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Syndromes cérébelleux : des outils à effet immédiat Cerebellar syndromes: Tools with immediate effect Daniel Vaast 16, rue Mirabeau, 59000 Lille, France Reçu le 19 juin 2016 ; accepté le 16 avril 2018 MOTS CLÉS Contact actif Mode monomodal Proprioception Résistance mentale Sensibilité articulaire et musculaire Sensibilité plantaire Vision périphérique KEYWORDS Active contact Monomodal mode Proprioception Mental resistance Articular and muscular sensitivity Plantar sensitivity Peripheral vision Adresse e-mail : [email protected] DOIs des articles originaux : https://doi.org/10.1016/j. kine.2018.09.007 https://doi.org/10.1016/j. kine.2018.09.008 https://doi.org/10.1016/j. kine.2018.09.006 https://doi.org/10.1016/j. kine.2018.09.009 RÉSUMÉ Les lésions cérébelleuses, quelles que soient leurs origines, entraînent des perturbations très spéciques de la motricité qui en font un tableau clinique aisément identiable, mais cela ne veut pas dire que ce soit irrémédiable. En effet, même en l'absence de prise en charge rééducative spécique, nombre de patients voient leurs performances motrices s'améliorer spontanément au l des mois et des années. Cela montre que le cervelet lésé garde des possibilités de recon- struction progressive de ses fonctions régulatrices du mouvement. La rééducation n'a pas pour objectif de restaurer ad integrum les fonctions cérébelleuses pour l'instant les outils théra- peutiques n'existent pas mais plutôt d'accompagner cette évolution naturelle en essayant de gagner du temps dans la restauration d'une motricité efcace pour le patient. Cette prise en charge peut prendre deux aspects apparemment diamétralement opposés, mais pas autant que l'on pourrait le penser car ils peuvent être utilisés conjointement : 1) Mettre le plus souvent possible le patient dans des situations fonctionnelles dont il doit se sortir seul pour favoriser le réapprentissage moteur (auto-organisation du mouvement), 2) ou provoquer les capacités d'adaptation restantes du cervelet pour améliorer immédiatement la fonctionnalité du patient (outils thérapeutiques à effet immédiat). Certains de ces outils à effet immédiat s'avèrent aussi utiles dans la rééducation d'autres syndromes neurologiques, telles que les atteintes sensitives ou vestibulaires. © 2018 Publié par Elsevier Masson SAS. SUMMARY Cerebellar lesions of whatever origin induce very specic motor disorders, with an easily identiable clinical presentation which is not to say, however, that it is irremediable. Even without specic rehabilitation, many patients show spontaneous improvement over a period of months or years. This shows that, despite lesions, the cerebellum is capable of progressive recovery of motor regulation function. Rehabilitation does not aim at total recovery of cerebellar function, for which adequate therapeutic tools are presently lacking, but rather seeks to accompany this natural progression and hasten recovery of effective motor function. It may involve what may seem to be two diametrically opposed strategies, but which are not in fact as incompatible as they may seem, as they can be implemented conjointly: 1) whenever possible, putting the patient in a functional situation which he or she is meant to deal with alone, so as to promote reacquisition of motor function (self-organization of movement), 2) stimulating residual cerebellar adaptation capacity so as to immediately improve function (therapeutic tools with immediate effect). Some of these tools with immediate effect also prove useful in rehabilitation for other neurologic syndromes: e.g., sensory or vestibular. © 2018 Published by Elsevier Masson SAS. Kinesither Rev 2018;18(204):4557 Dossier La kinésithérapie des désordres cérébelleux https://doi.org/10.1016/j.kine.2018.09.010 © 2018 Publié par Elsevier Masson SAS. 45

Syndromes cérébelleux : des outils à effet immédiat€¦ · ainsi que ses capacités cognitives de l'instant et d'autre venir ; in part, ladurée de prise en charge possible,

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Kinesither Rev 2018;18(204):45–57 DossierLa kinésithérapie des désordres cérébelleux

Syndromes cérébelleux :des outils à effet immédiat

Cerebellar syndromes: Tools with immediate effect

Daniel Vaast

RÉSUMÉLes lésions cérébelleuses, quelles que soient lespécifiques de la motricité qui en font un tableau cpas dire que ce soit irrémédiable. En effet, mêmespécifique, nombre de patients voient leurs perforfil des mois et des années. Cela montre que le

struction progressive de ses fonctions régulatriceobjectif de restaurer ad integrum les fonctions cpeutiques n'existent pas – mais plutôt d'accompagagner du temps dans la restauration d'une mocharge peut prendre deux aspects apparemment

l'on pourrait le penser car ils peuvent être utilispossible le patient dans des situations fonctionneréapprentissage moteur (auto-organisation du

d'adaptation restantes du cervelet pour amélior(outils thérapeutiques à effet immédiat).Certains de ces outils à effet immédiat s'avèresyndromes neurologiques, telles que les atteinte© 2018 Publié par Elsevier Masson SAS.

SUMMARYCerebellar lesions of whatever origin induce videntifiable clinical presentation – which is not

without specific rehabilitation, many patients shomonths or years. This shows that, despite lesiorecovery of motor regulation function. Rehabilitatfunction, for which adequate therapeutic toolsaccompany this natural progression and hasteninvolve what may seem to be two diametrically oincompatible as they may seem, as they can be

putting the patient in a functional situation which

promote reacquisition of motor function (self-orgacerebellar adaptation capacity so as to immediimmediate effect).Some of these tools with immediate effect also prsyndromes: e.g., sensory or vestibular.© 2018 Published by Elsevier Masson SAS.

https://doi.org/10.1016/j.kine.2018.09.010© 2018 Publié par Elsevier Masson SAS.

