20
SYLVAIN PROVENCHER Tome I DESTINATION MIZAR Réédition

SYLVAIN PROVENCHER

  • Upload
    others

  • View
    9

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: SYLVAIN PROVENCHER

2

----------------------------INFORMATION----------------------------Couverture : Classique

[Roman (130x204)] NB Pages : 298 pages

- Tranche : 2 mm + (nb pages x 0,055 mm) = 16 ----------------------------------------------------------------------------

Poussière d’atomes - Tome I - Réédition Destination Mizar Sylvain Provencher

16 933959

Pous

sièr

e d’

atom

es -

Tom

e I -

Des

tinat

ion

Miz

ar -

Rééd

ition

SYLVAIN PROVENCHER

Tome IDESTINATION MIZAR

Réédition

Page 2: SYLVAIN PROVENCHER

2 2

Page 3: SYLVAIN PROVENCHER

2 3

Pour mon fils, ainsi qu’à un vieil ami Benoit qui se reconnaitra assurément. Je remercie aussi ma tendre compagne pour sa compréhension de la passion que j’ai pour l’écriture et qui endure toutes ces heures que je passe devant mon ordinateur.

« Les rêves ne sont que des limites qui en font des rêves. »

Sylvain Provencher

Page 4: SYLVAIN PROVENCHER

2 4

Page 5: SYLVAIN PROVENCHER

2 5

Prologue

Montréal, 14 juin 2066. Comme toujours, la première chose que je remarque en

m’éveillant est l’odeur fétide qui vient à mes narines, odeur à laquelle je ne peux m’accoutumer.

Encore couché, m’étirant, je regarde par les carreaux noircis de mon modeste appartement. Le soleil se lève tentant désespérément de se frayer un chemin au travers de l’éternelle masse de nuages gris. Il y a longtemps que je n’ai vu un ciel bleu.

Je m’habille, avale mes capsules de soutien, vérifiant si mon arme que je dissimule sous mon gilet est bien chargée. Saisissant mon imperméable au passage, je sors enfilant mes bottes, ainsi que mon masque.

En sortant, une senteur pestilentielle m’envahit malgré ma protection faciale. Un autre cadavre doit pourrir quelque part dans les bas-fonds. Nombre de gens vivent dans les souterrains et les anciens immeubles de bureaux s’y rattachant, subsistant de rats lorsqu’ils ne servent pas eux-mêmes de repas. Avec la famine qui règne, des instincts bestiaux ont refait surface chez certains, écrasant toute

Page 6: SYLVAIN PROVENCHER

2 6

raison afin de survivre. Des choses horribles se passent dans ces sombres

labyrinthes. Je suis bien placé pour en parler, je suis affecté à la surveillance de ce réseau de tunnels, ainsi qu’à la protection des travailleurs qui en font l’entretien. Un travail de sécurité, c’est la façon simple, mais risquée de s’assurer une provision de comprimés nutritifs sans attendre les interminables files d’attente.

L’image de la rue n’a rien des plus réjouissantes. Plusieurs personnes sans abri dorment encore sur les trottoirs parmi les débris de toutes sortes, se réveillant à peine sur mon passage. Ici et là, de vieilles carcasses de voitures rongées par la rouille pourrissent, abandonnées depuis longtemps. Rares sont les vitrines des anciennes boutiques encore intactes.

Déjà à cette heure, la foule est grande. La majorité des gens se dirigent vers les centres de ravitaillement prêt à y passer la journée afin d’obtenir leurs substituts. En progressant, je regarde les visages graves aux regards sans éclat. Seuls les quelques enfants semblent encore sourire. Les cris et les pleurs sont les bruits de fond de la cité, une autre chose à laquelle je ne parviens pas à m’habituer. Tous, moi compris, sommes artificiellement animés par la triste routine de notre époque.

Des centaines de gens meurent chaque jour, les raisons sont diverses. Quand ce n’est pas le froid, la faim ou la pluie contaminée, ce sont les querelles, rixes et meurtres. On tue pour quelques comprimés. Les forts profitent des faibles. La loi de la jungle humaine est établie.

C’est l’anarchie ! Quelle merde ! Depuis l’immigration des survivants à la suite du

dernier conflit mondial, ici même dans la ville la population

Page 7: SYLVAIN PROVENCHER

2 7

atteint la dizaine de millions. L’apocalypse de 2049, car c’est le seul mot que je peux employer, fut brève et dévastatrice. Beaucoup affirment que la crise du pétrole serait à l’origine des combats, mais j’en doute. Ce que je sais, c’est que de grands pays furent balayés et des continents entièrement irradiés. Plus de trois quarts de la planète est maintenant invivables, le reste n’est qu’en sursis.

