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E RADIQUER LA MENACE TERRORISTE AU N IGÉRIA PAR LA COOPÉRATION RÉGIONALE : NÉCESSITÉ ET MOYENS D ACTIONS WILFRID AHOUANSOU ? ? PhD Candidate in Law, International Relations Division. International Cooperation Office. University of Abomey-Calavi (UAC) Résumé La présente note d’analyse s’intéresse aux ini- tiatives nationales et régionales de lutte contre le terrorisme au Nigéria. Elle établit le constat selon lequel la menace terroriste incarnée par la secte Boko Haram résulte de défaillances dans la gestion par l’Etat d’une secte religieuse ayant un fort ancrage local. La secte Boko Haram est analysée comme un mouvement religieux dont les actions se sont radi- calisées au fil des années en réponse aux prises de position et de décision des dirigeants locaux et fédé- raux nigérians. L’internationalisation de ses attaques en Afrique de l’Ouest et du Centre justifie la déter- mination des États de ces sous-régions à mener des actions concertées en vue d’aboutir à son éradication. La note analyse ensuite comment « la responsabi- lité de protéger », pourrait fonder l’organisation de l’action défensive et offensive régionale contre Boko Haram. Table des matières 1 Introduction 2 2 Boko Haram : une expansion inévitable en Afrique de l’Ouest ? 3 2.1 Naissance et croissance de Boko Haram ...3 2.2 Causes et conséquences de l’expansion de Boko Haram .......................... 4 3 « La responsabilité de protéger » à l’épreuve du continent africain 7 3.1 Régime juridique précis, bilan mitigé ..... 7 3.2 Une base exploitable contre Boko Haram ..9 4 Conclusions et recommandations 10 Bibliographie 13 1

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ERADIQUER LA MENACE TERRORISTE AU NIGÉRIA PAR LA

COOPÉRATION RÉGIONALE : NÉCESSITÉ ET MOYENS

D’ACTIONS

WILFRID AHOUANSOU?

?PhD Candidate in Law, International Relations Division. InternationalCooperation Office. University of Abomey-Calavi (UAC)

Résumé

La présente note d’analyse s’intéresse aux ini-tiatives nationales et régionales de lutte contre leterrorisme au Nigéria. Elle établit le constat selonlequel la menace terroriste incarnée par la secte BokoHaram résulte de défaillances dans la gestion parl’Etat d’une secte religieuse ayant un fort ancragelocal. La secte Boko Haram est analysée comme unmouvement religieux dont les actions se sont radi-calisées au fil des années en réponse aux prises deposition et de décision des dirigeants locaux et fédé-raux nigérians. L’internationalisation de ses attaquesen Afrique de l’Ouest et du Centre justifie la déter-mination des États de ces sous-régions à mener desactions concertées en vue d’aboutir à son éradication.La note analyse ensuite comment « la responsabi-lité de protéger », pourrait fonder l’organisation del’action défensive et offensive régionale contre BokoHaram.

Table des matières

1 Introduction 2

2 Boko Haram : une expansion inévitable enAfrique de l’Ouest ? 3

2.1 Naissance et croissance de Boko Haram . . . 32.2 Causes et conséquences de l’expansion de Boko

Haram . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4

3 « La responsabilité de protéger » à l’épreuvedu continent africain 7

3.1 Régime juridique précis, bilan mitigé . . . . . 73.2 Une base exploitable contre Boko Haram . . 9

4 Conclusions et recommandations 10

Bibliographie 13

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1 IntroductionLa sécurité est un préalable au dévelop-

pement. Or, le Nigéria, deuxième puissanceéconomique et première démographiqueen Afrique, connait une recrudescence del’insécurité liée en particulier aux actionsde la secte Boko Haram (BH). BH est ungroupe islamiste né au début des années2000 avec l’ambition de créer un État aunord du Nigéria qui serait un contre-modèledu système politique actuel du pays (Ngoc,2012). Contrairement aux groupes terroristestraditionnels, BH a construit un ancragelocal fondé sur ses actions sociales et sesprêches religieux jusqu’à l’assassinat de sonfondateur en 2009 par l’armée nigériane.A partir de cette date, la secte entreradans la clandestinité avec comme moyensd’action : les attentats, les pillages et lesenlèvements. Ce climat d’insécurité qu’elleinstaure s’étend peu à peu dans les grandesvilles du Nigéria, voire dans d’autres pays dela région Ouest-Africaine, avec de potentiellesalliances avec des groupes armés du Sahel etde l’État islamique.

L’État nigérian se trouve donc, a priori,seul face à un groupe armé ayant un ancragelocal fort, donc difficile à combattre. Le butde cette note est d’identifier le cadre juridiqueapproprié pour mener une action plus efficacecontre BH. Elle se focalise en particulier surle principe de la « responsabilité de protéger», développé au sein de l’Organisation desNations Unies (ONU) pour sous-tendre uneaction sous-régionale contre la secte islamiste.Identifiée comme un outil indispensable pourrenforcer le système africain de la sécuritécollective (Gandzion, 2014), la coopérationrégionale présente également des atouts nonnégligeables en matière de lutte contre leterrorisme. En effet, elle permet aux Étatsd’harmoniser leurs stratégies offensives etrépressives et de définir des axes prioritairesd’intervention dans la lutte antiterroriste.Mieux, avec le concept de la « responsabilité

de protéger », les États disposent d’un cadreréglementaire et institutionnel idéal pourcoordonner leurs actions contre BH.

La deuxième section de cette note décritla naissance et la croissance de BH et exposeles causes et conséquences plausibles deson expansion en Afrique de l’Ouest et duCentre. La troisième section analyse le régimejuridique de la responsabilité de protégeren Afrique et discute de la mesure danslaquelle il pourrait être appliqué dans lecadre de la lutte contre BH en Afrique del’Ouest. La quatrième section termine avecdes recommandations à l’endroit des acteursimpliqués dans la lutte antiterroriste enAfrique de l’Ouest et du Centre.

