18
LA MARCHE DE LA DIGNITÉ INDIGÈNE Sergio Tamayo, Xóchitl Cruz La Découverte | « Le Mouvement Social » 2003/1 n o 202 | pages 95 à 111 ISSN 0027-2671 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-le-mouvement-social-2003-1-page-95.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Sergio Tamayo et Xóchitl Cruz, « La marche de la dignité indigène », Le Mouvement Social 2003/1 (n o 202), p. 95-111. DOI 10.3917/lms.202.0095 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour La Découverte. © La Découverte. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. Powered by TCPDF (www.tcpdf.org) Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 186.79.230.88 - 24/06/2015 23h06. © La Découverte Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 186.79.230.88 - 24/06/2015 23h06. © La Découverte

Tamayo. La Marche de La Dignité Indigène

Embed Size (px)

DESCRIPTION

El texto analiza la macha de la dignidad del EZLN en el año 2001

Citation preview

Page 1: Tamayo. La Marche de La Dignité Indigène

LA MARCHE DE LA DIGNITÉ INDIGÈNESergio Tamayo, Xóchitl Cruz

La Découverte | « Le Mouvement Social »

2003/1 no 202 | pages 95 à 111 ISSN 0027-2671

Article disponible en ligne à l'adresse :--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-le-mouvement-social-2003-1-page-95.htm--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Pour citer cet article :--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Sergio Tamayo et Xóchitl Cruz, « La marche de la dignité indigène », Le Mouvement Social2003/1 (no 202), p. 95-111.DOI 10.3917/lms.202.0095--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Distribution électronique Cairn.info pour La Découverte.

© La Découverte. Tous droits réservés pour tous pays.

La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites desconditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votreétablissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manièreque ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur enFrance. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit.

Powered by TCPDF (www.tcpdf.org)

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

-

- 18

6.79

.230

.88

- 24

/06/

2015

23h

06. ©

La

Déc

ouve

rte

Docum

ent téléchargé depuis ww

w.cairn.info - - - 186.79.230.88 - 24/06/2015 23h06. ©

La Découverte

Page 2: Tamayo. La Marche de La Dignité Indigène

La marche de la dignité indigène

par Sergio TAMAYO et Xóchitl CRUZ*

L e présent travail se veut une analyse de la « Marche de la dignité indigène »conduite par 24 représentants de l’Armée zapatiste de libération nationale(E.Z.L.N.), depuis la Forêt Lacandone de l’État du Chiapas, dans le Sud du

Mexique, jusqu’à Mexico, du 25 février au 5 avril 2001 (1). Elle avait pour objectifmajeur de faire entrer dans la Constitution les accords de San Andrés relatifs auxdroits et à la culture indigènes – signés par le gouvernement fédéral et l’E.Z.L.N. en1995 – et de faire pression sur le gouvernement pour qu’il accepte les trois conditionsexigées par l’Armée zapatiste avant d’entamer une nouvelle étape de dialogue pourla paix. Ses leaders, escortés de milliers de partisans, ont rassemblé des milliers desympathisants et de curieux sur des dizaines de places publiques, mobilisé une grandevariété de ressources, financières et politiques, symboliques et humaines, et portéun coup aux structures institutionnelles, présidentielles et législatives. Cette Marcheincarne ce que Sergio Tamayo nomme « le pont virtuel » entre la Forêt Lacandoneet Mexico, construit le 1er janvier 1994, avec le soulèvement de l’Armée zapatiste delibération nationale.

La présente étude se fonde sur un dépouillement systématique de la pressenationale mexicaine de février à avril 2001 et sur l’analyse ethnographique, menéepar nos soins, de l’arrivée des vingt-quatre représentants du E.Z.L.N., place duZócalo, à Mexico. Nous avons effectué, à cette occasion, des entretiens non directifset élaboré des descriptions à partir d’une observation directe et participante. Autravers de cette étude de cas, nous voudrions cerner de plus près la nature même dumouvement social, la position et le comportement des protagonistes dans la structuresociale et politique, la culture politique des participants et des spectateurs de l’évé-nement, les éléments constitutifs de l’identité collective, l’impact culturel, politique etsocial d’un tel mouvement social sur les formes de la protestation collective et, plus

* Professeur et chercheur, Área de Estudios Urbanos, Universidad Autónoma Metropolitana (U.A.M.),Azcapotzalco, Mexique.

Sociologue et chercheuse, Área de Estudios Urbanos, Universidad Autónoma Metropolitana (U.A.M.),Azcapotzalco, Mexique. Actuellement à l’Institut pluridisciplinaire d’études latino-américaines à Toulouse(I.P.E.A.L.T.), Université de Toulouse-Le Mirail.

Traduit par Séverine Rosset et Beatriz Geller.(1) Nous remercions pour leur participation Teresita Serna, Freddy Bautista et Roció Ocampo, étu-

diants en communication et science politique, membres du programme « Été de recherche » du Conseilnational de science et technologie du Mexique, ainsi que Consuelo Córdoba pour l’élaboration des cartes.

Le Mouvement Social, no 202, janvier-mars 2003, © Les Éditions de l’Atelier/Éditions Ouvrières

95

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

-

- 18

6.79

.230

.88

- 24

/06/

2015

23h

06. ©

La

Déc

ouve

rte

Docum

ent téléchargé depuis ww

w.cairn.info - - - 186.79.230.88 - 24/06/2015 23h06. ©

La Découverte

Page 3: Tamayo. La Marche de La Dignité Indigène

généralement, la société. L’analyse situationnelle initiée par l’École de Manches-ter (2) permettra de saisir la marche comme un événement public et un processus,mettant en évidence une série d’aspects de l’action collective invisibles de primeabord, et révélant, au-delà des apparences, la protestation et le conflit politique.

Une nouvelle donne

Le 1er décembre 2000, pour la première fois en soixante et onze ans, un pré-sident non imposé par le parti officiel – le Parti révolutionnaire institutionnel (P.R.I.)– prend la direction du Mexique, en la personne de Vicente Fox. La majeure partiede la population s’en félicite en croyant y voir l’amorce d’un changement démocra-tique quand bien même le parti victorieux est le Parti d’action nationale (P.A.N.),conservateur et démocrate-chrétien. Nombreux sont ceux qui attribuent davantagela victoire du nouveau président à son art consommé du marketing politique – quilui a permis de privilégier son image, entrepreneuriale et médiatique – et au déni-grement de ses adversaires qu’à une claire affirmation de ses propositions.

