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23e Congrès de la Fédération Nationale des Transports de Voyageurs
(FNTV)
Mercredi 14 octobre 2015 – Maison de la Chimie – Paris
Synthèse des débats
« L'autocar change d'ère » :
de l'enthousiasme et de nombreuses questions
L’ouverture du marché de la longue distance était attendue depuis longtemps. Maintenant qu’elle est effective,
elle soulève légitimement de nombreuses interrogations, comme on a pu le constater mercredi 14 octobre lors du
Congrès de la Fédération Nationale des Transports de Voyageurs (FNTV) à la Maison de la Chimie : un congrès
marqué par la qualité de ses intervenants et de ses débats devant une salle bondée avec près de 600 participants.
La question des gares routières est révélatrice de ces interrogations : faut-il être pragmatique et s'adapter
progressivement à des flux non stabilisés, mal identifiés, ou compenser des lacunes ici et là en construisant des
infrastructures d'accueil dignes et séduisantes ? Les professionnels, les élus, les services de l'Etat sont partagés
mais conscients d'une réalité : la rareté des financements obligera à l'inventivité...
On comprend dès lors la position d'Emmanuel Macron, Ministre de l’Economie, de l’Industrie et du Numérique,
venu transmettre le témoin de la réforme aux professionnels : son succès dépendra de l'intelligence collective de
ses acteurs. Quel défi ! Manifestement, la perspective réjouit les opérateurs. Le changement d'ère réside aussi
dans cette plongée enthousiaste pour la création de nouveaux services pour les Français.
Mais le changement d'ère est plus polémique quand il s'applique au changement... d'air. Comme prévu, la
perspective de la fin du diesel a animé l'après-midi du congrès. Les débats francs et ouverts ont là aussi marqué
une rupture avec certaines ambiances feutrées qui révélaient mal la sensibilité et l'âpreté des enjeux.
A congrès exceptionnel, un compte-rendu exceptionnel avec le récit des échanges et des thèmes abordés.
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Emmanuel Macron – Ministre de l’Economie, de l’Industrie et du Numérique
De gauche à droite : Emmanuel Macron – Ministre de l’Economie, de l’Industrie et du Numérique et Michel Seyt – Président de la FNTV
Un ministre très attendu et très applaudi…
Applaudissements chaleureux, nourris, enthousiastes, à la mesure de la reconnaissance que la profession peut
créditer à Emmanuel Macron. Dans son discours d'ouverture du congrès,
Michel Seyt, Président de la FNTV, a tenu à saluer le courage et la
détermination du ministre chargé de l'économie. A l'évidence, la loi
Macron fait rentrer le car dans une nouvelle ère. La FNTV est
consciente des efforts que le ministre a dû engager en faveur de la
libéralisation et l'en remercie. Toutefois, la profession conserve des
attentes fortes car le marché est fragile : les compagnies doivent faire
face à des charges très lourdes, qu'il s'agisse des péages, des touchers de
quais ou des frais que nécessite la mise en place de l'accessibilité. La
FNTV est aujourd'hui disposée à aborder avec les ministres concernés
ces questions, comme elle l'a été dans les mois et les années qui ont
précédées la loi d'août dernier.
Emmanuel Macron a bien volontiers reconnu dans son discours d’ouverture du congrès qu'il restait des sujets
importants. Il a confirmé que les gares routières feront l'objet d'une ordonnance à venir, probablement pas avant
le début de l'année 2016, après une consultation à laquelle la FNTV sera évidemment associée. Il s'agira de
définir les règles d'accès aux gares routières, qu'elles soient publiques ou privées. Autre chantier en cours, la
formation et la reconversion de certains conducteurs venant d’entreprises de transport de marchandises en
difficultés. Le ministre de l'économie a rappelé qu'il attend beaucoup de la l'ouverture des lignes longue distance
en matière d'emplois : « L'ouverture des lignes longue distance doit générer des emplois et permettre à un
certain nombre de conducteurs de rester actifs dans une filière qui a connu de trop nombreuses
catastrophes ces dernières années ». Il a par ailleurs plaidé pour une libéralisation encadrée. Le décret donnant
mission à l'ARAF devenue ARAFER (Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières) venait d’être
publié quand le ministre de l'économie prenait la parole devant le congrès. L'instance devra veiller à ce que le
réseau se tisse dans le respect des lignes conventionnées, en bonne intelligence. Le ministre a détaillé les
compétences et les moyens de l'autorité de régulation. Une autorité organisatrice pourra désormais contester une
ligne dans les deux mois qui suivent son ouverture ; à l'inverse le silence vaudra accord. L'ARAFER rendra un
avis dans les deux ou trois mois. Le ministre a insisté sur ce point : « la libéralisation ne doit pas signifier
l'absence totale de régulation. Le développement du réseau doit se faire harmonieusement », a-t-il précisé.
