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Le Phénomène Futur

Un ciel pâle, sur le monde qui finit dedécrépitude, va peut-être partir avec lesnuages: les lambeaux de la pourpre usée descouchants déteignent dans une rivièredormant à l'horizon submergé de rayons etd'eau. Les arbres s'ennuient; et, sous leurfeuillage blanchi (de la poussière du temps,plutôt que de celle des chemins), monte lamaison en toile du Montreur de chosesPassées: maint réverbère attend lecrépuscule et ravive les visages d'unemalheureuse foule, vaincue par la maladieimmortelle et le péché des siècles, d'hommesprès de leurs chétives complices enceintes

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des fruits misérables avec lesquels périra laterre. Dans le silence inquiet de tous lesyeux suppliant là-bas le soleil qui, sousl'eau, s'enfonce avec le désespoir d'un cri,voici le simple boniment: «Nulle enseignene vous régale du spectacle intérieur, car iln'est pas maintenant un peintre capable d'endonner une ombre triste. J'apporte, vivante(et préservée à travers les ans par la sciencesouveraine) une Femme d'autrefois. Quelquefolie, originelle et naïve, une extase d'or, jene sais quoi ! par elle nommé sa chevelure,se ploie avec la grâce des étoffes autour d'unvisage qu'éclaire la nudité sanglante de seslèvres. A la place du vêtement vain, elle a uncorps; et les yeux, semblables aux pierresrares ! ne valent pas ce regard qui sort de sachair heureuse: des seins levés comme dursd'un lait éternel/la pointe vers le ciel, auxjambes lisses qui gardent le sel de la merpremière.» Se rappelant leurs pauvres

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épouses, chauves, morbides et pleinesd'horreur, les maris se pressent: elles aussipar curiosité, mélancoliques, veulent voir.

Quand tous auront contemplé la noblecréature, vestige de quelque époque déjàmaudite, les uns indifférents, car ils n'aurontpas eu la force de comprendre, mais d'autresnavrés et la paupière humide de larmesrésignées, se regarderont; tandis que lespoëtes de ces temps, sentant se rallumer desyeux éteints, s'achemineront vers leur lampe,le cerveau ivre un instant d'une gloireconfuse, hantés du Rythme et dans l'oublid'exister à une époque qui survit à la beauté.

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Plainte d'Automne

Depuis que Maria m'a quitté pour allerdans une autre étoile - laquelle, Orion,Altaïr; est-ce toi verte Vénus ? - j'ai toujourschéri la solitude. Que de longues journéesj'ai passées seul avec mon chat. Par seul,j'entends sans un être matériel et mon chatest un compagnon mystique, un esprit. Jepuis donc dire que j'ai passé de longuesjournées avec mon chat, et, seul, avec un desderniers auteurs de la décadence latine; cardepuis que la blanche créature n'est plus,étrangement et singulièrement j'ai aimé toutce qui se résumait en ce mot: chute. Ainsi,dans l'année, ma saison favorite, ce sont les

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derniers jours alanguis de l'été, quiprécèdent immédiatement l'automne, et dansla journée l'heure où je me promène estquand le soleil se repose avant des'évanouir, avec des rayons de cuivre jaunesur les murs gris et de cuivre rouge sur lescarreaux. De même la littérature à laquellemon esprit demande une volupté triste serala poésie agonisante des derniers momentsde Rome, tant, cependant, qu'elle ne respireaucunement l'approche rajeunissante desbarbares et ne bégaie point le latin enfantindes premières proses chrétiennes.

Je lisais donc un de ces chers poèmes (dontles plaques de fard ont plus de charme surmoi que l'incarnat de la jeunesse) etplongeais une main dans la fourrure du puranimal, quand un orgue de Barbarie chantalanguissamment et mélancoliquement sous

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ma fenêtre, îl jouait dans la grande allée depeupliers dont les feuilles me paraissentjaunes même au printemps, depuis que Mariaa passé là avec des cierges, une dernièrefois. L'instrument des tristes, oui, vraiment:le piano scintille, le violon ouvre à l'âmedéchirée la lumière, mais l'orgue deBarbarie, dans le crépuscule du souvenir,m'a fait désespérément rêver. Maintenantqu'il murmurait un air joyeusement vulgaireet qui mit la gaîté au coeur des faubourgs, unair suranné, banal: d'où vient que saritournelle m'allait au rêve et me faisaitpleurer comme une ballade romantique ? Jela savourai lentement et je ne lançai pas unsou par la fenêtre de peur de me déranger etde m'apercevoir que l'instrument ne chantaitpas seul.

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Frisson d'Hiver

Cette pendule de Saxe, qui retarde et sonnetreize heures parmi ses fleurs et ses dieux, àqui a-t-elle été ? Pense qu'elle est venue deSaxe par les longues diligences, autrefois.

(De singulières ombres pendent aux vitresusées.)

Et ta glace de Venise, profonde comme unefroide fontaine, en un rivage de guivresdédorées, qui s'y est miré ? Ah ! je suis sûrque plus d'une femme a baigné dans cette eaule péché de sa beauté; et peut-être verrais-je

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un fantôme nu si je regardais longtemps.

- Vilain, tu dis souvent de méchanteschoses..

(Je vois des toiles d'araignées au haut desgrandes croisées.)

Notre bahut encore est très vieux:contemple comme ce feu rougit son tristebois; les rideaux amortis ont son âge, et latapisserie des fauteuils dénués de fard, et lesanciennes gravures des murs, et toutes nosvieilleries ? Est-ce qu'il ne te semble pas,même, que les bengalis et l'oiseau bleu ontdéteint avec le temps.

(Ne songe pas aux toiles d'araignées qui

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tremblent au haut des grandes croisées.)

Tu aimes tout cela et voilà pourquoi je puisvivre auprès de toi. N'as-tu pas désiré, masoeur au regard de jadis, qu'en un de mespoèmes apparussent ces mots: «la grâce deschoses fanées» ? Les objets neufs tedéplaisent; à toi aussi, ils font peur avec leurhardiesse criarde, et tu te sentirais le besoinde les user, - ce qui est bien difficile à fairepour ceux qui ne goûtent pas l'action.

Viens, ferme ton vieil almanach allemand,que tu lis avec attention, bien qu'il ait paru ily a plus de cent ans et que les rois qu'ilannonce soient tous morts, et, sur l'antiquetapis couché, la tête appuyée parmi tesgenoux charitables dans ta robe pâlie, ôcalme enfant, je te parlerai pendant desheures; il n'y a plus de champs et les rues

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sont vides, je te parlerai de nos meubles.. Tues distraite ?

(Ces toiles d'araignées grelottent au hautdes grandes croisées.)

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Le Démon de l'Analogie

Avez-vous jamais eu des paroles inconnueschantant sur vos lèvres les lambeaux mauditsd'une phrase absurde ?

Je sortis de mon appartement avec lasensation propre d'une aile glissant sur lescordes d'un instrument, traînante et légère,que remplaça une voix prononçant les motssur un ton descendant: «La Pénultième estmorte», de façon que

La Pénultième

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finit le vers et

Est morte

se détacha de la suspension

fatidique plus inutilement en le vide designification. Je fis

des pas dans la rue et reconnus en le sonnul la corde tendue de l'instrument demusique, qui était oublié et que le glorieuxSouvenir certainement venait de visiter deson aile ou d'une palme et, le doigt surl'artifice du mystère, je souris et implorai devoeux intellectuels une spéculationdifférente. La phrase revint, virtuelle,dégagée d'une chute antérieure de plume ou

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de rameau, dorénavant à travers la voixentendue jusqu'à ce qu'enfin elle s'articulaseule, vivant de sa personnalité. J'allais (neme contentant plus d'une perception) la lisanten fin de vers et, une fois, comme un essai,l'adaptant à mon parler; bientôt laprononçant avec un silence après«Pénultième», dans lequel je trouvais unepénible jouissance: «La Pénultième - », puisla corde de l'instrument, si tendue en l'oublisur le son nul, cassait sans doute, etj'ajoutais en manière d'oraison: «Est morte».Je ne discontinuai pas de tenter un retour àdes pensées de prédilection, alléguant, pourme calmer, que, certes, pénultième est leterme du lexique qui signifie l'avant-dernièresyllabe des vocables, et son apparition, lereste mal abjuré d'un labeur de linguistiquepar lequel quotidiennement sanglote des'interrompre ma noble faculté poétique: lasonorité même et l'air de mensonge assumé

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par la hâte de la facile affirmation étaientune cause de tourment. Harcelé, je résolusde laisser les mots de triste nature errer eux-mêmes sur ma bouche, et j'allai murmurantavec l'intonation susceptible decondoléance: «La Pénultième est morte, elleest morte, bien morte, la désespéréePénultième», croyant par là satisfairel'inquiétude, et non sans le secret espoir del'ensevelir en l'amplification de lapsalmodie quand, effroi ! - d'une magieaisément déductible et nerveuse - je sentisque j'avais, ma main réfléchie par un vitragede boutique y faisant le geste d'une caressequi descend sur quelque chose, la voix même(la première, qui indubitablement avait étél'unique).

Mais où s'installe l'irrécusable interventiondu surnaturel, et le commencement de

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l'angoisse sous laquelle agonise mon espritnaguère seigneur, c'est quand je vis, levantles yeux, dans la rue des antiquairesinstinctivement suivie, que j'étais devant laboutique d'un luthier vendeur de vieuxinstruments pendus au mur, et, à terre, despalmes jaunes et les ailes, enfouies enl'ombre, d'oiseaux anciens. Je m'enfuis,bizarre, personne condamnée à porterprobablement le deuil de l'inexplicablePénultième.

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Pauvre Enfant Pâle..

Pauvre enfant pâle, pourquoi crier à tue-tête dans la rue ta chanson aiguë et insolente,qui se perd parmi les chats, seigneurs destoits ? car elle ne traversera pas les voletsdes premiers étages, derrière lesquels tuignores de lourds rideaux de soieincarnadine.

Cependant tu chantes fatalement, avecl'assurance tenace d'un petit homme qui s'enva seul par la vie et, ne comptant surpersonne, travaille pour soi. As-tu jamais euun père ? Tu n'as pas même une vieille qui te

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fasse oublier la faim en te battant, quand turentres sans un sou.

Mais tu travailles pour toi: debout dans lesrues, couvert de vêtements déteints faitscomme ceux d'un homme, une maigreurprématurée et trop grand à ton âge, tu chantespour manger, avec acharnement, sansabaisser tes yeux méchants vers les autresenfants jouant sur le pavé.

Et ta complainte est si haute, si haute, queta tête nue qui se lève en l'air à mesure queta voix monte, semble vouloir partir de tespetites épaules.

Petit homme, qui sait si elle ne s'en ira pasun jour, quand, après avoir crié longtempsdans les villes, tu auras fait un crime ? un

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crime n'est pas bien difficile à faire, va, ilsuffit d'avoir du courage après le désir, ettels qui.. Ta petite figure est énergique.

Pas un sou ne descend dans le panierd'osier que tient ta longue main pendue sansespoir sur ton pantalon: on te rendra mauvaiset un jour tu commettras un crime.

Ta tête se dresse toujours et veut te quitter,comme si d'avance elle savait, pendant quetu chantes d'un air qui devient menaçant.

Elle te dira adieu quand tu paieras pourmoi, pour ceux qui valent moins que moi. Tuvins probablement au monde vers cela et tujeûnes dès maintenant, nous te verrons dansles journaux.

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Oh ! pauvre petite tête !

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La Pipe

Hier, j'ai trouvé ma pipe en rêvant unelongue soirée de travail, de beau travaild'hiver. Jetées les cigarettes avec toutes lesjoies enfantines de l'été dans le passéqu'illuminent les feuilles bleues de soleil,les mousselines et reprise ma grave pipe parun homme sérieux qui veut fumer longtempssans se déranger, afin de mieux travailler:mais je ne m'attendais pas à la surprise quepréparait cette délaissée, à peine eus-je tiréla première bouffée, j'oubliai mes grandslivres à faire, émerveillé, attendri, jerespirai l'hiver dernier qui revenait. Jen'avais pas touché à la fidèle amie depuis ma

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rentrée en France, et tout Londres, Londrestel que je le vécus en entier à moi seul, il y aun an, est apparu; d'abord les chersbrouillards qui emmitoufflent nos cervelleset ont, là-bas, une odeur à eux, quand ilspénètrent sous la croisée. Mon tabac sentaitune chambre sombre aux meubles de cuirsaupoudrés par la poussière du charbon surlesquels se roulait le maigre chat noir; lesgrands feux ! et la bonne aux bras rougesversant les charbons, et le bruit de cescharbons tombant du seau de tôle dans lacorbeille de fer, le matin - alors que lefacteur frappait le double coup solennel, quime faisait vivre ! J'ai revu par la fenêtre cesarbres malades du square désert - j'ai vu lelarge, si souvent traversé cet hiver-là,grelottant sur le pont du steamer mouillé debruine et noirci de fumée - avec ma pauvrebien aimée errante, en habits de voyageuse,une longue robe terne couleur de la

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poussière des routes, un manteau qui collaithumide à ses épaules froides, un de ceschapeaux de paille sans plume et presquesans rubans, que les riches dames jettent enarrivant, tant ils sont déchiquetés par l'air dela mer et que les pauvres bien-aiméesregarnissent pour bien des saisons encore.Autour de son cou s'enroulait le terriblemouchoir qu'on agite en se disant adieu pourtoujours.

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Un Spectacle Interrompu

Que la civilisation est loin de procurer lesjouissances attribuables à cet état ! on doitpar exemple s'étonner qu'une associationentre les rêveurs, y séjournant, n'existe pas,dans toute grande ville, pour subvenir à unjournal qui remarque les événements sous lejour propre au rêve. Artifice que la réalité,bon à fixer l'intellect moyen entre lesmirages d'un fait; mais elle repose par celamême sur quelque universelle entente:voyons donc s'il n'est pas, dans l'idéal, unaspect nécessaire, évident, simple, qui servede type. Je veux, en vue de moi seul, écrirecomme elle frappa mon regard de poète,

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telle 'Anecdote, avant que la divulguent desreporters par la foule dressés à assigner àchaque chose son caractère commun.

Le petit théâtre des PRODIGALITÉSadjoint l'exhibition d'un vivant cousin d'AttaTroll ou de Martin à sa féerie classique laBête et le Génie; j'avais, pour reconnaîtrel'invitation du billet double hier égaré chezmoi, posé mon chapeau dans la stallevacante à mes côtés, une absence d'ami ytémoignant du goût général à esquiver ce naïfspectacle. Que se passait-il devant moi ?rien, sauf que: de pâleurs évasives demousseline se réfugiant sur vingt piédestauxen architecture de Bagdad, sortaient unsourire et des bras ouverts à la lourdeurtriste de l'ours: tandis que le héros, de cessylphides évocateur et leur gardien, unclown, dans sa haute nudité d'argent, raillait

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l'animal par notre supériorité. Jouir commela foule du mythe inclus dans toute banalité,quel repos et, sans voisins où verser desréflexions, voir l'ordinaire et splendideveille trouvée à la rampe par ma rechercheassoupie d'imaginations et de symboles.Etranger à mainte réminiscence de pareillessoirées, l'accident, le plus neuf ! suscita monattention: une des nombreuses salvesd'applaudissements décernées selonl'enthousiasme à l'illustration sur la scène duprivilège authentique de l'Homme, venait,brisée par quoi ? de cesser net, avec, un fixefracas de gloire à l'apogée, inhabile à serépandre. Tout oreilles, il fallut être toutyeux. Au geste du pantin, une paume crispéedans l'air ouvrant les cinq doigts, je compris,qu'il avait, l'ingénieux ! capté les sympathiespar la mine d'attraper au vol quelque chose,figure (et c'est tout) de la facilité dont est parchacun prise une idée: et qu'ému au léger

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vent, l'ours rythmiquement et doucement levéinterrogeait cet exploit, une griffe posée surles rubans de l'épaule humaine. Personne quine haletât, tant cette situation portait deconséquences graves pour l'honneur de larace: qu'allait-il arriver ? L'autre pattes'abattit, souple, contre un bras longeant lemaillot; et l'on vit, couple uni dans un secretrapprochement, comme un homme inférieur,trapu, bon, debout sur l'écartement de deuxjambes de poil, étreindre pour y apprendreles pratiques du génie, et son crâne au noirmuseau ne l'atteignant qu'à la moitié, le bustede son frère brillant et surnaturel: mais qui,lui ! exhaussait, la bouche folle de vague, unchef affreux remuant par un fil visible dansl'horreur les dénégations véritables d'unemouche de papier et d'or. Spectacle clair,plus que les tréteaux vaste, avec ce don,propre aux choses de l'art, de durerlongtemps: pour le parfaire je laissai, sans

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que m'offusquât l'attitude probablementfatale prise par le mime dépositaire de notreorgueil, jaillir tacitement le discours interditau rejeton des sites arctiques: «Sois bon(c'était le sens), et plutôt que de manquer àla charité, explique-moi la vertu de cetteatmosphère de splendeur, de poussière et devoix, où tu m'appris à me mouvoir. Marequête, pressante, est juste, que tu nesembles pas, en une angoisse qui n'est quefeinte, répondre ne savoir; élancé auxrégions de la sagesse, aîné subtil ! à moi,pour te faire libre, vêtu encore du séjourinforme des cavernes où je replongeai, dansla nuit d'époques humbles, ma force latente.Authentiquons, par cette embrassade étroite,devant la multitude siégeant à cette fin, lepacte de notre réconciliation». L'absenced'aucun souffle unie à l'espace, dans quellieu absolu vivais-je, un des drames del'histoire astrale élisant, pour s'y produire,

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ce modeste théâtre ! La foule s'effaçait, toute,en l'emblème de sa situation spirituellemagnifiant la scène: dispensateur modernede l'extase, seul, avec l'impartialité d'unechose élémentaire, le gaz, dans les hauteursde la salle, continuait un bruit lumineuxd'attente.

