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SAISON 09/10 Sous l’œil d’Œdipe Du vendredi 5 au vendredi 12 février 2010 Au Grand T Dossier Jeune Public © Mario Del Curto

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SAISON 09/10

Sous l’œil d’Œdipe

Du vendredi 5 au vendredi 12 février 2010

Au Grand T

Dossier Jeune Public

© Mario Del Curto

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Sommaire

Retrouvez le dossier pédagogique de Sous l’œil d’Œdipe, CNDP/Scéren "Pièces (dé)montées" sur www.legrandT.fr

Ecole du spectateur / Plus d’infos sur les spectacles

Présentation p.3

Le propos p.4

Une tragédie contemporaine écrite par Joël Jouanneau

Entretien avec Joël Jouanneau

p.5

Les intentions de mise en scène

Entretien avec Joël Jouanneau

p.9

En bref : Sophocle et Euripide p.11

Joël Jouanneau, auteur et metteur en scène p.12

Sous l’œil d’Œdipe : extrait p.13

Les échos de la presse p.15

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Sous l’œil d’Œdipe

D’après

Sophocle et Euripide

Adaptation et mise en scène

Joël Jouanneau

Scénographie Jacques Gabel

Lumières Franck Thévenon

Son Pablo Bergel

Costumes Patrice Cauchetier

Assistanat à la mise en scène Pauline Bourse

Maquillage Suzanne Pisteur

Avec

Bruno Sermonne

Jacques Bonnaffé

Cécile Garcia-Fogel

Philippe Demarle

Sabrina Kouroughli

Mélanie Couillaud

Hedi Tillette de Clermont-Tonnerre

Alexandre Zeff

Cadmos

Œdipe

Antigone

Polynice

Ismène

Euménide

Tirésias

Etéocle

Production Théâtre Vidy- Lausanne, L’Eldorado, Le Grand T / Nantes, MC2 / Grenoble

Sous l’œil d’Œdipe est édité chez Actes Sud-Papiers

Du vendredi 5 au vendredi 12 février 2010 au Grand T

Les mardi et jeudi à 20h, mercredi et vendredi à 20h30, le samedi à 19h30 Relâche le dimanche 7 février

Durée du spectacle : 2h30 sans entracte

Public : à partir de la Première

Tarif : 9€ par élève ou un pass-culture

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Le propos « On le sait, et pourtant cela s’oublie : il n’est pas une, mais deux grandes familles à avoir

hanté le théâtre grec : celle, très répertoriée, des Atrides, et l’autre, plus obscure, des

Labdacides.

La première, a sa cité, Argos, et son poète, Eschyle, qui, en trois pièces que protège un

même titre, L’Orestie, a constitué pour toujours l’histoire de ce clan. La seconde, dont la

tragédie a pour épicentre Thèbes, c’est Sophocle qui en a ouvert et clos le destin, avec, là

encore, trois pièces : Œdipe-roi, Œdipe à Colone, Antigone.

Or, on ne peut parler de ce qui aurait pu être une Jocastie. Deux raisons peut-être à cela :

c’est sans le savoir que Sophocle entreprend la saga familiale, et d’ailleurs, avec Antigone, il

la commence par la fin ; quand à la guerre fratricide des deux frères et fils d’Oedipe, Etéocle

et Polynice, c’est dans Les Sept contre Thèbes d’Eschyle, et dans Les Phéniciennes

d’Euripide, qu’on la trouve.

D’où, pour nous, lecteurs, de grandes variations de langues et de traductions, mais aussi

d’âges et de caractères des personnages, voire de situations, et donc, au final, de points de

vue sur les enjeux.

Sous l’œil d’Oedipe, c’est la tentative de retracer, en un même texte et pour un même

soir, le destin sanglant des enfants de la maison de Labdacos, et si je me suis lancé

dans cette aventure c’est pour comprendre, mais de l’intérieur, ce qu’est une

malédiction. Je le fais, avec pour matériaux premiers et parfois contradictoires, ceux de

Sophocle et Euripide, oui, mais aussi à la lumière d’un poème, Ismène, que l’on doit à un

autre grec, contemporain lui, Ritsos, et qui a prêté sa langue à l’unique survivante du clan.