Avant de redire sa conviction que la libéralisation encadrée du secteur ne nuira pas au ferroviaire.
Le message que le ministre entendait envoyer à la profession était clair : « Le Gouvernement a fait sa part, le
cadre législatif est là, il a créé ce choc de mobilité. A vous de jouer désormais, et vous avez des raisons
d'être optimistes ! » Il a donc rappelé les différentes avancées législatives. Parallèlement à l'ouverture du
marché avec la loi du 6 août dernier, l'obligation d'équiper les autocars en éthylotests anti-démarrage et en
ceintures de sécurité entrait en vigueur le 1er septembre 2015. Suivra dans quelques mois l'ordonnance sur les
gares routières. Le cadre légal posé, Emmanuel Macron passe le relais à la profession. Une profession qui a
longtemps espéré et œuvré en faveur de cette ouverture, comme l'a reconnu le ministre de l'économie, qui est
allé jusqu'à s'étonner que le réseau n'ait pas été libéralisé avant… Les premiers résultats sont très encourageants
– 250.000 passagers dès les deux premiers mois d'exploitation, contre 110.000 seulement pour toute l’année
2014. Il faut « créer de la mobilité et créer des emplois. Songeons aux
8 millions de voyageurs par an sur le réseau allemand, pourtant assez
récemment libéralisé. » En terme d'emplois aussi, les opportunités sont
là. Les services du ministère ont fait les comptes : ce sont 20 emplois qui
sont créés chaque jour du fait de la réforme. Enfin, le ministre de
l'économie a appelé à acheter de l'autocar français. Le message du
ministre de l'économie est donc clair : « Je vous passe ce matin le
témoin de la réforme, c'est à vous désormais de la faire vivre pour
trouver les justes régulations, les justes équilibres. Entre les grandes
entreprises et les plus petites. Entre les lignes longue distance et les
dessertes de proximité ». A nous de jouer donc.
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De gauche à droite : Robert Montgomery, Directeur général de MEGABUS, Pierre Gourdain, Directeur général France de FLIXBUS, Guillaume
Pépy, Président du Groupe SNCF, Jean-Marc Janaillac, Président Directeur général de TRANSDEV et Alain-Jean Berthelet, STARSHIPPER
Le grand débat : les cinq grands opérateurs réunis
Cet appel à une libéralisation régulée et encadrée semble assez bien entendu des grands opérateurs réunis au
congrès. Jean-Marc Janaillac, Président directeur général de Transdev, livre un premier retour des lignes
proposées par Isilines : « S'il est sans doute un peu tôt pour dresser un premier bilan, on en sait un peu
plus sur les clients du car aujourd'hui : ils sont plutôt jeunes, le prix est le facteur déterminant pour 99 %
d'entre eux et ils n'avaient jusqu'alors jamais pris le car ». Des clients qu'il faut aller chercher avec des
méthodes différentes de celles que l'on a employées jusqu'ici. «Il faut faire confiance à l'intelligence de la
clientèle dont il faut identifier les besoins. Il faudra être agile à défaut d'être le plus gros », a dit Alain-Jean
Berthelet, de Starshipper, marque du réseau d'autocaristes Réunir. Avant l'ouverture, chacun a défini sa propre
stratégie mais la table ronde a mis en évidence que chacun est encore en train de déterminer son modèle. Jean-
Marc Janaillac évoque le choix d'Isilines : multiplier les liaisons, favoriser le radial, quitte à n'offrir que peu de
fréquences sur chaque ligne. Pour ce faire, jusqu'ici Transdev a utilisé ses propres filiales mais l'entreprise a
entamé des discussions avec la profession. L'objectif est que la moitié de l'offre soit constituée dès 2016 de
partenariats avec des compagnies d'autocar. A ses côtés, Guillaume Pépy, Président du groupe SNCF, a misé
avec Ouibus sur une offre conséquente en termes de fréquences sur une même ligne. Si le groupe SNCF est
d'abord une entreprise ferroviaire, Guillaume Pépy se veut à l'aise avec l'ouverture des lignes longue distance,
