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Suède : (( La culture, c'est l'aérobic de l'esprit )) Birgitta Jungner Comment une très ancienne association dAms des musées peut-elle skdzpter aux besoins d tn musée ddns les années 30 ? En modzjiant son règlement et en attirant le public avec un slogan accrocheur. C'est ce qukdfdit I'association des Amis de deux musées suédois ; elle a été ainsi en mesure de recueillir les fonds dont on avait grandement besoinpour mener à bien de nouveazwcprojets, elle a augmenté le nombre de ses adhérents et a lancé une nouvelle idée, devenue un slogan grdce aux médin. Les musées Nordiska et Skansen, à Stock- holm, sont les (( enfants )) du grand vi- sionnaire et collectionneur suédois Artur Hazelius (1833-1901), qui prétendait lui-même n'être qu'un (( mendiant )). Le musée Nordiska, dont les collections de costumes, de meubles et d'objets tradi- tionnels, d'art populaire notamment, montrent l'évolution des us et coutumes depuis le me siècle, a été inauguré en 1873. Skansen, qui est le modèle de nombreux musées de plein air dans le monde entier, avec ses superbes fermes et bâtiments anciens, ses animaux apprivoi- sés ou sauvages - depuis les rennes et les ours du nord jusqu'aux bruyants canards et aux cigognes du sud -, avec ses are- liers, fonderies et fours à pain qui propo- sent au visiteur un large échantillonnage de produits allant du pain frais aux tex- tiles imprimés à la main et au verre souf- flé, a ouvert ses portes au public en 1981, sur une plus petite échelle qu'aujourd'hui naturellement. Artur Hazelius n'était pas seulement un grand collectionneur d'akt populaire ; il savait combien il est important d'avoir des appuis et de s'entourer d'un groupe de mécènes éminents. Aussi la Fédération pour la promotion du musée Nordiska, qui comptait parmi ses membres des re- présentants de la famille royale, de la cour et des industriels, vit-elle le jour dès 1880. L'actuelle association des Amis des mu- sées Nordiska et Skansen s'est constituée en 1918. En soixante-quinze ans ou presque, elle n'a eu que trois présidents, tous membres de la famille royale, y com- pris l'actuel, S. A. R. le prince Bertil. Quand la liste des dons provenant des Amis a été informatisée, on s'est aperçu qu'elle comptait plusieurs centaines d'ob- jets traditionnels précieux, dont la plu- part dataient de l'ère préindustrielle. Mais, à la fin des années 70, il y avait déjà trop de vases à boire en bois, trop de calandres, trop de coussins de voyage brodés, alors que les besoins du musée avaient totalement changé. Ce qu'il fal- lait maintenant en priorité, c'était éditer une nouvelle brochure, acheter un haut- parleur, trouver un appui financier pour assurer les relations publiques ou restau- rer les balustrades. Or, le règlement de l'association autorisait uniquement les Amis àparrainer des objets. La seule cho- se que l'association pouvait faire pour s'acquitter d'une mission nouvelle et éminemment nécessaire était de modifier le règlement. Ce qu'elle fit, et le règle- ment fut alors amendé comme suit : (( L'objectif de l'association des Amis est de soutenir et de promouvoir les activités du musée. )) Cette légère modification permit à l'association d'entrer dans une nouvelle phase d'activité passionnante et très satisfaisante. En 1985, le musée Nordiska devait organiser une grande exposition qui re- présentait le plus gros effort qu'il ait ja- mais réalis6 et qui devait, sous le titre (( Suède modèle )), montrer le développe- ment industriel de la Suède de 1870 à nos jours, c'est-à-dire le passage de la lenteur paysanne à l'ère technologique presse- bouton. Le budget était de 12,9 millions de couronnes sukdoises, mais 10 millions seulement étaient disponibles. Comme le font tous les musées, le Nordiska a de- mandé à l'association de compléter la somme, d'ajouter les 2,9 millions man- quants. La réaction a été très positive : les membres du conseil de l'association ont soumis une stratégie au président, dont on connaissait les excellentes relations avec les milieux industriels suédois. Le prince Bertil a écrit personnellement aux chefs des grandes entreprises du pays pour leur demander d'apporter leur sou- tien à cette exposition qui allait illustrer une période importante de l'histoire éco- nomique de la Suède. De sorte que l'ob- jectif visé a même été dépassé : cinquan- te entreprises ont offert plus de 3 millions de couronnes. Parallèlement, l'association a entrepris une grande (( Campagne d'adhésions 1985 )), àlaquelle le président et le conseil prirent, une fois encore, une part active. Deux concours, l'un pour les membres de l'association, l'autre pour le personnel des musées Nordiska et Skansen, ont été annoncés avec le slogan : (( La culture, c'est l'aérobic de l'esprit. )) L'objectif était de susciter de nouvelles adhésions, en of- frant à tous les nouveaux membres une remise à la librairie du musée et au ga- gnant - c'est-à-dire àla personne qui re- cruterait le plus grand nombre d'adhé- rents - un voyage pour deux au Dane- mark. O n imprima des affiches et des brochures que l'on envoya aux membres de l'association et du personnel des mu- sées, en les priant d'inviter amis et parents à adhérer. D'où l'arrivée massive de plu- sieurs centaines de nouveaux membres (beaucoup ne se sont pas réinscrits l'an- née suivante, mais cela, c'est une autre histoire !). De toute façon, la campagne initiale a déclenché un mouvement géné- ral d'expansion ; à la fin de 1991, le nombre des membres avait triplé. 218 Mzumm (Paris, UNESCO), no 176 (vol. XLIV, no 4, 1992)

