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1Une seconde RévolUtion : la RévolUtion associative
Synthèse de l’état des lieux issu des rapports produits
avec l’appui de l’Union européenne, de la Banque africaine
pour le développement, du Programme des Nations Unies
pour le développement, du CAWTAR et du Réseau
Euro-méditerranéen des Droits de l’Homme
Préparée par : M. Selim Ben Hassen (Consultant)
Révisée par : M. Michel Mouchiroud (UE)
M. Justin MURARA (BAD)
Mme Mongia Hedfi (PNUD)
M. Abderrahman El Yessa (PNUD)
Dès le lendemain de la Révolution, les partenaires techniques et financiers se sont mobilisés aux côtés de
la société civile, en Tunisie, pour la soutenir et en renforcer les capacités. Cet engagement s’est fait dans
l’urgence dictée par le contexte politique, économique et social. Deux ans après, institutions et orga-
nismes de coopération ressentent le besoin d’en savoir plus sur les dynamiques qui traversent la société civile
pour mieux dimensionner et adapter leurs appuis.
Il est aujourd’hui et plus que jamais nécessaire, pour les acteurs intéressés, de disposer d’une image fidèle de
l’état de la société civile tunisienne, susceptible de permettre d’en évaluer les forces et les faiblesses, d’en iden-
tifier les besoins et les aspirations et mettre en exergue les opportunités et les défis, en la matière.
Pour répondre à cette nécessité, plusieurs études ont été réalisées dans le courant de l’année 2012, par le
Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD), la Banque Africaine de Développement (BAD),
l’Union européenne (UE), le Réseau Euro-Méditerranéen des Droits de l’Homme (REMDH) et le Centre de la
Femme Arabe pour la Formation et la Recherche (CAWTAR) et d’autres partenaires.
La plupart de ces travaux envisagent la société civile dans sa dimension essentiellement associative. En l’ab-
sence d’une définition claire de la société civile tunisienne par ses propres acteurs, locaux et nationaux, le choix
a été fait de s’intéresser aux associations formelles, bien qu’il faille, par ailleurs, souligner la vitalité d’autres
espaces, tels les groupements informels de citoyens
Au total, 800 associations, environ, et plus de 200 acteurs issus de l’Administration centrale et locale, des médias,
des syndicats, du monde universitaire et de la recherche, des agences de coopération ont été sollicités et rencon-
trés par les équipes de chercheurs sur l’ensemble du territoire tunisien dans le cadre des études susmention-
nées. Menées à travers des approches méthodologiques différentes, celles-ci ont associé la recherche documen-
taire, les entretiens individuels et collectifs (focus groups) en vue de dessiner l’état des lieux de la société civile
tunisienne et des nouvelles dynamiques qui la traversent
Le présent document propose une synthèse des travaux réalisés, dont il rappelle, en les actualisant, les princi-
pales conclusions et recommandations. Pour plus de détails, les lecteurs sont invités à consulter les études de
référence.
2
La société civ i le tunisienne après la révolut ion pnud 2013
avant pRopos
Avant-propos 2
Sommaire 3
Introduction 4
une seconde révolution : la révolution associative 7
1.1. La societe civile tunisienne avant le 14 janvier 2011 : entre controle et propagande, des
associations « otages » de la dictature 7
1.2. La restructuration de la scene associative au lendemain de la revolution 8
1.3. Le decret-loi n°88-2011 et la consecration juridique de la liberte d’association 9
engagés, mais pourquoi faire ? 11
2.1. Une societe civile effervescente 11
2.2. Des roles et des contours encore mal definis 13
une société civile en quête de consolidation 16
3.1. Les capacites des associations : une question au cœur des enjeux 16
3.2. L’absence d’un cadre structurant 18
3.3. De l’opportunite des approches ascendantes et participatives 19
iv. la société civile et son environnement externele rôle-clef des partenaires 24
4.1. Etat et societe civile : restaurer la confiance, construire le dialogue 24
4.2. Le role des partenaires techniques et financiers : contribuer a l’emergence d’une societe
civile autonome 25
4.3. Societe civile et secteur prive : promouvoir la culture du mecenat 26
conclusion 27
synthèse des recommandations 29
Sur le contexte relatif aux associations en tunisie 29
Sur la nature de l’engagement associatif en tunisie 29
Sur la consolidation des organisations de la societe civile 30
Sur le rôle des partenaires techniques et financiers 31
BiBliographie 32
WeBographie 34
3sommaiRe
4
La société civ i le tunisienne après la révolut ion pnud 2013
Le 14 janvier 2011, le peuple tunisien parvient, au terme de manifestations qui gagnent tout le pays, à renverser le régime
Ben Ali, mettant ce faisant un terme à plus de 23 ans d’un système de gouvernement autoritaire et corrompu. Ce sou-
lèvement, soudain et spontané, en apparence, était non seulement porteur de revendications profondes de liberté et de
justice sociale, mais aussi l’expression d’une nouvelle exigence de redevabilité des gouvernants aux citoyens. Au-delà des
facteurs immédiats, cet évènement tire ses racines de l’accumulation des luttes sociales et politiques, dont les émeutes du
bassin minier, en 2008, constituent l’une des manifestations les plus récentes et qui en atténuent la soudaineté.
Cet évènement fut aussi et par excellence, le fait de citoyens ordinaires, loin d’une quelconque orientation politique ou parti-
sane. A l’aube d’une nouvelle ère démocratique, la population qui s’est manifestée de manière bruyante et fait entendre sa
voix dès le 17 décembre 2010, et dont l’un des slogans fut et demeure « plus jamais peur ! », aspire désormais à prendre son
destin en main et à s’assurer, par la présence, la vigilance et l’action de la société civile, à ce que la Tunisie ne s’abîme plus
dans les affres de la tyrannie.
Si cette détermination est louable, l’Histoire tunisienne montre cependant à quel point les transitions sont loin de constituer,
en elles-mêmes, des garanties de succès. Il suffit de se souvenir du dynamisme de la société civile tunisienne au lendemain
de la proclamation de la République en 1957, avant que celle-ci ne soit sévèrement réprimée à partir de la fin des années 60 1; de même, il convient de rappeler que trente ans plus tard, en 1987, l’ascension au pouvoir du Président Ben Ali, n’a pas
permis l’éclosion d’une société civile libre et dynamique, cette dernière ayant été rapidement mise au pas puis réduite au
silence pendant plus de vingt ans.
C’est la raison pour laquelle il est crucial que la société civile tunisienne assure dès aujourd’hui les conditions de sa pérennité.
Cependant, le contexte de transition démocratique, à la fois complexe et incertain, semble constituer un obstacle de taille à
cette évolution : en effet, la déception et le désenchantement gagnent bon nombre de Tunisiennes et de Tunisiens, qui consi-
dèrent parfois que la Révolution n’a que peu répondu à leurs attentes. Par ailleurs, la liberté nouvellement acquise recèle,
également, son lot d’inconvénients : comportements anarchiques, atmosphère délétère, sentiment de chaos … C’est aussi
donc aussi à la lumière de ce contexte délicat que les associations, naissantes sont souvent tentées de baisser les bras, face
aux nombreuses difficultés pratiques que celles-ci rencontrent dans le cadre de la conduite de leurs activités.
Bien qu’il soit difficile de reconstruire quand la terre tremble encore, il n’en demeure pas moins essentiel pour la société civile
de conserver toute sa vitalité, mais aussi et surtout de renforcer ses capacités. Dans cette perspective, l’analyse de l’état
actuel de la société civile tunisienne constitue donc une base importante à partir de laquelle il sera possible d’entrevoir des
réponses pertinentes permettant l’élaboration de mécanismes adéquats pour accompagner les associations tout au long du
processus de transition.
A cet égard, le contexte relatif aux associations a profondément évolué depuis la Révolution, aussi bien en fait qu’en droit
(Partie I). Pour autant, l’essor de l’activité associative ne s’est pas accompagné d’une réflexion interne sur le rôle et les
contours de la société civile, impliquant un certain nombre d’incertitudes et de difficultés (Partie II). Par ailleurs, si la question
prioritaire reste actuellement celle du besoin urgent de consolider la société civile (Partie III), ce défi nécessite de penser un
nouveau partenariat constructif avec les différents acteurs de la transition, que sont l’Etat, les partenaires techniques et finan-
ciers mais aussi le secteur privé (Partie IV).
1 UE, Rapport de diagnostic sur la société civile tunisienne (2012).
intRodUction
5
pnud Bad ue remdh caWtar
titre de l’étudeLa société civile dans une Tunisie en mutation :Quelle contribution à la construction de la citoyenneté ?
