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Mémoire de fin d’études et de recherche appliquée éTAT DES LIEUX DE LA PHOTOGRAPHIE CULINAIRE Quelle place pour l’auteur dans la photographie culinaire ? PARTIE I Présenté par Ava du Parc Promotion photographie 2013 Sous la direction de Christophe Caudroy Enseignant à l’École Nationale Supérieure Louis Lumière Membres du Jury Christophe Caudroy, Françoise Denoyelle, Pascal Martin, Hélène Perrin École Nationale Supérieure Louis Lumière

état des lieux de la photographie culinaire...Photography , food, still life, styling, author 5 remerciements — Je tiens à remercier Christophe Caudroy, mon directeur de mémoire,

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Mémoire de fin d’études et de recherche appliquée—

état des lieuxde la photographie culinaire

Quelle place pour l’auteur dans la photographie culinaire ?

partie i—

Présenté par Ava du ParcPromotion photographie 2013

Sous la direction de Christophe CaudroyEnseignant à l’École Nationale Supérieure Louis Lumière

Membres du JuryChristophe Caudroy, Françoise Denoyelle, Pascal Martin, Hélène Perrin

École Nationale Supérieure Louis Lumière—

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Mémoire de fin d’études et de recherche appliquée—

état des lieuxde la photographie culinaire

Quelle place pour l’auteur dans la photographie culinaire ?

partie i—

Présenté par Ava du ParcPromotion photographie 2013

Sous la direction de Christophe CaudroyEnseignant à l’École Nationale Supérieure Louis Lumière

Membres du JuryChristophe Caudroy, Françoise Denoyelle, Pascal Martin, Hélène Perrin

École Nationale Supérieure Louis Lumière—

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résumé—

La photographie culinaire est un genre photographique en vogue. Les livres de cui-sine sont disponibles dans de nombreux commerces, les émissions culinaires se mul-tiplient à grande vitesse, dans chaque restaurant des consommateurs photographient leurs plats, les chefs sont désormais des célébrités connues du grand public.

Au-delà de cette première considération, de réelles problématiques apparaissent. Le photographe est désormais acteur d’une industrie prolixe, aux nombreux intervenants. Internet, plateforme de découverte et d’essor de nombreux domaines, par-ticipe à sa manière au développement de la photographie culinaire. Chacun s’y essaie avec ses moyens, le smartphone étant un outil de prise de vue privilégié. Ainsi, le photographe se trouve noyé dans une masse d’individus, ama-teurs de cuisine, de photographie ou des deux, et se doit de se différencier. Si le travail en équipe peut lui permettre d’accroitre la qualité dans ses images, cela peut aussi bien le reléguer au simple statut d’exécutant. Stylistes et autres directeurs artistiques tiennent une place majeure dans la fabrication des images. En même temps, ils définissent des codes que le photographe se voit obligé de respecter. Par ailleurs, les flux de production classiques se voient réorganisés par les pratiques de la photographie culinaire. En effet, ce genre est si codé que les modèles de production actuels ne suffisent pas à répondre à ses besoins, ils sont modifiés, inversés, adaptés. Cela montre que l’imagerie culinaire est un genre particulier.

Tel est l’enjeu du photographe, s’identifier comme auteur afin de ne pas être absorbé par les méandres des productions.

Mots-clefs :Photographie , culinaire, nature morte, stylisme, auteur

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abstract—

Food photography is a photographic genre in fashion. Cookbooks are available in many commercial establishments, cooking shows multiply at a breathtaking rate, in every restaurants people take picture of their dishes, chefs are now celebrities well known to the general public.

Above this primary consideration, well major problems appear. Photographer is now player of a long-winded business, with numerous pannelists. Internet, platform of discoveries and rises of many areas, contributes in its ways to the developpement of food photography. Each one can try it by itself, smart-phones being excellent shooting tools. Therefore, photographer is lost in a large number of individuals, food and photography lovers, and has to take the lead. If teamwork can enable him to increase the quality of his images, this can also relegate him to the level of mere executor. Food stylists and art directors have an important role in the making of pictures. At the same time, they define codes the photographer must respect. Workflows are also reorganised by food photography practices. Indeed, this genre is so coded that models of production cannot suffice to fulfill his needs, they are changed, reversed, adjusted. This shows that food photography is a specific gender.

This is the issue for photographers, to identified as an author in order not to be ab-sorbed by the meanders of productions.

Keywords :Photography , food, still life, styling, author

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remerciements—

Je tiens à remercier Christophe Caudroy, mon directeur de mémoire, pour avoir diri-gé ce mémoire avec autant d’intérêt.Je remercie sincèrement les membres du jury, Françoise Denoyelle, Pascal Martin et Hélène Perrin, pour leur lecture.Je remercie l’ensemble des enseignants de l’École Nationale Supérieure Louis Lu- mière, pour leur enseignement enrichissant.

Je remercie Yann Gratier de Saint-Louis, Karine Duperret, Olivier Percheron et Sté-phane Doulé, pour avoir partagé leurs connaissances et leurs contacts avec moi.

Je remercie Jean-Charles Bassenne pour son aide précieuse.

Je remercie mes camarades de classe et en particulier Louis, Anna, Zoé, Rodrigue et Léa.

Je remercie l’ensemble des professionnels qui ont pris le temps de répondre à mes questions  : Yves Bagros, Jean-Blaise Hall, David Bonnier, Élodie Brunelle, Sylvie Bouscaillou, Thomas Dhellemmes, Mathilde de l’Écotais, Marie-Laure Tombini, Jean-Pierre P.J Stéphan, Rip Hopkins, Antoine Mercusot, Jessie Kanelos Weiner, Florian Garnier, Laurent Séminiel, Églantine Lefébure, Charlotte Graillat, Alice Gouget, Adé-laïde Samani, Hélène Mörch-Bernard et Éric Dupont.Ainsi que tous ceux qui ont répondu à ma demande : Mitch Feindberg, Garlone Bar-del, Valérie Henry et Marie Leduc.

Je remercie mes parents, Sylvie et François, pour leur soutien, leur confiance et sans qui je ne serais pas là.

Je remercie tout particulièrement Romain Bassenne, pour son soutien, sa présence et sa patience.

And You.

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SOMMAIRE Résumé abstRact RemeRciements tabLe Des matièRes intRoDuction

étAt dES lIEux dE lA phOtOgRAphIE culInAIRE

i .1 HistoRique De L’iconogRapHie

i.1.1 les prémices du livre de cuisine

i.1.2 la photographie culinaire, parent pauvre de la photographie d’arti.1.2.1 La représentation des œuvres en galerie i.1.2.2 La côte des oeuvres de photographie culinaire

i .2 coRpus

i.2.1 les livres

i.2.2 la publicité

i.2.3 internet1.2.3.1 Les réseaux sociaux1.2.3.2 Les blogs1.2.3.3 Les sites participatifs

i.2.4 les applications

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i .3 à L’oRigine Des coDes

i.3.1 la direction artistique1.3.1.1 Les lignes éditoriales1.3.1.2 Le stylisme

i.3.2 les circuits de production1.3.2.1 L’édition1.3.2.2 La publicité

i.3.3 la techniquei.3.3.1 L’éclairagei.3.3.2 macrophotographie et Floui.3.3.3 Le stylismei.3.3.4 La retouchei.3.3.5 L’arrivée de la vidéo

lA plAcE du phOtOgRAphE

i i .1 un Domaine où cHaque acteuR peut êtRe auteuR

ii.1.1 le styliste

ii.i.2 le directeur artistique et l’acheteur d’art

ii.1.3 le photographe

ii.1.4 analogies avec d’autres branches de la photographieii.1.4.1 La modeii.1.4.2 La publicité

ii .2 une autonomie De pRoDuction

ii.2.1 l’implication dans le stylisme

ii.2.2 les nouveaux flux de production

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i i .3 La pLace actueLLe Du pHotogRapHe ii.3.1 une reconnaissance liée aux types de publication

ii.3.2 un processus de création conditionné par le secteur de diffusion ii.3.3 photographe de nature morte : une dénomination imprécise

ii.3.4 le photographe culinaire vu par…ii.3.4.1 … ses pairesii.3.4.2 … ses collaborateursii.3.4.3 … les amateurs

ii .4 La pateRnité De La pHotogRapHie

ii.4.1 le cas de la photographie de commande

ii.4.2 la frontière ténue où le directeur artistique devient l’auteur

l’évOlutIOn dE lA phOtOgAphIE culInAIRE i i i .1 Les FacteuRs De cette évoLution

iii.1.1 la prise de vue numérique : nouvelles approches

iii.1.2 la démocratisation d’internet : réseaux sociaux et smartphones

iii.1.3 l’influence des agences de communications

iii.1.4 nos pratiques culturellesiii.1.4.1 Les modes alimentaires iii.1.4.2 L’esthétique dans l’assiette

i i i .2 Les possibiLités De L’évoLution

iii.2.1 les cas où le photographe est reconnu comme auteur

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iii.2.2 les secteurs sujets à une évolution de la photographie d’auteur

iii.2.3 une évolution du marché de l’art

i i i .3 inteRnet, suppoRt D’aveniR ?

iii.3.1 un champ de possibilités non expérimenté

iii.3.2 l’essor des livres et magazines sur tablettes numériques

concLusion

bibLiogRapHie tabLe Des iLLustRations pRésentation De La paRtie pRatique

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79

81

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90 93

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introduction—

L’imagerie culinaire est omniprésente dans notre quotidien. Cependant, l’absence d’études à son sujet ainsi que le peu de reconnaissance accordée aux photographes attestent de son statut de parent pauvre de la photographie, en particulier en France. Aujourd’hui, bien que montrée sur de nombreux supports, du livre au ré-seau social en passant par le catalogue et le blog, la photographie culinaire n’est pas entièrement reconnue à sa juste valeur. Les nombreux évènements qui se créent autour de ce genre photogra-phique, par leurs instigateurs, cherchent à donner à la photographie culinaire ses lettres de noblesse. Si son évolution est probablement liée à nos pratiques culturelles et à nos habitudes alimentaires, son manque de reconnaissance l’est aussi. En effet, ce genre est mieux reconnu outre-Atlantique.

Dans un premier temps, nous élaborerons une courte histoire de la photographie culi-naire, afin de tenter d’expliquer ce qu’elle est aujourd’hui. Une étude de la photogra-phie culinaire sur le marché de l’art permettra d’établir son statut actuel.Un corpus regroupant différents supports viendra compléter cette étude préliminaire. Puis nous tenterons d’établir les origines des codes de la photographie culinaire, afin de cerner les facteurs influents et limitants propres à ce genre. Déterminer la place actuelle du photographe culinaire sera le coeur de cette recherche. De nombreux entretiens, tant avec des photographes qu’avec des acteurs gravitant autour de la photographie culinaire, viendront étayer ce propos. Les questions liées à l’impact de l’évolution de la technique seront abor-dées, car elles contribuent à déterminer la place du photographe.

Enfin, nous nous intéresserons à l’évolution de la photographie culinaire, afin d’obser-ver quelle place nouvelle attend le photographe. Un questionnement sur les nouvelles technologies ainsi que sur nos pratiques quotidiennes et culturelles sera développé. Un intérêt particulier sera porté aux technologies multimédia, dont la pré-sence ne fait qu’accroitre. Il semble indispensable de s’intéresser à ces outils dont l’évolution est d’une rapidité déconcetante.

La présente recherche tentera de préciser la place de l’auteur dans la photographie culinaire, en prenant compte des différents intervenants et de l’ensemble des codes propres à ce genre.

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I. étAt dES lIEux dE lA phOtOgRAphIE culInAIRE

i.1 Historique de l’iconographie

i.1.1 les prémices du livre de cuisine

Le premier livre de cuisine connu à ce jour serait une tablette d’argile de Babylone, datée de 1500 avant Jésus-Christ.

Toutefois, il faudra attendre 1651 pour que soit imprimé et commercialisé Le cuisinier François, de François Pierre dit La Varenne. Aucun livre de cui-sine en France n’avait été écrit depuis plus d’un siècle, c’est-à-dire depuis le Ménagier de Paris, écrit entre 1392 et 1394 par un bourgeois inconnu et publié en 1846 par le baron Jérôme Pichon. Cet ouvrage de référence du XVIIe siècle, réédité jusqu’en 1754, soit un total de soixante et une éditions, fut le premier livre de cuisine français illustré. Douze planches présentant

entre autres la dissection des viandes ou le service des fruits 1 étaient réu-nies en fin de manuel.

Le premier livre de cuisine français illustré par des photographies serait le Larousse Gastronomique de 1938. Les recherches publiées sont trop peu nombreuses et incomplètes pour assurer ceci avec certitude. Avant 1938, les livres étaient illustrés par des gravures ou des dessins. Cet ouvrage collectif dirigé par Propser Montagné compte près de mille huit cent cin-quante gravures et seulement seize planches de photographies, en cou-leurs 2. Il sera suivi de cinq éditions, revues et complétées, la dernière da-tant de 2012 et comptant près de mille photographies.

Il faudra attendre 1955 pour que Cooking with bon viveur, une sorte de compilation améliorée d’articles parus dans The Daily Telegraph 3 et rédi-gés par Fanny Cradock, propose une nouvelle fois des photographies dans un livre de recettes. En 1970, la revue The Fanny and Johnnie Cradock cookery programme marque une nouvelle étape. C’est en effet le premier magazine de cuisine illustré par de la photographie.

1 voir le site gallica, Le cuisinier françoi (http://gallica.bnf.fr/visusne?id=oai_lekti.net_9782845780262&r=&lang=FR), consulté le 17 janvier 2013

2 voir l ’article de maRkHam Duncan, the evolution of Larousse gastronomique (http://www.thegastronomersbookshelf.com/3664_the-evolution-of-larousse-gastronomique), publié le 25 octobre 2009, consulté le 19 janvier 2013

3 quotidien d’informations britannique fondé en 1855

Fig.1 Gravure issue du Cuisinier François, première édition

Fig.2 Planche d’illus-tration des pains, issue du Larousse Gastrono-mique de 1938

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Depuis les années 1970, un premier essor du livre de cuisine s’est ressen-ti. Cela s’explique par le fait que les femmes commençaient à travailler en dehors du foyer, ainsi la transmission de l’apprentissage de la cuisine se faisait par l’intermédiaire du livre, et non plus par voie orale. À cette époque, encore peu de livres étaient illustrés par des photographies. La présence d’illustrations dans ces ouvrages commence tout de même à être systématique.

Le vrai essor de cette branche de l’édition se situe en 1995. Cela coïncide avec le renouveau du genre photographique culinaire en France. Depuis, de nombreuses maisons d’édition ont développé un secteur spécialisé

dans le livre de recettes, telles que Hachette ou Larousse. D’autres éditeurs ont créé des maisons d’édition ayant pour spécialité et unique activité le livre de recettes, par exemple Les éditions de l’Épure. Avec cette recrudes-

cence de livres, de nombreux photographes se sont spécialisés dans la photographie culinaire, qui était jusqu’alors un secteur de niche. C’est réellement l’essor de l’indus-trie du livre culinaire qui a engendré ces spécialisations.

Actuellement, plus de sept cent livres culinaires sont produits par an en France et vingt-six milles à travers le monde.

Bien que la photographie culinaire ait une large visibilité et qu’elle soit amplement appréciée, sa fonction première reste majoritairement d’illustrer des recettes. Elle est peu visible sur le marché de l’art.

i.1.2 la photographie culinaire, parent pauvre de la photographie d’art

i.1.2.1 La représentation des œuvres en galerie

Jusqu’en mai 2013, il n’existait pas de galeries spécialisées dans la photographie culi-naire en France. Seule la Galerie Fraîch’attitude, ouverte en 2001, donna plus de visi-bilité à ce milieu. À l’origine de ce projet, le groupement Interfel (l’interprofessionnel des fruits et légumes) constitua une bibliothèque de livres de cuisine et utilisa ce lieu pour présenter des travaux photographiques. Toutefois, son activité première n’était pas une activité de galerie photographique, mais « un lieu d’expérimentation ouvert à toute forme d’expression plastique contemporaine et offrant aux visiteurs un aperçu original de la création. Peintres, plasticiens, photographes, designeurs, scénographes, installateurs, vidéastes travaillent à partir d’une thématique liée aux fruits et légumes, qu’elle soit illustrative ou métaphorique. » 4

4 voir le site du collectif interfel (http://www.interfel.com/fr/la-galerie-fraichattitude/), consulté le 11 mars 2013

Fig.3 Couverture de Coo-king with bon viveur, édition de 1955

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Ses fondateurs, Laurent Damien et Christophe Spotti, se sont dernièrement orientés vers un autre projet, la Milk Factory. Cette nouvelle galerie d’un genre différent se veut être « un laboratoire d’idées […], un nouvel espace pluridisciplinaire dédié au travail de recherche (créative) autour de produits laitiers. La Milk Factory […] offre une tribune aux artistes en tout genre : chefs, plasticiens, photographes, designeurs, etc. » 5. À tra-vers cette galerie, nous pouvons ponctuellement voir des travaux photographiques.

À la foire internationale Paris Photo 2012, trois des deux mille photographes expo-sés proposaient des photographies à caractère culinaire. Leur travail cependant était assimilé à de la nature morte ou du reportage.

Einat Arif-Galanti, une photographe israélienne représentée à Pa-ris Photo par The Heder Contemporary Art Gallery, a une impor-tante pratique de la nature morte. Sa photographie Still Life with potatoes and dictionnary, tirée à cinq exemplaires, était annoncée 1 200 €. Son travail, très pictural, rappelle les natures mortes des peintres du XVIIe et du XVIIIe siècle. Elle a une approche de pho-tographe plasticienne et utilise régulièrement des aliments dans ses compositions.

Le photographe néerlandais Arno Nollen, représenté par la galerie Bernhard Bischoff & Partner, exposait un travail nommé Still Life à Paris Photo. Cette série, créée à l’Hotel Costes, contient une image représentant une coupe de pommes. Cette image dénote dans la série qui est essentiellement composée de portraits, elle évoque la signification biblique de la pomme, le péché de la chair. Ce n’est pas la fonction alimentaire de la pomme qui est photographiée. Toutes les images étaient annoncées pour la somme de 8 000 €.

Regina Virserius est une photographe d’origine suédoise installée en France depuis 17 ans. Représentée par la galerie Éric Dupont à Paris Photo, elle exposait un travail appellé Atlas, Imago Mundi, composé d’une série de photographies d’aliments non transfor-més. Cet ensemble d’images est un travail de composition, de re-présentation des aliments symboliques des rites culinaires mono-théistes. La série est à vendre en intégralité au tarif de 7 000 €, il restait le 8 mars 2013 cinq exemplaires des huit disponibles 6.

5 voir le site de la milk Factory (http://www.lamilkfactory.com/milk-factory/), consulté le 8 mars 2013

6 selon éric Dupont, galeriste responsable de la galerie Dupont, par courriel le 8 mars 2013

Fig.4 Einat Arif-Galanti, Still Life with potatoes and dictionnary, 2007

Fig.5 Arno Nollen, Still Life, 2009-2012

Fig.6 Regina Viserius, image extraite de Atlas, Imago Mundi, 2009

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Il est intéressant de constater que les galeries citées ci-dessus ne sont pas des galeries de photographie, mais d’art contemporain. Les photographes qu’elles représentent se placent plutôt dans le champ de l’art pictural que dans celui de la photographie, d’ail-leurs leurs travaux sont photographiquement assez pauvres.

Les évènements tels que les foires et les festivals pourraient permettre au genre pho-tographie culinaire de se faire une place sur le marché de l’art. Le Festival International de Photographie Culinaire (FIPC), créé en 2009 par Jean-Pierre P.J Stéphan, présente chaque année à Paris des expositions, ateliers et conférences durant près d’un mois. Les expositions peuvent avoir lieu en galeries, mais aussi dans des restaurants, hôtels, bibliothèques, magasins. En 2012, le festi-val s’est déroulé du 26 octobre au 11 novembre, mais certains accrochages restèrent en place plusieurs jours après, l’exposition la plus longue fut décrochée le 15 janvier 2013. Si ce festival est encore relativement jeune et confidentiel, la renommée de ses parrains et de ses invités peut contribuer à lui octroyer une expansion rapide. Il faut admettre que tous les travaux présentés ne sont pas de qualité égale.

L’image de gauche répond aux critères photographiques français d’avant 1995, la mise en scène est chargée, l’éclairage uniforme et l’ensemble de l’image est net. L’image de droite traduit un travail plus expérimental, l’oeuf est sorti d’un contexte culinaire. Il est difficile de comparer ces deux images, car les photographes n’ont pas la même démarche.

Mathilde de l’Écotais et Thomas Dhellemmes, tous deux photographes, y participent chaque année. Ils affirment que ce n’est pas pour le prestige du festival, mais par amitié et soutien pour Jean-Pierre P.J Stéphan ainsi que pour ce que leur apporte cet évènement. Thomas Dhellemmes donne désormais des cours de photographie. Il a en effet été contacté par une école suite à ses interventions lors de cours de photogra-

Fig.7 Gokmen Sozen, petit-déjeu-ner turc, pastrami et œufs, FIPC 2012

Fig.8 Pauline Daniel, Cosmogo-nie 02, FIPC 2012

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phie culinaires dans le cadre du festival 7.Quant à Mathilde de l’Écotais, sa participation à la première édition du festival en 2009 a été un véritable tremplin pour son travail d’auteur. Ses images sont présentes à la galerie Au Fond de la Cour depuis cet évènement 8.

Quelques agences de photographes représentent des photographes culinaires, mais aucune d’entre elles n’est exclusive. Il en va de même pour les galeries, si certaines proposent parfois des artistes spécialisés dans la photographie culinaire, elles ne sont jamais spécialisées dans ce genre.

Bien que ce genre soit actuellement à la mode, il n’a pas pour autant ses entrées dans les galeries d’art. Il faut exclure tout photographe culinaire contemporain du marché de la photographie.Cela amène à se demander pourquoi : Rip Hopkins suggère que la photographie culi-naire de presse, d’édition ou de publicité n’a pas sa place en galerie, car c’est rare-ment l’œuvre d’un photographe  9. Plusieurs auteurs interviennent pour donner toute sa qualité à une photographie culinaire, il est alors difficile de savoir qui est l’auteur selon lui.

Actuellement en France, Mathilde de l’Écotais se définit comme photographe plas-ticienne, elle revendique un travail d’artiste. Une fois par an, elle organise une expo-sition lors de laquelle elle présente de nouvelles créations. Toutefois, elle ne définit pas son travail comme étant de la photographie culinaire 10. Il est probable que ce soit pour se démarquer de la photographie commerciale, puisqu’elle souhaite vivre de son travail d’auteur et non de ses travaux de commande.

Se pose alors la question suivante : qu’est-ce qu’une photographie culinaire ?Aux yeux de la majorité des photographes, la photographie culinaire existe lorsqu’il y a une intervention humaine. L’utilisation qui est faite de la photographie aide aussi à cerner son genre. Jean-Pierre P.J Stéphan propose une définition différente 11. Il estime que toute photographie dont le sujet est alimentaire est une photographie culinaire. Pour étayer son propos, il utilise le terme anglais food photography. Cette expression, couramment traduite par « photographie culinaire », mais qui littéralement signifie « photographie de nourriture » permet de se détacher de la notion de cuisine. La défi-nition du mot culinaire selon Le Petit Larousse 12 est « relatif à la cuisine ».

7 Du paRc ava, « entretien avec thomas Dhellemmes », in état des lieux de la photographie culinaire, p. 55

8 Du paRc ava, « entretien avec Jean-pierre p.J stéphan », op. cit. , p. 84

9 Du paRc ava, « entretien avec Rip Hopkins », op. cit. , p. 59

10 Du paRc ava, « entretien avec mathilde de l ’écotais », op. cit. , p. 41

11 Du paRc ava, « entretien avec Jean-pierre p.J stéphan », op. cit. , p. 82

12 Définition extraite du petit Larousse il lustré : 2007

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i.1.2.2 La côte des œuvres de photographie culinaire

La première photographie dite culinaire est un essai de Nicé-phore Nièpce, datant de 1827. Appelée La table servie, cette na-ture morte veut copier le style des peintres. Il ne faut pas oublier que cette image est un essai, le sujet est secondaire, c’est la per-formance technique de l’époque qui est intéressante, ainsi que la volonté de s’inspirer de la peinture classique.

Les œuvres photographiques à caractère culinaire reconnues sont peu nombreuses et peu connues. La plus célèbre est sans doute La Fourchette, d’André Kertesz. Bien que cette image soit connue et souvent citée, son prix en salle des ventes n’a jamais dépassé la somme de 1 800 € 13. Il faut souligner le fait que c’est une photographie créée pour une publicité et non une œuvre.

Plus récemment, des natures mortes d’Irving Penn, parmi les-quelles la célèbre image intitulée Frozen Food, furent vendues aux enchères pour la somme de 55 000 € chacune 14. C’est un record et cela est plus à attribuer à la renommée d’Irving Penn qu’au genre de ces images. Irving Penn est reconnu pour l’ensemble de ses natures mortes, comme l’atteste sa monographie Still Life.

Nous pouvons citer les photographies de William Eggleston telles que Memphis, Tennessee, 1985 ou Untitled, Tennessee, 1985, qui trouvèrent acquéreurs pour 11 250 $ chacune 15, alors que ces images étaient estimées entre 6 000 $ et 8 000 $.

De même, une photographie de Martin Parr, Atlanta, fut adjugée 6 000 $.

13 selon le site artptice, http://tinyurl.com/bqkbvhb, consulté le 10 janvier 2013

14 selon le site artprice, http://tinyurl.com/c4yx7of, consulté le 10 janvier 2013

15 selon le site chrisite’s, http://tinyurl.com/d28xhcb, consulté le 10 janvier 2013

Fig.11 Irving Penn, Frozen Food, New York, 1977

Fig.10 André Kertesz, La Four-chette, 1928

Fig.9 Nicéphore Nièpce, La table servie, 1827

Fig.12 William Eggleston, Untitled, Tennessee, 1985

Fig.13 Martin Parr, Atlanta, 2010

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Toutefois, les œuvres de William Eggleston et Martin Parr ne sont pas des photogra-phies culinaires, mais pour l’un des images sociales, pour l’autre des images de repor-tage. Et c’est sans doute la côte de ces photographes qui donna leur valeur aux images.

Photographe vidéaste, Sam Taylor Wood a réalisé de courtes vidéos expérimentales montrant le vieillissement accéléré de la nourriture.Son travail est à la frontière entre photographie et vidéo, puiqsu’il s’agit de plans vidéos fixes à la temporalité modifiée. Ses travaux n’ont pas de prix, car il est difficile de vendre une œuvre vidéo.

Deux photographes culinaires français souhaitent vivre exclusive-ment de leur travail artistique : Mathilde de l’Écotais et Thomas Dhellemmes. Ils ont tous deux participé au Festival International de Photographie Culinaire.

Le travail de Mathilde de l’Écotais est exposé tous les ans à la Galerie Au Fond de la Cour, dirigée par sa sœur Marie-Laure de l’Écotais. Ses œuvres sont annoncées entre 6 000 et 8 000 €, il semble qu’elle vive de la vente de ses œuvres. Thomas Dhellemmes n’est pas encore côté sur le marché de l’art, il envi-sage tout de même à terme de vivre de son travail artistique. Il vit pour l’instant de ses travaux de commande pour l’édition et la publicité, qui lui permettent d’avoir une activité artistique sans se soucier de ses revenus.

Tous deux ont commencé leur carrière culinaire en travaillant pour l’édition.

Fig.14 Sam Taylor Wood, Still Life, 2010

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i.2 corpus

i.2.1 les livres

S’il faut retenir quelques livres comportant des photographies culinaires, ce sont ceux marquant des étapes dans l’histoire de la photographie ou de la cuisine.

Le Grand Larousse Gastronomique est une référence par son ancienneté et la qualité de son contenu. La dernière édition est datée de 2012, il fête ses 75 ans en 2013. Il présente mille photographies de produits et de recettes et cinq cents photographies de mises en scène dans de célèbres cuisines parisiennes. La première édition (1938) présentait seize planches de pho-tographies, ce qui était exceptionnel à l’époque. Les éditions Larousse pro-posent désormais ce livre sous forme d’application 16 en version condensée pour les systèmes d’exploitation iOS 17. Cette version allégée contient tout de même 500 photographies et 12 vidéos.

Le livre Quand Katie cuisine 18, de l’australienne Katie Quinn Davies, donne suite à un blog, d’où sa particularité. Nombre de blogueurs et blogueuses ont édité leurs livres, toutefois aucun avec un tel succès. Katie Quinn Davies est blogueuse, cuisinière et photographe autodidacte et pour-tant son blog est de renommée internationale. Originaire d’Australie, ses

photographies ne sont pas nécessairement liées à des recettes, elles sont autonomes. Le livre a été traduit en français et est disponible en quatre versions : française, anglaise, américaine et australienne. Les différences entre les trois éditions anglophones sont leurs titres, les unités de mesure des recettes et les éditeurs.

Alchimistes aux fourneaux est une collaboration entre Jacques Merles, écrivain, Pierre Gagnaire, chef étoilé, Hervé This, chercheur à l’Institut National de la Recherche Agronomique et Rip Hopkins, photographe de l’agence Vu’. Ce livre est l’un des rares à proposer l’illustration d’un ouvrage de cuisine du XVIIe siècle, Les délices de la Campagne, rédigé par Nicolas de Bonnefons et dédié aux femmes. Cette collaboration est

intéressante, car Rip Hopkins, s’il a une pratique du travail en studio, pré-fère généralement le portrait à la nature morte. Tous les acteurs du projet

16 selon le site des éditions Larousse, http://cuisine.larousse.fr/l ivres-de-cuisine/apps, consulté le 15 janvier 2013

17 système d’exploitation apple pour appareils mobiles

18 Le titre original est What katie ate

Fig.15 Couverture du Grand Larousse Gastro-nomique, édition 2012

Fig.16 Couverture de Quand Katie Cuisine, 2012

Fig.17 Rip Hopkins, dyp-tique Fermentation – des corps étrangers transfor-ment un élément, 2007

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se connaissaient personnellement avant de faire ce livre, leur amitié les a conduits à travailler ensemble. La majorité des photographies de Rip Hopkins ont été dessi-nées avant d’être réalisées. Cependant, les photographies relatives aux plats de Pierre Gagnaire ne pouvaient pas être complètement préparées, car ce chef a une démarche d’expérimentation et ne pouvait annoncer à l’avance quelle serait la forme des plats, il n’en annonçait que l’intitulé. Pour quelqu’un dont ce n’est pas la spécialité et qui est détaché des codes de ce genre, le travaille photographique était d’autant plus com-

pliqué. Les photographies de cet ouvrage n’ont pas pour fonc-tion d’illustrer des recettes, mais des termes propres à la cuisine comme le montre le dyptique ci-dessus.

Modernist Cuisine est issu de la collaboration du photographe Jonathan Matthew Smith et de Nathan Myhrvold. À travers cet ouvrage, ils ont cherché à montrer ce qui est utilisé en cuisine sans que cela soit évident : une approche physique et chimique de la cuisine. Ce livre se présente en six tomes, pour un total de deux-mille quatre cents pages et vingt-six  kilogrammes. Sur le

site internet de l’ouvrage 19, des vidéos mettant en évidence ces phéno-mènes physiques sont accessibles au public. Si ce livre cherche à montrer des phénomènes culinaires, il est aussi évident qu’il montre des photogra-phies phénoménales.

Le grand livre de cuisine du chef étoilé Alain Ducasse parut pour la pre-mière fois en 2001 aux éditions Alain Ducasse. Il fut depuis réédité, dé-cliné en versions Desserts et pâtisserie et Cuisine du Monde. Ce livre fut récompensé aux Cookbook Gourmand Award en 2001. Il a récemment été adapté en une application pour tablette tactile iPad, qui fut élue meilleur livre numérique de l’année au Festival du livre culinaire en février 2013.

L’ensemble des livres primés aux Gourmand Awards est notable. Fondés en 1995 par Édouard Cointreau, il existe cinquante-cinq catégories telles que Meilleur livre de l’année, meilleure couverture, meilleure photogra-phie… De nombreux livres français furent primés, parmi eux : Le Grand Livre de Cuisine d’Alain Ducasse, le Larousse Gastronomique, Japan — L’art de Guy Martin, Tout Bocuse.

Parmi les nombreux magazines culinaires, il est difficile de savoir lesquels retenir. La revue Culinaire est un magazine français qui existe depuis

1920. Créé par le chef Auguste Escoffier, il est destiné à un public de pro-

19 Le site de modernist cuisine est visible à l ’adresse www.modernistcuisine.com

Fig.18 Double-page issue de Modernist Cuisine, Volume 2 : techniques et équipements, pages 94-95

Fig.19 Couverture du Grand Livre de Cuisine d’Alain Ducasse, édité en 2001

Fig.20 Couverture de La revue culinaire n°864, mars / avril 2010

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fessionnels, bien qu’il soit possible de se le procurer en tant qu’amateur. Il succède à L’art Culinaire, une revue du XIXe siècle, créée 1883 20, ce qui en fait le plus ancien magazine de cuisine.

Le magazine Elle à Table, pendant culinaire du magazine féminin Elle, est sans doute le plus connu des magazines de recettes français. Le premier numéro sortit en mars 1999. Il est désormais disponible en quatre lan-gues : français, néerlandais, japonais et suédois. Ces différentes éditions ont la particularité de proposer des articles différents. Les rédactions Elle à Table des pays concernés créent des contenus exclusifs. Il y a tout de même parfois des rachats de sujets entre magazines.

Entre 2007 et 2012, le tirage a augmenté de 222 861 exemplaires à 271 933 exemplaires, ce qui montre bien que le marché des magazines de cuisine est en progression.

Le magazine YAM (Yannick Alléno Magazine) est une autre revue desti-née à des professionnels. Sa différence première avec La revue culinaire est son sens esthétique, ainsi que son intérêt pour les recettes et non pour le matériel.

Ce magazine, disponible en kiosque, est extrêmement codifié. Toutes les prises de vue sont en plongée, le stylisme est toujours sobre : nappe blanche, assiette blanche. Tout l’art est dans l’assiette.

Fricote est un magazine alternatif qui présente tout ce qui a attrait à la cuisine et à l’alimentation : ustensiles, restaurants, mais aussi mode. Il y a donc tous types de photographies, du reportage, des recettes, du packshot, de la mode.

Le magazine américain Saveur est extrêmement réputé. Il existe depuis 1994 et traite de cuisine, de vin et de voyages spécialisés dans la cuisine du monde.

Le genre photographique culinaire est lié au développement de ces livres et magazines. Il y a une recherche de qualité et d’originalité constante afin de se distinguer sur un marché très concurrentiel. La photographie est un des éléments permettant de se différencier. La capacité à rendre appétis-santes les recettes par les photographies est primordiale, car un potentiel

20 selon le site de la mutuelle des cuisiniers de France, http://www.cuisiniersdefrance.fr/-nos-media/revue-culinaire.html, consulté le 18 janvier 2013

Fig.21 Couverture Elle à table n°87, mars / avril 2013

Fig.22 Couverture YAM n°12, février / mars 2013

Fig.23 Couverture Fricote n°10, mars / avril / mai 2013

Fig.24 Couverture Saveur n°154, février 2013

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acheteur se fera sa première impression sur les images.C’est pour cela que les photographies doivent être contemporaines, visuellement attractives. Pour les photographes culinaires, la presse est la meilleure vitrine pour se faire connaitre. Ainsi, les magazines et journaux peuvent se permettre de faire des propositions de rémunération dérisoires, car de nombreux photographes sont prêts à accepter à n’importe quel prix ces commandes afin d’être publiés.

Cette liste montre la diversité des ouvrages et les similarités entre les photographies, c’est-à-dire la difficulté qu’ont les photographes à se distinguer les uns des autres.

i.2.2 la publicité

Il est difficile de situer la première photographie utilisée dans une publi-cité alimentaire.

Emmanuel Sougez fut un des premiers photographes à avoir travaillé pour des campagnes publicitaires alimentaires 21. En 1931, il réalise un portrait pour une campagne Nestlé. S’ensuivront de nombreuses commandes pour l’industrie alimentaire. Jusque dans les années 1920, les publicités étaient essentiellement composées de textes, parfois d’illustrations ou de gravures.

À partir des années 1930, la photographie est de plus en plus fréquente dans la publicité, qu’elle soit en couleur ou en noir et blanc. Dans les an-nées 1960, la photographie devient quasiment omniprésente dans la publi-cité, essentiellement en couleur.

Aujourd’hui, il y a une grande diversité dans les styles publicitaires. Tout d’abord, trois groupes se distinguent : le packshot, qui est une représen-tation des emballages, la gamme et l’ambiance. Le packshot désigne une photographie représentant un emballage. Ce travail très encadré ne laisse pas beaucoup de liberté d’expression. Des systèmes semi-automatisés per-mettent désormais à n’importe qui de réaliser ces prises de vue. La valeur

pécuniaire de ce travail est très faible. Les sociétés spécia-lisées dans le packshot salarient les photographes, ils n’ont pas de rémunération en droit d’auteur. D’ailleurs, les images ne sont pas créditées.

21 JaegeR anne-céline, La photographie contemporaine par ceux qui la font, Londres, thames & Hudson, 2007 (première édition), 272 p.

Fig.25 Emmanuel Sou-gez, Nestlé, 1931

Fig.26 Monoprix, 2010

Fig.27 McDonald, 2013

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La gamme est un packshot évolué. Cela peut être soit un ensemble de produits de la même marque dans leur emballage, soit un ensemble de produits avec un minimum de présentation. S’il est toujours très cadré, ce travail demande plus de travail de la lumière et est donc plus difficile à automatiser. Il est rarement crédité.

L’ambiance est une présentation des produits. On peut souvent y lire « Sug-gestion de présentation ». Dans ce cas, l’intervention d’un photographe est nécessaire. Il y a une mise en scène du produit. Cette fois, l’agence qui commandite attend du photographe qu’il reproduise le rough réalisé en

accord avec le client et qu’il apporte une touche personnelle. Pour ce genre d’images, les photographes sont rémunérés en droit d’auteur.Toutes les publicités entrent dans un de ces trois groupes.

Il n’y a pas de réel renouveau du style publicitaire à une période donnée. La seule étape notoire correspond à l’évolution de la photographie culinaire, c’est-à-dire le milieu des années 1990. Il n’y a pas de campagne publicitaire qui fut révolutionnaire en ce qui concerne la photographie culinaire.

Les publicités Fauchon se distinguent par leur qualité, l’approche de type joaillerie accordée aux aliments. Elles se situent à la frontière entre le por-trait beauté et la photographie culinaire. Toutefois elles n’ont pas créé un

mouvement esthétique particulier.

i.2.3 internet

i.2.3.1 Les réseaux sociaux

Avec la démocratisation d’Internet et des smartphones, de nombreux ré-seaux sociaux fleurissent et avec eux de nombreuses photographies culi-naires amateurs. Les gens postent sur ces réseaux des photographies de ce qu’ils cuisinent à leur domicile et de ce qu’ils dégustent au restaurant. C’est une manière de se situer socialement, de montrer à un large public ce que l’on a les moyens de consommer.

Instagram est un réseau social gratuit disponible sous forme d’application pour smartphone et accessible par des navigateurs Internet sur ordinateur. Il permet de partager des photographies de manière instantanée, en leur ajoutant un filtre afin de donner aux images un effet vintage, un rendu polaroïd, de les convertir en noir et blanc ou autres effets. Les photographies

Fig.28 Jean-Blaise Hall, Lindt, 2011

Fig.30 Capture d’écran de l’application Insta-gram pour iPhone, avec le hashtag #Yummy

Fig.29 Éric Traoré, Fau-chon, 2011

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publiées sont associées à des thèmes, afin d’être automatiquement clas-sées. Elles sont ensuite visibles par l’ensemble des utilisateurs d’Instagram. L’application FoodReporter fonctionne de la même manière qu’Instagram, à la différence qu’elle est consacrée aux photographies culinaires. Toutes les photographies partagées sur ce réseau sont visibles par chaque abonné.

Flickr, célèbre site de partage d’images et de vidéos, est surement le plus ancien puisqu’il existe depuis 2004. Ce réseau est autant utilisé par des amateurs que par des professionnels, ce qui apporte une qualité d’images supérieure à celles visibles sur Instagram ou FoodReporter.

Facebook, le plus important réseau social actuel, est connecté à tous les ré-seaux et applications cités ci-dessus. Ainsi, toute image peut être instantané-

ment et automatiquement publiée sur Facebook, en plus du support initial.

Pinterest est un site et une application de partage d’images. Il permet aux utilisa-teurs de publier des photographies depuis les sites Internet où elles sont hébergées. Chaque utilisateur est ensuite libre de partager de nouveau les images visibles sur le site. Pinterest a racheté Punchfork 22 fin 2012, un site spécialisé dans le partage de recettes de cuisine, ce qui laisse à penser que le nombre de photographies culinaires sur cette plateforme va augmenter.

Toutes ces applications ont un point commun : le gros plan. En effet, les plats sont rarement contextualisés, les utilisateurs préfèrent les isolées de l’environnement dans lequel ils sont pour insister sur le sujet. De plus, cela leur donne l’assurance que leur image sera relativement réussie, puisqu’ils ne photographient qu’un sujet photogénique.

Nous arrivons actuellement à une des limites de l’utilisation de ces réseaux sociaux. Non pas que les capacités soient limitées, mais les restaurateurs commencent à ban-nir les clients qui photographient leurs plats. Ils avancent plusieurs arguments : le respect de l’intimité des autres clients, le respect du droit à l’image du travail de dressage des chefs. Afin de décourager les clients, certains ont commencé par interdire l’uti-lisation du flash dans leur établissement, car cela dérangerait les autres clients 23. D’autres ont entièrement prohibé l’utilisation des téléphones portables.

22 constine Josh, pinterest acquires and Will shut Down Recipe Discovery site punchfork (http://techcrunch.com/2013/01/03/pinterest-acquires-punchfork/), publié le 3 janvier 2013, consulté le 23 mars 2013

23 Lopez christina, new York Restaurants Have informal ban on Food photos (http://abcnews.go.com/technology/restaurants-placing-informal-ban-food-flash-photography/story?id=18302662#.uuxRc7_ci2w), publié le 25 janvier 2013,consulté le 22 mars 2013

Fig.31 Capture d’écran de la page d’accueil de l’application FoodReporter pour iPhone

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i.2.3.2 Les blogs

Le nombre de blogs existants est tel qu’il est impossible de tous les référencer. Cette quantité de blogs rend tout aussi difficile la distinction des plus intéressants et quali-tatifs. Si quelques blogs sortent du lot, il est possible de les identifier grâce aux nom-breux prix décernés tous les ans à l’ensemble de la blogosphère 24.

Les Bloggies Webblog Awards sont une compétition qui existe depuis 2001. Ils ré-compensèrent le blog Smitten Kitchen en 2012 dans la catégorie « Best Food Blog », c’est-à-dire meilleur blog de cuisine. Cette année, ce blog est de nouveau sélectionné, ainsi que le blog What Katie Ate.

Les Best Food Blog Awards, concours organisé par le magazine américain Saveur, récompensèrent What Katie Ate pour ses photographies en 2012, 2011, et Smitten Kitchen en 2010. Ces deux concours fonctionnent par vote des internautes. La renommée des blogs récompensés est donc le facteur premier lié à leur élection.

Nous pouvons déduire de ces récompenses que What Katie Ate et Smitten Kitchen sont deux des blogs les plus réputés en ce qui concerne la photographie.

Nous pouvons tenter d’analyser ce qui rend ces deux blogs si at-tractifs.

What Katie Ate est un blog anglophone, rédigé par Katie Quinn Davies, australienne. Autodidacte tant en cuisine qu’en photogra-phie, elle propose des recettes à la fois traditionnelles et gour-mandes. Elle fait le choix de proposer des photographies aux teintes colorées systématiquement réalisées en lumière naturelle, ainsi que des plats souvent entamés, leur donnant un aspect réel.

Le choix des matériaux rustiques dans la construction du décor et la simplicité de la composition de ses images les rendent chaleu-reuses. La photographie culinaire sort de la cuisine et est proche du consommateur de par son imperfection. Son travail est désormais reconnu internationalement. Un livre reprenant ses recettes a été édité en 2012.

24 voir le site Larousse (http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/blogosphere/10910286, le 22 mars 2013) : ensemble de blogs présents sur le Web.

Fig.33 Katie Quinn Davies, 2012

Fig.32 Capture d’écran du blog What Katie Ate

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Smitten Kitchen présente des images parfois légèrement moins abouties, mais les recettes proposées sont photographiées étape par étape, ce qui est apprécié par le lecteur. Toutes les photogra-phies sont réalisées en lumière du jour. Le spectateur peut s’ins-pirer de ces images, puisque les accessoires de cuisine utilisés sont communs. De plus, il est facile de s’identifier à ces images réalisées dans un environnement familier qu’est la cuisine.

La technique photographique est pauvre, toutefois qualitative. Il semble que le photographe atteigne son objectif photographique, ses images sont agréables dans leur simplicité.

En France, les Golden Globe Awards attribuèrent leur prix dans la catégorie cuisine à La Super Spérette en 2012 et à J’veux être bonne en 2011.

J’veux être bonne est visuellement très intéressant, car ce blog propose des photographies, des GIF animés 25 et des vidéos culi-naires.

Ce ne sont en revanche pas les photographies de La Super Supé-rette qui font sa renommée. Ce blog avait été repéré par la presse, comme en témoigne un article du magazine Fricote #7 paru en juin 2012, c’est-à-dire avant même qu’il ait été sélectionné aux Golden Globe Awards.

Nous constatons en observant ces récompenses que les blogs anglophones proposent un travail photographique plus intéres-sant que les blogs francophones. Cela est lié au nombre bien plus considérable de blogs anglophones.Par ailleurs, nous observons que les images les plus intéressantes sont celles réalisées par les blogueurs qui ne s’intéressent pas

seulement à la photographie comme document, mais à la photographie en tant que telle. Il est probable que ces amateurs prennent conscience de la nécessité de l’aspect visuel qualitatif de leurs images, outil majeur de la communication de leurs blogs. Par exemple, les photographies visibles sur J’veux être bonne ne sont pas uniquement destinées à documenter formellement des recettes, elles ont pour fonction de donner envie, de donner faim.

25 un gif animé est une succession de plusieurs images donnant l ieu à une animation.

Fig.35 Hana Aouak,J’veux être bonne, 2012

Fig.36 Mélanie Guéret, Lucie De La Héronnière, La Super Supérette, 2012

Fig.34 Deb Perelman, Smitten Kitchen, 2012

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i.2.3.3 Les sites participatifs

Si la vocation première de ces sites est le partage communautaire de recette, ils n’en restent pas moins sources de créations photographiques, plus ou moins qualitatives.