Le charme se rompit: c'est quand unmorceau de chair, nu, brutal, traversa mavision dirigé de l'intervalle des décors, enavance de quelques instants sur larécompense, mystérieuse d'ordinaire aprèsces représentations. Loque substituéesaignant auprès de l'ours qui, ses instinctsretrouvés antérieurement à une curiosité plushaute dont le dotait le rayonnement théâtral,retomba à quatre pattes et, comme emportantparmi soi le Silence, alla de la marcheétouffée de l'espèce, flairer, pour y

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appliquer les dents, cette proie. Un soupir,exempt presque de déception, soulageaincompréhensiblement l'assemblée: dont leslorgnettes, par rangs, cherchèrent, allumantla netteté de leurs verres, le jeu du splendideimbécile évaporé dans sa peur; mais virentun repas abject préféré peut-être par l'animalà la même chose qu'il lui eût fallu d'abordfaire de notre image, pour y goûter. La toile,hésitant jusque là à accroître le danger oul'émotion, abattit subitement son journal detarifs et de lieux communs. Je me levaicomme tout le monde, pour aller respirer audehors, étonné de n'avoir pas senti, cette foisencore, le même genre d'impression que messemblables, mais serein: car ma façon devoir, après tout, avait été supérieure, etmême la vraie.

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Réminiscence

Orphelin, j'errais en noir et l'oeil vacant defamille; au quinconce se déplièrent destentes de fête, éprouvai-je le futur et que jeserais ainsi, j'aimais le parfum desvagabonds, vers eux à oublier mescamarades. Aucun cri de choeurs par ladéchirure, ni tirade loin, le drame requérantl'heure sainte des quinquets, je souhaitais deparler avec un môme trop vacillant pourfigurer parmi sa race, au bonnet de nuit taillécomme le chaperon de Dante; qui rentrait ensoi, sous l'aspect d'une tartine de fromagemou, déjà la neige des cimes, le lys ou autreblancheur constitutive d'ailes au dedans: je

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l'eusse prié de m'admettre à son repassupérieur, partagé vite avec quelque aînéfameux jailli contre une proche toile en traindes tours de force et banalités alliables aujour. Nu, de pirouetter dans sa prestesse demaillot à mon avis surprenante, lui, quid'ailleurs commença: «Tes parents ?» - «Jen'en ai pas.» - «Allons, si tu savais commec'est farce, un père.. même l'autre semaineque bouda la soupe, il faisait des grimacesaussi belles, quand le maître lançait lesclaques et les coups de pied. Mon cher !» etde triompher en élevant à moi la jambe avecaisance glorieuse, «il nous épate, papa,»puis de mordre au régal chaste du très jeune:«Ta maman, tu n'en as pas, peut-être, que tues seul ? la mienne mange de la filasse et lemonde bat des mains. Tu ne sais rien, desparents sont des gens drôles, qui font rire.»La parade s'exaltait, il partit: moi, jesoupirai, déçu tout à coup de n'avoir pas de

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parents.

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La Déclaration Foraine

Le Silence ! il est certain qu'à mon côté,ainsi que songes, étendue dans un bercementde promenade sous les roues assoupissantl'interjection de fleurs, toute femme, et j'ensais une qui voit clair ici, m'exempte del'effort à proférer un vocable: lacomplimenter haut de quelque interrogatricetoilette, offre de soi presque à l'homme enfaveur de qui s'achève l'après-midi, nepouvant à l'encontre de tout cerapprochement fortuit, que suggérer ladistance sur ses traits aboutie à une fossettede spirituel sourire. Ainsi ne consent laréalité; car ce fut impitoyablement, hors du

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rayon qu'on sentait avec luxe expirer auxvernis du landau, comme une vocifération,parmi trop de tacite félicité pour une tombéede jour sur la banlieue, avec orage, dans toussens à la fois et sans motif, du rire stridentordinaire des choses et de leur cuivrerietriomphale: au fait, la cacophonie à l'ouïe dequiconque, un instant écarté, plutôt qu'il nes'y fond, auprès de son idée, reste à vifdevant la hantise de l'existence.

«La fête de..» et je ne sais quel rendez-voussuburbain ! nomma l'enfant voiturée dansmes distractions, la voix claire d'aucunennui; j'obéis et fis arrêter.

Sans compensation à cette secousse qu'unbesoin d'explication figurative plausiblepour mes esprits, comme symétriquements'ordonnent des verres d'illumination peu à

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peu éclairés en guirlandes et attributs, jedécidai, la solitude manquée, de m'enfoncermême avec bravoure en ce déchaînementexprès et haïssable de tout ce que j'avaisnaguères fui dans une gracieuse compagnie:prête et ne témoignant de surprise à lamodification dans notre programme, du brasingénu elle s'en repose sur moi, tandis quenous allons parcourir, les yeux sur l'enfilade,l'allée d'ahurissement qui divise en écho dumême tapage les foires et permet à la fouled'y renfermer pour un temps l'univers.Subséquemment aux assauts d'un médiocredévergondage en vue de quoi que ce soit quidétourne notre stagnation amusée par lecrépuscule, au fond, bizarre et pourpre, nousretint à l'égal de la nue incendiaire unhumain spectacle, poignant: reniée duchâssis peinturluré ou de l'inscription encapitales une baraque, apparemment vide.

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A qui ce matelas décousu pour improviserici, comme les voiles dans tous les temps etles temples, l'arcane ! appartînt, safréquentation durant le jeûne n'avait pas chezson possesseur excité avant qu'il le déroulâtcomme le gonfalon d'espoirs en liesse,l'hallucination d'une merveille à montrer(que l'inanité de son famélique cauchemar);et pourtant, mû par le caractère frériald'exception à la misère quotidienne qu'unpré, quand l'institue le mot mystérieux defête, tient des souliers nombreux y piétinant(en raison de cela poind aux profondeurs desvêtements quelque unique velléité du dur souà sortir à seule fin de se dépenser), luiaussi ! n'importe qui de tout dénué sauf de lanotion qu'il y avait lieu pour être un des élus,sinon de vendre, de faire voir, mais quoi,avait cédé à la convocation du bienfaisantrendez-vous. Ou, très prosaïquement, peut-être le rat éduqué à moins que, lui-même, ce

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mendiant sur l'athlétique vigueur de sesmuscles comptât, pour décider l'engouementpopulaire, faisait défaut, à l'instant précis,comme cela résulte souvent de la mise endemeure de l'homme par les circonstancesgénérales.

«Battez la caisse !» proposa en altesseMadame.. seule tu sais Qui, marquant unsuranné tambour duquel se levait les brasdécroisés afin de signifier inutile l'approchede son théâtre sans prestige un vieillard, quecette camaraderie avec un instrument derumeur et d'appel peut-être séduisit à sonvacant dessein; puis, comme si de ce quetout de suite on pût ici envisager de plusbeau, l'énigme, par un bijou fermant lamondaine, en tant qu'à sa gorge le manque deréponse, scintillait ! la voici engouffrée, àma surprise de pitre coi devant une halte du

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public qu'empaume l'éveil des ra et des flaassourdissant mon invariable et obscur pourmoi-même d'abord «Entrez, tout le monde,ce n'est qu'un sou, on le rend à qui n'est passatisfait de la représentation.» Le nimbe enpaillasson dans le remerciement joignantdeux paumes séniles vidé, j'en agitai lescouleurs, en signal, de loin, et me coiffai,prêt à fendre la masse debout en le secret dece qu'avait su faire avec ce lieu sans rêvel'initiative d'une contemporaine de nos soirs.

A hauteur du genou, elle émergeait, sur unetable, des cent têtes.

Net ainsi qu'un jet égaré d'autre part ladardait électriquement, éclate pour moi cecalcul qu'à défaut de tout, elle, selon que lamode, une fantaisie ou l'humeur du cielcirconstanciaient sa beauté, sans supplément

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de danse ou de chant, pour la cohueamplement payait l'aumône exigée en faveurd'un quelconque; et du même trait jecomprends mon devoir en le péril de lasubtile exhibition, ou qu'il n'y avait aumonde pour conjurer la défection dans lescuriosités que de recourir à quelquepuissance absolue, comme d'une Métaphore.Vite, dégoiser jusqu'à éclaircissement, surmaintes physionomies, de leur sécurité qui,ne saisissant tout du coup, se rend àl'évidence, même ardue, impliquée en laparole et consent à échanger son billoncontre des présomptions exactes etsupérieures, bref, la certitude pour chacun den'être pas refait.

Un coup d'oeil, le dernier, à une chevelureoù fume puis éclaire de fastes de jardins lepâlissement du chapeau en crêpe de même

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ton que la statuaire robe se relevant, avanceau spectateur, sur un pied comme le restehortensia.

Alors:

_La chevelure vol d'une flamme à l'extrêmeOccident de désirs pour la tout déployer Sepose (je dirais mourir un diadème) Vers lefront couronné son ancien foyer

Mais sans or soupirer que cette vive nueL'ignition du feu toujours intérieurOriginellement la seule continue Dans lejoyau de l'oeil véridique ou rieur

Une nudité de héros tendre diffame Cellequi ne mouvant astre ni feux au doigt Rien

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qu'à simplifier avec gloire la femme.

Accomplit par son chef fulgurante l'exploit,De semer de rubis le doute qu'elle écorcheAinsi qu'une joyeuse et tutélaire torche_

Mon aide à la taille de la vivante allégoriequi déjà résignait sa faction, peut-être fautechez moi de faconde ultérieure, afin d'enassoupir l'élan gentiment à terre: «Je vousferai observer, ajoutai-je, maintenant deplein pied avec l'entendement des visiteurs,coupant court à leur ébahissement devant cecongé par une affectation de retour àl'authenticité du spectacle «Messieurs etDames, que la personne qui a eu l'honneur dese soumettre à votre jugement, ne requiertpour vous communiquer le sens de soncharme, un costume ou aucun accessoireusuel de théâtre. Ce naturel s'accommode de

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l'allusion parfaite que fournit la toilettetoujours à l'un des motifs primordiaux de lafemme, et suffit, ainsi que votre sympathiqueapprobation m'en convainc.» Un suspens demarque appréciative sauf quelquesconfondants «Bien sûr !» ou «C'est cela !» et«Oui» par les gosiers comme plusieursbravos prêtés par des paires de mainsgénéreuses, conduisit jusqu'à la sortie surune vacance d'arbres et de nuit la foule oùnous allions nous mêler, n'était l'attente engants blanc encore d'un enfantin tourlourouqui les rêvait dégourdir à l'estimation d'unejarretière hautaine.

- «Merci» consentit la chère, une boufféedroit à elle d'une constellation ou desfeuilles bue comme pour y trouver sinon lerassérènement, elle n'avait douté d'un succès,du moins l'habitude frigide de sa voix

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«j'ai dans l'esprit le souvenir de choses quine s'oublient.»

- «Oh ! rien que lieu commun d'uneesthétique..»

- «Que vous n'auriez peut-être pasintroduit, qui sait ? mon ami, le prétexte deformuler ainsi devant moi au conjointisolement par exemple de notre voiture - oùest-elle - regagnons-la: - mais ceci jaillit,forcé, sous le coup de poing brutal àl'estomac, que cause une impatience de gensauxquels coûte que coûte et soudain il fautproclamer quelque chose fût-ce la rêverie..»

- «Qui s'ignore et se lance nue de peur, en

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travers du public; c'est vrai. Comme vous,Madame, ne l'auriez entendu siirréfutablement, malgré sa réduplication surune rime du trait final, mon boniment d'aprèsun mode primitif du sonnet[*], je le gage, sichaque terme ne s'en était répercuté jusqu'àvous par de variés tympans, pour charmer unesprit ouvert à la compréhension multiple.»

- «Peut-être !» accepta notre pensée dansun enjouement de souffle nocturne la même.

[*] Usité à la Renaissance anglaise

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Le Nénufar Blanc

J'avais beaucoup ramé, d'un grand geste netet assoupi, les yeux au dedans fixés surl'entier oubli d'aller, comme le rire del'heure coulait alentour. Tant d'immobilitéparessait que frôlé d'un bruit inerte où filajusqu'à moitié la yole, je ne vérifiai l'arrêtqu'à l'étincellement stable d'initiales sur lesavirons mis à nu, ce qui me rappela à monidentité mondaine.

Qu'arrivait-il, où étais-je ?

Il fallut, pour voir clair en l'aventure, me

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remémorer mon départ tôt, ce Juillet deflamme, sur l'intervalle vif entre sesvégétations dormantes d'un toujours étroit etdistrait ruisseau, en quête des floraisonsd'eau et avec un dessein de reconnaîtrel'emplacement occupé par la propriété del'amie d'une amie, à qui je devais improviserun bonjour. Sans que le ruban d'aucune herbeme retînt devant un paysage plus que l'autre,chassé avec son reflet en l'onde par le mêmeimpartial coup de rame, je venais échouerdans quelque touffe de roseaux, termemystérieux de ma course, au milieu de larivière: où tout de suite élargie en fluvialbosquet, elle étale un nonchaloir d'étangplissé des hésitations à partir qu'a unesource.

L'inspection détaillée m'apprit que cetobstacle de verdure en pointe sur le courant,

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masquait l'arche unique d'un pont prolongé, àterre, d'ici et de là, par une haie clôturantdes pelouses. Je me rendis compte.Simplement le parc de Madame.., l'inconnueà saluer.

Un joli voisinage, pendant la saison, lanature d'une personne qui s'est choisi retraiteaussi humidement impénétrable ne pouvantêtre que conforme à mon goût. Sûr, elle avaitfait de ce cristal son miroir intérieur, à l'abride l'indiscrétion éclatante des après-midis;elle y venait et la buée d'argent glaçant dessaules ne fut bientôt que la limpidité de sonregard habitué à chaque feuille.

Toute je l'évoquais lustrale.

Courbé dans la sportive attitude où me

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maintenait de la curiosité, comme sous lesilence spacieux de ce que s'annonçaitl'étrangère, je souris au commencementd'esclavage dégagé par une possibilitéféminine: que ne signifiaient pas mal lescourroies attachant le soulier du rameur aubois de l'embarcation, comme on ne faitqu'un avec l'instrument de ses sortilèges.

- «Aussi bien une quelconque..» allais-jeterminer.

Quand un imperceptible bruit, me fit doutersi l'habitante du bord hantait mon loisir, ouinespérément le bassin.

Le pas cessa, pourquoi ?

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Subtil secret des pieds qui vont, viennent,conduisent l'esprit où le veut la chère ombreenfouie en de la batiste et les dentelles d'unejupe affluant sur le sol comme pourcirconvenir du talon à l'orteil, dans uneflottaison, cette initiative par quoi la marches'ouvre, tout au bas et les plis rejetés entraîne, une échappée, de sa double flèchesavante.

Connaît-elle un motif à sa station, elle-même la promeneuse: et n'est-ce, moi, tendretrop haut la tête, pour ces joncs à nedépasser et toute la mentale somnolence oùse voile ma lucidité, que d'interroger jusque-là le mystère !

- «A quel type s'ajustent vos traits, je sensleur précision, Madame, interrompre choseinstallée ici par le bruissement d'une venue,

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oui ! ce charme instinctif d'en dessous que nedéfend pas contre l'explorateur la plusauthentiquement nouée, avec une boucle endiamant, des ceintures. Si vague concept sesuffit; et ne transgresse point le déliceempreint de généralité qui permet et ordonned'exclure tous visages, au point que larévélation d'un (n'allez point le pencher,avéré, sur le furtif seuil où je règne)chasserait mon trouble, avec lequel il n'a quefaire.»

Ma présentation, en cette tenue demaraudeur aquatique, je la peux tenter, avecl'excuse du hasard.

Séparés, on est ensemble: je m'immisce àde sa confuse intimité, dans ce suspens surl'eau où mon songe attarde l'indécise, mieuxque visite, suivie d'autres, ne l'autorisera.

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Que de discours oiseux en comparaison decelui que je tins pour n'être pas entendu,faudra-t-il, avant de retrouver aussi intuitifaccord que maintenant, l'ouïe au ras del'acajou vers le sable entier qui s'est tu !

La pause se mesure au temps de sadétermination.

Conseille, ô mon rêve, que faire.

Résumer d'un regard la vierge absenceéparse en cette solitude et, comme oncueille, en mémoire d'un site, l'un de cesmagiques nénufars clos qui y surgissent, toutà coup, enveloppant de leur creuse blancheurun rien, fait de songes intacts, du bonheur quin'aura pas lieu et de mon souffle ici retenudans la peur d'une apparition, partir avec:

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tacitement, en déramant peu à peu, sans duheurt briser l'illusion ni que le clapotis de labulle visible d'écume enroulée à ma fuite nejette aux pieds survenus de personne laressemblance transparente du rapt de monidéale fleur.