C’est donc guidé par la main de cette sœur, au rôle si souvent secondaire qu’il est parfois

oublié, que je suis entré dans le palais interdit. »

Joël Jouanneau

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Une tragédie contemporaine écrite par Joël Jouanneau Entretien avec Joël Jouanneau Comment expliquez-vous que l’histoire de la famille des Atrides soit mieux connue que celle des Labdacides ? C’est un constat qui m’a conduit à renoncer à un premier titre auquel j’avais songé pour ma pièce : Une histoire des Labdacides ne disait rien à personne. Œdipe, Jocaste ou Antigone, sont pourtant des figures mythiques qui traversent le temps et façonnent notre imaginaire tout aussi bien que ces Atrides que furent Agamemnon, Oreste ou Electre. C’est le seul nom du clan qui est peu répertorié. Le pourquoi, je n’en ai pas la clé. J’aime à penser que c’est l’absence d’une même plume qui en est la cause. Les Atrides ont eu leur poète, cela a donné L’Orestie. Le même Eschyle a bien écrit une trilogie des Labdacides, elle aurait porté le nom d’Oedipodie, mais il ne nous reste que le dernier volet, Les Sept contre Thèbes, les deux premiers ont disparu. Euripide a également traité la guerre des deux fils d’Œdipe dans Les Phéniciennes, mais sa version est très différente, voire opposée. De fait, c’est par Sophocle que la saga du clan nous parvient, avec Œdipe-Roi, Œdipe à Colone, Antigone, trilogie oui, mais qu’il écrit dans le désordre, commençant par la fin d’Antigone, et qui fait l’impasse sur la lutte fratricide pour Thèbes, laquelle n’apparaît que hors champ. A l’image de L’Orestie vous auriez donc tenté d’écrire votre trilogie ? Il m’est arrivé il est vrai, au cours du travail, de penser que j’écrivais ma « Jocastie », mais Sous l’œil d’Oedipe n’est ni une trilogie ni même une tétralogie, quand bien même elle se compose de quatre épisodes (La malédiction, Le père, Les frères, Les sœurs), puisque ceux-ci sont assemblés dans une même pièce qui ne devrait pas excéder trois heures. Une tétralogie impliquerait trois ou quatre fois ce temps. Or non seulement il aurait fallu que je sois certain de la nécessité d’une telle durée pour me lancer dans l’entreprise, mais je suis par ailleurs convaincu que les ellipses, les ruptures, m’ont conduit à durcir la langue et à me centrer sur les raisons initiales qui me faisaient revenir sur le mythe : rendre compte de la brutalité et de la violence du monde actuel. Comment avez-vous composé vos quatre épisodes ? Le mythe en est la structure narrative. Sophocle en est le socle. Avec Euripide pour le troisième épisode. D’Eschyle il ne reste je crois rien, sinon les insomnies d’Etéocle, qui sont aussi les miennes. Mais si j’ai écrit Sous l’œil d’Œdipe à l’ombre ou dans le sillage de ces deux géants, je ne peux toutefois parler de simple montage, ou même d’adaptation, comme j’ai pu le faire avec Walser, Conrad, Jelinek, Kertesz, ou Dostoievski, adaptations que je n’ai d’ailleurs jamais cherché à publier, souhaitant que les spectateurs se reportent aux romans d’origine. Là, je l’ai fait, et je signe la pièce. Ce n’est pas seulement D’après Sophocle et Euripide que j’ai écrit, c’est aussi Après eux. Sachant donc ce que nous savons depuis. Etant ce que je suis. Ayant lu ce que j’ai lu. Y a-t-il, dans ces lectures, des œuvres plus prépondérantes que d’autres ? Oui. Œdipe arrive à Thèbes avec un livre de petit format sous le bras, et ce livre est d’Edmond Jabès. Devenu roi, on lui remet, avec le sceptre, un exemplaire du Corps du Roi de Pierre Michon. Aveugle et devenu paria, il lit avec les doigts des brouillons de Beckett ou Eliot. Mon Antigone, dans sa longue errance, a sinon rencontré du moins lu Emily Dickinson. Et il est certain que mon Ismène aimerait ressembler au poème que lui a consacré Ritsos, même si elle n’en a retenu que des pelures d’orange. J’ajoute que tout en écrivant, je lisais