La gouvernance participative en Tunisie : Améliorer la prestation des services publics à travers des partenariats État-citoyens
Rapport de diagnostic sur la société civile tunisienne
Etablissement d’un répertoire des associations et ONG en Tunisie et renforcement des capacités d’influence et d’action des ONG de défense des droits de l’Homme
Promotion du Genre et renforcement des ONGs émergentes pour jouer un rôle efficace durant la transition démocratique
objectif(s)
Dresser un état des lieux des acteurs de la société civile, en particulier ceux intervenant dans les domaines de l’éducation à la citoyenneté, de la jeunesse et du genre
Evaluer la participation citoyenne et formuler des recommanda-tions sur les moyens de promouvoir la citoyenneté active et la gouvernance participative
Identifier les difficultés que rencontrent les acteurs de la société civile et les types d’intervention leur permettant de renforcer leurs capacités et les surmonter
Dresser un état des lieux des associations actives dans la défense des droits de l’Homme, et identifier leurs besoins, capacités et perspectives d’évolution
Identifier des associations dans les zones objets de l’étude et évaluer leurs forces et leurs faiblesses ainsi que leurs besoins en termes de capacités
période de l’étude Décembre 2011- Mars 2012 Novembre 2011 – Avril 2012 2012 Aout 2011-Octobre 2011 Mai 2011- Octobre 2011
champ d’intérêt Education à la citoyenneté Gouvernance participative Général Droits humains Genre
echantillon35 associations œuvrant dans le domaine de l’éducation à la citoyenneté
- 450 associations œuvrant dans différents domaines Général Droits humains Genre
Zonegéographique
16 gouvernorats sur l’ensemble du territoire
20 gouvernorats sur l’ensemble du territoire
6 gouvernorats : Tunis, Kairouan, Kasserine, El Kef, Gabès, Gafsa
21 gouvernorats sur l’ensemble du territoire
12 gouvernorats : Sahel, Nord-Ouest, Nord-Est, Nord
méthodologie - Recherche documentaire 20 gouvernorats sur l’ensemble du territoire
6 gouvernorats : Tunis, Kairouan, Kasserine, El Kef, Gabès, Gafsa
21 gouvernorats sur l’ensemble du territoire
12 gouvernorats : Sahel, Nord-Ouest, Nord-Est, Nord
axes de l’étude - Contexte et diagnostic 20 gouvernorats sur l’ensemble du territoire
6 gouvernorats : Tunis, Kairouan, Kasserine, El Kef, Gabès, Gafsa
21 gouvernorats sur l’ensemble du territoire
12 gouvernorats : Sahel, Nord-Ouest, Nord-Est, Nord
nombre de pages 53 156 55 128 48
experts- Mokhtar Metoui- Ahmed Mainsi- Henda Gafsi - Carmen Malena
- Carmen Malena- Selim Ben Hassen- Augustin Loada
- Philippe Staatsen- Ernest Cesari- Yassine Hamza
- Mokhtar Metoui- Henda Gafsi - Ahmed Mainsi
- Equipe CAWTAR- Ghassen Amami
RécapitUlatif des étUdes analysées
Aux côtés de la Révolution politique, ce que l’on peut
appeler la Révolution associative tunisienne repose
autant sur une restructuration profonde de la scène
associative que sur l’adoption d’un cadre juridique favorable à
la création et à l’activité des associations.
La société civile tunisienne avant le 14 janvier 2011 : entre contrôle et propagande, des associations « otages » de la dictature
Il est d’usage de dire qu’avant le 14 janvier 2011, «il y avait en
Tunisie de nombreuses associations mais pas de société
civile»1 . Et en effet, les 97002 associations que comptait alors
le pays, offrant au passage aux partenaires internationaux la
vitrine d’un cadre participatif et dynamique, étaient loin de
jouer le rôle que l’on attend communément d’une société
civile active et indépendante. Quadrillant la population et
contrôlant les citoyens pour bon nombre d’entre elles 3, celles-
ci se muaient, à l’approche des élections, en un puissant ins-
trument de mobilisation et de propagande en faveur du parti
unique.
Le régime relatif à l’organisation des associations était par
ailleurs régi par des textes juridiques coercitifs 4, laissant ces
dernières à la merci du gouvernement, tant dans le cadre de
leur création que pour l’obtention de financements et l’élec-
tion des bureaux directeurs.
Dans ce contexte, les rares associations indépendantes, assi-
milées –souvent à raison- à des structures d’opposition 5, ren-
contraient les plus grandes difficultés pour fonctionner serei-
nement et devaient lutter contre les tentatives régulières de
noyautage et d’intimidation de la part des autorités (confisca-
tion de documents, vols de données, blocage des fonds reçus,
agression des militants, poursuites judiciaires, etc.).
Cela dit, il est important de ne pas décrire la société civile
tunisienne prérévolutionnaire de façon trop manichéenne, 1 PNUD,LasociétéciviledansuneTunisieenmutation:Quellecontributionàlaconstructiondelacitoyenneté?(2012).2 IFEDA,www.ifeda.org.tn3 PNUD,LasociétéciviledansuneTunisieenmutation:Quellecontributionàlaconstructiondelacitoyenneté?(2012).4 Loisorganiquesn°88-90du2août1988etn°92-25du2avril1992modifiantetcomplétantlaloin°59-154du7novembre1959relativeauxassociations;loiorganiquen°93-80du26juillet1993,relativeàl’installationdesorganisationsnongouvernementalesenTunisie.5 Etnotamment,laLigueTunisiennedeDéfensedesDroitsdel’Homme(LTDH),l’AssociationdeLuttecontrelaTortureenTunisie(ALTT),lasectionlocaled’AmnestyInternational,leConseilNationalpourlesLibertésenTunisie(CNLT),l’AssociationTunisiennedesFemmesDémocrates(ATFD),l’AssociationdesFemmesTunisiennespourlaRechercheetleDéveloppement(AFTURD),ainsiquecertainesassociationspro-fessionnelles(JeunesAvocats,AssociationdesMagistratsTunisiens(AMT),SyndicatNationaldesJournalistesTunisiens,etc.).
divisée entre une majorité d’associations complaisantes et
une minorité d’associations résistantes. En réalité, il convien-
drait davantage de dire que la plupart des associations agis-
saient « moins comme un contre-pouvoir ou un porte-parole
de groupes de citoyens que comme des prestataires de ser-
vices complétant l’action du gouvernement » 6 et soumises,
dans un contexte autoritaire, à une pression politique rédui-
sant leur marge de manœuvre à néant.
Dans ces conditions, la plupart des associations sont interve-
nues dans des domaines aussi variés que l’action sociale, le
développement local, la protection du patrimoine et de l’envi-
ronnement, qui ont la particularité de ne pas entretenir de
liens directs avec les problématiques relatives à la démocra-
tie, à l’Etat de droit et aux libertés. Le graphique suivant 7, qui
relève la prédominance des associations culturelles et spor-
tives dans la Tunisie de l’ancien régime, illustre remarquable-
ment cette situation.
Répartition des associations par catégorie sous l’ancien régime
Source : PNUD, La société civile dans une Tunisie en mutation : Quelle contribution à la construction de la citoyenneté ? (2012)
La restructuration de la scène associativeau lendemain de la Révolution
On estime à plus de 3600 le nombre de nouvelles associations
6 PNUD,LasociétéciviledansuneTunisieenmutation:Quellecontributionàlaconstructiondelacitoyenneté?(2012);UE,Rapportdediagnosticsurlasociétéciviletunisienne(2012).7 IFEDA,www.ifeda.org.tn/francais/statistiques.php
6
La société civ i le tunisienne après la révolut ion pnud 2013
Une seconde RévolUtion : la RévolUtion associative
1%
66% 14%
7%
6%6%
Artistiques et culturelles (6005)
Sportives (1281)
Développement (602)
Amicales (579)
Scientifiques (495)Générales (6005)
7
créées depuis le 14 janvier 2011 8. En réalité, il ne s’agit pas
tant d’une augmentation nette du nombre des associations
mais davantage d’une véritable restructuration de la société
civile tunisienne, guidée par les actions concomitantes des
trois phénomènes suivants :
- En réalité, une bonne partie des associations existantes a
été dissoute : accusés –à tort ou à raison- de complicité
avec l’ancien régime, les dirigeants de ces structures ont dû
abandonner leurs responsabilités pour échapper à la vin-
dicte populaire et/ou aux poursuites judiciaires. Certains
ont même précipitamment quitté le pays 9 ;
- Parallèlement, un nombre important de militants, hier
investis dans les structures de résistance de la société civile
à défaut de pouvoir exercer publiquement une activité poli-
tique, ont rejoint, à partir du 14 janvier 2011, les rangs des
partis politiques une fois ces derniers reconnus 10. Certaines
personnalités de la résistance civile ont cependant fait le
choix de s’impliquer dans la scène politique sans pour
autant abandonner leurs engagements associatifs, ce qui
n’est pas sans poser question quant à la problématique de
l’interférence entre les sociétés civile et politique ;
- Si un nombre considérable de jeunes organisations a vu le
jour au lendemain de la Révolution (3600 environ). Ce mou-
vement reste néanmoins en perpétuelle évolution et aussi
marqué par de nombreuses défections. Dans cette optique,
il est difficile, faute de mécanismes de suivi, d’avancer des
chiffres précis quant au nombre d’associations créées
après le 14 janvier et encore actives aujourd’hui.