Durant sa campagne, Vicente Fox a déclaré que la rébellion des indigènes del’État du Chiapas, au sud du Mexique, sous l’égide de l’Armée zapatiste de libérationnationale (E.Z.L.N.) (3), serait réglée en « un quart d’heure ». Le jour de son investi-ture, quelque part dans Las Canadas, près de la Forêt Lacandone, le sous-comman-dant Marcos, leader indiscuté du mouvement pour les droits indigènes au Mexique,fait une déclaration moins ostentatoire aux médias, qui la retransmettent dans lastupeur : il annonce son intention de marcher sur Mexico en compagnie de vingt-troiscommandants de haut rang de l’Armée zapatiste et du Comité clandestin révolution-naire indigène (C.C.R.I.). Aux fins de promouvoir l’initiative de la Cocopa (4), fruit

(2) Cf. U. HANNERZ, Exploración de la Ciudad, México, Fondo de Cultura Económica, 1986 ; C. MIT-CHELL, « Case and Situation Analysis », Sociological Review, 1983 ; J.C. MITCHELL, Cities, Society andSocial Perception. A Central African Perspective, Oxford, Clarendon Press, 1987 ; A. ROGERS, « Cincode mayo and 15 January : Contrasting Situations in a Mixed Ethnic Neighbourhood », in A. ROGERS andS. VERTOVEC (eds.), The Urban Context. Ethnicity, Social Networks and Situational Analysis, Oxford,Berg Publishers, 1995 ; S. TAMAYO, « Cultura ciudadana, espacio público e identidades colectivas. Estudiode caso de los cierres de campana del P.R.D., P.A.N. y P.R.I. en la ciudad de México, 28 y 29 de juniode 1997 », in Anuario de Espacios Urbanos, 1999, México, U.A.M./Azcapotzalco, 1999 ; K. WILDNER,« El Zócalo de la ciudad de México. Un acercamiento metodológico a la etnografía de una plaza », inAnuario de Espacios Urbanos 1998, México, U.A.M./Azcapotzalco, 1998.

(3) L’E.Z.L.N. a fait son apparition sur la scène politique et militaire mexicaine le 1er janvier 1994, lejour d’entrée en vigueur de l’Accord de libre-échange nord-américain (A.L.E.N.A.), entre le Mexique, lesÉtats-Unis et le Canada.

(4) Cocopa : Commission de concorde et de pacification du Chiapas, créée par le Congrès nationaldans le but de contribuer au processus de paix. Elle comprend actuellement douze députés, six sénateurset un représentant du Congrès local du Chiapas. Les fonctions de président et de porte-parole sonttournantes.

S. TAMAYO, X. CRUZ

96

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

-

- 18

6.79

.230

.88

- 24

/06/

2015

23h

06. ©

La

Déc

ouve

rte

Docum

ent téléchargé depuis ww

w.cairn.info - - - 186.79.230.88 - 24/06/2015 23h06. ©

La Découverte

Page 4: Tamayo. La Marche de La Dignité Indigène

des accords conclus en 1995 entre l’E.Z.L.N. et le gouvernement fédéral sur lesdroits et la culture indigènes mais demeurés sans effets.

Pour user de tout autres méthodes que le président Fox, le commandant Marcosn’en est pas moins pareillement rompu aux exigences de la communication contem-poraine. Philosophe, titulaire de la chaire de communication graphique à l’université,il sait faire preuve d’imagination et d’efficacité et, sans céder au marketing politique,dispute le terrain médiatique au président.

Une instance organisatrice représentative de la Marche nommée C.I.Z. – Coor-dination indigène zapatiste – est mise sur pied. Rosario Ibarra de Piedra, militantereconnue des droits de l’homme, devient son porte-parole. Des impératifs politiqueset logistiques obligent à soigneusement délimiter les organisations admises à prendrepart à la marche, les orateurs et les représentants habilités à participer aux rassemble-ments de masse et au Congrès national indigène, prévu à Nurio avant l’arrivée àMexico. La sécurité des commandants et des zones d’occupation zapatistes, en grandepartie délestées de leur direction politique et militaire du fait de la marche, pose éga-lement question. Qui restera sur place, quelles actions réaliser pendant que les com-mandants marcheront sur Mexico ? Qui partira, avec quelles mesures de sécurité ?Comment assurer la protection des commandants sur le parcours et lors des rassem-blements, pendant leur séjour à Nurio comme à chacune des étapes ? Il faut aussichoisir avec soin le véhicule approprié à leur transport, déterminer qui les accompa-gnera, sélectionner les organisations chargées de la sécurité, et jusqu’aux cuisinières...

A la surprise quasi générale, le président Fox accepte volontiers l’idée de laMarche. Il donne l’impression d’un président ouvert au dialogue avec l’E.Z.L.N. etaux trois conditions qu’elle pose pour renouer le dialogue en vue de la paix. A savoir,l’application des accords de San Andrés et la transformation de l’initiative de laCocopa en loi, la libération de tous les zapatistes emprisonnés au Chiapas et dansd’autres États, la fermeture de sept positions militaires dans la zone de conflit. Dèsle 30 décembre, il libère seize premiers inculpés zapatistes, suspend les survols mili-taires et les patrouilles, fait démanteler les postes de contrôle et autorise l’entréed’observateurs étrangers. Le gouvernement fédéral exige en contrepartie un dialoguefranc et ouvert de la part de l’E.Z.L.N.

Le président Vicente Fox qui tient à préserver sa nouvelle image appelle àrespecter la caravane des commandants zapatistes, qualifiée de « marche pour lapaix ». Le vendredi 23 février, il s’adresse à ses concitoyens sur toutes les radios etchaînes de télévision nationales pour souhaiter la bienvenue aux membres del’E.Z.L.N. et va jusqu’à dire que cette dernière et lui-même mènent un même combatpour les droits de l’homme et les revendications de « nos indigènes ». Ses alliés poli-tiques et son parti tiennent toutefois un tout autre langage. Le gouverneur panistede l’État de Querétaro, Ignacio Loyola, l’un des opposants les plus farouches à laMarche, déclare sur les ondes qu’il rejette le mouvement zapatiste, s’interroge sur sareprésentativité en tant qu’armée et, considérant ses membres comme des traîtres àla patrie, estime qu’ils méritent la peine de mort (5). « Les voir marcher armés et

(5) Reforma, 25 février 2001.

LA MARCHE DE LA DIGNITÉ INDIGÈNE

97

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

-

- 18

6.79

.230

.88

- 24

/06/

2015

23h

06. ©

La

Déc

ouve

rte

Docum

ent téléchargé depuis ww

w.cairn.info - - - 186.79.230.88 - 24/06/2015 23h06. ©

La Découverte

Page 5: Tamayo. La Marche de La Dignité Indigène

encapuchonnés sur les routes sans intervenir est une offense à la population mexi-caine », disent d’autres panistes.

Départ

Le trajet de la région de Las Canadas jusqu’à Mexico a été mûrement réfléchi.La carte no 1 montre l’itinéraire emprunté, dans le respect quasi total des décisionsinitiales. « Quatorze jours, trois mille kilomètres, douze États et trente-trois mee-tings », selon le sous-commandant Marcos. Auxquels s’ajouteront les vingt et un joursd’attente dans la capitale.

Le choix des lieux traversés répond à des impératifs logistiques : ressources etmoyens mis à la disposition pour la Marche, poids et capacité des organisationslocales à mobiliser des moyens suffisants, garantir la sécurité des déplacements etorganiser le séjour des commandants. Mais on accorde aussi la plus haute attentionà la symbolique des lieux : centres civiques et commerciaux autour des groupes indi-gènes (6), centres à prédominance indigène (7) ou encore marqués par une traditionde lutte sociale (8). Sans oublier les hauts lieux de la Geste d’Emiliano Zapata : Ane-necuilco, Chinameca, Tlaltizapán, Milpa Alta et Xochimilco.