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de la poésie tous les soirs, de Celan à Michaux, de Caroline Sagot-Duvauroux à Yeats, de Hugo à Jacottet. Utilisez-vous des extraits d’autres œuvres ? Des extraits non, jamais. Enfin, si : cinq vers de Léopardi que Jocaste a sans doute appris à Antigone, mais d’où les tenait-elle ? Pour le reste, ce sont d’échos dont il faudrait parler. Et au final peu nombreux. Reste qu’ils m’ont traversé. On ne lit pas innocemment. Un demi vers de Rimbaud lu le soir peut déclencher une demi page d’écriture le matin. Je peux même dire que je n’aurais jamais pu écrire ma pièce si je n’avais, depuis dix ans, lu et relu Blesse, ronce noire, de Claude Louis-Combet dont il ne reste pourtant qu’une odeur, l’aubépine. Vous avez dû utiliser des traductions pour travailler sur les tragiques grecs. Comment choisissez-vous les versions à partir desquelles vous écrivez ? Ne connaissant pas le grec ancien, non plus que le moderne, c’est par le seul travail des traducteurs que j’ai pu rencontrer Sophocle et Euripide. Je leur dois donc beaucoup. Et j’ai, de fait, oui, lu un grand nombre de traductions. C’est un labyrinthe passionnant. Très vite cependant, j’ai su que je ne pourrais être prisonnier d’une seule interprétation. Et je n’avais nulle envie de paraphraser. Mon projet était autre : je voulais décrire les traces aujourd’hui de ce mythe sans âge. Donner à entendre ses échos en nous, échos intimes et collectifs. La découverte du titre a été décisive : j’acceptai d’écrire sous l’œil d’Œdipe, mais pas sous celui de Sophocle ou d’Euripide. Ma liberté impliquait donc un acte symbolique, à la fois amoureux et sacrilège à leur égard. J’ai ainsi imaginé que ma bibliothèque avait brûlé. Ou qu’une inondation l’avait endommagée. Ou qu’un ouragan malin en avait dispersé les pages. Dès lors, ne disposant plus que de palimpsestes, fragments, feuilles volantes ou flottantes, ruines de textes, je devais reconstituer, et à partir de ma propre histoire, un puzzle dont bien des pièces manquaient. Lors de la reconstitution, j’ai constaté que des personnages avaient disparu : Créon, Hémon, ils devaient donc m’encombrer. D’autres étaient là qui à l’origine n’y étaient pas : Cadmos, Euménide, ils devaient donc me manquer. Pénétrant dans le palais, je découvrais un enfant taciturne, mais studieux : Etéocle. Deux autres semblaient inséparables. La dernière, Ismène, m’ouvrait les portes. Jocaste n’était pas morte, mais je ne pouvais que l’entendre, jamais la voir. Et il m’a semblé, vers la fin, croiser le fantôme d’Œdipe. Cela s’est fait au fil des pages d’une mémoire brûlée. Il y a présentement 25 siècles d’écart avec la vie plus ou moins mythique des Labdacides. Pourquoi se replonger dans cette mémoire-là aujourd’hui ? Pour une raison intime, mais elle m’était secrète au début du travail : Je me sens fils d’Œdipe. L’isolement et l’environnement troglodyte qui ont marqué les premières années de mon enfance ont probablement ancré à jamais en moi des forces et comportements archaïques. Et je savais que mon choix de ne pas rester aux marches du palais me conduirait, au travers de Ismène et Antigone, à retrouver mes deux sœurs, et notre commune chambre d’enfant. Mais cet intime n’est pas le seul fil. Le mythe est l’affaire de tous et il me semble être d’une brûlante actualité. Les Labdacides, ce n’est pas une simple famille, mais un clan, et qui a son sang et son sol. La malédiction qui pèse sur lui et sur Thèbes, la question du bouc émissaire, le statut du paria, du réfugié, la problématique de l’exil, les guerres fratricides, celui des corps abandonnés aux oiseaux ou aux poissons, tout cela nous agite aujourd’hui, et, tout comme pour mon Œdipe en son palais, l’air devient irrespirable : nous étouffons. Y a-t-il un chœur dans votre tragédie ? Non. Je ne suis pas arrivé à retrouver trace aujourd’hui de ce personnage antique. C’est d’ailleurs un peu inquiétant, cette absence de la voix du peuple. Croyez bien que je l’ai cherchée. Et, à plusieurs reprises, j’ai tenté de lui donner la parole. Mais rien ne m’est parvenu. Ou si peu et si mal. J’ai préféré protéger son silence.