Suède: «La culture, c'est l'aérobic de l'esprit»

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Suède : (( La culture, c'est l'aérobic de l'esprit ))

Birgitta Jungner

Comment une très ancienne association d A m s des musées peut-elle skdzpter aux besoins d t n musée ddns les années 30 ? En modzjiant son règlement et en attirant le public avec un slogan accrocheur. C'est ce qukdfdit I'association des Amis de deux musées suédois ; elle a été ainsi en mesure de recueillir les fonds dont on avait grandement besoin pour mener à bien de nouveazwcprojets, elle a augmenté le nombre de ses adhérents et a lancé une nouvelle idée, devenue un slogan grdce aux médin.

Les musées Nordiska et Skansen, à Stock- holm, sont les (( enfants )) du grand vi- sionnaire et collectionneur suédois Artur Hazelius (1833-1901), qui prétendait lui-même n'être qu'un (( mendiant )). Le musée Nordiska, dont les collections de costumes, de meubles et d'objets tradi- tionnels, d'art populaire notamment, montrent l'évolution des us et coutumes depuis le me siècle, a été inauguré en 1873. Skansen, qui est le modèle de nombreux musées de plein air dans le monde entier, avec ses superbes fermes et bâtiments anciens, ses animaux apprivoi- sés ou sauvages - depuis les rennes et les ours du nord jusqu'aux bruyants canards et aux cigognes du sud -, avec ses are- liers, fonderies et fours à pain qui propo- sent au visiteur un large échantillonnage de produits allant du pain frais aux tex- tiles imprimés à la main et au verre souf- flé, a ouvert ses portes au public en 198 1, sur une plus petite échelle qu'aujourd'hui naturellement.

Artur Hazelius n'était pas seulement un grand collectionneur d'akt populaire ; il savait combien il est important d'avoir des appuis et de s'entourer d'un groupe de mécènes éminents. Aussi la Fédération pour la promotion du musée Nordiska,

qui comptait parmi ses membres des re- présentants de la famille royale, de la cour et des industriels, vit-elle le jour dès 1880. L'actuelle association des Amis des mu- sées Nordiska et Skansen s'est constituée en 1918. En soixante-quinze ans ou presque, elle n'a eu que trois présidents, tous membres de la famille royale, y com- pris l'actuel, S. A. R. le prince Bertil.

Quand la liste des dons provenant des Amis a été informatisée, on s'est aperçu qu'elle comptait plusieurs centaines d'ob- jets traditionnels précieux, dont la plu- part dataient de l'ère préindustrielle. Mais, à la fin des années 70, il y avait déjà trop de vases à boire en bois, trop de calandres, trop de coussins de voyage brodés, alors que les besoins du musée avaient totalement changé. Ce qu'il fal- lait maintenant en priorité, c'était éditer une nouvelle brochure, acheter un haut- parleur, trouver un appui financier pour assurer les relations publiques ou restau- rer les balustrades. Or, le règlement de l'association autorisait uniquement les Amis àparrainer des objets. La seule cho- se que l'association pouvait faire pour s'acquitter d'une mission nouvelle et éminemment nécessaire était de modifier le règlement. Ce qu'elle fit, et le règle- ment fut alors amendé comme suit : (( L'objectif de l'association des Amis est de soutenir et de promouvoir les activités du musée. )) Cette légère modification permit à l'association d'entrer dans une nouvelle phase d'activité passionnante et très satisfaisante.

