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Introduction au droit constitutionnel Licence 1 Année universitaire 2017/2018 Professeur : Maxime Tourbe Ambrogio Lorenzetti, Allégorie du Bon Gouvernement, fresque (133771340), Palais Public de Sienne

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Introduction*au*droit*constitutionnel*!

Licence!1!Année!universitaire!2017/2018!

!Professeur!:!Maxime!Tourbe!

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!!Ambrogio!Lorenzetti,!Allégorie)du)Bon)Gouvernement,!fresque!(133771340),!Palais!Public!de!Sienne!!

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Plan du cours magistral Introduction générale : droit constitutionnel et constitutionnalisme

Section 1. Définition du droit constitutionnel Section 2. Le constitutionnalisme Section 3. Le droit constitutionnel, outil du constitutionnalisme moderne

Titre 1. Le fondement juridique du pouvoir : La Constitution Chapitre 1 – La notion de Constitution

Section 1. Constitution écrite et constitution coutumière Section 2. Constitution matérielle et constitution formelle Section 3. La conception normative de la Constitution

Chapitre 2 – La protection de la Constitution

Section 1. La rigidité de la Constitution Section 2. La protection juridictionnelle de la Constitution

Titre 2. Le cadre du pouvoir : L'État Chapitre 1 – Les formes d'État

Section 1. L'État unitaire Section 2. Les associations d'États Section 3. La question de l'Union européenne

Chapitre 2 – La participation au pouvoir

Section 1. La représentation Section 2. La participation directe des citoyens au pouvoir

Chapitre 3 – Les systèmes de gouvernement

Section 1. La classification traditionnelle Section 2. Le régime « présidentiel » des États-Unis Section 3. Les régimes parlementaires

Titre 3. Aperçu d'histoire constitutionnelle française Chapitre 1 – La période révolutionnaire (1789-1799)

Section 1. La monarchie constitutionnelle (1789-1792) Section 2. La Convention (1792-1795) Section 3. Le Directoire (1795-1799)

Chapitre 2 – L'instabilité des régimes politiques au XIXe siècle (1799-1870)

Section 1. Le Consulat et l'Empire (1799-1814) Section 2. Le rétablissement de la Monarchie (1814-1848) Section 3. L'échec de la IIe République (1848-1851) Section 4. Le Second Empire (1852-1870)

Chapitre 3 – La consécration de la République (1870-1958)

Section 1. La IIIe République (1870-1940) Section 2. Le régime de Vichy (1940-1944) Section 3. La IVe République (1946-1958)

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Université Paris 8

Introduction au Droit constitutionnel (Semestre I)

Séance de travaux dirigés n° 1 : Présentation et méthodologie

Présentation du programme et des règles du jeu

− Séance n° 2 : La Constitution − Séance n° 3 : Le pouvoir constituant − Séance n° 4 : La justice constitutionnelle− Séance n° 5 : L’État – notion et formes− Séance n° 6 : La participation au pouvoir− Séance n° 7 : Galop d'essai − Séance n° 8 : La séparation des pouvoirs− Séance n° 9 : Les systèmes de gouvernement− Séance n° 10 : Aperçu d'histoire constitutionnelle française : la consécration de la

République

Explications méthodologiques :

− La préparation de la séance − La dissertation − Le commentaire de texte

Documents joints :

− Méthodologie de la dissertation

− Méthodologie du commentaire (Michel Verpeaux, Annales Droit constitutionnel 2017, Dalloz, 2016, p. 16-24)

− Indications bibliographiques

− Tableau synthétique : l'histoire constitutionnelle française

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Le commentairede texte

Les conseils générau-r sur la connaissance de la rratière et Iesméthodes de lecture solt bien entendu aussi valables que pour ladissertation, et les qualités de clarté et d'intelligence sont égalementnécessairas pou[ ].lne épreuve cle commetttaire. En guise d'entraîne-ment, il est possible tle vérifier Ia compréhension des conseils quisuivent. en utilisant, si besoin est, un dictionnaire.

Il n'est pas exigé, notammenl en prenière année, que le com-mentaire du texte soit ceux que l'on peut atteDdre de spécialistes etqui sont publiés dans les revues julidiques. Aâu d'éviter d'ailleursune inudle comparaisr:n entre I'exelcice acadérnique et I'ceuvrescientifique, les sujets proposés peuvent poûer sur des textes peuconllus ou très réceuts à propos desquels 6ucun commentaire naencore été publié. Cette solution est souvent adoptée pour les déci-sions juridictinnnelles. N{ais il ne s'agit en aucune manière d'unerègle et si le texte proposé est très classique, comme l'extrait d'uneconstitution ou d'uu document politique, il est atteadu du commen-tateur qu'il dégage les principales idées du texte, sans chercher àinrileI les nraitres,le lr doctritte.

lvlais, alors qn'en droit privé, le texte à commenter est souventule décision de justice (d'où l'expression de < commentaire d'arrêt >

pour désigner ce |11rc de sujet), en droit constitutionnel, la palettedes textes est beaucoup plus vaste. Il peut s'agir aussi bien d'unedécision juridictionnclle. du Conseil constitutionnel, des juridic-tions administrat irres ou rnême de la Cour de cassation ou d'unejuridiction judiciaile Icomrne par exemple l'arrêt du 10 octobre2001 relatif au statut pénal dlr président de la République). Mais cepeut être aussi l'extrait d'rure constitution, hançaise ou étraagère,ou le passage d'un lexte tle doctrine ou d'un discours politique danslecluel des idées constilutionnelles sont exposées. Les confâencesde presse des diiTér'ents présidents de la République, ootamment du

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Le commentaire de te)ce U

général de Gaulle, constituent des suiets possibles,les messages desprésidents de la République au Parlemert aussi (comme celui de

fules GÉvy du 30 ianrrier 1879, celui de Flançois Mitterrand déff-nissant la cohabitation du B avril 1986 ou l'intervention de NicolasSarkozy devant le Congrès le 22 iuin 2009). Le texte à commenterpe.ut être aussi un article de journal qui ne se contente pas de rap-porter des faits mais expose aussi des idées.

Le texte choisi peut ôtre long, court ou n être constitué que d'unexhait. peut être composé de deux textes ou parfois pius. Le choixdes textes étant assez vaste, il est encore pius aléatoire de chercherquel sera le texte qui sera proposé à l'examen.

Le commeutaire de texte est souvent présenté comme un exer-cice difffcile, nrais outre que c'est uo suiet qui est frêquemmentdonné en droit privé et que les conseils'prodigu6s pour une matièrepeuveùt servir pour utre autre, il a l'avantage d'êhe encadré et delaisser moins d'incertitude que la dissertation. Il faut en effet com-menter tout le texte, mais rieu que le texte. Pour aider les étudiants,il arrive clue le commentaire de celui-ci soit assorti de questions.Cette préseutation clu sujet présente plusieurs intérêts. Elle guideainsi les étudiants car ils doivent se contenter de répondre auxquestions posées, dans I'ordre indiqué ou du moins en ne mélan-geânt pas les questions {sur ce poiut, les conseils sont ceux que l'onpeut donner pour uD cas pratique, cf. inftal Eile facilite aussi lalecture du texte, qui est moins libre mais qui est plus efflcacepuisque I'accent est mis sur les points lmportants suggérés par lesquestions posées,

Lorsqrt'aucune question n'est proposée, il n'y a pas d'autrechoix que cle comntenter le texte choisi, avec une plus grandeliberlé rnais il faut alors mettre I'accent sur les aspects esseatiels dutexte, qui doivent être les mêmes que ceux qui ont été repérés parI'auteur du sujet car il a, lui aussi, une vision du sujet. Même s'iln'existe pas non plus un seul commentaire possible d'un texte, il estpréférable que les points jugés incontournables d'un texte û'aientpas été oubliés.

Pour réussir un bon commentaire, il faut lire le texte de manièretrès attentive, organiser les questions principales qu'il suscite autourd'un plan et il ne faut pâs se contenter de paraphraser le texte.

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l8 Droitconstitutionnel

I I Le commentaire d'un texte commencepar sa lecture

Cette exigence paraît évidente dans cette épreuve car oD ne peutcommenter un texte que si celui-ci est connu et donc compris.Quelle que soit la longueur du texte, la lecture est une phase essen-tielle de l'exercice et il est vivement recommandé de faire plusieurslectures du texte, la prenière servant à découvrir ce qui est proposé,les autres permettant de souligner, à I'aide d'un crayon de papier (cequi permet d'effacer en cas d'erreur), d'encadrer ce qrri retient par-ticulièrement I'attention. Il est conseillé cependant de ne pas toutsouligner car il devient alors difficile de retmuver ce qui est impor-tant et cê qui ne l'est pas si tout est placé sur le même plan. Il n,estpas interdit, sans surcharger le texte à I'excès, d'ajouter des annota-tions en marge du texte, sous forme de rappel d,autres textesconnexes à celui qui est proposé {par I'insertion de << voir> ou< cf. "] ou au contrair',e d'opposition entre le texte pmposé et d,autresqui sol)t collnus. Les rn6thodes soat bien sùr personnelles et il fautfaire son propre appleltissage, mais I'essenliel est de retrouver Iesidées suggérées lors d'une lecture du texte âu moment où il faudrarédiger le commentaire.

Lorsque le texte est long, la difficulté consiste d'abord à tireentièrement le texte el à opérer un tri entre les informations qu'ilapporte. Tôut n'est peut-être pas essentiel dans celui-ci, il peutcontenir des passages descriptifs ou él'entuellement répétitifs. C,estià oir les connaissances, toujours elles, sont utiles car elles per-rnettent de distinguer eu quoi le texte est nouveau et en quoi il secontente de conârmer des éléments ou des solutions connus.Constater un revirement ou une opinion confirmée est particulière-ment nécessaire pour le commentaire d'une décisiou de justice, aûnde tre pas colnmettrc de corrtresens sur I'intérôt de celle-ci.

Lorsque le texte est, au contraire, très court, dans I'hypothèsepar exemple d'un extrait de texte, il peut se confondre avec un sujetde dissertation. En principe, le sujet est précédé de la mention( Connentez le texte suivaùt >, ce qui évite cette erreur. Il fautlraiter alors ce passage non pas comme un prétexte à la dissertationgénérale mais comme le commentaire de ce te)te. Si celui-ci a étéchoisi, c'est qu'il contient suffisamment do richesses pour donnerlieu à un commentaire dense, rnalgré sa brièwet6, et il faut sansdoute faire attentioD à chacun de ses ter:nes.

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Le commentaire de telte t9

Lorsque, enfil, deux ou plusieurs textes sont soumis au com-mentaire, I'intention de l'auteur du sujet est d'inciter à leur compa-raison et à leur confrontation. Lexerrice est alors rendu plus diffi-cile car il faut maîtriser en permanence les deux textes et n oublieraucun de leurs éléments.