16, rue Mirabeau, 59000 Lille, France

Reçu le 19 juin 2016 ; accepté le 16 avril 2018

MOTS CLÉSContact actifMode monomodalProprioceptionRésistance mentaleSensibilité articulaire etmusculaireSensibilité plantaireVision périphérique

KEYWORDSActive contactMonomodal modeProprioceptionMental resistanceArticular and muscularsensitivityPlantar sensitivityPeripheral vision

Adresse e-mail :[email protected]

DOIs des articles originaux :https://doi.org/10.1016/j.kine.2018.09.007https://doi.org/10.1016/j.kine.2018.09.008

urs origines, entraînent des perturbations trèslinique aisément identifiable, mais cela ne veut

en l'absence de prise en charge rééducativemances motrices s'améliorer spontanément aucervelet lésé garde des possibilités de recon-s du mouvement. La rééducation n'a pas pourérébelleuses – pour l'instant les outils théra-gner cette évolution naturelle en essayant detricité efficace pour le patient. Cette prise endiamétralement opposés, mais pas autant queés conjointement : 1) Mettre le plus souventlles dont il doit se sortir seul pour favoriser lemouvement), 2) ou provoquer les capacitéser immédiatement la fonctionnalité du patient

nt aussi utiles dans la rééducation d'autress sensitives ou vestibulaires.

ery specific motor disorders, with an easilyto say, however, that it is irremediable. Evenw spontaneous improvement over a period ofns, the cerebellum is capable of progressiveion does not aim at total recovery of cerebellar

are presently lacking, but rather seeks to recovery of effective motor function. It maypposed strategies, but which are not in fact asimplemented conjointly: 1) whenever possible,he or she is meant to deal with alone, so as tonization of movement), 2) stimulating residualately improve function (therapeutic tools with

ove useful in rehabilitation for other neurologic

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Note de la rédaction

Cet article fait partie d'un ensemble indissociable, pub-lié dans ce numéro sous forme d'un dossier nommé« La kinésithérapie des désordres cérébelleux », coor-donné par Michel GEDDA, et composé des articlessuivants :� Gedda M. La kinésithérapie des désordres cérébel-leux. Kinesither Rev 2018;18(204).

� Hudelle R, Sultana R, Mesure S. Traitements kiné-sithérapiques du tremblement cérébelleux: revue delittérature. Kinesither Rev 2018;18(204).

� Sultana R, Hudelle R, Mesure S. L'hypotonie ducérébelleux : quelles conséquences pour le patientet sa rééducation ? Kinesither Rev 2018;18(204).

� Sultana R, Hudelle R, Mesure S, Bardot P, Crucy M,Aime J, Reggiani A, Varachaud B. Rééducation fonc-tionnelle en neurologie: exemples des tremblementscérébelleux. Kinesither Rev 2018;18(204).

� Vaast D. Syndromes cérébelleux: des outils à effetimmédiat. Kinesither Rev 2018;18(204).

D. VaastDossierLa kinésithérapie des désordres cérébelleux

INTRODUCTIONLa rééducation des syndromes cérébelleux nous laissesouvent interrogatif quant aux techniques à utiliser et com-ment les utiliser – de plus elles ne sont pas très nom-breuses. Pour éclairer un peu cette problématique et choisiravec pertinence les outils à utiliser, il faut se poser deuxquestions :Le temps dont nous disposons, le patient et nous :

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d'une part, l'évolutivité plus ou moins rapide de la pathologiedoit être prise en compte, ainsi que la présence de patho-logies connexes avec des durées d'évolution variables. Il nefaut pas oublier l'âge (au sens physiologique du terme) dupatient, ainsi que ses capacités cognitives de l'instant età venir ;

d'autre part, la durée de la prise en charge possible, qui vainfluer sur les possibilités d'entreprendre un apprentissagemoteur qui, lui, nécessite du temps. Elle peut varier demanière considérable selon que le patient nous soit confiéen service de soins aigus (de quelques jours à une ou deuxsemaines) ou dans le cadre d'un centre de rééducation ouen ambulatoire (plusieurs semaines, voire mois).

La pureté du syndrome (syndromes associés, évolutifs ounon) : si le syndrome cérébelleux est pur – ce que l'on trouvefréquemment dans les AVC, les tumeurs et certaines formesd'intoxication (éthylisme) – nous pourrons utiliser les outils derééducation spécifiques du syndrome cérébelleux. Par contre,plusieurs perturbations de la motricité, liées à un syndromeneurologique plus large dans lequel le syndrome cérébelleuxn'est que l'un des aspects, peuvent interférer dans la clinique.Par exemple : la spasticité qui peut masquer l'ataxie (c'estparfois un bien) ou les déficits moteurs qui limitent l'expressionmotrice. Il est souvent préférable de cibler le symptôme le plusperturbateur plutôt que de proposer une rééducation plusglobale visant à traiter toutes les dysfonctions simultanément,démarche qui risque d'aboutir à l'effet inverse de celui

recherché, à savoir l'incapacité du patient à gérer tous lesparamètres en même temps.Une fois cette évaluation réalisée, il est possible de choisirentre deux approches :

� Le temps est avec nous : l'approche par l'apprentissagemoteur peut-être raisonnablement envisagée. En effet,celui-ci, requiert de nombreuses répétitions sur une longuedurée pour que « l'auto-organisation des mouvements »aboutisse et permette au patient de retrouver une indépen-dance fonctionnelle acceptable [1]. Autre avantage, commeil s'agit de la répétition de gestes simples sans consignesparticulières : le recrutement des capacités cognitives etmnésiques reste relativement modéré ;

Le temps nous est compté : il semble intéressant, dans cecas, de faire s'approprier par le patient quelques outils sim-ples et surtout rapides à apprendre, lui permettant de mieuxgérer ses impératifs moteurs au jour le jour, et qui peuventrester longtemps d'une certaine efficacité même en cas dedégradation rapide. Le revers de la médaille est un recru-tement beaucoup plus important des facultés intellectuelles(compréhension de l'outil, mémorisation des conditions d'uti-lisation, initiatives d'utilisation dans des conditions nonexplorées avec le thérapeute).

Il n'y a pas lieu d'opposer systématiquement ces deux appro-ches. Elles ne sont pas contradictoires et peuvent tout à faitêtre utilisées conjointement pour assurer au patient une effi-cacité immédiate dans un certain nombre de gestes et selancer dans un processus d'apprentissage moteur pourd'autres gestes à nécessité moins immédiate.Notre propos, dans cet article, sera consacré uniquement à ladescription des « Outils à effet immédiat ».

