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Stéphane Tarnier (18281897) Vincent de Parades 1 , Nadia Fathallah 2 , Yves Giovangrandi 3 1. Groupe hospitalier Paris-Saint-Joseph, service de proctologie médico-chirurgicale, 75014 Paris, France 2. Groupe hospitalier Paris-Saint-Joseph, service de gastro-entérologie, 75014 Paris, France 3. Groupe hospitalier Paris-Saint-Joseph, maternité, 75014 Paris, France Correspondance : Vincent de Parades, Groupe hospitalier Paris-Saint-Joseph, 185, rue Raymond- Losserand, 75014 Paris, France. [email protected] Disponible sur internet le : 21 novembre 2013 M’appuyant sur les règles de la pathologie, c’est avec sincérité et conviction que je soutiens que la fièvre puerpérale est contagieuse Stéphane Tarnier Stéphane Tarnier naît à Aiserey, en Côte d’Or, le 29 avril 1828. Il est le fils d’un médecin de campagne. Dans le sillage paternel, il fait des études de médecine et est nommé à l’internat des Hôpitaux de Paris en 1852. Interne en obstétrique, il se préoccupe très vite des infections mortelles qui frappent les jeunes accou- chées. En 1857, dans sa thèse sur ses « Recherches sur l’e ´ tat puerpe ´ ral et sur les maladies des femmes en couches », il proclame contre la doctrine ambiante le caractère contagieux de la fièvre puerpérale. Il est ensuite nommé chef de clinique de la maternité de Port-Royal dont il devient chirurgien-accoucheur en chef en 1867. L’épopée de cet homme modeste mais travailleur, imaginatif, ingénieux et déterminé a déjà débuté. Il commence naturellement par lutter contre les infections puerpérales. Il réserve ainsi un pavillon aux accouchées bien portantes et destine l’infirmerie aux femmes malades dont les soins sont donc assurés par un personnel distinct. En outre, il impose des mesures de propreté et d’antisepsie. Et le résultat est rapide et spectaculaire avec une chute nette de la mortalité. Il réhabilite ainsi le Hongrois, Ignace-Philippe Semmelweis (18181865) qui, 20 ans auparavant, alors qu’il travaillait à Vienne, avait déjà souligné la pertinence de telles mesures mais s’était heurté au conservatisme des praticiens de l’époque. Il se consacre ensuite à l’art de l’accouchement instrumental. En effet, les cuillères du forceps primitif, mis au point par le Français Peter Chamberlen (15601631), s’adaptaient bien à la tête foetale mais cet instrument s’avérait parfois inefficace au niveau du détroit supérieur. Un Français encore, André Levret (17031780), avait donc fabriqué un autre forceps comportant, outre la courbure céphalique de Chamberlen, une seconde courbure dite pelvienne, qui permettait de saisir la tête foetale plus haut dans le pelvis. Un Anglais, William Smellie (17401795), avait repris ses travaux mais c’est Tarnier, en 1877, qui propose de rajouter à l’instrument de Levret un système permettant d’exercer une force plus importante sur les cuillères tout en maintenant la traction dans l’axe du bassin. Ce « forceps de Tarnier », très efficace, le rend célèbre et lui vaut notamment d’être nommé Docteur honoris causa à Edimbourg, en 1885, pour son « French forceps ». Cet inlassable investigateur s’intéresse aussi à l’hypothermie des nouveau-nés prématurés. En effet, le seul remède consiste alors à les réchauffer à l’aide de laine ou de coton, ou à leur frictionner le corps, puis à les emmailloter avec de l’eau chaude dans leur berceau. Certes, l’idée d’une étuve, dans laquelle les bébés étaient réchauffés par la vapeur d’une eau mise en ébullition, avait été proposée mais la méthode n’était pas sans danger. Préfigurant cependant l’idée de la couveuse, ce Presse Med. 2013; 42: 16551657 ß 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. en ligne sur / on line on www.em-consulte.com/revue/lpm www.sciencedirect.com 1655 Histoire de la médecine tome 42 > n812 > décembre 2013 http://dx.doi.org/10.1016/j.lpm.2013.04.017