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Et les dieux que deviennent-ils ? Ils nous ont hélas abandonnés, et je me voyais mal, en 2009, quand bien même j’en aurais la nostalgie, convoquer ces dieux ou les rétablir pour résoudre la tragédie de mes Labdacides. Je ne pouvais pas plus faire appel au dieu des trois religions monothéistes, ils me sont trop lointains. J’ai donc choisi, comme on le faisait à la campagne, de parler du dieu. Qui est un peu synonyme du destin. Sous l’œil du dieu fut même le titre provisoire qui m’a conduit au définitif. Entre temps, avançant dans le texte, je m’étais aperçu qu’Œdipe, devenu le bouc émissaire de tous, avait, après ses années d’errance, de sérieux doutes sur la présence du divin. Ou sa toute puissance. Il explique alors à Ismène, après avoir recraché ses fils, que ce n’est pas sa malédiction, ni le dieu, qui vont tuer Etéocle, mais bel et bien le bras de Polynice. A plusieurs reprises les protagonistes de ma pièce sont placés face à des choix. Ce sont certes des choix extrêmes, mais ce sont des choix. Ils ne font pas que subir leur destin. Ils l’écrivent. Et c’est peut-être cette part de liberté qui fait peur, et semble parfois leur faire préférer la protection du dieu ou la recherche du bouc émissaire.

Entretien réalisé par Jean-François Perrier pour le Festival d’Avignon

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Les intentions de mise en scène Entretien avec Joël Jouanneau Vous avez parfois manifesté une certaine distance à l’égard du répertoire, et vos choix de metteur en scène se sont souvent portés vers des auteurs contemporains. Ma distance avouée avec le théâtre de répertoire est plus une passion pour les auteurs contemporains qu’un refus des auteurs classiques. Elle tient aussi à ce que je suis un spectateur de théâtre depuis très longtemps, et quand, comme moi, on a eu la chance de voir Molière monté par Vitez ou Vincent, Racine par Grüber, ou Shakespeare par Carmelo Bene, on est très heureux que d’autres aient fait ce dont on rêvait. Mais il est vrai que j’aime bien l’absence de tout repère que permet la création d’un nouveau texte. On est là face à l’inconnu. Tel le géographe qui découvre une île ne figurant sur aucune carte, ou l’entomologiste prenant dans son filet un papillon non répertorié. Par quel chemin passe-t-on de Beckett, Bernhard, Pinget, Serena, Ravey, Crimp, à Sophocle et Euripide ? Comment êtes-vous arrivé jusqu’à Œdipe ? Le chemin, il fût tracé par mes élèves du conservatoire de Paris. Cinq années parmi les plus belles pour moi. Sans cette expérience pédagogique, je ne me serais pas lancé dans l’aventure classique. C’est comme enseignant au CNSAD, avec Shakespeare d’abord, Tchekhov ensuite, puis les poètes grecs, que je suis allé voir de plus près les grands textes. Et à l’issue d’un atelier sur les Labdacides, simple montage de scènes de Sophocle et Euripide, j’ai su que ma relation à Œdipe et son clan me conduirait plus tard à un texte très intime et personnel. Simplement il me fallait du temps, et pour écrire, et pour oublier ce premier chantier. Qu’est-ce qui nourrit votre inspiration avant de débuter une mise en scène ? Plus que des images, des commentaires, des musiques, des films, c’est le choix des acteurs. Qui de plus a cette fois également inspiré l’écriture. Et notamment le oui de Jacques Bonnaffé au rôle d’Œdipe. Sans ce oui initial, me serais-je même lancé dans l’aventure, je ne le sais pas. Mais je l’ai toujours senti à mes côtés quand j’étais au clavier. Le choix des acteurs est-il difficile pour vous ? Quels problèmes peut poser la distribution des rôles dans une pièce telle que la vôtre ? Difficile, je ne le dirais pas, mais décisif c’est certain, et pas de droit à l’erreur sur ce point. Parfois il s’agit de constituer une équipe chorale, avec des interprètes d’une même famille, explorant des univers proches, développant un même jeu d’approche d’un texte : ce fût le cas pour Les Amantes de Jelinek, ou mes travaux sur Lagarce. Dans cette tragédie, c’est différent : les points de vue s’affrontent, les joutes verbales s’achèvent dans l’impasse, le compromis est déconsidéré. Il s’agit donc de constituer une équipe dont chaque élément amène sa singularité, son univers, et donc aussi sa méthode de travail. C’est une expérience palpitante. Comment avez-vous travaillé avec le scénographe ? Le costumier ? Cela fait plus de vingt ans que Jacques Gabel et moi travaillons ensemble, et cela vaut pour Franck Thévenon aux lumières et Pablo Bergel au son. Nous nous sommes rencontrés j’étais amateur, eux déjà professionnels, nous ne nous sommes plus jamais quittés. Nous sommes un peu, c’est pour rire, les Rolling Stones du théâtre. Chacun mène sa vie, mais se retrouver est chaque fois un nouveau pari : non pas celui de surprendre Ŕ nous n’avons plus à briller Ŕ mais de nous surprendre, en étant chaque fois plus dans l’épure, le dépouillement, au service tout simplement, comme j’aime à le dire, et du

