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Les programmes « pilotes »,conçus etréalisés à la Bibliothèque nationale de France (BnF1) et à la Bibliothèquenationale du Québec (BNQ) au coursdes années 1990, se voulaient tousdeux novateurs et à la pointe desnouvelles technologies. L’un commel’autre sont nés d’une incitation poli-tique et ont de ce fait bénéficié decrédits spécifiques dans le cadre d’unprojet plus large, qu’il s’agisse de la création d’une nouvelle biblio-thèque, sur un autre site : Tolbiac, àl’initiative du chef de l’État français,ou du projet de développement desautoroutes de l’information, soutenupar le gouvernement québécois. Cesdeux cas seraient cependant peucomparables si l’on en considéraituniquement l’aspect quantitatif etfinancier : ils n’ont pas eu,en effet, lamême ampleur, celui de la BnF ayant

bénéficié d’un budget dix fois plusimportant (70 millions de francs) quecelui de la BNQ (environ 7 millionsde francs) et de délais plus longs. Si,en revanche,nous analysons ces deuxprogrammes d’un point de vue quali-tatif, au stade de leur conception,nous verrons en quoi leur comparai-son peut éclairer la réflexion actuellesur les politiques de numérisation enbibliothèque nationale2.

Deux politiquesde numérisation

Le type de collection que l’on créedans le cadre d’un programme de nu-mérisation est tout d’abord lié, à lafois dans ses contenus et dans sa

Stratégies de numérisation Analyse comparative des programmesde la Bibliothèque nationale de France et de la Bibliothèque nationale du Québec

Les bibliothèques nationales ont un rôle important à jouer dans la constitution de

collections numériques et la diffusion de documents numérisés, car elles possèdent

d’énormes réservoirs à exploiter et à valoriser. La problématique réside dans le fait qu’il ne s’agit

pas simplement de présenter des collections sur un autre type de support, mais de constituer un

autre type de collection, en y apportant une valeur ajoutée par rapport aux collections physiques.

Ce qui est possible dans la constitution de ces dernières semble en effet plus difficile à réaliser

lorsqu’il s’agit de collections numériques, au vu principalement du coût et de contraintes

multiples ; elles réclament de ce fait de nouvelles méthodologies de sélection.

Véronique Poirier-Brèche

Service communde la documentation

Université de Paris-Sud [email protected]

1. La BnF, résultat de la fusion entre laBibliothèque nationale (BN) et l’Établissementpublic de la Bibliothèque de France (EPBF), n’a étécréée qu’en 1994.

2. Cf. le mémoire d’étude de l’Enssib dont cetarticle est tiré : Véronique Poirier, Les enjeux de lasélection des contenus dans les programmes denumérisation des bibliothèques nationales :analyse comparative des expériences française etquébécoise : BnF et BNQ, Villeurbanne, Enssib,2000.

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structuration, à la catégorie d’usagersvisée. Dès le début, c’est donc sur lestypes de publics ciblés que les poli-tiques de l’EPBF et de la BNQ se sontdifférenciées.

Les concepteurs du projet EPBFsouhaitaient développer et promou-voir les accès en bibliothèque à l’in-tention du public intra muros, plutôtque les accès distants déjà en pleindéveloppement ailleurs. Au départ,leur objectif était donc de proposer la consultation des collections numé-risées dans les salles de lecture – enréseau avec les bibliothèques univer-sitaires – sur des stations de travailspécifiques qui seraient conçues à ceteffet et s’appuieraient sur une tech-nologie de pointe3. L’idée d’offrir unservice amélioré ainsi qu’une valeurajoutée dans la recherche et la lecturede textes4 s’adressait en priorité à unpublic de chercheurs. Le livre type ànumériser devait donc être à la foisrare, très demandé, et adapté à unelecture approfondie.

La BNQ a choisi une option com-plètement différente, celle de pro-poser d’emblée ses collectionsnumérisées à distance sur Internet,par l’intermédiaire de son site web,dont la réalisation faisait partie dumême projet. C’est à tous les publicsqu’elle destinait ses collections nu-mérisées, en les annexant en tantqu’extensions à son catalogue multi-média en ligne – la base Iris. Son programme était donc axé sur l’offrede services et centré sur le catalogue.

Ainsi, l’EPBF souhaitait-elle pro-mouvoir une nouvelle forme de lecture (savante) à l’intention duchercheur, tandis que la BNQ visaitpour sa part une optimisation desaccès (web et catalogue) destinée àun public élargi.