Le décret-loi n°88-2011 et la consécration juridique de la liberté d’association
Avec l’adoption du nouveau décret-loi n°88-2011 en date du 24
septembre 2011 11, la Tunisie dispose d’un nouveau texte rela-
tif aux associations. Ce dernier est nettement plus favorable
que ceux qui l’ont précédé pour l’exercice de l’activité associa-8 IFEDA,www.ifeda.org.tn/francais/annuaire.php9 Commeentémoignel’exempledeSaidaAgrebi,ancienneprésidentedel’AssociationTunisiennedesMères,organedepropagandedel’ancienrégime:http://www.businessnews.com.tn/Tunisie---Arrestation-de-Saïda-Agrebi-à-laéroport-Roissy-Charles-de-Gaulle,520,29864,310 PNUD,LasociétéciviledansuneTunisieenmutation:Quellecontributionàlaconstructiondelacitoyenneté?(2012);REMDH,Etablissementd’unrépertoiredesassociationsetONGenTunisieetrenforce-mentdescapacitésd’influenceetd’actiondesONGdedéfensedesdroitsdel’Homme(2012).11Abrogeantlaloin°59-154du7novembre1959relativeauxassociationsetlesloisorganiquesn°88-90du2août1988et92-25quilacomplétaientoumodifiaient.
tive. Ainsi, le principe de la liberté d’association a conduit à
soustraire la création des associations au régime de l’autori-
sation et à la tutelle du Ministère de l’Intérieur, et introduit le
principe d’une simple déclaration préalable de constitution
auprès du Premier Ministère, en la personne du Secrétaire
Général du Gouvernement.
Les hypothèses susceptibles de motiver le refus de la consti-
tution d’une association sont au demeurant limitées : entre
autres, il est interdit à celles-ci d’appeler à la violence, à la
haine, à l’extrémisme et à la discrimination sur des bases reli-
gieuses, sexuelles ou régionales ; de même que l’association
ne peut exercer ses activités dans le but de favoriser les inté-
rêts personnels de ses membres, d’un homme/femme ou
d’un parti politique. En dehors de ces réserves, toute associa-
tion a droit de cité, et bénéficie même du droit d’exprimer des
« opinions politiques », comme le stipule le texte même du
décret-loi.
Le principe de liberté d’association se vérifie également dans
les statuts de l’association : d’un modèle de statuts imposés,
on passe à une rédaction libre de ces derniers. S’il est prévu
par le décret-loi que des mentions obligatoires doivent y figu-
rer (nom de l’association, siège, objectifs, conditions d’octroi
de la qualité de membre et cas d’exclusion, prérogatives et
élections des comités de direction, outils de prise de décisions
et de gestion des conflits, montant des cotisations, conditions
de dissolution de l’association et de liquidation de ses biens)
chaque association demeure libre de déterminer souveraine-
ment le contenu de ces mentions.
Par ailleurs, alors que le recours au financement –en particu-
lier étranger- était presque impossible sous l’ancien régime
(autorisations préalables exigées du gouvernement, gels des
comptes bancaires hébergeant les fonds des organisations
dissidentes), il est aujourd’hui possible à chaque association
d’obtenir des financements, nationaux mais aussi internatio-
naux. Il convient cependant de préciser qu’ il est interdit à
toute association de recevoir des fonds d’un État avec lequel la
Tunisie « n’entretient pas de relations diplomatiques » . En
réalité, c’est l’Etat d’Israël qui semble être directement visé
par cette interdiction, bien que la liste puisse être amenée à
évoluer.
Une seconde RévolUtion : la RévolUtion associative
8
La société civ i le tunisienne après la révolut ion pnud 2013
En contrepartie, des obligations de transparence et de redeva-
bilité sont mises à la charge des associations. Ainsi, s’agissant
des subventions internationales, le décret-loi impose la publi-
cation par l’association de la source de son financement ainsi
que du montant et de l’objet de ce dernier dans l’un des jour-
naux de la presse écrite ainsi que sur son site internet 12.
D’autres obligations sont énoncées par le décret-loi, pré-
voyant notamment la tenue de divers registres et d’une comp-
tabilité d’engagement. De même, pour les associations dont le
budget annuel dépasse la somme de 100.000 dinars, le
recours à un audit annuel externe des comptes est devenu
obligatoire.
En cas de non-respect des dispositions légales, la faculté
jadis offerte au Ministère de l’intérieur de procéder à la fer-
meture des locaux et d’interdire les réunions des membres
est abandonnée. Il en va de même concernant les peines pri-
vatives de libertés prévues contre les membres en cas de
contravention à l’ancienne loi. En lieu et place de ces disposi-
tions, le décret-loi adopte un système de sanctions graduelles
-allant de l’avertissement à la dissolution en passant par la
suspension des activités- qui n’obèrent pas la vie de l’associa-
tion et lui offrent la possibilité de régulariser sa situation à
tout moment.
A n’en point douter, le nouveau dispositif est, dans son
ensemble, propice au développement de l’activité associative 13. Il n’en demeure pas moins que des efforts restent à fournir
afin d’améliorer l’environnement et le niveau de sécurité juri-
diques existants, qui souffrent encore de quelques faiblesses :
- Le nouveau décret-loi n’est pas sans comporter quelques
imprécisions et lacunes14 : certaines dispositions rendent
en effet son application difficile pour des responsables
encore peu rompus à la gestion associative 15. En outre, le
en supprimant la compétence des gouvernorats et en cen-
tralisant la création des associations au niveau du Premier
Ministère, le nouveau système mis en place risque de
consommer davantage la rupture entre société civile et 12 Dansledélaid’unmoisàcompterdeladatedelademandedelasubventionoudesonoctroi.13 Pourplusdeprécisionssurcesujet,seréféreraumanueldesassociationspubliéparlePNUD(mars2013)14 Enparticulierauregarddelacompétencedesjuridictions,desrecourscontrel’Administration,del’obligationpourl’Etatdeconsacrerunepartdubudgetpoursoutenirlesassociations(article36).15 Comptabilitéd’engagement(comptabilitéd’entreprises),tenuederegistres,élaborationdesrapports,etc.
administration locale et, par conséquent, de priver les asso-
ciations d’un vis-à-vis de proximité.
- Au-delà du texte lui-même, l’environnement légal relatif
aux associations n’offre pas un niveau de sécurité juridique
satisfaisant : les modalités de l’emploi salarié, les cas de
franchise des cotisations sociales, les aides financières à la
création d’emplois associatifs, ou encore les franchises
d’impôts pour les sociétés ou les personnes physiques
finançant des associations16 constituent autant de ques-
tions qui ne trouvent pas de réponses, y compris chez l’ad-
ministration elle-même 17.
- Enfin, la jurisprudence étant une source –bien que secon-
daire- du droit en Tunisie, chargée d’éclairer et d’interpré-
ter la loi en cas d’imprécision de celle-ci, l’absence d’outils
rendant les décisions des tribunaux accessibles aux asso-
ciations empêche ces dernières de prendre l’exacte mesure
de leurs droits et devoirs, en particulier s’agissant de la
responsabilité civile et/ou pénale que leurs dirigeants, sala-
riés ou bénévoles sont susceptibles d’encourir.
Le décret-loi constitue donc un premier pas important en
faveur de la garantie de la liberté d’association en Tunisie.
Cependant, les efforts doivent être poursuivis en vue de la
mise en place d’un environnement juridique sain et favorable
pour la poursuite de l’activité associative.
16 UE,Rapportdediagnosticsurlasociétéciviletunisienne(2012).17 Entretiensmenésavecdescadresdesservicesfiscauxetdel’emploidanslecadredel’étudedelaBanqueAfricainedeDéveloppement(BAD),LagouvernanceparticipativeenTunisie:AméliorerlaprestationdesservicespublicsàtraversdespartenariatsÉtat-citoyens(2012).
Une seconde RévolUtion : la RévolUtion associative
9
RECommANDATioNS
1/ Actualiser et mettre à jour la liste des associations tunisiennes en s’assurant de l’activité des associations
créées sous l’ancien régime aussi bien que de celles nées au lendemain de la Révolution.
2/ Favoriser la coopération entre anciennes et nouvelles associations en vue de permettre à la fois la transmis-
sion de l’expérience des plus anciennes et la réconciliation des acteurs dans le cadre d’un travail de promotion
d’une société civile unie.
3/ Constituer des groupes d’experts pour travailler à l’amélioration du décret-loi n°88-2011, en initiant le cas
échéant une démarche participative impliquant les associations nouvellement créées ayant été confrontées de
manière concrète aux dispositions du texte.
4/ Mener des actions de plaidoyer auprès des autorités et de la société civile en vue d’améliorer le décret-loi et
de procéder à son adoption par le pouvoir législatif dans les plus brefs délais, afin de lui donner statut de Loi.
5/ Compléter le décret-loi par un environnement juridique favorable en actualisant ou en modifiant les textes
législatifs ou réglementaires ayant un lien avec l’activité associative. Les enjeux concernent essentiellement le
droit du travail, le droit de la sécurité sociale, la fiscalité et le droit de la responsabilité.