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texte et de l’acteur. Leur offrir l’autel sur lequel les mots doivent brûler. Afin qu’ils éclairent. Et un espace vide ou presque, qui ouvre l’imaginaire du spectateur plutôt qu’il ne l’enferme, c’est parfois très difficile, cela l’a été, bien plus que d’empiler les meubles, les béquilles et les canapés. Pour les costumes, c’était peut-être plus difficile encore. Avec Patrice Cauchetier, ce doit être la cinquième fois que je travaille. Et je lui avais demandé de rêver ses costumes en lisant la pièce, de n’être prisonnier d’aucune époque, de traverser le temps et l’histoire. Patrice n’a pas eu peur de cette liberté, il est arrivé avec une proposition forte, et ensuite cela s’est débattu avec les acteurs et moi. Tant pour l’espace que pour les costumes, ce furent de vrais beaux dialogues. Le travail des acteurs peut-il infléchir votre mise en scène ? Quelle est la part d’imprévu dans le travail de création sur le plateau ? Les deux sont liés. Le premier jour de répétition, je n’arrive pas avec un projet scénographique écrit et dessiné, une cartographie toute préparée de l’espace, et un plan de circulation pour les acteurs. Je ne suis pas agent de police, et les sens uniques ou interdits ne m’intéressent pas. A cela une raison simple : ce que je sais d’un texte ou d’un projet, je le sais, je n’ai donc plus à l’apprendre. C’est ce que je ne sais pas du texte que je veux explorer aux côtés de l’acteur. Je lui apporte un espace, je lui précise comment déchiffrer la partition écrite, mais il lui appartient de l’interpréter. Parfois je lui indique une direction à laquelle il ne pensait pas, le plus souvent je le suis, parfois nous nous égarons, et alors il nous faut trouver la clairière. Que diriez-vous en quelques mots à des lycéens pour leur parler de la pièce… et pour que la pièce leur parle… avant le spectacle ? Que nous vivons une période de l’histoire humaine qui inquiète et nous rapproche de l’effroi. Celle également où nous ne pouvons prétendre à l’innocence et dire que nous ne savons pas. Sophocle et Euripide, bien avant moi, ont indiqué par leurs tragédies le chemin à ne pas prendre : celui qui fait de l’étranger le bouc émissaire de nos maux, et qui transforme en crime ce qui est désastre ou fatalité. En ce sens oui, nous sommes tous « sous l’œil d’Œdipe », car depuis, c’est à croire que l’expérience ne nous a rien appris. Et une tragédie qui à l’infini se répète n’est plus qu’une comédie sinistre, et qui ne prête pas à rire. Il serait donc bien d’en finir avec les malédictions, et d’avoir le courage de la vérité. Il serait bien de sonder le silence. « Une petite prison le monde, Thèbes en est la clé », nous dit Antigone. En quoi cette tragédie peut-elle toucher les jeunes filles et jeunes gens d’aujourd’hui ? Pourriez-vous proposer quelques mots-clés qui permettraient de préciser ce que nous raconte votre pièce, dans et sur le monde. L’inextricable nœud familial. L’absence du père. La malédiction comme facilité. L’écriture de son destin. La violence de l’exil. L’accueil de l’étranger. La tyrannie de la plainte. L’orgueil déplacé. Le refus de la responsabilité. La peur de la liberté.

