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TABLE RONDE SUR L'ÉTUDE DE LA LANGUE MARS 2016 Parler et écrire pour étudier la langue INTERVENTION DE PHILIPPE CLAUZARD MCF ESPE UNIVERSITE DE LA REUNION PHILIPPE CLAUZARD MCF UNIVERSITÉ DE LA RÉUNION ESPE LABORATOIRE ICARE

Table ronde etude de la langue

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Table ronde etude de la langue

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TABLE RONDE SUR L'ÉTUDE DE LA LANGUE MARS 2016

Parler et écrire pour étudier la langue

INTERVENTION DE PHILIPPE CLAUZARDMCF ESPE UNIVERSITE DE LA REUNION

P HIL IP P E CLA UZAR D M CF UN IV ER SIT É D E LA R É UN ION E SP E LA BOR ATOIR E ICA RE

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POURQUOI DES RITUELS POUR ÉTUDIER LA GRAMMAIRE ?

POURQUOI RITUALISER CERTAINES ACTIVITÉS LEXICALES, ORTHOGRAPHIQUES OU ENCORE GRAMMATICALES ?

Philippe Clauzard MCF Université de la Réunion ESPE Laboratoire ICARE

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- Je n’aborderai que la dimension grammaticale, je ne suis pas compétent pour la dimension lexicale. Dans un premiertemps, voyons comment nous pouvons définir la grammaire afin de mieux répondre à la question. Car la grammairerebaptisée à juste titre l’étude de la langue est une discipline d’enseignement très particulière. Chacuneffectue une activité grammaticale, tout comme monsieur Jourdain faisait de la prose sans le savoir. Il existe uneforme de grammaire immanente à la langue, inhérente à sa nature faite de régularités et de principesd'organisation.Pour autant, la théorie grammaticale ne s'invente pas,elle s’enseigne.- La grammaire est une activité souvent inconsciente pour chacun d'entre nous puisque très jeune, nous formons à l'oraldes phrases avec naturellement des verbes, des sujets et des compléments, etc. De la même manière que MonsieurJourdain faisait de la prose sans le savoir, nous faisons de la grammaire dès l'enfance sans le savoir.Chacun, très jeune, manipule les phrases, les construit avec des groupes sujets et des groupes verbauxsans s'en rendre nécessairement compte. Chacun les décline et les transforme de façon quasi naturelle. Onpourrait parler d'une grammaire en acte, prémices à une grammaire en théorie.- Nous sommes dans ce que la psycholinguistique (avec Gombert, Culioli) désigne sous le terme savant d'activitéépilinguistique, c'est-à-dire une pratique de la langue, une conduite précoce, non consciemment gouvernéepar le sujet, c’est-à-dire une maîtrise fonctionnelle de règles ou d'usages langagiers, une régulationinconsciente du traitement linguistique de sa langue maternelle, je précise bien. Ce modèle ne fonctionne quesi l’enfant est placé dans un bain langagier où la langue maternelle devient langue de scolarisation et langue à étudier.- La grammaire a cela de typique comparativement à d'autres disciplines, c'est qu'on travaille sur du « déjà pratiqué,du déjà présent, du déjà là (ou du déjà su dans une grammaire dite en acte selon les 2 registres deconceptualisation épistémique et pragmatique de Pastré) », une pratique langagière quotidienne dont ondoit se décentrer pour en comprendre le mécanisme et en affiner l'utilisation, en maîtriser et contrôlerl’utilisation en production comme en réception, à l’oral comme à l’écrit. La distanciation produite parl'apprentissage grammatical permet cependant une prise de conscience du mécanisme linguistique et enaccroît ainsi la virtuosité de son usage oral ou écrit, offre une meilleure appréhension des subtilités langagières.- L’étude de la langue dans sa perspective grammaticale peut se définir comme une transition, un passage d'unelangue outil de communication (objet épilinguistique) à une langue objet d’étude (un objetmétalinguistique), ou bien autrement dit d’une grammaire d'usage (une pratique sociale) à une grammaireréfléchie (une pratique scolaire), d’une grammaire « implicite » à une grammaire « explicite » selon desstades de prise de conscience et de conceptualisation.Mais c’est une autre question.

Pourquoi des rituels pour étudier la grammaire ?