Ces sites francophones sont nombreux. Nous pouvons citer : Marmiton, 750gr, Cuisi-neAZ, SuperToinette, PtitChef, Journal des Femmes : Cuisine, Les Foodies…

Ces sites qui proposent des milliers de recettes ne sont pas une concurrence ni pour les photographes ni pour les éditeurs. Ces derniers trouvent même leur existence bénéfique. Alors que nous pourrions penser que les potentiels acheteurs de livres, face au large choix de recettes gratuites qui s’offre à eux sur Internet, ne verraient pas l’utilité d’acheter un livre, c’est tout le contraire qui se passe.Les éditeurs jugent que pour faire vivre le genre culinaire, il faut que celui-ci soit extrêmement démocratisé, que l’accès à la cuisine soit ouvert à tous. Ainsi, les sites participatifs, blogs, réseaux sociaux, ont une importance capitale. Ils placent la cui-sine dans les préoccupations de chacun.

« [Internet] est un cercle vertueux, les différents supports ne se concurrencent pas. Les publics sont différents, c’est positif. » 26

Par ailleurs, un acheteur potentiel ne se ravise pas parce qu’il a accès à une base de données de recettes gratuite. Sa démarche est tout à fait différente. Le livre est un objet qui conquit par sa qualité. Il y a dans l’achat d’un livre une notion de plaisir. Des statistiques estiment qu’une personne qui achète un livre de cuisine ne fera en moyenne pas plus de 3 recettes présentées dans l’ouvrage. Ce qui prouve bien que les lecteurs n’achètent pas des livres uniquement pour cuisiner.

Les photographies disponibles sur ces sites sont réalisées par les internautes. Cer-tains se content d’illustrer leurs recettes, d’autres ont la fierté de présenter ce qu’ils ont réalisé et d’autres profitent de cela pour exprimer leur créativité.

Un des inconvénients de ces sites est qu’il est nécessaire d’avoir un accès à Internet pour les consulter. Cette limite conduit à développer et utiliser des applications auto-nomes.

26 Du paRc ava, « entretien avec alice gouget », in état des lieux de la photographie culinaire, p. 75

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1.2.4 Les applications

Tous les sites participatifs sont disponibles en applications pour smartphones. Il existe aussi des applications autonomes telles que l’application Cuisine visuelle, dé-clinée en différentes thématiques telles que Cocktails, Facile et savoureuse, Plats vé-gétariens... Quelques livres de cuisine ont aussi été adaptés sous forme d’applications. Nous pouvons citer Le Grand Livre d’Alain Ducasse ou encore Le Larousse Cuisine pour iPhone, le Larousse des pâtissiers pour iPad et l’application Basil qui vient de voir le jour aux États-Unis

Les images ont une place cruciale dans l’aspect attrayant de ces applications. En effet, puisqu’elles sont le plus souvent payantes et décrites par quelques captures d’écran, il est nécessaire de provoquer chez l’utilisateur un intérêt visuel pour déclencher un achat, impulsif ou réfléchi. Ces applications gagnent en notoriété par un effet de bouche à oreille, le critère visuel ne sera donc pas suffisant pour que les utilisateurs se les recommandent entre eux. Sachant que chaque utilisateur a ses critères, il est nécessaire de répondre au plus grand nombre de ces critères pour populariser l’appli-cation.Ces applications ont l’avantage majeur sur les sites participatifs d’être téléchargées et donc hébergées sur les smartphones ou les tablettes tactiles, il n’est pas nécessaire d’être connecté à Internet pour les utiliser.En revanche, les supports électroniques de ces applications sont souvent fragiles, non dédiés à des univers de cuisine humides et sales. Le livre est un objet pour lequel on acceptera plus facilement une détérioration liée à son utilisation.

Où que soient utilisées ces photographies, elles répondent systématiquement à des codes.

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i.3 à l’origine des codes

1.3.1 la direction artistique

i.3.1.1 Les lignes éditoriales

Chaque magazine, chaque maison d’édition a sa propre ligne éditoriale. Elles corres-pondent à la mouvance actuelle, aux modes visuelles, aux attentes des consomma-teurs. Sans être identiques, elles sont similaires. Se rapprocher des attentes visuelles des clients permet d’assurer un minimum de ventes.

Les lignes éditoriales diffèrent entre l’édition et la publicité. Un éditeur a une ligne éditoriale par collection, tandis qu’un publicitaire a une ligne éditoriale par gamme de produits d’une même marque. Dans les deux cas, cela signifie que dans les circons-tances où différents photographes interviennent sur une même collection ou gamme, ces derniers recevront les mêmes instructions.

Par exemple, aux Éditions Ducasse, la collection Best Of jouit d’une ligne éditoriale unique 27. Tous les exemplaires sont maquettés de la même façon. Toutefois, même si cette ligne éditoriale existe pour être respectée, pour cadrer et homogénéiser le travail, les photographes sont choisis pour apporter une touche personnelle aux images.Nous constatons donc des différences capitales entre Best Of Michalak dont les recettes ont été photographiées par Laurent Fau et Best Of Conticini, photographié par Valéry Guedes. Le livre consacré à Christophe Michalak propose des images sur fond blanc, à la lumière homogène, avec une grande profondeur de champ et des plats photographiés à 45°. En revanche, l’ouvrage dédié à Philippe Conticini montre des images aux fonds textu-rés, plus contrastées, dont la profondeur de champ est parfois très faible et dont les points de vue diffèrent totalement d’une image à l’autre.Nous constatons une forte interprétation des instructions de base.

Dans tous les cas, c’est la relation de confiance qui prime. Un édi-teur qui apprécie le travail d’un photographe et qui a déjà œuvré avec lui aura confiance en sa façon de travailler.

27 Du paRc ava, « entretien avec églantine Lefébure », op. cit. , p. 70

Fig.37 Laurent Fau, Baba au mètre, 2012

Fig.38 Valéry Guedes, Croquettes au chocolat coulant, 2012

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Les maisons d’édition se disent prêtes à prendre des risques.

«Nous sommes ouverts à des photographes non spécialisés en photographie culinaire, sous réserve que cela fonctionne.» 28

Toutefois, il est extrêmement rare qu’un livre propose des photographies non conven-tionnelles.

Dans le secteur de l’édition, les photographies sont appréciées pour leur à leur esthé-tisme et la qualité de leur stylisme.

i.3.1.2 Le stylisme

Il n’y a à priori pas de code en stylisme culinaire, toutefois le stylisme influe sur la photographie. En effet, il peut imposer des techniques, des points de vue au photo-graphe. Certains stylistes ont contribué à faire évoluer la photographie culinaire.

Nous pouvons citer Delores Custer, célèbre styliste culinaire américaine, qui officie depuis les années 1970. Elle rédigea récemment ce qui est considéré comme la bible du stylisme culinaire, l’ouvrage Food Styling : The Art of Preparing Food for the Camera. Donna Hay, d’origine australienne, participa dans les années 1990 à faire évoluer la photographie et le stylisme culinaire. Elle incita les photographes avec les-quels elle travaillait alors à inclure du flou dans leurs prises de vue et à utiliser la lumière naturelle. Les sœurs Scotto sont trois et officient dans la presse et l’édition en France depuis près de 40 ans. Elles ont travaillé pour Elle, Le Figaro, Cuisine Magazine, La-gostina, Pierre Hermé, Alain Ducasse, Pierre Gagnaire et bien d’autres encore. Leur influence sur le stylisme culinaire en France est donc évidente.

Jusque dans les années 1995, les stylistes choisissaient un shopping traditionnel, très présent, influencé par les spécialités régionales. De nos jours, les images allégées sont préférées. Le stylisme est épuré et moderne, la vaisselle est simple, blanche ou en verre, le minimalisme est prépondérant.

Toutefois, les couleurs et la quantité d’éléments constituant la prise de vue proposés par le styliste influent sur la photographie. Ainsi, une composition très chargée inci-tera le photographe à réduire la présence de certains éléments soit en les laissant dans l’ombre, soit en les éclairant suffisamment. L’inclusion du flou aidera à atténuer

28 Du paRc ava, « entretien avec charlotte graillat », op. cit. , p. 72

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la présence des éléments décoratifs.

Aujourd’hui, les consommateurs ont des attentes : voir des produits frais, peu trans-formés et correspondants à une alimentation saine. Le stylisme doit être composé en fonction de ces attentes. Pour y répondre, les stylistes utilisent des fruits et légumes aux couleurs saturées, ce qui les fait paraitre frais.

Toutefois, il y a un paradoxe. En effet, les consommateurs souhaitent un visuel qui s’approche de la réalité et qui soit appétissant. Cela est souvent difficile.

Prenons l’exemple d’une viande. Pour qu’elle soit excellente, elle a un temps de cuisson idéal. Cependant, pour qu’elle soit belle, elle ne doit pas être trop cuite, sinon elle se racornit, elle perd son aspect moelleux. De même pour qu’un légume soit appétissant, son aspect coloré est essentiel. Pour conserver sa saturation, un temps de cuisson très court est requis. De plus, un légume al dente aura une meilleure tenue.

Les attentes des consommateurs sont donc contradictoires, sans qu’ils s’en rendent compte. Un plat cuisiné pour être consommé n’est souvent visuellement pas agréables. Les photographes doivent s’efforcer de photographier les plats pour les rendre appé-tissants et pas forcément pour retranscrire une réalité. L’image de gauche montre une volaille rosée, sous cuite, à l’aspect moelleux et juteux. Si elle avait été cuite correcte-ment, elle aurait eu un aspect sec.

En édition et presse, le stylisme peut aussi être réalisé par des chefs. Certaines prises de vue sont réalisées en collaboration entre un chef et un photo-graphe, il n’y a pas d’intervention de styliste. Ceci est intéressant, car les chefs dressent leurs assiettes pour être observées entre 45° et 60° et dégustées. Un styliste ne pensera pas à la praticité de la dégustation ni au point de vue du client, il s’adaptera au point de vue du photographe et au besoin d’esthétisation. En effet, tout comme le photographe, le styliste doit sublimer le plat. Ceci a un impact sur la manière de photographier les plats de chefs.

Rip Hopkins, pour Alchimistes aux fourneaux, n’avait aucune idée de la forme des plats que lui apporterait Pierre Gagnaire, il connaissait uniquement l’intitulé des recettes. Pierre Ga-gnaire a donc fait des propositions, auxquelles Rip Hopkins s’est adapté. Il a parfois déconstruit des plats, pour les adap-ter aux points de vue. Si Rip Hopkins était surpris de la forme de certaines assiettes, Pierre Gagnaire était surpris de cer-

Fig.39 Laëtitia Vallée, Volaille à la coriandre, 2011

Fig.40 KevinEats, Meringues, 2009

Fig.41 Rip Hopkins, Meringues, 2007

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tains résultats, mais l’un comme l’autre ont apprécié le fruit de cette collaboration.

Les deux images en page précédente permettent de comparer le plat photographié par Rip Hopkins et le plat tel qu’il était présenté au Twist, restaurant de Pierre Ga-gnaire à Las Vegas. Nous observons que le photographe a stylisé l’agencement pour la prise de vue. Le stylisme influera donc sur le cadre et le point de vue de l’image, qu’il soit réalisé par un styliste ou un chef.

1.3.2 les circuits de production

1.3.2.1 L’édition

Dans l’édition, il y a deux types de production, qui diffèrent par l’initiateur du projet.Soit la maison d’édition décide de faire un livre et cherche alors un photographe pour l’illustrer. Sinon, la maison d’édition se voit proposer un projet de livre, elle l’accepte ou non, et cherche un photographe pour l’illustrer. Toutefois, il arrive que des chefs ou des stylistes qui proposent les projets de livres aient l’habitude de travailler avec un photographe et veuillent que ce dernier fasse les images de leur livre. Marie-Laure Tombini travaille avec le même éditeur, la maison Mango, de-puis sept ans. De ces années de travail s’est créée une complicité. Ainsi, elle sait quels sujets proposer à Mango pour qu’ils retiennent leur attention. Ces sujets doivent soit correspondre à une actualité comme une période de l’année telle que Noël, soit à un courant tel que la cuisine étrangère ou la cuisine sans gluten, deux modes alimen-taires. De même, Mango ne lui proposerait pas un sujet qui ne lui plait pas 29. Il n’y a pas beaucoup d’intermédiaires dans l’édition, étant donné que le commanditaire est aussi la personne qui supervise toute la réalisation du livre. L’éditeur est parfois épaulé d’un assistant d’édition. Ce dernier sera l’inter-médiaire entre l’éditeur et l’ensemble des autres protagonistes lorsqu’il existe.

Il y a deux types d’éditeurs : ceux qui éditent des livres avec des recettes inédites et ceux qui traduisent des ouvrages. La différence réside dans le fait que ceux qui tra-duisent n’ont pas toujours besoin de photographies. Les photographes seront donc le plus souvent en contact avec des éditeurs qui proposent des projets inédits.

L’édition est un des secteurs dont les budgets sont les plus restreints. Le temps consa-cré aux photographies est autant condensé que possible. Les photographes doivent photographier une dizaine de recettes par jour.

29 Du paRc ava, « entretien avec marie-Laure tombini », op. cit. , p. 46

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Pour les photographes, l’édition et la presse sont les deux secteurs qui leur accordent le plus de liberté. Ce n’est pas par désintérêt, mais pas manque de moyen. Les rémuné-rations sont si peu élevées que les éditeurs peuvent difficilement se permettre d’avoir des exigences.

Les circuits de production de l’édition n’imposent pas de codes particuliers, si ce n’est qu’ils contraignent à produire rapidement. Il n’y a pas de différence en fonction de l’ampleur des projets, car les niveaux de rémunération sont toujours similaires.

1.3.2.2 La publicité

En publicité, trois critères de sélection aident à choisir le photographe : l’esthétique de son travail, ses compétences techniques, sa disponibilité.

S’il y a quinze ans une production publicitaire choisissait un photographe puis com-posait selon les disponibilités de ce dernier, c’est aujourd’hui au photographe de se rendre disponible pour la production. Ce changement radical est lié à la réduction des budgets ainsi qu’au nombre croissant de photographes sur ce marché.

De plus, l’évolution des technologies et en particulier le passage au numérique ont modifié le marché. En argentique, il n’était pas possible de prendre un risque en en-gageant un photographe dont les compétences techniques n’étaient pas prouvées. En effet, si l’image présentait un problème d’exposition ou de mise au point, il était presque impossible de la corriger et très onéreux de la recommencer. En revanche, l’image numérique peut être largement corrigée. Des photo-graphes moins compétents et donc moins chers peuvent désormais être engagés.

En publicité, il n’y a pas de réels tabous, simplement des préférences liées à notre culture. La publicité est le domaine le plus contraignant. Le photographe se voit im-poser un cadrage, une lumière, un point de vue.Toute la difficulté est pour lui de réussir à ajouter sa touche personnelle. Les codes de la publicité sont propres à chaque client, à leurs attentes, à leurs gouts, à leur culture.

Les agences de publicité et les clients imposent au photographe les codes de notre culture. En effet, les publicités destinées à une certaine population doivent comporter des références pouvant être comprises par le plus grand nombre.

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Ces trois publicités McDonald ci-dessus présentent de grandes différences esthé-tiques. Cela s’explique par le fait qu’elles ont été réalisées pour des pays différents.L’image destinée au Japon est un portrait d’une célèbre actrice japonaise. L’élément principal de la photographie est ce portrait, qui a pour fonction de retenir l’attention du consommateur potentiel. Aux États-Unis, le burger est la star de l’image. La place est également partagée entre le burger et le texte. La composition rappelle une affiche de cinéma, le burger étant comparé à l’acteur principal. La photographie française est plus traditionnelle dans la composition et le stylisme, qui rappelle une brasserie ou une cuisine, un environnement auquel le consommateur peut s’identifier. De plus, la présence du bois, qui est une matière noble, donne un aspect gastronomique à un produit qui ne l’est pas.

C’est le travail de l’agence de publicité de veiller à ce que l’image réalisée ait le meil-leur impact sur les éventuels clients. Elle influera donc sur les éléments composant l’image, leur agencement et le point de vue.

i.3.3 la technique

i.3.3.1 L’éclairage

Longtemps les photographes n’ont eu d’autre choix que d’éclairer leurs images avec des lampes continues telles que des lampes à tungstène. En effet, bien que la tech-nologie du flash existe depuis 1839 30, les premiers flashs électroniques apparurent en 1931 31. Cette technique d’éclairage, bien qu’encore plus onéreuse que la lumière conti-nue aujourd’hui, est désormais entrée dans tous les studios de prise de vue.

30 toLmacHev ivan, a brief History of photographic Flash (http://photo.tutsplus.com/articles/history/a-brief-history-of-photogra-phic-flash/), publié 19 janvier 2011, consulté le 28 janvier 2013

31 chronologie des inventions de la photographie et du cinéma (http://documentation.flypix.info/cHRonoLogie_pHotogRapHie/FLYpiX_Document_cHRonoLogie_pHotogRapHie.htm), consulté le 30 janvier 2013

Fig.42 Filet-o-Shrimp, Japon Fig.43 Third Pounder, États-Unis d’Amérique Fig.44 Les grandes envies de fromages, France

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La technologie flash présente trois atouts majeurs : sa puissance, sa tem-pérature de couleur et l’absence de chaleur dégagée par les sources. En effet, les éclairages continus avaient pour principal inconvénient de déga-ger beaucoup de chaleur et donc d’avoir un effet sur les aliments. Dans les années 1970, 1980 et 1990, les aliments étaient souvent éclairés par une source proche de l’appareil. De ce fait, ils étaient écrasés par la lumière, il y avait très peu de relief, la lumière était uniforme, les textures n’étaient pas mises en valeur 32. Il y avait bien entendu quelques exceptions, telles que Jean-Louis Bloch-Lainé, dont le travail était axé autour de la lumière.

Cela est révélateur de l’intérêt des photographes pour la technique. Il est probable que majorité des photographes souhaitaient que tous les élé-ments de la composition soient visibles, d’où une lumière uniforme. Pour d’autres, la lumière avait pour fonction de sublimer les aliments.

Depuis les années 1995, le flash est devenu incontournable.Des schémas types de prise de vue se sont développés. De nombreuses images présentent un éclairage par contre-jour du plat pour donner du relief.De plus, le travail de chromie est simplifié : le flash est équilibré à la même température de couleur que la lumière du jour. Cela permet éventuellement d’éclairer en mélangeant la lumière du jour et un éclairage au flash. Actuellement, un courant se crée, regroupant des images créées à la lumière du jour.

Il est fort possible que l’importante activité des amateurs de photographie culinaire ait une influence sur cette méthode d’éclairage. En effet, peu d’amateurs sont équipés d’éclairage de prise de vue, ils préfèrent donc la lumière du jour, plus naturelle et douce qu’un éclairage de cuisine. Cet ensemble de photographes porte une envie de naturel, d’authenticité et de simplicité par ce style de lumière. Toutefois, la lumière du jour n’est pas la seule manière d’obtenir ce résultat.

En même temps que l’utilisation de la lumière du jour se généralise, l’éclairage construit continu disparait petit à petit.

Toutefois, bien que l’on observe ce courant lumière du jour, de nombreux photo-graphes préfèrent utiliser des flashs, afin d’avoir un éclairage construit très précis.

32 voir un ensemble de fiches Weight Watchers datant de 1974 sur le site de Retronaut (http://www.retronaut.co/2012/03/weightwatchers-cards-1974/), consulté le 2 février 2013

Fig.45 Fiche de cuisine Weight Watchers, 1974

Fig.46 Jean-Louis Bloch-Lainé, Cerises en beignet, 1977

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Parmi eux, Ryan Matthew Smith, dont les images ne pourraient exister par la seule utilisation de la lumière du jour. Ce photo-graphe spécialisé en publicité, qui a réalisé toutes les photogra-phies de Modernist Cuisine, propose un travail de lumière très précis, proche de la joaillerie.

L’éclairage est imposé en publicité, où l’image a été imaginée par un directeur artistique, qui a lui-même décidé d’une lumière. C’est à ce moment que des compétences techniques du photographe sont essentielles : le photographe doit être capable de reproduire exactement un éclairage imaginé. Si la lumière est le travail du photographe seul, il n’empêche que de nombreux photographes reproduisent systématiquement un éclairage similaire. Cela s’observe en particulier dans la presse.Il n’y a pas de règles, il n’y a pas de tabous dans l’éclairage. En revanche, il y a des modes, des éclairages qui plaisent actuellement. Les photographies des années 1970 à 1990 n’ont aujourd’hui plus aucun intérêt visuel, car les méthodes d’éclairage et le stylisme sont démodés. Cependant les courants sont imprévisibles et il n’est pas à exclure que ce type d’images revienne à la mode.

i.3.3.2 macrophotographie et flou

Les photographes ont travaillé à la chambre argentique aussi longtemps que pos-sible, c’est-à-dire tant que leurs clients acceptaient de payer. En effet, cela contraignait à payer des frais de consommables et à attendre les développements des plan-films.

Jusqu’en 1995, on s’assurait que tous les éléments des images étaient nets, la profon-deur de champ était telle qu’il n’y avait pas de zones de floues.À partir de 1995, avec la découverte de la photographie culinaire australienne et américaine, un groupe de photographes composé de Michael Roulier, Jean-Blaise Hall, Yves Bagros et Jérôme Bilic décide d’intégrer le flou dans leurs images. Le flou semble avoir été difficile à imposer, selon Yves Bagros 33. Systématiquement proposé aux clients, il fallut qu’il rentre dans les mœurs. Au départ, il y eut un rejet total, puis les clients commencèrent à apprécier cette esthétique. Par la suite, ils se mirent à pré-férer ces images et à les demander.

De même, les plats ou assiettes étaient toujours photographiés entourés d’une mise en scène importante et colorée.Actuellement, les photographes n’hésitent plus à couper le contenant par le cadre, à ne photographier qu’un détail du plat.

33 Du paRc ava, « entretien avec Yves bagros », in état des lieux de la photographie culinaire, p. 26

Fig.47 Ryan Matthew Smith, Looking Inside, 2010

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Ces deux images ci-contre illustrent parfaitement les différences esthé-tiques entre les années 1950 et les années 2010, tant dans le stylisme que dans la profondeur de champ.

Au début des années 2000, le passage de l’argentique au numérique s’est fait rapidement, et avec cela la perte des mouvements de chambre permet-tant d’introduire de beaux rendus de flous. Les objectifs à bascule et dé-centrement (ou systèmes équivalents) permettent de retrouver un résultat similaire, bien que moins prononcé. En effet, majorité des photographes utilisent désormais des réflex 24x36 centimètres, soit des capteurs environ 15 fois plus petits que des plan-films 4x5 pouces.Les bascules ne sont pas les seuls moyens d’obtenir du flou. Il y a bien entendu l’utilisation de longues focales ainsi que des objectifs à grande ouverture qui permettent d’avoir une faible profondeur de champ.

i.3.3.3 Le stylisme

Le stylisme est l’art de préparer les aliments et de dresser les plats pour les rendre agréables à l’œil et photogéniques. Il a pour fonction de sublimer

la réalité.Particulièrement féminisé, ce métier nécessite de savoir cuisiner à un niveau proche du professionnel et d’avoir un sens esthétique très développé.

La difficulté de ce métier est l’équilibre à trouver entre appétissant et beau. En effet, les consommateurs préfèrent souvent déguster des plats riches, gourmands, ce qui peut se traduire par des sauces et des jus. Cependant un plat épuré est plus facile à esthétiser et donc à photographier.

Pour arriver à construire des plats photogéniques, les stylistes utilisent des tech-niques particulières, qu’ils refusent de divulguer, car elles sont une part de leurs secrets professionnels. Plusieurs années avant, les mets mis en scène n’étaient pas toujours comestibles, car ils étaient travaillés pour être présentés. Aujourd’hui, les consommateurs souhaitent voir les aliments réels, ils ne veulent plus être dupés par les apparences. Un retour à une alimentation plus saine et une expansion de la consommation des produits issus de l’agriculture biologique sont à l’origine de cette mutation culturelle.

Toutefois, cet attrait pour une alimentation saine ne concerne pas toute la population. En effet, nous constatons que le public consommateur de malbouffe grandit lui aussi.

Fig.48 Image extraite de Betty Crocker’s Picture Cook book, 1950

Fig.49 Cox, 2013

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De nos jours, il y a un paradoxe entre ce que souhaitent voir les consommateurs et ce qu’il est possible de faire. Pour que la nourriture soit esthétique et gourmande, il n’est pas toujours possible de la rendre propre à la consommation. Un légume à cuisson parfaite perdra en couleur alors que s’il est cuit peu de temps il gardera ses coloris éclatants. Une viande correctement cuite s’affaissera, tandis qu’une viande sous cuite gardera en volume. De même, les sauces, mousses et glaces sont souvent remplacées par des textures de substitution, sans quoi il serait impossible de les laisser plusieurs heures sur un plateau de prise de vue sous la chaleur de la lumière.

Le stylisme est relativement différent en édition et en publicité. En édition, un plat est préparé, puis photographié assez rapidement. Étant donné le nombre de prises de vue à réaliser pour un ouvrage, il n’est pas possible de passer une journée sur un seul et même plat. Les aliments n’ont donc pas le temps de s’affaisser, de s’altérer. En revanche, en publicité, la temporalité n’est pas la même. Il faut compter une prise de vue par jour. Donc pendant huit heures ou plus, le plat va rester sous la lumière et s’altérer.

Pour que les aliments restent présentables, le plat est d’abord remplacé par une ma-quette. Cela permet au photographe de construire son éclairage tandis que le styliste prépare le plat. Ce temps permet aussi de s’accorder avec le directeur artistique et de faire de premières propositions aux clients, tant du point de vue du cadrage que de la lumière.

Le styliste extrême est le « model making » 34. Puisque la nourriture s’abime vite et qu’en publicité une prise de vue peut prendre tout une journée, alors la production choisit de fabriquer de faux aliments, comme de fausses glaces par exemple. Des vraies ne supporteraient pas la chaleur et la lumière. Il y a aussi l’ajout de vernis ali-mentaires et de glycérines qui rendent les aliments non comestibles, mais qui leur en donnent l’aspect. Ces faux permettent d’une certaine manière de rassurer les clients, car cela retire une tension liée à la dégradation de l’aliment.

Le degré de faux dépend de ce que souhaite retranscrire le client. Le respect du consommateur dépend entièrement de la volonté du commanditaire.

Le stylisme n’est qu’une étape de la transformation des aliments, qui est souvent sui-vie d’un stade de retouche.

34 action qui consiste à reproduire un aliment à l ’ identique à l ’aide de matières résistantes à la chaleur et à la lumière, que l ’on peut traduire par modélisation

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i.3.3.4 La retouche

Il n’existe à priori pas de retoucheurs spécialisés dans le domaine de la photographie culinaire.

La retouche culinaire consiste essentiellement en la modification des teintes, afin d’équilibrer la balance des blancs et de donner des couleurs plus appétissantes aux sujets photographiés. Il y a parfois une étape de modification de la taille de certains composants de l’image.

En publicité, la retouche sert à composer les images. Certains photographes ont la vo-lonté d’avoir une image proche du résultat définitif à la prise de vue. D’autres éclairent tour à tour chaque partie du sujet, puis le travail de retouche consiste à prendre sur chaque prise de vue l’élément correctement éclairé et de tous les remonter ensemble.

Sophie Pernot, diplômée du lycée professionnel Brassaï, est régisseuse et retoucheuse pour Yves Bagros. Elle faisait donc exclusivement de la retouche culinaire, mais l’évo-lution de l’activité de son employeur l’amène à travailler dans les cosmétiques. Sa formation ne l’a pas destinée à la photographie culinaire.

Si certains retoucheurs se spécialisent dans la retouche beauté ou dans la 3D, cela s’explique par le fait que ce sont des domaines très spécifiques qui ont des techniques propres. Ce qui n’est pas le cas de la photographie culinaire. De plus, selon les budgets, il arrive que les photographes eux-mêmes s’oc-cupent de la retouche. Le studio Atelier Mai 98, dirigé par Thomas Dhellemmes, em-ploie un retoucheur à plein temps qui s’occupe de tout le travail de post-production.

L’agence de publicité Publicis confie toutes ses images au studio de retouche Eye Dream. Pour autant, il n’y a pas de retoucheurs attitré à tout ce qui est à caractère culinaire au sein du studio.

Apparemment, les clients et agences de publicité préfèrent qu’il n’y ait pas trop de retouche, pour ne pas basculer dans le « faux » 35. Ceci est assez contradictoire avec le fait que cela ne les dérange pas qu’il y ait en revanche du faux dans le stylisme.

La retouche est propre à la photographie. La vidéo n’intègre pour l’instant pas d’étape de retouche.

35 Du paRc ava, « entretien avec sylvie bouscaillou », in état des lieux de la photographie culinaire, p. 77

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i.3.3.5 L’arrivée de la vidéo

La vidéo est une pratique qui s’intensifie depuis peu. De petits films culinaires naissent grâce aux nouveaux outils à disposition des photographes, les DSLR36 embarquant des systèmes de captation vidéo. On peut citer le Canon 5DMkII, première outil pro-fessionnel ayant rendu la vidéo accessible à tous les photographes. L’arrivée sur le marché du Canon EOS 1D-C, outil à la frontière entre appa-reil photographique professionnel et caméra cinéma professionnelle modifie de nou-veau les pratiques.

Divers studios et photographes se sont essayés à cette nouvelle pratique.

Certains ont persévéré, d’autres n’ont pas souhaité continuer. En effet, les budgets sont relativement bas. Or les photographes de publicité ont pour habitude de facturer des montants conséquents. Yves Bagros affirme :

«  Il faudrait que je vende un film 10 000 €, pour amortir la commande. Les annonceurs sont prêts à payer 2  000  € par vidéo, parce qu’ils les dédient à Internet et que les budgets sont restreints. » 37

La nécessité d’utiliser de l’éclairage continu, dont les photographes ne sont pas sou-vent équipés et qu’il faut alors louer, contribue à les faire hésiter.

Il y a d’importantes différences entre la réalisation d’une photographie et la réali-sation d’un film. Pour réaliser une image publicitaire, les photographes consacrent généralement une journée complète à parfaire une prise de vue. Une des difficultés majeures est de ne pas confondre image animée et film. La notion de film introduit le montage et le tournage de différents plans avec diffé-rents points de vue 38. Un film sera réalisé dans un temps compris entre un et trois jours. Toute-fois, il n’y a pas une image à réaliser, mais une multitude de plans, ce qui multiplie autant la quantité de travail en stylisme.

Bien que les photographes soient maintenant équipés pour réaliser des films culi-naires, ce n’est pas pour autant que les agences font appel à eux. Publicis préfère que les films soient réalisés par des vidéastes. Dans le cas où une compagne comprend

36 acronyme de Digital single-Lens Reflex, qui peut se traduire par appareil photographique réflex numérique. 37 Du paRc ava, « entretien avec Yves bagros », in état des lieux de la photographie culinaire, p. 25

38 Du paRc ava, « entretien avec Florian garnier », op. cit. , p. 64

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film et photographie, alors il y aura un photographe et un vidéaste. Toutefois, cela peut poser un problème de cohésion entre les images réalisées.

Le plus renommé des photographes réalisateurs est sans aucun doute Michael Rou-lier, photographe de formation, assisté de Philippe Lhomme, directeur de création. Parmi leurs clients, on trouve Senoble, Carte Noire, Tupperware, Entremont et bien d’autres. La particularité de leurs films est qu’ils mettent en scène exclusivement la nourriture.

Ce qui semble freiner le plus les photographes, c’est la valeur pécuniaire des vidéos. Ils doivent aussi s’adapter à ces nouveaux modes de travail. Ils ne sont plus photo-graphes, mais réalisateurs, ils doivent se familiariser à de nouveaux matériels : DSLR, logiciels de montage.

Si l’arrivée de la vidéo n’est pas à négliger, car elle risque de modifier le marché, cela ne signifie pas pour autant que tous doivent s’y mettre.Pour des photographes qui ont une certaine notoriété, il n’est peut-être pas nécessaire de prendre le risque de réaliser des films médiocres qui décrédibiliseront leur travail photographique. Comme l’utilisation de ce média est récente, chacun expérimente de son côté, il n’y a pas de codes propres à la vidéo.

« […] en terme de rendu d’images je pense que la nouveauté sera la vidéo. Pour l’instant chacun poursuit sa propre dé-marche, il n’y a pas encore de codes établis. »  39

Une première évolution s’observe dans cette nouvelle pratique. Désormais, les vidéos font 60 secondes et non plus 30 secondes, car elles sont destinées à la fois à la télévi-sion et à Internet, où les espaces publicitaires sont très peu chers.

« En ce qui conerne les films, pour la télévision ils ont une du-rée 30 secondes, et 60 secondes pour Internet, car les espaces publicitaires sont moins chers. » 40

Les techniques à disposition des photographes sont des outils, leur influence sur la photographie culinaire réside dans leurs contraintes limitantes.

39 Du paRc ava, « entretien avec Jean-pierre p.J stéphan », op. cit. , p. 83

40 Du paRc ava, « entretien avec sylvie bouscaillou », op. cit. , p. 79

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II lA plAcE du phOtOgRAphE

ii.1 un domaine où chaque acteur peut être auteur

La considération du statut d’auteur diffère en fonction du point de vue et du domaine de la prise de vue, c’est-à-dire publicité, packaging, édition ou presse.

ii.1.1 le styliste

Selon que le styliste effectue un travail pour l’édition ou pour la publicité, son statut varie au regard des autres acteurs. Dans le domaine de la publicité, le styliste est vu comme un technicien 41, tandis que dans la presse, il est autant considéré comme auteur que le photographe.

« Pour nous, [le photographe et le styliste] ont tout deux la même importance, ils sont autant auteur l’un que l’autre. » 42

En effet, en publicité, l’acheteur d’art qui gère le projet fait appel à un styliste en fonc-tion de son habileté technique à travailler une matière ou une autre. Par exemple, il y a en France peu de stylistes culinaires spécialisés en glaces, crèmes et mousses ; parmi eux, Florian Garnier et Eddy Marie. Ces stylistes, très spécialisés, ont comme clientèle presque exclusive des agences de publicité. Un styliste culinaire spécialisé sera donc rapidement remarqué par des acheteurs d’art et verra une grande partie de son activité consacrée à la publicité. Tou-tefois, ce n’est pas pour une valeur ajoutée esthétique que le styliste sera choisi, mais bien pour sa technicité. Cependant, selon s’il travaille régulièrement avec les mêmes photo-graphes, son influence sur l’image pourra être plus ou moins importante. Cela dépend s’il peut discuter avec le photographe.

Tout comme pour les photographes, la presse et l’édition sont les meilleurs moyens pour faire voir son travail et gagner en renommée. Cependant, le travail pour la publi-cité est mieux rémunéré, donc plus attractif.

Dans l’édition et la presse, de nombreux stylistes ne se contentent pas de cuisiner et de dresser les plats, ils ont aussi une activité de création et d’écriture des recettes. Cela peut soit résulter d’une envie du styliste d’élaborer son propre ouvrage, soit être

41 Du paRc ava, « entretien avec sylvie bouscaillou », op. cit. , p. 78

42 Du paRc ava, « entretien avec charlotte graillat », op. cit. , p. 73

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une proposition d’une maison d’édition à l’égard du styliste. Dans ce cas, les stylistes deviennent aussi auteurs de l’ouvrage, dans le sens d’écrivain. L’échange avec le pho-tographe sera donc d’autant plus important et nécessaire.Selon Jean-Pierre P.J Stéphan, le photographe et le styliste ont l’un part rapport à l’autre un statut de collaborateurs et non d’assistants, il estime que le travail de sty-lisme peut être un travail d’auteur. Il souligne tout de même que c’est un métier nou-veau et que la place du styliste reste encore à préciser.43

Yves Bagros confesse que certains stylistes demandent à partager des droits d’au-teur avec les photographes, ce qui sous-entend que certains stylistes se considèrent comme auteurs.

«En presse et en édition, nous sommes en grande synergie, à tel point que les stylistes demandent à partager des droits d’auteur avec le photographe.» 44

C’est toutefois sans doute une pratique rare, puisqu’il est la seule personne à mentionner cela.

Florian Garnier ne se considère pas comme auteur.

«Je ne suis pas auteur, ce que j’aime dans ce métier c’est que je ne considère pas le stylisme culinaire comme de l’art, c’est juste technique et artistique.» 45

Il estime son travail comme étant celui d’un technicien et laisse le statut d’auteur aux stylistes qui rédigent les recettes. Cela peut être lié au fait que la majorité de son tra-vail est destiné à la publicité. Il ajoute que le « star system », comme il existe chez les chefs et les photographes, n’existe pas du tout au sein des stylistes. En effet, à travers les entretiens menés dans le cadre de ce mémoire, aucun styliste ne fut nommé plus qu’un autre.

Afin d’estimer au mieux qui est l’auteur d’une photographie en publicité, il devient nécessaire de s’adresser à des directeurs artistiques et acheteurs d’art afin de détermi-ner l’influence de chacun sur les images finales.

43 Du paRc ava, « entretien avec Jean-pierre p.J stéphan », op. cit. , p. 82

44 Du paRc ava, « entretien avec Yves bagros », op. cit. , p. 20

45 Du paRc ava, « entretien avec Florian garnier », op. cit. , p. 62

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ii.i.2 le directeur artistique et l’acheteur d’art

Le directeur artistique et l’acheteur d’art ont tous deux une influence particulière très importante dans le rendu final des images. Tous deux n’interviennent qu’en publicité, soit le domaine où le photographe est le moins libre dans ses choix.

Le directeur artistique compose l’image et fait ce qui s’appelle une maquette, c’est-à-dire une simulation de ce que sera l’image finale. Pendant ce temps, l’acheteur d’art présélectionne des photographes et des stylistes dont il soumettra les portfolios aux clients. Il est évident que les acheteurs d’art soumettent des photographes dont les travaux leur plaisent, en ayant la contrainte de devoir plaire au directeur artistique. Il faut savoir que c’est l’annonceur, c’est-à-dire la marque qui paie la publicité, qui aura le dernier mot. Pour se rassurer, ce client cherchera à voir dans les portfolios qui lui seront proposés l’image la plus proche de ce qu’il souhaite pour sa propre publicité. L’acheteur d’art influencera donc l’image finale par ses propositions. Adélaïde Samani, acheteuse d’art chez Fred & Farid, ne se sent absolument pas auteure. Elle estime qu’elle participe à la création.

« Non je ne me sens pas auteur, je participe à la création d’une image, tout comme le directeur artistique. Ce dernier participe même plus. Le photographe est l’auteur le plus évident. » 46

La profession acheteur d’art est majoritairement représentée par des femmes.

Au regard des photographes, les directeurs artistiques ne sont pas auteurs.

Élodie Brunelle et Sylvie Bouscaillou, directrices artistiques chez Publicis, ne se considèrent pas comme auteurs, mais admettent qu’elles font leurs propositions et leurs choix en fonction de leurs gouts esthétiques. Bien entendu, dans tous les cas, il y a la présence d’un client qui paie et qui donc aura systématiquement le dernier mot. Cependant, Sylvie Bouscaillou souligne la nécessité d’avoir une part d’auteur dans son travail sans quoi la publicité n’est qu’un environnement commercial et vénal.

Elle pense que directeur artistique et photographe sont tous deux auteurs, car nous retrouvons l’âme des deux dans les images, d’ailleurs elle choisit les photographes pour qu’ils apportent leur style 47.

46 Du paRc ava, « entretien avec adelaïde samani », op. cit. , p. 88

47 Du paRc ava, « entretien avec sylvie bouscaillou », op. cit. , p. 77

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Son propos est quelque peu contradictoire, puisqu’elle ne veut pas se présenter comme auteur, mais reconnait qu’elle l’est.

À priori, les clients se souviendront plus facilement de l’agence avec laquelle ils ont travaillé que du photographe qui aura réalisé l’image. En effet, l’agence est le lien entre le client et le photographe, ces derniers ne sont pas en contact direct. Le direc-teur artistique est vu comme l’auteur de la publicité au sein de l’agence. Le client lui-même peut se considérer en partie comme l’auteur, puisque parfois il propose ses idées.

Aux yeux du public, une campagne publicitaire est plus facilement rattachée à une agence qu’à un photographe, car la signature sur l’image est celle de l’agence. L’agence, ses salariés et collaborateurs sont donc considérés comme les auteurs des images par le grand public 48.

Encore une fois, il est difficile de savoir si les directeurs artistiques et acheteurs d’art sont des auteurs, mais il est intéressant de constater qu’ils ne contestent aucunement le statut d’auteur du photographe, c’est d’ailleurs un critère de sélection.

ii.1.3 le photographe

Il n’y a pas de définition de photographe auteur, mais nous pouvons lire sur le site de l’Agessa :

« Toute personne qui exerce, à titre indépendant, une activité de création dans le domaine de la photographie et qui cède à un tiers les droits d’exploitation sur son œuvre (droit de reproduction ou droit de représentation), ou qui perçoit une rémunération au titre de la vente d’une œuvre d’art originale photographique [...] » 49

Éric Delamarre, dans son ouvrage Profession photographe indépendant, déclare :

« Chaque fois qu’un photographe décide de fixer l’instant, il devient auteur d’une œuvre de l’esprit, par le choix du mo-ment, du lieu, des moyens techniques... » 50

48 Du paRc ava, « entretien avec Florian garnier », op. cit. , p. 66

49 voir le site de l ’agessa (http://www.agessa.org/telechargement/fictelecharge_1/auteurs/photographes.pdf), le 6 avril 2013

50 DeLamaRRe éric, profession photographe indépendant, paris, eyrolles, p. 3

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Il y a deux types de photographes : ceux qui se considèrent comme auteur et ceux qui se considèrent comme techniciens. Cette différence se ressent très fortement en observant leurs clients. Les photographes qui ne se présentent pas comme auteurs travaillent beaucoup en publi-cité, domaine où leur travail n’est pas personnel. Ils ont pour contrainte de se plier aux attentes des clients et ne maitrisent donc pas l’image qu’ils produisent. Toutefois, ils revendiquent leur travail. Les photographes qui travaillent en presse et édition ont une démarche d’auteur bien plus évidente.

D’ailleurs, des deux photographes culinaires français présents en galerie, Thomas Dhellemmes et Mathilde de l’Écotais, le premier préfère la presse et l’édition, où il est libre de proposer ce qu’il souhaite. Mathilde de l’Écotais préfère la publicité pour sa rentabilité. Toutefois elle a toujours une forte présence dans l’édition, puisqu’elle réalise les livres du chef Thierry Marx, son compagnon.

La notion d’artiste dépend aussi du regard que porte le public sur les photographies.La renommée du photographe lui permet ou non d’avoir une démarche d’auteur.

Pour Thomas Dhellemmes, la photographie artistique est un domaine où il peut pro-poser ses démarches personnelles sans être soumis à des contraintes.Si juridiquement il est toujours l’auteur des images qu’il réalise, que ce soit des travaux personnels ou de commande, il reconnait que définir l’auteur d’une photographie est ambigüe. Il fait le choix de travailler en équipe et de laisser la parole à chacun. Il lui est donc difficile d’attribuer une photographie à l’un de ses collaborateurs plutôt qu’à un autre. Toutefois, cette incertitude n’existe que dans la structure de son studio, il n’y intègre ni client ni styliste.

« J’ai toute une équipe autour de moi, c’est ambigu, il est dif-ficile de dire que ça appartient à l’un de nous. Je veux que chacun s’exprime. » 51

Si le photographe n’aime pas ce que le client lui demande de faire, alors il cherche à esthétiser afin de pouvoir revendiquer l’image finale.

«Quand un client me demande de faire un travail avec des couleurs que je n’aime pas, je fais en sorte d’apporter une patte pour que ça me plaise. » 52

51 Du paRc ava, « entretien avec thomas Dhellemmes », in état des lieux de la photographie culinaire, p. 52

52 ibid., p. 51

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Dans tous les cas, les photographes reconnaissent leurs images, ce qui montre bien qu’ils s’estiment auteur, ne serait-ce que juridiquement.

ii.1.4 analogies avec d’autres champs de la photographie

ii.1.4.1 La mode

Si le statut du photographe en tant qu’auteur peut porter à controverse en photogra-phie culinaire, ce n’est pas le seul domaine où c’est le cas. La photographie de mode a ses exigences, ses restrictions et ses multiples auteurs. Le photographe doit savoir s’affirmer pour être reconnu comme auteur. Il a la contrainte de devoir répondre à une ligne éditoriale.

Deux grandes catégories d’images de mode se distinguent : la presse et la publicité. En photographie de mode pour la presse, le photographe a beaucoup de liberté. Les images sont peu maquettées, les réunions de préproduction servent à éta-blir un « mood board » 53, c’est-à-dire à réunir un ensemble d’images définissant une ambiance générale. Le photographe est par la suite libre dans ce cadre.

En photographie publicitaire en revanche, tout comme en photographie culinaire pu-blicitaire, l’image est préparée en amont, en accord avec le photographe. La différence majeure réside dans le fait que le sujet est mobile, humain, il est donc difficile d’établir à l’avance une pose exacte.

Ici aussi, c’est la renommée du photographe qui lui permet ou non d’avoir des libertés. Les cartes blanches sont rares, même pour la presse, car les intervenants sont plus nombreux qu’en photographie culinaire.

Le marché de la mode est particulièrement prisé, beaucoup de photographes se tournent vers ce milieu. Toutes les professions liées à la mode attirent, donc de nom-breux exécutants professionnels œuvres dans ce milieu.

Et puis la mode est un domaine qui a toujours plu. Prisé par les professionnels, il fait rêver un large public. En effet, à la mode sont associés le prestige des créateurs, des célébrités qui portent les vêtements et l’aura des défilés. Les photographies dans les magazines de mode sont le seul moyen pour nombre de personnes d’apercevoir cet univers.

53 anglicisme, qui peut se traduire par planche de tendances.

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En photographie culinaire, tout cela n’existe pas. Bien sûr, il existe quelques chefs célèbres, étoilés. Mais la cuisine ne symbolise pas autant le luxe que la mode.

«La mode […] a un écho beaucoup plus fort [que la photogra-phie culinaire] auprès du grand public» 54

La France est internationalement reconnue pour sa mode et sa gastronomie. Les pho-tographes ont la chance d’avoir à leur portée certains des plus grands créateurs et cuisiniers du monde. Il semble que cela puisse contribuer dans ces deux domaines à donner une impulsion positive à la photographie.Jean-Blaise Hall est plus réservé. Il va jusqu’à dire que certains, photographes, créa-teurs, chefs, stylistes et autres, se reposent sur cette renommée et ne prennent pas la peine de se remettre en question.

« On est tellement persuadés qu’on est le centre du monde en cuisine et en mode qu’on ne regarde pas ce qui se fait à l’international. » 55

Toutefois, des problématiques similaires se posent. Qui est l’auteur, est-ce le photo-graphe, le directeur artistique, le créateur de mode, éventuellement le mannequin ?

Il semble que cette question puisse se poser dans tous les domaines de la photogra-phie et que la réponse diffère à chaque projet.

