.1899)

Angoisse

Je ne viens pas ce soir vaincre ton corps, ô bête

En qui vont les péchés d’un peuple, ni creuser

Dans tes cheveux impurs une triste tempête

Sous l’incurable ennui que verse mon baiser:

Je demande à ton lit le lourd sommeil sans songes

Planant sous les rideaux inconnus du remords,

Et que tu peux goûter après tes noirs mensonges,

Toi qui sur le néant en sais plus que les morts:

Car le Vice, rongeant ma native noblesse,

M’a comme toi marqué de sa stérilité,

Mais tandis que ton sein de pierre est habité

Par un cœur que la dent d’aucun crime ne blesse,

Je fuis, pâle, défait, hanté par mon linceul,

Ayant peur de mourir lorsque je couche seul.

-

Ses purs ongles très-haut dédiant leur onyx,

L’Angoisse, ce minuit, soutient, lampadophore,

Maint rêve vespéral brûlé par le Phénix

Que ne recueille pas de cinéraire amphore

Sur les crédences, au salon vide : nul ptyx,

Aboli bibelot d’inanité sonore,

(Car le Maître est allé puiser des pleurs au Styx

Avec ce seul objet dont le Néant s’honore.)

Mais proche la croisée au nord vacante, un or

Agonise selon peut-être le décor

Des licornes ruant du feu contre une nixe,

Elle, défunte nue en le miroir, encor

Que, dans l’oubli fermé par le cadre, se fixe

De scintillations sitôt le septuor.

José Maria de Heredia (1842-1905)

Les Trophées, 1893

LA MAGICIENNE

En tous lieux, même au pied des autels que j’embrasse,

Je la vois qui m’appelle et m’ouvre ses bras blancs.

Ô père vénérable, ô mère dont les flancs

M’ont porté, suis-je né d’une exécrable race ?

L’Eumolpide vengeur n’a point dans Samothrace

Secoué vers le seuil les longs manteaux sanglants,

Et, malgré moi, je fuis, le cœur las, les pieds lents ;

J’entends les chiens sacrés qui hurlent sur ma trace.

Partout je sens, j’aspire, à moi-même odieux,

Les noirs enchantements et les sinistres charmes

Dont m’enveloppe encor la colère des Dieux ;

Car les grands Dieux ont fait d’irrésistibles armes

De sa bouche enivrante et de ses sombres yeux,

Pour armer contre moi ses baisers et ses larmes.

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SONNETS EN FRANÇAIS

13

Laurent Tailhade (1854-1919)

Au pays du mufle, ballades et quatorzains, 1891

Musée du Louvre

Cinq heures. Les gardiens en manteaux verts, joyeux

De s’évader enfin d’au milieu des chefs-d’œuvre,

Expulse les bourgeois qu’ahurit la manœuvre,

Et les rouges Yankees écarquillant leurs yeux.

Ces voyageurs ont des waterproofs d’un gris jaune

Avec des brodequins en allées en bâteau ;

Devant Rubens, devant Rembrandt, devant Watteau,

Ils s’arrêtent pour consulter le guide Joanne.

Mais l’antique pucelle au turban de vizir,

Impassible, subit l’attouchement du groupe.

Ses anglaises où des lichens viennent moisir

Ondulent vers le sol ; car sur une soucoupe

Elle se penche pour fignoler à loisir

Les Noces de Cana qu’elle peint à la loupe.

Georges Fourest (1864 ou 1867 – 1945)

La négresse blonde (1909)

Le Cid « Va, je ne te hais point. »

P. Corneille

Le palais de Gormaz, comte et gobernador,

est en deuil : pour jamais dort couché sous la pierre

l’hidalgo dont le sang a rougi la rapière

de Rodrigue appelé le Cid Campeador.

Le soir tombe. Invoquant les deux saints Paul et Pierre

Chimène, en voiles noirs, s’accoude au mirador

et ses yeux dont les pleurs ont brûlé la paupière

regardent, sans rien voir, mourir le soleil d’or...