La caravane se met en marche le samedi 24 février, jour du Drapeau national,à forte valeur nationaliste pour les Mexicains et pour l’Armée, également embléma-tique pour les zapatistes qui, toujours et traditionnellement, ont tenu à exprimer leurrespect envers la nation et le drapeau, se distinguant là d’autres mouvements gué-rilleros, prompts à vouloir imposer leurs propres symboles et leurs mythes, généra-lement étrangers à la culture de la population. Les symboles de l’E.Z.L.N. ont, defait, toujours été le drapeau national et l’habit traditionnel, unis aux symboles propresd’un groupe insurgé qui exigeait la reconnaissance de la dignité des indigènes : fou-lard rouge et passe-montagne, sans aucun uniforme régulier, tout au contraire envêtements civils ou costumes traditionnels. Exception faite, peut-être, du sous-com-mandant Marcos, doté d’armes sophistiquées et d’un talkie-walkie, toujours vêtu d’ununiforme marron, chaussé de bottes militaires et coiffé d’un béret frappé d’une étoilerouge.

Ce 24 février, vers dix-huit heures, les « vingt-quatre » organisent leur départ duvillage de La Realidad devant la presse nationale et internationale. Le sous-comman-dant Marcos exhibe aux yeux de tous un rifle, une mitraillette et un pistolet dont ilse démet pour les transférer, symboliquement, à la société civile et montrer, de lasorte, qu’il met en acte la loi pour le dialogue et la réconciliation ; en ayant choisi decombattre par la seule conviction de la parole. En soirée, tous arrivent à San Chris-

(6) Tels San Cristóbal de las Casas dans Los Altos du Chiapas Orizaba, Puebla ou Tehuacán.(7) Tels que Ixmiquilpan, Nurio et Temoya.(8) A l’exemple de Juchitán.

S. TAMAYO, X. CRUZ

98

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

-

- 18

6.79

.230

.88

- 24

/06/

2015

23h

06. ©

La

Déc

ouve

rte

Docum

ent téléchargé depuis ww

w.cairn.info - - - 186.79.230.88 - 24/06/2015 23h06. ©

La Découverte

Page 6: Tamayo. La Marche de La Dignité Indigène

Carte 1 : Itinéraire de la Marche des commandantsde l’E.Z.L.N. du 24 février au 11 mars 2001.

LA MARCHE DE LA DIGNITÉ INDIGÈNE

99

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

-

- 18

6.79

.230

.88

- 24

/06/

2015

23h

06. ©

La

Déc

ouve

rte

Docum

ent téléchargé depuis ww

w.cairn.info - - - 186.79.230.88 - 24/06/2015 23h06. ©

La Découverte

Page 7: Tamayo. La Marche de La Dignité Indigène

tóbal de Las Casas (9), siège de l’organisation Los Auténticos Coletos, groupe socialet courant d’opinion créé par des hommes d’affaires, cultivateurs de café, proprié-taires terriens et commerçants après l’émergence du mouvement indigène, et carac-térisé par son attitude raciste envers les indigènes (10). Pour saluer leur leader, vingtmille indigènes sont descendus de Los Altos – Tzeltales, Tzotziles, Tojolabales etCholes. Le souvenir de la prise de la ville, au petit matin du 1er janvier 1994, estencore dans toutes les mémoires et l’atmosphère lourde de haine et de peur, rap-portent les médias. Les habitants et Los Auténticos Coletos ont pareillement lesentiment que leur vie et leurs biens sont menacés. Les fantasmes resurgissent.

La marche marque quinze arrêts dans quinze localités avant son arrivée à Nurio,dans l’État du Michoacán, où doit siéger le Congrès national indigène. L’efferves-cence de la Marche dépasse partout l’attente, en suscitant une curiosité et un enthou-siasme que des menaces de mort proférées par des groupes adverses ne peuventaltérer. Les citadins se mêlent à des milliers d’indigènes descendus de la Sierra. Unecommunication directe s’établit ainsi entre les énigmatiques commandants de la révo-lution zapatiste, la société civile et les organisations de la gauche sociale et politique.

Des milliers de personnes (11) appartenant à des dizaines d’organisations (12)se mobilisent autour des commandants et reçoivent, à l’occasion des manifestations,des bâtons traditionnels de commandement de la part de plusieurs groupes ethniques.Ils sont près de trois mille à suivre la Marche dans des véhicules privés ou des autobusde location, franchissant plateaux, régions battues par les vents, sierras et monta-gnes, dessinant une longue et sinueuse procession tel un énorme serpent qui, pourparaphraser José Saramago (13), ne pouvait tenir dans toute sa longueur et pour

(9) Les commandants ont quitté les quatre principaux bastions maintenus par l’E.Z.L.N. dans la région :La Realidad, La Garrucha, Cuxuljá et Oventic. La sécurité était assurée par le Centre d’informationzapatiste et le groupe anti-mondialiste italien « Tutte Bianchi » (« Les Combinaisons blanches »). Les auto-rités fournissent des contingents de la police de l’État du Chiapas et de la police nationale.

(10) Cette association considère la ville de San Cristóbal comme un centre civique et commercial detoute la région de Los Altos appartenant exclusivement aux citadins, c’est-à-dire aux créoles et aux métis.Ils tiennent les indigènes – migrants ou déplacés par la guerre et l’apparition de groupes paramilitairesdans les villages environnants – pour des étrangers.

(11) San Cristóbal, vingt mille participants ; Juchitán, quinze mille ; Oaxaca, quinze mille ; Tehuacán,cinq mille ; Orizaba, sept mille ; Puebla, dix mille ; Tlaxcala, dix mille ; Ixmiquilpan, dix mille.

(12) Les organisations engagées étaient entre autres : la section 22 de la Coordination nationale destravailleurs de l’éducation ; plus de quatre-vingt organisations populaires dans l’État d’Oaxaca. Parmi lesethnies qui ont rejoint la caravane à cette première étape, on compte les Tzeltales, les Tzoltziles, lesTojolabales, les Choles et les Zoques, au Chiapas ; les Mixtecos, les Triquis, les Mazatecos, les Zapotecos,les Chatinos, les Mixes, les Huaves et les Zoques, à Oaxaca. Relevons également la présence de lycéens,de chavos banda (groupes de jeunes tagueurs, souvent marginaux [NdT]) et cholos (jeunes catholiquesdes zones urbaines de la frontière Mexique-États-Unis d’esprit machiste [NdT]). A Puebla, des commu-nautés Nahuas de la vallée de Tehuacán, de la Serria Negra et de la Sierra Norte de Puebla ont participé,ainsi que la communauté des Popolacas et des Mazatecos ; à Hidalgo, les Nanus. On note encore laparticipation des étudiants de l’université et de l’école normale de Mexe ; des artisans et l’Union populairerévolutionnaire Emiliano Zapata.