La mode a ses contraintes, similaires à la photographie culinaire. Dans le premier cas, le sujet est difficile puisqu’il est vivant et donc en perpétuel mouvement, dans le se-cond cas le sujet est instable, il subit un vieillissement accéléré lié au temps qui passe.

ii.1.4.2 La publicité

En publicité, quel que soit le genre photographique abordé, les agences de publicité font un important travail en amont. Le travail est similaire et les intervenants iden-tiques.

En revanche, les rapports avec le client peuvent être différents. Si le budget est res-treint, alors le photographe sera en contact direct avec le client, ce qui réduira les intermédiaires et donc les couts. Dans le cadre d’une campagne à gros budget, la

54 Du paRc ava, « entretien avec David bonnier », in état des lieux de la photographie culinaire, p. 12

55 Du paRc ava, « entretien avec Jean-blaise Hall », op. cit. , p. 35

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chaine des intervenants sera respectée. c’est-à-dire que le client, représenté par son chef produit sera en relation avec le commercial de son entreprise, lui-même sera en contact avec le directeur artistique de l’agence. Ce directeur artistique sera l’interlocu-teur du photographe et du styliste. Inversement, le photographe et le styliste réalisent une image qu’ils pensent correspondre à la commande, la soumettent au directeur artistique qui la proposera à son tour au client. Dans la théorie, qui s’applique dans le cas de productions luxueuses, cette chaine devrait être respectée. Toutefois, il est vrai que lors d’une prise de vue, tous les intéressés sont présents, chacun est donc libre de donner son avis à propos de l’image en cours de réalisation.

Pour le photographe, que ce soit en mode ou en culinaire, sa place est la même au sein de l’équipe de production, la réflexion sur son travail d’auteur est similaire. Il faut préciser qu’en luxe et beauté, c’est le directeur artistique qui choisit le photographe et non l’acheteur d’art qui le propose. Son influence sur l’image est donc plus grande encore et le photographe.

Quel que soit le genre photographique, en publicité, le client a toujours le dernier mot, puisque c’est lui qui paie.

« En publicité, le propos est clair, il faut magnifier le produit. » 56

Adélaïde Samani, acheteuse d’art, admet que l’objectif de la publicité n’est pas de faire de la photographie d’art mais de magnifier le produit pour le vendre.

Les budgets accordés à la retouche sont de plus en plus élevés, il arrive même qu’il dépassent les budgets de prise de vue. C’est une particularité de la photographie pu-blicitaire. C’est un important, puisque c’est lié au fait que les images sont de plus en plus dénaturées.

Pour l’instant, en photographie culinaire, tout est réellement photographiés. Dans d’autres domaines, l’automobile ou les cosmétiques par exemple, de plus en plus de sujets sont modélisés en trois dimensions. Dans le meilleur des cas, les photographes deviennet conseillers sur la lumière, sinon ces domaines se passent de photographes.

La publicité n’est pas un genre photographique différent de la photographie culinaire, c’est un domaine qui recouvre plusieurs genres. Il est donc normale que la photogra-phie culinaire ait de nombreux points communs avec la publicité.

56 Du paRc ava, « entretien avec adélaïde samani », op. cit. , p. 87

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ii.2 une autonomie de production

ii.2.1 l’implication dans le stylisme

Dans la presse, il arrive que certains photographes travaillent en autonomie totale. Cela peut être envisagé en édition, mais aucunement en publicité.

Effectivement dans le cas de la presse, lors de reportages il n’est pas toujours possible pour le photographe d’être accompagné. De plus, si son reportage porte sur des plats de chef, l’intervention d’un styliste n’est pas possible puisque le chef cuisinera lui-même. C’est son dressage qui devra être photographié et non une interprétation faite par un styliste.

Marie-Laure Tombini, en accord avec son éditeur, se charge de l’écriture des recettes, de la cuisine, du stylisme et de la prise de vue. Elle ne délègue que la retouche 57. Cette implication lui permet de revendiquer entièrement les images qu’elle produit. Toutefois ce choix a sa part d’avantages et d’inconvénients. Si elle ap-précie de tout faire, cela l’empêche de s’impliquer totalement dans la prise de vue. Les premières étapes étant particulièrement prenantes et systématiquement différentes, elle ne peut se permettre de les faire rapidement. En revanche, l’étape prise de vue est plus rapide. Son poste de travail est toujours installé, prêt à recevoir un plat à photo-graphier. Sur les trois images ci-dessous, nous observons que la lumière est identique, un contrejour diffus provenant de la gauche de l’image.

Dans le passé, elle eut une assistante qui se chargeait de la cuisine et qui contribuait au stylisme, ce qui lui permettait de consacrer plus de temps à la prise de vue. Les réductions budgétaires de Mango, son éditeur, ne lui permettent plus ce confort.

Certains photographes reconnaissent que le stylisme est un métier à part entière et ne souhaitent pas s’impliquer. En revanche, il y a un échange constant entre styliste

57 Du paRc ava, « entretien avec marie-Laure tombini », op. cit. , p. 45

Fig.50-51-52 Trois recettes de Marie-Laure Tombini, photographiées par Marie-Laure Tombini

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et photographe. Le numérique n’a en rien modifié les rapports qu’entretiennent ces deux acteurs. Au contraire, la notion de binôme a toujours été la même, c’est-à-dire une relation de confiance entre deux prestataires.

Une des preuves du respect mutuel de ces deux professions est que lorsque les pho-tographes font des projets personnels ou des essais photographiques, ils travaillent dans la mesure du possible avec un styliste, c’est-à-dire en fonction de ses disponi-bilités. On observe que certains photographes deviennent stylistes et que certains stylistes deviennent photographes, toutefois chacun garde sa place lors des prises de vue. C’est une forme de respect de l’autre. Les photographes cherchent autant que possible à travailler avec le même styliste. La constitution d’un binôme permet d’avoir un portfolio commun et ainsi de se vendre avec plus d’efficacité, car le client potentiel peut visualiser le travail du binôme.

Les photographes ne s’impliquent pas dans la réalisation pratique du stylisme, toute-fois l’échange qu’ils ont avec le styliste et l’intérêt qu’ils ont à le faire est une manière de s’impliquer.

De plus, il est important que l’attention du photographe soit perpétuellement tournée vers la technique, car c’est la partie dont il est seul responsable. De plus, les nouveaux flux de production demandent aux photographes d’être particulièrement attentifs.

ii.2.2 les nouveaux flux de production

Ces nouveaux flux de production sont majoritairement liés au numérique et à Internet.

En argentique, le photographe faisait deux polaroïds : un en couleur pour contrôler la température de couleur et un noir et blanc pour contrôler l’exposition et le contraste 58. Les prises de vue définitives étaient généralement réalisées sur film positif tel que de l’Ektachrome de chez Kodak. Il fallait donc attendre que les films soient traités par un laboratoire pour voir le résultat, ce qui prenait entre une heure et une demi-journée.Pour pallier le stress du client et du directeur artistique, le photographe se devait d’instaurer un climat de confiance.

La prise de vue numérique a complètement changé cela. Désormais, lors de réalisa-tions d’images publicitaires, toutes les personnes présentes lors de la prise de vue voient l’image instantanément. Dans le cas où le client ne peut être présent au mo-

58 Du paRc ava, « entretien avec David bonnier », op. cit. , p. 15

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ment de la prise de vue, il reçoit les images en direct par courriel, et peut ainsi donner son avis. Le numérique induit des changements positifs et d’autres négatifs.

Puisque le client et le directeur artistique peuvent immédiatement donner leur avis et ainsi faire modifier ce qui ne leur convient pas, il n’y a pas de probabilité que l’image soit à recommencer. Cela modifie la notion d’auteur. Puisque le photographe répond à chaque demande du client et du directeur artistique, qu’il se doit de les contenter car ils voient le résultat instatanément, il risque de devenir un simple exécutant à leur service.

En revanche, la notion de confiance évoquée plus haut disparait. Chacun se fie à ce qu’il voit. De plus, le numérique offrant un champ de possibilité élargi en post-pro-duction, certains clients n’hésitent pas à demander une retouche au moment de la prise de vue pour être au plus proche du résultat final.

Il faut ajouter que le photographe ne cherche plus à atteindre la perfection lors de la prise de vue, puisqu’il sait qu’il y a une part importante du budget consacrée à la post-production. Souvent, les images publicitaires finales sont issues d’un ensemble de prises de vues montées entre elles en post-production.

« Ce qui a beaucoup changé en numérique dans la publicité, c’est que désormais on choisit les parties qui intéressent sur chaque image et on les assemble entre elles pour arriver au résultat final. » 59

Le photomontage était possible en argentique, toutefois de façon moins précise, il était utilisé pour des zones aux surfaces relativement importantes.

Pour les photographes qui sont actifs en édition et en presse, ils font eux-mêmes leur retouche. Ceci a demandé à certains une véritable adaptation de leurs flux de travail puisqu’ils ne consacraient aucun temps à la post-production en argentique

« Je ne passe pas plus de temps en stylisme, mais en post-pro-duction. Avant pour moi c’était terminé à l’instant où j’avais déclenché. C’est mon assistant qui s’occupait de la suite, on vérifiait que les développements étaient corrects. Je pense qu’aujourd’hui l’on a doublé notre volume de travail. » 60

59 Du paRc ava, « entretien avec mathilde de l’écotais », op. cit. , p. 44

60 Du paRc ava, « entretien avec Jean-blaise Hall », op. cit. , p. 38

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Par contre, le domaine de la publicité confie, sauf à de très rares excep-tions, systématiquement les images à des retoucheurs professionnels.

Ce passage au numérique fut un avantage considérable des jeunes photographes par rapport à leurs concurrents présents sur le marché depuis plus longtemps, car leur apprentissage a été argentique et numérique, ils n’ont pas eu à découvrir de nouvelles pratiques en autodidactes 61.

61 ibid. p. 36

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ii.3 La place actuelle du photographe

ii.3.1 une reconnaissance liée aux types de publication

Selon le domaine d’action du photographe, celui-ci sera plus ou moins reconnu par ses pairs et par l’ensemble des professionnels liés à la photographie culinaire. En effet, qu’il fasse du packshot, de la publicité, de la presse ou de l’édition, il aura besoin de plus ou moins de capacités techniques, autrement dit il devra être plus ou moins compétent.

Il faut tout de même admettre que certains photographes font de la presse par plai-sir et pour les libertés que cela leur octroie, sans pour autant que leurs compétences soient insuffisantes pour travailler en publicité.

Les photographes spécialisés dans l’édition peuvent être connus par un large public professionnel et amateur, tandis que les photographes publicitaires sont connus par un public plus restreint, composé de professionnels. Le grand public est peu intéressé par les photographes, ce sont les noms des chefs qui retiennent leur attention ainsi que les marques des produits culinaires. De récentes collections d’ouvrages dont les thèmes sont l’utilisation de produits de marques culinaires, chaque ouvrage étant dédié à un produit particulier tel que La Vache Qui Rit, la Crème de Marrons, les Oursons en Guimauve, se vendent à mer-veille.

Le clivage entre édition et publicité est marqué par ce problème de reconnaissance. Ce phénomène de séparation ne se retrouve pas dans tous les domaines. Par exemple, dans la photographie de mode, les photographes peuvent indifféremment travailler en presse et publicité sans pour autant que leurs compétences soient misent en cause. Annie Leibovitz, du haut de sa renommée, réalise tour à tour des campagnes publicitaires pour Louis Vuitton et des séries pour les pages de Vogue ou Vanity Fair.

La notion d’auteur est rarement invoquée dans cette question de la reconnaissance, ce qui prouve bien que les commanditaires n’en sont pas conscients, ils s’intéressent plus aux compétences techniques et à la valeur ajoutée du photographe. Cette diver-gence est en partie une question de terminologie.

Dans la réalité, il est techniquement plus difficile de faire de la publicité et du packs-hot que de l’édition et de la presse. C’est donc sur ces critères que s’établit la recon-naissance des photographes.

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Aujourd’hui, une multitude de photographes exerce dans le domaine du culinaire. Toutefois peu sont sollicités par des agences de publicité. Il n’est pas difficile de faire une belle photographie d’un met apetissant, il est difficile de reproduire un éclairage, de répondre à une attente d’un client. Ces contraintes font que la publicité est un domaine prestigieux, où le photographe est reconnu pour la qualité de son travail.

Dans tous ces cas, il y a une reconnaissance de la profession de la part des agences et des éditeurs, puisqu’ils ne contactent que des photographes spécialisés. En revanche, de la part des galeries, la reconnaissance est presque inexis-tante. Bien entendu, des travaux de commande n’ont pas leur place dans une exposition, mais des séries personnelles représentatives d’un auteur pourraient être montrées.

Les deux images ci-dessus sont extraites de séries, à la limite entre photographie culi-naire et nature morte. Elles ne servent pas une recette, mais sont des travaux personnels.

En revanche, des photographes dont le statut d’artiste et la cote sont reconnus auront des facilités à exposer des photographies à caractère culinaire, en particulier s’ils ne sont pas spécialisés dans ce domaine. Les deux photographies ci-dessous montrent une image de Valérie Belin en galerie, dont la fonction ne diffère pas des deux images précédentes.

Fig.55 Valérie Belin, Untitled, 2007 Fig.56 Katie Bedlow, At the ‘Colours’ exhi-bition at the Michael Hoppen gallery, 2009

Fig.53 Yuichi Nishihata, Sans titre Fig.54 Fred Lebain, Hot Jo

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ii.3.2 un processus de création conditionné par le secteur de diffusion

Chaque secteur ayant ses codes, il est évident qu’en fonction du commanditaire, le photographe proposera un type d’image particulier.

Selon si la commande émane de la presse, de l’édition ou de la publicité, le photo-graphe aura une approche différente du travail à effectuer.

Chaque domaine présente ses avantages et ses inconvénients. En publicité, il est vrai que la part de création est restreinte pour le pho-tographe, puisque dans la majorité des cas le directeur artistique s’en charge. Toute-fois, les délais sont généralement longs entre la naissance du projet et la diffusion de l’image finale. Cela permet à chaque acteur de faire des essais, des propositions, de les soumettre et de les corriger si nécessaire. Dans ce cadre, le photographe a lui aussi un temps consacré à la réflexion et une durée de réalisation confortable. Dès qu’il est contacté pour un projet, il peut commencer une démarche de recherche, faire des essais relatifs à la commande. Ces études l’aideront lors de la prise de vue définitive à travailler rapidement et de ce fait à soumettre des idées et à intégrer une touche personnelle à l’image, ce que le client considèrera comme la valeur ajoutée du photo-graphe.

Contrairement à la publicité, la presse et l’édition demandent un travail de création au photographe, puisqu’aucun directeur artistique n’intervient. Le photographe et le styliste travaillent donc en étroite collaboration, dans un processus de création, afin de s’accorder sur les images à réaliser et donc les couleurs des fonds et les dressages des plats. Dans l’absolu, ils doivent connaitre au mieux les idées l’un de l’autre afin d’être complémentaires dans leurs préparations. Cependant, les délais en édition entre la commande et la réalisation des images sont très courts. C’est pourquoi les photographes et stylistes apprécient d’avoir un binôme régulier, car ils ne perdent pas de temps à présenter et expliquer leur travail à un nouveau collaborateur. La création, voire l’écriture des recettes, peuvent se faire au moment de la prise de vue tellement le temps est compté.Jusqu’à présent, les photographes avaient habituellement carte blanche, actuelle-ment les éditeurs essaient autant que possible de leur imposer un cahier des charges.

Ce changement de méthode de commande va modifier l’approche de la partie créa-tive par le photographe. Une approche de la prise de vue similaire avec les modes d’expérimentation usuels en publicité devrait s’opérer.

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ii.3.3 photographe de nature morte : une dénomination imprécise

Le terme nature morte désigne un champ d’exercice très vaste. En effet, il fait référence à toute photographie dont le sujet est inerte, qu’il soit photographié dans un environnement spécifique ou en studio.

Les photographes culinaires sont des photographes de nature morte spécialisés, d’ail-leurs certains changent de spécialité durant leur carrière. Yves Bagros évolue actuel-lement vers les cosmétiques, en argumentant que la photographie culinaire est deve-nue trop populaire.

« Cette mare à canard que devenue la photographie culinaire me pousse à me tourner vers la photographie de cosmétiques, qui est beaucoup plus technique. » 62

Thomas Dhellemmes voit son activité répartie entre différents secteurs, mais essen-tiellement en nature morte. Se présenter comme photographe de nature morte peut permettre de diversifier son activité.

« Je passe 60% de mon temps et de mon activité économique en culinaire, 20% en joaillerie, 20% en décoration et 10% de reportage, essentiellement de l’architecture. » 63

Les maisons d’éditions ou agences de publicité ne font jamais appel à des photo-graphes inexpérimentés en matière de photographie culinaire, elles souhaitent qu’ils aient une expérience.

Il est nécessaire que les photographes culinaires se présentent en tant que tels, car cela contribue à valoriser leur travail. Par ce titre, ils prouvent à leur entourage qu’ils sont spécialisés et donc qu’ils ont des compétences particulières.

La relation au sujet qu’entretien le photographe en fait quelqu’un de plus ou moins spécialisé. Il semble que le photographe de nature morte voit la photographie culi-naire comme une forme de nature morte, tandis que le photographe culinaire en fait un genre à part. Les photographes culinaires, à quelques exceptions près, utilisent cette dé-nomination pour se présenter. Mathilde de l’Écotais préfère s’annoncer comme photo-

62 Du paRc ava, « entretien avec Yves bagros », in état des lieux de la photographie culinaire, p. 23

63 Du paRc ava, « entretien avec thomas Dhellemmes », op. cit. , p. 50

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graphe plasticienne, puisqu’elle ne considère pas son travail comme étant culinaire 64. Marie-Laure Tombini s’annonce comme auteur. Elle estime que cela en-globe son activité de créatrice de recettes et de photographe auteur 65.

ii.3.4 le photographe culinaire vu par...

ii.3.4.1 ... ses paires

Ce sont peut-être les photographes qui sont les plus sévères dans le jugement de leurs confrères. Il y a d’une part les photographes culinaires qui donnent leur avis sur d’autres photographes ayant la même spécialité qu’eux et les photographes travail-lant dans un domaine tout à fait différent.

Les photographes culinaires sont particulièrement durs, en particulier ceux exerçant pour la publicité. Leurs clients sont très exigeants, ils reportent ces exigences sur leurs confrères. Ces attentes sont fondées. En effet, certains clients sont influençables, il serait honteux qu’un photographe au travail médiocre discrédite toute la profession.S’ils peuvent se permettre de juger leurs confrères sur leurs techniques, c’est en re-vanche plus délicat sur le plan esthétique. Il y a un rejet total des photographes arrivistes, mais il semble que cela s’applique à tous les domaines. Pour les photographes expérimentés, arriviste désigne une personne qui signe des contrats importants sans avoir une expérience d’assista-nat. Pour les jeunes photographes, il est nécessaire de faire rapidement ses preuves, car les photographes expérimentés n’ont pas une haute estime de ces jeunes inexpéri-mentés. Ils argumentent en prétextant leur expérience, toutefois ils semblent oublier qu’eux aussi ont à une époque été novices.

Les photographes exerçant dans d’autres domaines ont des avis très partagés. Pour les uns, il y a une notion du « toujours pareil », c’est-à-dire que la pho-tographie culinaire propose systématiquement le même type d’images. Ceci est sans doute lié au fait qu’il n’y a que deux grands courants dans la photographie culinaire, le second débutant au milieu des années 1990. Il n’y a depuis pas eu d’autre changement notoire dans ce domaine. Pour d’autres, ils respectent cette spécialité qu’ils ne pratiquent pas et ne se permettent pas de la juger. Enfin, d’autres estiment que c’est une pratique facile puisque les sujets sont agréables à l’œil avant d’être photographiés, ils pensent donc que le photographe n’a pas besoin de sublimer, car le sujet est toujours photogénique.

64 Du paRc ava, « entretien avec mathilde de l’écotais », op. cit. , p. 41

65 Du paRc ava, « entretien avec marie-Laure tombini », op. cit. , p. 47

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Rip Hopkins regrette que peu de photographes prennent des risques dans la construction de leurs images et dans le choix des sujets, mais il reconnait que c’est un domaine difficile qui nécessite beaucoup de patience.

« Les jeunes qui sortent des écoles ne devraient pas hésiter à essayer des choses. Ils devraient même commencer en étant à l’école, car ils ont du matériel à leur disposition, ils ont un formidable terrain d’expérimentation. » 66

Quel que soit le domaine de création du photographe, il est délicat de juger l’esthé-tique d’un travail. Chacun a ses propres gouts et chaque client des attentes différentes d’un autre.

ii.3.4.2 ... ses collaborateurs

Il y a une reconnaissance du métier de photographe culinaire puisque les maisons d’édition et les agences de publicité font appel exclusivement à des photographes spécialisés, tout du moins qui ont une expérience importante dans ce domaine.

Laurent Séminiel, éditeur chez Menu Fretin, fait lui-même toutes les illustrations des ouvrages qu’il publie. Effectivement lorsque l’on regarde son travail, les images sont propres. Toutefois, il y a des plats qu’il ne sait pas photographier et il en déduit qu’il est impossible de les photographier. C’est regrettable, car s’il faisait appel à un photo-graphe, ses livres contiendraient toutes les images qu’il désire.

« Les aliments pas jolis sont une limite de la photographie. Il y a des plats que l’on ne peut pas photographier, car visuelle-ment ils ne transmettent rien. » 67

Comme dans tout champ de la photographie, il arrive que le travail du photographe soit sous-estimé dans sa valeur, car le client pense que le simple fait d’avoir un métier-passion suffit à rémunérer l’exécutant.C’est pourquoi il a pu arriver que des amateurs fassent le travail de professionnels. En effet, un photographe qui discute son prix sera moins attractif qu’un amateur qui accepte de faire des photographies parce qu’il est flatté.Il y a toutefois un retour de reconnaissance de la part des publicitaires. Jusqu’à pré-sent, certains pensaient que le numérique rendait la photographie accessible à tous et

66 Du paRc ava, « entretien avec Rip Hopkins », op. cit. , p. 59

67 Du paRc ava, « entretien avec Laurent séminiel », op. cit. , p. 69

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que le savoir-faire des photographes n’était plus une plus-value. Leurs premières ex-périences avec des amateurs leur ont fait changer d’avis. Les fichiers qu’ils obtiennent sont souvent de qualité médiocre, et à cause de cela le travail de post-production est d’autant plus compliqué.

Sylvie Bouscaillou présente le photographe comme quelqu’un sur qui le directeur artistique et le client peuvent se reposer. Même s’ils ont des attentes dans ce que peut apporter le photographe, elle choisit quelqu’un qu’elle sait capable de faire ce que le client attend. Sans s’en rendre compte, les directeurs artistiques entrainent les photo-graphes a toujours faire les mêmes choses.

« Souvent, nous choisissons un photographe en fonction de ses lumières, de ses cadrages, de ses angles de vue et de ce qu’il a déjà fait. En général, les clients et nous aimons voir dans les portfolios du photographe l’esprit que l’on veut don-ner à l’image. » 68

Le directeur artistique n’a pas une mauvaise image du photographe, toutefois il le voit en partie comme un outil.

Pour Florian Garnier, qui ne se considère pas comme auteur, photographe est un mé-tier au même titre que styliste.

« Je n’ai jamais pensé être photographe, je reste persuadé que photographe et stylistes sont des vrais métiers. » 69

Il apparait à travers ces témoignages que les photographes sont considérés en rap-port de la place que s’accordent leurs interlocuteurs.

ii.3.4.3 ... les amateurs

Les amateurs sont les observateurs qui sous-estiment le plus le travail du photo-graphe professionnel. En effet, dans la plupart des cas ils n’ont pas de culture de l’image et sont incapables de voir la différence entre une photographie professionnelle qualitative et une photographie amateur « jolie ». C’est le sujet qui prime dans leur appréciation. C’est le même phénomène que celui qui se produit avec la photographie de famille,

68 Du paRc ava, « entretien avec sylvie bouscaillou », op. cit. , p. 77

69 Du paRc ava, « entretien avec Flrorian garnier », op. cit. , p. 60

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les souvenirs et les sujets sont plus importants que l’aspect qualitatif de l’image. Un rapide aperçu de quelques blogs permet de confronter photographies et commentaires.

Ci-dessus, trois images qui ont retenu l’attention des lecteurs, alors qu’elles n’ont au-cun intérêt esthétique. Les ombres sont dures, l’éclairage uniforme, le stylisme pauvre. C’est un problème, car les lecteurs apprécient et de fait complimentent les blogueurs, qui en tirent une certaine fierté et peuvent imaginer pouvoir être publiés.Toutefois, un phénomène inverse est en train de se produire. Les nombreux blogueurs se rendent compte qu’écrire les recettes et réaliser les images leur prend beaucoup de temps et commencent à reconnaitre les métiers de photographe et d’auteur à part entière.

Les amateurs qui utilisent les réseaux sociaux n’ont pas le même regard sur leurs images. Elles entrent dans un phénomène de communauté, sont une preuve du niveau social de l’utilisateur. Elles ne sont pas soumises à des critiques relatives à leur nature.

Enfin, les acheteurs de livres sont un troisième regard sur la photographie culinaire. Le premier critère est sans doute le prix. Ensuite, les photographies ont pour fonction de séduire l’acheteur. L’abondance d’images et leur qualité aideront l’acheteur dans son choix. Il ne faut pas négliger l’auteur du livre, en particulier si c’est un chef, et la nature des recettes, qui sont d’autres critères d’achat importants.

«  La photographie amateur, si elle peut donner une légère impulsion à la photographie culinaire en poussant certains photographes à remettre leur travail en cause, a un effet assez néfaste sur le métier.Nombre de blogueuses s’autoproclament photographes et

Fig.57 Image extraite du blog de La cuisine au village, accompagnée du commentaire « hum, joli gratin de saison ! »

Fig.58 Image extraite du blog Délices Cookie’s, accompagnée du commen-taire « [...] je vais adopter les yeux fermés, d’autant plus que tes photos sont magnifiques ! »

Fig.59 Image extraite du blog Nuage de lait, commentée ainsi « Superbes photos qui donnent envie de plonger la cuillère dans ces jolies crèmes ! » et « Tes photos sont très tentantes !! »

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volent du travail aux photographes en cassant le prix courant.Il y a peut-être actuellement une remise en question de ces blogueuses. Elles se rendent compte que la photographie prend du temps et est un véritable métier. » 70

Ce témoignage de Jean-Pierre P.J Stéphan, qui observe continuellement les évolu-tions et les différentes approches de la photographie culinaire, résume correctement la place des blogueurs.

Si le regard des amateurs est si intransigeant, cela ne va pas aller en s’améliorant. Il n’y a pas de raison que leur culture de l’image grandisse. Ils se contentent souvent de pouvoir dire d’une image qu’elle leur plait ou non. Puisqu’il n’y a pas de raison que la production de photographie culinaire diminue, alors les photographes devront être capables de plus en plus de se démarquer.

70 Du paRc ava, « entretien avec Jean-pierre p.J stéphan », op. cit. , p. 83

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ii.4 La paternité de la photographie

ii.4.1 le cas de la photographie de commande

Avant la réalisation de la photographie, le photographe sait à quelles fins il doit réa-liser l’image. Le contrat qu’il signera avec son client détaillera toutes les utilisations possibles de l’image, la rémunération en dépendra. En France, le droit d’auteur protège le photographe. Toute photographie qu’il réalise lui appartient légalement. Il en détient les droits moraux et patrimoniaux. Dans l’absolu, il est libre de réaliser une commande puis de refuser que l’image soit utilisée s’il estime que l’emploi de son image la dénaturerait.

Le droit moral du photographe est perpétuel. En revanche, il cède à son client ses droits patrimoniaux, c’est-à-dire de représentation, pour un support et une durée dé-terminés par le contrat. Cela l’empêchera éventuellement de vendre de nouveau son image tant que le client détiendra des droits de représentation.

Juridiquement le photographe reste propriétaire de son image à vie, mais certains clients essaient de copier le modèle américain. Plus connu sous le nom de « copy-right », ce système ne reconnait pas le droit moral, c’est-à-dire qu’une fois que le pho-tographe a vendu son image, son client peut l’utiliser comme il le souhaite.

En France, les auteurs sont particulièrement bien protégés. Toutefois, un photographe qui réalise une photographie très connotée, indissociable d’une marque, ne pourra pas la vendre à un autre client, même après que le contrat soit arrivé à expiration. Non pas qu’un contrat puisse stipuler qu’il n’a pas le droit de la vendre à quelqu’un d’autre, mais aucun autre client ne sera intéressé par une photographie associée à un produit spécifique.

Fig.60 Yves Bagros, Mövenpick Fig.61 Yves Bagros, Magnum

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Il est évident que des deux images présentées précédemment, celle créée pour Mövenpick, dénuée de tout symbole représentatif d’une marque, pourra facilement être revendue. En revanche, la photographie commandée par Magnum et sur laquelle le logo de la marque est présent une multitude de fois ne pourra pas intéresser un autre annonceur. Juridiquement, ces deux images appartiennent à Yves Bagros, mais dans la pratique, la seconde est par défaut associée à une marque. Cela n’empêche pas le photographe de revendiquer tout autant la paternité de l’une et de l’autre.

Tous les photographes dont les entretiens sont en annexe s’accordent sur un point : ils revendiquent la paternité de chaque image qu’ils ont produite. Qu’ils créent entiè-rement ou qu’ils suivent les consignes d’un directeur artistique, ils apportent toujours quelque chose représentatif de leur travail. Ce peut être un cadrage, une lumière, une mise au point particulière.

Tous s’accordent aussi sur le fait qu’il est important de revendiquer ses images, car vis-à-vis du client cela montre qu’ils se sont investis.

Tout comme le photographe, le directeur artistique peut revendiquer une image.

ii.4.2 la frontière ténue où le directeur artistique devient l’auteur

C’est au photographe de veiller à ce que le cas dans lequel le directeur artistique devienne auteur à sa place ne se présente pas.

Toutefois, cela peut se produire dans deux cas de figure. Soit le photographe a laissé le directeur artistique imposer toutes ses idées au point de lui faire faire des choses qu’il ne peut pas revendiquer, parce qu’il n’a pas su ou pu donner son avis. Soit il ne s’est pas investi, il s’est comporté comme un simple exécutant et a laissé le directeur artistique décider de tout.

Dans le second cas, disons que c’est le problème du photographe. Mais il ne faut pas que le directeur artistique prenne un comportement pour un acquis. En effet, il lui arrivera de travailler avec d’autres photographes qui pourront réagir différemment.

Le premier cas est plus subtile. Ce sont les personnalités de chacun qui rendent cela possible ou non. Certains directeurs artistiques ont une idée tellement précise qu’ils veulent la voir parfaitement réalisée. C’est à ce moment que se distinguent deux caté-gories de photographes : ceux qui ont une démarche d’auteur et ceux qui ne font que

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le travail demandé. Une agence de publicité, un éditeur, ne feront probablement pas la même demande à ces deux types de photographes.

Lorsqu’il accepte une commande, le photographe doit s’assurer de ce que l’on attend de lui, un travail d’auteur ou de technicien. Il y a des photographes à qui cela peut convenir mais cela ne participera pas à valoriser le travail de photographe auteur

En général, le directeur artistique contribue à choisir le photographe. Soit il le retien-dra pour ses capacités techniques, soit pour ce que le photographe peut apporter à la prise de vue. Le directeur artistique aura un comportement différent en fonction de ce qu’il attendra du photographe, c’est lui qui jugera s’il est nécessaire de le diriger en plus de ce qui a été convenu en amont, ou s’il fait le choix de le laisser libre, sachant que le photographe a reçu un cahier des charges. Il existe aussi quelques directeurs artistiques à qui les agences de publi-cité font appel pour qu’ils dirigent entièrement le projet et que qu’ils aient un apport personnel.

Dans tous les cas, nous constatons que plus le budget est important, plus la prise de vue a été réfléchie et préparée et moins le photographe est auteur. Toutefois, cela n’est pas au profit d’un directeur artistique mais de l’ensemble des intervenants.

Nous constatons que le photographe lui-même contribue grandement à définir sa place.L’évolution de la photographie culinaire participe à faire évoluer le statut du photo-graphe.

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III l’évOlutIOn dE lA phOtOgRAphIE culInAIRE

iii.1 Les facteurs de cette évolution

iii.1.1 la prise de vue numérique : nouvelles approches

La prise de vue numérique est une révolution qui octroie de grandes libertés aux pho-tographes. Avec la disparition de l’argentique, les couts de consommables s’amoin-drissent.

Avant, les photographes réalisaient leurs prises de vue et étaient contraints d’attendre le développement des films pour voir le résultat. Bien entendu, le polaroïd permettait d’avoir une idée de l’image finale, du cadrage, de l’exposition et de la balance des blancs. Toutefois, grâce au numérique, les photographes ont désormais la liberté de faire des tests et un nombre « illimité » de prises de vue. Il est vrai que le matériel numérique subit une usure, mais elle est négligeable comparativement à la valeur des consommables argentiques.

Cette possibilité de voir le résultat instantanément est aussi un inconvénient majeur. En effet, dans les cas où le client et le directeur artistique sont présents au moment des prises de vue, ils demandent à voir les images. La relation de confiance qui ré-gnait entre le client et le photographe est mise à mal par cette évolution. Certains clients n’hésitent pas à donner leur avis et ainsi à dénaturer le travail d’auteur, sans s’en rendre compte.

De plus, le numérique permet d’envoyer les fichiers par courriel. Ainsi, le client peut se permettre d’être absent lors de la prise de vue. Il reçoit les images par courriel et donne son avis à distance. Il peut voir l’image instantanément sans être présent, mais le photographe ne pourra pas voir sa réaction immédiate. Le client pourra prendre le temps de murir sa réponse. Éventuellement, sa réponse pourra être mal formulée s’il répond par retour de courriel. Le photographe devra interpréter la réponse du client.

Avec la prise de vue numérique, les possibilités en post-production sont incompa-rables à ce qui se faisait en argentique. Les clients demandent parfois des choses exubérantes, car la limite de ce qui peut se faire en retouche est mal définie.

L’avantage majeur est la possibilité offerte aux photographes de faire des travaux per-sonnels, des recherches sans avoir à investir de l’argent. Certes cela leur prend du temps, mais ne leur coute rien. De plus, c’est une façon d’expérimenter un travail d’auteur, imaginé par le photographe, non dicté par un commanditaire. Cette capacité à pouvoir expérimenter amène les photographes à pouvoir prendre des risques.

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De plus, il est rarement possible d’expérimenter pendant une prise de vue où le client est présent, car le photographe peut se discréditer s’il ne réussit pas à faire ce qu’il souhaite. L’utilisation du matériel lors de prises de vue personnelles est une façon d’apprendre à mieux le maitriser.

Le numérique aide à prendre de l’avance, c’est l’outil idéal au photographe pour qu’il puisse expérimenter un travail d’auteur.

Le photographe doit adapter son flux de travail en considérant toutes ces nouvelles contraintes. Le temps qu’il consacre à rassurer le client a diminué, en revanche il réa-lise un plus grand nombre d’images d’un même sujet, afin d’ajuster chaque détail aux demandes des clients. Il y a un aller-retour perpétuel entre l’image réalisée et l’avis des clients. Ce n’est pas spécifique à la photographie culinaire, cette révolution a tou-ché tous les domaines de la photographie.

Le numérique ne doit pas être négligé par les photographes, il peut les privilégier autant que les léser. De plus, cette technologie fonctionne de pair avec Internet, autre domaine à considérer sans cesse.

iii.1.2 la démocratisation d’internet, réseaux sociaux et smartphones

Internet est un outil qui permet à la fois la découverte et le partage d’images.

Il n’est désormais plus nécessaire de se déplacer en galeries ou de lire des ouvrages consacrés à la photographie pour connaitre le travail d’un photographe. Internet per-met un accès instantané à la culture. Bien sûr, les informations divulguées peuvent être erronées ou imprécises, l’utilisateur se doit donc de vérifier tout ce qu’il y lit et voit.

Internet est aussi un outil permettant de se faire connaitre. Autrefois, il était indispen-sable que les photographes soient représentés par un agent ou qu’ils consacrent une bonne partie de leur temps de travail à démarcher d’éventuels clients. Aujourd’hui, les vitrines que sont les sites Internet peuvent aider les photo-graphes à être contactés sans avoir besoin de démarcher. De même, les portfolios impri-més sont de moins en moins fréquents. Ces sites Internet peuvent être des lieux d’ex-position virtuels, où le photographe est libre d’exposer ses travaux personnels. Il peut désormais montrer à un large public son travail, qu’il soit de commande ou d’auteur. Puisqu’Internet est accessible au plus grand nombre, alors les images du photographe seront susceptibles d’être vu par ses clients, mais aussi par des gale-ristes, des collectionneurs, des journalistes et toute autre personne intéressée.

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La démocratisation d’Internet peut amener à une vulgarisation de la photographie culinaire, dans le sens mélioratif du terme.

Bien entendu, Internet place tous les photographes sur un pied d’égalité. Une per-sonne qui fait une recherche non ciblée peut indifféremment trouver le site d’un pho-tographe ou d’un autre.

Les smartphones, ces téléphones portables connectés, participent grandement à cette démocratisation. Une étude Médiamétrie 71 stipule qu’au troisième trimestre  2012, 46 % des Français étaient équipés de smartphones 72, soit trente millions d’utilisateurs potentiels d’applications culinaires, photographiques ou dédiées aux réseaux sociaux.

Si ces outils sont largement utilisés par des amateurs, il semble important que les professionnels s’y intéressent. En effet, ils peuvent être source d’inspiration et d’information. La communau-té des non-initiés divulgue tous types d’informations, à la qualité et aux intérêts variés. La veille artistique (et technologique) est facilitée par ces outils et leurs nombreux utilisateurs.

Ils offrent aussi à chacun la possibilité de faire des prises de vue où qu’il soit. Le consommateur photographie ce qu’il mange et le publie instantanément. Le fait que les consommateurs aient une production excessive de photographies de plats est po-sitif. Sans qu’ils s’en rendent forcément compte, les photographes profitent de cette mode qui place la photographie culinaire au centre des réseaux sociaux et des intérêts des internautes.

« La photo culinaire […] fait écho à une tradition picturale et photographique ancienne. « Une grande partie de la peinture est consacrée à mettre en scène des plats, des assiettes, de la nourriture... Et ce depuis toujours. C’est la tradition de la nature morte. Internet n’a pas créé un phénomène, mais lui a donné une nouvelle dimension. Ce gout pour la photo culi-naire correspond à une envie de partager. Internet étant avant tout une envie de partager, et la nourriture est la métaphore du partage, c’est donc l’objet fédérateur par excellence » […] » 73

Puisqu’Internet est un outil récent, il est bien maitrisé par certains mais moins par

71 société spécialisée dans la mesure d’audience et les études marketing des médias audiovisuels et interactifs en France

72 voir le site de proximamobile (http://www.proximamobile.fr/article/46-des-francais-equipes-de-smartphones), consulté le 26 avril 2013

73 DeLYe Hélène, à la table du Web, Le monde, 16 mars 2013, p.  8

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d’autres. Il fait évoluer la photographie culinaire à grand pas. Il contraint les photo-graphes profesionnels à se remettre en question, sans quoi ils seraient vite dépassés par l’abondance d’images amateurs. De plus, c’est une plateforme qui permet de comparer aisément les pho-tographes, d’où la nécessité d’apporter une valeur ajoutée et de présenter des travaux personnels pour se distinguer de ses concurrents.

Les outils numériques doivent être utilisés avec justesse, ils offrent à la fois de nou-veaux instruments de prise de vue et de nouveaux moyens de communiquer.

Toutes ces technologies nécessitent de l’attention car elles peuvent servir autant que desservir. Elles ne permettent pas de s’affranchir des contraintes traditionnelles de la photographie.

iii.1.3 l’influence des agences de publicité

Les agences de publicité exercent une influence sur la manière de travailler des pho-tograhes, plus ou moins consciemment.

Deux fois par an, des agences de prospectives étudient les modes à venir et défi-nissent des cahiers de tendance. Ils regroupent les couleurs, les textures, les formes qui seront l’identité d’une saison. Ces agences étudient aussi nos tendances alimen-taires, nos attirances pour des formes particulières de présentations et d’emballages, nos styles de vie. Puisque ces études sont reconduites tous les six mois, les données disponibles sont toujours d’actualité.

Ces cahiers permettent aux agences de publicité de s’appuyer sur des références pour choisir les codes qu’elles utiliseront. Il n’est pas obligatoire d’utiliser ces modèles, mais c’est un moyen de s’inscrire dans une tendance. Toutefois, même si ces cahiers de tendance s’appuient sur des études, ils sont relativement arbitraires. D’ailleurs, il existe de nombreuses agences de prospec-tive, chacune établissant une ligne relative à la mode qu’elle imagine et qui est diffé-rente de ses concurrents. Les publicitaires sont donc libres de choisir un nuancier ou un autre, voir même de ne pas en utiliser. En un sens, ces cahiers unifient le paysage publicitaire en harmonisant les codes utilisés par la majorité des annonceurs.

L’ambition des agences de publicité est de plaire au plus grand nombre pour conten-ter les annonceurs qui leurs passent commande. Outre faire adopter les modes ac-tuelles, elles doivent amener les consommateurs à s’intéresser à de nouvelles modes.

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Elles influent donc sur nos styles de vie, nous imposent des esthétiques particulières.

Face à toutes ces contraintes, les agences de publicité ne laissent donc absolument pas carte blanche aux photographes. Elles leurs imposent ce qu’elles estiment servir le mieux au succès de la communication. Toutefois, cela se ressent essentiellement dans le stylisme et l’agencement des élé-ments entre eux. La majorité de ce travail est effectuée en amont et ne dépend pas de la volonté du photographe, de ce fait c’est un ensemble qui est imposé au photo-graphe, et non pas des détails qu’il doit incorporer à sa composition. Le photographe ne se voit pas imposer directement des techniques. David Bonnier accepte les remarques des directeurs artistiques, parce qu’il comprend que leur métier soit de contribuer à la bonne réalisation de l’image.

« Quand les remarques sont contradictoires, j’écouterais plus le directeur artistique, qui a plus de légitimité artistique [que le client], dans la mesure où c’est lui qui a créé l’idée, qui a conçu la campagne, la réalisation, c’est lui qui va gérer la par-tie post-production, donc si lui le demande c’est qu’il y a une raison valable de le faire. » 74

L’influence des agences publicitaires est grandissante. Pour les photographes, cela s’éprouve dans la réduction des libertés qu’ils pouvaient jusqu’ici avoir.

Cette influence est acceptée par les photographes, car leur rémunération est telle qu’ils acceptent de faire des concessions sur les créations. Leur travail d’auteur est marginalisé par les budgets en jeu.

Ce sont les clients aisés qui peuvent se permettre d’imposer leurs exigences, qui sont majoritairement ceux qui font appel aux agences publicitaires.

Les agences, par leur influence, font évoluer les modes visuelles. Il est probable qu’ins-tinctivement, les photographes réalisent des travaux personnels qui s’inscrivent dans un courant actuel. Ils ne rejettent pas cette influence.

Ce qu’imposent les agences de publicité est toujours en adéquation avec nos pra-tiques culturelles, afin de maximiser l’impact des campagnes publicitaires.

74 Du paRc ava, « entretien avec David bonnier », in état des lieux de la photographie culinaire, p. 8

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iii.1.4 nos pratiques culturelles

iii.1.4.1 Les modes alimentaires

Nos pratiques alimentaires sont déterminantes dans la photographie culinaire autant en édition qu’en publicité. En effet, en édition, elles conditionnent le choix des thèmes et des recettes photographiées, tandis qu’en publicité elles régissent les présentations.

Dans tous les cas, elles dictent la manière de dresser les plats, de présenter les ali-ments afin de pointer ce qui est le plus susceptible de plaire au consommateur.

Nos pratiques alimentaires évoluent continuellement, ce qui requiert que les pro-fesionnels de l’image culinaire soient constamment informés de l’actualité et qu’ils acceptent d’adapter leurs pratiques aux courants actuels.

Actuellement en France, nous observons une tendance de consommation accrue des produits issus de l’agriculture biologique et une massification des consommateurs végétariens. Ces deux grands courants conditionnent la manière de montrer la pho-tographie culinaire en général. En effet, avec ces choix alimentaires, le consommateur affirme son intérêt pour une alimentation saine. Les récents scandales qui ont révélé la présence indésirable de viande de cheval dans des plats préparés créent un nou-veau courant. Désormais les consommateurs souhaitent plus que jamais connaitre la composition et l’origine des aliments.

« Il y a […] l’arrivée du bio. Avant on faisait des photographies non esthétiques, maintenant c’est à la mode, cela fait partie de notre philosophie de vie de manger mieux. » 75

Tous ces mouvements ont un impact sur la façon de photographier les aliments. Le consommateur souhaite avoir une alimentation saine, cela doit transparaitre dans les images. Cela peut se faire par le stylisme, les couleurs, la profondeur de champ. Le but du photographe est de montrer des produits frais, naturels. L’utilisation de couleurs désaturées et froides, du flou, contribuent à donner un aspect réel aux produits.

En opposition à ces formes d’alimentations saines, la malbouffe est plus que jamais présente. Toutefois, nous observons que les modes d’alimentation sains influent sur les campagnes publicitaires des enseignes de restauration rapide. L’évolution de nos pratiques culturelles a contribué à modifier la représentation de la malbouffe.

75 Du paRc ava, « entretien avec marie-Laure tombini », op. cit. , p. 47

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Sur ces deux photographies suivantes de McChicken que trente-deux années sé-parent, nous observons nettement l’évolution de la photographie culinaire. L’image de gauche montre un burger qui semble gras, tandis que celle de droite montre un produit aux teintes qui paraissent naturelles. Le fait de présenter le sandwich déchiré en deux est une façon de dire au consommateur qu’il n’y a rien à cacher. Le but d’Yves Bagros ici était de donner l’impression que le produit a été photographié sans artifices.

À travers le festival International de Photographie Culinaire, Jean-Pierre P.J Stéphan a constaté que la réflexion sur le bien manger et l’alimentation issue de l’agriculture biologique est globale 76. De ce fait, les problématiques de représentation sont les mêmes dans la majorité des pays. Toutefois cela ne conduit pas à des résultats simi-laires dans ces pays. Tout comme le disent Jean-Pierre P.J Stéphan et Thomas Dhellemmes, chaque région du monde a ses particularités.