6/ Appuyer les initiatives qui permettent de proposer aux associations une veille sur la doctrine administrative et
fiscale ainsi que sur les décisions des tribunaux relatives à l’activité associative.
7/ Appuyer l’accès à l’information et la formation des associations à l’environnement juridique, en particulier pour
les aspects relatifs aux obligations imposées par le décret-loi (élaboration de la comptabilité, tenue des registres,
rédaction des rapports, conservation des données) et pour ceux intéressant la responsabilité civile et pénale des
dirigeants, employés, membres et bénévoles d’associations.
Une seconde RévolUtion : la RévolUtion associative
10
La société civ i le tunisienne après la révolut ion pnud 2013
Si la Tunisie se caractérise aujourd’hui par une activité
associative effervescente, l’absence d’une définition
claire des rôles et des contours de sa société civile
conduit à certaines difficultés, dont la frontière entre société
civile et société politique est l’une des plus problématiques.
Une société civile effervescente
Les différents sondages ou questionnaires réalisés par les
partenaires techniques et financiers 18 mettent en lumière la
vigueur de l’intervention des associations tunisiennes après la
Révolution. Conformément aux revendications portées par la
Révolution, qui ont notamment mis l’accent sur la démocratie,
les activités des associations se concentrent désormais,
comme le montre le graphique suivant19 , sur les domaines
relatifs à la promotion de la citoyenneté et des droits humains.
Ceci résulte, à la fois, d’une réaction à la situation héritée du
passé, où ces thématiques relevaient d’un quasi-interdit poli-
tique et aussi d’un repositionnement de la société civile sur
les nouvelles opportunités d’appui définies par les partenaires
techniques et financiers en accompagnement de la transition.
De même, en réponse aux aspirations de justice sociale, les
enjeux socio-économiques (développement, chômage) occu-
pent également une place de toute première importance dans
les activités des associations.
Répartition des associations de l’échantillonselon leur domaine principal d’intervention
18 PNUD,LasociétéciviledansuneTunisieenmutation:Quellecontributionàlaconstructiondelacitoyenneté?(2012);REMDH,Etablissementd’unrépertoiredesassociationsetONGenTunisieetrenforce-mentdescapacitésd’influenceetd’actiondesONGdedéfensedesdroitsdel’Homme(2012).19 Ibid
Source : REMDH, Etablissement d’un répertoire des associations et ONG en Tunisie et renforcement des capacités d’influence et d’action des ONG de défense des droits de l’Homme (2012).
Concernant la répartition géographique, on constate une forte
concentration des associations dans le gouvernorat de Tunis,
s’expliquant par les multiples facilités que les commodités
d’une grande capitale offrent aux associations (accès direct à
l’information, proximité des bailleurs…). Mais dans l’ensemble,
il est intéressant de constater que les associations créées
après la Révolution se déploient sur l’ensemble du territoire
national, dans une proportion équivalente à celle de la répar-
tition géographique de la population 20 :
Répartition géographique des associations créées après 01/2011
Source : PNUD, La société civile dans une Tunisie en mutation : Quelle contribution à la construction de la citoyenneté ? (2012)
En outre, le dynamisme associatif se manifeste à tous les
échelons administratifs : en effet, les associations, dans le
cadre de leurs activités, œuvrent aussi bien aux niveaux local,
régional et national21. Il convient également de souligner l’am-
pleur –bien que difficilement chiffrable- des initiatives « vir-
tuelles », dès lors que de nombreuses associations opèrent à
titre principal via les réseaux sociaux et en particulier à tra-
vers le réseau communautaire Facebook 22.
20 IFEDA,www.ifeda.org.tn/francais/annuaire.php21 PNUD,LasociétéciviledansuneTunisieenmutation:Quellecontributionàlaconstructiondelacitoyenneté?(2012);confirmépar:BanqueAfricainedeDéveloppement(BAD),Lagouvernanceparticipa-tiveenTunisie:AméliorerlaprestationdesservicespublicsàtraversdespartenariatsÉtat-citoyens(2012).22 EtnotammentlespagesFacebooksuivantes:ElKasbah,100millionsdepoliticiens,JesuisTunisien,etc.
engagés, mais poURqUoi faiRe ?
Citoyenneté
Droits humainsDémocratie
Développement
Chômage
Environnement
Jeunesse
Femmes 3%
8%
11%
11%
16%
21%
30%
Ari
ana
Bej
aB
en A
rous
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erte
Gab
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afsa
Jend
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Bou
zid
Silia
naSo
usse
Tata
ouin
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zeur
Tuni
sZa
ghou
an
Répartition des associations
Répartition de la population
11
Répartition en pourcentage des niveaux d’intervention des associations de l’échantillon
Source : PNUD, La société civile dans une Tunisie en mutation : Quelle contribu-tion à la construction de la citoyenneté ? (2012)
Enfin, la vitalité de la société civile tunisienne se caractérise,
au lendemain de la Révolution, par la constitution de réseaux.
Formellement envisagés par le nouveau décret-loi relatif aux
associations, les réseaux ont néanmoins existé –certes de
manière très limitée-, dans la Tunisie de l’ancien régime 23.
Mais c’est surtout après le 14 janvier 2011 que les associa-
tions tunisiennes se sont saisies de la possibilité de former
des coalitions : de fait, en mars 2012, une association interro-
gée sur quatre déclarait faire partie d’un réseau, formel ou
informel24 .
Dans un contexte marqué à la fois par les échéances électo-
rales et par la quête d’un développement plus équitable entre
les régions, les réseaux se sont assignés à titre principal les
missions et les thèmes d’intervention suivants :
- l’observation du processus électoral ;
- la sensibilisation à la citoyenneté ;
- le développement régional ;
- la lutte contre le chômage et pour l’emploi.23 C’estlecasdelaCoalitiondelaSociétéCivilequiregroupeautourdelaLigueTunisiennedeDéfensedesDroitsdel’Homme,desassociationstellesquel’AssociationTunisiennedesFemmesDémocrates(ATFD),l’AssociationdesFemmesTunisiennespourlarechercheendéveloppement(AFTURD),leConseilNationalpourlesLibertésenTunisie(CNLT),l’OrganisationTunisienneContrelaTorture(OTCT),l’OrdredesIngénieursTunisiens(OIT),l’AssociationdesJugesTunisiens(AJT)etleSyndicatNationaldesJournalistesTunisiens(SNJT).Ceréseaus’estillustréaucoursdesélectionsdelaConstituanteparlamiseenplaced’unObservatoireNationaldesElections.LeRANDETtravailledesoncôtéàconsoliderlepoidsdelasociétéciviledanslaprisededécisionetlesuividesprojetsrelatifsàl’environnementetaudéveloppement.24 Etnotamment:RéseauTunisiendelaJusticeTransitionnelle(RTJT),Doustourna,Mourakiboun,LamEchaml,Jam3ity,ObservatoirenationaldesElectionsdelaConstituante,ChartedelaCitoyennetéetduDéveloppement.
D’autres réseaux ont vu le jour, constitués d’associations tra-
vaillant dans des domaines différents mais sur une zone géo-
graphique commune25, ou encore d’associations dont les
orientations politiques et/ou idéologiques sont compatibles
dans le cadre de la constitution de réseaux26 .
Des rôles et des contours encore mal définis
Le constat positif relatif au dynamisme et à la vigueur des
associations tunisiennes ne doit pas masquer une autre réa-
lité : celle de la difficulté prégnante des responsables associa-
tifs, d’une part à définir les contours et le rôle de la société
civile, d’autre part à déterminer leurs propres missions et
objectifs dans le contexte de transition démocratique que
connaît le pays. Cette situation s’explique par le contexte très
volatil qu’est celui de la transition actuelle, rendant délicate la
définition d’une vision stratégique à moyen terme.
Interrogés sur la définition et le rôle de la société civile tuni-
sienne, les dirigeants d’associations fournissent, pour la plu-
part, des réponses à la fois vagues et stéréotypées27. Si pour la
majorité des sondés, la société civile a pour contour les asso-
ciations formellement constituées sans liens directs avec les
partis politiques, et pour rôle le contrôle de l’action publique,
il semble que cette définition soit davantage le résultat des
formations effectuées par les bailleurs de fonds -ou de la for-
mulation des appels à propositions en faveur de la « société
civile »- que le fruit d’une réflexion nationale sur le sujet.
D’ailleurs, les réponses fournies par les personnes interro-
gées ne semblent pas constituer des convictions enracinées
et partagées, et se trouvent largement contredites par la pra-
tique associative.
Mais au-delà de la problématique relative aux contours et au
rôle de la société civile tunisienne, c’est bien la perception
qu’ont les associations de leurs propres missions qui mérite
d’être questionnée. Dans un contexte où l’important est de
s’engager, -le plus souvent, sans réflexion préalable- -,
25 Pourexemple,leRéseaudesAssociationsdeKasserine.26 Onpeutciterl’exempledel’UniondesFemmesLibres,detendanceislamiste:TAP,Naissancedel’UniondesFemmesLibres,http://www.businessnews.com.tn/details_article.php?t=520&a=26478&temp=3&lang=,07/09/2011;etleCollectifautourduprojetBusCitoyen,detendancedite«moderniste».27 PNUD,LasociétéciviledansuneTunisieenmutation:Quellecontributionàlaconstructiondelacitoyenneté?(2012).
engagés, mais poURqUoi faiRe ?