Par miracle certaines régions furent épargnées, mais les impacts environnementaux ont grandement ébranlé les bases de notre société. Les industries encore existantes parviennent difficilement à produire les millions de comprimés ingurgités chaque jour. Les matières premières s’épuisent dangereusement. L’apogée est inexorablement un lent génocide.

La tête bien enfoncée dans les épaules pour me protéger du froid, j’avance lentement dans la rue dépourvue en grande partie de pavés. L’humidité transperce mon imperméable, me gelant jusqu’aux os. Un vent léger se lève suivi d’une fine pluie. Je la sens sur mon visage se glisser sous mon masque jusqu’à mes lèvres. Son goût oxydé me répugne. Un souvenir me revient : celui de mon père. Un terrain vague, un ballon, la pluie, fraîche et vierge. Je cours m’abriter. Je n’ai que cinq ans. Je suis heureux, inconscient de la destinée que me réserve le savoir des adultes qui m’entourent. Je souris, ressentant ce que j’avais ressenti à l’époque.

Ne faisant qu’un avec la masse, je continue de progresser dans ce paysage morne, souhaitant des jours meilleurs, des jours où l’eau serait sans risque, le ciel sans nuages. À chaque pas mes pieds s’alourdissent de boue qui s’accumule sous mes semelles. La pluie s’intensifie. Des filets d’eau orangés glissent sur le sol, formant des embranchements veinés se jetant dans

Page 8: SYLVAIN PROVENCHER

2 8

de petites flaques. Je regarde avec regret la terre humide qui respire ce que l’homme lui rejette. Sa richesse ne pouvait que dépérir avec tout ce savoir dans les mains d’une humanité immature.

La brise fait place à des rafales. Les nuages se font de plus en plus condensés, obscurcissant davantage le ciel déjà gris. Les gens se pressent pour aller se protéger de l’averse, car quelquefois celle-ci contient certaines toxines dangereuses transportées par les vents.

L’eau tombe maintenant en cataracte, affolant les passants aveuglés qui fuient vers les différents abris. Je suis emporté par la meute en déroute. Au loin, j’ai l’horreur de voir un bambin d’à peine trois ans, tombé, bousculé par un salaud qui ne pense qu’à sa peau. Je cours vers lui pour l’aider, poussant les gens qui crient éperdument au travers le vacarme de la tempête. Je glisse et suis moi-même projeté par terre. Ma tête heurte le sol, ma vue s’embrouille, mon masque m’est arraché.

Me relevant difficilement en m’aidant d’une main, je continue d’avancer en chancelant vers l’enfant. Trop tard ! Il est là sur le dos, piétiné, les yeux ouverts à contempler le ciel, le regard noyé sans vie. Tombant à genoux, je crie de rage de voir cette décadence se produire sous mes yeux.

La pluie funeste continue son dessein. Les images devant moi deviennent floues. Toute volonté m’abandonne, je m’écroule. Personne ne semble me voir. Je suis là, étendu par terre immobile à plat ventre, le visage dans la boue, sans force comme d’autres.

L’eau sale pénètre dans ma bouche. Je crache désespérément, mais le goût dégoûtant reste, je me sens souillé. Je ne vois que des jambes, des centaines qui m’évitent en m’enjambant. D’autres me piétinent en courant sans but.

Page 9: SYLVAIN PROVENCHER

2 9

Aucune charité humaine, chacun pour soi. À chaque respiration, je sens le poison me pénétrer.

Mes poumons me brûlent atrocement. Ma vue s’embrouille, les images vacillent rapidement sous mes yeux. Je sens la vie me quitter tout doucement.

Dans le brouillard, un paysage magnifique se dessine lentement. Derrière un boisé luxuriant, je vois le soleil à l’horizon sous un ciel sans nuages, inondé d’éclats orangés. Un vent chaud me parcourt, me caressant la peau. Mon père et moi, courant l’un après l’autre en se cachant. Et ma mère, si belle, là, assise sous un arbre à l’ombre. Elle nous regarde joyeusement, amusée par ce spectacle attendrissant. Tous ces enfants qui m’entourent aux sourires moqueurs, aux yeux pétillants de joie. Jouant, courant, riant.

