Sur Sarkozy

8/10/2019 Sur Sarkozy

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Michel Onfray nous raconte sa rencontre avec Nicolas Sarkozy, celle publiedans Philosophie Magazine, n8, avril 2007.

La revue Philosophie Magazine ma demand si, sur le principe, jacceptais de rencontrer lun descandidats la prsidentielle pour le questionner sur son programme culturel, son rapport aux choses dlesprit ou sa relation la philosophie. Dans la foule de mon consentement, la rdaction ma rappel

en me demandant si javais une objection contre Nicolas Sarkozy.Pas plus avec lui quavec un autre, jaurais mme consenti Jean-Marie Le Pen tant lapproche de lude ces animaux politiques mintressait comme on visite un zoo ou un muse des horreurs dans unfacult de mdecine. Ce fut donc Nicolas Sarkozy.

Il me parat assez probable que son temps pass - donc perdu...- avec Doc Gynco ou Johnny Hallyday dispensait de connatre un peu mon travail, mme de loin. Je comptais sur la fiche des renseignemengnraux et les notes de collaborateurs. De fait, les portes plumes avaient fait au plus rapide : enloccurrence la copie de mon blog consacre son auguste personne. Pour mmoire, son titre tait : Lehabits de grand-mre Sarkozy - jy montrais combien le candidat officiel drapait ses poils de loup daune capeline rpublicaine bien indite...

Je me trouvais donc dans lantichambre du bureau de la fameuse grand mre Sarkozy, place Beauvau, compagnie de deux compres de la rdaction de la revue et dun photographe qui nen revenaient pas dse retrouver dans cette gographie de tous les coups fourrs de la Rpublique. picentre de la stratgie de la tactique politique policire, espace du cynisme en acte, officine du machiavlisme en or dtat, portraits des figures disciplinaires de lhistoire de France reprsentes en mdaillons daustres sinistres

Arrive du Ministre de lintrieur avec un quart dheure davance, il est 17h00 ce mardi 20 fvrieDbut houleux. Agressivit de sa part. Il tourne dans la cage, regarde, jauge, juge, apprcie la situationGrand fauve bless, il a lu mes pages de blog et me toise - bien quassis dans un fauteuil prs de lchemine. Il a les jambes croises, lune dentre elles est anime dun incessant mouvement de nervositle pied narrte pas de bouger. Il tient un cigare fin et long, trange module assez fminin.

Chemise ouverte, pas de cravate, bijoux en or, bracelet dadolescent au poignet, cadeau de son fil probablement. Plus il en rajoute dans la nervosit, plus jexhibe mon calme.Premier coup de patte, toutes griffes dehors, puis deuxime, troisime, il narrte plus, se lche, agresstape, cogne, parle tout seul, dbit impossible contenir ou canaliser. Une, deux, dix, vingt phraseautistes. Le directeur de cabinet et le porte-plume regardent et coutent, impassibles. On les imagincapables dassister un interrogatoire muscl arborant le mme masque, celui des gens de pouvoir qobservent comment on meurt en direct et ne bronchent pas. Le spectacle des combats de gladiateurs.

Je sens lair glacial que transportent avec eux ceux qui, dun geste du pouce, tuent ou pargnentPoursuite du monologue. Logorrhe interminable. Vacheries lances comme le jet de fiel dune bilmalade ou comme un venin puls par le projet du meurtre. Hbleur, provocateur, sr de lui en excitanladversaire se battre, il affirme en substance : Alors, on vient voir le grand dmagogue alors quonest rien du tout et, en plus, on vient se jeter dans la gueule du loup... !

Je fais une phrase. Elle est pulvrise, dtruite, casse, interdite, morcele : encore du cynisme sanlgance, toujours des phrases dont on sent quil les souhaiterait plus dangereuses, plus mortelles san parvenir trouver le coup fatal. La haine ne trouve pas dautre chemin que dans cette srie daveux blessure. Javance une autre phrase. Mme traitement, flots de verbes, flux de mots, jets dacides. Utroisime. Idem. Je commence trouver la crise un peu longue. De toute faon dmesuredisproportionne.

Si lon veut tre Prsident de la Rpublique, si lon sy prpare depuis le berceau, si lon souhaite prsidles destines dun pays deux fois millnaires et jouer dans la cour des grands fauves de la plante, si lose prpare disposer du feu nuclaire, si lon sexpose depuis des annes en sinvitant tous les jours dales informations de toutes les presses, crites, parles, photographies, numrises, si lon mne sa v

publique comme une vie prive, et vice versa, si lon aspire devenir le chef des armes, si lon doit jour garantir ltat, la Nation, la Rpublique, la Constitution, si, si, si, alors comment peut-on rag


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comme un animal bless mort, comme une bte souffrante, alors quon a juste reprocher sointerlocuteur un blog confidentiel peu amne , certes, mais inoffensif ?

