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SoussonempriseTome1:Laproie

AloïsiaNidhead

Soussonemprise

Tome1:Laproie

Roman

Couverture:AloïsiaNidhead

Copyright©2016parAloïsiaNidheadTousdroitsréservés.LeCodedelapropriétéintellectuelleetartistiquen'autorisant,auxtermesdesalinéas2et3del'articleL.122-5,d'unepart,queles«copiesoureproductionsstrictementréservéesàl'usageprivéducopisteetnondestinéesàuneutilisationcollective»et,d'autrepart,que les analyses et les courtes citationsdansunbutd'exemple etd'illustration,« toute représentation ou reproduction intégrale, oupartielle,faitesansleconsentementdel'auteuroudesesayantsdroitouayantscause,estillicite»(alinéa1erdel'articleL.122-4).«Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par lesarticles425etsuivantsduCodepénal.»

Premièreimpression:Juin2016ISBN978-2-9557468-0-6Edité[email protected]

ÀCamille

Prologue

« N’écoute les conseils de personne, sinon du vent qui passe et nousraconteleshistoiresdumonde.»ClaudeDebussy

Allongée surmon lit, les muscles endoloris d’avoir trop tremblé, je remonte la couette. J’aifroid,pasunsimplefrissonoulachairdepoule,non,unfroidintensequimeglacelesang.J’aifroidà l’intérieur. J’ouvre péniblement un œil puis le second, mes paupières sont lourdes et gonfléesd’avoir encore pleuré. J’attends et j’écoute. J’attends patiemment que mes yeux s’habituent à lapénombre : jecommencepardistinguermatabledechevetet lapetite lamperecouverted’unabat-jourgrissouris.Jen’osepasl’allumer.Peut-êtreest-ilencoretapiderrièrelaportedemachambreàattendresournoisementmonréveil?Puis,jedistinguelescontoursdelacommodeposéeprèsdelafenêtreainsiquelebrasdemonfidèlefauteuilclub,celuidanslequelj’avaispassétantd’heuresàlireouàobserverlanaturelorsquejepouvaisencoreprofiterdecettemaisonquiétaitmiennemaisquejedevraibientôtquitter.Quelleheureest-il?Jen’osepasnonplusmebaisserversleradioréveilquigîtsurlecarrelagefroidaupieddemonlit,vestiged’unenouvellenuitdeterreur.Alorsj’écoute.Jen’entendsrienhormismoncœurquis’estremisàbattrelachamade.

—Chut!luiintimé-jesilencieusement.J’inspire profondément afin d’évacuer l’angoisse quime noue une nouvelle fois l’estomac, il

fautquejemecalme.Toujoursaucunbruit.Jerepoussedélicatementlacouettesurmespieds,lefroidmefaitfrissonner,jemesouviensavoiroubliéderallumerleradiateurhiersoir.Jefinisparposerlesyeuxausol,l’horlogedigitaleduréveilclignotefrénétiquement.Celafaitdoncdeuxheuresdix-septqu’ilaréenclenchéledisjoncteur,àvuedenezildoitêtreauxalentoursdecinqheuresdumatin.Mesyeuxsesontmaintenanthabituésàl’obscurité,jecherchemontéléphoneportableduregard,oùpeut-ilbienêtre?Jelesoupçonnedel’avoiremportéaveclui.Iln’yatoujoursaucunsigned’activité,là, au-dehors de mon sanctuaire dévasté. Je me lève en silence et colle mon oreille à la porte.Prudemmentj’abaisselapoignée,ellegrince,jeretiensmonsouffle.

—Courage!m’exhorté-je.J’entrouvrelaportesuffisammentpourpouvoirm’yfaufiler.Piedsnus,j’explorelespiècesde

mamaison,lecouloirquimèneausalonmesemblesi long.Jem’arrêteavantdedébouchersurlapièceàvivrepourreprendremonsouffle.Latélévisionfonctionneensourdine,ilestlà.Ilfautquejerebroussechemin,que jeregagnemonantrepourprofiterdequelquesminutesencorederépit.Enreculant, j’heurtedemonpied lepetit camiondepompierdemon fils qui semet à roulerdans lecouloir.Pourvuqu’iln’ait rienentendu!Paniquée, je tends l’oreille.Jeperçoissesgrincementsdedentssignequ’ils’estenfinassoupi.Jedécidealorsdem’approchersansbruitducanapésurlequelilpassedésormaistoutessesnuits.L’écrandelatélévisionéclairesonvisagederefletsbleutés.Ilalestraitstendus,iln’apasprislapeinedesedéshabiller,justecelled’ouvrirlaboucledesaceinture.Sespoingssontrageusementserréssursonventre,ondiraitqu’iln’enapasencoreterminé.Jenepeuxl’observerdavantage,lui,cethommequej’aiaimé,quim’aapprisàfaireconfiance,etquiaufinalm’auratantfaitsouffrir.Çamefaitmal,unmalsilencieuxquimerongedel’intérieur.Jetournelestalons, il faut que jeme ressource car à son réveil je crains un nouveau déferlement de violence.Avant de retrouvermon sanctuaire, je pénètre dans la chambre demon fils. Je remonte sur lui la

couettequiaglisséauboutdesonlit.Elliottmarmonnequelquechosequejenecomprendspas, ilparle souvent dans son sommeil ces derniers temps. Pas étonnant qu’il soit agité avec l’ambiancedélétèrequirègneicidésormais.Jem’assoissursontapisdejeuxafindepouvoirlecontempler,machair,montrésor,leseulêtrequimepermetdenepassombrertotalementetpourquij’aienviedemebattre. Iln’yapassi longtempsque jemesuiséveillée,quemaconsciencem’a indiquéque jedevais réagir pourmon bien-êtremais aussi pour celui demon fils. Le point de non-retour a étéfranchi,jedoismeragaillardir,affrontermespeursetfairecessercettetyrannie.Elliottbougeencoredanssonsommeil:ilrenversesurlesollespeluchesquil’accompagnentpendantlanuit.Jeramassel’une d’entre elles, un gros ours blanc enmaille bouclette. Il sent bon, mélange de l’odeur de lalessive et de la crèmepour bébé dont je tartine encoreElliott tous les soirs pour qu’il ait la peaudouce. Tandis que j’étreins sa peluche favorite, mon cœur éclate un peu plus encore. Des larmesroulentdenouveausurmesjoues.Ensilencecommed’habitude.Commentai-jepuenarriverlà?

Souvenirs

«Ilnefautpastoujourstournerlapage,parfoisilfautladéchirer.»AchilleChavée

Février2002Jejetaimonpetithautnoirpréférésurlapiledevêtementsquirecouvraitmonlit.—Non, cela ne va pas ensemble ! dis-je. Je ne sais pas quoimettre ce soir !Amoins que…

Donne-moitonavisChris!Jeme retournai enbrandissantmondernier achat -un top rougeàpaillettesultraprovocant -

versmonamieChristellequiétaitentraind'enfilerunerobequejeneluiconnaissaispasencore.Ellelevalatêteversmoietacquiesçasansconviction:

—Cen’estpasmal.Unpeutropdécolleté,non?Jeluirépondisquenoussortionsendiscothèque,nousn'avionspasdécidéderentreraucouvent

cesoir-là.Maremarquefitapparaîtreunsouriresursonjolivisageencadrépardelonguesbouclesblondes.Christelle était de ces filles qui n'ont nul besoin d'efforts pour être jolie.Avec sonmètresoixante-dix,soncorpsgraciledivinementproportionné,ellefaisaitseretournerleshommessursonpassage.Moi,enrevanchemonuniqueatoutétaitmapoitrineavantageusequejen'avaisdecessedemettreenvaleur.Jemetrouvaispetite,voiretasséeavecmesépaulesdedéménageuretmesmolletsderugbywoman.Jen'avaisjamaisvraimentfaitattentionàmaligne,sibienquequelquesbourreletss'étaientinstallésçàetlà.Jen'étaispasnonplusfandesportaussimonuniquedéfouloirtantsurleplan physique que mental résidait dans mes soirées passées sur le dancefloor. Ce soir-là nemanqueraitpasàlarègle,j'allaisembarquermonamiepourdelonguesheuresànousdéhancheraurythme de lamusique. J'en avais besoin et Chris également. Depuis quelques jours, je la trouvaisrembrunie,jesoupçonnaisquesarécenteséparationluicausaitdelapeine,bienqu'ellen'enaitditunmot.Monamiesortaitdedeuxannéesderelationshouleusesavecunhommeque jen'avais jamaisapprécié.Luinonplusd'ailleursnemeportaitpasdanssoncœur,sibienqu'ileutvitefaitdefairecouper lespontsentreChris etmoi,prétextantqu'ilspourraientvivre leuramourcommebon leursemblerait. Mon amie était éperdument amoureuse, aussi elle avait accepté ses conditions sanssourciller.Malgrél'amertumequecesouvenirm'avaitlaissée,jen'avaiseuaucunmalàacceptersonretourdansmavie,lorsqu'unmoisplustôtChristellem'avaittéléphonépourm'annoncerlarupture.C'étaitellequiavaitdécidédelequitter,elleavaitcomprisquederrièresesairsenjôleurssecachaitundangereuxmanipulateur.Ill'avaitéloignéedetoussesamisafindepouvoirexercersadomination,etunefoisqu'iln'eutplusaucunavantageàtirerdecetterelation,ils'étaitmisenquêtedenouvellesconquêtes.Christellem'avaitracontécommentellel'avaitsurprisunsoiralorsqu'ellerentraitplustôtdutravail,aulitavecunedesesmaîtresses.Ellen'avaiteuquedesdoutesjusque-là,maiscettefoislapreuveétaitdevantsesyeux,c'enétaittrop!Ellel'avaitquittésurlechamp,prisquelquesaffairesetétaitdepuisretournéevivrechezsesparents.

Depuissaréapparition,jem'attachaisàladistrairedumieuxquejelepouvais.Cesoir-là,nousavionsdînéensembledanslapetitemaisonquejelouaisenville.J'yavaisemménagéennovembre2001,jevenaisd'avoirvingt-troisans,j'avaiségalementdécrochémonpremieremploistable,aussi

j'avaiseulafermeintentiondeprendremonindépendance.J'avaisquittélarégionoùj'avaisgrandiafin de me rapprocher de mon lieu de travail. Ma petite maison ne payait pas de mine avec sesquarante-cinqmètrescarrésconstruitssurunétage,coincéeentredeuxénormesbâtissesàl'entréedelaville.Safaçaderecouverted'unenduitblanccasséetagrémentéed'unsous-bassementenbriquettesrouge,sonuniquefenêtreetsadoubleported'entréevitréeau-dessusde laquelleétait fixéunvoletroulantfatiguédontondevinaitqu'àuneépoqueilavaitdûêtred'unblancéclatant,étaientlesseulsélémentsquel'onpouvaitapercevoirdelarue.Àl'intérieur,cettemêmedoubleporteétaitsurmontéed'unvoilagebordeauxornédebroderiesmordoréessurlequellabaseenpointeétaitrehausséed'unpomponquicommençaitàs'effilocheràcausedesnombreuxlavages,maisdontl'ensembleapportaitunetouchedecharmeàlapièceprincipale.Lerez-de-chausséeétaitcomposéd'unsalonavecuncoincuisine, délimité par une marche dans laquelle je butais sans cesse les premiers jours de moninstallation.Contrelemurdufond,unpoêleàgazvieillissantrésistaitmalgrétout,réchauffantdesonuniqueflammebleuel'ensembledulogement.Lecentredelapièceétaitquantàluioccupéparl'undesraresachatsquej'avaiseffectué,uncanapétroisplacesdecouleurauberginedontladécoupedudossiersuggéraitlaformed'unelèvre.Laplupartdesmeublesm'avaientétédonnéspardesamisoula famille, faisantseconfondremamaisonavec l'antichambred'unbrocanteur.Suruneétagèreau-dessus du poêle l'on pouvait voir un alignement de petites statuettes égyptiennes. Faisant face aucanapé,unbuffetenmélaminéabritaitaussibienlavaissellequediversbibelotsramenésdevacancesainsi quema collection de livres sur l'Égypte ancienne, thèmeque j'affectionnais particulièrement.Entre les deux éléments, une vieille chaise faisait office de table basse. Sur lemur un cadre étaitaccroché, lequel ayant perdu son verre protecteur laissait les différents nœuds marins qui lecomposaientserecouvrirdepoussière.Au-dessousdecedernier,latélévisionposéesursonmeublefonctionnaitenpermanencedèslorsquej'étaischezmoi,envahissantd'unfondsonoremonnouveaulogement, celui dans lequel j'aurais dû débuter une vie à deux, une vie de couple avec celui qui àl'époque devait être l'homme dema vie. Toutefois l'histoire avait pris une autre tournure lorsquej'apprissatrahison.

***

Nousavionsdécidécet été-làquenousnous installerionsensemble.Ladécision futviteprise,

nousnousfréquentionsdepuisquatreansavecMarc,ilsemblaitnormaldefranchircecap,commelefaisaient tous les jeunescouplesdenotre âge.Aussimalgré ledésaccorddema famille, jem'étaismise en quête d'un appartement, prétextant que celame rapprocherait du travail. Début octobre jetrouvais cet endroit qui devait devenir notre chez nous, je le fis visiter à Marc mais monenthousiasmefutdecourtedurée.Jesentaisbienpendant lavisitequ'ilétaithésitant,quelquechosem'intriguaitcependantjemelaissaisconvaincrequ'ilavaitpeurdefranchircepas.Jelerassurais-etme rassurais par lamêmeoccasion - en lui expliquant quebeaucoupde couples passaient par unephased'appréhensionaumomentdes'installerensemble.Plustard,alorsquejepréparaismescartonsenvuedemonemménagement,jereçusunappeld'uneamiequimefélicitapourlagrandenouvelle.

—Hé,salutEstelle,commentvas-tu?J'aiapprislabonnenouvelle!Alors!C'estpourquand?—Coucoumiss!Merci!luirépondis-je.Etbiençava,unpeuexcitéemaisaussifatiguéeavec

touslespréparatifs.C'estpourNovembre.Ettoi…—Novembre!Euhattendonparlebiendelamêmechoselà?mecoupa-t-elle.—BahouionemménageavecMarcleweek-enddelaToussaint,pourquoi?Jesentisautondesavoixquequelquechosen'allaitpas.—Bah,jeteparledubébé,onm'aditquetuétaisenceinte.Mesentantdéfaillir,jem'asseyaissurmonlit,lapiècesemblaitsoudaindanserdevantmesyeux.

—Dequoituparles?Onadûconfondre,jenesuispasenceinte,répliquai-je,devinantmalgrémoiletourqueprenaitlasituation.

—Bahécoute,jesuisvraimentdésolée,renchéritmonamielavoixtremblante,maisj'aidéjeunéavecuneamie,tutesouviensdeKaren?Etbienfigure-toiquesacousineestenceinte.

—Jenevoispaslerapport,répliquai-jeimpatiente.—Leweek-enddernier,continua-t-elle,elleafêtésonanniversaireenfamilleetavecquelques

amis,etparmieuxMarcétaitlà.—Ouioui,jesais,jen'aipasvouluyallerpouravancermescartons,répondis-jed'unevoixde

plusenpluschevrotante.—C'estcequeKarenm'aexpliquécemidi,ellem'aaussiracontéquel'alcoolaidant,leslangues

sesontdéliées,surtoutcelledeMarc,renchérit-elle.—Bondis-moicequ'ilenest,arrêtedetournerautourdupot!m'écriai-je.—Ok.Je...jesuisdésoléeEstelle,maisMarcaannoncéàl'assistancequ'ilallaitêtrepapa.—Quoi?!Je n'en croyais pas mes oreilles, comment cela pouvait-il être vrai alors que nous nous

apprêtions ànousmettre enménage. J'essayaisde réfléchir,millepenséesme revenaient à l'esprit,sonhésitationpendantlavisite,sesrécentessautesd'humeurquejemettaisàchaquefoissurlecoupdel'appréhension.Ilfallaitquej'enaielecœurnet.

—Jeterappelle!Cefurentlesseulsmotsquej'adressaiàmonamieavantderaccrocher.Tremblante, je composais le numéro de téléphone de Marc. Je faisais les cent pas dans ma

chambre, les émotions se succédaient à une vitesse affolante, tantôt la stupeur, tantôt la colère.LorsqueMarcdécrocha,mespremiersmotsfurent:

—Tuauraispumedirequetuallaisêtrepapa!Unsilence,quimeparutdureruneéternité,s'ensuivit.—Tum'asentendue?rétorquai-je.—Comment tu l'as su?me répondit-ild'unevoix feutrée. Ilnecherchapasànier, le tonque

j'avaisemployéavaitsuffiàluifairecomprendrel'évidencedelasituation.—Onmel'adit,répliquai-jecinglante,commentas-tupumefaireça!Depuiscombiendetemps

çadure?Aveugléeparlacolère,jenemerendaismêmepascomptetoutenlequestionnantquemeslarmescoulaient.

—Quitel'adit?merépondit-ilcalmement,éludantlesautresquestions.—Aurore ! Si tu ne t'étais pas vanté de tes exploits devantKaren, peut-être que je ne l'aurais

jamaissu!Tucomptaismeledireunjouroubientuallaisvivredanslemensongetoutetavie?—J'allaisteledire,merépondit-ilavecunaplombdéconcertant.Maistut'esemballéeaveccette

histoiredemaison,jen'aipassuquoifaire.—Ah!Maistuassuquoifaireparcontrelorsqu'ils'agissaitd'allerenbaiseruneautre,hurlai-je

autéléphone.Jetedéteste!Paslapeinedepréparerlemoindrecarton,ducoupçat'arrangehein?Àmoinsquetun'aillesemménagerdirectementchezelle!Aprèstoutjem'enfiche!Tusorsdemaviedèsmaintenant,jeneveuxplusentendreparlerdetoi,plusjamais!

Jeluiraccrochaiaunezetm'effondraitotalement,lesolseseraitouvertsousmespiedsqu'iln'enauraitpasétéautrement.Pourlapremièrefoisdemavie,monpetitmondes'effondrait.Àtraversmeslarmes,jeregardaislechantierquej'avaislaissésuretautourdemonlit.Qu'allais-jefairemaintenantque le bail était signé, que lamoitié demes effets personnels gisaient dans les cartons empilés àtraversmachambred'enfant?Ilfallaitmalgréladouleurquimeterrassaitquejeprennerapidementune décision, annulermon contrat de location et broyer du noir en continuant de vivre chezmesparents ou bien aller de l'avant et me reconstruire petit à petit. Le goût de l'indépendance l'avaitemporté.

Désormais, cela faisait quatre mois que je vivais seule. J'avais été bien occupée depuis monarrivéeenville.Lasemaine,jecumulaislesheuressupplémentairesaubureau.Monposted'assistantede directionme plaisait c'était un fait, toutefois je devais avouer que lemanque de sommeil et deconcentrationmeprenaitbeaucoupplusdetempsdansletraitementdesaffairescourantes.Ilestvraiquejepassaisunepartiedemessoiréesainsiquemesweek-endsàsoignermaviesociale;j'acceptaistouteslesinvitationsàdînerouàsortirquim'étaientproposées,invitationsquej'auraisrenduesavecbeaucoupdeplaisirsimoncompteenbanquen'avaitpasétédésespérémentvide.Dernièrementjenemenourrissaisquedejambonsousvideetdepâtes,quandjenesautaispastoutbonnementunrepas,comportementquiauraitpumepermettredeperdredupoidss'iln'avaitpasétérapidementcompensépar un grignotage compulsif dès lors que j'avais quelques heures à tuer. Au bout de quelquessemaines, jen'étaisplusdevenuequel'ombredemoi-même.Lafatiguedueaumanquedesommeilcauséparmestropnombreusessortiesnocturnessefaisaitsentir.Mesyeuxsecreusaientsousl'effetdes cernes, laissant apparaître un sillon bleuté du coin interne de l'œil jusqu'à l'extrémité de lapaupièreinférieure.Autravail,leseffetsseressentaientégalement.Ilm'étaitdevenudeplusenplusdifficiledemeconcentrer.Alorsquejetraitaishabituellementunevingtainededossiersparjour,lacadenceavaitquasimentchutédemoitié.Mahiérarchies'enrenditbientôtcompte.

—Pasbienépaisselapochetteaujourd'hui,mefitremarquermonchefdeservicealorsquejedéposaiunepiledecourriersàsignersursonbureau.

—Ahvoustrouvez?répondis-jeinnocemment.—Ilmesemblebienquedernièrementvousvousrelâchez,ajouta-t-il.Vousavezfournidubon

travailjusque-là,nelaissezpaslessoucisempiétersurvotrevieprofessionnelle.—Pardon?J'écarquillai les yeux, stupéfaite que mon chef de service semble au courant de mes récents

problèmes.—Toutsesaitdanslecoin,renchérit-il,sousletondelaconnivence.Nesoyezpassurprise,les

gensparlentdanslescouloirs,celam'estforcémentremontéauxoreilles.Etsijepeuxmepermettre,vousavezunetêteàfairepeurcesdernierstemps.

— Je… je suis désolée, balbutiai-je. Je vais me reprendre, vous pouvez me faire confianceajoutai-je,lesyeuxbrillantsdeslarmesquej'essayaisderetenir.

—Undernierconseil,ajoutamonchefdeserviceenmerendantlescourrierssignés,prenezdurecul,essayezdevousreposerunpeu.Jepeuxtolérercettepetitefaiblesse,maisilnefaudraitpasqueceladevienneunehabitude.

—BienMonsieur,merci,conclus-jeensortantprécipitammentdesonbureau.A travers la paroi vitrée, j’avais aperçuungroupede secrétairesquim'observaient.Voilàque

certainesd'entreellesdébattaientdemavie.Jeneleurferaipasleplaisirdem'effondrerdevantelles.Jerelevaifièrementlatêteetmarchaiendirectiondemonbureau.Jenepouvaisdoncfaireconfianceàpersonne,nidansmavieprivée,nidansmasphèreprofessionnelle.Jen'avaispourtantparlédemarupture qu'à quelques personnes, sans vraiment entrer dans les détails. Qu'avaient-elles bien puracontersurmoi?Toutescesquestionsm'étourdissaientaupointquejeressentelebesoinurgentdemereposer.

Aprèsêtrepasséeausupermarché,jetiraisderrièremoilevieuxrideauenpvcquimeprotégeaitduregarddespassantssurletrottoir,bienqu'ilsnefussentpasnombreuxencettesoiréededécembre.Il pleuvait sans discontinuer depuis trois jours, d'une petite bruine qui vous glace jusqu'au sang etvousrendmélancolique.Lescommentairesdemonchefdeserviceetlesrumeursquicirculaientsurmoncompte avaient fini par avoir raisondemonmoral. Jem'affalai sur le canapé, unpochondebonbonschocolatésrecouvrantunecacahuèteenleurcentre,dansunemain, la télécommandedelatélévisiondans l'autre.Au journal télévisé,onneparlaitquedeNoëlquiapprochait, sur lesautres

chaînes les publicités faisaient l'éloge des nouveaux jouets ultra fashion pour les enfants. Je mesentais vraiment seule ce soir-là et je n'avais aucune envie de sortir ni de voir qui que ce soit.J'observaisleminusculesapindeNoëlenplastiquequej'avaisempruntéàmesgrands-parents.Ilmesemblait bien ridicule sans ses décorations, ses branches étaient encore tordues, déformées par lecartonquil'avaitabritédurantl'annéeécoulée.L'uned'entreellesretintmonattention,ellesemblaitprendrevie.Cen'étaitquemonimagination,toutefoismonregardrestaitdésespérémentfixésursonextrémité dont les aiguilles étaient aplaties, formant une main tendue vers moi comme si ellecherchaitàm'extrairedecetteviequejen'aimaispas.Puismonregardglissaaupieddusapinetmoncœursefendit,iln'yauraitpersonnecetteannéeavecquipartagerl'enthousiasmedumatindeNoëlaumomentdel'ouverturedespaquetscadeaux.Dansmonextrêmesolitude,j'avaispoussélevicejusqu'àm'acheterquelquesprésents,lesemballeretlesdéposeraupieddecesapinencoredénudé.Étouffantunnouveausanglot,jedécidaiqu'ilétaitvraimenttempsquejemereprenneenmains.

***

Ainsi deux mois plus tard, mes sorties nocturnes se faisaient plus rares en semaine, mais le

week-endjenepouvaism'empêcherd'écumerlesboîtesdenuitdelarégion.Lefaitdemetrémoussersurlespistesmeservaitd'exutoire.Deplusmonpetitappétitdumomentalliéàl'exercicephysiqueengendrépardesheuresdedansem'avaitpermisd'affinerquelquepeumasilhouette, la rendantdenouveauagréableàregarder.Detempsàautre,aucoursd'unesoiréejemefaisaisaborderpardestypesentoutgenre.Ilyavaitl'adolescentboutonneuxquiespérait«pécho»pourlapremièrefois,lepetit-ami éconduit au cours de la nuit qui, après avoir noyé son chagrin dans une bouteille de cesboissonsà lamode, tentaitdeprouveràsonex-copinequ'ilpouvait la remplacersur lechamp,ouencore le vieux beau qui cherchait à tester la toute-puissance de son sex-appeal ou de ce qu'il enrestait.Jelestrouvaisagaçantsàmecollercommecelaetlesrepoussaisouvertement.Parailleurs,ilm'arrivait, pour éconduire un prétendant un peu trop collant, de lui faire croire que je n’étais pasattiréeparleshommes.Lorsquej'étaisaccompagnéeparuneamie,notreproximitéenavaitdissuadéplusd'un.Jetrouvaistoutcecidivertissantetenmêmetempslefaitd'êtreabordée,certesenboîtedenuit,toutenflattantmonegoreprésentaitlesprémicesd'unereprisedeconfianceenmoi.

Depuis l'étage dema petitemaison, nous nous préparions à sortir avecmon amie Christelle.Danscetendroit,unepièceuniquerevêtued'unparquetquisansnuldoutedevaitêtreaussiancienquelerestedemademeuretantleslamesgrinçaientsouschacundemespas,j'avaisentreposésansaucunproblème les meubles de ma chambre et mon bureau. Les poutres apparentes de la charpente, decouleur chêne foncé, donnaient un certain charme à la pièce. J'avais disposémon lit le long de labalustrade qui menait à un étroit escalier de meunier. Ce dernier était recouvert d'une parure decouette bleumarine parsemée d'idéogrammes.La couverture patchwork qu'avait confectionnéemagrand-mère à mon attention était repliée au pied du lit. Sur les deux chevets attenants étaiententreposés des romans en attente de lecture ainsi qu'un vieux radio réveil et une lampe de chevet.Quandàmonbureau,dissimuléderrièredeuxgigantesquesarmoires,ilétaitrecouvertdepaperassedetoutesortequejen'avaispaseuletempsdetrierdepuismonarrivée.

Tout en finissant de sélectionner nos tenues, nous entendions les informations depuis latélévisiondu rez-de-chausséeet je croisais lesdoigtspourque l'alertemétéoait été suspendue.Eneffet, laprésentatriceavaitannoncéunépisodeneigeuxsur la régionplus tôtdans la journéemaiscommelecielétaitrestésombresanslaisserapparaîtrelemoindreflocon,nousavionstoutdemêmedécidéd'allerdanser.Aprèstoutladiscothèquenesesituaitqu'àdixkilomètresdelamaison,letrajetseraitvitefait.Endescendantl'étroitescalierdemeunier,j'attrapaimavesteencuir.Sacoupecintréememettaitenvaleuretsoncolenfaussefourruresauraitmeréchaufferparcettefroidenuitd’hiver.

Larencontre

«Mêmelesrencontresdehasardsontduesàdesliensnouésdansdesviesantérieures... tout est déterminé par le karma. Même pour des chosesinsignifiantes,lehasardn'existepas.»HarukiMurakami

LaHavane-c'étaitlenomduclubdanslequeljepassaisunegrandepartiedemessoirées-étaitsitué àdixkilomètresdemondomicile. Il nenous faudrait qu'unedizainedeminutespournousyrendre.AvecChristelle,nousavionsprisl'habituded'arriververs22h30,c'est-à-direàl'ouverture,carhormis le fait de ne pas avoir à faire la queue dans le froid, nous y retrouvions quelques amis etprenionsplacesurlesbanquettesavantqu'ellesnesoientassailliespardeshordesd'adolescentsquineleslibéreraientqu'aumomentdelafermeture.Cesoir-là,nousn'avionspasétélesseulesàentendrel'alertemétéosemblait-il,cequiavaiteupourconséquencedeconsidérablementrenforcerl'affluencedecedébutdesoirée.Ainsi,nousattendionspatiemmentquelesvigilesnouspermettentd'accéderauguichet. Devant nous, un groupe d'amis très enjoué taquinait les trois jeunes filles qui lesaccompagnaient. Celles-ci étaient chaudement couvertes, tout comme la grandemajorité de la filed'attente.Lesgarçonsquant à euxarboraientdes tenues similaires ; ils étaient tous troisvêtusd'unjean et d'un tee-shirt parfaitement ajusté à leur musculature. À la vue des logos publicitaires quiparsemaientl'arrièredutee-shirt,ildevaitcertainements'agirdemembresd'unemêmeéquipelocaledefootball.Jemedemandaisparquelmiracleilsn'étaientpasencorecongeléssurpiedparcefroidmordant.Chris,mevoyantlesobserver,meglissaàl'oreille«Arrêtedemater,tuvoisbienqu'ilssontcasés».Jesecouaislatêtesanschercheràlacontredire,aprèstoutj'étaiscélibatairedepuisplusieursmois,c'étaitpeut-êtrelesignequejepouvaisenfinpasseràautrechose.