Tout devient noir. Je suis heureux. Comme le ciel est bleu…

Page 10: SYLVAIN PROVENCHER

2 10

Page 11: SYLVAIN PROVENCHER

2 11

Chapitre I L’éveil

Vu de loin, l’immense vaisseau spatial paraissait microscopique face à l’immensité de l’univers. Il semblait immobile et à l’abandon, mais en réalité, il se déplaçait à une vitesse plus que considérable, suivant un but bien précis.

À l’intérieur, une lumière provenant de l’un des énormes tubes vitrés éclairait faiblement la vaste pièce d’un éclat bleuté. Son flux lumineux inondait son contenu d’une douce tranquillité sereine. D’une hauteur de plus de deux mètres, côte à côte, formant un large cercle, chacun se reliait individuellement par une série de câbles plastifiés. Ceux-ci débutaient de la base arrière pour tous se rejoindre dans un seul panneau au plafond bien au-dessus d’eux. Chacun de ces fils fournissait l’électricité et les matières premières, nécessaires aux appareils.

Rempli d’un liquide amniotique artificiel, chacun de ces cylindres avait pour fonction de conserver en vie le corps qu’il contenait. Périodiquement, il leur procurait protéines, vitamines et oxygène par l’entremise d’un cordon ombilical synthétique.

Page 12: SYLVAIN PROVENCHER

2 12

Un peu plus loin dans une petite salle au climat contrôlé, un puissant ordinateur calculait le rythme des dosages et maintenait la température au niveau requis. Ce même ordinateur prenait soin de déclencher le ravitaillement de la colossale génératrice en pastille de plutonium, ce qui subvenait à sa propre subsistance et à l’ensemble du vaisseau. Tout ce dispositif d’une très grande complexité fonctionnait dans un synchronisme d’une minutie inimaginable. Un horloger n’aurait pu qu’être émerveillé devant une machinerie d’une telle précision de modernisme. Une réalisation si parfaite et si étanche, qu’aucune particule d’humidité ne pouvait venir entraver son bon fonctionnement. Pourtant, si une telle garantie existait, il y a longtemps qu’elle avait expiré, voir des millénaires.

L’un des habitacles émit un son, un léger grésillement. Le compteur numérique situé à sa base s’arrêta net sur les chiffres 18477 : 251 : 13 : 03 : 43. Pendant un bout de temps rien d’apparent ne se produisit, pourtant le cerveau central reconnut la défaillance et tenta une réparation afin de court-circuiter le mauvais fonctionnement. Après moins d’une minute et plus d’un million de combinaisons infructueuses, il activa la dernière option : éveillez l’être dormant à l’intérieur.

L’ordinateur mit en marche l’arrivée des différents minéraux et démarra les circuits de réanimation. À l’intérieur, il eut quelques mouvements à peine perceptibles à l’œil. La technique du réveil était simple, mais longue. Premièrement, il fallait augmenter la température du corps afin de pouvoir accélérer le rythme cardiaque et sanguin. Deuxièmement, réveiller chacun des muscles à l’aide des minuscules fils électrifiés insérés à de multiples endroits

Page 13: SYLVAIN PROVENCHER

2 13

sous la peau. Pendant les premières heures, les muscles furent bombardés d’ondes électriques à faible intensité, augmentant périodiquement. Au bout de vingt heures de ce traitement, le niveau du liquide jaunâtre commença à baisser pour être complètement vidé. Un puissant activant transmis par le cordon à l’être inanimé l’aida à sortir de sa complète léthargie.

Le corps fut pris soudainement de violentes secousses. Malgré les solides courroies retenant l’homme à la paroi du fond, un de ses bras réussit à briser une sangle, arrachant les fins conducteurs. Son visage se tordit de douleur. Sa main libre vint cogner le plexiglas qui résonnât dans toute la pièce. Ce fut une brève, mais forte décharge qui le sauva. Son cerveau l’obligea à ouvrir sa bouche, remplir ses poumons d’air et respirer de nouveau après une aussi grande inactivité. Sa respiration courte et rapide au début devint plus régulière après quelques minutes.

L’être se calma et ouvrit lentement les yeux. La faible lueur à l’intérieur du tube l’aveugla. Il les referma. À tâtons, il libéra son second bras, arracha les fils, ainsi que le cordon qui se sépara sans douleur. Ensuite, il détacha la ceinture qui le retenait debout. Ses jambes tremblantes ne purent le retenir. Il s’écroula. Sa tête vint heurter la vitre et il sombra à nouveau dans l’inconscience.

