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formation | suivi biologique 10 OptionBio | Lundi 19 octobre 2009 | n° 425 L es différentes classes de molécules antirétrovirales dispo- nibles aujourd’hui sont : – des inhibiteurs de la fusion entre l’enveloppe virale et la membrane cellulaire (Fuzéon ® ) ; – des inhibiteurs nucléosidiques de la transcriptase inverse (INTI) agissant par compétition avec l’enzyme ; – des inhibiteurs non nucléosidiques de la transcriptase inverse (INNTI) agissant par un mécanisme de modification de conformation ; – des inhibiteurs de protéase (IP) agissant sur la maturation terminale des protéines virales. Une liste à laquelle, depuis peu, est venu s’ajouter : – le maraviroc, un médicament bloquant l’un des corécepteurs du virus (le CCR5) ; – et les anti-intégrases, inhibant l’intégration de l’ADN proviral dans l’ADN chromosomique. Les préoccupations du clinicien Les deux préoccupations du clinicien sont l’échec thérapeu- tique, car il est parfois difficile de traiter un virus accumulant des mutations de résistance, et le succès thérapeutique, car le traitement étant administré ad vitam aeternam, la balance entre le bénéfice et la toxicité à long terme doit rester favorable ! Suivi de l’efficacité du traitement Nous disposons de recommandations précises, récemment actualisées : Prise en charge médicale des personnes infectées par le VIH : rapport 2008, recommandations du groupe d’experts sous la direction du Pr Patrick Yeni. En ce qui concerne la bio- logie, il faut, avant de commencer un traitement antirétroviral, faire un génotypage, c’est-à-dire une analyse de résistance du virus. Le suivi de l’efficacité repose sur la charge virale et le taux de CD4. La charge virale (ARN VIH plasmatique) est, actuellement, le plus souvent mesurée par PCR en temps réel (technique de référence). Les recommandations sont d’obtenir une décrois- sance initiale d’au moins un log à un mois de traitement, l’objectif étant d’obtenir un ARN < 1,6 log (< 40 copies/mL), c’est-à-dire une charge virale indétectable, seule garantie de la restauration immunitaire et de la prévention de l’apparition des mutations de résistance. Concernant les CD4, leur remontée initiale doit être rapide, puis progressive, pour protéger les patients des complications (objectif > 500/mm 3 ). L’échec, défini par la remontée de la charge virale, pose la question de l’observance thérapeutique (la plupart des sujets en échec ont mal pris leur traitement). Son analyse requiert une nouvelle étude des résistances du virus par génotypage, voire des dosages d’antirétroviraux, utiles pour surveiller l’obser- vance chez des patients insuffisants rénaux ou hépatiques et en cas d’interactions médicamenteuses. Tolérance à court terme des médicaments et suivi biologique • Problèmes d’hypersensibilité – INNTI : la névirapine (Viramune ® ), prescrite chez 12 % des patients en 2006, entraîne des réactions cutanées sévères chez 5 à 15 % des sujets, pouvant aller jusqu’au syndrome de Lyell avec atteinte systémique. Sa prescription impose un suivi clinico-biologique très rapproché avec numération for- mule sanguine + bilan hépatique tous les 15 jours pendant 18 semaines. – INTI : l’abacavir (seul dans Ziagen ® , associé à la lamivudine dans Kivexa ® ), prescrit chez 23,4 % des patients en 2006, entraîne une hypersensibilité chez 3 à 5 % d’entre eux, de symptomatologie polymorphe, cutanée, respiratoire, articulaire, abdominale, avec fièvre. Ces réactions surviennent pendant les 2 à 6 premières semaines de traitement et sont poten- tiellement graves, nécessitant une surveillance rapprochée. La sanction est l’éviction définitive du médicament. Il y a six ans, une équipe australienne a montré pour la première fois qu’il existait une prédisposition génétique à ces réactions, avec un Odds ratio de 120 chez les sujets porteurs de l’allèle HLA-B*5701. Le laboratoire GSK a alors initié une étude inter- nationale (Predict 1) qui a montré que le typage HLA-B*5701 Surveillance biologique des patients traités par antirétroviraux Le suivi biologique des traitements antirétroviraux poursuit une double finalité : juger de l’efficacité du traitement pour laquelle il existe de récentes recommandations, et s’assurer de la tolérance à court et long termes des molécules utilisées pour que la balance entre bénéfice et toxicité reste favorable. VIH et espérance de vie Depuis l’introduction des trithérapies antirétrovirales en 1996, le taux de décès des patients séropositifs pour le VIH est passé de 9,6 pour 100 patients/année en 1995 à 1,3 en 2006, et près d’un quart des sujets infectés a désormais plus de 50 ans. Globalement, le taux de mortalité standardisé est de 7, soit 7 fois plus que dans la population générale, avec des différences selon les sous-groupes considérés : les fem- mes vivent plus longtemps que les hommes, les coïnfectés par le VHC ont un taux de mortalité standardisé de 13,9 versus 4,4 chez les VHC-, et les toxico-actifs de 16,3 versus 5. Enfin, chez les sujets ayant un taux de CD4 < 200/mm 3 , le taux de mortalité standardisé est de 30 versus 2,5 si les CD4 sont > 500/mm 3 . Chez les patients ayant passé au moins six ans avec un taux de CD4 > 500/mm 3 , le taux de mortalité rejoint celui de la population générale.

