12
La compagnie Technologies Balios a confié au Centre le développement de ces produits, en collaboration avec les professeurs du Département de technologie physique du cégep de La Pocatière. Le Centre a participé à l'élabor ation des expériences, à la sélection des composantes, à la conception des trousses portatives, à la conception d'un logiciel d'expérimentation et de prise de données, ainsi qu à la supervision de la production des deux trousses. Contrôleur de portes du «High Technology Train» (métro de New York): Le développement électronique et mécanique de l'opéra teur de portes pour le métro de New York a été confié au Centre en 1990 par la firme Bombardier inc. - Groupe matériel de transport. Ce contrat comprenait la concept ion, la fabrication et la certification du prototype de tout le système de contrôle électronique et du système d'entraîne ment mécanique etde verrouillage des portes. Géré par 99 microprocesseurs, le système de contrôle supervise les huit portes de chacune des neuf voitures du train. Le système n'utilise aucun relais mécanique mais plutôt un contrôle à microprocesseurs reprogrammables II permet la détection des défaillances et offre un diagnostic accessible par ordinateur personnel (PC) grâce à des liens de communication qui réduisent au minimum le nombre de fils électriques. Conçu selon une approche modulaire, le système d'ouvert ure mécanique est basé sur un entraînement par vis sans fin ne nécessitant aucune lubrification. Il garantit une force de fermeture constante. Sa durée de vie est estimée à trois millions de cycles (ouverture / fermeture de la porte) soit environ 30 ans d'opération. Le mécanisme de verrouillage a été conçu en respectant des critères de sécurité et de fiabilité extrêmement stricts. Système de communication du «High Technology Train » du métro de New York Le Centre s'est joint à Pocatec Itée pour concevoir le système de communication du train haute technologie du métro de New York. Ce système permet entre autres l'an nonce automatique de messages audio et visuels (entière ment programmable par ordinateur personnel) la com munication entre les passagers et le personnel en cas d urgence, et un ajustement automatique de gain des am plificateurs audio en fonction du niveau sonore ambiant dans les voitures. Un logiciel a spécialement été conçu pour s'adapter au support de communication multiplexe haute vitesse (PCM-30) afin de véhiculer la voix et les commandes digitalisées entre les voitures. Le système est en opération dans le métro de New York depuis juin 1993. 17 ARC/ACTES DU COLLOQUE 1997 Contrôleur de feux de circulation: Ce contrôleur permet la gestion de huit mouvements véhicules différents et fonctionne avec des boucles de détection véhicules et boutons piétons. Réalisant les synchronisations de manière autonome ou en réseau, il permet des séquences spéciales pour des véhicules d'urgence tels que les ambulances, les véhicules de pompiers et de police ainsi que les trains. Le contrôleur peut être utilisé avec un logiciel sur PC qui construit simule et observe un carrefour. Une ligne téléphonique peut être reliée au contrôleur pour le diagnostic et les changements de programmation à distance. Développement d'un thermostat intelligent : Étant donné que le domaine de l'électronique évolue rapidement, Ouellet Canada inc. devait revoir le design de son thermostat électronique. L'entreprise a développé conjointement avec le Centre spécialisé, un produit in novateur se démarquant des thermostats électroniques actuels (entre autres par son autoprogrammation). Le thermostat a été conçu de façon à s'incorporer à tous les appareils de chauffage fabriqués par l'entreprise. Lors de la conception du thermostat intelligent les meilleures technologies disponibles ont été mises à profit et des études comparatives ont été réalisées sur plusieurs composants tels que le microprocesseur, l'interrupteur à semi-conducteur, le capteur de mouvement et la ther- mistance afin d'effectuer des choix optimums. Pour at teindre la fonctionnalité désirée, le nouveau thermostat devait être muni d'un microprocesseur, ce qui a impliqué la conversion à l'électronique numérique. Très simple à installer grâce à son branchement par deux fils seulement, le thermostat intelligent intègre une pro grammation par apprentissage permettant une réduction significative des coûts énergétiques. Aussi, son micro processeur demeure en fonction en cas de panne CONCLUSION Les institutions d'enseignement qui choisiront de devenir également des centres de transfert de technologie béné ficieront d'une actualisation de leurs programmes de formation et dispenseront une meilleure formation aux étudiants. Ces derniers pourront occuper plus facilement les postes générés par l'évolution technologique et cré eront une synergie très productive entre le monde in- dustnel et le monde de renseignement.

Étant donné que le domaine de l'électronique évolue

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Page 1: Étant donné que le domaine de l'électronique évolue

La compagnie Technologies Balios a confié au Centre ledéveloppement de ces produits, en collaboration avec lesprofesseurs du Département de technologie physique ducégep de La Pocatière. Le Centre a participé à l'élaboration des expériences, àla sélection des composantes, àlaconception des trousses portatives, à la conception d'unlogiciel d'expérimentation et de prise de données, ainsiqu àla supervision de la production des deux trousses.• Contrôleur de portes du «High Technology Train»

(métro deNew York):

Le développement électronique et mécanique de l'opérateur de portes pour le métro de New York aété confié auCentre en 1990 par la firme Bombardier inc. - Groupematériel de transport. Ce contrat comprenait la conception, la fabrication et la certification du prototype de tout lesystème de contrôle électronique et du système d'entraînement mécanique etdeverrouillage des portes.

Géré par 99 microprocesseurs, le système de contrôlesupervise les huit portes de chacune des neuf voitures dutrain. Le système n'utilise aucun relais mécanique maisplutôt un contrôle àmicroprocesseurs reprogrammables IIpermet la détection des défaillances et offre un diagnosticaccessible par ordinateur personnel (PC) grâce àdes liensde communication qui réduisent au minimum le nombrede fils électriques.

Conçu selon une approche modulaire, le système d'ouverture mécanique est basé sur un entraînement par vis sans finne nécessitant aucune lubrification. Il garantit une force defermeture constante. Sa durée de vie est estimée à troismillions de cycles (ouverture / fermeture de la porte) soitenviron 30 ans d'opération. Le mécanisme de verrouillagea été conçu en respectant des critères de sécurité et defiabilité extrêmement stricts.

• Système de communication du «High TechnologyTrain » dumétro de New York

Le Centre s'est joint à Pocatec Itée pour concevoir lesystème de communication du train haute technologie dumétro de New York. Ce système permet entre autres l'annonce automatique de messages audio et visuels (entièrement programmable par ordinateur personnel) la communication entre les passagers et le personnel en casd urgence, et un ajustement automatique de gain des amplificateurs audio en fonction du niveau sonore ambiantdans les voitures. Un logiciel a spécialement été conçupour s'adapter au support de communication multiplexehaute vitesse (PCM-30) afin de véhiculer la voix et lescommandes digitalisées entre lesvoitures.

Le système est en opération dans le métro de New Yorkdepuis juin 1993.

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ARC/ACTES DU COLLOQUE 1997

• Contrôleur de feux de circulation:

Ce contrôleur permet la gestion de huit mouvementsvéhicules différents et fonctionne avec des boucles dedétection véhicules et boutons piétons. Réalisant lessynchronisations de manière autonome ou en réseau, ilpermet des séquences spéciales pour des véhiculesd'urgence tels que les ambulances, les véhicules depompiers et de police ainsi que les trains. Le contrôleurpeut être utilisé avec un logiciel sur PC qui construitsimule et observe un carrefour. Une ligne téléphoniquepeut être reliée au contrôleur pour le diagnostic et leschangements deprogrammation à distance.

• Développement d'un thermostat intelligent :

Étant donné que le domaine de l'électronique évoluerapidement, Ouellet Canada inc. devait revoir le design deson thermostat électronique. L'entreprise a développéconjointement avec le Centre spécialisé, un produit innovateur se démarquant des thermostats électroniquesactuels (entre autres par son autoprogrammation). Lethermostat a été conçu de façon à s'incorporer à tous lesappareils de chauffage fabriqués par l'entreprise.

Lors de la conception du thermostat intelligent lesmeilleures technologies disponibles ont été mises àprofitet des études comparatives ont été réalisées sur plusieurscomposants tels que le microprocesseur, l'interrupteur àsemi-conducteur, le capteur de mouvement et la ther-mistance afin d'effectuer des choix optimums. Pour atteindre la fonctionnalité désirée, le nouveau thermostatdevait être muni d'un microprocesseur, ce qui aimpliquéla conversion àl'électronique numérique.