(13) J. SARAMAGO, Memorial do Convento. En français, J. SARAMAGO, Le Dieu manchot, Paris, AlbinMichel, 1987, traduit du portugais par Geneviève Leibrich.

S. TAMAYO, X. CRUZ

100

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

-

- 18

6.79

.230

.88

- 24

/06/

2015

23h

06. ©

La

Déc

ouve

rte

Docum

ent téléchargé depuis ww

w.cairn.info - - - 186.79.230.88 - 24/06/2015 23h06. ©

La Découverte

Page 8: Tamayo. La Marche de La Dignité Indigène

cela se courbait et se recourbait, bien décidé à arriver partout et à offrir ce spectacleédifiant en tous lieux.

Mais déjà se dessinent les contours des groupes antagoniques. Le Parti révolu-tionnaire institutionnel ne définit pas clairement sa position : représentant du gou-vernement précédent auquel l’E.Z.L.N. avait déclaré la guerre sous la bannière de laDignité indigène, il semble, pour l’heure, disloqué et sans leadership défini (14). LeP.A.N., au contraire, prend nettement parti, dans un sens qui diffère singulièrementdes positions publiques du président Fox. Il affiche un mépris constant pour l’actiondes zapatistes, sous-estime les propositions de la Cocopa et témoigne d’une franchehostilité à l’égard de la Marche (15). Le Parti social-démocrate de la révolution démo-cratique (P.R.D.) paraît profondément divisé. Du moins de nombreux cadres et mili-tants soutiennent-ils la Marche, par des déclarations, des aides ou leur travail militant.

Au départ de la Marche, le sous-commandant Marcos a fait savoir que l’archi-tecte Yánez Munoz serait le porte-parole de l’E.Z.L.N. en direction des médias oulors des négociations qui devraient être engagées avec les élus. Les liens avec uncertain nombre d’organisations et des personnalités des milieux intellectuels et poli-tiques internationaux, au-dessus de tout soupçon, sont parallèlement tenus pour unimpératif stratégique. Ainsi des représentants du Parlement européen, des MonosBlancos (Tutte Bianchi) et du Comité des prisonniers et exilés politiques représentépar Rosario Ibarra de Piedra. A leur côté, des poètes, militants, écrivains et cher-cheurs en sciences sociales. Pour, ainsi, contrecarrer le soutien que les institutions,européennes ou américaines, apportaient au président Fox (16).

Le congrès national indigène

Le vendredi 2 mars, les zapatistes font une courte halte dans la ville agricoled’Acámbaro, située dans l’État d’origine du président Fox. C’est là la porte d’entréedans la région Purépecha et l’accès à Nurio où va siéger, trois jours durant, le troi-sième Congrès national indigène. Cinq mille représentants de cinquante-six groupesdu pays y sont attendus.

Les commandants David, Zebedeo, Yolanda et Tacho et le sous-commandant

(14) Quelques personnalités du P.R.I., dont le gouverneur d’Oaxaca José Murat, ou René Juárez,gouverneur de l’État de Guerrero, se prononcent en faveur de la manifestation et envoient des renfortspour la surveillance et la sécurité dans les zones sous leur responsabilité.

(15) Le gouverneur de l’État de Querétaro, Ignacio Loyola, déclare que le sous-commandant Marcosest « un lâche, étranger à tout engagement de pacification et désireux d’étendre le conflit ». Deux militantsdont l’E.Z.L.N. exige la libération se trouvent incarcérés dans cet État et le gouverneur s’est engagé à nepas les laisser sortir. Reforma, 21 février 2001.

(16) L’Union européenne demande à l’E.Z.L.N. de prendre en compte les efforts fournis par le gou-vernement mexicain pour faire aboutir le dialogue. Le ministre français des Affaires étrangères, HubertVédrine, se félicite de la bonne volonté du gouvernement mexicain pour parvenir à la paix et renouer ledialogue avec l’Armée zapatiste insurgée.

LA MARCHE DE LA DIGNITÉ INDIGÈNE

101

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

-

- 18

6.79

.230

.88

- 24

/06/

2015

23h

06. ©

La

Déc

ouve

rte

Docum

ent téléchargé depuis ww

w.cairn.info - - - 186.79.230.88 - 24/06/2015 23h06. ©

La Découverte

Page 9: Tamayo. La Marche de La Dignité Indigène

Marcos rappellent leur désir de paix et leur volonté de justice et de dignité, un maîtremot. Les indigènes doivent pouvoir trouver une place dans l’histoire du pays, décla-rent-ils, être pris en compte ; leurs droits doivent être reconnus. Ces assises adressentun avertissement au gouvernement fédéral et aux groupes politiques en leur signifiantl’attitude rebelle de la majeure partie des groupes indigènes, leur sympathie pour lalutte zapatiste et la concordance de leurs objectifs avec ceux du mouvement. Lesindigènes décident, à cette occasion, d’encourager la formation d’un Front d’orga-nisations sociales, civiles et syndicales indépendantes, pour obtenir l’inclusion de leursdroits dans la Constitution. Ils invitent à « un soulèvement indigène national pacifiquecomme manifestation claire de [leur] volonté d’autonomie, par une mobilisation per-manente pour promouvoir au Congrès national le vote de l’initiative de la Cocopaportant sur la loi sur les droits et la culture indigènes et demander le respect desaccords de San Andrés », sans modification de la moindre virgule, car « ce qui pourles législateurs est lettre morte (et sans importance aucune) pour nous représente lavie ». Et d’inviter à « marcher ensemble sans que pour autant le mouvement indigèney perde son propre pas ». Le Congrès terminé, la caravane reprend sa route versMexico, chaussant les pas de l’insurgé José María Morelos y Pavón lors de la Guerred’Indépendance de 1810 ou ceux d’Emiliano Zapata, en 1914, à la tête de sonArmée du sud.

Dans la ville d’Iguala (État du Guerrero), où les actions de groupes guérillerosétrangers au E.Z.L.N. et animés de stratégies divergentes (17) ont redoublé depuispeu, le sous-commandant Marcos prononce ce que certains médias tiennent pourcelui de ses discours « le plus inquiétant » ou « le moins convaincant ». Soucieux dene se point couper des groupes situés à gauche, il avertit du risque d’une reprise dela lutte armée si l’on ne trouvait pas d’issue politique au mécontentement social etreconnaît l’E.P.R., l’E.R.P.I. et les F.A.R.P.

La tension entre adversaires et sympathisants du mouvement va croissant. Lesconflits se cristallisent sur la question de l’éventuelle intervention des représentantszapatistes à la tribune du congrès. Trois positions s’affrontent : le P.R.D. est animépar un esprit d’ouverture et de pluralité ; le président Fox en appelle à la tolérance ;les panistes avec, à leur tête, le sénateur Diego Fernandez de Cevallos constituentun front du refus hostile à tout compromis. Les divergences entre le président et sonparti, perceptibles durant la campagne électorale, se font plus manifestes. Sans qu’ilsoit aisé de savoir si les désaccords sont réels ou dictés par le souci qu’aurait VicenteFox de préserver son image de président démocratique, respectueux de tous lescourants politiques affirmés dans le pays, dès lors qu’ils se manifestent de façonpacifique.