Unefoisentréeàl'intérieurdeladiscothèque,uneépaissebuéeenvahitmeslunettes,signed'unegrandeamplitudethermiqueentrelefroidglacialdecemoisdefévrieretlachaleurdégagéeparlesgrosradiateurssuspendusau-dessusdel'entrée.Jem'employaisàôtercettebuéetoutenmedirigeantverslevestiaire.J'ydéposaimavesteenmefélicitantmentalementd'avoirpenséàemporterungrospullenlainealorsquejetentaisdel'enleversansdétruirelechignonquej'avaiseudumalàmettreenforme. Chris, quant à elle, avait déjà déposé ses effets personnels et m'attendait nonchalammentappuyéecontreunpilier,lesbrascroiséssurlapoitrine.

—Tuenmetsdu temps,me lança-t-elle, aveccemondenousne trouveronsplusdebanquettelibre.

—J'arrive!Justeletempsdeprendrececi,luirépondis-jeenextirpantmonpetitporte-monnaiedemonsacàmain.

—Où donc vas-tu le ranger ?me demanda Chris en observantma tenue qui était dénuée depoches.

—Ici,luirépondis-jeenplaçantmonprécieuxbutinàl'abridansmonsoutien-gorge.—Pasbête,acquiesça-t-elle.Viensavecmoi,ilfautquejepasseauxtoilettes.Sansmotdire,jelasuivislelongdel'étroitcouloirrecouvertdefaïencesblanches.Cetendroit

me rappelait les commodités de notre ancien lycée avec le flot d'inscriptions parsemant les paroisautrefoisimmaculéesdesWC.«Kevinjet'aime»,«Katieespècedesalope»,«Lesexeestuneenvie,l'amourestunbesoin»,«Cherchecolocataireappartementcentre-ville»pouvait-onlireicietlàentre

d’autres numéros de téléphone. Les amours naissantes ou mortes provoquaient des vaguesdéclaratives,parfoispoétiques,souvent imagéesdansunlieuoùl'intéressénemettraitcertainementjamaislespieds.

Jemaintenaislaportepourmonamietoutenobservantlesallersetvenuesdesjeunesfillesqui,dansunsoucideséduction,venaientparfaireleurmaquillage.Ilarrivaitfréquemmentquecertainesjeunes demoiselles pénètrent en ces lieux vêtues d'une façon et en ressortent habillées d'une touteautre manière - déshabillées serait le terme adéquat - ruse bien connue des adolescentes quidemeuraient sous l'injonction parentale de sortir décemment, et qui une fois à l'intérieur del'établissement,laissaientlibrecoursàlafantaisievestimentaireenvogueàleurépoque.

TiréedematorpeurparChristellequipoussaitlaporte,noustentâmesdenousfrayeruncheminà travers la foule afin de chercher une banquette libre, en vain.Mon amie suggéra alors de nousrendre dans la seconde salle, habituellement dédiée à la musique des années quatre-vingt. Autantj'appréciaislestubesdecesannées-làtoutefoispourdébuterunesoirée,celanem'enchantaitguère.J'aimais me déhancher au son des musiques actuelles, me mêlant à la foule de la grande salle,m'imprégnantdel'ambianceélectrisantequimefaisaittoutoublierletempsd'unenuit.Cen'étaitqu'enfin de soirée, lorsque la fatigue commençait à se faire sentir, que je changeais de salle pour yretrouverdes rythmesmoinsétourdissants. J'acceptainéanmoins lapropositiondemonamieet luioffrisdenousrendreaubarafindecommandernosconsommationsoffertesparl'établissementenattendantlelancementofficieldelasoirée.

Adossécontrelemur,nonloindelaportequinousséparaitdelagrandesalle,unhommenousobservait.JeneleremarquaipasimmédiatementcontrairementàChristelle.Ellemefitducoudeetm'indiqua,avectoutelagrâcequiluiseyait,sadirectiond'unhochementdetête.

—Canon!siffla-t-elle.Piquéeparlacuriosité,jemetournaibrusquementdansladirectiondecetinconnu,oublianttout

soucidediscrétion.Cequ'ilnemanquapasdenotermais ilnebougeapasd'unpouce.Merendantcomptedemonsans-gêne,jedétournaibrusquementleregard.PuistoutenessayantdesuivreleflotdeparolesdeChrisquipassaitenrevuetouteslespersonnesprésentesdanslasalle,jemerisquaiàobservernotreinconnuducoindel'œil.Iln'avaitpasl'airtrèsgrand,unmètresoixante-quinzetoutauplus,blond lescheveuxcoupés trèscourts, à cettedistance jenepouvaisvoir la couleurde sesyeux,malgrélesnombreuxregardsqu'iljetaitversnous.Athlétique,ilétaitvêtud'uneamplechemisebleueàcarreauxdontunpanpendaitnégligemmentsurlecôtédesonjean.Ilétaitoccupéàdiscuteravecungrandgaillarddontjenepouvaisdistinguerlestraits.Jesustoutefoisqu'ilsparlaientdenouslorsquesoncompagnontournabrièvementlatêteversmonamieetmoi.Christellem'arrachaàmonobservation.

—Estelle,viensdanser,dit-elle,j'adorecettechanson.Jemelaissaisemporterauboutde lapisteausond'un titredufilmFlashdance. Jecompris le

manègedemonamielorsqu'elles'arrêtaprèsdesmiroirsquitapissaientlemurdufond.Cettepartiedeladiscothèqueformaitunesorted'estradedepuislaquellenousavionsunevueimprenablesurledancefloor. Autour de nous, quelques adolescentes se trémoussaient tout en observant leursmouvementsdanslesmiroirs.Dèsqu'ellesétaientassuréesdel'effetobtenu,ellesseretournaientfaceauparterrededanseursafind'attirerunmaximumderegards.Nulbesoinderefletpourmesurerlesex-appealdemonamiequisemitàondulerleshanchesenrythme,àbalancersesépaulesdedroiteàgaucheetquipassaitrégulièrementsesmainsdansseslongscheveuxblonds.Nulbesoinnonplusdem'expliquer lepourquoidecettemiseen scène,Christellevoulait attirer l'attentiondubel inconnu.Lesmiroirsmepermirentdeconstaterqu'elleavait faitmouche.L'inconnuavaitdésormaisbraquésonregardsurnous,ilsemblaitneplusécoutersonamirestéàsescôtés.

—Tuluiastapédansl'œil,soufflais-jeàl'oreilledeChristelle.

—Tucrois?merépondit-elleenluiadressantunsourire.—Situveuxmonavis,iln'estpasleseulàt'avoirremarquée.Tuvoislesquatretypeslàenbas,

ilsn'arrêtentpasdetefairesigne.—Maisilsnem'intéressentpas,renchérit-elle,contrairementaubeaugosselà-bas.—Ainsi,Chrispartenchasse.Planquez-vous!ironisai-je.—Hé ! Ne te moque pas demoi ! J'espère juste qu'il viendrame parler, tu sais bien que je

n'oseraijamaisfairelepremierpas.Endehorsdesonaptitudeàattirerl'attention,monamieétaitd'uneincorrigibletimiditéetperdait

vitesesmoyensfaceàunhommequiluiplaisait.Lorsquequecelaarrivait,ellesemettaitàrougirpuisbafouilleret finissaitpar faire fuir lapersonnequ'elledésirait tantcharmer. J'eussoudainuneidée.Cen'étaitpasenrestantàcettedistancequ'ill'aborderait,surtoutqu'iln'avaitpasl'airdevouloirquitterl'endroitoùilétaitappuyédepuisquenousl'avionsremarqué.

—Allezviensonchangedesalle!jetai-jeàChristelletoutenmeretournantpourdescendrelestroismarchesquinousséparaientdudancefloor.

—Maispourquoi?cria-t-elleenmerejoignant,j'étaisbienlà-haut.Jeprismonamieparlebras,l'obligeantàs'abaisserpourquejepuissechuchoteràsonoreille:—Bahsituveuxqu'ilt'abordeenpremier,alorsenchangeantdesallenousallonsdevoirpasser

prèsdelui.Etvucommentiltedévoraitdesyeux,jesuispersuadéequ'ilvaprofiterdetonpassagepourteparler.

—Tupensesqueçavamarcher?merépondit-elle,dubitative.—C'estcequenousallonsvoir.Tandisquenouspassionsàproximitéde l'inconnuetde sonami,nous tournâmes la têtedans

leur direction afin de jauger de sa réaction.Amusée, par la situation, je jetai unœil tour à tour àChristelle qui croisait les doigts dans l'espoir d'une approche, puis à cet homme mystérieux.Maintenantque je levoyaisdeplusprès, jedevaisavouerque je lui trouvaisbeaucoupdecharme.Unedoucechaleurirradiamonestomacàlaquellejeneprêtaipasattention.Jerestaisfocaliséesurmonpland'approchetoutefoisl'inconnunebougeapas.Déçue,monamieaccéléralepaspourquitterla salle. Ce mouvement d'humeur arracha un sourire à cette mystérieuse personne, dévoilant unerangéededentsblanches.Jenepusm'empêcherd'yrépondretoutenhaussantlesépaulesensignededécouragement.Àsontour,ilripostad'unclind'œilquimefitl'effetd'unebombe.Ceregard…

Je tournai vivement la tête et partis à la recherche demon amie. Éblouie par la lumière desstroboscopes ainsi que des lasers, je ne distinguais plus que des silhouettes autour demoi. Jemefrayaisuncheminparmilesdanseursquis'agitaientsurdesrythmesdemusiquetechno,plissantlesyeuxdefaçonàdistinguerlesvisages.Jedusfaireletourdeladiscothèqueaumoinsdeuxfoisavantde la retrouver.Pendantce temps, jenecessaisdepenserà l'inconnuetàsonclind'œil, j'avaisétédésarméefaceàsaréaction, toutcommej'avaisété troubléeparsonregardperçant.Christelleétaitassiseaubar,unverredeMargaritadansunemain,latêteappuyéesurl’autre.

—Jet'aicherchéepartout,luiglissai-je,enposantunemainsursonépaule,lafaisanttressaillir.Oups,jet'aifaitpeur?

—Nonçava,grogna-t-elle.Tuveuxboirequelquechose?JeteconseillelaMargarita,elleestdélicieuse.

—Mercimais,nonmerci,jepensequec'estmoiquivaisconduiretoutàl'heure.Qu'est-cequit'aprisdepartirsivite?

Christellesoupira.—Elleavachementbienfonctionnétonidéehein,lâcha-t-elle.—JecomprendstadéceptionChris,maiscrois-moi,vusaréactionlorsquenousdansions,j'étais

persuadéequ'ilallaitt'aborder.Aprèstout,ilestpeut-êtredéjàpris.

—Ouais!Ducoupilseserabienfoutudenousavecsonpote,gémit-elle.—Etpuis,iln'yapasmortd'homme,onneleconnaîtmêmepas.Allezarrêtedefairelatêteou

tuserasridéeavantl'âge.Viensdanserplutôt.Monamieesquissaunsourire,regardaverslapistepuisvidasonverred'untrait.—Ok,fit-elleenselevantmaladroitement.L'alcoolfaisaitdéjàsonœuvreàtelpointquejeme

demandaiscombiendeverreselleavaitavaléenmonabsence.Alorsquenousdescendionsaucentredelapiste, j'aperçuslebelinconnu,quifinalementavait

luiaussichangédesalle.Ilétaitappuyécontrelabalustradedel'entrée,nonloindubaroùnousnoustrouvions précédemment. Il nous avait donc suivies, pensais-je. Alors que j'allais en informerChristelle,lesquatretypesquenousavionsignorésprécédemmentnousentourèrent.

—Alorslesfilles,ons'amuse?—Cen’estpasgentildenousavoirplantéslà-bas.—Ouaistuparles,ellesnenousontmêmepasrépondu,cen’estpascool!—Ellesn'ontqu'àdanseravecnouspoursefairepardonner.Alorsquenousnous regardions,Christelle etmoi, incrédulesdevant la scènequi sedéroulait

sousnosyeux,undestypes,ungrandblackàlasolidecarrurenouspritparlatailleetsepenchaversl'oreilledeChristelle.L'inquiétudecommençaitàpoindre,jen'entendaisriendecequ'illuiracontait.Puiscefutàmontourdesentirsonsouffledansmoncoulorsqu'ilmurmura:

—Vousn'avezrienàcraindre,onvoudraitjustedanseravecvous,onvousaremarquéeslà-bas.Vousvousdébrouillezplutôtbien.

DéjàChristellesemblaitrassurée,elleavaitrecommencéàsetrémousserentouréepardeuxdesdanseurs.Malàl'aise, j'essayaisdetrouverunesolutionpourleuréchapper.Jen'aimaissurtoutpasmesentirobligéedeleurfaireplaisir.Machinalementjelevailatêteversl'endroitoùj'avaisrepérélebel inconnuunpeuplus tôt.Àmagrande surprise, il était toujours là, toutefois sesépaulesétaientredresséescommes'ilétaitprêtàintervenir.Jevisseslèvresbougersansparveniràcomprendreàquiils'adressait.Jeleregardaisfixement.Auboutdequelquessecondesilréitéra,pluslentement.Seslèvresformulaientunequestion:«Çava?».Retrouvantunpeud'assurance,j'acquiesçaisd'unsignede tête. L'inconnu veillait sur nous. J'entrepris donc d'en avertir mon amie. Les quatre danseurscontinuaient leurpetitnuméroautourdenous tandisque je relataisàChristellecequivenaitde seproduire.

—Tuasréussiàétablirlecontact,bravo!—Tu parles, il a dû voir que nous étionsmal prises avec ces énergumènes. Il a dû se sentir

obligé d'intervenir. Mais au fait, qui est-ce qui avait raison ? Il nous a suivi jusqu'ici, lançai-jetriomphalement.

—Oui,maisilnenousapasadressélaparole,seplaignitencoreChristelle.—Bon tuveuxque j'aille luiparler ? luidemandai-je.Après toutonamaintenantuneexcuse

pourentamerlaconversation.Lesyeuxdemonamiepétillèrent.—Tuferaisçapourmoi?—Bahoui,etenplusonvapouvoirsedépêtrerdeceux-là.Contre toute attente, les gars se poussèrent lorsque je prétextai que nous voulions aller aux

toilettes.Soulagéesdenousenêtredébarrassés,nousnousdirigeâmesverslebar.Notremystérieuxinconnuavaitreprissaposition,lesfessesappuyéescontrelabalustrade.

—J'aicruqu'ilsn'allaientpasnouslâcher,lançai-jeenarrivantdevantlui.Merciaufait.—Dequoi?—Denousavoirdemandésiçaallait,c'estbiencequetuasdit?—Ouic'estça,fallaitpaslesaguicher,vousn'auriezpasétéembêtées,nousréprimanda-t-il.—Hé,maiscen’estpaseuxqu'onvisait.Christelleétaitintervenuemalgrésonappréhension.

L'inconnulevalesyeuxauciel.—Cen’estquandmêmepasprudent.—C'estpourçaquenoussommesvenuesteremercier,ajoutai-je.Tunenousconnaispasaprès

tout.Jem'appelleEstelle,làc'estmonamieChris.—Ok,moic'estPaul.Vousferezgaffemaintenant?Notremystérieuxsauveurn’avaitpas l’air très loquace.Sentant l'impatiencedemonamied'en

connaîtredavantagesurlui,jetentaidoncunenouvelleapproche.—Oui.Pourteremercier,nouspouvonspeut-êtret'offrirunverre?—Cen’estpasderefus,maisd'abordj'aiunebouteilleàfinir,dit-ilensedirigeantverslebar.Ilrevintl'instantd'aprèsavecunebouteilledechampagneetdeuxcoupes.—Monpotem'alâché,jenevaisquandmêmepaslagâcher,déclara-t-ilalorsqu'ilremplissait

déjàlesverres.Jen'étaispas trèsamatriced’alcool toutefois j'appréciais lechampagne.Ce futavecunplaisir

nondissimuléquejeprislacoupequ'ilmetendaitetlafispasseràmonamiequisecoualatête.Jenecomprispasimmédiatementsaréticenceàaccepterunverredelapartdel'hommequ'elleconvoitait.Christellepritalorslacouped'unemainetsedétournalégèrementdesortequePaulnepuissevoirsongeste.Avecsonindexelleimprimaitunmouvementdevaetvient.Pensait-ellequelecontenudenosverresaitétédrogué?Pourenêtrecertaine,jeposaiouvertementlaquestionànotrehôte.

—Tun'essaiespasdenousdroguerj'espère.TuvoisleGHBnemeréussitpasdutout,ironisai-je.

CetteremarqueeutleméritededéclencherunfourirechezPaul.Deuxcharmantesfossettessecreusèrent au coin de ses lèvres. Je ne pris pas garde au léger trouble que je ressentais, sa bonnehumeurm'encourageantàcontinuerlaconversationsurceton.J'enavaispresqueoubliél'endroitoùnouspassionslasoirée,jusqu'aumomentoùleDJannonçaletubetechnodumoment.Acclaméparl'assistance, il en profita pour pousser les décibels, mettant mes oreilles à rude épreuve. NecomprenantplusuntraîtremotdecequemeracontaitPaul,jedustendrel'oreille.Àchacunedesesinterventions,Christelle-quis'étaitglisséeàmescôtés-mefaisaitducoudeafinquejeluirapportel'intégralitédesespropos.Ils'ensuivitunéchangetrèscocasse;j'étaissituéeentrePauletChristelle,chacund'entreeuxmeparlaient-ouplutôtmehurlait-dansl'oreilleetjepassaislemessageàl'autredelamêmemanière.Àcerythme,jen'auraisbientôtpluseudetympan.J'apprisdoncquePaulétaitoriginairede la région,quec'étaitunartisande trenteetunansquiavaitexercéunpeupartoutenFrance dans le cadre d'un compagnonnage. Il m’apprit également qu'il était célibataire depuisquelques mois, pour le plus grand plaisir de mon amie. Décidant qu'il était temps pour moi dem'éclipserafindepermettrel'entréeenlicedeChristelle,jeprétextaiavoiraperçuquelqu'unavecquijedésiraism'entretenir.Paulsemblapeuconvaincuparmonexcuse.

—Simaprésencet'ennuie,dis-lefranchement.—Noncen'estpasça, rétorquai-je,puis faisantpreuvedefranchise, je luidonnai lavéritable

raison.Tuastapédansl'œildeChris,jevoulaisjustevouslaissertranquillepourdiscuter.—Qu'est-cequevousdites?intervintmonamie.L'ignorant,Paulsebaissabrusquementversmonoreillequeseslèvreseffleurèrent.Alorsqueje

reculaiparsimpleréflexe,ilposasamainsurmonépaulepourmeretenir.Soncontactm’engourdit.J’enoubliaisChristellequis’impatientaitàmescôtés.

—Jen'aipasenviedediscuteravectonamie,ajouta-t-il,c'estbienplusagréableavectoi.Resteunpetitpeu,tuveux?

Alorsquej'acquiesçais,ilfitminederesservirmonverre.Jedéclinail’offresachantquej’avaisconsommé plus que de raison et que je devrais reprendre le volant d’ici peu. Déjà grisée par lechampagne, je tentais de suivre le fil de ses paroles malgré le bruit assourdissant de la musique

techno.Lesderniersmotsque jecompris furent«Quine tente rienn'a rien !»,quandsoudainsesmainsceinturèrentmatailleetsaboucheseplaquacontrelamienne.Sonbaiserétaitdouxethésitant,puiscommej'étaisfigéeparl'effetdesurprise,ilsefitpluspressant.Monesprittentaitd'analyserlasituation.Commentmonamieallait-elle réagir?Quedevais-jefaire?Lerepousseret laissermonamietentersachancealorsqu'ilvenaitdeluidémontrerquec'étaitmapersonnequi l'intéressaitenpremier lieu, ou bien profiter de cet instant car après tout rien n'indiquait que cela durerait. Je neconnaissais que son prénom, Paul. Je ne savais presque rien de lui. À l'occasion, il m'aurait déjàoubliée au petitmatin vu la quantité d'alcool que nous avions consommé. Lorsque samain droiteremontacontremanuque,essayantdem'attirerplusàlui,jeprisladécisionquejeverraisplustard.Jefermailesyeuxetmelaissaisplongerdansundouxmomentd’enivrement.

Unnouveaudépart

«Unvoyaged'unmillierdekilomètrescommenceaveclepremierpas.»Lao-Tseu

Jemeréveillaienm’étirantà lamanièred’unpetitchatfaisantdecefaitglisser lacouettequidécouvritmonvisage.Unrayondesoleiltraversaitlestoredelafenêtredetoitquej’avaisoubliédetirerjusqu’enbas.Eblouie,j’enfouismatêtedansl’oreillermoelleux,jen’avaisaucuneenviedemelever ce matin-là. Je risquai toutefois un coup d’œil sur mon radio réveil. Midi trente-quatre. Jecomprenaismaintenantpourquoi la faimm’avait tiréedu sommeil. Je restais encore au lit unpetitmoment, essayant de remettre en ordre mes idées. La fin de soirée avait été quelque peumouvementée,d’unepartlebaiserdePaulm’avaitsurprise,cethommequejeneconnaissaispaslaveilleavaittoutàcoupjetésondévolusurmoi.Enmêmetemps,jemesentaisbien,presquetouchéepar la grâce, après l’épreuve que j’avais traversée quelquesmois auparavant. Il était temps que jepasse à autre chose, c’était le destin qui avaitmisPaul surmon trajet.Toutefois je ne voulais pasm’emballer, le temps ferait son œuvre. En attendant, j’essayai de me concentrer sur autre chose.Christelle n’avait pas voulu dormir à la maison comme il était prévu, déçue par la tournurequ’avaientprislesévènements.Unsilencepesantnousavaitaccompagnésurletrajetduretour.

—Excuse-moi, balbutiai-je, lorsque je la retrouvais enfin près du vestiaire de la discothèque.Assisesurlecomptoir,elleavaitdéjàenfilésaveste,prêteàpartir.

—Paslapeine,marmonna-t-elle,j’aibiencomprisquejenefaisaispaslepoids.Onyva?—Euh,ouibiensûr,jevaisprendremesaffaires,dis-jeentendantmonticketàl’employéedu

vestiaire.—Jet’attendsdehors,lança-t-elleavantdes’éclipser.JecomprispourquoilorsquePaulapparutàmescôtés.—Tut’envassansdireaurevoir?—Non,j’allaisteprévenir,c’estjustequeChrissouhaiteraitrentrer.Jepensequ’ellem’enveut.—Parceque je n’ai pas conclu avec elle ? ajouta-t-il ironiquement.Cen’est pas à toi qu’elle

devraitenvouloir,maisplutôtàmoi.—Peut-être,maisçanesefaitpasentreamies.—Ok,ok...Ducouponse revoitquand?medemanda-t-il. J’avaispenséquenousaurionspu

allerdéjeunerensembleprèsdelaplage.Lesjeunesdelarégionquisouhaitaientprolongerleursoiréeavaientpourhabitudedeserendre

dansunpetitbardelavilleportuairelaplusproche.L’AbriCôtierouvraittrèstôtledimanchematinetproposaitlepetit-déjeunerauxjoyeuxfêtards.

—Celaauraitététrèssympa.Maisilfautvraimentquejeraccompagnemonamie.—Jecomprends,alorsdis-moiquandserais-tudisponible?Demainsoir?—Euhcesoirtuveuxdire?Onestdéjàdimanche,memoquai-je.—Oui,ouicesoir.Alorstuesdispo?—Ouiçapeutsefaire.Tupassesmeprendre?Paulopinaduchef,jeluiexpliquaicommentserendrechezmoietlequittaid’unbaiser.Sansme

retourner je fonçai à la voiture. Dans ma précipitation, je manquai de tomber sur une plaque deverglas.

—Mince,ilaneigé,lançai-je,lamétéones’étaitpastrompée.—Oui,onauraitmieuxfaitdereporterlasoirée,rétorquaChristelle.Comprenantl’humeurmaussadedemonamie,j’entreprisdenousrameneràbonportmalgréla

chausséeglissante. J’eusàpeine le tempsdemegarerdevantchezmoiqueChristelledescenditdevoiturepourremonterdanslasienne.Jeluifissignedemeprévenirlorsqu’elleseraitrentréechezelle,lacirculationdevaitêtrepluscompliquéeenplaine,aussijem’inquiétaispourelle.Monamienem'adressaqu'unvaguesignede tête.Restéesur le trottoir, jeregardaipartir lavoitureetnerentraiqu'aprèsavoirvudisparaîtresesfeuxdanslanuit.

Avantdedescendrepour le petit-déjeuner, j’envoyai un texto àmonamiepourm’assurerquetoutallaitbien.Enattendantsaréponse,j’entreprisdepréparerungargantuesquerepas,àlahauteurdelafaimquitiraillaitmonestomac.Jedéposaidoncsurlatablelescroissantsquej’avaisachetéslaveille,de labriocheen tranches,de lapâteà tartiner,unebouteillede jusd’orangeetuncafébienchaud. D’ordinaire Christelle répondait très rapidement à mes messages, c’est pourquoi le tempsd’attente me semblait interminable. Peut-être lui était-il arrivé quelque chose ! D’après lesinformations régionales, il y avait eu de nombreux accidents à cause du verglas. Pire, quelqu’unauraitpulasuivreetlapiéger,seuledanslanuit.Secouantlatêteàl’idéequ’unechoseaussihorribleaitpuluiarriver,jeprismontéléphoneetcomposailenumérodesesparents.Quelquesinstantsplustard,jeraccrochairassuréequ’ellefutrentréesansproblèmemaisperturbéeparlefaitqu’ellen’aitpas répondu elle-même àmon texto. Soit, il allait falloir que je lui laisse du temps pour digérerl’affrontqueje luiavaisfait laveille.Pourmechangerles idées, jedécidaideprendreunelonguedouche.L’eauchaudequi ruisselait surmoncorpsm’aidaàévacuer la fatiguequime restaitde lasoirée.J’enfilaimonpyjamaenpilou,degrosseschaussettesetm’installaisur lecanapédevantunfilm.J’avaisdécidédeparesser toutel’après-midiafindegarderdesforcespourmonrendez-vousavecPaul.

Le soir venu, j’avais opté pour une tunique cache-cœur noire et un pantalon chino à tailleélastiquéedecouleurbeigefoncé,sacoupeajustéeetsataillebassemettaientmesformesenvaleur.Je relevai mes cheveux en chignon, comme souvent lorsque je n’arrivais pas à discipliner mesboucles. Côtémaquillage, le choix se porta sur la sobriété, un peu de crème teintée et un trait decrayonsuffiraient.Jeterminaisdevérifierlerésultatdanslemiroirdelasalledebainslorsquel’onfrappaà laporte.Moncœurs’emballa.Etsicelanesepassaitpasbien?Flûte, ilallait falloirquej’arrêtedetergiverserpourdesfutilités.Silecourantnepassaitpasehbienchacunretourneraitchezlui!J’ouvris toutdemêmelaporteavecunepointed’appréhension.Sur le trottoir,Paulavait l’airtoutaussihésitant.Jel’invitaiàentrerletempsd’allercherchermaveste.Ilmeproposad’allerboireunverredansleseulcasinodelarégion.J’appréciaisbeaucoupcetédifice,situésurlefrontdemer,il impressionnait avec sa façade en pierre et ses hautes colonnes encadrant l’entrée. J’appréciaiségalementl’ambiancefeutréedelagrandesalle,sonépaissemoquettelie-de-vin,sesbanquettessurlesquellesj’avaispassébiendesdimanchesaprès-midilorsquej’étaisadolescente.Riennesemblaitavoirchangédepuistoutescesannées,lesbillardsanglaisétaienttoujoursalignésàlamêmeplace,côtoyant le français et le snooker et attirant toujours les jeunes hommes qui se défiaient pour leplaisirsousl’acclamationdeleurspetites-amies.Monregardpétillaitsibien,lorsquejeracontaisàPaulmessouvenirsd’après-midisenflammésàjoueravecmesamis,qu’ilmeproposad’enfaireunepartie.

Quandversminuitnousnousdécidâmesàrentrer,nousn’avionstoujourspasdîné.Nousnousétions vraiment bien entendu Paul etmoi, avions discuté de tout et de rien. Il semblait qu’il avaitapprécié mon enthousiasme pour le billard à tel point que nous enchainâmes les parties toute la

soirée,nousmoquantl’undel’autrelorsquenousmanquionslabouleouencasdefaussequeue.—J’aipasséunebonnesoirée,leremerciai-jelorsqu’ilsegaradevantmaporte.—C’était un plaisir également. J’avais peur de ne pas avoir saisi ton adresse hier soir. Je ne

savaispasvraimentsic’étaitlebonendroitquandjesuisarrivétoutàl’heure.—Ah!C’estpourçaquetufaisaisunetêtepareille,ironisai-je,j’aipenséquetuétaisdéçuen

mevoyant!— Il fautdirequ’il faisait sombre...Non, jeplaisante, ajouta-t-il devantmaminedéconfite, tu

étaiscommedansmessouvenirs,magnifique.—Oh,Paul!soupirai-jealorsqu’ilsepenchaitpourm’embrasser.Notre étreinte fut gênée par l’inconfort de la voiture, aussi je l’invitai à m’accompagner à

l’intérieur.Dèslors,lesheuresdevinrentdesminutes,lesminutesdessecondes,noussuccombâmesàundésircharnelaussipuissantqueravageur.Cettesoiréescellalesprémicesdesannéesfutures;Paulentraitchezmoipourneplusenrepartir.