Stéphane Tarnier (1828–1897)

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Page 1: Stéphane Tarnier (1828–1897)

Presse Med. 2013; 42: 1655–1657� 2013 Elsevier Masson SAS.Tous droits réservés.

en ligne sur / on line onwww.em-consulte.com/revue/lpmwww.sciencedirect.com

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tome 42 > n812 > décembre 2013http://dx.doi.org/10.1016/j.lpm.2013.04.017

Stéphane Tarnier (1828–1897)

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Vincent de Parades1, Nadia Fathallah2, Yves Giovangrandi3

1. Groupe hospitalier Paris-Saint-Joseph, service de proctologie médico-chirurgicale,75014 Paris, France

2. Groupe hospitalier Paris-Saint-Joseph, service de gastro-entérologie, 75014 Paris,France

3. Groupe hospitalier Paris-Saint-Joseph, maternité, 75014 Paris, France

Correspondance :Vincent de Parades, Groupe hospitalier Paris-Saint-Joseph, 185, rue Raymond-Losserand, 75014 Paris, [email protected]

21 novembre 2013

M’appuyant sur les règles de la pathologie, c’est avec sincéritéet conviction que je soutiens que la fièvre puerpérale est

contagieuseStéphane Tarnier

Stéphane Tarnier naît à Aiserey, en Côte d’Or, le 29 avril 1828. Ilest le fils d’un médecin de campagne. Dans le sillage paternel,il fait des études de médecine et est nommé à l’internat desHôpitaux de Paris en 1852. Interne en obstétrique, il se préoccupetrès vite des infections mortelles qui frappent les jeunes accou-chées. En 1857, dans sa thèse sur ses « Recherches sur l’etat

puerperal et sur les maladies des femmes en couches », ilproclame contre la doctrine ambiante le caractère contagieuxde la fièvre puerpérale. Il est ensuite nommé chef de clinique dela maternité de Port-Royal dont il devient chirurgien-accoucheuren chef en 1867. L’épopée de cet homme modeste maistravailleur, imaginatif, ingénieux et déterminé a déjà débuté.Il commence naturellement par lutter contre les infectionspuerpérales. Il réserve ainsi un pavillon aux accouchées bienportantes et destine l’infirmerie aux femmes malades dont lessoins sont donc assurés par un personnel distinct. En outre, ilimpose des mesures de propreté et d’antisepsie. Et le résultatest rapide et spectaculaire avec une chute nette de la mortalité.Il réhabilite ainsi le Hongrois, Ignace-Philippe Semmelweis(1818–1865) qui, 20 ans auparavant, alors qu’il travaillait àVienne, avait déjà souligné la pertinence de telles mesures

mais s’était heurté au conservatisme des praticiens del’époque.Il se consacre ensuite à l’art de l’accouchement instrumental. Eneffet, les cuillères du forceps primitif, mis au point par leFrançais Peter Chamberlen (1560–1631), s’adaptaient bien àla tête foetale mais cet instrument s’avérait parfois inefficace auniveau du détroit supérieur. Un Français encore, André Levret(1703–1780), avait donc fabriqué un autre forceps comportant,outre la courbure céphalique de Chamberlen, une secondecourbure dite pelvienne, qui permettait de saisir la tête foetaleplus haut dans le pelvis. Un Anglais, William Smellie (1740–

1795), avait repris ses travaux mais c’est Tarnier, en 1877, quipropose de rajouter à l’instrument de Levret un systèmepermettant d’exercer une force plus importante sur les cuillèrestout en maintenant la traction dans l’axe du bassin. Ce « forcepsde Tarnier », très efficace, le rend célèbre et lui vaut notammentd’être nommé Docteur honoris causa à Edimbourg, en 1885,pour son « French forceps ».Cet inlassable investigateur s’intéresse aussi à l’hypothermiedes nouveau-nés prématurés. En effet, le seul remède consistealors à les réchauffer à l’aide de laine ou de coton, ou à leurfrictionner le corps, puis à les emmailloter avec de l’eau chaudedans leur berceau. Certes, l’idée d’une étuve, dans laquelle lesbébés étaient réchauffés par la vapeur d’une eau mise enébullition, avait été proposée mais la méthode n’était pas sansdanger. Préfigurant cependant l’idée de la couveuse, ce

