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NOTE SYNDROME DE BALINT PAR INFARCTUS BIPARIETAL ANALYSE NEUROPSYCHOLOGIQUE Marc Rousseaux, Annette Delafosse, Philippe Devos, Sylviane Quint et Francis Lesoin (Service des Convalescents et Service de Clinique Neurologique, Centre Hospitalier Universitaire de Lille) Chez l'homme comme chez I'animal, les lesions biparietales s'accompagnent d'une importante desorganisation des strategies visuelles. II est c1assique depuis Hecaen, De Ajuriaguerra, Rouques, David et Dell (1950) et Hecaen et De Aju- riaguerra (1954) d'appeler syndrome de Balint I'association d'une paralysie psy- chique du regard, d'une ataxie optique et d'un trouble de l'attention (Sarraux, Esteve, Graveleau et Gouph, 1962; Allison, Hurwitz, White et Wilmst, 1969; Guard, Perenin, Vighetto, Giroud, Tommasi et Dumas, 1984). Pourtant les observations comportant des lesions parietales sans lesions occipitales ni deficit du champ visuel demeurent peu frequentes et l'analyse neuropsychologique peut etre rendue difficile par les troubles du langage (Hecaen et al., 1950; Michel, Jeannerod et Devic, 1965) ou la mauvaise definition des lesions anatomiques (Godwin-Austen, 1965; Allison et al., 1969; Morita, Hayashi et Miyoshi, 1975). Dans l' observation suivante, la symptomatologie relativement pure permet de mieux analyser des elements c1assiques et les perturbations visuo-spatiales. OBSERVATION CLINIQUE Monsieur L.R (obs 840036), 60 ans, gaucher preferentiel, presente Ie 9 avril 1982 une hemiplegie gauche. L'examen note un deficit moteur et sensitif brachiofacial et une quadranopsie superieure gauche. L'angioscintigraphie cere- brale (D.T.P.A.-Tc) revele un foyer d'hyperactivite parieto-occipital droit. Les troubles neurologiques regressent: Ie ler juin, on note uneastereognosie partielle de la main gauche sans hypoesthesie, il n'y a pas d'anomalie du champ visuel, pas de negligence. Le 24 janvier 1984, apparaissent rapidement des troubles du comportement et une desorientation. II n'y a pas de deficit moteur ou sensitif, mais d'importants troubles visuels avec une inattention majeure bilaterale, predominant a droite, sans hemianopsie. Le sujet garde les yeux en position centrale et ne toume ni la tete ni Ie yeux vers I'examinateur. II est incapable de fixer un objet place en dehors de son axe visuel spontane. II n'y a pas de fixation spasmodique des objets. Les mouvements oculaires lateraux sont obtenus vers la gauche, partiellement defi- citaires vers la droite. On note une dysmetrie dans les tentatives de saisie manuelle evoquant une ataxie optique. Le patient est logorrheique sans deficit de I'expres- sion ou de la comprehension orale. II est desoriente, anosognosique. Les activites quotidiennes sont considerablement perturbees, Ie patient ne peut se deplacer, Cortex (1986) 22, 267-277

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Page 1: Syndrome de Balint Par Infarctus Biparietal Analyse Neuropsychologique

NOTE

SYNDROME DE BALINT PAR INFARCTUS BIPARIETAL ANALYSE NEUROPSYCHOLOGIQUE

Marc Rousseaux, Annette Delafosse, Philippe Devos, Sylviane Quint et Francis Lesoin

(Service des Convalescents et Service de Clinique Neurologique, Centre Hospitalier Universitaire de Lille)

Chez l'homme comme chez I'animal, les lesions biparietales s'accompagnent d'une importante desorganisation des strategies visuelles. II est c1assique depuis Hecaen, De Ajuriaguerra, Rouques, David et Dell (1950) et Hecaen et De Aju­riaguerra (1954) d'appeler syndrome de Balint I'association d'une paralysie psy­chique du regard, d'une ataxie optique et d'un trouble de l'attention (Sarraux, Esteve, Graveleau et Gouph, 1962; Allison, Hurwitz, White et Wilmst, 1969; Guard, Perenin, Vighetto, Giroud, Tommasi et Dumas, 1984). Pourtant les observations comportant des lesions parietales sans lesions occipitales ni deficit du champ visuel demeurent peu frequentes et l'analyse neuropsychologique peut etre rendue difficile par les troubles du langage (Hecaen et al., 1950; Michel, Jeannerod et Devic, 1965) ou la mauvaise definition des lesions anatomiques (Godwin-Austen, 1965; Allison et al., 1969; Morita, Hayashi et Miyoshi, 1975). Dans l' observation suivante, la symptomatologie relativement pure permet de mieux analyser des elements c1assiques et les perturbations visuo-spatiales.