Si, attirée par un sentiment d'insolite, elle aparu, la Méditative ou la Hautaine, laFarouche, la Gaie, tant pis pour cetteindicible mine que j'ignore à jamais ! carj'accomplis selon les règles la manoeuvre:me dégageai, virai et je contournais déjà uneondulation du ruisseau, emportant comme unnoble oeuf de cygne, tel que n'en jaillira levol, mon imaginaire trophée, qui ne se gonfled'autre chose sinon de la vacance exquise desoi qu'aime, l'été, à poursuivre, dans lesallées de son parc, toute dame, arrêtéeparfois et longtemps, comme au bord d'une

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source à franchir ou de quelque pièce d'eau.

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La Gloire

«La Gloire ! je ne la sus qu'hier,irréfragable, et rien ne m'intéresserad'appelé par quelqu'un ainsi.

»Cent affiches s'assimilant l'or incomprisdes jours, trahison de la lettre, ont fui,comme à tous confins de la ville, mes yeuxau ras de l'horizon par un départ sur le railtraînés avant de se recueillir dans l'abstrusefierté que donne une approche de forêt enson temps d'apothéose.

»Si discord parmi l'exaltation de l'heure, un

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cri faussa ce nom connu pour déployer lacontinuité de cimes tard évanouies,Fontainebleau, que je pensai, la glace ducompartiment violentée, du poing aussiétreindre à la gorge l'interrupteur: Tais-toi !Ne divulgue pas du fait d'un aboi indifférentl'ombre ici insinuée dans mon esprit, auxportières de wagons battant sous un ventinspiré et égalitaire, les touristesomniprésents vomis. Une quiétude menteusede riches bois suspend alentour quelqueextraordinaire état d'illusion, que meréponds-tu ? qu'ils ont, ces voyageurs, pourta gare aujourd'hui quitté la capitale, bonemployé vociférateur par devoir et dont jen'attends, loin d'accaparer une ivresse à tousdépartie par les libéralités conjointes de laNature et de l'Etat, rien qu'un silenceprolongé le temps de m'isoler de ladélégation urbaine vers l'extatique torpeurde ces feuillages là-bas trop immobilisés

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pour qu'une crise ne les éparpille bientôtdans l'air; voici, sans attenter à ton intégrité,tiens, une monnaie.

»Un uniforme inattentif m'invitant versquelque barrière, je remets sans dire mot, aulieu du suborneur métal, mon billet.

»Obéi pourtant, oui, à ne voir que l'asphaltes'étaler nette de pas, car je ne peux encoreimaginer qu'en ce pompeux octobreexceptionnel ! du million d'existencesétageant leur vacuité en tant qu'unemonotonie énorme de capitale dont vas'effacer ici la hantise avec le coup de siffletsous la brume, aucun furtivement évadé quemoi n'ait senti qu'il est, cet an, d'amers etlumineux sanglots, mainte indécise flottaisond'idée désertant les hasards comme desbranches, tel frisson et ce qui fait penser à un

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automne sous les cieux.

»Personne et, les bras de doute envoléscomme qui porte aussi un lot d'une splendeursecrète, trop inappréciable trophée pourparaître ! mais sans du coup m'élancer danscette diurne veillée d'immortels troncs audéversement sur un d'orgueils surhumains (orne faut-il pas qu'on en constatel'authenticité ?) ni passer le seuil où destorches consument, dans une haute garde,tous rêves antérieurs à leur éclat répercutanten pourpre dans la nue l'universel sacre del'intrus royal qui n'aura eu qu'à venir:j'attendis, pour l'être, que lent et repris dumouvement ordinaire, se réduisît à sesproportions d'une chimère puérile emportantdu monde quelque part, le train qui m'avaitlà déposé seul.»

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L'Ecclésiastique

Les printemps poussent l'organisme à desactes qui, dans une autre saison, lui sontinconnus et maint traité d'histoire naturelleabonde en descriptions de ce phénomène,chez les animaux. Qu'il serait d'un intérêtplus plausible de recueillir certaines desaltérations qu'apporte l'instant climatériquedans les allures d'individus faits pour laspiritualité ! Mal quitté par l'ironie del'hiver, j'en retiens, quand à moi, un étatéquivoque tant que ne s'y substitue pas unnaturalisme absolu ou naïf, capable depoursuivre une jouissance dans ladifférentiation de plusieurs brins d'herbes.

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Rien dans le cas actuel n'apportant de profità la foule, j'échappe, pour le méditer, sousquelques ombrages environnant d'hier laville: or c'est de leur mystère presque banalque j'exhiberai un exemple saisissable etfrappant des inspirations printanières.

Vive fut tout-à-l'heure, dans un endroit peufréquenté du Bois-de-Boulogne, ma surprisequand, sombre agitation basse, je vis, par lesmille interstices d'arbustes bons à ne riencacher, total et des battements supérieurs dutricorne s'animant jusqu'à des souliersaffermis par des boucles en argent, unecclésiastique, qui à l'écart de témoins,répondait aux sollicitations du gazon. A moine plût (et rien de pareil ne sert les desseinsprovidentiels) que, coupable à l'égal d'unfaux scandalisé se saisissant d'un caillou duchemin, j'amenasse par mon sourire même

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d'intelligence, une rougeur sur le visage àdeux mains voilé de ce pauvre homme, autreque celle sans doute trouvée dans sonsolitaire exercice ! Le pied vif, il me fallut,pour ne produire par ma présence dedistraction, user d'adresse; et fort contre latentation d'un regard porté en arrière, mefigurer en esprit l'apparition quasidiabolique qui continuait à froisser lerenouveau de ses côtes, à droite, à gauche etdu ventre, en obtenant une chaste frénésie.Tout, se frictionner ou jeter les membres, serouler, glisser, aboutissait à une satisfaction:et s'arrêter, interdit du chatouillement dequelque haute tige de fleur à de noirsmollets, parmi cette robe spéciale portéeavec l'apparence qu'on est pour soi toutmême sa femme. Solitude, froid silenceépars dans la verdure, perçus par des sensmoins subtils qu'inquiets, vous connûtes lesclaquements furibonds d'une étoffe; comme

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si la nuit absconse en ses plis en sortait enfinsecouée ! et les heurts sourds contre la terredu squelette rajeuni; mais l'énergumènen'avait point à vous contempler. Hilare,c'était assez de chercher en soi la cause d'unplaisir ou peut-être d'un devoir,qu'expliquait mal un retour, devant unepelouse, aux gambades du séminaire.L'influence du souffle vernal doucementdilatant les immuables textes inscrits en sachair, lui aussi, enhardi de ce troubleagréable à sa stérile pensée, était venureconnaître par un contact avec la Nature,immédiat, net, violent, positif, dénué de toutecuriosité intellectuelle, le bien être général;et candidement, loin des obédiences et de lacontrainte de son occupation, des canons,des interdits, des censures, il se roulait, dansla béatitude de sa simplicité native, plusheureux qu'un âne. Que le but de sapromenade atteint, se soit, droit et d'un jet,

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relevé non sans secouer les pistils et essuyerles sucs attachés à sa personne, le héros dema vision, pour rentrer, inaperçu, dans lafoule et les habitudes de son ministère, je nesonge à rien nier; mais j'ai le droit de nepoint considérer cela. Ma discrétion vis-à-vis d'ébats d'abord apparus n'a-t-elle paspour récompense d'en fixer à jamais commeune rêverie de passant se plût à lacompléter, l'image marquée d'un sceaumystérieux de modernité, à la fois baroque etbelle ?

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Morceau pour me résumerVathek

Qui n'a regretté le manquement à une viséesublime de l'écrit en prose le plus riche et leplus agréable, travesti naguère comme parnous métamorphosé ? Voile mis, pour lesmieux faire apparaître, sur des abstractionspolitiques ou morales que les mousselinesde l'Inde au XVIIIme siècle, quand régna leCONTE ORIENTAL; et, maintenant, selon lascience, un tel genre suscite de la cendreauthentique de l'histoire les cités avec leshommes, éternisé par le Roman de la Momieet Salammbo. Sauf en la Tentation de saintAntoine, un idéal mêlant époques et races

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dans une prodigieuse fête, comme l'éclair del'Orient expiré, cherchez ! sur des bouquinshors de mode; aux feuillets desquels nedemeure de toute synthèse qu'effacement etanachronisme, flotte la nuée de parfums quin'a pas tonné. La cause: mainte dissertationet au bout je crains le hasard. Peut-être qu'unsonge serein et par notre fantaisie fait en vuede soi seule, atteint aux poèmes: leur rythmele transportera au delà des jardins, desroyaumes, des salles; là où l'aile de péris etde djinns fondue en le climat ne laisse detout évanouissement voir que pureté éparseet diamant, comme les étoiles à midi.

Un livre qui en plus d'un cas, son ironied'abord peu dissimulée, tient à l'ancien tonet, par le sentiment et le spectacle vrais auroman évocatoire moderne, m'a quelquefoiscontenté; en tant que bien la transition ou

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comme produit original. Le manque de mainteffort vers le type tout à l'heure entrevu nem'obsède pas à la lecture de ces cent etquelques pages; dont plus d'une, outre lapréoccupation double de parler avec espritet sur tout à bon escient, révèle chez quil'écrivit un besoin de satisfaire l'imaginationd'objets rares ou grandioses. Le millésime,tantôt séculaire, placé sous le titre reste à cecompte, pour l'érudit, une date; mais jevoudrais auparavant séduire le rêveur.

L'histoire du Calife Vathek commence aufaîte d'une tour d'où se lit le firmament, pourfinir bas dans un souterain enchanté; tout lelaps de tableaux graves ou riants et deprodiges séparant ces extrêmes. Architecturemagistrale de la fable et son concept nonmoins beau ! Quelque chose de fatal oucomme d'inhérent à une loi hâte du pouvoir

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aux enfers la descente faite par un prince,accompagné de son royaume; seul, au borddu précipice: il a voulu nier la religiond'Etat à laquelle se lasse l'omnipotenced'être conjointe du fait de l'universellegénuflexion, pour des pratiques de magie,alliées au désir insatiable. L'aventure desantiques dominations tient dans ce drame, oùagissent trois personnages qui sont une mèreperverse et chaste, proie d'ambitions et derites, et une nubile amante; en sa singularitéseul digne de s'opposer au despote, hélas !un languide, précoce mari, lié par dejoueuses fiançailles. Ainsi répartie et entrede délicieux nains dévots, des goules puisd'autres figurants qu'elle accorde avec ledécor mystique ou terrestre, de la fiction sortun appareil insolite: oui, les moyensméconnus autrefois de l'art de peindre, telsqu'accumulation d'étrangetés produitesimplement pour leur caractère unique ou de

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laideur, une bouffonnerie irrésistible etample, montant en un crescendo quasilyrique, la silhouette des passions ou decérémonials et que n'ajouter pas ? A peine sila crainte de s'attarder à de ces détails, yperdant de vue le dessin de tel grand songesurgi à la pensée du narrateur, le fait par tropabréger; il donne une allure cursive à ce quele développement eût accusé. Tant denouveauté et la couleur locale, sur quoi sejette au passage le moderne goût pour fairecomme, avec, une orgie, seraient peu, enraison de la grandeur des visions ouvertespar le sujet; où cent impressions, pluscaptivantes même que des procédés, sedévoilent à leur tour. Les isoler par formulesdistinctes et brèves, le faut-il ? et j'ai peurde ne rien dire en énonçant la tristesse deperspectives monumentales très-vastes,jointe au mal d'un destin supérieur; enfinl'effroi causé par des arcanes et le vertige

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par l'exagération orientale des nombres; leremords qui s'installe de crimes vagues ouinconnus; les langueurs virginales del'innocence et de la prière; le blasphème, laméchanceté, la foule[*].. Une poésie (quel'origine n'en soit ailleurs ni l'habitude cheznous) bien inoubliablement liée au livreapparaît dans quelque étrange juxtapositiond'innocence quasi idyllique avec lessolennités énormes ou vaines de la magie:alors se teint et s'avive, comme desvibrations noires d'un astre, la fraîcheur descènes naturelles, jusqu'au malaise; mais nonsans rendre à cette approche du rêve quelquechose de plus simple et de plusextraordinaire.

[*] Citations.

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Divagation

Un désir indéniable à mon temps est deséparer comme en vue d'attributionsdifférentes le double état de la parole, brutou immédiat ici, là essentiel.

Narrer, enseigner, même décrire, cela va etencore qu'à chacun suffirait peut-être, pouréchanger la pensée humaine, de prendre oude mettre dans la main d'autrui en silenceune pièce de monnaie, l'emploi élémentairedu discours dessert l'universel reportagedont, la Littérature exceptée, participe toutentre les genres d'écrits contemporains.

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A quoi bon la merveille de transposer unfait de nature en sa presque disparitionvibratoire selon le jeu de la parole,cependant, si ce n'est pour qu'en émane, sansla gêne d'un proche ou concret rappel, lanotion pure ?

Je dis: une fleur ! et, hors de l'oubli où mavoix relègue aucun contour, en tant quequelque chose d'autre que les calices sus,musicalement se lève, idée même et suave,l'absente de tous bouquets.

Au contraire d'une fonction de numérairefacile et représentatif, comme le traited'abord la foule, le Dire, avant tout, rêve etchant, retrouve chez le poëte, par nécessitéconstitutive d'un art consacré aux fictions, sa

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virtualité.

Le vers qui de plusieurs vocables refait unmot total, neuf, étranger à la langue et commeincantatoire, achève cet isolement de laparole: niant, d'un trait souverain, le hasarddemeuré aux termes malgré l'artifice de leurretrempe alternée en le sens et la sonorité, etvous cause cette surprise de n'avoir ouïjamais tel fragment ordinaire delocution, enmême temps que la réminiscence de l'objetnommé baigne dans une neuve atmosphère.

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Crayonné au Théatre

I

HAMLET

Loin de tout et du temps où se cherchentdans le trouble nos cités, la Nature, enautomne, prépare son Théâtre, sublime etpur, attendant pour éclairer, dans la solitude,de significatifs prestiges, que l'unique oeillucide qui en puisse pénétrer le sens (ainsinotoire le destin de l'homme), un Poëte, soitrappelé à des plaisirs et à des soucismédiocres.

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Me voici, renfermant l'amertume d'unerêverie interrompue, de retour et prêt ànoter, en vue de moi-même et de quelques-uns aussi, nos impressions issues de banalsSoirs que le plus seul des isolés ne peut,comme il vêt l'habit séant à tous, omettre deconsidérer: pour l'entretien d'un malaise et,connaissant, en raison de certaines lois nonsatisfaites, que ce n'est plus ou pas encorel'heure de choses, même sociales,extraordinaires.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . Et cependant,enfant sevré de gloire, Tu sens courir parla nuit dérisoire, Sur ton front pâle aussiblanc que du lait, Le vent qui fait voler taplume noire Et te caresse, Hamlet, ô jeuneHamlet ! (THÉODORE DE BANVILLE)

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L'adolescent évanoui de nous auxcommencements de la vie et qui hantera lesesprits hauts ou pensifs par le deuil qu'il seplaît à porter, je le reconnais, qui se débatsous le mal d'apparaître: parce qu'Hamletextériorise, sur des planches, ce personnageunique d'une tragédie intime et occulte, sonnom même affiché exerce sur moi, sur toi quile lis, une fascination, parente de l'angoisse.Je sais gré aux hasards qui, contemplateurdérangé de la vision imaginative du théâtrede nuées et de la vérité pour en revenir àquelque scène humaine, me présentent,comme thème initial de causerie, la pièceque je crois celle par excellence; tandis qu'ily avait lieu d'offusquer aisément des regardstrop vite déshabitués de l'horizon pourpre,violet, rose et toujours or. Le commerce decieux où je m'identifiai cesse, sans qu'uneincarnation brutale contemporaine occupe,sur leur paravent de gloire, ma place tôt

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renoncée (adieu les splendeurs d'unholocauste d'année élargi à tous les tempspour que ne s'en juxtapose à personne lesacre vain,) mais survient le seigneur latentqui ne peut devenir, juvénile ombre de tous,ainsi tenant du mythe. Son solitaire drame !et qui, parfois, tant ce promeneur d'unlabyrinthe de trouble et de griefs en prolongeles circuits avec le suspens d'un acteinachevé, semble le spectacle mêmepourquoi existent la rampe ainsi que l'espacedoré quasi moral qu'elle défend, car il n'estpoint d'autre sujet, sachez bien:l'antagonisme de rêve chez l'homme avec lesfatalités à son existence départies par lemalheur.

Toute la curiosité, il est vrai, dans le casd'aujourd'hui, porte sur l'interprétation, maisen parler, impossible sans la confronter au

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concept.

L'acteur mène ce discours[*].