SYNTHÈSE DU FONCTIONNEMENTCÉRÉBELLEUX ET DESCRIPTION DES OUTILSÀ « EFFET IMMÉDIAT »

Nous savons que le cervelet intervient dans beaucoup dedomaines de la motricité et de l'apprentissage moteur ; maiscelui qui nous préoccupe le plus dans notre pratique quoti-dienne est son rôle dans la régulation de la motricité inten-tionnelle ou non intentionnelle.Tous les aspects de notre motricité usuelle résultent en grandepartie de l'activation de programmes moteurs, élaborés pro-gressivement au fur et à mesure de nos mises en situationfonctionnelle (apprentissage moteur). Ceux-ci comprennenttoutes les séquences motrices nécessaires à la réalisationdu geste, mais la régulation spatio-temporelle de chacunede ces séquences, qui va optimiser le geste (précision, fluidité,moindre coût énergétique), est assurée essentiellement par lecervelet (durée et positionnement de chacune des séquencesdans l'ensemble, niveau optimal de recrutement de chacuned'elles).La clinique de l'ataxie cérébelleuse, qui doit rester notre guide,montre d'ailleurs parfaitement ce désordre : toutes les séquen-ces sont là mais l'exécution en est totalement anarchique(séquences séparées ou fusionnées, recrutement excessifou trop faible voire absent, décalage temporel desséquences).Il faut ajouter à cela un facteur pénalisant qui est la « non-reproductibilité » des erreurs cérébelleuses qui ôte au patientla capacité de prévoir la ou les erreurs qui feront échouer le

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Figure 1. Comment anticiper un tel désordre ?

Syndromes cérébelleux : des outils à effetimmédiat

DossierLa kinésithérapie des désordres cérébelleux

geste, ni à quel moment celles-ci vont se produire. D'ailleurscette « non-reproductibilité » peut nous faire douter de lavalidité de certains bilans quantifiés du syndrome cérébelleuxqui, de toutes façons, n'apportent aucune solution technique(Fig. 1 et Vidéo 1).À l'état normal le cervelet possède une « mémoire du geste »,que l'on peut aussi nommer un « modèle d'exécution », qui luidonne la possibilité de comparer la réalité de l'exécution trans-mise par les afférences périphériques, avec la justesse desordres moteurs donnés par les structures motrices supérieu-res. S'il y a un décalage par rapport au modèle prévu, lecervelet ajustera les différents ordres moteurs pour rétablirla conformité au modèle.Mais les capacités du cervelet vont au-delà de ce simple pilo-tage du geste, car la clinique montre qu'il est capable d'intégrer,par anticipation, un certain nombre de paramètres susceptiblesd'interférer pendant l'exécution du geste, que ceux-ci soientconnus ou non. Le soulèvement, pratiquement toujours réussi,d'un objet de poids inconnu en est un excellent exemple. Nousavons présupposé le poids de l'objet et le cervelet à prépro-grammé son modèle de régulation en fonction de cette évalua-tion. Si le poids réel est supérieur, il y a juste une augmentationdu recrutement, s'il est inférieur : diminution immédiate durecrutement. La régulation par anticipation permet de réduireconsidérablement la marge d'erreur et d'éviter beaucoup demauvaises surprises pendant l'exécution du geste [2–4].Ces aspects particuliers du rôle du cervelet dans l'organisationde notre motricité permettent de dégager trois pistes thérapeu-tiques à effet immédiat pour diminuer l'impact de l'ataxie céré-belleuse sur les activités quotidiennes du patient, avec, encorollaire, une grande indépendance car la mise en œuvre deces outils peut être réalisée par le patient seul sans rapport avecun appareillage ni avec une intervention directe du thérapeute.Bien sûr, toutes les techniques ont leurs limites, il est évidentque l'intensité des symptômes peut rendre impossible l'utilisa-tion de ces outils, et il est probable que seule la répétition dugeste sur une très longue durée (apprentissage moteur)puisse à terme donner un résultat.

Mais dans le cas particulier des outils à effet immédiat il s'agitsurtout des capacités cognitives, au sens large, des patientsainsi que leur volonté d'utiliser ces outils. Même si l'outil utiliséest efficace il n'est absolument pas curatif, le patient doitdécider de s'en servir dans ses activités quotidiennes s'il veutune amélioration de sa situation fonctionnelle.Nous retrouvons là le triptyque d'une rééducation fonction-nelle aboutie : COMPRÉHENSION – ACCEPTATION –APPROPRIATION.

LES TROIS PISTES THÉRAPEUTIQUES

intégrer dans la planification du geste, avant l'exécution, unparamètre non présent comme une résistance fictive et leconserver sur un mode virtuel pendant l'exécution : conceptde : « résistance mentale » ;

une autre particularité du fonctionnement cérébelleux est lefait que celui-ci utilise simultanément toutes les informationsdisponibles pour ajuster son rôle de régulateur (mode multi-modal). Par contre, si un individu exécute une activité motriceavec une consigne très stricte par rapport à l'évolution de l'unedes afférences reçues, le cervelet va moduler différemmentsa régulation pour respecter la consigne donnée : concept defonctionnement en mode : « mode monomodal » ;

un troisième outil est à notre disposition : celui-ci est basésur une forme d'apprentissage moteur « contraint », doncéloigné du concept plus libre de « l'auto-organisation desmouvements » [1]. Le principe est la mémorisation, par larépétition, des afférences ressenties lors de l'exécution d'ungeste contrôlé par le thérapeute, puis la restitution de cettemémorisation pendant l'exécution libre de ce même gestepar le patient : concept du : « contact actif ».