Far rapport à une décision de justice, en droit privé ou en droitadministratif, le texte de droit constitutionnel comporte assez rare-ment de données factuelles. Celles-ci permettent, dans les autresmatières, de fournir quelques éléments concrets destinés à faciliterla compréhension du texte. Il ny a pratiquement pas non plus, endroit constitutionnel, de questions procédurales, à la différence desarrêts de cassation qui obligent à rappeler les phases du conten-tieux, la premiàre instârlce ou I'appel. En droit constitutionnel, lecommentateur est confronté à un texte en général plus abstrait et cesont souvent des idées plus que des faits qui sont exposés. Dans iecas d'une décision du Conseil constitutionnel, il faut néanmoilsprendre soin de rechercher quel est I'auteur de la saisine, quelle estla loi contestée, dâns sa totâlité ou dans certaiDs de ses éléments etquel est ou quels sont les articles ou éléments du bloc de cotrstitu-tiontalité qui sont concernrés par la décision. Comme darrs tout€décision de justice, le sens de celle-ci, rejet, pour irrecevabilité ouau fond, ou censure, pa ielle ou totale, de la loi, est essentiel à Iabonne coniprehension du texte.

La lecture attentive du texte [en falt les lectures) doit permettrede rechercher les points principaux du texte, Ies problèmes qu'ilpose, les solutions qu'il appr:rte, les difâcultés d'interpÉtatior qu'ilsouiève. Ceux-ci ne sont pas en nornbre infini. Mais iJ y en a enprincipe plusieurs, ce qui r:blige à les organiser, c'est-à-dire à bâtirun plan.

ll/ Recherche d'un plan de commentaireLe commentaire de texte, quelle que soit la nature de celui-ci, ne doitpas être considéré comme un exercice purenrent formel, car il consti-tue un bon apprentissage de la }ecture-compréhension d'un texte, ceque doit faire tout juriste, dans la plupart des r'lrétiers du droit.

Le commentaire est cependant plus qu'une lecture car il doitfaire apparaître les idées princlpaies d'un texte, le situer, expliquersa raison d'ôtre et ses motivations, apparentes ou cachées. Il est

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20 Oroit constitutionnel

possible de porter un tugement sur ce texte, ce qui n interdit pas dele critiquer. Le commentaire d'un texte ne consiste pas, en effet, àseulernent indiquer que, par exemple et comme on le lit souvent,des lignes 2 à 5 du premier paragraphe, I'auteur exprime telle outelle idée, et que dans les paragraphes 3 à S, c,est une autre id6e quiest exposée. Ce travail, purement analytique, est peut-être le fruitd'une prernière iecture du texte, ce n'est pas ce qui exigé d'ul véri-table commentaire.

On peut ainsi estimer qu'un texte normatif, constitution ou loi,n'apporte pas en lui-tnême les réponses aux quêstions qu,il estcensé résoudre. En bref, le comnentateur doit I'expliquer et ie lec-teur du commentaire doit potrvoir connaître et cornprendre ce texte,mêr:re s'il ne I'a pas lu. [.a clarté de l'exposition est encore, dans cetype de sujet, essentielle.

En bonne logique, un plan de commentaire devrait comprendreautânt de parties qu'il y a de problèmes à commenter dans Ie texte,en les classalt par ordre d'importance. Les habitudes académiquessont néanmoins favorables, pour le commeutaire comme pour Iadissertation, au plan en deux parties et delx sous-parties, troispalties paraissant le uraximum acceptable. Au-delà, il est coqsidéré,non sans raison, que l'esprit se perd dans la démonstratio! et quele devoir n'a plus de fil directeur. Le respect de cette consignes'accolnpagDe du souci de f'aire des parties équilibrées entre elles,Si, bien entendu, il n'est pas obligatoire qu'elles comprement exac-tement le même nombre de lignes, il est pÉférable que le déséqui-libre ne soit pas trop 5pand. Dans ce cas, ce dernier fait apparaitreque le choix des questions à comrrrentff n'a pas été ludicieuxpuisque le commentaire montre qu'il y a un vrai problème (la partiedénesuré:nent longue) et un faux problème (la partie tronquée,tlans laquelle il n'v a rien à dire.).

Compte tenu de cette contrâinte, le plan doit être articuléautour des deux (ou trois) idées importantes du texte. Il arrive,malheureusetnent trop peu souvent, que le texte soit lui-mêmedivisé en deux ou trois parties Iparagraphes, articles ile Constitutionou de loi, considéraut d'une décision de justice...). Dâns cette hypo-thèse, le plan du comrnentaire peut être le plan du texte, si réelle-rnent lâ strlrcture formelle du texte correspond à la distinction aufond des problèmes soulevés. [^a plus grande prudence s,imposedonc en la matière et il ne faut pas nécessairement se pÉcipiter surles apparences du texle pour guider le commentaire.

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Le commentaire de Gxte 2l

De la même manière, un texte long n,est pas nécessairement leplus riche à commenter, car il peut être assez descriptif ou anecdo-tique et un texte très court peut révéler de nombreuses idées. Il nefaut pas, là non plus, se fier à la première impression.

Enfin et o priort, si deux ou trois textes sont proposés à laréflexion, ce n'est sans doute pas pour qu'ils soient éfudiés séparé-ment dans deux ou trols parties différentes du commentaire.

Lorsque la lecture attentive a permis de dégager d,assez nom-breuses idées contenues ou suggérées dans le texte, il faut les classeret ne retenir que les deux ou trcis principales qui constituent l,ossa-ture logique du corntnentaire. eue faire des autres ? Si elles pré-sentent ur lien ét'ident de connexité avec les idées principales, ilfaut les présenter en même temps que ces dernières et elles consd-tuent I'obiet assez nâturel d'une des sous-parties.

Si le texte à commenter est constitué des articles 20, 49 et 50 dela Constitution de 19S8, la présentation du cas d'engagement deresponsabilité devant le Sénat contenu à I'alinéa 4 de I'article 49pourrait constituer une partie du développement consacré au bica-rnéralisme inégalitaire suggéré par ces différents articles.

Lorsque, en revanche, les idées nées au morrent de la lechreappâraissent moins importantes à la réflexiou, il ne faut pas hésiter àles écarter du commentaire rédigé, sauf à les évoquer dans I,intmduc-tion pour ne plus y revenir. Ce peut être le cas de questions de prû-cédure, dans une décision de justice, quand celles-ci ne constituentpas une des questions majeures du texte. Bien sûr, les choix à opérerà ce stade sont parfois délicats et tout est question d'appréciationmais aussi d'habitude qui ne peut naître que d'un havailrégulier.

Lintroduction d'un commentahe de texte doit être plus facile àréaliser que celle d'une dissettation et elle n,a pas besoin d,être aussiétoffée que dans ce dernier cas. Elle consiste surtout à présenter letexte: il est inrporlant de préciser sa date, ce qui perm;ttra d,indfquer si, pal exemple pour une décision de justice, le texte est uDeconfirmation ou un r.evirernent. La date, si elle est ancien-ne, perrnetde préciser d'emblée comment la question a évolué depuis ce texte,Un texte sur le président de la République qui daterait d'avant t986devrait ainsi ôtre éclair.é par la pratique de la cohabitation. Il estaussi nécessairc de préciser sa nature, texte normatif ou opiniondoctrinale: dans le prernier cas, sa portée est plus grande car il avocation à changer le droit existant. Si I'auteur est un homme poli-

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22 Droitconstitutionnel

tique, un juriste ou un journaliste (parfois il peut âtre les trois à lafois), il est bon de rappeler quelques éléments de biographie, afind'éclairer le texte, principalement si cette personne a joué un rôleparticulier dans la Édaction de ce texte. Si le texte à commenter estun extrait du discours de Michel Debé devant le Conseil d'État le27 aorit 1958, il ir:rporte de préciser quel rôle a joué M. DebÉ dansl"écriture de la Constitution de 1958. Il arrive, lorsque l'auteur du texteest peu connu, qrfule note précise quelques éléments de biographle'Mais il vaut mieux ne pas trop compter sur cette mansuétude I En casde doute sur ia personnalité de l'auteur, la prudence s'impose et neriel dire est encore le plus sûr moyen de ne pas se tromper,

Lorsqu'il s'agit d'un extrait, il est important de le situer dansson contexte, si celui-ci est censé être connu. Si, par exemple,doivent être comnentés les articles de la Coustitution de 1958 attri-buant au président de la République des pouvoirs dispensés ducoDtreseing, il est utile de rappeler dès I'introduction, qu'il existeaussi des attributions qui nécessitent un cônbeseing. En ràgle géné-rale, en présence d'une décision de justice, le sujet est donné detelle manière que l'6venluel extrait fourni contient I'essentiel et quele leste n'a pas besoin d'être commenté. ll en est de même dans lecas d'un article doctrinal ou de journal. Essal'er de deviner la suitede l'extrait du texte ou ce qui le précède, est un ieu dangereux etinutile.

De fàçon classique, il est souvent rappelé qu'il n'est pas néces-saire de faire une conclusion dans un commentaire. Comme le textese suffit normalement à lui-môme pour être donné à comrnenter, lecomnentaire suffit à sa compÉhensiol, sans qu'il soit besoin deconclure. En effet, tout a été dit sur le texte dals le commentaire ettoute idée nouvelle suggérée à la fin sortirait du texte.

lll / Commenter n'eJt pas paraphraser

Der:x écueils maieurs guettent le commentateur'. L un et l'autre sontautalt Édhibitoires. l,e premier consiste à s'évader du texte à un telpoint que celui-ci n'est que le prétexte à faire une dissertation etqu'il est totalement oublié, La tentation est grande de procéder decette manière lorsque le texte n'évoque rien ou peu au commenta-teur et qu'il pense que traiter de questions g6nérales qui auraientulr vâgue rapport avec le texte peut remplacer un commentaire. Il

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Le commentaire d€ text€ 23

vaut rnieux se persuader d'embl6e que le correcteur ne sera pasdupe de cette solution qui n'en est pas une. Le second écueil esf dene rien apporter au texte et de se contenter de répéter ce qu'ilénonce, généralenent en rnoins bien exprimé : cela s'appelle dL laparapbrase. Un des moyens pour éviter le premier dangàr passe parle respect des consignes de lecture formulées ci-dessus.

Pour éviter la paraphrase, il faut se rappeler qu'un commentairedoit < faire le tour > du texte, sans oublier un élément, mais tout enle situant dans un ensemble et en formulant une opinion sur soacontenu.

Ne pas paraphraser ne signifie pas que I'on doive oublier letexte ni même, paribis, en citer des passages. Mais, là encore, lamesure s'irnpose et recopier des extraits e:itiers du texte n'a jamaisconstitué une bonne technique. l,e commentaire ne peut se limiterà répéter ce qui est dir dans le texte, sans en tirer une appréciationou, au se[s premier du mot, un commentaire.

Si I'on prend I'exemple d'une décision du Conseil corstitution-nel à commenter, il est par exemple utile de préciser si celle-ci estrécente ou non. Dans Ie premier cas, il faut se demander si cetted6cision, novatrice en son temps. a été contredite ou non. Dans lesecond cas, la question se pose de savoir si cette décision conûeditune jurisprudence et sur quels poiuts, Il est cependant assez rareqll'un commentaire d'une décision de justice ancienne qui ne fasseplus iurisprudence soit proposé.

Il faut aussi être attentif aux modalités de la saisine (quelleautorité de saisine panni celles qui peuvent le faire ? à quel momentde ia procédure ?). Parfois, ces remarques ne nécessitent aucuncommentaire. Dans d'autres câs, cette question mérite de longsdéveloppements : la première fbis qu'un président de la Républiquesera'amené à saisir le Conseil à propos d,une loi, ce qui constitueraune inDovation majeure du contentieux constitutionnel, ce poi[tnécessitera uD colnmentaire sérieux, par exemple sur le rôle duprésident au sein des institutions.

