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Tome III Syndrome de Goodpasture et polyarthrite rhumatoi'de 237 Numdro 3 COMMUNICATIONS BRE~/ES Syndrome de Goodpasture au cours d'une polyarthrite rhumatoide traitee par la D. Penicillamine par M. HASSELMANN*, F. MAURIER*, Ph. LtfFUN*, J.-M. VETTER** et J.-D. TEMPE* Si, au cours des traitements par la D. P6nicillamine (DP), la survenue d'une n6phropathie glom6rulaire est une complication classique (1), son association des h6morragies pulmonaires est, par contre, exceptionnelle (2, 4, 5). Nous rapportons une nouvelle observation de syndrome de Goodpasture compliquant une polyarthrite rhumatoide traitbe par DP. OBSERVATION Mme A... M.T., 47 ans, est atteinte depuis l'fige de 25 ans d'une polyarthrite rhumatoide seron6gative intiale- ment calm6e par des salicyles. En 1975, la majoration des sympt6mes fait entreprendre un traitement par 300 mg/j de DP, posologie port6e 3 ans plus tard a 1 200 mg/j. En janvier 1980, surviennent une alt6ration de 1'6tat g6n6ral et d'importants ced6mes des membres inf6rieurs. Un mois plus tard, s'installe une dyspn6e rapidement invalidante, conduisant a l'hospitalisation. La malade est alors apyretique, p~le, en orthopnee avec rfiles sous-cr6pitants darts le champ pulmonaire droit. Le pouls est regulier ~t 120 c/min, la TA a 110/70 mmHg, I'ECG sans anomalie, la PAP a 42/11 mmHg, la PcP 10 mmHg. On note de gros oed6mes mous des membres inferieurs et des lombes, la diur~se est conserv6e. Radiologiquement, le poumon droit est le si6ge d'un syndrome alveolaire diffus. En 48 h, l'atteinte se bilateralise avec majoration de l'hypoxemie: pH 7,24, PaC02 30 mmHg, Pa02 50 mmHg, RA 16 mM/l, Sa 02 82 p. 100. I1 existe, par ailteurs, une anemie ~t 5,9 g/ 100 ml d'hemoglobine et une atteinte r6nale glomerulaire : ur6mie 21 mM/1, cr6atininemie 521 ~zM/1, clairance de la cr6atinine 7 ml/min, h6maturie microscopique, prot6inu- * Service de reanimation mddicale (Pr ag. J.-D. Tempd), h6pital de Hautepierre, CHU, 67098 Strasbourg Cedex. ** Institut d'anatomie pathologique (Pr Y. Legal), CHU, 1, place de I'Hopital, BP 247/R6, 67006 Strasbourg Cedex. La Revue de Mddecine interne, tome Ill, n ° 3, septembre tie fl 4,1 g/24 h non s61ective. La leucocytose est normale, la VS ~t 144/151. I1 n'y a pas d'atteinte h6patique, ni de trouble de la crase sanguine. Au 3e jour, survient une discr6te hemoptysie avec, ~t l'endoscopie, un saignement diffus de l'arbre bronchique. La biopsie r6nale montre une prolif6ration endo et extra-capillaire avec hyperplasie des cellules epith61iales de la capsule de Bowmann. En immunofluorescence directe, il existe un ruban fluorescent intense avec les s6rum anti-IgG et anti-compl6ment C3 sur la basale glom6rulaire, une fluorescence granuleuse mod6r6e avec le s6rum anti-IgM et, dans la chambre glomerulaire a la p6riph6rie des anses capillaires, une discr6te fluorescence avec le serum antifibrJnog6ne. Les principaux resultats des exarnens compl6mentaires sont: l'absence de cellules LE, la positivit6 an 1/800 des anticorps antinuclbaires homog6nes sans anticorps anti- DNA, la pr6sence d'immuns complexes circulants avec tanx normal du compl6ment total, de la fraction C4 et abaissement de la fraction C3, l'el6vation non significative de 1/8 fi 1/32 des anticorps anti-para-influenzae 2 et surtout la n6gativit6 a quatre reprises de la recherche d'anticorps antimembrane basale glom6rulaire (anti-GBM) circulants*. En 36 h, sous l'effet d'un traitement par 200 mg/j de methylprednisolone et 150 mg/j de cyclophosphamide les h6moptysies s'amendent. L'atteinte renale n6cessite toute- fois le recours h cinq s6ances d'h6modialyse. La prednisolone est reduite ~t 1 mg/kg/j au 3e jour et l'6volution est d6s lors progressivement favorable. La malade quitte le service 1 mois plus tard conservant cependant une insuffisance r6nale a 25 mM/l d'ur6mie, 500 fzM/l de cr6atininemie, 15 ml/min de clairance de la cr6atinine et 0,8 g de prot6inurie par 24 h non s61ective. Apr6s 4 mois de traitement, la corticoth6rapie est progressivement r6duite et le cyclophosphamide poursuivi pendant 1 an. Deux ans apr~s l'6pisode aigu, l'6tat g6n6ral de la patiente est satisfaisant, la clairance de la creatinine ~t 35 ml/min sans prot6inurie. La polyarthrite est stabilisee par 1 mg/j de prednisone. * Dr Pit, Mahieu. Instilul de mt;decine B, !16pital de Baviere. 4020 Liege, 1982, pp. 237 a 238.