OBSERVATION CLINIQUE

Monsieur L.R (obs n° 840036), 60 ans, gaucher preferentiel, presente Ie 9 avril 1982 une hemiplegie gauche. L'examen note un deficit moteur et sensitif brachiofacial et une quadranopsie superieure gauche. L'angioscintigraphie cere­brale (D.T.P.A.-Tc) revele un foyer d'hyperactivite parieto-occipital droit. Les troubles neurologiques regressent: Ie ler juin, on note uneastereognosie partielle de la main gauche sans hypoesthesie, il n'y a pas d'anomalie du champ visuel, pas de negligence.

Le 24 janvier 1984, apparaissent rapidement des troubles du comportement et une desorientation. II n'y a pas de deficit moteur ou sensitif, mais d'importants troubles visuels avec une inattention majeure bilaterale, predominant a droite, sans hemianopsie. Le sujet garde les yeux en position centrale et ne toume ni la tete ni Ie yeux vers I'examinateur. II est incapable de fixer un objet place en dehors de son axe visuel spontane. II n'y a pas de fixation spasmodique des objets. Les mouvements oculaires lateraux sont obtenus vers la gauche, partiellement defi­citaires vers la droite. On note une dysmetrie dans les tentatives de saisie manuelle evoquant une ataxie optique. Le patient est logorrheique sans deficit de I'expres­sion ou de la comprehension orale. II est desoriente, anosognosique. Les activites quotidiennes sont considerablement perturbees, Ie patient ne peut se deplacer,

Cortex (1986) 22, 267-277

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Fig 1 - Scanner X apres injection de produit de contraste. A droite: hypodensite parihale anterieure et surtout du carre/our temporo-parieto-occipital. A gauche: hypodensite et /egere prise de contraste a fa jonction parieto-occipitale.

s'habiller, se laver sans aide. Le scanner (Figure 1) revele des lesions bilaterales dans Ie territoire posterieur de l'artere cerebrale moyenne. A droite, les lesions predominent a la jonction parieto-occipitale et touchent la region temporale posterieure et la zone parietale. A gauche, elles sont restreintes a la jonction parieto-occipitale.

Les deficits neurologiques s'ameliorent. Apres 3 semaines, les perturbations attentionnelles sont toujours majeures a droite, plus discretes a gauche. Le patient peut se deplacer seul mais il se heurte facilement aux obstacles. La desorientation temporelle a regresse. Ulterieurement, les troubles de l'attention s'attenuent, meme a droite. L'ataxie optique disparait. Apres Ie retour au domicile (9 mars) Ie malade reste dependant d'autrui, apragmatique. Le 9 mai survient un nouvel accident vasculaire cerebral. Le deces survient Ie lendemain, aucune verification anatomique n'est realisee.

ETUDE VISUELLE ET NEUROPSYCHOLOGIQUE

I - Examen initial de la vision

L'acuite visuelle est satisfaisante (8/10 des deux cotes). II n'y a pas d'hemia­nopsie a l' examen du doigt. L' etude instrumentale du champ visuel est impossible it realiser du fait de la negligence et des troubles du comportement. Les potentiels evoques visuels sont etudies avec stimulation par flashs et par damiers, oeil par oeil; les reponses sont moins structurees en regard du cortex occipital gauche et par stimulation de l'oeil droit mais les latences des ondes principales sont nor­males. Un enregistrement electrooculograpbique est pratique. Spontanement, Ie patient ales yeux en position intermediaire. La fixation centrale est stable. Dans la motricite a la commande, l'ordre doit etre reitere et Ie mouvement commence avec retard. II est hypometrique, surtout vers Ie haut et la droite, et il se fait frequemment par saccades successives. Les mouvements sur cibles lumineuses excentrees (20°) sont moins bien realises. La poursuite verticale est correctement

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executee; vers la droite elle est irreguliere et hypometrique, vers la gauche, elle est surchargee de saccades. Dne exageration de la fixation est constatee dans Ie nystagmus optocinetique, les saccades de rappel sont diminuees de frequence et augmentees d'amplitude. Les reflexes vertibulo-oculaires sont normaux, Ie pM­nomene de Bell est present. La convergence sur cible est abolie. Les pupilles sont symetriques, reactives a la lumiere.