[*] ou M Mounet-Sully (octobre 1886)

A lui seul, par divination, maîtriseincomparable des moyens et aussi une foi delettré en la toujours certaine et mystérieusebeauté du rôle, il a su conjurer je ne saisquel maléfice comme insinué dans l'air decette imposante représentation. Non, je neblâme rien à la plantation du magnifique siteni au port somptueux de costumes, encoreque selon la manie érudite d'à-présent, celadate, trop à coup sûr; et que le choix exactde l'époque Renaissance spirituellementembrumée d'un rien de fourruresseptentrionales, ôte du recul légendaire

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primitif, changeant par exemple lespersonnages en contemporains dudramaturge: Hamlet, lui, évite ce tort, danssa traditionnelle presque nudité sombre unpeu à la Goya. L'oeuvre de Shakespeare estsi bien façonnée selon le seul théâtre denotre esprit, prototype du reste, qu'elles'accommode de la mise en scène demaintenant, ou s'en passe, avec indifférence.Autre chose me déconcerte que de telsmenus détails infiniment malaisés à régler etdiscutables: un mode d'intelligenceparticulier au lieu parisien même oùs'installe Elseneur et, comme dirait la languephi losophique, l'erreur du Théâtre-Français. Ce fléau est impersonnel et latroupe d'élite acclamée, dans lacirconstance, multiplia son minutieux zèle:jouer Shakespeare, ils le veulent bien, et ilsveulent le bien jouer, certes. A quoi le talentne suffit pas, mais le cède devant certaines

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habitudes invétérées de comprendre. VoiciHoratio, non que je le vise, avec quelquechose de classique et d'après Molière dansl'allure: mais Laertes, ici j'étreins mon sujet,joue au premier plan et pour son comptecomme si voyages, double deuil pitoyable,étaient d'intérêt spécial. Les plus bellesqualités (au complet), qu'importe dans unehistoire éteignant tout ce qui n'est unimaginaire héros, à demi mêlé à del'abstraction; et c'est trouer de sa réalité,ainsi qu'une vaporeuse toile, l'ambiance, quedégage l'emblématique Hamlet. Comparses,il le faut ! car dans l'idéale peinture de lascène tout se meut selon une réciprocitésymbolique des types entre eux ourelativement à une figure seule . Magistral,un, infuse l'intensité de sa verve franche àPolonius en une sénile sottise empresséed'intendant de quelque jovial conte, je goûte,mais oublieux alors d'un ministre tout autre

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qui égayait mon souvenir, figure commedécoupée dans l'usure d'une tapisseriepareille à celle où il lui faut rentrer pourmourir: falot, inconsistant bouffon d'âge, dequi le cadavre léger n'implique, laissé à mi-cours de la pièce, pas d'autre importance quen'en donne l'exclamation brève et hagarde«un Rat !» Qui erre autour d'un typeexceptionnel comme Hamlet, n'est que lui,Hamlet: et le fatidique prince qui périra aupremier pas dans la virilité, repoussemélancoliquement, d'une pointe vained'épée, hors de la route interdite à samarche, le tas de loquace vacuité gisant queplus tard il risquerait de devenir à son tour,s'il vieillissait. Ophélie, vierge enfanceobjectivée du lamentable héritier royal, rested'accord avec l'esprit de conservatoiresmoderne: elle a du naturel, commel'entendent les ingénues, préférant às'abandonner aux ballades introduire tout le

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quotidien acquis d'une des savantes d'entrenos comédiennes; chez elle éclate non sansgrâce, telle intonation parfaite, dans lespièces du jour, là où l'on vit de la vie: Alorsje surprends en ma mémoire, autres que leslettres qui groupent ce mot Shakespeare,voleter de récents noms qu'il est sacrilègemême de taire, car on les devine.

Quel est le pouvoir du Songe !

Le je ne sais quel effacement subtil et fanéet d'imagerie de jadis, qui manque à desmaîtres-artistes aimant à représenter un faitcomme il en arrive, clair, battant neuf ! luiHamlet, étranger à tous lieux où il poind, leleur impose à ces vivants trop en relief, parl'inquiétant ou funèbre envahissement de saprésence: l'acteur, sur qui se taille un peuexclusivement à souhait la version française,

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remet tout en place seul par l'exorcisme d'ungeste annulant l'influence pernicieuse de laMaison en même temps qu'il épandl'atmosphère du génie shakespearien, avecun tact dominateur et du fait de s'être mirénaïvement dans le séculaire texte. Soncharme tout d'élégance désolée accordecomme une cadence à chaque sursaut: puis lanostalgie de la prime sagesse inoubliéemalgré les aberrations que cause l'oragebattant la plume délicieuse de sa toque, voilàle caractère peut-être et l'invention du jeu dece contemporain qui tire de l'instinct parfoisindéchiffrable à lui-même des éclairs descoliaste. Ainsi pour la première fois,m'apparaît rendue au théâtre, la dualitémorbide qui fait le cas d'Hamlet, oui, fou endehors et sous la flagellation contradictoiredu devoir, mais s'il fixe en dedans les yeuxsur une image de soi qu'il y garde intacteautant qu'une Ophélie jamais noyée, elle !

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prêt toujours à se ressaisir. Joyau intact sousle désastre !

Mime, penseur, le tragédien interprèteHamlet en souverain plastique et mental del'art et surtout comme Hamlet existe parl'hérédité en les esprits de la fin de cesiècle: il convenait, une fois, aprèsl'angoissante veille romantique, de voiraboutir jusqu'à nous résumé le beau démon,au maintien demain peut-être incompris, c'estfait. Avec solennité, un acteur lègueélucidée, quelque peu composite mais trèsd'ensemble, comme authentiquée du sceaud'une époque suprême et neutre, à un avenirqui probablement ne s'en souciera pas maisne pourra du moins l'altérer, uneressemblance immortelle.

II

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BALLETS

La Cornalba me ravit, qui danse commedévêtue; c'est-à-dire que sans le semblantd'aide offert à un enlèvement ou à la chutepar une présence volante et assoupie degazes, elle paraît, appelée dans l'air, s'ysoutenir, du fait italien d'une moelleusetension de sa personne.

Tout le souvenir, non ! du spectacle àl'Eden, faute de Poésie: ce qu'on nommeainsi, au contraire, y foisonne, débaucheaimable pour l'esprit libéré de lafréquentation des personnages à robes, habitet mots célèbres. Seulement le charme estaux pages du livret, il ne passe pas dans lareprésentation. Les astres, eux-mêmes,

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lesquels j'ai pour croyance que rarement ilfaut déranger et pas sans raisonsconsidérables de méditative gravité (vraiqu'ici, selon l'explication, l'Amour les meutet les assemble), je feuillette et j'apprendsqu'ils sont de la partie; et l'incohérentmanque hautain de signification qui scintilleen l'alphabet de la Nuit va consentir à tracerle mot VIVIANE, enjôleurs nom de la fée ettitre du poème, selon quelques coupsd'épingle stellaires en une toile de fondbleue: car le corps de ballet, total, nefigurera autour de l'étoile (la peut-on mieuxnommer !) la danse idéale des constellations.Point ! de là on partait, vous voyez dansquels mondes, droit à l'abîme de l'art. Laneige aussi dont chaque flocon ne revit pasau va-et-vient d'un blanc ballabile ou selonune valse, ni le jet vernal des floraisons: toutce qui est, en effet, la Poésie, ou natureanimée, ne sort du texte que pour se figer en

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des manoeuvres de carton et l'éblouissantestagnation des mousselines lie et feu. Aussidans l'ordre de l'action, j'ai vu un cerclemagique par autre chose dessiné que le tourcontinu ou les lacs de la fée même: etc.Mille détails piquants d'invention, sansqu'aucun atteigne à une importance defonctionnement avéré et normal, dans lerendu. A-t-on jamais, notamment au cassidéral précité, avec plus d'héroïsme passéoutre la tentation de reconnaître en mêmetemps que des analogies solennelles, cetteloi, que le premier sujet, hors cadre, de ladanse soit une synthèse mobile, en sonincessante ubiquité, des attitudes de chaquegroupe: comme elles ne la font que détailler,en tant que fractions, à l'infini. Telle, uneréciprocité, dont résulte, l'in-individuel,chez la coryphée et dans l'ensemble, de l'êtredansant, jamais qu'emblème, pointquelqu'un...

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Le jugement, ou l'axiome, à affirmer en faitde ballet !

A savoir que la danseuse n'est pas unefemme qui danse, pour ces motifs juxtaposésqu'el le n'est pas une femme mais unemétaphore résumant un des aspectsélémentaires de notre forme, glaive, coupe,fleur, etc., et qu'elle ne danse pas,suggérant, par le prodige de raccourcis oud'élans, avec une écriture corporelle ce qu'ilfaudrait des paragraphes en prose dialoguéeautant que descriptive, pour exprimer, dansla rédaction: poème dégagé de tout appareildu scribe.

Après une légende, la Fable point commel'entendit le goût classique ou machinerie

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d'empyrée, mais selon le sens restreint d'unetransposition de notre caractère, ainsi que denos façons, au type simple de l'animal. Lejeu aisé consistait à re-traduire à l'aide depersonnages, il est vrai, plus instinctifscomme bondissants et muets que ceux à quiun conscient langage permet de s'énoncerdans la comédie, les sentiments humainsdonnes par le fabuliste à d'énamourésvolatiles. La danse est ailes, il s'agitd'oiseaux et des départs en l'à-jamais, desretours vibrants comme flèche: à qui scrutela représentation des DEUX PIGEONSapparaît par la vertu du sujet, cela, uneobligatoire suite des motifs fondamentaux duBallet. L'effort d'imagination pour letrouveur de ces similitudes ne s'annonce pasardu, niais c'est quelque chose qued'apercevoir une parité médiocre même, etle résultat intéresse, en art. Leurre ! saufdans le premier acte, une jolie incarnation

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des ramiers en l'humanité mimique oudansante des protagonistes.

Deux pigeons s'aimaient d'amour tendre

deux ou plusieurs, par paire, sur un toit,ainsi que la mer, vu en l'arceau d'une fermethessalienne, et vivants, ce qui est, mieuxque peints, dans la profondeur et d'un justegoût. L'un des amants à l'autre les montrepuis soi-même, langage initial, comparaison.Tant peu à peu les allures du coupleacceptent de l'influence du pigeonnierbecquètements ou sursauts, pâmoisons, quese voit cet envahissement d'aériennelascivité sur lui glisser, avec desressemblances éperdues. Enfants, les voicioiseaux, ou le contraire, d'oiseaux enfants,selon qu'on veut comprendre l'échange donttoujours et dès lors, lui et elle, devraient

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exprimer le double jeu: peut-être, toutel'aventure de la différence sexuelle ! Or jecesserai de m'élever à aucune considération,que suggère le Ballet, adjuvant et le paradisde toute spiritualité, d'autant qu'après cetingénu prélude, rien n'a lieu, sauf laperfection des exécutants, qui vaille uninstant d'arrière-exercice du regard, rien...Fastidieux de mettre le doigt sur l'inanitéquelconque issue d'un gracieux motifpremier. Voilà la fuite du vagabond, laquelleprêtait, du moins, à cette espèce d'extatiqueimpuissance à disparaître qui délicieusementattache aux planchers la danseuse; puisquand viendra, dans le rappel du même siteou le foyer, l'heure poignante et adorée durapatriement, après intercalation d'une fête àquoi tout va tourner sous l'orage, et que lesdéchirés, pardonnante et fugitif, s'uniront: cesera... Conçoit-on l'hymne de danse final ettriomphal où diminue jusqu'à la source de

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leur joie ivre l'espace mis entre les fiancéspar la nécessité du voyage ! Ce sera...comme si la chose se passait, Madame ouMonsieur, chez l'un de vous avec quelquebaiser très indifférent en Art, toute la Dansen'étant de cet acte que la mystérieuseinterprétation sacrée. Seulement, songerainsi, c'est à se faire rappeler par un trait deflûte le ridicule de son état visionnaire quantau contemporain banal qu'il faut, après tout,représenter, par condescendance pour lefauteuil d'Opéra.

A l'exception d'un rapport perçu avecnetteté entre l'allure habituelle du vol etmaints effets chorégraphiques, puis letransport au Ballet, non sans tricherie, de laFable, demeure quelque histoire d'amour; ilfaut que virtuose sans pair à l'intermède duDivertissement (rien n'y est que morceaux et

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placage) l'émerveillante MademoiselleMauri résume le sujet par sa divinationmêlée d'animalité trouble et pure à touspropos désignant les allusions non mises aupoint, ainsi qu'avant un pas elle invite, avecdeux doigts, un pli frémissant de sa jupe etsimule une impatience de plumes vers l'idée.

Un art tient la scène, historique avec leDrame; avec le Ballet, autre, emblématique.Allier, mais ne confondre; ce n'est pointd'emblée et selon un traitement commun qu'ilfaut joindre deux attitudes jalouses de leursilence respectif, la mimique et la danse, toutà coup étrangères si l'on en force lerapprochement. Un exemple illustre cepropos: a-t-on pas tout à l'heure, pour rendreune identique essence, celle de l'oiseau, chezdeux interprètes, imaginé d'élire une mime àcôté d'une danseuse, c'est confronter trop de

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différence ! l'autre, si l'une est colombe,devenant j'ignore quoi, la brise par exemple.Au moins, très judicieusement, à l'Eden,employant les deux modes d'art exclusifs, unhomme de théâtre expérimenté a pris pourthème l'antagonisme que chez son hérosparticipant du double monde, homme déjà etenfant encore, installe la rivalité de lafemme qui marche (même à lui, sur des tapisde royauté) avec celle, non moins chère dufait de sa voltige seule, la primitive et fée.Le trait distinctif de chaque genre théâtralmis en contact ou opposé se trouvecommander l'oeuvre qui emploie ledisparate à son architecture même. Resteraità trouver une communication. Le librettisteignore d'ordinaire que la danseuse, quis'exprime par des pas, ne comprendd'éloquence autre, même le geste.

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A moins du génie disant «La Danse figurele caprice à l'essor rythmique - voici, avecleur nombre, les quelques équationssommaires de toute fantaisie - or la formehumaine dans sa plus excessive mobilité, ouvrai développement, ne les peut transgresser,en tant, je le sais, qu'incorporation visuellede l'idée»: cela, puis un coup d'oeil jeté surun ensemble de chorégraphie ! personne àqui ce moyen convienne d'établir un ballet.Connue la tournure d'esprit contemporaine,chez ceux mêmes, aux facultés ayant pourfonction de se produire miraculeuses; il yfaudrait substituer je ne sais quelimpersonnel ou fulgurant regard absolu,comme l'éclair qui enveloppe, depuisquelques ans, la danseuse d'Edens, fondantune crudité électrique à des blancheursextra-charnelles de fards, et en fait bienl'être prestigieux reculé au-delà de toute viepossible.

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L'unique entraînement Imaginatif consistera,aux heures ordinaires de fréquentation dansles lieux de Danse, sans visée quelconquepréalable, patiemment et passivement à sedemander devant tout pas, chaque attitude siétranges, et pointes et taquetés, allongés ouballons «Que peut signifier ceci ?» oumieux, d'inspiration le lire. A coup sûr onopérera en pleine rêverie, mais adéquate;vaporeuse, nette et ample, ou restreinte, telleseulement que l'enferme en ses circuits ou latransporte par une fugue la ballerine illettréese livrant aux jeux de sa profession. Oui,celle-là (serais-tu perdu en une salle,spectateur très étranger, Ami) pour peu quetu déposes avec soumission à ses piedsd'inconsciente révélatrice, ainsi que lesrosés qu'enlevé et jette en la visibilité derégions supérieures un jeu de ses chaussons

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de satin pâle vertigineux, la Fleur d'abord deton poétique instinct, n'attendant de rienautre la mise en évidence et sous le vrai jourdes mille imaginations latentes: alors, par uncommerce dont son sourire paraît verser lesecret, sans tarder elle te livre à travers levoile dernier qui toujours reste, la nudité detes concepts et silencieusement écrira tavision à la façon d'un Signe, qu'elle est.

III

LE GENRE ou DES MODERNES[*]

[*] Incomplet: sans Augier, Dumas.

Ici, succincte, une parenthèse.

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Le Théâtre est d'essence supérieure.

Autrement, évasif desservant du culte qu'ilfaut l'autorité d'un dieu ou un acquiescemententier de foule pour installer selon leprincipe, s'attarderait-on à lui dédier cesNotes !

Nul poëte jamais ne put à une telleobjectivité des jeux de l'âme se croireétranger: admettant qu'une obligationtraditionnelle, par temps, lui blasonnât ledos de la pourpre du fauteuil de critique, outrès singulièrement sommé au fond d'un exil,incontinent d'aller voir ce qui se passe chezlui, dans son palais.

L'attitude, d'autrefois à cette heure, diffère.

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Mis devant le triomphe immédiat et forcenédu monstre ou Médiocrité qui parada au lieudivin, j'aime Gautier appliquant à son regardlas la noire jumelle comme une volontairecécité et «C'est un art si grossier... siabject» exprimait-il, devant le rideau; maiscomme il ne lui appartenait point, à caused'un dégoût, d'annuler chez soi desprérogatives de voyant, ce fut encore,ironique, la sentence «Il ne devrait y avoirqu'un vaudeville ? - on ferait quelqueschangements de temps en temps.»[*]Remplacez Vaudeville par Mystère, soit unetétralogie multiple elle-même se déployantparallèlement à un cycle d'ans recommencéet tenez que le texte en soit incorruptiblecomme la loi: voilà presque !

[*] Lire le merveilleux Journal desGoncourt, tome 1er.