Quelques heures plus tard, il reprit connaissance et jeta un regard autour de lui. Toujours couché à même le sol froid, il se redressa et regarda autour de lui. Dans sa chute, son corps avait décroché le panneau transparent qui avait lieu de porte. La pièce qui se présentait maintenant n’affichait pas le même décor lugubre qu’à son premier réveil. Une douce chaleur provenant des néons à proximité réchauffait son corps nu. Il entreprit de se lever, mais malgré sa volonté, la

Page 14: SYLVAIN PROVENCHER

2 14

faiblesse de ses jambes ne pouvait encore le supporter. Il rampa difficilement à l’aide de ses bras jusqu’à l’énorme banquette remarquée plus tôt et s’évanouit sous l’effort.

« Monsieur ! » Fit une voix féminine. Il s’éveilla lentement et chercha sans succès la

provenance de la voix mélodieuse. Il lui avait semblé que celle-ci venait de partout et de nulle part à la fois.

« Monsieur !… Monsieur ! » « Oui. » Dit-il péniblement en ouvrant la bouche. Ses souvenirs s’embrouillaient dans sa mémoire

confuse. Il ne savait que penser. Il se sentait las, engourdi et faible. Pour la première fois depuis son réveil, il prit conscience de l’endroit qui l’entourait. La salle maintenant éclairée révélait ses dimensions. Il pouvait voir les dizaines de tubes qui l’entouraient. Il en estima le nombre à une cinquantaine. Machinalement, il compara l’endroit à une salle d’observation médicale par son blanc quasi immaculé et les différents appareils complexes s’y trouvant. Ce qui le frappa, c’est qu’en observant le plafond haut d’environ vingt mètres. D’autres paliers pouvaient être atteints par un escalier de métal qui le surplombait.

Peut-être se trouvait-il dans les sous-sols d’un des gratte-ciels. Pensa-t-il ne voyant aucun point de repère.

Plutôt une sorte de laboratoire gouvernemental ou encore un abri souterrain. Se dit-il en lui-même.

Déconcerté, il tenta de se souvenir comment il était arrivé là, mais sans succès.

Il se remémora les derniers événements dont il se souvenait. Il s’appelait Steve, Steve Hardi. Il était affecté à la sécurité des travailleurs. Il se souvint des bedeaux, du ciel gris, des cris, de la pluie et cet enfant sans vie qui le regardait. Ensuite, plus rien.

Page 15: SYLVAIN PROVENCHER

2 15

« Bon réveil, Monsieur. » Fit la voix qui le fit sursauter. « Je vous invite à boire le contenant se trouvant à votre

gauche. Cela balancera votre taux d’humidité tout en énergisant chaque cellule de votre corps, Monsieur. » Continua la voix.

Sur une petite table, il vit le verre ou plutôt un bécher rempli d’une solution transparente qu’il associa à de l’eau. Il ne l’avait pas remarqué auparavant et n’avait aucune idée comment il était arrivé là. À portée de main, il le prit et l’apporta à ses narines. Aucune odeur ne s’en dégageait.

Trempant le bout de ses lèvres, il y goûta. Bien que froid et bon, ce n’était pas de l’eau, c’était plus sucré, plus visqueux. Il avala le reste d’un seul trait. Il sentit le liquide descendre lentement en lui, revigorant son corps. Il constata avec étonnement que ses forces lui revenaient peu à peu. Il se sentait déjà mieux.

« Qui… êtes… vous ? Où… êtes… vous ? » Lança-t-il difficilement dans un souffle en regardant autour de lui.

« Ne me cherchez pas monsieur. Je suis MJ-3, l’ordinateur central, ainsi que le surveillant de cette station. J’ai pour fonction de veiller sur les bonnes conditions de votre survie, Monsieur. » Répondit-elle aussi froidement qu’une machine pouvait l’être.

Il ne fut pas totalement surpris. Ce n’était pas la première fois qu’il conversait avec un ordinateur. Il en avait déjà eu l’occasion lors de son embauche à la compagnie de surveillance. Le léger ton monocorde et le laps de temps qui s’écoulait lorsqu’il posait ses questions confirmaient ses pensées. Peu connaisseur de cette technologie, il associait ces délais à la recherche et à la construction d’une réponse valable, sauf que la voix qu’il entendait paressait presque humaine.

Page 16: SYLVAIN PROVENCHER

2 16

« Où suis-je ? » « Vous êtes dans le module ADN-3. L’un des trois

centres de survie de l’humanité, Monsieur. » « Tout ce dont je me souviens, c’est la pluie, les cris et

ma… ma mort… Où sommes-nous ? Quel est cet endroit ? » Demanda-t-il tentant de repérer une fenêtre pour s’orienter.