II - Premier examen neuropsychologique (30 janvier 1984)

A - Attention visuelle

1. Comportement spontane. Dans l'environnement de la chambre, Ie patient n'a pas de saccades spontanees a droite et les mouvements vers la gauche sont rares et peu amples. Le regard est fixe sans mouvements d'errance. Quand l'interlocuteur se place sur son cote droit, il ne porte pas les yeux sur lui, il toume partiellement la tete sans Ie fixer. Quand on lui demande "m' avez-vous dej a vu?", il toume la tete et les yeux, que l'examinateur se place a sa gauche ou a sa droite mais Ie mouvement est hypometrique et la fixation du visage n'est pas obtenue. Place a la fenetre, il ne fixe que les elements situes face a lui et la description de la scene ne porte que sur quelques details. Dans la description de l' espace proche, les problemes sont identiques avec une tendance a designer systematiquement l'es­pace central et a y placer des objets qui ne s'y trouvent pas: "Pouvez-vous me dire quels sont les meubles de la chambre?" "Dne valise, une chose rouge, Ie lit qui est la" (ils sont dans son axe visuel). "Est-ce tout?" "La, il y a une chaise" (il designe un point devant lui mais il n'y a aucun meuble). "OU est la porte?" "La, ici, voila" (il designe Ie mur face a lui). "OU est Ie sol?" "La" (il designe a nouveau Ie mur face a lui).

2. L'attention est testee plus systematiquement dans l'espace Pioche. (a) On presente un objet dans les differentes parties du champ visue!. Quand il est a proximite de l'axe visuel et qu'on demande sa couleur, il ne Ie fixe pas d'emblee mais Ie trouve facilement. S'il est a sa gauche, il explore l'espace gauche, Ie fixe avec retard puis denomme la couleur. A droite, il explore la region centrale, eventuellement l'espace gauche, enfin de fac;on limitee l'espace droit, sans Ie trouver. La captation centrale et gauche est plus facile quand on mobilise 1'0bjet. (b) On presente ensuite plusieurs objets identiques de couleurs differentes. Quand l'un est en face, l'autre dans l'espace lateral, il fixe celui qui est dans son axe de vision en denomme la couleur mais repond par hi negative quand on lui demande s'il en existe un second. Quand l'un est a droite, l' autre a gauche, il dirige Ie regard vers celui de gauche. Quand les deux sont face a lui, il n'en identifie qu'un et il s'agit quatre fois sur cinq de celui de gauche. II y a donc une superiorite du reperage visuel central sur Ie reperage gauche et une superiorite du reper,age gauche sur Ie reperage droit.

3. Exploration des figures et dessins. (a) Au test de barrage de traits (Albert, 1973), il ne prend en compte que ceux situes dans la partie gauche de I'Mmiespace gauche. De plus, son stylo est deplace systematiquement vers la droite des traits. (b) Au test de partage de lignes horizontales (Schenkenberg, Bradford et Ajax, 1980) il barre quelques lignes dans I'Mmiespace gauche avec un decalage vers la gauche (Figure 2). (c) On lui demande d'explorer une carte de France: "Que voyez-vous?" "C;a ressemble a une carte de France". "Suivez les contours et

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Fig. 2 - Test de partage de lignes: negligence droite, omission de nombreuses li­gnes II gauche, anomalies d'orientation des traits.