Comm
une
Délégation
Gouvern
orat
National
Indéte
rminé
11% 23% 25% 2%34%
12
La société civ i le tunisienne après la révolut ion pnud 2013
nombre d’associations souhaitant « aider » et « agir » 28 inves-
tissent, comme le montre le graphique suivant 29, plusieurs
domaines à la fois, en ayant recours à des thématiques « cha-
peau » comme la citoyenneté et le développement. Cette
situation présente le double inconvénient de conduire à un
éparpillement des activités des associations au détriment
d’une spécialisation synonyme d’expertise et d’efficacité, et
d’empêcher une structuration de la société civile qui en facili-
terait la visibilité pour les différents acteurs de la transition
(Etat, médias, citoyens, bailleurs, etc.).
Domaines d’intervention des associations après le 14 janvier 2011
Source : Banque Africaine de Développement (BAD), La gouvernance participa-tive en Tunisie : Améliorer la prestation des services publics à travers des par-tenariats État-citoyens (2012)
Le manque de réflexion stratégique de la part des associa-
tions sur leurs propres missions se traduit également par le
fait que celles-ci n’ont pas encore intégré, la nécessité d’iden-
tifier des groupes cibles dans le cadre de leurs actions. Le
graphique ci-dessous30 montre ainsi que presque 50% des
organisations interrogées s’adressent à tous les Tunisiens
sans considération d’âge, ce dernier facteur devant pourtant
constituer un élément prééminent de la stratégie d’interven-
tion des associations.
28Selonuneformulelargementutiliséeparlesresponsablesd’associations.29 BanqueAfricainedeDéveloppement(BAD),LagouvernanceparticipativeenTunisie:AméliorerlaprestationdesservicespublicsàtraversdespartenariatsÉtat-citoyens(2012);confirméparl’étudeduREMDH,Etablissementd’unrépertoiredesassociationsetONGenTunisieetrenforcementdescapacitésd’influenceetd’actiondesONGdedéfensedesdroitsdel’Homme(2012).30 REMDH,Etablissementd’unrépertoiredesassociationsetONGenTunisieetrenforcementdescapacitésd’influenceetd’actiondesONGdedéfensedesdroitsdel’Homme(2012).
Répartition des associations selon l’âge de leurs populations cibles
Source : REMDH, Etablissement d’un répertoire des associations et ONG en Tunisie et renforcement des capacités d’influence et d’action des ONG de défense des droits de l’Homme (2012).
Un autre phénomène inquiète acteurs et observateurs : celui
de la politisation de la société civile. Dans un contexte marqué
par l’émergence de deux projets politiques a priori incompa-
tibles, l’un conservateur et campé sur la religion, l’autre plus
‘moderniste’ ou laïc et revendiquant l’universalité des valeurs,
une partie non négligeable des associations reproduit et pro-
longe cette bataille idéologique sur le terrain 31. Cette politisa-
tion s’exprime de plusieurs manières :
- Il n’est pas rare de constater, au sein d’un même courant
de pensée, des personnes impliquées à la fois dans une
association et dans un parti politique . Ceci découle, en
grande partie, de la méconnaissance de la spécificité de la
société civile par rapport la sphère politique et à l’adminis-
tration, d’où la confusion des rôles, parfois constatée ;
- de façon plus marquée, nombreuses sont les associations
qui agissent comme des prolongementsou des relais32 des
partis politiques, avec pour objectif de toucher des élec-
teurs potentiels.. Leurs domaines d’intervention concer-
nent principalement l’action sociale et la solidarité, mais
touchent également l’éducation et la culture. Du reste, cette
pratique, qui témoigne de la persistance du clientélisme,
31 http://touensa.org/2012/10/08/destour-droit-de-lhomme-en-islam-ou-declaration-universelle-des-droits-de-lhomme/32 Ledécret-loin°88-2011surlesassociationsinterditàcelles-cid’agirdansl’intérêtd’unpartipolitique.
Lutte contre la pauvreté
Education/Formation
DéveloppementJeunesse
Arts et CultureDroits hulains
Santé
Emploi/Travail
Droits des enfants
Développement ruralDémocratie
Droits de la Femme
Environnement
Autres
Médias
47,40%
44,60%
43%
40,20%
35,30%
34,50%
32,90%
31,30%
30,50%
29,30%
24,90%
22,10%
20,90%
19,30%
10,80%
Enfants
20%
Jeunes
Adultes
Personnes
âgées
Tous â
ges
49%
4%
22%
4%
engagés, mais poURqUoi faiRe ?
13
n’est pas l’apanage du parti au pouvoir et semble concerner l’ensemble des formations politiques ;
- enfin, , après des décennies où les militants ont eu recours à la voie associative en l’absence de possibilités d’expression et
d’actions politiques, nombre d’entre eux ont rejoint la scène politique après la Révolution sans toutefois abandonner leurs acti-
vités associatives. Il en résulte parfois une difficulté à distinguer de manière claire les acteurs de la scène politique de ceux de
la société civile, renforçant ainsi le manque de visibilité de cette dernière et contribuant à entretenir un climat de confusion pour
les citoyens, le plus souvent désemparés face à l’explosion des initiatives censées défendre leur cause.
RECommANDATioNS
1/ Appuyer les initiatives locales et nationales visant à amener les Tunisiens à réfléchir sur la définition, les contours
et les missions de la société civile en Tunisie, les questions suivantes pouvant servir d’axes de réflexion :
- Quel doit être le périmètre de la société civile ? Qui doivent-en être les acteurs ?
- Quel rôle doit être assigné à la société civile en Tunisie ?
- De quelle manière celle-ci peut-elle se structurer ? Cette structuration doit-elle être formelle (élections au niveau local
ou national d’instances représentatives de la société civile) ou informelle (reposant sur une coopération efficiente entre
les acteurs) ?
- Quel rôle et quelle vision stratégique pour les réseaux ?
- Quelle doit être la relation de la société civile avec les autres parties prenantes : Etat, partenaires techniques et finan-
ciers, partis politiques, médias ?
NB : Le fait de promouvoir un processus interne n’interdit pas de partager les visions et les expériences étrangères dans
ce domaine. L’invitation d’experts ou d’acteurs étrangers ainsi que l’organisation de voyages d’études peuvent se révéler
aussi instructifs que pertinents.
2/ Inciter les associations, dans le cadre des appels à projets, à se spécialiser pour être plus efficaces. La spécialisa-
tion doit concerner dans le même temps :
- La thématique et le domaine d’activités ;
- Le niveau d’intervention : national, régional, local, virtuel ;
- La population cible.
3/ Lutter contre la politisation de la société civile et l’assujettissement des associations aux partis politiques :
- L’instauration d’un dialogue sur les contours et les rôles de la société civile, pourra contribuer à résoudre cette
question;
- Les partenaires techniques et financiers ont également la responsabilité de la vigilance et doivent éviter de financer des
associations liées dans les faits à des forces partisanes. Il s’agira dans le même temps d’un mécanisme de dissuasion
pour les associations désireuses de lever des fonds ;
- La société civile doit enfin être capable de s’autoréguler, en prenant soin de miser sur la sensibilisation et l’incitation
(implication des associations non partisanes dans des projets conduits par plusieurs associations, intégration dans les
réseaux) davantage que sur l’encouragement des dénonciations et l’invitation à la délation.
engagés, mais poURqUoi faiRe ?
14
La société civ i le tunisienne après la révolut ion pnud 2013
Si la consolidation de la société civile est souvent enten-
due en termes de renforcement des capacités au sein-
même des associations, il n’en demeure pas moins
important de souligner l’importance de l’édification d’un cadre
structurant pour la société civile ainsi que la nécessité d’une
meilleure implication des jeunes, des femmes et des popula-
tions au travers d’une approche participative et ascendante.
Les capacités des associations : une question au cœur des enjeux
La vitalité du tissu associatif qui s’est constitué à la faveur de
la Révolution ne doit pas masquer les conditions difficiles
dans lesquelles les associations tentent de conduire leurs
activités, en particulier pour les jeunes associations consti-
tuées dans les régions.
Concernant les capacités primaires, 39% des associations ne
disposent pas de locaux et beaucoup se réunissent dans les
cafés ou chez leurs dirigeants 33. Les ordinateurs sont souvent
la propriété personnelle des membres et l’accès à Internet
n’est pas toujours garanti. Cette réalité a amené, en l’absence
de structures d’accueil, d’hébergement et d’accompagne-
ment des associations34, bon nombre d’entre elles à mettre un
terme à leurs activités.
Quant aux capacités dites d’organisation et de fonctionne-
ment, 83% des associations ne disposent pas de personnel
rémunéré35 et 44% d’entre elles ne disposent d’aucun
membre ayant une expérience associative antérieure à son
actif36 . Plus inquiétant encore, dans 64% des cas, le trésorier
n’a aucune compétence en matière financière ou comptable.