Très simple àinstaller grâce àson branchement par deuxfils seulement, le thermostat intelligent intègre une programmation par apprentissage permettant une réductionsignificative des coûts énergétiques. Aussi, son microprocesseur demeure en fonction en cas de panne

CONCLUSION

Les institutions d'enseignement qui choisiront de devenirégalement des centres de transfert de technologie bénéficieront d'une actualisation de leurs programmes deformation et dispenseront une meilleure formation auxétudiants. Ces derniers pourront occuper plus facilementles postes générés par l'évolution technologique et créeront une synergie très productive entre le monde in-dustnel etle monde de renseignement.

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LA RECHERCHE PÉDAGOG.QUE EH**ggŒŒ^g$ïï!^

JEAN-MARIE VAN DER MAREN, UNIVERSITÉ DE MONTRÉAL

RÉSUMÉ

Depuis quelques années, la recherche en sciencesde l'éducation est remise en question. Ne faut-ilpas réanimer une recherche pédagogique, axée surla pratique, àvisée professionnelle, dont la validitéserait avant tout écologique et fonctionnelle? Maiscela implique une construction intersubjective etdes pratiques de recherche en partenariat. Est-cepossible entre les Cégeps et les universités commeinstitutions, entre le professeurs de ces institutions? Quels en sont les enjeux et le prix?

1.Le problème n'estpasnouveau, loin delàlLes remises en question de larecherche en éducation nesont pas neuves. Introduisant les travaux d'un symposium qui se tenait en 19851, je relevais que, déjà en1971, Jean-Claude Filloux, dans un optimisme idéaliste,défendait la recherche en éducation en déclarant que sanon utilisation était impossible. Pourtant Huberman , en1980, concluait une analyse de travaux anglo-saxons enécrivant que «les praticiens utilisent peu la rechercheéducationnelle parce qu'elle est peu utilisable commetelle». À la suite de cette étude, il proposait une grilledes conditions optimales3 de l'utilisation effective desrecherches et élaborait un modèle explicatif.En bref, de ces travaux on retenait que l'information laplus intéressante pour les enseignants devrait répondre àsix exigences:

' Van der Maren J.M. & coll. Stratépie pour la pertinence de larrrhorrhr en éducation. Enquête-symposium réalisée àl'occasion ducongrès annuel de la Société canadienne pour l'étude de l'éducation,Université de Montréal, 29 mai 1985. Montréal: Faculté des sciencesde l'éducation. Université deMontréal, 1985,130 pages.

2Huberman M., Ruines for Busv Kitchens: A sitnational analvsis ofrn.,tine knowliripft »se in school. Washington D.C.: NationalInstitute of Education, Program on Research and EducationalPractice, 1980.

3Huberman M., L'utilisation de la recherche éducationnelle: Vers unmode d'emploi. ÉH.iratipn et recherche. Vol. 4, 2,1982, p. 136-152.

4Huberman, M., Répertoires, recettes etvie de classe: comment lesenseignants utilisent l'information. Éducation et recherche, Vol. 5, 2,p. 157-177.

1- la rentabilité rapide: résoudre les problèmes immédiats sans exiger deréorganisation majeure ;

2- leur caractère utilitaire avec une augmentation durépertoire du praticien;

3- la validation par les pairs (c.-à-d. par les praticiens);

4- la possibilité d'une utilisation partielle ou d'une adaptation locale (c.-à-d. une production ouverte, modifiable);

5- la disponibilité de la source à portée de main et defaçon suivie (autrement dit la proximité et la présencesur leterrain pour assumer leservice après vente);

6- le caractère inspirateur: être accompagné de messages «altruistes-idéalistes» et faire appel aux valeurspartagées par les enseignants; autrement dit ne pas êtredéconnecté de la vision de l'éducation des praticiens.

Plus près de nous, Camille Bouchard, a dit, à samanière, en 1984, qu'une recherche appliquée, pour êtreapplicable, «doit être en synchronie avec l'environnement social, s'adresser à l'utilisateur, ponctuelle etdisponible, statutaire et éditoriale». J'avais aussi notéque Philippe Perrenoud7, le sociologue genevois qui asuccédé àHuberman, sedemandait, en1983, siles habitusdu chercheur universitaire, c'est-à-dire les modes depensée qui conditionnent son approche des choses,pourraient se modifier pour rencontrer les habitus dupraticien?

La réponse àcette question me semble encore évidente àl'heureactuelle: c'est non. Pourtant, les efforts se sontsuccédé et les analyses sesont poursuivies dans lemêmesens.

5 Comme dans la «méthodologie des systèmes souples» de PeterCheckland: Systems Thinlripf?, Systems Practice. New York: JohnWiley, 1981.

6 Bouchard C, La recherche applicable ou la recherche du plaisiréditorial. Conférence au Congrès de la Société québécoise de recherche en psychologie, Montréal, 1984.

7Perrenoud, Ph., La pratique pédagogique entre l'improvisation régléeetle bricolage. Essai sur les effets indirects de la recherche en éducation. Éducation et recherche. Vol. 5, 2, 1983.

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Page 3: Étant donné que le domaine de l'électronique évolue

2. Une pratique de recherche convoquée par la professionCarr et Kemmis8, en 1986, relèvent l'obsession de larecherche en éducation qui, dans une vaine quête descientificité et à l'image d'une psychologie qui l'a contaminée, a mis son objet à distance. Cette distanciationjustifiée par une rupture épistémologique, s'est faite au'point de discréditer le discours pédagogique, condamnéparce que trop «scolaire». Elle conduit aussi à ne plusfaire des recherches àpropos de l'éducation qu'à partirdu langage et des problématiques des disciplines ditescontributives, principalement la psychologie, la sociologie et l'économie. La comparaison que Carr et Kemmisfont entre les professions de médecin, d'ingénieur etd'enseignant suggère aussi qu'en tant que discipline académique et en tant que «profession» (ou corporationprofessionnelle), l'éducation n'existe pas. En effet, ellene consiste pas encore en un ensemble de techniques etd'habiletés fondé sur un corps de connaissances et derecherches systématiquement construit à partir d'uneélaboration (théorique) des problèmes et des modalitésd'action de la pratique. Pourtant, les exigences de lapratique de l'enseignement ne sont pas moindres quecelles des autres professions. Le contrat du médecin etde l'ingénieur est beaucoup plus limité dans le temps etdu point de vue de la responsabilité et de l'imputabilitéque celui des enseignants. Les connaissances pratiquesque les enseignants doivent utiliser pour être efficacescouvrent un éventail beaucoup plus large, touchant lecontexte politique de leur action, ses contraintes et seseffets sociaux, ses visées culturelles autant que leur impactpsychologique. Mais toutes ces connaissances, assezdiversifiées quant aux disciplines qui pourraient s'enemparer pour les théoriser à leur avantage, ne sontactivées chez les praticiens que pour la mise en acted'interactions entre des enseignants et leurs élèves dansune institution d'enseignement. Ces connaissances n'ontde validité que dans la mesure où elles permettent àl'action de s'accomplir et à l'enseignant d'y ressentirune cohérence qui confère à l'ensemble de la situationsa consistance. La validité de ces connaissances ne peutdonc être assurée par les disciplines qui pourraient lesformaliser indépendamment de la valeur pédagogiquequ'elles acquièrent par leur contribution à la consistancedes situations d'enseignement.