« Chaque pays a une culture et une particularité. Les anglais ont beaucoup d’humour, les italiens ont un sens esthétique des choses, coloré. En France nous sommes très classiques. » 77

« Les anglo-saxons et européens travaillent le dépouillement, les japonais sont plus soulignés en couleur, les photographes d’Europe du Sud ont tendance à faire des mises en scène char-gées ou design comme les photographes italiens. » 78

Même si les questionnements sont les mêmes dans le monde entier, les symboles pour y répondre semblent différer.Nos pratiques culturelles sont amenées à évoluer continuellement. Elles ne se défi-

76 Du paRc ava, « entretien avec Jean-pierre p.J stéphan », op. cit. , p. 81

77 Du paRc ava, « entretien avec thomas Dhellemmes », op. cit. , p. 55

78 Du paRc ava, « entretien avec Jean-pierre p.J stéphan », op. cit. , p. 81

Fig.62 Photographe inconnu, McChicken, 1980

Fig.63 Yves Bagros, McChicken, 2012

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nissent pas seulement par nos préférences alimentaires mais aussi notre attirance sur des dressages, des agencements particuliers.

iii.1.4.2 l’esthétique dans l’assiette

Le respect de nos modes alimentaires ne doit pas se faire au détriment d’une certaine qualité de représentation.

À une époque, l’opulence primait. Ce n’était pas le beau, mais la quantité qui était le premier critère défini pour plaire au consommateur. De nos jours, c’est l’inverse. l’aspect visuel est décisif. Puisque l’ambition du photographe est de susciter l’envie, il doit respecter ce critère. Pour cela, il s’aide du stylisme, mais ses choix techniques sont encore plus importants. L’utilisation du flou et d’un type d’éclairage adapté au sujet permettront d’obtenir le résultat escompté et de valoriser l’esthétique du plat.Il semble que l’envie de manger du beau soit liée au fait que le beau rend bon.

Si les problématiques d’alimentation sont globalement les mêmes, les critères de pré-sentation diffèrent selon les régions du monde. Tandis que les anglo-saxons et les européens ont un style très dépouillé, les japonais préfèrent des images colorées. En France, nous avons un attachement particulier à la nature morte, avec un travail de lumière très référencé 79.

Le dressage des plats est devenu un essentiel dans la cuisine française, il fait désor-mais partie des critères de notation. Cela se ressent dans l’émission Top Chef, où le dressage des plats pour la dégustation est tel qu’ils sont photographiés dans le même temps. Puisque les téléspectateurs n’ont que l’image pour éprouver des sensations, il faut que le dressage soit optimisé à la fois pour le jury qui voit les plats comme des dégustateurs et pour les téléspectateurs qui ne voient qu’un plat filmé. Dans le magazine Yam, il en est de même. Puisque ce magazine est des-tiné à des chefs, le dressage photographié est celui suggéré.

Le dressage n’est pas le même selon qu’une assiette doit être dégustée ou photogra-phiée. En effet, une assiette dégustée est observée à 45°, de tout côté. Le dressage est fait par le chef en fonction de ce point de vue. De plus, une assiette apporte avec elle ses odeurs, qui contribuent à la rendre agréable au consommateur

79 ibid., p. 81

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En revanche, une assiette préparée pour être photographiée l’est pour un point de vue unique qui peut être ras comme du dessus. Le stylisme est fait en fonc-tion de la photographie, le consommateur ne tournera pas autour de l’assiette. Le point de vue lui est imposé. Ceci amène aussi une contrainte : tous les éléments du plats doivent être visibles en un seul point de vue. Ou alors, le photographe peut jouer de cela et cacher certains éléments, afin de donner une part de mystère au plat.

Les dressages soignés sont devenus importants pour les consommateurs. C’est l’évo-lution de la photographie culinaire, en particulier le dépouillement, qui les a amené à s’y intéresser. Le livre de recette a une influence sur ce que les consommateurs ont envie de voir.

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i i i .2 Les possibilités de l ’évolution

iii.2.1 les cas où le photographe est reconnu comme auteur

Puisque la notion d’auteur n’est pas toujours clairement définie, il n’est pas aisé de distinguer les cas où le photographe est reconnu comme auteur.

Toutefois, nous pouvons souligner deux choses. Les cartes blanches, que ce soit dans la publicité ou dans l’édition, sont accordées à des photographes dont le travail d’auteur est déjà reconnu. Les travaux hors du commun, atypiques, tels que le cas de Modernist Cuisine, sont exceptionnel. Nathan Myhrvold, présenté comme l’auteur de l’ouvrage, s’approprie toute la créa-tion 80. Ryan Matthew Smith, photographe de l’ouvrage, n’est pas cité parmi les au-teurs. Pourtant, sans ses images, le livre n’aurait pas le même intérêt.

Normalement en France, juridiquement parlant, le photographe est toujours reconnu comme l’auteur de la photographie. Nous avons vu que si ce statut est indiscutable, il n’en reste pas moins que dans la pratique, les personnes liées à l’image n’ont pas toutes le même point de vue. Ce qui est important ce n’est pas seulement qu’il soit reconnu comme l’auteur de l’image, ce qui est assez évident, mais comme auteur tout court.

Fréquemment, les termes auteur et artiste sont assimilés. C’est peut-être pour cela que certains ont des réticences à utiliser le mot auteur.

Nous constatons que la renommée est le meilleur moyen qu’ont les photographes d’obtenir des cartes blanches. Ceci est dommage, car de ce fait les cartes blanches ne sont que pour un nombre très limité de photographes. Pour que le genre progresse, il faudrait que tous les photographes puissent proposer des photographies alternatives. Ce point de vue à défendre par les photographes, il est important qu’il y ait une cohé-sion entre eux.

Lors de festivals, ce sont des travaux personnels de photographes qui sont exposés. De ce fait, ce sont des auteurs qui sont primés et non des techniciens. Être récom-pensé soutient les photographes dans leur démarche et peut les aider à défendre leur travail d’auteur.

Cette prise de conscience de l’importance de leur travail d’auteur par les photographes participe à faire évoluer certains domaines de la photographie.

80 sur le site de modernist cuisine, dans la rubrique auteurs, le photographe n’est pas cité (http://modernistcuisine.com/books/modernist-cuisine/authors/), consulté le le 5 mai 2013

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iii.2.2 les secteurs sujets à une évolution de la photographie d’auteur

La photographie culinaire est amenée à continuellement évoluer, de façon plus ou moins évidente selon les périodes. Puisque ce domaine est en pleine expansion, il est évident que la place de l’auteur et le type d’images vont eux aussi évoluer.

Les secteurs susceptibles au changement commencent à se distinguer.

En édition, il est difficile d’envisager que les photographes en tant qu’auteurs puissent s’exprimer plus librement. Ce secteur est sans doute celui dans lequel ils exercent de-puis le plus longtemps. Jusqu’ici, ils étaient assez libre dans la réalisation des images, les éditeurs ne leurs imposaient pas beaucoup de contraintes. Désormais, les com-mandes sont soumises à des cahiers des charges. Nous sommes à une période char-nière, où naissent des images qui répondent à ces obligations et d’autres qui sont encore libres. Il est regrettable que les photographes n’aient pas profité de l’époque où ils étaient plus libres pour proposer des images non-conventionnelles et faire accep-ter des images atypiques. De plus, il y a deux tabous dans l’édition : le sexe et la religion.

« Il parait que dans la presse et l’édition la religion et le sexe sont tabous, car ils ont peur de s’y confronter. » 81

Pour l’instant, les maisons d’éditions ne semblent pas prêtes à faire de compromis sur la représentation de ces deux sujets.

Peut-être que l’évolution de la photographie culinaire doit passer par une évolution globale de la forme du livre. Jusqu’ici, les livres sont maquettés de manière classique, systématisée. Un livre standard propose sur chaque double page une recette écrite et une photographie en vis-à-vis. Parfois, des vignettes permettent de détailler les étapes de réalisation des recettes. Ces images sont de type reportage. Il serait inté-ressant d’oser modifier la structure du livre, tout du moins interne, afin de revoir les rapports qu’ont les éléments entre eux.

En publicité, une évolution est plus envisageable. Les agences de publicité se disent prêtes à expérimenter, à laisser des cartes blanches aux photographes. Toutefois elles n’accorderont pas ces libertés à tous. Dans un premier temps, elles ont besoin de connaitre le photographe. Soit parce qu’elles ont déjà travaillé avec lui auparavant, soit parce qu’il est renommé. C’est toujours la question de la confiance qui revient.

81 Du paRc ava, « entretien avec thomas Dhellemmes », in état des lieux de la photographie culinaire, p. 54

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En packshot, il est inenvisageable de voir une évolution. Tout d’abord les budgets consacrés à ce type de prise de vue sont ridicules. Il y a plutôt une dépréciation de ces photographies. D’ailleurs, ces prises de vues peuvent être semi-automatisées et réalisées par un opérateur qui n’est pas photographe.La presse pourrait accepter des images ne répondants pas aux codes existants, toute-fois les délais sont toujours très courts et les prises de vue réalisées lors de reportages. Il est donc difficile pour les photographes de s’adapter et de pouvoir maitriser tout l’environnement.

Il peut être pertinent de négocier avec la presse des cartes blanches, en utilisant l’ar-gument que les rémunérations sont faibles,

Il faut admettre qu’il est difficile de faire évoluer cette spécialité, car l’alimentaire est considéré comme un sous-chapitre.

«  La photographie alimentaire est considérée comme un sous-chapitre, tout comme les natures mortes en histoire de la peinture. » 82

C’est le devoir de l’ensemble des photographes spécialisés dans ce domaine que de faire évoluer le regard porté sur cette pratique.

Enfin, la vidéo est bien sûr sujette à une évolution importante. En effet, elle n’est en-core qu’au stade de l’expérimentation pour de nombreux photographes et agences de publicité. Chacun fait ce qui lui semble pertinent. L’exploration de la vidéo par des professionnels de l’image fixe peut amener à des résultats intéressants. Par ailleurs, cette pratique n’est pas encore codée, puisqu’elle est encore au stade de l’expérimen-tation. On ne peut réellement parler d’une évolution, mais plutôt d’une définition de ce secteur.

Théoriquement, si les photographes s’imposent, alors ils devraient réussir à intro-duire la photographie d’auteur partout. Pour accompagner cette évolution, le marché de l’art est un domaine à envisager.

iii.2.3 une évolution du marché de l’art

Le marché de l’art commence doucement à évoluer, sous l’impulsion de certains pho-tographes et organismes.

82 Du paRc ava, « entretien avec Jean-pierre p.J stéphan », op. cit. , p. 84

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L’apparition de festivals consacrés à la photographie culinaire participe à donner ses lettres de noblesse à ce genre. En effet, que ce soit le Festival International de la Pho-tographie Culinaire en France ou le Pink Lady aux États-Unis, le fait de montrer la photographie culinaire est bénéfique. Cela contribue à prouver que c’est un genre à part entière. L’entrée de photographies à caractère culinaires au sein de Paris Photo positionne ce genre sur le marché mondial. S’il n’y a pas encore de galeries spécialisées, certaines accueillent ce genre d’images. Nous pouvons citer La galerie au fond de la cour, les galeries Éric Dupont et Bernhard Bischoff & Partner. Il en existe d’autres.

La présence de Mathilde de l’Écotais en galerie peut contribuer à cet essor. Jusqu’à présent, il était très difficile de voir des images culinaires en galerie, donc encore plus compliquer d’en acquérir. Si le travail de Mathilde de l’Écotais interpelle, alors il se peut que des acheteurs se déclarent comme étant intéressés par ce genre, et donc que d’autres galeries se mettent à exposer de la photographie culinaire. Ce n’est pas une concurrence qui se créé, mais l’expansion d’un genre jusqu’ici délaissé. Un photographe ne suffit pas à représenter un genre, il faut qu’une communauté se développe pour que ce genre existe.

Pour faire vivre la photographie culinaire sur le marché de l’art, Jean-Pierre P.J Sté-phan envisage des ventes publiques. Il souhaite en organiser durant la cinquième édition du Festival International de Photographie Culinaire. Les ventes aux enchères sont des occasions pour les photographes d’être sur le marché de l’art. Le festival a pour vocation de stimuler le marché.

« Le festival est là pour stimuler le marché et ouvrir des portes aux photographes festivaliers vers ce marché de l’art. » 83

Par ailleurs, ces ventes attirent de nombreux collectionneurs, car elles peuvent être l’occasion d’acquérir des œuvres exceptionnelles à des prix en deçà du marché. Cer-tains artistes ne sont représentés que par ce biais.

Les festivals ont la volonté de montrer que les travaux de photographes doivent être considérés comme des oeuvres 84. Leur but est aussi de montrer aux galeristes qu’il y a un créneau à prendre.

83 ibid., p. 84

84 ibid., p. 84

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Pour l’instant, les photographes qui exposent en galerie y montrent leurs travaux per-sonnels et non pas des travaux de commande. Même des grands photographes tels que Jean-Louis Bloch-Lainé n’ont pas eu de rétrospective. C’est différent du secteur de la mode, où par exemple Grégoire Alexandre expose des travaux de commande 85.

En général, quel que soit leur champ d’activité, les photographes exposent des travaux personnels, d’auteur. Les travaux de commande sont plutôt exposés lors de rétrospec-tives. Le Jeu de Paume est une institution spécialisée dans ce genre d’expositions.

Finalement ce sont peut-être les photographes qui sont les plus difficiles à convaincre. La plupart d’entre eux ne voient pas d’intérêt à être présent sur ce marché. Ce peut être par orgueil ou par peur. Un photographe renommé, dont le carnet de commandes est systématiquement complet, n’apprécierait sans doute pas d’être boudé par le pu-blic. Et puis exposer en galerie signifie justifier son travail, argumenter une réflexion, ce qui est très différent de la réalisation d’un travail de commande.

85 Lors des Rencontres internationales photographiques d’arles 2012, une exposition était consacrée à grégoire alexandre

Fig.64-65 Exposition Grégoire Alexandre aux Rencontres d’Arles 2012, Ava du Parc

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iii.3 internet, support d’avenir ?

iii.3.1 un champ de possibilités non expérimenté

Internet est un support récent comparativement au livre, au magazine ou à l’affiche. Ce champ de possibilités est jeune, mais guère plus que le livre de cuisine dont nous connaissons la forme actuelle. Il faut donc envisager de nouvelles formes, notamment dans le développement d’applications dédiées à la cuisine, qu’elles s’adressent aux enfants ou aux adultes.

Le livre numérique est en pleine expansion, c’est un marché à conquérir. Pour cela, il faut être prêt à s’adapter à l’interaction. La publicité est un domaine déjà très présent sur la toile, par le biais de bandeaux publicitaires sur les sites. Ce qui est intéressant c’est que ces publicités sont ciblées, elles sont visibles sur des sites en rapport avec le produit qu’elles vantent. Le fait qu’elles s’adressent à un public averti peut permettre au photographe de réaliser des images dédiées à ce public. Pour l’instant, les publicités visibles sur Internet sont des déclinaisons de celles présentes dans la presse ou dans des espaces d’affichage dédiés.

Il est aussi important de considérer la vidéo, car désormais les publicités réalisées pour la télévision sont aussi disponibles sur Internet. Les annonceurs voient dans les photographes des nouveaux exécutants, moins chers que des vidéastes grâce aux DSLR. La vidéo est un terrain d’expérimentation où tout reste à inventer, car la pra-tique par les photographes est aujourd’hui marginale, elle est à développer. Tout ce qui est créé actuellement en publicité est fait pour être exploité en imprimé et sur Internet.

De tous ces nouveaux médiums, le passage des livres et magazines imprimés aux supports numériques est une des aubaines les plus prometteuses.

iii.3.2 l’essor des livres et magazines sur tablettes numériques

Avec Internet et les technologies numériques, les livres et magazines dédiés aux ta-blettes numériques se développent à grande vitesse.

Il semble que ces documents s’adressent à un public jeune, différent du public qui achète des documents imprimés. De nombreuses maisons d’édition dédiées aux livres numériques se déve-loppent. Ces ouvrages aux couts réduits permettent une consommation irréfléchie,

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pourtant nous ne discernons pas encore d’habitudes de la part des consommateurs. Certains acheteurs se sentent lésés par ces livres et magazines virtuels, puisqu’il n’ont pas d’objet concret en échange de leur achat. C’est pourquoi les ou-vrages proposés doivent être qualitatifs, radicalement différents de ceux disponibles en librairie. Tous les contenus doivent présenter des caractéristiques liées au sup-port numérique, telles que de l’image animée. Si c’est un énième magazine culinaire avec des images classiques, personne n’est intéressé. En revanche, si c’est un travail d’auteur différent, alors il y a un public potentiel. La notion d’expérimentation doit conduire ces nouvelles créations. En effet, ce n’est pas parce qu’un modèle fonctionne qu’il est adaptable. Le livre et le magazine de cuisine n’ont pas forcément d’avenir sur tablette numérique s’ils sont transposés sans amélioration.

Deux ouvrages ont été transposés récemment de leur support original vers une forme électronique. Le grand livre de cuisine d’Alain Ducasse sur iPad et Le Grand Larousse de la Gastronomie sur iPhone et iPad incluent des vidéos et des photographies en trois dimensions afin de contenir des éléments qui les rendent différents des supports papier. L’avantage principal est qu’ils sont en moyenne deux fois moins chers.

Il faut s’intéresser à ces ouvrages sur tablettes car leur potentiel est indéfini. Pour l’instant, tout comme en édition imprimée, il y a peu d’argent, donc les rémunérations sont faibles. Il faut profiter de cela pour imposer des travaux plus artistiques, tout du moins différents de ce qui se voit dans la presse et l’édition actuelles.

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conclusion—

Par ses intérêts sociaux et économiques, la photographie culinaire est très présente dans notre quotidien. Comme preuve de cet intérêt, nous pouvons souligner les di-vers articles de presse et évènements autour de ce genre et les ventes colossales d’ou-vrages de cuisine. En dépit de cela, l’imagerie culinaire n’évolue pas dans son style.

Déterminer la place du photographe n’est pas chose aisée, car cela dépend de nom-breux facteurs. Entrent en ligne de compte la nature des productions, l’implication des intervenants et la personnalité du photographe.

Suite à cette étude de l’évolution du livre et des techniques propres à la photographie culinaire, nous constatons que le statut du photographe en tant qu’auteur est figé dans des pratiques qui stagnent. Si les entretiens réalisés ont permis d’établir que chacun souhaite voir évoluer la photographie culinaire et lui donner un nouveau souffle, il n’en reste pas moins difficile de le faire. Les nouveaux médias sont des supports d’expérimentation à disposition de tous, s’engager dans cette voie est un premier pas vers une photographie alternative.Si le photographe a des difficultés à s’affirmer comme auteur dans l’édition, domaine de référence, Internet peut être le support qui lui permettra de s’émanciper.Rien n’est sûr, sinon que c’est au photographe de définir son statut.

Une des difficultés est liée à la nature même de la photographie culinaire et au besoin qu’a le photographe de travailler en équipe, contrairement à d’autres genres photo-graphiques où le photographe est autonome. Internet, par l’émergence de talents indépendants, autonomes, permettra peut-être au photographe de s’émanciper et de s’affirmer comme auteur.

C’est aux photographes de s’imposer pour créer une demande. Cela peut sembler uto-pique, toutefois il suffit de se retourner vers les années 1990 pour voir que c’était déjà en s’imposant que les photographes avaient réussi à faire évoluer la photographie culinaire.

« La nourriture, ce que l’on mange, apparait comme un sujet inépuisable puisque cela se renouvèle tous les jours ! » 86

86 DeLYe Hélène, à la table du Web, Le monde, samedi 16 mars 2013, p. 8

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Nathan Myhrvold : La cuisine comme vous ne l’avez jamais vue, TED (http://www.ted.com/talks/nathan_myhrvold_cut_your_food_in_half.html??utm_medium=social&source=email&utm_source=email&utm_campaign=ios-share), 10’05 minutes, mars 2011

Sites Internet

Photographes—BAGROS Yves, www.yvesbagros.com

BONNIER David, www.studiob.fr/david-bonnier.html

DE L’ÉCOTAIS Mathilde, www.mathildedelecotais.com

DHELLEMMES Thomas, www.thomasdhellemmes.com

DREIER Kyle, www.dreier.com

FACCIOLI Caroline, www.carolinefaccioli.com

GALTON Beth, www.bethgalton.com

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HALL Jean-Blaise, www.jeanblaisehall.com

LEBAIN Fred, www.propice.com

LIPPMANN Peter, www.peterlippmann.com

QUINN DAVIES Katie, www.whatkatieate.com

SKIVENES Ida, www.idafrosk.com

TOMBINI Marie-Laure, www.odelices.com

Blogs—Culinographie, www.culinographie.com

Mercotte, www.mercotte.fr

Oh I see red !, www.ohiseered.com

The History of Food Photography, www.helengraceventurathompson.com/blog/histo-ryoffoodphotography/

Émission radiophonique—ERNER Guillaume, « Les insectes : la nourriture de demain ? », France Inter, www.franceinter.fr/emission-service-public-les-insectes-la-nourriture-de-demain, 51’43 mi-nutes, 21 mai 2013

Sites divers—Festival International de la Photographie Culinaire, http://www.festivalphotoculi-naire.com

Griottes, http://www.griottes.fr/, site de la directrice artistique Émilie Guelpa

La Food, http://www.lafood.fr/accueil.htm

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Pink Lady, www.pinkladyfoodphotographeroftheyear.com/

Wrightfood, http://mattikaarts.com/blog/technique/, blog de conseils photogra-phiques

Outils documentaires—Ouvrage collectif, Le Petit Larousse illustré : 2007, Paris, Larousse, juillet 2006, 1855 p.

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tabLe Des iLLustRations Figure 1 : Gravure. In  : LA VARENNE, Cuisinier François, Paris, Pierre David, 1651, 326 p.Figure 2  : Planche d’illustration des pains. In  : MONTAGNÉ Prosper, Larousse Gastronomique, Paris, Librairie Larousse, 1938, 1088 p.Figure 3 : Couverture. In  : CRADOCK Fanny, Cooking with bon viveur, London, Museum Press, 1955, 127 p.Figure 4 : ARIF-GALANTI Einat, Still Life with potatoes and dic-tionnary, 2007. In  : www.einatarifgalanti.com/298681/vanity-of-vanities-2001-2005/Figure 5  : NOLLEN Arno, Still Life, 2009-2012. In  : NOLLEN Arno, Le livre Costes, Paris, 2012, 209 p.Figure 6   : VISERIUS Regina, Atlas-Imago Mundi, 2008-2009. In : Re-gina Viserius, www.reginavirserius.com/?page=arteworks&id=27Figure 7 : SOZEN Gokmen, Petit-déjeuner turc, pastrami et oeufs, 2012. In  : Festival International de la Photographie Culinaire, http://www.festivalphotoculinaire.com/photographe.php?id_photo=90Figure 8  : DANIEL Pauline, Cosmogonie 02, 2012. In  : Festival International de la Photographie Culinaire, http://www.festival-photoculinaire.com/photographe.php?id_photo=15Figure 9 : NIèPCE Nicéphore, La table servie, Châlon-sur-Saône, 1827Figure 10 : KERTESZ André, La Fourchette, Paris, 1928Figure 11 : PENN Irving, Frozen Food, New York, 1977Figure 12 : EGGLESTON William, Untitled, Tennessee, 1985Figure 13 : PARR Martin, Atlanta, 2010Figure 14 : Extrait vidéo. WOOD Sam Taylor, Still Life, 2010Figure 15  : Couverture du Grand Larousse Gastronomique. In  : Ouvrage collectif, Paris, Larousse, Le grand Larousse gastrono-mique, octobre 2012, 992 p.Figure 16  : QUINN DAVIES Katie, Couverture de Quand Katie Cuisine. In  : QUINN DAVIES Katie, Quand Katie Cuisine, Paris, Hachette Pratique, octobre 2012, 304 p.Figure 17 : HOPKINS Rip, dyptique Fermentation – des corps étrangers transforment un élément, 2007. In  : GAGNAIRE Pierre, THIS Hervé, Alchimistes aux fourneaux, Paris, Flammarion, 2007, 206 p. Figure 18 : SMITH Jonathan Matthew, Modernist Cuisine. In  : YOUNG Chris, BILET Maxime, MYHRVOLD Nathan, Modernist cuisine

11 11 12 13 13 13 14 11 16 16 16 16 16 17 18 18 18 19

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- Volume 2 : techniques et équipements, éditions Taschen, 2011, 2478 p. , pp. 94-95Figure 19  : Couverture du Grand Livre de Cuisine d’Alain Du-casse. In  : DUCASSE Alain, Le Grand Livre de Cuisine d’Alain Ducasse, Paris, Alin Ducasse Formation, septembre 2009, 1055 p.Figure 20 : Couverture de La revue culinaire n°864. In : La revue culinaire n°864, mars / avril 2010Figure 21  : Couverture Elle à table n°87. In  : Elle à table n°87 mars / avril 2013, Paris, Hachette Filipacchi Associés, 2013Figure 22  : Couverture YAM n°12. In  : YAM n°12, février / mars 2013, Paris, Éditions Laymon, 2013Figure 23  : Couverture Fricote n°10. In  : Fricote n°10, mars / avril / mai 2013, Paris, WAF, 2013Figure 24  : Couverture Saveur n°154. In  : Saveur n°154, février 2013Figure 25 : SOUGEZ Emmanuel, Nestlé, 1931Figure 26 : Monoprix, 2010Figure 27 : McDonald, 2013Figure 28 : HALL Jean-Blaise, Lindt, 2011Figure 29 : TRAORÉ Éric, Fauchon, 2011Figure 30  : Capture d’écran de l’application Instagram pour iPhone, avec le hashtag #YummyFigure 31 : Capture d’écran de la page d’accueil de l’application FoodReporter pour iPhoneFigure 32 : Capture d’écran du blog What Katie AteFigure 33 : QUINN DAVIES Katie, 2012Figure 34 : PERELMAN Deb, Smitten Kitchen, 2012. In  : Smitten Kitchen, www.smittenkitchen.comFigure 35  : AOUAK Hana, J’veux être bonne, 2012. In  : J’veux être bonne, www.jveuxetrebonne.comFigure 36  : GUÉRET Mélanie, DE LA HÉRONNIèRE Lucie, La Super Supérette, 2012. In  : La Super Supérette, http://www.lasu-persuperette.comFigure 37  : FAU Laurent, Baba au mètre, 2012. In  : MICHALAK Christophe, Best of Christophe Michalak, Paris, Alain Ducasse Formation, 28 février 2013, 95 p.Figure 38  : GUEDES Valéry, Croquettes au chocolat coulant, 2012. In : CONTICINI Philippe, Best of Philippe Conticini, Paris, Alain Ducasse Formation, 8 novembre 2012, 110 p.Figure 39  : VALLÉE Laëtitia, Volaille à la coriandre, 2011. In  : DE LAVAUR Juliette, Le cours de cuisine de l’Atelier des Chefs, Paris,

19 19 20 20 20 20 21 21 21 22 22 22 23 24 24 25 25 25 28 28 30

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Hachette Pratique, 5 mai 2010, 240 p.Figure 40  : KevinEats, Meringues, 2009. In  : «  Twist by Pierre Gagnaire (Las Vegas, NV) », KevinEats, 5 décembre 2009 Figure 41 : HOPKINS Rip, Meringues, 2007. In : GAGNAIRE Pierre, THIS Hervé, Alchimistes aux fourneaux, Paris, Flammarion, 2007, 206 p. Figure 42 : Filet-o-Shrimp, JaponFigure 43 : Third Pounder, États-Unis d’AmériqueFigure 44 : Les grandes envies de fromages, FranceFigure 45 : Fiche de cuisine Weight Watchers, 1974Figure 46 : BLOCH-LAINÉ Jean-Louis, Cerises en beignet, 1977. In : BLOCH-LAINÉ Jean-Louis, Jean-Louis Bloch-Lainé, Paris, éditions La Martinière, 2005, 216 p.Figure 47  : SMITH Ryan Matthew, Looking Inside, 2010. In  : YOUNG Chris, BILET Maxime, MYHRVOLD Nathan, Modernist cui-sine, éditions Taschen, 2011, 2478 p.Figure 48  : Image extraite de Betty Crocker’s Picture Cookbook, 1950. In  : CROCKER Betty, Betty Crocker’s Picture Cookbook, Minneapolis, General Mills, 1950Figure 49 : COX, 2013.Figure 50-51-52 : TOMBINI Marie-Laure, Recettes, 2012Figure 53 : NISHIHATA Yuichi, Sans titreFigure 54 : LEBAIN Fred, Hot JoFigure 55 : BELIN Valérie, Untitled, 2007Figure 56 : BEDLOW Katie, At the ‘Colours’ exhibition at the Mi-chael Hoppen gallery, 2009Figure 57  : In  : La cuisine au village, http://lacuisineauvillage.over-blog.com/article-petit-gratin-de-potiron-pommes-de-terre-112252223-comments.html#anchorCommentFigure 58 : In : Délices Cookie’s, http://delicescookies.canalblog.com/archives/2012/11/08/25526413.htmlFigure 59  : In  : http://www.jojocuisine.fr/article-creme-brulee-a-la-banane-flambee-112309848-comments.html#anchorCommentFigure 60  : BAGROS Yves, Mövenpick. In  : Yves Bagros, www.yvesbagros.comFigure 61 : BAGROS Yves, Magnum. In : Yves Bagros, www.yves-bagros.comFigure 62 : DR, McChicken, 1980Figure 63  : BAGROS Yves, McChicken, 2012. In  : Yves Bagros, www.yvesbagros.comFigure 64-65 : DU PARC Ava, Grégoire Alexandre aux RIP, 2012

30 30 33 33 33 34 34 35 36 36 49 54 54 54 54 60 60 60 62 62 71 71 78

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présentation de la partie pratique—

L’entomophagie 87, selon un rapport 88 de la FAO 89 de mars 2013, est une pratique à généraliser, car les insectes constituent une ressource alimentaire sous-exploitée. Riches en protéines, les insectes comestibles permettraient de nourrir à moindre coût des populations défavorisées. En effet, l’élevage d’insectes nécessite beaucoup moins de moyens qu’un élevage animal traditionnel, tout en respectant l’environnement. Toutefois, si dans certaines régions du monde les insectes sont acceptés par les consommateurs, ce n’est pas encore le cas en occident. Souvent qualifiés de « sales », les insectes véhiculent plus de dégoût que d’envie dans notre culture.

Il est intéressant d’observer de quelle manière nous consommons les insectes, com-parativement aux pays où cela fait partie des mœurs. Quiche aux asticots et larves de ténébrions, riz au lait aux larves d’abeille et de ténébrion, tels sont les intitulés des recettes que l’on trouve dans les livres de cuisine d’insectes occidentaux, afin de les européaniser.Loin des brochettes d’insectes que l’on trouve sur les marchés asiatiques, l’insecte est masqué pour rendre palier au dégout.

J’envisage ma partie pratique comme l’illustration photographique de mes propos théoriques. J’y utilise les codes de la photographie culinaire occidentale pour explorer un sujet non abordée dans la partie écrite de mon mémoire, le dégout. Puisque la fonction première de la photographie culinaire est de sublimer les aliments, je m’attacherai à rendre appétissant des insectes

J’ai fait le choix de réaliser cette série seule, sans l’intervention d’un styliste, afin qu’il n’y ait pas l’influence d’une seconde personne sur mes images. L’absence de styliste et le choix du sujet sont des démarches qui contri-buent à apporter une notion d’auteur à mon propos.

La présentation, intimiste par l’éclairage, se veut révélatrice d’une démarche d’auteur, afin de décontextualiser la photographie culinaire et de donner au spectateur une approche artistique de ce genre.

87 entomophage : qui se nourrit d’insectes, d’après Le petit Larousse il lustré, 2007

88 Le rapport est visible en anglais sur le site de la Fao : http://www.fao.org/docrep/018/i3253e/i3253e00.htm, consulté le 21 mai 2013

89 Food and agriculture organization, organisation des nations unis pour l ’alimentation et l ’agriculture

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Mémoire de fin d’études et de recherche appliquée—

état des lieuxde la photographie culinaire

Quelle place pour l’auteur dans la photographie culinaire ?

partie iiannexes

Présenté par Ava du ParcPromotion photographie 2013

Sous la direction de Christophe CaudroyEnseignant à l’École Nationale Supérieure Louis Lumière

Membres du JuryChristophe Caudroy, Françoise Denoyelle, Pascal Martin, Hélène Perrin

École Nationale Supérieure Louis Lumière—

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Mémoire de fin d’études et de recherche appliquée—

état des lieuxde la photographie culinaire

Quelle place pour l’auteur dans la photographie culinaire ?

partie iiannexes

Présenté par Ava du ParcPromotion photographie 2013

Sous la direction de Christophe CaudroyEnseignant à l’École Nationale Supérieure Louis Lumière

Membres du JuryChristophe Caudroy, Françoise Denoyelle, Pascal Martin, Hélène Perrin

École Nationale Supérieure Louis Lumière—

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SOMMAIRE pHotogRapHes

david bonnier, entretien réalisé le 11 février 2013Yves bagros, entretien réalisé le 11 février 2013Jean-blaise hall, entretien réalisé le 12 février 2013mathilde de l’écotais, entretien réalisé le 19 février 2013marie-laure tombini, entretien réalisé le 20 février 2013thomas dhellemmes, entretien réalisé le 1er mars 2013rip hopkins, entretien réalisé le 4 mars 2013

stYListe cuLinaiRe

Florian garnier, entretien réalisé le 21 février 2013

éDiteuRs

laurent séminiel, entretien réalisé le 22 février 2013églantine lefébure, entretien réalisé le 23 février 2013charlotte graillat, entretien réalisé le 23 février 2013alice gouget, entretien réalisé le 24 février 2013

DiRectRice aRtistique

sylvie bouscaillou, entretien réalisé le 1er mars 2013

pRésiDent Du FestivaL inteRnationaL De pHotogRapHie cuLinaiRe

Jean-pierre p.J stéphan, entretien réalisé le 14 mars 2013

acHeteuse D’aRt

adélaïde samani, entretien réalisé le 22 mars 2013

4 19 28 41 45 50 57 60 69 70 72 74 76 80 86

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david bonnier, photographe, directeur du studio bentretien réalisé le 11 février 2013

Pourquoi avez-vous choisi de vous spécialiser en photographie culinaire ?–Si j’ai choisi la photographie culinaire, c’est parce que mon père l’était. Je suis jeune photographe culinaire, je n’ai pas d’antériorité par rapport à certains de mes confrères qui n’ont toujours fait que ça. J’ai fait de la retouche pendant près de quinze ans et j’ai repris le studio qui a été fondé par mon père, qui a fait Vaugirard. En 1996, je suis arrivé au studio et mon père avait décidé de passer de l’argentique au numérique. C’était vraiment le début du passage au numérique, nous étions parmi les premiers, nous avons essuyé les plâtres, comme pour toute nouvelle technologie. De ce fait, j’ai monté tout le département numérique, il y a forcément de la retouche qui en a découlé parce qu’il fallait traiter les images, nous ne les laissions pas comme ça dans la nature. C’est comme ça que je suis entré au studio, et au bout d’une dizaine d’années j’ai commencé à tourner en rond, à ne plus trouver d’excitation, d’activités nouvelles. Il y a toujours de nouvelles choses à faire, mais je dirais qu’au bout d’un moment nous finissons toujours par se chercher et quand on ne se trouve pas, il faut forcément se demander ce que l’on va faire après. Mon père a exprimé à ce moment-là le besoin de prendre sa retraite. C’est donc là que je lui ai proposé de passer de la tablette graphique à l’appareil. Et pour cela, je devais faire mes armes, car je ne voulais pas arriver acquis fait et cause pour la photographie culinaire sans avoir fait mes preuves. J’ai la chance d’avoir un ami qui travaille au Nikon Pro. Il m’a prêté du matériel pendant un an, un boitier numérique, des optiques à bascule et une optique macro. J’ai voulu garder cela pour moi, par rapport aux autres photographes. Je voulais arri-ver avec une légitimité que je m’étais forgée, je ne voulais pas m’imposer sur le long terme. Je voulais voir ce que j’étais capable de faire et après éventuellement exposer mon projet aux autres. Donc pendant un an que j’ai monté un studio chez moi, j’ai pris un peu de matériel d’éclairage et j’ai créé mon premier portfolio culinaire. Je me suis donc créé un petit studio d’acquisition chez moi essentiellement en lu-mière continue. J’ai fait des recettes en partant de petites thématiques ou en repro-duire des images que je voyais dans la presse. Qui dit photographe culinaire dit sty-lisme culinaire, c’est un métier où les deux professions sont assez fusionnelles. Il y a des photographes qui deviennent stylistes, c’est assez rare, mais il y a des stylistes qui deviennent photographes. Pour avoir fréquenté l’un et l’autre des deux mondes, la frontière est parfois ténue. C’est un métier où l’on doit aller dans le même sens et deviner ce que l’autre a dans la tête. J’ai donc fait le photographe et le styliste culinaire pendant un an. Il y a eu un véri-table déclic, de voir l’image se créer, de pouvoir être l’acteur et plus seulement l’obser-

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vateur. Ça a été vraiment un élément déclenchant, dans la mesure où j’étais satisfait du résultat. Toute l’expérience que j’avais en retouche me permettait de compenser ce que je ne savais pas faire en prise de vue, en gardant à l’esprit que mon objectif était une image la plus propre possible à la prise de vue. Il n’y a pas de honte à recréer quelque chose, car si on sait recréer alors on sait aussi créer. Au bout d’un an, j’ai abattu mes cartes, j’ai annoncé que dans la transition du départ en retraite de mon père j’allais me mettre à la prise de vue. J’ai aussi récupéré toute la gérance du studio, ce qui était légitime. C’est comme ça que j’ai amené le projet, qui a été bien accepté par l’ensemble. Si je n’avais pas trouvé ma voie en pho-tographie, je ferais peut-être encore de la retouche aujourd’hui.

Quel pourcentage de votre activité photographique représente la photographie culinaire ?–Je dirais que 80% de ce que l’on fait au studio est culinaire, le reste est plus traditionnel, beaucoup de packshots et d’éclairages techniques, des cosmétiques et du reportage.

Est-ce que vous considérez la photographie culinaire comme étant une activité ali-mentaire ou comme le support d’une démarche personnelle ?–Je dirais que c’est assez ambigu. Dans la photographie culinaire, certains domaines peuvent être considérés comme alimentaires. Chaque photographe à sa marotte, et en fonction de l’activité, il y a des domaines que l’on privilégie comme étant alimen-taire ou pas. Dans tous les métiers, il y a des côtés ennuyeux et d’autres intéressants. Dans tout ce qui est alimentaire, on a l’édition qui est le côté prestigieux puisqu’on à une visibilité du grand public, que l’on n’a pas dans le milieu professionnel, mais ça, c’est la rançon de la gloire. L’édition est une partie du métier qui est moins rémunérée. D’un autre côté, il y a quelque chose de moins artistique, mais qui malgré tout reste de la prise de vue culinaire, c’est la prise de vue pour le packaging. On doit recréer une image qui a été préalablement initiée par une agence de communication. C’est au photographe de refaire en haute définition ce que l’agence a bricolé en basse défi-nition avec en partenariat un styliste culinaire, qui peut être le même que celui qui intervient en édition. Donc effectivement il y a des côtés alimentaires où la prise de vue est moins intéressante, mais c’est mieux payé que de l’édition, donc quelque part l’un compense l’autre. Si l’on ne fait que de l’édition, il faut y passer ses journées et avoir une production démoniaque. Cependant quand on est un photographe indépen-dant qui travaille à domicile, on a moins de besoins qu’un studio avec des salariés. Donc je dirais qu’un photographe qui travaille seul peut s’en sortir en ne faisant que de l’édition.

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Avez-vous une démarche d’auteur quand vous travaillez en publicité et packaging ?–Je ne veux pas dénigrer le packaging, parce que c’est une activité nécessaire au pho-tographe culinaire. C’est une bonne expérience, car un photographe qui ne fait que de l’édition aura du mal à un jour passer au packaging. Dans l’édition, il y a une liberté de ton. On peut ses permettre de composer l’image au feeling. En packaging, on a des garde-fous, on a des contraintes, un cahier des charges beaucoup plus important. Donc, avoir une démarche d’auteur avec un cahier des charges très contraignant, pour moi ça n’est pas forcément compatible. Même si c’est contraignant, on essaie toujours d’imposer quelque part par le dialogue et la proposition aux clients un style, parce qu’en packaging ce qui reste au photographe c’est la lumière, le cadrage est déjà fait, la composition est déjà faite, on sait qu’il y a un logo qui va venir se mettre dans l’image. Il y a une contrainte, le directeur choi-sira d’où vient la lumière. Le photographe choisira des petits détails. L’apport créatif est somme toute assez faible dans la mesure où tout a déjà été discuté avec le client final en amont par l’agence. Donc tout ce qui reste au photographe culinaire c’est la lumière. Aujourd’hui, on a tendance à dire qu’il faut un éclairage en contre-jour et une petite lumière qui vient de la droite, donc là effectivement on peut dire qu’on a un rôle d’exécutant.

Pouvez-vous faire un parallèle entre une prise de vue personnelle et une prise de vue de commande, en insistant sur les rapports que vous entretenez avec les autres intervenants ?–Avant d’engager un travail édition que ce soit pour la presse ou un livre, suivant que le styliste ou le photographe est à l’initiative du projet, chacun ira chercher quelqu’un avec qui il est en phase artistiquement ou au niveau du style avec ce pourquoi il a envie de faire.Quand c’est une prise de vue plus commerciale telle que du packaging, je dirais que c’est l’agence qui va recommander au client de travailler avec tel ou tel photographe, le client fait ensuite son choix, quand l’agence lui laisse cette liberté. Parfois, l’agence impose le photographe au client. Après, le photographe va lui aussi recommander tel ou tel styliste, sauf si l’agence a des relations avec tel ou tel styliste. Après ça peut aussi être fait en fonction de la disponibilité des uns des autres. Parce que les stylistes étant des personnes satellites aux photographes culinaires, tout du moins au Studio B, nous n’avons pas les mêmes agendas.Maintenant par rapport au directeur artistique, suivant si c’est la première fois que l’on travaille avec lui ou c’est quelqu’un que l’on connait depuis longtemps, donc si c’est quelqu’un de nouveau, je dirais qu’il faut être beaucoup plus à l’écoute de ce que la personne souhaite. Généralement, avant d’engager une prise de vue sur laquelle on laisse la part belle au photographe en terme de créativité, on demande quand même

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des garde-fous, c’est-à-dire que l’on demande à avoir une pige photo, savoir un peu dans quel style on doit aller, des images que le directeur artistique aime, des images que le directeur artistique n’aime pas, que l’on sache un peu où placer le curseur. Ça, c’est pour des travaux commerciaux où on laisse une marge de manœuvre au pho-tographe, plus ou moins large en fonction du directeur artistique et de l’importance du client. Si c’est un gros client donc un gros budget, je pense qu’on laissera moins de marge au photographe, sauf s’il est de renommée internationale. Si le client est plus modeste et les enjeux moins importants, peut être qu’on laissera un peu plus de liberté au photographe.Maintenant dans le parallèle de la construction d’une équipe, il y a des affinités entre les photographes, les directeurs artistiques et les stylistes, sachant que les stylistes et les photographes sont plus amenés à se rencontrer que les directeurs artistiques. Par-fois, les directeurs artistiques changent d’agence, on ne les revoit qu’un an après, il y a un turnover. On peut revoir d’anciennes têtes sous d’autres entités, mais les affinités n’ont pas forcément changé.Je dirais qu’il y a effectivement une affinité à trouver et que l’on ne peut pas renier.

La question de l’auteur a-t-elle un sens pour vous ?–Oui, on revendique une image parce que c’est quand même le média par lequel on peut véhiculer une sensibilité artistique. Pour un photographe donc, quelle que soit l’image, je n’imaginerais pas ne pas revendiquer une image. Maintenant, revendiquer une image ou une série d’images qui fait un bouquin qui est tiré à 40 000 exemplaires et revendiquer une image qui va paraitre en 1/8ème de page, au fin fond d’un maga-zine qui va rester quinze jours en kiosque, je dirais qu’effectivement c’est un peu men-tir de dire qu’on ne revendique pas plus une image qu’une autre. Mais dans les deux cas oui il faut revendiquer la paternité des images parce qu’il y a un tel galvaudage des images en terme de propriété intellectuelle qu’il serait complètement suicidaire de ne pas revendiquer une image. Si l’on commence à ne plus revendiquer les images, ça veut dire qu’on fait des images qui partent dans la nature qui n’ont plus de pater-nité et après on fait un peu n’importe quoi avec. Donc je dirais que oui il faut reven-diquer la paternité d’une image et le fait d’être auteur que ce soit une image pour la presse ou une image pour le packaging, aussi modeste soit-on.

Quelles peuvent être les différences entre une commande publicitaire et une com-mande éditoriale ?–En publicité et en packaging, tout est une question de budget et de notoriété du client par rapport à l’agence. Généralement les grosses agences ont de gros clients, ce qui ne signifie pas quelles ont des gros budgets, mais il y a une telle réputation à conser-ver de la part de l’agence, que la pression est un peu exponentielle, donc la pression

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que l’agence fait redescendre sur le photographe et sur toutes les personnes qui vont graviter autour de la pose de vue, je dirais que les exigences techniques en terme d’éclairage, en terme de réalisation, en terme de retouche derrière seront beaucoup plus importantes pour des gros dossiers que dans l’édition où on aura beaucoup plus carte blanche. Je ne sais pas si c’est lié au budget, mais la plupart des éditeurs laissent une grande marge de manœuvre au photographe, donc effectivement les contraintes sont beaucoup moins fortes sur le photographe. Par exemple pour comparer l’édition et la publicité, on peut avoir huit personnes sur un plateau de publicité alors que l’édi-teur peut ne jamais venir sur la prise de vue. D’ailleurs généralement les éditeurs ont d’autres choses à faire que d’être sur les prises de vue alors que l’agence de publicité déplace force personnes pour une prise de vue qui pourrait être éclairée avec une source unique. Il y aura tout de même huit personnes sur la prise de vue, car chacun va défendre son steak, le directeur artistique va défendre son travail, le commercial va défendre les honoraires qu’il prend auprès du client, donc il y a toute une démarche qui est différente, qui fait que tout le monde va chercher à justifier la quantité de tra-vail qu’il a engagé, car peut-être que l’agence réfléchit depuis trois mois sur la prise de vue, même si elle est simple. On ne connait pas bien les enjeux, on les devine au nombre de personnes qui sont présentes le jour de la prise de vue. C’est un paramètre assez intéressant.