montrez les differentes parties". 11 montre avec Ie doigt la Bretagne, puis descend Ie long de la cote ouest. "La, il y a des Landes" (il designe Ie lieu correct) "Le Nord, on ne peut pas Ie voir". Le reste des contours n' est pas explore, meme apres incitation verb ale. (d) On lui fait explorer et decrire une scene complexe (le teIegraphiste: Binet cite par Kinsbourne et Warrington, 1962) "Que voyez-vous?" "Le petit chaperon rouge; je peux me tromper mais je pense que c'est ~a. lei, une espece de saucisse (les arbres), la un mouton (les arbres), la un cycliste. Main­tenantj'y suis, la des boyaux, la une fourche, la ce cycliste, un bonhomme qui est creve vraisemblablement". "Que fait-il?" "11 repare sa crevaison qui est la, son pneu, il a un boyau". Le reste de I'image, en particulier la partie droite, n'est pas explore. ( e) On lui demande l' analyse de dessins superposes (Luria, 1978, d' apres Poppelreuter). Image n° 1 (cruche + couteau + marteau + fer a repa.sser): "une sorte de panier, un mouchoir noue avec une cruche, une cruche avec de I'eau dedans, une cruche cassee, un machin de Rembrand. On dirait une queue de poisson, c'est tout". "Qu'y a-t-il d'autre?" "11 n'y a rien, je vous dis qu'il n'y a rien". Image n° 2 (seau + hache + ciseaux + rateau + pinceau): "un chaudron, une espece de faux ou de faucille '" Je ne sais pas". "Et puis?" " ... et puis rien". Image nO 3 (bouilloire + verre + fourchette + assiette + bouteille): "un verre, un verre et puis une cuillere, et puis une fourchette aussi et un grand verre et une fourchette; la, c'est tout".

B - Ataxie optique

Elle est importante dans la vie quotidienne, bien visible quand il tente de saisir un objet place devant lui. Elle est presente dans I'ensemble du champ visuel, predominante a droite dans les epreuves de pointage sur cible avec I'index. Pour la quantifier, on demande au patient de passer la main dans une fente (20 X 2,5 cm) pratiquee dans une plaque de carton, celle-ci etant positionnee soit dans I'axe de vision soit a droite ou a gauche de celui-ci, son orientation differant d'un essai a I'autre. Cinq essais sont realises avec chaque main dans les trois positions, les erreurs directionnelles (D) sont differenciees des erreurs d'orientation (0). Quand elle est placee face au sujet, il n'y a pas d'erreur avec la main droite, on en

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compte deux (D : 2) avec la main gauche. A gauche i1 n'y a pas d'erreur avec la main gauche, deux surviennent avec la main droite (D : 2). A droite, les erreurs sont importantes avec la main droite (D+O: 5), moins severes avec la main gauche (D : 3,0: 1, D+O : 1).

C - Langage oral et ecrit

II y a une difference tres nette entre les epreuves qui font et celles qui ne font pas intervenir la vision. Le langage spontane est normal, les reponses adaptees. Les ordres simples avec reference corporelle sont rapidement executes. La de­signation montre de nombreux echecs. La designation altemee ne peut etre obtenue par l'impossibilite it designer les objets dans la piece. L'epreuve des 3 papiers de Pierre Marie n'est pas realisee. On note un trouble de la comprehen­sion des locutions spatiales (en face, derriere, au dessous). La critique des his­toires absurdes est souvent inadequate. L'expression orale spontanee ou orientee est satisfaisante, sans paraphasies, sans manque du mot evident. Les series automatiques sont dites rapidement. La repetition est normale. La denomination d'objets ou d'images montre une altemance de reussites rapides, de persevera­tions et de quelques paragnosies visuelles. La denomination des parties du corps est satisfaisante. Les epreuves de langage eIabore (definitions, contraires) sont reussies. La lecture est alteree. Les lettres presentees isolement sont denommees (8 reussites sur 10). Celles de dimension moyenne sont mieux identifiees mais la lecture d'un texte n'est pas possible. On note des paralexies constantes pour les chiffres. L'ecriture spontanee ou dictee montre une jargonagraphie de la main droite avec une negligence de l'hemifeuille droite. L'epellation est correcte.

D - Gnosies et Praxies

Si des perturbations de la reconnaissance des objets, des images ou des chiffres sont constatees, les couleurs sont correctement denommees. La reconnaissance de 6 visages celebres obtient deux reussites rapides, une lente et 3 echecs. Les objets places dans la main (droite ou gauche) sont correctement identifies, comme les sons d' objets. II n'y a pas d' apraxie ideo-motrice. On constate une apractognosie massive dans les taches visuo:-spatiales. II y a une indistinction droite-gauche, un echec it la denomination des points cardinaux et d'importants troubles it la designation de l'emplacement des villes principales sur la carte de France. Quand on interroge le.o patient sur ses connaissances des rapports entre les villes, les errew:s sont plus discretes. L'apraxie constructive est importante avec des dessins morceles, peu identifiables, sur ordre ou en copie. Quand on demande de retracer les contours d'un dessin ou d'une carte, on constate une negligence de l'Mmiespace droit. De plus, Ie trait dessine par Ie patient reproduit celui du dessin mais i1 est situe a droite de celui-ci, it une distance presque constante (Figure 3).