Ou pourra aussi indiquer que la loi qui fait I'objet de cette déc!sion a été débattue longueurent dans I'opinion et au krlement, cequi souligne les enieux de la saisine. cornme pour les lois récentessul la justice ou la sécurité.

Lorsque le texte à cornmenter est un texte normatif, ii faut vei!ler aux conditions de son édiction (vote par une ou deux assem-

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blées ? contreseinpi ou non ?). Là encore, ces éléments sont souventanodins et sans nouveauté majeure. Parfois, ils peuvent révéler desproblèrnes essentiels sur lesquels le commentaire doit mettre I'ac-cent.

La lecture du texte est le plus sûr moyen de ne pas passer à côtéde ces points inportants. Dans une décision juridictionnelle, lesmots de liaison, qui ponctuent Ie raisonnement du juge fies expres-sions < dès lors >, ou < considérant cependant > ou < il ressort despièces du dossier u) sont, en ràgJe gélérale, essentiels à la bonnecompréheusion du texte. ll en esl de même dans un article de doc-trine ou de journal et les différeuts stades du raisonnement del'auteur doivert êhe remarqués et éventuellement commentés.

Le style même d'un auteur est parfois à commenter, sans selivrer à une analyse linguistique ou gramrnaticale. Il arrive qu'unhornme politique s'exprime de façon imagée ou par antiphrase et illàut alors décrypter le sens réel de sa pensée. Le style fleuri dugénéral de Gaulle dans certaines conférences de presse en constitueulr bou exemple.

En présence d'un texte normatif, en principe plus concis et plusabshait, il est parfois nécessaire de veiller à l'emploi de certainslnots : < peut dissoudre > ne signiffe pas la même chose que < doitdissoudre, ou o il dissout 'r. Lemploi de I'indicatif présent est lesigne d'une obligation, comme dans I'article 49, alinéa 1, de laConstitutiorr: < l,e Premier ministre engage devant I'Assembléenationale la lesponsabilité du Gouvernernent >. Dans I'article 8, Iaphrase n Le président de la République nomme le hemier ministre >

signifie que cette nomination par le président suffit à ce qu'unepersonne soit désignée à cette fonction, et qu'il n a besoia d'aucuneconfirmation ou de l'intervention d'aucune autre procédure. Ianorniuation est parfaite dès qu'elle a été prononcée par le chef dei'État. Le cornmeDtaire est donc aussi celui du sens des phrases, cequi justifie, une nouvelle fois, toute I'attention qui doit être apportéeà la bonne lecture du texte. Celle-ci, liée à des cormaissances suffr-samment solides pour que soient mis en avant les points i:nportantsdu texte, permet de vaincre les difficultés, réelles mais pas ilsur-montables, du conmentaire de texte en droit constitutionnel.

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Indications bibliographiques (non exhaustives)

• Manuels ARDANT PH. et MATHIEU B., Institutions politiques et droit constitutionnel, LGDJ, 29e éd., 2017 BOUDON J., Manuel de droit constitutionnel, t. 1, Théorie générale – Histoire – Régimes étrangers, PUF, 2015 CHANTEBOUT B., Droit constitutionnel, Sirey, 33e éd., 2017 CONSTANTINESCO V. et PIERRE-CAPS S., Droit constitutionnel, PUF, 7e éd., 2016 DUHAMEL O. et TUSSEAU G., Droit constitutionnel et institutions politiques, Seuil, 4e éd., 2016 FAVOREU L. et al., Droit constitutionnel, Dalloz, 20e éd., 2017 GICQUEL J. et GICQUEL J.-E., Droit constitutionnel et institutions politiques, Montchrestien, 31e éd., 2017 PACTET P., MELIN-SOUCRAMANIEN F., Droit constitutionnel, Sirey, 36e éd., 2017 HAMON F. et TROPER M., Droit constitutionnel, LGDJ, 37e éd., 2016 ROUVILLOIS F., Droit constitutionnel, 2 t. (1. Fondements et pratiques, 6e éd., 2017 ; 2. La Ve République, 5e éd., 2016), Flammarion TURPIN D., Droit constitutionnel, PUF, 2e éd., 2007 (ancien mais toujours utile) V. aussi, pour une approche générale et synthétique de la discipline : BARANGER D., Le droit constitutionnel, PUF, coll. « Que sais-je ? », 7e éd., 2017

• Traité CHAGNOLLAUD D. et TROPER M., Traité international de droit constitutionnel, Dalloz, 3 t. - t. 1 : Théorie de la Constitution, 2012 - t. 2 : Distribution des pouvoirs, 2012 - t. 3 : Suprématie de la Constitution, 2012

• Histoire constitutionnelle BODINEAU P. et VERPEAUX M., Histoire constitutionnelle de la France, PUF, coll. « Que sais-je ? », 5e éd., 2016 MORABITO M., Histoire constitutionnelle de la France (1789-1958), Montchrestien, 14e éd., 2016

• Droit constitutionnel comparé LAUVAUX PH., LE DIVELLEC A., Les grandes démocraties contemporaines, PUF, 4e éd., 2015 MENY Y. et SUREL Y., Politique comparée. Les démocraties, Montchrestien, 8e éd., 2009

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• Textes constitutionnels BOUDON J. et RIALS S., Textes constitutionnels étrangers, PUF, coll. « Que sais-je ? », 16e éd., 2017 GODECHOT J., Les Constitutions de la France depuis 1789 (accompagnées chacune d’une présentation contextualisée), Flammarion, 2006 RIALS S., Textes constitutionnels français, PUF, coll. « Que sais-je ? », 29e éd., 2017

• Dictionnaires et lexiques ALLAND D. et RIALS S. (DIR.), Dictionnaire de la culture juridique (v. spécialement les entrées « Constitution et droit constitutionnel » et « Constitutionnalisme »), PUF, 2003 AVRIL P. et GICQUEL J., Lexique de droit constitutionnel, PUF, coll. « Que sais-je ? », 5e éd., 2016 DE VILLIERS M. et LE DIVELLEC A., Dictionnaire du droit constitutionnel, Sirey, 11e éd., 2017 MBONGO P., HERVOUËT F., SANTULLI C. (DIR.), Dictionnaire encyclopédique de l’État, Berger-Levrault, 2014 MENY Y. et DUHAMEL O. (DIR.), Dictionnaire constitutionnel, PUF, 1992

• Ressources électroniques - Sites officiels : Présidence de la République, Premier ministre, Assemblée nationale, Sénat, Conseil constitutionnel (qui contient de nombreux dossiers, liens, textes constitutionnels français et étrangers), mais aussi Commission européenne pour la démocratie par le droit (dite « Commission de Venise ») - Autres sites : v. notamment Jus Politicum. Revue de droit politique (revue en ligne) et le blog associé à cette revue (JP blog)

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CONSTITUTION POUVOIR LÉGISLATIF POUVOIR EXÉCUTIF COLLÈGE ÉLECTORAL FONDEMENTS et

CARACTÉRISTIQUES Constitution du 3 septembre 1791

Une assemblée unique : l’Assemblée Nationale Législative. Elle est puissante, a l’initiative des lois et le pouvoir de les faire : fixe les dépenses publiques, etc.

Le Roi. A l’exclusivité du pouvoir exécutif. Désigne seul les ministres, est délégué à la sûreté extérieure du royaume. En matière législative, a le droit de veto.

L’élection des membres de l’Assemblée nationale a lieu à deux degrés, par l’intermédiaire des assemblées primaires et des assemblées électorales.

Cette constitution est basée sur le principe de la souveraineté nationale et celui de la séparation des pouvoirs. Le régime institué est un régime représentatif.

Constitution de l’an I (du 24 juin 1793)

Une assemblée unique, qui « propose » les lois et « rend » les décrets. La législature est d’un an.

Un Conseil exécutif de 24 membres, simple intermédiaire entre les « agents en chef de l’Administration » et l’Assemblée.

Des assemblées primaires procèdent directement à l’élection des députés.

Institution de la République et proclamation de la souveraineté du peuple.

Constitution de l’an III (du 5 fructidor an III au 22 août 1795)

Deux Conseils : a) Le Conseil des Cinq-Cents, qui a l’initiative des lois ; b) Le Conseil des Anciens, qui les vote. Le pouvoir de décision appartient aux Cinq-Cents.

Un collège de 5 membres : le Directoire. Le Directoire est nommé par le Corps législatif. Il gouverne, possède le pouvoir réglementaire, mais n’administre pas.

Retour au régime censitaire et réapparition de la distinction entre les assemblées primaires et les assemblées électorales.

Retour aux principes de 1791 (séparation des pouvoirs et régime représentatif). Mais on maintient la forme républicaine. Principe de la souveraineté nationale.

Constitution de l’an VIII (du 22 frimaire an VIII au 13 décembre 1799)

Quatre assemblées : a) Le Conseil d’Etat par ailleurs Conseil du Gouvernement, propose les lois ; b) Le Tribunat (100 membres) les discute ; c) Le Corps législatif (300 membres) les vote sans les discuter ; d) Le Sénat (80 membres) gardien de la Constitution.

Trois Consuls. Nommés pour dix ans, constituent le Gouvernement. Le Premier Consul a seul les pouvoirs de décision.

Le suffrage de censitaire, redevient universel. En revanche, la fonction du corps électoral est considérablement réduite par le système des listes (liste de confiance communale, départementale et nationale).

Par cette constitution survivent altérés, les principes révolutionnaires (République, souveraineté nationale). Mais la primauté est au Gouvernement, représentant de la Nation qui lui confie le pouvoir au moyen du plébiscite.

Constitution de l’an X (du Sénatus-Consulte du 14 thermidor an X au 8 août 1802)

Même organisation que ci-dessus, sauf que le Sénat a ses pouvoirs renforcés, et que le Tribunat est réduit à 50 membres.

Le Consulat à vie pour Bonaparte qui, pratiquement, nomme ses collègues et son éventuel successeur, a le droit de ratifier les traités de paix et d’alliance.

Le Corps électoral se voit rendre, au moins en principe, la fonction d’élire.

Renforcement du Gouvernement personnel.

Constitution de l’an XII (du Sénatus-Consulte du 28 floréal an XII au 18 mai 1804)

Maintien des organismes ci-dessus, avec prééminence du Sénat, dont sont membres les princes français, les grands dignitaires, etc. Le Sénatus-Consulte du 18 août 1807 supprime le Tribunat.

L’Empereur. Institution de l’Empire héréditaire au profit de Napoléon Bonaparte.

Pas de nouveau remaniement.

Consacre la dictature napoléonienne. Toutefois survit l’affirmation de la souveraineté nationale.

Charte du 4 juin 1814 Deux Chambres : a) La Chambre des Pairs, dont certains membres sont nommés à vie par le roi, d’autres héréditaires ; b) La Chambre des Députés des départements, élus par les collèges électoraux pour sept ans.

Le Roi. Propose la loi, la sanctionne et la promulgue. Il a seul le pouvoir exécutif et peut dissoudre la Chambre des Députés. Entre les Chambres et le roi se situent les ministres : le ministère ou cabinet devient un organe autonome.