D'autres ont poursuivi dans la même ligne. Ainsi, PierreGillet réclamait, en 1987, un recadrage des rechercheset des discours sur les problèmes et les pratiques des

Carr W.et S. Kemmis, Becominr Oi.ica], Frinrati™ KnnwleHo3!id Action Research London &Philadelphie The Falmer Press!1986.

pCSlta R, pour une péda^que ou l'enseignant praticien. Paris,

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ARC/ACTES DU COLLOQUE 1997

enseignants. Moi-même, j'ai poursuivi une analysesemblable en 1989 à la demande de Jean-Pierre Pour-tois. Cette analyse comportait des suggestions qui ontété reprises par la suite". Pour l'essentiel, il s'agissait derestaurer une plus grande place, c'est-à-dire un espace,des moyens et une reconnaissance plus importants, pourla recherche pédagogique, dans le champ des sciencesde l'éducation et des recherches qui s'y font. Àla suitedes auteurs que jeviens de citer, j'entends, par recherchepédagogique, une recherche qui part des problèmes de lapratique des enseignants, non pas comme un alibi pourtester des théories, mais comme le noyau de la construction des connaissances pédagogiques, c'est-à-direde connaissances qui instrumentent la pratique des enseignants et qui permettent à ces derniers d'améliorerleur pratique etd'en contrôler les conditions d'exercice.De la même manière que les connaissances médicalespermettent au médecin d'instrumenter sa pratique et decontrôler les conditions de l'exercice de la médecine.Or, les connaissances médicales ont d'abord été élaborées, et continuent en grande partie de l'être, dans leshôpitaux, au contact direct des médecins confrontés auxmalades qui posent le problème aigu de leur guérison.De la même manière, les connaissances pédagogiques nedevraient-elles pas avant tout être construites dans lesécoles, que ce soit la grande ou la petite école, aucontact direct des enseignants confrontés aux difficultésque les élèves et les étudiants manifestent dans leursapprentissages?

3. L'exigence éthique de former autrement les enseignantsPourquoi avons-nous un si criant besoin de recherchespédagogiques? Pourquoi ne pouvons-nous nous satisfairedes connaissances scientifiques, et moins scientifiques,que lapsychologie, lasociologie etsans doute bientôt laneuropsychologie apportent comme clefs de compréhension de la situation scolaire et comme prescriptionsdéduites (paraît-il?) de leurs théories en tant qu'application à l'éducation?

La raison est simple. Comme professeur dans un département ou une faculté d'éducation, nous devons, encorepour le moment, assumer une fonction, sinon une mis-

1U

Van der Maren J.M. Propositions pour une recherche au bénéficede 1éducation. Dans "Les enjeux du savoir" numéro thématique, sousla direction de Jean-Pierre Pourtois, de Réseaux. rev„Pinterdisciplin^re de philosophie morale e, pnli,^.,. n8 55-56-57.1989, p. 129-161. Une grande partie de ce texte est reprise dans leschapitres 1 et 2 de "Méthodes H. cherche pnnr vm»^^Montréal: PUM et Bruxelles: Be Boeck-Université, 2^ édition. 1996.

Van der Marem J.M., Savoir enseignants et professionnalisation deit"TgT^!"/2 gCVUg dgS SCienr(>S dg 1,édlirati^ vol. XIX, n8 1,

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ARC/ACTES DU COLLOQUE1997

sion: celle de former des enseignants. En tant queformateur d'enseignant, nous avons le devoir éthique deveiller à ce que les théories que nous présentons à nosétudiants soient les plus pertinentes possible aux actionsqu'ils devront réaliser dans l'exercice de leur profession.Nous n'avons plus ledroit de nous fermer les yeux et denous laisser croire ou de faire croire aux étudiants queles théories desdisciplines contributives sontpertinentesaux pratiques de l'enseignement. Certaines portions deces théories peuvent nous aider à analyser et à réfléchirles pratiques, mais elles ne peuvent ni fonder ni instrumenter les pratiques. Tous les praticiens de l'enseignement le savent. Nos étudiants ne doivent paspasser de nombreuses journées en stage pour s'en rendrecompte. Ils nous reviennent en ayant disqualifié cesthéories, contributives et savantes certes, mais déconnectées des contraintes, des priorités, des urgences, desdifficultés des écoles; bref, décrochées du contextequotidien de l'action.

4. À vin nouveau, nouvelles outresl

Restaurer une place pour une recherche qui a commefinalité ledéveloppement deconnaissances pédagogiques,c'est s'engager dans l'étude d'un champ profes-sionnelparticulièrement complexe, car la situation pédagogiqueest complexe. Dès lors, en se proposant un recadrage del'objet de recherche, ne doit-on pas aussi se poser laquestion des sources d'information etdes méthodes qui enpermettent la collecte et l'analyse? C'est ce que nousproposions en suggérant l'élaboration d'une praxis en tantque théorisation des pratiques ou autrement dit, par ladescription des actions, par le recul par rapport auxactions et par le questionnement des raisons de l'actionpédagogique avec ses succès et ses échecs. Or, pour cefaire, le dialogue avec la pratique de l'enseignement estessentiel et l'orientation des travaux consiste d'abord àrésoudre les problèmes pour inférer, ensuite, des hypothèses théoriques à partir et à propos de la pratique. Ils'agit donc d'une recherche sur le terrain et avec sesacteurs, sinon par ses acteurs. Cette forme derecherche nevise pas à valider des théories par leur application à lapratique; ce n'est donc ni une recherche théorique etscientifique au sens positiviste des mots, ni une rechercheappliquée. C'est une recherche contextualisée menée avecou par les acteurs pour élaborer une théorie de l'action quitienne compte du contexte concret de l'action. Ence sens,elle s'écarte de la recherche scientifique lorsque lescritères de scientificité, implicites ou explicites, imposentaux chercheurs une prise de distance, une rupture avec lesconditions concrètes du milieu. Pierre Bourdieu dé-

12 Bourdieu P., faisons pratiques. Sur la théorie de l'action. Paris:Seuil, 1994. Voir en particulier le chapitre 7: Le point de vuescolastique, p. 221-236.

nonce cette rupture lorsqu'il note que les philosophes, lessociologues et tous ceux qui font profession de penser lemonde professent «un mode de pensée qui suppose lamise en suspens de la nécessité pratique et met en ûuvredes instruments de pensée construits contre la logique dela pratique». C'est ce que d'autres appellent la ruptureépistémologique et ce qu'ils considèrent comme unecondition de la pensée scientifique. Cette rupture impliquerait une suspension du jugement, ce qui est trèsbien, mais aussi la construction d'un langage abstrait,général, assez décontextualisé pour s'adresser à de vastesensembles de situations, situations atomisées et analyséesàpartir de traces construites grâces à des instrumentationsqui sont des opérationnalisations de lathéorie qui permetde décrire ces situations. Autrement dit, cette visionsavante implique d'avoir le temps de couper les cheveuxen quatre, de parler des situations d'une manière telle queceux qui les vivent n'y comprennent plus rien et d'enprendre des mesures par des instruments dont le contrôleéchappe aux acteurs. Dès lors, cette vision, que Bourdieuappelle scolastique, «s'expose, écrit-il, à détruire purement et simplement son objet ou à engendrer de pursartefacts lorsqu'elle s'applique sans réflexion critique àdes pratiques qui sont le produit d'une autre vision». Ilcontinue: «Le savant qui ne sait pas ce qui le définit entant que savant, c'est-à-dire le «point de vue scolastique»,s'expose à mettre dans la tête des agents sepropre visionscolastique; à imputer à son objet ce qui apparient à lamanière de l'appréhender, au mode de connaissance». Cen'est pas parce que le savant a besoin de catégoriesabstraites pour décrire l'action de l'artisan qu'il peutformer les futurs artisans en leur enseignant ces catégoriesabstraites: l'artisan n'en a que faire pour passer à l'action.Peut-être faudrait-il se le rappeler plus souvent quand onveut former des enseignants!

5. Transition et récréation

Ce que Bourdieu ditdans un langage, qui paradoxalementéchappe aux acteurs de terrain, mais cela est normal puisqu'il veut convertir des savants, nos étudiants en formation initiale le vivent autant que les enseignants quireviennent auxétudes avecl'espoir de se perfectionner oud'avancer dans la carrière par l'ajout d'une année descolarité sur l'échelle des salaires. J'ai tenté de l'exprimerautrement, par une petite fable, que je vous livremaintenant.

La formation du jeune chasseur au pays Blablaou des réformes et de la recherche enéducation.

J'ai visité un pays imaginaire où unpeuple, que certainsdiraient primitif, vivait un gros problème. Il s'agit depeuple des BlaBla, une tribu nomade qui vit essen-

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tiellement de chasse, de pêche et de cueillette. Or, voilàque les mères de la tribu sont inquiètes: les jeunes chasseurs ne rapportent plus assez de gibier pour nourrir levillage. Etelles s'interrogent.