E - Autres fonetions

La desorientation temporelle et spatiale est tres importante. On note l'ab­sence de souvenirs desjours ecoules depuis la constitution de l'accident vasculaire et des propos fabulatoires. La reconstitution de la biographie plus ancienne est

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Fig. 3 - Premier exa­men: retra~age de la carte de France. Negligence droite. A gauche, dissociation visuo­manuelle; on remarque que Ie dessin est correct, mais avec une distance relativement fixe par rapport a la figure cible.

difficile, meme pour les souvenirs de l'enfance. 11 existe une importante acalculie mentale et une acalculie spatiale. Les erreurs sont frequentes dans la dlmomi­nation des chiffres.

III - Deuxieme examen (1er mars 1984)

La motricite oculaire sur ordre est amelioree, les saccades vers la gauche et Ie bas sont d'amplitude normale; a droite, elles sont legerement hypometriques. Les mouvements de poursuite sont irreguliers. La convergence est faible.

L'attention visuelle est egalement meilleure. Les mouvements d'exploration spontanes vers la gauche sont amples et assez frequents, ceux a droite sont plus rares. L'interlocuteur situe a gauche ou a droite est fixe. Lors de la presentation simultanee il y a touj ours une tendance a negliger les stimuli droits. L' exploration et la description des dessins simples est correcte, mais celle des images complexes (Luria, 1978, d'apres Poppelreuter) montre toujours une importante difficulte d'identification.

L'ataxie optique a disparu dans la vie quotidienne, et aux epreuves de poin­tage de cibles ou de retra9age de dessins.

Si la designation d'images est correcte, la denomination d'images montre encore quelques paragnosies visuelles. La lecture de lettres est correcte (1 erreur sur 20). En lecture de syllabes, on cons tate plusieurs phenomenes d'inversion dans les syllabes a 2lettres. La lecture de mots obtient 14 reussites sur 15. Celle de neologismes est impossible. En lecture de texte, Ie patient saute frequemment d'une ligne a l'autre. Dans l'ecriture spontanee et en dictee, la jargonagraphie persiste.

Les paragnosies visuelles sont plus discretes. Les figures geometriques simples

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sont rapidement identifiees. 11 n'y a plus d'indistinction droite-gauche, ou d'er­reur dans la denomination des points cardinaux. L' apraxie constructive a regresse partiellement. Quand on demande de repasser un trait sur un dessin complexe (Luria, 1978, d'apres Poppelreuter) on constate des erreurs grossieres (Figure 3) avec ala fois une omission de certains traits et Ie dessin de figures ne corres­pondant a aucun objet.

Une desorientation temporospatiale partielle persiste. Monsieur L. peut evo­quer avec quelques details des evenements survenus les jours precedents. 11 n'y a plus de fabulation. La memoire des faits anciens est notablement amelioree. L'acalculie mentale persiste.

IV - Troisieme examen (27 avril 1984)

La negligence droite a presque disparu. La description de I'espace lointain ou de la piece est faite rapidement de fa~n synthetique, tous les details sont per~us. Les objets disperses sur une table sont rapidement enumeres, les images com­plexes decrites sans omission. L'exploration du langage oral et ecrit montre une amelioration nette des epreuves faisant intervenir Ie systeme visueL Les gnosies et praxies visuo-spatiales et constructives sont toujours perturbees mais de fa~n moins intense. 11 n'y a plus de desorientation temporelle et spatiale, Ie patient evoque de fayon ordonnee et relativement precise les faits survenus depuis la sortie. L'acalculie mentale persiste.

DISCUSSION

Ce patient presente apres deux infarctus successifs des arteres cerebrales moyennes, les elements caracteristiques de la triade decrite par Balint (1909) et

, Holmes (1918). L' ataxie optique regresse en 3 semaines mais I'inattention visuelle et les troubles de la motricite oculaire sont beaucoup plus profonds et persis­tants.

Si ces elements sont bien dissocies depuis Ie travail de Hecaen et al. (1950), nous voudrions d'abord insister sur la primaute du deficit de l'attention visuelle, dans notre observation comme d'ailleurs dans celle de Holmes (1918) et sur son etroite intrication avec la paralysie psychique du regard.