Quelle est l’influence du commanditaire sur l’image finale ?–On peut avoir deux commanditaires : l’agence et le client sur le même plateau. Les deux ont leur mot à dire, mais il y en a un qui aura la décision finale. Suivant si c’est le directeur artistique et le chef produit ou le responsable du projet chez le client, on est obligé d’écouter les deux personnes. Les commentaires des deux parties sont à prendre en compte. Quand les remarques sont contradictoires, j’écouterais plus le directeur artistique, qui a plus de légitimité artistique, dans la mesure où c’est lui qui a créé l’idée, qui a conçu la campagne, la réalisation, c’est lui qui va gérer la partie post-production, donc si lui le demande c’est qu’il y a une raison valable de le faire. Non pas que le client n’ait pas une raison valable, mais il va peut être se focaliser sur un détail de l’appareil qui ne sera pas mis en majeur dans la campagne de publicité, mais pour lui ça sera un détail donc quelque part oui on répondra à sa question, on le rassurera par rapport à une crainte qu’il pourrait avoir, malgré tout ça sera l’œil du directeur artistique qu’il faudra satisfaire.Par exemple dans l’édition, le commanditaire peut être le directeur artistique de la maison d’édition ou la personne qui vous a commandé le travail, pour le coup le pho-tographe a plus de marge de manœuvre, donc ce que je fais c’est que je demande une pige photo, avec du pour, du contre, des trucs à ne pas faire, et à partir de là, étant donné les budgets de l’édition et le fait qu’on ne peut pas passer son temps à sou-mettre une image à quelqu’un et attendre un retour parce qu’au temps passé, ce ne

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serait franchement pas rentable, ce serait une perte de temps. Donc en général on fait toute la série d’images, et si au final il faut en refaire quelques-unes, on les refait bien sûr. On envoie éventuellement les deux ou trois premières pour le coup d’œil et après on enchaine sur le reste. Oui, le commanditaire a une influence donc il ne faut non pas être en bon terme, puisqu’on doit tout de même défendre notre steak, on ne doit pas se contenter d’être des exécutants, il faut tout de même qu’on apporte une patte, une sensibilité qui ne sont pas toujours évidentes à apporter. Par exemple on l’apporte beaucoup plus sur une image créative qui peut être quelque part récréative pour le photographe dans la mesure où éclairer une machine c’est pas forcément ce qu’il y a de plus créatif. Si c’est une image tellement technique qu’elle en devient convention-nelle, une image hors norme sera beaucoup plus revendiquée par le photographe. Je parle en mon nom, car tout le monde ne raisonne pas de la même façon. Donc je dirais qu’il y a une sensibilité à avoir, être à l’écoute de celui qui commandite le travail est un critère important.Il y a des photographes qui peuvent dire, moi je fais ce que je veux que ça plaise ou que ça ne plaise pas, généralement ce sont des photographes qui sont des célébrités internationales, la critique ne souffre pas, quelque part le client devient fournisseur et le photographe devient le client, mais je n’ai pas encore cette notoriété-là donc je ne peux pas me permettre d’envoyer bouler des clients parce qu’ils veulent un éclairage tout plat alors que je voyais plus un éclairage contrasté.

En quoi la présence d’un directeur artistique et d’un styliste modifie-t-elle votre implication dans l’image ?–Je dirais que c’est différent parce que quand on travaille avec un directeur artistique ou un client, puisque je les mets au même rang, on fera peut être plus attention à ce que l’on fait, dans la mesure où avoir quelqu’un derrière son épaule alors qu’on va peut être desserrer la bride quand on n’a personne sur la prise de vue. Et je dirais que c’est pas pour autant qu’il faut desserrer la bride techniquement, faire n’importe quoi et se dire qu’après ça sera rattrapé en retouche. C’est juste l’organisation dans la tête dans la journée qui n’est pas vraiment la même. On va être beaucoup plus structurés quand on a quelqu’un derrière soi, on le sera moins si on n’a personne, mais si on a un chemin de fer précis des images à réaliser, dans les deux cas il faut le suivre. Si on a une dizaine de shoots à faire dans la journée, on a ce chemin de fer qui va rythmer la journée, et qui va faire que si on a dix images à réaliser, il faudra toujours avoir en tête ce que l’on a fait plus tôt dans la journée. En revanche si on a une seule image à faire très technique et qu’on a plein de shoots intermédiaires à faire pour la retouche par exemple, éclairer les parties tour à tour, il faudra garder en tête tout ce qui est à faire, donc on a vraiment une organisation tout à fait différente.D’autant plus que lorsque l’on a quelqu’un en prise de vue, on doit rendre compte régulièrement à la personne présente, demander un avis constant, faire douter la per-

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sonne le moins possible. Je dirais donc qu’il y a un échange qui est plus constructif quand on a quelqu’un sur la prise de vue que quand c’est quelqu’un à qui on doit soumettre des images et qui les attend par mail. Donc c’est beaucoup plus stressant d’avoir quelqu’un derrière son épaule, mais c’est beaucoup plus efficace en terme de productivité, parce que si la personne n’est pas sur place elle n’est pas forcément dis-ponible, donc on est plus relax au studio, mais on passera plus de temps, on va peut être prendre du retard sur ce que l’on a à faire après.

Quels sont les points sur lesquels vous êtes systématiquement décisionnaires et à l’inverse ceux sur lesquels vous n’avez jamais le choix ?–Ce qui reste aujourd’hui au photographe c’est la lumière, donc s’il ne peut même pas donner son avis sur la lumière il faut changer de métier. Donc oui, je donne mon avis sur la lumière, je m’adapte aussi à ce que mon client souhaite, car je ne souhaite pas forcément imposer un type d’éclairage en particulier, c’est pour ça qu’il faut au préa-lable bien se renseigner sur ce que souhaite le client et la façon dont il souhaite que soit éclairé son produit, ou sa recette ou son projet. J’estime que le photographe a son mot à dire sur le stylisme, parce qu’on peut faire une très belle lumière et si le plat réalisé est mal fait, je dirais que le cadrage, la prise de vue, ne suffiront pas forcément à remonter le niveau. Tout comme le styliste a aussi son mot à dire sur l’éclairage, car les deux doivent pouvoir revendiquer à la fin l’image avec la même conviction, la même force. Donc c’est un travail d’équipe. Dans la relation photographe styliste, je dirais que chacun peut donner son avis à l’autre, mais il arrive un moment où il faut laisser un peu la liberté de ton à chacun. Donc il faut pondérer sur la fin, s’il y a une inversion des rôles c’est qu’il y a une mésentente à la base. Donc c’est pour ça que dans une relation styliste photographe, avant de faire des choses où l’un et l’autre ont un apport créatif sur l’image, où ils décident ensemble d’une thématique, s’il n’y a pas un minimum de discussion en amont, je dirais non pas qu’on va à la catastrophe, mais on se retrouve à faire des images qui risquent de plaire moins à l’un et l’autre, parce qu’on n’a pas assez discuté des problèmes qui se poseront à un moment, c’est-à-dire le style d’image, le style de vaisselle, tout ce qui est accessoirisation, de la réalisation de la recette.Maintenant si c’est un directeur artistique, il a le droit de donner son avis sur la lu-mière, quelque part c’est lui qui intime la direction artistique et donc lumineuse, mais malgré tout il y a un juste équilibre à avoir, à trouver, le directeur artistique et le pho-tographe peuvent avoir des idées très précises en tête. Si le photographe ne sait pas montrer quel chemin, il veut prendre, le directeur artistique fera son image. Donc s’il n’y a pas un minimum de communication, un minimum d’échange, ça peut être une mini lutte qui amènera l’un ou l’autre à prendre l’ascendant sur l’image. Donc le tout c’est que ce soit les deux personnes, directeur artistique ou styliste allant dans le sens convenu avec le photographe. Ça passe par un dialogue préalable.

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Pouvez-vous toujours revendiquer la paternité d’une photographie ou cela dépend-il de la présence d’autres personnes telles que directeur artistique, le client, le sty-liste au moment de la prise de vue ? Arrive-t-il que l’image finale soit celle du direc-teur artistique ?–Non, car si l’image a été l’objet de discussions entre le directeur artistique et le pho-tographe, il y a toujours une satisfaction du travail effectué à la fin de la journée. Je n’ai jamais rencontré de prise de vue où j’ai été annihilé par le directeur artistique à tel point que je ne reconnaisse plus l’image. Quand on est en prise de vue avec un directeur artistique, l’image est déjà un peu réalisée en amont, c’est rare qu’un direc-teur artistique arrive et dise on va faire ce que tu veux ou on va faire un truc je ne t’ai jamais montré. C’est dans ces cas-là qu’il va y avoir une sorte de lutte. Quand c’est une prise de vue pour l’édition, que le photographe a plus carte blanche, là il ne peut pas ne pas revendiquer l’image. On est forcément fière de ce que l’on fait, si on n’est pas un minimum fier on n’arrive pas à grand-chose, mais à la fin on essaie de voir les côtés positifs, parfois il suffit de recadrer l’image et on a une image complètement différente. Donc ça se joue parfois à peu de choses. Si le directeur artistique voit l’image horizon-tale alors qu’on la voyait plutôt verticale, ça peut être la même image, la même com-position, le cadrage change. Et alors ce n’est plus la même image, dans le sens où on s’appropriera moins l’image créée pour le directeur artistique, car elle nous satisfait moins.

Diriez-vous que votre travail est l’assemblage de vos gouts esthétiques et de vos références ou qu’il suit une mode et les directives de vos clients ?–Je dirais que c’est essentiellement les gouts. Je vais être un peu plus tranché. Au début je recopiais ce qui avait été fait et je n’avais pas vraiment d’intérêt à présenter ce qui avait été déjà fait. Maintenant la capacité à savoir refaire permettra au photo-graphe d’aller plus loin. Celui qui maitrise la technique pourra refaire 20 fois la même, celui qui ne maitrise pas l’image la refera une fois, ça sera peut être un coup de bol, et ne sera pas capable de recommencer, il fera quelque chose de différent. Donc la tech-nique il vaut mieux la maitriser pour après l’oublier. On est obligés d’avoir un style. Même si au début on estime ne pas en avoir, avec du recul en regardant ses images on sent une paternité dans l’image. Ça peut jouer sur plein de paramètres : la lumière, par exemple on reconnait les images de Bloch-Lainé, mais il faut faire attention à ne pas s’enfermer dans un style grâce auquel on s’est fait connaitre. Quand on est trop connu, on a du mal à s’en sortir. C’est propre à beaucoup de professions artistiques. Moi j’estime que le style c’est éphémère. On est abreuvés d’images, quand on a un travail de commande on soumet des images, donc on est obligés de voir le style que cherche le client. S’il n’y a pas vraiment de guide, avec une liberté éditoriale, mais un client qui

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veut garder la main au niveau du style, le client montre ses images et on se retrouve à faire quelque chose de totalement différent. Il y a un choc, un combat perdu d’avance. C’est un combat désagréable, car les impératifs marketing de certains clients qui cèdent à la sirène de la liberté éditoriale, qui ont une requête contradictoire. C’est le grand écart facial pour le photographe, car les images que le client nous montre nous plaisent, on est motivé pour aller dans ce sens-là et le client passe son temps à freiner, c’est un peu une voiture à double commande. C’est un travail de confrontation plus ou moins efficace ou laborieux. Le photographe doit savoir quand pouvoir proposer son style. C’est à lui de discerner s’il doit imposer son style ou pas. S’il n’impose pas son style, il se retrouve exécutant, avec un minimum d’apport créatif. Si le photographe sent que l’ensemble des personnes à un intérêt pour avoir un apport personnel dans l’image, alors il doit en profiter.

Quels sont les facteurs influents sur la photo culinaire ?–Je dirais que la photographie culinaire c’est assez contemporain. C’est un conflit, au sens positif, d’influences  : la culture personnelle, qui intervient, la culture photo, la culture visuelle. Il est aussi toujours bon de voir ce que font les autres, parce que si on a des œillères on finit toujours par faire des ronds dans l’eau. Il y a la recherche qui passe par l’expérimentation de certaines techniques, par exemple différentes tech-niques de lumière. Certaines agences de communication cherchent à orienter les clients en fonction de la marge de manœuvre octroyée. Les banques d’images sont assez influentes dans la mesure où elles peuvent demander des séries, des travaux de commande à des photographes, qui sont souvent des travaux de recherche. Ce sont ces séries-là qui pourront donner une tendance, donner le « la ». Il y a aussi toute la mode de tout ce qui est décoration maison, puisque la photographie culinaire passe énormément par l’accessoirisation. Il y a aussi les couleurs, qui sont une tendance générale. Il faut être à l’écoute de tout en ayant sa propre idée.

Êtes-vous gênés par la surabondance de photographies amateurs ?–Ça me dérange et ça ne me dérange pas. C’est tout à fait légitime, tout le monde a un smartphone, on peut se permettre de faire une image « sympa » avec un éclairage natu-rel, qui est du succès sur les réseaux sociaux. On peut alors se dire que c’est très facile. Oui c’est vrai puisqu’il y a une part d’intuition, de révélation. Ça désacralise un peu la photographie culinaire, bien que ça soit un métier de niche. Ce n’est pas comme la mode qui a un écho beaucoup plus fort auprès du grand public ; donc dans ce sens ça ne me gêne pas, je dirais même que c’est dans la logique des choses, en même temps c’est très simple, si on prend le contre point avec la musique, il n’y a pas de démarche similaire. En photographie il y a le caractère d’instantanéité qui est primordiale et qui fait que de nombreuses personnes s’improvisent photographes culinaire.

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Ca me dérange, car comme dans d’autres métiers, instantanéité signifie facilité, peu de contraintes et du coup ça discrédite les photographes culinaires, car chacun se sent capable de faire de même.C’est la technologie qui permet cette instantanéité, il y a une gratification pour la personne qui fait la photographie, qui gagne en notoriété auprès de la communauté dans laquelle elle évolue, qui se sent capable de réaliser quelque chose d’artistique. La majorité ne connait pas l’envers du décor. C’est par manque d’information qu’on a ce jugement de valeur. Avec le numérique, le fait est qu’une image peut être diffusée largement instantanément.Il y a aussi d’ennuyeux avec Internet que le client reçoit les images numériques, puis on les retrouve quelque temps plus tard sur un blog, un site, les réseaux sociaux, sans crédit. Les images sont distribuées, on n’a plus de lien de paternité avec les images, l’image devient anonyme et orpheline.Parfois ce sont des clients qui ne sont pas à cheval sur le droit d’auteur qui diffusent les images, ils partent du principe qu’ils ont payé et donc que l’image leur appartient. Il y a un peu d’éducation à faire de leur côté. Cela arrive plus avec les petits clients, les gros clients ont des services juridiques et sont plus au courant.

Cette surabondance a-t-elle un impact sur votre travail, avez-vous perdu des clients ?–Non, ça ne me vole pas de travail, car ce sont des actions isolées, personnelles de la part des amateurs.

Vous présentez-vous en tant que photographe culinaire ou en tant que photographe de nature morte ? Est-ce que ça a une importance pour vous ?–Je me présente comme photographe culinaire. Ça a une importance, dans la mesure où je différencie photographie culinaire et nature morte par le fait que c’est beaucoup plus spécialisé. Le rapport à la nourriture est indispensable pour un photographe culi-naire, on ne peut pas ne pas aimer cuisiner, manger, préparer pour les autres. C’est fusionnel dans les deux sens. Le photographe de nature morte est un terme trop géné-rique. Notre époque fait que l’on doit se spécialiser, mais être versatile dans la mesure où on doit savoir toucher à tout, faire des choses très techniques et très créatives, faire du bijou, du personnage. Il y a des photographes culinaires exclusives, mais à cause de la conjoncture économique, on ne peut pas négliger le reste. Je suis photographe culinaire à 90 %, les 10 % restants ne sont pas fixes. On se laisse une porte ouverte pour faire autre chose, ce qui permet de se reposer la tête aussi. Nerveusement c’est bénéfique, même si ce n’est pas quelque chose de très intéressant.

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Utilisez-vous un matériel spécifique en prise de vue ?–J’ai démarré professionnellement en numérique, je n’ai pas de légitimité en argen-tique, même si techniquement je sais utiliser le matériel. Quand j’ai commencé la prise de vue, le numérique était bien installé.Quand je me suis fait la main, j’avais un D3, des objectifs Nikon PC45et PC85 et un 60mm macro.Aujourd’hui je suis sur un D800 avec un PC45, un PC85 et un 24mm, pour faire des choses un peu déformées, plus créatives. Mon père a troqué sa chambre contre un H3D39 avec un système HTC, c’est comme ça qu’il a fini sa carrière.On peut dire que les boitiers réflexe ont grignoté des parts de marché à Hasselblad, dont le système est lourd et encombrant. Je le destine plus à de l’architecture.L’avantage des boitiers réflex, c’est qu’au flash on peut passer du trépied à la main levée et ainsi tourner autour du sujet, c’est là que les DSLR ont un potentiel créatif. De plus, ils montent beaucoup plus en sensibilité, donc si on combine les hautes sensi-bilités, la vitesse rapide, la post production Lightroom qui gère très bien le bruit, on arrive à sortir beaucoup d’images exploitables.Il y a une convergence de progrès qui pur moi est l’arme absolue pour être créatif et rentable, et on ajoute le progrès vidéo derrière.Mon père n’a jamais rechigné à investir dans du matériel, il y a une volonté de mai-triser la technique avec des très bons outils pour pouvoir l’oublier derrière. Mais on a besoin d’une définition telle, qui grandit proportionnellement avec les demandes des clients, qui ont besoin en impression, c’est pourquoi j’ai choisi le D800. L’avantage c’est aussi qu’on peut très bien recarder, par contre les fichiers sont assez lourds. On ne sent pas trop la charge grâce à la performance des ordinateurs. Je dirais qu’il ne faut pas plus que la définition du D800. Hasselblad va plus loin, j’estime que pour du culinaire ça devient un peu lourd à gérer. Après il faut s’adapter aux demandes du client. C’est le fait de pouvoir recarder qui est confortable, et mon père disait toujours « il vaut mieux être petit et net que gros et flou ».

Avez-vous hésité entre le Nikon D800 et le Nikon D800E ?–J’ai testé les deux, le D800E n’était pas pour moi judicieux dans la mesure ou j’avais l’impression de voir revenir de vieux démons, beaucoup de prise de tête avec le moi-rage. Le gain de netteté je ne l’ai pas ressenti tout de suite. C’était misé beaucoup, et ce n’est pas comme si on avait la possibilité de mettre et enlever le filtre. En culinaire on a rarement des problèmes de moiré, mais quand on a un beau tissu sur lequel apparaissent des zones, c’est gênant. C’est un boitier qui se justifie peut-être plus dans des situations de reproduction, même si je ne suis pas sûr que ça soit pour ça que les gens l’achètent. Je dirais que c’est plus pour exploiter un potentiel dans des

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conditions maitrisées que dans des prises de vue où chaque composition varie d’un jour à l’autre et on n’est pas surs de ne pas avoir de moirage. Je trouvais que l’écart qualitatif ne se justifiait pas. Aujourd’hui, la technique et la technologie sont suffisam-ment matures et ont suffisamment évolué pour que l’on puisse comparer un fichier 30 millions de pixels et un plan-film 4x5 numérisé. J’estime qu’aujourd’hui l’utilisation de la chambre ne se justifie plus.

Concernant l’éclairage, avez-vous des habitudes ?–J’ai commencé en continu, maintenant je travaille au flash. Il m’arrive de travailler à la pilote, dont le rendu est différent. En plus, il est difficile d’apprécier les contrastes au flash, ça demande un peu d’yeux. Le flash est très novateur pour moi, car je trouvais que ça donnait une lumière trop douce, trop homogène, tandis qu’en tungstène la lumière est plus dure, plus contrastée. Je me suis mis au flash, je ne regrette pas, mais ça ne m’interdit pas le tungstène. J’aimerais bien me mettre à la lumière du jour, mais l’emplacement du studio en rez-de-chaussée ne le permet pas. Mixer les éclairages peut être sympa, ainsi qu’éclairer à la fibre optique. Mais je dirais que l’éclairage s’im-pose en fonction de ce que l’on a à éclairer, par exemple lors de reportage en cuisine. On peut aussi créer beaucoup d’accessoires. Depuis quelque temps, je suis amené à me déplacer et donc à m’adapter aux conditions des lieux dans lesquels je shoot.

Votre matériel a-t-il une influence sur le rendu de vos images ?–Canon ou Nikon, c’est similaire, mais le HTC serait beaucoup plus difficile à gérer. Comme c’est peu lumineux, on est obligé d’utiliser les pilots à fond, de fait il fait chaud sur le plateau. C’est plus facile d’utiliser un appareil auquel on est habitué.

L’arrivée du numérique a-t-elle modifiée votre implication dans votre travail, l’or-ganisation et votre travail et vos rapports avec vos clients ?–Oui, car le client voit arriver l’image directement sur l’écran lorsqu’il est présent sur la prise de vue. Avant on lui montrait un polaroïd couleur pour la température de couleur, un polaroïd noir et blanc pour le contraste et on allait déjeuner en attendant l’arrivée des films développés 1h30 plus tard. Le client découvrait les Ektachromes terminés à la sécheuse sur la table lumineuse. Il découvrait le résultat, il y avait un gros stress. Le client découvrait l’image avec un léger retard, alors que là le client voit le résultat tout de suite à l’écran en haute définition, il voit le potentiel de retouche que l’on peut faire à l’écran, donc quelque part il y a une instantanéité, une immédiateté de l’image qui sert ou qui dessert. En effet, avec les capteurs actuels, on voit beaucoup de détails et donc de défauts. En argentique sur une table lumineuse, le client ne voyait pas for-cément tous les défauts. Là, le client a le nez sur un écran 27 pouces, il a son produit

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qui lui saute à la figure. On prouve quelque part au client que la qualité de l’image est là, par la définition et la justesse des couleurs. Quelque part, ça dessert aussi le photographe, parce qu’il est obligé d’avoir un discours rassurant auprès du client, car certains clients voyant tous les défauts commencent à paniquer. Il y a un travail pédagogique qui s’instaure, ça veut dire qu’on doit expliquer au client ce que l’on va faire après, éventuellement faire la retouche devant lui pour lui montrer rapidement que l’on pourra gérer certaines choses par la suite, qu’on peut facilement gommer un défaut et donc on peut continuer la prise de vue. En argentique, le client ne voyait pas forcément le défaut, et s’il le voyait, il avait une grande confiance dans le photographe ou dans le photograveur derrière qui faisait la retouche. Pour le coup le client n’était pas forcément rassuré sur la prise de vue, il accumulait un peu d’angoisse, le pho-tographe aussi d’ailleurs, effectivement il avait le stress du problème technique, du flash pas parti, de l’erreur de laboratoire, d’une sur ou sous-exposition mal faite, d’un plan-film voilé au chargement ou déchargement, du Hasselbald qui n’entraine pas le magasin. Il y a d’autres soucis en numérique, le boitier pas reconnu, tous les pro-blèmes techniques qui peuvent être inhérents au boitier, les problèmes informatiques qui peuvent se greffer par dessus et qu’il n’y avait pas en argentique. Donc que ce soit en argentique ou en numérique, le photographe a son lot d’impondérables qu’il faut apprendre à gérer et qu’il faut accepter. Le fait de tous métiers techniques c’est qu’on a une part d’impondérables qui peut entrer en ligne de compte.

En quoi Internet et le numérique vous ont-ils ouvert des perspectives ?–On ne peut pas ignorer Internet et son potentiel, on vit dans un monde ouvert, dans un monde qui est géré par la communication par les médias, on est abreuvé par l’image, peut-être par trop d’images. Ce n’est pas un choix, on est obligé d’être abreuvé par ces images, on ne peut pas les ignorer. Donc c’est un peu l’évolution qui veut ça. C’est aussi une visibilité que les photographes n’avaient pas avant. Mais tout le monde ayant la même opportunité d’être visible, la concurrence reste similaire. Effective-ment, il y aura toujours autant de photographes culinaires, les gens communiqueront peut-être différemment. Toutes ces choses font que nous sommes obligés de travailler avec Internet, ses avantages et ses inconvénients. Il y a une surexposition de l’image médiatique en général, et à côté de ça le fait de pouvoir communiquer rapidement sur toute une série d’images, de pouvoir toucher un maximum de personnes en très peu de temps. Concernant les applications, j’ai téléchargé il y a quelque temps un maga-zine, mais c’était plus pour les images, pour avoir une base de données que pour faire les recettes. Au bout de quelque temps, je me suis rendu compte que la variété se fait plus au niveau du stylisme.À un moment, je me suis dit que la tablette française Qooq pouvait offrir du poten-tiel aux photographes culinaires, parce qu’elle est dans la cuisine et qu’elle peut être interconnectée. Elle offre un accès aux médias et un enrichissement. Mais ce n’est

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pas le photographe qui offre ça, ce sont les éditeurs les banques d’images et tous les gestionnaires de contenus.

La photographie culinaire a-t-elle une légitimité à exister sur le marché de l’art ?–Il faut voir dans quelle mesure le photographe estime que ses images ont une place dans une exposition. On peut envisager le cas, tout dépend de la finalité de l’image, je ne vois pas pourquoi une photographie de commande irait dans un musée, parce que c’est une image qui est préconçue, elle est prédigérée en amont lors de réunions préparatifs si c’est commandité par une agence. Quelque chose qui est déjà convenu en amont n’a pas tellement sa place dans une exposition ou sur le marché de l’art. Ce serait plutôt des recherches personnelles, où il n’y a pas le poids, le carcan créatif qui serait imposé au photographe, l’image serait plus proche de ce qu’est capable de res-tituer la sensibilité du photographe.Le Festival International de Photographie Culinaire est dans une démarche de re-cherche, j’ai été contacté plusieurs fois. J’ai vu que Mathilde de l’Écotais a gagné, je ne suis pas du tout dans ce style-là. Le photographe qui s’oriente vers cette voie-là base plus son travail sur de la recherche constante et permanente et est plus à même de produire ce genre d’image. Quand je fais de la recherhe, je ne le fais pas dans l’optique d’exposer. J’ai l’image des poivrons de Weston, où on peut dire que l’image est artis-tique puisqu’on dépasse le côté alimentaire et on a une sensibilité complètement éloi-gnée, mais on n’est plus dans le culinaire. Pour que l’image soit élevée au rang d’art, il ne faut pas que ce soit une photographie commerciale et on aura du mal à sortir la photographie culinaire de l’ornière dans laquelle on l’a déposée. Ce n’est plus de la photo culinaire. Il faut la définir, la limite entre le culinaire et la nature morte. À partir du moment où il n’y a pas un minimum d’intervention, pas forcément un plat cuisiné, des fruits coupés.

Comment voyez-vous évoluer votre métier  ? Pensez-vous faire le même style d’images à plus ou moins long terme ?–Je pense que je ne ferais pas ça toute ma vie. J’ai un peu peur de me lasser, bien qu’il n’y ait pas de raison quand on aime ce qu’on fait. On finit par voir tout ce qui gravite autour de la photographie et on se fait sa propre opinion.

Comment imaginez-vous que la photographie culinaire puisse évoluer ?–Je ne vois pas cette pratique évoluer. Ça peut évoluer sur les techniques, l’utilisation de l’image. On peut se dire quand on voit toutes les images retouchées à outrance, on est dans un mensonge permanent, on peut avoir l’impression d’une fuite en avant, aujourd’hui on présente des produits très alléchants, mais très retouchés. Peut-être

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que demain on fera des choses encore plus difficiles à photographier et qui seront terriblement retouchées pour être vendeurs.

Sommes-nous moins dans l’artificialité, y a-t-il un retour aux produits bruts ?–Tout dépend du client. C’est lui qui donne la chance ou non de montrer le produit tel qu’il est. Un produit pas esthétique, on fera le maximum pour embellir la réalité. Quand on n’embellit plus, mais quand on triche, je dirais qu’il y a une part de déonto-logie sur laquelle on pourrait s’assoir ou pas. Je ne pourrais pas mettre mon nom sur une image déformée à outrance, parce que ça serait vraiment mentir. Avec l’image numérique, on ne connait pas à l’avance toutes les manières dont la photographie sera utilisée. On hésite à faire des images qu’on n’a pas envie de faire.

Y’a-t-il des retoucheurs spécialisés ?–Non, c’est une question d’affinité. Je pense que celui qui fait de la retouche culinaire doit avoir un minimum de sensibilité pour l’aliment. Il fera des choses moins exi-geantes que de la retouche beauté.

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Yves bagros, photographeentretien réalisé le 11 février 2013

Pourquoi avez-vous choisi de vous spécialiser en photographie culinaire ?–C’est arrivé par hasard. Je suis photographe depuis longtemps. J’ai un jour un assis-tant qui montrait des images à une société de presse et mes images culinaires ont retenu leur attention. Ils m’ont proposé des sujets pour la presse.

Quelle proportion de votre temps de travail représente la prise de vue culinaire ?–Ça a été exclusif pendant quinze ans, maintenant je commence les cosmétiques, mais c’est très marginal pour l’instant.

Est-ce que vous considérez la photographie culinaire comme étant une activité ali-mentaire ou comme le support d’une démarche personnelle ?–Les deux. J’adore la photographie culinaire parce que c’est très esthétique, plein de matières et de transparences. Et puis il faut bien gagner sa vie. Mais ça ne rapporte pas plus qu’une autre spécialité.

Avez-vous une démarche d’auteur quand vous travaillez en publicité et packaging, des enjeux esthétiques ?–Quand on fait de la presse ou de l’édition, on est tout seul avec la styliste, donc on est assez libre de faire quelque chose de personnel. Mais c’est en train de disparaitre. De plus en plus, les éditeurs interviennent sur les choix créatifs. Pour le photographe, c’est jusqu’à présent un terrain d’expérimentation, parce qu’il peut vraiment essayer, se lâcher. Par contre, un photographe se fait connaitre en travaillant pour la presse et l’édition. Les directeurs d’agences repèrent les photographes dans la presse et les contactent grâce au crédit.Pour la publicité et le pack, on n’est pas libre du tout, mais si on s’adresse à vous plu-tôt qu’un autre c’est qu’on attend, dans le cadre extrêmement restrictif du brief, une valeur ajoutée. L’annonceur appelle plusieurs agences, les acheteurs d’art contactent plein d’agences de photographes, ils réunissent un maximum de portfolios après avoir fait des présélections, ensuite au sein de l’agence ça se réduit et on propose trois portfolios au client. C’est similaire à une compétition. Et là quand ils choisissent un photographe, c’est parce qu’il y a une personnalité, parce qu’ils veulent le même rendu que ce qu’ils ont vu dans le portfolio. Ensuite, ils ajoutent leurs contraintes, mais quand ils ont apprécié quelque chose ils veulent retrouver la même « patte ». C’est pour ça qu’on différencie presse/édition et packshot/publicité.

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Pouvez-vous faire un parallèle entre une prise de vue personnelle et une prise de vue de commande, en insistant sur les rapports que vous entretenez avec les autres intervenants ?–En presse et en édition, nous sommes en grande synergie, à tel point que les stylistes demandent à partager des droits d’auteur avec le photographe, dans une proportion à définir, parce qu’ils sont intervenus longtemps sur le choix des accessoires, le dres-sage des plats et même sur la prise de vue. Il y a un véritable échange entre le photo-graphe et le styliste.En publicité, le photographe est un peu la star, il a été choisi, il coute très cher, c’est lui prend les décisions. Le styliste n’est rien de plus qu’un exécutant, même s’il fait des choses qui ne sont pas formidables.

La question de l’auteur a-t-elle un sens pour vous ?–Ça, c’est un truc de jeunes photographes, ils mettent tous sur leurs factures photo-graphe auteur, je trouve ça complètement pompeux. Je n’ai jamais pensé à ça. Pour des commandes commerciales, je fais ce que l’on ne me demande et là je ne me sens pas auteur, en revanche il y a des photos où j’ai vraiment l’impression d’avoir mis de moi-même et là je me sens plus auteur, sans y penser. Je ressens plus d’intervention personnelle.

Quelles peuvent être les différences entre une commande publicitaire et une com-mande éditoriale ?–Une maison d’édition décide faire un livre sur un sujet particulier et demande au photographe de répondre au thème et de le traiter d’une certaine façon (naturelle, sophistiquée) et ensuite on travaille assez librement. En général, ils nous connaissent donc ils savent que l’aspect photographique sera bien, mais pour le respect du brief ils nous demandent d’envoyer des images par mail au début. En général le styliste échange beaucoup avec le responsable d’édition, pour que les choix de couleur et de matière correspondent à ce qui a été convenu. Mais la maison d’édition laisse quand même beaucoup de libertés au photographe et à la styliste.En revanche, en publicité c’est hyper carré. Il y a des maquettes qui ont été faites par les directeurs artistiques. Il y a en amont des échanges entre l’agence et le client pour bien être d’accord sur le concept. Dès qu’ils sont d’accord, on fait appel au pho-tographe pour une réunion de pré-production. Durant cette réunion, on discute point par point de comment on va réaliser la photo qui est sur la maquette. Là on attend de nous une belle lumière, une valeur ajoutée, mais tout en restant très fidèle à la maquette, puisqu’elle a été acceptée par le client. En packaging les exigences sont encore pires.

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J’ai une retoucheuse qui travaille au studio, elle me dit ce qu’il faut faire pour optimi-ser le temps de travail et la qualité de la retouche. Je suis passé au numérique en 2006, et maintenant ma partie post-production est très importante. Souvent, on s’occupe de la post-production et du montage et on vend à l’agence l’image finalisée avec le chromalin. Notre métier s’est vraiment élargi. Avant en argentique on intervenait peu sur l’image.

Quelle est l’influence du commanditaire sur l’image finale ?–Sur une prise de vue importante, il y a le directeur artistique et un commercial de l’agence au minimum. Côté annonceur, il y a un chef de produit et un commercial. Chacun a son rôle qu’il faut respecter. Il y a beaucoup d’attentes, le commercial a vendu une image au client qu’il faut respecter, il faut respecter sa création. Tous les gens présents veillent sur l’image pour qu’elle soit conforme aux attentes. À l’origine, le commanditaire est l’annonceur, puis il devient l’agence. Souvent le client ne vient pas sur la prise de vue. Pour la simple raison que c’est très hiérarchisé. Je travaille beaucoup pour McDonald, si le client venait sur la prise de vue, il validerait directe-ment et si après sa hiérarchie refusait l’image, il y aurait un conflit. Il préfère donc que ce soit l’agence qui supervise.

En quoi la présence d’un directeur artistique et d’un styliste modifie-t-elle votre implication dans l’image ?–Pas différemment parce qu’il n’est pas là pour rien donc je suis très réceptif à ce qu’il attend de moi et maintenant en numérique on travaille différemment qu’en argen-tique, c’est-à-dire qu’on travaille assez vite on fait tout de suite des images pour que le directeur artistique réagisse et qu’on s’oriente le plus vite possible dans la bonne direction. Quelquefois je fais un truc qui me plait bien, je suis content de moi et pour-tant ça ne lui convient pas, non pas esthétiquement, mais parce que ça ne correspond pas à sa création. Du coup il me fait modifier un truc qui me plaisait pour un truc qui ne me plait pas.

Quels sont les points sur lesquels vous êtes systématiquement décisionnaires et à l’inverse ceux sur lesquels vous n’avez jamais le choix ?–Pas la lumière, on doit répondre à la pré-maquette, plus sombre, moins d’ombre. Là où on est décisionnaires, c’est sur la technique, car ils n’y connaissent rien. S’ils ont un avis esthétique d’accord, mais si c’est technique, ils nous font confiance. Par exemple un hamburger qui est rond, pour qu’il soit net partout, on fait une série de prises de vue en décalant la mise au point et on remonte l’ensemble en post-production. Le client ne sait pas si techniquement l’image est bonne, donc s’il y a un problème en

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post-production, c’est moi qui suis responsable. Sur la technique on est censés être hyper vigilants. Comme je suis un peu distrait, ma retoucheuse est toujours derrière moi. C’est important, ça permet d’être sûr qu’il n’y a pas de problème.

Pouvez-vous toujours revendiquer la paternité d’une photographie ou cela dépend-il de la présence d’autres personnes telles que directeur artistique, le client, le sty-liste au moment de la prise de vue ? Arrive-t-il que l’image finale soit celle du direc-teur artistique ?–Légalement, les images appartiennent au photographe, mais dans certains cas de litiges entre l’annonceur, l’agence et le photographe, ça s’est passé au détriment du photographe. Il faut déterminer s’il y a vraiment une intervention créative de la part du photographe. Parfois c’est évident, mais si on photographie un pot de yaourt sur un fond blanc, c’est plus difficile à défendre. Si dans le pot de yaourt il y a une cuillère et que le yaourt est tourné, ça sera un peu plus évident. Il y a tout ce qui passe entre « évidemment pas » et « évidemment bien sûr ». Donc la paternité d’une photo n’est pas toujours facile à établir. D’ailleurs, les annonceurs veulent de moins en moins payer les droits qui sont très chers à cause de cette histoire de paternité. Il y a eu récemment des procès qui se sont bien terminés, souvent ça termine par une conci-liation financière entre l’annonceur et le photographe, ce qui arrange tout le monde, car un procès est très couteux.

Diriez-vous que votre travail est l’assemblage de vos gouts esthétiques et de vos références ou qu’il suit une mode et les directives de vos clients ?–On suit une mode évidemment, mais il y aussi une part de nous bien sûr. On se sert de la mode et de ce que l’on voit, c’est comme toute création artistique, on se sert de notre bagage culturel pour faire une sauce avec ça et la ressortir comme on la sent. C’est une mode, car si on regarde les photos d’il y a vingt ans, on les trouve affreuses. Il y a eu une révolution il y a une quinzaine d’années, je pense que je fais partie des quelques photographes qui ont été à l’origine de ça, avec quatre ou cinq autres. C’est l’époque où on a surexposé l’image, on l’a dépouillée de toutes les acccessoirisations qu’il y avait avant et on a introduit le flou, c’est ce qui a tout transformé. Autrefois, c’était saturé, surchargé. Ça a été difficile à surpasser, c’est toujours difficile quoique moins qu’au début, on faisait toujours deux photos. Une toute nette et une comme on voulait, le client choisissait toujours la nette. De temps en temps ça passait, on était super content. Et puis maintenant le flou est passé dans les mœurs. Est-ce que ça sera toujours la mode dans vingt ans, on ne peut pas savoir. Évidemment je ne me prends pas pour un artiste, parce que si elles sont démodées dans vingt ans alors mes images d’aujourd’hui ne sont pas de l’art. Par définition l’art c’est intemporel.

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Quels sont les facteurs influents sur la photo culinaire ?–Il y a beaucoup de paramètres. Par exemple, on fait un catalogue deux fois par an pour un client qui s’appelle RoomServer, qui fait des plateaux-repas. Ce qui est intéressant c’est que l’an passé on a fait des images ultra-light, très surexposées, un peu bleutées, lumière du jour, dont le client était ravi. En revanche, les consommateurs des pla-teaux n’ont pas aimé, car ils ont eu l’impression qu’il n’y avait rien à manger. Donc le nouveau brief c’est de faire des photos bien saturées et que ça fasse été. Quand on en a parlé en réunion, je me suis dit qu’on faisait un pas en arrière, que l’on revenait aux photos d’autre fois et finalement en travaillant, en réfléchissant on a réussi à faire quelque chose de très bien quand même.

Êtes-vous gênés par la surabondance de photographies amateurs ?–Oui, c’est pour ça que je ne fais plus de presse ni d’édition. Je fais partie des quatre ou cinq photographes qui ont introduit un nouveau style d’image et c’était à l’époque de l’argentique. Aujourd’hui, la mode est à la lumière du jour, ce n’est pas un éclairage savant et avec le numérique n’importe qui sait faire une photo, de plus jolie. C’est un peu agaçant que des jeunes se proclament photographe-auteur, comme ils le mettent sur leur facture, parce qu’ils savent faire une image jolie sur le recoin de leur fenêtre avec leur appareil qu’ils ont acheté à la Fnac. Ça m’agace un petit peu, mais ça ne me fait pas d’ombre puisque je ne fais pratiquement que de la publicité. En plus, il y en a certains qui ne sont jamais choisis parce qu’ils n’ont pas de portfolio ni d’agent. C’est comme si tous les gens qui savent écrire se proclamaient écrivains. Il y a un nombre incroyable de jeunes photographes qui se déclarent auteurs. J’ai un peu tout fait en 35 ans de métier, tous les mois on fait 40 000 € de chiffre d’affaires, ça demande de verser du sang et des larmes.D’ailleurs, cette mare à canard que devenue la photographie culinaire me pousse à me tourner vers la photographie de cosmétiques, qui est beaucoup plus technique. Il faut savoir que la photographie culinaire c’est très facile. Vous faites une belle salade avec des feuilles de laitue et de la tomate, en lumière du jour à contre-jour, c’est très joli. Un rouge à lèvres dans les mêmes conditions, ça ne marche pas. C’est plus compliqué, il y a beaucoup moins de gens.

Cette surabondance a-t-elle un impact sur la photographie culinaire en général ?–Oui, ça introduit des modes.

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Vous présentez-vous en tant que photographe culinaire ou en tant que photographe de nature morte ? Est-ce que ça a une importance pour vous ?–Culinaire, la nature morte c’est très à part. Sur mon site, j’ai un portfolio culinaire et un portfolio cosmétique. Au début, je mettais des natures mortes dans mon portfolio cosmétique et mon agent me l’a fortement déconseillé. En France, on clive beaucoup les choses, je crois qu’en Angleterre c’est différent. En France, il faut être spécialisé, car les directeurs artistiques et les annonceurs recherchent dans un portfolio de pho-tographe l’image qu’ils veulent, tout du moins le plus proche possible. Ils ne veulent pas prendre de risques.

Utilisez-vous un matériel spécifique en prise de vue ?–J’utilise comme tout le monde un Canon 5D MarkII, avant je travaillais avec des chambres. J’ai des flashs Godard. Je travaille entièrement en lumière artificielle parce que j’aime bien contrôler tout, je ne veux pas être dépendant de la lumière du jour qui varie. Ma passion dans la photographie c’est de créer une lumière. Je mélange parfois les flashs avec des DedoLight pour faire une petite brillance ou souligner un élément. Beaucoup de mes confrères mélangent flash et lumière du jour, parce qu’ils ont un studio qui s’y prête.J’utilise des optiques à décentrement, presque exclusivement le 90 mm TSE. En édi-tion et en presse, on fait beaucoup de bascules, mais en publicité j’évite parce qu’il y a une perte de qualité.Quand je travaillais à la chambre, j’obtenais un flou de profondeur de champ en choi-sissant une grande ouverture plutôt qu’en basculant. Ce que j’aime c’est quand la mise au point est sur les éléments intéressants, donc je faisais des bascules pour étendre la profondeur de champ. Maintenant, de plus en plus de photographes font une bascule inversée pour qu’il y ait une zone de netteté très faible.

Votre matériel a-t-il une influence sur le rendu de vos images ?–Un autre matériel ne changerait rien, en revanche repasser à l’argentique changerait parce qu’on serait frustré de ne pas pouvoir modifier la chromie et les contrastes aussi aisément qu’en numérique. En numérique on peut vérifier la netteté sur toute l’image plus facilement qu’en argentique. Mais un autre appareil numérique ne changerait pas mon travail.

L’arrivée du numérique a-t-elle modifiée votre implication dans votre travail, l’or-ganisation et votre travail et vos rapports avec vos clients ?–C’est différent. Avant on préparait beaucoup les prises de vue en amont, comme ça

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coutait très cher en polaroïd. On passait beaucoup de temps à tout caler avant de commencer à photographier. Maintenant, on fait les images tout de suite, je trouve ça très agréable, on est tout de suite dans l’image et on évite les surprises, on peut faire la balance des blancs immédiatement. Par contre, on passe un tout petit peu plus de temps à modifier les courbes et la chromie. Ça permet de rassurer les clients. On inter-vient moins en technique et on intervient plus sur les images en post-production en y passant moins de temps, donc on est plus créatifs.

En quoi Internet et le numérique vous ont-ils ouvert des perspectives ?–J’ai fait un peu de vidéo, mais j’ai arrêté. Internet me permet de me documenter, je vois qu’en culinaire tout le monde fait la même chose. Comme je commence les cos-métiques, je regarde des travaux de photographes spécialisés, je fais des captures d’écran pour m’inspirer de travaux qui me plaisent et je copie à ma manière. C’est une manière d’apprendre. Et je suis en train de me faire un portfolio à partir d’images personnelles, c’est assez gratifiant.En photographie, on est toujours obligés de s’adapter. Avant je faisais beaucoup de presse et d’édition, j’ai arrêté parce que les éditeurs se sont habitués à des délais très courts, des prix bas et une normalisation qui m’ennuie. J’ai aussi arrêté le packs-hot parce que maintenant les photographes sont salariés. Ile prennent des jeunes qui sortent d’écoles et ils les paient mal. Ce n’est pas très technique, mais il y a beaucoup de retouche derrière. Je continue tout de même Picard. Beaucoup de photographes ont fait faillite, heureusement que j’ai un bon agent, ça me permet de faire de la publicité.La vidéo, ça m’intéressait, j’ai fait des films courts, d’environ deux minutes. Il faut écrire un scénario, faire quatre fois plus de stylisme, faire le montage et s’occuper de la musique. C’est une usine à gaz. Il n’y a pas tellement de créneau, parce que c’est pour Internet et il n’y a pas de budget pour cela. Il faudrait que je vende un film 10 000 €, pour amortir la commande. Les annonceurs sont prêts à payer 2 000 € par vidéo, parce qu’ils les dédient à Internet et que les budgets sont restreints. Il y a vrai-ment un gap.Il faudrait en faire pour la publicité, mais il y a tout un cheminement très long. Il faudrait que je fasse de la vidéo depuis 15 ans et que je sois devenu réalisateur. Ça ne me plairait pas, parce qu’un réalisateur dirige une équipe, mais ne participe pas. Lors d’un film, je voulais modifier la lumière, mais le chef opérateur ne voulait pas, parce que c’est son métier.De toute façon, ça ne me plait pas trop, parce que c’est un travail d’équipe et moi je suis plutôt solitaire, j’aime bien travailler tout seul, et d’autre part ce sont des conditions de travail spéciales. Les amplitudes horaires sont très grandes, il faut se déplacer dans des studios cinéma qui ne sont pas dans Paris. Si j’étais plus jeune, je le ferais sans doute. En photographie, je créé mon image seul, assisté d’un styliste, tandis qu’en film il y a une équipe importante, c’est ce qui est difficile pour moi.

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La photographie culinaire a-t-elle une légitimité à exister sur le marché de l’art ?–J’ai fait la première édition du Festival International de la Photographie Culinaire. Mathilde de l’Écotais, qui a remporté le premier prix, avait fait des images très abs-traites, qui ne signifient pas grand-chose. Ce qui me dérange c’est que les critères de l’art ne sont plus esthétiques, mais la réflexion intellectuelle. Je préfère être dans la spontanéité, l’émotion artistique pure.

Comment voyez-vous évoluer votre métier  ? Pensez-vous faire le même style d’images à plus ou moins long terme ?–Je suis photographe commercial. J’ai fait de l’édition, de la presse, de la publicité. Ce qui m’intéresse maintenant c’est de créer les images qui me plaisent et le cosmétique me convient bien. Il y a une telle surabondance de photographies culinaires, parce que c’est facile, que je fais une overdose. C’est pour ça que je vais vers le cosmétique. J’ai fait une première campagne de publicité, j’ai été choisi parce qu’il y avait à la fois du culinaire et du cosmétique dans la même image.