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2 Boko Haram : une expan-sion inévitable en Afrique del’Ouest ?

2.1 Naissance et croissance de BokoHaram

BH a été créé en 2002 par MohammedYusuf à Maiduguri, ville située au nord-estdu Nigéria. La secte se présente commeun groupe religieux prônant le respect dela loi islamique (Ngoc, 2012). Son nomofficiel est Al-Sunna Wal Jamma (Peupledévoué aux enseignements du Prophète pourla propagation et la guerre sainte ou lesDisciples du Prophète). L’appellation BokoHaram lui a été donnée par les populationsdu nord du Nigéria du fait de sa doctrinequi condamne l’adoption de la culture etdes valeurs occidentales. Elle signifieraiten haoussa : « l’éducation occidentale estun péché ». Pour les dirigeants de BH, lavolonté divine est intransgressible et laformation moderne de l’État, incarnée par legouvernement fédéral nigérian, est contraireà cette idéologie religieuse (Agbiboa, 2013).L’idéologie défendue par BH est contre laconception occidentale de l’État basée sur lerespect des droits de l’homme et la gestiondes affaires publiques par un gouvernementélu (Campbell, 2014).

Une étude du contexte socio-historiqueau nord du Nigéria remontant au début desindépendances de la fédération permet decomprendre l’adoption de cette idéologiepar les leaders de la secte. En effet, lemilitantisme islamiste dans le pays n’estpas né avec BH. Il serait apparu avant1960 avec le mouvement des Talakawasdirigé par l’homme politique Aminu Kano. 1

Celui-ci, bien qu’ayant un discours très dur àl’endroit des émirs des États du Nord, réputés

1. Owolade F, Boko Haram : How a mili-tant islamist group emerged in Nigeria, March 27,2014, Gatestone Institute International Policy Council.http ://bit.ly/2bvCJ6p

corrompus par leurs collaborations avec lecolonisateur britannique, n’a jamais conduitson mouvement politique vers l’adoptionde la violence comme moyen d’expression.Une mutation s’opère en 1970 avec la sectede Mohammed Marwa alias Maitatsine(qui signifie en Hausa : Celui qui maudit).Leurs revendications se rejoignent mais lemoyen d’expression change. Contrairementau politicien Aminu Kano, Maitatsine tientun discours violent qui sera à l’origined’affrontements avec les forces de l’ordre,causant alors des milliers de morts dans lepays. 2

C’est sur ce fond de radicalisme religieuxque la secte islamiste BH va apparaitre audébut des années 2000. Pour orienter sesactions, son fondateur Mohammed Yusuf,s’est appuyé sur l’environnement sociologiqueet politique des États du nord du Nigériamarqué par de fortes disparités en matièred’accès aux services sociaux et sanitaires.L’application stricte de la Sharia en vue d’uneréintroduction de l’équité sociale et l’amélio-ration des conditions de vie des populationsmusulmanes du nord du pays (Abubakar,2015) constituaient les thèmes principauxdes prêches qu’il prodiguait dans sa mosquéesituée dans l’État de Maiduguri. Pour leleader religieux, la mauvaise gouvernancedes autorités politiques et la corruptionétaient les maux à combattre en priorité.

A l’origine, la stratégie adoptée par BHrepose essentiellement sur une éducationreligieuse dispensée par le fondateur de lasecte lui-même au sein de ses madrasas.Bien organisé et fort de 280.000 adhérentsoriginaires du Nigéria, du Niger et du TchadAgbiboa (2013), le groupe se limitera àdes activités non violentes jusqu’en 2009. Ilpropage, à travers ses écoles, un discoursreligieux très dur à l’encontre de l’esta-blishment politique et des forces de l’ordre.

2. Ibid

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Cette stratégie et la force de séduction de cediscours auprès des populations locales ontfacilité le recrutement de jeunes et l’obtentionde solides appuis parmi les notables de larégion (Abubakar, 2015). 3 La véhémencedes prêches, la récurrence des affrontementsavec les forces de sécurité nigérianes et lesmenaces de guerre sainte provoqueront unelevée de boucliers des autorités politiques.Mohammed Yusuf est alors arrêté et à exécutédans une station de police le 30 juillet 2009. 4

Comme l’illustre l’infographie ci-dessous(Figure 1), cet événement marque le débutdes actions violentes de BH. La secte entrealors en clandestinité, avant de réapparaitreplus tard avec un nouveau chef : AbubakarShekau. Elle s’attaque alors essentiellementaux forces de sécurité et de défense desvilles du nord du Nigéria dans l’optiquede s’approvisionner en matériels militaires.Bien qu’elle ait établi sa base originelledans le nord du pays, BH réussira à projetersa capacité de nuisance jusqu’à la capitalenigériane, qui se situe à des milliers dekilomètres de son aire traditionnelle d’inter-vention. 5 Avec son rapprochement avec AlQaeda, qui s’est notamment traduit par sonsoutien actif à la branche de la nébuleuseterroriste au Maghreb Islamique entre 2012et 2013, Boko Haram se radicalise davantageet internationalise son discours. L’extensiondu champ d’action de la secte islamiste à

3. Mohammed Yusuf aurait reçu le soutien tacite dugouverneur de l’Etat de Yobe qui profitait des capacitésde mobilisation du leader religieux pour atteindre sesvisées électoralistes. En retour, il aurait offert un soutienfinancier et une protection politique à la secte.

4. Comme le rapporte Abubakar (2015), les circons-tances ayant menées aux affrontements entre militantsde la secte islamiste et forces de l’ordre étaient aussitriviales que le refus des premiers de se conformer àl’obligation de porter des casques lorsqu’ils se dépla-çaient à moto. De ce refus de se soumettre à l’autoritéest née une série d’affrontements violents en juillet2009 ayant conduit à la mort du leader du groupe.