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Maintenant que suprêmement on ouïtcraquer jusque dans sa membrune définitivela menuiserie et le cartonnage de la bête, ilest vrai, fleurie, comme en un dernieraffollement, de l'éblouissant paradoxe de lachair et du chant; ou qu'imagination pire etsournoise pour leur communiquer l'assuranceque rien n'existe qu'eux, demeurent sur lascène seulement des gens pareils auxspectateurs: maintenant, je crois qu'enévitant de traiter l'ennemi de face vu safeinte candeur et même de lui apprendre parquoi ce devient plausible de le remplacer(car la vision neuve de l'idée, il la vêtiraitpour la nier, comme le tour perce déjà dansle Ballet), véritablement on peut harceler lasottise de tout cela ! avec rien qu'un limpidecoup d'oeil sur tel point hasardeux ou sur unautre. A plus vouloir, on perd sa force qui

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gît dans l'obscur de considérants tus sitôt quedivulgués à demi, où la pensée se réfugie: ordécréter abject un milieu de sublime nature,parce que l'époque nous le montra dégradé:non, je m'y sentirais trop riche en regrets dece dont il restait beau et point sacrilège desimplement suggérer la splendeur.

Notre seule magnificence, la scène, à qui leconcours d'arts divers scellés par la poésieattribue selon moi quelque caractèrereligieux ou officiel, si l'un de ces mots a unsens, je constate que le siècle finissant n'en acure, ainsi comprise: et que cet assemblagemiraculeux de tout ce qu'il faut pour façonnerde la divinité, sauf la clairvoyance del'homme, sera pour rien.

Au cours de la façon d'interrègne pourl'Art, ce souverain, où s'attarde notre époque

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tandis que doit le génie discerner maisquoi ? sinon l'afflux envahisseur etinexpliqué des forces théâtrales exactes,mimique, jonglerie, danse et la pureacrobatie, il ne se passe pas moins que desgens adviennent, vivent, séjournent en laville: phénomène qui ne couvre,apparemment, qu'une intention d'allerquelquefois au spectacle.

La scène est le foyer évident des plaisirspris en commun, aussi et tout bien réfléchi,la majestueuse ouverture sur le mystère donton est au monde pour envisager la grandeur,cela même que le citoyen, qui en aurait uneidée, se trouve en droit de réclamer à unÉtat, comme compensation de l'avilissementsocial. Se figure-t-on l'entité gouvernanteautrement que gênée (eux, les royaux pantinsdu passé, à leur insu répondaient par le muet

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boniment de ce qui crevait de rire en leurpersonnage enrubanné; mais de simplesgénéraux maintenant) devant une prétentionde malappris, à la pompe, auresplendissement, à quelque solemnisationauguste du Dieu qu'il sait être ! Après uncoup d'oeil, regagne le chemin qui t'amenadans la cité médiocre et sans conter tadéception ni t'en prendre à personne, fais-toi, hôte présomptueux de l'heure, reverserpar le train dans quelque coin de rêverieinsolite; ou bien reste, nulle part ne seras-tuplus loin qu'ici, puis commence à toi seul,selon la somme amassée d'attente et desonges, ta nécessaire représentation.Satisfait d'être arrivé dans un temps où ledevoir qui lie l'action multiple des hommes,existe mais à ton exclusion, (ce pactedéchiré parce qu'il n'exhiba point de Sceau.)

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Que firent les Messieurs et les Dames issusà leur façon pour assister, en l'absence detout fonctionnement de majesté et d'extaseselon leur unanime désir précis, à une piècede théâtre; il leur fallait s'amuser nonobstant;ils auraient pu, tandis que riait en train desourdre la Musique, y accorder quelque pasmonotone de salons. Le jaloux orchestre nese prête à rien d'autre que signifiancesidéales exprimées par la scénique sylphide.Conscients d'être la pour regarder, sinon leprodige de Soi ou la Fête ! du moins eux-mêmes ainsi qu'ils se connaissent dans la rueou à la maison, voilà au piteux leverd'aurorale toile peinte, qu'ils envahirent, lesplus impatients, le proscenium, agréant des'y comporter ainsi que quotidiennement etpartout: ils salueraient, causeraient à voixsuperficielle de riens dont avec précautionest faite leur existence, durant quoi les autresdemeurés en la salle se plairaient, détournant

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leur tête la minute de laisser scintiller desdiamants d'oreilles qui babillent Je suispure de cela qui se passe sur la scène ou labarre de favoris couper d'ombre une jouecomme par un Ce n'est pas moi dont il estici question, conventionnellement etdistraitement à sourire à l'intrusion sur leplancher divin; lequel, lui, ne la pouvaitendurer avec impunité, à cause d'un certainéclat subtil, extraordinaire et brutal devéracité que contiennent ses becs de gaz maldissimulés et aussitôt illuminant, dans desattitudes générales de l'adultère ou du vol,les imprudents acteurs de ce banal sacrilège.

Je comprends.

La danse seule, du fait de ses évolutions,avec le mime me paraît nécessiter un espaceréel, ou la scène.

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A la rigueur un papier suffit pour évoquertoute pièce: aidé de sa personnalité multiplechacun pouvant se la jouer en dedans, ce quin'est pas le cas quand il s'agit de pirouettes.

Ainsi je fais peu de différence, prenant unexemple insigne, entre l'admiration quegarde depuis plusieurs années ma mémoired'une lecture de la comédie de M. Becque,les HONNÊTES FEMMES, et le plaisir tiréde sa reprise hier. Que l'actrice réveille lespirituel texte ou si c'est ma vision de liseurà l'écart, voilà (comme les autres ouvragesde ce rare auteur) un chef-d'oeuvre modernedans le style de l'ancien théâtre. La phrasechante sur les voix si bien d'accord que sontcelles du Théâtre-Français sa mélodie debon sens, je ne l'en perçois pas moins écrite,dans l'immortalité de la brochure. Aucune

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surprise que je n'aie goûtée d'avance, nidéception: mais un délice d'amateur àconstater que la notation de vérités ou desentiments pratiqués avec une justessepresque abstraite, ou simplement littérairedans le vieux sens du mot, trouve, à larampe, vie.

S'il tarde d'en venir à rassembler à-proposde gestes et de pas, quelques traitsd'esthétique nouveaux, je ne laisserai dumoins cet acte parfait dans une autremanière, sans marquer qu'il a, comme le doittout produit même exquisement moyen et defiction plutôt terre-à-terre, par un coin, aussisa puissante touche de poésie inévitable:dans l'instrumentale conduite des timbres dudialogue, interruptions, répétitions, toute unetechnique qui rappelle l'exécution enmusique de chambre de quelque fin concert

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de tonalité un peu neutre; et (je souris) dufait du symbole. Qu'est-ce, sinon uneallégorie bourgeoise, délicieuse et vraie,prenez la pièce ou voyez-la ! que cetteapparition à l'homme qui peut l'épouser,d'une jeune fille parée de beaux enfantsd'autrui, hâtant le dénouement par un tableaude maternité future.

A tout le théâtre faussé par une thèse ouaveuli jusqu'à l'étalage dechromolithographies, bref le contraire, cetAuteur Dramatique par excellence (pourreproduire la mention des bustes de foyer)oppose l'harmonie des types et de l'action.Ainsi les ameublements indiquant l'intimitéde ce siècle, louches, tels, prétentieux ! dansde récentes années revint se substituer le tonbourgeois et pur du style dernier, le LouisXVI. Analogie qui me prend: s'il n'existe de

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revoir mieux approprié à l'état contemporainque les soieries de robe aux bergères avecalignement d'acajou discret, cela noble,familier (où le regard, jamais trompé par lessimilitudes de quelque allusion décorativeaveuglante, ne risque d'accrocher à leurcrudité puis d'y confondre selon des torsionsle bizarre luxe de sa propre chimère), jesens une sympathie pour l'ouvrier d'unoeuvre restreint et parfait, mais d'un oeuvreparce qu'un art y tient, lequel me charme parune fidélité à tout ce qui fut une rare etsuperbe tradition, et ne gêne ni ne masquepour mon oeil l'avenir.

Le malentendu qui toutefois peut s'installerentre la badauderie et le maître, si quelqu'unn'y coupe court en vertu d'une admiration,provient de ce que, dans un souhait troublede nouveau, on attende un art inventé de

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toutes pièces: tandis que voici unaboutissement imprévu, glorieux et neuf del'ancien genre classique, en pleinemodernité, avec notre expérience ou je nesais quel désintéressement cruel qu'on n'apas employé tout à nu, avant le siècle. Autrechose que la PARISIENNE notamment, c'estprésumer mieux qu'un chef-d'oeuvre, tant lesavoir de l'écrivain brille en cetteproduction de sa verte maturité; ousurpassera-t-il les CORBEAUX ? Je ne ledésire presque, et me défierais. Une à unereprenez sur quelque scène officielle etcomme exprès rétrospective ces pièces déjàqui du premier soir furent évidentes, pourque le travailleur groupe à l'entour maintexemplaire du genre dont il a, par un faithistorique très spécial, dégagé sur le tard denotre littérature, la vive ou sobre beauté. Nepas feindre l'impatience d'une surprise quandelle a eu lieu et qu'il s'agit d'un art achevant

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ainsi avec un plus strict éclat qu'un desgénies antérieurs eût pu l'allumer, sarévélation, ou notre comédie de moeursfrançaise.

Comme je goûte par exemple la farce,aiguë, autant que profonde sans prendrejamais un ton soucieux vu que c'est trop si lavie l'affecte envers nous, rien n'y valant ques'enfle l'orchestration des colères, du blâmeou de la plainte ! partition ici tue selon unrythmique équilibre dans la structure, elle serépond, par opposition de scènes contrastéeset retournées, d'un acte à l'autre où c'est unevoltige, allées, venues, en maint sens, de lafée littéraire unique, la Fantaisie, qui effaced'un pincement de sa jupe, ou montre, unetransparence d'allusions répandue sur fond,d'esprit: enveloppant dans le tourbillon dejoie la réalité folle et contradictoire puis la

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piquant de ses pointes, avant de s'arrêter surce sourire qui est le jugement suprême et endernier lieu de la sagesse parisienne etindéniablement le trait de M. Meilhac.

Ainsi dans un ouvrage dramatique savantréapparaît; visible au regard critique etcertain, etre aux ailes de gaze, à qui sont lesplanches.

L'hiver[*] est à la prose.

[*] 1886

Avec l'éclat automnal cessa le Vers, quiautorise le geste et un miraculeux recul:c'était, la dernière, fanfare si magistralementlancée que j'ai dans l'oreille, du fait de M.

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Richepin, au succès interrompu par le départde Scapin en personne[*]: farce où le tréteaus'est agrandi par ses arts seuls jusqu'à lascène, comme il le faillit aux sièclesd'imitation antique.

[*] M. Coquelin

Figurativement, ainsi tout se passe, mêmeen la comédie, la rampe se prêtant à l'éclairmétaphorique de verités.

A une distance d'un mois et plus, un effet,par exemple, prodigieux, simple me hante,entre mille de MONSIEUR SCAPIN, c'est lafuite, nulle part mais accomplie en dernièreressource, avec férocité, de celle quiéchappe à tout, à des dupes, à leurs cris, auchâtiment, selon son commerce surnaturel et

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une mauvaise innocence, seulement en sedérobant, la Courtisane[*] A peine sedemande-t-on si c'est la brute représentationd'un fait, qu'on voit là ou la mise au point dusens de ce fait. La pièce du vivace poëteabonde, avec gaîté, en des visions qui, moinsque celle-là peut-être car je la tiens pourunique, s'imposent: et je voudrais d'elle etd'autres citer, pour les parfaire,l'accompagnement ou des tiradesdéveloppant comme un rire vaste envoléloin, mais je manque d'une belle mémoire.Le vers à pleine voix, viril, jeté clair, séduitcomme strictement théâtral attendu qu'ils'adapte par sa combinaison d'images et deverve haute précisément au site de toilespeintes sous des lumières, le décor, ainsiqu'à ce naturel instrument, l'acteur, quiindiquent l'état actuel de l'art.

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[*] Au 3e acte, personnage de Rafa.

Le silence, seul luxe après les rimes, unorchestre ne faisant avec son or, sesfrôlements de soirs et de cadence, qu'endétailler la signification à l'égal d'une odetue et que c'est au poëte, suscité par un défi,de traduire le silence que depuis je chercheaux après-midi de musique, je l'ai trouvéavec contentement aussi, devant laréapparition toujours inédite comme lui-même de Pierrot c'est-à-dire du clair etsagace mime Paul Legrand.

Ainsi ce PIERROT ASSASSIN DE SAFEMME composé et rédigé par M. PaulMargueritte, tacite soliloque que tout du longà soi-même tient et du visage et des gestes lefantôme blanc comme une page pas encoreécrite. Un tourbillon de pensées naïves ou

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neuves émane, qu'il plairait de saisir avecsûreté, et dire. Toute l'esthétique du genresitué plus près des principes qu'aucun autrerien, en cette région de la fantaisie nepouvant contrarier l'instinct simplificateur etdirect.

Voici. «La scène n'illustre que l'idée, nonune action effective, par un hymen (d'oùprocède le Rêve), vicieux mais sacré, entrele désir et l'accomplissement, la perpétrationet son souvenir: ici devançant, làremémorant, au futur, au passé, sous uneapparence fausse de présent. Tel opère leMime, dont le jeu se borne à une perpétuelleallusion: il n'installe autrement un milieu purde fiction.» Ce rôle, moins qu'un millier delignes, qui le lit comprendra les règles ainsique placé devant un tréteau, leur dépositairehumble. La surprise aussi, accompagnant

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l'artifice d'une notation de sentiments par desphrases point proférées, est que, dans ce seulcas peut-être avec authenticité, entre lesfeuillets et le regard s'établit ce silence,délice de la lecture.

Mais où poind, et je l'exhibe avecdandysme, mon incompétence, au sujetd'autre chose que l'absolu, c'est le doute quid'abord abominer, un intrus apportant samarchandise différente de l'extase et dufaste, ou le prêtre vain qui endosse un néantd'insignes pour cependant officier.

Avec l'impudence de faits divers ou dutrompe-l'oeil emplir le théâtre et exclure laPoésie, ses jeux, sublimités (espoir toujourschez un spectateur), ne me semble besognepire que la montrer en tant que je ne saisquoi de spécial au bâillement; ou, instaurer

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cette déité dans tel appareil balourd etvulgaire est peut-être méritoire à l'égal del'omettre.

La chicane, la seule que j'oppose à unOdéon, n'est pas qu'il tienne ici pour unealternative plutôt que l'autre, la sienne va àses pseudo-attributions et dépend d'unearchitecture: mais bien, temple d'un cultefactice, entretenant une vestale pouralimenter sur un trépied à pharmaceutiqueflamme le grand art quand même ! derecourir méticuleusement et sans se tromperà la mixture conservant l'inscription exactePonsard comme à quelque chose defondamental et de vrai. Un déni de justice àl'an qui part ou commence, ici s'affirme, entant que la constatation, où je ne puis voirsans déplaisir mettre un cachet national, quenotre âge soit infécond en manifestations

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identiques, comme portée et rendu parexemple au LION AMOUREUX, c'est-à-direà combler avec ce qui simule exister le videde ce qu'il n'y a pas. Au contraire, en cesNotes d'abord, nous sommes aux grisailles etvous n'aviez, prêtresse d'une crypte froide,pas à mettre la main sur une des fiolesavisées qui se parent en naissant, une foispour toutes et dans un but d'économie, de lapoussière de leur éternité. Ce Ponsard,puisque soufflant par un des buccins du jour,je suis sujet à répéter son nom, n'agite monfiel, si ce n'est que, sa gloire vient de là ! ilpaya d'effronterie, inouie, hasardée,extravagante et presque belle en persuadantà une clique, qu'il représentait, dans lemanque de tout autre éclat, au théâtre laPoésie, quand en resplendissait le dieu. Jel'admire pour cela, avoir sous-entendu Hugo,dont il dut, certes, s'apercevoir, à ce pointque né humble, infirme et sans ressources, il

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joua l'obligation de frénétiquement surgir,faute de quelqu'un; et se contraignit aprèstout à des efforts qui sont d'un vigoureuxcarton. Malice un peu ample, et drôle ! dontnous étions plusieurs nous souvenant; maisen commémoration de quoi il n'importait detout à coup sommer la génération nouvelle.Combien, pour ma part, ayant l'âme naïve etjuste, je nourris une autre prédilection, sansdésirer qu'on les ravive néanmoins audétriment d'aucun contemporain, pour cesremplaçants authentiques du Poëte quiencoururent notre sourire, ou le leur peut-être s'ils en avaient un, à seule finpudiquement de nier, au laps d'extinctiontotale du lyrisme, comme les Luce deLancival, Campistron ou d'autres ombres,cette vacance néfaste: ils ont, à ce qu'étaitleur âme, ajusté pour vêtement une guenilleusée jusqu'aux procédés et à la ficelle plutôtque d'avouer le voile de la Déesse en allé

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dans une déchirure immense ou le deuil. Ceslarves demeureront touchantes et je m'apitoieà l'égal sur leur descendance que l'Odéon, cesoir, frustre, pareille à des gens quigarderaient l'honneur d'autels résumé en ledésespoir de leurs poings fermés aussi peut-être par la somnolence. Tous, je les jugeinstructifs non moins que grotesques, leursimitateurs et les devanciers, attendu que d'unsiècle ils reçoivent, en manière de sacrédépôt, pour le transmettre à un autre, ce quiprécisément n'est pas, ou que si c'était,mieux vaudrait ne pas savoir ! le résidu del'art, axiomes, formule, rien.

Quelques romans ont, de pensée qu'ilsétaient, en ces temps repris corps, voix etchair, et cédé leurs fonds de colorisimmatériel, à la toile, au gaz.