Remarques

Nous parlons ici d'outils de rééducation et non pas de tech-nique de rééducation car il n'existe pas d'exercices thérapeu-tiques spécifiques. Prenons bien garde à ne pas imposer aupatient des activités motrices stéréotypées qu'il n'utiliseraquasiment jamais (je pense aux NEM si chers à nombre denos collègues). Quel que soit l'outil thérapeutique utilisé, ilsuffit d'évaluer avec le patient quels sont ses besoins moteursimmédiats, quels sont les gestes qui lui semblent les plusimportants à réussir, à l'instant T, pour améliorer sa vie quo-tidienne. C'est dans ce cadre gestuel qu'il apprendra la gestionde l'outil thérapeutique.Au fur et à mesure de ses acquisitions, d'autres besoinsapparaîtront et deviendront tout naturellement les prochainsexercices thérapeutiques.Une dernière remarque : pour la plupart des activités motriceschoisies, il ne faut jamais se limiter à un seul outil. Un gesteappris avec résistance mentale doit aussi être réalisable enutilisant le mode monomodal. Ceci permettra au patient depasser d'un mode de contrôle à l'autre en fonction de sesbesoins et de l'environnement dans lequel il se trouve.

LA RÉSISTANCE MENTALE

Une résistance physique appliquée à une activité motriceentraînera un ralentissement et une simplification du geste

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par réduction du nombre de séquences motrices utilisées ainsiqu'une augmentation de la co-contraction (raideur active). Cesmodulations de la régulation spatio-temporelle induites par lecervelet peuvent agir sur les deux principaux aspects del'ataxie cérébelleuse :

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le caractère explosif du mouvement notamment à l'initiationet à l'arrêt ;

Figure 2. Site bi-claviculaire pour la résistance mentale appliquéeà la marche.

l'instabilité en cours d'exécution qui, elle, est souventcompensée par une augmentation de la vitesse d'exécution.

La résistance physique est depuis longtemps utilisée dans larééducation des syndromes cérébelleux. Les exemples sontnombreux : la marche en immersion dans une piscine (milieurésistant à l'avancement et au déplacement des membresinférieurs), l'utilisation de lests aux membres inférieurs ouaux membres supérieurs.L'utilisation de la résistance physique, même si elle est effi-cace, crée de fortes contingences pour le patient avec unerelation de dépendance avec le système résistant, qu'il soitinstrumental ou exercé par le thérapeute. L'amélioration de lamarche en immersion n'est quasiment jamais transposable enmilieu normal, donc d'une relative inutilité pour le patient danssa déambulation habituelle. L'utilisation de lests a aussi deslimites car ils ne sont efficaces que dans un seul plan et doncne corrigent que partiellement le geste, et plus le troublecérébelleux est important et multifocal plus il sera nécessairede multiplier l'appareillage, d'où, là aussi, des contraintesmajeures voire une impossibilité technique, à moins de reveniraux armures médiévales.La résistance mentale est donc une technique qui consisteà intégrer dans la planification du geste, donc en amont del'exécution, une résistance imaginée par le patient. Grace à lacapacité d'anticipation du cervelet, cette procédure permetd'obtenir le même effet que la résistance physique avant(important pour le début de l'activité) et pendant l'exécutiondu geste.Nous avons vu que nous utilisons tous les jours cette capacitéà évaluer les contraintes que va rencontrer le geste avant saréalisation, mais ceci se réalise de manière inconsciente. Ils'agit là de rendre ce mécanisme conscient et maîtrisé dans unmaximum d'activités, pour cela un apprentissage spécifiqueest donc nécessaire.Cette technique ne guérit pas le patient car s'il ne se met pasdans cette situation avant l'action l'ataxie sera toujours aussiprésente. Il n'est pas possible de dire qu'il y ait « automatisa-tion » de ce mode de fonctionnement mais le patient s'habitueà agir avec, car sans il est en échec. Cette constatation estaussi valable pour les deux autres outils présentés ci-après.Cette résistance mentale peut s'appliquer sur n'importe quelmembre et dans n'importe quelle forme de gestualité ; et ellene crée aucune dépendance car c'est le patient seul qui la meten place et la module en fonction de ses besoins.Les conditions de l'apprentissage sont liées à deux éléments :les sites d'application et la rigueur de la procédure qui sedéroule en trois temps.Les sites d'application doivent permettre au patient de per-cevoir clairement l'intensité et la direction de la résistancephysique au début de la procédure de manière à être capablede la quantifier et de la restituer ensuite mentalement surles mêmes sites. Il faut privilégier des zones osseusessous-cutanées qui donnent un signal précis et surtout constant(non adaptation des récepteurs cutanés). La résistance, phy-sique au début puis mentale, doit s'opposer à la directionglobale du mouvement et surtout pas à la seule trajectoire

parcourue par l'un des segments mobiles ; de plus cettedirection globale peut varier pendant l'évolution du gesteet – bien sûr – la direction de la résistance doit s'y adapter(Fig. 2–4).La procédure d'apprentissage se fait en 3 étapes (Vidéo 2) :

� étape 1 – identification : elle consiste à appliquer unerésistance physique qui doit être suffisante pour être perçuenettement par le patient, mais elle ne doit pas être excessivepour laisser le geste se dérouler à une vitesse fonctionnel-lement acceptable et avec une modération suffisante del'ataxie. Après plusieurs répétitions, effectuées à résistanceconstante, le patient doit évaluer la résistance ressentie.Peu importe l'échelle de valeur adoptée par lui, elle est lasienne ! Cette valeur sera sa seule référence dans lesétapes suivantes de la maîtrise de sa résistance mentale.Exemple : une patiente vivant en bord de mer, en haut d'unefalaise, avait étalonnée sa résistance selon l'échelle desvents de Beaufort, excellente initiative car elle s'était tota-lement approprié cette échelle de valeur ;

étape 2 – restitution : elle est consacrée à la réalisation parle patient du même geste mais en imaginant que le théra-peute lui exerce la même résistance, au même endroit etdans la même direction, alors que ce n'est plus le cas.
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Fisu

Fim

Syndromes cérébelleux : des outils à effetimmédiat

DossierLa kinésithérapie des désordres cérébelleux

Pendant les premières répétitions, le thérapeute peut garderun simple contact sur le site choisi pour permettre au patientde bien cibler l'endroit où la résistance mentale doit s'exer-cer. L'objectif final étant que le patient installe et gère lui-même sa résistance mentale sur le ou les sites proposés etpour finir l'idéal : le patient lui-même apprend à sélectionnerses propres sites en fonction de ses besoins fonctionnels dumoment ;

étape 3 – adaptation : c'est celle de la modulation de larésistance mentale. En effet celle-ci est absolument néces-saire car aucun geste, aucune activité motrice ne se dérouleà chaque fois dans les mêmes conditions. Plus la résistance,physique ou mentale, est élevée plus le mouvement est lentet stable. Il est donc fondamental que le patient joue entre :vitesse moins – ataxie moins et vitesse plus – ataxie plus.