Entretien réalisé par Annie Drimaracci pour le CNDP

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En bref : Sophocle et Euripide

Sophocle Né à Colone en 496 ou 495 av. J.-C. et mort en 406 ou 405 av. J.-C. est l'un des trois grands tragédiens grecs dont l'œuvre nous est partiellement parvenue, avec Eschyle (526-456) et Euripide (480-406). Il est principalement l'auteur de cent-vingt-trois tragédies dont seules sept nous sont parvenues. Cité comme paradigme de la tragédie par Aristote, notamment pour l'usage qu'il fait du chœur, et pour sa pièce Œdipe roi, il remporte également le nombre le plus élevé de victoires au concours tragique des grandes Dionysies (dix-huit), et n'y figure jamais dernier. Son théâtre rompt avec la trilogie « liée » et approfondit les aspects psychologiques des personnages. Ses pièces mettent en scène des héros, souvent solitaires et même rejetés (Ajax, Antigone, Œdipe, Électre), et confrontés à des problèmes moraux desquels naît la situation tragique. Comparé à Eschyle, Sophocle ne met pas ou peu en scène les dieux, qui n'interviennent que par des oracles dont le caractère obscur trompe souvent les hommes, sur le mode de l'ironie tragique.

Euripide Poète tragique de la Grèce antique, a vécu de 480 à 406 av. J.-C. Malgré une famille modeste, il bénéficie d'un enseignement de qualité, puisqu'il est l'élève de Socrate et d'autres philosophes réputés. Il présente une tragédie, les Péliades, au concours d'Athènes dès 454 av. J.-C., mais il ne remporte le premier prix qu'en 442 ; il ne sera d'ailleurs couronné que cinq fois en tout, ses pièces ne rencontrant pas le succès de celles d'Eschyle, dont on considère qu'il est l'héritier spirituel, ou de celles de Sophocle, son rival. Ses héros acquièrent une dimension humaine qu'ils n'ont pas chez les autres grands tragiques : ils ne sont pas confrontés à l'autorité, mais à l'amour, à la mort et à la guerre ; déchirés par leurs propres contradictions, ils sont soumis au doute et prennent des décisions irrationnelles. Contrairement à Aristophane qui le lui reproche, il crée des personnages égarés par leurs passions et par leurs vices, ce qui les rend d'ailleurs plus proches de nous. Il a composé plus de quatre-vingt-dix pièces, dont dix-sept tragédies et un drame satirique