Surveillance biologique des patients traités par antirétroviraux

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10 OptionBio | Lundi 19 octobre 2009 | n° 425

Les différentes classes de molécules antirétrovirales dispo-ni bles aujourd’hui sont :– des inhibiteurs de la fusion entre l’enveloppe virale et

la membrane cellulaire (Fuzéon®) ;– des inhibiteurs nucléosidiques de la transcriptase inverse (INTI) agissant par compétition avec l’enzyme ;– des inhibiteurs non nucléosidiques de la transcriptase inverse (INNTI) agissant par un mécanisme de modification de conformation ;– des inhibiteurs de protéase (IP) agissant sur la maturation terminale des protéines virales.Une liste à laquelle, depuis peu, est venu s’ajouter :– le maraviroc, un médicament bloquant l’un des corécepteurs du virus (le CCR5) ;– et les anti-intégrases, inhibant l’intégration de l’ADN proviral dans l’ADN chromosomique.

Les préoccupations du clinicienLes deux préoccupations du clinicien sont l’échec thérapeu-tique, car il est parfois difficile de traiter un virus accumulant des mutations de résistance, et le succès thérapeutique, car le traitement étant administré ad vitam aeternam, la balance entre le bénéfice et la toxicité à long terme doit rester favorable !

Suivi de l’efficacité du traitementNous disposons de recommandations précises, récemment actualisées : Prise en charge médicale des personnes infectées par le VIH : rapport 2008, recommandations du groupe d’experts sous la direction du Pr Patrick Yeni. En ce qui concerne la bio-logie, il faut, avant de commencer un traitement antirétroviral, faire un génotypage, c’est-à-dire une analyse de résistance

du virus. Le suivi de l’efficacité repose sur la charge virale et le taux de CD4.• La charge virale (ARN VIH plasmatique) est, actuellement, le plus souvent mesurée par PCR en temps réel (technique de référence). Les recommandations sont d’obtenir une décrois-sance initiale d’au moins un log à un mois de traitement, l’objectif étant d’obtenir un ARN < 1,6 log (< 40 copies/mL), c’est-à-dire une charge virale indétectable, seule garantie de la restauration immunitaire et de la prévention de l’apparition des mutations de résistance.• Concernant les CD4, leur remontée initiale doit être rapide, puis progressive, pour protéger les patients des complications (objectif > 500/mm3).L’échec, défini par la remontée de la charge virale, pose la question de l’observance thérapeutique (la plupart des sujets en échec ont mal pris leur traitement). Son analyse requiert une nouvelle étude des résistances du virus par génotypage, voire des dosages d’antirétroviraux, utiles pour surveiller l’obser-van ce chez des patients insuffisants rénaux ou hépatiques et en cas d’interactions médicamenteuses.