Philippe Clauzard MCF Université de la Réunion ESPE Laboratoire ICARE

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- On comprendra que cette transition est progressive chez les jeunes enfants et du coup, elle appelle desactivités ritualisées. Des activités faisant appel à la langue de communication comme point de départ del’approche grammaticale. C’est en cela que je parle d’analyse de pratique de la langue, tout comme nousdéveloppons dans le champ de la professionnalisation des analyses de pratiques professionnelles relatives à tel outel métier. On y forme à une démarche réflexive sur le métier, les activités de classe, les nouveaux enseignants, dela même manière, une démarche aussi réflexive peut être effectuée dès l'école élémentaire auprès des élèves auniveau de leur langue familière.- Du coup, il s'agit de faire de la grammaire de manière réflexive qui amène les élèves à se poser desquestions sur des phrases qu'ils vont rencontrer dans un cadre d’analyse de pratiques langagières, d’abord celledes élèves, puis celle des autres, celle des textes, piloté par un professeur dans une perspective deconceptualisation progressive des faits grammaticaux, dans une perspective métalinguistique de maîtriseet de contrôle de la langue.- L’entrée dans la tâche scolaire appelle donc des situations à caractère problématique où l’on va chercher àcomprendre le fonctionnement de phrases typiques et atypiques dans des jeux de contrastes, de manipulation etde décorticage des faits de langue. La démarche est de type scientifique : observer, faire des hypothèses,manipuler la langue pour vérifier et déduire des règles de fonctionnement.- Ritualiser l'activité de recherche grammaticale est une façon de structurer un apprentissageprogressif et récursif avec par exemple une phrase problématique, une phrase qui pose un problème àrésoudre en termes de catégorisation grammaticale et/ou d’accords orthographiques, dans une courte séance de15/20 minutes chaque jour. On peut partir de phrases simples, typiques (Martine fait du vélo) ou bienatypiques (il pleut.) qui part leur caractère surprenant nous apprend bien plus du fonctionnementsyntaxique et orthographique de la langue. On peut aussi conduire les élèves à « jouer » avec lalangue à la manière de l’OuLiPo, transformer les phrases pour entrer ensuite dans l’analyse.- Faire « bouger » les phrases par leurs « transformations » fait bouger « la situation phrastique »et éclaire l’étude de leurs constituants. C’est une entrée dans l’analyse de pratique langagière par les jeux demanipulations en vue de détermination de règles ou d’usages de fonctionnement plus ou moins invariables. Lagrammaire, non plus une corvée,mais un jeu avec la langue, c’est autre chose !

Pourquoi des rituels pour étudier la grammaire ?

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DIFFÉRENCIATION PÉDAGOGIQUE- La différenciation pédagogique est une nécessité pour faire apprendre à une classe entière lorsqu'on pense les

processus d'apprentissage en mode Vygotski de zone de proche développement , mais au quotidien pour l'enseignant, ilfaut reconnaître que c'est très compliqué à organiser pour plusieurs raisons… Il convient de rester modeste sur laquestion de la différenciation.

- Moi toujours dans ma mon optique d'une démarche grammaticale sous la forme d'une analyse de pratique de la langue,je m'autoriserai plutôt à parler de différenciation au niveau du travail grammatical même demandé aux élèves dans unedémarche scientifique d’étude de la langue.

- Dans le champ de la différenciation, nous avons selon la littératurepédagogique les groupes de besoins, les groupes de compétences, lesgroupes de niveau, les groupes d’entraide sur la base d’objectifs deformation très ciblés, les groupes de confrontation où il s’agitd’échanger sur un problème, un objet d’étude et de confronter desreprésentations initiales afin de provoquer de la réflexion, de la prisede conscience, du dépassement (ce qui conduit à du conflitsociocognitif).

- Cette dernière entrée est mon entrée privilégiée dans l’acte de différencierdans la mesure où étudier la grammaire, c’est construire des situations àcaractère problématisant.

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LA DIFFÉRENCIATION EN GROUPE DE TRAVAIL� Groupes de compétences (encore appelés groupes d’expert) Les groupes peuvent se constituer enautodétermination, ou par l’intervention de l’enseignant, toujours en fonction des compétences des élèves. Une telledémarche est très valorisante, l’élève voyant ses compétences reconnues. Un « arbre des compétences » peut êtreaffiché dans la classe .Ce critère peut aussi créer de nouveaux réseaux de sympathie. Cependant, faire de tels groupesdemande souvent une séance complète.

� Groupes d’entraide L’enseignant constitue des groupes (Ie plus souvent des binômes de correction) sur la basede la maîtrise d’objectifs de formation très ciblés. Ces groupes se révèlent souvent d’une réelle efficacité de par laqualité des remédiations qui y sont menées, et ce pour les deux élèves concernés par le binôme. Cependant cesbinômes peuvent être très éloignés des réseaux de sympathie existants clans une classe.

� Groupes de niveau Ils sont constitués d’après les résultats dans la matière. Une grande vigilance s’impose quantau phénomène de stéréotypie. En effet, le risque est d’enfermer l’élève en lui collant une « étiquette » à partir d’uneapproche globalisante de ses performances dans la discipline. Et donc de lui confisquer Ia possibilité... de changer degroupe. De plus, au fil du temps, on observe plus une augmentation de l’écart du niveau entre les groupes qu’unrapprochement.

� Groupes de besoins Ils sont constitués par l’enseignant, ce qui n’exclut en rien une possible participation desélèves. Ils sont en liens étroits avec des objectifs pédagogiques précis à atteindre, et ainsi sont amenés, à la différencedes groupes de niveau, a évoluer au rythme de changements fréquents (d’une semaine à six semaines maximum).

� Groupes de confrontation Il s’agit de faire échanger sur un problème, un objet d’étude et de confronter desreprésentations initiales afin de provoquer leur dépassement (conflit sociognitif).

� Groupes de procédures Les élèves peuvent les créer. Ils sont très efficaces dans d’apprentissage, dans la perspective par exemple d’un contrôle à réviser avec une réflexion sur les façons d’apprendre.