Mais un éclair, soudain, fulgure en sa prunelle :

sur la plaza Rodrigue est debout devant elle !

Impassible et hautain, drapé dans sa capa,

le héros meurtrier à pas lents se promène :

« Dieu ! » soupire à part soi la plaintive Chimène,

« qu’il est joli garçon l’assassin de Papa ! »

Pierre Louys (1870-1925)

Les Chansons de Bilitis (1894)

Les Nymphes

Oui, des lèvres aussi, des lèvres savoureuses

Mais d’une chair plus tendre et plus fragile encor

Des rêves de chair rose à l’ombre des poils d’or

Qui palpitent légers sous les mains amoureuses.

Des fleurs aussi, des fleurs molles, des fleurs de nuit,

Pétales délicats alourdis de rosée

Qui fléchissent pliés sous la fleur épuisée

Et pleurent le désir, goutte à goutte, sans bruit.

Ô lèvres, versez-moi les divines salives

La volupté du sang, la vapeur des gencives

Et les frémissements enflammés du baiser.

Ô fleurs troublantes, fleurs mystiques, fleurs divines

Balancez vers mon cœur sans jamais l’apaiser

L’encens mystérieux des senteurs féminines.

Paul Valéry (1871-1945)

Album de vers anciens 1890-1900, 1920

ORPHÉE

… Je compose en esprit, sous les myrtes, Orphée

L’Admirable !… Le feu, des cirques purs descend ;

Il change le mont chauve en auguste trophée

D’où s’exhale d’un dieu l’acte retentissant.

Si le dieu chante, il rompt le site tout-puissant ;

Le soleil voit l’horreur du mouvement des pierres ;

Une plainte inouïe appelle éblouissants

Les hauts murs d’or harmonieux d’un sanctuaire.

Il chante, assis au bord du ciel splendide, Orphée !

Le roc marche, et trébuche ; et chaque pierre fée

Se sent un poids nouveau qui vers l’azur délire !

D’un Temple à demi nu le soir baigne l’essor

Et soi-même il s’assemble et s’ordonne dans l’or

À l’âme immense d’un grand hymne sur la lyre !

Alfred Jarry (1873-1907)

Le Bain du Roi

Rampant d’argent sur champ de sinople, dragon

Fluide, au soleil de la Vistule se boursoufle.

Or le roi de Pologne, ancien roi d’Aragon,

Se hâte vers son bain, très nu, puissant maroufle.

Les pairs étaient douzaine : il est sans parangon.

Son lard tremble à sa marche et la terre à son souffle ;

Pour chacun de ses pas son orteil patagon

Lui taille au creux du sable une neuve pantoufle.

Et couvert de son ventre ainsi que d’un écu

Il va. La redondance illustre de son cul

Affirme insuffisant le caleçon vulgaire

Où sont portraicturés en or, au naturel,

Par derrière, un Peau-Rouge au sentier de la guerre

Sur un cheval, et par devant, la Tour Eiffel.

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SONNETS EN FRANÇAIS

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Guillaume Apollinaire (1880-1918)

Il y a (posth.1925)

Per te praesentit aruspex O mon très cher amour, toi mon œuvre et que j’aime,

A jamais j’allumai le feu de ton regard,

Je t’aime comme j’aime une belle œuvre d’art,

Une noble statue, un magique poème.

Tu seras, mon aimée, un témoin de moi-même.

Je te crée à jamais pour qu’après mon départ,

Tu transmettes mon nom aux hommes en retard

Toi, la vie et l’amour, ma gloire et mon emblème ;

Et je suis soucieux de ta grande beauté

Bien plus que tu ne peux toi-même en être fière.

C’est moi qui l’aie conçue et faite tout entière.

Ainsi, belle œuvre d’art, nos amours ont été

Et seront l’ornement du ciel et de la terre,

O toi, ma créature et ma divinité !