(17) Il s’agit de l’E.P.R., Armée populaire révolutionnaire, de l’E.R.P.I., Armée révolutionnaire dupeuple insurgé, et des F.A.R.P., Forces armées révolutionnaires du peuple. D’après le ministère mexicainde l’Intérieur, ils sont issus de scissions au sein de l’E.P.R.

S. TAMAYO, X. CRUZ

102

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

-

- 18

6.79

.230

.88

- 24

/06/

2015

23h

06. ©

La

Déc

ouve

rte

Docum

ent téléchargé depuis ww

w.cairn.info - - - 186.79.230.88 - 24/06/2015 23h06. ©

La Découverte

Page 10: Tamayo. La Marche de La Dignité Indigène

L’arrivée à Mexico

La caravane, à ce stade longue de trois kilomètres, traverse les villages de l’Étatdu Morelos, hier bastions de l’Armée du Sud d’Emiliano Zapata – Anenecuilco, Chi-nameca, Tlaltizapán et Cuautla Morelos – avec de courts meetings avant l’arrivée àla delegación (18) de Milpa Alta dans le Distrito Federal, dans l’après-midi. Leszapatistes sont partout reçus par des groupes très divers : associations d’étudiants etde jeunes, communautés et groupes de paysans, de travailleurs, organisations popu-laires et associations civiles.

Le jeudi 8 mars, la Marche arrive à Mexico en suivant toujours la voiequ’empruntait Zapata quatre-vingt-sept ans plus tôt pour prendre la capitale. A satête, une remorque découverte, avec une estrade sur laquelle se tiennent les vingt-trois commandants et le sous-commandant Marcos, avec sa célèbre pipe et son passe-montagne. La caravane s’établit dans la delegación de Xochimilco, avant d’effectuerle parcours solennel et festif vers le Zócalo, place principale de la ville. De jeunesathlètes entourent le véhicule des commandants, en courant avec une endurancedigne des ethnies tarahumaras. Le Conseil suprême des zapatistes, composé presqueexclusivement d’indigènes, tourne le dos au Palais national ; délibérément, expliquele sous-commandant Marcos :

L’estrade où nous nous trouvons se trouve où elle se trouve. Ce n’est pas un accident.C’est parce que, de fait, depuis le début, le gouvernement est derrière nous.

Les zapatistes dévoilent là une plaque commémorative et paraphent les accordsdu troisième Congrès national indigène.

Le meeting débute par des cérémonies rituelles : des représentants de groupesethniques passent avec des vases remplis d’encens et de copal, avant de laisser laplace aux discours des commandants Zebedeo, Esther, David et Tacho. Puis lesous-commandant prend la parole devant deux cent mille spectateurs (19) et dansun silence respectueux :

Nous ne sommes pas venus vous dire quoi faire ni où vous devez aller. Nous sommesvenus vous demander humblement, respectueusement, de nous aider. Que vous nepermettiez pas qu’un nouveau jour se lève sans que ce drapeau (qui flotte fièrementau milieu de la place) n’ait une place digne pour nous, nous qui sommes de la couleurde la terre.A quelle distance nous trouvons-nous du « il n’y a pas d’autre chemin que le nôtre »asséné par le réalisme stalinien ? (...), commente Carlos Monsiváis. Marcos a choisila technique de la déception, de ne pas infliger le discours de huit heures sur la place

(18) Au Mexique, les dénominations du système de division politico-administrative urbaine sont, parordre décroissant d’importance, le distrito, la delegación, la colonia et le barrio [NdT].

(19) Le gouvernement du District fédéral évalue à 206 500 personnes la contenance du Zocalo.

LA MARCHE DE LA DIGNITÉ INDIGÈNE

103

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

-

- 18

6.79

.230

.88

- 24

/06/

2015

23h

06. ©

La

Déc

ouve

rte

Docum

ent téléchargé depuis ww

w.cairn.info - - - 186.79.230.88 - 24/06/2015 23h06. ©

La Découverte

Page 11: Tamayo. La Marche de La Dignité Indigène

Carte 2 : Principales concentrations pendant le séjour des commandants du E.Z.L.N.dans la ville de Mexico, du 8 au 30 mars 2001.

© Alexandra Laclau

de la Révolution (dans le style de Fidel Castro), pour des raisons qui sont autant desdéclarations de principes que d’objectifs (20).

Du moins le leader rebelle annonce-t-il que la Marche indigène ne quittera pasMexico avant l’adoption de la loi sur les droits et la culture indigènes.

(20) C. MONSIVÁIS, « El Zócalo : la intromisión indígena », Proceso, 18 mars 2001.

S. TAMAYO, X. CRUZ

104

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

-

- 18

6.79

.230

.88

- 24

/06/

2015

23h

06. ©

La

Déc

ouve

rte

Docum

ent téléchargé depuis ww

w.cairn.info - - - 186.79.230.88 - 24/06/2015 23h06. ©

La Découverte

Page 12: Tamayo. La Marche de La Dignité Indigène

Dès avant l’arrivée des zapatistes sur le Zócalo, le Président Fox a souhaité labienvenue à la caravane et au « sous-commandant lui-même » au nom de son gou-vernement. L’homme qui ne craint pas les paradoxes a choisi la 78e Assembléenationale de la Confédération patronale de la République mexicaine, la Coparmex,hostile, s’il en est, aux revendications indigènes, pour délivrer son message : « Nousvous accueillons à bras ouverts ! », s’écrie-t-il en priant instamment Marcos de négo-cier la paix. Et de poursuivre :

Ni le zapatisme ni le gouvernement de la République n’ont d’alternative pour se sous-traire à leur responsabilité. Notre démocratie témoigne d’une grande souplesse ; elleencourage l’échange d’opinions et le débat d’idées, pour parvenir au consensus.

Il invite Marcos à venir dans sa résidence officielle de Los Pinos pour débattredu conflit armé et de la marginalisation des indigènes et se dit disposé à tenir cetteréunion devant les correspondants des médias étrangers.

Trois mois et demi après l’annonce du périple zapatiste et seize jours après ledépart de la Marche, l’opinion publique a une idée positive des zapatistes, du mou-vement pour les droits des indigènes et du sous-commandant Marcos. La popularitéde Fox semble au contraire en déclin. La majorité des personnes interrogées consi-dère que le projet de loi sur le Chiapas doit être une priorité dans l’agenda de travailde Fox (21). L’image de Marcos et de sa marche évolue a contrario de celle duprésident (22). La population souhaite toutefois le dialogue entre les protagonistes.Et bien que les zapatistes aient affirmé qu’ils n’iraient pas signer la paix à Mexicotant que le gouvernement n’aurait pas satisfait les trois conditions fondamentalesposées par l’E.Z.L.N., une forte majorité désire que Marcos rencontre Fox et laCocopa, et qu’il puisse s’exprimer à la tribune du Congrès. Le législateur doit entenir compte.