Exemple 1 : l'initiation et l'arrêt de la déambulation sont sou-vent deux épisodes catastrophiques pour le patient cérébel-leux, le reste pouvant être tant bien que mal maitrisé dans un

gure 4. Prise bi-styloïdienne pour les activités du membrepérieur.

gure 3. Site sur le segment jambier pour une ataxie isolée duembre inférieur gauche.

parcours sans danger. Pour le démarrage, le patient doitmettre en place une résistance maximale avant d'essayerd'avancer puis la relâcher progressivement pour initier le pre-mier pas. L'arrêt, lui, est géré par une augmentation régulièrede la résistance mentale au point qu'elle ne permette plus laprogression, ensuite une fois arrêté le patient peut diminuer,lentement, cette résistance pour se stabiliser (Fig. 5).Exemple 2 : gestes usuels du membre supérieur, capture etrepositionnement d'un objet. Augmentation progressive pen-dant la phase d'approche jusqu'à l'arrêt en position de pré-hension, capture de l'objet tout en maintenant le niveau derésistance, puis lancement du geste de déplacement par unediminution lente de la résistance pour permettre le mouve-ment, ensuite modulation en fonction de la vitesse et de lastabilité requises pendant le trajet. Puis, même protocole pourle repositionnement (Fig. 6 et 7) (Vidéos 3 et 4).

Figure 5. Le thérapeute ordonne verbalement l'augmentation de larésistance mentale pour l'arrêt de la déambulation.

Figure 6. Prise bi-styloîdienne pour résistance physiqued'apprentissage vers la bouche.

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Figure 7. Prise bi-styloîdienne pour résistance physiqued'apprentissage vers la table.

Figure 8. Fixation de la vision centrale.

D. VaastDossierLa kinésithérapie des désordres cérébelleux

LE MODE MONOMODAL

Si l'on demande au patient, avant et pendant l'exécution dugeste, de se concentrer sur une seule des informations reçueset de réguler cette seule information (mode monomodal), laplanification et la régulation cérébelleuse du geste sont modi-fiées pour tenir compte de ce nouveau contexte. Plus le res-pect de la consigne est durci, plus le mouvement se modifiedans le sens d'une simplification des séquences motrices, cequi a pour effet une diminution de l'ataxie cérébelleuse maissans entraîner une diminution trop importante de la vitessed'exécution, contrairement à la résistance. Par contre, uneconsigne trop dure peut empêcher toute activité motrice parexcès de simplification.Dans ce mode de fonctionnement, les informations les plusfacilement utilisables sont : la vision périphérique, les afféren-ces capsulo-ligamentaires, les afférences musculaires, ainsique les afférences cutanées plantaires.Le mode monomodal est essentiellement utilisé pour le mem-bre inférieur et le tronc dans des activités de portance, stationassise ou debout, et la phase portante de la marche.Dans ces activités, les séquences non portantes – comme lemembre inférieur oscillant lors de la marche – ne pourront pasêtre gérées par cette technique, il sera nécessaire d'utiliserconjointement la résistance mentale, ce qui peut s'avérerdifficile pour certains patients.Ce mode de fonctionnement est peu utilisé pour les activitésdu membre supérieur car le rôle du contrôle visuel est essen-tiel dans le guidage gestuel, et la transposition vers une autreafférence s'avère difficile voire nuisible.

Afférences visuelles

La vision centrale ou maculaire nous permet d'avoir la meil-leure identification possible d'un objet ; et pour la conservernous mettons en place le mécanisme de « poursuite visuelle »qui va recruter toutes les formes de motricité. En commençantpar les globes oculaires, puis le rachis cervical, ensuite le restedu rachis, pour finir par des activités des membres inférieurs

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menant à des modifications de posture (rotation du tronc, miseà genoux, ramper).La vision périphérique, qui représente la majeure partie denotre champ visuel, donne une image de plus en plus dégra-dée au fur et à mesure que l'on s'éloigne de la fovéa. Ce quisignifie que sa fonction principale n'est pas le traitement del'image mais la perception de ce qui nous entoure, pour nouspermettre de nous situer par rapport à l'environnement, quenous soyons mobiles par rapport à lui ou que lui soit mobile parrapport à nous (ou les deux mobiles simultanément). Noussommes capables d'analyser, avec une précision de l'ordre ducentimètre, la distance qui nous sépare d'un objet situé entre1 et 2 mètres, à la lisière de notre champ visuel.Nous allons donc utiliser cette capacité pour permettre aupatient de se caler sur des repères visuels dans l'environne-ment pour stabiliser une posture, assise ou debout, et aussi destabiliser la locomotion. Un repère horizontal permet une sta-bilisation dans le plan frontal alors qu'un repère vertical per-mettra une stabilisation dans le plan sagittal.L'utilisation de cette vision périphérique est permanente dansnotre vie quotidienne mais de manière non consciente ; aussipour l'utiliser comme outil thérapeutique un apprentissage estnécessaire et se fera en quatre temps.Exemple pour la stabilisation de la déambulation : le patient setient debout latéralement, à environ 1 mètre, d'un mur compor-tant un repère horizontal, à hauteur moyenne telle qu'une maincourante ou un ruban adhésif de couleur, avec une longueursuffisante pour pouvoir effectuer plusieurs pas :

� premier temps : fixation de la vision centrale sur un point fixeréel ou virtuel permettant de stabiliser les champs visuels(Fig. 8) ;

deuxième temps : nous faisons prendre conscience par lavision périphérique du repère latéral, par exemple en glis-sant la main dessus jusqu'à ce que le patient détecte ledéplacement de la main ;

troisième temps : perception de la variation de la distancepar rapport au repère identifié. Pour cela, en se plaçantderrière le patient et en le maintenant par les épaules oule bassin, nous lui imprimons des déplacements dans le planfrontal. D'abord de grande amplitude puis en la réduisant
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Figure 9. Déplacement latéraux induits par le thérapeute pouridentifier la distance par rapport au repère visuel latéral.