Cette demiere consiste en une difficulte pour fixer un objet initialement situe dans la peripherie du champ visuel et parfois pour suiYre un objet mobile. Les yeux restent en position primaire ou presentent des mouvements d'errance. Le patient est en theorie capable d'executer un mouvement sur ordre simple ("a droite", "a gauche"), mais peu d'observation ont pu heneficier d'une etude complete de l' oculomotricite et leur normalite doit etre discutee, car les lesions parietales les rendent souvent hypometriques (Larmande, Prier, Masson et gam­bier, 1980). Le phenomene dominant est donc Ie defaut d'attraction vers l' objet et il faut sans doute y ajouter I'hypometrie lorsque Ie phenomene est discret ou lorsque Ie stimulus devient assez puissant pour attirer Ie regard. Cette hypometrie que nous avons constate chez notre malade a la phase secondaire est fonction­nellement proche de l'ataxie optique puisqu'il y a dans les deux cas un defaut d'ajustement dans un mouvement balistique sur cible. Le lobe parietal est integre

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dans Ie systeme d'attention visuelle, souvent appe1e "second systeme visue1" (Ingle, 1967; Trevarthen, 1968; Zihl et Von Cramon, 1979). II contribue a ce que Ie sujet porte son regard sur la cible puis sur ses divers constituants. Ceci rend possible l'analyse des points successifs de fixation qui sont projetes sur la zone maculaire (Yarbus, 1967). Le dysfonctionnement bilateral de ce systeme explique a la fois l'inattention et la paralysie psychique en concordance aves les donnees experimentales. Chez Ie singe, les lesions parietales bilaterales entrainent un defaut d'attention visuelle (Bates et Ettinger, 1960). Mountcastle, Lynch, Geor­gopoulos, Sakata et Acuna (1975) distinguent 3 groupes de cellules dans l'aire 7. Les premieres sont activees quand l'animal fixe un objet qu'il desire (neurone de la fixation), les secondes dechargent pendant la poursuite d'objets desires (neu­rone de poursuite), l'activite des troisiemes survient pendant les mouvements combines de la main et des yeux sur un objet en mouvement. La decharge de certaines cellules repondant a un stimulus visue1 augmente quand ce1ui-ci devient signifiant et ceci precede Ie mouvement saccadique oculaire (Yin et Mountcastle, 1977). L'importance du cortex parietal dans l' attraction visuelle est confirmee par d'autres travaux plus recents (Lynch, Mountcastle et Talbot, 1977; Robinson, Goldberg et Stanton, 1978; Lynch, 1981). Chez I'homme, les troubles compor­tementaux sont plus faciles a analyser. La negligence visuelle est bilaterale mais plus importante a gauche chez les droitiers (Chain, Leblanc, Chedru et Lhermitte, 1979) et notre patient gaucher presente un phenomene inverse. La grande dif­ficulte pour aller vers une cible peripherique ou pour passer d'une cible a l'autre explique en grande partie la simultagnosie (Wolpert, 1924; Kinsbourne et War­rington, 1962; Luria, 1959). Le defaut attentionnel est d'autant plus net qu'il comprend bien les consignes. II reconnait les couleurs et on doit evoquer que ses troubles gnosiques sont de type perceptifs lies en grande partie au defaut d'ex­ploration.

En dehors du deficit d'attention sur cibles visuelles, on note l'absence de mouvements d'attention des yeux ou de la tete vers l'interlocuteur lors de la communication verb ale et I'hypometrie de ces memes mouvements lorqu'un stimulus plus puissant est emis ("m'avez-vous deja vu?"). L'attraction du regard . depend alors largement des afferences auditives et on peut penser que ce patient a un deficit de l' attention correspondante comme dans d' autres cas de syndrome de Balint (Godwin-Austin, 1965: Michel et al., 1965; Hauser, Robert et Giard, 1980).

S'il existe un retrecissement peripherique de l'espace d'interetqui est roouit a la zone centrale de fixation visuelle spontanee, Ie defaut re1ationne1 avec l'espace n'est pas seulement de type perceptif. Quand on demande au patient ou se trouvent les meubles de sa chambre ou des objets divers, il designe systemati­quement l'espace restreint qui lui fait face. II existe donc aussi un deficit inten­tionnel. Tout se passe comme si la representation mentale de l'espace etait egalement roouite a cette zone centrale et s'il existait un deficit cognitif plus global. N ous n' avons pas trouve de descriptions ou de discussions de ce probleme dans les etudes precedentes sur Ie syndrome de Balint, mais Ie bouleversement de la representation mentale de l' espace proche est un phenomene essentiel dans les lesions parietales (De Renzi, 1982).