La BNQ a donc décidé de numéri-ser un échantillonnage (environ 5 %)représentatif du patrimoine culturelet populaire québécois. C’était unprogramme bâti sur la variété dessupports, qui faisait une large place

aux collections spéciales (iconogra-phiques et sonores), et s’alimentaitdans des fonds peu volumineux 5,selon une logique thématique évi-dente : le Québec. Dans le cas de laBNQ, la sélection des œuvres étaitdonc en complète corrélation avec lefonds physique.

L’objectif de l’EPBF, en revanche,était de constituer « un rassemble-ment intellectuellement cohérent dedocuments6 » (jusqu’à 100000 titres),un assemblage autonome mettant en commun des contenus dispersés

entre plusieurs établissements ; ce re-cueil virtuel des œuvres significa-tives, essentiellement livresques, del’Antiquité à nos jours, ne se voulaitpas une simple juxtaposition de do-cuments numérisés, mais cherchait àétablir un lien, une syntaxe entre lesdocuments, à reconstruire un « uni-vers documentaire qui facilite l’ap-propriation par le lecteur et lanavigation dans les ressources 7 » .Quant aux autres supports, ils fai-saient l’objet de programmes auto-nomes8 : les documents audiovisuelsnumérisés seraient consultables surd’autres types de postes (postes au-diovisuels,ou PAV).

Dans le premier cas, il s’agissaitdonc d’une collection numérique,rassemblée à partir des propres fondsde l’établissement, selon une poli-tique de valorisation patrimoniale etvisant à en élargir l’accès au grandpublic par l’intermédiaire d’Internet.Le second cas concernait une biblio-thèque d’érudition, de type encyclo-pédique,constituée selon une logiqueintellectuelle, à partir de ressourcespartagées,et destinée à servir en prio-rité la recherche.

Paradoxalement,donc, l’offre de laBNQ ne portait que sur les fondsconservés dans l’établissement, maiss’élargissait d’emblée à un public horsles murs. À l’inverse, l’offre de l’EPBFdépassait les murs de la bibliothèque,mais était initialement destinée à uneconsultation sur place.

Deux logiquesde constitution

Ces deux types de programmesont impliqué, de par leur nature,des méthodologies de sélection diffé-rentes. Les critères théoriques de

Docteur en histoire et conservateur desbibliothèques, Véronique Poirier-Brèche estadjointe à la direction chargée des périodiquesélectroniques au service commun de ladocumentation de l’université Paris-Sud XI. Ses responsabilités antérieures lui ont permis desuivre la préparation et le déménagement descollections de la Bibliothèque nationale Richelieuà la Bibliothèque nationale de France (site Tolbiac).

3. Les PLAO (postes de lecture assistée surordinateur), qui sont devenus ultérieurement desPABN (postes d’accès à la bibliothèquenumérique).4. Cf. Yannick Maignien et Jean-Didier Wagneur,« Numérisation et nouvelles pratiques delecture », Bulletin d’informations de l’Associationdes bibliothécaires français, 1995, n° 167, p. 39-42.

5. Le dépôt légal n’est entré en vigueur qu’en1968, un an après la création de la bibliothèque,et la production éditoriale courante est enrapport avec la population de la province(7 millions).6. C’est la définition que Bertrand Calenge donned’une collection. Cf. Conduire une politiquedocumentaire, Paris, Éd. du Cercle de la librairie,1999, coll. « Bibliothèques ».

7. Jean-Didier Wagneur, entretien du20 décembre 1999. Référence au concept de labibliothèque de Warburg : reconstituerl’environnement socioculturel des auteurs et del’histoire des idées.8. Cf. l’article de Catherine Éloi, « Les images fixesnumérisées à la Bibliothèque nationale deFrance : constitution et traitement de lacollection », BBF, 2001, t. 46, n° 5, p. 80-86 (Ndlr).

L’EPBFsouhaitait promouvoir

une nouvelle formede lecture (savante)

à l’intention du chercheur,tandis que la BNQvisait pour sa partune optimisation

des accès destinéeà un public élargi

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sélection des œuvres à numériseront, dans les deux cas, été définis pardes comités spécialement constituéspour l’occasion.

À la BNQ, ces critères étaient l’ap-partenance aux fonds et la relationavec le Québec. Des critères esthé-tiques, d’intérêt documentaire etéventuellement de rareté ou de fré-quence de consultation étaient appli-qués dans le cas des collectionsspéciales, et malgré le croisement deces trois critères,certaines de ces col-lections ont pu être numérisées dansleur totalité. En ce qui concerne leslivres, la sélection s’est faite à partird’un seul ouvrage de référence : leDictionnaire des œuvres littérairesdu Québec 9.