L’attente

Du lundi 12 au jeudi 15 mars 2001, les négociations piétinent et les points devue s’affrontent. Fox assure que Marcos et lui ont appris à se connaître par médiasinterposés, qu’il a confiance en l’E.Z.L.N. Il assure que la paix est proche et ditespérer que les réunions avec la Cocopa et au Congrès seront fructueuses. « C’estce que les gens attendent car ils sont favorables à la résolution du conflit et auxaccords de paix ». Mais les panistes reconnaissent, entre eux, qu’il sera difficile à leur

(21) Opinion partagée par 59 % des sondés. 21 % jugent prioritaire la réforme fiscale et 12 % l’amorcede la privatisation de la production électrique (sondage réalisé auprès de 849 personnes). Reforma, 7 mars2001.

(22) Entre décembre 2000 et mars 2001, les avis favorables au sous-commandant Marcos, mesuréspar les sondages, passent de 30 % à 45 % (sondages réalisés auprès d’échantillons de 847 à 849 per-sonnes). Reforma, 23 février, 7, 12 et 29 mars 2001.

LA MARCHE DE LA DIGNITÉ INDIGÈNE

105

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

-

- 18

6.79

.230

.88

- 24

/06/

2015

23h

06. ©

La

Déc

ouve

rte

Docum

ent téléchargé depuis ww

w.cairn.info - - - 186.79.230.88 - 24/06/2015 23h06. ©

La Découverte

Page 13: Tamayo. La Marche de La Dignité Indigène

parti de parvenir à un accord relatif à la loi sur les droits et la culture indigènes dansles termes avancés par le Président. Les plus libéraux, adversaires du projet prési-dentiel, expriment leurs craintes de voir disparaître les dogmes du XIXe siècle sur les-quels leur parti s’est fondé. La simple introduction des mots « indigène », « commu-nauté » et « autonomie » dans le texte constitutionnel impliquerait, selon eux, uneperte de l’identité nationale et, plus généralement, une atteinte à la propriété privée.Au congrès, leurs élus durcissent leur position face à l’éventualité d’une rencontreentre zapatistes et parlementaires et se refusent à voir les indigènes monter à unetribune où la parole des élus est seule légitime. L’Église catholique en appelle au bonsens, mais laisse entendre qu’il revient à l’E.Z.L.N. de donner l’exemple. « Il estnécessaire que l’E.Z.L.N. ait la patience d’accepter le principe incontestable d’uneloi votée non pas nécessairement dans ses termes originaux, mais modifiée par lelégislatif », déclare ainsi l’épiscopat. La direction de l’E.Z.L.N. et les représentantsdu Congrès national indigène, établis en session permanente, attendent la réponsedu Congrès de la nation et annoncent leur intention d’envoyer une délégation auprèsdu Parlement européen, pour exposer les principaux objectifs du mouvement. Untournant s’opère alors.

Du 16 au 22 mars, chaque commandant organise des actions de masse dansles trois campus de l’Université autonome métropolitaine (U.A.M.), à l’Institut poly-technique national, dans les villages de la vallée d’Anáhuac et les colonias de la ville.Partout, des femmes au foyer, enfants, vieillards, employés de bureau, travailleurs etpassants reprennent de main en main, comme un relais, le « V » de la victoire. Ilsscandent, en réponse aux discours : « Vous n’êtes pas seuls ! Vous n’êtes pas seuls ! ».Les zapatistes répètent, inlassables :

Nous ne venons pas pour être bernés ni pour solliciter des faveurs (de la classe politi-que). Nous venons pour être écoutés, car la tribune du Congrès n’est pas à eux, elleest la propriété de tous les Mexicains ! Nous ne venons pas pour parler avec seulementdix législateurs par Chambre !

A son arrivée dans la capitale, Marcos a prévenu qu’il ne partirait pas tant quela loi indigène n’aurait pas été votée. Le 19 mars, l’E.Z.L.N. fait pourtant savoirqu’elle a décidé de mettre un terme à son séjour à Mexico et d’entamer le retourvers les montagnes du sud-est mexicain. « L’obstination de la classe politique estévidente, déclarent les zapatistes ; nous, les peuples indiens, nous n’irons plus frapperaux portes pour supplier que l’on nous écoute et que l’on nous prenne en compte ;nous ne baisserons jamais la tête devant les politiques, nous n’accepterons plus leshumiliations et les tromperies » (23). Un meeting d’adieu est convoqué face auCongrès. Il produit l’effet escompté. Le soir même, les bureaux de la coordinationpolitique du Sénat et de la Chambre des députés se mettent d’accord pour présenterune nouvelle proposition de dialogue à l’E.Z.L.N. Le président Fox réagit immédia-tement pour sembler conserver l’initiative. Lors d’une rencontre avec des industriels

(23) Communiqué du Comité clandestin révolutionnaire indigène-Commandement général del’E.Z.L.N., lu à la presse, Reforma, 20 mars 2001.

S. TAMAYO, X. CRUZ

106

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

-

- 18

6.79

.230

.88

- 24

/06/

2015

23h

06. ©

La

Déc

ouve

rte

Docum

ent téléchargé depuis ww

w.cairn.info - - - 186.79.230.88 - 24/06/2015 23h06. ©

La Découverte

Page 14: Tamayo. La Marche de La Dignité Indigène

de la Canacintra (24), il réitère son désir de voir les zapatistes demeurer à Mexico etde les recevoir au Congrès et réaffirme sa volonté d’arriver à un accord de paix. Ilcrée en outre, à son tour, la surprise en proposant de souscrire à celles des conditionszapatistes qui relèvent du seul exécutif : la libération des prisonniers sous juridictionfédérale dès que le groupe rebelle en aura transmis la liste et la transformation desinstallations militaires de Guadalupe Tepeyac, Río Euseba et La Garrucha en centresde développement communautaire, entraînant ipso facto le retrait des troupes del’Armée mexicaine de ces localités. Il fait savoir qu’il vient d’adresser une lettre ausous-commandant Marcos pour lui proposer une réunion avant son retour au Chia-pas.

Dans l’attente, le rassemblement convoqué par l’E.Z.L.N. se déroule commeprévu aux alentours de la Chambre des députés mais change de nature. Le sous-com-mandant Marcos annonce que le législateur vient d’admettre que l’E.Z.L.N. pourras’exprimer depuis la plus haute tribune de la République ; une incontestable victoirepolitique acquise à l’arraché, après d’intenses délibérations et un vote serré. Lescontacts alors rétablis permettent à la Marche d’entrer dans la dernière phase de sonhistoire, du vendredi 23 au mercredi 29 quand les commandants de l’E.Z.L.N. –sous-commandant Marcos excepté – sont admis dans l’hémicycle. Le discours de lacommandante Esther marquera plus que d’autres :

Je m’appelle Esther, mais cela n’a pas d’importance aujourd’hui. Je suis zapatiste,mais cela non plus n’a pas d’importance en ce moment. Je suis indigène et je suisfemme, et cela seul importe... La parole que nous vous apportons est authentique.Nous ne venons humilier personne. Nous ne venons prendre la place de personne.Nous ne venons pas pour faire la loi. Nous venons pour nous faire écouter et pourvous écouter. Nous venons dialoguer.