En outre, si 72% des associations ont une comptabilité à jour,
aucune ne possède un manuel de procédures administratives
et financières ou des mécanismes de gestion et de contrôle 37.
Dans ces conditions, il est difficile pour les associations de
s’acquitter des obligations administratives et comptables
imposées par le nouveau décret-loi38. Au point de constater 33 BanqueAfricainedeDéveloppement(BAD),LagouvernanceparticipativeenTunisie:Amé-liorerlaprestationdesservicespublicsàtraversdespartenariatsÉtat-citoyens(2012);CAWTAR,PromotionduGenreetrenforcementdesONGémergentespourjouerunrôleefficacedurantlatransitiondémocratique(2012).34 Commecelaestlecasdanscertainspaysdisposantdecentresassociatifs,appeléségale-ment«maisonsdesassociations».35 BanqueAfricainedeDéveloppement(BAD),LagouvernanceparticipativeenTunisie:AméliorerlaprestationdesservicespublicsàtraversdespartenariatsÉtat-citoyens(2012).36 CAWTAR,PromotionduGenreetrenforcementdesONGémergentespourjouerunrôleefficacedurantlatransitiondémocratique(2012).37 Ibid38 Enparticulier:obligationdetenirunecomptabilitéd’engagement,demettreenplacedes
qu’aujourd’hui, la plupart des organisations sont, en raison de
ces lacunes, en situation de contravention à la loi.
Enfin, en ce qui concerne les capacités relatives à la commu-
nication, - (leadership, gestion des conflits, mobilisation, plai-
doyer), les associations rendent également compte de cer-
taines difficultés, décrites dans le graphique suivant :
Auto-évaluation par les associations de leurs capacités
Source : Banque Africaine de Développement (BAD), La gouvernance participa-tive en Tunisie : Améliorer la prestation des services publics à travers des par-tenariats État-citoyens (2012)
En réalité, si les associations rencontrent globalement les
mêmes difficultés, il convient néanmoins de souligner le fossé
qui sépare une minorité d’associations disposant de l’organi-
sation, de l’expertise et des fonds nécessaires pour mener
leurs activités, et une majorité d’associations éprouvant le
plus grand mal à satisfaire leurs besoins primaires.
A ce titre, il est intéressant de constater que le budget annuel
des associations varie entre 200 dinars et 350.000 dinars, avec
une moyenne de 61.600 dinars et une médiane de 7.000
dinars39, témoignant ainsi d’un déséquilibre criant : si un petit
nombre d’associations dispose de ressources très élevées, la
grande majorité des organisations se partage un volume de
fonds encore relativement modeste.
L’accès au financement est d’ailleurs devenu une question
centrale pour les associations de l’après 14 janvier 2011, qui y registres,deproduiredesrapports.39 BanqueAfricainedeDéveloppement(BAD),LagouvernanceparticipativeenTunisie:AméliorerlaprestationdesservicespublicsàtraversdespartenariatsÉtat-citoyens(2012).
Une société civile en qUête de consolidation
Très Bien Bien Limité Faible
Management organisationnel
Management financier
Aptitudes à la médiation
Aptitudes au plaidoyer
Compétences du personnel
Accès internet
Aptitudes au réseautage
20 40 60 80 1000
15
voient l’un des principaux moteurs du succès de leurs
activités40 :
Identification par les associations de leurs besoins prioritaires
Source : Banque Africaine de Développement (BAD), La gouvernance participa-tive en Tunisie : Améliorer la prestation des services publics à travers des par-tenariats État-citoyens (2012)
Si l’accès au financement est une aspiration légitime de la
part des associations, faut-il pour autant aller dans le sens de
toutes les revendications de la société civile? De façon évi-
dente, il paraît nécessaire aujourd’hui d’entreprendre des
actions visant à réduire l’écart qui existe entre les grandes
organisations et celles, majoritaires, qui se trouvent en marge
du circuit du soutien financier. La question de l’accès éventuel
à des financements publics pour les associations mériterait à
ce titre d’être discutée. Mais, dans le même temps, il convient
d’éviter de restreindre la question des capacités à celle des
financements, à défaut de quoi l’on risquerait, outre la créa-
tion d’un rapport de dépendance des associations à l’argent,
d’éloigner les acteurs de la société civile des valeurs origi-
nelles de l’engagement associatif, qui reposent principale-
ment sur le bénévolat, la mobilisation et l’effort collectif.
Dans ces conditions, c’est la recherche du niveau pertinent
d’intervention qui garantira également le succès de l’appui
des partenaires techniques et financiers, ainsi que la capacité
des associations à présenter des projets sérieux et durables et
à rendre compte aux différents bailleurs.
40 UE,Rapportdediagnosticsurlasociétéciviletunisienne(2012);confirméparl’étudeREMDH,Etablissementd’unrépertoiredesassociationsetONGenTunisieetrenforcementdescapacitésd’influenceetd’actiondesONGdedéfensedesdroitsdel’Homme(2012).
L’absence d’un cadre structurant
L’effervescence de la société civile tunisienne se traduit par un
enthousiasme non dissimulé de la part des différents acteurs,
publics, privés et internationaux. Chaque jour, de nouvelles
initiatives associatives sont annoncées et les bailleurs de
fonds redoublent d’efforts pour appuyer les ONG à travers des
formations et des financements, à Tunis comme dans les
régions.
Pour autant, ce dynamisme souffre de l’absence d’un cadre
global qui permettrait à la société civile de se déployer de
façon optimale, en étant plus organisée et plus efficace41. La
question de la coordination des activités est notamment au
cœur des problèmes : en effet, il arrive encore bien trop sou-
vent que des associations travaillent sur des projets sans
savoir que leurs homologues conduisent des activités simi-
laires au même moment et dans le même lieu, privant les
unes et les autres d’une possible coordination pourtant néces-
saire au bon fonctionnement de la société civile.
Un constat similaire peut être effectué s’agissant des bailleurs
de fonds : leur manque de visibilité conjugué à l’absence de
coordination ont parfois conduit à offrir des formations ou des
financements de façon quelque peu aléatoire, faisant bénéfi-
cier certaines régions et certaines thématiques d’un soutien
important au détriment de ce que l’on peut appeler les parents
pauvres de l’appui à la société civile.
Enfin, les citoyens se sentent quelquefois perdus face à cette
inflation d’activités. L’absence d’information claire et structu-
rée sur les associations constitue, à n’en pas douter, un frein
à l’engagement associatif.
En réponse à cette carence, plusieurs actions ont été : à côté du
travail que conduit IFEDA42 –autorité publique sous la tutelle du
Premier Ministère- pour mettre à jour le registre des associations
tunisiennes, des initiatives privées ont vu le jour pour proposer un
portail de présentation des ONG, parmi lesquelles Jam3ity43, lan-
cée par le Réseau Euro-Méditerranéen des Droits de l’Homme
(REMDH), le British Council et Global Change Makers.
41 UE,Rapportdediagnosticsurlasociétéciviletunisienne(2012).42 CentreTunisiend’Information,deFormation,d’EtudesetdeDocumentationsurlesAssociations;UE,Rapportdediagnosticsurlasociétéciviletunisienne(2012).43 EnFrançais:«Monassociation».
Une société civile en qUête de consolidation
Anciennes Associations Jeunes associations
Accès à desfinancement
de projetsPartenariat et
réseautageAccès à la formation
0,00
0,10
0,20
0,30
0,40
0,50
0,60
0,70
16
La société civ i le tunisienne après la révolut ion pnud 2013
En réalité, au-delà des efforts en matière de recensement, il
manque encore aujourd’hui44 une plateforme spécifique et
accessible, permettant à la fois de délivrer une information
fiable et actualisée sur la société civile et de faciliter l’interac-
tion entre les différents acteurs et partenaires (associations,
citoyens, administrations, bailleurs de fonds, médias). Ces
plateformes ou réseaux devraient, idéalement, résulter d’ini-
tiatives ‘endogènes’, les bailleurs accompagnant le
processus.
De l’opportunité des approches ascendantes et participatives
LES jEUNES : UNE voix qUi S’ESSoUffLE
Les documents45 relatifs à la participation des jeunes à la vie
associative avant le 14 janvier 2011 attestent du faible engage-
ment de cette catégorie qui représente pourtant plus de 30%
de la population tunisienne46. Sur le plan qualitatif, à côté de la
majorité des associations de jeunes qui opéraient dans le
sillon du régime ou dans des domaines perçus –par eux-
mêmes- comme apolitiques47, des organisations formelles et
informelles ont néanmoins réussi à faire entendre leur voix :
on citera, parmi les plus notoires, l’Union Générale des
Etudiants Tunisiens (UGET) –syndicat étudiant de tendance
progressiste- et l’Union des Diplômés Chômeurs (UDC), fon-
dée en 2007 et légalement reconnue au lendemain de la
Révolution. Sur la toile, le mouvement dissident –qui a en
outre compté sur une jeune diaspora active- s’était constitué
dès la fin des années 1990. En dépit de la censure48, le mou-
vement s’est amplifié à mesure que le régime accentuait la
répression, avant de jouer un rôle déterminant dans les der-
niers mois de l’année 201049.