arguant de la nécessaire complémentarité des modes. La SNCF a intégré l'offre de car dans un projet plus
global, le OUI : Ouigo, Ouicar, Ouibus, offre low cost de train, de voiture et de car. Mais si les coûts de
production sont réduits, les services ne sont pas sacrifiés pour autant : « Low cost doit être un mot noble. Cela
ne signifie pas « mauvaise qualité. D'ailleurs, les retours des voyageurs sur le Ouigo sont positifs, supérieurs
même à ceux du TGV», a asséné Guillaume Pépy. Les grands opérateurs historiques français doivent aussi
affronter la concurrence européenne. C'est d'ailleurs à l'échelon de l'Europe que FlixBus veut réfléchir
désormais. Pierre Gourdain, directeur général France de FlixBus, veut penser le marché européen du car sur le
modèle de l'aérien. En France, FlixBus ne fait pas rouler ses propres cars mais l'entreprise allemande entend
bien prendre sa part du marché. Son concurrent Megabus.com, premier opérateur outre-Manche avec le groupe
Stagecoach, a choisi de circuler avec ses véhicules et ses propres conducteurs.
Si les stratégies divergent, ils semblent s'accorder sur un fait : le car va là où le train ne va pas. Les opérateurs se
montrent sereins sur la délicate question des reports modaux. Selon Guillaume Pépy, « les gens qui prennent le
bus aujourd'hui ne sont pas des gens qui prenaient le train. Ce sont des nouveaux voyageurs et, de ce fait,
tous les modes ont à gagner de l'ouverture des lignes longue distance. » Le consensus apparent ne saurait
cacher que la concurrence va être rude. Darwin n'était pas loin, quand Robert Montgomery, Directeur général de
Megabus.com a dit les choses on ne peut plus clairement : « la compétition est une chose saine ». « Les
opérateurs les plus forts survivront, il y aura des perdants » dit Starshipper. « Tous ne mourront pas mais
tous seront touchés », a renchéri FlixBus. Certains grands opérateurs ont pu faire, on l'a vu cet été, des prix
d'appel qui ne correspondent en rien au juste prix du service. Il va falloir non seulement revenir à l'équilibre,
mais pour revenir à l'équilibre, compenser les pertes de cet été. Autant dire que derrière le consensus visible de
notre table ronde, il y a tout à parier que le jeu sera rude sur le terrain.
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De gauche à droite : Pierre Cardo, Président de l’ARAFER , Hervé Mariton, Député de la Drôme et Jacques Auxiette, Président de la Commission Transports de l’ARF
Première séquence : Quels impacts sur le secteur conventionné ?
Les règles du jeu d'un développement équilibré
La mise en concurrence des compagnies d’autocar se fera dans le respect des règles, et c'est, comme l'a répété le
ministre Emmanuel Macron lors de son intervention, tout l'enjeu de la loi du 6 août dernier et des dispositions
réglementaires prises ensuite. Reste, pourtant, la difficile question de la mise en concurrence du car libéralisé
avec les lignes conventionnées, qu'elles soient de train ou de car. Alain-Jean Berthelet l'a rappelé : « les
compagnies d'autocar vivent aussi des délégations de service public et donc des marchés des collectivités
locales.» Or, ce sont bien les régions qui ont désormais la compétence dans la définition des schémas
d'intermodalité, en sus de la responsabilité en matière de développement économique et d'emploi. Jacques
Auxiette, Président de la Commission Transport de l'ARF (Association des Régions de France) et Président de
la Région Pays-de-la-Loire, a insisté sur le rôle et la responsabilité des régions dans le choix des lignes,
l'équilibre de l'offre et de la demande. Il s'est montré lors de notre congrès moins sévère envers la réforme que
dans un passé récent et s'est inscrit dans une démarche constructive, rappelant que la région Pays-de-la-Loire a
rencontré récemment les représentants régionaux de la FNTV : « Je me suis expliqué sur mes réserves.
