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otratégies patrimoniales au paradis de la nature Conservation de la biodiversité, développement et revendications locales à Madagascar Sophie Goedefroit Du point de vue de la biodiversité spécifique, «Madagascar est l'un des endroits les plus riches de la planète. 5 % des espèces réperto¬ riées dans le monde s'y retrouvent et l'on y dénombre, rien qu'en plantes à fleurs, pas moins de 8 000 espèces endémiques » *. Cette île qui représente moins de 2 % de la surface totale de l'Afrique, est pourtant le foyer d'un quart des espèces africaines. Mais par dessus tout, 80 % de sa flore et de sa faune ne se retrouvent nulle part ailleurs dans le monde2. Ce «joyau précieux de la planète»3 est pourtant menacé. «Une démographie galopante s' ajoutant à la persistance de la pauvreté et au faible contrôle de l'État entraînent l'assaut frontal de la plus exceptionnelle source de biodiversité de la planète»4. 1. « Biologically, Madagascar is one of the richest areas on earth. Approximately five percent of the world's species réside in Madagascar, and the island has 8,000 endémie species offlowering plants alone (New Scientist, 1990). However, this rare jewel of earth is in grave danger. » (http://gurukul.ucc.american.edu). 2. « Although Madagascar occupies less than 2 percent of Afrlca's total area, itis home ofquarterof ail Africa plants. Overall, 80 percent of its flora and fauna nowhere else on earth. » (http://www.usmission.mg). 3. Ibidem note 1. 4. « High population growth, rampant poverty and poor governmental poli¬ cies hâve led a frontal assault on one of the planet's most exceptional sources of biodiversity. (http://www.usaid.gov).

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otratégies patrimonialesau paradis de la natureConservation de la biodiversité,développement et revendications localesà Madagascar

Sophie Goedefroit

Du point de vue de la biodiversité spécifique, «Madagascar est l'undes endroits les plus riches de la planète. 5 % des espèces réperto¬

riées dans le monde s'y retrouvent et l'on y dénombre, rien qu'enplantes à fleurs, pas moins de 8 000 espèces endémiques » *. Cette îlequi représente moins de 2 % de la surface totale de l'Afrique, estpourtant le foyer d'un quart des espèces africaines. Mais par dessus

tout, 80 % de sa flore et de sa faune ne se retrouvent nulle part ailleursdans le monde2. Ce «joyau précieux de la planète»3 est pourtantmenacé. «Une démographie galopante s'ajoutant à la persistance de

la pauvreté et au faible contrôle de l'État entraînent l'assaut frontalde la plus exceptionnelle source de biodiversité de la planète»4.

1 . « Biologically, Madagascar is one of the richest areas on earth.Approximately five percent of the world's species réside in Madagascar,and the island has 8,000 endémie species offlowering plants alone (NewScientist, 1990). However, this rare jewel of earth is in grave danger. »

(http://gurukul.ucc.american.edu).

2. « Although Madagascar occupies less than 2 percent of Afrlca's totalarea, itis home ofquarterofailAfrica plants. Overall, 80 percentofits floraand fauna nowhere else on earth. » (http://www.usmission.mg).

3. Ibidem note 1 .

4. « High population growth, rampant poverty and poor governmentalpoli¬cies hâve led a frontal assault on one of the planet's most exceptionalsources of biodiversity. (http://www.usaid.gov).

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126 V Patrimonialiser la nature tropicale

Considérant la richesse de ce réservoir naturel comme un héritagerevenant à l'humanité toute entière (world héritage) et a contrario,la menace que représentent l'action des populations locales et lafaiblesse de la gouvernance, la communauté internationale, (bailleursde fonds et scientifiques réunis) a estimé qu'il était de son devoird'agir dans l'urgence en mettant en place des programmes de conser¬

vation. Ainsi le puissant organisme Conservation International a-t-ilclassé Madagascar au cinquième rang des dix-sept « GlobalBiodiversity Hotspots», faisant ainsi entrer ce pays dans la catégoriedes B7, à savoir « les sept pays les plus importants de la planète en

terme de conservation de la biodiversité et dont le poids écologiqueà l'échelle mondiale est comparable au poids économique du G7»5et l'Usaid d'affirmer que «la conservation de cette exceptionnellebiodiversité relève d'une priorité mondiale»6.

Ce grand intérêt accordé par la communauté internationale à la biodi¬versité malgache est également inspiré par le fait qu'elle «concentreun pourcentage important d'espèces uniques au monde dont le poten¬

tiel économique (agriculture, industrie pharmaceutique) n'a pas encore

été bien évalué et des ressources qui sont encore relativement peu

exploitées » 7. Conscient de la valeur de ce capital et des retombéeséconomiques salutaires pour son pays qui compte parmi les pluspauvres et les plus endettés de la planète, «le président de la répu¬

blique malgache a bien intégré le fait qu'il était plus avantageux à

court comme à long terme de protéger ce capital plutôt que de le

détruire ou de le céder. Fort de cet engagement, il revient donc à lacommunauté internationale de venir en aide à cette nation 8. »

Entre la nécessité de prononcer un discours écologiquement rece-vable au regard de la communauté internationale (Banque mondiale,

5. « Madagascar is also among what Conservation International describesas the B-7- The seven most important countries on Earth for biodiversityconservation. Thèse nation's proportion ofthe Earth's leaving créatures iscomparable to the proportion ofglobal économie wealth shared by the G-7nations. » (http://www.conservation.org)

6. « the single highest biodiversity conservation is a world priority.(http://www.usaid.gov).

7. « Eighty percent of Madagascar flora and fauna exist nowhere else onearth and their agricultural, pharmaceutical, and commercial potential stillneither fully know, nor even partially exploited. » (http://www.usaid.gov)

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S. Goedefroit - Stratégies patrimoniales au paradis de la nature 1 27 '

agences internationales et organisations non gouvernementales) et lebesoin impérieux de sauvegarder ses intérêts économiques,Madagascar a, dès 1989, mis en place, un Plan national d'action envi¬

ronnemental (PNAE). Celui-ci vise à l'élaboration d'une Stratégienationale de la biodiversité qui a pour objectif de se conformer auxrecommandations de la Convention sur la diversité biologique (Rio,1992) ratifiée en 1995 9. Ces mesures interviennent au moment mêmeoù Madagascar tend, après une longue période de fermeture suivied'une période d'ajustement structurel, de s'ouvrir sur l'extérieur et

de prendre place sur l'échiquier international.

L'apparition récente, dans le discours des hommes politiques et dans

la presse nationale, du terme français «patrimoine» pour désignerles divers éléments de la biodiversité ne semble pas étranger à ce

contexte particulier. Certes Madagascar a, dès 1972, ratifié laConvention concernant la protection du patrimoine mondial (Con¬

férence générale de l'Unesco, Paris) et par la suite, a élaboré unelégislation nationale concernant la protection du patrimoine natio¬

nal, mais jamais le débat autour du patrimoine «naturel» nationaln'a été aussi central que depuis que les bailleurs de fonds et lesinstances internationales en ont fait un objet de développement. Onest donc en droit de s'interroger sur les enjeux réels de la mise en

place d'une politique du patrimoine et de se demander s'ils ne dépas¬

sent pas largement la simple conservation de la biodiversité. Je

propose donc en première instance de réfléchir, à travers l'analysede discours et de situations, sur la manière dont un concept étrangertel que le «patrimoine» peut faire l'objet d'une appropriation pourservir de nouvel outil de négociation avec les partenaires étrangers,et cela au-delà des aspects les plus formels exposés dans cet ouvragepar S. Aubert.

8. « Président Ratsiraka understands that the intactbiodiversity ofhis nationrepresents a strong compétitive advantage in économie terms, and that byconserving it rather than destroy it or selling it, his nation will gain both inshort and long-term » Mittermeiersaid. «Now thatprésident Ratsiraka hasmade a commitment, it is up to the rest of the international community toassist his nation. [...] The park decree followed Président Ratsiraka'sannouncement In his inaugural address ofdream of international récogni¬tion of Madagascar for its biodiversity». (http://www.conservation.org).

9. On consultera à ce sujet les travaux et communications de G. Pechardeffectués dans le cadre de sa thèse d'économie actuellement en cours.

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1 28 V Patrimonialiser la nature tropicale

«C'est entre les patrimonialisations officielles, souvent exogènes, et

celles des communautés locales que les discordances sont les plusfréquentes » font observer M.-C. Cormier-Salem et B. Roussel (2000 :

110). En cela, Madagascar ne fait pas exception et l'on peut consta¬

ter que face à la globalisation du patrimoine par le pouvoir central,des groupes de pression s'organisent au niveau le plus local. Je propose

donc, en seconde partie, de montrer comment les populations localesusent, à leur tour mais également à leur manière, de ce nouveauconcept qu'est le patrimoine, pour tenter de faire valoir leurs droitset jouir des nouvelles opportunités économiques qu'offre l'ouverturedu pays et la valorisation récente de ressources naturelles jusqu'alorspeu ou pas exploitées.

On constatera alors que sous des dehors exemplaires, le cas malgacherecouvre une situation particulière qui résulte des effets croisés des

récentes orientations de la politique nationale, de son exceptionnellebiodiversité et d'un certain regard que portent sur elle les habitantssouvent chassés par les projets de conservation de ce «paradis de la

nature qu'est Madagascar» ,0, mais qui ont une manière bien à euxde rappeler qu'ils en sont les seuls «naturels».

Jeux et enjeux autour du patrimoine

Depuis la fin des années quatre-vingt, Madagascar connaît de grands

changements politiques, économiques et sociaux. Sous ajustementstructurel depuis le milieu des années quatre-vingt, ce pays a opté en

1992, avec l'instauration de la IITe République, pour le retour à un

système démocratique et une économie libérale, après une longuepériode de fermeture et un régime socialiste (1972-1992).

Ces nouvelles orientations n'ont pas pour autant permis d'atteindreles objectifs attendus de l'ouverture économique et d'une meilleureapplication des préceptes des bailleurs de fonds étrangers et des insti¬

tutions internationales. En dépit d'une certaine reprise de la crois¬

sance du PIB par tête à partir de 1997, les performances de l'écono-

1 0. « Preserving a natural Paradise in Madagascar» (United states Agencyfor International Development : http://www.usmission.mg).

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S. Goedefroit - Stratégies patrimoniales au paradis de la nature 1 29 '

mie malgache restent très en deçà de ce que semblent permettre les

ressources humaines et physiques de la Grande Ile (Razafindrakotoet Roubaud, 1999).

Aujourd'hui peuplée de 15,5 millions d'habitants, Madagascar faitpartie des pays très pauvres de la planète avec un revenu moyen partête et par an de 250 dollars US u. Interprété à tort ou à raison commeun des effets induits par la politique d'austérité et de rigueur des

premières phases d'ajustement structurel (Durufflé, 1988), les condi¬tions de vie de la population se sont, depuis l'indépendance (1960),fortement dégradées. Cette situation a été prise en compte par les

institutions internationales et a justifié l'application, dans ce payscomme dans d'autres, d'une politique de «développement humaindurable» (DHD) prônant, entre autres, l'équité intergénérationnelle,à savoir le droit pour les générations futures de jouir de ressources

naturelles préservées ou exploitées de façon « responsable » et«durable». Ces nouveaux préceptes rejoignent des préoccupationsplus anciennes portant sur la biodiversité et la menace que constituel'extension mal contrôlée de l'exploitation des ressources naturelles.Entre les approches conservationistes promues à la suite de la confé¬

rence de Rio en 1992 et le principe d'équité intergénérationnelleinscrit dans la politique de développement durable, se dessine peu à

peu la nécessité de parvenir à une « gestion patrimoniale de la biodi¬versité » à des fins de développement économique et humain durable.

Faire du développement avec du patrimoine

« Faire du développement avec du patrimoine». C'est en ces termes

que s'expriment schématiquement les nouvelles directives des insti¬tutions internationales (Banque mondiale, PNUD ). Or, à défautbien souvent de s'interroger sur les pratiques et les logiques socialesen vigueur au niveau local, les nouveaux acteurs du patrimoine,bailleurs de fonds internationaux et représentants du pouvoir central,procèdent parfois à des inventaires et opèrent parfois des choix entrece qui est ou désormais sera un objet patrimonial et ce qui ne l'est

11. Source : World Bank, 1999, Social indicators of development.(www.worldbank.or/data/countrydate/courntrydate.htlm)

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1 30 V Patrimonialiser la nature tropicale

pas. Le processus de patrimonialisation est en cours et dans la foulée,la mise en ruvre d'une politique patrimoniale pensée comme moteurd'une certaine cohésion territoriale, élément indispensable à la réali¬

sation d'actions de développement à la fois global et durable.