Mais c’est surtout au lendemain du 14 janvier 2011, à la suite
de leur implication directe dans les événements ayant abouti à
la chute du régime, que les jeunes se sont investis dans la
sphère publique et fait part de leur volonté de prendre le des-44 REMDH,Etablissementd’unrépertoiredesassociationsetONGenTunisieetrenforcementdescapacitésd’influenceetd’actiondesONGdedéfensedesdroitsdel’Homme(2012).45 Endainterarabe,Quellesvoiespourunprojetdevieconstructif?(1999);ObservatoireNationaldelaJeunesse,ConsultationNationaledelaJeunesse(2005).46 Letauxd’adhésiondesjeunesnedépassaitpasles16,7%,Cf.MahfoudhDorra,GenreetparticipationdesfemmesàlaviepubliqueenTunisie,UNFPA,2008.47 Parmielles:l’AssociationTunisiennedesAubergesdelaJeunesse,l’AssociationJeunesSciences,etc.48 Sousl’ancienrégimelesplateformesYoutube/Dailymotionetlessitescritiquantlerégimeétaientcensurés.49 PNUD,LasociétéciviledansuneTunisieenmutation:Quellecontributionàlaconstruc-tiondelacitoyenneté?(2012).
tin de la Tunisie en main. Diverses initiatives ont vu le jour,
dans des domaines aussi variés que la sensibilisation à la
citoyenneté, l’observation des élections ou les projets de déve-
loppement et de lutte contre le chômage, auquel les jeunes
diplômés sont particulièrement exposés50. Si cet engagement
s’est réalisé à la faveur de la création de nouvelles associa-
tions, la voix des jeunes s’est aussi, dans une large mesure,
exprimée de manière informelle (sit-in, manifestations plus
ou moins pacifiques, voire séquestrations de membres de
l’administration locale), démontrant la difficulté, en l’absence
de formation et d’accompagnement, de passer d’une
approche de protestation à une logique de participation.
Actuellement, l’essor de la participation des jeunes connaît un
certain essoufflement. Désenchantés et las d’une classe poli-
tique dont ils considèrent qu’elle leur a volé « leur Révolution »,
rencontrant –en particulier dans les régions- les plus grandes
difficultés à accéder aux dispositifs de formation, d’accompa-
gnement et de soutien financier51, un certain nombre d’asso-
ciations de jeunes ont mis un terme à leurs activités, préférant
des modes d’expression d’avantage informels (sit-in, réseaux
sociaux…).
Si ce constat ne doit pas amener à assombrir outre mesure
l’image de la participation de la jeunesse dans le contexte de
la transition démocratique, il peut néanmoins interpeller sur
le risque de reconstituer le schéma d’une scène associative
non représentative de la société, dans laquelle seule une caté-
gorie de jeunes, issus des milieux favorisés et disposant des
moyens et des réseaux nécessaires à la conduite de leurs acti-
vités, œuvrerait au nom et pour le compte de la jeunesse tuni-
sienne. Or, il est primordial que cette dernière soit autant la
bénéficiaire que l’actrice du changement.
LA PARTiCiPATioN DES fEmmES :vAiNCRE LES RéSiSTANCES, iNvESTiR LE TERRAiN
Si la Tunisie a longtemps bénéficié de l’image d’un pays pro-
tecteur des droits des femmes, grâce à l’adoption de textes
ambitieux dès les lendemains de l’indépendance52, la réalité 50 44%desdiplômésétaientauchômageen2010(InstitutNationaldelaStatistique,chiffresrévélésaprèslaRévolution).51 Malgrélesefforts,laplupartdesformationsontlieuàTunisetlesbailleurssontquasi-menttousinstallésdanslacapitale.52 CAWTAR,PromotionduGenreetrenforcementdesONGémergentespourjouerunrôleefficacedurantlatransitiondémocratique(2012);Amendementsaucodedesobligationsetcontratsrecon-naissantàlafemmeunecapacitéjuridiqueégaleàcelledel’hommeen1956,CodeduStatutPersonnel(CSP)
Une société civile en qUête de consolidation
17
du terrain a parfois contredit le cadre théorique et juridique,
en ne réservant à celles-ci qu’une place limitée dans la sphère
publique.
En effet, si les femmes étaient relativement présentes aux
niveaux régional (32% dans les conseils régionaux) et local
(27% dans les conseils municipaux)53, les femmes n’ont pas
atteint « la masse critique » des 30% au sein de l’ensemble
des institutions publiques, proportion considérée comme
nécessaire pour que la participation féminine assure un
impact suffisant sur les prises de décisions54.
Ce décalage entre la théorie et la pratique se manifeste dans
une large mesure dans la vie associative. Avant le 14 janvier
2011, trois associations féminines -l’Union Nationale de la
Femme Tunisienne (UNFT), l’Association Tunisienne des
Femmes Démocrates (ATFD), l’Association des Femmes
Tunisiennes pour la Recherche et le développement (AFTURD),
dominaient le paysage associatif féminin.
Si la première constituait un organe de propagande du pou-
voir, les deux autres se présentaient comme dissidentes. Pour
le reste, si, selon certaines études, 42% des adhérents de l’en-
semble des organisations étaient des femmes, leur proportion
parmi les dirigeants n’était que de 20% et seule une femme
sur quatre présidait une association55.
La Révolution a offert aux femmes la perspective d’une impli-
cation plus libre et plus ambitieuse dans la vie associative. Les
organisations féministes dissidentes ont ainsi pu aller à la
rencontre des citoyennes en créant des sections dans les
régions ; de nombreuses associations féministes ont égale-
ment vu le jour, qui défendent, pour les unes, les acquis «
bourguibiens », et pour les autres un modèle plus conserva-
teur, inspiré d’un ‘féminisme islamique’56.
En tout, 60 associations « féminines » nouvelles ont été
créées, à Tunis et dans les régions57. Cependant, et comme le
montre le graphique suivant58, l’on regrette que les disparités
régionales soient, dans ce domaine aussi, encore vivaces. en1956,loimunicipalede1957etcodeélectoralde1966.53 MahfoudhDorra,GenreetparticipationdesfemmesàlaviepubliqueenTunisie,UNFPA,2008.54 ConférenceMondialesurlesfemmes(Beijing1995).55 MahfoudhDorra,GenreetparticipationdesfemmesàlaviepubliqueenTunisie,UNFPA,2008.56 Pourexemple,l’associationTounissietetpluslargementleréseau«UniondesFemmesLibres».57 IFEDA,www.ifeda.org.tn/francais/annuaire.php58 Ibid.
Ainsi, malgré le poids relatif des associations féminines dans
la sphère associative du Nord-Ouest, un déséquilibre impor-
tant existe en faveur de la région du Grand Tunis59 et du
Centre-Est60. La région du Sud-Ouest présente de prime abord
une représentation importante des associations féminines,
mais qui n’est due, en réalité, qu’à la création de 7 associa-
tions dans le seul gouvernorat de Kebili61.
Répartition des associations féminines sur
le territoire tunisien après le 14 janvier 2011
Source : PNUD, La société civile dans une Tunisie en mutation : Quelle contribu-tion à la construction de la citoyenneté ? (2012)
Au demeurant, les raisons qui expliquent l’ancrage des asso-
ciations féminines dans les régions semblent tenir, au-delà du
facteur culturel souvent mis en avant dans diverses études62,
à l’image de ces organisations : souvent perçues comme vou-
lant détourner le pays de son identité, leurs portes paroles
apparaissent comme issues d’une classe sociale plutôt aisée
et urbanisée, déconnectée de la réalité du terrain.
Ainsi, elles seraient dans l’incapacité de s’adresser aux caté-
gories de citoyennes les plus modestes, sinon par une
approche compassionnelle, privilégiant dès lors le schéma
caritatif à une véritable stratégie d’inclusion63.
59 ConstituédesgouvernoratsdeTunis,Ariana,BenArousetManouba.60 LarégionduSahelavecsestroisgouvernorats(Sousse,Monastir,Mahdia)ainsiquelegouvernoratdeSfax.61 LesautresgouvernoratsduSud-Ouest(TozeuretGafsa)necomptentaucuneassociationféminine,Cf.IFEDA,www.ifeda.org.tn/francais/annuaire.php62 REMDH,Etablissementd’unrépertoiredesassociationsetONGenTunisieetrenforcementdescapacitésd’influenceetd’actiondesONGdedéfensedesdroitsdel’Homme(2012).63 CAWTAR,PromotionduGenreetrenforcementdesONGémergentespourjouerunrôleefficacedurantlatransitiondémocratique(2012);PNUD,LasociétéciviledansuneTunisieenmutation:Quellecontributionàlaconstructiondelacitoyenneté?(2012).