La nation entière peut suivre à la télévision cette séance historique, quatre heu-res et demie durant. Dès avant cet événement, 68 % des personnes interrogéesconsidéraient comme fondamental que les zapatistes puissent s’exprimer dans l’hémi-cycle. Elles estimaient que leur action aidait plus qu’elle ne nuisait au processus depaix et à la compréhension des problèmes des indigènes dans le pays. L’opinionpublique considère, très majoritairement, que l’E.Z.L.N. s’est dignement conduite àla tribune et regrette que les élus panistes se soient absentés de l’hémicycle lors desdiscours des zapatistes (25).

(24) Chambre nationale des industries de transformation.(25) 72 % des 450 personnes interrogées, contre 16 %, critiquent l’absence des parlementaires du

P.A.N. Auparavant, 86 % des personnes interrogées s’étaient déclarées favorables à ce que le sous-com-mandant Marcos rencontre le président Fox, cependant que 68 % approuvaient le principe d’une prisede parole de celui-là à la tribune du Congrès (sondage réalisé auprès de 420 personnes). Reforma,23 février, 7, 12 et 29 mars 2001.

LA MARCHE DE LA DIGNITÉ INDIGÈNE

107

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

-

- 18

6.79

.230

.88

- 24

/06/

2015

23h

06. ©

La

Déc

ouve

rte

Docum

ent téléchargé depuis ww

w.cairn.info - - - 186.79.230.88 - 24/06/2015 23h06. ©

La Découverte

Page 15: Tamayo. La Marche de La Dignité Indigène

Le retour

Le vendredi 30 mars, huit autobus, trente automobiles de sympathisants, neufcamionnettes et dix-neuf véhicules de presse quittent Mexico. Les commandants fonthalte à Oaxaca et prennent la parole à la Maison de la culture de Juchitán, devantles indigènes Zapotecos. Ils arrivent le lendemain à San Cristóbal de las Casas, oùun millier de sympathisants les accueille puis regagnent immédiatement San AndrésLarrainzar, Oventic, La Realidad, La Garrucha et Cuxuljá, leurs lieux d’origine, pourrendre compte de leur mission. Après trente-sept jours de marche, de manifestationsmassives, d’entretiens avec des personnalités et des intellectuels, de contacts etd’alliances noués avec des organisations sociales et politiques, de pressions et detensions, on peut tenir la Marche de la dignité indigène pour terminée.

Durant ces trente-sept jours, la mobilisation a surpassé les espérances les plusfolles. C’est une victoire pour l’E.Z.L.N., que le président Fox peut, cependant, uti-liser à ses propres fins. A plus long terme et à la lumière des faibles résultats concrets,cet apparent succès de la Marche doit, en outre, être relativisé. Les élus du P.A.N.et du P.R.I. prennent, en effet, leur revanche quelques semaines plus tard en faisantadopter une loi qui contrevient au projet de l’exécutif, identique dans ses termes àla loi Cocopa. La contre-offensive est plus directement menée par Diego Fernándezde Cevallos, soutenu par le sénateur du P.R.I. Manuel Bartlett. Sans que le présidentVicente Fox ne tente de les fléchir.

La loi modifiée, votée le 5 mai, est transmise aux parlements locaux de chaqueÉtat pour discussion et ratification. La procédure prévoit que si elle atteint la majoritéqualifiée aux parlements locaux, le Sénat prend l’engagement de l’adopter et la trans-met au Président pour publication dans le Journal officiel. Dès lors, elle devient leprincipe directeur en matière de droits et de culture indigènes. Les sympathisantszapatistes dénoncent les procédures à l’œuvre. Certains parlements locaux usent deleur droit de veto sans être en nombre suffisant pour en empêcher l’adoption. Quel-ques États tentent de l’abroger en démontrant l’inconstitutionnalité du processusd’adoption. Sans plus d’effets.

Le Congrès national indigène s’estime trahi et appelle à une nouvelle journéede mobilisation contre la loi. Jusqu’au mois d’août, les zapatistes restent silencieux.De fait, les trois conditions exigées pour entamer un dialogue de paix ne sont passatisfaites : les prisonniers demeurent incarcérés, la militarisation de la région s’estaccrue, et le vote de la loi Cocopa part en fumée.

Le jour de la publication de la loi, plusieurs banques de Mexico sont victimesd’attentats. Commis avec de simples pétards, sans causer de victimes ni de domma-ges matériels, ils sont attribués aux Forces armées révolutionnaires du peuple. Le25 août, le président Vicente Fox profite de la réunion nationale des députés panistespour rassurer l’auditoire en réaffirmant que son gouvernement et lui-même sont lesproduits de l’idéologie et de l’activité militante du P.A.N. Il les informe, cependant,de l’existence de cinq cents guérilleros « très violents » sur tout le territoire national.

Comment définir le succès ou l’échec d’un mouvement social dans ces condi-

S. TAMAYO, X. CRUZ

108

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

-

- 18

6.79

.230

.88

- 24

/06/

2015

23h

06. ©

La

Déc

ouve

rte

Docum

ent téléchargé depuis ww

w.cairn.info - - - 186.79.230.88 - 24/06/2015 23h06. ©

La Découverte

Page 16: Tamayo. La Marche de La Dignité Indigène

tions ? De tels processus ne constituent-ils pas des événements à la fois continus etdiscontinus, ne laissant entrevoir que le seul déroulement d’une bataille dans ce quiest une guerre de longue haleine, militaire aussi bien que sociale, mettant aux prisesl’E.Z.L.N. et ses alliés, le gouvernement fédéral et les siens... ?

Conclusion

La Marche de la dignité indigène fut singulière à plus d’un titre : par sa duréeet l’ampleur des territoires parcourus, par son public et ses adversaires. Sa dimensionrend plus complexes tous les autres facteurs : moyens mis en œuvre, caractères desacteurs impliqués, espaces géographiques choisis, objectifs symboliques et politiques.Les problèmes résultent de la façon dont les adversaires creusent sans cesse un peuplus le fossé, politique et social, entre les classes et les groupes ; ils tiennent encoreau caractère symbolique propre à chaque rassemblement, au degré de capacité desacteurs à reconstruire des espaces favorables. Ainsi, bien que la Marche ait un objectifclair et concret – la reconnaissance constitutionnelle des droits et de la culture indi-gènes –, cette finalité en vient à se confondre avec les moyens mis en œuvre – laMarche –, les rassemblements de masse, le Congrès national indigène, etc. Lesactions prennent de plus en plus d’importance pour elles-mêmes.

Divers observateurs internationaux ont exprimé leur sentiment et proposé unedéfinition de l’événement. Pour l’intellectuel français Yvon Le Bot, les zapatistes ontessayé, de la sorte, de sortir de la tragédie ; la Marche pouvant alors se donner pourune réponse angoissée à une situation de désespoir politique. L’écrivain espagnolManuel Vázquez Montalbán estime, quant à lui, que la Marche a été le début d’uneprise de conscience de la société civile, que son objectif était de faire une entréesymbolique dans la ville et d’obtenir ainsi une victoire politique pour le mouvement.Le Portugais José Saramago, prix Nobel de littérature, affirme que le pari de Marcos– l’idée de faire une telle marche – aura été un coup de génie, fructueux au plus hautpoint pour la dignité indigène, quand bien même ce périple n’est pas la fin du cheminmais le début d’un autre.