Aujourd'hui, je souhaite qu'il y ait un contact avec les professionnels dans une logique d'intelligence
économique et non d'administration. Cette démarche de complémentarité entre le public et le privé,
notamment au travers des délégations de service public, est souhaitable pour tout le monde ». Les élus
doivent donc prendre part à la construction d'un réseau dans le respect de l'équilibre du conventionné et du
libéralisé, de l'équilibre des territoires, et de l'équilibre budgétaire.
A plusieurs reprises, les opérateurs invités ont évoqué la nécessité d’un développement en bonne intelligence et
dans le dialogue. Pierre Cardo, Président de l'ARAFER, a rappelé incidemment que les régions souhaitaient à
l'origine que le régulateur ne remette qu'un « avis motivé ». Le législateur n'a pas tranché en ce sens puisque
l'autorité devra rendre un avis conforme, qui ne pourra être contesté, en cas de désaccord, que devant un tribunal
administratif. De fait, Pierre Cardo livre une première estimation de la situation : en deux mois, ce sont 42 lignes
de moins de 100 kilomètres qui ont été ouvertes à la suite de la loi, et 36 d'entre elles pourraient être en
concurrence avec des lignes conventionnées. L'autorité de régulation a lancé une consultation publique afin de
pouvoir déterminer une « doctrine » que la jurisprudence viendra ensuite modifier. Il faudra notamment préciser
ce qu'il faut entendre par « atteinte substantielle à l'équilibre économique d’une ligne ». Où placer en effet le
curseur du « substantiel » ? Le droit devrait donc assez rapidement encadrer la libéralisation. Mais Hervé
Mariton, Député de la Drôme, bon connaisseur du secteur, pointe ici une difficulté induite par la nouvelle
réglementation : la législation représente ici un droit « dur », tandis que la réforme des territoires et les schémas
de service constituent un droit « mou », qui peut entrer en concurrence avec le premier. Paradoxe de la
situation : il faut de la souplesse, mais cette souplesse a ses limites, et en même temps il faut un droit « dur » sur
lequel asseoir l'action des uns et des autres. Le Député de la Drôme s'est montré sceptique quant à la bonne
volonté des régions : « On peut imaginer que certains, au sein des régions, aient envie de s'accrocher à tous
les critères et les limites posées réglementairement pour freiner l'efficacité et l'esprit de la loi. » Et Hervé
Mariton d'appeler « les régions à faire preuve d'enthousiasme sur la concurrence dans le secteur. »
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De gauche à droite : Yann Raoul, CEO de KELBILLET.COM, Jean-Daniel Guyot, Président de CAPTAINE TRAIN et Franck
Gervais, Directeur général de VOYAGES SNCF.COM
Deuxième séquence. Le numérique : la place des comparateurs Internet
L'offre en un clic ? Pas si simple...
Reste à faire connaître l'offre aux voyageurs et à vendre des billets. La distribution sert le réseau et doit être
pensée pour accroître les dessertes de cars. De ce point de vue, il est difficile de penser l'offre de car longue
distance en dehors du numérique. Une évidence qui s'impose à tous, et que Franck Gervais, directeur général de
Voyages-sncf.com, a formulé dès le début de notre table ronde consacrée à cette question : « L'autocar arrive
en France à l'ère du numérique ; il est né avec le numérique : c'est un digital native ». Reste à savoir si le
consommateur va chercher à prendre connaissance de l'offre sur des sites comparateurs ou bien sur des sites de
marques ? Voyages-sncf.com rêve d'être le « distributeur de toutes les modalités ». Des startups comme
Kelbillet sont présentes sur un marché très ouvert. Yann Raoul, fondateur de Kelbillet, a récemment ouvert
Kelbus.fr, site vertical, qui ne présente que l'offre de bus : « les deux sites répondent à des usages et des
pratiques de consommation différents. Le voyageur qui connaît sa destination utilisera un comparateur
tous modes de transport, tandis qu'un voyageur qui privilégie le prix ou une desserte préférera un site
vertical ». A l'évidence Voyages-sncf.com bénéficie d'une situation privilégiée puisqu'il réalise d'ores et déjà
10 % du e-commerce en France. Il entend valoriser encore cette position en présentant au client une offre de
bout en bout et un affichage large afin de donner aux clients le moyen de déterminer leur propre option. Choisir
parmi tous les modes et choisir entre toutes les compagnies ? Lorsqu'on se demande si le site Voyages-sncf.com
va proposer une offre de car autre que Ouibus, du groupe SNCF, la réponse un peu hésitante est positive. Si tous
les opérateurs s'accordent sur le fait que l'autocar génère du trafic plus qu'il n'en cannibalise, ils semblent tous
chercher à être sur tous les fronts. A l'image de Jean-Daniel Guyot, Président de Captain Train, qui a ajouté
l'offre de car à une offre historiquement centrée sur le train. Captain Train n'est pas seulement un comparateur :
le site va combiner les offres pour proposer, par exemple, du train + car. L'entreprise mise sur la rapidité et la
simplicité. Pour les voyageurs étrangers, les sites dédiés à une marque n'ont guère de sens : le site généraliste
qui sera parvenu à être visible aux yeux de cette clientèle-là aura gagné la partie. Là aussi, tous les acteurs
cherchent leur modèle propre, mais tous veulent être présents sur le modèle des autres. L'équation est difficile.