À Madagascar, l'instauration de la IIJ> République ouvre une nouvelleère. C'est le temps des nouveaux projets de développement, de

l'efflorescence des ONG et des mouvements associatifs de tous ordreset de toutes confessions (Goedefroit et al., 2002a). Madagascar ne

fait pas exception à ce vaste processus de patrimonialisation quisemble s'emparer de la planète toute entière (Guillaume, 1980). Ce

pays se distingue, en revanche, par les choix patrimoniaux qui s'yopèrent. On constate que ces choix portent, en priorité sur les éléments

de la biodiversité : faune, flore, paysage et forêt. Mais encore ne doit-on pas s'en étonner. Madagascar possède peu de sites et de bâtimentshistoriques, mais une diversité biologique exceptionnelle sur laquelles'est construite son image à l'extérieur. Une image reprise et retou¬

chée à des fins touristiques, comme l'illustre la publicité faite dans

les années quatre-vingt-dix par la compagnie nationale de transportaérien (Air Madagascar). Une image qui se vend bien.

« Autre Eden, autre jardin. MADAGASCAR. Ile continentMadagascar est réputée pour être un véritable SANCTUAIREDE LA NATURE où la faune et la flore offrent une gamme excep¬

tionnelle de variétés, de curiosités appréciées par les passionnés

de l'écologie, les naturalistes et autres chercheurs. L'espièglelémurien en est le plus célèbre, sans omettre les fameux poissonsdes récifs coralliens comme les POMACENTRIDAE, les CHAE-PONTID1DAE. Aussi comment résister au charme des milliersd'espèces d'ORCHIDEES toutes belles dont les plus illustres :

YANGRECUM SESQUIPEDALE. Le soleil est présent toute l'an¬

née. MER, TERRE et CIEL sont complices pour donner à MADA¬GASCAR un parfum de Paradis. »

Il n'est pas étonnant non plus que les acteurs économiques se soient

emparés de cette image. On constate en effet que les processus de recon¬

naissance officielle, fortement soutenus par les bailleurs de fonds inter¬

nationaux, aboutissent de manière imparable à la préservation ou à lamise en valeur d'éléments de la nature qui sont directement ou indi¬

rectement exploitables. Tout se passe en effet comme si, à Madagascarcomme ailleurs, la mise en place d'une politique nationale du patri¬

moine n'avait d'autre finalité que de coordonner des actions d'amé-

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S. Goedefroit - Stratégies patrimoniales au paradis de la nature 131

nagement et de développement économique. C'est dans cet esprit qu'ontété entrepris de vastes projets «écologiques» tel que par exemple, lerecensement à des fins d'aménagement touristique des sites et paysages

remarquables, une action soutenue par la Banque mondiale à la fin des

années 1980. Les missions assignées à l'Association nationale pour lagestion des aires protégées (Angap) offrent un autre exemple d'actionsde conservation du patrimoine naturel comme faire-valoir à des projetsde développement économique régional et national, en l'occurrence ledéveloppement de l'écotourisme.

« MISSION de l'ANGAP. Établir, conserver, gérer de manièredurable un réseau national de Parcs et Réserves représentatif de labiodiversité biologique et du patrimoine naturel propres à

Madagascar. Ces Aires Protégées, sources de fierté nationale pourles générations présentes et futures, doivent être des lieux de préser¬

vation, d'éducation, de récréation et contribuer au développementdes communautés riveraines et à l'économie régionale et nationale. »

Comme le constatent fort à propos M.-C. Cormier-Salem et B. Roussel(2000 : 110), «les constructions de patrimoines naturels en coursdébordent en fait largement le strict cadre de la protection de la biodi¬versité pour devenir l'objet d'enjeux sociaux, économiques, juri¬diques et politiques, difficiles à maîtriser». Cette remarque faite dans

le cadre d'une réflexion générale sur le processus de patrimonialisa¬tion de la nature, trouve, dans le contexte malgache, un écho parti¬

culier. En effet, à la suite de la réforme constitutionnelle de 1998,

Madagascar s'est engagée dans une politique de décentralisation,encouragée par les institutions internationales (Banque mondiale).L'application actuellement en cours de cette politique aboutira progres¬

sivement à la mise en place de provinces autonomes. Cette évolu¬tion, favorable à une meilleure répartition des responsabilités entrele pouvoir central (fanjakana) et les instances décentralisées, a ravivéles discussions sur le statut des ressources dites « stratégiques ».

Entendons par là, les ressources à forte valeur commerciale jugées« stratégiques » pour l'économie nationale et par voie de conséquence,

dont la gestion pleine et entière revient à l'État central. On peut dès

lors imaginer les réactions au niveau régional que cette déclarationsuscite, les provinces potentiellement les plus riches en ressources« stratégiques » se voyant en quelque sorte dépossédées et privées del'autonomie de leur gestion. Entre la décentralisation politique et lerenforcement de la centralisation économique, la position du gouver-

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1 32 V Patrimonialiser la nature tropicale

nement peut apparaître ambiguë et contradictoire. Comment l'Étatparvient-il à justifier de cette position auprès des instances politiquesdécentralisées et auprès des institutions internationales qui d'une partont fortement encouragé la décentralisation politique et la mise en

place des provinces autonomes et qui d'autre part ont eux-mêmesopté, dans une optique de bonne gouvernance, pour une politique de

décentralisation de l'aide en faveur du développement régional? Laréponse à cette question se lit au travers des discours politiques oùles controverses sur les ressources « stratégiques » sont transforméesen débats sur la politique nationale du patrimoine. Dans sa contribu¬tion à cet ouvrage S. Aubert rappelle le cadre précis d'apparition dustatut de ressources stratégiques. Formellement, et strictement formel¬

lement s'entend, les ressources sur lesquelles portent des droits inscritsdans le patrimoine naturel sont considérées comme des ressourcesstratégiques (selon les termes de la Constitution de 1998). Mais cette

tautologie n'existe pas dans la réalité. Force en effet est de constaterque les ressources à fortes plus-values sont plus stratégiques que

d'autres et que dès lors, les stratégies mises en place pour justifier de

leur contrôle et de leur gestion s'efforcent à démontrer l'existenced'une identité nationale «monolithique» qui justifierait ipso factol'existence d'un patrimoine national «malagasy», condition impé-rative à la gestion centralisée et souveraine de l'État.

Ce décalage entre la forme et la réalité est particulièrement percep¬

tible dans les enjeux dont fait l'objet la gestion de la crevette, ressource

qui de stratégique pour l'économie nationale est rapidement passée,

par le truchement de la revendication de l'existence d'une identiténationale malagasy, au registre du patrimoine national alors qu'en1972, quand Madagascar mettait en place une législation concernantla protection du patrimoine national, la ressource crevettière (très peu

exploitée à l'époque) n'était pas considérée comme un patrimoine et

son exploitation ne faisait pas encore l'objet de réglementation.

Ressource stratégique ou patrimoine ?

L'exportation de crevettes représente, depuis le début des années

quatre-vingt-dix, l'une des premières sources en devise de Madagascar.

Sa valeur à l'exportation a été estimée, en 1998, à près de 300 millionsde francs français. Une somme considérable pour un pays relative-

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S. Goedefroit - Stratégies patrimoniales au paradis de la nature 1 33 V

ment endetté et sous ajustement structurel depuis le milieu des années

quatre-vingt. Sa mise en valeur est d'une importance stratégique pourl'état, mais également pour toute une frange de sa population. Lecontexte général de grande pauvreté rend, en effet, les opportunitéséconomiques liées à l'exploitation et à la commercialisation de cette

ressource particulièrement attractive pour les populations essentiel¬

lement d'origine rurale mais aussi urbaine.

La libéralisation économique et la décentralisation suscitent de

nouveaux espoirs et attisent les appétits autour des rentes générées

par l'exploitation de cette ressource. Cette situation entraîne une mobi¬

lisation remarquable d'un grand nombre d'acteurs dont l'équilibredes rapports demeure fragile. Cette fragilité s'exprime par le durcis¬sement du discours des groupes de pression toujours plus nombreuxà défendre les intérêts de la pêche traditionnelle contre ce qu'ils préten¬

dent être les abus de la pêche industrielle. Enfin certains hommespolitiques, prenant le relais des revendications identitaires et patri¬moniales locales, militent pour que les provinces côtières puissentjouir de la plus grande part des bénéfices crevettiers. En prônant, parexemple, le partage des redevances de pêche actuellement perçuesau niveau national, ils représentent une menace pour le pouvoir centralqui se verrait dès lors privé d'une partie de ses rentes alimentées parles droits de pêche. La négociation continue et la remise en cause

perpétuelle du système d'octroi des droits de pêche industrielle relè¬

vent de stratégies menées à un autre niveau, entre les institutionsinternationales, les industriels et le pouvoir central.

En application des recommandations de la Banque mondiale, legouvernement malgache a procédé en 1999 à la mise aux enchèresinternationales des droits de pêche, privant ainsi d'importantes socié¬

tés de pêche industrielle de leur ancien privilège de jouir d'une zone

exclusive. En réaction, le groupement des armateurs à la pêche crevet¬

tière de Madagascar a demandé aux autorités politiques nationalesde geler l'effort de pêche en cessant d'octroyer de nouvelles licences.Cette requête, justifiée par le résultat de recherches scientifiquesportant sur l'état des stocks crevettiers 12, a contribué à durcir un peu

12. On consultera à ce sujet les différents rapports publiés par les cher¬cheurs en biologie du Programme National de Recherche Crevettière(PNRC, Mahajanga, Madagascar).

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1 34 V Patrimonialiser la nature tropicale

plus encore la position du ministère de tutelle. C'est dans ce contextehautement stratégique et conflictuel que s'est tenu à Antananarivo en

décembre 2000, le troisième atelier d'aménagement de la pêche crevet¬

tière. Lors de son allocution d'ouverture, le ministre malgache de lapêche et des ressources halieutiques s'est exprimé clairement devantl'ensemble des acteurs rassemblés : représentants des institutions et

des bailleurs de fonds internationaux, Industriels, responsables d'as¬

sociations de «pêcheurs traditionnels» et scientifiques.

«La situation anarchique de l'exploitation de certaines pêcheriesn'assure pas à la génération présente de tirer la meilleure partiedes ressources et immanquablement, handicape le sort de ceuxqui vont naître demain non seulement en termes d'apport alimen¬

taire mais aussi sur le plan de la création d'emplois de tous les

avantages en amont et en aval de la capture de poisson [...] 13»

Dès les premiers instants de son discours, le ministre se réfère au

«Code de conduite pour une pêche responsable» (FAO, 1995). Laréférence à ce document justifie d'emblée ses positions et ses déci¬

sions, présentées comme étant en totale conformité avec les recom¬

mandations faites par les bailleurs de fonds internationaux. Enévoquant la lutte contre la pauvreté et l'équité intergénérationnelle,il oriente également son discours en faveur de la population et des

pêcheurs traditionnels. Le développement humain durable apparaîtainsi au centre de ses préoccupations. Cette déclaration vise une

double affirmation : d'une part, le durcissement de la position de ce

ministère face aux requêtes et aux pratiques des sociétés de pêche

industrielle 14 et d'autre part, la légitimité du ministère en terme de

prise de décisions concernant la gestion d'une ressource dont les

retombées économiques doivent, en priorité, revenir à la population.En effet, le ministre de la Pêche et des Ressources halieutiques défi¬

nit le devoir de l'État et justifie la position du ministère en ces termes :

«L'État entend mettre en cuvre les mesures qui s'imposent [...]pour pallier à la carence en protéines animales dont souffrent

13. Extrait du discours du ministre Houssene Abdallah prononcé lors del'Atelier sur l'aménagement de la pêche crevettière., Tananarive,décembre 2000 : Midi Madagasikara, n" 5275, 1 3 décembre 2000 : 5.

14. De droit malgache, ces sociétés de pêche industrielle intègrent de façonmajoritaire des capitaux étrangers.

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S. Goedefroit - Stratégies patrimoniales au paradis de la nature 1 35 V

encore beaucoup de Malgaches [...]. Et ce, dans l'objectif de

lutter contre la pauvreté [...]. L'État reste le garant de la gestiond'un patrimoine comme la ressource crevettière et sa responsa¬

bilité demeure entière et légitime dans le sens d'un développe¬

ment durable et légitime 1S ».