A partir de ces appréciations, on pourrait résumer les étapes que doit parcourirun mouvement social et les défis qu’il lui faut affronter pour choisir une action dansla gamme plus ou moins large des mobilisations possibles : au préalable, analyse etinterprétation de la situation concrète de son propre mouvement, articulation avecle contexte politique externe et définition de l’objectif politique de l’action projetée– bien qu’il semble que la finalité d’une action déterminée ne soit pas unique, carune mobilisation recherche divers résultats. On s’adresse à tous les adversaires, ensigne d’avertissement, comme un moyen d’attirer leur attention une bonne fois pourtoutes et de déterminer une revendication valorisante et normative. Mais on s’adresseaussi symboliquement à d’autres publics : aux alliés de l’adversaire, devenus les adver-saires du mouvement ; aux alliés les plus proches du mouvement, qui s’impliquent

LA MARCHE DE LA DIGNITÉ INDIGÈNE

109

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

-

- 18

6.79

.230

.88

- 24

/06/

2015

23h

06. ©

La

Déc

ouve

rte

Docum

ent téléchargé depuis ww

w.cairn.info - - - 186.79.230.88 - 24/06/2015 23h06. ©

La Découverte

Page 17: Tamayo. La Marche de La Dignité Indigène

politiquement et physiquement dans la mobilisation ; aux sympathisants, observa-teurs émotifs de l’action, à l’opinion publique, enfin, par divers moyens : utilisationde l’espace public et géographique, médias institutionnels – qui ne sont pas politi-quement neutres – et médias propres aux forces mobilisés, qui ne le sont pas davan-tage. Le succès politique dépend en conséquence de la percée ou des percées sym-boliques du mouvement. La Marche est un aspect de son langage politique, social etculturel. Les formes que prend la mobilisation disent ce qu’est le mouvement. L’orga-nisation et la définition idéologique des événements reflètent la personnalité del’adversaire collectif. C’est précisément pourquoi une marche n’est pas un fait ensoi. Elle n’a pas de ligne d’arrivée. Elle a un avant, un développement et une appa-rente conclusion qui devient de nouveau l’avant et le début d’un autre cheminement.C’est un processus, créé, inventé et, par conséquent, conflictuel. Cette Marche a étérythmée par des événements constituant un rituel (26). Elle a constamment mobilisédes espaces symboliques à des fins politiques. Elle fut à la fois un événement publicet historique et un passage par des voies aux nombreux embranchement, générateursd’un réseau géographique, social et culturel, supposant, à leur tour, un déplacementd’individus en interaction sociale et symbolique dans l’espace urbain, lors des meet-ings et réunions, concentrations et manifestations spontanées. Avec, à chacune deces étapes, une consolidation du mouvement et une croissance, simultanée, de ten-sions et obstacles en interaction.

L’analyse de cette marche, comme forme de protestation et de manifestationpublique, montre la formidable complexité d’un mouvement comme intention ettransgression. En tant qu’exemple, la Marche de la dignité indigène ne s’est pasnécessairement différenciée d’autres événements d’affirmation ethnique – son mes-sage était à la fois une protestation et une revendication d’ethnicité ; elle ne s’est pasnon plus distinguée par le fait de n’être qu’une simple marche qui aurait éliminéd’autres moyens de mobilisation – comme les meetings par exemple – simultanémentmis en œuvre... L’articulation des aspects macro et micro de l’analyse socio-spatiale,nécessaires à l’analyse, est cependant malaisée. Une mobilisation telle que la Marcheindigène montre l’importance des déterminants structuraux de l’action, à partir des-quels sont définis et évalués les moyens à mettre en œuvre, et revalorisées les struc-tures des possibilités politiques. Pourtant de telles décisions ne s’établissent pas enfonction de la seule mise en équilibre des coûts et des bénéfices de la mobilisation,mais aussi pour des raisons existentielles, symboliques et émotionnelles déterminantla participation collective.

L’approche situationnelle nous a permis d’associer la structure aux développe-ments, et vice versa. Elle favorise une étude chronologique rigoureuse situant lesactions dans l’espace et le temps et dans l’espace, une identification des acteurs, deleurs actions et leurs interprétations de l’événement, permettant d’établir, enfin, lasuccession des situations conflictuelles générées tout au long du trajet. Le champ desacteurs mobilisés se dessine alors plus clairement : d’un côté les indigènes, les tra-vailleurs, les groupes populaires, les classes moyennes, les jeunes, les guérilleros, des

(26) P. OLIVER, D. MYERS, « How Events Enter the Public Sphere : Conflict, Location and Sponsorshipin Local Newspaper Coverage of Public Events », American Journal of Sociology, 1, 1999, p. 38-87.

S. TAMAYO, X. CRUZ

110

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

-

- 18

6.79

.230

.88

- 24

/06/

2015

23h

06. ©

La

Déc

ouve

rte

Docum

ent téléchargé depuis ww

w.cairn.info - - - 186.79.230.88 - 24/06/2015 23h06. ©

La Découverte

Page 18: Tamayo. La Marche de La Dignité Indigène

personnalités internationales et le P.R.D. ; de l’autre, le P.A.N., les hommes d’affai-res, les industriels, l’Église, les éleveurs et les commerçants locaux ainsi que l’appareild’État ; au-delà, le Président et les institutions législatives. Cette démarche met aujour la culture politique des forces en présence et réévalue la portée de l’action enga-gée et les points finalement marqués par chacune des forces en présence.

En somme, un mouvement social est, par définition, impossible à appréhenderà un moment figé et stable. Il convient de l’envisager comme un processus dynamiqueet, par conséquent, instable et changeant. Pendant la Marche, le mouvement zapa-tiste n’a pas été construit uniquement par les groupes qui l’ont constitué à l’originemais encore par des adhérents, alliés, adversaires, publics, et par la multiplicité desressources qu’eux tous ont mobilisées. C’est pourquoi le choix des stratégies a tou-jours dû se faire dans une atmosphère de tensions structurelles et d’interprétationssubjectives. La structure des opportunités politiques au sein de laquelle ont évoluéles groupes en conflit a donc été constituée par des constructions sociales, des espa-ces de signification, des faits interprétés et assumés de manières différentes selonchaque acteur qui donnait du sens à ses propres actions. La Marche de la dignitéindigène définit par son intitulé même son type d’action, son objectif, le messagequ’elle véhicule et la nature du mouvement qui l’anime. Son caractère est politiqueautant que symbolique. Ce n’est pas l’aboutissement d’un chemin, mais le début d’unautre.

LA MARCHE DE LA DIGNITÉ INDIGÈNE

111

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

-

- 18

6.79

.230

.88

- 24

/06/

2015

23h

06. ©

La

Déc

ouve

rte

Docum

ent téléchargé depuis ww

w.cairn.info - - - 186.79.230.88 - 24/06/2015 23h06. ©

La Découverte