« Il faut tenir compte de la diversité des chemins par lesquels le client va parvenir jusqu'à l'offre de bus.
Même si chaque opérateur, pour être honnête, préfère avoir son propre site », reconnaît ainsi Laurence
Broseta, Directrice générale de Transdev. Il y a un pont entre les sites comparateurs horizontaux et les sites de
marques : « le comparateur renvoie sur le site de la marque et chaque compagnie conserve une relation
client », plaide Yann Raoul. Ainsi, par exemple aujourd'hui, 80 % des billets vendus par Transdev sont achetés
sur le site Isilines, mais Kelbillet, qui renvoie les clients sur Isilines, est comptabilisé dans ces 80 %. Au-delà du
consensus affiché lors de cette table ronde, chacun aura senti que la concurrence promet d'être âpre.
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De gauche à droite : André Broto, Représentant de l’ASFA, Yo Kaminagaï, Responsable du département design et projets
culturels de RATP et Patrick Ropert, Directeur général de SNCF Gares & Connexions
Troisième séquence : Gares routières, pôles d'échange.
Au-delà des mots, le choix du pragmatisme ou de l'ambition ?
Certains se sont demandés si la loi Macron n'avait pas mis la charrue avant les bœufs en légiférant avant de
régler la question des gares routières. A cette objection, Pierre Cardo a répondu clairement : « Il fallait
commencer par quelque chose. La fonction crée l'organe, nous allons donc voir les gares arriver assez
vite. » Rappelons en effet que le Gouvernement devrait prendre une ordonnance sur les gares routières en début
d'année prochaine. « En effet, il faut un cadre juridique plus simple », plaide Patrick Ropert, Directeur
général de Gares et Connexions au sein du groupe SNCF. Il y a donc, outre des aspects juridiques, des aspects
de gouvernance et de financement incontournables. Yo Kaminagaï, responsable du département design et
projets culturels à la RATP, et fin connaisseur des gares, dresse un tableau de la situation dans la capitale : « Le
ministre a annoncé des gares routières au sein du Grand Paris. Le STIF a un schéma directeur de gare
routière. La RATP travaille. Mais un problème sans propriétaire ne peut pas être résolu ». Le débat a
davantage porté sur les grandes villes que sur l'interurbain, où l'avenir des gares est plus incertain encore. Cet
avenir doit être pensé avec les collectivités locales, très en amont. Le congrès a permis aussi à un interlocuteur
de se porter volontaire pour prendre part à ce vaste chantier. André Broto représentait l'ASFA, l'Association des
Sociétés Françaises d'Autoroutes. Il a exprimé la volonté, au nom de sociétés d'autoroutes, de participer à la
construction de gares, connectées aux autres modes de transport. Techniquement les solutions existent. Yo
Kaminagaï a présenté un diaporama de gares urbaines ou interurbaines dans le monde, qui témoignent toutes de
la volonté de construire des pôles multimodaux faciles d'accès, souples, qui assurent la sécurité la plus grande
aux voyageurs. Il y a donc urgence à s'emparer de la question, à penser en 3D, et à optimiser l'espace occupé. Il
faut être inventif.
Sur la question de l'occupation de l'espace, les interlocuteurs ont présenté des points de vue assez divergents.