Jean Pellerin (1885-1921)

Le Bouquet inutile, 1923

La grosse dame chante…

Manger le pianiste ? Entrer dans le Pleyel ?

Que va faire la dame énorme ? L’on murmure…

Elle racle sa gorge et bombe son armure :

La dame va chanter. Un œil fixant le ciel

- L’autre suit le papier, secours artificiel –

Elle chante. Mais quoi ? Le printemps ? La ramure ?

Ses rancœurs d’incomprise et de femme trop mûre ?

Qu’importe ! C’est très beau, très long, substantiel.

La note de la fin, monte, s’assied, s’impose.

Le buffet se prépare aux assauts de la pause.

« Après, le concerto ?… - Mais oui, deux clavecins. »

Des applaudissements à la dame bien sage…

Et l’on n’entendra pas le bruit que font les seins

Clapotant dans la vasque immense du corsage.

Blaise Cendrars (1887-1961)

Sonnets dénaturés, 1923

1. Cirque Médrano, au coin du Boulevard Rochechouart et de la rue des Martyrs à Paris

2. Astrologue d’origine suisse que Cendrars a rencontré à

Montparnasse

Paul Eluard (1895-1952)

Facile, 1935

Tu te lèves l’eau se déplie

Tu te couches l’eau s’épanouit

Tu es l’eau détournée de ses abîmes

Tu es la terre qui prend racine

Et sur laquelle tout s’établit

Tu fais des bulles de silence dans le désert des bruits

Tu chantes des hymnes nocturnes sur les cordes de l’arc-en-ciel

Tu es partout tu abolis toutes les routes

Tu sacrifies le temps

À l’éternelle jeunesse de la flamme exacte

Qui voile la nature en la reproduisant

Femme tu mets au monde un corps toujours pareil

Le tien

Tu es la ressemblance

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SONNETS EN FRANÇAIS

15

Les Yeux fertiles, 1936

On ne peut me connaître

Mieux que tu me connais

Tes yeux dans lesquels nous dormons

Tous les deux

Ont fait à mes lumières d’homme

Un sort meilleur qu’aux nuits du monde

Tes yeux dans lesquels je voyage

Ont donné aux gestes des routes

Un sens détaché de la terre

Dans tes yeux ceux qui nous révèlent

Notre solitude infinie

Ne sont plus ce qu’ils croyaient être

On ne peut te connaître

Mieux que je te connais

Louis Aragon (1897-1982)

Le Crève-cœur (1941)

Petite Suite sans fil

I

Hilversum Kalundborg Brno L’univers crache

Des parasites dans Mozart du lundi au

Dimanche l’idiot speaker te dédie Ô

Silence l’insultant pot-pourri qu’il rabâche

Mais Jupiter tonnant amoureux d’une vache

Princesse avait laissé pourtant en rade Io

Qui tous les soirs écoutera la radio

Pleine des poux bruyants de l’époux qui se cache

Comme elle – c’est la guerre – écoutant cette voix

Les hommes restent là stupides et caressent

Toulouse PTT Daventry Bucarest

Et leur espoir le bon vieil espoir d’autrefois

Interroge l’éther qui lui donne pour reste

Les petites pilules Carter pour le foie

Pierre Jean Jouve (1887-1976)

Matière céleste, 1937

La Femme et la Terre

Quand elle était, ce cœur était plus fort que la lumière

Son sang sous l’influence de la lune était plus ouvert

Que le sang répandu, et sa nuit plus obscure et velue

Que la nuit mais aussi scintillante et dure

Un sexe plus qu’une âme un astre plus qu’un sexe

Une église la chevelure la surmontait

Et vous qui dormez ! autre granit et vieilles roses

Qui passez et disparaissez dans un bain pur

Sans faiblesse comme sans distance

Hautes hautes terres étranger azur

Pesez sur elle qui n’est plus

Dans le temps ni sein ni spasmes ni larmes

Qui s’est retournée sur la terre

Vers l’autre plus cendreux soleil.