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Joël Jouanneau, auteur et metteur en scène Auteur et metteur en scène, Joël Jouanneau débute au théâtre avec le Collectif du Grand Luxe et met en scène, de 1970 à 1984 : Genet, Pinter, Fassbinder, Gombrowicz, Borges, Artaud, etc. De 1999 à 2003, il assure la codirection du Théâtre de Sartrouville Ŕ CDN, où il était artiste associé depuis 1989. Il participe également au collectif pédagogique de l’Ecole du Théâtre national de Strasbourg entre 1992 et 2000 et enseigne au Conservatoire national supérieur d’art dramatique de Paris. Entre 1985 et 2004, il écrit douze pièces, qu’il portera toutes à la scène, publiées chez Actes Sud Ŕ Papiers : Nuit d’orage sur Gaza, Le Bourrichon (Prix du syndicat de la critique), Kiki l’indien (Prix du jury et du public au Festival Turbulences de Strasbourg), Mamie Ouate en Papoâsie, Gauche uppercut (Prix de la SACD), Le Marin perdu en mer, Le Condor, Allegria opus 147 (Prix du syndicat de la critique) Les Dingues de Knoxville, Yeul, le jeune, L’Adoptée, L’Ebloui, Mère et fils. A la demande de la Sept et Arte, Joël Jouanneau passera également derrière la caméra pour filmer quatre de ses mises en scène : L’Hypothèse de Robert Pinget (1987, Prix spécial du Festival de Riccione, Italie), Minetti de Thomas Bernhard, Simon Tanner (1993, Sélection officielle Fipa) et Les Amantes d’Elfriede Jelinek (accueilli au TU-Nantes en février 2005) Il signe des adaptations pour la scène de Robert Walser, Conrad, Dostoïevski, Jelinek, Shakespeare (La Tragédie de Coriolan, coadaptée avec Normand Chaurette, Dickie, d’après Richard III) et met régulièrement en scène des textes contemporains : En attendant Godot, Fin de partie de Beckett, L’Hypothèse, L’Inquisitoire de Robert Pinget, Minetti de Thomas Bernhard, Rimmel, Gouaches et Velvette de Jacques Serena, et plusieurs textes de Jean-Luc Lagarce (Juste la fin du monde, accueilli au Grand T en mars 2002 , Le Pays lointain, Traversée). En 2004, il met en scène Kaddish pour l’enfant qui ne naîtra pas d’Imre Kertész au Théâtre Ouvert, présenté au TU-Nantes en novembre 2005, et J’étais dans ma maison et j’attendais que la pluie vienne de Jean-Luc Lagarce, présenté au Grand T en novembre 2005. En 2005, il met en scène Embrasser les ombres de Lars Noren pour la Comédie-Française au Théâtre du Vieux- Colombier et Le Libera de Robert Pinget au Théâtre de la Bastille. Dans le cadre du Festival d’Automne 2006, il crée Atteintes à sa vie (au TU-Nantes) de Martin Crimp, dramaturge anglais de la dérision qui s’affirme ces dernières années comme l’un des plus brillants auteurs du théâtre européen. Dernier caprice est créé au Grand T en mars 2007. Le Grand T a également accueilli en création à la Chapelle Le Gai savoir de Julien Gracq en novembre 2008 et Le Gai Savoir d’Emily Dickinson en mai 2009. Sous l’œil d’Œdipe a été créé en juin 2009 au théâtre de Vidy-Lausanne.

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Sous l’œil d’Œdipe : extrait 1. LA MALEDICTION