Le Corps électoral est censitaire. Pour être électeur, il faut payer 300 francs-or d’impôts directs, et avoir 30 ans d’âge.

Cette charte a un caractère réactionnaire. Elle est « octroyée » par le roi à son peuple. Elle consacre le principe de la souveraineté royale : en fait, elle établit une monarchie limitée, basée sur la représentation censitaire et sur le concours des pouvoirs.

Acte additionnel aux Constitutions de l’Empire du 23 avril 1815

Deux Chambres : a) La Chambre des Pairs ; b) La Chambre des Représentants.

L’Empereur. C’est « L’Empire selon la Charte ».

Charte du 14 août 1830 Deux Chambres : a) La Chambre des Pairs , dont les séances deviennent publiques. L’hérédité de la pairie sera par ailleurs abolie par la loi du 22 décembre 1830. b) La Chambre des Députés, qui désigne son président pour cinq ans.

Le Roi. Partage avec les Chambres, désormais, l’initiative des lois. Voit préciser et limiter son pouvoir réglementaire.

Le Corps électoral est élargi. On est électeur à 25 ans, éligible à 30. Le cens est ramené de 300 à 200 francs.

La Charte de 1830 institue une monarchie révolutionnaire, basée sur la souveraineté nationale. La royauté n’est plus que représentative ; le parlementarisme est « dualiste ».

Constitution du 4 novembre 1848

Une Chambre unique : l’Assemblée Législative, élue pour trois ans, comprenant 750 membres.

Le Président de la République, élu pour quatre ans. C’est le Chef unique de l’exécutif ; mais dans plusieurs cas on lui impose la collaboration du Conseil d’Etat.

Le suffrage universel est institué ; il suffit pour être électeur d’avoir 21 ans et de jouir de ses droits civils et politiques. Le Corps électoral élit l’Assemblée et le Président.

Ce nouveau régime républicain est représentatif : sont proclamés la souveraineté populaire et le principe de la séparation des pouvoirs.

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Constitution de l’an 1852 (Sénatus Consulte du 14 janv. 1852, modifié par les sénatus-consulte des 2 fév. 1861, 31 déc. 1861, 18 juillet 1866, 8 sept. 1869 et 21 mai 1870, ainsi que par diverses lois)

Trois Assemblées : a) Le Conseil d’Etat soutient devant les Chambres les projets de lois du Gouvernement ; b) Le Corps Législatif (260 députés élus pour six ans) sanctionne la loi plus qu’il ne la fait ; c) Le Sénat, inamovible, est le gardien de la Constitution et des libertés publiques.

D’abord le Prince-Président, Louis Napoléon Bonaparte, élu pour dix ans ; puis l’Empereur (Sénatus-Consulte du 7 novembre 1852). Son rôle est de gouverner. Il peut prendre l’initiative des lois ordinaires, et promulgue tous les textes. Les ministres ne dépendent que de lui.

Le suffrage universel est maintenu. Il s’exerce de deux façons, soit par le plébiscite (constituant ou personnel), soit par l’élection des Députés au corps législatif.

La Restauration impériale amène un régime de césarisme démocratique qui évoluera à partir de 1860, vers le libéralisme. Le scrutin adopté est le scrutin uninominal.

Constitution de 1875 (lois constitutionnelles des 24, 25 février et 16 juillet 1875, modifiées par les lois des 29 juillet 1879 et 1

er août1884)

Deux Chambres : a) La Chambre des Députés ; b) Le Sénat. L’initiative des lois leur appartient concurremment au Président de la République. Tant qu’il n’y a pas accord entre les deux chambres, leurs décisions sont sans effet, et la « navette » se poursuit.

Le Président de la République élu pour sept ans par les deux Chambres réunies en Congrès. Il nomme les ministres, délibère et décide avec eux de l’action gouvernementale. Tous ses actes doivent être contresignés. Il peut dissoudre la Chambre des Députés avec l’assentiment du Sénat.

La Chambre des Députés est nommée par le suffrage universel direct (le droit de vote est toutefois suspendu pour les militaires). L’élection est majoritaire. Les Sénateurs sont élus au suffrage universel indirect.

Cette constitution ne comporte aucun élément spécifiquement nouveau. République, souveraineté nationale, parlementaire ont existé antérieurement ; régime représentatif, gouvernement. L’innovation réside dans leur réunion.

Loi constitutionnelle du 10 juillet 1940 (Actes constitutionnels de 1940, 1941 et 1942)

Le Chef de l’Etat en Conseil des Ministres, en attendant la formation de nouvelles assemblées ; à partir de 1942, le Chef du Gouvernement.

Le Chef de l’Etat, à partir de 1942, le Chef du Gouvernement nommé par lui et responsable devant lui. Ils ont la plénitude du pouvoir gouvernemental.

Un texte ultérieur devrait fixer le mode d’élection des nouvelles assemblées, à laquelle il ne fut jamais procédé.

Régime dont le principe est celui d’un Etat autoritaire et caractérisé par la personnalisation, l’affranchissement et la concentration de l’autorité.

Loi constitutionnelle du 2 novembre 1945

Une Chambre unique : l’Assemblée Nationale Constituante, chargée d’élaborer la nouvelle Constitution. Elle nomme le Chef du Gouvernement et partage avec lui l’initiative des lois.

Le Gouvernement, qui outre son pouvoir exécutif, promulgue les lois et peut demander à l’Assemblée une seconde délibération.

La loi de 1945 fait disparaître les deux restrictions essentielles mises à l’universalité du suffrage : institue l’électorat pour les femmes et rend aux militaires le droit de vote.

Cette Constitution fixe le régime provisoire de la France jusqu’à l’entrée en vigueur de la Constitution définitive.

Constitution du 27 octobre 1946 (modifiée par la loi constitutionnelle du 7 décembre 1954)

Le Parlement se compose de l’Assemblée nationale et du Conseil de la République. Deux assemblées : le Conseil économique et l’Assemblée de l’Union française jouent un rôle consultatif.

Le Président de la République et le Conseil des Ministres.

L’Assemblée nationale est élue au suffrage universel direct (scrutin de liste départemental majoritaire à un tour avec apparentement et vote préférentiel). Le Conseil de la République est élu au S.U. indirect.

Cette Constitution définit les institutions de la France et de l’Union française.

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Université Paris 8

Introduction au Droit constitutionnel (Semestre I)

Séance de travaux dirigés n° 2 : La Constitution Document n° 1. Kelsen, H., Théorie pure du droit, trad. par Ch. Eisenmann, Dalloz, 1962, p. 299-302 (extraits). Document n° 2. Prélot, M., Boulouis, J., Institutions politiques et droit constitutionnel, Dalloz, 1990, p. 28-37 (extraits). Document n° 3. Mény, Y., « Constitutionnalisme », dans Y. Mény, O. Duhamel, dir., Dictionnaire constitutionnel, PUF, 1992, p. 212-213 (extraits). Document n° 4. Beaud, O., « Constitution et constitutionnalisme », dans P. Raynaud, S. Rials, dir., Dictionnaire de philosophie politique, PUF, 1996, p. 117-126 (extraits). Document n° 5. « Constitution », dans De Villiers M., Le Divellec A., Dictionnaire du droit constitutionnel, Sirey, 10e éd., 2015, p. 73-78. Document n° 6. Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 et Constitution du 3 septembre 1791 (extraits).

Dissertation : « Les fonctions de la Constitution »

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Document n° 1. Kelsen, H., Théorie pure du droit, trad. par Ch.

Eisenmann, Dalloz, 1962, p. 299-302 (extraits). « […]. Dans les développements précédents, on a déjà évoqué à mainte reprise cette particularité que présente le droit de régler lui-même sa propre création. On peut distinguer deux modalités différentes de ce règlement. Parfois, il porte uniquement sur la procédure : des normes déterminent exclusivement la procédure selon laquelle d’autres normes devront être créées. Parfois, il va plus loin et porte également sur le fond : des normes déterminent – jusqu’à un certain point – le contenu, le fond d’autres normes dont elles prévoient la création. On a déjà analysé le rapport entre les normes qui réglementent la création d’autres normes et ces autres normes : en accord avec le caractère dynamique de l’unité des ordres juridiques, une norme est valable si et parce qu’elle a été créée d’une certaine façon, celle que détermine une autre norme ; cette dernière constitue ainsi le fondement immédiat de la validité de la première. Pour exprimer la relation en question, on peut utiliser l’image spatiale de la hiérarchie, du rapport de supériorité-subordination : la norme qui règle la création est la norme supérieure, la norme créée conformément à ses dispositions est la norme inférieure. L’ordre juridique n’est pas un système de normes juridiques placées toutes au même rang, mais un édifice à plusieurs étages superposés, une pyramide ou hiérarchie formée (pour ainsi dire) d’un certain nombre d’étages ou couches de normes juridiques. Son unité résulte de la connexion entre éléments qui découle du fait que la validité d’une norme qui est créée conformément à une autre norme repose sur celle-ci ; qu’à son tour, la création de cette dernière a été elle aussi réglée par d’autres, qui constituent à leur tour le fondement de sa validité ; et cette démarche régressive débouche finalement sur la norme fondamentale – norme supposée. La norme fondamentale hypothétique – en ce sens – est par conséquent le fondement de validité suprême, qui fonde et scelle l’unité de ce système de création. Commençons par raisonner uniquement sur les ordres juridiques étatiques. Si l’on s’en tient aux seules normes positives, le degré suprême de ces ordres est formé par leur Constitution. Il faut entendre ici ce terme en un sens matériel ; où il se définit : la norme positive ou les normes positives qui règlent la création des normes juridiques générales. La Constitution ainsi entendue peut être créée soit par la voie de coutume, soit par un acte ayant cet objet et ayant pour auteurs un individu ou plusieurs individus, autrement dit : par acte de législation. Dans le second cas, elle est toujours consignée dans un document ; pour cette raison, on l’appelle une Constitution ‘écrite’ ; alors que la Constitution coutumière est une Constitution non-écrite. Il se peut aussi qu’une Constitution au sens matériel se compose pour partie de normes légiférées et écrites, pour partie de normes coutumières et non-écrites. Il est également possible que les normes d’une Constitution créée coutumièrement soient codifiées à un moment donné ; si cette codification est l’œuvre d’un organe de création du droit et a par suite un caractère obligatoire, la Constitution née coutumière devient une Constitution écrite. Le terme Constitution est pris aussi en un sens formel : la Constitution au sens formel est un document qualifié de Constitution, qui – en tant que Constitution écrite – contient non seulement des normes qui règlent la création des normes juridiques générales, c’est-à-dire la législation, mais également des normes qui se rapportent à d’autres objets politiquement importants, et, en outre, des dispositions aux termes desquelles les normes contenues dans ce document ne peuvent pas être abrogées ou modifiées de la même façon que les lois ordinaires, mais seulement par une procédure particulière, à des conditions de difficulté accrue. Ces dispositions représentent la forme constitutionnelle ; en tant que forme, cette forme constitutionnelle peut recevoir n’importe quel contenu, et elle sert en première ligne à stabiliser les normes que l’on a appelées la Constitution matérielle, et qui sont la base positive de l’ensemble de l’ordre juridique étatique ».

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Document n° 2. Prélot, M., Boulouis, J., Institutions politiques et droit constitutionnel, Dalloz, 1990, p. 28-37 (extraits).