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Le roman, je ne sais le considérer aupouvoir des maîtres ayant apporté à sa formeun changement si beau (quand il s'agissaitnaguère d'en fixer l'esthétique), sans admirerqu'à lui seul il débarrasse l'art, d'abord surla scène, de l'instrusion du modernepersonnage, désastreux et nul comme segardant d'agir plus que de tout.

Quoi ! le parfait écrit récuse jusqu'à lamoindre allusion à une aventure, pour secomplaire dans son évocation chaste, sur letain de souvenirs, comme l'est cetteextraordinaire Chérie, d'une figure, à la foiséternel fantôme et la vie ! c'est qu'il ne sepasse rien d'immédiat et d'en dehors dans unprésent qui joue à l'effacé pour couvrir deplus hybrides dessous. Si notre extérieureagitation choque, en l'écran de feuilletsimprimés, à plus forte raison sur les

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planches, matérialité dressée dans uneobstruction gratuite. Oui, le Livre ou cettemonographie qu'il devient d'un type(superposition des pages comme un coffret,défendant contre le brutal espace unedélicatesse reployée infinie et intime del'être en soi-même) suffit avec maintsprocédés si neufs analogues en raréfaction àce qu'a de subtil la vie. Par une mentaleopération et point d'autre, lecteur jem'adonne à abstraire telle physionomie, sansce déplaisir d'un visage exact penché, horsla rampe, sur ma source ou âme. Les traitsréduits à des mots, un maintien le cédant àquelque identique disposition de phrase, toutce pur résultat atteint pour ma nobledélectation, s'effarouche de la réalité d'uneinterprète, qu'il sied d'aller voir en tant quepublic, à l'Odéon, si l'on n'aime rouvrir,comme moi, chaque hiver, un des plus exquiset poignants ouvrages de MM. de Goncourt,

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RENÉE MAUPERIN, car vous devinez,quoique traîne et recule au plus loin de lacadence ordinaire une conclusion relative àl'un des princes des lettres contemporaines,tout cet artifice dilatoire de respect vise la siintéressante, habile et quasi originaleadaptation qu'a faite du chef-d'oeuvre, unetolérance amicale l'y invitant, M. Céard. Aumanque de goût aisé de chuchoter des véritésque mieux trompette l'oeuvre éclatant duromancier, cette atténuation: je réclame, passelon une vue théâtrale à moi, pour l'intégritédu génie littéraire, à cause simplement dumilieu peut-être plus grossier encore, s'il lerestitue, même scéniquement, à l'existence,après l'en avoir tiré par le fait des procédésdélicieux, fuyants, de l'analyse.

Et... et... je parle d'après quelqueperception aussi qu'a de l'atmosphère un

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poëte transposé même dans le monde,répondez, si demeure un rapport satisfaisantou quelconque entre la façon d'exister et dedire forcément soulignée des comédiens enexercice, et le caractère tout d'insaisissablefinesse de la vie. Conventions ! et vousimplanterez, au théâtre, avec plus devraisemblance les paradis, qu'un salon.

M. Daudet entreprend lui-même sa tâche, jecrois sans préconception mais en consultantà mesure que se fait l'éveil de textes à lascène, ses dons, pour servir à tel effet ou lenier, dans le sens apparu et selon pasd'esthétique que la loi de son impeccabletact. Toujours avec lui, surveillant cetteopération en critique détaché a-t-on chancede saisir, fortuitement, sur le fait, desrésultats certains. Art qui inquiète et séduitcomme ce que je perçois vrai derrière mon

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incompétence car s'établit une ambiguïtéentre l'écrit et le joué, des deux aucun, elleverse, le volume presque omis, l'impressionqu'on n'est pas tout à fait devant la rampe. Sije détaillais le charme, voici: sans lenécessaire talisman de la page (présentperfide d'humble aspect qui cache monasservissement à la pensée d'autrui, plus ! àson écriture) on ne se croit, d'autre part, lecaptif du vieil enchantement redoré d'unesalle, ce spectacle comportant je ne saisquoi de direct ou encore cette qualité deprovenir de nous à la façon d'une librevision spirituelle. Ainsi l'acteur n'y scandepoint sur les planches son pas appuyé à laritournelle dramatique mais se meut dans unmilieu simple et le silence, ici comme aufiguré, de tapis sur le sonore tremplinrudimentaire de la marche et du bond: il n'ya, tel détail ou un autre, jusqu'à cetenguirlandement de comparses en la

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farandole, lequel ne prenne une grâce dementale fresque. Morcellement surtout de cequ'il faudrait, en contradiction avec uneformule célèbre, appeler la scène à ne pasfaire du moins dans la modernité oùpersonne ne choie qu'une préoccupation,pendant ses heures de la nuit et du jour,rayant tous les codes passés, «ne jamais rienaccomplir ou proférer qui puisse exactementse copier au théâtre». Le choc d'âme sansque s'y abandonne le héros comme il le peutdans le seul poème, a lieu par brefs moyens,un cri, ce sursaut la minute d'y faire allusion,avec une légèreté de touche autant que laclairvoyance d'un artiste qui aexceptionnellement dans le regard notremonde. Ce faire si curieux et qui apparaît àl'état de résultante comme virtuelle d'unetentative, la plus haute d'à présent, ne sedément pas au long de la pièce: il éclateintense et significatif, à suspendre même

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l'afflux des bravos avant la chute du rideauet fournît ce tableau à demi dans la plastiquedu théâtre mais déjà aussi dans l'optiquepure, d'une chambre avec tous les élémentsfamiiliaux de la vie, on y va mourir bientôt,on y vient presque de naître, plus poignantque des fiançailles aussi un rapprochementconjugal s'y noua, or tout est vain et ne garded'intérêt que pour le spectateur.. à travers lacroisée, impersonnel comme l'être vu de doset repris par sa folie du dehors et de bruit,s'agite dans quelque harangue, au balcon,inentendue qu'importé, il parle ! gesticule etcontinue sa fatalité, NUMA ROUMESTAN:c'est, à l'esprit, dans un au-delà de vitrage etson cadre, jusqu'à l'instant suprême différéela totale apparition de l'incorrigible, elleconclut en même temps que se perd en lefutur.

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Nouveaux, concis, lumineux traits, que leLivre dût-il y perdre, enseigne à un théâtreborné.

L'intention, quand on y pense, gisant auxsommaires plis de la tragédie française nefut pas l'antiquité ranimée dans sa cendreblanche mais de produire en un milieu nul ouà peu près les grandes poses humaines etcomme notre plastique morale.

Statuaire égale à l'interne opération parexemple de Descartes et si le tréteausignificatif d'alors avec l'unité depersonnage, n'en profita, joignant lesplanches et la philosophie, il faut accuser legoût notoirement érudit d'une époque retenued'inventer malgré sa nature prête,dissertatrice et neutre, à vivifier le typeabstrait. Une page à ces grécisants, ou même

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latine, servait, dans le décalque. La figured'élan idéal ne dépouilla pas l'obsessionscolaire ni les modes du siècle.

Seul l'instinctif jet survit, qui a dressé unebelle musculature de fantômes.

Si je précise le dessin contraire ou pareilde cet homme de vue si simple M. Zolaacceptant la modernité pour l'ère définitive(au-dessus de quoi s'envola, dans l'héroïqueencore, le camaieu Louis XIV), il projetted'y établir comme en quelque terrain, généralet stable, le drame, en soi et hors d'aucunefable que les cas de notoriété. Le moyen desublimation de poëtes nos prédécesseursavec un vieux vice charmant, trop de facilitéà dégager la rythmique élégance d'unesynthèse, approchait la formule souhaitée,laquelle diffère par une brisure analytique

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multipliant la vraisemblance ou les heurts duhasard.

Vienne le dénouement d'un orage de vie,gens de ce temps, rappelons-nous avec quelsouci de parer jusqu'à une surprise de gesteou de cri dérangeant notre sobriété nous nousasseyons, simplement, pour un entretien.Ainsi et selon cette tenue, commence enlaissant s'agiter chez le spectateur le sourdorchestre des dessous et me subjugueRENÉE.. A demi-mot se résout posémentchaque état sensitif par les personnagesmême su, le propre de notre attitudemaintenant, ou celle humaine suprême, étantde ne parler jamais qu'après décision, loinde fournir la primauté au motif sentimentalmême le plus cher: alors s'établit en nousl'impersonnalité des grandes occasions.

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Loi, exclusive de tout art traditionnel, non !elle dicta le théâtre classique, à l'éloquentdébat ininterrompu: aussi par ce rapportmieux que par les analogies d'un sujet mêmeavec la Phèdre dix-septième siècle, lethéâtre de moeurs récent confine à l'ancien !

Voyez que vous-même, après coup oud'avance mais sciemment, toujours traitez lasituation: un contemporain essaie del'élucider par un appel pur à son jugement,comme à propos de quelque autre et sans semettre en jeu. Le triple contrat entre Saccardet le père de l'héroïne, puis Renée, résolvanten affaire le sinistre préalable, illustre cela,au point que ne m'apparaisse d'ouverturedramatique plus strictement moderne, àcause d'une maîtrise anticipée et nette de soi.

Ce volontaire effacement extérieur qui

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particularise notre façon, toutefois, ne peutsans des accès se prolonger et la succinctefoudre qui servira de détente à tant decontrainte et d'inutiles précautions contrel'acte magnifique de vivre, marque d'un jourviolent le malheureux, comme pris en fautedans une telle interdiction de se montrer àmême.

Voilà une théorie tragique actuelle ou, pourmieux dire, celle de la pièce: le drame,latent, ne s'y manifeste que par une déchirureaffirmant l'irréductibilité de nos instincts.

L'adaptation, par le romancier, d'un tomede son oeuvre, la CURÉE, accru de lanouvelle NANTAS, cause, sur qui prendplace en désintéressé, un effet de piècesuccédant à celles fournies par le théâtre ditde genre, sauf la splendeur à tout coup de

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qualités élargies jusqu'à valoir un point devue; affinant la curiosité en intuitionqu'existé de cela aux choses quotidiennementjouées et pas d'aspect autres, une différence.

Absolue..

Ce voile conventionnel qui, ton, concept,etc., erre dans toute salle, accrochant auxcristaux perspicaces eux-mêmes son tissu defausseté et ne découvre que banale la scène,il a comme flambé au gaz ! et ingénus,morbides, sournois, brutaux avec une nuditéd'allure bien dans la franchise classique semontrent des caractères.

Cependant non loin, le lavage à grande eaumusical du Temple, qu'effectue devant mastupeur, l'orchestre avec ses déluges de

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gloire ou de tristesse versés, ne l'entendez-vous pas ? dont la Danseuse restaurée maisencore invisible à de préparatoirescérémonies, semble la mouvante écumesuprême.

Il fut un théâtre, le seul où j'allais de mongré, l'Eden, significatif de l'étatd'aujourd'hui, avec son apothéotiquerésurrection italienne de danses offerte ànotre vulgaire plaisir, tandis que parderrière attendait le monotone promenoir.Une lueur de faux cieux électrique baigna larécente foule, en vestons, à saccoche; puis àtravers l'exaltation, par les sons, d'unimbécile or et de rires, arrêta sur lafulgurence des paillons ou de chairsl'irrémissible lassitude muette de ce qui n'estpas illuminé des feux d'abord de l'esprit.Parfois j'y considérai, au sursaut de l'archet,

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comme sur un coup de baguette légué del'ancienne Féerie, quelque cohue multicoloreet neutre en scène soudain se diaprer degraduels chatoiements ordonnée en un savantballabile, effet rare véritablement etenchanté; mais de tout cela et de l'éclairciefaite dans la manoeuvre de masses selon desubtils premiers sujets ! le mot restait auxfinales quêteuses mornes de là-hautentraînant la sottise polyglotte éblouie parl'exhibition de moyens de beauté et presséede dégorger cet éclair, vers quelquereddition de comptes simplificatrice: car laprostitution en ce lieu, et c'était là un signeesthétique, devant la satiété de mousselineset de nu abjura jusqu'à l'extravagance puérilede plumes et de la traîne ou le fard, pour netriompher, que du fait sournois et brutal desa présence devant d'incomprisesmerveilles. Oui, je me retournais, à cause dece cas flagrant qui occupa toute ma rêverie

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comme l'endroit; en vain ! sans la musiquetelle que nous la savons égale des silences etle jet d'eau de la voix, ces revendicatricesd'une idéale fonction, la Zucchi, la Cornalba,la Laus avaient de la jambe écartant le banalconflit, neuves, enthousiastes, désigné avecun pied suprême au delà des vénalités del'atmosphère, plus haut même que le plafondde Clairin, quelque astre.

Très instructive exploitation, adieu.

A défaut du ballet y expirant dans unefatigue de luxe voici que ce local singulierdeux ans déjà par des vêpres dominicales dela symphonie purifié bientôt intronise, nonpas le cher mélodrame français agrandijusqu'à l'accord du vers et du tumulteinstrumental ou leur lutte (prétention auxdanses parallèle chez le poëte) mais un art,

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le plus compréhensif de ce temps, tel que parl'omnipotence d'un total génie encorearchaïque il échut et pour toujours auxcommencements d'une race rivale de nous:avec Lohengrin de Richard Wagner.

O plaisir et d'entendre là dans unrecueillement trouvé à l'autel de tout senspoétique ce qui est jusque maintenant lavérité; puis, de pouvoir, à propos d'uneexpression même étrangère à nos propresespoirs, émettre, cependant et sansmalentendu, des paroles.

IV

UN PRINCIPE DES VERS

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Jamais soufflet tel à l'élite soucieuse derecueillement pour s'installer en l'esprit dessplendeurs, que celui donné par la crapuleexigeant la suppression, avec ou sans legouvernement ou d'accord avec le chef-d'oeuvre affolé lui-même, de LOHENGRIN:ce genre de honte possible n'avait été encoreenvisagé par moi, et est acquis, au point quequelque tempête d'égout qui maintenants'insurge contre de la supériorité et y crache,j'aurai vu pire, et rien ne produiraqu'indifférence.

Certaine incurie des premièresreprésentations pour ne pas dire unéloignement peut-être de leur solennité, oùune présence avérée devant tout l'éclatscénique commande, au lieu de ces légèresNotes d'un coin prises par côté et n'importequand à l'arrière vibration d'un soir, mon

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attention pleine et de face, orthodoxe, à desplaisirs que je sens médiocrement; aussid'autres raisons diffuses, même en un casexceptionnel m'avaient conduit (et lacertitude pour la critique d'ici de compter,en faveur du drame lyrique, sur l'éloquentebravoure de mon conjoint musical[*]) ànégliger les moyens d'être de ce leverangoissant du rideau français sur Wagner.Mal m'en a pris; on sait le reste et commentc'est en fuyant la patrie que dorénavant ilfaudra satisfaire de beau notre âme.

[*] M. de Fourcaud.

Voilà, c'est fini, pour des ans...

Que de sottise et notamment au senspolitique envahissant tout, si bien que j'en

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parle ! d'avoir perdu une occasionélémentaire, tombée des nuages et sur quois'abattre, nous de manifester à une nationhostile la courtoisie qui déjoue de hargneuxfaits divers; quand il s'agissait d'en saluer leGénie dans son aveuglante gloire.

Tous, de nouveau nous voici, quiconquerecherche le culte d'un art en rapport avec letemps (encore à mon avis que celuid'Allemagne accuse de la bâtardisepompeuse et neuve), obligés de prendre,matériellement, le chemin de l'étranger nonsans ce déplaisir subi, par l'instinct simplede l'artiste, à quitter le sol du pays; dès qu'ily a lieu de s'abreuver à un jaillissementvoulu par sa soif.

Un de ces soirs manqués d'initiation et dejoie j'ouvrais, en quête de bonne

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compensation, le radieux écrit LEFORGERON pour y apprendre de solitairesvérités.

Que tout poème composé sinon pour obéirau vieux génie du vers, n'en est pas un... On apu, antérieurement à l'invitation de la rimeici extraordinaire parce qu'elle ne fait qu'unavec l'alexandrin qui, dans ses poses et lamultiplicité de son jeu, semble par elledévoré tout entier comme si cette fulgurantecause de délice y triomphait jusqu'à l'initialesyllabe; avant le heurt d'aile brusque etl'emportement, on a pu, cela est mêmel'occupation de chaque jour, posséder etétablir une notion du concept à traiter, maisindéniablement pour l'oublier dans sa façonordinaire et se livrer ensuite à la seuledialectique du Vers. Lui en dieu jalouxauquel le songeur céda la maîtrise, il

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ressuscite au degré glorieux ce qui, tout sûr,philosophique, imaginatif et éclatant que cefût, comme dans le cas présent, une visioncéleste de l'humanité ! ne resterait, à sondéfaut que les plus beaux discours émanésde notre bouche; à travers un nouvel état,pur, il y a recommencement sublime desconditions ainsi que des matériaux naturelsde la pensée sis habituellement chez nouspour un devoir de prose, comme desvocables eux-mêmes, après cette différenceet l'essor au-delà, atteignant leur vertu.

Personne, ostensiblement, depuis qu'étonnale phénomène poétique, ne le résume avecaudacieuse candeur que peut-être un espritimmédiat ou originellement doué, Théodorede Banville et l'épuration, par les ans, de sonindividualité en le vers, désigne aujourd'huicet être à part, primitif et buvant tout seul à

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une source occulte et éternelle; car rajeunidans le sens admirable par quoi l'enfant estplus près de rien et limpide, ce n'est pluscomme d'abord son enthousiasme quil'enlève à des ascensions continues du chantou de l'idée, bref le délire commun auxlyriques: hors de tout souffle perçu grossier,virtuellement la juxtaposition entre eux desmots appareillés d'après une métriqueabsolue et ne réclamant de quelqu'un, lepoëte dissimulé ou son lecteur, que la voixmodifiée suivant une qualité de douceur oud'éclat, pour parler.