Anciennes Associations Jeunes associations
Accès à desfinancement
de projetsPartenariat et
réseautageAccès à la formation
0,00
0,10
0,20
0,30
0,40
0,50
0,60
0,70
Une société civile en qUête de consolidation
18
La société civ i le tunisienne après la révolut ion pnud 2013
Par ailleurs, la question relative à la participation des femmes
se pose naturellement aussi pour les associations non fémi-
nines, au sein desquelles les femmes peinent encore à trouver
leur place, en particulier dès lors qu’il s’agit d’occuper un
poste de direction. Les enquêtes conduites64 montrent en effet
que 76% des associations comptent moins de 50% de femmes
au sein de leurs instances dirigeantes.
Présence des femmes dans les bureaux directeurs des associations
Source : PNUD, La société civile dans une Tunisie en mutation : Quelle contribu-tion à la construction de la citoyenneté ? (2012)
Cette difficulté ne se limite pas, en outre, à la présence des
femmes au sein des bureaux directeurs, et le constat de la
sous-représentation de celles-ci dans la vie associative est
tout aussi valable s’agissant de leur implication en tant que
simples adhérentes. Chiffre éloquent, 51% des associations
ne comptent aucune femme parmi leurs membres65.
Le salut de la participation des femmes se trouve dans leur
propre détermination à investir les différents espaces de la
société civile, en dépit des osbstacles et des résistances
potentielles. D’une part, les initiatives visant à créer des asso-
ciations féminines doivent se poursuivre en privilégiant une
approche ascendante, permettant aux populations locales, en
étant convaincues de l’importance de leur rôle, de se saisir
elles-mêmes des questions qui les intéressent. D’autre part,
les femmes doivent s’impliquer davantage dans l’ensemble 64 PNUD,LasociétéciviledansuneTunisieenmutation:Quellecontributionàlaconstruc-tiondelacitoyenneté?(2012);65 Ibid
des espaces associatifs, au-delà de l’engagement dans des
structures purement féminines
LA PARTiCiPATioN DES PoPULATioNS à LA PRiSEDE DéCiSioN PUBLiqUE : RomPRE AvEC LA LogiqUE DU CiToyEN « BéNéfiCiAiRE » ET S’ENgAgER DANSLA voiE D’UNE CiToyENNETé ACTivE
Au-delà des questions qui se posent aux jeunes et aux
femmes, et au moment où la société civile tunisienne aspire à
jouer un rôle de premier plan dans le cadre de la transition
démocratique en Tunisie, il convient de s’interroger sur les
modalités de son intervention. Après plus de cinquante ans
d’un Etat-providence qui a réduit les citoyens au rang de béné-
ficiaires de services publics, et où les associations elles-
mêmes agissaient, dans leur majorité, comme des presta-
taires complétant l’action du gouvernement, le risque est
grand de reproduire un schéma « descendant » , privant les
citoyens de leur droit à participer activement à la décision
publique. Trop nombreuses restent les initiatives qui reposent
encore sur cette conception de l’activité associative66.
Dans cette perspective, il paraît important de promouvoir un
nouveau paradigme selon lequel les citoyens doivent devenir
les acteurs de leur propre développement, tant aux niveaux
local que national67.
Les expériences réussies de gouvernance participative
menées à travers le monde représentent, de ce point de vue,
des témoignages instructifs, qui soulignent l’opportunité d’as-
socier divers groupes, formels ou informels, à la prise de
décision : surveillance des marchés publics aux Philippines,
budget participatif à Porto Allegre au Brésil, audits sociaux et
fiches d’évaluation citoyennes en Inde, systèmes de suivis
communautaires au Burkina Faso, sensibilisation populaire à
l’égalité des sexes en Indonésie, interrogation appréciative
pour le maintien de la paix au Népal… ces exemples ne consti-
tuent que des illustrations des outils destinés à renforcer la
participation de la société civile68 au processus décisionnel.
Il est, du reste, remarquable de constater que la Tunisie a très
66 C’estenparticulierlecasdesassociationsœuvrantdansledomainesocial.67 UE,Rapportdediagnosticsurlasociétéciviletunisienne(2012).68 BanqueAfricainedeDéveloppement(BAD),LagouvernanceparticipativeenTunisie:AméliorerlaprestationdesservicespublicsàtraversdespartenariatsÉtat-citoyens,(2012).
Grand Tunis
Nord Est
Nord Ouest
CentreEst
CentreOuest
SudEst
SudOuest
0
5
10
15
20
25
30
35
40
45
Répartition globale des associations
Répartition dela population
Répartition des associations féminines
Une société civile en qUête de consolidation
19
tôt fait l’expérience de la gouvernance participative. Dès
l’adoption du décret du 24 septembre 1885 instaurant la
domanialité publique des ressources en eau, la première
association d’usagers de l’eau d’irrigation a été créée en 1896
à Zarzis (Oasis du Djérid) dans le Sud-Est du pays. D’autres
formes de gestion communautaire ont vu le jour à l’instar des
Associations d’Intérêt Collectif (AIC), dont les statuts-types
ont été établis entre 1933 et 1936.
Sous le régime de l’ancien président Ben Ali, des dispositifs de
démocratie participative ont été mis en place69, bien que ces
initiatives répondaient avant tout à la volonté d’offrir une
vitrine démocratique dans un contexte de répression70. De
même, l’application des mécanismes institués, pour la plu-
part consultatifs, consistait davantage en une mise en scène
de participation qu’en une implication réelle des différentes
parties prenantes.
C’est en réalité après la Révolution que l’on a pu de nouveau
assister à de véritables expériences de gouvernance partici-
pative, à l’initiative d’associations citoyennes71 ou de certains
partenaires techniques et financiers72. Pour s’installer effica-
cement et durablement, la démocratie participative nécessite
néanmoins un environnement favorable, dont l’accès à l’infor-
mation, la capacité d’expression des citoyens et la prédisposi-
tion de l’Administration au dialogue et à la coopération consti-
tuent des éléments-clefs73.
69 Pourexemple:lesconseilsrurauxoulesconseilspédagogiquesdansledomainedel’enseignement.70 UE,Rapportdediagnosticsurlasociétéciviletunisienne(2012).71 Pourexemple,leréseauDoustourna,quiaconduituneexpérienceparticipatived’écritured’unprojetdeconstitution.72 Expériencepilotedesuivietd’évaluationdesservicessociauxparlescitoyensmenéeparlaBanqueMondialeentredécembre2011àjanvier2012.73 BanqueAfricainedeDéveloppement(BAD),LagouvernanceparticipativeenTunisie:AméliorerlaprestationdesservicespublicsàtraversdespartenariatsÉtat-citoyens(2012).
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La société civ i le tunisienne après la révolut ion pnud 2013
RECommANDATioNS
1/ Renforcer les capacités des associations, notamment à travers les interventions suivantes :
- Identifier, à Tunis et dans les régions, les jeunes associations actives et renforcer leurs capacités primaires
(locaux, moyens de communication, etc.) et d’organisation (formations) en fonction de leurs besoins respectifs ;
- Appuyer la création de pépinières locales offrant aux associations de différentes régions les outils et l’accom-
pagnement nécessaires à leur création et à leur progression (salles de réunions, ordinateurs et connexion
Internet, formations, conseils, etc.) ;
- Permettre aux associations de disposer de ressources en ligne sur différents aspects susceptibles de les inté-
resser (kits juridiques et comptables à télécharger, formations en ligne, foires aux questions, forums, etc.) ;
- Appuyer les programmes d’échanges et de bénévolat de moyen et de long termes entre associations tuni-
siennes et étrangères, de préférence à l’occasion de projets concrets ;
- Réserver, au sein même des appels à projets, un budget spécifique pour la formation.
2/ Participer à la structuration de la vie associative en centralisant l’information qui lui est relative, à travers
un portail Internet permettant :
- Aux associations de se présenter, de communiquer sur leurs actions et les évènements relatifs à leurs vies
internes (invitations aux assemblées, publications des rapports et des audits, etc.), déposer des offres d’emploi
ou de mobilisation bénévole, lancer des appels aux dons, partager expériences et bonnes pratiques, constituer
des réseaux ponctuels ou permanents, etc. ;
- Aux citoyens d’interagir avec les associations et d’entrevoir des opportunités d’engagement ;
- A l’Administration et aux bailleurs de fonds d’identifier des partenaires associatifs à Tunis et dans les régions,
et de communiquer sur leurs stratégies et leurs offres d’appui ;
- De disposer, d’une manière générale, d’un système de veille sur l’état de la société civile tunisienne, en relayant
études, rapports et actualités.
3/ Promouvoir les initiatives proposant une approche participative et ascendante, en particulier pour les
groupes vulnérables (jeunes, femmes, populations défavorisées) :
- Consacrer des formations spécifiques pour ces groupes, en mettant l’emphase sur la connaissance des droits
et sur les capacités d’expression, de communication et de plaidoyer ;
- Favoriser, lors de l’examen des dossiers de candidature aux appels à propositions, les projets portés par les
bénéficiaires eux-mêmes ;
- Favoriser les associations ayant intégré l’approche genre dans leur organisation.
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