Nouspassâmeslespremièressemainesànousdécouvrir.Jen'avaisjamaisvécuencoupleavecquiconque,aussiilmefallutuntempsd'adaptation.Toutcelaétaitterriblementnouveaupourmoi,jedevais désormais partagermon petit quarante-cinqmètres carrés avec un homme.C'était à la foisenivrant et effrayant.Enivrant, car pour la première fois demon existence, j'avais l'impression dedonnerunsensàmavie,construiredetoutepièceunenouvellerelationalorsquenousétionslibresdenoschoix.Jen'avaisparlédePaulàpersonnedansmonentourage,luiavaitvaguementévoquédeson côté avoir une petite-amie sans toutefois donner de détail. Nous vivions dans l'euphorie despremiers émois, nous nous quittions à regret le matin avant d'aller travailler pour mieux nousretrouverlesoirvenu.Étonnamment,j'étaisdésormaispresséederentrerchezmoiaprèsunejournéeaubureau,alorsqu'auparavantj'auraisacceptétouteslesinvitationsretardantl'inéluctableretourdansunemaisonvide.Nousnenousquittionsplusjusqu'aulendemainmatin,savourantlesheurespasséesensemble. Cependant, je n'osais pas avouer à Paul que le démarrage fulgurant de notre relationm'effrayait.Jeneleconnaissaisquepeu,nousavionsbrièvementévoquénospassésrespectifs.Ensipeu de temps nous ne pouvions pas être certains de nos sentiments, par ailleurs la blessure demaprécédente relation n'était pas totalement cicatrisée. Comment allais-je pouvoir faire confiance denouveau?Jenevoulaispassombrerdanslaparanoïa,maisriennemecertifiaitquetoutcequePaulme racontait était vrai. Tiraillée par des idées contradictoires, je pris la décision de suivre moninstinct,Pour l'instant,notre relationbaséesur la semi-routinequenousavions instauréedonnaitànotrecoupledesairsdenormalité.Parailleurs,j'avaisretrouvéunecertainejoiedevivrequejenepensaispasrecouvrerdesitôtaprèsmaruptureavecMarc.Mêmeaubureaucelaseressentaitsurmafaçonde traiter lesdossiers,ycompris lesplusrébarbatifsquiétaientbouclésavecefficacité.Monchefnetardapasàremarquerlechangementetmefélicitapourmarapiderepriseenmains.

C'étaitdécidé,j'allaisdonnerunechanceàmarelationavecPaul,caraprèstoutsiellemefaisaitdubien,pourquoidiablel'aurais-jesabotée?Unsoirdemars,alorsquejem'apprêtaisàpréparerledîner,Paularrivaàlamaisonetm'annonçaavecunlargesourire:

—Prépare-toi,cesoirondînedehors.—Enquelhonneur,luidemandais-jestupéfaite.—Commeça,merépondit-il,j'aienviedesortirpourunefois,celafaitdessemainesquel'on

passenossoiréescheztoi.—D'accord,commetuveux,luilançai-jeavantdem'éclipserprendreunedoucherapide.Paulm'emmenadînerdansunrestaurantd’unecharmantevillecôtièreàunedemi-heurederoute

dechezmoi.J'étaisauxanges,lecadremeravissaitauplushautpoint,cettebaieétaitl'undesendroitsoùj'aimaisleplusmebalader.Lerestaurant,quantàluijouxtaitunepromenade,égayantlavuedesclients par ses grandes fenêtres qui donnaient directement sur le chenal. Pendant que la serveuse

tendait à mon compagnon la carte du menu, je me perdis dans la contemplation de la natureenvironnante.Lesoleil,encoretimideencettefinmars,étaitentraindesecoucher,enveloppant labaiedenuancesviolacées,lamaréebasselaissaitapparaîtrelesflancsensablésduchenalsurlesquelssereposaientdocilementlesbarquesdespêcheurs.Auloin,jepouvaisdistinguerlemâtd'unvoilieramarré le long du port. Je fus tirée de ma rêverie par la serveuse qui attendait ma commande.Regardanthâtivementlemenu,jem'enquisauprèsdePaulsursasélection.Ilavaitoptépourlemenu«Tradition»:deshuîtresenentrée,suiviesd'unpouletfermieraucamembertetungratindepommesaucaramelbeurresaléendessert.Monchoixseportasurun tiramisudehaddocketsaumonfuméaccompagnéd'avocats,puisundosdebarrôtiauxherbesetunecrèmebrûléepourfinir.N'ayantpasd'attirancepourlevin,jedemandaiunebouteilled'eauminéralealorsquePauloptaitpourunSaintNicolasdeBourgueildedeuxmilleun,dontilfitl'élogeduranttoutlerepas.Lasoiréesepoursuivitparunepromenaderomantiquelelongdel'estacadeenboisquinousramenait jusqu'auparkingoùmavoitureétaitgarée.Ils'agissaitd'unePeugeot206d'occasiondecouleurblanche,quim'avaitétéofferteparmesparents lorsde la signaturedemonpremier contrat àduréedéterminéede longueduréedansuneindustriedelarégion.Vulesdistancesquej'avaisàparcourir,ilétaitnécessairequejesoiscorrectementvéhiculée,mesparentsnesupportantpas l'idéeque jepuisse tomberenpanneenpleinenature.Aussij'avaischoisiunevoitureassezpetiteafindepouvoircirculeraisément,cequinelarendaitpasaussiinconfortablequecertainslelaissaientpenser.

Deretouràlamaison,jem'empressaideremercierPaulpourcettemagnifiquesoirée.J'entouraimesbrasautourdesoncouetluidéposaiunbaisersurleslèvres,qu'ilmerenditavecdélicatesse.

—C'étaitenquelhonneur?redemandai-jetoutàcoup.Jelesentisseraidirsousl'effetdelasurprise.—Tunesaispas?merépondit-il.—Cen'estpastonanniversaire,tum'asditquec'étaitennovembre.Tufêtesunnouveauchantier

?tentai-je.Ilsecoualatête,déterminéàmelaisserchercher.—C'esttafête?Ilcroisalesbrassursapoitrine.—Etbienjenevoispas,soufflai-jeimpatiente.—Quelledatesommes-nousaujourd'hui?Jetressaillis,apparemmentj'avaisoubliéunévènementimportant,toutefoissansuncalendrierà

portéedemainsj'étaisincapabledeluidonnerladatedujour.Jefouillaidansmonsacàmainsafindedénicherleprécieuxsésamequim'auraitdélivrédecetimbroglio.

—Net'embêtepasàchercher,noussommeslevingt-neuf.—Ohmincealors!m'écriai-je.Ohcommejesuisdésolée!J'auraisdûcomprendreplus tôt !

Quelledélicateattentionde tapart !Etquelle imbécile je fais !C'est tellementgentild'avoirvoulucélébrernotrepremiermoispasséensemble,etmoijegâchetoutàcaused'unoublidedate.

—Cen'estpasgrave,mecoupa-t-il.—Tuenescertain?demandai-jealorsquemesyeuxs’embuaient.C’est lapremière foisque

l’onm’organiseunesibellesoirée.—Ouij’ensuiscertain,toutlemonden’apaslecalendriersouslesyeux.Etpuisj’auraispeut-

êtredûattendrequelquetempsavantdet’inviteraurestaurant.C’estpeut-êtrefutilepourtoidefêtercegenred’anniversaire.

—Noncen’estpascela,jen’aijamaisréellementcélébréd’anniversairederencontre.—Tutefichesdemoi!Pasmêmeavectonex?—Nonjetejure.—C’estétonnantdesapart,continua-t-il,ajoutantaumalaisequecetteévocationavaitsuscitéau

plusprofonddemonêtre.—Pastantqueça,quandonsaitcommentmarelations’estterminée.Onpeutchangerdesujet

maintenant?—Situveux,maisjenevoispascequ’ilyadegênantàévoquersesex.Tupeuxm’enparlersi

çatefaitdubien.—Jen’enaipastrèsenvie,balbutiai-je,enrefoulantmeslarmes.Acettevue,Pauls’approchademoisurlecanapéetentouramatailledesesbras.Ilavaitdeviné

quelablessuredemaruptureétaitencorerécenteetlorsqu’ilmelechuchotaàl’oreille,jeressentisànouveaucetroubéantdansmapoitrine.Degrosseslarmesroulaientdésormaissurmesjouesalorsque je revoyais se jouer la scènedansmonesprit.Sansdireunmot,Paul commençaàmebercer.Commentpouvait-ilrestersicalmealorsquej’avouaismalgrémoiencoresouffrird’uneanciennehistoire?Àprésentj’avaislesoufflecoupéparlechagrinquim’emportait.Jeserraislespoingsderageenversl’hommequim’avaitbrisélecœur,àcausedeluij’avaisl’impressionquejeneseraisplus jamais capable d’aimer. Paul, quant à lui, faisait preuve d’une infinie patience, il chuchotaitdoucementdansmonoreillequecelaallaitpasser,quecertainesblessuresétaientlonguesàrefermer.Jem’envoulaisde luimontrermesfaiblesses, il fallaitque jemereprenne, jenevoulaisplusêtrecette femme trahie,maisme forger une solide carapace pour ne plus souffrir.Afin deme calmertotalement,jemelaissaisallerledosposécontresapoitrine,calantmarespirationsurlasienne.Lachaleurqu’ildégageaitm’apaisait.Unefoisparfaitementrassérénée,j’entreprisdeluiraconterparlemenu l’échecdema relationavecMarc.Le tempsdu récit,mes larmescoulèrentencorealorsquej’alternaisentre lapeineéprouvéeà ladécouvertedes faits et lacolère refouléependantdesmois.Lorsquej’eneusterminé,jefussurprisedemesentirsoulagée.Ilestvraiquepratiquementpersonneneconnaissaitlesdétailsdemarupture.

Iln’yavaitquemasœurFlavie,chezquijem’étaisenfuielorsdesvacancesdeNoël,quim’avaitvuedanscetétat.ElleetsonmariCorentinm’avaientaccueillieàbrasouvertsdansleurvillasurlaCôted’Azur.Jen’avaisemménagédansmapetitemaisonquedepuisunmois,cependantladouleurdelaruptureavaitététropdifficileàsupporteretcelasefaisaitmêmeressentirsurmontravail.Lesremontrancesdemonsupérieuravaienteul’effetd’unebombe,jeperdaispied.J’avaisalorsdemandéàdécalermescongésafindechangerd’airetc’esttoutnaturellementquej’avaistéléphonéàFlavie.Surplace,j’avaispasséunesemainerelaxanteàmefairebichonnerparmasœur.Nousétionsprochesl’unedel’autremalgréladistancequinousséparait.Biensûrnousaurionsappréciénousvoirplussouvent,toutefoisletrajetrelevaitduparcoursducombattant.Nousavionslechoixentreperdreunejournée dans le train avec les différents changements et l’attente de la nouvelle correspondance -quand il n’y avait pas tout simplement une liaison supprimée – ou opter pour un coûteux billetd’avion afin de réduire la durée du voyage, quoiqu’il en soit entre chezmoi et Paris il fallait serésoudre à prendre le train. Nous pouvions également utiliser la voiture mais ni l’une ni l’autren’étionsdeferventesadeptesdel’autoroute.Cettefois-làj’avaisoptépourlarapidité,j’avaisdéposémavoiturechezuneamiequim’avaitensuiteaccompagnéeàlagarelaplusproche,delàj’avaisprisun trainpourParis,puis lemétroafind’atteindre lanavetteautobusquimeconduiraità l’aéroportd’Orly.Une fois àbordde l’avion, jen’étaisplusqu’àuneheuredevolde l’aéroportdeNiceoùm’attendaitmasœurbien-aimée.J’avaisquittémondomicileàneufheurescematin-làpourarriversixheuresplustardàdestination,fourbueparlevoyage.Cefutsansaucundoutecetétatdefatigueàla fois physique et morale qui me fit craquer une fois assise dans la voiture. Je n’aimais guèreévoquer mes problèmes, j’avais surtout appris à les affronter seule et à ne rien montrer de mesfailles,c’étaitcelaquifaisaitmaforce.Cettefoislacuirasseétaitentaillée,laissantéclateraugrandjourmestourmentsintérieurs.

Désormais Paul connaissaitmon peu glorieux passé. Qu'allait-il en penser ? Je tentais deme

prépareràl’imminenced'unenouvellerupture.Sansnuldouteilnevoudraitpasperdredetempsavecunefemmequivivaitencoredanslestracasd'unerelationavortée.Ilpréféreraitdeloinlacompagnied'unepersonneplusenclineàfairelafête.DèsquePaulpritlaparole,cefutpourmedéconcerterunenouvellefois.

—Rassure-toi,mesouffla-t-ilàl'oreille,nousavonstousnotrelotdecasserolesàporterencequiconcernelesrelationsdouteusesvoirefoireuses.J'enaiaussiuneàmonactif.

—Ahbon,répondis-je,tunevaspast'enfuirmaintenantquetuconnaislavérité?—Pourquoidonc?Jedevraiscraindrequeturepartesaveclui?—Ahnon!Ça,ilnefautpasycompter!J'aiassezsouffertcommecela.Non!Jepensaisque

ma«casserole»commetuledissibien,ajoutai-jeenagitantlesdoigtsafindemettrel’accentsurcemotquisymbolisaittantmonéchec,teferaitregretterd'êtreavecunenanaquiprendleschosesaussiàcœur.

—Cemufleneteméritaitpastoutsimplement.Ilnefautpaslongtempspourcomprendrequetues une jeune femme très sensible, en plus d'être charmante,me glissa-t-il à l'oreille alors que sonsoufflechaudsurmoncoumefaisaitfrissonner.Tuasfroid?

— Non, ça va, fis-je en resserrant machinalement ses bras autour de ma taille. Tu veux meraconterlestiennesdepéripéties?

—Situescertainedevouloirlesentendre…—Oui,jesuistouteouïe,répondis-je,piquéeparlacuriosité.AlorsPaulselançaàsontourdanslerécitdesesdéboiressentimentaux.L'issueenétaitmême

tragique. Il me raconta qu'il avait rencontré une jeune femme un soir dans un bar du centre deMontpellier. Il était parti là-bas six mois auparavant, sans n'avoir rien fait d'autre qu'étudier ettravailler.Poursapremièreannéedecompagnonnage ilavaitchoisi la région languedocienneafind’apprendre lamaîtrise de l'ébénisterie.Quoiqu'il en soit, après une longue semaine harassante, ilavaitdécidédesortirdécouvrirlaville.Ilavaitainsiaccompagnéquelques-unsdesescamaradesdechambrée sur la place de la Comédie, artère principale pour les jeunes à la recherche de sortiesnocturnesaucœurdelacitémontpelliéraine.Lorsquelajeunefemmeétaitentréedanslebar,ilavaiteu une sorte de coup de foudre. Il lui était impossible d'en détacher son regard si bien qu'elleremarquatrèsvitesontrouble.Avecbeaucoupd'humour,elleluitenditsaproprepairedelunettesdesoleil. Alors qu'il cherchait à comprendre le but de son geste, elle lui rétorqua qu'il devait êtresacrémentéblouiàforcedelafixerainsi.Puisilspartirentd'unrirecommunetPaulluiproposadeboireunverreensacompagnie.Aufildessemainesilsseretrouvèrentrégulièrementdanscemêmecafé pour refaire le monde le temps d'une soirée puis le plus naturellement du monde ilscommencèrentàsortirensemble.

Alorsqu'unsoirilluiavaitproposédelaraccompagnersursamoto,unchauffardgrillaunfeurouge devant eux, les percutant de plein fouet. Paul, qui n'avait rien vu venir, s'en sortit avec desérafluressurl'ensembleducorps,unbrasetunejambecassés.Sapassagèren'eutmalheureusementpas cette chance. Son corps avait été propulsé à plusieurs dizaines demètres de l'impact. LorsquePaul,sonnéparlachute,tournalatêtedanssadirection,ilnevitqu'unepoupéedechiffongisantsurl'asphalteavantdes'évanouir.CesfaitsremontaientàplusdedixansetPaulenressentaitencoreladouleur.

Cettesoiréedeconfidencesmefitalorsprendreconsciencequ'ilfallaitaccepterlesblessuresdupassé plutôt que d'essayer de les oublier, car un jour ou l'autre elles finissaient par remonter à lasurface.Pauletmoiétionsidentiques,deuxcœurségratignésparlesaléasdelavie,deuxâmesdontledestinfutscellélorsdecetterencontreunsoirdefévrier.

Deshautsetdesbas

«Jeresteconvaincuquel'onpeutvivreàdeux,d'unboutàl'autredelavie,enayantl'unpourl'autreunsentimentqueriennesauraitaltérer,faitdetendresseetderespect,deconfianceetd'amitié,d'amitiédanslesensle plus pur de ce mot. Je crois à l'amitié du mari pour la femme, etréciproquement.»SachaGuitry

La vie de couple ne semblait pas au demeurant aussi compliquée que je me l’étais imaginé.Rythmée par une routine apaisante, je savourais chaque instant passé avec Paul. Je découvrais auquotidien une nouvelle facette de sa personnalité avec toujours beaucoup d’étonnement. Tantôtespiègle,iladoraitmefairedessurprises,mêmesiellesn’étaientpastoujoursdetrèsbongoût.Unsoir alors que je rentrais du bureau,Paulm’attendait dans le salon, un grand sourire éclairait sonvisage.

—J’aiunesurprisepourtoi!melança-t-ilalorsquej’accrochaimavestesurleporte-manteau.—Laisse-moideviner,noussortons?—Perdu!Nonj’aiachetéunpetitquelquechosepourlamaison.—Génial!C’estquoi?—Ta, ta, ta...Jevais tefairedeviner.C’estgrandcommecela,ajouta-t-il toutenéloignantses

doigtsd’environdixcentimètres.—Ohlà,c’estpetit!Etenpluspourlamaison,jenevoisqu’unbibelot.—Nonraté,cen’estpascelanonplus,dit-ilenéclatantderire.Lepetitjeucontinuadelonguesminutes.Lassée,jefinispardonnermalangueauchat.Paulse

rapprocha de moi, me prit par la main et me fit asseoir sur le canapé. Que voulait dire tout cemanège?Ilarboraitunsouriremoqueurquicreusaitdessillonsdanssabarbenaissanteetseslèvresentrouvertes révélaient une rangée de dents légèrement jaunies par le tabac. S’asseyant surl’accoudoirducanapé,ilcontinuasesénigmes.

—Souviens-toi,jet’airacontéquej’enavaisdéjàpossédéunelorsquejevivaisàMontpellier.—Effectivement,jemesouviensbiendequelquechose,chuchotais-jeenpensantàlamotoavec

laquelleilavaiteucetaccident,maiscen’estpasladimensionquetum’asindiquée.—Maissi,mêmequej’avaisdûm’enséparercarmesvoisinsdedortoirenavaientlatrouille!—Non ! Tu n’as pas fait ça ! m’écriai-je alors que je perçais le mystère. Non, ce n’est pas

possible!Paul,ausummumdel’excitation,balançaitlatêtedehautenbas,ajoutantàmastupeur.—Commentas-tupuenacheterunesansm’enparleravant?fulminai-je.Tuconnaismapeur

desaraignées,mêmelespluspetites.Ettoituachètesunemygale!C’esthorsdequestionjen’enveuxpasici!

—Enfait,cen’estpaspossible,répondit-ild’uncalmeolympienalorsquej’étaishorsdemoi.—Commentcela?—Toutsimplementparcequ’elleestdéjàlà.Malgrémastupéfaction,jemerecroquevillaisurlescoussinsducanapé,jetantdescoupsd’œil

désespéréstoutautourdemoi.Jem’attendaisàvoirsurgirdenullepartcettemauditebestiole.Rien

quelefaitd’imaginersoncorpsvelumefaisaitdresserlescheveuxsurlatête.Jemelareprésentais,marronparseméedetâchesd’unorangeprononcé,sefaufilantdanstouslesrecoinsdelamaison,secachantprobablementsousunmeubleouayanttrouvélegîteaufonddemonarmoire.Cettedernièreimagemedonnalachairdepoule.J’étaisarachnophobedepuismaplustendreenfance,toutlemondeautourdemoiconnaissaitcettepeurviscérale.PourquoidiablePaulmefaisait-ilcetaffront?Jenepouvaispasmerésoudreàacceptercetanimalchezmoi.Dèsquej’eusretrouvéuntantsoitpeumesmoyens,j’eninformaiPaulquiéclataderireunenouvellefois.

—Nesoispassicraintive,jenelalaisseraicertainementpasenlibertéiciavectoi,elleestlà-hautdanssonterrarium.

—Pardon!Enplustul’ascolléedansmachambre!Jeneveuxpaslavoir,tum’entends!C’esthorsdequestion,lacohabitationestimpossible.

—Allez,c’estbon,calme-toi,ajouta-t-il,jevaismonteravectoi,tuverrasbienqu’iln’yarienàcraindre.

—Non,c’estnon!l’invectivai-je.Jenemettraipaslespiedsàl’étagetantquetunel’auraspasviréedechezmoi!

Vexée,jemecalaiscontreledossierducanapé,mesbrasenserraientmesgenouxrepliéscontremapoitrine.C’étaitelleoumoi.

Lasoiréesedérouladansuneatmosphèrepesante,quoiquetentaPaulpourmedistraire,riennepouvait ôter de mon esprit cette chose qui avait trouvé refuge à l'étage. Malgré la fatigue quim'étreignait, je ne pouvaisme résoudre à rejoindremon lit.N'ayant pas bougé d'un pouce depuisplusieursheures,jefinisparétendremesjambessurlecanapé.Jeroulailadoucecouverturepolairequienrecouvraithabituellementl'accoudoiretlacalaisousmatête.

—Tunevasquandmêmepasdormirlà,sifflaPaul.—Etpourquoipas?Tantquetabestioleseralà-haut,jen'ymettraipaslespieds.—Allezviens,mesupplia-t-ilalorsqu'ilcomprenaitqueriennemeferaitcéder.Iln'yapasde

mygale.Jevoulaistefaireuneblague.Tuyasbiencru,hein?ajouta-t-ilfierdelasupercherie.—Uneblague?relevai-jeincrédule.Çan'estvraimentpasdrôle.Étouffantunbâillement,jesaisislamainqu'ilmetendaitetlesuivisjusqu'àl'étage.Aprèsm'être

assuréequecen'étaitpasuneénièmerusedesapart,jemeglissaisouslacouetteetnetardaipasàm'endormir.

Au fil desmois, alorsque j'apprenais à connaître l'hommequipartageaitmaviedepuisnotrerencontre,ilarrivaitencoreàmesurprendre.Certeslesplaisanteriesétaientpluslégèresquel'affairede lamygale, toutefois jeme faisaisencore régulièrement surprendre. Jedécouvriségalementuneautrefacettedesapersonnalité.Paulétaitquelqu'und'opiniâtre,sicelapouvaitêtreunegrandequalitédanssavieprofessionnelle,auseinducouple,celaengendraitparfoisquelquespointsdediscorde.Un samedi matin, alors que je pensais profiter d'une grasse matinée avec celui qui se présentaitcommemonpetit-amidepuisquenousavionsofficialisénotrerelation,jefusconsternéedelevoirseleverauxaurores.Ilm'expliquaqu'ilavaitprisduretardsurunchantieretqu'iln'enauraitquepourquelquesheures.Jelelaissaidoncpartiràregretetpassaiunepartiedelajournéeàfairereluirelamaison, préparer le repas et me bichonner en attendant son retour. À dix-huit heures je n'avaistoujours pas eu de ses nouvelles, je commençai àm'impatienter. Je finis parme résoudre à dînerseule,puisjeregardaiunfilmenDVDlorsquelaported'entréefinitpars'ouvrir,laissantentrerunhommetitubantsousl'effetdel'alcool.Jefulminaiintérieurement.Poursaseuledéfense,ilinvoqualarencontreavecungrouped'amissitôtsortiduchantier,etpuisquecelafaisaitdesmoisquenousnevivionsquepournotrecouple,ilétaitpersuadéquejeneverraisaucuneobjectionàcequel'onpasseunesoiréechacundenotrecôté.Effectivementjetrouvaisterriblementalléchantel'idéed'unesortieavecmesamies,toutefoisilauraitfalluquejesoisinforméequ’ilnedaigneraitpasrentrercesoir-là.

J'avaisdoncpassé la journée et la soirée à l'attendre, cedont je lui fis la remarque.Aussitôt,Paulmontasursesgrandschevauxetmereprochaderetournerlasituationenmafaveur.Puisqu'ilestimaitquej'avaistortdelefustigerdelasorteetquejen'avaispasenviedemebattrepourunquiproquoquiàmesyeuxn'envalaitpaslapeine,jedécidaideluisouhaiterunebonnenuitetmontairejoindremonlit,qu'aufinalj'auraiseumieuxfaitdenepasquittercematin-là.CefutlapremièrefoisquePaulnevintpasmerejoindre.Lorsquejemelevailelendemainmatin,jefussurprisedeletrouverendormisurlecanapé.L'alcoolaidant,ilavaitdûs'assoupirpeudetempsaprèsnotredispute.L'odeurducafélefitémergerdesaléthargie.Vexéeparsoncomportementdelaveille,j'étaisassiseàlatabledelacuisine,tenantunetassedemonprécieuxbreuvageentrelesmains.Ilavaitmontréqu'ilétaittêtu,cen'étaitriencomparéàmoi,pensais-je.

—Tuasbiendormimonamour?demanda-t-iltandisqu'ilsepenchaitpourdéposerunbaiserdansmoncou.

— J'aurais certainement passé unemeilleure nuit si tu nem'avais pas fait une scène hier soirquandtuesrentré.

—Attends,c'estmoiquit'aifaitunescène,displutôtquetum'ashouspilléavantmêmequejenetedonneuneexplication.

Je sentaisque la situationallaitm’échapper,Paul était sur ladéfensive.D’unepetite anicrochesansgravité,sijeneprenaispasgardecelapouvaitrapidementsetransformerenaffaired’État.

—Euh,excuse-moimaisturetournesencorelasituationentafaveur.Quiest-cequit'aattendutoutelajournéeetlasoiréehier?Etquin'apasdaignépasserunseulcoupdefilpourprévenirqu'ilnefallaitpasespérerlerevoirdebonneheurecommeill'avaitpromisavantdepartir?

—Ahc'estjusteparcetut'esretrouvéetouteseuleenfait?—Non,c'estjustequesituannoncesnepasenavoirpourlongtemps,celasous-entendquetuvas

rentrertôtetquel'onpourrapasserlajournéeensemble.—Oh,excusez-moiMadame,conclut-ilenmettantdel'emphasedanslederniermot.Jesuistout

àvousaujourd'hui,vouspouvezdisposercommebonvoussemble.—Inutile,fis-je,aujourd'huijesorsavecmesamies.Touten lui répondant, jem'étais levée,avaisattrapémonsacàmainetmesclésdevoiture.Je

franchis laportesans luidonner le tempsderépondre.Bienquejen’eussepasfomentécettepetitevengeance,j'étaisbeletbiendécidéeànepasreproduiredanscettenouvellerelationleserreursquej'avais pu commettre avec Marc. Avec le recul, je pensais avoir compris d'où provenaient lesdysfonctionnements dans notre couple. Je n'avais pas été assez ferme dansmes rapports avec lui,surtoutlorsqu'ilyavaiteulieud'affirmermapersonnalité.Eneffet,ilétaitdequatreansmonaîné,etbien qu'ilm’ait demandémon avis sur bon nombre de sujets, je le laissais prendre la plupart desdécisions,estimantqu'ilsauraitprivilégierlebien-êtredenotrecouple.Jel'avaisrencontréàdix-neufans,aussiMarcavaitétémonpremieramour,celuidanslequelj'avaisprojetétousmesrêves,commelorsqu'unepetitefilles'imagineleprincecharmant,lachuten'enavaitétéqueplusbrutale.Désormaisjesavaisexactementcequejenevoulaispas.Ilétaitdevenuinconcevablequemonpetit-amiprennel'ensemble des décisions qui pouvaient affecter notre relation de couple. Il n'était pas question devivre isolés dumonde entier, loin de là, cependant s'il voulait le tempsd’une soirée retrouver sesamis,qu'àcelanetienne,il luisuffisaitdem'enparlerpourquejepuisseégalementorganisermessorties. Après tout, l'époque de la femme au foyer attendant patiemment - tout en ayant abattu laplupartdescorvées-quesonépouxconsenteàrentrerchezluiaprèssajournéedelabeur,cetemps-là était indiscutablement révolu. Nous vivions au vingt-et-unième siècle, la société et les mœursavaientévoluétoutcommeledroitdesfemmes.Nosaïeuless'étaientbattuespourleurémancipation,magénérationn'allaittoutdemêmepaseffectuerunemarchearrièresousprétextedefaireplaisiràl'hommequel'onaime.Toutenpoursuivantmaréflexion, jemerendiscomptequejeprenaismon

caspourunegénéralité,monmal-êtrenevenaitpasdufaitquejemesentaisflouéedansmeslibertésen tantquefemme,maisparceque j'avaisdumalàavouerquemessentimentsenversPaulavaientévoluéetquesoncomportementdelaveillemelaissaitprésagerqu'iln'enétaitpasdemêmepourlui.

Versmidi, je reçuunappeldans lequel ilmedemandaitd'un tonbadinsi la journéesepassaitbien.

—Toutvabien,répondis-jedumêmeairdétaché,alorsquej'avaispassélamatinéeassisedansmavoitureàrepasserenbouclelasoiréedelaveilledansmonesprit.