Ainsi lancé de soi le principe qui n'est rien,que le Vers ! attire non moins que dégagepour son jaloux épanouissement (l'instantqu'ils y brillent et meurent dans une fleurrapide, sur quelque transparence commed'éther) les mille éléments de beauté pressés

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d'accourir et de s'ordonner dans leur valeuressentielle. Signe ! au gouffre central d'unespirituelle impossibilité que quelque chosesoit divin exclusivement à tout, lenumérateur sacré du compte de notreapothéose, vers enfin suprême qui n'a paslieu en tant que moule d'aucun objet quiexiste; mais il emprunte, pour y aviver sonsceau nul, tous gisements épars, ignorés etflottants selon quelque richesse, et lesforger.

Voilà, constatation à quoi je glisse,comment, dans notre langue, les vers ne vontque par deux ou à plusieurs, en raison deleur accord final, soit la loi mystérieuse dela Rime, qui se révèle avec la fonction degardienne du sanctuaire et d'empêcherqu'entre tous, un n'usurpe, ou ne demeurepéremptoirement: en quelle pensée fabriqué

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celui-là ! peu m'importe, attendu que samatière aussitôt, gratuite, discutable etquelconque, ne produirait de preuve à setenir dans un équilibre momentané et doubleà la façon du vol, identité de deux fragmentsconstitutifs remémorée extérieurement parune parité dans la consonnance[*].

[*] Là est la suprématie des modernes verssur ceux antiques formant un tout et ne rimantpas; qu'emplissait une bonne fois le métalemployé à les faire, au lieu que, chez nous,ils le prennent et le rejettent, incessammentdeviennent, procèdent musicalement: en tantque Stance, ou le distique.

Chaque page de la brochure annonce etjette haut comme des traits d'or vibratoireces saintes règles du premier et dernier desArts. Spectacle intellectuel qui me

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passionne: l'autre, tiré de l'affabulation ou leprétexte, lui est comparable.

Vénus du sang de l'Amour issue et aussitôtconvoitée par les Olympiens dont Jupiter:sur l'ordre de celui-ci ni vierge ni à tous,afin de réduire ses ravages elle portera lachaîne de l'hymen avec un, Vulcain, ouvrierlatent des chefs-d'oeuvre, que la femme oubeauté humaine, les synthétisant, récompensepar son choix (car il faut en le moins de motsà côté, vu que les mots sont la substancemême employée ici à l'oeuvre d'art, en direl'argument).

Quelle représentation ! le monde y tient; unlivre, dans notre main, s'il énonce quelqueidée auguste, supplée à tous les théâtres, nonpar l'oubli qu'il en cause mais les rappelantimpérieusement, au contraire. Le ciel

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métaphorique qui se propage à l'entour de lafoudre du vers, artifice évocateur parexcellence au point de simuler peu à peu etd'incarner les héros eux-mêmes (juste dansce qu'il faut apercevoir pour n'être pas gênéde leur présence, bref le mouvement), cespirituellement et magnifiquement illuminéfond d'extase, c'est, c'est bien le pur de nous-mêmes par nous porté, toujours, prêt à jaillirà l'occasion qui dans l'existence ou hors l'artfait toujours défaut. Musique certes quel'instrumentation d'un orchestre tend àreproduire seulement et à feindre. Admirezdans sa toute puissante simplicité ou foi enun moyen vulgaire et supérieur, l'élocution,puis la métrique l'affinant à une expressiondernière, comme quoi un esprit, qui seréfugia au vol de plusieurs feuillets, défie lacivilisation négligeant de construire à sonrêve, motif qu'elles aient lieu, la Salleprodigieuse et la Scène. Le mime absent et

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finales ou préludes aussi par les bois, descuivres et les cordes, il attend, cet esprit,placé au-delà des circonstances,l'accompagnement obligatoire d'arts ou s'enpasse. Seul venu à l'heure parce que l'heureest sans cesse aussi bien que jamais, à lafaçon d'un messager, du geste il apporte lelivre, ou sur ses lèvres, avant que des'effacer; et l'être qui retint l'éblouissementgénéral, le multiplie chez tous, du fait de lacommunication,

La merveille d'un haut poème comme icime semble que, naissent des conditions pouren autoriser le déploiement visible etl'interprétation, d'abord il s'y prêtera etingénument au besoin ne remplace tout quefaute dé tout.

J'imagine que la cause de s'assembler,

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dorénavant, en vue de fêtes inscrites auprogramme humain, ne sera pas le théâtre,borné ou incapable tout seul de répondre àde très subtils instincts, ni la musique dureste trop fuyante pour ne pas décevoir lafoule; mais à soi fondant ce que ces deuxisolent de vague ou de brutal, l'Ode,dramatisée par des effets de coupe savants:c e s Scènes Héroïques sont une ode àplusieurs voix.

Oui, le culte promis à des cérémonials,songez quel il peut être, réfléchissez !Simplement l'ancien ou de tous temps, quel'afflux par exemple de la symphonie récentedes concerts a cru mettre dans l'ombre, aulieu que c'est l'affranchir, installé mal sur lesplanches et l'y faire régner: auxconvergences des autres arts située, issued'eux et les gouvernant, la Fiction ou Poésie.

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Chez Wagner, déjà, qu'un poëte, le plussuperbement français, console de ne pasétudier au long de ces Notes, je ne vois plus,dans l'acception correcte, le théâtre (sansconteste on invoquerait mieux, au point devue dramatique, dans la Grèce ouShakespeare) mais la vision légendaire quisuffit sous le voile des sonorités et s'y mêle;pas plus que sa partition du reste, comparéeà du Beethoven ou du Bach, n'est,strictement, la musique. Quelque chose despécial et complexe résulte, à n'appelersomme toute autrement que poétique, malgréque l'enchanteur Allemand plutôt aille versla littérature qu'il n'en provient.

Une oeuvre du genre de celle qu'octroie enpleine sagesse et vigueur notre Théodore deBanville est littéraire dans l'essence, mais ne

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se replie pas toute au jeu du mentalinstrument par excellence, le livre ! Quel'acteur insinué dans l'évidence des attitudesprosodiques y adapte son verbe, et vienneparmi les repos de la somptuositéorchestrale qui traduirait les rares lignes enprose précédant de pierreries et de tissus,étalés mieux qu'au regard, chaque scènecomme un décor ou un site certainementidéals, cela pour diviniser son approche depersonnage appelé à ne déjà quetransparaître à travers le recul fait parl'amplitude ou la majesté du lieu ! j'affirmeque, sujet le plus fier et comme unaboutissement à l'ère moderne, esthétique etindustrielle, de tout le jet forcément par laRenaissance limité à la trouvaille technique;et clair développement grandiose etpersuasif ! cette récitation, car il faut bien enrevenir à ce terme quand il s'agit de vers,charmera, instruira, malgré l'origine

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classique mais envolée en leurs types pursdes vieux dieux (en sommes-nous plus loin,maintenant, en fait d'invention mythique ?) etpar dessus tout émerveillera le Peuple: entous cas rien de ce que l'on sait ne présenteautant le caractère de texte pour desréjouissances ou fastes officiels dans levieux goût et contemporain, commel'Ouverture d'un Jubilé, notamment de celuiau sens figuratif qui, pour conclure un cyclede l'Histoire, me semble exiger le ministèredu Poëte, en 1889.

V

LASSITUDE

Le désespoir en dernier lieu de mon Idée,qui s'accoude à quelque balcon lavé à la

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colle ou de carton-pâte, regards perdus,traits à l'avance fatigués du néant, c'est que,pas du tout ! après peu de mots au tréteau parelle dédaigné si ne le bat sa seule voltige,immanquablement la voici qui chuchottedans un ton de sourde angoisse et me tendantle renoncement au vol, agité longtemps, deson caprice «Mais c'est très bien, c'estparfait - à quoi semblez-vous prétendreencore, mon ami ?» puis d'une main vide del'éventail «Allons-nous en (signifie-t-elle)cependant - on ne s'ennuierait même pas et jecraindrais de ne pouvoir rêver autre chose. -L'auteur ou son pareil, ce qu'ils voulaientfaire, ils l'ont fait et je défierais qui que cesoit de l'exécuter mieux ou différemment.»

- Que souhaitaient-ils donc accomplir, ômon âme ? réplique-je une fois et toujoursinterloqué ou éludant la responsabilité

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d'avoir conduit ici une si exquise dameanormale: car ce n'est pas elle, sûr ! s'il yfaut voir une âme ou bien notre idée (àsavoir la divinité présente à l'esprit del'homme) qui despotiquement me proposa:«Viens».

Mais un habituel manque inconsidéré chezmoi de prévoyance.

- «Ce qu'ils voulaient faire ?» ne prit-ellepas le soin de prolonger vis-à-vis d'unefeinte curiosité «je ne sais pas, mais si, levoilà...» réprimant, ô la pire torture nepouvoir que trouver très bien et pas mêmeabominer ce au-devant de quoi l'on vint et sefourvoya ! un bâillement, qui est la suprême,presque ingénue et la plus solitaireprotestation mais dont le lustre aux mille crissuspend comme un écho l'horreur radieuse et

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visible,

- «...Peut-être ceci.»

Elle expliqua et approuva en effet latentative ordinaire de gens qui avec un talentindiscuté et même de la bravoure si leurinanité était consciente, remplissent mais deséléments de médiocre puisés dans leurspéciale notion du public, le trou magnifiqueou l'attente qui, comme une faim, se creusechaque soir, au moment où brille l'horizon,dans l'humanité, ainsi que l'ouverture degueule de la Chimère méconnue et frustrée àgrand soin par l'agencement social.

Autre chose paraît inexact et en effet quedire ? Il en est de la mentale situation commedes méandres d'un drame et son

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inextricabilité veut qu'en l'absence là de cedont il n'y a pas lieu de parler, ou la Visionmême, quiconque s'aventure dans un théâtrecontemporain et réel soit puni du châtimentde toutes les compromissions; si c'est unhomme de goût, par son incapacité àn'applaudir. Je crois, du reste, pour peuqu'intéressé de rechercher des motifs à laplacidité d'un tel personnage, ou Vous, Moi,que le tort initial a consisté à se rendre auspectacle avec son Ame - with Psyché, mysoul[*]: qu'est-ce ! si tout s'augmente, selonle banal malentendu d'employer comme parnécessité sa pure faculté de jugement àl'évaluation de choses entrées déjàcensément dans l'art ou de seconde main,bref à des oeuvres..

[*] Ulalume (strophe II) par EDGAR POE.

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La Critique, dans son intégrité, n'est, n'a devaleur, ou n'égale presque la Poésie à quiapporter une noble opérationcomplémentaire, que si elle vise directementet superbement aussi les phénomènes oul'univers: mais à cause de cela, soit de saqualité de primordial instinct placé au secretde nos replis (un malaise divin), cède-t-elleà l'attirance du théâtre qui montre seulementune représentation à l'usage de ceux n'ayantpoint à voir les choses à même ! de la pièceécrite au folio de nature ou du ciel et miméeavec le geste de ses passions, par l'Homme.

A côté de lasses erreurs qui se débattent,voyez ! déjà l'époque apprête telletransformation plausible; ainsi ce qu'onappela autrefois la critique dramatique ou lefeuilleton, qui n'est plus à faire, abandonnetrès correctement la place au reportage des

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premiers soirs, télégrammatique ou sanséloquence autre que n'en comporte lafonction de parler au nom d'une unanimité demuets. Ajoutez l'indiscrétion, ici lescoulisses, riens de gaze ou de peau attrapésentre les chassis en canevas à la hâte mispour la répétition (délice d'une multitude oùchacun veut être dans le secret de quelquechose ne fût-ce que de la redite perpétuelle)et voilà ce qu'au théâtre peut consacrer lapresse de fait-divers. Le paradoxe del'écrivain supérieur longtemps fut, avec clésfugues ou points d'orgue imaginatifs, se lerappelle-t-on, d'occuper le genre littérairecréateur de quoi la prose relève, ou laCritique, à marquer les fluctuations d'unarticle d'esprit ou de mode.

Aussi quand ne s'afficha rien,incontestablement, qui valut d'aller d'un pas

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allègre se jeter dans la gueule du monstre etpar ce jeu perdre tout droit à le narguer, soile seul ridicule ! n'y a-t-il occasion même deproférer quelques mots de coin du feu; vuque si le vieux secret de nos ardeurs etsplendeurs qui s'y tord, sous notre fixité,évoque, par la forme éclairée de l'âtre,l'obsession d'un théâtre encore réduit etminuscule ou lointain, c'est ici gala intime.

Méditatif:

II est (tisonne-t-on), un art, l'unique ou purqu'énoncer sera produire: il hurle sesdémonstrations par le fait de sa pratique.L'instant qu'en éclaterait le miracle, ajouterque ce fut cela et pas autre chose, mêmel'infirme, tant il n'admet de lumineuseévidence sinon d'exister. Il consentit àprendre pour matériaux la parole: de celle-ci

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rien ne reste après l'édification mais il aépuisé jusqu'aux chuchotements. Seul, lesanglot, survivant à toute expression; ou cesuspens devenu la larme sublimée de nosyeux.

Les flammes de l'été, hélas et d'autres ![*]Civilisation qui veux des théâtres, tu ne sais,à défaut d'un art y officiant, les construire[**],si bien que comme l'effroyable langue dusilence gardé le feu se darde et s'exagèrepuis change en une cendre tragique labadauderie des villes; tout (à cette heure declôture) communique la désuétude de lascène. Nos prochains fastes publics ou unfastidieux anniversaire s'il n'exulte parquelque démonstration comme de modernesJeux ! ainsi que toujours se produiront sansallusion à un embrasement idéal, que lescouleurs patriotiques aux étages claquetant

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dans la brise d'insignifiance.

[*] Incendie de l'Opéra-Comique.

[**] Une salle doit surtout être machinée etmobile, à l'ingénieur, avant l'architecte, enrevient la construction: que ce héros dumoderne répertoire se montre un peu !

L'occasion de rien dire n'a surgi et jen'allègue, pour la vacuité de cette étudedernière ou de toutes, plaintes discrètes !l'année nulle: mais plutôt le défaut préalablede coup d'oeil apporté à l'entreprise de sabesogne par le littérateur oublieux qu'entrelui et l'époque existe une incompatibilité.«Allez-vous au théâtre ? - Non, presquejamais»: à mon interrogation cette réponse,par quiconque, de race, singulier, artiste

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choie sa chimère hors des vulgarités et sesuffit, femme ou homme du monde, avecl'instinctif bouquet de son âme à nu dans unintérieur. «Au reste, moi, non plus !» aurais-je pu intervenir si la plupart du temps mondésintéressement ici ne le criait à travers leslignes jusqu'au blanc final.

Alors pourquoi..

Pourquoi ! autrement qu'à l'instigation dupas réductible démon de la Perversité que jepromulgue ainsi «faire ce qu'il ne faut, sansavantage exprès à tirer, que la gêne vis-à-visde choses (à quoi l'on est par natureétranger) de feindre y porter un jugement:alors que le joint dans l'appréciationéchappe et qu'empêché une pudeurl'exposition à faux jour de suprêmes etintempestifs principes.» Risquer, dans des

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efforts vers une gratuite médiocrité, de nejamais qu'y faillir, rien n'obligeant du reste àcette contradiction que le charme peut-êtreinconnu en littérature d'éteindre strictementune à une toute vue qui éclaterait avecpureté, ainsi que de raturer jusqu'à decertains mots dont la seule hantise continuechez moi la survivance d'un coeur, et quec'est en conséquence une vilenie de servirmal à propos. Le sot bavarde sans rien dire,mais ainsi pêcher à l'exclusion d'un goûtnotoire pour la prolixité et précisément afinde ne pas exprimer quelque chose,représente un cas spécial, qui aura été lemien: il vaut que je m'exhibe (avant decesser) en l'exception de ce ridicule, commeun pitre monologuiste des cafés-concerts oùle feuillage nous sert une halte entre leThéâtre et la Nature, ces deux termesdistincts et superbes de l'antinomie proposéeà une Critique.

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J'aurais aimé, avec l'injonction decirconstances, mieux que finir oisivement,ici noter quelques traits fondamentaux.

Le ballet ne donna que peu: c'est le genreimaginatif. Quand s'isole pour le regard unsigne de l'éparse beauté générale, fleur,onde, nuée et bijou, etc., si chez nous lemoyen exclusif de le savoir consiste à enjuxtaposer l'aspect à notre nudité spirituelleafin qu'elle le sente analogue et se l'adapteselon quelque confusion exquise d'elle aveccette forme envolée, rien qu'au travers durite là énoncé de l'Idée est-ce que ne paraîtpas la danseuse à demi l'élément en cause, àdemi humanité apte à s'y confondre, dans laflottaison de rêverie ? Voilà l'opérationpoétique par excellence d'où le théâtre.Immédiatement le ballet résulte allégorique:

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il enlacera autant qu'animera, pour enmarquer chaque rythme, toutes corrélationsou Musique d'abord latentes entre sesattitudes et maint caractère, tellement que lareprésentation figurative des accessoiresterrestres par la Danse contient uneexpérience relative à leur degré esthétique.Temple initial ouvert sur les vrais temps, unsacre s'y effectue en tant que la preuve denos trésors, ainsi. A déduire le pointphilosophique auquel est situéel'impersonnalité de la danseuse, entre saféminine apparence et quelque chose mimé,pour cet hymen ! elle le pique d'une sûrepointe, le pose acquis; puis déroule notreconviction en le chiffre de pirouettesprolongé vers un autre motif, attendu quetout, dans l'évolution par où elle illustre lesens de nos extases et triomphes entonnés àl'orchestre, est, comme le veut l'art même, authéâtre, fictif ou momentané.