Moires, 1962

Inferno II

Il fallait à travers le temps et le sang

Même,

Il fallait la chaîne de maillons brisants

Et brisés la volonté plus que forte,

Il fallait en brouille et crime ce pays

Sans humanité, désert du soir qui pleure,

Il fallait l’offense des palmiers brûlants

De la trahison et de l’indifférence,

Il fallait que ces visages familiers

Se changent en monstruosité lointaine,

Que ces figures s’embrouillent à mentir

Et fuient entre les mirages de mes larmes.

Il fallait… Une dame à la face de chien

S’avance là-bas ou belle ou nonchalante.

Inferno III

Deux femmes emmêlées forment une langouste

Travaillant en miroirs derrière le balcon

Rideaux tirés pour la sentinelle salace,

L’une rousse paraît un homme avec des seins

L’autre maigreur châtain est ivre et taciturne ;

Alors des ventres bruns en triangle et des seins,

Des dures jarretelles étendant les cuisses,

Des chairs qui survolant se trouvent au plafond,

Et de l’or en paiement, des draps et portefeuille,

Et du ballet muet des bouches dans les yeux,

Des soutiens-gorge et souliers hauts sur les dentelles,

Elles dressent l’autel sacrilège honteux

Au Démon qui regarde et surpris de la rage

Éprouve malgré lui le plaisir furieux.

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SONNETS EN FRANÇAIS

16

Sur le théâtre

Le monstre dans lequel j’ai glissé : minotaure

De la querelle morne et des bas longs et noirs

Brandis par la danseuse obscène vers le centre

Labyrinthe ou trésor ou meurtre ou nonchaloir ;

Monstre confus formé des étreintes bestiales

Enfermé au dédale des cœurs journaliers

Partout tuant baisant comme de saturnales

Le spectacle banal aux riches chandeliers ;

Le monstre dont riront les fauteuils stupides

Ces messieurs-dames qui ne veulent rien savoir

Des cris des coups des mondes souterrains avides,

Mais s’esclaffent car il s’agit de désespoir ;

Tel est ce labyrinthe où des buissons vivants

Ont écorché l’esprit en ruisselets de sang.

Benjamin Fondane (1898-1944)

Au temps du poème (1944)

Est-ce ?...

Est-ce un univers de cordages,

poulies, mâts et cheminées,

de vieilles sirènes minées,

dentelles d’anciens naufrages ?

Que d’ombres lasses, patinées,

du temps avariés otages

tournent d’un œil absent les pages

du livre d’or, des matinées.

Grimperons-nous la passerelle ?

Son lourd reflet qui mord à l’eau

tremble dans l’œil, où elle gèle.

Tout est si calme dans ce tableau

que ronge, ô carie du Même,

la nostalgie de l’Extrême !

Quand de moi-même…

Quand de moi-même, en moi, les voix se taisent

et que le monde en mon cerveau s’est tu

comme un vieux conte ouï et rebattu ;

quand, aux étoiles, les paupières pèsent,

que ces musiques du rien apaisent

le cœur sauvage, ténébreux, têtu,

du poids de tant de neige courbatu

et qui n’a plus de songes qui lui plaisent !

Il voit ses jours – danseuses en tutu –

vieillir avant le soir de l’impromptu.

La houle ! Et tout à coup, la nappe d’aise.

Assis au coin du feu, sur une chaise,

il dit au Temps qui passe : « Où passes-tu ?

Où vont les fées ardentes de la braise ? »

Jean Cassou, (1897 – 1986)

33 sonnets composés au secret (publication : 1944)

XI

Compagne, tu n’auras connu de mon étoile

que la face nocturne et les yeux aveuglés

et cette bouche dure et tant d’aridité,

rien que l’abrupt aspect d’une ombre capitale.