« Ceci est un vaisseau. Nous sommes dans la constellation Ursa Major. La Grande Ourse si vous préférez. Nous sommes en approche d’une des planètes de Mizar que nous atteindrons dans deux cent trente jours. Vous êtes vivant, Monsieur. » Lui renvoya-t-elle tout bonnement.

Sidéré d’apprendre qu’il se trouvait dans l’espace, il chercha des yeux un hublot où il pourrait voir l’extérieur, mais n’en trouva aucun. Il allait de surprises en surprises. Il remarqua une pièce vitrée et sombre au centre dans laquelle des dizaines de petites diodes de couleur clignotaient. Il se leva avec difficulté. S’aidant de toute l’énergie qu’il pouvait, il s’y dirigea lentement. Chacun de ses pas était un vrai calvaire. Ses jambes tremblaient. Il sentait son cœur battre rapidement dans sa poitrine lui faisant monter le sang à la tête, lui écrasant le cerveau comme dans un étau. Pendant quelques secondes il crut perdre connaissance de nouveau, mais sa volonté tint bon.

Lorsqu’il arriva à proximité de la pièce, la vitre lui renvoya l’image d’un grand individu squelettique au teint verdâtre quasi olive. Ses joues creuses recouvertes d’une barbe longue le vieillissaient considérablement. Pour bien s’assurer que c’était lui, il se passa la main dans les cheveux habituellement coupés drus, maintenant en bataille sur sa tête. Sa maigreur était telle qu’il pensa un instant le panneau convexe. Il voyait clairement chacune de ses côtes se

Page 17: SYLVAIN PROVENCHER

2 17

dessiner sous sa peau. Ses épaules anciennement musclées étaient maintenant osseuses. L’ensemble lui attribuait l’apparence d’un mort surnaturellement vivant. Malgré son aspect cadavérique, une certaine vivacité brillait encore dans ses yeux d’un brun foncé, presque noir.

« De quelle maladie suis-je atteint ? » Lança-t-il d’une voix tremblante teintée d’angoisse.

« D’aucunes, Monsieur. » « Depuis combien de jours suis-je ici ? » Demanda-t-il

faiblement. « En considérant les années bissextiles, six millions sept

cent quarante-neuf mille soixante-quinze jours, Monsieur. » Fit la voix.

La réponse vint si simplement et le nombre si impressionnant qu’il demanda avec amertume et crainte.

« Combien d’années ? » « Dix-huit mille quatre cent soixante-dix-huit années

en arrondissant, Monsieur. » « Mais… Mais, c’était hier ! » Il tomba lentement à genoux ni croyant pas. Les jours qui suivirent furent physiquement et

psychologiquement pénibles. Malgré la dure réalité qu’il digérait lentement, il se devait de survivre. Chaque jour, trois à cinq fois par jour, il avalait des capsules de nutrition comme il en avait l’habitude des milliers d’années plus tôt. Il n’avait pas vraiment le choix. Il devait gagner des forces s’il voulait comprendre son sort.

Ce n’était pas les vivres qui manquaient à bord. D’énormes caisses pleines de ces substituts de nourriture se retrouvaient rangées et sanglées dans un coin. Pour l’eau, d’immenses cuves en aluminium conservaient congelé le liquide qu’elles contenaient. Il y avait là de quoi assez pour

Page 18: SYLVAIN PROVENCHER

2 18

toute une vie. Il remarqua aussi quelques petits robots rudimentaires qui s’occupaient de différentes tâches d’entretiens.

Lors de son réveil, l’idée l’effleura que ceci n’était qu’une sorte d’expérience afin d’évaluer son comportement dans une telle situation. Il changea d’avis rapidement.

En visitant péniblement le premier et le second étage du vaisseau. Il constata qu’il ne restait que lui de vivant à bord. MJ-3 lui expliqua que tous les autres périrent au cours du voyage pour des raisons différentes. La majorité n’avait pas supporté le processus de cryoconservation. Quelques tubes eurent de mauvais fonctionnements, toutefois pour la plupart des voyageurs, le cœur s’était arrêté au cours des années. Il ne restait que des corps difformes et séchés dans les tubes hermétiques, vidés de leur liquide. Un spectacle bien pénible que Steve évita de regarder.