Les rapports de l'ataxie optique avec Ie deficit attentionne1 et la paralysie psychique sont plus difficiles a cerner. Certains neurones des aires 5 et 7 sont actives lorsque l'animal projette son bras dans l'espace extrapersonne1 immediat pour saisir un objet (Mountcastle et al., 1975), d'autres lorsqu'il existe en plus une attraction visuelle. II y a une etroite relation fonctionnelle entre les mouvements

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de l' oeil et de la main, qui sont des gestes balistiques permettant l' approche d'une cible. Chez notre patient, l'ataxie optique predomine dans I'hemiespace droit, en concordance avec Ie deficit d'attention. Au test de barrage, Ie pointage se fait a droite des cibles situees a gauche, se rapprochant du centre de la feuille. Cette dysmetrie est voisine de I'hypometrie constatee chez Ie singe (Lamotte et Acuna, 1978). Si l' ataxie optique est consideree comme la perturbation des mouvements balistiques, il existe chez Monsieur L. une inadaptation visuomotrice pour les mouvements lents de la main, lors des epreuves de retra~age de figures simples. La encore les traits sont situes a droite de la partie gauche du dessin, plus pres de la ligne mediane et la distance et l'orientation par rapport aux traits cibles sont definis et assez fixes. n n'y a aucune autocorrection. Une telle epreuve de retra­~age est realisee chez un patient de Luria (1959) mais l'anomalie n'est pas aussi evidente. La relation constante et de la reproductibilite de cette dysmetrie (La­motte et Acuna, 1978) montrent que la dissociation visuo-manuelle ne peut etre interpretee comme une simple disconnection (Rondot, De Roncondo et Riba­deau - Dumas, 1977). S'il en etait ainsi, elle aurait un caractere plus variable et aleatoire. L'inadaptation visuo-manuelle pourrait etre liee ala perte d'un con­trole activateur du lobe parietal sur les voies occipito-frontales permettant l'ajustement de la position de la main. Le deficit de la memoire n'est pas explique par des lesions bioccipitales ou bihyppocampiques comme dans les infarctus des arteres cerebrales posterieures. Dans les autres syndrome de Balint avec lesions bilaterales, des troubles importants de l'orientation et eventuellement une con­fusion sont rapportes par Waltz (1961), Michel et al. (1965), Guard et al. (1984); Damasio et B~nton (1979) decrivent un defaut d'orientation temporelle et Luria (1959) une desorientation spatiale. Chez Monsieur L. Ie deficit de memoire est important, il touche les faits recents mais aussi, a un degre moindre, l'evocation des souvenirs anciens, evenementiels et didactiques.

CONCLUSION

Ce syndrome de Balint permet de souligner l'etroite intrication de l'inatten­tion visuelle et de la paralysie psychique du regard, a l'origine des deficits visuognosiques perceptifs. Dans ce cas precis, l'ataxie optique s'integre dans un deficit plus complexe des ajustements visuo-manuels et ne peut etre consideres comme une simple disconnection.

RESUME

Un cas de syndrome de Balint par infarctus biparietal est decrit. L'analyse montre l'etroite intrication de l'inattention visuelle et de la paralysie psychique du regard. Le defaut d'ajustement visuomanuel est caracterise par un ecart fixe entre la cible et l'endroit OU Ie patient place sa main, que ce soit dans les mouvements balistiques (l'ataxie optique c1assique) ou dans les mouvements de poursuite: il est donc difficile d'expliquer l'ataxie optique c1assique par une disconnection simple. La discretion de l'aphasie permet l'individualisation d'une amnesie anterograde et partiellement retrograde.

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ABSTRACT

A case of Balint syndrome with bilateral parietal infarction is presented. Analysis shows the tight intrication of visual inattention and psychic gaze palsy. The deficit of visuo-manual adjustement is characterized by a fixed divergence between the target and the point where the patient places his hand, either in ballistic movements (classical optic ataxia), either in pursuit movements; for this reason, a simple disconnexion should not explain the classic optic ataxia. The discretion of aphasia allows the individualisation of an anterograde and partialy retrograde amnesia.

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Dr. Marc Rousseaux, Services des Convalescents, C.H.U. de Lille, 2 place de Verdun, 59037 Lille Cedex, France.