En 1985, le musée Nordiska devait organiser une grande exposition qui re- présentait le plus gros effort qu'il ait ja- mais réalis6 et qui devait, sous le titre (( Suède modèle )), montrer le développe- ment industriel de la Suède de 1870 à nos jours, c'est-à-dire le passage de la lenteur paysanne à l'ère technologique presse- bouton. Le budget était de 12,9 millions

de couronnes sukdoises, mais 10 millions seulement étaient disponibles. Comme le font tous les musées, le Nordiska a de- mandé à l'association de compléter la somme, d'ajouter les 2,9 millions man- quants. La réaction a été très positive : les membres du conseil de l'association ont soumis une stratégie au président, dont on connaissait les excellentes relations avec les milieux industriels suédois. Le prince Bertil a écrit personnellement aux chefs des grandes entreprises du pays pour leur demander d'apporter leur sou- tien à cette exposition qui allait illustrer une période importante de l'histoire éco- nomique de la Suède. De sorte que l'ob- jectif visé a même été dépassé : cinquan- te entreprises ont offert plus de 3 millions de couronnes.

Parallèlement, l'association a entrepris une grande (( Campagne d'adhésions 1985 )), àlaquelle le président et le conseil prirent, une fois encore, une part active. Deux concours, l'un pour les membres de l'association, l'autre pour le personnel des musées Nordiska et Skansen, ont été annoncés avec le slogan : (( La culture, c'est l'aérobic de l'esprit. )) L'objectif était de susciter de nouvelles adhésions, en of- frant à tous les nouveaux membres une remise à la librairie du musée et au ga- gnant - c'est-à-dire àla personne qui re- cruterait le plus grand nombre d'adhé- rents - un voyage pour deux au Dane- mark. O n imprima des affiches et des brochures que l'on envoya aux membres de l'association et du personnel des mu- sées, en les priant d'inviter amis et parents à adhérer. D'où l'arrivée massive de plu- sieurs centaines de nouveaux membres (beaucoup ne se sont pas réinscrits l'an- née suivante, mais cela, c'est une autre histoire !). De toute façon, la campagne initiale a déclenché un mouvement géné- ral d'expansion ; à la fin de 1991, le nombre des membres avait triplé.

218 Mzumm (Paris, UNESCO), no 176 (vol. XLIV, no 4, 1992)

Suède : (( La culture, c'est l'aérobic de l'esprit ))

Legrand bdtinzent conpi

par le cabinet d'architecture

Chon and Sörling pow

accueillir L'exposition

(( Suède modèle )) consacrée au

développenient industriel de

1870 à nos jours. Le passage de la

lenteur pnysanne à /êre

technologique presse-bouton.

Ce slogan accrocheur, (( La culture, c'est l'aérobic de l'esprit )), a défrayé la chronique. Certains ont froncé les sour- cils parmi les intellectuels des deux mu- sées, car ils avaient d'autres définitions de la culture, mais d'autres l'ont accepté avec joie et les médias l'ont repris à leur comp- te comme une expression phare. Un commentateur de télévision l'a utilisé à bon escient pour qualifier l'émission Apostrophe de la télévision française. I1 s'est même trouvé un membre de l'Aca- démie royale de Suède qui estimait que la télévision suédoise insistait trop sur les ac- tivités physiques, pour déclarer : (( Nous devrions avoir de l'aérobic pour l'esprit ! ))

Le musée Skansen, qui était resté pen- dant longtemps à l'écart du Nordiska Museet, a pu lui aussi, en 1985, retrouver la (( protection )) de l'association et re-

prendre sa place dans son intitulé. C'était logique, puisque les cartes de membres donnaient droit àl'accès gratuit aux deux institutions. A cette époque, on agrandis- sait la partie industrielle de ce (( musée vi- vant )), et les Amis ont donc pu apporter leur concours à un vaste projet - le transfert à Skansen d'un atelier de travail du bois de Småland, qui était jadis le principal centre de la petite industrie du bois. L'entreprise qui intéressait plus par- ticulièrement Skansen était Wirserums Snickerifabrii, spécialisée dans la fabrica- tion de chaises en bois. Le coût du dé- montage du bâtiment et de ses machines, de leur transport vers Skansen, où l'en- treprise devait être réinstallée afin de re- démarrer plus tard une production limi- tée, était énorme. Une partie du projet avait été financée, mais, comme toujours,

il y avait des trous dans le budget : l'asso- ciation des Amis des musées Nordiska et Skansen versa un million et demi de cou- ronnes en plusieurs années et finanGa la construction de l'escalier permettant d'accéder à cette zone industrielle, ainsi que l'aménagement du site.

En 1991, au cours des cérémonies commémorant le centenaire de Skansen, elle a décidt de faire une donation sup- plémentaire, un généreux cadeau d'anni- versaire pour clore le projet en beauté : un atelier de menuisier en état de marche, où l'on atlait fabriquer et vendre des chaises en bois. Les Amis ont ainsi la satisfaction d'avoir contribué à sauver une parcelle de l'histoire industrielle de la Suède, au lieu de disperser leur soutien en acquérant une multitude de petits ob- jets.

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