Car je nai contre moi, pour justifier ce traitement disproportionn, que davoir signal dans une poignde feuillets sur un blog, que le candidat aux prsidentielles me semblait trs rcemment et forfrachement converti De Gaulle, au gaullisme, la Nation, la Rpublique, que ses citations de Jaurs Blum apparaissaient fort opportunment dans un trajet dune trentaine dannes au cours desquelles c

grands noms taient introuvables dans ses interventions, questions qui, au demeurant, rendaient possibun dbat, et que ctait dailleurs pour ces raisons que nous tions l, Alexandre Lacroix, Nicolas Truonet moi....

Cette colre ne fut stoppe que par lincidence dune sonnerie de tlphone portable qui le fit sloigndans la pice d ct. Tout en se dplaant, il rpondait avec une voix douce, tendre, trs affectueusavec des mots doux destins trs probablement lun de ses enfants. Le fauve dchan tout seudevenait un flin de salon ronronnant de manire domestique. En labsence du ministre, je mouvre mes deux comparses en prsence des deux siens et leur dit que je ne suis pas venu pour ce genre dhappening hystrique et que jenvisage de quitter la place sance tenante...

Jtais venu en adversaire politique, certes, la chose me paraissait entendue, et dailleurs plutt publiqumais ceci nexcluait pas un dbat sur le fond que je souhaitais et que javais prpar en apportant quatr

livres envelopps dans du papier cadeau ! Quiconque a lu Marcel Mauss sait quun don contraint ucontre don et jattendais quelque chose dindit dans ce potlatch de primitifs post-modernes ..Vaguement liqufi, et sibyllin, le tandem de lquipe de Philosophie Magazine voyant leur scoopsvaporer dans les vapeurs du bureau propose, ds le retour du Ministre, que nous passions autre choset que joffre mes cadeaux... Je refuse en disant que les conditions ne sont pas runies pour ce genre dgeste et que, dans tous les sens du terme, il ne sagit plus de se faire de cadeaux.

Passons alors des questions ? A un dbat ? Essayons dchanger ? tentent Alexandre Lacroix e Nicolas Truong. Essais, bauche. En tiers bien la peine, ils reprennent leurs feuilles et lancent deux trois sujets.

La vitesse de la violence du ministre est moindre, certes, mais le registre demeure : colre froide en lieet place de la colre incandescente, mais colre tout de mme.

Sur de Gaulle et le gaullisme rcent, sur la Nation et la Rpublique en vedettes amricaines - disons comme a...- de son discours dinvestiture, sur la confiscation des grands noms de gauche, sulAtlantisme ancien du candidat et son incompatibilit avec la doctrine gaullienne, le dbat ne prend pa plus. Il minterpelle : quelle est ma lgitimit pour poser de pareilles questions ? Quels sont m brevets de gaullisme moi qui parle de la sorte ? Quelle arrogance me permet de croire que Guy Moqappartient plus la gauche qu la France ? . Donc lui...

Pas dchanges, mais une machine performante rcuser les questions pour viter la francheconfrontation. Cet homme prend toute opposition de doctrine pour une rcusation de sa personne. J pressens que, de fait, la cl du personnage pourrait bien tre dans laffirmation dautant plus massive sa subjectivit quelle est fragile, incertaine, conqurir encore. La force affiche masque mal la faiblesviscrale et vcue. Aux sommets de la Rpublique, autrement dit dans la cage des grands fauve politiques, on ne trouve semble-t-il quimpuissants sur eux-mmes et qui, pour cette mme raisoaspirent la puissance sur les autres. Je me sens soudain Snque assis dans le salon de Nron...

Habilement, les deux compres tchent de reprendre le cours des choses, daccder un peu aucommandes de ce dbat qui na pas eu lieu et qui, pour linstant, leur chappe totalement. De failensemble de cette premire demi-heure se rduisait la thtralisation hystrique dun tre perdu coret me dans une danse de mort autour dune victime missaire qui assiste la scne pendant que, de paet dautre des deux camps, deux fois deux hommes assistent, impuissants, cette scne primitive du chde horde possd par les esprits de la guerre. Grand moment de transe chamanique dans le bureau duMinistre de lintrieur aspirant aux fonctions suprmes de la Rpublique ! Odeurs de sang et de remugl primitifs, traces de bile et de fiel, le sol ressemble la terre battue jonches dimmondices aprs ucrmonie vaudoue...