5. Rfi, La secte islamiste Boko Haramà l’origine de l’attentat d’Abuja, 27 août2011.http ://rfi.my/1sNVCY2

d’autres pays de l’Afrique de l’Ouest et del’Afrique Centrale - à savoir le Niger, le Mali,le Cameroun et Tchad (Berghezan, 2016) 6-en est la conséquence directe. L’allégeanceprêtée le 7 mars 2015 à l’État islamique enIrak et au Levant (EIIL) (Shaul, 2015). 7

est le point d’orgue de cette collaborationentre Boko Haram et l’EIIL, qui a eu poureffet d’augmenter l’audience des actionsde la secte nigériane à travers le monde,de radicaliser davantage son discours etd’augmenter considérablement la violence deses attaques. 8

FIGURE 1

2.2 Causes et conséquences de l’ex-pansion de Boko Haram

La naissance de BH au Nigéria est forte-ment liée à la situation socio-économiquedu pays. Selon Spinoza (2008), la « mannepétrolière a revêtu le caractère de moyenprivilégié de l’action publique et est devenuel’objectif de compétition entre factions

6. Seignobos Ch., « Tout comprendre sur la stratégiedes terroristes de Boko Haram », Le Monde Afrique, 29avril 2016. http ://bit.ly/1YVn8wo.

7. BBC, Nigeria’s Boko Haram pledges allegiance toIslamic State, 7 mars 2015. http ://bbc.in/2dzQGiZ

8. Ewi M, What does the Boko-Haram-ISIS al-liance mean for terrorism in Africa ? 17 mars 2015.http ://bit.ly/2a5IneP.

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politiques, ancrant le cercle vicieux du clien-télisme» (Spinoza, 2008). En effet, le Nigéria,premier producteur de pétrole en Afrique,n’arrive pas encore à faire jouir à tous seshabitants des retombées de l’exploitation deses gisements. Avec l’installation en 2015 del’administration du Président MuhammadBuhari, une vaste campagne nationale delutte contre la corruption dans le secteur pé-trolier a révélé l’existence de détournementsmassifs de fonds opérés par des détenteurs decontrats conclus avec la Compagnie pétrolièrenationale nigériane (NNPC). 9 De plus, lespipelines qui transportent le pétrole brut sontfréquemment attaqués par des trafiquants quicréent ainsi un manque à gagner importantpour l’État. 10 Cette situation de recherchepermanente d’enrichissement personnel créeune défaillance de l’État nigérian à satisfaireles besoins de base de sa population. Eneffet, aux côtés d’une minorité très riche,survit une majorité de la population quisubit les conséquences négatives des criseséconomiques successives 11. Cet état deschoses a également favorisé l’apparition de lasecte islamique revendiquant un retour auxpréceptes de l’Islam pour réintroduire l’équitédans la société (Pérouse de Montclos, 2012).

Entre 2009 et 2014, il a été rapporté queBH aurait fait plus de 2000 morts autant dansles localités du nord que dans le Sud de l’Étatfédéral (Figure 1). Mais c’est l’enlèvementen avril 2014 à Chibok, dans la partieseptentrionale du Nigéria, de 276 lycéennesdans leurs dortoirs qui aura marqué le plusles esprits et soulevé un tollé général au planmondial. À ce jour, la totalité des filles deChibok enlevée par BH n’a pas encore été

9. SlateAfrique, Nigéria, la croisade anti-corruptionest lancée au sein du géant pétrolier NNPC, 16 août2015. http ://bit.ly/1WeNhbK

10. Guillemoles A., Opération « mains propres» dans le pétrole nigérian, La Croix, 5 janvier2016.http ://bit.ly/1s6BNui

11. Banque mondiale, Nigéria, Indicateurs du déve-loppement dans le monde. http ://bit.ly/1WOucgw

retrouvée. 12

Les pays frontaliers du Nigéria ontégalement connu des attaques de BH sur leurterritoire. Celui-ci n’a pas hésité à venir opé-rer et à retourner sur ses bases arrière malgréles contre-attaques (Berghezan, 2016). Cesdifférentes attaques au Nigéria et dans lasous-région constituent des actes de violationmassive des droits de l’homme. Aussi, despopulations du nord du Nigéria ont-ellesété déplacées en fuyant les affrontementsentre les troupes de Boko Haram et l’arméerégulière. De plus, BH contribue fortementà la distorsion du tissu économique dansles États fédérés du Nigéria où il opère.Les États d’Adamawa et de Yobe, autrefoisproducteurs d’huile de palme et de textiles,ont ainsi atteint des seuils de pauvreté de 70% au premier trimestre 2015 selon l’agenceKnowdys. 13

Le bilan des attaques de BH en Afrique del’Ouest et en Afrique Centrale est constaté auplan politique et juridique par la négationde l’autorité du gouvernement fédéral et desÉtats fédérés, les violations massives desdroits de l’homme, les attaques continuellescontre la population civile, la destruction delieux de culte et d’enseignement ainsi que devilles et villages. 14 De manière générale, BHvise les communautés chrétiennes et leurslieux de cultes situés au nord du Nigériadans ce qui apparait comme une stratégieextrêmement violente de prosélytisme

12. Dans une publication datant de 2014, HumanRights Watch répertorie les différents sévices subis parles jeunes filles kidnappées par Boko Haram à Chibok.On y découvre que le mariage d’enfants, les viols à répé-tition, les trafics d’humains sont des pratiques courantesdans les camps des combattants de la secte islamiste.Voir Human Rights Watch, Those terrible weeks in theircamp, 27 octobre 2014. http ://bit.ly/29ZvCPq.