À l’EPBF,de nombreux comités,fai-sant appel à différents experts et uni-versitaires, se sont successivementpenchés sur la composition des cor-pus d’auteurs. Le travail de sélectionet de rassemblement, poursuivi parles responsables d’acquisitions, a prisplusieurs années. Le choix se faisaitparmi l’intégralité de la productionimprimée française, parfois étran-gère ; c’était à la fois un travail debibliographe, voire d’historien, lors-qu’il s’est agi de reconstituer desmilieux littéraires, et enfin, un actequasiment éditorial au moment destructurer les documents numériséssur le serveur informatique au moyend’accompagnements documentairescomme autant d’outils de lecture.

Les contraintes

Les divers facteurs qui doivent êtrepris en compte dans les décisions desélection sont parfois difficiles à com-biner ; en effet, des contraintes detous ordres, financières, techniques,juridiques, pèsent sur les choix théo-riques. Ainsi, ceux-ci entrent souventen conflit avec les critères de dispo-nibilité des supports physiques (état

des documents anciens, présencedans les magasins, existence d’unsupport de substitution, documentsrécents soumis à droits,etc.).

Ce sont tout d’abord les contraintesfinancières qui déterminent certainesoptions à prendre notamment dupoint de vue matériel, organisation-nel, logistique et technique. Le finan-

cement par le gouvernement, sur descrédits spécifiques et dans des délaislimités, a souvent pour inconvénientun manque de souplesse. C’était par-ticulièrement le cas du programmede l’EPBF qui a été complètementimposé de l’extérieur,dans ses objec-tifs et dans sa structure, à travers uncahier des charges extrêmement ri-gide, interdisant le plus souvent larectification de certains objectifs parrapport aux réalités, au fur et à me-sure de son déroulement.Dans la réa-lisation de son programme, la BNQdisposait de plus d’autonomie, mais,en revanche, d’un budget limitatif etde délais très courts,ce qui obligeait àréduire la réflexion sur la sélection etles besoins.

Les contraintes juridiques sontégalement déterminantes dans leschoix. En France, les lois concernantla propriété et la protection intellec-tuelle sont plus restrictives qu’auCanada 10. Mais pour la BNQ en par-ticulier, qui avait d’emblée pourobjectif l’intégration de sa collectionnumérique sur son site web, il fallaitpenser au droit de représentation 11,

au nombre d’utilisateurs qui pour-raient se connecter simultanément,ainsi qu’à la qualité d’image que l’onsouhaitait offrir sur le réseau : untaux de définition plus ou moinsélevé déterminerait en effet le flux dedonnées et les temps de réponse.

L’opération de numérisation de laBNQ, plus centrée sur les collectionsspéciales, a subi davantage de con-traintes techniques propres aux sup-ports de toutes natures.

Les options choisies

Face à ces contraintes, les deuxétablissements ont adopté des dé-marches différentes de sélection etde rassemblement des documents.

La BNQ, afin de limiter les coûts, aopté pour une réalisation en interne,donnant la priorité au critère de dis-ponibilité des documents : on a puiséuniquement dans les collections phy-siques détenues par la bibliothèque,excluant d’emblée de la numérisationles documents qui ne répondaient pasaux critères physiques,techniques oujuridiques. On a écarté toute numéri-sation à partir de microformes (pluscoûteuse), il n’y a pas eu de recours àdes réservoirs extérieurs (pas de par-tenariat avec d’autres établissementset très peu d’achats en librairie). Laquantité de documents numériséss’en est trouvée réduite, mais le coûtégalement.

Par ailleurs, il a été fait appel prio-ritairement aux compétences despersonnels de la bibliothèque,évitantl’embauche de personnel supplé-

10. La loi harmonisant le droit français avec lesdispositions européennes, promulguée le 27 mars1997, repousse le délai officiel à 70 ans après ledécès de l’auteur pour les monographies et de70 ans après la date de parution du fascicule pourles périodiques. Au Canada, la loi sur le droitd’auteur actuellement en vigueur stipule que « ladurée du droit d’auteur subsiste pendant la vie deson auteur jusqu’à la fin de la cinquantièmeannée suivant celle de son décès ». (Cf. M. Baribeau, Principes généraux de la Loi surle droit d’auteur, Gouvernement du Québec, LesPublications du Québec, 1998).11. La représentation est constituée de lacommunication au public des documentsnumérisés par écran interposé (Ndlr).