Pour qui donc mes regards et les eaux musicales

que contenaient mes mains au temps de la clarté ?

Mes promesses d’Asie se sont tôt écoulées

vers l’autre extrémité de la sphère fatale.

Retourne à ta lumière et penche-toi sur toi,

- car toi, ton ange ne cessait de croître, - et sois

une Narcisse sans orgueil, désir ni larmes,

confuse et rougissant de se savoir trop belle.

Toi seule auras permis que j’offre à mes autels

une félicité faite à force d’alarmes.

Robert Desnos (1900-1945)

À la caille, 1944

Maréchal Ducono

Maréchal Ducono se page avec méfiance,

Il rêve à la rebiffe et il crie au charron

Car il se sent déjà loquedu et marron

Pour avoir arnaqué le populo de France.

S’il peut en écraser, s’étant rempli la panse,

En tant que maréchal à maousse ration,

Peut-il être à la bonne, ayant dans le croupion

Le pronostic des fumerons perdant patience ?

A la péter les vieux et les mignards calenchent,

Les durs bossent à cran et se brossent le manche :

Maréchal Ducono continue à pioncer.

C’est tarte, je t’écoute, à quatre-vingt-six berges,

De se savoir vomi comme fiotte et faux derge

Mais tant pis pour son fade, il aurait dû clamser.

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SONNETS EN FRANÇAIS

17

Ce Cœur qui haïssait la guerre (1944)

Printemps

Tu, Rrose Sélavy, hors de ces bornes erres

Dans un printemps en proie aux sueurs de l’amour,

Aux parfums de la rose éclose aux murs des tours,

à la fermentation des eaux et de la terre.

Sanglant, la rose au flanc, le danseur, corps de pierre

Paraît sur le théâtre au milieu des labours.

Un peuple de muets d’aveugles et de sourds

applaudira sa danse et sa mort printanière.

C’est dit. Mais la parole inscrite dans la suie

S’efface au gré des vents sous les doigts de la pluie

Pourtant nous l’entendons et lui obéissons.

Au lavoir où l’eau coule un nuage simule

À la fois le savon, la tempête et recule

L’instant où le soleil fleurira les buissons.

Armen Lubin (1903-1974)

Sainte patience, 1951

Nougats et fumées

L’attente aux pieds plats, aux orteils vastes,

L’attente au bout de la route bêtement chaste,

L’attente aux oreilles diaphanes devant ces terres pelées

Que le temps ne débite pas, n’ayant pas su les morceler.

Nul signe de vie, aucune visite, rien de rien !

Ma cigarette qui fume dans la direction bleutée

Prouve que le ciel cède toujours d’un seul côté

Il cède du côté des rêves anciens

Ah que l’affaire des chevau-légers vienne sur le tapis

Que l’affaire des chevaux de rechange vienne sur le tapis

Et celle des barreaux de prison devenus nougats

Sous l’action chaleureuse d’un feu de joie

Qui n’est que le désir incandescent du prisonnier

Le surplus du temps se déverse dans mon cendrier

Les hautes terrasses, 1957

L’ombre à deux couleurs

Du haut en bas une ligne axiale me divise,

Me divise sans disjoindre les deux volets

De l’échelle double et de la double identité

L’homme qui se divise s’enténèbre cependant.

Et la nuit qui me porte atteinte en montant,

Côté ombre qui se ramifie et côté sang,

C’est l’ombre à deux couleurs, la pâle et la sombre,

L’hésitante d’une part, et celle qui me surprend.

L’hésitante fièvre ira bien rattraper l’autre

Quelque part vers le sommet, lieu de rencontre,

Quelque part où se dissipent erreurs et méprises.

Ô les graves ouvrières nuitamment requises

Pour la démolition lente de notre double

Devant l’entrée haute !

