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Geom Dedicata (2010) 149:155–160 DOI 10.1007/s10711-010-9473-z ORIGINAL PAPER Sur la rigidité des groupes de triangles ( r , p, q ) Emmanuel Philippe Received: 27 February 2009 / Accepted: 2 February 2010 / Published online: 21 February 2010 © Springer Science+Business Media B.V. 2010 Abstract We show the length spectral rigidity for the family of fuchsian triangular groups. Keywords Geometry · Length spectra · Geodesics · Hyperbolic surface · Triangular groups Mathematics Subject Classification (2000) 20H10 · 32G15 · 53C22 Résumé Nous démontrons que deux groupes de triangles associés à des triangles hyper- boliques non isométriques ne peuvent pas avoir le même spectre des longueurs. Soit un sous groupe discret du groupe des isométries directes du demi-plan de Poincaré H. Nous étudions la surface hyperbolique à points coniques S = H\. Si γ est un élément hyperbolique du groupe des isométries du demi-plan de Poincaré (on renvoie à [1] pour les notions élémentaires) nous notons l (γ ) sa distance de translation, appelée aussi longueur. Rappelons que les géodésiques fermées de S sont en correspondance bijective avec les classes de conjugaison d’éléments hyperboliques de . On se propose d’étudier dans cet article le spectre des longueurs de , liste ordonnée (avec multiplicités) des l (γ ) quand γ parcourt les classes de conjugaison d’hyperboliques de . Quelle est l’information géométrique contenue dans le spectre des longueurs? On situera à 1966 et à l’article de M. Kac [8] l’origine de ce type de questions spectrales. Dans le cas où S est fermée (c’est à dire compacte sans points coniques), des résultats profonds ont déjà été démontrés. Nous savons par exemple que la donnée du spectre des longueurs est alors équivalente à celle du spectre du Laplacien sur S (c’est le théorème de Huber, [2]), et que ces spectres déterminent le genre de la surface (et donc l’aire ainsi que la classe d’homéomorphie). Nous savons également que génériquement, une surface est déter- minée par son spectre (il convient de donner un sens précis à cet énoncé: c’est le théorème E. Philippe (B ) Institut de Mathématiques de Toulouse, Université Toulouse, Toulouse, France e-mail: [email protected]; [email protected] 123

Sur la rigidité des groupes de triangles (r, p, q)

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Geom Dedicata (2010) 149:155–160DOI 10.1007/s10711-010-9473-z

ORIGINAL PAPER

Sur la rigidité des groupes de triangles (r, p, q)

Emmanuel Philippe

Received: 27 February 2009 / Accepted: 2 February 2010 / Published online: 21 February 2010© Springer Science+Business Media B.V. 2010

Abstract We show the length spectral rigidity for the family of fuchsian triangular groups.

Keywords Geometry · Length spectra · Geodesics · Hyperbolic surface · Triangulargroups

Mathematics Subject Classification (2000) 20H10 · 32G15 · 53C22

Résumé Nous démontrons que deux groupes de triangles associés à des triangles hyper-boliques non isométriques ne peuvent pas avoir le même spectre des longueurs.

Soit � un sous groupe discret du groupe des isométries directes du demi-plan de PoincaréH. Nous étudions la surface hyperbolique à points coniques S = H\�. Si γ est un élémenthyperbolique du groupe des isométries du demi-plan de Poincaré (on renvoie à [1] pour lesnotions élémentaires) nous notons l(γ ) sa distance de translation, appelée aussi longueur.Rappelons que les géodésiques fermées de S sont en correspondance bijective avec les classesde conjugaison d’éléments hyperboliques de �.

On se propose d’étudier dans cet article le spectre des longueurs de �, liste ordonnée(avec multiplicités) des l(γ ) quand γ parcourt les classes de conjugaison d’hyperboliquesde �.

Quelle est l’information géométrique contenue dans le spectre des longueurs? On situeraà 1966 et à l’article de M. Kac [8] l’origine de ce type de questions spectrales.

Dans le cas où S est fermée (c’est à dire compacte sans points coniques), des résultatsprofonds ont déjà été démontrés. Nous savons par exemple que la donnée du spectre deslongueurs est alors équivalente à celle du spectre du Laplacien sur S (c’est le théorème deHuber, [2]), et que ces spectres déterminent le genre de la surface (et donc l’aire ainsi que laclasse d’homéomorphie). Nous savons également que génériquement, une surface est déter-minée par son spectre (il convient de donner un sens précis à cet énoncé: c’est le théorème

E. Philippe (B)Institut de Mathématiques de Toulouse, Université Toulouse, Toulouse, Francee-mail: [email protected]; [email protected]

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de Wolpert, [2,16]). On a cependant construit, a contrario, des couples de surfaces ferméesisospectrales et non isométriques pour n’importe quel genre g ≥ 4. Signalons qu’une telleexistence reste question ouverte si g = 2 et g = 3.

