Suzanne, Moi Et Le Diable

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Suzanne, Moi Et Le Diable

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Suzanne, moi et le diableDavid Sellema a t Suzanne. a n'aurait pas pu tre une autre femme, non. a s'est fait comme a. Comme n'importe quelle rencontre. Sans qu'on sache que c'est une rencontre, et qu'elle va changer la vie, la manire de voir les choses. () Les hommes apprennent parler grce aux femmes. Si l'humanit prenait le temps de s'en rendre compte, tout irait probablement mieux. C'est un fait, j'ai appris parler avec Suzanne. Parler, a veut dire exprimer quelque chose en mlangeant le son de sa voix avec des mots. C'est une manire de sonoriser ses sentiments. Les femmes, elles font a trs bien, et elles l'apprennent l'homme qui veut bien essayer. Quand il veut bien. Mais attention, a se produit avec chaque femme de manire diffrente, et ce n'est jamais acquis. On n'apprend pas parler une bonne fois pour toute. Chaque femme apprend un homme parler avec sa manire d'tre elle. Et il n'en existe pas deux pareilles. Mais a, la plupart des hommes l'ignorent, et beaucoup de femmes galement. Suzanne, elle a t patiente avec moi. Moi j'tais comme tous les hommes au dbut, press. Et l'empressement, a ne marche pas trs bien avec les femmes. C'est comme aller au cinma et entrer dans la salle alors que la projection prcdente est en train de se terminer. On dcouvre le dnouement du film, et on ne comprend rien, si ce n'est qu'on sait dj que le suspens est foutu. Qu'on a sabot son propre plaisir. C'est ce qu'elle m'a appris Suzanne, ne pas gaspiller le plaisir. () a a dur des mois, des annes, comme a. Trs tt c'est devenu une passion, une vraie passion. Et la passion, c'est bien connu, a brle. Tout. Alors a a flamb. Je la prenais dans tous les sens, par tous les trous, elle explorait les miens. On connaissait chaque dtail, chaque recoin, chaque millimtre carr de nos corps. C'est une course folle. Et on passe du rire aux larmes en un clin dil, et de la complicit aux reproches en un soupir. Il y avait les gestes, les corps. Ils ont brls aussi, avec le reste. Avec une histoire que tout le monde croyait d'amour. Mme nous. J'aurais pu mourir pour cette femme. Oui, j'aurais donn ma vie pour elle. C'est ce que fait faire la passion, des choses idiotes. L'amour, c'est de se battre cote que cote pour rester avec celui ou celle qu'on aime. La passion, elle peut vous faire vous foutre par la fentre ou sous un train pour quelqu'un d'autre. Le diable est cach dans la passion, et il vous souffle l'oreille tout ce que vous devez faire. Et c'est de l qu'il fout en l'air les hommes et les femmes qui ont le malheur de croiser son chemin. Le problme, c'est que quand on le croise et qu'on s'embarque avec lui, on ne peut pas s'arrter comme a. () Alors le diable nous a montr un autre chemin, et comme nous tions faibles l'un comme l'autre, nous l'avons suivi. J'ai pris l'initiative. On a commenc essayer des drogues de toutes sortes. De l'herbe, du crystal, de la cocane, de l'hrone, et bien sr de l'alcool. Il fallait que nos corps soient en jeu encore. Comme avant, on avait l'illusion qu'on partageait quelque chose. On avait partag un lit. L on partageait une aiguille et un bang. Et puis on a commenc dealer. Et voler. Et puis on a voulu tout arrter. Mais le diable en a dcid autrement.Un matin de juillet, sous le feu d'un soleil brlant et crasant, Elle est revenue avec un certain Dan. Il avait le look caricatural du dealer. Il tait jeune, n'tait pas trs grand. Il tait trs beau et sr de lui, bien sap, avec une belle gueule de jeune premier qui on donnerait le bon dieu sans confession. Sauf les bras et les mains. Ses avant-bras taient recouverts de tatouages, moches, et il avait quasiment une bague chaque doigt. Et il avait assez d'herbe sur lui pour approvisionner tous les fumeurs du quartier pendant un an. a m'a impressionn. Toute cette herbe. Je lui ai dit qu'on tait clean, qu'on ne touchait plus rien. Mme pas de l'herbe. Il a insist pour nous offrir un splif. Je lui ai dit non. Le ton est mont et je l'ai foutu dehors coup de pied au cul. Suzanne m'a alors hurl dessus, m'a frapp, griff. On s'est battu. Elle m'a dit que j'tais qu'un sale goste, que je ne pensais qu' ma gueule, qu'un joint ne nous aurait pas fait de mal. Et que Dan tait prt nous en offrir un peu pour rien. Pour rien.Pour rien en ralit, a voulait dire pour coucher avec Suzanne. () Cette aprs-midi l, quand je suis rentr, j'ai vu des mgots de joints crass dans un cendrier sur une chaise du salon. Dans la chambre, je les ai trouvs tous les deux, nus, enlacs dans notre lit. Ils dormaient profondment. Ils avaient le visage dtendu et serein. Probablement ils avaient fait l'amour peu de temps avant. Il y avait dans l'air un mlange d'odeurs de sexe et de marijuana. a devait arriver. Suzanne tait une trs belle femme. Trs belle. () Alors sans faire de bruit, je suis all dans le placard et j'ai pris la bote chaussure cache au fond de l'tagre du dessus. Je l'ai ouverte. J'en ai sorti un revolver qu'on s'tait achet quand on dealait, pour se protger des cams en manque un peu trop agits et des clients rcalcitrants. On n'a jamais eu besoin de l'utiliser. Je n'ai pas rflchi. Ma main a saisit l'arme charge, mes doigts se sont crisps sur la crosse, et je l'ai pointe sur lui d'abord. J'ai appuy sur la gchette. En visant sa tte. Il y a eu un bruit de dtonation trs fort, du sang partout dans la chambre, et juste aprs le cri de Suzanne. Et puis elle s'est arrte net en me voyant debout face elle. Ses yeux brillaient comme ceux d'un animal qui surgit la nuit sur la route, et qui connement reste sans bouger, hypnotis par les phares de la voiture. Elle n'a pas boug. Elle n'a rien dit. Moi non plus. J'ai juste fait un geste. J'ai appuy sur la gchette. Et je l'ai tue d'une balle dans la poitrine. Sa belle poitrine. Comme lui, elle est morte sur le coup. Il y a avait du sang partout dans la chambre. Sur le lit, les murs. La moquette. Leurs corps nus.La police est arrive trs vite. Ils ont srement t appel par le voisinage qui ne nous connaissait pas et ne nous aimait pas beaucoup. Nous tions des drogus et nous en avions la sale et tenace rputation. Juste aprs, j'ai essay de garder mon calme, et je suis all masseoir dans le salon. Je les ai attendus. Ils n'ont pas eu besoin de sortir leurs armes ou de s'nerver. Je me suis rendu sans discuter. Je savais que j'allais droit la mort, mais je n'avais pas peur. J'tais soulag. Quand ils m'ont lu mes droit et m'ont demand si je comprenais et si j'tais prt les suivre, j'ai rpondu que nous tions prts les suivre. Ils m'ont regard d'un drle d'air, tonns. Ils n'avaient pas vu que le diable m'accompagnait.