Il faut se rappeler qu'il y a quarante ou cinquante ans,c'est-à-dire àpeu près deux générations, la tribu mangeait bien, elle ne manquait pas de gibier, ce qui lui donnait une alimentation équilibrée. Mais, à cette époque,tous les chasseurs, qu'ils soient jeunes ou plus âgés,'étaient de bons chasseurs. Il faut aussi se rappeler que,'en ce temps-là, les chasseurs les plus expérimentés étaientchargés d'apprendre aux jeunes comment ils chassaient,etqu'ils transmettaient leur art de lachasse en emmenantles adolescents avec eux dans leurs expéditions. Dans cesexpéditions, les chasseurs chassaient et montraient comment traquer le gibier, suivre sa piste, poser les pièges, semettre à l'affût et tendre l'arc lorsqu'on vise une proie.Ils ne disaient pas la chasse: ils montraient commentfaire, faisaient, faisaient faire et corrigeaient ce que lesadolescents faisaient. Et tout cela en silence, car à lachasse, lorsque l'on parle, les animaux repèrent les chasseurs et s'enfuient.

Mais un beau jour, ou est-ce un jour de malheur, leschasseurs rencontrèrent des hommes d'une autre tribu,les Cougnagna, qui ne chassaient plus, car ils étaientdevenus sédentaires, ils cultivaient. Or, les Cougnagnaavaient, en leurs souvenirs, gardé le goût du gibier. LesCougnagna proposèrent aux chasseurs BlaBla d'échangerquelques-unes de leurs proies contre quelques objetsqu'ils fabriquaient etcontre des légumes.

Les chasseurs BlaBla trouvèrent cet échange fort intéressant et les plus habiles d'entre eux en vinrent à penserqu'ils auraient avantage à chasser plus de gibiers pouraugmenter les échanges avec les Cougnagna. Mais,pour ce faire, ils devaient arrêter de transmettre leur artde la chasse aux adolescents, car malgré tout, cela prenaitdu temps d'entraîner les jeunes avec eux. D'autant plusque ces derniers faisaient parfois du bruit, ce qui faisaitfiiir les proies, et qu'ils rataient de temps en temps leurcoup, ce qui est normal lorsqu'on apprend. Or donc,pour satisfaire les besoins du village, les chasseursdevaient passer plus de temps en expéditions lorsquecelles-ci servaient aussi de formation aux jeuneschasseurs.

Lors d'un conseil, les chasseurs expérimentés décidèrentde se spécialiser et de confier la formation des jeuneschasseurs à d'autres hommes du village, qui avaient étéleurs élèves comme apprentis chasseurs mais qui étaientmoins habiles dans cet art parce qu'ils parlaient tropmême à la chasse. Ces hommes-là étaient les «sages»Blabla. Ces derniers ne virent pas trop d'inconvénients à

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ARC/ACTES DU COLLOQUE 1997

cette nouvelle fonction, d'autant plus que la confianceque le village leur accordait de former les jeunes leurparaissait une compensation pour la plus faible estimeque les mères leurs accordaient à lasuite de leurs moinsbonnes performances comme chasseurs.

Mais ces formateurs se trouvaient mal pris: il leur étaitdifficile de montrer comment bien chasser, alors qu'ilsn'étaient pas capables de le faire comme les chasseursexpérimentés. Se réunissant, ils échangèrent quelquesidées et, se souvenant des expéditions auxquelles ilsavaient participé, ils se dirent qu'ils pourraient se sortir dece défi en racontant aux jeunes comment les expérimentésfaisaient quand ils chassaient avec eux. En fait, cela faitmaintenant deux générations que la formation à l'art dela chasse se fait de cette manière, car les chasseurs expérimentés se sont désintéressés de la transmission deleur art pour se consacrer aux profits de la vente desproduits de leur chasse. Les jeunes apprennent par lerécit que les sages BlaBla leur font de la chasse desexpérimentés.

Mais, comme je l'ai raconté au début, les mères sontinquiètes, parce que les jeunes chasseurs ne rapportentplus assez de gibiers alors que, selon les traces observables, les excréments que l'on peut ramasser en forêt etles cris que l'on peut entendre àl'aube ou au crépuscule,

les proies sont toujours aussi nombreuses. La conclusions'impose, les jeunes chasseurs ne savent plus bien chasser.

Les mères ont donc demandé aux sorciers, aux chefs etaux marabouts Blabla de se pencher sur le problème etelles leur ont promis de belles récompenses lors desprochaines pleines lunes s'ils trouvaient une solution.Ils ont tenu de longues réunions, ils ont discuté, ils ontanalysé l'art de la chasse pour en conclure qu'il fallaitformer les jeunes, non plus en leur faisant le récit deschasses anciennes et de celles, fructueuses, des chasseurs expérimentés, mais qu'il fallait construire unethéorie de la chasse et l'apprendre aux futurs chasseurs!Pour donner une brève illustration de cette théorie, uneflèche ne serait plus une flèche, mais un mobile'percutant à trajectoire balistique; une proie deviendrait unpotentiel alimentaire passant de position d'arrêt àposition de fuite, etc.

L'un des sorciers fit remarquer que cette théorie étaitinsuffisante pour former les jeunes chasseurs. Encorefallait-il, dit-il, savoir comment les jeunes chasseurs sereprésentent ce que peut être un mobile percutant àtrajectoire balistique, avant de pouvoir le leur expliquer,par de petites expériences. Ce gourou convainquit mêmeles autres qu'il fallait mener une enquête auprès desjeunes et futurs chasseurs pour savoir comment ils

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conçoivent ce que peut être un potentiel alimentaire passant de position d'arrêt à position de fuite. Ensuite etsurtout, il leur dit que, pour que l'apprentissage desjeunes soit authentique, il faudrait partir des résultats decette enquête afin de leur faire découvrir par une discussion, entre jeunes chasseurs, ce que pouvait être laréalité construite d'un potentiel alimentaire passant deposition d'arrêtà position de fuite.

Aux dernières nouvelles, les mères du village n'ayantplus de quoi donner de la viande aux enfants et auxvieillards ont fait du troc. Elles ont échangé, contre de laviande, à des chasseurs de la tribu des Tiretoidela quipassaient aux environs du village en rentrant d'une expédition de chasse fructueuse, des ustensiles domestiquesachetés par les chasseurs Blabla expérimentés auxCougnagna. Les sages Blabla ont maintenant une grandethéorie de la chasse, mais leurs femmes, leurs enfants etleurs vieux dépendent maintenant du passage desTiretoidela pour mettre du jambon de cochon sauvagedans leurs sandwichs.

6. La recherche pédagogique entre rareté et marginalité

Évidemment, les chercheurs universitaires ne manquentpas, lorsque le débat s'ouvre , de trouver des cas quimontrent à l'évidence que des recherches pédagogiquesse font déjà depuis quelques années. Je le reconnaisaisément, ayant moi-même contribué à la direction detravaux de recherche menés par des enseignantes surleur enseignement. Mais une telle perspective de recherche est encore assez rare. De plus, elle est menacéeau niveau de sa reconnaissance institutionnelle, entreautres parce que son financement est difficile, sinonimpossible, parlesgrands organismes subventionneurs.

Pour diverses raisons, les organismes subventionneursfont évaluer les projets de recherches en éducation pardes comités composites où les psychologues, les linguistes, les sociologues, les économistes et autres collè-

Par exemple, à l'occasion du débat à propos de mon article sur lessavoirs enseignants et la professionnalisation, Danielle Raymondprésente une synthèse intéressante des travaux anglo-saxons et enrapporte plusieurs qui illustrent que cette perspective est déjà présentedans le champ. Voir: Raymond D. Éclatement des savoirs et savoirsen rupture: une réplique à Van der Maren. Revue des sciences del'éducation, vol. XK, n8 1, 1993, p. 187-200. On en trouveaussidesillustrations dans: Chevrier J., La recherche en éducation commesourcede changement. Montréal: Logiques, 1994.