Tout se passe comme si la gestion de cette ressource émargeait de laresponsabilité «entière» et «légitime» de l'État par le simple faitqu'elle est désignée comme patrimoine national. Les décisions duministère ne souffrent donc aucun commentaire, n'en déplaise auxnombreux acteurs qui gravitent autour de cette ressource. C'est à ce

stade de son discours que le ministre, fort de sa position de «garantde la gestion du patrimoine » (sic) se tournera vers les opérateursindustriels et les scientifiques. A la requête faite par les premiers degeler le nombre de licences de pêche industrielle et à la déclarationdes scientifiques concernant la baisse de production en 1999, il imposeson opinion légitime : cette baisse est une «rumeur propagée parcertains opérateurs [...]. Le fait donc d'affirmer que la production a

baissé cette année est une fausse interprétation et peut induire enerreur tout le monde dans la perspective d'une prise de décision ulté¬

rieure ». Est-ce à dire que la conviction « d' un garant de la gestion dupatrimoine» est à ce point inspirée par quelque force supérieure queces décisions puissent faire fi des données scientifiques sur l'état des

stocks et ainsi imposer des mesures pouvant aller à rencontre de lagestion durable de ce dit patrimoine sur lequel il fonde pourtant sonautorité ?

Reprenant enfin le texte de la convention sur la Diversité biologique(Rio, 1992) concernant l'affirmation du droit souverain de chaqueÉtat sur ses ressources biologiques, le ministre de la pêche et des

ressources halieutiques a achevé son allocution en redéfinissant lerôle des différents acteurs. Si les opérateurs économiques et lesbailleurs de fonds doivent se garder de toute initiative, domaine rele¬

vant de la compétence exclusive de l'État et par là de son ministèrede tutelle, « leur soutien financier et technique est nécessaire à l'exé¬cution des tâches».

15. Ibidem noie 13.

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1 36 V Patrimonialiser la nature tropicale

Le discours est habile et montre bien qu'à Madagascar, comme ailleurs,l'État a enrichi son arsenal de propagande d'un nouvel artifice : lapolitique du patrimoine. Jouant sur une sensibilité écologique et huma¬

nitaire, l'État parvient ainsi à rendre ses décisions légitimes tant vis-à-vis des acteurs économiques et des bailleurs de fonds étrangers que

vis-à-vis des groupes d'opposition qui s'organisent actuellement dans

le cadre de la mise en place des provinces autonomes. La revendica¬

tion de la souveraineté nationale sur la gestion des ressources patri¬

moniales permet à l'État de se prémunir contre la menace que consti¬

tue la généralisation de la politique de décentralisation de l'aide des

bailleurs de fonds étrangers en faveur des projets locaux de valori¬sation et de conservation de la biodiversité. Elle permet égalementd'assurer, dans ce contexte particulier, le maintien d'une relative unitéterritoriale et l'illusion d'une identité malgache monolithique. Ces

remarques ne se limitent pas au cas particulier de la ressource crevet¬

tière. Elles valent également pour tous projets de valorisation ou de

protection directe ou indirecte des éléments de la biodiversité.

Le patrimoine des uns et des autres

La politique nationale de conservation du patrimoine naturel s'orga¬

nise et agit par l'intermédiaire de différents instituts chargés de contrô¬

ler et de mettre en suvre les directives des différents ministères de

(Eaux et Forêts, Tourisme, MPMH ,6,. . .). Tel est le rôle par exemplede l'Office national de l'environnement (ONE) qui a, entre autres,

pour mission de contrôler que tout projet de valorisation industriellede la biodiversité tient compte des mesures nationales de protectionde l'environnement17. Tel est également le rôle de l'Angap (Asso¬

ciation nationale de gestion des aires protégées) dont les actionsportent sur la conservation, la sensibilisation des populations locales,

16. MPRH : ministère de la pêche et des ressources stratégiques.

1 7. Lors de l'aménagement de bassins aquacoles, par exemple, les promo¬teurs sont tenus de se conformer à un cahier des charges dans lequel sontprécisément consignées les normes écologiques à respecter (concernant :

la pollution de l'eau, la destruction des mangroves,...). De manière géné¬rale, l'ONE exerce un contrôle sur l'exploitation industrielle des ressourcesnaturelles et accorde ou non son aval à de nouvelles opérations indus¬trielles.

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S. Goedefroit - Stratégies patrimoniales au paradis de la nature 1 37 V

la recherche appliquée (plantes médicinales...) mais également surle développement de l'économie régionale et nationale, à savoir lapromotion de l'écotourisme. Dans le cadre de la mise en place des

provinces autonomes, ces organismes nationaux apparaissent commedes outils de la centralisation des décisions concernant les actionsmenées au niveau local dans le domaine de la conservation de la biodi¬

versité et par là, du développement économique régional. Dans cetteoptique, un nouveau code de gestion des aires protégées sera prochai¬

nement adopté par l' Angap. Son application se traduira, à n'en pointdouter, par une globalisation des mesures et une normalisation des

actions menées au niveau local. Un processus où les particularismesrégionaux semblent effacés et où il ne reste en définitive que peu de

latitude aux leaders politiques des futures provinces autonomes. Uneautonomie qui ne deviendrait de ce fait que purement formelle. Laquestion est bien là : entre une politique écologiquement correcte etéconomiquement rentable, les actions de conservation et de valori¬sation de la biodiversité menées sur le terrain que ce soit par les orga¬

nismes nationaux (One, Angap, par exemple) ou internationaux(Banque mondiale, WWF, PNUD, etc.) ou encore par des acteurséconomiques de toutes envergures (sociétés industrielles,...) sont-elles « humainement soutenables » ?

On peut en effet se poser la question de la prise en compte, en amontde la mise en place de tels projets, des pratiques des populationslocales et se demander si la globalisation du patrimoine, comprisecomme un effet induit de la politique nationale, ne revient pas en

quelque sorte à invalider toute légitimité patrimoniale à des échellesplus locales. La reconnaissance de la légitimité patrimoniale des uns

remettant ipsofacto en cause la légitimité des autres.

À la gestion centralisée s'oppose une nouvelle tendance qui, en propo¬

sant un transfert de gestion aux institutions régionales et locales,entend rétablir une certaine cohérence avec les évolutions adminis¬tratives induites par la décentralisation. « L'État est trop centralisé ettrop urbain pour freiner la dégradation des forêts puis les régénérer,il doit transférer ses responsabilités à des institutions régionales etlocales. [. . .] Le système de gestion dépend aussi d'enjeux de pouvoir.L'investissement ne dépend pas seulement des capacités d'épargnedes institutions locales mais aussi de l'équilibre entre les pouvoirstraditionnel et légal que devront préserver les dynamiques de régio-

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1 38 V Patrimonialiser la nature tropicale

nalisation et de décentralisation » 18. Ainsi s'exprime B. Ramamonjisoadans un article écrit pour le Congrès mondial de l'IUFRO (Unioninternationale pour la recherche forestière). Cette nouvelle tendancequi se veut plus en accord avec les modalités locales et traditionnellesde gestion de la biodiversité et des ressources naturelles, posent pourl'heure, de nombreuses questions sur les outils, les méthodes, la fisca¬

lité et la législation qui devront être mis en place. « Les contrats de

transfert sont-ils légaux et permettent-ils aux communautés de fairevaloir leurs droits sur les ressources19?» C'est là une des questionsqui animent actuellement les débats et qui nous incitent, à notre tour,à adopter une approche locale du phénomène de patrimonialisationde la nature.

1 Représentations croiséesdu patrimoine naturel local

La majeure partie des projets de protection et de conservation des

espaces et des espèces mis en ouvre à l'échelle locale, intègrent des

actions de « sensibilisation » de la population. Cette démarche partici¬pative part du principe que la dégradation environnementale est essen¬

tiellement due à l'action de l'homme et qu'il est par conséquent indis¬

pensable «d'instruire» les communautés vivant à proximité des réserves,

de les aider à user de leurs ressources naturelles de manière plus«durable»20. Pour y parvenir des processus tels que la GCF (Gestioncommunautaire des forêts, alias Gestion contractualisée des forêts) et

la Gélose21 ont été adoptés par l'ensemble des promoteurs de projets

1 8. Extrait provenant du Bulletin « Transfert de gestion », n" 2, avril 2001 :

2. J.M. Garreau ed.

1 9. Question posée par H. Finaona (PolFor / GTZ, Réf. ibidem note 1 8) etprenant en compte l'article 8J de la Conférence de Rio (1992).

20. Cf. programme WWF (http//:www.panda.org) : « instwct people [. . .] Theproject spent a year[. . .] planning a conservation developmentprogrammeto help villagers use their natural resources more sustainably»

21. Concernant la Gélose, on consultera dans cet ouvrage la contributionde S. Aubert.

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S. Goedefroit - Stratégies patrimoniales au paradis de la nature 1 39 '

environnementaux. Une cellule Gélose a été créée au sein de l'Officenational de l'environnement (One) et un projet de décret sur la GSF a

été proposé à la signature au ministère des Eaux et Forêts. Les procé¬

dures recommandées sont pensées comme étant en harmonie avec les

structures sociales «traditionnelles». La recette, appliquée avec delégères variantes par les différents opérateurs, est schématiquement lasuivante : dans un premier temps, des villages sont choisis pour deve¬

nir des sites pilotes des «actions tests». Les critères de choix les plussouvent mentionnés sont la proximité géographique de ces villages par

rapport à la zone à protéger et la volonté exprimée par les habitants à

participer à un tel projet. Des négociations sont alors entreprises avec

le «fokon 'olona », instance dite traditionnelle et représentative duvillage qui dès lors sera répertoriée comme « Communauté de base » 22,

CoBa dans le jargon des opérateurs. Toujours dans le souci de collerau plus près aux modes de fonctionnement traditionnel, un accordcontractualisé, une «convention sociale» calquée sur le système du« dinabe » traditionnel, est enfin passé entre la CoBa et les promoteursdu projet. Cet accord implique l'identification d'un médiateur-respon¬

sable recruté localement ou non, formé par l'ONE ou non. On parleégalement, selon les projets, de la nécessité de recourir à des « socio-organisateurs » ou à des «médiateurs environnementaux». Les«Biodiversity programm Projects-Madagascar» du WWF offrent unexemple clair de ce type de procédure :

« Chaque village Pilote possède son propre agent de protectionde la nature, appointé par le WWF sur recommandation du conseilvillageois23. Afin de faciliter la communication et de la rendreplus opérationnelle, les candidats sont choisis à l'intérieur duvillage dans lequel ils auront à travailler. Les agents expliquentaux villageois pourquoi il leur est interdit de chasser et de couperles arbres dans les réserves. Ils les incitent à respecter les lois et

à adopter des pratiques environnementales durables pour lesressources naturelles de la région. [. . . ] Le projet fonctionne bien.[...]. WWF attribue ce succès au fait que le projet a été mis en

place doucement, et qu'il a adopté une attitude d'écoute plutôt

22. Conservation International parle de « comprehensive community basedprogram. Program to improve income levels and living conditions for localcommunities by providing alternatives to forest destruction».

23. Comprenons le fokon'olona.

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1 40 V Patrimonialiser la nature tropicale

que de prêche. Doucement la confiance s'est établie et l'adhésionlocale a été gagnée.» (http//:www.panda.org)24

Cette déclaration de parfaite réussite masque un certain nombre de

difficultés rencontrées par le WWF comme par d'autres programmesdans la mise en place de leurs actions de terrain et dans leurs négo¬

ciations avec les communautés villageoises et les autorités tradition¬nelles. Faut-il rappeler l'opposition très franche des autorités localesau projet de conservation du massif de l'Ankarana (Nord-Ouest) porté

par cet organisme? Faut-il expliquer comment le roi local, arguantde ses prérogatives sur un lieu considéré comme sacré pour sa commu¬

nauté, a invoqué son droit exclusif de regard et de contrôle sur «lepatrimoine culturel de son peuple» (en français) pour faire échouerle projet?