Syndrome de Goodpasture au cours d'une polyarthrite rhumatoïde traitée par la D. Pénicillamine

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Page 1: Syndrome de Goodpasture au cours d'une polyarthrite rhumatoïde traitée par la D. Pénicillamine

Tome III Syndrome de Goodpasture et polyarthrite rhumatoi'de 237 Numdro 3

COMMUNICATIONS BRE~/ES

Syndrome de Goodpasture au cours d'une polyarthrite rhumatoide

traitee par la D. Penicillamine

par M. HASSELMANN*, F. MAURIER*, Ph. LtfFUN*, J.-M. VETTER** et J.-D. TEMPE*

Si, au cours des trai tements par la D. P6nici l lamine (DP), la su rvenue d 'une n6phropathie glom6rulaire est une complicat ion classique (1), son association des h6morragies pu lmonai res est, par contre, exceptionnelle (2, 4, 5). Nous rapportons une nouvel le observat ion de syndrome de Goodpasture compl iquan t une polyarthri te rhumato ide traitbe par DP.

OBSERVATION

Mme A... M.T., 47 ans, est atteinte depuis l'fige de 25 ans d'une polyarthrite rhumatoide seron6gative intiale- ment calm6e par des salicyles. En 1975, la majoration des sympt6mes fait entreprendre un traitement par 300 mg/j de DP, posologie port6e 3 ans plus tard a 1 200 mg/j. En janvier 1980, surviennent une alt6ration de 1'6tat g6n6ral et d'importants ced6mes des membres inf6rieurs. Un mois plus tard, s'installe une dyspn6e rapidement invalidante, conduisant a l'hospitalisation.

La malade est alors apyretique, p~le, en orthopnee avec rfiles sous-cr6pitants darts le champ pulmonaire droit. Le pouls est regulier ~t 120 c/min, la TA a 110/70 mmHg, I'ECG sans anomalie, la PAP a 42/11 mmHg, la PcP 10 mmHg. On note de gros oed6mes mous des membres inferieurs et des lombes, la diur~se est conserv6e. Radiologiquement, le poumon droit est le si6ge d'un syndrome alveolaire diffus. En 48 h, l'atteinte se bilateralise avec majoration de l 'hypoxemie: pH 7,24, PaC02 30 mmHg, Pa02 50 mmHg, RA 16 m M / l , Sa 02 82 p. 100. I1 existe, par ailteurs, une anemie ~t 5,9 g/ 100 ml d'hemoglobine et une atteinte r6nale glomerulaire : ur6mie 21 mM/1, cr6atininemie 521 ~zM/1, clairance de la cr6atinine 7 ml/min, h6maturie microscopique, prot6inu-

* Service de reanimation mddicale (Pr ag. J.-D. Tempd), h6pital de Hautepierre, CHU, 67098 Strasbourg Cedex.