Par exemple: fiattiisn Linda. Les mathophobes. une expérience deréinsertionau niveau collégial. Mémoire de maîtrise es arts. Facultédes sciencesde l'éducation, Université de Montréal, 1987. Voir aussi:Baribeau Colette. Enseignement d'un geste professionnel en milieuuniversitaire. Thèse de doctorat. Département d'études en éducationet d'administration de l'éducation, Université de Montréal, 1992.

gues des disciplines contributives sont très présents. Danscette situation, par méconnaissance des conditions de larecherche pédagogique et de la validité de ses méthodes,les projets les plus proches des problématiques et desméthodes des disciplines contributives sont évidemmentles mieux compris et les plus appréciés par ces comités.Aussi, les chercheurs en sciences de l'éducation quitiennent à obtenir des subventions ont un intérêt évident àprésenter des projets rédigés avec le langage, les méthodes et selon des problématiques proches de celles desdisciplines contributives dont des membres siègent dansces comités. Les chercheurs qui procèdent ainsi obtiennent des subventions et même parfois des prix d'excellence, mais leurs travaux ne peuvent pas contribuer à laformation desenseignants et à leur perfectionnement, pasplus qu'à lasolution des problèmes de lapratique.

Ensuite, il reste que les facultés et départements d'éducation ont euet éprouvent encore de la difficulté à fairereconnaître la valeur de ce qu'elles font comme enseignement et comme recherche par les disciplines qui sepensent scientifiques dans les «dites» sciences humaineset sociales. Pour obtenir ou maintenir une image sur lescampus, pour garder leur part dubudget lorsque vient lepartage de cequi reste entre lesdépartements, le comptedes subventions, des commandites et des publicationsdans les revues savantes constitue un indicateur majeurde performance. Pour que les jeunes professeurs puissent maintenir leurposte, les subventions obtenues et lespublications savantes restent la clef principale, bien enavant de la qualité de l'enseignement. Or, l'image de lapsychologie expérimentale, de la sociologie quantitativeet de la physique de la fin du siècle dernier restent surles campus et dans l'imaginaire de certains la normeidéale. Bien sûr, on rencontre de plus en plus de collègues qui tiennent à une autre conception du rôle desprofesseurs d'université, qui accordent la priorité à l'enseignement ou qui prônent une autre vision de larecherche, plus qualitative chez les uns, plus engagée etparticipative chez d'autres. Il n'en demeure pas moinsqu'un idéal implicite de scientificité règne sur la communauté universitaire qui discrédite les programmes deformation et de perfectionnent qui ne s'appuient pas surla recherche et qui, en ce qui concerne le 2e et le 3ecycle, ne comportent pas une part importante derecherchecomme principe de formation. Or, si la formation par larecherche est importante pourla formation d'un chercheurprofessionnel, rien n'a montré jusqu'ici que la formationpar la recherche étaient la voie royale de la formation etduperfectionnent des professionnels. Malgré cedoute surle rôle de la recherche dans les formations, sans recherche, le discrédit porte un nom: ce (ne) sont (que) desprogrammes professionnels. Or, en dehors du droit et demédecine, toutce qui porte l'étiquette professionnelle estdisqualifié, renvoyé aux liguesmineures.

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7.La recherche contextualisée, cette belle mal aiméeMais de plus, il ne s'agit pas là ne n'importe quelle recherche. Sont aussi disqualifiées les recherches quis'écartent du modèle nomothétique, c'est-à-dire de cellesdont la fonction est d'élaborer des connaissances théoriques fondées sur des données fidèles obtenues par desinstruments valides parce que construits à partir de lathéorie qu'il s'agit de mettre à l'épreuve. Pour tenu-compte des écrits et des conférences de Camille Limoges,certains concèdent que les recherches peuvent être con-textualisées. Mais, dans leur compréhension de la con-textualisation, s'il s'agit de partir de problèmes de lapratique, c'est pour construire des théories, pour élaborerdes connaissances fondamentales qui respectent lescritères classiques de la scientificité. Il s'agit doncseulement de contextualiser le départ de la recherche,mais pas de contextualiser ou de la recontextualiser àl'arrivée. La beauté du discours importe et non pas l'aboutissement de l'action.

8. Les zones d'ombre de la scientificité

Mais, puisque la scientificité est invoquée pour maintenirla suprématie du modèle «arts gratuits et sciences pures»,voyons de quelle scientificité il s'agit, même dans lessciences sociales et humaines. Selon le modèle implicitement établi, toujours nuancé quand on en discute, maissouvent radicalisé quand on l'applique pour juger de lavaleur des autres, est scientifique la recherche nomothétique et réfutable. Autrement dit, est «vraiment» scientifique larecherche qui produit des connaissances abstraites, idéalement formalisées et dont les propositions sontcohérentes entre elles, ayant fonction de lois ou de principes généraux, permettant d'interpréter, sinon de prédire,de vastes domaines de l'univers, et dont les énoncés!fondés sur des données quantifiées et statistiquementanalysées, sont testables et réfutables. Mais, la réfutabilité,ou possibilité de falsification par les faits, signifie seulement que les concepts de lathéorie scientifique etses loisdoivent pouvoir être traduits en faits observables dontcertains permettraient éventuellement delacontester.

Deux éléments de cette conception de la scientificité mesemblent être des zones d'ombres. D'abord, la falsifia-bilité, retenue àla suite de Popper, semble n'exiger que lapossibilité éventuelle d'un fait observable et répétable quiinfirme, fait extrait de l'ensemble de ceux qui composentles situations que la théorie est censée expliquer. Or, celalaisse laplace à laprotection des théories contre les faits:il suffit de déclarer que le fait qui in-firme est une exception, un fait qui sort du domaine d'application de lathéorie pour maintenir intacte sa validité. En somme, touten étant testable, la théorie se sauve en excommuniant lefait infidèle. On retrouve là le nomothétisme: ce qui im-

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porte est la cohérence de la théorie plus que son application aux situations.

Ensuite, selon cette conception, les situations que lesthéories sont censées expliquer peuvent être décomposées et leurs éléments isolés. Cette décompositionanalytique des situations en des séries d'éléments juxtaposés permet d'en extraire les éléments qui résistent auxthéories. Pour sauver les théories d'une réfutation, ilsuffit de réduire lacomplexité des situations en une suiteun peu compliquée et longue d'éléments ou de faitssimples (l'ordinateur devient utile ici) et de gommer, enle rendant exceptionnel, le fait gênant. La décontex-tualisation des situations par leur analyse en élémentsisolables permet de protéger la cohérence des théoriesen sacrifiant la cohérence des situations. Or, voilà unefaiblesse des théories que d'autres épistémologues,comme Nicolas Rescher, n'acceptent pas.

9. Il n'ya pasde sciencesans pertinence

En plus de la réfutabilité, Nicholas Rescher, dans sontravail sur la systématisation cognitive'5, propose undeuxième critère de scientificité: le double cohérentisme.Rescher considère que toute théorie scientifique est unsystème d'énoncés non hiérarchisé, mais en interconnexion. Il appelle ces énoncés théoriques les «donnéespures», «filtrées», avec lesquelles l'esprit travaille pourinterpréter les événements du monde. Lors d'une réfutation d'un de ces énoncés, c'est l'ensemble du système quise trouve être contesté par l'introduction d'une incohérence (ou inconsistance) entre les énoncés. Observantles théoriciens, il constate que, pour réduire l'inconsistance, ceux-ci sélectionnent, dans l'ensemble inconsistant, un sous-ensemble tel que ses éléments sontcompatibles entre eux et le plus nombreux possibles.C'est le principe de cohérentisme. Mais, le cohérentismeimplique un double contrôle: les énoncés doivent être cohérents entre eux et les données qui les mettent à l'épreuve doivent aussi être cohérentes entre elles. On nepeut donc sélectionner dans l'ensemble possible desdonnées empiriques ou pratiques, que Rescher appelle les«données brutes», celles qui feraient l'affaire pour rétablirla cohérence des énoncés théoriques, car cette sélectionintroduirait une inconsistance dans le système des pratiquesdont le système théorique est censé rendre compte. Celaveut dire que, lors d'une réfutation, il n'est pas possibled'identifier et de localiser les éléments du systèmethéorique qu'il faut ajuster sans référence aux intérêtspratiques (les actions) qui ont suscité la recherche de

\t

o, r,ich,0,fM Rescher. Methodolngvral Pragmati.m Oxford:70™;' ' Ct Cognitive -W^ripr^p 0xford. Blackwe„1Z \u L°U* Une discussion ou Pour Plus de détails, voir J.-F.Malherbe. Epistémninpifc A^glcsaxnnn^ paric. pyp 19gl

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nouvelles connaissances. Autrement dit, c'està partir delaconsidération, dans sa complexité, de la situation qui aposé problème à la théorie qu'une reconstruction de lathéorie est possible. Comment? En éliminant les énoncésthéoriques incompatibles avec l'ensemble de la situationproblématique eten les remplaçant par d'autres qui tiennent compte dela situation tout en étant cohérent avec lereste des énoncés théoriques. Cette exigence doublementcohérentiste est un critère important dans la délimitationdes connaissances scientifiques d'un domaine professionnel comme celui de l'éducation.