Tolérance à court terme des médicamentset suivi biologique• Problèmes d’hypersensibilité

– INNTI : la névirapine (Viramune®), prescrite chez 12 % des patients en 2006, entraîne des réactions cutanées sévères chez 5 à 15 % des sujets, pouvant aller jusqu’au syndrome de Lyell avec atteinte systémique. Sa prescription impose un suivi clinico-biologique très rapproché avec numération for-mule sanguine + bilan hépatique tous les 15 jours pendant 18 semaines.– INTI : l’abacavir (seul dans Ziagen®, associé à la lamivudine dans Kivexa®), prescrit chez 23,4 % des patients en 2006, entraîne une hypersensibilité chez 3 à 5 % d’entre eux, de symptomatologie polymorphe, cutanée, respiratoire, articulaire, abdominale, avec fièvre. Ces réactions surviennent pendant les 2 à 6 premières semaines de traitement et sont poten-tiellement graves, nécessitant une surveillance rapprochée. La sanction est l’éviction définitive du médicament. Il y a six ans, une équipe australienne a montré pour la première fois qu’il existait une prédisposition génétique à ces réactions, avec un Odds ratio de 120 chez les sujets porteurs de l’allèle HLA-B*5701. Le laboratoire GSK a alors initié une étude inter-nationale (Predict 1) qui a montré que le typage HLA-B*5701

Surveillance biologique des patients traités par antirétroviraux

Le suivi biologique des traitements antirétroviraux poursuit une double finalité : juger de l’efficacité du traitement pour laquelle il existe de récentes recommandations, et s’assurer de la tolérance à court et long termes des molécules utilisées pour que la balance entre bénéfice et toxicité reste favorable.

VIH et espérance de vieDepuis l’introduction des trithérapies antirétrovirales en 1996, le taux de décès des

patients séropositifs pour le VIH est passé de 9,6 pour 100 patients/année en 1995

à 1,3 en 2006, et près d’un quart des sujets infectés a désormais plus de 50 ans.

Globalement, le taux de mortalité standardisé est de 7, soit 7 fois plus que dans la

population générale, avec des différences selon les sous-groupes considérés : les fem-

mes vivent plus longtemps que les hommes, les coïnfectés par le VHC ont un taux de

mortalité standardisé de 13,9 versus 4,4 chez les VHC-, et les toxico-actifs de 16,3

versus 5. Enfin, chez les sujets ayant un taux de CD4 < 200/mm3, le taux de mortalité

standardisé est de 30 versus 2,5 si les CD4 sont > 500/mm3. Chez les patients ayant

passé au moins six ans avec un taux de CD4 > 500/mm3, le taux de mortalité rejoint

celui de la population générale.

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préalable à la mise sous traitement, avait une valeur prédictive négative de 100 % : en cas d’absence de l’allèle HLA-B*5701, il n’y a aucun risque d’hypersensibilité. En revanche, la valeur prédictive positive du test est médiocre (48 %), ce qui signifie qu’un patient porteur de l’allèle sur deux ne fera pas de réac-tion d’hypersensibilité, mais sera privé du médicament qui a pourtant des vertus en terme de résistance. Les données étaient toutefois suffisamment convaincantes pour modifier le RCP (résumé des caractéristiques du produit), en recommandant la réalisation du test avant mise sous traitement (le médicament ne sera pas prescrit chez les sujets HLA-B*5701).• Troubles rénaux

Le ténofovir (seul dans Viread®, associé à l’emtricitabine dans Truvada®, bientôt dans une nouvelle forme galénique de trithé-rapie), prescrit chez 34 % des patients en 2006, peut donner des tubulopathies proximales pouvant aller jusqu’au syndrome de Fanconi. De fait, une recommandation stricte a été émise de surveiller les patients par une bandelette urinaire, un dosage de la phosphorémie et de la créatininémie associé au calcul de la clai-rance par la formule de Cockcroft et Gault ou celle du MDRD.

Tolérance à long terme des médicaments et suivi biologique• Les IP, INTI et INNTI sont pourvoyeurs de syndrome lipo-

dystrophique et d’hyperlipidémie ; les IP et les INTI, d’in-

sulinorésistance (tableau 1).En outre, l’étude DAD1 a montré un lien entre l’exposition aux antirétroviraux et l’incidence du diabète : 5,72 pour 1 000 patients/année dans cette population, ce qui est supé-rieur à l’incidence de la maladie dans la population générale. Là encore, certaines molécules sont plus “à risque” que d’autres : stavudine (D4T) > zidovudine (AZT) > didanosine.• Les sujets traités par antirétroviraux font plus d’infarctus