Sous l'effet de la colère, j'avais d'abord pris la direction du petit village dans lequel résidaitChristelle, puis il m’était venu à l'esprit que je ne pouvais décemment pas l'embêter avec mesproblèmesdecoupleaprèsl'offensequ'elleavaitressentielorsquePaull'avaitrejetéepourmoi.Ellene m'avait quasiment pas adressé la parole depuis lors. Par ailleurs, cela faisait des mois que jenégligeais toutes les personnes avec lesquelles je sortais auparavant si bien qu'en cettematinée dejuillet, je n'avais aucune idée de qui contacter. Je passai donc mon temps en réflexions de toutessortes. Je m'étais garée sur le petit parking d'un restaurant côtier, laissant mon esprit divaguer àmesurequemonregardseperdaitdanslesvaguesquivenaientmourirsurlesgaletsenfacedemoi.

—Jenet'entendspasbien,ajoutaPaul,oùes-tu?—Jemepromèneenborddemer,mentis-jeàmoitié.Aprèstoutj'étaisbiensurlelittoral,quant

àlapromenadeelleétaitspirituelle.—Tuenaspourlongtemps,risqua-t-il?—Jenesaispas,pourquoi?—Etbien,euh,commentdire…—Ouijet'écoute,ajoutai-jealorsqu'ilpeinaitàtrouversesmots.—Jem'ennuie,lâcha-t-iltoutàcoup.J'aieutort.Tuveuxbienreveniràlamaison?J'aibesoin

deteparler.—Soit,jeveuxbienécoutercequetuasàmedire.—Paspartéléphone,jeveuxteledireenface.—Laisse-moitrenteminutes,letempsdereprendrelaroute,prononçai-jeavantderaccrocher.La porte s'ouvrit dès que je fus stationnée devant chez moi. Paul m'accueillit avec un timide

baiseravantdemeprécéderàl'intérieur.Ilpritmavestetandisquejedéposaimonsacsurlatabledelacuisine.

—Hum,çasentbon,lançai-jealorsqu'unedélicieuseodeursedégageaitdufour.Tuascuisiné?—Oui,tuasfaimj'espère,j'aipréparéunrôtiorloff,c'estl'undesraresplatsquejeneratepas.—C'estlapremièrefoisquetucuisinespourmoi,commentai-je.C'estgentil.—Jemesuisditqu'ilfallaitquejerattrapelecoup,avantd'ajouterplusbas,j'aimerdéhier.—Jenetelefaispasdire…— Avant que tu ne me passes un savon, me coupa-t-il, je voulais m'excuser pour mon

comportement.Jenesaispascequim'apris.—Jepenselesavoirmoi,répondis-je.—Ah?—Un,tut'esditquenouspassionstoutnotretempslibreensemble,etdonctuauraspenséqu'une

soiréeavectesamispouvaitêtresympa,non?Deux,tun'aspastrouvéutiledemeprévenirpuisquejeseraiscertainementraviedepasserdutempsavecmesamies,ettroistunet'espasditunseulinstantquejepouvaism'inquiéterdenepastevoirrentrer.

—Tu as terminé ? demanda-t-il, puis comme je ne répondais pas, il continua. Tu as réussi àanalysertoutcelaàpartirdemonseulcomportement?

— C'est la seule raison que j'aie pu trouver, mentis-je. Je ne voulais pas lui avouer lesconclusionsquej'avaisputirerdemesprécédentesréflexions.

—Bon,tun'aspasentièrementtort.Vienst'asseoirprèsdemoi,tuveux?Ilfitunepausependantquejeprenaisplacesurlecanapé,iltapotaitnerveusementsonpaquetde

cigarettes, avant d'en sortir une, l'allumer, puis l'éteindre aussi vite dans le cendrier, avant de larallumer. Il tira une bouffée et recracha la fumée en volutes bleutées.Calée contre l'accoudoir, uncoussinposésurlesgenoux,j'attendispatiemmentqu'ilsedécideàparler.

—J'aibeaucoupréfléchicesdernierstemps,commença-t-il.Je n'aimais pas cette entrée en matière, mon rythme cardiaque accéléra sous l'effet de

l'appréhension.—Qu'enas-tutiré?lequestionnai-je.—C'estcompliqué,tuvoislorsquejet'airencontrécesoir-là,jet'aitrouvécharmanteetdrôle,

puisj'aieucetteenviesubitedet'embrasser.—AugranddamdeChris,ajoutai-jeensouriant.—Oui,maisàcôtédetoielleparaissaittellementtransparente.Jedécidaidenepasrelevercettenouvelleoffensefaiteàl'encontredemonamie.—Oùveux-tuenvenir?continuai-je.—Etbien,euh…Paulcherchaitsesmots,iltiraunenouvellefoissursacigarettepoursedonnerducourage.—Audébut,reprit-il,jepensaisjustepasserdubontempsavectoi,riendeplus.Sa remarque me fit l'effet d'une douche froide même si je m'y étais préparée. Devant mon

silence,iltentades'expliquer.—Tusaisquejesorsdeplusieursmoisdecélibat,aprèseuh…Enfaitvoilà,selança-t-il,depuis

cetaccidentàMontpellier,jen'aijamaiseuderelationsérieuseavecunefemme.J'aitoujourseupeurdem'accrocher etde souffrir ànouveau.C'estpour celaque je fais lepitre sans arrêt.Pour éviterqu'ellesne s'attachent tropàmoi.Alorsquand les choses semblentdurerunpeu trop longtempsetqu'ilyaunrisqued'attachement,jeprendslelarge.

—Etc'estcequetuvasfaire?hasardai-jetotalementincréduledevantsonaveu.—Non.—Non?Jenecomprendspas.—Etbientoutsimplementparcequecettefoisjen'aiplusenviedefuir.Cematinlorsquetut'es

sauvée,j'aicomprisquej'étaisallétroploin,quejerisquaisdeteperdresijenechangeaispas.Etçam'afaitpeur.

Jem'étaisapprochéedePaulenentendantsaconfession,unsourirebéatéclairaitmonvisage.—Tuveuxdirequetuasenvied'unevraierelation?—Oui,fit-ilenmeserrantlamain,jen'aipascessédetournerdanslamaisoncematin,jesuis

vraimentdésolésijet'aifaitdumal,j'aienviequenousformionsunvraicouple,jecroisbienquejesuisamoureux,déclara-t-il.

—Oh,Paul!C'estvraimenttouchant,lançai-jeenmejetantàsoncou.Lorsquenosbouchesserencontrèrent, lacarapacedanslaquellejepensaisavoirenfermémon

cœursedésagrégeapourdebon.Aprèspareillerévélation,jesentisquejepouvaisànouveauaimerpleinement.Nouspassâmeslerestedel'après-midienlacésl'uncontrel'autre,oubliantnotrerepasetsavourantlebonheurdenousêtreavouénossentimentsmutuels.Ilsemblaitqueplusriendésormaisnepouvaitentachernosvies.

Nous retrouvâmesdès lorsnoshabitudesdespremiersmoisdeviecommune,àcelaprèsquePaulmeprésentaàsafamille.Larencontreeutlieuàl'occasiondespréparatifsd'unefêteorganiséepourledépartenretraited'uncousindesamère.Jemeretrouvaiainsiassiseàlagrandetabledelasalle àmanger deRéjane et François, les parents dePaul, en compagnie des enfants du cousin enquestion. La discussion allait bon train lorsque nous arrivâmes si bien que Paul me présenta

rapidementetnous fûmes invitésàprendreplaceaveceuxafindedonnernotreavis sur lecadeauprésélectionné. Je ne me sentais absolument pas à ma place aussi je gardai le silence tout endévisageantl'assemblée.Alicia,lafillecadettedufuturretraitéétaitinstalléefaceàmoi,toutefoisellesemblait faire abstraction de tout ce qui l'entourait. Plongée dans ses pensées, elle jouaitnonchalammentavecsesbouclesrousses.Réjane,assiseàsadroite,menaitletourdetabled'unemaindemaître.Equipéed'uncahier,ellenotaittouteslesidéesquiémanaientdesunsetdesautres,lorsquetoutàcoupellesetournaversmoi.

—Ettoi,tuenpensesquoi?medemanda-t-elle.— Euh, pour tout vous dire, je n'en ai aucune idée, m'excusai-je, surprise d'être invitée à

participer. Je ne connais pas votre cousin, ajoutai-je, aussi je serais bien mal placée pour vousimposermonopinion,

—Tun'as pas besoin de t'excuser,me lançamon petit-ami avant de reprocher à samère sonmanquedetactquin'avaitpourobjectifquedememettremalàl'aise.

Jefussurprisedel'interventiondePaul,d'autantplusquejenesoupçonnaispassamèred'avoiragi volontairement. Par ailleurs, le ton qu'il avait employéme sembla si froid que j'eus dumal àcroirequ'ilprovenaitdemonbien-aimé.Lorsqu'unefoisrentréscheznousjeluienparlai,ilfitminedenepascomprendremonétonnement.

—Tuasdûconfondreavecquelqu'und'autre,répondit-il.—Commentpourrais-jeavoirconfondu,tuesleseulàavoirprismadéfense.—C'estpeut-êtremonfrèrejumeau,ajouta-t-il.—Hum,tonjumeau,maisbiensûr!Tuasunfrèrecachémaintenant,ironisai-je.—Pascaché,c'estjustequetunel'avaispasencorerencontré.Paulsemblaitd'humeurtaquinecesoir-là,jedécidaidoncdepoursuivresonpetitjeu.—Ahetbienparle-moidoncdetonjumeau,comments'appelle-t-il?—Sylvain.—Etvousêtesdevraisoudefauxjumeaux?—Nonnousnousressemblonscommedeuxgouttesd'eau.Pourquoitoutescesquestions?—Etbien,jechercheàensavoirplussurtonsoi-disantfrère.—Maisilesttoutcequ'ilyadebienréel!renchéritPaul.Toutàcoup,jen'étaispluscertainedequimenaitlejeu.—Danscecas,pourquoin'as-tudoncjamaisparlédelui?—Tun'aspasbesoindetoutsavoir,merabroua-t-il.—Jecroyaisqu'iln'yavaitaucunsecretentrenous !C'estvraiaussique tunem'avais jamais

parlédesrelationstenduesavectamère.—Maisellesnesontpastendues,qu'est-cequeturacontes?—Maisalorspourquoil'as-turéprimandéetoutàl'heure?—Tufaisexprèsdenepascomprendre!Jet'aiditquec'estSylvainquiaprislaparole.Je n'y comprenais décidément plus rien, estimant que les blagues les plus courtes étaient bien

souventlesmeilleures,jetentaidemettreuntermeàcettesupercherie.—Ok,alorsonreprenddepuisledébut.Tonpèreétaitenboutdetable,àsagaucheilyavaitton

oncleMichel,safemme,toi,moi,toncousinAlexandre,sasœurAlicia,etenfintamère.C'estbiencela?

—Ouipresque,saufquejen'étaispasàcôtédetoimaisdehorsentraindefumer,jedétestecegenrederéuniondefamille.

—Mais qui donc était-ce àmes côtés ? Il me semblait pourtant que je te caressais la cuissependanttoutelaconversation,cequin'avaitpasl'airdetedéplaire.

—Oh!Jepensequemonfrèreenauraétéravi,renchérit-ildansunéclatderire.

Soudainaffoléeparlapotentialitédel'existenced'unjumeau,j'essayaiderepasserlafind'après-mididansmonesprit.Sepouvait-ilquePaulaitditvraiou se jouait-ilunenouvelle foisdemoi?Dans lepremiercas, jedevraisêtremortifiéeà l'idéed'avoirconfondumonamantavecsonfrère,dans le second cela neme faisait plus rire du tout. Je commençaismême à suspecter l'éventualitéd'unedoublepersonnalitéchezPaul,toutefoiscecasdefiguren'étaitprobablementquelerésultatdemonespritéchafaudantunenouvellethéorieducomplot,aussijefistairesurlechampcetteangoissequicommençaitàpoindreauxconfinsdemoncerveau.Commentpouvais-jeêtrenaïveaupointdesuspecter un trouble psychologique chez l’hommequi partageaitmavie ? Il fallait que jemanquegravementdeconfianceenmoipourcéderaussifacilementàlaparanoïa.Enfin,Paulsavaittrèsbienmemenerenbateaulorsqu’ilvoulaitplaisanter,quitteàuserdetouslesstratagèmespossiblespourque je finisse par tomber dans le piège. Je décidai donc de stopper le jeu avant de m’y perdrecomplètement,secouantlatêtejeluiannonçaiqu’ilavaitgagné,qu’ilm’avaitencorefaitmarcher.

— Et bien, il t’en aura fallu du temps ! s’exclama-t-il triomphalement. Je te pensais plusintelligentequeça.

Agréable remarque, pensai-je sans toutefois relever, cette joute verbale m’avait épuisée.J’aspiraisdésormaisàterminerlasoiréedansleplusgrandcalme.

Desprojets

«Construireuncouple,c'est seprojeterdans l'aveniravecunprojetdevie,àbâtirencommun,etpouvoirallerau-delàd'unprojetdevieàdeux,envisagerdefonderunefamille,d'éleverdesenfants,des'engageraussipoureux!»JacquesSalomé

Décembre2002Cela faisait un peu plus d’un an que j’avais emménagé et j’étais de nouveau dans les cartons.

J’aimais beaucoup cette petitemaison de ville dans laquelle j’avais réappris à aimer, cependant sataillen’étaitpasfaitepouraccueilliruncouple.Certesdanslespremiersmoisdeviecommune,Paulet moi ne supportions pas d’être éloignés l’un de l’autre très longtemps. Dorénavant, noussouhaitions pouvoir nous adonner à nos occupations favorites sans pour autant gêner l’autre. Jevouaisunepassionpourlalecture,enparticulierpourlesromanspoliciersaussij’aspiraisaucalmeafin de pouvoirm’y plonger en toute quiétude. Paul de son côté était un bricoleur né, il en avaitd’ailleurs fait sonmétier, c’est pourquoi il avait besoin d’espace. Pour travailler d’une part,maisaussi parce qu’il commençait à se sentir à l’étroit dans les quarante-cinqmètres carrés de ce petitlogement.Ainsidèslafindel’été,nousétionspartisenquêted’unendroitplusgrand.Bercéepardedouces illusions, j’imaginaisbien sûrquenous trouverionsunemaison tout confort entouréed’unvaste jardin, le toutdansunbudget très serré.Aufildesvisites,monespoir s’amenuisait.Sous lesconseilsdemoncompagnon, j’envisageaisdonc sérieusement lapossibilitéd’achetermapremièremaison.J’avaispourtantaudépartrejetél’idéeenbloc.

—Tu n’y penses pas, je n’aurai jamais lesmoyens d’acheter unemaison, je n’ai déjà pas lebudgetpourlouer,expliquais-jeàPaul.

—Riennet’empêchedeterenseignerauprèsdetabanque,aprèstouttupayesbienunloyertouslesmois,tupourraisenvisagerderembourserunempruntdelamêmesomme.

—C’estpossibleeneffet,maislabanquevamedemanderdesgaranties,jen’enaiaucune.Deplus, jenemevoispasemprunteravec toi, sansvouloir t’offensermaisnotrecoupleestbien tropjeunepours’engagersuruneaussilonguepériode.Etquandbienmêmelabanqueaccepteraitdemeprêter,vulemontantdemesloyers,queveux-tuquej’achète?Uneruine?

— C’est exactement ça, tu n’es pas obligée d’acquérir un palace, ajouta-t-il devant ma minedéfaite.Ilnoussuffitdequatremursetunecharpenteenétat,ensuitejeteretapetoutça.

—L’idéeestagréable,maisenattendantdefairedestravaux,oùvivrons-nous?— Et bien dans ta future maison ! Il suffit d’aménager un coin habitable pendant que nous

engageonslestravauxdel’autrecôté.DécidémentPaulavaitréponseàtout.Àvraidire,celamerassuraitdelevoirconvaincuparses

propos.À l’écouter, il n’y avait jamais d’embûche, tout problème avait une solution et il semblaittellementsûrdelui,qu’àluiseulilauraitsoulevéunearmée.Soit,ilfallaitbiencommencerquelquepart,jeprisdoncrendez-vousauprèsdelabanqueafindem’assurerqueceprojetétaitviable.Quellene fûtpasmasurprised’apprendrequecompte tenudemasituationprofessionnelle, labanquemesoutiendraitdansmonprojet.Ellem’accordaitmêmeunprêtcomplémentaireafindepouvoiracheterles matériaux nécessaires à l’aménagement demon futur logement. Il neme restait plus qu’àme

mettreenquêtedemaprochainepropriété.Aveclebudgetdontjedisposais,jenem’attendaispasàdénicherunemaisonrécente,jen’imaginaispasnonpluslaquantitédedemeureslaisséesàl’abandondanslarégion.J’allaisderuinesenvieilleriesdansl’espoirdetombersurcellequinécessiterait lemoins de travaux mais surtout dans laquelle je pouvais me projeter. Or jusqu’à présent, aucuned’entreellesnem’avaitintéressées.Jem’apprêtaismêmeàbaisserlesbraslorsquePaulm’annonçaavoirdégotéuneénièmeannoncedebienàvendre.Ilconnaissaitmêmelequartieroùilétaitsituéetm’assurait que cela valait la peine de s’y rendre. Nous prîmes donc rendez-vous avec l’agenceimmobilièrepourlesurlendemain.Paulsemblaitsurexcitéàl’idéed’avoirenfintrouvélaperlerare.Autermedenombreusesvisitesinfructueuses,jenepartageaispluslemêmeentrain,j’attendaisdoncdevoirparmoi-même.

Ainsilevendredisuivantnousnousrendîmesdanscettepetitevillecôtièrequej’affectionnaisoùnousattendaitleresponsabledel’agence.Aprèsnousavoirsalués,ilnousfitmonterdanssavoiture,uneberlinerutilantequisentaitbonlecuirneuf.Lamaisonquisesituaità lapériphériede lavilleoffraitdebellesopportunitésselonlediscoursdel’agentimmobilier.Ilnousfitl’élogedelarégionetdupatrimoinelocaltoutennousconduisantàtraverslesruesétroitesdelacitémédiévalequiavaitaccueilliGuillaumeleConquérant,alorsDucdeNormandielorsdesonembarquementen1066pourlaconquêtedel’Angleterre.Paulquiétaitpassionnéd’histoirecontinualaconversationavecl’agentimmobiliertandisquemespenséesseperdaientdanslacontemplationdelaville.Jemesouvinsalorsavecunepointedenostalgiedes longuespromenadesquenous faisions le longduquai avecmongrand-père, puis nous suivions l’estacade en bois jusqu’à la plage. J’aimais beaucoup cetteatmosphèreparticulièrequisedégageaitdecetendroitetmeplaisaisàpenserque jepourraism’yétablirsansproblème.

Lavoituresegaraauborddecequ’ilmesemblaitêtreunterrainvague.Alorsqu’ilcoupaitlemoteur,l’agentimmobiliersetournaversnous.

—C’estici,déclara-t-il.C’était donc cela l’avant de la propriété, pensais-je. Le terrain qui devançait la maison était

couvertdemauvaisesherbes,deroncesetdetasdegravatsépars,quilaissaientimaginerceàquoinous devions nous attendre en pénétrant à l’intérieur des locaux. Paulme questionna du regard, ilavaitpourtantl’airplusdétenduquemoi.Jehaussaislesépaules,assuréedesortirunenouvellefoisdéçuedelavisite.Quelquesconifèresbordaientl’extrémitéduterrainmasquantainsiunepartied’unhangar agricole avoisinant. Quant à l’autre côté, il était délimité par des bâtiments en torchis. Jecomprenaismieuxl’enthousiasmedePaul.Ilavaitdûvoirlepotentieldel’immeublecomptetenudesonactivitéprofessionnelle.Illuiseraitpossibled’yaménagersonatelierd’ébénisterie.Encequimeconcernait, je restais sceptiquequant à lavuede lavieille façadeblanche.Laported’entrée faisaitgrisemine ; son vitrage était simince que le seul fait de le nettoyer aurait suffi à le casser et lepanneau bas de la portemenaçait de bientôt céder. L’agent immobilier se débattit avec la serrure,ouvritlaporteetnouslaissapénétreràl’intérieur.

Uneodeurâpre,mélangedepoussièreetd’humiditémepritàlagorge.Lorsquenousentrâmesdans lapremièrepièce, le tonfutdonné; toutétaitàrefairedanscettemaison.Lesmurs intérieursétaientenpartierecouvertsd’unvieuxpapierpeintàfleurs.Icietlàdeslambeauxsedétachaientdesmursàcausedel’humidité.Auplafond,lesplaquesdepolystyrènemanquanteslaissaientapparaîtreunsolivageensapinquiàpremièrevueplaisaitàPaul.Ilmechuchotaqu’illuiseraitaiséd’aménagerun étage grâce à la disposition des solives. Pour moi, ce n’était vraiment pas aussi facile de meprojeter.D’unepièceàl’autre,l’agentimmobiliernousnarraitlespossibilitésd’aménagement.Paulprenait desmesures, les reportait surunbloc-notes, traçait des croquis et imaginait déjà ce àquoiauraitressemblécettemaisonunefoisrénovée.Pourmapart jen’yvoyaisencorequ’unchampderuinesquimettaitàmalmonbudgettravaux.Jecontinuaitoutefoislavisiteversl’arrièredelabâtisse.

Une succession de petites fenêtres donnaient sur le patio. Pour la première fois j’imaginai lesremplacerparunebaievitréeafind’apporterplusde lumièreà lapièce.Lorsquenouspénétrâmesdans le jardin, je fussurprisedevoirque la façadeétait recouverted’unenduitciment.Sacouleurgrisesemariaitparfaitementaveclanatureenvironnante.Toutàcoupmonregardseportaauloin.Leterraindescendaitenpentedoucelaissantdeviner,àtraverslavégétationquiavaitreprisledessus,uncheminquiserpentaitjusqu’àlabaie.Jerestaisunmomentàcontemplercettevue.LorsquePaulvintmerejoindre,ilcompritàmonregardquejevenaisdetomberamoureusedecetendroit.Pasdelamaison en elle-même car l’étendue des travaux me faisait peur, et ce malgré l’enthousiasmedébordantdemoncompagnon.Non,c’était lavuequimeravissait. Jemevoyaisdéjà installerunepetitetabledebistrotdanscejardinetprofiterdeladouceurestivalepourdéjeuneraucœurmêmedelanature.

Surlecheminduretour,Pauljubilait.Cettemaisonétaitàlahauteurdesesespérances.Unefoisrentrécheznous, ilm’exposases idéesd’aménagementsansmelaisser le tempsd’yréfléchir.Àlavuedesescroquis,c’estvraiquejetrouvaisleprojetdeplusenplusalléchantnéanmoinsmaréservehabituellem’obligeaitàlefreinerdanssesélucubrations.Ilnousfallaitresterréalistes,l’importancedestravauxétaittellequemonbudgetnesauraitêtresuffisant.PourtantPaulétaitdéterminé.Iln’eutdecessedurantlesjoursquisuivirentlavisitedemeprouverlaviabilitéduprojet.Iléchafaudadenombreuxplansdechacunedespiècesafinquejepuissemeprojeterdansseschimères,sibienqueprèsdetroissemainesaprèsnotrerendez-vousavecl’agent immobilier, jesignai lecompromisdevente chez lenotaire toujours aveccemélanged’appréhensionetd’excitationquim’accompagnaitdepuis que je fréquentais Paul. Enfin j’allais devenir propriétaire ! Je n’aurais jamais cru celapossible à mon âge. C’était son caractère pugnace qui me poussait à franchir les limites que jem’imposaisàmoi-même,sanssatéméritéjen’auraisjamaisosésortirdemoncoconetprendredesrisques.Désormais lesdésétaient jetés, l’accomplissementdeceprojet étaitbasé surmes financesalliéesausavoir-fairedemoncompagnon.Pourvuqu’ilnemelâchepasencoursderoute,priais-je.

L’union(sacrée)

«Lemariage, c'est un joli voyage engondole sous les ponts deVenise,puisaprèsquelquesannéesàavoirbienraméetgaléré,chacundesdeuxépouxrentreàlanageenpleurantchezsesparents.»Maxalexis

Les premiersmois qui suivirent l’achat de lamaison furent ponctués de doutes. Le début destravauxavaitétéseméd’embûches,lacharpenten’étaitpasaussisolidequ’elleenavaitl’airetc’étaitde ce fait tout un pan de la toiture que nous avions eu à consolider, entraînant des fraissupplémentaires.Nous.J’auraisdûdirePaul,carc’étaità luiqu’incombaient la totalitédestravaux.Apparemment je n’étais plus là quepour régler les factures.Paul avait dessiné tous lesplans, pristouteslesdécisionsd’aménagement.Bienévidemment,jen’avaispaseud’autrechoixqued’écouteretmefieràsesconseilsaviséspuisquelemondedubâtimentm’étaittotalementinconnu.Parfoisjeregrettais dem’être laissé embarquer dans cette aventure.Qu’adviendrait-il simon compagnon seblessait,arrêtaitdetravailleroumêmes’ilmequittait?Jemeretrouvaisdésormaistributairedesonbonvouloir,unesorted’épéedeDamoclèsm’obligeantinconsciemmentàfairetrèsattentiondenepaslebrusquer.Celam’étaitarrivéunefoisaudébutdestravauxalorsquejevenaisderentreràlamaisonaprèsunejournéedetravaildesplusharassantes,ouplutôtsurlechantierquiconstituaitmondomicile. En effet, Paul venait de perdre son emploi et occupait ainsi tout son temps libre à larénovationdulogis.Depuisnotreemménagementdansl’ailegauchedelamaison,ilavaitabattudescloisons, les remplaçant par des bâches le temps de gérer les travaux de l’aile droite. J’étaisdésormais habituée à trouver la pièce centrale encombréed’outils, dematériaux et accessoirementrecouverts d’une importante couche de poussière, qui s’immisçait également du côté où nousvivions.Jen’enpouvaisplusdedevoirfaireleménageàfondtouslesjours.Paulmedisaitquecelane servait à rien, que le lendemain j’en trouverais autant sur les meubles, cependant cela allait àl’encontredemeshabitudes.Vivresurunchantiersoit,danslapoussièrepermanente,non!Cejour-là, alors que Paul s’activait sur la toiture avec deux de ses amis, j’entrais donc dansma zone deconfort comme ilmeplaisaitde l’appeler.Soudainmonsangne fitqu’un tour, ils avaientdéjeunédansnotreespacecuisineetm’avaientlaissélavaissellesaleéparpilléesurlatableentrelescanettesdebièrevides.Lacasserole,encoremaculéeduragoûtdemoutonque j’avaispréparépour lesoirmais dont ils n’avaient rien laissé à part des tâches de sauce sur la nappe, avait été négligemmentposéedansl’évier.JefulminaislorsquePaulentradanslacuisine.Ilm’avaitvuarriverdepuislehautde l’échelleetétaitdescendumesaluer lesourireaux lèvres.Cefutunregardnoirqu’il trouvaenréponse.Commeilnecomprenaitpasceque je lui reprochais, je luimontrai ladésolationquesesamisetluiavaientlaisséedanslapièce.

—Sijepassemontempsànettoyerlestravauxn’avancerontpas,déclara-t-il.—Jenedemandepasquelapiècesoitrutilante,lâchai-je,maisjusted’avoirunpeuderespect

pourmontravail.Vousauriezaumoinspudébarrasserlatableettoutposeràcôtédel’évier.Etça!ajoutai-jeendésignantlescadavresdebouteilles,vousauriezpulesjeter,maintenantlapièceempestelabière.Enplusaveclapoussièreambiante,jenepeuxrienouvrir.

—T’asbientôt finide teplaindre?fulminaPaulàson tour.Pendantque tu te lacoulesdouce

dans ton bureau, nous on trime pour finir les travaux de ta maison. Et voilà comment tu meremercies!

—Jetesignalequetuyvisaussidanslamaison,répliquais-je.Tupourraiscomprendrequeçan’estpasagréablederentreretdetrouvertoutenbazar.

—Çanemedérangepasàmoidevivredanslapoussière,déclara-t-ilavantdesortirdelapièce.—Allezlesgars,lajournéeestfinie,cria-t-ilàl’attentiondesesamis,Madameenamarredela

poussière.Ainsi, pour une remarque fondée le chantier fut à l’arrêt pendant près de trois semaines.

J’enrageais intérieurement car ce qui avait paru être un rêve desmois auparavant était en train dedeveniruncauchemar.Petitàpetitjemedécourageais.PuisquecelanerebutaitpasPauldevivredanslapoussièreehbienj’allaisluiendonner.Moiaussijepouvaisêtrecabocharde.Tantquelechantiern’eutpasrepris,j’arrêtaisdefaireméticuleusementleménagetouslessoirs;alorsqued’habitudejepréparaisd’avancemespetitsplatspourledîner,désormaisnousnemangionsplusquesurlepouce.Auboutdequelquesjourslatensionentrenousétaitdevenuepalpable.Jenesavaispascombiendetempsjepouvaistenirnéanmoinsjenevoulaispascéderdevantmoncompagnon.Commeill’avaitmartelé,lamaisonm’appartenait,cen’étaitdoncpasàluidefairelaloidansmademeure.FinalementPaul sentant ma détermination se ravisa, les travaux reprirent tout commemes tâchesménagères.J’avaisréussiàluiopposersuffisammentderésistancepourquel’équilibreserétablisseentrenous,dumoins tantque les fonds furent suffisantspouracheterdesmatériaux.Unanplus tard, lesdeuxailesdelamaisonn’avaientétéqu’enpartierénovéescarlecréditn’avaitpasétésuffisantcommejel’avais craint lors de la visite. Paul qui avait continué d’acheter des matériaux pour lesquels jerecevaisdes facturesmensuelles,mettaitàmalmonbudget.Je luienavais faitpartdenombreusesfois,luidemandantderalentirlesfraistoutensachantquecelasignaitl’arrêtdestravaux.