Raymond Queneau (1903-1976)

Cent mille milliards de poèmes, 1961

Le roi de la pampa retourne sa chemise

pour la mettre à sécher aux cornes des taureaux

le cornédbîf en boîte empeste la remise

et fermentent de même et les cuirs et les peaux

Je me souviens encor de cette heure exeuquise

les gauchos dans la plaine agitaient leurs drapeaux

nous avions aussi froid que nus sur la banquise

lorsque pour nous distraire y plantions nos tréteaux

Du pôle à Rosario fait une belle trotte

aventures on eut qui si pique s’y frotte

lorsqu’on boit du maté l’on devient argentin

L’Amérique du Sud réduit les équivoques

exaltent l’espagnol les oreilles baroques

si la cloche se tait et son terlintintin

*

Le cheval Parthénon s’énerve sur sa frise

depuis que Lord Elgin négligea ses naseaux

le Turc de ce temps-là pataugeait dans la crise

il chantait tout de même oui mais il chantait faux

Le cheval Parthénon frissonnait sous la bise

du climat londonien où s’ébattent les beaux

il grelottait le pauvre au bord de la Tamise

quand les grêlons fin mars mitraillaient les bateaux

La Grèce de Platon à tout coup n’est point sotte

on comptait mes esprits acérés à la hotte

lorsque Socrate mort passait pour un lutin

Sa sculpture est illustre et dans les fond des coques

on transporte et le marbre et débris des défroques

si l’Europe le veut l’Europe ou son destin

*

Le vieux marin breton de tabac pris sa prise

pour du fin fond du nez exciter les arceaux

sur l’antique bahut il choisit sa cerise

il n’avait droit qu’à une et le jour des Rameaux

Souvenez-vous amis de ces îles de Frise

où venaient par milliers s’échouer les harenceaux

nous regrettions un peu ce tas de marchandise

lorsqu’on voyait au loin flamber les arbrisseaux

On sèche le poisson dorade ou molve lotte

on sale le requin on fume l’échalotte

lorsqu’on revient au port en essuyant un grain

Enfin on vent le tout homards et salicoques

on s’excuse il n’y a ni baleines ni phoques

le mammifère est roi nous sommes son cousin

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SONNETS EN FRANÇAIS

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Yves Bonnefoy (1923 - )

Raturer outre, 2009

Aucun dieu

Aucun dieu ne l’aura voulu, ni même su,

Aucun ne l’a accompagné dans sa fatigue,

Un rêve, cet enfant sur le boulevard

Qui marche près de lui, ceint de lumière.

Aucun n’est mort à l’heure où il est mort,

N’a pris sa main dans les draps en désordre,

Aucun n’aura jamais travaillé près de lui

Dans l’atelier qui remplaça la vie.

Remonte, dans les mots qui disent le monde,

Son silence, qui les dénie, qui me demande

D’en imaginer d’autres, mais je ne puis.

Personne n’a posé son regard sur lui.

Ce qui aurait pu être ne sera pas.

La parole ne sauve pas, parfois elle rêve.

Donner des noms

Elle se penche sur lui, murmure :

Veux-tu que nous donnions des noms encore,

Car sais-tu si jamais nous nous reverrons ?

Oui, dit-il, je te nomme, hésitation.

Qu’a eue ce martinet prenant son vol,

Qu’a-t-il vu qui le tint comme suspendu

Un instant dans le cri de tous ces autres ?

Je veux te dénommer pour me souvenir.

Puis il tourne la page. Ce qu’il voit,

C’est cette même jeune femme, souriante,

Elle semble rentrer d’un long voyage.

Comment me nommes-tu ? demande-t-elle,

Inquiète, tristement. Et la nuit tombe,

Ces martinets, l’énigme dans leur ciel.

Robert Marteau (1925-2011)

Travaux sur la terre, 1966

Hommage à Gustave Moreau

Lunaire, nocturne, en quel attelage

Vous liez au vin le sang du taureau,

Aux vignes le cheval, l’ange au poteau ?