Tout bascule quand nous entamons une discussion sur la responsabilit, donc la libert, donc l


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culpabilit, donc les fondements de la logique disciplinaire : la sienne. Nicolas Sarkozy parle dune visifaite la prison des femmes de Rennes. Nous avons laiss la politique derrire nous.

Ds lors, il ne sera plus le mme homme. Devenant homme, justement, autrement dit dbarrass deoripeaux de son mtier, il fait le geste dun poing serr port son ct droit du ventre et parle du mcomme dune chose visible, dans le corps, dans la chair, dans les viscres de ltre.

Je crois comprendre quil pense que le mal existe comme une entit spare, claire, mtaphysiqueobjectivable, la manire dune tumeur, sans aucune relation avec le social, la socit, la politique, leconditions historiques. Je le questionne pour vrifier mon intuition : de fait, il pense que nous naisson bons ou mauvais et que, quoi quil arrive, quoi quon fasse, tout est dj rgl par la nature.

A ce moment, je perois l la mtaphysique de droite, la pense de droite, lontologie de droite lexistence dides pures sans relations avec le monde. Le Mal, le Bien, les Bons, les Mchants, et lo peut ainsi continuer : les Courageux, les Fainants, les Travailleurs, les Assists, un genre de thtre slequel chacun joue son rle, crit bien en amont par un Destin qui organise tout. Un Destin ou Dieu slon veut. Ainsi le Gendarme, le Policier, le Juge, le Soldat, le Militaire et, en face, le Criminel, lDlinquant, le Contrevenant, lEnnemi. Logique de guerre qui interdit toute paix possible un jour.

Ds lors, ne cherchons pas plus loin, chacun doit faire ce pour quoi il a t destin : le Ministre d

lIntrieur effectue son travail, le Violeur le sien, et il en va dune rpartition providentielle (au senthologique du terme) de ces rles. O lon voit comment la pense de droite sarticule merveille aveloutillage mtaphysique chrtien : la faute, la puret, le pch, la grce, la culpabilit, la moralit, le bons, les mchants, le bien, le mal, la punition, la rparation, la damnation, la rdemption, lenfer, paradis, la prison, la lgion dhonneur, etc. Javance lide inverse : on ne choisit pas, dailleurs on a ple choix, car les dterminismes sont puissants, divers, multiples. On ne nat pas ce que lon est, on devient. Il rechigne et refuse. Et les dterminismes biologiques, psychiques, politiques, conomiquehistoriques, gographiques ? Rien ny fait. Il affirme : Jinclinerais pour ma part penser quon na pdophile, et cest dailleurs un problme que nous ne sachions soigner cette pathologie-l. Il y a 120ou 1300 jeunes qui se suicident en France chaque anne, ce nest pas parce que leurs parents sen sonmal occups !

Mais parce que gntiquement ils avaient une fragilit, une douleur pralable. Prenez les fumeurs certains dveloppent un cancer, dautres non. Les premiers ont une faiblesse physiologique hrditairLes circonstances ne font pas tout, la part de linn est immense . Gntiquement : une positiointellectuelle tellement rpandue outre-Atlantique !

La gntique, linn, contre le social et lacquis ! Les vieilles lignes de partage entre lindividresponsable de tout, la socit de rien qui caractrise la droite, ou la socit coupable de tout, lindividde rien, qui constitue la scie musicale de la gauche ... Laissons de ct la thorie.

Je passe lexemple pour mieux tcher de montrer que le tout gntique est une impasse autant que tout social. Face cet aveu de lieu commun intellectuel, je retrouve naturellement les techniquesocratiques du lyce pour interpeller, inquiter et arrter lesprit, capter lattention de mon interlocuteuqui, de fait, semble rellement dsireux davancer sur ce sujet.

Jargumente : Lui dont chacun sait lhtrosexualit - elle fut amplement montre sur papier couchsinon couche sur papier montr...-, a-t-il eu le choix un jour entre son mode de sexualit et un autre Se souvient-il du moment o il a essay lhomosexualit, la pdophilie, la zoophilie, la ncrophilie afide dcider ce qui lui convenait le mieux et dopter, finalement, et en connaissance de cause, poulhtrosexualit ? Non bien sr. Car la forme prise par sa sexualit est affaire non pas de choix ou dgntique, mais de gense existentielle. Si nous avions le choix, aucun pdophile ne choisirait de ltre.

Largument le stoppe. Il me semble qu partir de ce moment, le candidat aux prsidentielles, le ministrde lintrieur, lanimal politique haut de gamme laisse le pas lhomme, fragile, inquiet, ostensiblemehbleur devant les intellectuels, cartant dun geste qui peut tre mprisant le propos qui en appelle auchoses de lesprit, la philosophie, mais finalement trop fragile pour saccorder le luxe dunintrospection ou se mettre la tche socratique sans craindre de trouver dans cette bote noire

leffroyable cadavre de son enfance.