« […] Dans le langage courant, on parle de la ‘constitution’ d’un être humain ou de celle de la matière. Si nous transposons cette notion dans le domaine des sciences sociales, nous constaterons aisément que chaque groupe, à partir du moment où il se différencie, possède une organisation déterminée, c’est-à-dire une certaine constitution. Celle-ci est embryonnaire ou plus ou moins développée, mais partout elle existe. Restreindre à la seule société politique cette notion de constitution, c’est jeter les esprits dans une première incertitude, sinon dans une première erreur. Il y a du droit constitutionnel en deçà et au-delà de l’Etat.

En deçà de l’Etat, il existe une constitution de la famille. L’expression est courante chez les sociologues. Elle doit sa vogue à Le Play, mais l’idée est beaucoup plus ancienne ; elle se trouve déjà chez Bodin. Malgré la résistance de beaucoup de juristes, dominés par les traditions individualistes du code napoléonien, sa notion n’a pas cessé de s’imposer à l’esprit. Il en va de même pour les sociétés commerciales, notamment pour les sociétés anonymes. Sur ce point, les spécialistes eux-mêmes ont souligné les analogies. Par exemple, Thaller a comparé à plusieurs reprises l’assemblée générale des sociétés anonymes au pouvoir délibérant dans le droit constitutionnel politique ; de même, Bourcart a insisté sur la correspondance profonde entre les différentes structures des sociétés commerciales et les diverses constitutions des Etats. Dans le droit du travail, on constate pareillement qu’il n’existe pas seulement, entre l’entreprise et ses membres, le lien d’un droit contractuel, mais les obligations d’un droit constitutionnel.

Au-delà de l’Etat, l’Eglise catholique et d’autres sociétés religieuses possèdent un droit constitutionnel dont la mise en relief est plus aisée encore. Les beaux travaux de Léo Moulin ont montré l’influence exercée jadis par les constitutions des ordres religieux sur les constitutions politiques. Le déroulement de Vatican II a montré le concile réinventant peu à peu les règles de la procédure parlementaire qu’il avait d’abord cru pouvoir dédaigner. La communauté universelle du droit des gens elle-même repose, ainsi que les collectivités internationales plus étroitement intégrées, sur un ensemble de règles constitutives essentielles. Georges Scelle s’est particulièrement attaché à mettre en lumière l’existence et les caractères de ce droit constitutionnel international.

Ainsi, chaque discipline juridique connaît-elle un droit ‘constitutionnel’, produit de la fonction organisatrice du milieu qu’elle a vocation à régir et qui se distingue d’un droit ‘relationnel’ correspondant à la fonction régulatrice des relations qui se développent dans ce milieu ainsi organisé […]. A s’en tenir toujours à la logique des termes, le droit public constitutionnel couvre un très vaste domaine. Il englobe l’ensemble des règles qui fondent l’Etat dans son existence, en déterminent les formes, lui procurent ses structures et son organisation. Or, un Etat n’est pas constitué lorsque le statut de l’autorité politique y est seul fixé. Il ne le devient qu’à partir du moment où, par le statut des nationaux, est circonscrite la collectivité humaine dont il est l’expression, déterminée l’organisation administrative, établie la justice.

Cette extension du droit constitutionnel à toute la contexture de l’Etat n’est pas, comme on l’a objecté, une vue de l’esprit ou une simple opinion. Elle correspond au contraire à une réalité sociologique que confirme le droit positif. Sociologiquement, il existe, en effet, des affinités étroites, des correspondances fondamentales, une solidarité institutionnelle inévitable entre la détermination de la collectivité nationale, l’organisation politique, les structures administratives, le statut de la justice […]. Cette conception large du droit public constitutionnel est confirmée par le droit positif tel qu’il résulte du texte des constitutions elles-mêmes […].

De nature contingente, la conception qui résulte […] pour le droit constitutionnel de sa réduction au droit constitutionnel politique apparaît proprement arbitraire. Elle ne correspond,

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ni à la notion d’un droit constitutionnel défini par opposition au droit relationnel, ni à la notion d’un droit propre aux phénomènes politiques par opposition aux phénomènes qui, quoique collectifs et publics, n’auraient pas, s’il en existe, ce caractère ; ni même à celle d’un droit dont l’objet et l’étendue seraient tout simplement déterminés par le texte juridique dénommé constitution et qui en est la source, sinon exclusive, du moins principale. Si force est donc d’admettre que la conception du droit dit constitutionnel est de pure convention, il est d’autant plus nécessaire d’en marquer les faiblesses et les insuffisances […]. Il paraît indéniable que l’ensemble des normes qui informent l’organisation de l’Etat, qu’il s’agisse des organes gouvernementaux, administratifs ou juridictionnels, constitue une catégorie spécifique, tant du point de vue de leur objet même, que de celui de la technique juridique en ce qui concerne la nature des règles et les conséquences qui s’en déduisent quant à leur qualification, leur interprétation et leur application […]. Mais la conception d’un droit constitutionnel opposé au droit relationnel a l’inconvénient d’exclure rationnellement du premier l’étude des normes constitutives de tout système politique. Il en est tout d’abord ainsi de celles, proprement relationnelles, qui, dans le cadre de la séparation des pouvoirs, régissent les rapports des organes entre lesquels est répartie l’autorité politique, et qui, servant de fondement à la classification classique des systèmes de gouvernement, ne sauraient, en tant que telles, être exclues du droit ‘constitutionnel’ dont elles forment d’ailleurs l’une des parties les plus importantes […] ». Document n° 3. Mény, Y., « Constitutionnalisme », dans Y. Mény, O. Duhamel, dir., Dictionnaire constitutionnel, PUF, 1992, p. 212-213 (extraits). L’expression, d’un usage relativement récent en France (tout au moins dans sa signification actuelle), reprend l’usage du terme ‘constitutionalism’ aux Etats-Unis et de ses synonymes allemand ou italien. Elle traduit l’acception à la fois juridique et politique de la supériorité de la Constitution sur toute autre norme. Politiquement, le constitutionnalisme signifie que la loi fondamentale est la traduction du pacte social conclu entre toutes les composantes du pays. Parce qu’elle incarne l’adhésion de l’immense majorité des éléments du corps social, la Constitution bénéficie d’une légitimité érigée en mythe sacralisé. C’est particulièrement vrai aux Etats-Unis où la Constitution (qui commence symboliquement par ‘We, the people…’) est l’un des éléments – peu nombreux – autour desquels se rassemble toute la nation américaine. Ce fut le cas encore dans la nouvelle République fédérale d’Allemagne où les menaces extérieures firent toutefois insérer des mesures de sauvegarde contre les ennemis de la Constitution. De même en Italie, à l’exclusion de l’extrême droite et de l’extrême gauche, toute la classe politique, du PCI à la Démocratie chrétienne, s’est rassemblée (au sein de ce que l’on a appelé de façon imagée ‘l’arc constitutionnel’) dans une commune dévotion à la Constitution de la Première République. Chez ces précurseurs ou ces tard-venus à la démocratie, la Constitution représente le point d’ancrage et le dénominateur commun […].

Mais le constitutionnalisme ne se réduit pas à l’adhésion diffuse au texte constitutionnel ou à ce qui en tient lieu (par exemple, les conventions et autres règles traditionnelles qui en Grande-Bretagne servent de substitut à une constitution écrite inexistante). Encore faut-il que la suprématie déclarée de la Constitution soit juridiquement garantie. Le ‘constitutionnalisme’ est devenu réalité tangible aux Etats-Unis à partir du moment où la Cour suprême s’est affirmée le gardien vigilant de la suprématie de la Constitution non seulement à l’égard des lois fédérales mais aussi des Constitutions d’Etats. Evolution plus lente et difficile qu’on ne le croit puisqu’il en coûta une guerre civile et qu’en 1955 encore la plénitude des droits civiques proclamés par les amendements à la Constitution n’était pas assurée à de nombreux citoyens (noirs) du Sud. En Allemagne et en Italie, ce sont également les cours constitutionnelles qui ont permis au

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constitutionnalisme de s’enraciner. Faut-il rappeler que l’évolution des esprits en France eût pu être fragile et précaire si la transformation du rôle du Conseil constitutionnel n’avait permis d’affirmer pleinement la supériorité de la loi fondamentale. Bien qu’en principe, le constitutionnalisme ne soit pas en contradiction avec la théorie de la souveraineté populaire, du moins s’oppose-t-il à la forme que celle-ci a prise en France, c’est-à-dire l’omnipotence parlementaire. Il n’y a pas de constitutionnalisme possible là où l’on peut affirmer ‘que vous avez juridiquement tort parce que vous êtes politiquement minoritaire’. Le constitutionnalisme aujourd’hui en France s’exprime en revanche avec éclat dans la formule qu’utilise le Conseil constitutionnel : ‘la loi n’exprime la volonté générale que dans le respect de la Constitution’ ».

Document n° 4. Beaud, O., « Constitution et constitutionnalisme », dans P. Raynaud, S. Rials, dir., Dictionnaire de philosophie politique, PUF, 1996, p. 117-126 (extraits). À l’origine, le terme de constitution, qui vient du latin constitutio, renvoie aussi bien à la médecine (où il décrit l’idée d’état, d’ordre ou d’organisation d’un tout) qu’au droit où il désigne à la fois un ensemble de textes pontificaux ou monastiques et une sorte d’acte authentique. De même, il peut renvoyer à la fois tant au corps d’un individu (‘la constitution humaine’) qu’à un corps social ou abstrait. La riche polysémie du terme lui a permis un usage très extensif. Quant au concept de constitution, il est traversé par une opposition radicale entre deux conceptions qu’on appellera respectivement institutionnelle (Bobbio) et normative.

Selon la conception institutionnelle ou ‘organique’, la constitution est ‘l’ordre’ politique ou le ‘principe premier de l’unité politique ou de l’ordre politique’ (Fioravanti). En tant qu’organisation, elle règle l’action et la vie de l’Etat tout comme la constitution règle la vie et le mouvement du corps physique. D’où il résulte que tout Etat a une constitution, ‘car tout ce qui existe a une manière d’existence, bonne ou mauvaise, conforme ou non à la raison’ (P. Rossi). Très souvent, cette conception de la constitution est attachée à une pensée politique antilibérale car cette primauté de l’ordre politique – du Tout – suppose d’admettre une (ou des) autorité(s) capable(s) de créer et de maintenir un tel ordre. La constitution est alors ce qui permet de conserver l’unité d’un peuple face aux forces centrifuges (internes à l’Etat ou externes) qui la menacent de manière permanente […]. En revanche, la conception normative perçoit la constitution comme une loi fondamentale, c’est-à-dire comme une norme juridique suprême. Elle correspond au courant de la pensée politique qui, remontant à Locke et passant par Constant jusqu’à Rawls, envisage la constitution comme une technique de limitation du pouvoir destinée à garantir la liberté de l’individu.