Dorénavantunnouveauprojetnousoccupait.Contretouteattente,Paulavaitémislesouhaitdes’engagerunpeuplusdansnotrerelationetm’avaitdemandéeenmariage.Lacérémoniedevaitavoirlieuàlafindel’été2004.Nousétionsenpleinspréparatifsouplutôtdevrais-jepréciserquePaulmelaissait gérer l’organisation dumariage. J’étais aux anges puisque totalement libre demes choix.J’avaisvisitéetsélectionnélelieudelafêtequisuivraitlacérémonie.Celle-ciseraitcivilecarnil’unnil’autren’étionscroyant.Mamèrem’avaitaccompagnéepourchoisirmarobeetj’avaiscommandéle costume de mon futur époux sur internet pour qu’il puisse l’essayer en présence d’une amiecouturière qui s’occuperait des éventuelles retouches. Le DJ était une connaissance en qui j’avaissuffisammentconfianceaussilechoixdel’animationmusicalenefutpastrèscompliquéàmettreenplace.Lesfaire-partvenaientd’êtreenvoyésetlespremièresréponsesarrivaient.Ilnemerestaitplusqu’à gérer l’organisation du repas avec nos deux familles. La nouvelle de notremariage en avaitsurprisplusd’unmaistousavaientinsistépourparticiperfinancièrement.Celam’enlevaitunesacréeépinedupiedcarducôtédePaul la famille était très étendue.Quiplusest, ils étaientunis aussi ils’avéraitcompliquédesélectionnerlesconvives.C’étaitbeaucoupplusfacilepourmoiden’inviterque les plus proches membres de ma famille : parents, grands-parents, sœur, oncles et tantes etquelques rares amis.Nous fûmes alors conviés à un dîner chez les parents de Paul dans le but dechoisir lemenudenotre repasdemariage.FrançoisetRéjaneavaient fait appelàun traiteurpournousprésenterdiversassortimentsd’entréesetdeplats.Arrivéslégèrementenretard,nouseûmeslasurprisededécouvrirquemesparentsavaientétéégalementconviés.

—Tuétaisaucourant?s’enquitPauld’unaircontrarié.—Non, répondis-je simplement,mais c’estunebonnechose,nouspourrons tousnousmettre

d’accord.—Situledis,conclut-ilenpénétrantdanslasalleàmanger.Jen’aurais jamais imaginéqu’unenouvellecrisecouvaitautourdespréparatifsdumariage.À

peine le dîner commencé, Paul s’emporta contre ses parents. Le traiteur qu’ils avaient sélectionnén’étaitpasàsongoût.Nonpasqu’ils’agissaitd’unequestionculinaire,maismonfuturépouxavaitconnu quelques démêlés avec l’un des cuisiniers quelques années auparavant. C’est qu’il avait larancunetenace.Jetentaidoncdeleconvaincrequecetteanimositéenverslecuisiniernedevaitpassuffireàmettreenpérillasoirée.Ilnoussuffiraitdenousassurerquecettepersonnen’officiepassurnotrerepasdemariage.Latensionayantmontéd’uncran,jemetenaissurlequi-viveespérantqueplus rienneviendrait l’offenser.Monpère toutefoisnesemblaitpasvoir lecomportementdePauld’un trèsbonœil. Il fronçait lessourcils,creusantunprofondsillondanssaridedu liondéjàbienmarquée.Mamèreétaitégalementsoucieuse,ellemedévisageaitsansmotdire.Pourseuleréponse,j’esquissai un sourire timide afin de la convaincre que tout allait bienmais je n’en étais pasmoi-mêmecertaine.En finde repas,alorsquenousavionsgoûté l’ensembledespropositionsetque jevoulus donnermon idée pour lemenu, Paul s’interposa prétextant que c’était à lui de décider. Jen’avaispasvraimentprêtéattentionàsaconsommationd’alcool,mais jedevinaiau tondesavoixqu’ilavaitbuplusquederaison.

—Jepourraispeut-êtredonnermonavis, lâcha-t-il tout àcoup, tu t’occupesde toutdepuis ledébut.

—Oui,puisquetum’asdonnécarteblanche,medéfendis-je,etjet’aifaitundébrief ’àchaquefois.

—Ouais,bahcettefoisj’aienviedechoisirseuletceneseracertainementpasl’autrenazequiserviralerepas.

Effarée je levai lesyeuxauplafond,de tout le repasPauln’avait retenuquecetaspectnégatif.Quelesdifférentsplatsnousaienttoussemblésucculents,riennepouvaitlefairechangerd’avissurlaquestion; letraiteurneconvenaitpasjusteparcequ’ilemployaitcecuisinier.Iln’yavaitaucunelogiquedanslesproposdemonfuturépouxetsesparentsfurentlespremiersàleluifaireremarquercequinefitqu’empirerlasituation.Àsesyeux,RéjaneetFrançoisavaientexpressémentsélectionnécerestaurateurensachantqueleurfilsetlecuisiniersedétestaient.Ceàquoisesparentsrétorquèrentqu’ils n’étaient pas au courant de leurs démêlés, néanmoinsPaul n’en fut pas convaincu et telle lavictimed’uneodieusemachination,ilsemitàsedéfendredetortsdontonnel’avaitjamaisaccusé.Lorsqu’il vint à ressortir les vieux dossiers familiaux concernant ses proches, mes parentsdéclarèrentqu’ilétaittempspoureuxderentrer,surtoutquelasoiréeétaitdéjàbienavancée.Alorsquejelesraccompagnaisàleurvoiture,monpèremedemandacequejepensaisdecedéferlementdereproches.Jeluiexpliquaiqu’ildevaits’agird’uneméprise,quePaulserendraitvitecomptequesesparents avaient pensé bien faire et que lemenum’avait semblé plus que convenable.Mon père neréponditpas,lorsquejerelevailesyeuxverslui,jelevisécarquillerlesyeuxdestupeurpuisillevale menton pour nous indiquer la maison. Ma mère et moi nous retournâmes afin de voir ce quipouvaitlecontrarieràcepoint.Del’autrecôtédelafenêtre,lessilhouettesdePauletdesesparentsne ressemblaient plus qu’à des ombres chinoises. Des mouvements rapides se succédèrent, nousvîmesainsiPaulfondresursonpèrelebraslevéetsamèretenterdeleretenir.Jenepouvaiscroirelascène qui se jouait devant nous. Paul menaçait-il réellement de molester François ou était-ce uneperceptiondéforméeparlespectred’unesoiréetropricheenrécriminations?

—Faisbienattentionàtoi,murmuramonpèretoutàcoup,jesaisbienquejen’aipasmonmotàdire,maisjeneluifaispasconfiance.

—Auguste!intervinttoutàcoupmamère.Nousavonsditquenousnenousenmêlerionspas.Puiselleajoutaensetournantversmoi:

—Tuprendraslabonnedécision,j’ensuiscertainemonange.Certaine ! Je n’étais moi-même plus sûre de rien. Quelles étaient les alternatives ? Je ne me

voyais pas annuler le mariage. Cette institution représentait pourmoi l’ultime preuve de l’amour

qu’uncouplepouvaitsevouer:lerenoncementàsoipour,dèslorslacérémonieachevée,formeruntout tellesdeuxâmes sœurs secomplétant. J’avais surtoutpeurde l’échec,peurdem’êtreengagéecorpsetâmedansunerelationtoxique,unedeplus.Jerestaidonclà,dehors,àregarderlesombress’agiterdevantmoi.Quepouvait-ilsepasseràl’intérieur?Jenevoulaispaslesavoir.Ilenallaitdelaréussitedemonmariageaprèstout.Jemedirigeaiversmavoiturequiétaitgaréedansl’allée.Àtravers la poche de ma veste j’actionnai la centralisation, ouvrit la porte, m’installai au volant etappuyaisurleklaxon.Quelquesinstantsplustard,Paulapparutsurleperron,savestenégligemmentjetéesurl’épaule.Ilembrassasamèreetdescendit lesmarchespourmerejoindre.Réjanelevaunemaintimideenguised’aurevoiravantderefermerlaporte.

—Ques’est-ilpasséavectonpère?demandai-jeanxieusealorsquenousétionssurlarouteduretour.

—Rien,répondit-ilinnocemment,pourquoi?—J’aivuàtraverslafenêtrequetufaisaisdegrandsgestes, j’aicruuninstantquevousvous

battiez,expliquai-je.—Tuasdecesidées!Toutvabien,net’inquiètepas,continua-t-ild’unairserein.Si le conflit s’était envenimé à l’intérieur de la maison, Paul n’en laissait rien paraître. Au

contraire,ilétaitmêmesouriantetattentionnéenversmoi.Ils’excusades’êtreemportéconcernantlechoix dumenupour notremariage et promis de ne plus interférer dansmes décisions.Durant lesdeuxmoisquinousséparaientdelacérémonie,j’eusdonctoutleloisirdevaqueràmespréparatifssansquemonfuturépouxn’yaitàredire.Ilm’aidamêmeàmettreladernièretoucheàladécorationdelasalle,s’occupadel’intendancegénéralepourlevind’honneur,durecrutementdesextras,breftoutcequejepouvaisattendred’unfuturmariquiprenaitàcœurl’organisationdenotreunion.Lesdoutessemblaients’êtreéclipsésencetinstantet-bienqueladernièresoiréechezsesparentseûtjetéunfroiddanslesrelationsentre,d’uncôtélecoupleforméparRéjaneetFrançoisetdel’autremesparents - ce fut avecun immenseplaisir que j’acceptai dedevenirMadamePaulRimbeaut. J’avaisl’impressiondevivreun rêve éveillé,Paul etmoi avions réussi à surmonter les aléasdudébutdenotre relation,nousétionsunis«pour lemeilleur etpour lepire » comme le répétait allègrementmonépoux.Lemeilleurnefutpaslongàarriverlorsquej’apprisaudébutdel’automnequej’étaisenceinte de notre premier enfant. La nouvelle réjouit Paul à un tel point qu’il avertit rapidementl’ensembledesafamilleetseremitenquêted’unemploi.Toutefoisl’enchantementneduraquepeudetemps.Jeconnuspresqueaussitôtlesdésagrémentsd’undébutdegrossesse:nauséeusedumatinausoir,jenesupportaisplusaucuneodeurnimêmenepouvaispluscuisinersansavoirdehaut-le-cœur.Mon époux, qui s’imaginait qu’il ne s’agissait que de contraintes passagères, se proposa degérerlapréparationdesrepas.Autermedetroismoisdegrossesse,lemédecinobstétricienquimesuivaitàlamaternitéinsistapourquejeprennedurepos.Lesurmenagen’étaitpastrèsbonpourledéveloppementdufœtus,m’expliqua-t-il.Jenemesentaispourtantpasstressée,nisurmenée,malgrétoutlemédecinordonnaquejerestealitéeunmaximumdurantlesjoursquisuivirentmavisite.

Paul,quijusque-làsemontraittrèsattentionné,nevitpascettedécisiond’untrèsbonœil.Selonlui,jesimulais.Jenepouvaispaslecontrediredanslemesureoùjemesentaisplutôtbien,misàpartces nausées. Toutefois, je rétorquai que le médecin connaissait son travail et que s’il avait étécontraintdememettre en arrêt de travail s’était uniquementpour rejeter tout risquede souffrancefœtale.Comprenant ledésarroidemonépoux, je tentaideminimiser lasituation, il s’agissaitd’unrepos forcéqui nedurerait probablement quequelques jours. J’étais reconnaissantede l’aidequ’ilm’apportait, d’autant plus qu’il venait d’être engagé dans une nouvelle société située à plus d’uneheurederoutedecheznous.Auboutd’unesemaine,mesconstantesétaientredevenuesnormalesetl’onm’autorisa à reprendre le travail. Cette accalmie ne fut que de courte durée lorsqu’à la suited’uneréunionhouleuseonmeretrouvainaniméedanslestoilettesdel’entreprise.Auxurgences,la

sage-femmem’expliqua quemon hypertension semblait due à un stress récurrent. Selon elle celapouvaitprovenirdel’environnementprofessionnelaussijefusànouveaumiseenreposforcé.Pauletmoicommencionsànousinquiéterpourledéroulementdemagrossesse.J’étaisenceintedequatremoisdésormaisetj’avaisdéjàeudeuxalertespréoccupantes.Unsoir,alorsquej’essayaisd’évoquerlesujetavecmonépoux,ilmeréponditd’unairlas«Cen’estpasunemaladied’attendreunenfant,tout le monde est capable d’assumer sa grossesse et son travail, sauf toi ! ». Je concevais safrustration,néanmoinsmoncorpsm’alertaitsurunéventuelproblèmedesantéauquelilfaudraitêtreattentif. Je ne souhaitais qu’une chose désormais :menerma grossesse à son terme. Je pris donctouteslesprécautionsafindecréeruneatmosphèreapaisanteautourdemoi.Aubureau,jedéléguaisles dossiers épineux à la stagiaire que l’onm’avait assignée en vue demon congématernité, à lamaisonjemettaisunpointd’honneuràeffectuermestâchesménagèresmêmesiellesmeprenaientplusdetemps.Jesoupçonnaiségalementmonmarid’êtrebienplusinquietqu’ilnevoulaitl’avouer.Detempsàautrejesurprenaissonexpressionlorsqu’ilpensaitquejenepouvaispaslevoir.Ilavaitl’air simélancoliquequecelame fendait lecœur,pourtant lorsque je lui enparlais il se refermaitcommeunehuître.Ilsemitàrentrerdeplusenplustard,prétextantavoirbesoindesechangerlesidées.Demoncôté je refusais toutesortieafindemereposer lepluspossible.Jeprismonmalenpatience,entoutétatdecausecelanedureraitpas.

Tandis que j’avais débutémon congématernité dès le début dumois de juin, épuisée d’avoirvoulubouclerlesdernièrestâchesaubureau:lesdossiersurgentsquisetrouvaientencoresousmaresponsabilité,lafindelaformationdelastagiairequidevaitassurerl’intérimdurantmonabsenceetquejesoupçonnaisdevouloirgravirleséchelonsunpeutroprapidement,j’eusenviedecélébrerlanaissance à venir. J’invitai donc quelques amis à dîner sans en avertir préalablementmon époux,pensantqu’unesoiréeàlamaisonledivertiraitquelquepeu.J’étaisheureusederevoircettebandedecopains,lesseulsaveclesquelsj’avaispuresterencontact.Biensûravecletemps,deslienss’étaientdélités, nous étions chacun aux prises avec nos vies respectives aussi nous nous perdions de vuequelquestempsavantdenousretrouveraudétourd’unerueougrâceaudéveloppementd’unnouveauréseausocialsurInternet.Cederniern’enétaitencorequ’àsesbalbutiementsmais ilavaitdéjàsesadeptesetavecmontempslibredésormais jepouvaisprendrecontactrapidementavecd’anciennesconnaissances,cequim’avaitpermisd’organisercettesoiréededernièreminute.Paulfutsurprisparlaspontanéitédecetteréceptionmaisnelaissarienparaîtredurantlerepas, ilplaisantamêmeavecRémietJean,leseulcouplehomosexueldemonentouragequ’iltoléraitmalgréleurs«manières»comme ilme faisait souvent remarquer dès lors qu’il nous arrivait de nous rencontrer.Toutefois,aprèsledépartdemesamis,jedusfairefaceàdenouvellescritiques.Paulsedemandaitpourquoijelesavaisinvités,ilsétaientinsignifiantsàsesyeux.Àl’écouter,mesamisn’étaientquedespauvrestypestousautantqu’ilsétaient;monépouxpensaitqu’ilsnecomprenaientrienaumondeouvriercarilsprovenaientdemilieuxplusaisés.J’enrageaisintérieurement.AlorsquecelafaisaitplusieursmoisquejedéclinaislesinvitationsafindegarderdesforcespourmenermagrossesseàsontermeetquePaulmereprochaitdeneplusavoirdeviesociale,j’avaisacceptéqu’ilsorteseulafinderejoindresesamislorsqu’ilenressentaitlebesoin.Pourunefoisquejedécidaisd’inverserlavapeur,ilmelereprochait.Pireilcritiquaitmesfréquentations.Quandsesamisvenaientdîner,jen’avaispasledroitdelesincriminer,ilsavaientobligatoirementraisoncarilsétaientdelamêmeconditionquelui.Sijelesdénigraisalorsjelediminuaiségalement.

Perduedans la tempêtequim’animait intérieurement, jenevispasquemonmari fulminait. Ilentrasoudaindansunecolèrenoire.Jenecomprenaispascequiavaitpuladéclenchercarl’instantprécédentjel’avaislaissémeréprimandersansmotdire.Peut-êtrefut-cemonmanquederéactionquil’irrita,cependantPaulfonditsurmoietmepoussabrutalementcontrelemur.Desamaindroiteilmeserralagorge.Jepouvaissentirlesbattementsaffolésdemoncœursoussesdoigts.J’essayaide

medébattremaismesmouvementsétaientgênésparmonembonpoint. Jecommençaisàsuffoquer.Lorsqu’il finit par me lâcher, Paul fit volte-face et regagna le salon où il s’affala sur le canapé.Quelquesinstantsplustardjel’entendisronfleralorsquejen’avaistoujourspasbougédel’endroitoùilm’avaitplaquéecontrelemur.Quevenait-ildeseproduire?JamaisPauln’avaitlevélamainsurmoiauparavant.Cesoir jene le reconnaissaisplus, ilavaitbeletbienmanquédem’étrangler.Lorsqu’ilm’avait sermonnée j’avais sentià sonhaleinequ’ilavaitdûconsommerplusieursverresd’alcool.Jefusprised’uneirrépressibleangoisse;etsimonépouxavaitunproblèmededépendance?Commentpourrais-jel’aideràs’ensortir?—Etpuisquoiencore,memorigénai-je.Ilvientdetemaltraiter et tu cherches encore à l’aider, pensai-je. Je fus soudain tiréedemes réflexionspardesbruitsgutturaux.Paul,àdemi-conscient,étaitentraindevomirsur lecarrelagedusalon.Entempsnormal,jel’auraisaidéàsereleveretj’auraisnettoyé.Cen’étaitpaslecascesoir-là.Jetournailestalonsetpénétraidansmachambreaveclafermeintentiondeluirappelerdèslelendemainl’horreurquivenaitdeseproduire.Jenepouvaisadmettrequemonépouxaitvolontairementlevélamainsurmoipourtant lefaitétait là.Lorsquej’entraidanslesalonle lendemainmatin,épuiséed’avoir troppensé aux arguments que je pourrais exposer à Paul dans l’éventualité où il nierait les faits, je letrouvaisoccupéàpréparerlecafé.Uneodeurd’eaudeJavelemplissaitlapièce.Toutavaitéténettoyécommeunetentativepoureffacerlabrutalitédesongeste.Monépouxs’approchademoiavecunetasseduprécieuxbreuvage.

—Nemetouchepas,lançai-jealorsqu’ilallaitm’embrasser.—Qu’ya-t-il?J’aifaitquelquechosedemalhier?s’enquit-ill’airsoucieux.J’aidûabuserdu

vinentoutcas,j’aiunmaldetêteatroce.—Ça, je ne te le fais pas dire !Mais il y a plus grave, ajoutais-je en baissant le col demon

peignoir,regardecequetuasfait.Une ligne rougemebarrait lagorge,de chaquecôtédeuxmarquesbleuâtres commençaient à

poindre.Paulétouffauncridestupeur.—C’estmoiquiaifaitça?gémit-illesyeuxbrillantsdelarmes.Jenem’ensouvienspas.Tandisquejeluirelataislafindesoirée,sacriseaussisubitequ’incompréhensibleetsatentative

de strangulation àmon égard, Paul devint blême. Il se jeta tout à coup àmes pieds, enserramesjambesetsemitàsangloter.Iljuraqu’ilneboiraitplusjamaisd’alcool.

—Tul’asdéjàpromisauparavant,répliquai-je.— Cette fois tu peux me croire, jura Paul en se relevant, j’irai même voir le médecin pour

demanderunsuivisiçapeutterassurer.Cen’estpaspossible,dit-ilenfinenessuyantsesjouesetsemouchantbruyamment,jeneveuxpastefairedemal,niàtoiniaubébé.

Hésitante,j’admisquel’idéedemeretrouverseulefaceàl’arrivéeimminentedenotreenfantmeterrifiait. Ce fut uniquement pour cette raison que je décidai de donner àmon époux une secondechance.Parailleurs,nousn’étionsmariésquedepuisquelquesmois,commentlasituationavait-ellepudégénéreràcepoint?Jecommençaisàmedemandersiquelquepartencemondequelqu’unnem’avaitpaslancéunmauvaissort.Celaavaitcommencétroisansauparavantlorsquej’avaisapprislatrahisondeMarc.JepensaisquemarencontreavecPaulaprèsdesmoisdedépressionsignifiaitquelechemindubonheurm’étaitdenouveauaccordé.Etàquelquessemainesdemonaccouchementjedevaisfairefaceàdenouveauxtourments.Ilfallaityremédieretvite.Dansunpremiertemps,jeprisla fermedécisiondeneplus inviter personne, nimes amis, ni les siens afindenepas éveiller lessoupçons sur la récente brutalité demon époux. Sansm’en rendre compte, je venais de sceller ladernièrepierredemonenfermementprogressif,justepourneplussubirsesbrimades.Endéfinitive,c’étaitàmoi-mêmequejefaisaisleplusdemal.Parpeurdelaréactiondemonmari,jetaisaismesréflexions. Cela eut pour incidence de déclencher d’affreuses douleurs abdominales qui mecontraignirent à consulter la sage-femme en urgence. L’échographie ne montra pas de signe

particulierdesouffrancefœtaletoutefois jefusplacéeenobservationsousmonitoringréguliercarmesanalysesmontraientunforttauxd’albumine,oràcestadedemagrossessecelapouvaits’avérerdangereuxpourlebébécommepourmoi.Pardeuxfoislemonitorings’affola,desbipsstridentssemirent à retentir emplissant soudainementma chambre d’hôpital d’une atmosphère inquiétante. Lapremière fois la sage-femmeme rassura en prétextant qu’il s’agissait d’un défaut de capteur.À lasecondealerte,jevisapparaîtrederrièreellelemédecinobstétricienquiavaitassurélesuividemagrossesse.Celanemesemblaitguèreencourageant.

—Commentvoussentez-vous?demanda-t-ilsimplement.—Pas tropmal, répondis-je sincèrement,misàpart cettemachinequime réveille sanscesse,

ajoutai-jeendésignantl’écrandesurveillancefœtale.—Vousêtesfatiguée?Uneenviededormirirrépressiblepeut-être?— Oui c’est ça, depuis deux ou trois jours je fais de longues siestes mais au réveil je suis

toujoursfatiguée.Pendantquenousdiscutions,lasage-femmem’examinaitméticuleusement.—L’œdèmeauxjambesaempirédocteur,intervint-elle.—Danscecas,onnevapasprendrederisque,préparez-la,onladescendaubloc.—Quesepasse-t-ildocteur?demandai-jepaniquée.—Vous avez les symptômes d’une toxémie gravidique, autrement dit, votre bébé peut être en

souffrance actuellement, expliqua-t-il en me prenant la main que j’avais tendue vers lui. N’ayezcrainte,MadameRimbeaut,toutvabiensepasser.

Mes larmescommencèrent àcouler sous l’effetdu stresscauséparcettenouvelleainsique laperspectived’êtreopérée.Lemédecinmetenaittoujourslamaintandisquelasage-femmem’enfilaitunecharlotteetdeschaussonsenpapier.

—Concentrez-voussurlameilleurechosequisoit,medit-ellesoudain.—Laquelle?questionnai-jeenhoquetant.—Cesoirvousallezdevenirmaman.

Conflits

«Ilyadesmariagesdontlecontratsembleavoirétéminutéparl'enfer.»AxelOxenstiern

La naissance de notre fils avait semblé donner un nouveau souffle à notre couple.Durant lesdeux premières années d’Elliott, Paul était empli d'une volonté de bien faire ; après une longuepériodedechômagequiluiavaitpermisderénoverunepartiedelamaisonetdespetitsboulotssansperspectived’embauche,ilavaitacceptéunnouveautravailquiletenaitéloignédenotredomiciledesjoursdurantmaisquidevaitnouspermettreunmeilleurtraindevie.Bienquenousayonsconnudestensions,j’avaisressenticetteabsencecommeunabandon.Eneffet,aprèsunegrossessecompliquée,j'étaisentréedansunephasedebaby-blues,dontjen'avaispaseuconscienceimmédiatement.Elliottétait un bébé adorable, toutefois je ne me sentais pas à la hauteur de ma responsabilité de mère.Saurai-jel'élevercorrectement?Pourrai-jeluiapportertoutcedontilavaitbesoin?Jesavaisquemes doutes étaient légitimes, que je ne devais pas être la seule jeunemère de famille à avoir desinterrogations,toutefoisjemesentaisterriblementseule.Aprèslesrécentsconflitsavecmonépoux,jem'étais repliée surmoi-même et n'avais pas osé relater à quiconque cette soirée oùnous étionspasséssiprochedudramedurantmagrossesse.Jenevoyaisplusaucunedemesanciennesrelations,mes amies s'étaient progressivement éloignées etma famille vivait à l'autre bout du pays. Le seulentourage quime restait était constitué de la famille demon époux ainsi que ses amis. Qui doncauraient-ilscru,lapiècerapportée-termequiétaitvulgairementutilisépourqualifierl'intrusedansla famille, la belle-fille, la belle-sœur, l'étrangère - ou bien l'homme qui sitôt hors de chez luiarboraitfièrementlemasqueduparfaitgentilhommeauprèsdessiens?Alorscespremierstempsdematernitémelaissèrentungoûtamer.BiensûrPauls'enétaitrepentiet,commelorsdechaquecriseilfaisaitdésormaissonpossiblepourserattraperetassumersonrôledepère.Avecunnouveautravailqui l'emmenait d'un chantier à un autre un peu partout en France, ilme laissait assumer seule lestâchesdomestiquespluscellesinhérentesàunejeunemaman.C'étaitlasolitudeetledécouragementquiparlaient.Biensûrd'aucunsdirontquej'auraisdûlequitterdèssonpremiergesteviolentàmonégard.Etmoideleurrépondrequ'àcemoment-là,jenecomprenaispaslatournurequeprenaitmavie.Etait-ceparamourquejemevoilaislaface,refusantdecroirequecegestecéderait laplaceàunemultitudedecoupsbas?Ouétait-celapeurdel'échec,piredel'abandon?Jenesauraisdirecequim'avaitmotivéeencetinstantdecontinuerdecroireenl'amourqu'ilmevouait.Jenourrissaislesecret espoir que tout ceci n’eût été qu'un horrible cauchemar et qu'à mon réveil je retrouveraisl'hommeaimantetprotecteurdenosdébuts.

***

Selon l'expression « chassez le naturel, il revient au galop », je savais dorénavant que la

souffrancequiavaitcaractérisécetépisode tourmentédenotrevie,n'étaitque lapartieémergéedel'iceberg.Durantl’année2008,lesconflitsreprirent,souventpourdesfutilités.Ilsétaientparfoisdusà la fatigue ou à une remarque inappropriée toutefois ils faisaient légion dans notre quotidien. Je

commençaismêmeàm'interrogersur l'avenirdemoncouple.Commentallais-jeélevermonfils?Pourrais-je subvenir seule à ses besoins ? J'aurais pu envisager de vendre la maison et louer unappartement si les travaux étaient achevés or en l'état actuel, je n'aurais trouvé aucun acquéreur niencoremoinsapuré ladetteque j'avaisauprèsde labanque.Quiplusest, jecraignaisune réactionsinon véhémente, plutôt vindicative de la part de mon époux depuis que j'avais compris que sesréactions étaient fortement influencées par la loi du talion.Maintes fois par de petites allusions, ilm'avait laissé entendre qu'aumoindre faux pas il saurait le faire payer à quiconque lui aurait nui.Je ne fus pas longue à prendre tout le sens de ses propos lorsque Paul rentra alcoolisé après unesoirée passée dehors. Nous approchions minuit, j'étais au lit depuis longtemps, malgré tout je neparvenaispasà trouverlesommeil, j'appréhendaissonretour.Pourêtrehonnête, jenepouvaispasexpliquer ce que je craignais le plus. Tantôt amoureux, à peine arrivé il s'empressait deme fairel'amour.Jemelaissaisfairepouravoir lapaix-nonpasconsentantemaisrésignée- lapassiondenosdébutsayantbeletbiendisparu.Tantôtagressif,jenesavaisplusoùl'attendre.Cesoir-là,aprèsuneénièmedisputequin'enfinissaitpasetalorsquejecherchaisàm'isolerpourprendredureculsurlesévènements,Paulnemelaissapasquitterlachambre.Jefusprojetéesurlelit.Ilvints'agenouillerà mes côtés, tout en me maintenant sur le matelas. Il prenait plaisir à me dominer, comme pourm'asséner encore plus sa version de la vérité : lui qui s'évertuait à travailler jusque tard le soir,pendantque jeparessais au lit.Voilà comment il concevait la réalité.Pourtant il étaitminuitpassé,aucun chantier,même « au noir » ne se terminait aussi tard, et surtout il n'était pas nécessaire derentrerentitubantetempestantl'alcoolàpleinnez.Alorsquejetentaisdelerepousser,ilmeplaquadenouveausurlelit.Jesentisquejeperdaispied.Quem'arrivait-il?Etais-jeentrainderêver?Jenepouvaisycroire.Maseuleréactionfutdeluibalancerunegifle.Sonvisagesefigeauninstantsousl'effet de la surprise, puis un effroyable rictus lui déforma les traits. C’est alors que je comprisl’étenduedesafolie.Pourtouteréponse,ilm’assénauncoupdetête.Terrasséeparladouleur,jemeprislatêteentrelesmainsetleslarmescommencèrentàcouler.