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DossierLa kinésithérapie des désordres cérébelleux

progressivement jusqu'à atteindre le seuil de perception. Àchaque oscillation, le patient doit verbaliser sa perceptionspatiale du repère en disant « plus » si la distance augmenteet « moins » si elle diminue (Fig. 9) (Vidéo 5) ;

Figure 10. Repère visuel mobile, Technique dite du « poissonpilote », la patiente se cale sur sa thérapeute.

Figure 11. Utilisation d'un repère vertical (montant de la porte) pourstabilisation dans le plan sagittal.

quatrième temps : quand le patient est capable d'identifieravec précision la distance qui le sépare du repère latéral,celui-ci peut entamer sa déambulation en respectant laconsigne suivante : « cette distance ne doit plus varier ».Il est évident que le respect strict de la consigne ne se faitpas au premier essai. Le thérapeute doit répéter la consignetout au long des premiers essais pour obtenir une diminutionnotable de l'amplitude des oscillations spontanées dupatient.

Lorsque le repère visuel est discontinu, le patient doit appren-dre à virtualiser une ligne séparant les deux repères et conti-nuer sa progression en respectant la consigne. Ceci n'est pastoujours possible si l'espace entre les deux repères est tropgrand, il faut donc apprendre au patient à relayer avec larésistance mentale. Là aussi, un apprentissage spécifiqueest nécessaire.Dans certaines situations, l'utilisation de repères fixes n'estpas possible : passages pour piétons par exemple. Dans cecas, la résistance mentale peut être utilisée mais le ralentis-sement induit peut rendre la traversée périlleuse. Un repèremobile tel qu'un autre piéton peut être utilisé : la technique ditedu « poisson pilote », invention de l'un de mes patients. Il s'agitde se positionner latéralement par rapport à un partenaireinvolontaire voulant traverser en même temps, d'évaluer ladistance entre les deux, de partir simultanément, et ensuite selaisser guider par lui (Fig. 10).Une autre application est intéressante pour stabiliser les posi-tions assises ou debout permettant une utilisation plus faciledes membres supérieurs. À cet effet l'on se sert, en plus durepère horizontal, d'un repère vertical situé 20 centimètres enavant de la lisière du champ visuel (Fig. 11).

Afférences articulaires et musculaires

Il est possible d'utiliser les afférences articulaires ou les affé-rentes musculaires, parfois pour stabiliser une même activité.

On peut parler alors de « calage articulaire » ou de « calagemusculaire » (inversion du référentiel).Premier exemple : passage étroit où la marge d'erreur estlimitée par de nombreux obstacles ou s'il existe un risquede danger. Avant la zone à risque, le patient positionne sonpied d'appui en éversion en soulevant le bord latéral, on lui

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demande de se concentrer sur son ressenti de la contractionde ses muscles fibulaires. La consigne à respecter est deconserver cette même tension musculaire pendant toute laphase d'oscillation du membre controlatéral, puis respecter lamême consigne pour chaque pas suivant. Ce travail est trèscouteux en énergie tant physique que mentale et ne peut êtreutilisé que sur de très courtes distances.Deuxième exemple : avant le début du pas le patient doitanalyser la position exacte du pied en charge puis entamerl'oscillation du membre opposé tout en conservant la positioninitiale du pied d'appui.Troisième exemple : la stabilisation de la descente d'escalier.Le patient, stabilisé par les rampes et si nécessaire par lethérapeute, doit mémoriser la course angulaire parcourue parune des articulations du membre inférieur portant. Soit legenou soit la cheville, la hanche est rarement utilisée carles informations perçues sont moins précises. Là aussi, peuimporte l'étalonnage que le patient donne à cette information,c'est sa valeur à lui et ce sera sa référence. Une fois que cetteidentification et cette mémorisation sont réalisées, le patientpeut passer à la réalisation en respectant le plus rigoureuse-ment possible la course articulaire mémorisée, le thérapeutepeut alors progressivement adapter les aides au strictminimum.

Afférences cutanées plantaires

Les afférences cutanées peuvent être rendues plus précises,donc plus faciles à interpréter, par l'intermédiaire d'un dispositiftrès simple. Il s'agit de semelles fines mises dans la chaus-sure, à la face inférieure de celles-ci sont placés trois coussi-nets de feutre sur les têtes des métatarsiens 1et 5, le derniersous le talon (Fig. 12). Ce dispositif va concentrer les informa-tions seulement sur ces trois points et permettre une identifi-cation plus précise des pressions. Une fois le dispositif enplace et le patient en charge (bi ou unipodal suivant les cas) lesyeux fermés, le thérapeute modifie passivement et lentementla position de celui-ci et ceci dans tous les plans. À chaquemodification le patient doit verbaliser les modifications desappuis, avant droit, arrière gauche, etc. L'étape suivanteconsiste pour le patient, au début de la mise en charge,

Figure 12. Semelle avec concentration des pressions sur 3 points.