Le troisième étage plus petit se composait uniquement de quatre chambres très modestes et d’une douche commune. En fouillant chacune des chambres à la recherche de quoi que ce soit pouvant être utile, il fit l’affreuse découverte des restes d’un homme gisant sur le sol. Le vêtement encore intact que portait le cadavre ressemblait à un sarrau. Du bout des doigts, il tenta de le fouiller, mais ce simple contact fit tomber en poussière le défunt. Il tâta les poches sans rien trouver. Examinant la pièce minutieusement, il trouva différents articles personnels ayant appartenu à l’occupant. Il découvrit dans un tiroir des vêtements de fibres synthétiques toujours en assez bon état qu’il enfila.

Sous un petit lavabo se trouvaient des sachets contenant divers produits de toilette sous vide. Contre l’évier, il vit une vieille photo de famille accrochée au miroir

Page 19: SYLVAIN PROVENCHER

2 19

qui s’effrita complètement lorsqu’il tenta de la prendre. Une petite carte d’accès métallique gravée d’une suite de numéros « 3-001 » gisait par terre contre la cuvette. Ceci semblait être l’identification du propriétaire. Il la glissa dans la poche de son pantalon. Ce n’était pas la première carte qu’il trouvait, néanmoins la seule en métal jusqu’à maintenant. Les autres faits de plastique se brisaient dès qu’il les prenait.

Il s’étendit sur le matelas mousse qui épousa ses formes sous son poids. Il en savoura la douceur quelques instants et se reposa sans se soucier des restes de son hôte non loin de là. Après une si longue inactivité, ses muscles fatigués se remettaient lentement en fonction. Sa visite l’avait exténué. Le poids de son propre corps était une masse immense pour ses jambes. Il savait qu’il avait un peu forcé la note en gravissant les échelons pour atteindre le second et troisième étage.

Une fois reposé, il entreprit de visiter le dernier palier. Il pouvait voir que là-haut le chemin se terminait par une porte métallique. Cela devait être le poste de pilotage, selon lui. Il espérait voir et admirer de ses yeux l’extérieur du vaisseau.

Arrivé devant l’entrée, il enfonça le bouton de la serrure, mais rien ne se passa. Il eut immédiatement le reflex de prendre la carte et de la glisser sur le dessus de la paroi lisse sur sa gauche. Toujours rien. Il la glissa de nouveau, sans plus de succès. En inspectant attentivement sa passe, il remarqua de fines bandes de verre sur l’un des bouts. Il rechercha aussitôt le lecteur qu’il découvrit au centre du sas. Il y enfonça la carte et attendit. Un déclic se fit aussitôt entendre et la porte s’ouvrit.

En voyant le spectacle devant lui, il ne put que retenir son souffle. Il se trouvait bien au poste de pilotage. Plusieurs

Page 20: SYLVAIN PROVENCHER

2 20

cadrans et clignotants décoraient la pièce. Trois grands hublots triangulaires lui permirent de confirmer qu’il flottait bien dans le vide de l’espace. Il y avait tant d’étoiles qu’il en resta émerveillé.

Devant au loin, il distingua un point bleu auquel il prêta plus d’attention. Oui, cela ressemblait bien à une planète, mais elle semblait si loin.

« MJ, quelle est cette planète ? » Demanda-t-il, abrégeant le nom de l’ordinateur central.

« A7 Monsieur. Ce n’est que la seule information que j’ai dans mes enregistrements. Mon sonar indique une forte concentration d’oxygène, d’hydrogène, d’azote, ainsi que des traces de gaz carbonique. Sa température varie selon l’endroit de -71 à + 49 degrés Celsius. Son diamètre est de neuf fois celui de la Terre et elle fait partie du système planétaire composé de deux soleils que vous pouvez voir à votre droite. Le plus gros des deux est déjà recensé sous le nom de Mizar et possède un petit satellite solaire. Plus d’information devrait me parvenir sous peu, Monsieur. »

« Merci pour les précisions, mais j’aimerais plutôt savoir à quelle distance en sommes-nous ? En langage que je vais comprendre… » Lâcha-t-il un peu impatient.

« Nous atteindrons son orbite dans un peu plus de dix mois, Monsieur. »

« Dix mois ! C’est une éternité ! » Dit-il à haute voix pour lui-même.

« Quelles sont les chances que nous puissions y trouver une forme de vie animale ? »

« Selon les schémas que je peux élaborer avec le peu d’information que j’ai. J’estimerai les possibilités à 62.7 pourcents, Monsieur. »

« Comment déterminerais-tu l’époque en comparaison