Certains affirment que l'existant est très mal ou peu utilisé. Patrick Ropert donne l'exemple de la gare de Paris-
Bercy où, le plus souvent, les cars occupent 2 emplacements sur les 80 disponibles. « Gares et
Connexions » recense actuellement ses actifs dans plus de 100 villes et sera à même de les mettre très
rapidement sur la table. Pas si simple, répond Pierre Gourdain, qui tempère cet optimisme, illustrant son propos
par l'expérience récente que FlixBus a fait à Marseille, où l'entreprise a dû créer les lignes avant de recevoir
l'accord formel de la SNCF. Laurence Broseta renchérit : « non seulement il n'y a pas de possibilités
inexploitées partout, mais quand elles existent, les gares sont souvent au bord de la saturation ». Quand
bien même la construction de nouvelles gares serait possible, en termes de gouvernance et de financement, est-
elle réalisable ? Sur ce point Roland de Barbentane, qui dirige Ouibus, choisit la prudence : « Si nous nous
mettons à couler du ciment partout, nous allons nous retrouver avec des lieux bétonnés et luxueux que
l'on pourrait regretter demain. D'autant que les opérateurs de gares routières augmentent actuellement
les prix des touchers de quais. » Deux écoles donc, l'une bâtisseuse et ambitieuse, l'autre prudente et
pragmatique.
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Michel Seyt, Président de la FNTV
Alain Vidalies Secrétaire d’Etat chargé des Transports, de la Mer et de la
Pêche
Alain Vidalies, Secrétaire d’Etat chargé des Transports, de la Mer et de la Pêche et Michel Seyt, Président de la FNTV
Clôture de la matinée par Alain Vidalies
La défense du citoyen-voyageur
Michel Seyt, Président de la FNTV, a d'abord remercié le secrétaire
d’État chargé des Transports, qui a su écouter la Fédération sur les
questions qui ont récemment fait l'objet d'échanges entre les
autocaristes et le Gouvernement. Ce fut le cas en effet de la question de
l'énergie où Alain Vidalies s'est montré pragmatique en intégrant la
technologie Euro 6 dans les véhicules autorisés jusqu'à l'horizon 2020
dans la loi de transition énergétique, et celle de l'accès de l’employeur
à la validité des permis de conduire des conducteurs. Sur d'autres
aspects, il a formulé le vœu que le ministre laisse le temps à la
profession d'appliquer les nouvelles normes, en termes d'accessibilité
pour la longue distance par exemple, arguant que le secteur avait lui-
même répondu positivement et rapidement à la nouvelle législation sur
l'éthylotest anti-démarrage.
Alain Vidalies a fait un discours centré sur les attentes et les besoins
des voyageurs et sur le droit à la mobilité : « le citoyen doit être au
cœur de la politique des transports. Un des objectifs de la loi est
d'augmenter l'offre et, in fine, de favoriser la mobilité de nos
concitoyens ». Pour cela, l'offre de car doit être crédible, non
seulement en termes de prix mais aussi en termes de sécurité : « la
France doit être précurseur en matière de sécurité routière. Nous
venons d'ailleurs de proposer à l'Union européenne, via la
Commission, de faire des mesures prises dans l'hexagone une
réglementation communautaire ». Alain Vidalies a insisté sur les
différentes mesures – éthylotests anti-démarrage, ceintures de sécurité,
formation des chauffeurs – que les acteurs de la route, dans leur
ensemble, doivent suivre pour renforcer la crédibilité du car. Le ministre
s'est donc fait l'écho des attentes des citoyens en matière de mobilité et de sécurité et a lui aussi, à sa manière,
redonné le ballon aux autocaristes : « à vous de nous faire aimer l'autocar » a-t-il conclu.