13. Africadiligence, Forbes Knowdys décode l’im-pact économique de Boko Haram, 6 avril 2015.http ://bit.ly/1DGaCLa

14. France 24, Boko Haram rase 16 localitésdans le nord-est du Nigéria, 8 janvier 2015. surhttp ://f24.my/1Rnlj5t,

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religieux. Toutefois, comme documenté parla Christians Association of Nigeria, le groupeislamiste, qui aurait déjà dévasté plus de2000 églises, n’oriente pas uniquement sesattaques contre les chrétiens. Les populationsde religion musulmane ne sont pas non plusépargnées. Les attaques répétitives contre cespopulations ont conduit au dépeuplementde plusieurs localités dans la région septen-trionale du pays. 15 Selon des données duHaut-Commissariat des Nations Unies pourles réfugiés (UNHCR), au moins 240 000personnes ont été déplacées en fuyant lesattaques de BH. 16

Dans un web-documentaire réalisé en2015, Radio France International (RFI)annonce que la majorité des réfugiés nigé-rians en fuite devant BH se situe dans lesud du Niger et dans les zones frontalièresdu nord du Nigéria (Figure 2). 17 Le lacTchad, également choisi comme zone derepli par BH, semble faire l’objet d’un regaind’intérêt de sa part. La présence massivede populations civiles ainsi que l’existenced’une forte activité économique ont écourtéle répit trouvé par les réfugiés installés sur lesberges du lac. Plusieurs attaques de BH visentsystématiquement les pêcheurs et riverainsdu lac en vue de capturer leurs recettes. 18

15. Radio Vaticana, Nigéria : près de 2000 victimeset églises détruites suite aux attaques de Boko Ha-ram, 9 janvier 2015.http ://bit.ly/2a5a3R0/. Voir éga-lement UNOCHA, Tchad : crise au Nigéria, déplace-ments et dénuement dans la région, 30 avril 2015.http ://bit.ly/2a5ahHV.

16. UNHCR, Des milliers de personnes fuient les at-taques de Boko Haram contre une ville du Niger, publiéle 7 juin 2016. http ://bit.ly/29ZGmNI/.

17. RFI, Sur les traces de Boko Haram, Niger à l’heuredu face-à-face, 2015.http ://rfi.my/29ZCA6R/.

18. Bonaberi, Lac Tchad : le massacre de Boko Haramcontinue, 19 juin 2016. http ://bit.ly/28IIf6M.

FIGURE 2

Sur le plan économique, le bilan estégalement non négligeable. En 2015, ilest ainsi annoncé qu’au Nigéria, 71,5 %de la population des États du nord-est oùBH a sa base historique vivaient sous leseuil de pauvreté absolue. 19 La pauvretéde cette région, qui est d’ailleurs l’une descauses de l’émergence de la secte, n’est pastotalement due à BH. Toutefois, les actionsrépétées de cette dernière contribuent àaugmenter la vulnérabilité économique despopulations. Au Niger, la présence de la secteislamiste causerait des retards énormes dansla construction d’un pipeline qui permettraitd’acheminer le pétrole au Cameroun enpassant par le Tchad. 20 Celui-ci n’est pasnon plus épargné : les incursions de BH surson territoire empêchent les éleveurs deconvoyer leurs cheptels vers l’État de Bornoau Nigéria, qui est une plaque tournantedu commerce de bétail. La conséquence decette distorsion de l’activité économique estla baisse des recettes douanières du Tchadà sa frontière avec le Cameroun. En effet,les éleveurs tchadiens devant l’impossibilitéd’écouler leurs cheptels au Nigéria se sonttournés vers son voisin de l’est ou ont simple-ment préféré ne plus exporter leurs bétailspour ne plus avoir à subir les rackets de BH. 21

19. Remy J-P., Les multiples fractures nigérianes, LeMonde Afrique, 28 mars 2015. http ://bit.ly/245Eat5.

20. Sylla F. Niger : Boko Haram, une menace pourl’avenir et le développement, AFDB, 24 février 2015.http ://bit.ly/1WPuzrO.

21. Nako M., Pourquoi Boko Haram est responsablede la baisse du prix du bétail au Tchad ? Jeune Afrique,31 décembre 2015. http ://bit.ly/1VgIUvN.

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Confrontés à la recrudescence de cettemenace terroriste, ces différents paysfortement touchés de l’Afrique de l’Ouestet de l’Afrique Centrale ont entamé desdiscussions ayant conduit à la tenue derencontres internationales en vue de trouverune solution concertée au problème. De plus,après avoir pendant longtemps considéré BHcomme une affaire strictement nationale etdevant ce qui s’est révélé être une incapacitéà faire face à la menace seul, le Nigeria afinalement fait appel le 25 février 2014 à sespartenaires extra-régionaux et notammentà la France pour l’aider dans son combatcontre le terrorisme. Cet appel à l’entraide arencontré l’adhésion du président françaisqui a convoqué le Sommet de Paris pour lasécurité au Nigéria dès le 17 mai 2014. Cetterencontre ayant réuni autour du présidentFrançois Hollande, les dirigeants du Bénin, duNigéria, du Niger, du Cameroun et du Tchad,s’est terminée avec la prise de décisionsfortes appelant à une coopération soutenueentre les différents acteurs pour la prise demesures visant la coordination de l’échangedu renseignement, des actions militaires etde recherches ainsi que la protection despopulations civiles. 22

Malgré la bonne volonté manifestéepar les dirigeants de la sous-région ouest-africaine au Sommet de Paris, deux ans après,BH continue toujours à s’étendre sur denouveaux territoires. Pour faire le bilan dela première rencontre, un nouveau sommeta été convoqué au Nigéria le 14 mai 2016.La nouvelle rencontre au Nigéria a permisde montrer que des initiatives bilatérales etmultilatérales ont permis de faire reculer lestroupes de BH, mais n’ont pas permis pourautant d’éradiquer les attaques-suicides qui sesont multipliées. 23 L’appel à la coopération

22. Elysée, Conclusions du « Sommet de Pa-ris pour la sécurité au Nigéria », 17 mai 2014.http ://bit.ly/29ZKCNh/.

23. Metou B., Deuxième sommet régional sur la sé-curité et la lutte contre Boko Haram, 15 mai 2016.

régionale et internationale est alors pluspressant et pourrait avoir pour socle juridiquela notion onusienne de la responsabilité deprotéger.