Le concept de constitutionnalisme n’est pas moins plurivoque que celui de constitution. Dans son acception la plus large (lato sensu), il décrit la ‘technique consistant à établir et à maintenir des freins effectifs à l’action politique et étatique’ (C. J. Friedrich). Ainsi défini, le constitutionnalisme condenserait deux idées essentielles et anciennes de la philosophie politique : d’abord, la promotion d’un gouvernement limité, et, ensuite, le gouvernement de la loi qui se serait substitué au gouvernement des hommes. Ainsi permettrait-il de rendre compte de la limitation tant du pouvoir de la Cité (‘constitutionnalisme ancien’) que du pouvoir de la royauté par un droit coutumier (‘constitutionnalisme médiéval’). En revanche, dans son acception plus restreinte (stricto sensu), le constitutionnalisme désigne certes l’idée de limitation du pouvoir politique, mais ce pouvoir politique est uniquement l’Etat moderne. Le constitutionnalisme fait en effet partie intégrante de la philosophie de la démocratie libérale qui présuppose une distinction entre la sphère privée ou sociale et la sphère publique et politique, c’est-à-dire entre l’Etat et la

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société civile, distinction inconnue des anciens modes de pensée constitutionnalistes ».

Seule sera ici retenue l’acception stricto sensu de constitutionnalisme parce que le constitutionnalisme ancien ou médiéval est devenu obsolète depuis la naissance de la souveraineté et de l’Etat moderne. Le constitutionnalisme postule l’existence d’un ensemble de règles intangibles formant ce qu’on appelle la ‘constitution’. Mais, contrairement à ce qu’affirme Mac Ilwain, l’apparition de l’Etat moderne (qui est souverain) a totalement déclassé le constitutionnalisme médiéval dans la mesure où la souveraineté met à la disposition du Souverain le droit non étatique – le droit coutumier par exemple. En d’autres termes, l’Etat souverain peut modifier tout le droit positif (donc les règles coutumières formant la ‘constitution’) au gré de sa volonté, de la raison politique. Ce constat n’invalide cependant pas l’idée d’un constitutionnalisme moderne pour la simple raison que celui-ci se développera à l’intérieur de l’Etat, par une sorte de processus d’involution. La souveraineté de l’Etat est donc impliquée dans le concept de constitutionnalisme moderne. Ce dernier vise à limiter cette puissance de l’Etat au moyen de règles ‘intangibles’ appelées constitutionnelles et qui sont hors de portée des gouvernants. Plus précisément, la naissance de la constitution moderne témoigne de l’effort visant à soustraire une partie du droit positif à la volonté des gouvernants en faveur de la défense des droits des citoyens. Le constitutionnalisme est inséparable de l’idée du trust – propre à Locke, son premier théoricien – selon laquelle le peuple (la community), devenu souverain, investit des gouvernants de la confiance et les contrôle afin que les droits des citoyens soient respectés. Ainsi, inscrits dans la relation entre droits de l’homme et souveraineté du peuple, le constitutionnalisme obéit au programme lockien : ‘le peuple a […] proclamé les limites de la ‘prérogative’ royale dans des domaines où cela lui a semblé nécessaire’ (Second traité, § 162). Historiquement, son triomphe signifie d’abord et avant tout le recul de la ‘prérogative’ royale, c’est-à-dire du pouvoir absolu du monarque. On peut donc dire que, depuis Locke, l’opposition cardinale en matière politique passe entre le pouvoir absolu, qualifié d’arbitraire, et le pouvoir limité, qualifié de constitutionnel. Dans un Etat constitutionnel, les gouvernants sont liés par le droit qui les protège contre les abus du pouvoir. Le constitutionnalisme peut s’accommoder de la monarchie et donner naissance à ce qu’on a appelé la ‘monarchie limitée’ (S. Rials) dans le cas français et qu’on appelle généralement ‘monarchie constitutionnelle’. La question de la forme du gouvernement (monarchique ou démocratique) est donc reléguée au second plan par les principes et techniques du constitutionnalisme.

Toutefois, si le constitutionnalisme procède indubitablement de la philosophie politique libérale, sa spécificité provient du fait que la limitation du pouvoir politique qu’il poursuit est réalisée au moyen du droit, au moyen de la constitution conçue comme juridique. De ce point de vue, il se distingue autant du constitutionnalisme grec (constitution-ordre) que du constitutionnalisme médiéval (constitution coutumière). Comme le droit moderne lui-même tend vers la norme juridique, le constitutionnalisme moderne tend lui aussi vers la constitution-norme, ainsi que l’indiquent les définitions courantes de la constitution. Celle-ci, prise dans son acception usuelle (c’est-à-dire normative) ‘se caractérise par la prétention à régir de manière globale et unique, par une loi supérieure à toutes les autres normes, le pouvoir politique dans sa formation et ses modes d’exercice (D. Grimm). De cette définition découlent quatre grandes caractéristiques de la constitution-norme.

Selon la première, elle règle et organise la dévolution et le fonctionnement des pouvoirs publics de l’Etat. Elle habilite les gouvernants à agir en fixant et donc en délimitant leurs pouvoirs qui deviennent des compétences. Juridiquement, elle est davantage un acte d’habilitation qu’un commandement. Le second trait de la constitution est de protéger les droits de l’individu contre les abus potentiels du pouvoir. Telle est sa première dimension spécifiquement libérale en ce qu’elle relie la problématique des droits naturels de l’homme avec l’idée de limitation du pouvoir des gouvernants. Selon sa troisième caractéristique, la constitution vise à limiter l’exercice du

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pouvoir et garantit cette limitation en organisant une séparation des pouvoirs, c’est-à-dire une division des fonctions exercées par les pouvoirs actifs de l’Etat. On sait que l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 résume ces deux derniers traits en énonçant que ‘toute société, dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de constitution’. Enfin, la dernière marque de la constitution moderne est d’être, formellement, une loi suprême, supérieure aux autres normes juridiques, condensée dans un seul document. Sauf dans certains pays, notamment le Royaume-Uni et Israël, la constitution est une loi écrite, une sorte de code constitutionnel (G. Stourzh) ».

Document n° 5. « Constitution », dans De Villiers M., Le Divellec A., Dictionnaire du droit constitutionnel, Sirey, 10e éd., 2015, p. 73-78. La notion qui a donné son nom à la discipline du « droit constitutionnel » est polysémique et peut être appréhendée de diverses manières, qu'il convient d'utiliser de concert. 1. Constitution descriptive Historiquement, en premier lieu, la Constitution a d'abord désigné un certain état de fait, un ensemble d'agencements et de relations par lesquels s'exerçait une domination au sein d'une collectivité humaine quelconque. De ce point de vue, il n'y a pas de société, grande ou petite, publique ou privée, qui n'ait une forme d'organisation de son autorité interne (par exemple, la manière dont ses dirigeants accèdent au pouvoir). On sait ainsi ce que les techniques constitutionnelles et électorales doivent aux pratiques très anciennes des ordres religieux. Essentiellement descriptive, cette notion renvoyait à un certain type d'ordre au sein d'un corps politique. De toutes les sociétés, celle qui a donné ses lettres de noblesse au droit constitutionnel est la société politique organisée sous la forme de l’État moderne, apparu en Europe à partir du XVIe siècle. La Constitution apparaît alors comme la façon dont l’État est effectivement gouverné. On peut, par extension, qualifier la constitution ainsi comprise de « système politique » ou encore de « constitution réelle ». 2. Constitution normative Dans une deuxième approche, la Constitution renvoie à l'idée de contrainte, d'obligation. Elle ne désigne plus exclusivement un état de fait mais un certain ordre qui doit être, qui est censé se produire (même si cela ne correspond pas tout à fait à la réalité). Elle fait alors plus intimement corps avec l'idée de droit, de normativité. Ainsi comprise, la Constitution est un ensemble de règles, principalement (mais non exclusivement) juridiques, écrites ou non, qui prétendent poser un certain type d'organisation politique, énoncer des principes la structurant, créer ou reconnaître des institutions, prescrire des obligations et des procédures. Cette conception repose en grande partie sur l'idée de volonté. Cette idée permet d'imputer le caractère obligatoire d'une Constitution. Cette volonté peut être très évanescente ou très implicite, notamment lorsque la Constitution est vue comme un legs de l'histoire.Ainsi pour une constitution dite « coutumière » comme celle de la Grande-Bretagne : œuvre du temps, façonnée par les traditions, elle n'en comporte pas moins des aspects contraignants pour les gouvernants (qu'il s'agisse de lois écrites votées par le Parlement, ou bien de coutumes, c'est-à-dire de véritables règles de droit mais non écrites, auxquelles il faut ajouter les « conventions de la constitution », c'est-à-dire des règles politiques précisant la façon dont les organes doivent exercer leurs compétences. Au contraire, la volonté peut être plus explicite et exprimée de

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façon solennelle. Il était ainsi fréquent, jadis, que la constitution d'un État repose sur un pacte ou un contrat (par exemple, entre le monarque et le peuple ou ses représentants). À l'époque moderne, la constitution est le plus souvent réputée être l'expression de la volonté unique d'un souverain (ainsi notamment de monarques qui, au XIXe siècle, ont octroyé un texte constitutionnel ; de même, en démocratie, le peuple est réputé avoir « voulu » la constitution), que l'on peut appeler le pouvoir constituant.

3. Constitution écrite Divers courants de pensée (notamment le protestantisme, le rationalisme et une certaine pensée démocratique) ont convergé, à partir du XVIe siècle, pour privilégier la mise sous forme écrite des règles constitutionnelles auxquelles on souhaitait donner un caractère obligatoire.L'expérience américaine est ici particulièrement importante : elle a développé l'idée qu'une constitution devait être écrite et même consignée dans un document solennel. C'est ainsi que dès leur fondation au XVIIe siècle, les colonies d'Amérique du Nord puis, en 1787, les États-Unis d'Amérique eux-mêmes, se dotent de constitutions écrites. À partir de 1789, cette idée est reprise en France et va progressivement gagner la plus grande partie de l'Europe puis du reste du monde aux siècles suivants. Aujourd'hui, dans chaque État, de très nombreuses règles constitutionnelles sont écrites. Mais elles n'épuisent pas le sens de la Constitution.

4. Constitution matérielle et constitution formelle

• Au sens matériel, c'est-à-dire envisagée sous l'angle de sa matière, de son contenu, la constitution désigne l'ensemble des règles juridiques selon lesquelles les gouvernants exercent l'autorité au nom de l'État. Il est délicat de déterminer très précisément le périmètre d'une constitution matérielle. On considère généralement qu'elle inclut les règles gouvernant les institutions politiques ainsi que, dans l'esprit du constitutionnalisme libéral moderne, les droits et libertés essentiels reconnus aux individus (droits de l'Homme, droits fondamentaux). Ces règles peuvent avoir un statut très différent : être écrites ou non, avoir une valeur juridique différenciée (certaines seront juridiquement supérieures à d'autres). Tout État moderne possède une constitution au sens matériel.

• Au sens formel (c'est-à-dire envisagée sous l'angle de sa forme), en revanche, la constitution désigne un acte écrit consigné dans un document solennel unique (la Constitution fédérale américaine et la Constitution française actuelle en sont deux exemples ; en revanche, la Constitution du Royaume-Uni n'est pas formelle car si elle comporte, elle aussi, quelques textes écrits, ils ne sont pas rassemblés dans un document unique et l'essentiel des règles de droit constitutionnel britannique sont coutumières ou conventionnelles). Ce document peut porter des noms divers : « constitution », « charte », comme en France en 1814, « statut », ou encore « loi fondamentale » comme en Allemagne depuis 1949. Certains cas sont moins nets : ainsi, la « Constitution » de la IIIe République se composait de trois « lois » (écrites) distinctes, l'une « relative à l'organisation des pouvoirs publics », une autre « relative à l'organisation du Sénat », la dernière « sur les rapports entre pouvoirs publics ». De même, Israël ne possède pas un document unique appelé constitution mais plusieurs « lois fondamentales » écrites adoptées à des dates différentes et réglant des sujets différents (l'organisation du Parlement, le président de l'État, le gouvernement, le budget de l'État, la justice, etc.). Dans la France de la Ve République, le « bloc de constitutionnalité » a peu à peu débordé très largement la Constitution formelle promulguée le 4 octobre 1958.