Comment imaginez-vous que la photographie culinaire puisse évoluer ?–Je pense qu’une évolution est nécessaire. J’admire beaucoup le photographe qui réus-sira à renverser les codes actuels. Ça fait 15 ans qu’on est dans les mêmes codes, je pense qu’il va falloir trouver autre chose. À moins que l’on se dirige vers quelque chose de plus technique. Jusqu’ici, toutes les images sortent du même moule. Quand on regarde Elle à table, on voit des images différentes, certaines très claires et d’autres très sombres. On commence à sortir de la mono-idée, mais il n’y a pas de renverse-ment des codes. Je ne sais pas s’il peut y en avoir un qui soit total. Une fois que l’on a fait du flou, du net, de la surexposition et des images sombres, on a fait le tour. À un moment, j’ai pensé que l’on pouvait contextualiser les images. Il y a peut-être une autre manière de montrer la nourriture. Il y a des magazines qui sont trashs, mais à mon avis ils ne vont pas dans la bonne direction, parce que ça ne donne pas envie.

Vous dites que quelques photographes ont été à l’origine de l’évolution de la photo-graphie culinaire il y a 15 ans, pouvez vous les citer ?–Aujourd’hui, il n’y a plus vraiment de grand photographe (propos modéré). Mais il y a 15 ans, il y avait Jean-Blaise Hall, Pierre Dégrieux, Michael Roulier qui est passé à la vidéo. Ce dernier et Jérôme Bilic sont deux photographes que je trouve forts en ce moment. Dès que j’arrête de travailler pour l’édition, mes confrères me disent qu’ils n’entendent plus parler de moi.

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Y a-t-il des stylistes célèbres ? Sont-ils toujours rattachés à un binôme ou arrivent-ils à travailler indépendamment ? –Les seuls qui soient en binôme sont Michael Roulier et Emmanuel Turiot. Ils travaillent toujours ensemble. Pour les autres, nous travaillons avec des stylistes différents d’une prise de vue à une autre. Il n’y en a pas qui sont connus, mais qui sont spécialisés. Je travaille souvent avec Anne-Claire Delphin qui fait désormais beaucoup de films. Je travaille aussi avec Laurence Dutilli qui est aussi journaliste et décoratrice. Son métier a évolué, elle fait des tests comparatifs de produits alimentaires.Certaines sont très techniques, n’ont pas de sens artistiques, pour d’autres c’est l’in-verse. Il y en a quelques une qui savent faire les deux.

Vous est-il arrivé de faire des images de plats de chefs sans styliste ?–J’ai très souvent fait des photos avec des chefs, mais il y avait toujours une styliste, parce que ce n’est pas leur travail. Ce que les gens ne savent pas trop c’est que le sty-lisme culinaire n’a rien à voir avec le fait de savoir cuisiner. Il faut savoir cuisiner bien sûr, mais le cœur du métier c’est ce qui se passe entre la cuisine et la photo. Il y a un pont entre les deux, elles savent présenter une recette pour la photo. Le chef présente l’assiette pour être dégustée, elle n’est pas photographiable, parce qu’elle n’est pas conçue pour.

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Jean-blaise hall, photographeentretien réalisé le 12 février 2013

Pourquoi avez-vous choisi de vous spécialiser en photographie culinaire ?–Par élimination. Les autres domaines m’intéressaient, mais je ne les connaissais pas. Tant que l’on n’a pas pratiqué, il est difficile de savoir ce pour quoi on est fait. Je pratique la photographie depuis tout jeune, j’ai rapidement su que je voulais devenir photographe, j’ai fait une école. En sortant de l’école, j’ai été assistant pendant cinq ans. J’ai commencé par la mode, rapidement j’ai compris que ça ne m’inspirait pas, je n’étais qu’un suiveur. Comme à l’école j’aimais la nature morte, j’en ai fait quelque temps : parfums, bijoux, cosmétiques. J’étais un peu frustré par le fait que l’on reçoit un objet fini, qui est en général esthétique, et que je dois mettre en valeur par la lu-mière, l’angle de prise de vue qui est assez limité. À l’époque, on travaillait en grand format, il y avait un travail de chambre, de schempflung, qui est assez important en macro. Ça ne me passionnait pas. J’avais fait un peu de culinaire, à la fin des années 1980, et le culinaire n’était pas ce qu’il est aujourd’hui. Ça m’a tout de suite plu, je me suis dit qu’il y avait plein de choses à faire, tout ce que je voyais était vieux et poussié-reux. Pour simplifier, ce qui m’a attiré dans le culinaire c’est que le matin vous démar-rez avec un panier de course qui se transforme en image. C’est ce cheminement que j’ai trouvé intéressant à l’époque et qui m’intéresse toujours. Je ne m’en lasse pas, je pense que l’on n’a pas tout fait même si c’est un domaine qui a beaucoup évolué, qui est un peu pris en otage aujourd’hui.

Quelle proportion de votre temps de travail représente la prise de vue culinaire ?–100%, j’essaie de rester dans cet univers là. C’est par principe, mais aussi pour que ça soit clair dans la tête des gens. L’univers de la cuisine est très vaste.

Est-ce que vous considérez la photographie culinaire comme étant une activité ali-mentaire ou comme le support d’une démarche personnelle ?–Comme une démarche personnelle.

Comment établissez-vous une démarche d’auteur, avez-vous des influences ?–On est tous influencés, même si on refuse. Parce qu’il y a des images partout. La meil-leure preuve c’est que lorsque quelqu’un sort quelque chose de nouveau, on se rend compte que dans le monde entier, d’autres personnes sortent des choses similaires en même temps. Ça veut dire qu’on est tous influencés par un grand jus visuel qui fait que des personnes différentes arrivent aux mêmes conclusions en même temps. Mainte-

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nant est-ce que je suis influencé, non j’essaie de ne pas l’être bien que j’ai conscience de l’être. J’ai souvent dû expliquer à mon agent que je ne voulais pas faire un certain type d’images parce qu’il est à la mode. On a chacun un fil rouge dans la tête, si on commence à copier sur les autres on perd ce fil rouge et après on n’est plus qu’un sui-veur. Il vaut mieux passer par des périodes médiocres ou de vide que de copier celui qui est en tête de gondole, parce que ça ne dure jamais longtemps. Quand il n’est plus en tête de gondole, on ne sait plus qui suivre.

Pouvez-vous faire un parallèle entre une prise de vue personnelle et une prise de vue de commande, en insistant sur les rapports que vous entretenez avec les autres intervenants ?–Ça a beaucoup changé. Quand j’ai commencé, jusque dans les années 2000, le pho-tographe était à 100% le maitre d’œuvre. C’est lui qui était contacté par le magazine ou l’agence ou l’éditeur et c’est lui qui formait ses équipes en fonction de ses affinités ou du travail à réaliser. Il y a des stylistes qui sont plus portés sur le dessert, le sucré, le salé, qui sont plus techniciennes… En fonction de ça, le photographe montait son équipe, aujourd’hui ça a changé. Tout ce qui est presse et édition, étant donné qu’avant il y avait un auteur texte un photographe et une styliste. L’auteur texte et la styliste ont fusionné. Cette double casquette a fait que la styliste est souvent à l’origine d’un projet. Elle a écrit les recettes, dont c’est elle qui choisit le photographe, donc ça s’est un peu inversé.En publicité, c’est différent. À ce jour, on est tombés de notre piédestal, on choisit le photographe et le styliste en fonction de leurs disponibilités et de leurs prix. Si on a envie de travailler avec vous et que vous n’êtes pas disponible, on choisit quelqu’un d’autre. Nous sommes devenus des prestataires de services. Aujourd’hui, le fait d’avoir du talent est toujours important. Mais il y a tellement de gens qui en ont que nous ne sommes plus des exceptions. Il y a quelques stars dans le monde de la photographie. On me demande si je suis libre à certaines dates, c’est à moi de faire en sorte d’être disponible si je veux faire le travail.La cohabitation avec la styliste n’a pas changé, c’est une question d’affinité. Elles vont m’appeler parce qu’on s’entend bien ou moi je vais les appeler sur un projet de publi-cité parce que je m’entends bien avec elles. Globalement, on travaille toujours avec les mêmes. Je ne travaille pas avec une seule personne. Il y a certains photographes, certaines équipes indissociables. Ce n’est pas mon cas. En publicité, je travaille avec trois ou quatre personnes. Parfois, on m’impose quelqu’un d’autre pour une raison ou une autre. En presse et en édition, ça va dépendre des projets, en fonction du rôle de la styliste. Mais ce n’est guère plus de trois personnes. C’est vrai qu’on se connait bien, on a une complicité dans nos gouts, c’est pourquoi on travaille ensemble. Il n’y a jamais de tension, on ne s’impose rien, il y a toujours un dialogue. On fait un beau métier, il ne faut pas le gâcher en imposant son égo.

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La question de l’auteur a-t-elle un sens pour vous ?–Non, je pense qu’on est des artisans, je me considère ainsi. J’adore mon travail. On a passé une période trouble entre 2003 et 2008, au passage du numérique. Notre travail a été un peu désacralisé, les gens ne savaient pas comment fonctionnait une chambre donc on était respectés. Aujourd’hui, tout le monde a un appareil numérique, ça n’a plus de secret pour personne, donc effectivement on est tombés de notre piédestal, ça a été difficile. Nous avons maintenant des outils extraordinaires qui permettent de faire des images plus belles qu’avant, je ne regrette vraiment pas d’être passé au numérique. Je trouve qu’on peut aller plus loin, on a une plus grande maitrise de ce que l’on fait. Avant il y avait un côté magique, mais on était quand même déjà à l’époque pressée par les agences ou les magazines et les éditeurs sur les couts, parce que produire en argentique était très cher. Nous avions un nombre limité de films et de polaroïds. Tout ça faisait qu’en fait on était obligés de mettre au point une tech-nique de prise de vue qui nous permettait d’obtenir un résultat bon à moindre cout. Forcément, on ne prenait pas de risque, on n’avait ni le temps ni les moyens, parce que c’était pour notre pomme si ce n’était pas bon. Alors qu’en numérique on fait ce qu’on veut. Si ce n’est pas bon, on recommence, ça ne coute rien et ça va beaucoup plus vite. Donc le fait qu’on a compressé les couts et le temps pour réaliser une photo permet de s’amuser, c’est plus ludique. Je m’amuse plus, j’expérimente. J’ai un labo-ratoire de développement. Avant le scanner, j’avais des tonnes de planches contact que je n’avais pas le temps de trier. Ça dormait. Aujourd’hui, je fais du noir et blanc en 6x6, je numérise mes négatifs et du coup je peux les tirer. C’est vrai que le travail de numérisation est très simple, je peux le donner à un stagiaire, et du coup mes images vivent. Avant elles ne vivaient pas parce que je n’avais pas le temps de m’en occuper. Le numérique a libéré tout le monde, même l’amateur. La photographie était en perte de vitesse dans les années 1990. C’était passé de mode, il y avait plus de vidéos. Je me souviens que les marchands d’appareils photo tiraient la langue, parce que plus personne ne s’intéressait au film. Le numérique a été un vrai boum. On en a pris pour notre grade, mais la majorité d’entre nous en est très contente. Au début, on a dû faire face à la concurrence, tout le monde pouvait faire une photo. Les gens ont commencé à livrer n’importe quoi, n’importe comment à bas prix. Les magazines s’en sont régalé, nous avons perdu énormément de parts de marché, mais au bout d’un moment ils se sont rendu compte qu’ils tournaient en rond et qu’ils avaient des choses difficilement imprimables et de mauvaises qualités. Ils sont revenus vers nous à un moment où on avait acquis une meilleure maitrise du numérique.

Quelles peuvent être les différences entre une commande publicitaire et une com-mande éditoriale ?–Nous sommes assez libres en édition, entre guillemets. La liberté s’acquiert par la

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complicité que l’on peut avoir avec un éditeur, de presse ou d’édition. Tous les livres se ressemblent, parce qu’aucun éditeur n’a envie de chahuter quelque chose qui marche. Il y a un standard d’image culinaire qui est attendu, les gens ne veulent pas autre chose. Tant que le marché fonctionnera avec ce look, personne ne changera. Tout le monde s’en plaint, même les éditeurs. Les images sont homogènes, les pho-tographes sont frustrés. Le marché est aux mains des commerciaux, pas des créatifs, et ce sont eux qui font la pluie et le beau temps. Même un directeur artistique qui a des idées géniales peut être freiné par un commercial qui estime que ça ne se vendra pas. Cette liberté est très relative. Effectivement, je travaille beaucoup moins pour la presse que je ne l’ai fait par le passé, les relations sont très compliquées. Je travaille pour le magazine Régal qui me laisse carte blanche, tout en sachant ce qu’ils aiment. Je ne vais pas leur livrer quelque chose qui ne cadre pas avec ce qu’ils vendent. En même temps, il y a quatre numéros, la rédaction m’a demandé quelque chose de pré-cis, ils ont voulu contrôler les images. Je pense qu’il y a eu une certaine pression de la direction pour qu’ils reprennent contrôle sur le stylisme, le cadrage. On a fait ça et ça a été un fiasco. Personne n’a aimé la série, ni eux ni moi. J’ai fait exactement ce qu’ils voulaient, mais du coup quand on travail comme ça à distance, on envoie les images par Internet, ils valident, font des remarques, l’image perd son âme. L’image c’est un moment, surtout en cuisine. Ça se construit, se pose, on voit le cadre, on fait une lumière et quand quelqu’un qui est autre part reçoit l’image, il ne sait pas ce qui a amené à la construction de cette image. Donc il la regarde, s’attendait peut-être à autre chose. Il veut corriger l’image pour aller dans son sens et elle perd de sa force. Elle se dilue, car elle reçoit trop d’influences diverses. J’ai eu une discussion avec eux, je leur ai proposé de me laisser carte blanche. Comme je sais ce qu’ils aiment, si ça ne leur avait pas convenu nous aurions arrêté de travailler ensemble. En plus la nourri-ture ne supporte pas d’attendre, donc ce n’est pas une bonne solution que nous avions essayée. Ça a fonctionné. C’est un fil rouge, j’impose des images que l’on construit avec la styliste, ensemble. Elle a son shopping, on a choisi les couleurs, on choisit la manière de mettre en scène les images, et à la fin de la série ça passe ou ça casse. Tout en leur disant que l’on peut reshooter une ou deux images. On n’est pas dans le partage de la création. On fait notre travail, je ne m’occupe pas de leurs maquettes. Chacun fait son travail à un moment donné. Très souvent je reçois une maquette, il y a mes publicités. Ce sont des images qui coutent cher, elles ont été pré-réalisées en photomontage ou en hyperréalisme, ça a été testé par un panel de consommateurs avant que ça arrive chez moi. Je n’ai plus qu’à reproduire un brouillon très poussé. Ce n’est pas frustrant parce que c’est très technique pour un photographe de nature morte qui forcément aime le côté bidouille, technique, lumière et les contraintes. C’est un challenge, mais c’est amusant. Il faut toujours trouver des astuces, ce n’est pas évident. Il y a d’autres images commerciales ennuyeuses, qui représentent un tiers de mes revenus. J’ai des clients comme Hippopotamus ou McDonald, des gens qui savent ce

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qu’ils veulent, je connais les produits, ils viennent vers moi pour avoir une représen-tation de bonne qualité de leurs produits. J’ai des briefs très sommaires de l’agence, parce qu’ils n’ont pas le temps, ça couterait trop cher de faire des briefs détaillés pour dix images. Donc là je deviens un vrai prestataire de service, le studio est arrangé pour eux. C’est la routine, on essaie que ça se passe sans douleur, avec profession-nalisme, il n’y a pas de stress ni de tension. C’est un travail purement alimentaire, ennuyeux, mais pas fatigant.

Quelle est l’influence du commanditaire sur l’image finale ?–En publicité, je n’essaie même pas de m’imposer. Ce n’est pas mon propos. Ça a existé, il y a des photographes qui ont des égos énormes, il faut absolument qu’ils soient au-teurs de l’image, qu’ils imposent leur patte. Moi, ça me passe loin au-dessus de la tête.

En quoi la présence d’un directeur artistique et d’un styliste modifie-t-elle votre implication dans l’image ?–Un bon directeur artistique c’est très rare, j’ai eu la chance de travailler avec quelques-uns. Aujourd’hui, on travaille principalement avec des maquettistes. Ce sont des gens qui mettent en page, mais ils ne sont pas directeurs artistiques. Un directeur artistique c’est quelqu’un qui connait votre travail, le styliste. C’est un chef d’orchestre, quelqu’un qui est entouré de bons musiciens, qui savent tous très bien jouer de leur instrument. Sans chef d’orchestre ils font de la belle musique, mais avec ils font quelque chose de fantastique. Il va réussir à tirer le maximum de jus de son équipe pour réaliser une image encore meilleure. Ces gens-là sont très rares, parce qu’ils arrivent à travail-ler dans l’enthousiasme. Ils n’imposent pas, ils aident à construire une image encore meilleure par leur enthousiasme et leur esprit d’équipe. C’est une complémentarité qui permet de faire des choses auxquelles on n’avait même pas pensé au départ, c’est extraordinaire, mais rare.

Quels sont les points sur lesquels vous êtes systématiquement décisionnaires et à l’inverse ceux sur lesquels vous n’avez jamais le choix ?–Je suis quelqu’un de souple, donc je tiens compte de tous les avis proposés par le client ou l’agence. Mais si j’estime que l’avis qui m’est donné n’aide pas le propos de l’image, je vais défendre mon point de vue et essayer de l’imposer. On peut faire plein de lumières différentes, il n’y en a pas une qui est meilleure que l’autre. Me considé-rant comme artisan, c’est comme quelqu’un qui se fait faire un sac ou un habit de hautes coutures, forcément il a une personnalité, il va demander ce qu’il a envie et l’autre va l’écouter sans renier qui il est. Je me considère comme ça, j’écoute ce qu’on me demande, je vais essayer de faire plaisir au maximum, mais si j’estime que ça va

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aboutir à une image médiocre, je me reboute.Je pense que les photographes aujourd’hui, des gens comme Bagros ou moi, ont plein de cordes à nos arcs. Ça fait tellement longtemps que l’on fait ça et on est passés par tellement de styles d’éclairage, de compositions, de matériels différents, qu’on est à même de jouer une partition qui est très vaste. Donc il y a des photographes qui s’arcboutent sur un style d’éclairage, parce qu’ils n’ont pas pu ou pas voulu en connaitre d’autres. Donc ils ont peur de lâcher ce qu’ils connaissent et qui fonctionne pour s’aventurer sur un terrain plus glissant. Effectivement moi ça fait plus de 25 ans que je fais de la nature morte dans ce studio-là, donc je connais ma lumière du jour et tout mon matériel, quelle lumière je peux obtenir. Je peux fournir plein de choses dif-férentes et je suis à l’aise quand on me passe une commande. Je n’impose rien parce que c’est celui qui commande qui décide. Nous sommes prestataires de services, nous avons toute une gamme de choses pour répondre aux désirs du client. Je peux passer d’une technique à l’autre. Il y a beaucoup de techniques qui donnent des résultats dif-férents. Il est important d’avoir le bon outil pour raconter ce que l’on veut.

Pouvez-vous toujours revendiquer la paternité d’une photographie ou cela dépend-il de la présence d’autres personnes telles que directeur artistique, le client, le sty-liste au moment de la prise de vue ? Arrive-t-il que l’image finale soit celle du direc-teur artistique ?–Je n’essaie pas de revendiquer. C’est mon image parce que la loi le dit, je reste l’au-teur, mais ce sont des images qui sont dans mon portfolio parce qu’elles sont jolies et peuvent plaire à d’autres. Je ne les accrocherais pas au mur. Il y a des images qui me font vivre, qui sont mon métier, et mes images personnelles, que je fais lors de voyages, pour des magazines. Une sur cinquante est magique et je l’aime. Ces images que j’ai faites soit pour la presse soit pour l’édition, je les revendique comme auteur. Pour le reste ce n’est qu’on métier.Je pense que c’est comme un écrivain, il collabore avec plein de journaux et ses vrais bébés sont ses romans.Évidemment il y a l’aspect commercial. Toutes les images que je réalise, même pour les agences, je les mets en stock après qu’elles aient épuisé leur droit payé par l’agence. Toutes les images, même les moches, si elles sont vendables, je ne vais pas me priver de les mettre en agence. Parce que ça représente une part de mes revenus.

Y a-t-il des images que vous ne pouvez pas revendre ?–Oui, il y a des images qui sont trop typées. Après, il y a des relations commerciales. Un client comme Hippopotamus, tous les mois j’ai des photos à faire pour eux. Je ne vais pas prendre le risque de mettre en agence ces images, qu’elles soient achetées par leurs concurrents et qu’ils les retrouvent sur des menus ou affiches alors que ce

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sont eux qui les ont payés. Après ils peuvent m’appeler pour rompre notre accord. J’attends la fin de notre business pour mettre les images en agence.Le droit d’auteur c’est très français. J’ai travaillé avec des anglais et des américains qui systématiquement achètent les copyrights. Donc je le perds. Mais ça ne me pose au-cun problème parce que ce copyright est bien acheté. En France, beaucoup de clients voudraient le même système sauf qu’ils essaient de discuter au rabais les droits. Ce n’est pas sympa parce que les anglais américains payent bien les prises de vue et les droits. De toute façon on reste toujours détenteur du droit moral, même en cédant le copyright. C’est-à-dire que l’on ne peut plus revendre à un éditeur, mais on peut expo-ser, faire un livre sur son propre travail

Diriez-vous que votre travail est l’assemblage de vos gouts esthétiques et de vos références ou qu’il suit une mode et les directives de vos clients ?–Je ne sais pas quoi répondre. Il y a deux choses : mon travail personnel, que je fais avec des stylistes. Je fais ce que je veux puisque ce ne sont pas des images à vendre, mais qui servent à faire avancer le chmilblique. C’est important pour moi, tous les mois, de produire des images pour le plaisir de chercher, des angles. Je suis dans une quête pas forcément de mieux, mais de nouveau, parce que le monde avance. Ce sont des images que je montre à mes clients. Tous les ans je fais une série personnelle. Cette année j’ai cherché à intégrer l’humain. C’est très difficile parce que dès qu’on a un regard, ça prend le pas sur la nourriture et ça capte l’attention. Ce que j’aime dans ma série c’est qu’on a réussi à placer l’humain au second plan. D’abord le plat est au milieu, c’est le seul que l’on voit vraiment bien et les personnages on les devine. J’ai un magazine qui est intéressé pour reprendre cette idée-là tous les mois, je suis content parce que j’ai abouti un projet. Le but de ces petites séries c’est de lancer des pistes. L’an passé on avait fait des carpaccios, les gens trouvaient ça superbe, mais n’ont pas acheté. La lumière était très particulière. Mes images personnelles correspondent à mon fil rouge, mais pour toutes les autres images je baigne dans le jus universel de la communication et de ce que l’on voit partout.

Quels sont les facteurs influents sur la photo culinaire ?–Il y a deux choses. D’abord j’ai été très vite confronté à des tabous. IL y a des choses que l’on ne peut pas faire avec de la nourriture, de par notre culture judéo-chrétienne. Sortir la nourriture de l’assiette est très difficile. Le gustatif y est lié. Ça marche, j’en ai fait, mais il y a des choses qui font disparaitre la nourriture. On perd le but de l’image. Souvent je demande aux gens pourquoi on fait de la photographie culinaire. C’est pour donner envie de manger la recette. C’est le point de départ de ce pour quoi on fait la photo. Il ne faut absolument pas perdre ce point de vue à mon sens. Autrement, ça devient une construction alimentaire qui ne donne plus envie de manger. Les gens

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n’arrivent plus à s’identifier, à se projeter dans l’image et à se dire qu’ils vont cuisiner. Je sens depuis quelques années que le star system est entré dans la photographie. Ce n’était pas du tout le cas, il y avait deux mondes, celui de la haute cuisine et celui de la photographie culinaire avec les cuisinières. Quand on faisait un livre de cui-sine, je n’ai jamais travaillé avec un chef directement. C’était toujours avec un ou une styliste, même chez lui, parce qu’aujourd’hui encore les chefs ne savent pas dresser les assiettes pour un photographe. Ça n’a rien à voir de dresser pour quelqu’un qui est assis à 45°, on dresse toujours les assiettes pour cet angle de vue et dresser une assiette pour une photo. Si vous faites un livre avec que des photographies à 45°, au bout de la cinquième page vous vous ennuyez. Donc il faut savoir varier les angles, l’approche, pour qu’un livre soit fluide. Il y a des recettes qui sont plus belles selon un certain angle, et ça, c’est un vrai travail de photographe, pas un travail de chef. Celui qui a instauré ça, c’est Jamie Oliver en Angleterre. Il faut savoir qu’aujourd’hui s’il y a un engouement pour la photographie culinaire depuis une dizaine d’années, c’est grâce aux anglais et aux australiens.J’ai travaillé à l’époque avec un styliste américain, qui avait voyagé en Australie en 1993 ou 1994. Il avait rapporté un magazine, Vogue Entertaining, et il m’a montré les photos, je suis tombé par terre. À l’époque, il y avait beaucoup d’accesoirisation, ils ont apporté la lumière du jour, une nourriture complètement décomplexée, liée à leur héritage de l’empire colonial anglais. Ils étaient les premiers à cuisiner en mélangeant les influences. Ils se sont lâchés en photographie, comme on voit dans le travail de Donna Hay. Quand j’ai vu ça, j’ai été très motivé et j’ai commencé à faire les mêmes images. Les magazines me les refusaient à cause de la lumière, de la faible profondeur de champ. C’était difficile et petit à petit, ils s’y sont habitués.Les anglais ont enchainé sur les australiens avant les français. J’étais abonnée à des magazines anglais et australiens, que je laissais à disposition des clients. Ils aimaient beaucoup les images, mais n’estimaient pas du tout la cuisine. Ils pensaient que les anglais ne savaient ni cuisiner ni faire des photos. Je travaillais avec une styliste, celle qui a été la première rédactrice en chef de Elle à table, et pour le numéro 0 j’ai apporté ces magazines et tout le monde adorait. On est tellement persuadés qu’on est le centre du monde en cuisine et en mode qu’on ne regarde pas ce qui se fait à l’international.C’est comme ça que Elle à Table a démarré, avec ce style anglais de l’époque. Il n’y a plus que ça qui existe aujourd’hui. C’est ce style Donna Hay, son talent qu’elle a de mettre la cuisine en avant.

Êtes-vous gênés par la surabondance de photographies amateurs ?–Oui, parce que je me suis fait piéger une fois. Une agence qui avait un client spécia-lisé en conserves voulait faire une opération de communication pour ce client. Elle m’avait demandé d’aller présenter mon travail et de présenter la photographie culi-naire, mais je pensais que c’était devant le client alors qu’en fait c’était devant un par-

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terre de blogueuses. Quand je l’ai su, j’ai refusé parce que c’est une véritable concur-rence déloyale. Elle existe, on ne peut pas lutter contre. Toutes les semaines j’avais des gens qui m’appelaient pour que je leur explique comment je travaille. C’était extrême-ment gênant et blessant de s’imaginer qu’on peut donner une recette pour faire une photo de cuisine. Ce que j’ai toujours répondu aux gens, c’est que dans «photographie culinaire», le mot photographie vient en premier. C’est avant tou un métier de photo-graphe, ce n’est pas parce qu’un plat est joli et photogénique et lumière du jour que vous pouvez tout photographier. Il ne faut pas oublier qu’en cuisine il y a des plats très esthétiques et d’autres pas du tout. Dans le métier de photographe culinaire, il faut photographier tous les plats. Dans notre travail on nous demande souvent de photographier ce qui n’est pas flatteur. J’ai toujours refusé de donner des recettes raccourcies pour faire une photographie. On ne peut pas résumer la photo à deux lampes et un diaphragme. À ce jour tout se ressemble, c’est pourquoi j’essaie toujours de nouvelles choses, pour que ça change et que ça avance. On ne va pas rester figés où on est, la photographie culinaire va évoluer. Je visite les blogs, le travail de compi-lation de recettes est souvent intéressant, mais la photographie du plat n’est qu’une illustration, ce n’est pas de la photo culinaire.

Cette surabondance a-t-elle un impact sur votre travail, avez-vous perdu des clients ?–Je ne dirais pas que ça un impact, je dirais que ce sont plutôt les blogueurs qui s’ins-pirent du style ambiant. Par contre, moi j’ai perdu des budgets, dont une série pour Kinder Surprise. On a fait les devis et les réunions, et quelques jours avant la réunion l’agence appelle mon agence pour dire que finalement, le client a décidé de faire les photos avec la personne qui blog régulièrement sur leurs produits, ce qui irait suffi-samment bien pour l’agence. C’est sûr que ce ne sont pas du tout les mêmes tarifs, le client ne peut pas comprendre entre un blogueur qui va vendre dix photos 250 € et nous qui allons vendre une production sur dix images quasiment 10 000 €. Il y a une concurrence, il y a le groupe Marmiton qui a commencé comme un blog et qui est désormais une agence de publicité, d’édition, ils ont leur magazine, ils ont démarré avec un stock d’images qui vient de leurs blogs.Je pense qu’il en faut pour tous les gouts et tous les prix. Je peux comprendre que certains clients ne peuvent pas payer très cher certaines images. C’est sur que quand on fait certaines images de publicité très léchée, ce n’est pas à la portée d’un blogueur. C’est sur que le marché est plus stable qu’il ne l’était avant, chacun a trouvé sa place.Autant jusqu’il y a quatre ans, mon emploi du temps était bouclé deux à trois mois à l’avance, on shootait tous les jours. Aujourd’hui, c’est fini, c’est deux jours par semaine.Les prix n’ont pas monté, on s’y est accroché. On a eu une baisse de volume de travail énorme, qui n’est pas due qu’aux blogueurs. Ce sont plein de facteurs différents qui se sont cumulés. Le numérique a fait que toute une part de travail a disparu des studios,

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c’est-à-dire tout ce qui était catalogue. Avant je faisais chaque année quatre ou cinq catalogues qui me prenaient deux à trois semaines chacun, ça remplissait bien l’agen-da. C’était Carrefour, Monoprix, Intermarché, des clients réguliers. Tout ça a disparu parce que maintenant ils ont intégré les studios aux sociétés. À l’époque ce n’était pas possible, ça n’était pas à la portée de l’amateur. Maintenant il y a des amateurs qui se sont emparés de cette niche et qui produisent des images de suffisamment bonne qualité pour faire du catalogue, du packshot ou de l’objet détouré, tout ce volume de travail a disparu.

Vous présentez-vous en tant que photographe culinaire ou en tant que photographe de nature morte ? Est-ce que ça a une importance pour vous ?–Culinaire, c’est une précision. Je me souviens que lorsque je travaillais pour Elle à table, ils voulaient que je fasse de la photo de déco. J’ai essayé, mais ça ne me plaisait pas. Chaque fois on faisait quelque chose, on agençait une composition et la nourri-ture me manquait. Avec la nourriture, il y a le risque que ça ne fonctionne pas, que le timing ne soit pas bon.

Utilisez-vous un matériel spécifique en prise de vue ?–J’ai un H3D2 pour le studio et un D800 pour le reportage. J’aime faire du reportage, me promener. J’ai renoué avec un gros projet GDF Suez. J’ai refait toute leur photo-thèque de métiers. Quand ils communiquent, ils ont besoin d’un portrait qui corres-pond à la profession à laquelle ils s’adressent. J’ai fait tous les corps de métiers sur lesquels ils communiquent. On a fait des portraits, des gestes métier, des gens au télé-phone, c’est amusant. Je n’aime pas travailler avec des mannequins ou des comédiens parce que c’est construit, mais j’adore aller à la rencontre de vraies gens. C’est un peu comme la nourriture, il faut réussir à faire une image spontanée.J’ai testé le système HTS, ça me plait, mais je ne l’ai pas parce que je trouve que c’est un jouet trop cher pour l’utilité que j’en ferais. J’utilise le logiciel Helicon Focus, je trouve que ça fonctionne bien. Pour l’éclairage, j’utilise du Elinchrom. Je mélange un peu parce que j’ai des Compact Hensel que j’aime bien parce qu’ils sont très précis au niveau du réglage de la puis-sance et je peux descendre très bas en puissance.L’inconvénient du numérique c’est qu’il faut beaucoup moins de puissance qu’en ar-gentique, or nous étions tous équipés pour des films peu sensibles, c’est vrai que la majorité de mes générateurs sont surdimensionnés pour ce que je fais aujourd’hui, d’ail-leurs je ne les utilise plus tellement. Je travaille beaucoup avec ces Compact Hensel et un petit générateur Elinchrom. J’utilise aussi cette boite à lumière qui a huit tubes flash à l’intérieur, ça fait une lumière du nord avec des ombres magnifiques. Ça n’a rien à voir avec les boites à lumière récentes qui ne contiennent qu’une ou deux torches.

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Avant je travaillais avec une Sinar P en 4x5 et 20x25, j’adorais le travail à la chambre. C’était magique, le voile permettait de construire l’image dans une bulle. Ça n’existe plus avec le numérique. Quand le client m’ennuyait, je me mettais sous le voile pour être tranquille.

Votre matériel a-t-il une influence sur le rendu de vos images ?–Le D800 est magique, le Hasselblad est très bien, mais trop lourd pour être utilisé en reportage. J’avais un D700 dont je n’aimais pas les fichiers. Le rendu chromatique du D800 est magique, les rendus sur les peaux sont très beaux. Sa latitude d’exposition est excellente.Le Hasselblad est fait pour travailler en lumière contrôlée, j’ai fait des portraits à main levée, mais toujours en studio.Ce qu’on gagne en poids de fichier avec le Hasselblad, on le perd en dynamique, l’autofocus est trop lent. Le Nikon est donc plus efficace en reportage. J’ai fait un test comparatif, on est proche, mais le fichier Blad présente un avantage.La course aux pixels est absurde. J’ai un 22 millions que je n’ai jamais vendus, le 39 me permet d’avoir deux boitiers. Il n’y a qu’à 100% qu’on voit une infime différence entre le 22 et le 39. Ce qui est vraiment mieux c’est la gestion du moiré. En mode, le 22 est très problématique. Que vous fassiez des cheveux, des bas, des chemises à motif, vous aurez du moirage. Mais pour de la nature morte, du nu ou du paysage c’est très bien.Je n’utilise pas l’autofocus, donc je n’ai pas d’avantage de passer au 60. J’ai fait un test comparatif, ça ne m’apporte rien.Les pixels plus gros donnent un meilleur rendu de couleurs et de tonalités.

L’arrivée du numérique a-t-elle modifiée votre implication dans votre travail, l’or-ganisation et votre travail et vos rapports avec vos clients ?–Je ne passe pas plus de temps en stylisme, mais en post-production. Avant pour moi c’était terminé à l’instant où j’avais déclenché. C’est mon assistant qui s’occupait de la suite, on vérifiait que les développements étaient corrects. Je pense qu’aujourd’hui l’on a doublé notre volume de travail. C’est passionnant. Au début, j’avais scanné de nombreuses archives, lorsque je regarde les Ektas, certains ne seraient aujourd’hui pas livrables. Parfois, ça venait de nous, un problème de contraste ou d’exposition, et parfois du laboratoire, en fin de journée les chimies donnaient des dominantes.Aujourd’hui, tout est impeccable. On a une chaine qui se termine par un tirage de référence. On a vraiment gagné en qualité. Avant, un 4x5 parfait c’était une exception. La plupart du temps, c’était juste bon. Avant les photographes de presse shootaient à la chambre, à l’aveugle, à l’hyperfocale, fermés à 22.La technique s’est vraiment améliorée. Je mets un point d’honneur à tout faire. Je fais la chromie et la retouche de base. Tout ce qui est commande pour une agence avec

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achat d’espace, que ce soit abribus ou 4x3, systématiquement je passe par un retou-cheur parce que je sais qu’ils vont être pointilleux et qu’il va y avoir de nombreux al-ler-retour, ce n’est pas mon métier. Ils se donnent les moyens de payer un retoucheur, c’est une autre logistique.Quand je travaille pour des brochures, des catalogues, la presse, je fais toute la re-touche moi-même. Une fois que l’on maitrise Photoshop, ce n’est pas compliqué de faire quelque chose de bon. Pour la publicité, il y a tellement d’intermédiaires qu’ils ne savent pas ce qu’ils veulent.

Vos relations avec les clients ont-elles évolué ?–Tout a changé. Maintenant, ils reçoivent l’image sur leur tablette tactile au moment où on shoot. C’est une autre manière de travailler. Avant ils regardaient un polaroïd, n’y comprenaient rien et étaient obligés de faire confiance. Aujourd’hui, on regarde l’image à 100%, l’image est directement intégrée à la maquette. Ce n’est pas moins bien juste différent. C’est plus professionnel, plus rapide, mais ça a perdu de son charme.

En quoi Internet et le numérique vous ont-ils ouvert des perspectives ?–L’image qui bouge ne m’a jamais passionnée. Déjà avant le numérique on m’avait demandé de faire des films culinaires, je préfère laisser cela aux autres. Il n’y a pas de nouveau marché qui s’ouvre pour moi, car ce marché a des tarifs qui lui sont propres, qui ne sont pas ceux que je propose. Par contre, le numérique m’a offert la possibilité de montrer mon travail beaucoup plus facilement, c’est génial. Avant c’était horrible, il fallait téléphoner vingt fois au standard pour avoir un direc-teur artistique, qu’il fallait rappeler dix fois pour décrocher un travail sur vingt-cinq. On passait un temps incroyable au téléphone pour montrer nos portfolios, on était malmenés, aujourd’hui on fait ça tranquillement depuis notre bureau.

La photographie culinaire a-t-elle une légitimité à exister sur le marché de l’art ?–J’admire beaucoup le travail de Mathilde de l’Écotais, son travail a une place sur le marché de l’art, mais moi je n’ai pas d’image qui y soit dédiée.Je ne suis pas très pour le star system autour de la cuisine, j’aime aller chez de grands chefs, mais ça ne me passionne pas. Ce que j’aime c’est la tambouille.Le star system, tel que Top Chef, va à l’encontre de la cuisine conviviale. C’est comme le scandale sur les surgelés, ça me rend hystérique. Il est tellement simple de cuisiner. Je ne dirais pas non à faire un livre avec un grand chef, parce que ce serait une bonne vitrine, c’est dans l’air du temps, mais ça ne me passionne pas.

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Comment voyez-vous évoluer votre métier  ? Pensez-vous faire le même style d’images à plus ou moins long terme ?–Moi j’aime la poésie, j’aime le côté romantique de la photographie. Je vais continuer à faire mes images comme je les aime. Elles vont évoluer parce que je suis curieux, et tant que commercialement je m’en sors je ne suis pas à l’affut d’être le plus renommé. Mon plaisir c’est de faire des photographies.Là j’ai fait des portraits, ça m’a amusé, c’est un peu un retour aux sources. Je n’arrêterai jamais de faire des photos, mais je me laisse dix ans pour continuer à en vivre. Il est plus facile d’être en fin de carrière, j’ai tout, je n’ai plus besoin d’investir. Aujourd’hui, c’est différent pour commencer. Quand j’ai commencé, il fallait avoir son studio équipé pour exister et avoir des commandes. Aujourd’hui ce n’est plus pos-sible, il y a des studios de location, des photographes qui travaillent chez eux. On peut travailler en lumière du jour ou avec des petites unités d’éclairage, on n’a plus besoin de travailler à la chambre, qui était très contraignante.Ce qui est difficile aujourd’hui c’est qu’il y a moins de travail.

Comment imaginez-vous que la photographie culinaire puisse évoluer ?–Je pense que le business va encore se raidir, que les logiciels vont progresser. Il va y avoir des réponses numériques à des problématiques qui feront que l’on a moins besoin des photographes. C’est déjà le cas en automobile et en flaconnage, nous sommes passés à la 3D. On n’en est pas encore là avec la nourriture, mais je pense que s’il y a des modifications dans le style des images ça va être lié à ça.

Pourriez-vous définir une photographie standard ?–Par exemple, quand je travaille pour Hippopotamus, je fais des images simples. Je les fais sans douleur.En édition, le standard, c’est l’assiette sur un fond de tissu uni, avec une lumière type lumière du jour, avec peu de stylisme, éventuellement la fameuse serviette pliée sous l’assiette. Ce standard a été usé jusqu’à la corde par Marabout.

Quels sont les tabous ?–Il y a des matières très belles, comme le béton ciré. Essayez de mettre un œuf au plat dessus, ça ne fonctionne pas, tandis qu’une nature morte de couverts marche. Dans l’inconscient général, on ne pose pas par terre. Une image d’Irving Penn représente une assiette terminée avec une serviette chiffonnée et un mégot de cigarette écrasé dedans. Ce n’est plus du culinaire, on ne raconte plus la même chose. C’est de sortir la nourriture de son contexte qui socialement nous dérange. Il faut que l’environnement soit culinaire. Sinon c’est un concept et plus une photo de cuisine.

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mathilde de l’écotais, photographe plasticienneentretien réalisé le 19 février 2013

Pourquoi avez-vous choisi de vous spécialiser en photographie culinaire ?–C’est le hasard de la vie, je n’y étais pas prédestinée. Il fallait que j’aie une activité qui me permette de vivre. J’ai passé dix ans aux États-Unis où je faisais du reportage dan-gereux. Quand j’ai créé une famille, il m’a semblé de bon ton d’arrêter. À ce moment, Alain Ducasse cherchait un photographe qui ne venait pas du gastronomique et j’ai été prise. Et je suis autodidacte. Aujourd’hui, si je devais faire autre chose ça ne me dérangerait pas, mais je n’aimerais pas être un vrai photographe culinaire.

Quelle proportion de votre temps de travail représente la prise de vue culinaire ?–Je ne fais que de l’image culinaire, je trouve que ça ne veut plus rien dire. Je fais des natures mortes, des natures vivantes et du portrait, tant que ça touche de près ou de loin au culinaire

Est-ce que vous considérez la photographie culinaire comme étant une activité ali-mentaire ou comme le support d’une démarche personnelle ?–Les deux. Je suis contre le fait de scinder les choses. Pour moi la création est partout, jusqu’au ressenti. Je pense que la photographie même culinaire est d’auteur, bien que tout le monde se ressemble. Il y a des gens qui font de la photographie culinaire ali-mentaire. Quand on regarde le Elle à Table, on a l’impression que ça fait dix ans qu’il n’a pas changé, je ne l’explique pas. Je suis une des photographes culinaires les plus connus, je suis la seule à ne pas travailler en presse et édition. Ça doit être parce que je ne fais pas de la photographie culinaire. Je ne continue l’édition qu’avec des gens qui m’amusent et avec qui j’ai une grande liberté. La vraie photographie culinaire c’est celle que l’on voit dans Elle à Table. Je ne suis jamais en compétition avec les gens qui la réalisent.

Comment vous présentez-vous ?–Je me présente comme photographe plasticienne, directrice artistique ou photo-graphe. J’ai plein de casquettes.Avec Thierry Marx, nous avons développé une ligne d’objets de design à partir de mes photographies. C’est très intéressant, car les motifs des aliments ne sont pas répétitifs.La photographie est intéressante, car c’est un instant donné que l’esprit ne pourrait pas imaginer.

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Quelles sont vos influences ?–J’ai une influence japonaise de mode de vie. Je suis une judoka à la base donc je m’ap-puie sur la force de l’autre pour avancer. J’aime Pollock, je suis influencée par tout ce que je vois, je suis très réactive.

Travaillez-vous avec des stylistes ?–Non, je travaille seule. J’ai en revanche des assistants réguliers. Mais j’ai plutôt besoin de quelqu’un qui fait de la gestion.J’ai commencé le numérique en 2000. Ce qui me dérange, c’est le côté dématérialisé. Le retour vers la matière que j’ai dans les expositions, comme le cyanotype ou les reliefs, m’intéresse. J’en ai besoin après quinze ans de photographie numérique.

La question de l’auteur a-t-elle un sens pour vous ?–Ça ne m’intéresse pas de faire des images qui pourraient être confondues avec celles de quelqu’un d’autre. J’assume, d’ailleurs beaucoup de gens m’ont copié. Ça m’ennuie, mais on n’y peut rien. J’ai des clients qui se tournent vers des copieurs. C’est pour ça que je fais des choses de plus en plus incroyables et que je me prive de certaines autres choses. Bien sûr, ce que je ne gagne plus en publicité a été pris par des gens moins chers. J’essaie de garder une longueur d’avance en m’éloignant de la photogra-phie culinaire pour me distinguer.

Le commanditaire a-t-il une influence sur l’image finale ?–Oui, toujours. D’abord, c’est normal parce que c’est lui qui paie. Et puis c’est cela ré-pondre à une commande. Il y a une cible, donc tu ne fais pas les mêmes photogra-phies pour tout le monde. Là où je fais ce que je veux, c’est dans les expositions, car je n’ai pas de client.

Quels sont les points sur lesquels vous êtes systématiquement décisionnaires et à l’inverse ceux sur lesquels vous n’avez jamais le choix ?–Je suis capable de faire des concessions sur tout en publicité. De toute façon, c’est dé-terminé en avance, on n’est pas surpris au moment de la prise de vue. 90% de mon tra-vail est préparé en amont, que ce soit la lumière ou les recettes. Il m’arrive de travailler avec des assistants par talkie-walkie. Je suis en cuisine avec le chef pour comprendre la recette et je donne des indications à distance pour construire la lumière. Je connais mon matériel d’éclairage donc je n’ai pas besoin de voir pour construire. Je trafique très peu, tout est comestible sauf la glace en publicité. Je pense qu’aujourd’hui il y a

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un retour vers le réel, pour la glace, parce que ça coute moins cher. Ça n’est ni plus pratique ni plus joli.

Diriez-vous que votre travail est l’assemblage de vos gouts esthétiques et de vos références ou qu’il suit une mode et les directives de vos clients ?–Oui, il est l’assemblage de mes gouts esthétiques en commande comme en travaux personnels, puisqu’il passe par mon regard.

Quels sont les facteurs influents sur la photo culinaire ?–Il y a beaucoup de photographie culinaire. Dans ce monde où beaucoup de choses sont virtuelles, un retour vers des choses essentielles se fait. On a besoin d’avoir un contact et c’est devenu un loisir. Recevoir est un plaisir simple, pas cher. La cuisine est apaisante dans ce moment difficile que traverse l’Europe. À un moment, j’ai com-mencé à trouver la photographie culinaire ennuyeuse, d’où la recherche d’une autre voix. Il y a beaucoup de livres de cuisine. Le numérique a laissé de côté tous ceux qui ne se sont pas adaptés. Pour en arriver où j’en suis, j’ai commencé par les bases.

Êtes-vous gênés par la surabondance de photographies amateurs ?–Ça me gêne oui et non, il faut que ça reste un métier, que le droit d’auteur perdure. Ce qui est gênant c’est quand les amateurs cassent le marché. Pour ma part, je refuse de travailler pour rien. Je trouve que tout travail mérite salaire, assistant et stagiaire y compris. Une commande non payée me dérange, mais si on m’offrait une page carte blanche, j’accepterais.