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à équilibrer les pressions entre les trois points et conserverles mêmes pressions pendant toute la phase portante (Fig. 13)(Vidéo 6).Sans m'attarder sur les bilans du syndrome cérébelleux qui,à titre personnel, me semblent peu fiables ; il en est un qui,là, me semble incontournable : faire la différence entre lesyndrome cérébelleux statique et le syndrome cérébelleuxdynamique surtout au membre inférieur. On utilise les testsclassiques : doigts-nez et talon-genou. Pour objectiver lacomposante statique on demande au patient de stabiliser lamain ou le pied à deux centimètres de la cible (Fig. 14 et 15).Il existe un tableau clinique particulier illustrant l'utilisation dumode « monomodal » sous toutes ses modalités : le syndromecérébelleux statique des membres inférieurs (atteinte du lobefloculo-nodulaire ou archéocérébellum).L'ataxie n'apparaît que lors du maintien d'une posture et dis-paraît dès que le membre devient mobile. Le retentissementsur la marche est considérable car l'instabilité du membreportant rend impossible une oscillation correcte de l'autremembre et le pas suivant se fait donc dans des conditionsprécaires, le phénomène ne faisant que s'aggraver à chaquepas.Si le versant statique est dominant ou isolé, comme il n'y a pasde mouvement la résistance (physique ou mentale) n'apporte

Figure 13. Travail avec semelles adaptées (Syndrome cérébelleuxstatique des 2 membres inférieurs).

Figure 14. Stabilisation du membre inférieur.

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Figure 15. Stabilisation du membre supérieur.

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aucune solution, même si on essaye de l'appliquer sur lemembre oscillant ; bien sûr le contact actif est tout aussiinefficace.La seule possibilité thérapeutique est l'utilisation du modemonomodal. Les trois afférences sont utilisables mais lesvisuelles sont très couteuses sur le plan attentionnel, parcontre les afférences capsulo-ligamentaires et les afférencescutanées plantaires sont aisées à utiliser avec un avantage,elles ne dépendent pas de l'environnement. Les afférencesmusculaires sont aussi utilisables mais plus difficilementà cause du cout énergétique élevé.

Figure 16. Contact Actif Réel pour stabilisation du tronc dans leplan sagittal.

LE CONTACT ACTIF

Apprentissage de la régulation d'un geste dans un cadrespatio-temporel défini par un contact cutané du thérapeutesur le patient (membre ou tronc). Ce contact n'est ni unepression ni une résistance, et s'applique de préférence surune saillie osseuse (récepteurs cutanés non adaptables), dosde la main, prise bi-styloïdienne, partie antérieure de l'épaule,front et nuque, crêtes iliaques en avant ou en arrière. À chaquerépétition la trajectoire et la vitesse sont dictées par les dépla-cements de la main du thérapeute. Ces deux paramètresdoivent rester rigoureusement identiques, pour que le patientpuisse les mémoriser à l'aide de toutes ses afférences péri-phériques. Pour obéir aux informations tactiles du thérapeutele patient doit construire un nouveau programme de régulationcérébelleuse, qui sera restituable plus tard.La consigne suivante lui est donnée : ne jamais perdre ouaugmenter l'intensité du contact initial quelque soit le dépla-cement de celui-ci, puis le thérapeute déplace le contact dansla direction et à la vitesse choisie en fonction du gesteà apprendre. Après plusieurs répétitions (nombre variableen fonction des capacités des sujets) le patient exécute legeste demandé en essayant de retrouver les perceptions qu'ilavait pendant les répétitions. Souvent, au début, le gesteexécuté n'est pas superposable au geste répété : simplificationexagérée de la trajectoire et mauvais contrôle de la vitesse ; Ilfaut poursuivre la procédure d'apprentissage pour se rappro-cher le plus possible du geste initial.Cette technique est difficile à mettre en place car elle nécessitebeaucoup de concentration et des capacités cognitives etmnésiques suffisantes, elle donc utilisée que pour un petit

nombre de gestes ou d'activités essentielles au confort devie du patient.Exemple 1 : au membre supérieur les gestes de préhensionseront privilégiés (approche, capture, déplacement) supéro-antérieure, latérale et supéro-latérale.Exemple 2 : au niveau du tronc, cette technique peut servirà des stabilisations en position assise ou debout (Fig. 16)(Vidéo 7).Des déplacements stabilisés vers l'avant latéralement oucombinés (Fig. 17).De plus, cette technique est très appréciable aussi pourmémoriser de nouvelles trajectoires permettant la mise deboutet la mise assis (Fig. 18 et Vidéo 8). Cette mémorisation denouvelles trajectoires est essentielle pour éviter que le patientn'exécute ces activités de manière trop spontanée (en utilisant

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Figure 17. Contact actif sur épaule et crête iliaque utilisé pour undéplacement stabilisé du tronc.

Figure 18. Contact actif sur épaule et front dans le levé.

Figure 19. Contact actif à la marche (contacts sur aile iliaquegauche et face latérale de la cuisse droite).

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l'ancien modèle de régulation) et perde le contrôle dès ledébut. Il faut donc observer, au préalable, la trajectoire spon-tanée du patient puis en jouant sur les deux contacts apporterdes modifications significatives pour faire mémoriser aupatient de nouvelles procédures lui permettant de réaliserces activités avec un meilleur contrôle.Exemple 3 : il est possible d'utiliser cette technique pourstabiliser la déambulation, sur de courtes distances car lesbesoins attentionnels sont très importants. Les contacts sontsitués, l'un sur la face latérale d'une épaule ou d'une cuisse enfonction de l'implication ou non du tronc dans l'ataxie et lapartie latérale de la crête iliaque opposée. La moindre

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oscillation dans le plan frontal fera varier l'un ou l'autre desappuis voire les deux. Le patient doit respecter la mêmeconsigne, mais le thérapeute doit la moduler (tolérer desvariations du contact) en fonction de l'intensité de l'ataxie.Tolérance assez lâche au début puis durcissement progressifde la consigne (Fig. 19).À partir de l'exercice illustré par la Fig. 19 il est possible d'aiderle patient à mieux mémoriser les conditions de réalisation del'activité en utilisant la technique de l'auto contact. Le patientplace ses mains sur les mêmes sites que ceux utilisés par lethérapeute, toute oscillation du tronc dans le plan frontal seradétectée par le glissement de la main crurale et par une varia-tion de la pression sur le contact iliaque (Fig. 20) (Vidéo 9).Il faut se poser la question des afférences visuelles : à utiliserou non ?Pour les activités du membre supérieur le patient peut utiliserla vision pour mémoriser la trajectoire, mais ce n'est pasobligatoirement la meilleure solution car celui-ci va construiresa mémorisation essentiellement à partir de l'informationvisuelle au détriment des autres afférences (effet de masque).Il vaut mieux, pendant les premières répétitions, que le patientse concentre sur les autres afférences (capsulo-ligamentaireset musculaires). La vision sera éventuellement utilisée seule-ment à la fin de la phase d'apprentissage, lors de la finalisationdu geste.Pour les activités de lever, de mise assis et de déambulation lavision reste indispensable pour évaluer la position dansl'espace et les perturbations environnementales. Par contre,il faut demander au patient de garder une vision globale et nonpas focalisée sur l'environnement proche ou sur l'un de sessegments (souvent les pieds).