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La constitution matérielle et la constitution formelle se correspondent dans une très large mesure. Toutefois, il n'y a jamais identité totale entre elles : outre des règles non écrites, de nombreuses règles écrites matériellement constitutionnelles sont placées en dehors de la constitution formelle (ainsi, par exemple, les règles relatives à l'élection des députés et sénateurs en France sont consignées dans des lois organiques et ordinaires). À l'inverse, il arrive que soient intégrées dans une constitution formelle des dispositions dont l'objet n'est manifestement pas constitutionnel. Ainsi, par exemple, la Constitution fédérale suisse de 1874 contenait-elle depuis 1893 un article interdisant de « saigner les animaux de boucherie sans les avoir étourdis préalablement ». La tendance contemporaine est de multiplier les dispositions de détail dans les constitutions écrites, même si leur objet n'est pas matériellement constitutionnel.

5. Constitution souple (ou flexible) et constitution rigide

Il convient de souligner que, contrairement à une erreur répandue, la constitution formelle ne possède pas toujours une valeur juridique supérieure aux autres règles de droit dans un ordre juridique donné. Certaines constitutions formelles peuvent être qualifiées de « souples » (ou « flexibles »), parce qu'une simple loi suffit en principe à les modifier. Tel était par exemple le cas des Chartes constitutionnelles françaises de 1814 et 1830, ou encore du Statut Albertin italien de 1848. À l'inverse, sont qualifiées de « rigides » les constitutions qui ne peuvent être modifiées que par une loi spéciale, adoptée selon des exigences différentes de celles imposées aux lois ordinaires (on parle alors de loi constitutionnelle au sens formel). Ce type de constitution est le plus répandu aujourd’hui dans le monde. (Il existe quelques cas, rares, de pays dans lesquels la constitution est essentiellement souple, mais comporte certaines dispositions « rigides », comme en Nouvelle-Zélande). L'idée fondamentale des constitutions rigides est la volonté de faire échapper les règles essentielles d'un État aux caprices des gouvernants d'un jour. Elle vise à donner un caractère suprême aux principes et règles « voulus » par le pouvoir constituant (originel ou dérivé). On considérait naguère qu'un système de « balance des pouvoirs » suffisait à assurer celui-ci. Puis s'est peu à peu imposée l'idée que cette primauté pouvait être mieux assurée par la justice constitutionnelle et en particulier le contrôle de constitutionnalité des lois, qui se sont développées dans un grand nombre de pays au XXe siècle.Mais le degré de « rigidité » peut varier considérablement. La procédure de révision de la Constitution fédérale aux États-Unis est ainsi particulièrement lourde. Quoique moins complexe, celle de la Constitution française de 1958 l'est également (art. C 89). En revanche, la Loi fondamentale allemande de 1949 impose seulement une loi parlementaire adoptée à la majorité des deux tiers des voix dans chacune des deux chambres du Parlement. Compte tenu de cette diversité, on pourrait, par exemple, distinguer parmi les constitutions rigides, celles dont la modification suppose obligatoirement l'intervention du peuple dans le processus (soit par un référendum obligatoire, comme en Suisse ou au Danemark, soit par de nouvelles élections parlementaires, comme aux Pays-Bas ou en Finlande), ou bien son intervention facultative (par ex. France et Italie) et celles pour lesquelles la révision est exclusivement opérée par les organes représentatifs constitués, même si les exigences requises sont modifiées par rapport à la procédure législative ordinaire (par ex. Allemagne, Portugal).Il arrive enfin que des lois constitutionnelles formelles soient votées sans être placées dans la constitution formelle rigide (cela est très fréquent, par exemple, en Autriche ou au Canada).

6. Constitution vivante

Une constitution ne se réduit jamais complètement à sa forme, au statut technique de ses dispositions. Même s'il existe un document écrit solennel censé regrouper les principales règles

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d'organisation du pouvoir, il doit toujours être complété par d'autres éléments :

• les textes secondaires (par ex. en France, les lois organiques, les règlements des assemblées et même des lois ordinaires comme la loi fixant le mode de scrutin pour l'élection des députés) ;

• les règles non écrites, soit juridiques (les coutumes), soit politiques (les conventions), ainsi d'autre part que les pratiques, usages et comportements des acteurs constitutionnels c'est-à-dire l'application qui est faite de la Constitution : ce sont des éléments qui révèlent le vrai visage d'une constitution. La question du statut juridique de ces règles et pratiques est une des questions les plus délicates qui se posent en droit constitutionnel ;

• les décisions de la jurisprudence. Qu'il s'agisse, selon les cas, des décisions d'un juge ordinaire ou bien d'un juge spécialisé dans la protection des règles constitutionnelles, on peut constater que la jurisprudence constitutionnelle modifie, de façon très substantielle, le contenu et la signification des constitutions, en particulier des constitutions écrites. En dégageant des principes non-écrits ou bien en interprétant des dispositions écrites, la jurisprudence constitue aujourd’hui une source de plus en plus importante du droit constitutionnel.

En somme, pour appréhender utilement le phénomène constitutionnel, on peut considérer qu'une constitution s'apparente sans doute davantage à un « ordre constitutionnel » complexe, qu'à une norme suprême. En tout état de cause, loin d'être statique (même lorsque prédomine essentiellement l'écrit), la constitution fait l'objet d'un travail continuel de redéfinition par les acteurs du jeu constitutionnel, attestant par là que le droit constitutionnel est marqué par une dynamique particulière et constitue un droit irréductiblement politique.

Document n° 6. Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 et Constitution du 3 septembre 1791 (extraits)

• Déclaration des droits de l'homme et du Citoyen du 26 août 1789 (placée ensuite en tête de la Constitution de 1791)

Les Représentants du Peuple Français, constitués en Assemblée Nationale, considérant que l'ignorance, l'oubli ou le mépris des droits de l'Homme sont les seules causes des malheurs publics et de la corruption des Gouvernements, ont résolu d'exposer, dans une Déclaration solennelle, les droits naturels, inaliénables et sacrés de l'Homme, afin que cette Déclaration, constamment présente à tous les Membres du corps social, leur rappelle sans cesse leurs droits et leurs devoirs ; afin que les actes du pouvoir législatif, et ceux du pouvoir exécutif, pouvant être à chaque instant comparés avec le but de toute institution politique, en soient plus respectés; afin que les réclamations des citoyens, fondées désormais sur des principes simples et incontestables, tournent toujours au maintien de la Constitution et au bonheur de tous.

En conséquence, l'Assemblée Nationale reconnaît et déclare, en présence et sous les auspices de l'Etre suprême, les droits suivants de l'Homme et du Citoyen.

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Art. 1er. - Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l'utilité commune.

Art. 2. - Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l'Homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à l'oppression.

Art. 3. - Le principe de toute Souveraineté réside essentiellement dans la Nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer d'autorité qui n'en émane expressément.

Art. 4. - La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi, l'exercice des droits naturels de chaque homme n'a de bornes que celles qui assurent aux autres Membres de la Société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la Loi.

Art. 5. - La Loi n'a le droit de défendre que les actions nuisibles à la Société. Tout ce qui n'est pas défendu par la Loi ne peut être empêché, et nul ne peut être contraint à faire ce qu'elle n'ordonne pas. Art. 6. - La Loi est l'expression de la volonté générale. Tous les Citoyens ont droit de concourir personnellement, ou par leurs Représentants, à sa formation. Elle doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse. Tous les Citoyens étant égaux à ses yeux sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents.

Art. 7. - Nul homme ne peut être accusé, arrêté ni détenu que dans les cas déterminés par la Loi, et selon les formes qu'elle a prescrites. Ceux qui sollicitent, expédient, exécutent ou font exécuter des ordres arbitraires, doivent être punis ; mais tout citoyen appelé ou saisi en vertu de la Loi doit obéir à l'instant : il se rend coupable par la résistance.

Art. 8. - La Loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une Loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée.

Art. 9. - Tout homme étant présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable, s'il est jugé indispensable de l'arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s'assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi.

Art. 10. - Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la Loi.

Art. 11. - La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'Homme : tout Citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la Loi.

Art. 12. - La garantie des droits de l'Homme et du Citoyen nécessite une force publique : cette force est donc instituée pour l'avantage de tous, et non pour l'utilité particulière de ceux auxquels elle est confiée.

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Art. 13. - Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés.

Art. 14. - Tous les Citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d'en suivre l'emploi, et d'en déterminer la quotité, l'assiette, le recouvrement et la durée.

Art. 15. - La Société a le droit de demander compte à tout Agent public de son administration.

Art. 16. - Toute Société dans laquelle la garantie des Droits n'est pas assurée, ni la séparation des Pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution.

Art. 17. - La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité.

• Constitution du 3 septembre 1791 L'Assemblée nationale voulant établir la Constitution française sur les principes qu'elle vient de reconnaître et de déclarer, abolit irrévocablement les institutions qui blessaient la liberté et l'égalité des droits. - Il n'y a plus ni noblesse, ni pairie, ni distinctions héréditaires, ni distinctions d'ordres, ni régime féodal, ni justices patrimoniales, ni aucun des titres, dénominations et prérogatives qui en dérivaient, ni aucun ordre de chevalerie, ni aucune des corporations ou décorations, pour lesquelles on exigeait des preuves de noblesse, ou qui supposaient des distinctions de naissance, ni aucune autre supériorité, que celle des fonctionnaires publics dans l'exercice de leurs fonctions.- Il n'y a plus ni vénalité, ni hérédité d'aucun office public. - Il n'y a plus, pour aucune partie de la Nation, ni pour aucun individu, aucun privilège, ni exception au droit commun de tous les Français. - Il n'y a plus ni jurandes, ni corporations de professions, arts et métiers. - La loi ne reconnaît plus ni voeux religieux, ni aucun autre engagement qui serait contraire aux droits naturels ou à la Constitution. TITRE PREMIER - Dispositions fondamentales garanties par la Constitution La Constitution garantit, comme droits naturels et civils : 1° Que tous les citoyens sont admissibles aux places et emplois, sans autre distinction que celle des vertus et des talents ; 2° Que toutes les contributions seront réparties entre tous les citoyens également en proportion de leurs facultés ; 3° Que les mêmes délits seront punis des mêmes peines, sans aucune distinction des personnes. La Constitution garantit pareillement, comme droits naturels et civils : - La liberté à tout homme d'aller, de rester, de partir, sans pouvoir être arrêté, ni détenu, que selon les formes déterminées par la Constitution ; - La liberté à tout homme de parler, d'écrire, d'imprimer et publier ses pensées, sans que les