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Figure 1

Le monument de Stéphane Tarnier à Paris (coll. Pierre Joly)

Figure 2

Détail du monument de Stéphane Tarnier à Paris (coll. Pierre Joly)

V de Parades, N Fathallah, Y Giovangrandi

système primitif est repris et amélioré par Tarnier. L’expériencedu premier modèle, mis au point à la fin des années 1880, estpeu concluante. Paul Bar (1853–1945), élève de Tarnier, rap-portera qu’en essayant d’y faire couver des oeufs de poule, ilsn’avaient pu obtenir que des oeufs durs. . . Mais, en 1881, lapremière couveuse digne de ce nom est enfin mise en service àla Maternité de Port-Royal.Tarnier se penche également sur la nutrition des nouveau-nésmais, là encore, non sans quelques errements. En effet, en1879, il se procure deux chèvres et nourrit les bébés directe-ment au pis de l’animal ou à la cuillère. Cependant, ils périssent,si bien qu’il expérimente le lait de vache. Une fois encore, lesrésultats sont décevants mais il ne se décourage pas et, en1880, il essaye le lait d’ânesse. La tolérance est meilleure maisle coût est élevé. En 1882, il décide donc de revenir au lait devache mais, considérant que les échecs antérieurs provenaientsurtout des difficultés à conserver le lait venant de province, ilfait venir une vache à Port-Royal. C’est un succès mais il n’aqu’une bête alors qu’il faudrait une étable. . . Fort heureuse-ment, à la fin des années 1880, les travaux de Louis Pasteur(1822–1895) sur la « pasteurisation » vont améliorer lesconditions de conservation du lait et enfin permettre l’essorde la nutrition infantile.Par ailleurs, Tarnier occupe la Chaire de clinique obstétricale,son enseignement est clair, précis, rigoureux, et il publie denombreux ouvrages. Un concours d’accoucheurs des Hôpitaux

est créé en 1882. Des Maternités ouvrent à la Charité, à Tenon, àLariboisière et à Saint-Louis, et le nombre d’accouchementsdans Paris triple entre 1880 et 1890. Puis, la Société obstétricalede France est fondée en 1892. Sous l’influence de ce Chefd’École incontesté et de ses nombreux élèves, l’obstétriquefrançaise connaît ainsi un tournant sans précédent qui préfigurel’obstétrique moderne.Ce pionnier meurt à Paris le 23 novembre 1897, à l’âge de69 ans. Ses élèves le porteront au cimetière de Dijon où ilrepose désormais. Pierre-Constant Budin (1846–1907) dira« qu’avec lui disparaıt une des plus grandes figures medicales

de notre temps ». Frédéric Mistral (1830–1914) ajoutera que si« le batisseur disparaıt, le Temple demeure ». Un superbe haut-relief sera sculpté en son honneur par Denys Puech, puisinauguré le 1er juin 1905 à l’angle de la rue d’Assas et del’avenue de l’Observatoire à Paris (figure 1). Il représenteTarnier au côté d’une parturiente avec son nouveau-né etune probable couveuse, et surmonte l’inscription : « Au Maıtre

qui consacra sa vie aux meres et aux enfants. Ses collegues, ses

eleves, ses amis, ses admirateurs » (figure 2) [1–4].

Déclaration d’intérêts : les auteurs déclarent ne pas avoir de conflitsd’intérêts en relation avec cet article.

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Références[1] http://lesgrandsmedecins.blogspot.fr/.[2] Poznanski D. Il y a 100 ans : le professeur

Stéphane Tarnier (1828–1897). J GynecolObstet Biol Reprod 1998;27:9-13.

[3] Dunn PM. Stephane Tarnier (1828–1897),the architect of perinatology in France. ArchDis Child Fetal Neonatal Ed 2002;86:F137-9.

[4] de Parades V. Etienne Stephane Tarnier(1828–1897). J Med Biograph 2010;18:148-9.

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