Si S n’est pas fermée, nous disposons de moins de résultats. On pourra consulter parexemple les travaux de E. Dryden ([5,6]) pour y trouver un analogue du théorème de Huberdans le cas des surfaces compactes à points coniques. Nous disposons cependant d’un certainnombre de résultats de rigidité spectrale ([3,4,7]), les démonstrations s’appuyant en généralsur une étude précise du début du spectre des longueurs.

Nous démontrons dans cet article la rigidité spectrale des surfaces hyperboliques de genre0 possédant trois points coniques.

Pour cela, nous utilisons les résultats des articles [13] et [14], où l’auteur a déterminé ledébut du spectre des longueurs de ces surfaces. Nous établissons alors, avec les notationsintroduites dans la première section, le résultat de rigidité suivant:

Théorème A: Soit �(r, p, q) un groupe de triangle avec r ≤ p ≤ q trois entiers dont lasomme des inverses est strictement inférieure à 1. Alors la donnée du spectre des longueursdétermine de manière unique les entiers r, p, q.

1 Généralités

On considère le demi-plan de Poincaré H = {z ∈ C ; Im z > 0} que l’on munit de la distancehyperbolique. Nous renvoyons à [15] et [1] pour les considérations élémentaires.

Fixons trois entiers r ≤ p ≤ q dont la somme des inverses est strictement inférieure à 1et considérons un triangle hyperbolique T ⊂ H d’angles π/r, π/p, π/q.Les notations suivantes sont adoptées dans la suite

X = cosπ

r; Y = cos

π

p; Z = cos

π

q

Le groupe d’isométrie engendré par les réflexions par rapport aux côtés de T est noté�0(r, p, q) et le sous-groupe d’indice deux correspondant aux éléments préservant l’ori-entation est appelé �(r, p, q). C’est le groupe de triangle associé à T .

Le triangle T fournit, via le groupe engendré par les réflexions sus-mentionné, un pavageP0 du demi-plan possédant des sommets de valence r, p ou q . Dans les références [12,13] et[14], nous utilisons ce pavage pour décrire le début du spectre des longueurs de �(r, p, q).Voici les résultats obtenus:

Le cas r = 2

Lsp �(2, 3, 7) = {l2(1, q − 1) < . . . }Lsp �(2, 3, q) = {l2(1, q − 1) < l1(4) . . . } pour tout q ≥ 8Lsp �(2, 4, q) = {l1(2) = l1(2) < l1(3) = · · · < l2(1, q − 1) < . . . } pour q = 6, 7Lsp �(2, 4, q) = {l1(2) = l1(2) < l2(1, q − 1) < . . . } pour tout q = 5, q ≥ 8Lsp �(2, 5, 5) = {l1(2) = l1(2) < l2(1, q − 1) < . . . }Lsp �(2, 5, q) = {l1(2) = l1(2) < l2(1, 2) . . . } pour tout q ≥ 6Lsp �(2, p, q) = {l1(2) = l1(2) < . . . } pour tout 6 ≤ p ≤ 10Lsp �(2, p,∞) = {l1(2) = l1(2) < l2(1, 2) . . . } pour tout 6 ≤ p ≤ 10Lsp �(2, 10, 10) = {l1(2) = l1(2) < l2(1, 2) . . . }Lsp �(2, p, q) = {l1(2) = l1(2) < l2(1, 2) . . . } pour tout p ≥ 11

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avec

l2(1, q − 1) = 2 Argch

[2(cos

π

p)2 + 2(cos

π

q)2 − 1

]

l2(1, 2) = 2 Argch

[cos

π

q(4(cos

π

p)2 − 1)

]

l1(2) = 2 Argch

[2 cos

π

pcos

π

q

]

l1(3) = 2 Argch

[cos

π

p(4(cos

π

q)2 − 1)

]

l1(4) = 2 Argch

[4 cos

π

pcos

π

q(2(cos

π

q)2 − 1)

]

Le cas r ≥ 3

Lsp �(3, 4, 4) = {l1 = l1 = · · · < l3 . . . }Lsp �(3, 3, q) = {l1 = l1 . . . } pour tout q ≥ 4Lsp �(3, 3, q) = {l1 = l1 · · · < l ′2 = l ′2 . . . } pour tout q = 5, 6Lsp �(3, p, q) = {l1 = l1 < l3 . . . } pour tout p ≥ 4, q ≥ 5Lsp �(r, p, q) = {l1 = l1 ≤ l2 = l2 ≤ l3 . . . } pour tout r ≥ 4avec l1 = l2 si et seulement si p = q et l2 = l3 si et seulement si r = p.