** Institut d'anatomie pathologique (Pr Y. Legal), CHU, 1, place de I'Hopital, BP 247/R6, 67006 Strasbourg Cedex.

La Revue de Mddecine interne, tome Ill, n ° 3, septembre

tie fl 4,1 g/24 h non s61ective. La leucocytose est normale, la VS ~t 144/151. I1 n'y a pas d'atteinte h6patique, ni de trouble de la crase sanguine. Au 3 e jour, survient une discr6te hemoptysie avec, ~t l'endoscopie, un saignement diffus de l'arbre bronchique. La biopsie r6nale montre une prolif6ration endo et extra-capillaire avec hyperplasie des cellules epith61iales de la capsule de Bowmann. En immunofluorescence directe, il existe un ruban fluorescent intense avec les s6rum anti-IgG et anti-compl6ment C3 sur la basale glom6rulaire, une fluorescence granuleuse mod6r6e avec le s6rum anti-IgM et, dans la chambre glomerulaire a la p6riph6rie des anses capillaires, une discr6te fluorescence avec le serum antifibrJnog6ne. Les principaux resultats des exarnens compl6mentaires sont: l'absence de cellules LE, la positivit6 an 1/800 des anticorps antinuclbaires homog6nes sans anticorps anti- DNA, la pr6sence d'immuns complexes circulants avec tanx normal du compl6ment total, de la fraction C4 et abaissement de la fraction C3, l'el6vation non significative de 1/8 fi 1/32 des anticorps anti-para-influenzae 2 et surtout la n6gativit6 a quatre reprises de la recherche d'anticorps antimembrane basale glom6rulaire (anti-GBM) circulants*.

En 36 h, sous l'effet d'un traitement par 200 mg/j de methylprednisolone et 150 mg/j de cyclophosphamide les h6moptysies s'amendent. L'atteinte renale n6cessite toute- fois le recours h cinq s6ances d'h6modialyse. La prednisolone est reduite ~t 1 mg/kg/j au 3 e jour et l'6volution est d6s lors progressivement favorable. La malade quitte le service 1 mois plus tard conservant cependant une insuffisance r6nale a 25 mM/l d'ur6mie, 500 fzM/l de cr6atininemie, 15 ml /min de clairance de la cr6atinine et 0,8 g de prot6inurie par 24 h non s61ective. Apr6s 4 mois de traitement, la corticoth6rapie est progressivement r6duite et le cyclophosphamide poursuivi pendant 1 an. Deux ans apr~s l'6pisode aigu, l'6tat g6n6ral de la patiente est satisfaisant, la clairance de la creatinine ~t 35 ml /min sans prot6inurie. La polyarthrite est stabilisee par 1 mg/j de prednisone.

* Dr Pit, Mahieu. Instilul de mt;decine B, !16pital de Baviere. 4020 Liege,

1982, pp. 237 a 238.

Page 2: Syndrome de Goodpasture au cours d'une polyarthrite rhumatoïde traitée par la D. Pénicillamine

238 M. Hasselmann et coll. La Revue de Mddecine interne Septembre 1982

COMMENTAIRES

Les caractdristiques cliniques et histologiques que nous rapportons correspondent d celles du syndrome de Goodpasture. Les images histologiques not6es diff6rent de celles habituellement signal6es au cours des atteintes pneumor6nales induites par la DP; Gibson (2) et Matloff (4) n'ont pas retrouv6 de d6p6ts immuns glom6rulaires, et Sternlieb (5) signale des dep6ts granuleux d'IgG et de C3. Dans notre observation la n6gativit6 des recherches d'anticorps anti-GBM circulants, alors qu'il existe des d6p6ts lin6aires d'IgG et de C3 sur la basale glom6rulaire, pent s'expliquer par la pr6paration antig6nique utilis6e pour leur d6termination qui ne contient pas obligatoirement llantig~ne contre lequel les anticorps de la malade sont dirig6s. Par ailleurs, tous les anticorps anti-GBM peuvent d6ja 6tre fix6s sur le rein au moment de leur recherche clans le sang. Enfin, on peut 6galement admettre que les anticorps anti-GBM participent a la formation de complexes immuns circulants et restent ainsi inaccessibles a une d6termination directe (3, 7). Quoi qu'il en soit, l'absence d'anticorps anti-GBM circulants ne permet pas d'exclure leur m6diation dam le declenchement de la glom&ulonephrite fl d6p6ts lin6aires d'IgG et de CY