—Lesfemmesontvoulul’égalitédessexes,lança-t-il,tul’ascherché,cen’estpaslapeinedepleurer.

Terroriséeparsongeste, jemerecroquevillaiaufonddemonlit, tentantdedresser lacouettedevantmoicommeunemuraillederrière laquelle jepouvaism’abriter. Je restai là, assise surmestalons dans le coin de cette chambre exigüe que j’avais pris plaisir à décorer quelques moisauparavant.Àpeinelaportefranchie,legrandlitconjugal-calédansunangle-occupaitlamoitiédelapièce,j’avaisremplacélesgrandesarmoiresquiautrefoisséparaientlachambreducoinbureaudema petitemaison de ville par un dressing plusmoderne,mais qui n’offrait plus qu’unminusculepassage pour se rendre jusqu’à la fenêtre à côté de laquelle j’avais disposé une petite commodeblanchesurlaquelletrônaitfièrementmonbouquetdemariée.Pauléclataderiredevantlafaiblessede mes défenses. Il quitta la pièce en maugréant et se dirigea vers le salon. Le grincementcaractéristiquede laportedubarmefitcomprendrequemonépouxn’avaitpasencoreeusadosed’alcool.Malgrémonaversion,j’envenaisàespérerqu’ilsesaoulejusqu’ausommeilpourainsineplusm’importuner.La fatiguecommençait àavoir raisondemavigilance, j’avaisdesdifficultésàgarderlesyeuxouverts,unehorriblemigrainememartelaitlefront.Jefrottaissanscessemamainàl’endroit même où Paul m’avait frappée, une bosse commençait à poindre. Je m’imaginais déjàportant des traces de coup, symboles demon incapacité à gérer la colère demonmari et devantaffronter les regards curieux ou de pitié de mes collègues le lendemain matin. Combien de foism’étais-je mise à la place de ces femmes battues que l’on voyait dans les reportages du journaltélévisé, en me promettant mentalement que cela ne m’arriverait jamais ? À mes yeux, touteacceptationde laviolenced’unconjoint était exclue.Etpourtant, jevivais en cemomentmêmecegenrededilemme.Quitterunépouxviolent et subir lesconséquencespécuniairesde la ruptureou

rester et accepter de prendre des coups ?Mon esprit me commandait de le quitter, mon cœur enrevanche venait une nouvelle fois d’imploser sous la douleur. J’avais eu foi en mon couple, uneconfiance aveugle qui avait minimisé les signaux qui auraient dû pourtant m’éclairer sur soncomportement. Ce soir j’ouvrais les yeux trop brutalement, j’étais aveuglée par la stupeur,l’amertumeetladouleurdesongeste.

Lesommeilétaitvenume rejoindreau fildemespensées, je sentaismesmuscles tressauteràmesurequ’ilssedétendaient.Soudain,unjetd’eauglacéemetirademessonges.Jemeredressaiensuffoquantetprisappuisurmonoreilleràprésentdétrempé.Paulsetenaitdevantmoiunecarafevidedanslesmains.

—Tuesdevenufoumaparole,vociférai-jeenrepoussantmescheveuxmouillés.—Tunecroisquandmêmepasque jevais te laisserdormirpendantque je ruminedansmon

coin,objecta-t-il.—Cen’estpasuneraisonpouragirdelasorte!Etpuisturuminesquoicettefois,hein?—Parcequetucroisquec’estfacilepourmoi!gémit-ilenenserrantsatêteentresesmains.Songeste ledéséquilibraet il se laissaglissercontre lechambranle jusqu’àse retrouverassis

parterre.—Jenecomprendspas,murmurai-je.—Pasétonnant,tunecomprendsjamaisrientoutefaçon,articula-t-ildifficilement.Ondiraitpas

quet’asfaitdesétudes!—Bahnonjenecomprendsrien,répétai-je.Oùest leproblème?Tumehurlesdessusdepuis

quetuesrentré,tumefrappes,maintenanttum’arrosesettoutcecisansquejenesachepourquoi.Nous restâmesainsiànous toiserdurantde longuesminutes.Tremblantesous l'effetdu réveil

glacé et de l'incrédulité face aux évènements qui venaient de se produire, je sortis de mon lit,enjambantaupassagemonépouxquiavaitétendusesjambeslelongdelaporte.

—Tuvasoù?maugréa-t-il.—Mesécher,répondis-jesurlemêmeton.A peine étais-je entrée dans la salle de bains que j'entendis Paul se relever difficilement et se

dirigerdenouveauvers lacuisine. Je tressaillis lorsque je l'entendisouvrir le robinetde l'évier.Àmesurequejeréalisaiscequemonmaris'apprêtaitàmefairesubir,mapeurgrandissait.Commentéchapper à son emprise ? J'aurais voulu appeler à l'aidemais les rares voisins nem'auraient pasentendueàcettedistance.Jeréalisaiaveceffroiquemontéléphoneportableétaitrestédanslacuisinetoutefoisjen'euspasletempsd'échafauderlemoindreplanpourlerécupérer,Paulpénétradanslasalle de bains, la carafe d'eau de nouveau remplie à lamain. Je tentai d'esquiver son geste enmeretournantvivementdanslapetitepièce,cefutmondosquireçutlejetd'eauglacécettefois-ci.J'étaisdésemparée, harassée par cette crise que je ne comprenais pas et surtout terrorisée.Où allait-il envenir?Quelseraitsonprochaingeste?J'envisageaiderépliquermaisavecquoi?Siaumoinsj'avaiseuaccèsàlacuisine,j'auraispusaisirunobjetpourlecontrer.Unepoêleàfrireparexemple,encemomentmêmejemevoyaisluiassénerdescoupsdepoêlejusqu’àcequ’ilcomprennequejen’enpouvais plus. L’expression « voir rouge » prenait tout son sens. Je n’étais pourtant pas de natureviolente cependant en cet instant précis je pensais qu’il était dans mon devoir de répliquer.Néanmoins,jen'avaispourmadéfensequelesserviettesépongesdelasalledebainsoulacouetteetlesoreillersquim'avaientauparavant servidemaigrebarricade.Autantdireque j'étaisà samerci.SanscompterquejepensaisàElliottquidormaitdanslachambreattenanteetquej’espéraisprotégerdelavuedecettescène.

Contretouteattente,Pauls'approchademoietposalacarafesurlereborddulavabo.Lorsqu'ileffleuramondosj'eusénormémentdemalàretenirunsanglot.Aussiilm'attiraàluietm'enlaça.

—Chut,mechuchota-t-ilàl'oreilletoutenfaisantglisserundoigtlelongdemajoue.Tuvois

dansquelétattumemets?—Pourquoi?lâchai-jeenreniflant.—Tout est de ta faute, renchérit-il. Tu ne veux pas comprendre que j'ai une vie difficile. Tu

passes ton temps à me réclamer le paiement des factures. Quand comprendras-tu que je n’ai pasd'argentàdépenserpourcettebaraque!

—Maisbonsang, tu travailles,non?C'estnormalquetuparticipesauxfraisdelamaison.Etpuistuyvisàcequejesache!Etpuispasd'argent,tun'asqu'àpaspassertontempslibreaubistrot,ilt'enresteraitdel'argent.Pendantcetemps,moijemeserrelaceinturepourélevertonfils.

—Tuvois,turecommences,cria-t-ilenmepoussantcontrelaporte.Quandvas-tucesserdemedonnerdesordres?EtnemêlepasElliottàça,c’esttoiquiasinsistépouravoirunenfant!

— Je ne donne pas d'ordre, je demande quelque chose qui me semble logique dans tous lescouples,objectai-je.Situnevoulaispasd’enfant,ajoutai-je,ilfallaitledire,nousn’enserionspaslàaujourd’hui et ça serait beaucoupplus simple.Etmaintenant laisse-moi tranquille ! Il est tard et jetravaille demain.Et vu l'état dans lequel je suis, ajoutai-je en regardantmonpyjama trempé, et enportantlamainàmonfront,ellevaêtresympamajournéeaubureau.

—Jen’enairienàfoutre!vociféra-t-ilenlevantlesbras.Parpeurdescoups,jem'accroupiscontrelaporte.Mongestelesurpritetilreculad'unpas.Il

attrapaladernièreserviettequiétaitétenduesurleradiateuretmelatendit.—Prendsça,medit-ild’unevoixsoudainementplusdouce.Tuvasattraperfroid.—Lafauteàqui!répliquai-jeenmerelevant.J’attrapai la servietteet repris ladirectiondemachambre.Lorsque jevoulus fermer laporte,

Paulétaittoujourssurmestalons.—Qu’est-cequetuveuxdireparçaauraitétéplussimple?mequestionna-t-il.—Hein?—Ouituasditquesijenevoulaispasd’enfantçaauraitétéplussimple.—Oui,vulatournurequeprendnotrecouple,sansenfant,jen’auraispashésitéàtequitterdès

lespremierssignesdeviolence,expliquai-je,harassée.—Tu veuxme quitter ? demanda-t-il incrédule. Puis un éclair passa dans ses yeux et en une

secondelerictussereformasursonvisage.Jenetelaisseraijamaism’enleverElliott,tum’entends!Situveuxpartirva-t’enmaisjegardemonfils!

—Tudélires,maparole, ily a cinqminutes tu regrettaispresque sanaissance !Fiche-moi lapaix!Onenreparleraplustard.Maintenantj’aibesoinderepos.

Afindeclorecettescène,quitoutàcoupmesemblaitsurréaliste,jedécidaidemeremettreaulit,repoussant soigneusement l’oreiller mouillé. Tant pis, me dis-je, je nettoierai tout ce désordredemain. Je n’eus pas le temps de terminermes pensées que Paul quitta la chambre en claquant laporte:jedevinaitoutàcoupquecettenuitseraitinterminable.Ilpritalorsplaisiràmetorturerdurantdelonguesheures,nonpasavecdenouveauxcoupsmaisparsesplaintesincessantessurlefaitquejevoulaisdormiraprèsluiavoirannoncéquej’envisageaisdelequitter.Biensûrpours’assurerquejerestais bien consciente à l’écouter m’insulter de « feignasse », il s’évertua à me balancerrégulièrementdescarafesd’eau.Monlitétaitdétrempé,j’étaistransiedefroid,maisintérieurementjebouillonnais.Jenesongeaisplusencetinstantqu’àmonimpuissancefaceàcetêtreabject.Seulemaconsciencemecriaitdetenirbon,denepasrépondre,denepasagircarlaviolencen’engendraitquela violence. Il me fallut des heures durant supporter ses plaintes, puis ses insultes devant monmutisme.Lorsqu’aupetitmatin, toujours recroquevillée surmesdraps froids, les larmes roulèrentd’elles-mêmes sur mes joues car j’étais trop fatiguée pour retenir mes émotions, Paul, dans sonextrêmebonté,merelevaetm’entourad’unecouverture.Jen’avaispluslaforcedelutteraussijemelaissaifaire.Ilmurmuraquetoutétaitdemafaute,quec’étaitàcausedemois’ilétaitobligéd’agir

ainsi.Ilvoulaitquejecomprennequej’avaiseutortdelebrusquer,qu’iln’avaitpasuneviefacile.Ilfallaitlecomprendre,ajouta-t-ilunefoisdeplus,iltravaillaitbeaucoup(etbuvaitencoreplusd’aprèsmonopinion).Jeluirépondisaucombledel’épuisementquejelecomprenaisdansl’espoird’avoirun peu de répit. J’avais renoncé à dormir, de toute façonmon réveil allait bientôt sonner. Paul sereculaetrestadeboutcontrelechambranledelaporte.J’imaginaisquelabouteilledewhiskydanslesalondevaitêtrevidedepuislongtemps.Ilmeregardad’unairtriste,avait-ilenfinprislamesuredesongeste?Puisils’enquitsurlasuitequejecomptaisdonneràcettecrise.Qu’est-cequejepouvaisbien faire après ça ? Il me demanda si j’allais tout de même travailler, j’acquiesçai en pensantqu’aprèstoutjen’étaispasaussifainéantequ’ilvoulaitbienlecroire.

Avant qu’Elliott ne fût réveillé, je m’étais empressée de nettoyer une grande partie du bazarlaisséparPaul.Lesdrapsétaientdanslamachineàlaver.J’avaisredressélematelasetjel’avaisposéprèsduradiateurdansl’espoirdelevoirsécherrapidement.J’avaiségalementpuaccéderausalonetà la cuisineet avaisdécouvert les«cadavres»desbouteilles terminéesparmonépoux.Commentpouvait-ilencore tenirdeboutaprès lesmélangesqu’ilavaiteffectués :whisky, rhum,bière, toutyétaitpassé–peut-êtrepasdanscetordre.Paul,luiétaitdésormaisaffalésurlecanapéetmeregardaitm’activerpourtenterd’effacerlesstigmatesdecettenuitd’horreur.Jesortaisdeladouchelorsquequ’Elliottseleva.Àsaminecontritejecomprisquelescrisdelanuitavaientdûleréveiller.N’ayantpaslaforcedemelancerdansunetentatived’explication,jeprislepartidemetaireetdeluiservirson petit déjeuner.Aumoment de partir pour l’école,mes seules paroles furent adressées à Paul,toujoursimmobilesurlecanapé.

—Amonretour,jeneveuxplustevoirici!C’est alors qu’il se leva et sortit une arme de l’armoire de l’entrée.Mon sang se glaça une

nouvelle fois. Avant de franchir la porte, il se retourna vers moi en me promettant qu’une seulechose:ilyauraitunbaindesang.

JeprisladirectiondemonbureauaprèsavoirdéposéElliottàl’école.Surletrajet,lesparolesdePaulmerevenaientenmémoire.Qu’avait-ilentête?Jem’envoulaisdenepasavoirsuleperceràjour plus tôt. Si dans sa folie il venait à blesser quelqu’un, je ne pourrais queme le reprocher. Ilfallaitquejel’enempêche.Commejel’avaisempêchédememaltraiterlanuitprécédente?Jedevaismerendreàl’évidence,j’enétaisincapable.Jeprisalorslaseuledécisionquimeparutjudicieusesurlemoment.Jemerendisàlagendarmerie.

—C’estàquelsujet?medemandal’agentd’accueil.—Jevoudrais signalerun individupotentiellementdangereux, répondis-je, puispresquepour

moi-même,monmari.—Patientezuninstant,jevaischercheruncollèguepourvousrecevoir.L’attentemeparaissaitinterminable.Jemedemandaissij’avaisraisond’êtreici.CommentPaul

allait-ilréagirlorsqu’ilsauraitquejel’avaisdénoncéauprèsdesservicesqu’ilabhorraitleplusaumonde?Cequejem’apprêtaisàfairesignifiaitdéterrerlahachedeguerre.L’onm’invitaàpénétrerdansunopen-space.Jeregardaisautourdemoil’airhagard.Lesgendarmesprésentss’affairaientàleursbureauxrespectifs.Ungrandgaillardvintàmarencontre.

—Bonjour,jesuislegendarmeHumbert,l’agentd’accueilm’aexpliquéquevoussoupçonniezunactemalveillant,c’estexact?

—Plusquemalveillant, rétorquai-je, j’aidemandéàmonmaridequittermondomicile avantmonretourcesoir,ilestpartiavecunearmeenmepromettantunbaindesang.

J’avais malgré moi élevé la voix. À mes mots, plusieurs de ses collègues levèrent la tête,interloqués.

—Reprenonsdepuisledébut,reprislegendarmeHumbertenm’invitantàm’asseoir.Expliquez-moiendétailcequis’estpassé.

Jerelataidonclerécitdesévènementsdelaveille,dontlesassautsrépétésdemonépouxavecune carafe d’eau. Entendre le gendarme répéter ces faits point par point aprèsmoi alors qu’il lessaisissaitsursonordinateurmedonnaitl’impressiond’ungag.Effectivementretirésdeleurcontexte,cesattaquesnesemblaientpasaussigravesqu’elles l’avaientétéenréalité.Parailleurs, lecoupdetêtequej’avaisreçun’avaitlaisséaucunetrace.

— Il semble que ce ne soit qu’une affaire de séparation qui a été mal vécue, expliqua legendarmeHumbertàsonsupérieurlorsqu’ilvintàsarencontre.LepointbloquantrésidedanslefaitqueMonsieursonépouxseraitfortementalcooliséetarmé.

—Effectivement, il pourrait constituer unemenace, pas nécessairement pour les autres sinonpourlui-même,surtouts’ilvitmallarupture.Envoyonsunvéhiculeàsarecherche.

Jefusànouveauinvitéeàraconterledéroulementdesévènements.Jemedoutaisqu’ils’agissaitd’unevérificationd’usagesurlaconcordancedemespropos,maisc’étaitaussiunmoyendemefairepatienter le temps que la patrouille mette la main sur mon mari. Lorsqu’enfin les gendarmesretrouvèrentPaul,l’après-miditiraitàsafin.Monépouxétaitrentréàlamaisonmaisayantoubliésesclés,ilattendaitmonretourassisdanssavoiture.Jesentisunprofondsoulagementlorsquel’onm’enavertit.Paulallaitêtreentenduàsontour,legendarmeHumbertm’invitaàrentrerchezmoietàmereposer.Cequejefisaprèsavoirrécupérémonfilsàlagarderiedel’école.

—Ilestoùpapa?mequestionna-t-ilunefoisrentréscheznous.—Ilvaêtreoccupécesoir,luirépondis-je.Je n’avais pas le cœur à lui expliquer pourquoi je faisais sortir son père de nos vies aussi

brutalement. Je n’avais surtout pas le cœur à repenser à cette nuit d’horreur.Comment la situationavait-ellepudégénéreràcepoint?Lorsqu’Elliott futcouchéetque j’eus réinstallémonmatelas–encorehumideparendroits–jem’autorisaisenfinàmelaisseraller.Lessanglotsnetardèrentpasàprendre le dessus me submergeant comme jamais auparavant.Mon petit monde s’était à nouveauécroulé.Lasonneriedu téléphoneme tiradu lit le lendemainmatin.Lorsque j’attrapai le réveil, jeconstataiaveceffarementqu’il étaitprèsdedixheures. J’avaisprisdeux joursdecongéspourmeremettresurpied.Jen’avaissurtoutpasenvied’étalermavieprivéedevantmescollèguesaucasoùlegendarmeHumbertauraiteubesoindecomplémentsd’informations.Parailleurs,j’avaisunetêteàfairepeur.Lanuitblancheforcéeavaitfaitdesravagessurmonvisageetj’avaislesyeuxinjectésdesang d’avoir trop pleuré. Toutefois, cela n’excusait pas Elliott qui aurait dû être en classe depuislongtemps. Tant pis admis-je, je trouverai bien une excuse pour cette demi-journée d’absence. Letéléphone sonna ànouveau, je regardai l’écran avec appréhension : appelmasqué. Jemedécidai àdécrocher le combiné en pensant qu’il s’agissait certainement de la gendarmerie. La voix quej’entendisauboutdufilmefitchanceler.

—Estelle?C’estmoi,Paul,soufflatimidementlavoix.—Paul…Tuessorti?hasardai-je.—Oui,ilsm’ontlaissépartirversvingt-deuxheures.Jen’aipasosérentrer.—Ils…ilst’ontlaissésortir,répétai-jeincrédule.— Ne sois pas si surprise, renchérit-il, que voulais-tu qu’ils me fassent ? Je n’ai rien à me

reprocher.—Pardon !Et lanuitque j’aipassée?Et tamenaceenquittant lamaison.D’ailleurselle sort

d’oùcettearme?— Tu m’as mis dehors en me demandant de vider les lieux, j’ai simplement repris ce qui

m’appartenait,expliqua-t-ild’unnatureldéconcertant.—Ah!Etqu’est-cequ’ilst’ontdit?—Quejepouvaisrentrerchezmoi.—Hein!Sanstenircomptedemadéposition?

Al’idéequePaulpouvaitrevenirmeharcelerentouteimpunité,j’avaislachairdepoule.Toutàcoupmonregardsevoilaetj’eusl’impressionunbrefinstantd’avoirétéplongéedansl’obscurité.

—Tueslà?Estelle?questionnaitPauldanssontéléphone.—Euh,oui,répondis-jed’unetoutepetitevoix.—Ilfautqu’onenparle,ajoutamonépoux,tuveuxbienqu’ondiscutedetoutceci?—Jenepensepasquecesoitunebonneidée.—S’ilteplaît,Estelle,ilfautquejetevoie.—Pourmefairerevivrelemêmeenferunefoisquetuserasrentré,horsdequestion.—Tusaisbienquejen’aipasvoulutoutcela,affirma-t-il.—Non,jen’ensaisrien,jenetereconnaissaismêmepas.Tuavaisl’aird’unfou,expliquai-jeen

reniflant.Meslarmescoulaientdenouveauàlapenséedecettesoiréemaudite.—Non,nepleurepasmonamour,mesuppliaPaul.Jenevoulaispastefairesouffrir.—C’esttroptardpourlesexcuses,tun’esplusl’hommequej’aiépousé.—Jet’enprie…Estelle…J’entendisPaulétoufferunsanglot,moncœurs’effritaunpeuplus.Etait-ilsincèrefinalement?

Ilavaiteuletempsdedessaoulerdepuislaveille.Peut-êtreétait-ilpluslucide.—S’il teplait, renchérit-il, laisse-moivenirprendreuncaféet t’expliqueraumoinscequ’ils

m’ontditàlagendarmerie.Tupourrasprendretadécisionenconnaissancedecause.Monépouxavaitfaitmouche,d’autantplusquepersonnenem’avaitavertidesasortie.Ilfallait

quejesachedequoiilretournait.Paultrouval’argumentultimepourmeconvaincredelerecevoir.—Tun’aspasàt’enfaire,déclara-t-il,ilsontconfisquémonarme.—Danscecas,okpouruncafé,maisensuiteturepars.Jenechangeraipasd’avis.—Comptesurmoi,jeserailàdansuneheure.Une heure, c’était largement suffisant pour préparer Elliott pour son après-midi d’école et le

confieràsanourrice.Bienqu’ellen’enaitditunmot,jesavaisàsonregardqu’elleavaitcomprisquequelquechosed’inhabituelsetramait.Eneffet,jen’étaispasuneadeptedesarrêtsdetravailetencoremoinsdespannesderéveil.Bienévidemmentmaminefatiguéeetmesyeuxrougisendisaientlongsurlesproblèmesquejerencontraisactuellement.Toutefoiselleeutletactdetairesesinterrogationsetacceptaavecbienveillancedes’occuperdemonfilsjusqu’àl’heuredelaclasse.Jepusainsirentrerchezmoiavecunpoidsenmoinssurlesépaules.J’avaisacceptéderecevoirPauldansl’uniquebutdeconnaîtrelesconclusionsdesgendarmessanstoutefoismebercerd’illusion;s’ilsl’avaientlaissésortirc’étaitsansdouteparcequ’il lesavaitembobinés.Àl’entendre,monépouxavait l’aircalme,sinonembarrassénéanmoinsjenevoulaisenaucuncasquemonfilsassisteàunepotentiellenouvellescèneentresonpèreetmoi.

IlétaitprèsdemidilorsquePaulfrappaàlaporte.Jeretinsmarespirationaumomentdetournerlaclédanslaserrure.Àtraverslejudasdelalourdeported’entréejepouvaisscruterl’expressiondemonépoux.Sesyeuxtrahissaientuneintensefatigue,lesridesquis’étendaientdechaquecôtédeseslèvres formaientdes sillons révélant ledegréd’appréhensionquedevaitengendrercette rencontre.J’ouvris laporteavec rudesseet, lui tournant ledosaussitôt jemedirigeaivers lacuisinesansunmot.Paulrefermalaportederrièreluietrestadeboutsurlepaillasson,sansunmotégalement.Celacommence bien, pensai-je, si aucun de nous ne souhaite démarrer la conversation. Il allait falloirbriserlaglacepourenfinirauplusvite.

—Tuveuxuncafé?demandai-je.—Oui,s’ilteplait.Ce fut sonunique réponse.Alorsque jem’affairaisdans lacuisine,Paulétait toujoursdebout

prèsdelaported’entrée.Ilsemblaitattendrequejeluidonnel’autorisationdes’asseoir.

—Tucomptesleprendreàlacuisineouausalon?luidemandai-je?—Commetupréfères.—Alorsceseraausalon,jesuiséreintée,décidai-jeendéposantlestassesetlesucriersurun

plateau.Nous primes place dans les fauteuils, séparés par la massive table basse fabriquée par mon

époux.—Bien,raconte-moimaintenant,lançai-jeàPaulenluitendantunetassedecafé.Il entama le récit des évènements, depuis lemoment où les gendarmes vinrent le « cueillir »,

selon ses termes, devant la maison jusqu’à sa libération six heures plus tard. Je découvris par lamêmeoccasionquesonarme-unSigSauerP226-provenaitdel’héritagedesongrand-oncle,grandamateur de films d’action américains tout comme Paul. Ce pistolet avait été l’arme de service deKeanuReavesdanslefilmPointBreakoudeJohnTravoltadansVolte-Face.Ilmel’avaitcachéecaril craignaitma réaction. Paulm’expliqua ensuite qu’il se doutait que la dénonciation auprès de lagendarmerie venait demoi. Toutefois il ne semblait pas comprendre ce quim’avait poussée à lesalerter.Jereprislefildesévènementsdelasoirée, luirappelanttouràtourlesinsultes, lecoupdetête,lesjetsd’eau,lesbrimadesincessantestoutaulongdelanuit,savolontédemeretirermonfilsetpour finir son départ sur fond demenace d’un carnage imminent.Àmon grand étonnement,monépoux pâlit au fur et à mesure de mon récit. Avec effarement même, les effets de l’alcool ayantdésertésoncorps,ilpouvaitdésormaisprendrelapleinemesuredesesactes.Autermedemonrécit,Paulselevaetvints’agenouillerprèsdemoi.J’étaisencoretremblantesousl’effetdesémotionsquim’assaillaient. Il prit mes mains dans les siennes, les porta à ses lèvres et d’une voix tremblanteprononçacesquelquesmots.

—Jesuis tellementdésolé,machérie,pourtout lemalqueje t’aifait.Je teprometsquejeneboiraiplusuneseulegoutted’alcool.Jamais.Jeneveuxpasteperdre.Tusaisquejet’aimeetquetoietElliottvousêtescequim’estarrivédemieuxdanscemonde.

— Tu as une façon particulière de le prouver, répondis-je en retirant ma main. Au jourd’aujourd’hui,jenesaispassijeseraicapabledetepardonner.

—Alorsdonne-moidutemps,laisse-moiteprouverquejepeuxlefaire.—Pourencoret’entendremerabâcherquejesuisbonneàrien,quejenesuisqu’unefeignasse

selontespropresmots,toutcelaparcequejemecouchetôtpourassurermontravailpluslamaisonàgérer,nonmerci!

—Maisc’étaithorsdepropos,jen’étaispasmoi-même,tenta-t-ildes’excuser.—Etlaprochainefoisceseraquoi?Tumereprocherasd’avoircontactélagendarmerie?—Nonjenet’enreparleraipas.—J’aidumalàtecroire,soupirai-je.—Jet’enfaislapromesse.Nous fûmes interrompus par la sonnerie du téléphone. Le gendarme Humbert souhaitait

s’entretenir avec moi dès que possible sur les suites à donner à mon affaire. Je lui indiquai êtredisponiblepourlerencontreretilm’invitaàmeprésenteràlabrigade.Lorsquej’eusraccroché,Pauls’enquitaussitôtdel’objetdemonrendez-vous.

— Il veut certainement m’expliquer la teneur de votre entretien d’hier, annonçai-je. Il vaégalementmeparlerdessuitesàdonneràcetteaffaire,récitai-je.

—Ilvatedemandersituveuxporterplaintecontremoi?mequestionnaPaul.—Jen’ensaisrien,jeverraisurplace.—Tucomptesfairequoi?s’enquit-ilànouveau,l’airinquiet.—Jenesaispasnonplus.Tuestellementcompliqué,admis-je.Tuaurasététouràtouradorable

puisterrifiant.Jenesaisplusquoifaire.D’autantplusquecesdernierstempstun’asvraimentpasété

trèsagréable.— Je te fais confiance, tu sauras prendre la bonne décision, conclut-il. Tu veux que j’aille

chercherElliottàl’école?demanda-t-ilenfin.—Ilseraitcontentdetevoir,admis-je,sachantquemonfilsaimaitprofondémentsonpère.Ilne

ditrien,maisils’inquiète.Tun’aurasqu’àleramenericienattendantquejerentre,ajoutai-je.—Merci,chuchotaPaulavantdefranchirlaporte.Monentretiennesedéroulapastoutàfaitcommejel’escomptais.Jefusreçueparlegendarme

Humbert qui me guida jusqu’à son bureau. Dans l’open space, l’ambiance était électrique. Ladécouverte d’un cadavre dans unemaison abandonnée de la région semblait être la cause de toutecetteeffervescence.Toutenpianotantsursonordinateuràlarecherchedudossierquimeconcernait,lebrigadiermescrutaitducoindel’œil.

—Vousavezunemeilleuretête,finit-ilparconstater.—Oui, j’ai pu dormir un peu cette nuit, admis-je, j’étais surtout rassurée du fait quePaul ne

pouvaitpasvenirm’importuner.— En parlant de votre mari, continua-t-il, nous nous sommes entretenus avec lui durant de

longuesheures,ils’avèrequ’ilaeubeaucoupdemalàencaisservotreséparation.Celan’excuseenrien l’excès de violencemais il nous a assuré qu’il s’agissait d’unemauvaise réaction de sa part,réactionqu’ilregretteprofondément.