Ici,

l1 = 2 Argch

[2 cos

π

pcos

π

r+ cos

π

q

]

les valeurs l2 et l3 étant obtenues par permutation des entiers r, p, q , tandis que

l ′2 = 2 Argch

[2(cos

π

q)2 + cos

π

q− 1

2

]

Nous expliquons dans les sections qui suivent pourquoi et comment la donnée du spectre deslongueurs du groupe de triangle permet d’identifier de manière unique le triangle qui lui adonné naissance.

2 Rigidité si r ≥ 4

Démontrons tout d’abord que le spectre des longueurs d’un groupe �(r, p, q) avec r ≥ 4caractérise ce groupe à conjugaison près.

Théorème 1 Soit �(r, p, q) vérifiant r ≥ 4. Alors le spectre des longueurs de ce groupedétermine de manière unique les entiers r, p, q.

Démonstration: On note l1, l2, l3 les trois premières valeurs distinctes de ce spectre et oncalcule pour commencer

Li = coshli2

; i = 1, 2, 3

Examinons la multiplicité de la systole: elle détecte la symétrie.

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Si cette multiplicité est ≥ 5, nous sommes en présence d’un groupe �(r, r, r) et il est facilede retrouver r en résolvant 2X2 + X = L1. Quelle que soit la valeur de L1, le polynômeétudié ici n’a qu’une seule racine positive.

Si la multiplicité de la systole est 4, on est en présence d’un groupe �(r, p, p). On retrouvealors r et p en résolvant {

L1 = 2XY + YL3 = 2Y 2 + X

ce qui revient à démontrer que le polynôme

Q(u) = Qr,p(u) = 4u3 − (2L3 + 1)u + L1 (1)

admet une unique racine dans [1/2, 1[. Cela résulte d’une simple étude de fonction.Supposons maintenant que la systole soit de multiplicité 2: on étudie alors la multiplicitéde la seconde longueur. Si celle-ci est ≥ 3, on est dans le cas d’un groupe �(r, r, p) et l’onconclut comme ci-dessus.

Une fois les observations précédentes effectuées, nous savons si nous sommes en présenced’un groupe �(r, p, q) avec r �= p �= q . Examinons donc ce cas.

Ecrivons

l1 < l2 < l3

les trois premières valeurs distinctes du spectre donné. Il s’agit de déterminer X, Y, Z telsque ⎧⎨

⎩2XY + Z = L1

2X Z + Y = L2

2Y Z + X = L3

ce qui revient à étudier les racines du polynôme

P(u) = 16u5 − 16L3u4 − 8u3 + (8L2 L1 + 8L3)u2 + (−4L2

2 − 4L21 + 1)u − L3 + 2L2 L1

Une étude élémentaire montre que P possède une unique racine dans l’intervalle [0.6, 1[ etnous pouvons dès lors conclure: on trace la représentation graphique du polynôme P(u) eton considère α0 la racine de P sur [0.6, 1[. Elle fournit l’entier r par l’égalité

cosπ

r= α0

et on en déduit p, q en remontant au système initial.

3 Le cas général

Nous allons maintenant devoir comparer le spectre des longueurs des groupes de trianglesvérifiant r ≥ 4, r = 3 et r = 2. On démontre alors le théorème annoncé en introduction:

Théorème 2 Soit �(r, p, q) un groupe de triangle. Alors la donnée du spectre des longueursdétermine de manière unique les entiers r, p, q.

Démonstration: Supposons que l’on dispose du spectre des longueurs d’un groupe�(r, p, q) et que l’on veuille y lire la valeur des entiers r, p, q .

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Notons comme précédemment l1, l2, l3 les trois premières valeurs distinctes de ce spectre et

Li = coshli2

; i = 1, 2, 3

Observons maintenant la valeur de la systole.La condition L1 < 2 impose r = 2, 3; (r, p) = (4, 4) ou bien (r, p) = (4, 5). Si L1 ≥ 2,

on se trouve nécessairement dans le cas où r ≥ 4 et l’on applique la méthode exposée dansla section précédente.

Pour conclure définitivement, il nous reste à montrer que deux groupes d’un des typessuivants:

�(2, p, q); �(4, 5, q); �(4, 4, q); �(3, p, q)

ne peuvent pas avoir le même spectre des longueurs, ce qui résulte d’une étude comparativedes deux premières longueurs du spectre.

Remarquons que la méthode présentée fournit un véritable algorithme permettant de déter-miner les entiers r, p, q et concluons par les différents cas d’égalité de systole rencontrés ensignalant qu’ils n’ont rien d’exhaustif:

– �(2, 5, 5) et �(3, 3, 5)

– �(2, 4, 12) et �(3, 3, 6)

– �(2, 3, 10) et �(2, 5, 5)

– �(2, 3, 12) et �(2, 4, 12)

– �(4, 4, 5) et �(2, 10, 10)

– �(3, p, p) et �(2, p,∞) pour p ≥ 4– �(4, 4, q) et �(3, q,∞) pour q = 4, 5, 6

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