3 « La responsabilité de proté-ger » à l’épreuve du conti-nent africain

3.1 Régime juridique précis, bilan mi-tigé

C’est avec un rapport intitulé La Respon-sabilité de protéger, publié sous l’égide de laCommission Internationale de l’Interventionet de la Souveraineté des États (CIISE) 24 qu’aété présenté pour la première fois ce concept,qui est une évolution du droit ou du devoird’ingérence humanitaire (Lemaire, 2012).Son idée directrice au plan international peutse résumer ainsi qu’il suit :

« Les États souverains ont la responsa-bilité de protéger leurs propres citoyenscontre les catastrophes qu’il est possible deprévenir – meurtres à grande échelle, violssystématiques, famine. S’ils ne sont pasdisposés à le faire ou n’en sont pas capables,cette responsabilité doit être assumée parl’ensemble de la communauté des États»(Evans and Sahnoun, 2001).

Ainsi, le cadre conceptuel de la responsa-bilité de protéger est constitué de trois piliersd’égale importance. Dans un premier temps,l’État sur le territoire duquel se déroulentles violations graves aux droits de l’hommedoit tout mettre en œuvre pour les fairecesser. Dans un deuxième temps, si cetÉtat n’arrive pas à atteindre cet objectif parlui-même, il peut bénéficier de l’assistancede la communauté internationale. Dans un

http ://bit.ly/2a5oS5Y/24. La CIISE a été mise en place par le gouvernement

du Canada en septembre 2000 avec l’appui de quelquesgroupes de recherches et d’éminentes personnalités dusystème de sécurité collective au plan international.

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troisième temps, en cas d’incapacité ou demanque de volonté de l’État à rétablir lerespect des droits de l’homme, la commu-nauté internationale peut le suppléer sousla couverture des chapitres VII et VIII dela Charte des Nations Unies afin d’assurerla protection des populations dans l’Étatdéfaillant. 25 Ce cadre conceptuel de laresponsabilité de protéger est soutenu parun cadre opérationnel fixé par l’Organisationdes Nations Unies (ONU) qui marque ainsison adhésion aux conclusions du rapportde la CIISE. 26 Il s’agit en l’occurrence de laresponsabilité de prévenir, de la responsa-bilité de réagir à une catastrophe humaineeffective ou redoutée et de la responsabilitéde reconstruire après l’évènement désastreux(Evans and Sahnoun, 2001). Avec l’adoptionde la stratégie antiterroriste mondiale parla résolution A/60/288 du 8 septembre2006, les États disposent également d’uncadre de référence permanent pour guiderla coopération internationale et régionalecontre le terrorisme. En effet, la stratégieantiterroriste mondiale reprend et solidifieles bases de la responsabilité de protégeren demandant aux États « d’agir d’urgencepour prévenir et combattre le terrorismesous toutes ses formes et dans toutes sesmanifestations ». 27

En Afrique, le cadre juridique de laresponsabilité de protéger transparaît dans

25. A/60/L.1, 20 septembre 2005, paragraphe 138-140. Ki-Moon B. (2009), Rapport du Secrétaire Généralsur la mise en œuvre de la responsabilité de protéger,A/63/677.

26. L’Assemblée Générale des Nations Unies (AGNU)en adoptant la résolution A/60/L.1 du 15 septembre2005 portant sur le Document final du Sommet mon-dial de 2005 entérine les principes de la responsabilitéde protéger. À la suite de cette résolution, le Conseilde Sécurité des Nations (CSNU) adopte la résolutionS/RES/1674 du 28 avril 2006 pour donner pour la pre-mière fois un écho international à la responsabilité deprotéger dans le cadre de ses exhortations aux Étatsà protéger les droits fondamentaux des personnes vic-times des conflits armés sur leurs territoires.

27. A/60/288, Plan d’action, paragraphe 2.

les principes de l’Union Africaine (UA)tels qu’énoncés à l’article 4 de son acteconstitutif adopté le 11 juillet 2000. Ainsi,les États membres se réservent le droit «de solliciter l’intervention de l’Union pourrestaurer la paix et la sécurité » dans dessituations d’instabilité et de conflit. Cetteresponsabilité d’intervenir « dans un Étatmembre dans certaines circonstances gravesou à la demande d’un État membre (. . . ) » 28

est coordonnée par le Conseil de Paix et deSécurité (CPS) de l’UA et mise en œuvre parle biais de la Force africaine en attente. Auplan sous-régional, notamment au sein dela Communauté Economique des États del’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), les prémissesde la responsabilité de protéger sont portéespar le Cadre de Prévention des Conflits de laCEDEAO (CPCC) adopté le 16 janvier 2008ainsi que par la Stratégie antiterroriste dela CEDEAO adoptée à l’occasion de la 42esession ordinaire de la Conférence des Chefsd’État et de Gouvernement tenue du 27 au28 février 2013. 29

Malgré la profusion de textes juridiqueset l’existence de mécanismes institutionnelspouvant favoriser la mise en œuvre de laresponsabilité de protéger en Afrique, sonbilan sur le continent est relativement mitigé.En effet, des conflits violents comme celuide la Lybie en 2011 ou du Mali en 2012 ontpermis de déceler des insuffisances notablesdans les mécanismes mis en place pourpermettre aux États et aux organisationsrégionales de protéger les populations. EnLybie en 2011, la guerre civile opposait destroupes gouvernementales aux mouvementsrebelles qui souhaitaient renverser Mouam-mar Kadhafi. Face aux affrontements quifaisaient de nombreuses victimes dans les

28. Protocole relatif à la création du Conseil de Paixet de Sécurité de l’Union Africaine du 9 juillet 2002,article 13.

29. Ewi M., The new ECOWAS counter-terrorism stra-tegy and its implications for West Africa, ISS Today, 13mars 2013. http ://bit.ly/29TDhPk.