De quelle erreur tirez-vous avantage ?

Sombre secret sous la tombe de l’eau

Le vôtre est quel jeu ? De quelle image

Du monde tenez-vous cet assemblage

De bêtes, de bijoux, et l’oripeau

Qui couvre science et vérité ? Fastes

Anciens en faisceaux assemblés vers

La cime où le Christ règne, armes et mers,

Brillent d’un même éclat, et sur de vastes

Vignobles de vin bleu votre main tend

Aux chimères le rets qui les surprend.

Zurabaràn

Cette étoile de pain des bergers fut l’hostie

Ce lait de chaux rigide où blanchissent les saintes

Et le linge trempé de calcaire m’habille

D’un même feu cuisant la coquille et le pain

J’aime en ce désert la dure résidence

Dans la pierre le feu dont les feuilles sont blanches

Cette aube ce printemps cette argile et ce gel

Et la pelle et le four dont use le mitron

Que le même astre blanc s’imprime dans la houille

Ou que l’eau dans la nuit le prenne et le renvoie

On voit que ces miroirs dans l’âme pétrifient

Ce que cherche le temps à corrompre à détruire

Les Apôtres le Christ sur l’aire méditant

En robe d’amiante habillent leur église

Claude Michel Cluny (1930-2015)

Neuf sonnets écrits à Gomera, 1991

(7) Sonnet de l’absence

La nouvelle m’est venue : je suis ailleurs

cette autre encore que le jour n’aura pas de fin

ni la mer ni la nuit – mots plus doux que les fleurs –

et que mon corps de toi n’aura plus jamais faim.

Inexplicable et beau, pur portrait du bonheur

le messager m’offrait transparent et divin

son impeccable amour avec le prix du leurre

reflet devenu moi jusqu’à l’oubli du mien.

Enfers ou Élysées ? La lumière ni l’heure

ne font plus d’ombre. Je ne connais pas ces parages

et n’ai plus rien. L’ange m’a pris jusqu’à mon âge.

Il me pose à l’épaule, pour quel froid, quelle peur

le voile de sang d’Isis. Et pour quel courage

là où tout est absence et moi dans mon ouvrage ?

Jacques Roubaud (1932 - )

Churchill 40 et autres sonnets de voyage, 2004

Sonnet-Walking, San Francisco

Je m’obstine à composer, marchant,

Dans cette forme variable. Où,

Où ai-je pris la manie, le goût

Du sonnet-walking : le travers-champs,

La rue, les cent pas dans une cham-

-Bre d’hôtel, une gare, partout ;

Tout le temps ; heures du chien, du loup,

Têtu, sur les nombres trébuchant,

Pourquoi ? Ce voyage que j’achève

Ici, je le marque chaque jour

D’une sorte de sonnet, ne lève

Qu’à peine mon nez depuis la page

Mentale où je vais l’éQrire pour

Absorber, très là-haut, le nuage. 12 mars 2000, San Francisco

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SONNETS EN FRANÇAIS

19

Un sonnet

Un sonnet, c’est un objet d’art ? — De plus en plus

Penses-tu le sonnet comme une installation

De lettres et de blancs ? — Sans doute. L’émotion

Est dans la présentation sur la page lue

En mémoire. — un sonnet serait émotionnel ?

Oui. Ses divisions l’imposent. Mais aucun vers

N’a d’émotion.

J’en ai assez dit sur le verre

Mi-vide mi-plein de réel et d’irréel

Du sonnet. Any questions ? — Et si je te dis

GEL ? — Je tais — Lumière ? — Je réponds :

mercredi

Quand j’ai mis lumière en sonnet je me sens bien,

Paisible, enveloppé d’oiseaux et d’un rectangle

Compact. — Proportions ? — Quatorze sur douze.