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De gauche à droite : Mathieu Flonneau, Maître de conférence en histoire contemporaine – Université
Paris 1 Panthéon-Sorbonne, Gilles Dansart, Animateur du Congrès et rédacteur en chef de Mobilettre et
Denis Muzet, Sociologue et Président de Médiascopie
Deuxième table ronde : L'autocar dans l'air du temps
« C'est l'image du car ringard qui est devenue ringarde »
C'est précisément de cette crédibilité – passée, présente et future – dont il a été question lors de la première
séquence de l'après-midi. La FNTV avait demandé à Denis Muzet, sociologue et Président de l'Institut
Médiascopie, de réaliser une étude sur l'image du car et les représentations que se font les Français de ce mode
de transport. Denis Muzet est venu présenter au congrès les résultats de cette étude. Reprenant de nombreux
aspects évoqués dans les tables rondes du congrès, l'exposé a fait valoir la perception que les voyageurs se font
du car. Si certains résultats paraissent contradictoires, c'est, selon cette analyse, parce que la représentation que
se font les Français du car elle-même comporte des paradoxes. Ainsi, volontiers perçu de prime abord comme le
moyen de transport des années 1960 ou 70, le car est aujourd'hui jugé positivement. Ceux qui ont une pratique
du car le jugent plus favorablement que ceux qui n'en ont pas l'usage, ce qui est somme toute rassurant. Si
l'image des gares routières est négative – les Français pensent à des lieux sombres et peu avenants – et si le
voyage en car de plus de 1000 km effraie quelque peu, en revanche le car gagne à être comparé aux autres
modes. Il a la préférence des voyageurs sur le critère du prix, et par là, du rapport qualité-prix-temps. Il est un
moyen de transport « last minute ». Ses prix sont fiables parce qu'ils sont fixes. Sur d'autres aspects « la marge
de progrès est importante ». A nous de faire aimer l'autocar en innovant et en faisant apparaître au grand jour ses
atouts. Après des décennies de monopole du ferroviaire et de ringardisation du car, l'ouverture du réseau doit
permettre de révéler le secteur aux citoyens.
C'en est fini de la ringardisation de l'autocar. Tel est du moins le constat de Matthieu Flonneau, universitaire et
spécialiste de la route : « Jusqu'à présent, l'autocar faisait de la mobilité comme M. Jourdain fait de la
prose, sans le savoir. Or, l'image de la route a cessé sa chute vers le ringard. Aujourd'hui, c'est l'image de
l'autocar ringard qui est devenue ringarde.» Historien des transports, il a rappelé avec justesse que dans les
années 1920 et 30, on a détruit un service public d'autocars très efficient au bénéfice d'un service public assuré
alors… par des entreprises privées (car la gestion du rail n'a pas immédiatement été publique). Par la suite,
l'image du car a pâti de la politique favorisant le rail. Aujourd'hui, on assiste à un juste retour de la route, tous
modes routiers confondus. Sans doute faut-il réguler, mais il faut aussi penser la multi modalité dans son
ensemble et non par bouts successifs comme on le fait trop souvent : « C'est par ce moyen que l'on fabriquera
non seulement des pôles d'échanges et des réseaux, mais aussi l'acceptation sociale de ces mêmes pôles et
réseaux », confirme Matthieu Flonneau. Sur ce point, l'enjeu écologique est à l'évidence majeur aujourd'hui.
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De gauche à droite : Christophe Najdovski, Maire-adjoint chargé des transports à la Mairie de Paris, Laurent Michel, Directeur général de la DGEC,
Jean-Claude Girot, Président du COFIT, Pierre Serne, Vice-Président du Conseil Régional Ile-de-France, Robert Assante, Vice-Président de Marseille-
Provence-Métropole, Louis Nègre, Président du GART, François Poupard, Directeur général de la DGITM, Jean-Baptiste Maisonneuve, Vice-Président
trésorier de la FNTV et Kent Chang, Vice-Président de YUTONG
Troisième table ronde : L'autocar durable
Le temps de l'industrie et le temps des politiques publiques…
On pouvait s'attendre à des échanges tendus sur la question de l'énergie. De ce point de vue, les congressistes
n'ont pas été déçus. Christophe Najdovski, maire-adjoint chargé des transports auprès du maire de Paris, est
d'abord intervenu dans un sens qui se voulait rassurant, plaidant pour la continuation d'un dialogue déjà
fructueux : « La question de la mobilité durable est une équation difficile mais pas impossible. » Il a
rappelé un chiffre qu'il convient de conserver à l'esprit : l'autocar à Paris ne représente que 0,5 % de la pollution,
alors même que cette pollution est vécue comme très gênante. S'il a revendiqué le choix d'une certaine radicalité
à Paris avec le plan antipollution notamment, c'est Pierre Serne, Vice-Président du Conseil régional d'Ile-de-
France, qui a eu les propos les plus tranchés sur la question : « Il faut que les autocaristes fassent pression sur
les constructeurs pour faire de l'électrique ou du non polluant. Lorsque l'autocar sera propre cela
changera tout. » Face à lui, il était aisé d'opposer le pragmatisme et les contraintes budgétaires des collectivités
territoriales ; contraintes que Christophe Najdovski lui-même avait mentionnées en appelant solennellement
l’État à donner davantage aux collectivités pour faire face aux dépenses inhérentes au réaménagement des gares.