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deux camps, l’UA n’a opposé qu’une réponsepolitique, notamment par la proposition entrele 10 et le 11 avril 2011, d’un plan de sortiede crise par le médiateur sud-africain JacobZuma. Ce plan n’a jamais été mis en œuvreface à la détermination des insurgés plutôtfavorables à une intervention étrangèremenée par l’Organisation du Traité AtlantiqueNord (OTAN). 30. Au Mali, l’avancée destroupes rebelles vers le sud du pays a conduitle Conseil de Sécurité de l’ONU à adopter larésolution S/RES/2085 du 20 décembre 2012demandant expressément au gouvernementmalien de protéger sa population. Face à ladifficulté de la tâche, l’État malien n’a pashésité à faire appel à ses partenaires extra-régionaux et a obtenu la réponse favorablede la France qui a déployé l’opération Servalsur le sol malien à partir de janvier 2013.

Ces deux illustrations de la mise enœuvre de la responsabilité de protéger enAfrique démontrent l’intérêt du mécanisme,mais également ses limites dans le contexteafricain. En effet, bien qu’il apparaisse quece principe est d’un grand secours en cas dedifficulté pour un État à assumer seul sondevoir de protection de ses citoyens, il estégalement possible de noter qu’un manquede volonté politique ou de disponibilitéde ressources financières pour l’organisa-tion de l’intervention extérieure conduit àl’enracinement de la situation conflictuelle.En Libye comme au Mali, aucun État ouorganisation africaine n’a effectivementenvoyé des troupes armées pour protéger lespopulations concernées avant les puissancesoccidentales.

Malgré ces lacunes, il demeure indispen-sable de renforcer la coopération régionalecontre le terrorisme en Afrique de l’Ouest parle biais du principe de la responsabilité deprotéger parce qu’il offre un cadre juridiquecomplet, viable et utile pour la coordination

30. Vlavonou G., Africa is failing the responsibility toprotect its citizens, 6 mars 2014. http ://bit.ly/29T3eid/

des différents efforts internationaux de luttecontre le terrorisme. La définition du cadrejuridique de la responsabilité de protégerpermet désormais d’étudier les modalités deson invocation dans le contexte de la luttecontre BH en Afrique de l’Ouest et en AfriqueCentrale.

3.2 Une base exploitable contre BokoHaram

Dans le contexte de la lutte contre leterrorisme au Nigéria et dans les sous-régionsde l’Afrique de l’Ouest et de l’Afrique Centrale,il apparait clair qu’un seul pays ne sauraitcompter sur sa seule armée pour éradiquerdéfinitivement la menace terroriste qu’estdevenue BH. Ainsi, étant donné la difficultéévidente du Nigéria à mettre un terme à lacroissance de la menace terroriste, il s’avèreindispensable d’analyser les circonstancesdans lesquelles une assistance peut êtreportée au pays ou une intervention d’unautre État peut être effectuée sur le solnigérian. En effet, intervenir militairementau Nigéria pourrait être problématique pourun État étranger dans le contexte spécifiquede ce pays empreint de lutte de puissanceet d’enjeux économiques très importants.La responsabilité de protéger apparait alorscomme un excipient, qui bien qu’il ne soit passystématiquement évoqué dans les discoursdes divers acteurs, guide immanquablementles actions menées dans le cadre de la luttecontre BH.

Ainsi, depuis l’appel lancé par le Nigériaen 2014 à ses partenaires pour une actionconcertée contre la secte, les diverses ren-contres internationales ont conduit certainspays de la sous-région, dont le Bénin, àprendre les devants de la mobilisationinternationale en s’associant à d’autres Étatspour l’organisation d’un plan d’interventionmilitaire au Nigéria. 31 En 2015, il est

31. Ortb, Des troupes béninoises contre Boko Haramau Nigéria, 26 janvier 2015. http ://bit.ly/1U7Af9I.

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ainsi annoncé la mise en place d’une forcemultinationale mixte (FMM) composée deprès de 8.700 hommes afin d’intervenircontre BH en Afrique de l’Ouest et en AfriqueCentrale. 32 Toutefois, le Nigéria a conservéle droit d’agir à titre principal contre BHsur son territoire. Ainsi, depuis l’arrivée aupouvoir du Président Muhamadu Buhari,l’armée nigériane a annoncé à plusieursreprises avoir reconquis du territoire enmettant en déroute les troupes de BH. 33 Aumême moment, les partenaires du Nigéria,avec en tête le Tchad et le Cameroun,poursuivent leurs offensives contre la secteen menant des opérations les conduisantà intervenir directement sur le sol nigérian . 34

Si la mise en place de ces stratégiesconcertées entre plusieurs acteurs étatiquesdans le cadre de la responsabilité de protégeraugure de bonnes avancées en matière delutte antiterroriste en Afrique de l’Ouest, ilest toujours déplorable que des organisationsrégionales et sous-régionales investies de lamission d’assurer la sécurité et le maintiende la paix soient laissées de côté. La Com-munauté Economique des États de l’Afriquede l’Ouest (CEDEAO), dont le Nigéria estl’un des leaders, dispose d’un véritablearsenal institutionnel et militaire pouvantlui permettre d’être au premier rang dans lacoopération régionale contre le terrorisme. 35

32. Jeune Afrique, La force multinationale contreBoko Haram se dote de 8.700 hommes, 8 février 2015.http ://bit.ly/1TTOyi5.