—Malencaissélaséparation?questionnai-jeendéglutissant.Etlascènequiaprécédé?Ilauneexplicationpoursafureurlorsqu’ilestrentré?

— D’après votre époux, les crises se succédaient depuis plusieurs semaines, expliqua legendarmeHumbertenrelisantledossieràl’écran.

—Siçacontinuevousallezmedirequetoutestdemafaute,lançai-je,outrée.—Non,MadameRimbeaut,mecoupal’agent,nousnousbasonssurlesfaits,uniquementcela.

Voussavez,ajouta-t-ilenbaissantlavoixetenregardantautourdeluicommes’ilallaitmerévélerunsecret, nousvoyonspasser beaucoupd’affaires liées à des couplesqui sedéchirent. Il faut parfoissavoiradmettresonincapacitéàgérerlacriseetaccepterl’aidequel’onsevoitproposer.

—Etconcrètementçaveutdirequoi?—Quevousdevriezpeut-êtresolliciterlesconseilsd’uneassistantesocialeafindetrouverune

solutionàvosproblèmes.— Non, mais attendez ! m’écriai-je, offusquée. Le problème ne vient pas de moi mais du

comportementviolentdemonmari.Quecroyez-vousquej’aiesubi?—Etantdonnéqu’iln’yapasdetracedeviolence,nitémoin,nousnepouvonsquesupposerque

lesfaitssesontbiendérouléscommevousl’évoquez,meréponditl’agentd’unairdubitatif.—Jen’encroispasmesoreilles,murmurai-jeavantd’étoufferunsanglot.—Vousdevriezprendrecontactavecl’assistantesocialedusecteur,répétalegendarmeHumbert

enmetendantunecartedevisite.Ellepourraitvousdonnerdesconseilspourgéreraumieuxvotreséparationetéviterdetomberdansladépression,surtoutquevousavezunenfant.Pensez-y,conclut-il.

Jen’enrevenaispas.Commentlasituationavait-ellepum’échapperàcepoint?J’avaisalertélesautoritéspensantêtredansmondroitaprèslanuitquemonépouxm’avaitfaitpasser.Aulieud’êtreconsidéréecommelavictimed’undramedelavieconjugale,jemeretrouvaisaccuséedefaiblessenécessitantunsuivipsychologique.Surlecheminduretour,j’envenaisàmedemandersij’avaiseuraisondecontacterlagendarmerie.Désormais,jeseraiconsidéréecomme«unepersonnedépressivequin’arrivepasàgérersoncouple».QuevoulaitdirelegendarmeHumbertpar«n’oubliezpasquevousavezunenfant»?Sepouvait-ilquel’onmeretiresagardesousprétextequel’onmeconsidèrecommedépressive?Devrai-jesubiruneenquêtesociale?Jemerappelaisavoir luquelquepart le

témoignage d’unemère à qui l’on avait retiré la garde de ses enfants parce qu’elle avait fait unedépression aumoment du divorce. Peut-être était-ce là le but demon époux finalement, me fairepasserpourunepersonneirresponsableauprèsdesonentourage.Ceneseraitpastrèsdifficileaprèscettedernièrecrise.Cespenséesmefirentl’effetd’unélectrochoc.Non!Ilnemeprendraitpasmonfils,surtoutaprèsavoiravouéqu’ilregrettaitquejesoistombéeenceinte.Jetiendraisbon,coûtequecoûte ! Alors que je me répétais mentalement ce leitmotiv, je pénétrais dans la petite cour quidevançaitnotremaison.

—Courage,medis-jeendescendantdevoiture.

Maplanchedesalut

«Dans les naufragesdu cœur, commedans les naufragesde l'océan, lemoindremotd'espoirdevientuneplanchedesalutàlaquelleonchercheàsecramponner.»Jean-NapoléonVernier

—Alors,tuasportéplaintecontremoi?demandaPaulenesquissantunsourirecharmeur.Deuxsolutionsseprésentaientàmoi,luidirelavéritéetavouermonécheccuisantd’obtenirune

protection,celaauraitsignifiédonnercarteblancheàmonépouxpourmepersécuter.Cetteidéenemeplaisaitguère.

—Non, je n’ai pas voulu te causer plus de tort que tu ne l’as fait toi-même, expliquai-je enomettantmadiscussionaveclegendarmeHumbert.

—Qu’est-cequ’ilt’aditalors?demandaPaulausommetdelacuriosité.—Quenousdevrionsavoirunsuivipsychologiqueafinderésoudrenosproblèmes,admis-jeen

l’incluantdansleprocessus.—Pasbesoindevoirunpsy,lança-t-il,jevaisbienmoi.—Parcequetucroispeut-êtrequec’estmoiquiaiunproblème,répliquai-je.Toutefois,ilabien

insistésurlefaitquec’estimportantpourlebien-êtred’Elliott.— Qu’est-ce qu’on va faire alors ? s’enquit-il prenant conscience de la signification de la

requête.—Jen’ensaisfichtrerien,concédai-je.Toutcequejesouhaitec’estlebonheurdemonfilset

quetucessesdem’importunerdèsquetuasunecontrariété.—Tusaisquejeregrettecequis’estpassé.Vousêtescequej’aideplusprécieux,toietElliott,

ajoutaPaulens’approchantdemoi.Tandisquej’imprimaisunmouvementderecul,ilsefigea.—Jetefaispeur?s’étonna-t-il.J’acquiesçai.—Tun’asrienàcraindredemoi,renchérit-ilententantdes’approcher.Mesentantpriseaupiègeetnesachantquefaire,jefussaisiedetremblementsincontrôlables.—Qu’y-a-t-il?demandaPaul.—Jen’ensaisrien,ajoutai-jesimplement,lavoixchevrotante.Jen’arrivepasàmecontrôler...Puiscefutletrounoir.Lorsquejerouvrislesyeux,j’étaisallongéesurmonlitetquelquechose

meserraitlebras.Lemédecindegardeétaitassisàmescôtésetprenaitmatension.—Quatorze-sept,fit-ilpluspourlui-mêmequepourmonépouxquifaisaitlescentpasaupied

dulit,c’estmieux.—Qu’est-cequisepasse?demandai-je.J’avaislabouchepâteuseetunaffreuxgoûtmétallique

lorsquejedéglutissais.—Tuasfaitunmalaise,réponditPaul.Tun’arrêtaispasdetremblerpuistut’esévanouie.—C’estdûàquoi?demandai-jeaumédecin.Etpourquoij’ailesveinesenfeu?—Jevousaifaituneinjectiondemagnésium,expliqua-t-il,c’estletraitementhabituelencasde

grossecrisedespasmophilie.Vousenaviezdéjàfaitauparavant?—Unefoislorsquej’étaisadolescente.

—Vousavezsubiunesituationdestressrécemment?hasarda-t-il.JelançaiunbrefregardàPaulquis’étaitrapprochédemoidepuismonréveil.Ilétaitlivide,le

visagedécomposéparl’inquiétude.Jel’avaisrarementvudanscetétat.—Oui,répondis-jefranchement,nousavonseuunepériodedifficiledernièrement.—Jenesauraisque tropvousconseillerdevousménager, insista lemédecin. Il fautveillerà

dormircorrectement,unminimumdeseptheuresparnuitsivouslepouvez.Bienévidemmentilfautvouséloignerdetoutesituationstressante.

—Biendocteur.—Unedernièrechose,ajoutalemédecinenseretournantversmonmaripuisversmoi,prenez

letempsdedialoguerdansvotrecoupleetdepartageruneactivitéencommun.Celavouspermettradepasseroutrecestressambiant,conclut-ilcommes’ilavaitdevinénostourments.

—Comptezsurmoi,renchéritPaul,jevaisêtreauxpetitssoinspourmafemme.Il était impensable de croire que j’avais devantmoi lemême homme que la veille, celui qui

m’avait humiliée durant des heures, que j’avaismême dénoncé à la gendarmerie. À présent, il setenaitprèsdemoiàmecaresser lamain, le regardemplidebienveillance.Ceseraitdifficilede lequitter dans ces conditions, pensais-je, personne ne croirait à ma version des faits. Je fus donccontraintedeluidonnerunenouvellechancederachetersesfautes,toutenmepromettantdegarderlatêtefroideetd’êtreattentiveaumoindrechangementdecomportement.Depuiscesévènements,jecommençaisenfinàcomprendrequejenedevaispasaccepterdesubirlemalheur.J’étaisactricedemavienonpasspectatrice.

Les mois passèrent, nous replongeant dans une routine de couple presque familière. J’étaisnéanmoinssurlequi-vive.DèsquePauldevaits’absenterpourraisonsprofessionnelles,moncorpsétait en alerte. J’avais subi de nouvelles crises de tétanie, commem’avait expliqué le médecin. Ilm’avait également conseillé quelques techniques de respiration afin de mieux prévenir lesmanifestationsliéesàl’angoisse.Jetentaisaumieuxd’appliquersesconseils,sanspenserquemavieallaitêtreànouveauchamboulée.

***

C’estainsiquemoinsd’unanplustard,audébutdel’année2010,ilfaudraitbienquejem’avoue

quemavievenaitdeprendreuntournantdécisif.Celafaisaittrèsprécisémentseptmoisettroisjoursqu'Éric était entré dans ma vie. Et en cet instant il me manquait terriblement. Suite à un récentlicenciement il était parti en formation en région parisienne car il avait souhaité se reconvertirprofessionnellement. Il avait donc entrepris de s'orienter dans les métiers de l’informatique. Bienévidemment, je cherchais encore à comprendre les éléments déclencheurs de cette situation que jetrouvais digne d’un bon Marivaux. À presque trente ans, je travaillais toujours dans la mêmeentreprisepassantdeserviceenservice,j’étaisdevenueautermededixansd’anciennetél’assistantedudirecteurdelacommunication.Jem'étaismariéeen2004avecPaul,autermededeuxannéesdeviecommuneetmoinsd’unanplus tardnotre filsElliott étaitné.Toutallaitbien jusque-là,oudumoinsjem’efforçaisdelepensercarcommedenombreuxcouples,nousavionsuncertainnombrede dissensions, dont certaines avaient laissé place à de la rancœur. Je me sentais à cette époqueterriblement seule, isolée de mes anciens amis, piégée dans une histoire d'amour qui me faisaitsouffrir,souffrancequejenepensaispasêtreprêteàaccepterniàsurmonter.

Mavieavaitpourtantprisunnouveautournantenavril2009,lorsqu’unincendies’étaitproduitsurmonlieudetravail.Suiteàunedéfaillance,untableauélectriques’étaitembraséetlefeus’étaitpropagéàlazonedestockagesituéeàproximité.L’ensembledupersonnelfutévacuéetseregroupadans la cour en attendant l’intervention des pompiers.Très vite nous vîmes des flammes lécher la

toiture du bâtiment. Incrédules, nous nous regardions les uns les autres en nous demandant ce quenousallionsdevenir.Vulasituation,ilétaitquasimentcertainquenousserionstousmisenchômagetechnique.Le lendemainde cet accident, nous fûmes réunis par la délégationuniquedupersonnel,accompagnéedesreprésentants locauxde laCGTdans lacourde l’usine.Ladirectionavaitdécidél’arrêt total de la production le temps que les dégâts puissent être réparés et nous incitait à nousmontrer patients. Dès lors, tout s'était rapidement enchaîné : les tensions entre salariés s'étaientévanouiescommeparenchantement,nousétions toussolidaires.Nousdécidâmesdenousréunir leplus souvent possible, d’une part pour nous tenir informés de l’avancée de l’expertise puis destravaux mais aussi pour nous occuper l’esprit. Le réfectoire de l’usine avait été mis à notredisposition comme bon nous semblait. Certains s’occupaient en préparant des crêpes, gaufres ettoutessortesdeplatspourlebonheurdespapillesdescollègues.Lesautresétaientattablésàdiscuteroujouerauxcartes.Quelques-uns,commemoi,naviguaientd’ungroupeàl’autreenessayantdetuerletempsetdetrouverquelquechoseàfairepourserendreutile.

Unjourtroisdemescollèguesetmoi-mêmeavionsdécidédenousasseoirdehorspourdiscutermalgrélefroidmordant-inhabituelencedébutmai.Jem’installaisurunbancprèsd'Éric,unjeunehommequejecroisaisdetempsàautrelorsquejedescendaisvérifierlesstocksdansl'ateliermaisàquijen'avaisjamaisadressélaparole.Ilétaitoccupéàlirelejournaletneprêtaitaucuneattentionàcequisepassaitautourdelui.Jedoutaismêmequ'ilnousaitremarquées.Unarticledujournalayantattirémonattention,jecommençaiàlirepar-dessussonbras,cefutnotrepremiercontact.Plustarddansl’après-midi,jeleretrouvaidansleréfectoireettoutennousservantuncafénousentamâmeslaconversation. C’est fou comme l'on peut croiser une personne dans le cadre professionnel et nejamais trouver le tempsde lui adresser la parole,me fis-je la réflexion.Certes je l’avais toujourstrouvéséduisant,mais j’étaisencoupleetn’avais jamaissongéà l’aborder,mêmepourunebanaleconversation.

Je fus agréablement surprise par le bref échange que nous avions eu ce jour-là. Depuis unesemaine et demie que nous avions cessé le travail, je bouillais intérieurement, stressée parl’éventualité de la perte de mon travail et blessée par le fait que mon mari ne me soutenait pasdavantage. Je trouvais donc dans l’attitude d'Éric le calme et la douceur dont j’avais besoin poursurmontercetteépreuve.Quandquelquessemainesplustard,onnousannonçalareprisepartielledutravail, je perdis de vue mon nouvel ami. Seul le personnel administratif avait été autorisé àréintégrer les locaux afin de traiter les dossiers laissés en suspens et prévenir l’ensemble de laclientèled’unerepriseimminentedel’activité.Celanem’empêchapasdepenserquelquefoisàÉricetd’enveniràsouhaiterfaireplusampleconnaissance.Paul,quantàlui,mereprochaitlefaitdefairepartiedelaminoritédepersonnesàreprendreletravail,quenousavionsperduplusieurssemainesdesalairepour rien, les indemnitéspourchômagepartiel tardantàêtreversées. J'étais atterréepar saréaction,commentpouvait-ilmereprocherl’accidentquiavaiteulieu?

Début juillet l’atelier avait été réaménagé entièrement de façon à ce que l’activité puisseredémarrer.Lazonedestockageportantlesstigmatesdel’incendieétaitdésormaisinterdited’accès.Alorsquejetraversaisl’usinepourreveniràmonbureau,jecroisaiÉricdansuneallée.Moncœureuunsursaut.Nouséchangeâmesquelquesbanalitésetjereprismonposte,troublée.Jem’efforçaidemeraisonner : ilnes’était rienpassédeparticulierentrenous,etcematin-là iln’avait faitquemedirebonjour.Quelleidiotejefaisaisderougirpoursipeu.Parailleurs,l’idéemêmequ’ilauraitpuyavoirplusauraitdûmefairefuiràgrandesenjambées.J'étaismariée,voyons!Maiscenefutpaslecas.Plusj’essayaisdemeraisonner,plusj’ypensaisetplusj’avaisenviedepercerlemystère.Aussi,unsoirj’enparlaiàmonamieetcollègueEugénie,ellequileconnaissaitàl'extérieurdel'entreprisepourraitm’en apprendre plus sur lui. J'espérais qu'elleme dise qu'il était en couple et heureux enménage, avec des enfants, cela aurait apaisé mon esprit. Ce fut l'effet inverse. J’appris qu’il était

célibataire,qu’ilvivaitencorechezsesparentsetquec’étaitunéternelromantiquequiattendaitaprèslafemmedesavie.Côtécaractère,Eugéniemedécrivitquelqu’undecalme,attentionné,sérieuxettimide.Commentrésisteràceportraitlorsquel'onsesentdélaisséeauseindesoncouple?Malgrétout,jedécidaiqu'ilmefallaitoublierÉric,ils’agissaitsansdouted’uncoupdecœurpassager,celapasserait avec le temps. Quant à mes allées et venues dans l'atelier, je reléguai les tâches qui lesnécessitaientsousunepilededossiersetmeconsacraiàd'autrestravaux.

Alorsquejepensaisquemaraisonl’avaitemporté,unmatind’août,jelevisfranchirlaportedemonbureau. Jem’empourprai toutàcoup lorsque jecomprisqu’il allait assurerun remplacementdansunezonedel'usinequisesituaitjustedel’autrecôtédemaportedebureau,etdoncquej’allaisêtreamenéeàlecroiserpendantlesdeuxsemainesàvenir.Lesoirvenu,jeparlaidemontroubleàEugénie,quidevintpeuàpeumaconfidentesurlesujet.Maviepersonnelleétaitdéjàsuffisammentcompliquéeentrelessautesd'humeurdemonépouxetlesdifficultésfinancièresliéesàsapériodedechômageetàmarécentepertedesalaire.J'avaisbesoind'unsoutienextérieurquimepermettraitd'yvoirplusclairaumilieutouscessentimentsconfus.Néanmoins,plusjediscutaisavecEugénie,plusmon trouble grandissait, comme si par ses propos si élogieux envers cet homme que je neconnaissais pas, elle me poussait inconsciemment à vouloir en découvrir davantage. Après uneréuniondecommunicationinterneaucoursdelaquellejedusprendrelaparole,Eugéniemeconfiaqu'Éricnem’avaitpas lâchéedu regard. J’en fus ravieet aussitôtgênéede ressentir cetteattirancepourlui.

Les jours qui suivirent furent l’objet d’une anxiété grandissante lorsque nous apprîmes quel’accidentrencontréenavrilavaitimmanquablementfaitchuterlechiffred’affairesdelasociété,quienvisageaitdecefaitdelicencier.Afindepallierlestressambiant,jeprisl’habitudederevenirplustôtaubureauaprèsmapausedéjeuner,dans leseulbutd’allerdiscuterquelques instantsavecÉric.Malgrélatensionautourdenous,ilsemblaittoujourscalmeetserein,etcelamefaisaitunbienfou.Cédantàlatentationdepercerle«mystèreÉric»,jemeproposaimentalementd’essayerdegarderlecontact, quoiqu’il puisse arriver sur le plan professionnel. Puisque sa présence me permettait degagnerensérénité,jenevoyaispasd'inconvénientàdevenirsonamie.Quelquesjoursplustard,jesautailepasetdécidaideluiremettremonnumérodetéléphone.Ainsilevendredisuivant,alorsquejeréalisaiuninventairedansl’atelier,jepressaiEugéniedeluidemanderdepassermevoiravantdepartir.Jenemedoutaispasqu’ilviendraitmetrouversurlechamp,etcefuttoutegênéequejeluitendislepost-itoùétaitinscritmonnumérodeportableainsiquemonadresseemail.Jepensaisalorsqu’il allait se moquer de moi, mais quelle fut ma surprise lorsqu’il le mit dans sa poche en meremerciant!Ileutletactdenepasl'ouvrirdevantlesquelquespersonnesprésentes.Jecontinuaidoncmoncomptagecommesiderienn'était.Cemidi-là,alorsqueretentissaitlasonnerieindiquantlafindutravailetparlamêmeoccasionledébutduweek-end,Éricvintàmarencontreetmetenditavecunlargesourireunmorceaudepapiersurlequelétaitinscritsonnumérodetéléphone.

J’étais heureuse de voir que lui aussi souhaitait garder le contact. J’allai aussitôt retrouverEugénieetluiracontaitlascène.Ellemeditdesautersurl’occasionetdeluienvoyerunsmspourinstaurer le dialogue. Je lui répondis que je n’oserai jamais, de peur qu’il se méprenne sur mesmotivations. Comme je ne travaillais pas cet après-midi-là, j’essayai de m’occuper des tâchesménagèrescependantmonespritnemelaissaitpasenpaix.Jerepensaissanscesseàcequem’avaitconseilléEugénie.N’ytenantplus,j’envoyaiunsmsàÉric:

«Salut,çatediraitd’allerboireunverreundecesquatre,histoiredefaireplusampleconnaissance?»

J'avaisl'impressiond'êtreretombéeenenfanceoubienàl'époqueducollègeoùl'onconnaîtsespremiersémois.Jepensaismalgrétoutquejen’auraispasderéponseouqu’ilsemoqueraitdemoi,comme l’avaient bien souvent fait les hommesvers lesquels jem'étais tournéedans le passé.Montéléphonesonnapeudetempsplustard,jeluslemessage:

«C’estunetrèsbonneidée».

On se donna rendez-vous l'après-midi même à quinze heures. Je m’extasiais comme une

adolescentequivenaitdedécrochersonpremierrendez-vous.Aussitôtjefonçaidanslachambreafindetrouverunetenueadéquate.J’optaipourunerobelégèreencotongrisassortiedeleggingspourcachermesrondeurs.Jemeremaquillaienmedemandantsilecourantallaitpasseretsijetrouveraisunsujetdeconversationintéressant.

J’arrivais en avance au rendez-vous.Anxieuse, jeme demandais de plus en plus si c'était unebonneidée.Jen'avaisjamaisparléàmonépouxdecetteamitiénaissante,depeurqu'ilm'exhortedecesserimmédiatementtoutcontact.Jenecherchaispourtantpasàavoirunerelationextraconjugale,j'étaisfidèleparconvictionettenaisàrespecterlesengagementsprislorsdenotremariage.C'estvraique notre couple allait mal ces derniers temps, depuis que Paul avait perdu son dernier emploinotamment.Ilétaitrégulièrementtaciturne,nesupportantpasquelesautresréussissentautourdeluialors que lui-même ne parvenait pas à garder un emploi stable. Je savais pertinemment que cettesituation était liée à son caractère. Il était très doué dans son travail, des mains en or selonl'expression, malheureusement il avait un caractère de cochon, n'acceptant les remarques de sahiérarchiequesicettedernièreétaitcapabledeluiprouversurleterrainlapossibilitédetelleoutelleaction. Il voulait systématiquement leur prouver - parce que lui était sur le terrain - que leursdirectivesn'étaientpasréalistesetquedecefaitsonidée-etuniquementlasienne-étaitréalisable.Ce type de comportement était parfois toléré cependant cela n'empêchait pas Paul de toujourschercherl'affrontementavecseschefs,cequifinissaittoujoursparunlicenciement.Aprèsquelquesmois difficiles et à force de recherches sur Internet, j'avais pu dénicher un nouvel emploi àmonépoux.Ils'agissaitd'unpostederesponsabled’atelierchezunfabricantdemeublescettefois-ci,aussij'espéraisquelefaitdemonterengradeetd'avoirdupersonnelsoussaresponsabilitéluipermettraitdeprendredureculsursoncomportementprofessionneletpersonnel.Unenouvellechanceluiétaitaccordée.

J’écoutais de la musique en voiture lorsque Éric arriva. Je le rejoignis sur le parking encherchantlebonmoyend’engagerlaconversation.Alorsqu'ilsepenchaitversmoi,monespritmejoua des tours et je crus qu’il désiraitm’embrasser. Confuse, je tournai la tête et à cause demontroublejeluifislabisepourladeuxièmefoisdelajournée.Nousallâmesboireunverreàlaterrassed’uncaféetcommençâmesànousraconternosviesrespectives.Jemesurprisàparlerdechosesetd’autresavecunecertainedécontraction.Afindeprofiterdecetagréableaprès-midietpuisquenousétions en bord de mer, nous allâmes marcher le long de l’esplanade tout en continuant notrediscussion. Je remarquai qu’il ne parlait pas beaucoup, contrairement à moi. C'était l'un de mesdéfauts,lorsquej'étaisstressée,jedevenaisuneincorrigiblepipelette.Deretoursurleparking,nousnousséparâmesennoussouhaitantunbonweek-end.Unefoisrentréeàlamaison,jeluienvoyaiuntextopourleremercieretluidirequej’avaispasséuntrèsbonmoment,auquelilréponditpresqueaussitôt.

«Pourmoiaussic’étaitagréable,ilfaudralerefaire.»

Le soir au dîner, Paul me trouva étonnamment enjouée, toutefois je ne lui dévoilai pas la

véritableraisondemabonnehumeur.Jemiscelasurlefaitquelesvacancesapprochaientetquejepourraisenfinprendreunpeuderepos.Lelundiquisuivit,jefussurprised’espérerl’arrivéed’Éricdans mon bureau. « N’importe quoi ! » me morigénai-je. « Il a repris son poste cette semaine,souviens-toi!»hurlaitmonesprit.«Etpuiscen’estpasparcequevousavezbuunverreensemble,qu’ilvachangertavie.»Ilyavaitdécidémentbientropdevoixdansmatêtecejour-làpourquemaconcentrationsoitàsonmaximum.Jedusfairepreuved’acharnementafindemeconcentrersurmontravail.Autermedecettejournée,quifutlaplusennuyeusequejeconnus,jeprisladirectiondelaville où mon fils était scolarisé. Sur le trajet, mon téléphone sonna. Sans attendre, j’attrapais lecombinépourvoirquitentaitdemejoindre.Moncœurmanquaunbattementlorsquejevisapparaîtresonnomsurl’écran.Éric.J’étaisimpatientededécouvrirsonmessage,néanmoinsl’étroitessedelaroute ne m’offrait pas la possibilité de me garer. J’allais devoir attendre mon arrivée à l’école.Commeàl’accoutumée,monespritallaitbontrain,jebrulaisdelirecesms.

Jemegarairapidementsurleparkingdel’école,toutencoupantlemoteur,j’attrapaivivementmontéléphone.

« Coucou, j’ai pensé à toi aujourd’hui, comment s’est passée cette journée detravail?»

D’apparencebanale,ce textomefit toutefoisun immenseplaisir. J’entamaialors ladiscussion

avec mon nouvel ami. Depuis plusieurs années, mon entourage s’était peu à peu restreint et neconsistait plus désormais qu’en la famille et les amis demon époux,mapropre famille habitant àplusieurs centainesdekilomètres.Paul avait réussi petit àpetit à refermer sonétreinte,meprivantainsi des précieux conseils qu’auraient pume prodiguermes anciennes amies au sujet des récentsévènementsquej’avaistraversés.JeconcevaiscettenouvelleamitiéavecÉriccommelebienleplusprécieuxquel’onauraitpum’offrir.SiPaulavaitconnaissancedesonexistence,ils’arrangeraitpourla faire cesser par toutmoyen. Je pris donc la décision de garder cette amitié secrète, pourmonpropre bien-être. Éric prit régulièrement demes nouvelles durant les deux semaines qui suivirent.Nouséchangions surtouten finde journée, entre lemomentoù je récupéraisElliott à l’écoleet leretour de Paul à la maison, c’était notre rituel. Lorsque mon nouvel ami revint effectuer unremplacementprèsdemonbureau,nous reprîmesnoshabitudes ; lemidi jebuvaismon thé en sacompagnieet le restede la journéenousvaquionsànosoccupations respectives.Tout sepassait àmerveillejusqu’aujouroùlecouperettomba.Malgrélareprisedel’activité,noussavionsqu’unplansocialnousattendaitaprèsl’accidentquis’étaitproduitendébutd’année.Lespertesavaientététropimportantespourquel’usinepuisseréaffirmersapositiondeleadersurlemarché.UnevingtainedesalariésallaientêtrelicenciésetÉricenfaisaitpartie.J’étaistristepourluicarnoussavionstousdeuxcombien le marché du travail était moribond dans notre région, une période difficile s’annonçaitpour lui.Aussi je lui fis lapromessede lesoutenirautantquepossibledanscetteépreuve,d’autantplusqu’ilétaitdevenuaufildessemaines leseulpiliersur lequel jepouvaismereposerencasdedoute.

Lesmoispassèrent,danslespremiersmomentsj’eussouventunpincementaucœuraumomentde prendre ma pause déjeuner alors qu’Éric ne faisait plus partie de la société, je n’avais pluspersonneavecquidiscuterdurantlerituelduthé.Paulquantàluiredevenaitirritable–etirritantparlamêmeoccasion–ilseplaignaitsanscessedesonnouveautravailetplusencoredufaitquej’avaisconservélemien.Ilnousavaitimaginédéménagerauplusprèsdesa«boîte»commeill’appelait.Je

n’avaispas relevé,biendécidéeànepas lecontrarier sur l’instant.Cependant jenemevoyaispasdéménager,quittercettemaisonquej’avaisautrefoisrêvée,pourlaquellejem’étaisendettéesurunevingtained’annéesetquidurantlespremiersmoisdestravauxm’avaitfaitavoirdessueursfroidesàl’idée dem’être emballée pour un projet qui se révélait plus coûteux que je ne l’avais escompté.C’étaitnéanmoinsdevenumonfoyer,celuiquiavaitvunaîtremonfilsetquidernièrementavaitétélesiège de douloureux conflits avec mon époux. Mais j’aimais cette maison. À elle seule ellesymbolisait mon désir d’indépendance et de réussite sociale. Lorsque j’étais d’humeur maussade,j’appréciaism’asseoirdevant lagrandebaievitréequidominait labaiepouryobserver lepassagedesoiseaux. Je trouvaiscettevueapaisante.Parfois jem’installais là, justepour relire lesdernierssmsqu’Éricm’avait envoyés.Le rythmeque sa formation lui imposait était certesdifficilemais ilétaitplusmotivéquejamais.Parailleurs,ils’étaitliéd’amitiéavecd’autresstagiairesaveclesquelsilpartageaitunpointcommun,ilsavaienttoussubiunplansocial.Monstatutdesalariéeépargnéemesemblait tout à coup contraster avec notre amitié et me faisait craindre que désormais il ne meconsidèrepluscommesonamie.Cettepenséemeserrait lecœur. Jenevoulaispasperdre laseulepersonne qui, pleine de sagesse, avait su voirmes failles sans jamais les pointer du doigt. Il étaitdevenumon confident, à tel point que je lui avais raconté ma vie sans aucun filtre. Quand je luidemandaiscequ’ilenpensait,notammentdansmarelationavecPaul,ilmerépondaittoujours:

«Jemedisquecen’estpasuneviedevivrecommecela»,

ou:

«Lavieestcourte,pourquoirestersitusouffres?»