Mais Louis Nègre et Robert Assante, respectivement Président et Vice-Président du GART, ont eu beau jeu de
répondre à Pierre Serne que si Paris avait les moyens, Paris n'était pas la France. Robert Assante, en tant que
vice-président Marseille-Provence-Métropole, œuvre à la mise en place d'un programme de stationnement
sécurité, de parcours de cars et de transition douce vers l'écologie dans l'agglomération de Marseille. Mais, a-t-il
objecté à Pierre Serne : « nous n'avons pas les moyens du STIF. Si les industriels font de l'électrique, il
faudra bien que nous puissions les acheter. Or nous ne le pouvons pas ». Et Louis Nègre de réclamer au
Gouvernement de donner du temps au temps : « Imposer brutalement une norme peut avoir des effets
contre-productifs », assène-t-il. Il faut être pragmatique là encore. S'il faut tenir compte de la demande des
Français en matière d'écologie, il faut aussi garder en tête les coûts d'une transition rapide vers l'électrique ou le
biogaz, alors même que la profession vient d'investir massivement dans l'Euro 6. Technologie que Jean-Baptiste
Maisonneuve, Vice-Président Trésorier de la FNTV, a défendu comme une énergie peu polluante, voire propre,
avant d'interpeller les élus parisiens sur la nécessité de penser sérieusement l'accueil des cars de tourisme en
ville : « on ne peut vouloir toujours plus de touristes à Paris et les abandonner en couronne et leur
demander de prendre les transports en commun pour se rendre à la Tour Eiffel ou au Louvre ».
Constat pour le moins réaliste, repris par Jean-Claude Girot, Président du Comité d'orientation de la filière
industrielle du transport. S'il est favorable aux carburants alternatifs, comme par exemple le gaz naturel, ce ne
peut être qu'un horizon plus lointain. Pour l'heure, nous sommes arrivés à l'Euro 6 qui est une énergie propre.
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Les représentants de l’Etat ont rappelé chacun l'importance d'un cadre réglementaire.
Laurent Michel, Directeur général de l'énergie et du climat (DGEC) a présenté quelques
aspects importants de la loi de transition énergétique. Il a ainsi évoqué l'amendement qui
fixe pour l'Etat et pour tous les organisateurs de transport, l'obligation dès 2020 d'acheter
50 % de véhicules à faibles émissions de gaz polluants, lors de leur renouvellement.
Laurent Michel voit dans cette échéance un équilibre entre l'exigence écologique et la
possibilité pour les constructeurs de respecter ces contraintes. Il faut qu'il y ait un cadre,
mais il faut aussi que ce cadre instaure des contraintes variables entre un cœur urbain très
pollué et une zone interurbaine. François Poupard, Directeur général des infrastructures,
des transports et de la mer (DGITM), est allé dans le même sens : « Le secteur a besoin
de se structurer autour de règles pour pouvoir investir précisément. Il nous faut
donc poursuivre la concertation auprès de toute la profession. »
De son côté, Kent Chang, Vice-Président de Yutong, défend avec conviction le car électrique chinois qui peut
effectuer de longues distances. Il revendique la fabrication de 200.000 véhicules à énergies nouvelles le mois
dernier. Car Yutong sait faire du car longue distance électrique. Kent Chang se dit fort préoccupé des questions
environnementales et prend à contrepied l'opinion voire les professionnels du secteur eux-mêmes : « Nous
parlons des langues différentes mais nous nous comprenons et nous respirons le même air. Nous devons
parler ensemble. Notre but : transporter dans un environnement propre ». A ceux qui ne veulent acheter
que du car français, Kent Chang répond que les cars produits par l'entreprise internationale contiennent déjà des
composants français, manière en somme de répondre aux appels formulés par Emmanuel Macron en début de
journée.
Laurent Michel, Directeur général de la DGEC François Poupard, Directeur général de la DGITM