Utilisez-vous un matériel spécifique en prise de vue ?–J’utilise un matériel qui répond à un certain travail. J’adore ça, j’ai du Hasselbald, du Leica, du Mamya, je pourrais utiliser un téléphone portable. L’appareil photogra-phique est un moyen d’expression.

L’arrivée du numérique a-t-elle modifiée votre implication dans votre travail, l’or-ganisation et votre travail et vos rapports avec vos clients ?–Ça coute moins cher, même si c’est un faux débat. On a une autonomie totale et la possibilité de partager avec les gens que l’on travaille. Ça nécessite de gros investis-sements, le matériel doit être renouvellé régulièrement. Sur de gros contrats, je fais faire la retouche. Le temps consacré à un travail est plus volumineux à cause de la post-production. En argentique il fallait avoir une certaine technique, j’ai l’impression

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que les jeunes en ont moins. Mais les gens qui ont du talent arrivent à tout.Ce qui a beaucoup changé en numérique dans la publicité, c’est que désormais on choisit les parties qui intéressent sur chaque image et on les assemble entre elles pour arriver au résultat final. Il y a presque plus de temps et d’argent consacrés en retouche qu’en prise de vue.C’est tellement bien payé, que je me fiche qu’il y ait de la retouche. Pour moi, ça sert d’autres causes.

En quoi Internet et le numérique vous ont-ils ouvert des perspectives ?–J’ai fait des films 35 millimètres avant l’avènement de la vidéo. Encore une fois, j’étais précurseur.

La photographie culinaire a-t-elle une légitimité à exister sur le marché de l’art ?–Je ne sais pas comment elle peut exister, le culinaire a toujours existé dans l’art. Arcim-boldo faisait déjà des natures mortes. Les photographes n’inventent rien, ils suivent des mouvements de société. Ça va venir cette photographie sur le marché de l’art. Je défends ce que je fais. La maturité vient avec l’âge.La direction artistique et la création de marques sont des conséquences de mon re-gard différent.

Comment voyez-vous évoluer votre métier  ? Pensez-vous faire le même style d’images à plus ou moins long terme ?–Je suis en pleine recherche, j’estime que je fais une création chaque année. Aujourd’hui, je fais de la photographie culinaire classique pour rendre service, en plus ça ne paie plus tellement.

Comment imaginez-vous que la photographie culinaire puisse évoluer ?–Je ne sais pas du tout. Je pense que ça va aller vers le packshot avec quelques excep-tions.

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marie-laure tombini, photographeentretien réalisé le 20 février 2013

Pourquoi avez-vous choisi de vous spécialiser en photographie culinaire ?–Avant l’École Nationale Supérieure Louis Lumière, c’était déjà une passion. J’adorais les magazines de cuisine et je me suis dit que pourquoi pas.

Quelle proportion de votre temps de travail représente la prise de vue culinaire ?–J’ai varié mon activité dans le sens où je donne aussi des cours de cuisine. 75% mini-mum de mes revenus viennent de mes droits d’auteur. Comme j’écris des recettes, ça m’aide beaucoup.

Est-ce que vous considérez la photographie culinaire comme étant une activité ali-mentaire ou comme le support d’une démarche personnelle ?–Pour moi, c’est vraiment une passion, je ne peux pas ne pas photographier un plat.

Avez-vous des influences ?–J’ai fait un stage de fin d’études avec Laurent Rouvrais, c’est l’éclairage que j’ai appris avec lui que j’utilise toujours aujourd’hui. Je n’ai pas fait beaucoup de recherches, mais c’est aussi un manque de moyens et de temps. Le temps que j’accorde à la photo-graphie est compressé du fait que je m’occupe aussi de la cuisine et du stylisme. Il y a énormément de blogs de cuisine et d’amatrices très douées. La mode est à la lumière naturelle, j’aimerais tester. Mais ça amène la contrainte de la météo.

Comment faites-vous pour introduire une démarche d’auteur ?–J’ai un style assez épuré dans le stylisme, coloré. Je préfère les gros plans et me concentrer sur la recette même plutôt que d’ajouter une mise en scène.

Est-ce qu’il vous arrive de travailler avec un styliste ?–Je ne l’ai fait qu’une fois, mais la personne ne s’était occupée que du shopping. À une époque, j’ai eu une assistante-cuisinière, qui s’occupait aussi du stylisme. Ça me per-mettait de plus me consacrer à la photographie. Par manque de moyens, j’ai dû arrêter. Je continue à déléguer toute la post-production.

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La question de l’auteur a-t-elle un sens pour vous ?–On est toujours content la première fois que l’on a son nom dans un livre. Je trouve très frustrant de ne pas être crédité. J’éprouve un certain plaisir de savoir que les gens font mes recettes et les apprécient. Je préfère être créditée et ne pas travailler dans l’anonymat. C’est pour ça que je ne veux pas travailler avec la publicité, de plus je n’aime pas tricher.

Quelles peuvent être les différences entre une commande publicitaire et une com-mande éditoriale ?–La différence c’est qu’on a quelqu’un derrière nous qui donne son avis. Le client a un droit de regard, quand on est auteur on est plus libre c’est agréable. L’éditeur a son mot à dire, mais c’est moins contraignant. En publicité, il faut magnifier les produits, ça ne me plait pas.

Est-ce vous qui proposez les idées ?–Ça dépend, l’un ou l’autre. Mais Mango ne me proposerait pas de faire un sujet qui ne me correspond pas. Je peux fait une quinzaine de recettes par semaine, mais comme ça demande de la création il y a des jours où je fais autre chose, car je ne suis pas d’humeur créative. J’ai du mal à faire un seul projet à la fois, ça me permet de m’aérer l’esprit.

En quoi la présence d’un directeur artistique et d’un styliste modifie-t-elle votre implication dans l’image ?–Ils ont leur mot à dire, je trouve que l’on est moins créatifs. Ils donnent leur avis sur tout, on se sent plus employés. Je trouve qu’on a moins notre touche créative à mettre. Parfois, ils ont une idée précise, donc c’est mieux s’ils sont présents.

Y a-t-il des tabous dans la photographie culinaire ?–Je n’ai pas l’impression, on photographie tout. On ne montre plus de natures mortes avec des animaux morts.

Diriez-vous que votre travail est l’assemblage de vos gouts esthétiques et de vos références ou qu’il suit une mode et les directives de vos clients ?–Je ne suis pas vraiment la mode, dans ce cas je ferais des images vues du dessus en lumière du jour. Je fais ce dont j’ai envie, il ne faut pas faire comme les autres sinon on

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ne se démarque pas. Et il faut faire ce que l’on aime le plus. Après il faut évoluer, mais je n’essaie pas de copier les styles à la mode.

Y a-t-il des facteurs influents sur la photo culinaire ?–Justement, il y a cette mode du point de vue du haut et de la lumière naturelle. Il y a aussi l’arrivée du bio. Avant on faisait des photographies non esthétiques, maintenant c’est à la mode, cela fait partie de notre philosophie de vie de manger mieux.

Êtes-vous gênés par la surabondance de photographies amateurs ?–Non parce que c’est une source d’inspiration, en revanche c’est une concurrence com-plètement déloyale. Il ne faut pas accepter d’être publié gratuitement, car les amateurs acceptent. Les blogueuses sont en train de se rendre compte que c’est un vrai métier et qu’elles ne peuvent pas faire ça gratuitement. C’est un réel problème économique. Dans mon domaine il y a de plus en plus de blogueuses qui écrivent des livres, ça fait beaucoup de monde sur le marché.

Cette surabondance a-t-elle un impact sur votre travail, avez-vous perdu des clients ?–Il y en a probablement pas mal qui ont chamboulé la donne en faisant des photogra-phies de très bonnes qualités. Je ne sais pas si les grands photographes culinaires prennent le temps d’aller voir sur les blogs. Quand on débute, ça demande de se re-mettre en cause, de se demander ce qu’on peut apporter de plus.

Vous présentez-vous en tant que photographe culinaire ou en tant que photographe de nature morte ? Est-ce que ça a une importance pour vous ?–Auteur et photographe culinaire, ainsi que professeur de cuisine. J’ai fait un CAP à la sortie de l’École Nationale Supérieure Louis-Lumière. Les stages étaient très enrichis-sants, ça m’a permis de rencontrer un chef. Et puis ça m’aide à justifier mon activité de professeur de cuisine.

Avez-vous toujours travaillé avec le même éditeur ?–Oui, ça fait maintenant sept ans. Il y a peu de temps, il a essayé de baisser mon pour-centage, mais je ne me suis pas laissé faire. Mango est à l’écoute de ses auteurs et j’ai un contrat d’exclusivité. De toute façon, ça se passe bien et c’est mon revenu principal donc je ne vais pas changer.

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Utilisez-vous un matériel spécifique en prise de vue ?–J’ai un Canon 5D et un objectif 90 mm TSE, qui permet de changer le plan de netteté. C’est juste pour mettre un peu de fantaisie de temps en temps. En éclairage j’utilise du tungstène filtré lumière du jour et j’ai un calque pour diffuser et modeler la lumière, souplesse que je n’aurais pas avec une boite à lumière. Ça fait longtemps que j’ai envie de passer au flash, mais c’est un investissement, de plus j’ai peur de ne pas avoir assez de place et il faudrait que je revoie toute ma lumière. Il me faudrait quelque chose de plus puissant, un réflecteur plus grand.

Votre matériel a-t-il une influence sur le rendu de vos images ?–Je pense que je pourrais utiliser n’importe quel matériel, par contre c’est vrai que j’aime bien le 90 millimètres parce que ce n’est pas trop large, mais on a quand même du détail dans l’arrière-plan. Avant je l’utilisais avec un 550D et c’était un peu frus-trant. Parfois, je suis tentée par un plus grand angle. J’avoue que je n’ai jamais pris le temps de faire des tests, j’ai trop d’activités. J’ai créé un magazine, j’ai le site, j’ai les cours et une boutique en ligne d’ustensiles de cuisine.

L’arrivée du numérique a-t-elle modifiée votre implication dans votre travail, l’or-ganisation de votre travail et vos rapports avec vos clients ?–En argentique j’avais un Mamiya RB et je travaillais en Ektachrome. Je regrette ce rendu de flou qui était très beau. Avec le 5D je m’en approche, mais je préfère de loin le rendu de mon Mamiya. Je préfère le flou argentique. De toute façon, les rédactions ne paient plus ces parties techniques. Et les délais sont trop courts pour se permettre de le faire. Le numérique offre l’avantage de pouvoir faire beaucoup d’images.

En quoi Internet et le numérique vous ont-ils ouvert des perspectives ?–Je me suis mis à la vidéo. Ma collection est disponible en livres numériques, mais ça ne se vend pas bien parce que ce n’est pas bien mis en valeur. Mon magazine est téléchargeable en PDF, j’aimerais développer une application. Comme ce n’est pas très connu, j’ai du mal à trouver des annonceurs pour l’instant. Je pense que ce sera quelque chose à envisager.

La photographie culinaire a-t-elle une légitimité à exister sur le marché de l’art ?–Oui et non. Je pense que les plus belles photographies culinaires sont les natures mortes. Sublimer un poisson mort ou un fruit pelé est de l’art à mon avis. Les photo-graphes de talent sont sur les natures mortes.

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J’ai toujours été épatée par les poissons morts de Laurent Rouvrais.

Comment voyez-vous évoluer votre métier  ? Pensez-vous faire le même style d’images à plus ou moins long terme ?–Je pense que la cuisine a aujourd’hui plus de place dans mon travail que la photogra-phie, mais je ne pourrais pas arrêter. Comme c’est un travail créatif et une passion, si on n’a plus de plaisir ce n’est plus la peine, autant faire autre chose. Je pense et j’espère continuer à faire des livres, car si j’arrête, la photographie sera de moins en moins présente dans ma vie. Mon travail est plus proche de celui des blogueuses que des photographes professionnels par ma démarche. En blog, il y a besoin de moins de technique qu’en publicité. Les gens ne voient pas la différence, c’est ce qui est frustrant. Entre une belle photographie et une photographie moyenne, ils s’en fichent, ce qu’ils regardent c’est le plat. La majorité des internautes ne sont pas sensibles à la qualité des photos.J’ai envie de pousser plus loin et d’expérimenter. J’essaie d’évoluer et de m’amélio-rer, surtout quand je vois ce qui se fait sur Internet. C’est vraiment par manque de temps que je ne fais pas d’essais. Il faudrait que j’arrête de m’éparpiller et que je me concentre plus sur ma pratique photographique. Ça va être nécessaire pour que je persévère dans le métier.

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thomas dhellemmes, photographe, directeur du studio atelier mai 98entretien réalisé le 1er mars 2013

Pourquoi avez-vous choisi de vous spécialiser en photographie culinaire ?–Pour deux raisons : avant j’étais dans la photographie de décoration art de vivre, et un jour les éditions Hachette m’ont demandé de faire un livre qui s’appelle Les 7 péchés du chocolat. J’ai fait appel à une styliste culinaire et une styliste décoration, le livre a eu beaucoup de succès, il a été primé . À partir de ce moment, des magazines et chefs m’ont contacté. Ça s’est accéléré avec l’arrivée de Cyril Lignac.

Quelle proportion de votre temps de travail représente la prise de vue culinaire ?–Je passe 60% de mon temps et de mon activité économique en culinaire, 20% en joail-lerie, 20% en décoration et 10% de reportage, essentiellement de l’architecture.Quand je parle de photographie culinaire, c’est vaste, nous travaillons aussi pour des marques de champagne. Ce sont les seuls clients pour qui nous faisons de la publicité.

Est-ce que vous considérez la photographie culinaire comme étant une activité ali-mentaire ou comme le support d’une démarche personnelle ?–Plus on travaille ici, plus on a des projets pointus, avec beaucoup de réflexion. Je fais de la photographie artistique à côté. Pour moi, c’est une démarche personnelle sans contrainte commerciale. Dès qu’il y a une commande par un client, c’est plus de la photographie artistique, mais de l’art appliqué. La chose est ambigüe, car plus on fait des choses pointues et plus notre démarche est artistique. On s’est demandé où est la frontière entre artistique et commercial. Je suis un boulimique d’image, ma réflexion vient quand je photographie.

Quand vous faites des travaux personnels, comment introduisez-vous votre dé-marche personnelle ?–Ma réflexion personnelle est influencée par l’existence de l’homme, je vais dans une grande simplicité d’image, à la limite de l’abstraction. Il y a un parallèle entre mes photographies et la peinture. La différence quand je fais des travaux personnels, c’est que je travaille seul, sans styliste.

Avez-vous une démarche d’auteur quand vous travaillez en publicité et packaging, des enjeux esthétiques ?–Oui toujours. Plus je progresse, plus on va dans un enjeu esthétique et de réflexion.

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On développe des idées pour des marques. Quand nous faisons des commandes, nous travaillons à six, nous réfléchissons à six, peu importe qui photographie. En revanche, quand je fais une démarche personnelle, je construis mes images seul, personne n’intervient. Je demande juste quelques conseils.

La question de l’auteur a-t-elle un sens pour vous ?–J’ai rencontré des photographes qui faisaient toute leur vie la même chose. Même si on part sur une réflexion esthétique, le respect du client est important. On suggère aux gens des choses. L’univers de Ducros est différent du nôtre dans la lumière et la couleur. On est à leur service, on fait des images qui correspondent à leur univers en le faisant mieux que quelqu’un qui aurait le même univers qu’eux, parce qu’on a une approche de la lumière et de la mise en scène différente.Quand un client me demande de faire un travail avec des couleurs que je n’aime pas, je fais en sorte d’apporter une patte pour que ça me plaise. Il y a des gens qui font la même chose toute leur vie, nous on évolue par rapport à nos clients. Il y a toujours un mouvement de remise en cause.Toutes les semaines, l’ensemble des membres du studio nous réunissons pour réflé-chir sur une évolution possible.Quand j’ai une commande qui ne me plait pas, je joue un rôle de directeur artistique ou de réalisateur, grâce à mon équipe très compétente.

Quelles peuvent être les différences entre une commande publicitaire et une com-mande éditoriale ?–Un travail d’édition c’est une série d’images, en publicité c’est une image unique. En publicité, il y a plus de contraintes. Quand on fait un livre, on essaie d’apporter un style à nous. Mais aucun des deux n’est un travail artistique.En édition, il y a carte blanche avec la contrainte de l’éditeur, sa patte. Chacun a son style.Quand je réponds à des commandes, j’amène toute mon équipe. Mais comme nous sommes un peu haut de gamme, nous ne faisons pas beaucoup de livres, trois ou quatre par an.Quand nous travaillons en équipe, nous signons La Food, car je suis directeur ar-tistique et les autres font la lumière et les prises de vue. Soit j’entame et quelqu’un d’autre termine, soit je fais tout, en fonction de l’intérêt que je porte au projet.Dans tous les cas, nous avons un sens esthétique, il y a toujours une volonté de lu-mière et de cadrage. Je donne une réflexion et je donne des barrières aux gens. Ceux qui travaillent avec moi adoptent mon style, ma philosophie de mon travail. C’est notre label qualité.

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Quelle est l’influence de l’éditeur sur l’image finale ?–On fait l’esprit d’une maison, d’une marque. Avant on avait face à nous des gens poin-tus, avec de l’expérience. À cause de la crise, il y a face à nous des gens moins qua-lifiés. Quand on travaille avec les mêmes gens depuis longtemps, il y a une relation de confiance. Dès que je fais un livre, j’essaie d’apporter une évolution. Je montre à l’éditeur et on avance ensemble.

En quoi la présence d’un directeur artistique et d’un styliste modifie-t-elle votre implication dans l’image ?–C’est une réflexion avec quelqu’un supplémentaire. On travaille en direct avec les clients parce qu’ils ont souvent des petits budgets. C’est particulier, car il faut qu’ils aient un sens de l’image. Je suis parfois en décalage avec la publicité et leur pensée.

Y a-t-il des stylistes connus au même rang que les photographes ?–Il y a les sœurs Scotto qui travaillent pour Elle depuis une quinzaine d’années, ce sont elles qui ont fait le stylisme du film Les saveurs du palais. Elles travaillent énor-mément avec Jean-Louis Bloch-Lainé. Ce sont des références parce qu’elles ont une grande culture générale. Souvent, les stylistes ont soit un gout esthétique, soit une pratique de la cuisine, mais pas les deux.

Quels sont les points sur lesquels vous êtes systématiquement décisionnaires et à l’inverse ceux sur lesquels vous n’avez jamais le choix ?–Des marques comme Ducros et Nestlé imposent leurs codes couleur. Comme nous tra-vaillons beaucoup avec le monde du luxe, soit 90% de notre clientèle, notre réflexion est par rapport à ces gens. Nous sommes à la recherche d’une identité, nous faisons par rapport à leur culture. C’est une histoire de partenariats, d’images de marque qui correspondent. Si nos images ne correspondent pas, ça ne se passe pas forcément bien.

Pouvez-vous toujours revendiquer la paternité d’une photographie ou cela dépend-il de la présence d’autres personnes telles que directeur artistique, le client, le sty-liste au moment de la prise de vue ? Arrive-t-il que l’image finale soit celle du direc-teur artistique ?–C’est le droit français. J’ai toute une équipe autour de moi, c’est ambigu, il est difficile de dire que ça appartient à l’un de nous. Je veux que chacun s’exprime.

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Diriez-vous que votre travail est l’assemblage de vos gouts esthétiques et de vos références ou qu’il suit une mode et les directives de vos clients ?–Mes photographies sont assez intemporelles. Ici, personne n’a de formation de photo-graphe, mais une grande culture de l’art. Donc nous avons forcément des références artistiques.Je me compare souvent à Johnny Hallyday ou Michel Sardou qui sont plus dans le temps qu’une chanteuse qui ne dure qu’une saison et qui disparait. Nous sommes dans le vent, dans un courant, comme Ducasse et Lagerfeld.La clé de notre réussite c’est que je suis entouré de gens compétents. Dans l’absolu, je me débarrasserais de gens qui ne font pas progresser le studio. Cette progression ne se fait pas dans un phénomène de mode, même si on le ressent un petit peu.

Quels sont les facteurs influents sur la photo culinaire ?–Quand on lit Saveurs ou Elle à table on le voit. On est influencé par le bio. Il y a des gens qui toute leur vie ont fait des images en lumière du jour. Je trouve ça ridicule parce qu’en publicité on ne peut pas se permettre de dépendre du soleil. La lumière artificielle est souvent présente dans mes images, elle m’aide à m’exprimer. Avec les chefs, je me délaisse de technique pour avoir des choses simples. C’est la conséquence d’avoir fait des images aux flashs. C’est une réflexion et une démarche. Il y a des chefs comme Alain Ducasse qui font une cuisine simple et juste, ma lumière est pareille.

Êtes-vous gênés par la surabondance de photographies amateurs ?–Non, j’adore ça. Le but d’un auteur c’est de trouver un style. Sur notre site, on va es-sayer de diffuser des messages philosophiques. On va donner des choses sincères, à l’écoute des gens.Il y a plein de gens qui font des photographies qui ne sont pas intéressantes et face à eux il y a des blogueurs qui font des choses fantastiques. Ici on a l’amour des belles choses. Il y a des gens qui ont un univers très jeune, d’autres qui n’en ont pas.Nous sommes constamment sur les blogs pour voir ce que font les gens. La différence entre eux et nous, c’est que nous sommes capables d’assumer une pression. Si on me demande dix images dans une journée, elles seront toutes belles. Eux font peut-être une photographie sublime par semaine. Mais si on leur demande de travailler de manière professionnelle, ils perdent leurs moyens et leur univers.Que les gens prennent en photographie tous leurs plats au restaurant et postent ça sur Internet peut devenir dangereuse.

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Cette surabondance a-t-elle un impact sur votre travail, avez-vous perdu des clients ?–Non, car nous avons des budgets conséquents. Les gens viennent pour une structure, une équipe. Si le client a la démarche et la volonté d’aller voir un amateur, ça ne me pose pas de problème. Ici, il ne faut pas dérailler.

Y a-t-il des tabous en photographie culinaire ?–Il parait que dans la presse et l’édition la religion et le sexe sont tabous, car ils ont peur de s’y confronter. J’avais fait des têtes d’animaux morts avec des gâteaux, des animaux empaillés, Hachette les a refusées parce que ce n’était pas exploitable en An-gleterre. Je trouve que tout ce qui a attrait au sexe est premier degré, n’apporte rien.Inversement, la nudité en joaillerie est très belle.

Vous présentez-vous en tant que photographe culinaire ou en tant que photographe de nature morte ? Est-ce que ça a une importance pour vous ?–De nature morte. Il faut que je trouve un terme. Nous sommes des amoureux du beau et du bon, il faut traduire cette phrase. Nous aimons aussi travailler avec des gens sympathiques, on a la chance de pouvoir choisir. Nous ne sommes pas attirés par la photographie de voiture. Comme j’ai beaucoup travaillé avec Cyril Lignac, les gens m’associent à un photographe de chefs. Grâce à ça, j’ai fait beaucoup de festivals, d’ateliers photographiques. Depuis quelques mois, je donne des cours en formation continue. Avant j’aurais refusé, maintenant ça me plait beaucoup. En voyant tous ces gens, je me rends compte que ma lumière est simple et juste. On a une démarche de photographie au gout du jour et nous sommes économiquement viables. J’ai face à moi des gens qui n’ont pas les mêmes contraintes dans l’image et l’économie. J’ai vu en Bourgogne un jeune photographe très doué, mais démodé, connoté années 1950.

Utilisez-vous un matériel spécifique en prise de vue ?–Je peux utiliser n’importe quoi, je n’y fais pas du tout attention, je n’aime pas ça. Malheureusement, j’ai travaillé en argentique. Je suis content que ça ait évolué, mais ça m’a donné de la rigueur. Les jeunes font une multitude d’images avant d’avoir la bonne, moi je n’en fais qu’une.

L’arrivée du numérique a telle modifiée votre implication dans votre travail, l’orga-nisation et votre travail et vos rapports avec vos clients ?–J’ai travaillé avec un photographe qui a fait les premières images numériques et qui

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a tout fait pour développer cette technique. Ça a été à son détriment, car il ne démar-chait plus. Il s’est consacré à ça, à l’époque les programmes ne marchaient pas c’était très laborieux et il a fait faillite à cause de ça. C’est pour ça que j’ai salarié deux per-sonnes qui s’en occupent. Je dis ce que je veux, ce sont des retoucheurs. J’ai la chance d’avoir les moyens que des gens fassent ça pour moi.Le numérique fait que certains clients ne veulent plus se déplacer, ils critiquent les images depuis chez eux. Mais comme nous répondons à de gros budgets, les gens sont obligés de s’investir. On évite ceux qui ne prennent pas la peine de se déplacer.

En quoi Internet et le numérique vous ont-ils ouvert des perspectives ?–Pour l’instant, les perspectives sont négatives, car Internet casse les prix. Mais on est très attentifs à son évolution. Il y a de plus en plus de photographes qui font des films. Pour l’instant, ça ne m’excite pas. On en a fait un récemment, je trouve ça ennuyeux. En vrai, il n’y a que l’édition qui me plait en culinaire. Le packaging et le film ne sont pas créatifs. J’attends que les jeunes me poussent pour m’y mettre.Je fais de la publicité pour avoir les moyens de faire des projets artistiques. Je suis énergique, je peux financer mes projets. C’est moins rapide que si je me consacrais à mon travail artistique, mais au moins je suis dans l’univers de la photographie. Il y a des photographes qui sont restaurateurs parce qu’ils ne vivent pas de la photographie artistique.

La photographie culinaire a-t-elle une légitimité à exister sur le marché de l’art ?–Soit la photographie est issue d’une commande, soit c’est une photographie d’art. Il y a des génies comme Irving Penn qui ont réalisé des images artistiques pour des com-mandes. Il faut du recul pour le voir. Je suis dans l’action, je vois par la suite si c’est artistique. J’aime beaucoup Jean-Pierre P.J Stéphan, j’expose toujours, pour lui faire plaisir. Ça me plairait bien de gagner le concours, tous les gens qui votent pour moi me disent que je suis le meilleur, mais je ne gagne jamais. Je me sens en décalage par rapport à ce que je vois. Exposer m’a apporté de nouvelles choses, comme de donner des cours.Chaque pays a une culture et une particularité. Les anglais ont beaucoup d’humour, les italiens ont un sens esthétique des choses, coloré. En France nous sommes très classiques.En Angleterre on se donne les moyens de faire un livre, en France on est dans un rap-port économique. On ne vit pas des livres, sauf si on en fait sans arrêt. Pour faire un livre, il faut une envie. Et ça fait progresser, ça donne une activité au studio et ça me permet de payer les gens.

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Comment voyez-vous évoluer votre métier  ? Pensez-vous faire le même style d’images à plus ou moins long terme ?–Je mets tout en place pour me diriger vers l’artistique. On a de la chance, on n’a pas d’agent, les gens viennent parce que nous sommes renommés.

Comment imaginez-vous que la photographie culinaire puisse évoluer ?–On fait de la photographie culinaire pour sublimer des photographies de chefs, nous sommes à leur service. Notre style correspondra à ce qu’ils veulent transmettre. Pour moi, ce sera de plus en plus simple. Jean-Louis Bloch Lainé dit que la photographie culinaire doit être savoureuse.

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rip hopkins, photographeentretien réalisé le 4 mars 2013

Pouvez-vous me parler du projet Alchimistes aux fourneaux ?–C’est mon seul projet culinaire. C’était un exercice de style intéressant, mais je n’ai pas de patience avec la nature morte. C’est l’articulation entre Pierre Gagnaire et Hervé This qui est intéressante, la décou-verte de leurs mondes. Les photographies ont servi de prétexte à cette rencontre.Jacques Merle a eu l’idée de ce projet. Il est parti du texte de Nicolas de Bonnefons, qui est aujourd’hui encore dans le milieu de la cuisine celui qui est responsable de ce que l’on fait.

L’artiste doit comprendre que la bonne cuisine est un assemblage de gouts. Les deux tiers du gout se passent en dehors de la bouche. On commence par lire la carte et choisir. On constate aussi que les femmes passent plus de temps à choisir, car elles ont plus de sensibilité et une capacité à textualier en trois dimensions. D’ailleurs, elles sont souvent plus déçues que les hommes, car leur imagination est mieux que la réalité.Ensuite, on contemple le plat, puis on regarde par où le commencer.Nicolas de Bonnefons est à la racine de tout ça, Hervé This et Pierre Gagnaire sou-haitaient le montrer. Ils ont commencé par définir les procédés principaux. Ils se sont ensuite demandé comment décrire un procédé à partir de quelques mots, par exemple la terrine est un assemblage.Ensuite ils se sont demandé comment illustrer le texte à partir de phrases. Dans chaque photographie, il y a une dominante de couleur. Il fallait ensuite faire la photographie du plat et en fonction de l’image référente d’Hervé This. Les tissus Zuber ont permis d’établir un lien avec Nicolas de Bonnefons. C’est une matière végétale, organique, luxueuse, qui se rapproche des deux travaux. Sur un fond neutre, les images auraient été trop scientifiques. Le fond doit évoquer l’opulence, stimuler l’imagination, pour trancher avec le travail d’Hervé This.On a essayé de mettre le plus d’humains dans les photographies d’Hervé This. Il est très ouvert, a un énorme égo et c’est un grand communicant. Il n’a pas d’aprioris particuliers.

Alchimistes aux fourneaux est un des ouvrages qui a le mieux marché chez Flamma-rion, ils ont vendu 5 000 livres. Il y a tellement de livres de cuisine, que c’est probable-ment son côté légèrement insolite qui a plu au public.Il y a des livres à table basse, qui sont des phénomènes de mode, comme La terre vue du ciel. Par contre, un livre technique ça ne devient pas ringard, c’est complètement intemporel. Mais ça ne gagne pas forcément d’argent.

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Qui a eu l’idée de ce projet ?–C’est Jacques Merle, l’éminence grise de Sonia Rykiel, qui a eu l’idée de ce projet, j’ai eu carte blanche. L’éditrice a su jongler. J’ai eu des idées pour tout, on ne m’a pas imposé de codes. Il y avait une relation de confiance et nous sommes tous amis, c’est un ensemble de gens qui font des choses bien.

Toutes les images ont été réalisées en argentique 6x7, on ne savait pas si la photo était bonne, on avait besoin de cette relation de confiance.La cuisine de Pierre Gagnaire est toute petite, il a dû sacrifier de la place et du person-nel pour que nous puissions faire les images.Pour Hervé, on a dessiné les photos au préalable afin qu’il les valide, Pierre me disait juste ce qu’il allait faire. Pierre Gagnaire me propose toujours des projets, mais je n’ai pas envie de le faire et c’est trop mal payé.D’autres maisons d’édition m’ont proposé, mais il y a trop peu de retours financiers.Quand on monte un projet comme Médecins sans frontières, on démarche l’éditeur dans un deuxième temps.Les éditeurs gagnent de l’argent avec les pré-achats. C’est une forme de communica-tion de celui qui est à l’initiative du projet.

Avez-vous demandé à Pierre Gagnaire d’adapter ses plats à la photographie ?–Pierre Gagnaire n’a pas d’habitudes, il est toujours dans l’expérimentation. Il essaie perpétuellement de nouveaux procédés. J’ai eu besoin de déconstruire certains platsLes photographies ne mettent pas forcément en valeur ses plats. On va chez lui pour l’expérience gustative. C’est un peu comme une prise de risque, on y va une fois dans sa vie puis on passe à autre chose. On croise chez lui soit des gens qui économisent pendant un an, soit des hommes d’affaires.

Est-ce que l’on vous a imposé un style d’image ou demandé de respecter une ligne éditoriale ?–J’ai eu une marge de liberté par rapport au commanditaire. Normalement, une com-mande doit répondre aux critères de celui qui paie. En publicité, on fait des roughs puis des réunions pendant lesquelles on parle beaucoup. Le style de la photographie finale doit correspondre à ce qui est attendu.En portrait, on a des semi-commandes, parce qu’on récupère des informations par rapport à la personne que l’on photographie.Le plus difficile, ce sont les initiatives personnelles, car on doit se donner ses propres contraintes. On fait le choix d’où on met notre énergie.

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La photographie se vend de moins en moins, c’est de plus en plus pratiqué. L’actua-lité est faite par des amateurs, les images sont récupérées sur des sites avec abonne-ments. Les rédactions ont de moins en moins d’entrées d’argent par la publicité et les ventes, on ne peut donc plus tellement gagner sa vie.Il faut développer une écriture, c’est ce pour quoi les gens nous demandent. Mais l’écriture emprisonne. Dès qu’on se remet en question, on devient un stéréotype de soi-même, on plagie son propre travail. Notre métier n’est pas vraiment défini, sommes-nous artistes, manutentionnaires ?J’ai fait des études d’architecture en Angleterre puis l’École Nationale Supérieure de Création Industrielle à Paris. Autant en Angleterre on réfléchit à comment utiliser ses connaissances pour gagner sa vie, autant en France on n’est pas du tout préparés. C’est une des critiques que l’on peut faire au système.

Votre travail a été exposé à la Galerie Fraich’Attitude, qui a souhaité cela ?–Pour exposer à la Galerie Fraich’Attitude, c’était très simple. Jacques Merle a telle-ment de contacts que tout s’est organisé naturellement. Et puis le fait de travailler avec une agence donne un appui. Et ça permet de ne s’occuper que des aspects créa-tifs, de l’accrochage, des choix de dytiques.Mon travail a été repris dans des publications scientifiques. L’agence Vu’ a plusieurs collaborateurs, parfois j’ai un retour sur les images utilisées, parfois non. Je découvre des publications.Mes images servent pour de l’illustration propre, donc elles sont assez insolites.La photographie culinaire est un domaine avec énormément de possibilités. Tout semble délicieux et c’est techniquement difficile à faire. Il y a des photos où on a l’impression que le plat est précieux, on a une approche bijoux. Ça soigne l’égo des restaurateurs. Les gens veulent un souvenir de la cuisine, un livre est un objet qui reste. Ils préfèrent les beaux livres plutôt que les ouvrages techniques.

Comment pensez-vous que l’on puisse élever la photographie culinaire à un art ?–Si on photographie une œuvre, quelqu’un a déjà les droits. Si on photographie un co-médien, qui est le propriétaire des droits ? Un arbre serait surement l’objet qui pose-rait le moins de problèmes. Le problème de la photographie culinaire en galerie, c’est qu’on ne sait pas vraiment si c’est le chef ou le photographe qui est l’artiste. Je pense qu’il faut inclure de l’humain dans les photographies.On achète Alchimistes aux fourneaux pour comprendre, pas pour reproduire de A à Z.Et je pense que pour que la photographie culinaire devienne artistique, il faut qu’elle évolue. Il y a beaucoup de choses à expérimenter, il faudrait réussir à intégrer l’hu-main dans la photographie culinaire. Les jeunes qui sortent des écoles ne devraient pas hésiter à essayer des choses. Ils devraient même commencer en étant à l’école, car ils ont du matériel à leur disposition, ils ont un formidable terrain d’expérimentation.

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Florian garnier, styliste culinaireentretien réalisé le 21 février 2013

Pourquoi avez-vous choisi la photographie culinaire ?–J’étais cuisinier, j’ai travaillé pendant des années à l’étranger, quand je suis revenu à Paris je ne voulais pas continuer à faire ça et j’ai rencontré une styliste culinaire. J’ai donc rencontré des photographes, dont Jean-Michel Renondin, Thierry Aransma, qui est un photographe qui a fait beaucoup de culinaire et qui est aujourd’hui diversifié, il fait beaucoup de reportage.J’ai fait des photos personnelles, j’ai démarché, ça a pris et maintenant ça fait sept ans que je fais ça. J’ai rencontré des gens, je ne connaissais pas, j’ai trouvé ça intéressant, au début je pensais que c’était facile, que tout le monde pouvait le faire, mais ensuite on se rend compte que c’est un vrai métier. Le plus important c’est d’avoir l’œil pho-tographique. J’ai mis un peu de temps à apprendre, une fois que j’ai réussi, j’arrivais à voir à travers l’objectif et à composer par rapport à un point de vue. Une fois que tu as compris ça, tu as un don et tu es meilleur que les autres. Au début en regardant et en assistant, je comprenais le point de vue, je me suis dit que j’ai un œil. Ensuite, c’est du travail et l’apprentissage des choses techniques.

Avez-vous déjà éprouvé l’envie de vous mettre à la prise de vue ?–J’y ai pensé. Le problème d’être styliste c’est qu’on t’appelle pour du travail, et quand tu as des idées, tu es toujours dépendant du photographe, autant que le photographe est dépendant du styliste. Donc c’est un vrai travail d’équipe. C’est pour ça que pour moi aujourd’hui, une photo est réussie si l’équipe fonctionne.C’est pour ça que les photographes gardent souvent les mêmes stylistes, ils ont leurs habitudes, ils savent, ils n’ont pas besoin de parler. Si le styliste n’arrive pas à faire quelque chose, le photographe lui proposera d’adapter la prise de vue au stylisme et vice-versa. On travaille en échangeant. Plus le duo fonctionne humainement, plus la prise de vue va être simple. Je n’ai jamais pensé être photographe, je reste persuadé que photographe et stylistes sont de vrais métiers.À l’époque, il y avait des stylistes pour tout, parce qu’il n’y avait pas autant de retouche. Aujourd’hui, le numérique a sauvé la peau de beaucoup de gens.Je ne me mettrais pas à la photographie, car je n’ai pas le talent. Et puis j’aime travail-ler avec des photographes. J’estime que j’ai encore beaucoup à apprendre, que ça ne sert à rien de faire plein de choses à la fois.

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Le stylisme est-il pour vous une activité alimentaire ou le support d’une démarche personnelle ?–Déjà c’est une opportunité, c’est-à-dire que quand je suis revenu sur Paris, j’étais cuisi-nier sur des régies de cinéma. Comme je ne travaillais qu’en journée, le soir chez moi j’essayais des choses techniques.Ce qu’il faut savoir c’est que nous sommes très peu à être spécialisés en glace, donc je savais qu’il y avait un marché à prendre. J’ai trouvé ça sympa, j’avais déjà la tech-nique, donc c’était relativement simple de travailler chez moi. Ensuite, je me suis ren-du compte qu’il y avait d’autres paramètres liés à la prise de vue. C’est l’opportunité qui a fait que j’ai démarché, on m’a donné des noms de photo-graphes et d’acheteurs d’arts. Ensuite, tu te fais connaitre, il y a les photographes avec qui ça fonctionne et d’autres non. Dans ce métier, c’est de la concurrence saine.

Avez-vous des influences, comment établissez-vous une démarche d’auteur ?–Je regarde beaucoup d’images sur Internet, sur les livres. Je n’ai pas d’influences di-rectes. Il y a des travaux qui me plaisent. Comme je sais comme c’est fait, je reconnais la qualité du travail, je reste persuadé que ce qui est bien c’est ce qui vient du fond de toi. Quand tu regardes des sites de photographes, tu ressens quelque chose, de la technique ou une sensibilité. Chez les stylistes beaucoup moins. En presse ou édition, ils font un peu tout le temps la même chose dans leurs compositions et leurs façons de faire. Moi je fais ce qui me plait, j’aime les côtés techniques et décalés. Je veux que les gens du métier reconnaissent la qualité de mon travail.Je n’ai pas d’influence particulière, mais des références et des choses qui me plaisent. La façon dont Peter Lipmann traite la nourriture est exceptionnelle. Je trouve qu’il a une vraie patte et un vrai talent. En tant que styliste, je ne suis pas influencé par son travail, mais je vois qu’ils ont un sens photographique, que ce n’est pas qu’alimentaire.Bien sûr, on doit tous gagner notre vie, mais si on a l’occasion d’aller plus loin c’est mieux.

Pouvez-vous faire un parallèle entre une prise de vue personnelle et une prise de vue de commande ?–Nous en packaging, tout est calé. L’agence envoie des briefs précis avec des ma-quettes ou des story-boards et je dois refaire exactement la même chose. On nous demande, autant à moi qu’au photographe, une texture, un shopping, un cadrage. On fait des réunions, on en parle, et moi je dis ce qui possible ou non. Parfois les direc-teurs artistiques font des maquettes techniquement irréalisables, avec des problèmes de perspectives. La plupart du temps il faut tricher sur les prises de vue pour coller à la maquette. C’est à la fois l’ennui du packaging et sa spécificité, c’est qu’il faut faire

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exactement ce qui est demandé. C’est pour ça qu’il y a des stylistes très doués. C’est l’avantage du numérique, on peut compenser en post-production une taille d’objet.

Dans le cadre de commandes publicitaires, les agences s’attendent-elles à ce que vous apportiez votre touche personnelle au projet ?–Ça dépend, dans le pack rarement. En règle générale, le client contacte l’agence, qui appelle le photographe, qui contacte le styliste. Le photographe choisit le styliste adapté au projet. Il y a des projets pour lesquels on demande au styliste de soumettre des idées. Donc j’ai parfois des créations de recettes à faire.À ce stade-là, c’est vraiment un travail d’équipe avec les directeurs artistiques et le client s’il est sur les prises de vue. Le client a une représentation de son produit, il a dans la tête l’idée de ce que l’agence lui a proposé. Ensuite, on voit ce qui est tech-niquement possible à faire, dans quelle mesure on peut améliorer le produit, jusqu’à quel point on peut mentir. On voit ça en réunion avant et on finalise sur la prise de vue, en discutant.Je propose toujours plusieurs formes et textures pour sublimer le produit.Souvent, ça dure assez longtemps entre la conception et la mise en place de l’éclai-rage, donc il faut qu’on ait des matières qui tiennent dans le temps, jusqu’à quatre heures. La majorité des glaces sont factices.

Vous sentez-vous auteur ?–Moi non. Ceux qui font de la création de recettes le sont, moi en packaging je suis juste un exécutant technique. Je ne suis pas auteur, ce que j’aime dans ce métier c’est que je ne considère pas le stylisme culinaire comme de l’art, c’est juste technique et artistique. C’est mon ressenti. J’aime aussi le côté éphémère, il n’y a pas d’œuvre à la fin. Pour le photographe, c’est différent.

Est-ce que l’on peut assimiler le stylisme culinaire a de l’art ?–La photographie peut l’être, mais c’est un autre travail. Je ne considère pas ça comme de l’art, mais comme un travail artistique. Pour reprendre Peter Lippmann, on s’ap-proche de l’art, mais est-ce que photographier une belle entrecôte c’est de l’art, je n’en suis pas persuadé.Quand on a travaillé sur le Festival International de Photographie Culinaire avec Ca-roline Faccioli, c’était intéressant parce qu’on a amené la nourriture dans un domaine artistique. Ça arrive dans certains de mes travaux, mais je ne considère pas ça comme de l’art, peut-être que c’est le cas du photographe.Il y a des stylistes qui essaient de toucher des droits, moi je vends mon travail, ensuite ça leur appartient. Le styliste est méconnu par le grand public, l’image appartient au

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photographe.

Y a-t-il des stylistes célèbres ?–Il n’y a pas de stars, mais certains qui se prennent pour. Il y a des stylistes qui tra-vaillent beaucoup parce qu’ils sont très bons et qu’ils ont de bonnes relations. Le par-cours de chacun est différent. Il faut regarder les noms des stylistes dans la presse. Il y en a trois ou quatre qui tournent régulièrement en packaging. Ces stylistes n’ont souvent pas de sites Internet. En glace on nous appelle pour nos compétences tech-niques. Il y a des stylistes qui veulent se faire connaitre, qui font un peu de tout et alors leur site est une belle vitrine pour elles. Les très bonnes stylistes ont 15 ou 20 ans de métier. Elles n’ont pas besoin de site, car tout le monde les connait dans le milieu. En packaging, il y a Bénédicte Noël, Geneviève Peron et Isabelle Brouant. Il y en a plein d’autres, mais celles-ci travaillent depuis quinze ans et sont connues.En glace nous sommes deux, nous faisons un travail différent. Nous faisons le même travail, mais nous avons une façon différente de l’aborder. Lui a hérité des clients de Joel Douard qu’il assistait. Moi c’est plus tranquille, ce n’est pas une fin en soi. Si demain ça ne me convient plus, j’arrêterai. Je continue ce métier tant que je peux avancer et créer des choses. SI je faisais de la photo lambda, j’arrêterais.

Diriez-vous que votre travail est l’assemblage de vos gouts esthétiques et de vos références ou qu’il suit une mode et les directives de vos clients ?—Les tendances évoluent naturellement, tu les suis ou pas. Si tu ne les suis pas, tu ne seras plus dans le cercle, mais ce ne sera pas bon. Donc régulièrement tu renouvèles tes images. Maintenant on parle de vidéo, les photographes culinaires s’y mettent. Il y a ceux qui disent qu’il faut s’y mettre parce que tout le monde va le faire, et puis ceux qui voient un nouveau support d’expression. Je fais partie de ces gens qui trouvent que faire vivre la nourriture c’est génial. Si ça marche tant mieux, sinon on fera autre chose.Je fais de la vidéo avec Caroline Faccioli, elle est directrice de la photo et s’occupe de la lumière. Si tu fais de la vidéo et que le photographe ne fait pas la lumière, il n’y a pas d’intérêt à en faire.Ma première vidéo de potirons n’était pas convaincante, la seconde est mieux, la troi-sième plus aboutie et de plus en plus.Aujourd’hui, de nombreux photographes se lancent dans la vidéo à la suite de Michael Roulier. Il a une approche du culinaire très poussée, il travaille avec Philippe Lhomme qui a beaucoup de talent. Tous les films qu’ils font sont de commande, ils préparent beaucoup en amont. Maintenant tout le monde va vouloir s’y mettre, mais le vrai pro-blème c’est que l’image bouge, et en tant que photographe et styliste il faut détacher de la photographie animée pour la vidéo. Ça fait longtemps que l’on s’est lancés là

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dessus, mais les deux premières années on n’a rien publié parce que justement on fai-sait de la photographie animée, c’est-à-dire du plan fixe. C’est bien, mais ce n’est pas de la vidéo. En vidéo, il faut du mouvement et du montage. Je pense qu’il y a plein, de personnes qui vont essayer et ne pas persévérer. Je comprends qu’il y ait des photo-graphes qui pensent que ce n’est pas une fin en soi et qui restent à la photographie.

Votre travail est-il le même en photographie et en vidéo ?—La différence c’est qu’en vidéo je fais aussi du salé. Une vidéo c’est de l’action donc il faut de beaux produits, mouvements et stylisme, après il faut comprendre la vidéo. Si tu comprends la vidéo, tu sais comment placer ton plat et te placer toi. Mais c’est beau-coup moins technique au niveau de la nourriture que la photographie. C’est-à-dire qu’une vidéo se regarde dans un ensemble, qui te plait ou non. S’il y a des problèmes de plans, de raccords, ça passe. En photo, tous les détails comptent. La post-produc-tion compte aussi. Ceux qui ne réussiront pas en vidéo sont ceux qui se cantonnent à un œil photographique et qui ne pensent pas montage. L’enchainement des plans est très important. Le métier est tout à fait différent, le seul point commun est le culinaire. C’est totalement un autre métier.