D'autres opérateurs s'expriment plus ouvertement sur la nature des

difficultés rencontrées lors de la mise en place des procédures de

gestion sécurisée. De ces échanges entre opérateurs25, nous consta¬

tons que certaines difficultés sont récurrentes. Les complexités de ladémarche et l'absence de médiateurs locaux expliquent dans certaines

régions l'impossibilité d'étendre la contractualisation Gélose (Menabe,

coopération suisse, par exemple). La trop grande rigidité de la procé¬

dure est souvent interprétée comme la cause du contournement des

lois. On parle également, pour certaines régions, de l'existence d'in¬térêts contradictoires qui viendraient concurrencer en quelque sorte

les projets de développement et démotiveraient les populations à s'en¬

gager dans un projet de conservation environnemental. Quant au

médiateur, personnage clef de la démarche participative, son rôle et

sa position sont au ctur des débats. Certains parlent du rejet des

médiateurs par certaines communautés, d'autres du manque de neutra-

24. « Each pilot village has its own Nature protection Agent, appointed byWWF on the recommendation of the village council. To make communi¬cation easier and more effective, candidates are selectedfrom the villagesin which they are to work. The agents explain to the villagers why they areforbidden to huntand eut trees in the reserve, encouraging them to respectthe rules and to adopt environmentally sustainable ways ofusing the regio-nal's natural resources. [...]. The project is working well [...]. WWF attri-butes its success to the fact that it has moved slowly, and adopted a liste-ning rather than preaching style, gradually building trust and winning localsupport. »

25. Ibidem, note 18.

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S. Goedefroit - Stratégies patrimoniales au paradis de la nature 141V

lité de certains d'entre eux, parfois impliqués dans la vie politique de

la région. Mais ce que chacun retient et que certains expriment, c'estbien le fait que quand un projet de conservation est pleinement prisen charge par la population ou qu'un contrat de transfert de gestiona été signé, la plupart du temps, il existait en ces lieux des pratiquesconservatoires traditionnelles antérieures que le projet n'a en réalitéqu'entérinées. «Quand les forêts traditionnelles ou ancestrales recou¬

vrent les corridors alors la plupart des gens en respectent les limites ».

Quelles sont donc ces pratiques conservatoires traditionnelles dontl'existence invaliderait de fait l'idée que les populations autochtonesont des usages contre nature et qu'il faille les éduquer, leur enseignerles pratiques écologiquement correctes et soutenables ? Les procé¬

dures voulues et précisément conçues pour correspondre le pluspossible à ce que l'on pense être la structure traditionnelle rencon¬

trent-elles les réalités locales actuelles? Ou sont-elles le fruit d'unevision simpliste de ces communautés très différenciées et engagées

à des stades différents dans un processus de remaniement ?

L'application généralisée de concepts éculés, mais que l'on veut tradi¬

tionnels tels que «dinabe» et «fokon'olona» sont-ils véritablementappropriés pour véhiculer de nouvelles notions à des populations qui,quoique traditionnelles, se montrent tout à fait capables de répondreaux transformations conjoncturelles de leur environnement en adop¬

tant des comportements adaptatifs et parfois opportunistes que les

promoteurs de projets de conservation connaissent fort bien ? Quesignifie ce phénomène relativement récent d'apparition de structuresassociatives pour la protection de l'environnement et du patrimoinecréées par les communautés elles-mêmes ?

Les questions sont nombreuses et il paraît difficile d'y apporter, dans

l'état d'avancement actuel de nos recherches et dans le cadre parti¬

culier de cet ouvrage, la totalité des réponses. Je propose donc de

développer les réflexions qui les fondent en exploitant des données

de terrain et en espérant ainsi ébaucher des éléments de réponse.

Comment traduit-on patrimoine en malgache ?

La question peut paraître naïve et d'autant plus ambiguë que le termefrançais a connu une extension prodigieuse de son champ sémantiquede telle sorte que tout semble pouvoir être qualifié de patrimoine

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1 42 V Patrimonialiser la nature tropicale

(Chevallier et al, 2000 ; Cormier-Salem et al, 2000 : 108-9). Elle n'aégalement de sens que si l'on admet, comme a priori, qu'un conceptpuisse exister dans une société sans qu'il y ait forcément de termeslinguistiques précis pour le désigner, le nommer. La question perdtoute sa naïveté lorsqu'elle porte sur la traduction d'un vocable fran¬

çais de plus en plus fréquemment employé par les acteurs et les insti¬

tutions étrangères certes, mais également par les acteurs nationaux :

hommes politiques, journalistes, responsables de mouvements asso¬

ciatifs nationaux et régionaux, représentants du pouvoir traditionnel.Aussi cette question valait qu'on la pose, non pas forcément pourtrouver le terme précis qui correspondrait parfaitement au sens dumot français, mais bien pour comprendre quel est le sens que le locu¬

teur prête à ce mot français lorsqu'il en fait usage dans un discoursen malgache. Quels sont ses référents qui lui permettront de formu¬ler une réponse ?

Cette question, je l'ai donc posée à des personnalités de la presse et

de la politique nationale, mais aussi à des personnes impliquées dans

des associations de sauvegarde du patrimoine naturel ou culturel, à

un roi, à des chercheurs nationaux en Sciences Sociales, à tous ces

individus dont le discours semble happé par l'air du temps et qui fontdu « patrimoine », un des objets de leur discours. Si les réponses ne

furent pas unanimes, les réactions face à ma question furent, elles,semblables : étonnement, embarras, circonspection et recours presque

systématique au dictionnaire bilingue « malgache-français » d'Abinalet Malzac, avant d'aboutir à des interprétations plus « personnelles ».

Pour certains de mes interlocuteurs, le mot lova ou mieux «lovan-draza (-na) » était sans conteste le terme le plus approprié pour traduirele mot français «patrimoine». C'est, me dit l'un d'entre eux, d'ailleursen jouant de cette acception que le gouvernement a lancé en 1998,

l'emprunt publique «lova». Certes non, m'affirmaient d'autres, le

mot lova signifie «héritage» et ne recouvre donc pas la totalité du

champ sémantique du mot français. Qu'en disent les dictionnaires?

« Lova : Héritage, tout ce dont on hérite, comme les qualités, les

défauts, les maladies.» (Abinal et Malzac, 1993 : 414)

« Patrimoine : Fananana avy amy ny ray aman-dreny» (biensvenant des parents, S.G.). (Malzac, 1995 : 596)

Ces deux définitions, mises dos à dos, convergeraient vers une corres¬

pondance du mot lova au sens restreint attribué au mot «patrimoine»

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S. Goedefroit - Stratégies patrimoniales au paradis de la nature 1 43 V

par le dictionnaire Littré. A savoir : «Bien d'héritage qui descend,

suivant les lois, des pères et mères à leurs enfants. [...] biens defamille, par opposition aux acquêts. » (Littré : 4548). Hypothèse que

confirme Paul Ottino, le seul anthropologue qui à ma connaissancese soit intéressé à la question du patrimoine à Madagascar : « lovan-drazana (MC) : héritage des ancêtres. Les biens d'héritage ances-

traux s'opposent aux biens acquis par les individus dans le cours de

leur vie appelés hary sur les Hautes Terres et sur la côte orientale,fila : dans l'Ouest et le Sud. (Btl) : biens meubles par opposition auxbiens lovan-drazana (héritage ancestral) qui sont des terres ou des

immeubles.» (1998 : 644). Et mes informateurs de confirmer d'uneseule voix qu'en principe et en principe seulement, un bien hérité ne

fait pas l'objet d'un droit de propriété individuel, mais collectif etqu'à ce titre, il ne peut être cédé. Il a pour vocation d'être transmisaux descendants. « mais les temps sont durs, et l'on voit de plus en

plus de familles vendre leurs patrimoines familiaux pour s'en sortir».Admettons que les pratiques évoluent, mais constatons égalementque les termes lova (-na) ou lovandraza (-na) recouvrent eux-mêmesdes pratiques fort différenciées selon les systèmes d'héritage en

vigueur dans les différentes sociétés malgaches, selon la définitionpropre à chaque société de la nature des « objets » lato sensu 26 entrantdans le système de dévolution successorale. Ainsi donc, par exemple,la conception du bien d'héritage et les modalités de transmission, de

gestion voire d'acquisition et de conservation varieraient égalementfortement selon que l'on soit éleveur, cultivateur ou pêcheur et donc,en fonction de la valeur qu'un individu, une famille ou un groupeaccordent à un élément ou à un autre de la biodiversité en rapportavec ses activités de production dominantes et de son environnementnaturel de vie. Paul Ottino a, par ailleurs, montré que les stratégiesd'acquisition ou de conservation d'un patrimoine familial avaientrecours généralement à des procédés matrimoniaux particuliers 27 que

l'auteur qualifie de «mariages patrimoniaux» et que ces pratiques

26. Pouvoir, privilège, bien matériel, histoire...

27. Il existe de nombreux exemples de stratégies matrimoniales opéréesà des fins de conservation du patrimoine. La procédure la plus connue estcelle appelée -lova tsymifindra (Me) : héritage qui ne se déplace pas»,définie comme suit par P. Ottino : « mariages patrimoniaux de cousins géné¬ralement au premier degré ou de petits-enfants de s à l'effet d'éviterla dispersion du patrimoine» (1998 :644).

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144 V Patrimonialiser la nature tropicale

variaient donc sensiblement d'une société à une autre selon les régimesmatrimoniaux en vigueur, mais également d'une classe ou d'un rang

à un autre au sein d'une même société.

Chercher une définition à un terme qui comme sa traduction fran¬

çaise est hautement polysémique, comporte le risque de s'égarer dans

la diversité des pratiques, des particularités pour ne fournir in finequ'un discours confus et totalement désincarné de réalité. Je ne

m'aventurerai donc pas dans cette démarche systématique, mais m'at¬

tacherai plutôt à préciser cette notion qui semble fondamentale dès

l'instant où l'on aborde la question du patrimoine et qui revient de

manière récurrente dans le discours de mes interlocuteurs : la notionde terre des ancêtres (tanindraza (-na)). Une notion qui, dénuée d'in¬terprétation folkloriste, se réfère au système de représentationmalgache où la nature et la surnature se confondent, à ce rapport«ombilical» qui lie l'individu et le groupe à une terre et qui parti¬

cipe en retour à la formation identitaire des groupes organiques. Ces

groupes, familles lato sensu mais également communautés villa¬geoises, se reconnaissent à travers l'usage partagé d'un patrimoinecommun (lova raïky), terres aménagées ou laissées en jachères, maisaussi à travers le droit compris comme légitime au contrôle et à lagestion d'espaces et d'espèces qui, laissés en l'état de nature, ne

semblent à première vue faire l'objet d'aucune appropriation.

Une certaine vision du monde naturel

«Pourquoi salis-tu l'eau, mon frère? Une eau sale apporte la mala¬

die. Cette eau pure que Dieu-Ndranahary a créée t'apporte la vie.

[.-]« Pourquoi détruis-tu la forêt, mon frère ? Cette forêt intacte etparfumée, source de toutes médecines, c'est Dieu-Ndranaharyqui l'a créée. Laisse la !

« Pourquoi tues-tu les animaux, mon frère ? Ce sont des êtres

vivants comme toi que Dieu Ndranahary a créés. Ils sont tes amis.Laisse les !

«Ne crache donc pas en l'air en étant couché ![...]» 28

Il existe une pensée largement partagée par l'ensemble des sociétés

malgaches selon laquelle le monde naturel auquel l'homme participe

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S. Goedefroit - Stratégies patrimoniales au paradis de la nature 145 '

est l'cuvre de dieu-Ndranahary et qu'à ce titre, un certain équilibreentre les différents éléments de la nature se doit d'être maintenu. Cettevision associe nature et surnature puisque tout espace laissé en état

de «nature», c'est-à-dire non aménagé, non attribué et qui n'a faitl'objet d'aucune occupation antérieure connue, est considéré commeinvesti par des entités tutélaires souvent identifiées comme des émana¬

tions de Ndranahary. La nature est un sanctuaire peuplé de puissancesinvisibles auxquelles on attribue des caractères, des pouvoirs et des

noms particuliers selon les régions29.

Ces croyances impliquant de fait qu'il n'existe aucun endroit « sans

âmes qui y vivent»30, l'individu désirant aménager une terre, se l'ap¬proprier, ou simplement «côtoyer» un espace, c'est-à-dire y effec¬

tuer une activité de chasse, de cueillette, de pâturage ou de pêche,

devra se conformer à un rituel de conciliation avec les entités tuté¬

laires du lieu afin d'acquérir leur assentiment et se prémunir de leurcourroux. La construction d'un territoire et l'extension de l'activitéde l'homme se réalisent donc par un empiétement continu sur ledomaine des génies de la nature. Un empiétement qui, accompli sans

procès et sans l'ultime précaution de laisser certains espaces en étatde « réserve », convergerait à la rupture des équilibres.