DEUX CONSÉQUENCES DÉCOULENT DECECI.

D'abord l'application des théories des disciplines contributives pose un problème de scientificité. Si elles peuvent être scientifiques dans leur domaine de vérité,comme l'explication des faits de pensée pour la psychologie et des comportements sociaux pour la sociologie, ilest clair qu'elles perdent leur scientificité lorsque certainsprétendent les utiliser pour fonder les pratiques éducatives. En effet, n'ayant pasétéconstruites en fonction desconditions qui définissent la situation péda-gogique, ellesne peuvent s'y appliquer sans «neutraliser», en lesignorant, un certain nombre d'éléments consti-tutifs dessituations d'enseignement. Pour faire bref et enfoncer ceclou par une boutade, Clermont Gauthier, de l'UniversitéLaval, dit que, parexemple, le problème pédagogique dubehaviorisme est qu'il n'y avait pas 30 rats dans la cagede Skinner.

Ensuite, si le discours pédagogique doitêtremarqué d'unerationalité pour devenir scientifique en sedémarquant desopinions et des jugements émotifs, il ne peut construirecette rationalité en empruntant ailleurs qu'aux situationsd'enseignement. Larationalité, enéducation et plus spécifiquement en pédagogie, ne peut provenir d'un discoursquelconque qui aurait mis à distance les situations pédagogiques pour, grâce à cette médiation étrangère, les observer, les dénommer et les interpréter. La rationalitépédagogique ne peut qu'émerger d'une analyse comparativedes situations pédagogiques, en tenant compte de leurcomplexité et en exploitant les catégories, le vocabulaireet les images que les praticiens utilisent quand ils enparlent entre eux, quand ils échangent pour les comprendre. Je n'ai entendu, à cejour, aucune raison, qui nesoit pas une pétition deprincipe, qui justifie lasuprématiedes discours savants étrangers au pédagogique sur lediscours des praticiens de l'enseignement, lorsqu'il s'agitde com-prendre les situations d'enseignement. L'éso-térisme des discours psychologiques, sociologiques ouéconomiques par rapport aux mots des enseignants àpropos de leurpratique ne constitue aucunement un gagede scientificité. Il n'est qu'un leurre et un signe de colonialisme. Difficile de le reconnaître et de s'en débarrasserlorsque, professeur en sciences de l'éducation, c'est dans

une des disciplines, dite contributives, que nous avons prisune partie de notre formation, ce qui est le cas de laplupart des «vieux» de plus de 50 ans puisqu'au momentde leur formation le doctorat en éducation n'existait pas,du moins au Québec.

10. Pour quelle situation la recherche pédagogique doit-ellepertinente

Peter Checkland, lepère dela méthodologie des systèmessouples, explique que, si on veut comprendre un systèmeproblématique, il faut essayer d'en dégager les traits debase, les définitions qui expriment l'action ou la fonctionpour laquelle ila été créé etles conditions dans lesquellescette action ou cette fonction doivent être réalisées.

Qu'est-ce donc qui se passe dans une classe? Il semble, àl'analyse de quelques situations, que l'onpuisse décrire cequi s'ypasse comme une chaîne d'actions conditionnelles.Le tableau 1 ci-dessous présente cettechaîne.

Tableau 1. L'algorithme pédagogique: la chaînedes conditionsd'actions d'un enseignement

1. Sousdes conditions de contexte et d'environnement1.1. c.-à-d. de ressources et de contraintes (matérielles,

physiques, humaines)2. une mise en page et3. une mise en scène4. parunenseignant «P»5. d'un contenu «S» de savoir5.1 connaissances (Se)5.2. habiletés(Sh)5.3. procédures (Sp)6. provoque chez lesétudiants d'une classe «Alpha

{A1,A2,A3...A47,An}»7 une étude (activités mentales, motrices, affectives)7.1. telle qu'il en résulte8. un apprentissage (processus et produit) de «S»8.1. tel que sous desconsignes oul'exigence d'une

situation

9. tout«Alpha» produise un savoir «S'»10. qui présente unecorrespondance10.1. de forme (morphologique)10.2. déstructure

10.3. de sens

10.4. de fonction

11. suffisante avec le savoir «S»12. pour témoigner de son apprentissage effectif.

L'algorithme pédagogique ci-dessous présente cequi noussemble être la description minimale, la définition de basede la situation pédagogique. Dès lors, tout discoursthéorique, toute rationalité qui ne prendrait pas en compte

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l'ensemble de cet algorithme parle d'autres choses quedes situations pédagogiques.

Depuis le XVIie siècle, lorsque les enfants furent réunisdans des classes pour apprendre sous la direction demaîtres, la situation du tableau 1, déjà assez complexedoit être complétée par la prise en compte des rapportsde pouvoir dans lesquels l'action des enseignants s'effectue. Ce sont les éléments de base qui définissent uneclasse dans une école. Ils sont présentés au tableau 2

Tableau 2. Les huit traits fondamentaux du rapportpédagogique

Un individu censé savoir (adulte)en contactrégulieravec un groupe

d'individus censés apprendre (élèves, étudiants)dont la présence est obligatoirepour leurenseignerun contenu socialement donnépar une série dedécisions prises en situationd'urgence

Le 5e trait du rapport pédagogique peut s'exprimer autrement lorsqu'il s'agit de l'enseignement post-secondaireMais, il reste semblable, même si l'obligation de la présence n'est plus légale. En effet, l'obtention du diplômequi donne accès aux métiers et aux professions et, par là àl'autonomie financière de l'adulte, implique généralementetquasi obligatoirement que les étudiants suivent les coursdu programme de formation professionnelle ou de préformation (cégep général) professionnelle. Aussi, nouspensons qu'avec cette nuance, les huit traits du rapportpédagogique s'appliquent aussi à l'enseignement post-secondaire dans les formations initiales aux métiers et auxprofessions.

Mais, le professeur et ses élèves dans la classe neconstituent pas la totalité de la situation pédagogiquemême s'ils en sont le noyau. L'action de l'enseignant sedéroule dans le cadre d'une institution qui a aussi desfinalités, des priorités, des urgences et des contraintesqui ne coïncident pas nécessairement avec celles qu'a pudévelopper chacun des enseignants avec ses élèves Enoutre, lorsqu'on s'arrête à la question de la délimitationdu contenu du savoir à enseigner et de la manière de1enseigner, force est de constater que plus d'un autreont leur mot à dire, ou font comme s'ils yavaient droit-les parents, les collègues du département, les spécialistesuniversitaires de la discipline, le syndicat, les ordresprofessionnels lorsqu'il yen a, le conseil du patronat lespoliticiens, les églises, les ministères intéressés, et peut-être faudrait-il mettre un «etc.» en pensant aux groupes

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de pression intéressés par l'école comme lieu d'intervention, comme ceux qui se préoccupent de la préventionen santé, de la pauvreté, des armes à feu, de l'écologieetc.! Or, parfois, on est contraint d'en tenir compte si l'onveut comprendre ce qui se passe à l'école, si l'on veut yagir ou si l'on doit yagir. Et comment ne pas tenir comptede la complexité de cette situation en choisissant desthéories lorsqu'on doit former de futurs enseignants? On adonc besoin de préserver un plus grand espace pour larecherche pédagogique.

11. La recherche pédagogique comme recherche pratiqueLa recherche pédagogique en tant que recherche pratiques'oppose àla recherche scientifique àvisée nomothétique.Pour cette dernière, qui vise la construction, la contestation et la vérification d'énoncés théoriques, le terrain despratiques n'est souvent qu'un prétexte, un alibi pourjustifier le discours théorique. Elle diffère aussi de la recherche scientifique àvisée nomologique (c.-à-d. qui alesformes et les prétentions de la science, même en scienceshumaines). Elle ne cherche pas le formalisme dont l'idéalréside en des formules symboliques, ésotérique (langagetechnique incompréhensible, comme le langage des prêtres). Elle ne cherche pas plus àatteindre l'universel, quidégage des principes, des structures (lois) applicables àtout un domaine.