La présence d’un directeur artistique et d’un styliste modifie-t-elle votre implica-tion dans l’image ? —Non, d’autant plus que c’est beaucoup plus difficile sans directeur artistique. Une image c’est un ressenti. Quand le client et le directeur artistique sont présents, on trouve un terrain d’entente pour arriver à l’image désirée. Quand c’est par mail, c’est beaucoup plus compliqué. Il y a des directeurs artistiques qui n’ont jamais assisté à des prises de vue ou très peu donc ils te demandent de changer des choses, mais ils n’arrivent pas à comprendre que techniquement ce n’est pas possible. Donc on perd un temps fou. Et puis parfois tu envoies par mail, ils sont en réunion ils te répondent une heure plus tard, donc c’est trop tard. C’est pour ça qu’on essaie le plus possible d’avoir les directeurs artistiques ou et les clients sur les prises de vue parce que c’est beaucoup plus simple. Ça n’arrive pas que le client demande à tout changer après la première image, car tout est très préparé en amont. Parfois il y a des problèmes d’orientation, mais la direction artistique est présente. Le fait que le client ou le directeur artistique soit là aide à connaitre les limites. Ce qui fait un bon styliste ce n’est pas que le côté technique, mais la capacité à trouver la solution, à proposer autre chose en présence du client. En règle général, à la fin de la journée la prise de vue est terminée. Plus le travail est préparé en amont plus c’est rapide.

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Y a-t-il un ordre entre les différents interlocuteurs sur les prises de vue ?—Dans l’absolu oui, mais en réalité peu de photographes ont des agents, qui ne passent que pour les gros budgets. Les rapports sont directs entre les interlocuteurs concer-nés. De toute façon, le styliste est seul à connaitre sa matière, donc le photographe ne peut même pas lui parler.

Quels sont les points sur lesquels vous êtes systématiquement décisionnaires et à l’inverse ceux sur lesquels vous n’avez jamais le choix ?—D’abord, je suis décisionnaire sur le travail que j’accepte ou non. Il y a peu de photo-graphes qui se permettent de refuser des boulots, parce qu’on est tous indépendants. Parfois, il y a des travaux avec des gens avec qui j’ai peu d’affinités ou alors je sens que c’est bancal, c’est rare, mais je suis décisionnaire là dessus.Je suis décisionnaire, car je demande à voir des maquettes avant, si techniquement ce n’est pas possible je propose des solutions. Moi qui suis technicien, on m’appelle pour ce qui est technique, des textures et matières particulières, donc c’est moi qui décide en fonction de ce qui est possible.

Vous arrive-t-il d’admettre que vous ne pouvez pas répondre à une demande et que la solution est d’obtenir le résultat escompté en post-production ?—Parfois, il y a des choses que je ne peux pas faire en vrai, donc je demande ce qu’il est possible de faire en post-production. Souvent, je fais des objets beaucoup plus gros que la réalité pour pouvoir faire les textures qui conviennent. Tout est possible, mais il faut voir l’argent que ça coute, il faut que tout le monde y trouve son compte.

Arrivez-vous à cerner les limites techniques du photographe ?—Pour certains oui, tout comme des photographes connaissent les limites des stylistes. Mais je respecte le métier de l’autre, c’est lui qui connait ses limites. C’est un métier où il n’y a pas de fidélité professionnelle, les gens travaillent avec les uns puis avec les autres.Ce n’est pas à moi de juger le travail des gens, s’ils continuent à travailler c’est qu’ils le méritent

Y a-t-il des tabous dans la photographie culinaire, des aliments que l’on ne peut pas montrer de certaines façons ?—Quand tu regardes ce qu’il se fait, si c’est fait intelligemment et subtilement, tu peux tout faire. On peut faire des choses barrées, pas gourmandes, mais il ne faut pas mettre

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n’importe quoi dans ton portfolio, parce que les clients le regardent. Il n’y a pas de tabous, mais des techniques secrètes propres à chacun. Je travaille avec plusieurs photographes, jamais je ne parle de la manière de travailler des uns aux autres, tout comme ils ne le font pas avec le travail des stylistes. C’est à toi de faire et d’apprendre. On est dans le culinaire, il y a des choses à respecter, mais c’est du bon sens.

Qui est l’auteur de la photographie ?—Pour moi, à l’arrivée elle appartient au client. On oublie facilement l’agence, moins le photographe. Le créatif qui a travaillé sur la photo peut changer d’agence. Les sty-listes sont totalement méconnus. On se connait les uns les autres de réputation, peu de photographes et de stylistes prennent d’apprentis et de stagiaires.

Observez-vous une fusion entre le métier de photographe et celui de styliste ?—Je pense, mais comme je travaille en packaging il n’y a pas de photographe qui se lancera à faire mon travail. Ça se pourrait en édition. Il m’arrive que l’on m’impose un photographe avec lequel je n’ai pas d’affinité. Même si tu n’as pas d’affinité avec un photographe, tu es professionnel, tu parles photographies et culinaire et vous échangez des conseils. Tu sais qu’il se charge de la lumière, moi je prends mon temps pour faire ma partie. Il y a des gens qui ne s’intéressent pas au stylisme, d’autres qui mettent la main à la pâte. Il y a des stylistes qui n’apprécient pas que les photographes participent.

Vous arrive-t-il de travailler directement avec des chefs ?—Oui, je travaille avec la Maison du chocolat. Le chef vient sur les prises de vue, mais il y a aussi un styliste.Le gros problème quand tu fais des photos c’est qu’il peut être frustrant qu’il n’y ait pas de styliste. Le chef ne va pas penser aux angles, aux couleurs et transparences. Il compose et emporte à son client, qui va trouver ça beau. C’est vrai, mais les aliments peuvent être arrangés pour mieux prendre la lumière. C’est pour ça qu’il est bien de faire travailler un chef et un styliste ensemble.

Observez-vous une évolution de la photographie culinaire ?—Il y a un retour de besoin de montrer du vrai. Le problème c’est qu’on ne veut pas que ça fasse vrai parce que ce ne serait pas très beau. On a beaucoup menti pendant des années, on est revenus à un besoin de respecter le consommateur. Ça dépend du pro-duit que tu photographies. Si tu fais du catalogue pour marques repères, elles veulent

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utiliser leurs produits. Mais tout de suite, elles se rendent compte que ce n’est pas beau. Il faut coller à la réaliste tout en la sublimant.

Y a-t-il des différences entre le travail en argentique et celui en numérique ?—Ça a totalement changé la façon de travailler. En argentique on me demandait de faire quelque chose et c’était tout de suite photographié. Aujourd’hui, tu peux faire deux-cents images avant d’avoir la finale. Il y a une certaine liberté, c’est un bien et un mal à la fois. Avant la lumière était belle sur tout le produit en une prise de vue, maintenant on décompose, on fait tout en kit pour que le client puisse choisir. C’est une manière pour l’agence de se dédouaner.

Y a-t-il des modes dans la photographie culinaire ?—En ce moment, il y a un retour du rustique modernisé. On aurait sorti ça il y a cinq ans on aurait trouvé ça ringard. Quand tu regardes les livres de cuisine et les magazines, ça évolue. Tout n’a pas été fait, mais il est difficile de créer quelque chose de nouveau. Pour moi la photographie culinaire c’est ça. Aujourd’hui, qui va réinventer la photo-graphie ? Ça évolue, on revient à des choses qui étaient faites, mais plus modernes. Les générations ne sont pas les mêmes. Les 30-40 ans qui sont dans la tendance sont suivis de jeunes qui font des recherches et qui proposent des choses nouvelles, qui ont une sensibilité autre. Je pense que vous n’allez pas vous laisser entrainer, vous allez créer la nouvelle tendance. Ça sera pleut-être plus avec la 3D, le numérique à outrance ou au contraire des choses plus basiques. Pourquoi ne pas faire un livre avec une application iPhone. La vieille génération on aime la photographie traditionnelle et on ne comprendra pas, mais la nouvelle génération verra une évolution, à condition de bluffer tout le monde. Ça voudra dire qu’elle a du talent.

Consacrez-vous du temps à faire des recherches personnelles pour faire évoluer votre technique ?—Oui beaucoup, il y en a plein dans mon site. Il y a une rubrique packaging, ce sont toutes mes commandes. Dans les pâtisseries et les glaces, c’est du travail personnel, parce que j’aimais le travail d’un photographe et on a fait des choses ensemble. Si demain je ne me fais plus plaisir, j’arrête.

Faut-il nécessairement qu’il y ait une intervention humaine sur les aliments dans la photographie culinaire ?—C’est la différence entre la nature morte et le culinaire. Il y a des photographes qui photographient une pomme de terre comme une bague. S’il n’y a pas de composition

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ou de recherche, ce n’est pas de la photographie culinaire, la main de l’homme est nécessaire.

Qu’est-ce qui fait un bon directeur artistique ?—La connaissance de son sujet.

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laurent séminiel, éditeur, fondateur des éditions menu Fretinentretien réalisé le 22 février 2013

Faites-vous toujours appel à des photographes culinaires ou parfois à d’autres pho-tographes, voire à des amateurs ?—Je ne fais pas appel à des photographes. Je fais moi-même toutes les photographies qui illustrent les livres que j’édite. Cela me permet de les adapter à la maquette. J’ai souvent besoin de varier les angles et d’avoir une progression dans les images. Ce qui me semble le plus important c’est que les plats soient comestibles. Ce qui est beau c’est quand la nourriture vit.Les photographes amènent avec eux une vision, ils imaginent un style qui souvent ne correspond pas à ce que je veux.Je fais des livres avec des chefs. Ils donnent leurs recettes à une styliste qui les réalise. L’inconvénient c’est que plus il y a d’intervenants, plus il y a de variations. En effet, les stylistes ont besoin de mettre leur patte, mais alors ce n’est plus le plat du chef.Souvent, c’est la première photographie qui est la bonne. Mais la prise de vue reste longue, car je respecte le travail des chefs, de ce fait je prends mon temps pour modi-fier les dressages. Les chefs ne s’adaptent pas à la prise de vue.Mais ce qui m’intéresse c’est la vision des chefs, donc je les laisse dresser.La seule chose que je fais pour rendre les plats photogéniques, c’est de diminuer les portions.Je m’inspire beaucoup du Petit dictionnaire de cuisine d’Alexandre Dumas, dont les dressages sont d’une grande contemporanéité.Dans les livres que j’édite, la photographie a un rôle essentiel, car les mots ne montrent pas toute la vérité des plats.Je suis les tendances, j’aime les photographies épurées, je fais en sorte que l’assiette disparaisse. En général, je photographie l’assiette sur fond blanc pour aller à l’essen-tiel. Je préfère les vues du dessus, c’est plus facile. Mais il y a des plats qui perdent à être photographiés par le dessus. Je trouve que dans YAM, l’esthétique prend le dessus sur le gustatif.Les chefs qui font de la bonne cuisine ne font pas toujours des plats photogéniques. Il y a un décalage entre le beau et le bon. Les aliments pas jolis sont une limite de la photographie. Il y a des plats que l’on ne peut pas photographier, car visuellement ils ne transmettent rien.Aujourd’hui, les animaux morts entiers ne se montrent plus, car ils choquent un peu.Je trouve qu’il y a des gens qui se prennent trop la tête, la photographie doit être aussi rapide que l’élaboration du plat.Ce qui est important en photographie, c’est ce que l’on ne montre pas, pour le rendre plus fort. Il est arrivé que l’on me propose d’éditer des livres dont les photographies étaient déjà faites, j’ai décliné. C’est un choix.

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églantine lefébure, assistante d’édition chez alain ducasse éditionsentretien réalisé le 23 février 2013

Faites-vous toujours appel à des photographes culinaires ou parfois à d’autres pho-tographes, voire à des amateurs ?—Nous faisons toujours appel à des photographes spécialisés en culinaire, que ce soit pour de la prise de vue culinaire en studio ou en reportage. Il peut arriver que nous travaillions avec des auteurs photographes qui viennent de blogs, mais dans ce cas nous les avons repérés en amont.

Allez-vous sur les prises de vue ?—Oui, pour tous les dossiers importants, nous sommes présents pendant la première partie des prises de vue. De plus, c’est un endroit où nous nous faisons beaucoup de contacts, puisqu’il y a le photographe, le styliste et toutes les autres personnes pré-sentes dans les studios au moment de la prise de vue.Et puis comme nous donnons des briefs précis aux photographes, il faut que nous ajustions ou non en fonction de ce que l’on voit.

Cherchez-vous à avoir une influence sur les images ou laissez-vous carte blanche aux photographes ?—Nous avons des attentes précises puisque certaines de nos collections ont des visuels particuliers. Par exemple, les deux livres Best Of Conticini et Best Of Michalak ont été faits par deux photographes différents, qui ont reçu le même brief. Mais comme ils avaient une certaine liberté, les rendus sont très différents.En revanche, pour des ouvrages hors collections, nous sommes plus enclins à laisser des cartes blanches.

Y a-t-il un type d’images que vous refuseriez ?—Nous ne refusons pas d’images, car tout est très préparé en amont. En revanche, nous ne déciderions pas de commander des images kitchs, ternes ou à l’aspect ancien.

Internet et le numérique prennent-ils des parts sur le marché du livre culinaire ?—Je ne sais pas. Les maisons d’édition développent peu à peu des secteurs dédiés au numérique, qui créent des produits différents des éditions imprimées.Internet et le livre s’adressent à des publics différents dont les démarches sont diffé-rentes.

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Comment situez-vous le livre culinaire français dans la production mondiale ?—Nous faisons beaucoup de rachats d’éditions australiennes et anglo-saxonnes. Les autres pays ont tendance à s’inspirer de ces courants.

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charlotte graillat, responsable d’édition chez First gründentretien réalisé le 23 février 2013

Faites-vous toujours appel à des photographes culinaires ou parfois à d’autres pho-tographes, voire à des amateurs ? —Nous choisissons de travailler avec des photographes culinaires, car c’est un genre particulier. Pour réaliser des ouvrages de chefs, il nous arrive de prendre deux photo-graphes.Nous sommes ouverts à des photographes non spécialisés en photographie culinaire, sous réserve que cela fonctionne.

Allez-vous sur les prises de vue ?—Ça m’arrive, tous les éditeurs se rendent sur les prises de vue si possible. Sinon, le photographe envoie les premières images par mail, pour s’assurer qu’il va dans la bonne direction et nous les validons ou rectifions ainsi.

Cherchez-vous à avoir une influence sur les images ou laissez-vous carte blanche aux photographes ?—Quand un grand chef propose un livre et qu’il veut travailler avec un photographe en particulier, nous acceptons l’ensemble.Pour les ouvrages grands publics qui fonctionnent par collection, ce n’est pas forcé-ment le même photographe qui fait l’ensemble des livres, mais nous nous assurons que l’ensemble reste cohérent.En général nous n’aimons pas tellement les vues aériennes, ce n’est pas assez gour-mand ni gai. Nous donnons toujours au photographe un cahier des charges avant de commencer les images.

Avez-vous des attentes liées à votre ligne éditoriale ou aux modes actuelles ?—Nous avons des attentes, mais il y a toujours une patte du photographe, liée au bi-nôme avec le styliste. La tendance au flou est un effet de mode, par défaut nous en prenons compte. Parfois nous devons réfréner certaines de nos envies, car elles ne correspondent pas aux tendances.Si les images ne correspondent pas à nos attentes, nous recommençons les prises de vue. Il y a des photographes qui argumentent pour défendre leur travail, mais c’est toujours l’auteur qui a le dernier mot.Il arrive qu’un photographe et un styliste proposent un projet. Dans ce cas, nous ne maitrisons pas tout, mais il y a tout de même une discussion.

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En général, nous n’indiquons pas de mise en scène précise, nous préférons qu’elles soient variées, mais c’est toujours fonction de la styliste.Lorsque nous contactons un photographe et un styliste séparément, nous nous as-surons qu’ils ont déjà travaillé ensemble auparavant. Pour nous, ils ont tout deux la même importance, ils sont autant auteur l’un que l’autre. Ils ont une clause de respon-sabilité l’un envers l’autre.Ils sont tous deux rémunérés au forfait. Il arrive que ce soit le styliste qui s’occupe d’écrire les recettes, ce ne sont pas toujours des chefs.

Y a-t-il un type d’images que vous refuseriez ?—Nous, les éditeurs, sommes à la recherche d’originalité et de photographie culinaire qui plait.Le but d’un livre est que ce soit gourmand et que ça donne envie, nous recherchons des projets atypiques. Il est difficile de vendre des livres de cuisine pas illustrés.

Internet et le numérique prennent-ils des parts sur le marché du livre culinaire ?—Non, les blogs de cuisine sont dans l’air du temps. Certaines maisons d’édition contactent des blogueurs. Internet est un atout dont il faut se servir. Une étude ré-cente montre que les gens ne font pas plus de trois recettes par livre de cuisine. Les blogs mettent en avant la cuisine et donnent aux consommateurs d’acheter des kits.Les éditions First Gründ ont un secteur dédié au numérique, nous développons les applications Toquade.

Comment situez-vous le livre culinaire français dans la production mondiale ?—Nous essayons de vendre à l’étranger, dans les pays anglophones, en Allemagne et aux Benelux. Nous faisons beaucoup de création, peu de rachats de droits, de fait nous ne sommes pas tellement en contact avec la production à l’international.

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alice gouget, responsable d’édition chez alain ducasse éditionsentretien réalisé le 24 février 2013

Faites-vous toujours appel à des photographes culinaires ou parfois à d’autres pho-tographes, voire à des amateurs ?—Nous faisons appel à des photographes culinaires, mais c’est bien s’ils ont une activité variée qu’ils pratiquent le reportage et le portrait. Il nous est arrivé de travailler avec des blogueurs qui sont devenus photographes, formés sur le tas.

Allez-vous sur les prises de vue ?—J’y vais rarement, car ce n’est que par plaisir, ça n’apporte pas grand-chose. Je valide les premières prises de vue par mail. De toute façon, les ouvrages de commande ont des briefs stricts.

Cherchez-vous à avoir une influence sur les images ou laissez-vous carte blanche aux photographes ?—Nous donnons un cadre aux photographes, car nous faisons exclusivement des ou-vrages de commande. Nous repérons de nouveaux photographes dans les ouvrages de nos concurrents. Le stylisme est aussi important. Parfois, les photographes tra-vaillent seuls, mais ça dépend de l’importance des projets. Si le travail se fait en colla-boration avec un chef, le styliste s’occupe uniquement de la vaisselle. S’il est très doué, il arrive qu’il fasse de la cuisine. Certains stylistes se mettent à la photographie. Nous préférons les binômes qui ont l’habitude de travailler ensemble. Nous choisissons les photographes en fonction de leurs disponibilités et de leur capacité d’adaptation aux tarifs. Ce n’est pas difficile, car il y a beaucoup de concurrence.

Avez-vous des attentes liées à votre ligne éditoriale ou aux modes actuelles ?—Nous avons des attentes par collection, il y a des univers à respecter. Comme nous faisons appel à des photographes différents au sein d’une même collection, nous ob-tenons des styles différents.

Y a-t-il un type d’images que vous refuseriez ?—Nous faisons des livres grand public, ils doivent répondre aux attentes des consom-mateurs. Nous essayons de les cerner, les photographies doivent correspondre à cela.

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Internet et le numérique prennent-ils des parts sur le marché du livre culinaire ?—Pas forcément. C’est un cercle vertueux, les différents supports ne se concurrencent pas. Les publics sont différents, c’est positif.Et nous avons un important programme de développement numérique.

Comment situez-vous le livre culinaire français dans la production mondiale ?—Nous essayons d’être leadeurs, mais ce sont plutôt les anglo-saxons. C’est le renou-veau australien qui a souligné l’importance de la photographie culinaire. La volonté des éditions Alain Ducasse, c’est de créer un décalage par rapport aux autres.

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sylvie bouscaillou, directrice artistique chez publicisentretien réalisé le 1er mars 2013

Est-ce que vous avez choisi le domaine culinaire ou s’est-il imposé par les projets qui vous ont été confiés ?—Dans une agence de publicité, soit on fait de la beauté et on y est cantonné, soit on travaille sur tous les autres budgets. On passe six mois sur un budget puis on passe par un autre. Le culinaire c’est agréable, on travaille avec des stylistes culinaires qui font toute la mise en place.

Est-ce que lorsque vous créez une campagne publicitaire, partez-vous d’une ligne éditoriale existante ou inventez-vous tout ?—On part du produit et de l’idée que l’on veut faire passer. Souvent, ce sont des produits nouveaux, on regarde ce qui se fait dans la concurrence et on évite de faire la même chose. On colle aux directives du client, car on a une certaine cible.

Les clients vous donnent-ils des directives précises ?—Ils indiquent leurs envies, ensuite les commerciaux établissent une stratégie précise. Ils nous donnent un angle d’attaque sur lequel partir, comme une phrase. Ça dépend des sujets et des commerciaux.

Le stylisme est-il soumis à des codes ?—On peut utiliser ce que l’on veut, les codes sont fonction de ce que veulent transmettre les clients. En général, on est libre tout en respectant le client. Il y a des modes en photographie. Les gros plans avec peu de profondeur de champ donnent plus envie qu’une image en plan large où tout est au même niveau, rien ne ressort forcément. Les images Piacard sont très gourmandes.

Y a-t-il des images qui ont marqué l’histoire de la publicité ?—Il y a eu Lustucru, il y a très longtemps, avec les nappes à carreaux. Stark a commencé à redessiner des pâtes, et il y a de plus en plus de graphistes culinaires qui lancent des modes.

Quelle est la chaine des intervenants ?—Ça part du client, le commercial nous brief, nous proposons des créations puis le ser-

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vice production se charge de réaliser. On fait l’image avec le photographe, que l’on met en page. Puis le studio d’exécution va calibrer la maquette en fonction des sup-ports. L’image passe par le service retouche, c’est souvent un tiers voir la moitié de la photographie. Trop retoucher ne sert pas le produit. Enfin, ça part à l’impression.Le client donne son avis après chaque étape. Il choisit la création, les photographes en fonction de leurs portfolios, il vient sur les prises de vue puis on lui présente les images mises en page.

Comment sont choisis les photographes ?—Les acheteuses d’art nous proposent des portfolios. Ici, nous travaillons en équipe entre directeur artistique et rédacteur. Le rédacteur écrit des mots et nous faisons la conception ensemble. Une fois que la création est achetée par le client, nous envoyons à l’achat d’art qui propose des photographes en fonction de la création et du client. Après on en choisit trois ou quatre que l’on propose au client.

Attendez-vous un apport propre au photographe choisi ?—Souvent, nous choisissons un photographe en fonction de ses lumières, de ses ca-drages, de ses angles de vue et de ce qu’il a déjà fait. En général, les clients et nous aimons voir dans les portfolios du photographe l’esprit que l’on veut donner à l’image. Avant nous faisions des dessins, maintenant on présente tout en montage photo pour que le client est une idée la plus précise possible de ce que l’on va faire et qu’il valide au maximum.

Y a-t-il de grandes différences entre les différents domaines tels que la mode, la beauté et le culinaire ?—En mode, il y a beaucoup de libertés. Le culinaire est très technique, il faut gérer les matières et les couleurs. Pour les campagnes de mode et de luxe, on choisit le photo-graphe pour qu’il fasse la campagne. La production est moins échelonnée. Très sou-vent, le photographe et le client sont en contact direct. Ce que l’on fait en beauté peut s’apparenter à la photographie culinaire, aux mannequins près qui sont une difficulté supplémentaire.

Est-ce que vous vous sentez auteur ?—C’est important, bien que ce soit de la publicité, c’est-à-dire que c’est vénal et commer-cial, nous faisons en fonction de ce que l’on aime. Ça reste très personnel. On choisit ce qui nous plait.

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Est-ce qu’en général on vous confie des projets qui correspondent à votre person-nalité ?—Oui, le plus souvent. À priori, on sait tout faire.

Avez-vous observé une implication différente des photographes entre l’argentique et le numérique ?—Ils travaillent plus vite en numérique, car ils voient immédiatement ce qu’ils peuvent faire. La nouvelle génération voit de suite ce qu’il est possible de faire en post-production.

Avez-vous une équipe de retoucheurs ?—L’agence a un studio de retouche, EyeDream, en général on passe par eux. Désormais tout est une question financière. Avant les photographes avaient leurs propres retou-cheurs, on préférait passer par eux, car ils contribuaient à donner une personnalité à la photographie.Certains photographes continuent à faire eux-mêmes leur retouche.

Vous rendez-vous systématiquement sur les prises de vue ?—Oui, tout du moins le premier jour. Ensuite, il arrive que l’on échange par mail, mais pour les prises de vue importantes on y va tout du long. Il ne faut pas que le photo-graphe se plante.

Travaillez-vous toujours avec des photographes culinaires ou parfois avec des pho-tographes de nature morte ?—En culinaire nous travaillons toujours avec des photographes spécialisés.

Qui est l’auteur de la photographie ?—C’est à la fois le photographe et le directeur artistique. Chacun amène son âme.

Cherchez-vous à vous approcher de la réalité ou à la sublimer ?—Nous la sublimons, il faut que tout soit gourmand. On retranscrit l’effet que veut don-ner le client. La photographie culinaire est très technique, c’est pourquoi nous faisons de faux plats, car sinon le vrai plat ne pourrait pas résister à la chaleur, car la mise en place est souvent très longue.

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Est-ce que l’agence a une influence sur les campagnes ?—Les clients font appel à l’agence, car elle a un réseau international très fort. Au niveau du style, il y a trop de personnes dans l’agence pour que ce soit très défini. Nous embauchons des gens qui ont déjà de l’expérience et donc un style qui leur est propre.

Comment voyez-vous évoluer votre secteur ?—Ça dépend des budgets. Sur les petits budgets, il n’y a pas trop de retouche, on veut donner l’impression d’être en lumière du jour.

Est-ce qu’Internet vous ouvre des perspectives ?—Oui, nous avons une cellule qui s’est développée pour Internet, car c’est une autre façon de communiquer. En ce qui concerne les films, pour la télévision ils ont une durée 30 secondes, et 60 secondes pour Internet, car les espaces publicitaires sont moins chers.

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Jean-pierre p.J stéphan, président du Festival international de photographie culinaireentretien réalisé le 14 mars 2013

D’où vous est venue cette idée du festival ?—Avant tout, parce qu’il n’existait rien de ce genre. L’idée m’est venue en 2008, ce que je voulais était mettre en lumière ces artistes plasticiens trop dans l’ombre dans l’uni-vers de l’alimentaire. Nous parlons des concepteurs de recettes. Les livres de cuisine sont de plus en plus beaux, mais nous ne parlions pas des photographes culinaires. Je trouvais ça injuste pour les photographes et pour l’objet culturel qu’est le livre. Mon idée était de rassembler les professionnels de l’image, de faire un rendez-vous international, de mettre en lumière les photographes plasticiens et que les deux uni-vers se rencontrent, de montrer au public que la photographie culinaire bien faite doit être considérée comme une œuvre d’art à part entière, de montrer aux galeristes qu’ils peuvent trouver un nouveau créneau commercial parce que le public s’intéresse de plus en plus à la cuisine. Ce lot de choses fait que mon idée devait voir le jour. Je me suis renseigné auprès de chefs, de photographes et de journalistes, nous avons constaté que rien ne se faisait à ce niveau-là.J’ai voulu faire de cette manifestation un festival international, avec une compétition, une vitrine afin de montrer au grand public de la photographie professionnelle. Je voulais faire un rendez-vous mondial, sans prétention, pour sensibiliser les photo-graphes du monde entier sur ce sujet.D’un point de vue personnel, je suis amateur d’art, j’aime les choses belles, qui me donnent de l’émotion. Je trouve la photographie culinaire digne d’intérêt, et j’ai une véritable passion pour la cuisine.

Arrivez-vous à avoir une aura mondiale ?—Tout à fait, c’est ce qui me rassure et me conforte. L’an dernier, pour la quatrième édition, il y avait cinquante photographes de douze nationalités différentes. Ce qui veut dire que dans tous les pays il y a un intérêt de la part des professionnels et des amateurs. La dimension internationale, je l’ai travaillée de façon institutionnelle avec le ministère des Affaires étrangères. L’institut français qui est l’office culturel pour la présence de la France dans le monde s’est intéressé à ma démarche. Nous avons fait une sélection de quatre-vingts photos des trois premières éditions pour en faire une exposition intitulée « Arts and Food, Festival International de la Photographie Culinaire  » qui voyage depuis janvier et qui va continuer son itinérance dans des ambassades du monde entier. Pour les photographes du festival, c’est une belle façon de montrer leur travail.La presse internationale couvre beaucoup le festival, cette dimension internationale montre que ce n’est pas un sujet franco-français.

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Comment se passe la sélection des photographes et des images ?—Soit je découvre des photographes dans la presse, un livre, une exposition et je vais vers eux, soit des photographes viennent à nous, car ils décident de participer. Nous décidons avec Nà Luther, le vice-président du festival, si nous intégrons les photo-graphes à la sélection officielle.

Demandez-vous aux photographes de créer des images originales pour le festival ?—La règle est de montrer des photographies exclusives, faites pour le festival. Si le thème avait déjà été traité et que les images n’avaient pas été montrées, on accepte-rait ; en général, les photographes ont la volonté de produire pour le thème. À partir du moment où le photographe est présélectionné, il fait ce qu’il veut. C’est un des intérêts du festival, il n’y a pas vraiment de cahier des charges. Ils s’expriment avec leur sensibilité, c’est ce qui fait notre richesse et notre singularité.

Avez-vous observé un développement des démarches d’auteur ?—En règle général, les photographes qui participent au festival sont des artistes plasti-ciens qui produisent des travaux personnels, mais ils n’ont peut-être pas l’occasion de les montrer. Ils répondent à des commandes pour assurer leur quotidien, mais bien souvent ils ont une démarche personnelle, créatrice. C’est l’occasion pour certains de s’exprimer. En général, les photographes ont toujours une démarche personnelle.

Arrivez-vous à distinguer des grands courants dans la photographie culinaire dans les régions du monde ?—C’est vrai que l’on peut trouver des distinctions au niveau des démarches artistiques, ou de mise en scène. Les anglo-saxons européens travaillent le dépouillement, les japonais sont plus soulignés en couleur, les photographes d’Europe du Sud ont ten-dance à faire des mises en scène chargées ou design comme les photographes ita-liens. En France les jeunes talents sont attachés à la nature morte, ou avec des réfé-rences à des maitres tels que Jean-Louis Bloch-Lainé.Ceci dit, le thème de l’alimentation est universel. Il est traité aujourd’hui par les jeunes photographes de façon identique. On se pose les mêmes problèmes de traçabilité, de maladies liées à l’alimentation, de bien manger. Les photographes qui sont les témoins de ces thèmes les traitent d’une façon universelle.

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Qu’est-ce qui différencie la photographie de la nature morte ?—Vous faites appel à une question de terminologie. On aurait pu employer un autre vocable. Les anglo-saxons se posent moins la question avec food photography. Pour moi la photographie culinaire c’est tout type d’image qui traite d’une façon globale de l’alimentation. Ça peut être des photos de produits de base, de la distribution, de la transformation, de la consommation. L’environnement peut intervenir. Tout cela est de la photographie culinaire. À un moment ou un autre, la nature morte peut être une des niches possibles de mise en scène d’une photographie liée à l’alimentaire, lorsque l’on veut mettre en avant les arts de la table ou la table, lieu de consommation.Quand on fait une photographie d’un produit, tel que l’œuf, on peut le voir à l’état pre-mier. Cette terminologie de la photographie dite culinaire englobe tous ces aspects très diversifiés. C’est ce qui fait sa richesse. La nature morte est essentielle, car les premières photographies culinaires avaient pour référence la nature morte. Qu’elles fussent pour illustrer des livres de recettes dans les années 30, les premières photo-graphies culinaires étaient des photographies de nature morte. Ça a ensuite évolué. Il est logique que des photographes culinaires aujourd’hui soient en référence directe à la nature morte.

Est-ce que vous pensez que c’est le styliste ou le directeur artistique qui devient auteur ?—Styliste culinaire est un métier nouveau, c’est un collaborateur direct du photographe. Pour moi c’est toujours le photographe qui signe une image. Ensuite on peut dire que c’est un travail d’équipe, tout comme un metteur en scène signe un film. Un styliste culinaire, en général de formation cuisinier, est une aide formidable pour le photo-graphe, pour réussir à choisir les bons éléments. Le photographe n’est pas toujours à même de cuisiner. Je pense que c’est un binôme important, voir un trinôme si le chef est là. Je n’oublie jamais les stylistes culinaires, parfois il y a eu des réflexions de la presse, qui soulignait que l’on ne parle pas des stylistes dans le cadre du festival. C’est faux, j’en invite tous les ans à intervenir en conférence pour parler de leurs métiers et des tandems qu’ils forment avec les photographes.Ils sont moins connus du public parce que ce sont des techniciens, mais ceux qui sont très spécialisés sont des experts reconnus internationalement. Eddy Marie est une véritable référence en glaces. Ils ont un savoir-faire et une expertise, c’est toujours passionnant de les écouter expliquer leurs interventions, sans dévoiler leurs secrets.

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Est-ce que vous envisagez d’intégrer la vidéo ?—C’est fait, la photographie animée entre au sein de la compétition officielle. Beaucoup en font déjà de leur côté, mais ne l’ont pas montré. Ce sera l’occasion de montrer que l’on peut faire de la vidéo avec son appareil photo.

Avez-vous vu une évolution de la photographie culinaire ?—On n’est pas trop dans la mode immédiate, contrairement à la couture où il y a un cahier de tendance. Ça évolue plutôt sur les thèmes, les comportements. La street food se développe, mais en terme de rendu d’images je pense que la nouveauté sera la vidéo. Pour l’instant chacun poursuit sa propre démarche, il n’y a pas encore de codes établis. Il y a peut-être une tendance parfois de revenir à la photographie du ving-tième siècle, de retravailler l’argentique. On constate aux États-Unis que de grands studios et des annonceurs demandent à nouveau aux photographes de présenter de la photographie argentique. On s’est aperçu que malgré les progrès du numérique, l’argentique garde sa beauté dans la captation de la lumière. C’est un vrai travail de photographe au moment de la prise de vue, puis l’image est réussie ou non. Il y a un travail de recherche en amont d’optimisation de la lumière sur la matière, plutôt qu’un travail de post-ptoduction sur une image numérique. C’est photographie argentique qui a été trop vite balayée à mon gout revient un peu en studio.

Est-ce que la photographie amateur et les amateurs vous intéressent ?—Tout à fait, je voulais que le festival soit le rendez-vous des professionnels, des jeunes en formation et du grand public. C’est pour cette raison que j’ai créé le grand prix de la photographie des blogueurs et amateurs de cuisine. On a constaté que c’est une po-pulation très active dans ce domaine, très à l’écoute des nouveautés, très impliquées dans cet univers. Donc on fait appel à eux, on propose aux internautes de se lancer dans une compétition dans le cadre des trophées officiels, les lentilles d’or. Il y a une compétition, faite pour eux. On leur demande de créer une recette sur le thème. Pour le cas, c’est de la photographie de recette, ils l’exécutent et envoient l’image. Cette année, on va travailler avec le site 750Gr et un jury composé des responsables du site, des responsables du festival et des partenaires, il y aura le lauréat traité au même titre que les professionnels. Le public peut voter sur le site du festival ou les lieux d’expo-sition. Ces blogueurs qui s’intéressent à l’image et à la cuisine sont une population passionnante. C’est vrai qu’une initiative comme le festival elle là pour leur montrer que pour réussir une image, il ne faut pas faire n’importe quoi, il y a une progression pas à pas pour qu’une photo soit appétissante. Si le photographe est là pour leur don-ner des conseils, tant mieux. Les images que l’on verra sur les réseaux sociaux seront de meilleure qualité.

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Est-ce que vous aimeriez intégrer des photographes non spécialisés en culinaire ?—Quand on fait appel à des photographes pour le festival, on ne s’adresse pas qu’à des photographes exclusifs en culinaire. Certains font de la mode ou de la joaillerie. Ça peut être des photographes de reportage qui ont envie de traiter le thème de l’ali-mentaire. Certains photographes invités découvrent la photographie culinaire à cette occasion.

Qu’est-ce qui fait qu’une photographie artistique devient une œuvre d’art ?—C’est un peu plus complexe.Certains ont la démarche de montrer leur travail en gale-rie et on est soutenu par un expert qui se donne pour mission de promouvoir l’artiste et de vendre son travail. Il y a aussi le vecteur des ventes publiques, où là effective-ment nous allons essayer d’organiser une vente publique aux enchères pour la pro-chaine édition du festival. Ce sera l’occasion pour des photographes de mettre leurs œuvres sur le marché.Qui dit en galerie dit possibilité d’être sur des salons, de montrer ses photographies au sein de ces vitrines internationales. C’est une démarche compliquée. Le festival est là pour stimuler le marché et ouvrir des portes aux photographes festivaliers vers ce marché de l’art.

Est-ce que vous pensez que les photographies réalisées pour des commandes peuvent se retrouver en galerie ?—Je pense que ce sont plus les démarches personnelles qui rentrent en galerie et sur le marché de l’art. Ensuite, on peut parfois considérer dans une rétrospective d’un pho-tographe reconnu d’étudier ses travaux qu’il a pu exécuter répondant à une demande d’un client particulier. Elles peuvent devenir intéressantes pour des amateurs et des collectionneurs. En règle générale, ce sont les travaux personnels de plasticiens qui rentrent en galerie et qui peuvent rentrer sur le marché de l’art.C’est vraiment depuis 2009 que Mathilde de l’Écotais expose régulièrement. La démarche du festival est de montrer que les travaux des photographes plasticiens doivent être considérés par les gens de l’art. Ça lui a donné un positionnement plus souligné. Elle l’avait en tête, maintenant les choses sont régulières. On pouvait avant exposer, mais être dans une galerie est un signe d’une démarche nouvelle.Les galeristes sont encore réticents à exposer la photographie culinaire. Ce sont les thèmes du nu, du paysage ou de reportage que nous voyons le plus souvent. La photo-graphie alimentaire est considérée comme un sous-chapitre, tout comme les natures mortes en histoire de la peinture.

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Bénéficiez-vous de soutiens officiels ?—Nous avons eu le Haut Patronage du président de la République il y a deux ans, j’es-père que nous allons le retrouver. Ce qui est important c’est que le président lui-même soutient la démarche, donc qu’il s’intéresse aux questions alimentaires et culturelles. Comme nous avons ces deux univers et qu’ils sont hautement symboliques et d’ac-tualité, le haut Patronage est important, tout comme les soutiens des ministères de l’Agriculture et de la Culture et de la Communication, par le biais de la mission de la photographie, et les affaires étrangères avec l’institut français. Tous ces soutiens officiels montrent que notre démarche doit être soutenue.

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adélaïde samani, acheteuse d’art chez Fred&Faridentretien réalisé le 22 mars 2013

Y a-t-il des publicités culinaires qui ont marqué l’histoire, un renouveau particu-lier ?—Les publicités Banania ont marqué les esprits, mais c’est à cause de leur slogan ra-ciste et non pas grâce à un visuel. Les publicités Fauchon, très esthétiques, similaires à du luxe, sont des exceptions. À la fois, elles se distinguent par leur qualité et plaisent énormément, mais aucune autre marque n’a décidé de travailler de la même manière.Les publicités Weight Watchers 2011 et 2012 filmées par Rankin peuvent être citées, mais on commence déjà à s’éloigner du culinaire.

Y a-t-il des tabous en photographie culinaire dans le cadre de la publicité ?—Encore une fois, je pense qu’il y a différentes photographies culinaires. En commande publicitaire, il y a de nombreuses contraintes, en édito ils sont plus libres, c’est artis-tiquement plus intéressant. En publicité il y aura toujours des restrictions artistiques, mais qui ne sont pas tant des règles générales qu’initiées par le client que le produit lui-même. Quand tu photographies un hamburger, il faut qu’il soit travaillé, qu’il ne dégouline pas, même si ça le rend irréel. C’est plus régi par des préférences visuelles que par des règles, donc non. C’est moins restrictif que la loi Évin, particulier à la France. Il faut être vigilant pour l’alcool. Pour tous les produits sucrés, salés et gras, il faut intégrer les phrases Manger Bouger. Mais ça ne concerne pas le produit lui-même visuellement.

Choisissez-vous systématiquement des photographes culinaires ?—Tout dépend de la maquette, mais il faut que le photographe ait une expérience de la photographie culinaire. On pourrait éventuellement choisir un photographe de na-ture morte, qui sera très minutieux. Le travail de composition ensuite est très impor-tant, c’est là qu’intervient le styliste.

Y a-t-il une différence entre les photographes culinaires et les photographes de na-ture morte ?—Photographe de nature morte est un terme très large, chacun se spécialise en cosmé-tique, culinaire ou still life.

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Attendez-vous des techniques particulières aux photographes qu’ils amènent leur patte ?—Oui, c’est comme ça que l’on choisit un photographe, par leur style. Il y a des photo-graphes qui ont un rendu froid, d’autres qui sont bons sur les images sombres… Le choix se fait en fonction de la maquette, on ne peut pas prendre n’importe qui. Ensuite on considère que le photographe apporte une valeur ajoutée, qu’il va donner des idées sur la lumière et le cadrage.

Le photographe et le client se rencontrent-ils avant la prise de vue ?—Oui, ça se fait lors de réunions de pré-production. C’est important pour expliquer le travail du photographe, justifier le choix du photographe et rassurer le client. De plus, je ne suis pas capable de parler comme la photographe, c’est lui présentera le mieux son travail. Moi je l’oriente et le dirige, mais c’est lui qui se présentera le mieux.

Comment le circuit de production codifie-t-il la photographie culinaire, qu’impose-t-il ?—Le projet impose de rendre visible le produit. En édito, il est possible d’introduire du flou, de couper le plat. En publicité, le propos est clair, il faut magnifier le produit.

Y a-t-il des différences entre l’argentique et le numérique ?—Visuellement, je trouve que l’argentique est plus joli, mais c’est moins facile d’utili-sation. C’est plus long et plus cher, ça impose de faire l’éditing post-traitement. En numérique le rendu de l’image est instantané, il me semble donc compliqué de repas-ser à l’argentique en culinaire. En mode, Jürgen Teller continue de travailler en argen-tique, c’est ce qui plait chez lui.

Vous rendez-vous sur les prises de vue, est-ce nécessaire ?—Je vais toujours sur les prises de vue, ça me semble indispensable. Je suis responsable de la production, s’il se passe quoi que ce soit c’est à moi de le gérer.

Servez-vous d’intermédiaire entre le client et le photographe, y a-t-il une hié-rarchie ?—En publicité, il y a un circuit à suivre. Je suis en contact avec des prestataires, des directeurs artistiques et des commerciaux, qui eux sont en contact avec les clients. C’est très rare que je sois en contact avec les clients. Ça peut arriver si j’ai un devis à

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défendre. Lors des prises de vue, les clients et moi sommes présents.

Est-ce qu’il vous est arrivé de vous voir refuser un photographe à cause de ses ta-rifs ?—Tous les photographes ne sont pas du tout au même prix. Ça m’est arrivé qu’un client refuse un photographe pour son prix ou son esthétique, mais on essaie de forcer.

Qu’est-ce qui est le plus important, que les photographes soient des auteurs ou des techniciens ?—Les deux, si on a une maquette c’est pour la suivre. Mais si on fait appel à quelqu’un en particulier, c’est parce qu’il a sa touche et sa propre originalité, on veut que ça apparaisse.

Cherchez-vous des photographes qui font eux-mêmes leur retouche ?—Jusqu’à présent je suis toujours passée par des studios de retouche. Il arrive qu’il y ait très peu de retouche à faire sur ce genre de visuel.

Êtes-vous auteur, avez-vous une influence sur l’image finale par vos choix ?—Non je ne me sens pas auteur, je participe à la création d’une image, tout comme le directeur artistique. Ce dernier participe même plus. Le photographe est l’auteur le plus évident.Mes gouts esthétiques ont une influence sur ce que je propose. Je ne sais pas si c’est bien, mais c’est comme ça. La plupart du temps, je ne propose pas des travaux photo-graphiques que je n’aime pas. Ça fait partie des plaisirs du métier d’acheteuse d’art et directeur artistique, de travailler avec quelqu’un. On met en place une collaboration, il faut que ça soit agréable, que ça se passe bien. Si je commence avec quelqu’un dont je n’aime pas le travail, ça n’annonce rien de bon.

Qui est l’auteur de la photographie ?—C’est une question compliquée. De toute évidence, quand tu fais de l’édito, de la presse, l’auteur de l’image est le photographe. Dans la publicité, l’auteur reste le photographe, mais l’image appartient à la personne qui l’achète, donc le client par l’intermédiaire de l’agence.

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En quoi les agences influent-elles sur la photographie culinaire ?—Il y a des agences qui révolutionnent l’utilisation d’une photographie. Pour vendre de la nourriture comme Fauchon le fait il faut être révolutionnaire. Ça change de ce qu’on a l’habitude de voir.

Les photographes sont-ils plus ou moins libres qu’avant ?—On attend des photographes qu’ils apportent une originalité, une particularité, mais tout en suivant une direction. Ça dépend des projets, mais on ne peut pas généraliser.

Internet a-t-il modifié vos attentes ?—On ne fait pas de choses plus décomplexées pour Internet. Toutes les images créées sont entre autres destinées à Internet. Aujourd’hui il y a beaucoup d’achats en banques d’images de photographies culinaires pour Internet. Les besoins Internet sont énormes et nous poussent à créer plus, ce qui est positif.

Les clients attendent-ils un résultat particulier ? Un photographe à la mode ?—Certains clients ne veulent travailler qu’avec de grands noms, ce sont les clients luxe. Ils ont des attentes artistiques qui se justifient par un grand photographe onéreux.

Est-ce que les budgets consacrés aux campagnes alimentaires sont différents des autres secteurs ?—Non, c’est un secteur qui marche bien.

Pouvez-vous me parler de la publicité dans les autres pays ?—C’est similaire à la France.

Y a-t-il des différences entre la vidéo et la photographie ?—Ça dépend des films. Il y a une différence de réalisation, de matériel technique. À cause des sources différentes, il n’est pas possible de tout faire sur le même plateau installé. Nous avons beaucoup de projets communs. Nous cumulons les deux, mais le travail est différent, tant au niveau de la post-production qu’artistiquement. Le mou-vement modifie la manière de mettre en avant le produit.Nous dépensons moins d’argent si nous demandons à un photographe de faire la photographie et le film. Mais il faut que ça soit dans les capacités de la personne

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choisie. Parfois, on prend deux personnes différentes, avec le risque d’avoir une inco-hésion entre les deux supports.

Choisissez-vous des binômes de photographes et stylistes ?—En général, les photographes travaillent toujours avec le même binôme. Quand un photographe se vend, il vend son styliste avec lui et vice-versa. Il existe des cas où le photographe n’a pas son styliste attitré, et ça dépend aussi de la nature du produit pour choisir un styliste.