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EXPLOITATION DE L'ERREUR� Comment mettre en place une analyse formative de l'erreur?

� Apprendre par l’erreur est une option très formatrice. (cf. D. Cogis).

� Un des meilleurs moyens, me semble-t-il, est la procédure de la négociation orthographique que j'aime beaucoup défendue lorsque j'étais conseiller pédagogique.

� C'est un format pédagogique assez compliqué à mettre en place pour l'enseignant , enrevanche, c'est un riche débat intellectuel sur la langue entre les élèves oul'orthographe sera un sujet de pure réflexion grammaticale, non plus une question defautes à corriger.

� On cherchera à partir des productions justes ou erronées, retrouver le savoir, la règlegrammaticale orthographique, à comprendre les stratégies d'écriture des mots et lesphrases toutes en fixant à la fin la juste graphie après un discours raisonné entre lesélèves.

� Car on apprend par l’erreur à condition de l’analyser, de saisir le pourquoi ducomment l’élève a produit cette erreur, à trouver par lui-même.

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LA NÉGOCIATION ORTHOGRAPHIQUE- Ce dispositif est novateur et exige de l’enseignant une position de retrait favorable à la mise en activité cognitive des élèves. Ces derniers sont invités à proposer et à justifier leurs choix orthographiques. Les enfants sont invités, au sein d’atelier, à réfléchir de façon raisonnée et méthodique sur la grammaire et l'orthographe, en utilisant de manière de plus en plus efficace le métalangage grammatical. - Cela permet pour l’enseignant d’apprécier le niveau de réflexion métalinguistique de ses élèves et aux enfants d’apprivoiser des raisonnements orthographiques qui exigent une prise de distance sur ses productions écrites, de la réflexivité sur sa/la langue. - L’objectif principal est avant tout d’expliciter le raisonnement qui a mené au choix de la graphie retenue. Il est recherché un véritable effort d’argumentation métalinguistique en déplaçant « l’attention et l’effort de l’élève du produit vers le « processus », explique

Ghislaine Hass, promotrice du format didactique (dans la collection "Au quotidien" : Orthographe au quotidien, CRDP Bourgogne). -Trop souvent les élèves du cycle 3 de l’école élémentaire présentent une « attitude passive » face à la langue et n'utilisent pas activement leurs connaissances. Il est vrai que leurs notions grammaticales sont souvent vagues, imprécises et fort mal fixées. Leur métalangage s’en trouve significativement réduit et parfois incompris. Le constat est également fait que, très souvent, les savoirs déjà étudiés en classe et utilisés lors d’exercice de systématisation ne sont pas convoqués dans leurs productions d’écrits ou productions orthographiques. �Il faut voir le film tourné par le Scéren pour saisir toute la richesse de ce dispositif.

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LA PLACE DU CRÉOLE� Mon modèle ne fonctionne pas sur l’île de la Réunion puisque lalangue maternelle, celle que l’enfant va fréquenter dès sa naissance est lecréole (sauf exception)…� Du coup, le français est une langue étrangère de fait à l’univers familierdu petit enfant créole et on ne peut envisager qu’une didactique adaptéeoù l’on va comprendre le fonctionnement grammatical de la languecréole avant de transférer sur la grammaire française par des jeux decomparaisons (voir les travaux de Mylène Eyquem).� Pour faire court, il faut se servir du créole comme levier d’actiondidactique (ce que des stagiaires n’osent pas faire, je l’ai vu… pour desraisons identitaires, culturelles et politiques, mais ce n’est pas le débatici)…� Cf comparaison classes de Saint-Louis et de Petite-Ile� Le créole au service de l’apprentissage du français : médiationdidactique; richesse culturelle et cognitive du bilinguisme …

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POUR CONCLURE� Considérer la grammaire comme une science à l’école, à problématiser, ritualiser de manière à

favoriser une démarche réflexive et structurante… � Imaginer la classe comme un lieu de manipulation, d’argumentation, de recherche, où

l’on exerce de la pensée.

�Conduire l’élève à devenir un « explorateur de langue», une sorte de « linguiste en herbe ». Comprendre les différents agencements de la langue au moyen de « jeu sur la langue » que l’on va faire « jouer » pour en révéler tout le « sel », tout le « génie ». Le principe est de favoriser la prise de conscience de la différence entre l’usage de la langue et son analyse (repérer le « système » de la langue, ses « règles »). I

� Donner du temps à l’assimilation grammaticale, car la grammaire est très abstraite et complexe, elle exige de la progressivité dans les conceptualisations, pas forcément terminées à l’âge adulte, en contradiction avec les impératifs d'une maîtrise de l'oral et de l'écrit que l'on voudrait immédiat.

� Un vœu : Conduire l’élève à devenir un « explorateur de langue» par une ritualisation des activités (explorer le créole pour explorer le français) ; que les élèves se prennent au jeu de jouer à analyser leur pratique du langage et puis celle des autres !

�Etudier les limites de la langue pour comprendre le système langue, jouer… être aussi un pirate, un aventurier de la langue…

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