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Dans la conversation, il confie quil na jamais rien entendu daussi absurde que la phrase de Socra Connais-toi toi-mme . Cet aveu me glace - pour lui. Et pour ce quil dit ainsi de lui en affirman pareille chose. Cet homme tient donc pour vain, nul, impossible la connaissance de soi ? Autrement dcet aspirant la conduite des destines de la nation franaise croit quun savoir sur soi est une entreprisvaine ? Je tremble lide que, de fait, les fragilits psychiques au plus haut sommet de ltat, puissengouverner celui qui rgne !

Lors de sa parution, javais lu Le pouvoir et la vie de Valry Giscard dEstaing qui racontait ses crisesdangoisse, ses inhibitions le paralysant dans son vhicule militaire de parade le 14 juillet sur les ChampElyses, ses prtextes pour quitter le conseil des ministres afin de subir une injection de calmant, sodsir de se faire psychanalyser (par Lacan !) pendant son septennat, etc. Je me souvenais de confidencfaites par tel ami bien inform sur ltat psychique fort peu reluisant de Jacques Chirac aprs ldissolution et sur le type de traitement psy quil suivait cette poque. Je me rappelais la fin duFranois Mitterrand, entre voyantes et reliques de sainte Thrse, invocations des forces de lespricroyance en lau-del et abandon aux mdecines de perlimpinpin.

Et je voyais l, dans le regard devenu calme du fauve puis par sa violence, un vide dhomme perdu quhors politique, se dfie des questions car il redoute les rponses, et qui, ds quil sort de son savoir fai politicien, craint les interrogations existentielles et philosophiques car il apprhende ce quell pourraient lui dcouvrir de lui qui court tout le temps pour navoir pas sarrter sur lui-mme.

Les soixante minutes techniquement consenties staient allonges dune trentaine dautres. Les deurles en costumes qui le flanquaient jouaient le sablier. Je trouvais lheure venue pour offrir mes cadeauAu ministre de lintrieur adepte des solutions disciplinaires :Surveiller et punir de Michel Foucault ; aucatholique qui confesse que, de temps en temps, la messe en famille lapaise : LAntchrist de Nietzsche ; pour le meurtre du pre, le chef de la horde primitive :Totem et tabou de Freud ; pour le libral qui critque lantilibralisme cest lautre nom du communisme (il dit navoir pas dit a, je sors mes notes e prcise le livre, la page...) :Quest-ce que la proprit ? de Proudhon. Comme un enfant un soir de Nol, il dchire avidement. Il ajoute : jaime bien les cadeaux .

Puis : Mais je vais donc tre oblig de vous en faire alors ? ... Comme prvu.

Dans lentrebillement de la porte de son bureau, la tension est tombe. Qui prend linitiative de dire qula rencontre se termine mieux quelle na commenc ? Je ne sais plus. Il commente : Normal, on edeux btes chacun dans notre genre, non ? Il faut que a se renifle des btes comme a.... Je suis siddu registre : lanimalit, lolfaction, lodorat. Le degr zro de lhumanit donc. Je le plains plus encorJe conois que Socrate le plongerait dans des abmes dont il ne reviendrait pas... Du moins : donlhomme politique ne reviendrait pas. Ou, disons le autrement : dont lhomme politique reviendraicertes, mais en ayant laiss derrire lui sa dfroque politique pour devenir enfin un homme.

Alors que ses cerbres le prennent presque par la manche, il manifeste le dsir de continuer cettconversation, pour le plaisir du dbat et de lchange, afin daller plus loin. Tout de go, il me propose dlaccompagner, sans journalistes - il fait un mouvement de bras dans la direction des comparses d

Philosophie Magazine comme pour signifier leur cong dans un geste qui trahit ce quil pense probablement de toute la corporation... Je refuse. Une autre fois ? Les deux amis ont leurs deux pairdyeux qui clignotent comme des loupiotes...Voyons donc pour plus tard...

Dernier mot de Nicolas Sarkozy en forme de lapsus, il est mouvement vers la sortie : Je suis quanmme un drle de type, non ? Je dois convaincre soixante-cinq millions de franais, et je vous dis, l, qu je voudrais continuer la conversation ! Hein ? Non ? Il ny a pas autre chose faire ?

Quand mme... . Soixante-cinq millions cest le nombre des Franais convaincre damour, pas celdes lecteurs convaincre de voter...

Michel Onfray, philosophe.

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