Ses réflexionssouventempreintesdesagessem’obligeaientàappréhendermaviesousunœil

neuf. Etait-ce vraiment la vie que j’avais souhaitée ?Non, certainement pas. Les absences de Paulétaient devenues plus fréquentes avec son nouvel emploi, l’éloignant de la maison des semainesdurantpourdiverses réunions au siègede sonentreprise et autres séminaires. J’avais fini parm’yhabitueretmêmeparlesapprécier.J’envenaisparfoisàmedemandercommentseraitmonquotidiensiPauln’enfaisaitpluspartie.Sansdouteneverrais-jepluspoindrel’angoissedesonretourchaquevendredi soir ; cellequiprenait la formed’unebouleetqui s’installait sournoisementaucreuxdemonestomac,quiparfoismeprenaitàlagorgeetnevoulaitplusmelâcherjusqu’aulundimatin.Ellejouaitavecmoi,disparaissantparfoislorsquePaulrentraitdebonnehumeur,pourmieuxrevenir,telunboomerangmefrappantdepleinfouet.Alorsellem’emportaitavecelledanslevideabyssal,moncorps n’était plus parcouru que par des soubresauts dont je ne parvenais pas à contrôler lesmouvements,jerestaislà,l’espritenalertemaisincapabled’amorcerlaremontéeverslasurface.Unfroid intense m’enveloppait tandis que ma bouche se desséchait et que ma respiration se faisaithaletante.Sepouvait-ilquel’onressentelesmêmessensationslorsquelaviequittaitnotreenveloppecharnelle ? Puis elle me laissait enfin, étendue sur mon lit et recouverte d’une multitude decouvertures toutes destinées à redonner vie à chaque parcelle demon corps anéantie par la crised’angoissequivenaitdemeterrasser.Pendantcetemps,Paul,quifutdanslespremierstempsinquietet surprispar laviolencede ces crises et qui s’y était habituébienmieuxquemoi,m’exhortait decessermes « jérémiades ». S’il avait été juré, j’aurais obtenu d’après lui leCésar de lameilleureactrice.Maisilnes’agissaitpasd’unrôle,jesubissaiscescrisessansaucuneissuedesortie.Enfinsi:unelueurd’espoirapparaissaitlorsquejepensaisàÉricetàsessagesparoles.Jedevaisluiparlerde

vivevoix,jedevaisêtrecertainedemessentiments.

Unedécisioninéluctable

«Une nouvelle réconciliation faite à la légère entraînera une nouvellerupture.»GeorgeSand

«J’aibesoindetevoir…»

Jefixaisl’écrandemontéléphonetandisquej’hésitaisàappuyersurlatouched’envoidusms.

Qu’allait-il en penser ? Il était si loin désormais et quand bien même son emploi du temps luipermettait de rentrer chez lui un week-end sur deux, il restait enfermé à consulter les différentsmanuels qu’il empruntait à la bibliothèque du campus afin de parfaire ses connaissances eninformatique.Alorsque jemereplongeaisdans lacontemplationde lanaturedepuis labaievitrée,mondoigteffleurasubrepticementl’écran.

—Non,non,non!memorigénai-jeenvoyantquelemessageétaitencoursd’envoi.Jetapotaifébrilementsurl’écrandemonsmartphoneafindestopperlatâcheencourslorsquequ’unmessageindiquantladélivrancedusmsapparutsurl’écran.

—Tantpis,ajoutai-jepourmoi-même,jeverraibiens’ilmerépond.Enattendant,jedécidaidemeconsacreràmapassion.Jem’installaiconfortablementdansmon

fauteuil, une couverture sur les genoux et je repris la lecture du roman de fantasy dont toutes lesjeunesfillesparlaientcesdernierstemps.Surtoutdepuisl’adaptationcinématographiquedeTwilightetl’incarnationduhérosparleténébreuxRobertPattinson,quineleslaissaitpasindifférentes.Biensûr, j’avais vu le film mais je préférais forger mes propres personnages dans mon esprit et à yréfléchir,jenemefiguraispasEdwardsouslestraitsdecetacteuraussitalentueuxsoit-il.Lepouvoirdesmotsavaitcelade fascinant, ilsétaientcapablesdemodelerchaquedétaildans l’imaginairedulecteur.C’estpourquoilorsquejemeplongeaisdansleslivres,j’aimaisavoirl’impressiondefairecorps avec l’histoire.C’est ce qui s’était produit avec ce roman.L’histoire d’amour entreBella etEdwardrésonnait terriblementdansmoncœur.Ellemerappelait ledébutdemarelationavecPaul,lorsquenousétionstombéséperdumentamoureuxl’undel’autre.L’histoirededeuxpersonnesquetout opposemais qui finissent par s’aimer. Là où la réalité ne pouvait toutefois calquer la fictionc’étaitdanslapromessed’unamouréternel.Edwarddufaitdesonimmortalitépouvaitlejureràsadouce:sapassionpourelletraverseraitlessiècles.Néanmoinslorsquesurvintlapremièreépreuve,lebelhéros abandonna rapidement sapromisecar leursdifférenceshandicapaient sévèrement leurrelation.Bellatrouvaalorsprotectionetconsolationauprèsdesonmeilleurami.Lestensionsqu’elleconnut avec Edward faisaient écho aux problèmes que je rencontrais avec Paul. Par ailleurs sonamitié avec Jacob lui permettait de tenir bon lorsque tout espoir semblait perdu. Je rencontraiségalement ce genre de sentiments envers Éric. Est-ce quemon amitié pour lui laissait place à unamournaissant?Mettais-jetropd’espoirdansleréconfortqu’ilm’apportait?ToutcommeBellajeme trouvais perdue au milieu de sentiments contradictoires. Avec l’envoi de ce sms, j’allaiscertainement – si Éric y répondait – au-devant d’un triangle amoureux dont je n’étais pas sûre deressortirindemne.«Adviennequepourra»,pensais-je.Seulelaréponsedemonamimesemblaitêtrelaclédel’énigmequirégissaitmaviedésormais.

Lesvibrationsdutéléphoneposésurl’accoudoirdemonfauteuilmetirèrentdeForks[1]pour

merameneràlaréalité.Jeprisconnaissancedelaréponsed’Éric:

«J’aiaussienviedetevoir,maiscen’estpasraisonnable».

Jerestaiperplexe,voilàqu’ilinvoquaitlaraison.Denouvellesquestionsmetaraudaient.Avait-il

deviné les sentiments contradictoires qui n’animaient ?Mon texto avait-il était perçu comme unedéclaration d’amour ? Ressentait-il quelque chose pourmoi autre que de l’amitié ? Plutôt que dem’apaiser,j’étaisdenouveauxentraind’échafaudermilleetuneidées.Ilfallaitquej’enailecœurnet.

«Pourquoiparles-tuderaison?»

Delonguesminutess’écoulèrentavantquemon téléphonenevibreenfin. Je lus rapidementsaréponse:

«Parcequecen’estpasmoiquisuismarié.»«Cequisignifie?Tuesbienénigmatique.»« Rien. Je ne rentre pas ce week-end. Tu veux qu’on aille boire un verre samedid’après?»

Aucombledemestergiversations,jeneconcevaispasd’attendreunesemainedeplusaussinous

nousdonnâmesrendez-vouspourlesamedi.J’avaisacceptédelerejoindreàParispourl’occasionensachantquemonépouxtravaillaitsurunchantieràLilleetqu’ilnerentreraitqu’enfindesoirée.Elliottetmoiprîmesletrainencesamedimatin.Leterminus,situéGareSaint-Lazare,mepermettaitde profiter pleinement de cette escapade dans la capitale.Nous passâmes la fin dematinée à nouspromener,mèreetfilsdanslesalléesduJardindesPlantes.Àtraversleshautesvitresdesbâtiments,je montrai les squelettes de dinosaures à Elliott qui les découvrait avec un plaisir non dissimulé,confortablement installé dans sa poussette.Nous continuâmes notre visite au sein de laGalerie del’Évolution avant de faire une pause déjeuner dans un fast-food à proximité. L’angoissemontait àmesurequel’heuredurendez-vousavecÉricapprochait,nousavionsconvenudenousretrouversurleparvisdeNotre-Dame.Moncœurbattaitlachamadelorsquejeparvinsàdestination.Elliotts’étaitassoupi dans la poussette canne, encore émerveillé par la grande ville comme il l’appelait. Éricm’attendaitprèsdupointzéroquidéterminaitledépartdetouteslesroutesdeFrance.Ilm’accueillitavecungrandsourirepuisnouséchangeâmesquelquesbanalitésconcernantlevoyageentrain,montravailàl’usineetsanouvellevied’étudiant.

—Tiens je lui ai pris ça, j’espèrequ’il aimera, commençamonami enme tendant unepetiteTourEiffelàdestinationdemonfils.

—Jesuiscertainequ’ilappréciera,leremerciai-je.—Tuavaisbesoindemevoirilparaît,continua-t-il.Voilàqui était direct.Maintenantque j’avais fait ledéplacement, il n’était plusquestiondeme

défiler.J’expliquaidoncàÉriclecheminementintérieurquim’avaitamenéàavoirdesdoutessurlessentiments que je lui portais. Sa compagnie m’avait tellement manqué ces derniers temps que jepercevais cela comme le signe d’une affection plus profonde qu’une simple amitié.Éricm’écoutaattentivement avant de reprendre la parole.D’après son opinion,mon inclination pour lui pouvaitégalement provenir d’un manque d’amour entre mon mari et moi. J’étais d’accord avec lui, lestensionsquejeconnaissaisavecPaulmepesaient.Maiscommentexpliquerquel’absencedemonami

mesoitsiinsupportable?Pourquelleraisonm’étais-jesurprisetantdefoisàattendreunmessageouunappeldesapart?Etquesignifiaitcetteénigmatiqueréponse«cen’estpasmoiquisuismarié».Jetentaiunenouvellefoisdepercerlemystère,Éricéludaunefoisencorelaquestionprétextantneplussavoircedontilvoulaitparleràcemoment-làdelaconversationpartexto.Sonexcuseétaitsipeucrédiblequejememisàrire,cequieutpourconséquencedetroublerunpeuplusmonami.

—Estelle,écoute,commença-t-ild’unevoixgrave.—Oui?dis-jeenreprenantmonsérieux.—Tusaisàquelpointc’estcompliquévumasituation,jesuisencoreàParispourhuitmoisetsi

toutvabienjepensemêmetenterunespécialisation.Faispascettetête,onnepeutpasdirequedetoncôtécesoitfacilenonplus.Tusaisquejet’apprécieénormémentetc’estvraiqueçamemanquedenepastevoircommeavant,quandonbossaitensemble.

Ilpritmamaindanslasienne.—J’aimeraistellement...—Maman?Tuparlesàqui?demandasoudainunepetitevoix.Éric, interrompuparElliottquivenaitdeseréveiller,melâchavivement lamain.Décidément,

pensai-je, je nedevais pas avoir le droit de connaître les véritables sentiments demonami àmonégard.

—Uneconnaissancemonchéri,luirépondis-je,malàl’aise.—Tuvois?renchéritÉric.C’estdecegenredesituationdontjeveuxteparler.Moncœurseserrapourdebon.Alorsquejedécouvraisl’étenduedemessentimentspourmon

ami, jeme rendais également comptequecette idyllenepourrait jamaisvoir le jour. Il n’était paspensabled’entretenirunerelationextraconjugale,jem’étaisfaitlesermentderesterfidèlequoiqu’ilpuissearriver.J’avaistropsouffertdelatrahisondeMarcpourreproduirecemêmeschéma:devoirsecacherpourenaimerunautre,mentiràsesproches,cen’étaitpaspourmoi.Jen’enauraisjamaisété capable,monentourage–oucequ’il en restait– l’aurait devinédans l’instant. Jen’étaispas àmême de cacher mes sentiments envers quelqu’un, le trouble l’aurait immanquablement emporté.Biensûr,ilyavaituneautresolution,jepouvaisquitterPaulmaiscelasignifiaitfairesouffrirmonfils,lecouperdesesracines.Àcinqans,ilavaitbesoindelafigurepaternellepourseconstruire,etmêmesiPauletmoinousquerellionsrégulièrement,Elliottn’avaitjamaiseuàenpâtir.Ériclisaitenmoicommedansunlivreouvertetlorsquejecroisaisonregardaumomentdenousdireaurevoir,jepusvoiràquelpointcettesituationlefaisaitégalementsouffrir.Lasagessedontilfaisaitpreuvem’avaitouvertlesyeuxsurlesdifficultésquejedevraisrencontrersijecédaisàlatentation.Alors,lecœurgros,jemerésignaiàlelaisserpartirloindemoi.Jeluifislapromessedeneplusleperturberdanssaformation.Nousnenousétionspasrencontrésaubonmoment.

Dansletrainduretour,Elliottrevintsurlesévènementsdelajournée.NousnousremémorâmesnotrevisiteauJardindesPlantespuisl’après-midisurlesbordsdelaSeine.Lorsquemonfilsabordanotre rencontre avecÉric, je dusme dominer afin de ne pas pleurer. J’avais eu la réponse àmesquestionsbienque la raisonse fûtdouloureusement imposéeàmoi.Esquivant ladiscussionsurcesujet, je feignisd’êtreexténuéeparnotreescapadeet luidemandais’ilnevoulaitpasse reposer lerestantdu trajet.Elliottacquiesçadocilementetserecroquevillasur lesiège,sonmanteauenguised’oreiller.Jemisàprofitletempsqu’ilmerestaitavantnotreretourengarepourfairelepointsurmavie.Jen’étaispasheureuseenmariagepourtantjemesacrifiaispourlebonheurdemonfils.D’unautre côté j’avais mis trop d’espoir dans l’amitié que je vouais à Éric, ce qui avait eu pourconséquencededéclencherdessentimentstropfortsàsonégard.Tropforts?Commentpouvaient-ilsêtretropforts?Nonlessentimentsquej’éprouvaisétaientencorrélationavecsestraitsdecaractère.Égalàlui-même,ilnes’emportaitquerarementetfaisaitpreuved’unesagesseinfinielorsqu’ilfallaitrésoudrelesproblèmesdemavie.Ahsijel’avaisrencontrébienplustôt,peut-êtreaurais-jeeudroit

àmapartdebonheur,saseuleprésencesuffisantàmerendreheureuse.Désormaisc’étaittroptard,ilme fallait entendre raisonetaccepterde leperdreà jamais.Cettedernièrepenséeme fitnaîtredeslarmesauxcoinsdesyeux. Jedusprendreunegrandeboufféed’oxygèneafindenepaséclaterensanglots,là,aumilieudelaramequimeramenaitàlaréalité.Iln’étaitdécidémentpasbonderêverpouruneéternelleromantiquecommemoi,leretoursurterren’enétaitquetropéprouvant.

Lessemainessuivantesfurentd’autantplusdouloureusesquelorsqu’ilétaitprésentàlamaison,lecaractèredePaulm’insupportait.Jesavouraislesjournéesoùsontravaill’éloignaitdelamaisonetbienqu’Elliottsoitheureuxdeleretrouverleweek-end,ilcommençaitàs’habitueràl’absencedesonpère.Ceconstatfitgermerl’idéequedanslecadred’uneséparation,aufinalElliottneverraitpasplus son père qu’en cemomentmême. Finalement cela pouvait être envisageable.Encore fallait-iltrouverlemoyend’aborderlesujetavecmonépouxsansqu’ilnemelefassepayerparunenouvelleséancede torture.Bienévidemment, il faudraitque j’assume tous les tortsdecette rupturepuisquej’en étais l’instigatrice.Mais tout cela était-il finalementma faute ?Oui dans une certainemesurepuisque j’avais été trop gentille, je n’avais pas osé lui dire que je ne l’aimais plus de peur de saréaction.Lesimagesdecettenuitd'horreurprèsdedeuxansauparavantmerevenaient,allait-iltenterdemebriserunenouvellefois?J’avaislaisséletempsdéfiler,espéranttoujoursquelecaractèredemon époux se ferait moins virulent ou peut-être pensais-je m’y habituer. Non, je ne pouvais merésigneràsubircequejeconsidéraiscommedelamaltraitance.Jeneportaispasdetracedecoups,toutefoislesblessuresétaientancréesprofondémentdansmonâme.LapremièrefoisquePaulavaitpassésesnerfssurmoi, j’avaisalerté lesautoritéssursoncomportement.Jenesavaispasquoienpenser, j'étais hésitante quant à la tournure à donner à cette affaire. Tout ce que je voulais c'étaitretrouverma sérénité, qu'il accepte de partir plutôt que de nous enfoncer dans des tourments dontaucund’entrenousneressortiraitindemne.Onm'avaitfaitentendrequecen'étaitpasbienméchant,qu'ils'agissaitd'unebanalecriseconjugale,quemonépouxavaitmalréagiàl'annoncedemesdoutessursonamourpourmoi.Àpartirdequelmomentfallait-ilalorstirerlasonnetted'alarme?Unefoisquelescoupsauraientcommencéàpleuvoiretquel'onnepuissepluscacherlaréalitédesfaits?Jenevoulaispasenarriverlàetj'envisageaitrèssérieusementdelequitter.Maiscommentm'yprendre?Ilm'avaitbienfaitcomprendreàsonretourdelagendarmeriequ'ilnepartiraitjamais,enappuyantbiensurcemot,ilnepartiraitjamaisdemamaison.D'accordilenavaitfaitlestravauxprincipaux,maisdepuisl’achatdelapropriétéj'avaisassuméseuleleremboursementducréditimmobilierainsiquelefinancementdesmatériaux.Depuislanaissanced'Elliott, ilavaitrecommencéàtravailler,audépart empreint de bonne volonté mais son enthousiasme l’avait vite abandonné. De ce fait, sesabsencesrépétéesamenèrentrapidementsonemployeuràseséparerdelui.Ilfallutdoncquejemesacrifieunenouvellefoisafind'assumermesresponsabilitésenmatièredelogementmaisaussipourm'assurer que nous aurions toujours quelque chose à nous mettre sous la dent. Dès que je luidemandais un peu d'argent pour faire les courses ou pour payer une facture de matériaux, il merépondaitsystématiquementqu'iln'enavaitpas,qu'ilavaiteudesfraissursonoutillage.

— Mais quels frais bon sang ? finis-je un jour par exploser, je reçois encore des facturesd'outillageoudematériauxalorsquenousavionsconvenuqueceladevaitcesser.Enplus,celafaitdeuxansquetun'aspasfaitlamoindreaméliorationdanslamaison!Jet'aidéjàditqu'ilesthorsdequestionquecesoitmoiquipayepourquetuaillesbosserchezlesautres.Tuveuxfairedu«black»leweek-end?D'accord.Maisquecelasoitpourmettreunpeudebeurredans lesépinards ici.Paspourque tuailles leboireaubistrot.N'oubliepasque tuasun fils ànourrir etque jenepourraisbientôtplusfairelamoindredépense.Tuasépuisétoutesmeséconomies,conclus-jehaletante.

Paul me lança un regard noir, tourna les talons et sortit en claquant la porte. Je savaispertinemmentqu'ilmeleferaitpayerplustardmaispourl'heure,ilfallaitqu'ilrumineleveninquejevenaisdeluicracherauvisage.Pluslongueétaitl'attente,meilleureseraitsavengeancemesemblait-

il.Lesoirvenu,alorsquenousétionsaffairésàlaconstructiond'unpuzzledanslesalonavecElliott,j'entendis lavoituredePaulpénétrerdans lacour.Monsangseglaça toutàcoupdansmesveines.Elliottn'étantpasencoreaulit,peut-êtreéchapperais-jeauxréprimandes.Toutefois,ilnefallaitpasque jemeberced'illusions, j'avaisosécritiquerPauldanssa façondemenersavie, j'allaisdevoirpayer. J'observais mon époux qui fumait une cigarette devant la maison, les épaules droites, ilpiétinaitd'unejambesurl'autrecommes'ilsepréparaitàunaffrontement.Désemparée,jereportaidenouveaumonattentionsurElliottetsurlepuzzlequenoustentionsdeterminer.

—Regardemonchéri,luilançais-je,cettepièce-làdevraitconvenirajoutais-jeenluitendantunepetitepiècereprésentantunmorceaud'étoffe.

Paulentraàcemoment-là.—Tun'espasencorecouché?aboya-t-ilaprèsElliott.—Bahiln'estpasl'heurepapa,luirépondit-ilinnocemment.—Etbiencommeçatuserasenformepourl'écoledemain.Allezvatecoucher.—Maispapa!objecta-t-il.—Iln'yapasdemais,fulminasonpère.Tuveuxvraimentquejemefâche?—Euhnonpapa,jevaismecoucher,bonnenuitmamanmelança-t-ilsansmêmeunbisou.—Bonne nuitmon chéri, nous terminerons ton puzzle demain, lui répondis-je avec un demi

sourire.— Et maintenant à ton tour, renchérit Paul alors qu'Elliott venait de fermer la porte de sa

chambre.—Qu'est-cequetuveuxcettefois?—Cettefois,ohmaisattend,iln'yapasquecettefois!brailla-t-il.Tuveuxquejeterappelleà

causedequij'aipasséunenuitengardeàvue?— Et voilà, ne pus-je m'empêcher de soupirer. Quand vas-tu cesser de rabâcher toujours la

mêmechose?Tuavaisditquenousn'enparlerionsplus.—Ouinousnedevionsplusenparlersituarrêtaisdem'emmerder!—Ahoui,jet'emmerdeparcequejetedislavéritéc'estça?Tun'espasfichudevoirlaréalité

enface.Ilauraitmieuxvaluquejetelaissevivretaviecommetul'entends?Augranddamdenotreviedefamille…

JefusinterrompueparuncoussinquePaulmebalançaenpleinefigure.—Laferme!hurla-t-il.Situn'avaispascherchéàtebarrerilyadeuxans,onn’enseraitpaslà.—Jevoisquetuneveuxpaschangerdesujet,jetelaissedessaouler,jevaismecoucher,fis-je

enreposantdélicatementlecoussinsurlefauteuil.Jen'avaispas fermé laportede lachambredepuiscinqminutesquePaularrivaàson tour. Je

n'euspasletempsd'enfilermachemisedenuit,qu'ilmel'ôtadesmainsetlejetaàl'autreboutdelapièce.Ils'approchademoisansunmot,jeconnaissaiscetteexpression.Cesoiriln'avaitpasdécidéd'en découdre verbalement, il me ferait payer autrement. J'avais perdu tout désir depuis bienlongtemps,contrairementàmonépoux.Toutefoisjemerefusaisàluiaussisouventquepossible,touslesprétextesétaientbons.Maisjesavaisencetinstantqu'ilavaitterriblementenviedemoi.Arrivéàmahauteur,ilmebloqualesbrasdansledosetsepenchasurmoijusqu'àcequej’entreencontactaveclelit.J'étaisàsamerci,ilfallaitquejemetaisecarElliottétaitdanslapièceàcôté.Ildevaitêtredéjà suffisamment terrorisé par l’attitude de son père et par notre dispute. Paul le savait etprolongeraitmonsuppliceaussilongtempsquepossible.

Lorsquejemelevailelendemainmatin,lecorpsperclusdecourbaturesdel’assautdelaveille,Paul était déjà parti. Elliott quant à lui dormait encore à poings fermés. Il ne tarderait pas à mequestionnersurcequ’ilavaitentendulaveille.Quepouvais-jebienluirépondre?Unpetitgarçondesonâgen’avaitpasbesoindeconnaîtrelesmaltraitancesquesonpèremefaisaitsubir.Toutefois,je

ne pouvais pas non plus minimiser les faits. Il ne fallait pas qu’il s’imagine que ce genre decomportementétaitlanormedansuncouple.Etsidansunfuturprocheilsemettaitàtraitersafemmecommesonpèrem’avaittraitée,j’enseraisprobablementresponsable.C'enétaittrop,Paulsavaitquej'allais réagiretalerter lesautoritéscompétentes.Alors ilavaitanticipémaréactionetavaitdressémonportraitauprèsdesonentourage,familleetamis.Ilmefaisaitpasserpourquelqu'und'instablepuisque précédemment j'avais tenté de le quitter, avais porté plainte contre lui, puis finalement -devant son repentir que d'une part j'avais cru en partie sincère, et d'autre part devant le déni de lajustice- jem'étaissentieobligéederester.Enfinpuisquejem'étais isoléedesesamispourneplusavoiràsupporterlessoiréesautermedesquellesjesubissaislecourroux,leméprisoulesassautsdemonépoux,j'avaisfiniparpasserpourquelqu'und'asociale.

Tandis que je cherchais les bonsmots pour expliquerma décision à Paul dès son retour, desmorceauxdenotrepassétumultueuxrefirentsurface.Lorsd’unedecessoiréesaucoursdelaquelleilpassait ses nerfs surmoi, Paul dégonda la porte des toilettes alors que je tentais dem'isoler pourassouvirunbesoinurgent.Depuissonretourjen'avaispaseuuninstantàmoiaussijefusobligée,aucomblede l’humiliation,demesoulager laporteouvertealorsqu’il continuaitde s’époumoner. Ilavaitprocédéméticuleusementàmadescenteauxenfers,encet instantjenevoyaispascommentilauraitpum’inférioriserdavantage.Ilfallaitquecelacesse,madécisionétaitprise.

Àsuivre…

Tome2:Délivrance[Extrait]

«Onsesouvientdecequinousplaîtounousdéplaît.Lesaffects,qu’ilssoientpositifsounégatifs,sontunfacteurderenforcementmémoriel.Onretient mieux les seconds, pour des raisons liées à l’instinct de survie.Maisonoubliefacilementquelqu’unquinenoustouchenienbiennienmal.»ShaneKuhn

Quiauraitpucroirequejemeretrouveraiici,dixansaprès,danslapetitemaisonquim’avaitvugrandir ? Celle-làmême où je passais autrefoismes vacances scolaires, entourée demes grands-parents,àjouerdansl’herbage,àcueillirlespâquerettesetàenôterlespétalesenrêvantauprincecharmantavectoutel’insouciancedemesjeunesannées.

Quiauraitpenséquejeserairevenueversceslieuxdontjen’aspiraisqu’àm’enfuirlorsquejen’étais qu’une adolescente écervelée ? Oh, bien sûr, cette jeune fille se serait moquée en medemandantpourquoijecherchaistantàretournerdanscettedemeureoùl’ons’ennuyaitàmourir,oùil n’y avait rien d’autre à faire que de regarder la pluie tomber tristement sur les carreaux hivercommeété.Cardanslatêted’uneadolescente, lerêveétaitdevivreenville, làoùl’onvitàcentàl’heure,oùlesidéesdesortiessecomptentparcentainesetoùilfleurebonflâneravecsescopinesdeboutiquesenboutiquestoutenrêvantàcemerveilleuxgarçonquel’oncroisechaquejouraulycée.

J’aigrandidanssesmurs,j’airêvédem’enéchapperetjel’aifait.Maisjenel’aipasfaitpourlesbonnesraisons:Marcm’avaitbrisélecœur,pirequecela,ill’avaitpiétiné,anéantimesidéauxetmesrêvesdeprincecharmantenunseulcoupdetéléphone.Alorsjesuissortiedemoncocon,j’aientrouvertlesailesetj’aidécidédevoirparmoi-mêmedequoilemondeétaitfait.J’aiessayédem’yfaireuneplace,d’ybâtirmaforteresse,j’ysuispresquearrivée.Presque?medemanderez-vous.Oui,car dans mon parcours j’ai fait la connaissance d’un homme charmant, un véritable gentleman,quelqu’unquiétaitappréciéparsonentourage.Cegenredepersonneàquil’ondonneraitlebondieusansconfession.Cethomme,Paul,ilm’afaitcroirequej’étaissaprincesse,quejeméritaismapartdebonheur,alorsjel’aiépousé...Etlemasqueesttombé.

Le jeunepapillonpartià ladécouvertedumondeenvironnants’estvite retrouvéprisaupièged’unjeuimpitoyable.Soussesairsangéliquessecachaitenréalitéunmanipulateurhabile,prêtàtoutpour dominer sa proie. Après des années de repli, de renoncement dema personne, de brimadesencaissées,j’aiprisunegrandedécision:jevaislequitter.

Remerciements

Jetienstoutd'abordàremerciermafidèleamieJoëllequi,grâceàsapatience,sesconseilsetàsesencouragements,m'apermisdemeneràbienl’écrituredecepremiertome.MerciàStéphanequiauraétéuneoreille attentive lorsdemesdiverses réflexions. Jen’oublieraipasdementionnermasœurquiaétéd’unsoutiensansfailleetasuprodiguertouslesencouragementsnécessairesaubonfonctionnementdecetravail.

Je tienségalementà saluer toutescespersonnesqui sontentréesdansmavie, certainesy sontrestées,d’autresensont reparties, toutefoisellesont,chacuneà leurmanière,contribuéàme faireprendreconsciencequesanseffort,sanspersévérance,lesrêvesnepeuventpasseréaliser.J’aiainsisuivicertainsconseils,lu,écouté,apprisdemeserreursafindeparfairecepremierroman.

Merciégalementàvouslecteurs,sansquicespagesseraientdénuéesdesens.J’yaimistoutmoncœur,j’espèrepouvoiratteindrelevôtre.

DépôtlégalJuin2016

[1]Forksestlavilleoùestsituéel’intrigueduromanTwilight.