La BNQ,afin de limiter les coûts,

a opté pourune réalisation en interne,

donnant la prioritéau critère

de disponibilité des documents

9. Maurice Lemire, Dictionnaire des œuvreslittéraires du Québec, Montréal, Fides, 1978-1981,6 tomes.

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mentaire et limitant au minimum lerecours à des prestataires extérieurset à tous types d’intermédiaires. Il n’ya pas eu d’achat de matériel et l’en-treprise chargée de la numérisation aeffectué ses clichés dans les murs dela bibliothèque, ce qui a évité ainsides frais de transport des documentset des délais trop longs ; toute idée de« déreliage » des ouvrages a été écar-tée. La BNQ possédant un doubleexemplaire de ses documents (l’unde conservation, l’autre réservé à la communication, c’est ce dernierqui était prélevé pour la numérisa-tion) ; c’était à la fois un avantage (nepas endommager l’exemplaire deconservation) et une contrainte (pri-ver momentanément les lecteurs del’exemplaire de consultation).

L’EPBF, de son côté, disposait d’unbudget et de délais bien plus impor-tants, en rapport avec l’ambitieuxprogramme qu’on lui avait confié :d’autres options ont donc pu êtreprises. L’établissement a manifeste-ment souhaité donner aux critèresintellectuels de sélection des ou-vrages, concernant en particulier leséditions critiques récentes, la prioritésur les autres critères, notammentjuridiques ; la bibliothèque numé-rique étant au départ uniquementdestinée à la consultation sur place,les droits s’annonçaient moins diffi-ciles à négocier.

Des personnels spécifiques (infor-maticiens, universitaires...) ont étéembauchés, qui n’étaient qu’une partie des abondantes ressourceshumaines figurant dans le budget gé-néral de la nouvelle bibliothèque ; ona eu massivement recours à des réser-voirs extérieurs – partenariats avecd’autres institutions et achats d’ou-vrages en librairie (41 % d’ouvragesacquis spécialement) destinés à êtremassicotés pour une numérisationplus facile ; l’utilisation importantede microformes (59 %), récupérées,achetées ou fabriquées ; en bref, unecampagne de numérisation faisantappel à un grand nombre de res-sources et de compétences situéeshors de l’établissement.

Pour des raisons à la fois écono-miques, scientifiques et techniques,les deux bibliothèques ont opté pourun mode image majoritaire 12. Lemode texte a été essayé à titre de testà la BNQ sur une vingtaine de titres etutilisé uniquement pour les tablesdes matières à la BnF. Celle-ci a enoutre récupéré en mode texte desdocuments numérisés provenant debases extérieures,fournis par certainspartenaires.

Mais c’est surtout le type de collec-tion qui détermine les coûts : si l’onse réfère aux deux cas développés ci-dessus, il s’avère que la constitutiond’une collection numérique à partirde fonds propres à l’établissement serévèle la moins coûteuse (moyennant

des lacunes dues à des supportsabsents, fragiles ou non adaptés à lanumérisation), car elle permet uneréalisation « en interne ». Après uneaide à l’investissement, son dévelop-pement peut être financé par le budget de fonctionnement de la bi-

bliothèque. En revanche, il sembleévident que la constitution d’un cor-pus diachronique ou transdiscipli-naire à objectif scientifique demandedavantage de moyens (nécessité denombreux partenariats, délais pluslongs...). Ce type de programme cu-mule en outre les contraintes deconservation et aléas techniques atta-chés aux documents patrimoniauxet, lorsqu’il aborde l’époque contem-poraine, est freiné par de gros pro-blèmes de droits.

Bilan des deux expériences

Il est intéressant de noter que cesdeux programmes de numérisationillustrent, à travers la manière dontl’offre documentaire a été sélection-née et structurée et à travers le typede public auquel elle était destinée,deux façons de concevoir les mis-sions d’une bibliothèque nationale.Tout d’abord,les deux établissementsont adopté, dans leur politique docu-mentaire, des positions différentes :lors d’un colloque 13, au début desannées 1990, Gérald Grunberg, undes acteurs du projet EPBF,prônait leretour à l’encyclopédisme : « L’extrêmespécialisation des bibliothèques estune ère révolue. L’évolution socialel’exige et la technologie le permet :toute bibliothèque digne de ce noma désormais un rôle éducatif, docu-mentaire et patrimonial. Cela im-plique une [...] ouverture à desdisciplines diverses (tous les savoirs,tous les supports) [...]. » Le président-directeur-général (PDG) de la BNQ,durant ce même colloque, exprimaitune opinion différente : « Tradition-nellement, les grandes bibliothèquesnationales ont poursuivi un idéalencyclopédique, maintenu jusqu’àla fin du XIXe siècle, et qui visait àconstituer des collections ancienneset modernes sur tous les sujets du savoir universel. [...]. Mais, avec

12. Le mode texte est largement plus coûteuxque le mode image et, si ce dernier demande unecapacité de mémoire jusqu’à huit fois plus élevéequ’en mode alphanumérique, il offre cependantl’avantage de reproduire la page telle quelle, enfac-similé, avec ses illustrations le cas échéant.