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CADMOS Ecoute Œdipe. Beaucoup nous sépare toi et moi. Le pouvoir en premier. Qui isole celui qui en use. Mais les années tout autant. Thèbes, je l’ai vue naître et grandir. La Sphynge, tu dis vrai, nous imposa par la suite un sanglant intermède. Gelant les langues, chaque nuit livrait à son appétit son content de chair crue, et pour beaucoup cette année maudite fut toute une vie. Je t’ai vu arriver, avec pour seul bagage un livre de petit format sous le bras, et toi, l’étranger, tu as libéré la ville du joug de la maître chanteuse. Tu n’avais pourtant rien su de la bouche d’aucun d’entre nous, c’est donc bien d’un dieu, chacun ici le pensait, que tu avais du apprendre comment t’en défaire, et c’est pourquoi on te confia, j’en fus témoin encore, et le sceptre et la reine, ce n’est pas un maigre merci. Mais ce peuple, il n’aime pas à l’infini être redevable, et laisse-moi te confier ce petit savoir qui nous vient de nos montagnes : un bienfait, s’il n’est pas vite oublié, se retourne souvent contre son auteur. Fais-en bon usage aujourd’hui que le peuple est à genoux. J’espère ne rien t’apprendre en te disant qu’une malédiction nous est tombée du ciel. Pour cette fois elle a pris le nom de peste et elle frappe là où elle passe, gangrène les semences de la terre, décime les troupeaux, élague dans les familles et fait le vide autour d’elle. De toi à moi, si tu dois régner sur Thèbes, il vaudrait mieux qu’elle soit peuplée que déserte ? Un navire sans équipage c’est trop peu dans la tourmente. Ne laisse pas de ton règne le triste souvenir de celui qui a regardé sombrer sa ville après l’avoir relevée. L’ardeur que tu mis hier à servir fait que tu es resté le premier des hommes, mais crois-moi : ton exploit, ce fut l’affaire d’un jour ; la malédiction, elle, s’éternise. Aussi, ce que tu fus, sois le encore. Découvre-nous un secours. Que la voix d’un dieu te l’enseigne ou qu’un mortel t’en instruise, il nous importe peu. Redresse la ville. Agis sans plus tarder. Ou prends garde pour toi-même. N’oublie pas que les thébains te connaissent peu. Ou mal. Pour eux tu ne seras jamais d’ici. Ta naissance même nous demeure opaque. Et de ce qui se passe derrière les murs du palais depuis que tu l’habites, nul ne sait rien. ŒDIPE Plus un mot l’ancien. Si ce n’était ton âge tu serais déjà à terre. Je sais trop le désir caché que ta langue abrite. Tu irais au bout de ton songe, on m’égorgerait en public. A t’entendre, ou je serai le sauveur ou le bouc qui servira à tous d’émissaire. Que tu me dictes ce que je dois faire et uses de la menace, passe encore, cela amuse, mais tu sembles penser que j’ignorais tout de la souffrance du peuple, c’est là franchir le seuil. Que crois-tu ? il n’est pas un thébain à souffrir autant que moi. Leur douleur n’a qu’un objet : pour chacun lui-même et nul autre. Mon cœur, lui, c’est sur la ville, et sur eux, et sur moi-même tout ensemble, qu’il se lamente. Je ne suis pas le roi d’un palais endormi, tu ne m’arraches pas au sommeil. Jour et nuit j’explore les couloirs de mon crâne, y cherchant l’indice qui pourrait trahir d’où nous vient le mal, mais ce n’est qu’obscurité. A quelle faute Thèbes doit-elle l’acharnement des dieux, tu le sais toi ? La cité, à mon image, était sereine et prospère, et nul litige ne portait la guerre avec nos voisins. Alors quoi ? Je garde l’âme tranquille, mais il reste, tu le soulignais, que je ne suis pas thébain. J’ignore bon nombre des secrets de ta ville. Et ne suis pas dans celui du dieu. Le seul remède, tout bien pesé - et c’est le service que j’attends de toi - serait de consulter son oracle. CADMOS C’est la raison de mon retard.

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Du temps. ŒDIPE Ton excuse est de poids. Eh bien, quelle parole, Phoebos ? CADMOS Superbe. Et néfaste. ŒDIPE Ce que tu dis- sans alarmer- n’est pas non plus pour rassurer. CADMOS Le mal serait en nous. ŒDIPE Voilà déjà qui éclaire. CADMOS Mais du bien peut en sortir. ŒDIPE La nuit la plus noire se laisse percer à la longue. CADMOS On le dit. ŒDIPE Mais les termes exacts de la réponse ? CADMOS J’hésite. ŒDIPE Dis plutôt que tu ménages ton effet. CADMOS C’est que, pour une part, ils t’engagent. ŒDIPE Le malheur de tous vaut plus que le souci d’un roi. CADMOS Il donne l’ordre, le dieu - ordre express - d’en finir avec la souillure qui déshonore le pays. A feindre d’ignorer l’impur, Thèbes connaîtra le pire. La peste, c’est l’oracle qui parle, ce n’est que pour avertir. ŒDIPE Mais la souillure, quelle est-elle ? Et le coupable, comment le punir ? CADMOS Par l’exil. Ou mieux, la mort. Œil pour œil quand c’est le sang d’un crime qui enfièvre la cité.

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Les échos de la presse

Ouest France, juillet 2009

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Le Temps, juin 2009

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