Au-delà des différences régionales31 et des variations existant au seind'une même société selon la nature de la demande (appropriationd'un espace ou exploitation ponctuelle d'une ressource) et de l'iden¬tité du Ndranahary tutélaire, les fonctions de ce type de rituel varientpeu. Elles consistent à nouer une alliance entre l'homme et les espritsdu lieu, à forger un pacte dont les termes sont négociés par la prière,la transe et à travers certains faits interprétés comme la manifesta¬

tion de l'invisible. Au terme de ces négociations, les forces tutélairesqui acceptent généralement la présence de l'homme, sont sensées

28. Traduction libre et partielle de la chanson de Mily Clément « mandroramantsilany» (1993).

29. Cf. Faublée (1 954), Goedefroit (1 998), Moizo (1 997), Ottino (1 998), etc.

30. Il y a à ce principe une exception portant sur les lieux amphibies :

tannes, terres inondées et marigots non permanents. Mais encore ces lieuxréputés sans âmes peuvent-ils être marqués par une installation antérieureet donc être perçus comme investis par un esprit ancien.

31 . Exemple : Betsileo : fanalan'tsignin-tany et Fangatahan-tany, Tanala :

mangataka-tany, Sakalava du Sud : mamakin'tany.

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1 46 V Patrimonialiser la nature tropicale

quitter les lieux. La délégation de droit sur le sol s'accompagne d'uncertain nombre d'obligations auxquelles l'individu et sa descendance

devront désormais se soumettre en leur nouvelle qualité de maîtresdes lieux, fondateurs d'un nouvel endroit. Ces obligations qui consis¬

tent à faire respecter les interdits proclamés par les esprits lors du

rituel et à sacrifier de manière régulière à leur culte ont à la fois pourfonction d'instaurer le pouvoir du «gardien du territoire» et de

permettre, au cours des générations à venir, à sa descendance de

restaurer ce pouvoir en assurant cette charge légitime.

Paul Ottino souligne à ce propos qu'en accomplissant ce rituel, les

individus « ouvrent les terres » et par là « les droits de leurs descen¬

dants à y accéder». L'auteur précise que, de ce fait, «en les ouvrantà leurs descendants, ils les interdisent (les Malgaches préfèrent parlerde fermeture et dire qu'ils les «ferment») aux étrangers membresd'autres groupements d'ancestralité» (1998 : 235). On conçoit à

travers ces propos que la communauté de droit (d'usage ou de

propriété) sur un lieu est un élément important qui parachève, quandil ne le fonde pas, le sentiment d'appartenance à un groupe donné et

qu'en retour, l'absence de lien organique avec un groupe territorialentraîne la fermeture de ces droits aux individus portant le statutd'étranger.

On ne peut cependant réduire le processus de légitimité de droits à

une terre ou à une ressource à un simple calcul de parenté. Ceci revien¬

drait à affirmer que tous les descendants ont les mêmes droits sur les

terres « ouvertes » par leur ancêtre, y compris ceux qui, nés ou rési¬

dant au loin, n'auraient jamais eu d'« intimité» avec le lieu. Cecireviendrait également à nier tout droit des populations sur des espaces

laissés par eux en état de nature et qui n'auraient fait l'objet d'aucunrituel antérieur d'appropriation, mais qu'ils fréquentent pourtantdepuis des générations et où ils officient. L'antériorité d'installationouvre ou renforce des droits sur le sol et sur les ressources. U me

paraît donc important de développer quelque peu ce principe rele¬

vant directement d'une idéologie forte et toujours vivace qu'est l'au-tochtonie pour comprendre comment sur cette base et sur ce principese dégage toute une hiérarchie de pouvoir sur les hommes et de droitssur la nature.

La terre sur laquelle les groupes se produisent et se reproduisent dans

la longueur du temps, au fil des générations se charge de leur histoire.

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S. Goedefroit - Stratégies patrimoniales au paradis de la nature 1 47 V

Une intimité se construit entre le groupe et la terre jusqu'à ne formerqu'un seul corps. En effet, de la naissance à la mort, les restes dontle groupe se déleste au cours de sa reproduction sont « inoculés » dans

« la chair du sol ». Du placenta de l'enfant déposé en un lieu humidepour que l'aridité du sol ne vienne tarir la fécondité de la mère, au

cordon ombilical et plus tard au prépuce, résidus de chair que l'onconfie à la terre et jusqu'à l'ultime instant où en achevant sa vied'homme l'individu devient ancêtre et que l'on enfouit ses ossements

dans le tréfonds de ce reliquaire, de ce corps-territoire, la terre s'hu¬

manise. Pincée de terre que l'on porte sur soi en voyage pour tenterde réduire l'éloignement. Terre que l'on invoque par la déclinaisondes ancêtres qui y reposent. Tanindraza (-na), terre ancestrale, estam¬

pillée par la présence des tombeaux familiaux et lieu d'ancrage dugroupe. Mais aussi, terre non appropriée mais néanmoins familière,pourfendue de sentiers tracés par des générations de pas. Sanctuairedes esprits de la nature qui accordent le passage aux «enfants de laterre», à ceux qui ont mêlé leur sang et leurs os dans les parages de

cet endroit, à ceux qui seuls savent les reconnaître et sont capablesde se faire connaître en accomplissant les gestes et les prières auto¬

risés. Nature laissée en état de réserve, mais sur laquelle les intimesse réservent des droits.

Cette conception particulière explique le fait qu'à Madagascar, onexiste dans l'endroit où l'on est né et l'on est étranger partout ailleurs.Mais encore, le statut résidentiel d'un groupe et par là l'ouverture deses droits à la terre sont-ils fonction de la force de son intimité avecles lieux. Cette force s'acquiert dans la durée et la permanence. Aussi,toute une hiérarchie d'antériorité se décline allant du premier installéau dernier venu. Et c'est sur cette base que se calculent les droitsd'usage et d'accès aux ressources de chacun. Le groupe premier,fondateur de l'endroit, parce qu'il peut se targuer d'une intimité longueet sans pareil avec le lieu, jouira ainsi d'un droit de «précédence»sur la nature avoisinante. Dans certaines régions de Madagascar, cette

hiérarchie d'antériorité préside à la formation des communautés villa¬geoises32. Mais de communautaires ces organisations villageoises

32. Goedefroit (1998) et Waast (1980) offrent des exemples sur la côteouest de communautés villageoises structurées de manière organique,par emboîtements matrimoniaux successifs des groupes corésidents, seloncette hiérarchie d'antériorité.

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148 V Patrimonialiser la nature tropicale

ne sont pas pour autant égalitaires et quand « les aînés » 33 se rassem¬

blent pour traiter de questions portant sur la gestion des ressources

et des espaces avoisinant le village, le premier, c'est-à-dire le repré¬

sentant du groupe fondateur, tranche par la parole et a toujours ledernier mot. Il est donc illusoire de croire qu'en adaptant au mieuxles mesures de conservation à ce que l'on pense être «le systèmetraditionnel » l'on puisse aboutir à un consensus démocratique. C'estlà une réflexion sur laquelle je reviendrai plus et qui nécessite, pourl'heure, que l'on s'attarde quelque peu sur les modalités «tradition¬nelles » de gestion locale des espaces et de la biodiversité. Une gestion

qui semble s'attacher à deux principes essentiels : le droit hérité pardévolution successorale et le droit naturel dévolu aux autochtones.Pour pallier la faiblesse de modèles par trop génériques, je me réfé¬

rerai à des exemples. Cette démarche semble d'autant plus indis¬pensable que ces modalités nous apparaissent actuellement sujettes

à des remaniements, induits bien souvent par des actions extérieureset qui entraînent parfois l'abandon d'anciens principes coutumiers.

Je n'adhère pas totalement au fait « qu'un peu partout à Madagascar,il n'existe pas à proprement parler de territoires de village » car « les

terroirs ne sont pas précisément délimités [...]» (Ottino, 1998 : 236).Cela signifierait-il que l'absence de marques ostensibles d'aména¬gement nie l'existence d'autres formes de bornage telles que la déli¬

mitation d'un terroir par les pratiques : parcours, pacage, pêche, maisaussi pratiques cérémonielles ? Je préférerais donc parler des diffé¬

rents édifices territoriaux comme autant d'instances constitutives d'unterritoire de village et des modalités de gestion dont chacun d'eux est

l'objet en fonction de leur usage et de ce sentiment, parfois très parti¬

culier, de propriété qu'ils suscitent. On peut affirmer qu'il existe sché-

matiquement trois grandes catégories locales de terre, mais encorefaut-il nuancer ces propos en précisant que ces catégories ne sont pas

aussi étanches qu'elles puissent paraître : une forêt où subsisteraientquelques vestiges de tombeaux anciens peut très bien être considé¬

rée comme terre ancestrale « tanin 'draza (na) », au même titre qu'uncimetière familial installé sur une terre spécifiquement aménagée.

33. Par « aînés » entendons aînés dans l'ordre lignager et non aîné en âge.Lidée trop souvent véhiculée selon laquelle seuls les « vieux » ont autoritéest en réalité totalement caduque. Un homme jeune peut en effet imposersa décision à l'ensemble d'une communauté, si tant est qu'il soit descen¬dant direct du fondateur des lieux.

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S. Goedefroit - Stratégies patrimoniales au paradis de la nature 1 49 V

La première catégorie est celle des terres familiales ou, à proprementparler, terres ancestrales (tannindraza (-na)): « ouvertes» ou créées

par un ancêtre et entrant par dévolution successorale dans le patri¬

moine (lovandraza (-na)) des familles. Ces terres, au même titre que

les tombeaux, ne faisant pas l'objet de propriété individuelle, maiscommune à toute la famille, ne sont généralement pas titrées et ne

peuvent, en principe, être vendues. Elles sont destinées à être léguéesà la génération à venir et sont donc l'objet d'une indivision. Dans lecas d'un faire valoir direct, un droit d'usage est reconnu à chacun des

membres (hommes et femmes) du lignage. Dans le cas d'un fairevaloir indirect, la décision de mise en métayage reviendra normale¬ment à l'aîné et les produits ristournés seront distribués aux ayantsdroits selon un savant calcul qui varie considérablement selon les

régions, mais dans lequel le facteur résidentiel est pris en compte.Ces terres fussent-elles laissées en jachère et inexploitées durant une

longue période, n'en sont pas pour autant abandonnées. Les descen¬

dants des propriétaires peuvent faire valoir leur droit sur preuve de

leur filiation. À de très rares exceptions près, ce sont principalementles lignages fondateurs, premiers occupants de l'endroit qui possè¬

dent en abondance ce type de terres au meilleur rendement. La supré¬

matie autochtone se double alors d'une supériorité économique quis'exprime par ce que d'aucuns ont appelé la mise en place d'une« rente autochtone ».

La seconde catégorie est celle des lieux banaux, édifices territoriauxfaisant l'objet d'un usage communautaire réservé à l'ensemble des

habitants du village. Il s'agit du village à proprement parler, maiségalement des endroits de décharge, des chenaux, des puits, des débar¬

cadères, des routes, des lieux de vie de la communauté. La propriétécommune de ces lieux se base avant tout sur un principe de corési-dence, sans exclure toutefois les principes d'héritage. Je veux direpar là que ces lieux appartiennent à l'ensemble des résidents, maisque leurs droits de propriété comme l'acquisition du statut résiden¬

tiel dépendent également de principes de filiation. La hiérarchie d'an¬tériorité est dans cette catégorie de bien précis d'autant plus présenteque le groupe premier, fondateur de l'endroit, est également le gardiendes interdits de ces lieux et qu'en matière de nouvelle installation, ilfait généralement autorité. Comme les terres ancestrales, un village,fut-il abandonné par ses habitants depuis de nombreuses années, resteattaché à l'histoire des familles qui y ont habité et qui en sont proprié-

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1 50 V Patrimonialiser la nature tropicale

taires. Ainsi il n'est pas rare qu'un individu ayant acquis une terre

apparemment «vierge» d'occupation et où ne subsiste aucune trace

d'aménagement se retrouve aux prises avec les habitants de villagesalentours qui affirment qu'il s'agit bien là du lieu d'un ancien villageoù vivaient jadis leurs aïeux. Tout se passe en effet comme si le faitqu'un lieu porte un nom connu de tous valait à jamais acte de propriété.Ce système qui sécurise le territoire villageois en ces lieux commu¬nautaires et qui garantit en principe son indivision, ne permet pas en

revanche aux habitants de conforter leur droit en accédant au système

de titrage puisque de fait, tout le monde étant propriétaire, personnene l'est nommément. Le risque existe bel et bien pour un village d'êtreenglobé dans le découpage cadastral d'une terre d'État (tanin fanja-kana) et ainsi d'être cédé, avec les titres officiels, à un opérateuréconomique qui, d'acquéreur, en devient propriétaire. Cette situations'est produite fréquemment à l'époque coloniale lors de la créationdes concessions et se reproduit actuellement. Dans l'ensemble dupays, les exemples sont nombreux. Les terrains titrés par l'État etvendus à des acteurs économiques à des fins d'aménagement aqua-

cole (Menabe, région d'Ambilobe...), d'extraction (région de

Mahajanga,. . .) ou encore d'exploitation touristique (région de Tulearet de Nosy be,...) englobent bien souvent des villages. Est-ce pourse prémunir de cet incident, est-ce sous la pression de nouvelles dyna¬

miques ou est-ce encore par simple opportunisme que certains villagesont rompu avec leurs usages? En 1996, par exemple, le villaged'Ankazomborona (baie d'Ambaro) connu comme étant le lieu leplus productif en matière de pêche crevettière traditionnelle de toutMadagascar, a procédé au découpage cadastral du village, à la suite

d'un incendie qui ravagea les lieux. Chaque habitant a accédé au titrede propriété de la parcelle sur laquelle se trouvait son enclos fami¬

lial. La situation de ce village peut sembler particulière, mais n'enest pas pour autant exceptionnelle. Dans la région de Tuléar, dans

l'extrême sud de Madagascar, le village d'Ifaty a cédé aux demandes

des opérateurs touristiques et s'est engagé dans un pareil morcellement.