13. Extraits tirés des actes du colloqueinternational des Vaux-de-Cernay, 25-26 juin1991 ; Les grandes bibliothèques de l’avenir, Paris,La Documentation française, 1992.

Les deux programmesde numérisation illustrent,

à travers la manièredont l’offre documentaire

a été sélectionnéeet structurée, et à travers

le type de publicauquel elle était destinée,deux façons de concevoir

les missions d’unebibliothèque nationale

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l’explosion documentaire et l’ato-misation du savoir [...], les bi-bliothèques nationales doiventrestreindre leur développement à laproduction nationale et être enmesure de fournir des ouvrages plusmarginaux, plus rares. »

Par rapport aux publics, les deuxprogrammes illustrent également destraditions différentes propres auxpays latins et anglo-saxons : l’aspectpatrimonial, centré plus particulière-ment sur les œuvres livresques, réser-vées à une « élite » intellectuelle, estspécifique à la tradition française ;d’ailleurs, les dernières recommanda-tions du Conseil supérieur des biblio-thèques (CSB) reviennent d’unecertaine manière sur l’idée d’ouver-ture de la BnF au grand public, quifigurait dans le décret du 3 janvier1994 14 : « La mission centrale de dernier recours et de soutien à larecherche de la BnF, qui est irrem-plaçable, est une priorité parce que,et il faut le souligner avec force,les différentes missions des biblio-thèques ne sont pas interchan-geables 15. » Au contraire, les paysanglo-saxons, qui ont une pratiqueancienne de circulation et d’échangede documents,et qui attachent moinsde valeur intrinsèque à l’objet lui-même, semblent naturellement plustournés vers l’offre de services. Lapolitique documentaire menée par le PDG de la BNQ, et sa conceptiondes missions d’une bibliothèque na-tionale sont conformes à cette ten-dance : « Il faut continuer dans lesens de la démocratisation culturelle.

La clientèle des chercheurs devraits’amenuiser au fur et à mesure queles bibliothèques universitaires et lesbibliothèques spécialisées jouerontvéritablement leur rôle16. »

Au-delà de ces positions de prin-cipe, le développement rapide d’In-ternet a donné, en une dizained’années, une nouvelle dimensionaux collections numérisées des bi-bliothèques nationales, permettantde les ouvrir à distance au grandpublic. La BNQ, en accord avec savolonté de démocratisation cultu-relle, avait conçu d’emblée, son pro-gramme pour le web 17 ; quant à laBnF, elle a pris en 1993 la décisiond’offrir gratuitement sur Internet lesdocuments libres de droits de sabibliothèque numérique en créantGallica18 ; ce site accessible à tous a fi-nalement pris le relais du projet initialdestiné aux chercheurs intra muros.

Ainsi, la numérisation, tout ens’avérant un instrument efficace dansle développement des missions spéci-fiques de conservation et de diffusionde la production nationale qui sonttraditionnellement dévolues aux bi-bliothèques nationales, devient aussile moyen de concrétiser leurs nou-velles orientations 19 que sont lerecours massif aux nouvelles techno-logies,la démocratisation des accès etla coopération internationale.

Août 2001

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14. Il était stipulé dans ce décret que l’une desnouvelles missions de la BnF était « d’assurerl’accès du plus grand nombre aux collections ».15. Conseil supérieur des bibliothèques, Rapportpour les années 1998-1999, p. 48.

16. Philippe Sauvageau, « Les grandesbibliothèques : leur mission et leur insertion dansle paysage documentaire », Documentation etbibliothèques, juil.-sept. 1991, vol. 37, p. 95-98.17. Site de la BNQ (créé en 1997) disponible sur leweb : http://www2.biblinat.gouv.qc.ca18. Ouvert en 1998, ce site http://gallica.bnf.froffre depuis un an l’accès à tous les documentslibres de droits de la bibliothèque numérique.19. Cf. le décret du 3 janvier 1994 (cf. note 14).