La responsabilitd de la DP ne peut 6tre affirmee mais est fortement suspect6e. Cinq observations de syndrome de Goodpasture survenant au cours de traitement par la DP ont en effet d6j~ 6te rapport6es (2, 4, 5). Par ailleurs, la DP a egalement 6t6 incrimin6e a plusieurs reprises dans le d6clenchement d'autres maladies auto-immunes : myasth6nie, sclero- dermie, polymyosite, lupus (1). La posologie faible de DP instaur6e chez notre patiente au d6but du traitement (300 mg/j) pent expliquer le delai de 5 ans 6coul6 jusqu'a l'apparition du syndrome de Goodpasture. Dans les observations pr6c6dentes, celui-ci survient plus pr6cocement, entre 2 ans et 3 ans 1/2, pour des doses de DP allant de 1,5 g/j 3,5 g/j. La dose totale cumul6e de DP au moment de la survenue du syndrome de Goodpasture est de 776 g. Elle est de 750 g pour le malade de Matloff (4) atteint d'une cirrhose biliaire primitive, de 480 g pour celui de Gibson (2) traite pour polyarthrite rhumatoide, enfin superieure fl 1 000 g pour ceux de Sternlieb (5) traites pour maladie de Wilson.

Les mdcanismes mis en jeu sont impr6cis. Bien qu'une dose cumulative semble de regle, un mecanisme toxique est peu vraisemblable. L'aspect histologique et l'efficacit6 du traitement immunosup- presseur 6voquent un processus immuno-allergique dirig6 contre la membrane basale glom6rulaire, ind6pendant de l'affection traitee.

Le traitement des atteintes pneumorenales induites par la DP repose, fl c6t6 des th6rapeutiques symptomatiques, sur l'utilisation de corticoides, par exemple de m6thylprednisolone intraveineux 1 g/ 24 h pendant 3 jours (6) puis 2 mg/kg/j , associ6s un traitement immunosuppresseur tel le cyclophos- phamide 150 mg/j. La place de la plasmaph6r6se visant a diminuer le taux des 6ventuels anticorps anti-GBM circulants reste h pr6ciser. Dans notre observation, la rapidite de l'am61ioration clinique sous cortic6ides et immunosuppresseurs ne nous a pas fait recourir aux echanges plasmatiques comme l'avait fait Matloff (4).

BIBLIOGRAPHIE

1. CAMUS J.-P., CROUZET J., PRIER A., LECA A.-P. : Complica- tions du traitement de la polyarthrite rhumatoide par la D P6nicillamine. Thdrapie, 1976, 31, 385-397.

2. GIBSON T., BURRY H. C., OGG C. : Goodpasture syndrome and D. Penicitlamine. Amt. Int. Meal., 1976, 84, 100.

3. LEATHERMAN J., SIBLEY R., DAVIES S. : Diffuse intrapulmonary hemorrhage and glomerulonephritis unrelated to anti-glomem- lar basement membrane antibody. Am. J. Med.. 1982, "/2, 401- 410.

4. MATLOFF D.S., KAPLAN M. M. : D. Penicillamine induced Goodpasture's-like syndrome in primary biliary cirrho- sis. Successful treatment with plasmapheresis and immunosup- pressives. Gastroenwrologv, 1980, 78, 1946-1049.

5. STERNLIEB I., BENNETt B., SCHE1NBERG H. : D. Penicillamine induced. Goodpasture's syndrome in Wilson's disease. Ann. htt. Med.. 1975, 82, 675-676.

6. TORRENTE A., POPOVTZER M . H . , GUGGENHEIM S . J . , SCHRIERR R. W. : Serious pulmonary hemorrhage, glomerulo- nephrite and massive steroid therapy. Ann. Int. MecL, 1975, 83, 218-219.

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