du myocarde (IDM) que la population générale

Si l’on attribue un risque relatif (RR) arbitraire de 1 à des sujets traités par antirétroviraux pendant un an, les sujets jamais traités ont un RR d’IDM de 0,24 et ceux traités plus de 4 ans, un RR de 4,6. Au total, le “surrisque” d’IDM serait de 1,17 par année de traitement, indépendamment de tous les autres facteurs de risque. En réalité, il est de 1,17 chez ceux ayant reçu des IP et de 1 (après ajustement sur tous les autres facteurs) chez ceux n’en ayant pas reçu. Il existe donc une différence de risque métabolique entre les différentes classes thérapeutiques ; certains patients traités depuis longtemps ont certainement pris des molécules aujourd’hui non privilégiées, voire abandonnées pour leur toxicité.En pratique, pour le suivi des patients, les médecins doivent porter une attention toute particulière aux facteurs de risque cardiovasculaire modifiables ou non, et intervenir sur le tabac, l’hypertension artérielle, l’hyperlipidémie et l’hyperglycémie.Le rapport Yeni en 2008 a franchi le pas : « Au total, même si tous les mécanismes ne sont pas encore bien compris, il apparaît que l’infection par le VIH d’une part, et les traitements antirétroviraux d’autre part, confèrent au patient un surrisque

cardiovasculaire, en particulier d’IDM. » De fait, l’infection par le VIH devient, en soi, un facteur de risque.• Concernant les dyslipidémies, les recommandations de l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) devraient être adaptées pour la prise en charge du LDLcholestérol (LDLc) chez les patients infectés par le VIH (tableau 2). La valeur cible du LDLc doit être atteinte essentiel-lement via des interventions hygiéno-diététiques et la modifi-cation du traitement antirétroviral si cela est possible.• Conwcernant les troubles glucidiques, les recommanda-tions sont :– si la glycémie à jeun (G0) est comprise entre 5,6 et 7 mmol/L : privilégier les règles hygiéno-diététiques, adapter le traitement antirétroviral, dépister et traiter les autres FR, mesurer la G0 tous les 6 mois.– si G0 ≥ 7 mmol/L : diagnostic de diabète. En plus des règles précédentes, mesurer l’HbA1c tous les 4 mois (objectif < 6,5 %), rechercher une micro-albuminurie sur échantillon, doser la créatinine, faire un bilan lipidique, un fond d’œil et adresser à un diabétologue. Le traitement de première inten-tion est la metformine sauf en cas de lipoatrophie importante (pioglitazone), en respectant les contre-indications. |

CAROLE ÉMILE

Biologiste, CH de Montfermeil (93)

[email protected]

Tableau 1. Effet métabolique des inhibiteurs de protéase

Toxicité décroissante Lipides Résistance à l’insuline

Ritonavir (pleine dose) � CT et TG* �Lopinavir-ritonavir (boost**) � CT et TG �Indinavir � CT et TG �Nelfinavir � LDLc, HDLc, ��TG Pas d’impact

Fosamprenavir � CT et TG Pas d’impact

Tipranavir-ritonavir � CT et TG ?

Saquinavir, atazanavir Pas de modification Pas d’impact

* CT = cholestérol total - TG = triglycérides.** Aujourd’hui, les IP sont utilisés associés (dans la grande majorité des cas) à un boost pharmacologique (en raison de l’inhibition par le cytochrome P450) qui est le ritonavir administré à faible dose. Mais il s’agit de la molécule la “plus toxique” ; l’espoir à l’avenir est de pouvoir utiliser d’autres molécules comme boost.

Tableau 2. Recommandations Afssaps pour la prise en charge du LDLcholestérol

Niveau du risque Facteur de risque (FR) LDLc

Patient à risque intermédiaire Infection par le VIH sans aucun autre FR

< 1,9 g/L (< 4,9 mmol/L)

Infection par le VIHavec 1 autre FR

< 1,6 g/L (< 4,1 mmol/L)

Infection par le VIH avec au moins 2 autres FR

< 1,3 g/L (< 3,4 mmol/L)

Patient à haut risque (score de risque de maladie coronarienne > 20 % à 10 ans)

Infection par le VIH avec antécédent cardiovasculaire avéré ou diabète de type 2

< 1 g/L (< 2,6 mmol/L)

SourceCommunication de Jean-Paul

Viard, lors des 51es Journées de

biologie clinique Necker-Institut

Pasteur, Paris, janvier 2009.

Référence1. The Data Collection on Adverse

Events of Anti-HIV Drugs (DAD)

Study Group. Combination Anti-

retroviral Therapy and the Risk

of Myocardial Infarction. NEJM

2003; 349:1993-2003 and

2004; 350(9): 955.