La troisième catégorie recouvre les terres et ressources en état de

nature : Les grandes forêts, et même la mer, sont des espaces perçus

comme le domaine des génies de la nature, mais font néanmoins l'ob¬jet d'une certaine forme d'appropriation de la part des populationsvivant dans leurs parages. Qu'ils abritent des tombeaux, des arbres

ou des marigots sacrés, ces lieux sont des endroits ouverts, par la

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S. Goedefroit - Stratégies patrimoniales au paradis de la nature 151

prière, aux usages réguliers et mesurés qu'en font les individus auto¬

risés à s'y aventurer. Ce sont des espaces de réserve sur lesquels les

populations autochtones se réservent justement le droit de leur usage

et celui de leur destinée. Ils constituent un des organes du territoirevillageois au même titre que les champs ou le village et procèdent

d'une démarche volontaire de sanctuarisation qui garantit ainsi aux

habitants de disposer d'une réserve permanente de ressources. Quand

la nature domestique fait attendre ses bienfaits, en période de soudure

ou en cas de sécheresse inopinée, les habitants savent qu'ils peuventtoujours se tourner vers la mer ou chercher quelques compensations

dans la chasse, la cueillette ou la culture temporaire sur brûlis fores¬

tier. Ils sont également assurés que les bnufs y trouvant abri et nour¬

riture en abondance ne viendront pas détruire les cultures. Point n'estbesoin de titrage aux autochtones pour affirmer leurs droits et leurcontrôle sur ces lieux. Ces droits sont acquis par héritage et par anté¬

riorité de résidence. Ainsi, l'étranger devra-t-il obtenir l'accord des

habitants avant d'accéder et d'exploiter les ressources de ces lieux.Les modalités d'accès varient sensiblement selon les régions etconnaissent depuis quelque temps une altération de leurs principescoutumiers. En dépit d'une certaine prise de conscience qui semble

émerger actuellement dans les nouvelles générations, on considère

encore largement à Madagascar que les ressources naturelles, uvresde dieu Ndranahary, sont inépuisables (Fauroux, 1997) et que parconséquence, il est possible d'accéder aux demandes des étrangers

si tant est que l'on puisse en retirer des avantages en retour et que

l'on soit assuré de pouvoir maintenir un droit de contrôle. C'est ainsiqu'en certaines régions, les autochtones ont concédé avec largesse le

droit aux migrants de pratiquer la culture sur brûlis forestier (Fauroux,

1997 ; Moizo, 1997 ; Goedefroit, 1998). Cette culture ayant la spéci¬

ficité d'être temporaire, les autochtones évitent ainsi le risque que

l'usage entraîne la propriété tout en bénéficiant d'une contrepartiesur la production, rétrocédée en nature. C'est ainsi qu'en d'autresrégions, les autochtones ont, en usant de procédés matrimoniaux bien

connus (Waast, 1980; Goedefroit, 1998), permis aux étrangers de

s'installer dans leur village et ouvert leurs droits d'accès à la ressource,

halieutique par exemple. La présence d'étrangers redevables de leurdroits d'usage et de résidence venait ainsi conforter la mise en place

d'un système de rente autochtone.

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1 52 V Patrimonialiser la nature tropicale

C'était le temps des commencements et l'on mesure actuellement les

conséquences de l'accélération de ces processus sur l'environnement.En effet, dans de nombreuses régions, les autochtones ont rapidementété dépassés par l'arrivée massive de migrants qui, en nombre, se

sont passés des autorisations et des procédés coutumiers de déléga¬

tion de droits d'usage et de résidence. La perte de contrôle du pouvoirautochtone sur la ressource entraîne bien souvent des conflits impor¬tants et des renversements d'équilibre de pouvoir (Goedefroit, 2002)et concourt également à une «banalisation» réelle de l'exploitationqui, non maîtrisée, non régulée aboutit à une tragédie des commu¬naux. Ces réflexions viennent accréditer la thèse selon laquelle ladestruction de la forêt et des ressources en général ne seraient pas

directement imputables aux pratiques traditionnelles jugées peu

conservatoires et à l'utilisation d'engin peu sélectifs. L'équilibre se

trouve dans le rapport entre le potentiel de ressource d'un territoireet la population qui y vit et qui en vit et à la capacité que possède lenoyau autochtone à en réguler l'accès, à faire en sorte que ces

ressources apparaissent toujours, aux yeux des habitants, inépuisables.

Les causes de cette tragédie seraient d'avantage à rechercher dans larupture de cet équilibre qui laisse béant l'accès à la ressource etentraîne une pression anthropique dommageable pour l'environne¬ment. La ruée des migrants vers les lieux de cultures itinérantes et

vers les nouvelles ressources est un phénomène qui devrait être d'avan¬

tage pris en compte dans l'analyse des causes de destruction de labiodiversité. Dès lors le problème ne se poserait plus en terme de

gestion locale de la biodiversité, mais en terme de mobilité trans¬

régionale des acteurs. Dès lors les questions se poseraient en aval et

non plus en amont : pourquoi les migrants migrent-ils et non pluspourquoi les populations locales ont-elles une action si dommageablesur la nature qui les environne ? Des éléments de réponses transpa¬

raissent dans la littérature (Ottino, 1998 ; Moizo, 1997 ; Taillade,1997) : à l'aube de la période coloniale, exode causé en certainesrégions par le démantèlement des grande formations lignagères et

des grands troupeaux ; exode causé par la faillite du système agri¬

cole, dans d'autres régions, depuis l'indépendance; et exode urbainenfin amorcé par la misère des villes dans les périodes les plus duresde l'ajustement structurel.

Emmanuel Fauroux esquisse, en contrepoint de ces hypothèses, une

« typologie des attitudes à l'égard de l'environnement dans l'Ouest»

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S. Goedefroit - Stratégies patrimoniales au paradis de la nature 1 53 V

(1997 : 21-22). Ses constatations sont éloquentes : «Il semble bienexister, dans l'Ouest, une sorte d'échelle d'attitudes allant des groupesles plus respectueux de l'environnement et de la végétation à ceuxqui manifestent habituellement le moins de respect» et de poursuivreen montrant, faut-il s'en étonner, que le respect est fonction de l'an¬tériorité des groupes (et j'ajouterai de l'intimité à la terre) et que dudegré le plus haut reconnu aux autochtones, il se dégrade ensuitejusqu'au mépris des règles de la nature chez les migrants derniersvenus, issus de milieux urbains.

De reconnaître les principes conservatoires de gestion autochtone de

la biodiversité à affirmer que cette gestion est patrimoniale, il n'y a

qu'un pas que, pour ma part, je ne franchirai pas. Car cela signifie¬rait qu'il existe une «conscience patrimoniale» et que cette gestionsoit guidée par une volonté de transmette aux générations futures uncapital naturel sinon intact voire majoré. Selon moi, cette consciencen'existe pas, tout au moins dans le cas particulier de la biodiversité,pour une raison essentielle qui réside dans le sentiment encore forte¬ment partagé que les ressources sont inépuisables. En revanche, cette

conscience se réveille lorsqu'il s'agit de saisir des opportunités. Lesdiscours et les procédures qui accompagnent les revendications des

populations sur les terres et les ressources passent par des référentsqu'il est permis de qualifier de patrimoniaux. Je propose de traiter de

cette nouvelle question en interrogeant les réactions des groupeslocaux à l'installation sur leur territoire de projets de conservation,d'exploitation ou de valorisation de la biodiversité.

Des revendications patrimonialesIl est rare qu'un projet de conservation de la biodiversité ou d'ex¬ploitation des ressources ne fasse, sinon dans un premier temps toutau moins par la suite, l'objet de revendications sous quelques formesque ce soit, de la part des habitants des villages alentours. Pour beau¬

coup d'opérateurs, ces réactions sont d'autant plus «inexplicables»qu'ils ont bien souvent le sentiment d'avoir observé les coutumes (en

sacrifiant un buf, par exemple), d'avoir ouvert le dialogue avec les

populations (en effectuant un «dina»34 ou «un contact social», par

34. Cf. contribution de S. Aubert, dans cet ouvrage.

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1 54 V Patrimonialiser la nature tropicale

exemple) et bien souvent de les avoir intégrées d'une manière ou

d'une autre, au projet (emplois salariés, transfert de tâches...). Ces

revendications leur paraissent d'autant plus injustifiées que les plai¬

gnants ne possèdent aucun titre de propriété et que de surcroît les

lieux en question ne portent aucune trace d'aménagement, aucunsigne d'occupation. Aussi sont-elles souvent interprétées comme une

réaction opportuniste motivée par le simple profit. Si le profit n'estcertes jamais totalement absent, il n'en constitue pas pour autantl'unique motivation de ces habitants et n'est par ailleurs jamais conçu

comme tel.

Dans la logique autochtone, le fait de confier une terre à des étran¬

gers est assimilé à un contrat de métayage et donc implique en retourune compensation matérielle non pas unique et définitive, mais quiprend la forme d'un intéressement aux bénéfices, «si l'étranger tireprofit de mes terres, c'est bien parce que je lui en ai accordé l'usageet que Zanahary me bénît». Ces quelques mots sont le résumé de

propos recueillis au cours d'enquêtes. Ils montrent que l'attente se

justifie eu égard au fait que les pouvoirs de l'autochtone restent actifs,en dépit de toutes formes de contractualisation initiale, et qu'ils onten quelque sorte une action sur la production de la ressource. Il est

dans la logique des choses que les individus originaires de l'endroitbénéficient en retour d'une partie des bienfaits auxquels ils ont contri¬

bués en maintenant, par la force de leurs prières, un équilibre entre

l'homme et le lieu.

Cet état de fait entraîne des situations ubuesques que rencontrent les

restaurateurs et les hôteliers ayant établi leur installation sur un terraindont ils possèdent les titres de propriété ou une jouissance acquise sur

bail emphytéotique (généralement de 99 ans). Les autochtones du lieu,fatigués d'attendre la contrepartie qui leur revient de droit et inter¬

prétant l'attitude des étrangers comme un acte volontaire de refus face

à une demande qui, légitime, n'a pas besoin d'être exprimée, réin¬

vestissent les lieux : cueillent les fruits des jardins ou viennent se soula¬

ger sur la plage, sous le regard de tous et des clients en particulier. Àcette situation qu'ils connaissent bien sans pour autant la comprendre,

les acteurs hôteliers réagissent de diverses manières, allant de la plainteauprès de la police, aux menaces et jusqu'au contrôle excessif des

fruits de leur verger : la numérotation des noix de coco sur l'arbre à

la peinture blanche faisant partie de leurs procédés.