Elle diffère de la recherche scientifique parce que savalidité tient essentiellement à sa contribution ou à sapossibilité d'application à la pratique pédagogique desenseignants. Ce qu'elle vise, c'est de les instrumenter, deles aider à agir et à interpréter les difficultés de leursactions afin de leur permettre d'en accroître la maîtrise.

Pour instrumenter les praticiens de l'enseignement (éducation) cette recherche doit:

• partir de leurs problèmes, en tenant compte de leurscontraintes et priorités;

• être formulée à partir de leur langage, de leurs représentations, de leurs images afin de leur fournir desoutils, des moyens, des instruments leur permettant detrouver leurs solutions éventuelles dans leur pratiqueéducative .

hZT 7fJCT Maren' J'M- ProPositi°ns Pour une recherche aubénéfice de léducation, dans Les enjeux du savoir, numéro spécial de

JL„ L ?• P- 129-161 (revue du Centre interdisciplinaire?m mIÏ rP5'qUeS de rUniversité de Mons). et Van der MarenJMi: Méthodes de rcrherch,. pn,,- i^..„^n Cn . ,.

*ZT2^?Zmucation-Montréal: PUM: B™e,,es:

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12.Recherche pédagogique et raisonpratiqueL'objectif de la recherche pédagogique n'est pas lavérité (jugement vrai ou faux sur les énoncés d'unethéorie). Son objectif est sa fonctionnalité. Étant donnéun ensemble de priorités et de contraintes, les questionsqu'elle pose sont: est-ce que ça fonctionne? Est-ce queça marche? Peu importe pourquoi, mais cela doit êtresatisfaisant, efficace, efficient, en respectant un ensemble de valeurs et de coutumes (normes sociales etmorales).

Une des raisons de ne pas chercher la vérité et de selimiter à la fonctionnalité comme critère de validité delarecherche pédagogique tient à la complexité de lasituation. Dans le domaine des applications, (que cesoiten sciences humaines, en génie ou en médecine), lessituations sont trop complexes pour être analysables etsurtout résolues par une seule théorie. Pour construire unobjet qui fonctionne dans le réel, on abesoin d'utiliser desmorceaux de théories diverses en faisant descompromis.Un objet fonctionnel est par nécessité composite, éclectique. Par exemple, la construction d'une voitureutilisable par des clients ordinaires impose de faire descompromis entre différentes exigences (économie <->vitesse, stabilité <-> douceur de roulement, etc.) qui réfèrent à des solutions théoriques contradictoires. Dans ledomaine technique, c'est souvent évident et admis. Dansle domaine médical, on sait aussi qu'il va falloir composer, par exemple, entre les effets principaux, recherchésd'un médicament et ses effetssecondaires. Il ne faut pasque pour guérir le patient d'une maladie, on en arrive àle tuer par une autre! En éducation, la fonctionnalitéexige aussi des compromis. Par exemple, la rédactiond'un manuel utilisable dans une classe devra composeravec les exigences de divers spécialistes, comme lespécialiste de la discipline, le didacticien, le psychopédagogue, mais aussi l'éditeur, l'imprimeur, le budgetdes parents et des écoles, etc. La quête de vérité recherchée par chacune des théories est reléguée derrièrela fonctionnalité du matériel ou de la situation. Cettedernière sera souvent, non pas interdisciplinaire, maistransdisciplinaire (ou transthéorique), au sens où lasolution pratique emprunte ses éléments à travers lesthéories et les disciplines, prenant tantôt un élément del'une, tantôt un élément de l'autre. De ce point de vue,la pratique fonctionnelle transcende les théories. Ce quiimporte, c'est que cela soit satisfaisant, que cela soitefficace et que cela respecte les exigences et lescontraintes du contexte de l'utilisation.

La recherche pédagogique est donc aussi une recherchecontextualisée. C'est aussi une recherche opportunisteau sens où elle tente de «faire bien dans les conditions

qu'on vit et avec les ressources que l'on a» . Elle saisitdonc les occasions, elle estfonction des occasions qui seprésentent. C'est aussi une recherche àvisée écologiqueet professionnelle. Écologique, parce qu'elle cherche àmaintenir ou à enrichir la qualité des rapports entre lepraticien, ses partenaires et son milieu, sans compliquerces rapports. Professionnelle, parce qu'elle cherche àmaintenir, sinon à augmenter, la maîtrise du praticiensur ses gestes professionnels età augmenter son contrôlesur les conditions de son action.

Pour respecter ces exigences, une notion de base eningénierie devient un pivot de la recherche pédagogique:le cahier des charges. Le cahier des charges est la listedes fonctions ou des actions, des caractéristiques, desexigences, des contraintes et responsabilités que doitrespecter ce qui prétend pouvoir réaliser une tâche. Lecahier des charges définit cequi estattendu d'un projet,ce qu'il fera et les conditions dans lesquelles il le fera:qui doit faire quoi, comment, avec qui et avec quoi,disposant de quelles ressources, avec quelles responsabilités, dans quels délais, avec quels moyens, etc.?C'est en fonction de cette liste d'attentes et de conditions que ceux qui prétendent réaliser le projet planifieront sa mise au point. Ceux qui veulent évaluer leprojet devront aussi tenir compte du contenu du cahierdes charges s'ils veulent vraiment évaluer le projet entenant compte de son contexte. Un des problèmes de larecherche évaluative en éducation, parce qu'elle n'a passouvent été conçue dans le cadre d'une raison pratique,réside dans le flou artistique, sinon dans les contradictions, du cahier des charges implicite des projets dusystème d'éducation, de quelque ordre scolaire que cesoit.

13. Recherche pédagogique, écriture et instrumentation deterrain

Comme toute recherche, la recherche pratique est confrontée à l'exigence de l'écriture, de la trace écrite. Larecherche pédagogique porte sur des événements, surdes comportements, sur des paroles et des actions, surdes pensées, des intentions qui sont éphémères, fugacescomme le vent ou immatérielles comme l'âme. Et cesévénements ou ces pensées disparaissent une fois qu'ilsse sont produits, si une trace, directe ou indirecte, n'enest pas construite. Sans une instrumentation, nous n'enavons pas de trace, sauf celle du souvenir. Or, le souvenir trahit des traces du passé, même du présent qui vientde passer.

En fait, les données de base de toute recherche ne sontpas les événements, les actions ou les pensées, elles sont

Pierre Gillet. Pour une pédagogique, o» l'enseignant praticien.Paris: PUF. 1987.

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constituées par les traces, les marques graphiques laissées ou obtenues par des instruments. Même si noussommes concernés par des sujets intentionnels, quipensent et qui désirent (ou ne désirent pas), le matérielde la recherche en sciences humaines n'est pas dessujets, c'est des objets: les traces chosifiées dans l'écriture ou le graphisme de l'activité de ces sujets.

C'est donc un système inscripteur (parfois réduit à1observateur, son stylo et sa feuille), qui permettrad obtenir la trace sur laquelle on va travailler. Dès lorson rencontre le problème de la qualité de la trace'problème semblable àcelui de la qualité du témoignage'Au tribunal, on fait la critique du témoignage (c'est lerôle des contre-interrogatoires) pour savoir si le témoina dit la vérité, rien que la vérité, et toute la vérité Enrecherche, la trace doit aussi être toute la trace, rien quela trace et la bonne trace. On aura donc às'interrogersur la question de ce qu'on appelle, dans le jargon technique, \a fidélité (rien n'a été omis, rien n'a été ajouté-la trace est vraie) et la validité (c'est la bonne trace, unetrace pertinente de l'événement et pas celle d'un autre).

Mais, si la raison pratique se pose aussi la question de lafidélité et de la validité des traces, elle n'en fera pas uneobsession. Pourquoi? Parce que dans la pratique, le praticien ne va pas se poser des questions métaphysiquesepistémologiques, académiques'8 sur la valeur des observations qu'il recueille: il n'a pas le temps de se construire une instrumentation compliquée. Quand un élèvefait quelque chose qui interpelle, il ne peut pas lui diredattendre une minute afin d'aller chercher le spécialistepour construire un instrument de mesure de ce qu'il fait'Le praticien se débrouille pour enregistrer la chose toutde suite. De plus, la situation est plus complexe quecelle du psychologue qui a un sujet devant lui- l'enseignant en a une trentaine à observer. Il ne pourra pasconstruire des instrumentations aussi robustes en matièrede validité et de fidélité que celles des observationsprises en laboratoire. Mais le praticien travaille quandmême avec des traces et il est important que la traceutilisée soit «toute la trace, rien que la trace et la bonnetrace».