33. Premium Times, Nigerian army announces seriesof successive victories against Boko Haram, publié le 13mars 2016. http ://bit.ly/2a5BRER/.

34. Dès le dimanche 1er février 2015, l’armée tcha-dienne avait entrepris de bombarder des positions deBoko Haram dans la ville de Gamborou au Nigéria.Cette incursion du Tchad sur le territoire nigérian au-rait été possible grâce à la reconnaissance d’un droitde poursuite à Ndjamena par Abuja. Selon RFI, l’arméetchadienne traque Boko Haram sur le territoire du Ni-géria, 01 février 2015. http ://rfi.my/1WeZhdl. Voirégalement METOU B„ Deuxième sommet régional surla sécurité et la lutte contre Boko Haram„ op.cit.

35. On distingue ainsi le Protocole relatif au Méca-nisme de prévention, de gestion, de règlement des

Pourtant, aucune action ne semble décidéeau sein de l’organisation dans le cadre dela lutte contre BH. 36 De même, l’UA quia inscrit dans son agenda la question dela lutte immédiate contre BH (ISS Africa,2015) ne semble également pas prête à faireface à la menace terroriste. Cela serait enpartie dû à l’absence de mise en œuvre del’architecture africaine de paix et de sécurité(APSA), censée être le bras armé de l’UAface aux menaces sécuritaires majeurestelles que le terrorisme. 37En somme, malgrél’existence d’initiatives viables de coopérationrégionale contre BH, la volonté générale delutte contre la secte islamiste semble plombéepar des résistances politiques, financières etopérationnelles que les pistes de réflexionci-dessous pourraient permettre de juguler.

4 Conclusions et recommanda-tions

De l’analyse, il ressort que les très fortsantagonismes existants entre les militants deces groupes religieux et les autorités des Étatslaïcs promoteurs de la liberté religieuse etpolitique conduisent immanquablement à desaffrontements meurtriers. 38 Or, l’expérience

conflits, de maintien de la paix et de la sécurité du10 décembre 1999, le Cadre de prévention des conflitsde la CEDEAO du 16 janvier 2008, ainsi que la straté-gie antiterroriste de la CEDEAO adoptée lors de la 42esession ordinaire des Chefs d’États et de gouvernementde la CEDEAO du 27 au 28 février 2013.

36. AFP, ECOWAS says no plans for April 8 summit onBoko Haram, 5 avril 2015. http ://dailym.ai/27R8Sej

37. L’APSA est vue comme le mécanisme régional de-vant permettre au continent de faire efficacement faceà ses défis d’ordre sécuritaire. Prévu par le Protocolerelatif à la création du Conseil de Paix et de Sécurité del’UAC adopté le 9 juillet 2002, l’APSA semble souffrird’un déficit de volonté politique et de soutien financierpour sa mise en place effective. C’est pour pallier sonabsence que des solutions de rechange telles que laFMM ou la Capacité africaine de réponse immédiateaux crises (CARIC) ont été envisagées. Mais ces solu-tions continuent également de briller par leur manqued’opérationnalisation.

38. Au Mali par exemple, ce sont les dissensions néesde l’incapacité du gouvernement central, installé à Ba-mako, de mener des actions sociales dans les régions

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somalienne a démontré que l’interventionde l’Éthiopie en 2006 pour lutter contre lamontée du terrorisme a permis à Al Shaabadde recruter davantage de militants (Ostebo,2012). Il est donc primordial qu’une coordi-nation active soit instaurée afin d’encadrerles initiatives régionales d’endiguement del’expansion islamiste.

Le cas de BH, pris isolément, laisse penserqu’un traitement différent de la question parles autorités nigérianes aurait pu conduire àun résultat moins lourd en termes de victimes.Cette réaction des autorités, exclusivementarmée et tardive, n’a pas su régler de façonefficiente les problèmes liés aux inégalitéssociales criantes, à la corruption à grandeéchelle et à l’expansion de la propagandeislamiste. En effet, pour certains auteurss’appuyant sur la percée de Maitatsine dansles années 1970, le militantisme islamisteexistait au Nigéria avant l’avènement de BH.Toutefois ce militantisme n’a pas toujourspromu un rejet total de tout dialogue avec lesautorités légitimes alors même que la luttecontre les inégalités sociales et la corruptiona toujours figuré en première position parmiles revendications des différents groupesreligieux nés au nord du Nigéria.

Au niveau local, la perception généraledes populations défavorisées était que lesautorités politiques n’étaient ni disposées àrésoudre les différents problèmes d’accès auxservices sociaux ni à assurer la protection deleurs droits fondamentaux. Ceci a fortementfavorisé l’apparition et l’ancrage social dessectes islamistes. Or un certain rapproche-ment dans les prêches et les motivations del’appel à l’application de la Sharia peut êtrefait entre Mohammed Marwa et Mohammed

septentrionales du pays qui ont conduit à la naissancedu Mouvement National pour la libération de l’Azawad(MNLA). Celui-ci a déclenché la crise militaire en 2012avec l’appui des groupes religieux extrémistes que sontAQMI ou Ansar Dine. Voir UN, Mission multidimension-nelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation auMali, http ://bit.ly/2bVP9pu

Yusuf. Les deux leaders ont mené leursgroupes à recourir à la violence afin des’opposer aux actions tout aussi violentes desforces de sécurités nigérianes. La réponsearmée opposée par les autorités nigérianesaux revendications successives de ces deuxgroupes islamistes, qui portaient pourl’essentiel sur l’amélioration des conditionssociales et économiques des populations desÉtats du nord du pays, ne semble pas avoirpermis d’apporter de solutions aux problèmes.

Après avoir tiré les leçons de la gestionde la montée des mouvements islamistes parles autorités des États africains à la lumièredu cas de BH, cette note d’analyse se proposealors de présenter des recommandations àl’endroit des différents acteurs de la luttecontre le terrorisme en Afrique de l’Ouest afinde renforcer leurs interventions.