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S. Goedefroit - Stratégies patrimoniales au paradis de la nature 1 55 '

L'analyse des formes et de la teneur des revendications locales faceà l'installation de projets portant sur la conservation ou la valorisa¬tion de la biodiversité implique une vision introspective d'un éven¬

tail de situations concrètes retenues pour leur exemplarité et de projetschoisis à dessein pour les difficultés particulières qu'ils rencontrent.Mon intention n'est donc pas, en révélant un certain nombre d'échecsdans des projets, de réaliser un bêtisier ou de prétendre donner des

leçons, mais simplement de procéder à un examen des différentesattitudes qui, replacées dans leur contexte particulier, recouvrent ainsileur signification. Par souci de synthèse auquel m'incite le cadre précisde cette contribution, je dégagerai trois types habituels de revendi¬cation locale vis-à-vis de tels projets. J'insisterai également sur le faitque ces trois formes de revendication35 peuvent se cumuler commeelles peuvent apparaître de manière successive à mesure que montela tension.

1 . La référence au passé : légitimation dans le discours et efficacitédans les pratiques

Le roi actuel de l' Ankarana est connu pour avoir interféré dans la réali¬

sation de divers projets portant sur la conservation ou la valorisationde la biodiversité, et notamment sur l'exploitation de la ressourcecrevettière. «Cette ressource appartient aux enfants des Antankarana(entendons aux autochtones, S.G.) et non aux étrangers (vahiny), auxmigrants qui viennent ici pour l'exploiter. Je suis le roi de l' Ankaranaet j'ai le devoir de protéger le «patrimoine culturel» (sic) de monpeuple.» Il est sans doute utile de rappeler que le «patrimoine cultu¬

rel» en question est une ressource qui ne fait l'objet d'exploitation parles autochtones que depuis une vingtaine d'années environ, depuisque l'organisation de la collecte (par les étrangers) a ouvert des débou¬

chés. La revendication de propriété ne se justifie donc pas par des

pratiques ou des usages anciens ou traditionnels, mais par le droit natu¬

rel que possèdent, par l'enchaînement des générations et par l'anté¬riorité d'installation, les gens du cru, les «enfants du pays». Le roi,

35. Des recherches portant sur les réactions des populations locales faceà l'installation de projets de conservation et de valorisation de la biodiver¬sité sont actuellement en cours dans le Menabe. Elles sont inscrites dansle cadre des actions de l'UR 026 de l'IRD à Madagascar et menées pardeux étudiants en thèse : C. Dufour (anthropologue, université de Lille 1)et N. Montibert (géographe, MNHN).

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1 56 V Patrimonialiser la nature tropicale

descendant de toute une lignée de rois défunts, mais néanmoins élupar son peuple, possède le pouvoir de revendiquer la souveraineté du

contrôle sur toutes les ressources du territoire et a le devoir d'agir dans

l'intérêt de son peuple, car à défaut il risquerait d'être critiqué, voiredestitué. Selon ses dires, il agit en fait « dans l 'intérêt des étrangers »

car les esprits qui peuplent la nature sauvage et mêmes les ancêtres

sont hostiles aux inconnus. Ils ne connaissent pas les usages et ne

respectent pas les interdits, aussi courent-ils un grand danger. En sa

qualité de roi, garant des coutumes, il serait tenu responsable des

malheurs qui pourraient leur arriver et par voie de conséquence, subi¬

rait le courroux de ses propres ancêtres. La proclamation continue de

nouveaux interdits par les possédés habités par les esprits des roisdéfunts accréditent en quelque sorte le discours du souverain et sont

très clairement destinés aux étrangers. Frédéric Dupré (1998) en four¬

nit quelques croustillants exemples. Mais aussi, les revendications du

souverain et le processus d'instauration de nouveaux interdits tradi¬

tionnels se sont-ils raffermis d'avantage encore depuis que, dans lecadre de la mise en place des provinces autonomes, le statut des

ressources stratégiques fait l'objet de débats sur la scène nationale et

depuis que des sociétés industrielles projettent d'aménager des bassins

aquacoles sur les tannes jouxtant le massif de l' Ankarana.

Un bras de fer s'est engagé entre le souverain et les plus hautes sphères

de l'État. La crevette est-elle proclamée «patrimoine national», lesouverain la déclare «patrimoine culturel de l' Ankarana» et reven¬

dique sa souveraineté sur la ressource d'une légitimité supérieure carelle lui vient de ses ancêtres. A ceux qui seraient tentés de penser qu'ilsuffit d'y mettre le prix pour que le souverain trouve intérêt au projet,il impose une fin de non recevoir, car dans cette situation, commenous le montrent des cas similaires dans le passé (Baré, 1987), lesouverain risque d'être accusé d'avoir vendu son territoire aux étran¬

gers. Que devient un roi sans son royaume ?

Le ressort traditionnel semble alors l'arme la plus appropriée et la plusfréquemment utilisée pour tenter de débouter les projets qui s'impo¬sent envers et contre la volonté des autorités locales. Ainsi n'est-il pas

rare, dans ce genre de situation, de voir au milieu des terres du projet,des anciens lieux de culte tombés en désuétude, redevenir sacrés et

les esprits qui ne s'étaient plus manifestés de longue date ressurgir et

s'exprimer à travers la transe. La capacité qu'ont les sociétés malgaches

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S. Goedefroit - Stratégies patrimoniales au paradis de la nature 1 57 V

de se faire entendre par la voix de leurs ancêtres dès l'instant où leursrevendications ne sont pas écoutées, est remarquable. D'aucuns consi¬

dèrent ce système comme un «frein au développement» qui procèded'un respect immodéré que voueraient les Malgaches à leurs ancêtres.

D'autres s'y réfèrent pour dédouaner l'échec d'un projet dont ils sonten charge et ainsi en imputer la cause aux «freins culturels» et aux«mentalités». Qu'il serve à l'un ou l'autre des protagonistes, recon¬

naissons à ce système sa grande efficacité.

Les exemples concrets sont innombrables et ne touchent pas exclu¬

sivement les projets d'exploitation industrielle des ressources natu¬

relles, mais toutes formes d'actions compromettant les droits d'usageet d'accès. Généralement, l'esprit des lieux réactivés fait entendre sa

voix et manifeste son refus de la présence des étrangers en l'endroit.Il promulgue alors de nouveaux interdits dont l'intentionnalité est

claire et qui leur sont directement destinés. Des interdits qui devrontêtre respectés par tous, faute de quoi la rupture entre les hommes etles lieux sera consommée. Ainsi, en Menabe, deux salines se sontvues imposer quelques temps après leur installation, un interdit biendifficile à honorer : l'interdit du sel ! la production n'ayant pas été

arrêtée pour autant, les villageois ont démissionné de leur emploi,laissant l'entreprise sans main-d'uuvre. La production ayant reprisgrâce à de la main-d'suvre étrangère, les autochtones ont supputéque la trop forte présence d'étrangers sur le territoire avait fait fuirles esprits des lieux, ce que venaient confirmer quelques événementsinexplicables autrement : les fausses couches à répétition, la pluiequi tardait à arriver et la mort subite de personnes dans la force de

l'âge. La rumeur aidant, les dirigeants ont dû faire face à des phéno¬

mènes de conversion dans l'ensemble de leur personnel migrant quise sont sentis brutalement investis par une force non maîtrisable oudont les nuits ont été hantées par des génies du sol. La résistances'organise par la proclamation d'interdits qui pour être traditionnelsn'en intègrent pas moins les éléments les plus pointus de la techno¬

logie moderne : interdit traditionnel de survol en hélicoptère de certainslieux «ancestraux», interdit traditionnel encore de filets spécifique¬

ment employés en aquaculture.

2. Contournement de la règle ?

Eu égard à ce qu'il a été dit précédemment sur les droits que se réser¬

vent les autochtones sur les lieux laissés en état de nature et la manière

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158 V Patrimonialiser la nature tropicale

dont ces droits sont justement calculés, non pas sur un principe uniquede résidence, mais sur une échelle d'antériorité, on est en droit de

s'interroger sur les réactions des populations face à la mise sous clochede ces lieux familiers, à l'approche didactique et consensuelle promuegénéralement dans ce genre de projet. Pour développer cette ques¬

tion, je m'aiderai d'exemples concrets empruntés à une région que

je connais particulièrement bien pour y avoir travaillé durant plusieursannées. La région qui, au ceur du Menabe, s'étend entre Morondavaet Belo-sur-Tsiribihina est actuellement investie par un tel nombrede projets que les territoires villageois sont considérablement réduitset semblent coincés entre ces nouvelles implantations36 dont les prin¬

cipales sont :

Le projet Baobab du CIPB

« Bâtir un Avenir avecdes Outils Biologiquessur l'Agriculture de Base. »

Centre écotouristiquede «tsaravahiny» duvillage de Mangily promupar l'association « privée »

« Belgique-Madagascar».

La forêt classéed'Ampataka,3000 hectares relevantdu contôle du ministèredes Eaux et Forêts.

La réserve spécialed'andranomena,6400 hectares, projetde l'Association nationaledes aires protégéesavec le soutien des Corpsde la paix.

La forêt de Kirindry, dite « forêt des Suisses », un projet dela coopération suisse (centre de formation professionnelleforestière)« Parcours botanique et sylvicole, musée d'art sakalava,observation des animaux sauvages, bungalows.Restaurants et des guides pisteurs en forêt pour faciliter etagrémenter votre séjour. Droit d'entrée exigé. »

La saline d'Ampataka,Grands salins du Menabe.

Ferme d'aquaculture industrielle Aquamen.

36. La réserve spéciale d'Andranomena a été créée en 1958 et gérée parle ministère des Eaux et Forêts. Cette Forêt a acquis le titre de réservenationale en1997 et est depuis cette date sous le contrôle de l'ANGAP.

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S. Goedefroit - Stratégies patrimoniales au paradis de la nature 1 59 '

Quelques entretiens avec des responsables de projets et un retour dans

les villages concernés permettent d'émettre l'hypothèse que sous des

apparences de parfait fonctionnement et de totale collaboration des

«communautés de base» au projet de réserve, le contournement dela règle ferait loi. Cette observation semble déborder ce cas particu¬

lier et rejoint certaines constatations ou inquiétudes émises par les

responsables de semblables projets dans d'autres régions deMadagascar.

« Quand nous avons démarré le projet, la forêt était dégradée sur deuxde ses façades. Cette dégradation provenait de l'exploitation des popu¬

lations locales : pâturage des b6ufs, coupe de bois (pour la fabrica¬tion de maisons, charrettes, pirogues et charbon), « braconnage »,cueillette. . . Il était donc urgent que ces activités cessent. Faute d'ef¬fectif nécessaire pour opérer un contrôle efficace et faute de pouvoirclôturer un si grand espace, nous avons mené « une campagne de

sensibilisation» auprès des habitants pour leur apprendre «la saine

gestion de la biodiversité» et nous avons signé un «contrat social oudina» avec le fokon'olonades «communautés de base». Le principeétant le suivant : le «fokon'olona» choisit un responsable qui devracontrôler que le contrat social soit bien observé. S'il y a «fraude»(c'est-à-dire braconnage, pâturage ou coupe de bois), il prévient alorsle services des Eaux et Forêts qui avertit à son tour la police, l'af¬faire, selon les cas pouvant se poursuivre jusque devant le tribunal.L'opération fonctionne bien puisqu'à son démarrage plus d'une tren¬

taine de «délits de défrichement» ont été verbalisées et que pourl'heure, il n'y en a plus » (synthèse d'entretiens : Menabe, avril 2002).

Les habitants sont-ils prêts à renoncer à ce qui leur paraît comme un

droit naturel d'user d'un espace familier et est-il possible, comptetenu du type d'élevage qu'ils pratiquent, de modifier le parcours de

leurs beufs, de leur interdire l'accès à la forêt et cela sans dangerpour leurs cultures ? En ce qui concerne la coupe de bois à usage

domestique, des permis d'exploitation sont délivrés par le service des

Eaux et Forêts, en dehors des réserves. Mais les villageois peuvent-ils concevoir que leur droits se commuent en obligation de demanded'autorisation auprès de services administratifs distants, à tous les

sens du terme, de leur propre mode de fonctionnement et de percep¬

tion? On conçoit, en revanche, fort bien, que le système de «contratsocial » a des failles et que les villageois s'y engouffrent afin de rendre

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160 V Patrimonialiser la nature tropicale

ces lois étrangères plus conformes à leurs droits. Aussi ne faut-il pas

s'étonner du rejet par les communautés villageoises des médiateursou responsables qui ne sont pas originaires de l'endroit. Assimilés à

des migrants, ils ne possèdent aucune autorité légitime sur les lieux,sur la nature et encore moins sur les hommes. Aussi ne faut-il pas

s'étonner encore que quand, fort de ce constat, la liberté est laissée

aux instances représentatives de la communauté villageoise d'élireson propre représentant, le choix porte, dans la logique des hiérar¬

chies autochtones établies par l'antériorité de résidence et la filiation,sur un membre du lignage fondateur ou sur toutes autres personnes

ayant une autorité légitime sur le sol et une intimité particulière avec

la surnature : les possédés. Les nouveaux outils de gestion concertéede la biodiversité renforcent alors le pouvoir traditionnel et échap¬

pent, par conséquence, à leurs promoteurs. L'individu sacré «respon¬

sable » inscrira ses actions dans un ordre établi de « précédence ».