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La trace usuelle accessible au praticien est, habituellement, une trace particulière car son observation estparticulière. Le praticien ne prend pas des mesures- ilobserve des signaux, c'est-à-dire des ensembles de signesqui commandent l'exécution d'une action d'une manièrequasi automatique: «quand je vois «ça», je fais ceci etquand je vois «ci», je fais cela». Pourquoi? Parce quecest comme cela qu'on a appris à réagir, parce que c'estefficace. Ce que «ci» et «ça» signifient peut être intéressant, surtout d'un point de vue académique, mais celaest accessoire pour l'action. De plus, ces observations ouces «mesures pratiques» sont analogiques: elles ne sontpas numériques (ou digitales) comme les «mesures scientifiques». Analogiques, elles sont la perception simultanéedun ensemble, elles forment des gestalts, des structuresholistiques, c'est-à-dire des totalités difficilement dé-composables en parties et morceaux. En outre, elles sontqualitatives et approximatives, un peu comme les paramètres de la logique floue9 qui diraient d'un élève qu'ilest un peu intelligent (à 70 %de l'intelligence totale) etpas mal rusé (à 80 %de la ruse totale), ce qui en fait uneleve brillant (à 100%).

Les mesures ou les paramètres20 de la pratique sont doncassez souvent analogiques et flous. Mais, dans lamesureou la recherche pédagogique est pratique et doit utiliserles outils disponibles et accessibles sur le terrain de lapratique, ils doivent être plus rapides et efficaces dansIaction. Cependant, malgré les apparences, il n'y a pasnécessairement contradiction entre l'analogique et leflou d'une trace, d'une part, et sa fidélité et sa validitédautre part. La prise en compte des caractéristiques dela pratique n'élimine pas les exigences méthodologiquesde rigueur; elle renverse simplement les priorités. Bienqu analogique et floue, la trace pratique devra cependantêtre toute la trace, rien que la trace etla bonne trace.

14. Recherche pédagogique, en équipe et partenariatEnfin, comme la recherche pédagogique se déroule surle terrain des acteurs et avec les acteurs, la question d'untiers témoin se pose. La recherche pédagogique ne peutse faire en solitaire. Une fois la trace obtenue, uneseconde médiation est importante. L'analyse et la réflexion du praticien ne peuvent pas être complètes si desquestions ne lui sont pas posées par un tiers, le tiers-témom, dont l'attention n'a pas été accaparée par latache et dont le champ perceptif n'a pas été focaliséSans être complice, le tiers-témoin doit cependant être

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H^iTVrdieU ?utoait de questions Mastiques (ou académiques. Comme .1 le dit, il faut avoir des loisirs; peut-être Zaïeux, mais des loisirs quand même, c'est-à-dire ne pas ê£ prÏÏé parle temps et par l'argent, dans la mesure où le temps '̂es^e ïgemTE/T ^.P°SsibiHté> ,a liber*. *désengagement et le recTsuÏbeslTstorim"" k^ PlUtÔt qUC dC l"* "uand —Desoin de sexprimer, pour s'interroger sur la valeur relative desgrammaires plutôt que de se contenter d'écrire correctement cotbe, cest que b.en des discoureurs sur la langue sont incapablesdécrire correctement et lisiblement. Dans Pierre Bourdieu Spratiques, Sur la théorie <ie l^i™ Paris; Seui, 1994 ' 2fSLe point de vue scolastique. V'

Arturo Sangalli. une logique Houe, floue, floue, ou l'art de calculeravec des mots. Interface. 1996, vol.17, n° 5. p. 38-46.

lP^onlreSUne Variabk P°Ur ,aqUdle UnC °U d6S ™» P-en,

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ARC/ACTESDU COLLOQUE 1997

comparse. Sans être un juge qui ne condamne pas et quiabsout tout, il doit être ouvert à l'expérience qui lui estrapportée dans les traces pour pouvoir l'accueillir,l'écouter, se laisser interroger sans se refermer par cequ'il découvre et être aussi capable de lui poser desquestions. Le comparse, analysant avec le praticien latrace des événements, peutposer des questions en tenantcompte de l'ensemble des éléments du contexte dont lepraticien n'a perçu que des signaux privilégiés. En contrepartie, le praticien qui ainsi s'expose, peut demanderau comparse d'exprimer sesperceptions de ce contexteet les liens qu'il pourrait établir entre d'autres signaux etdes actions possibles dans le même contexte. Autrementdit, le praticien peut raffiner l'analyse de son action en demandant au comparse, qui n'ya pas été mêlé, de formulerdes hypothèses d'actions alternatives àcelle entreprise. Sile comparse peut lui proposer, non pas des explications oudes évaluations de l'action, mais des simulations de remplacements, alors le praticien peut confronter ce qu'il afait avec d'autres possibles et mieux comprendre ladynamique de sesdécisions.

En ce qui concerne le choix du tiers-témoin, la premièrepersonne à envisager est un autre praticien, et pasnécessairement un senior. Même uncollègue plus jeunepeut poser de bonnes questions et suggérer des solutionspertinentes à la situation examinée. Le meilleur analystedu travail d'un artiste, lorsqu'il s'agit non pas decritiquer mais d'améliorer, doit être un comparse (maispas un complice): pour un acteur, c'est un autre acteur,le metteur en scène ou un autre artisan du spectacle. Lameilleure analyse provient dequelqu'un qui fréquente lacoulisse, c'est-à-dire dequelqu'un qui est au courant descontraintes qui délimitent l'action. Encore faut-il trouverun collègue qui ait la disponibilité et l'intérêt pour unetelle recherche. Là intervient le partenariat avec certainsuniversitaires, sans doute pas tous, des sciences del'éducation. Comme formateurs d'enseignant, ilssont intéressés au développement, à l'amélioration et à lavalidation des connaissances pédagogiques auxquellesils devraient recourir dans leurenseignement. En plus del'intérêt, ils sont aussi censés consacrer du temps à larecherche. Aussi ce sera sans doute plus souvent unformateur (le tuteur oule directeur de recherche) ou unautre chercheur qui se présentera comme analyste.Mais, le tiers analyste devra, dans la recherche pédagogique, être un co-analyste, un provocateur d'analyseplus qu'un énonciateur d'analyse, ce qui n'est pas simplelorsque cerôle estjoué parun formateur.

15. Conclusion: que propose la Faculté des sciences del'éducation de l'Université de Montréal?

Dans cette proposition pour l'émergence d'une recherche pédagogique, il est clair que les universitairessont demandeurs d'un nouveau partenariat. Comme leQuébec après une hypothétique indépendance, leschercheurs qui sesont séparés de lapratique, pour causeépistémologique, font aux praticiens de l'enseignement, entre autres à ceux de l'ordre collégial, une offrede partenariat.

Pour concrétiser cette offre, la Faculté des sciences del'Éducation de l'Université de Montréal travaille à mettre au point un diplôme de troisième cycle en recherchepédagogique. 11 s'agira d'un programme de 30 créditsconsistant essentiellement en la réalisation, par despraticiens de l'enseignement, d'une recherche pédagogique sur leur terrain avec la collaboration et l'aided'au moins deux professeurs. Le curriculum est centrésur l'activité derecherche pédagogique réalisée enéquipe,plusieurs praticiens avec les professeurs. L'apport théorique sera guidé par la nécessité d'instrumenter, concep-tuellement et méthodologiquement, le projet de recherche. Le mode séminaire de lecture assortie de discussion sera privilégié. La recherche pédagogique serasanctionnée, après la soutenance devant un jury comportant des praticiens et des universitaires, lorsque lapreuve d'une diffusion des résultats dans le milieuprofessionnel aura été faite. Une présentation dans uncolloque comme celui de l'ARC pourrait en tenir lieu.Ce projet devrait être soumis aux instances de l'Université à la fin juin 1997. Une première cohorte depraticiens pourrait commencer ce programme en mai1998.

Que vous ditun tel partenariat?

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