Bien

Plus à l’aise que dans la compagnie des anges. 14 mars 2000, San Francisco-Paris (Delta Airlines)

William Cliff (1940 - )

Autobiographie, 1993

1.

enfant je restais longtemps à jeter de longs regards

à travers les fenêtres de notre ennuyeuse école

et recevais pour prix de m’être encor mis en retard

des coups des punitions « il n’est pas de mauvaise vol-

onté » disaient devant la grand-colère de mon père

mes maîtres mais ni coups ni punitions ne pouvaient m’em-

pêcher de rester le regard tourné vers les fenêtres

austères de notre ennuyeuse école en ce moment

alors que ma vie décline et s’en va je continue

à jeter des regards traînards à travers les fenêtres

sans craindre coups ou punitions car mon père et mes maîtres

ne sont plus là pour m’en donner et aux nues inconnues

je donne en liberté mon âme assoiffée du sommeil

brumeux qu’elle aime voir errer dans les fumées du ciel

6.

mon père travaillait beaucoup car il ne faisait pas

seulement la dentisterie courant tout le pays

exercer à moto la médecine il rentrait tard

le soir et même on l’appelait souvent en pleine nuit

pour aller guérir l’homme et ses nombreuses maladies

il mettait un manteau de cuir et glissait un journal

sur sa poitrine afin de couper la glace hivernale

et partait le phare occulté c’est qu’on était puni

si l’on faisait de la lumière oui pendant la guerre

il fallait boucher ses fenêtres pour que l’« ennemi »

ne puisse pas repérer par leurs lumières les villes

ainsi à travers l’épaisse ténèbre allait mon père

vers le lit des malades mais avec plus de joie quand

il aidait une mère à mettre au monde son enfant

Bernard Vargaftig (1934-2012) Un Récit, 1991

35

La chute se détache je t’aime

Les pierres recommencent

L’aube laisse aller le mur

La terrasse un fragment d’énigme

Le sable déchiré par l’été

L’osier un fagot quand

Les bruants se précipitent

Comme une syllabe oublie de dire

Et tu me regardais

Vent et soif l’escalier tout

S’était renversé dans l’explosion

Où le silence traverse

Furtif le consentement

Et la cour que la lumière enlève

Annelyse Simao (1964 - )

Pas tes mains mais ma bouche

compagnon de mon corps, tu voudrais que

je n’écrive la densité de mon désir tenace.

ce serait nous trahir, révéler alentour

un masque si le dit déborde vers un autre.

tu ne souffres pas plus que je transcrive

cette caresse intime qui nous lie.

pour personne elle n’est ton absence :

au doigt une alliance à l’épaule un enfant.

si je couche au même lit je t’écris

sans rien te donner à lire : tes interdits

me repoussent étrangère car je ne puis

par amour sincère, me renier moi-même

pour renoncer au plaisir verbal de ma chair

où se cherchent senteurs à offrir par mes lèvres.

Valérie Rouzeau (1967 -)

VROUZ, 2012

Bonne qu’à ça ou rien

Je ne sais pas nager pas danser pas conduire

De voiture même petite

Pas coudre pas compter pas me battre pas baiser

Je ne sais pas non plus manger ni cuisiner

(Vais me faire cuire un œuf)

Quant à boire c’est déboires

Mourir impossible présentement

Incapable de jouer ni flûte ni violon dingue

De me coiffer pétard de revendre la mèche

De converser longtemps

De poireauter beaucoup d’attendre un seul enfant

Pas fichue d’interrompre la rumeur qui se prend

Dans mes feuilles de saison.

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SONNETS EN FRANÇAIS

20

*

Et d’aventure ma main

Saurait faire autre chose

Ma tête ne suivrait pas

Elle est remplie de trous

À la cuisine passoire

Couture chas de l’aiguille

Puis mon humeur chameau

Qui trouve tout difficile

Surtout le paradis

Surtout les spaghettis

À la sauce tomate

Mais danser comme un pied

Je peux y arriver

Talon pointe anapeste