Il s’agit dans un premier temps pour tousles acteurs de la coopération sud-sud deratifier dans les meilleurs délais les multiplesconventions internationales et régionales delutte contre le terrorisme. En effet, entréeen vigueur en 2002, la Convention sur laprévention et la lutte contre le terrorismeen Afrique sert de base pour une actioncommune entre les États de la sous-région.Mais son Protocole additionnel du 8 juillet2014, qui définit le cadre institutionnel dela coordination de la coopération régionalecontre le terrorisme, n’a toujours pas reçu suf-fisamment d’instruments de ratification pourdevenir effectif entre les États signataires.

La deuxième recommandation à l’endroitdes acteurs sous-régionaux intervenantdans la lutte contre BH est de favoriserune meilleure circulation du renseignementindispensable pour prévenir les attaques etprotéger la population civile. Il existe déjà auplan ouest-africain, un Système d’InformationPolicière pour l’Afrique de l’Ouest (SIPAO)conçu le 30 septembre 2010 grâce à l’appui fi-nancier de l’Union Européenne, afin de servir

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de cadre d’échanges de renseignements dansle contexte de la lutte contre la criminalitétransfrontalière organisée et le terrorisme.Les États de la région sahélienne auxquelsest associé le Nigéria, ont également créél’Unité de Fusion et de Liaison (UFL) le 6avril 2010, avec pour mission de collecter etde diffuser l’information pertinente sur lesgroupes terroristes en Afrique de l’Ouest.

Il est également fortement recommandéque les États développent la coopérationmilitaire afin de coordonner leurs offensiveset contre-offensives envers BH. Il fautainsi se féliciter de l’existence de la Forcemultinationale conjointe (ou MultinationalJoint Task Force, MNJTF) créée en 1998 pourassurer la sécurité transfrontalière autour dulac Tchad. Dans le cadre de la lutte contre BH,les troupes de cette Force ont été renforcées,même si l’on déplore davantage les effetsd’annonce plutôt qu’une action réelle sur leterrain (Berghezan, 2016).

Ces différentes recommandations, adres-sées aux acteurs sous-régionaux en Afriquede l’Ouest, ne peuvent avoir d’effet que si uneaction réelle et efficace contre BH est menéeau plan national par le Nigéria.

Nous recommandons ainsi comme actionsprioritaires la mise en place de programmesnationaux de lutte contre le chômage desjeunes et les inégalités sociales, notammentdans le nord du pays. De plus, il est utiled’envisager le développement de programmesde dé-radicalisation, du même type queceux menés au Maroc afin de « maintenir ladistinction entre l’appartenance à un groupearmé se revendiquant islamiste et l’adhésion àdes courants radicaux défendant une certainepratique de l’Islam et/ou l’imposition de lacharia, donc remettant en cause la laïcité »(International Crisis Group, 2013).

Au niveau infra-étatique, il est égale-ment important que le Nigéria promeuve

l’implication de la société civile composéedes Organisations non gouvernementales,des associations religieuses ou de jeunesafin de favoriser une recomposition dutissu social gravement fragilisé par lesdifférentes attaques de BH. Il est ainsifortement recommandé de développer unesynergie d’action entre l’État nigérian et lesorganisations de la société civile en vue dedéceler à temps les facteurs de conflictualité.Ce type de collaboration existe déjà dans lecadre du maintien de la paix dans l’espaceCEDEAO avec le Forum de la Société civileouest-africaine(Ekiyor, 2007). L’action de lasociété civile contre le terrorisme peut êtreanalysée sous le prisme de la responsabilitéde prévenir, vue comme le pan le plusefficace de la responsabilité de protéger lespopulations civiles.

Cette responsabilité de protéger lespopulations nigérianes contre BH se ré-vèle ainsi sous un triple degré d’actions(étatique, infra-étatique et supra-étatique)non cloisonnées, mais itératives, en vue depermettre un retour à la paix et à la quiétudesur le territoire de la première puissanceéconomique et démographique d’Afrique.

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Wilfrid AHOUANSOU Doctorant à la Faculté de Droit et de Sciences Politiques (FADESP) de l’Université d’Abomey-Calavi (UAC), Wilfrid AHOUANSOU effectue ses recherches sur le thème : « Les Etats fragiles en Afrique et les organisations internationales ». Membre du bureau du Réseau panafricain pour la sécurité internationale et le maintien de la paix en Afrique (RéSIMPA) et de la Clinique Juridique des Droits de l’Homme de la FADESP, il est également Attaché à la Coopération Internationale au Rectorat de l’UAC.

L’Afrique des Idées est un think-tank indépendant. Sa vocation est de mener des analyses et d’élaborer des propositions novatrices sur des sujets économiques, politiques et culturels liés à l’Afrique. Fondée en 2011 sur une approche basée sur l’afro-responsabilité, L’Afrique des Idées a pour ambition de s’imposer parmi les cercles de réflexion leaders en Afrique et en particulier dans l’espace francophone. Un concept moteur : L’Afro-responsabilité Afin de favoriser une meilleure compréhension des problématiques africaines, une réappropriation par les jeunes africains du discours sur l’Afrique et un engagement socio-économique porteur de croissance inclusive et durable, L’Afrique des Idées promeut le concept fort et innovant d’afro-Responsabilité. Ni «afro-optimisme», ni «afro-pessimisme», l'«afro-responsabilité» répond à une logique différente: mieux comprendre les défis auxquels fait face le continent africain afin d'œuvrer à ce qu'il puisse les relever. L’afro-responsabilité est sous-tendue par une conviction forte : dans un environnement complexe et en pleine mutation, le continent africain a besoin d’espaces d’échanges d’idées avec des jeunes de divers horizons, capables d’exprimer des avis équilibrés et des recommandations concrètes, puis de les partager avec le plus grand nombre.

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