Jouant de son pouvoir d'autochtone et de son nouveau statut, il conser¬

vera intacts les droits d'usage et d'accès à la forêt, de son lignage;accordera des passe-droits à ses alliés, mais dénoncera en revancheles actions des individus n'ayant, selon les lois traditionnelles, pas

droit de cité en ces lieux. On peut penser que le système de délationmis en place par les promoteurs de projets ait permis aux commu¬

nautés villageoises de liquider un certain nombre de situations, en

expulsant des individus qui d'indésirables ne contrevenaient peut-être pas plus, sinon moins que les autres, aux nouvelles lois. Ceciexpliquerait le nombre de cas dénoncés lors de la mise en place du

projet et l'absence depuis de toute nouvelle dénonciation. L'examenattentif des 30 «délits de défrichement» accompagné de précisionssur le statut résidentiel de chaque inculpé nous apprendrait sans doute

que ce sont ceux qui ne partagent aucune intimité avec la nature quisont accusés une fois de plus de lui faire violence : les migrants.

On est en droit de s'interroger et même de s'inquiéter sur les consé¬

quences qu'entraînerait le renforcement du contrôle extérieur aux

communautés des parcs nationaux et des réserves naturelles, dans

l'optique de leur mise sous cloche. La destruction d'arbres sacrés

(Moizo, 1997 : 59) en forêt ou, cela revient au même, l'interdictionpour les populations d'y accéder, de sacrifier à leur culte contribuentà faire naître le sentiment que les esprits ont quitté les lieux, que la

forêt «désacralisée» est devenue une «terre étrangère». Dès l'ins¬tant où la forêt se vide de ses forces primordiales, les populations se

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S. Goedefroit - Stratégies patrimoniales au paradis de la nature 161

désinvestissent de leurs devoirs envers ces lieux et ont tendance à

considérer que de profane, elle est devenue publique c'est à dire queson accès est libre à tous. Alors et alors seulement, le chasseur devientbraconnier et le collecteur, contrebandier, sans souci de rompre avecles usages, mêmes les plus élémentaires.

3. Comportement adaptatifet stratégies innovantes

Depuis le milieu des années quatre-vingt, le soutien des bailleurs de

fonds aux ONG et formations associatives a engendré un phénomènede prolifération remarquable de ce type de structures dont les statutset les objectifs évoluent et s'adaptent en fonction des recommanda¬tions des bailleurs (Goedefroit et al, 2002a). La politique de décen¬

tralisation de l'aide au développement aidant et le discours ambiantsur la mise en place des provinces autonomes mobilisant les acteurs,

on constate depuis peu que le phénomène gagne les régions et mêmeles campagnes les plus reculées. Chaque village aura bientôt son asso¬

ciation. Tout me porte à croire que l'adoption de ces nouveaux outilsdu développement est perçue par les populations locales comme lemoyen le mieux adapté pour répondre aux nouvelles contraintes etfaire valoir leurs droits. Les projets portant sur la biodiversité, qu'ilsaient une vocation de conservation ou d'exploitation, sont, plus quetout autre, ressentis comme une ingérence et une menace par lesgroupes autochtones. On remarque donc que dès l'instant où un projetde ce type s'installe, des associations se créent et que celles-ci ontpour particularité d'être constituées en majorité d'autochtones quandleur bureau ne rassemble pas purement et simplement les membresd'une seule et même famille. Pas n'importe quels autochtones et pas

n'importe quelle famille s'entend, mais ceux bien entendu qui concen¬

trent l'autorité traditionnelle : rois, descendants de rois, lignage royalou alliés, lignage autochtone, groupe premier.

Les exemples, une fois encore sont nombreux et montrent le carac¬

tère global du phénomène : l'association Approban (Association des

pêcheurs pour la protection de la baie de Narindra, 1999), par exemple,créée par les originaires du village d'Ampasibe qui, sous le couvertd'un discours écologiste, entendent faire reconnaître leur droit premierd'accès à la ressource face aux pressions exercées par les industriels.Telle encore, l'association Ankarabe (communauté traditionnelle des

Antankarana) dont le roi Tsimiaro III est président d'honneur et dontle bureau regroupe les membres les plus influents de la famille royale

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1 62 V Patrimonialiser la nature tropicale

Antankarana. Fondée en 1996, à Ambaoaranana (Ambilobe), hautlieu de la royauté Antankarana, avec l'approbation des ancêtres etdes possédés qu'ils incarnent, cette association a pour vocation décla¬

rée de «sauvegarder le patrimoine culturel de l' Ankarana». Toutsemble se passer comme si les groupes organiques détenteurs du

pouvoir traditionnel trouvaient par cet artifice le cadre légal et la struc¬

ture moderne pour faire entendre leurs droits anciens sur le sol et laressource. Sous les acronymes et les statuts qui se déclinent souventen français et derrière l'usage, et parfois l'abus du terme «patri¬moine», se cachent toujours les mêmes revendications que cellesénoncées jadis, dans un autre contexte, par les ancêtres des actuels

protagonistes. Ainsi, en Menabe, les associations s'enchaînent, chan¬

gent de forme et de nom, mais mobilisent toujours les mêmes famillesqui s'expriment au nom de leurs illustres ancêtres : de l'associationaujourd'hui dissoute «Menabe tsy mivaky» (le Menabe indissociable)qui emboîtait le pas aux revendications proférées par le roi PierreKamamy37 au début du XXe siècle auprès des autorités coloniales, à

l'association pour « la sauvegarde du patrimoine Menabe » égalementdissoute et jusqu'au CRD-Menabe, projet pilote de la Banquemondiale.

Discours, pratiques traditionnelles, contournement des lois, compor¬

tements adaptatifs, stratégies innovantes ou actes ultimes de rejetsqui poussent les autochtones dans certains endroits à évacuer par le

feu une implantation jugée par eux illicite38 : peu importe en défini¬

tive les formes qu'elles revêtent, ces revendications peuvent, à monsens, être qualifiées de patrimoniales eu égard aux procédés utilisés :

tout élément de la biodiversité peut à tout instant être identifié comme« patrimoine », c'est-à-dire bien « lova » dès l'instant où une personne

autorisée en revendique les droits, sur foi de ses ancêtres et de sa rési¬

dence. Le processus de patrimonialisation de la nature, semble donc

37. Cf. Lettre de Pierre Kamamy au gouverneur général de Madagascar,(document reproduit in Goedefroit, 1 998 : 425) Archives nationales d'Aix-en-Provence, archives provinciales PM0304. (1913)

38. Je pense tout particulièrement aux incendies à répétition qui se sontproduits, ces dernières années dans des villages qui connaissent une valo¬risation circonstancielle des ressources de leur territoire (Ankazomborona,Ambavan'ankarana, villages de pêcheurs de la baie d'Ambaro) mais égale¬ment à l'incendie des infrastructures hôtelières à Morondava. Le dernieren date, avril 2001, a failli détruire la ville entière.

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S. Goedefroit - Stratégies patrimoniales au paradis de la nature 1 63 V

fonctionner avant tout selon un principe d'ascendance, ce qui n'im¬plique pas pour autant, dans ce cas précis, qu'il y ait une volonté de

transmission à la descendance.

Conclusion

À Madagascar plus que partout ailleurs (Chevallier et al, 2000), cesont les étrangers qui, dans un premier temps, ont contribué à faireémerger Paltérité constitutive du regard patrimonial sur cette naturequi d'exceptionnelle et rare est perçue depuis comme « un paradis »

à conserver, « un héritage » de l'humanité. Mais aussi, ce concept a

rapidement été récupéré pour servir la cause d'un pouvoir centralaffaibli et menacé dans ses prérogatives tant à l'intérieur qu'à l'ex¬térieur de ses frontières. À travers un discours patrimonial où s'en¬

tremêlent des déclarations écologistes et humanitaires, l'État réclamela reconnaissance de sa souveraineté sur la gestion de la biodiversité.A l'abri de toute ingérence, il entend ainsi conserver le contrôle surla richesse des ressources naturelles qualifiées de stratégiques pourl'économie nationale.

Depuis que les débats sur la conservation et la valorisation de la natureont été ramenés sur la scène du patrimoine, l'État et ses partenairesétrangers (institutions internationales et opérateurs économiques) ontà répondre de leur légitimité vis-à-vis des populations locales qui, à

leur tour, empruntant ce nouveau concept, revendiquent leurs droitsà user de ce qu'ils désignent et perçoivent désormais comme leurpatrimoine.

L'absence de mot malgache traduisant parfaitement le terme fran¬

çais «patrimoine» explique son emprunt, son usage (et parfois sonabus) dans le discours en malgache des différents acteurs. Mais nefaudrait-il pas en conclure pour autant que l'absence de vocablespécifique signifie ipsofacto que ce concept est résolument « étran¬

ger» et qu'il n'existe pas, oserais-je dire à l'état «naturel» et sous

quelques formes particulières que ce soit, dans les pratiques, lesmodes de représentation ou d'organisation des sociétés dites « tradi¬tionnelles ». Comme l'expliquent M.-C. Cormier-Salem et B. Roussel,

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1 64 V Patrimonialiser la nature tropicale

de nombreux éléments entrent dans la définition générale du vocable«patrimoine naturel». Les logiques des systèmes sociaux (relationà la nature, au lieu, au passé, modes d'appropriation, règles d'utili¬sation, spécialisation...) doivent être prises en compte. Comme à

Madagascar « les bosquets et arbres sacrés africains sont ainsi reven¬

diqués comme un patrimoine, qui paraît indéfectiblement lié à une

cosmologie (par exemple, les végétaux considérés comme intermé¬diaires entre le divin et l'humain), à des pratiques rituelles (inter¬dits, initiation, thérapie, funérailles, etc.) et à des organisationssociales et politiques (contrôle du territoire, accès régulé auxressources, hiérarchies religieuse, etc.)» (2000 : 108-109). Maisencore ces logiques sociales ne sont-elles pas, tout au moins à

Madagascar, imperméables au contexte politique actuel.

En explorant, comme je l'ai fait, les multiples réactions des popu¬

lations locales face aux effets directement ressentis de la politiquede globalisation du patrimoine naturel, mon objectif n'était pas de

dresser un état de pratiques conservatoires et patrimoniales du passé,

mais plutôt de comprendre comment dans la logique de ces pratiqueset de perceptions particulières, les générations actuelles se sont attri¬

bué ce concept, l'ont en quelque sorte réinventé, recomposé pourservir leur cause. Comment, en d'autres termes, la référence au passé

qui semble actuellement fondatrice de toute revendication patrimo¬niale n'est pas le signe d'un respect que d'aucun qualifie « d'immo¬déré » des générations actuelles pour la tradition et les ancêtres, maisbien un procédé par lequel elles justifient de l'usage qu'elles enten¬

dent faire d'un héritage qui permet, dans le contexte actuel, une

nouvelle utilisation.

Les réactions des populations locales à Madagascar vis-à-vis des

projets de conservation de la biodiversité, nous montrent une foisencore que la sacralisation de la nature traduite « par certains commegestion patrimoniale et par d'autres comme une protection impar¬faite» (Cormier-Salem et al, 2000 : 106) n'est pas une pratique qui,de traditionnelle, n'est point innovante. La réflexion générale de

D. Chevallier (et al, 2000 : 54) sur le transfert de gestion d'un bienpatrimonial (de la communauté villageoise à un groupe plus large)

et sur le changement de statut que cela entraîne (de bien commun à

celui de bien collectif) entre en résonance avec la réalité malgache.On ne connaît que trop, dans ce pays, quel est le destin réservé aux

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S. Goedefroit - Stratégies patrimoniales au paradis de la nature 165 V

lieux, qui désertés par les génies de la nature, n'appartiennent plus à

personne. Cette réflexion devrait inspirer ceux qui militent actuelle¬

ment pour le transfert de la gestion des aires protégées aux popula¬tions locales et ceux qui préparent actuellement un code national de

gestion des aires protégées.

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