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Figure 20. Auto contact.

Figure 21. Test de discrimination plantaire.

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TRANSPOSITION AUX TROUBLES SENSITIFS ETVESTIBULAIRES

Ces outils pourront être utilisés essentiellement dans la réédu-cation des troubles de l'équilibre induits par ces atteintes.

Troubles sensitifs

Il s'agit d'une perte partielle ou totale d'une ou plusieurs affé-rences qui perturbe l'organisation du geste et sa régulation enfeed-back.Éliminons tout de suite le contact actif qui n'a vraiment pas delégitimité, on peut même parler de non-sens. En effet, leprincipe même de cette technique est que le patient mémoriseles caractéristiques du geste (direction et vitesse) en utilisanttoutes les afférences disponibles. Comment imaginer unemémorisation efficace avec des informations insuffisantes tanten quantité qu'en qualité ?La résistance mentale est utilisable, mais elle ne donnepas d'aussi bons résultats que dans les syndromes céré-belleux, avec en plus l'effet pervers du ralentissementinduit qui peut-être encore plus invalidant que la pathologieinitiale.Par contre l'utilisation du mode monomodal est plus pertinentcar le fait de se concentrer sur une seule afférence en fait uneréelle information de substitution permettant de palier à l'ab-sence ou la diminution de l'une des afférences habituelles.Exemple 1 : les troubles de la déambulation induits par despertes, partielles ou totales de la sensibilité profonde et super-ficielle d'un ou des membres inférieurs peuvent être en grande

partie compensés par l'utilisation de la vision périphérique. Lesconditions de mise en œuvre sont les mêmes que dans lesyndrome cérébelleux. C'est souvent la technique la plus facileà mettre en œuvre mais, attention, il faut pouvoir pallier à l'ab-sence de repère visuel. Donc la recherche d'une autre affé-rence substitutive doit être systématique pour que le patientpuisse faire un relai (calage articulaire ou musculaire voire relaibref avec la résistance mentale selon le tableau clinique).Exemple 2 : la diminution progressive de la discriminationplantaire (distance minimale de perception entre 2 points decontact sur la sole plantaire) est quasi constante chez lapersonne âgée, mais souvent négligée par les thérapeutes(Fig. 21). C'est pourtant l'un des facteurs majeurs de chutes,surtout que ce phénomène va en s'accroissant et que sonévolution peut être majorée par certaines pathologies commele diabète.Le port de semelles adaptées est souvent une bonne solution,bien sur si l'apprentissage de la stabilisation sur les trois pointsest possible (capacités cognitives et mnésiques).S'il y a une perte totale de la sensibilité plantaire les semellesne seront pas efficaces et seules les techniques de calagemusculaire sur les muscles fibulaires ou de calage articulairesur la position initiale du pied auront une certaine efficacité. Lavision périphérique s'avère aussi intéressante, utilisée seuleou en complément des techniques précédentes (Fig. 22 et 23et Vidéo 10).

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Troubles vestibulaires et syndromes associés

Ces problèmes réagissent bien à l'utilisation du « mode mono-modal », avec en premier choix la vision périphérique. Lesautres variantes de ce mode sont aussi utilisables mais le choixdépend des perturbations sensitives qui sont souvent asso-ciées à ces syndromes (Exemple : le syndrome de Wallenberg).Exemple 1 : syndrome vestibulaire droit harmonieux. Éduca-tion à la vision périphérique (Vidéo 11).Exemple 2 : syndrome vestibulaire gauche par AVC. Bilanstatique et dynamique puis éducation à la vision périphérique(Vidéos 12 et 5).

CONCLUSION

Pour l'instant il n'existe pas de preuves scientifiques permet-tant d'étayer de manière irréfutable les outils qui vous ont été

Figure 22. Absence de sensibilité plantaire bilatérale.

Figure 23. Essai infructueux de semelles adaptées.

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proposés dans cet article. Aussi vais-je m'appuyer sur laclinique, non pas pour vous convaincre, mais pour vous don-ner l'envie au moins de les essayer.Si le cervelet est intact, ce qui est le cas chez nous lesthérapeutes, nous ne pouvons qu'être réactifs à ces outilsJe vous invite donc, non pas à endosser le costume d'uncérébelleux (difficile à copier car notre erreur de mouvementest programmée, chez lui non !), mais à vous mettre ensituation « d'utilisation de ces outils ».Dans une journée vous serez dans des situations fonctionnel-les différentes qui vous permettront de les tester. Marchez surun trottoir en utilisant des repères visuels pris sur les façadesou les devantures, puis traversez la rue en prenant un autrepiéton comme « poisson pilote ». Ensuite vous pénétrez dansun local encombré et là vous vous servez des « calagesarticulaires ou musculaires » pour bien stabiliser votre pro-gression. Puis l'espace s'élargit et vous déstabilise quelquepeu. Là, bonne nouvelle, la résistance mentale va vous ralentirbien sûr mais aussi vous sécuriser dans votre progression.Pour finir votre périple vous devez saisir un objet fragile et le

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déplacer avec d'infinies précautions. À vous la résistancementale !!

Déclaration de liens d'intérêtsLes auteurs déclarent ne pas avoir de liens d'intérêts.

ANNEXE 1. MATÉRIEL COMPLÉMENTAIRE

Le matériel complémentaire accompagnant la version en lignede cet article est disponible sur http://www.sciencedirect.comet https://doi.org/10.1016/j.kine.2018.09.010.

RÉFÉRENCES

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