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Seul principe ! et ainsi que resplendit lelustre c'est-à-dire, lui-même, l'exhibitionprompte, sous toutes les facettes, de quoi quece soit et notre vue adamantine, une oeuvredramatique montre la succession desextériorités de l'acte sans qu'aucun momentgarde de réalité et qu'il se passe en fin decompte rien.

Le vieux Mélodrame qui, conjointement àla Danse et sous la régie aussi du poëte,occupe la scène, s'honore de satisfaire àcette loi. Apitoyés, le perpétuel suspensd'une larme qui ne peut jamais toute seformer ni choir (encore le lustre) scintille enmille regards, or un ambigu sourire déride talèvre par la perception de moqueries auxchanterelles ou dans la flûte refusant leurcomplicité à quelque douleur emphatique de

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la partition et y perçant des fissures de jouret d'espoir: avertissement et fil jamais rompumême si malignement il cesse, tu n'ometsd'attendre ou de suivre; au long du labyrinthede l'angoisse que complique l'art non pourvraiment t'accabler comme si ce n'était pointassez de ton sort ! spectateur assistant à uneFête, mais te replonger de quelque part dansle peuple que tu sois au saint de la Passionde l'Homme et t'en libérer selon quelquesource mélodique de l'âme. Pareil emploi dela Musique la tient prépondérante commemagicienne attendu qu'elle emmêle et romptou conduit un fil divinatoire, bref dispose del'intérêt, la façonne seul au théâtre: ilinstruirait les compositeurs prodigues auhasard et sans l'exacte intuition de leurglorieux don de sonorité. Nulle inspirationne perdra à étudier l'humble et profondesagacité qui règle en vertu d'un besoinpopulaire les rapports de l'orchestre et des

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planches dans ce genre génial et français.Les axiomes s'y lisent, inscrits par personne;un avant tous les autres ! que chaquesituation insoluble, comme elle le resterait,en supposant que le drame fût autre choseque semblant ou piège à notre irréflexion,refoule, dissimule, et toujours contient le riresacré qui le dénouera. Ce jeu perpétué parles Pixérécourt et les Bouchardy de cacherdans le geste d'apparat dévolu au tragédienle doigté subtil d'un jongleur, c'est toute lascience. La funèbre draperie de leurimagination ne s'obscurcit jamais ou pointd'ignorer que l'énigme derrière ce rideaun'existe sinon grâce à une hypothèsetournante peu à peu résolue ici et là par notrelucidité: mieux que le gaz ou l'électricité lagradue l'accompagnement instrumental,dispensateur du Mystère.

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A part la curiosité issue de l'intrusion dulivre et, puisqu'après tout il s'agit delittérature et de vie maintenant repliées auxfeuillets, un désir, en ceux-ci, de se déverserà la rampe, ainsi que vient de le faire leRoman: je ne sais. Il ne convient pas mêmede dénoncer par un verbiage lefonctionnement du redoutable Fléauomnipotent... l'ère a déchaîné, légitimementvu qu'en la foule ou l'amplificationmajestueuse de chacun gît abscons le rêve !chez une multitude la conscience de sajudicature ou de l'intelligence suprême, sanspréparer de circonstances neuves ni lemilieu mental identifiant la scène et la salle.Toujours est-il qu'avant, la célébration despoèmes étouffés dans l'oeuf de quelquefuture coupole manquant (si une dates'accommodera de l'état actuel ou ne doitpoindre, doute) il a fallu formidablement audevant de l'infatuation contemporaine, ériger

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entre le gouffre de leur vaine faim et lesgénérations un simulacre approprié aubesoin immédiat, ou l'art officiel qu'on peutaussi appeler vulgaire; indiscutable, prêt àcontenir par le voile basaltique du banal lapoussée de cohue jubilant pour peu qu'elleaperçoive une imagerie brute de sa divinité.Machine crue provisoire pourl'affermissement de quoi ! à mon sensinstitution plutôt vacante et durable meconvainquant par son opportunité, l'appel aété fait à tous les cultes artificiels et poncifs;elle fonctionne en tant que les salons annuelsde Peinture et de Sculpture, quand chômel'engrenage théâtral. Tordant à la fois commeau rebut chez le créateur le jet délicat etvierge, et une jumelle clairvoyance directedu simple, qui peut-être avaient à s'accorderencore. Héroïques, soit ! artistes de cesjours, plutôt que peindre une solitude decloître à la torche de votre immortalité ou

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sacrifier devant l'Idole de vous-mêmes,mettez la main à ce monument, indicateur nonmoins énorme que des blocs d'abstentionlaissés par quelques âges qui jadis ne purentque charger le sol d'un vestige négatif etconsidérable.

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Richad Wagner

RÊVERIE D'UN POËTE FRANÇAIS

Un poëte français contemporain, exclu detoute participation aux déploiements debeauté officiels, en raison de motifs divers,aime, ce qu'il garde de sa tâche pratiqué ouraffinement mystérieux du vers pour desolitaires Fêtes, à réfléchir aux pompessouveraines de la Poésie, comme elles nesauraient exister concurremment au flux debanalité charrié par les arts dans un faux-semblant de civilisation. - Cérémonies d'unjour qui git au sein inconscient de la foule:

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presque un Culte !

La certitude de n'être impliqué, lui nipersonne de ce temps, dans aucuneentreprise pareille, l'affranchit de touterestriction apportée à son rêve par lesentiment d'une impéritie et par l'écart desfaits.

Sa vue d'une droiture introublée se jette auloin.

A son aise et c'est le moins, qu'il acceptepour exploit de considérer, seul, dansl'orgueilleux repli des conséquences, leMonstre, Qui ne peut Etre ! Attachant aulâche flanc ignare la blessure d'un regardaffirmatif et pur.

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Omission faite de coups d'oeil sur le fasteextraordinaire mais inachevé aujourd'hui dela figuration plastique, dont se détache, aumoins, dans sa perfection de rendu, la Danseseule capable, par son écriture sommaire, detraduire le fugace et le soudain jusqu'à l'Idée(pareille vision comprend tout, absolumenttout le Spectacle futur,) cet esthéticien, s'ilenvisage l'apport de la Musique au Théâtrefait pour en mobiliser la splendeur, ne songepas longtemps à part soi.. déjà, de quelsbonds que parte sa pensée, elle ressent lacolossale approche d'une Initiation, quisurgit plus haute, signifiant par des voixd'adeptes: Ton souhait d'auparavant, debientôt, ici, là, vois, chétive, s'il n'est pasexécuté.

Singulier défi qu'aux poëtes dont il a usurpéle devoir avec la plus candide et étincelante

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bravoure, inflige Richard Wagner !

Le sentiment se complique envers cetétranger, émerveillement, enthousiasme,vénération, aussi d'un malaise à la notionque tout soit fait, autrement qu'en irradiant,par un jeu direct, du principe littérairemême.

Doutes et nécessité (pour un jugementstrict) de discerner les circonstances querencontra, au début, l'effort du Maître. Ilsurgit au temps d'un théâtre, le seul qu'onpeut appeler caduc, tant la Fiction en estfabriquée d'un élément grossier: puisqu'elles'impose à même et tout d'un coup,commandant de croire à l'existence dupersonnage et de l'aventure, de croire,simplement, rien de plus. Comme si cette foiexigée du spectateur ne devait pas être

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précisément la résultante par lui tirée duconcours de tous les arts suscitant lemiracle, autrement inerte et nul, de la scène !Vous avez à subir un sortilège, pourl'accomplissement duquel ce n'est tropd'aucun moyen d'enchantement impliqué parla magie musicale, afin de violenter votreraison aux prises avec un simulacre, etd'emblée on proclame: Supposez que cela alieu véritablement et que vous y êtes !

Le Moderne dédaigné d'imaginer; maisexpert à se servir des arts, il attend quechacun l'entraîne jusqu'où éclate sapuissance spéciale d'illusion, puis consent.

Il le fallait bien, que le Théâtre d'avant laMusique partit d'un concept autoritaire etnaïf, quand ne disposaient pas de cetteressource nouvelle d'évocation ses chefs-

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d'oeuvres, hélas ! gisant aux feuillets pieuxdu livre, sans l'espoir, pour aucun, d'enjaillir à nos solennités. Son jeu reste inhérentau passé, tel que le répudierait, à cause decet intellectuel despotisme, unereprésentation populaire, la foule y voulant,selon la suggestion des arts, être maîtressede sa créance. Une simple adjonctionorchestrale change du tout au tout, annulantson principe même, l'ancien théâtre, et c'estcomme strictement allégorique, que l'actescénique maintenant, vide et abstrait en soi,impersonnel, a besoin, pour s'ébranler avecvraisemblance, de l'emploi du vivifianteffluve qu'épand la Musique.

Sa présence, rien de plus ! à la Musique,est un triomphe, pour peu qu'elle nes'applique point, même comme leurélargissement sublime, à d'antiques

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conditions, mais éclate la génératrice detoute vitalité: un auditoire éprouvera cetteimpression que, si l'orchestre cessait dedéverser son influence, l'idole en scèneresterait, aussitôt, statue.

Pouvait-il, quoique le Musicien et même leproche confident du secret de son Art, ensimplifier l'attribution jusqu'à cette viséeinitiale ? Semblable métamorphose s'indiqueau désintéressement du critique qui n'a pasderrière soi, prêt à se ruer d'impatience et dejoie, l'abîme d'exécution musicale ici le plustumultueux qu'homme ait contenu de sonlimpide vouloir.

Lui, fit ceci.

Allant au plus pressé il concilia toute une

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tradition intacte dans sa désuétude prochaineavec ce que de vierge et d'occulte il devinaitsourdre, en ses partitions. A défaut d'uneacuité de regard (qui n'eût été la cause qued'un suicide stérile), si vivace abondal'étrange don d'assimilation de ce créateurquand même, que des deux éléments debeauté qui s'excluent ou, tout au moins, l'unl'autre s'ignorent, le drame personnel et lamusique idéale, il effectua l'hymen. Oui, àj'aide d'un harmonieux compromis, suscitantune phase exacte du théâtre, laquelle répond,comme par surprise, à la disposition de sarace !

Quoique philosophiquement elle ne fasseencore là que se juxtaposer, la Musique (jesomme qu'on insinue d'où elle poind, sonsens premier et sa fatalité,) pénètre etenveloppe le Drame de par l'éblouissante

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volonté du jongleur inclus dans le mage; defait, on peut dire qu'elle s'y allie: pasd'ingénuité ou de profondeur qu'avec unéveil enthousiaste il ne prodigue dans cedessein, sauf que le principe même de laMusique échappe.

Le tact est merveille qui, sans totalement entransformer aucune, opère, sur la scène etdans la symphonie, la fusion de ces formesde plaisir disparates.

Maintenant, en effet, une musique qui n'a decet art que l'observance des lois trèscomplexes, seulement d'abord le flottant etl'infus, confond les couleurs et les lignes dupersonnage avec les timbres et les thèmes enune ambiance plus riche de Rêverie que toutair d'ici-bas, déité costumée aux invisiblesplis d'un tissu d'accords; ou va l'enlever de

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sa vague de Passion, au déchaînement tropvaste vers un seul, le précipiter, le tordre: etle soustraire à sa notion, perdue devant cetafflux surhumain, pour lui la faire ressaisirquand il domptera tout par le chant, jaillidans un déchirement de la penséeinspiratrice. Toujours ce héros, qui foule unebrume autant que notre sol, se montrera dansun lointain que comble la vapeur desplaintes, des gloires, et de la joie émises parl'instrumentation, reculé ainsi à descommencements. Il n'agit qu'entouré, à laGrecque, de la stupeur mêlée d'intimitéqu'éprouvé une assistance devant des mythesqui n'ont presque jamais été, tant leurinstinctif passé s'isole ! sans cessercependant d'y bénéficier des familiersdehors de l'individu humain. Même certainssatisfont à l'esprit par ce fait de ne semblerpas dépourvus de toute accointance avec dehasardeux symboles.

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Voici à la rampe intronisée la Légende.

Avec une piété antérieure, un public, pourla seconde fois depuis les temps, helléniqued'abord, maintenant germain, jouit d'assisterau secret représenté de ses origines. Quelquesingulier bonheur neuf et barbare l'asseoit àconsidérer, se mouvant d'après toute lasubtilité savante de l'orchestration, la figuresolennelle d'idées qui ont présidé à sagenèse.

Tout se retrempe au ruisseau primitif: pasjusqu'à la source.

Si l'esprit français, strictement imaginatif etabstrait, donc poétique, jette un éclat, ce ne

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sera pas ainsi: il répugne, en cela d'accordavec l'Art dans son intégrité, qui estinventeur, à toute Légende. Voyez le desjours abolis ne garder aucune anecdoteénorme et fruste, comme par une presciencede ce qu'elle apporterait d'anachronismedans une représentation théâtrale, Sacre d'undes actes de la Civilisation[*]. A moins quecette Fable, vierge de tout, lieu, temps etpersonne sus, ne se dévoile empruntée ausens latent de la présence d'un peuple, celleinscrite sur la page des Cieux et dontl'Histoire même n'est que l'interprétation,vaine, c'est-à-dire un Poème, l'Ode. Quoi !le siècle, ou notre pays qui l'exalte, ontdissous par la pensée les Mythes, ce seraitpour en refaire ! Le Théâtre les appelle,non ! pas de fixes, ni de séculaires et denotoires, mais un, dégagé de personnalité,car il figure notre aspect multiple: que, deprestiges correspondant au fonctionnement

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de l'existence nationale, évoque l'Art, pourle mirer en tous. Type sans dénominationpréalable, pour qu'en émane la surprise, songeste résume vers soi nos rêves de sites oude paradis, qu'engouffra l'antique scène avecune prétention vide à les contenir ou à lespeindre. Lui, quelqu'un ! ni cette scène,quelque part (l'erreur connexe, décor stableet acteur réel, du Théâtre manquant de laMusique): est-ce qu'un fait spirituel,l'épanouissement de symboles ou leurpréparation, nécessite l'endroit, pour s'ydévelopper, autre que le fictif foyer devision dardé par le regard d'une foule ! Saintdes Saints, mais mental.. alors y aboutissent,dans quelque éclair suprême, d'où s'éveillela Figure que Nul n'est, chaque attitudemimique prise par elle à un rythme inclusdans la symphonie, et le délivrant ! Alorsviennent expirer comme aux pieds de cetteincarnation, non sans qu'un lien ceitain les

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apparente ainsi à son humanité, cesraréfactions et ces sommités naturelles quela Musique rend, arrière prolongementvibratoire de tout ainsi que la Vie.

[*] Exposition, Transmissions de Pouvoirs,etc.: t'y vois-je, Brünnhilde ou: qu'y ferais-tu, Sigfrid !

L'Homme, puis son authentique séjourterrestre, échangent une réciprocité depreuves.

Ainsi le Mystère,

La Cité, qui donna à cette expériencesacrée un théâtre, imprime à la terre le Sceauuniversel.

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Quant à son peuple, c'est bien le moins qu'ilait témoigné du fait auguste, j'atteste laJustice qui ne peut que régner là ! puisquecette orchestration de qui tout-à-l'heure sortitl'évidence du dieu ne synthétise jamais autrechose que les délicatesses et lesmagnificences, immortelles, innées, qui sontà l'insu de tous dans le concours d'une muetteassistance.

Voilà pourquoi, Génie ! moi, l'humblequ'une logique éternelle asservit, ô Wagner,je souffre et me reproche, aux minutesmarquées par la lassitude, de ne pas fairenombre avec ceux qui, ennuyés de tout afinde trouver le salut définitif, vont droit àl'édifice de ton Art, pour eux le terme duchemin. Il ouvre, cet incontestable portique,en des temps de jubilé qui ne le sont pour

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aucun peuple, une hospitalité contrel'insuffisance de soi et la médiocrité despatries; il exalte des fervents jusqu'à lacertitude: pour eux ce n'est pas l'étape laplus grande jamais ordonnée par un signehumain, qu'ils parcourent, avec toi pourconducteur, mais comme le voyage fini del'humanité vers un Idéal. Au moins, voulantma part du délice, me permettras-tu degoûter, dans ton Temple, à mi-côte de lamontagne sainte, dont le lever de vérités leplus compréhensif encore trompette lacoupole et invite à perte de vue du parvis lesgazons que le pas de tes élus foule, un repos:c'est comme l'isolement, pour l'esprit, denotre incohérence qui le pourchasse, autantqu'un abri contre la trop lucide hantise decette cîme menaçante d'absolu, devinée dansle départ de nuées là haut, fulgurante, nue,seule: au delà et que personne ne sembledevoir atteindre. Personne ! ce mot n'obsède

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pas d'un remords le passant en train de boireà ta conviviale fontaine.

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___________________Septembre-2011