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écrits puissent être soumis à aucune censure ni inspection avant leur publication, et d'exercer le culte religieux auquel il est attaché ; - La liberté aux citoyens de s'assembler paisiblement et sans armes, en satisfaisant aux lois de police ; - La liberté d'adresser aux autorités constituées des pétitions signées individuellement. Le Pouvoir législatif ne pourra faire aucunes lois qui portent atteinte et mettent obstacle à l'exercice des droits naturels et civils consignés dans le présent titre, et garantis par la Constitution ; mais comme la liberté ne consiste qu'à pouvoir faire tout ce qui ne nuit ni aux droits d'autrui, ni à la sûreté publique, la loi peut établir des peines contre les actes qui, attaquant ou la sûreté publique ou les droits d'autrui, seraient nuisibles à la société.La Constitution garantit l'inviolabilité des propriétés ou la juste et préalable indemnité de celles dont la nécessité publique, légalement constatée, exigerait le sacrifice. - Les biens destinés aux dépenses du culte et à tous services d'utilité publique, appartiennent à la Nation, et sont dans tous les temps à sa disposition. La Constitution garantit les aliénations qui ont été ou qui seront faites suivant les formes établies par la loi. Les citoyens ont le droit d'élire ou choisir les ministres de leurs cultes. Il sera créé et organisé un établissement général de Secours publics, pour élever les enfants abandonnés, soulager les pauvres infirmes, et fournir du travail aux pauvres valides qui n'auraient pu s'en procurer. Il sera créé et organisé une Instruction publique commune à tous les citoyens, gratuite à l'égard des parties d'enseignement indispensables pour tous les hommes et dont les établissements seront distribués graduellement, dans un rapport combiné avec la division du royaume. - Il sera établi des fêtes nationales pour conserver le souvenir de la Révolution française, entretenir la fraternité entre les citoyens, et les attacher à la Constitution, à la Patrie et aux lois. Il sera fait un Code de lois civiles communes à tout le Royaume. […]

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Université Paris 8

Introduction au Droit constitutionnel (Semestre I)

Séance de travaux dirigés n° 3 : Le pouvoir constituant Document n° 1. Sieyès E.-J., Qu’est-ce que le Tiers-État ?, 1789, chapitre V (« Ce qu’on aurait dû faire. Principes à cet égard ») Document n° 2. Extrait du discours du député Frochot sur le mode de révision constitutionnelle, Assemblée constituante, séance du 31 août 1791, Archives parlementaires, t. 30, p. 95 Document n° 3. Constitution du 3 septembre 1791 (extraits) Document n° 4. Déclaration de l’Indépendance des États-Unis, 4 juillet 1776 (extrait) Document n° 5. Carré de Malberg R., Contribution à la théorie générale de l’État, spécialement d’après les données fournies par le droit constitutionnel français, 1920-1922, p. 51 et s. Document n° 6. Jouanjan O., « La forme républicaine de gouvernement, norme supraconstitutionnelle ? », in La République en droit français. Actes du colloque de Dijon – 10 et 11décembre 1992 (dir. B. Mathieu et M. Verpeaux), Economica, 1996, p. 280-282

Commentaire : Document n° 2

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Document n° 1. Sieyès E.-J., Qu’est-ce que le Tiers-État ?, 1789, chapitre V (« Ce qu’on aurait dû faire. Principes à cet égard »)

Dans toute nation libre, et toute nation doit être libre, il n’y a qu’une manière de terminer les différends qui s’élèvent touchant la constitution. Ce n’est pas à des notables qu’il faut avoir recours, c’est à la nation elle-même. Si nous manquons de constitution, il faut en faire une ; la nation seule en a le droit. Si nous avons une constitution, comme quelques-uns s’obstinent à le soutenir, et que par elle l’Assemblée nationale soit divisée, ainsi qu’ils le prétendent, en trois députations de trois ordres de citoyens, on ne peut pas, du moins, s’empêcher de voir qu’il y a de la part d’un de ces ordres une réclamation si forte qu’il est impossible de faire un pas de plus sans la juger. Or, à qui appartient-il de décider de pareilles contestations ? On sent bien qu’une question de cette nature ne peut paraître indifférente qu’à ceux qui, comptant pour peu en matière sociale les moyens justes et naturels, n’estiment que ces ressources factices, plus ou moins iniques, plus ou moins compliquées, qui font partout la réputation de ce qu’on appelle les hommes d’État, les grands politiques. Pour nous, nous ne sortirons point de la morale ; elle doit régler tous les rapports qui lient les hommes entre eux à leur intérêt particulier et à leur intérêt commun ou social. C’est à elle à nous dire ce qu’on aurait dû faire, et, après tout, il n’y a qu’elle qui puisse le dire. Il en faut toujours revenir aux principes simples, comme plus puissants que tous les efforts du génie.

Jamais on ne comprendra le mécanisme social, si l’on ne prend pas le parti d’analyser une société comme une machine ordinaire, d’en considérer séparément chaque partie, et de les rejoindre ensuite, en esprit, toutes l’une après l’autre, afin d’en saisir les accords et d’entendre l’harmonie générale qui en doit résulter. Nous n’avons pas besoin, ici, d’entrer dans un travail aussi étendu. Mais puisqu’il faut toujours être clair et qu’on ne l’est point en discourant sans principes, nous prierons au moins le lecteur de considérer dans la formation des sociétés politiques trois époques dont la distinction préparera à des éclaircissements nécessaires.

Dans la première, on conçoit un nombre plus ou moins considérable d’individus isolés qui veulent se réunir. Par ce seul fait, ils forment déjà une nation ; ils en ont tous les droits ; il ne s’agit plus que de les exercer. Cette première époque est caractérisée par le jeu des volontés individuelles. L’association est leur ouvrage. Elles sont l’origine de tout pouvoir.

La seconde époque est caractérisée par l’action de la volonté commune. Les associés veulent donner de la consistance à leur union ; ils veulent en remplir le but. Ils confèrent donc, et ils conviennent entre eux des besoins publics et des moyens d’y pourvoir. On voit qu’ici le pouvoir appartient au public. Des volontés individuelles en sont bien toujours l’origine et en forment les éléments essentiels ; mais considérées séparément, leur pouvoir serait nul. Il ne réside que dans l’ensemble. Il faut à la communauté une volonté commune ; sans l’unité de volonté, elle ne parviendrait point à faire un tout voulant et agissant. Certainement aussi, ce tout n’a aucun droit qui n’appartienne à la volonté commune. Mais franchissons les intervalles de temps. Les associés sont trop nombreux et répandus sur une surface trop étendue pour exercer facilement eux-mêmes leur volonté commune. Que font-ils ? Ils en détachent tout ce qui est nécessaire pour veiller et pourvoir aux soins publics, et cette portion de volonté nationale, et par conséquent de pouvoir, ils en confient l’exercice à quelques-uns d’entre eux. Telle est l’origine d’un gouvernement exercé par procuration. Remarquons sur cela plusieurs vérités. 1º la communauté ne se dépouille point du droit de vouloir. C’est sa propriété inaliénable. Elle ne peut qu’en commettre l’exercice. Ce principe est développé ailleurs. 2º le corps des délégués ne peut pas même avoir la plénitude de cet exercice. La communauté n’a pu lui confier de son pouvoir total que cette portion qui est nécessaire pour maintenir le bon ordre. On ne donne point du superflu en ce genre. 3º il n’appartient donc pas au corps des délégués de déranger les limites du pouvoir qui lui a été confié. On conçoit que cette faculté serait contradictoire à elle-même.

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Je distingue la troisième époque de la seconde, en ce que ce n’est plus la volonté commune réelle qui agit, c’est une volonté commune représentative. Deux caractères ineffaçables lui appartiennent ; il faut le répéter. 1º Cette volonté n’est pas pleine et illimitée dans le corps des représentants, ce n’est qu’une portion de la grande volonté commune nationale. 2º Les délégués ne l’exercent point comme un droit propre, c’est le droit d’autrui ; la volonté commune n’est là qu’en commission.

Actuellement, je laisse une foule de réflexions auxquelles cet exposé nous conduirait assez naturellement, et je marche à mon but. Il s’agit de savoir ce qu’on doit entendre par la constitution politique d’une société, et de remarquer ses justes rapports avec la nation elle-même. Il est impossible de créer un corps pour une fin, sans lui donner une organisation, des formes et des lois propres à lui faire remplir les fonctions auxquelles on a voulu le destiner. C’est ce qu’on appelle la constitution de ce corps. Il est évident qu’il ne peut pas exister sans elle. Il l’est donc aussi, que tout gouvernement commis doit avoir sa constitution ; et ce qui est vrai du gouvernement en général l’est aussi de toutes les parties qui le composent.

Ainsi le corps des représentants, à qui est confié le pouvoir législatif ou l’exercice de la volonté commune, n’existe qu’avec la manière d’être que la nation a voulu lui donner. Il n’est rien sans ses formes constitutives ; il n’agit, il ne se dirige, il ne se commande que par elles. À cette nécessité d’organiser le corps du gouvernement, si on veut qu’il existe ou qu’il agisse, il faut ajouter l’intérêt qu’a la nation à ce que le pouvoir public délégué ne puisse jamais devenir nuisible à ses commettants. De là, une multitude de précautions politiques qu’on a mêlées à la constitution, et qui sont autant de règles essentielles au gouvernement, sans lesquelles l’exercice du pouvoir deviendrait illégal. On sent donc la double nécessité de soumettre le gouvernement à des formes certaines, soit intérieures, soit extérieures, qui garantissent son aptitude à la fin pour laquelle il est établi et son impuissance à s’en écarter.

Mais qu’on nous dise d’après quelles vues, d’après quel intérêt on aurait pu donner une constitution à la nation elle-même. La nation existe avant tout, elle est l’origine de tout. Sa volonté est toujours légale, elle est la loi elle-même. Avant elle et au-dessus d’elle il n’y a que le droit naturel. Si nous voulons nous former une idée juste de la suite des lois positives qui ne peuvent émaner que de sa volonté, nous voyons en première ligne les lois constitutionnelles, qui se divisent en deux parties : les unes règlent l’organisation et les fonctions du corps législatif : les autres déterminent l’organisation et les fonctions des différents corps actifs. Ces lois sont dites fondamentales, non pas en ce sens qu’elles puissent devenir indépendantes de la volonté nationale, mais parce que les corps qui existent et agissent par elles ne peuvent point y toucher. Dans chaque partie, la constitution n’est pas l’ouvrage du pouvoir constitué, mais du pouvoir constituant. Aucune sorte de pouvoir délégué ne peut rien changer aux conditions de sa délégation. C’est en ce sens que les lois constitutionnelles sont fondamentales. Les premières, celles qui établissent la législature, sont fondées par la volonté nationale avant toute constitution ; elles en forment le premier degré. Les secondes doivent être établies par une volonté représentative spéciale. Ainsi toutes les parties du gouvernement se répondent et dépendent en dernière analyse de la nation. Nous n’offrons ici qu’une idée fugitive, mais elle est exacte.

On conçoit facilement ensuite comment les lois proprement dites, celles qui protègent les citoyens et décident de l’intérêt commun, sont l’ouvrage du corps législatif formé et se mouvant d’après ses conditions constitutives. Quoique nous ne présentions ces dernières lois qu’en seconde ligne, elles sont néanmoins les plus importantes, elles sont la fin dont les lois constitutionnelles ne sont que les moyens. On peut les diviser en deux parties ; les lois immédiates ou protectrices, et les lois médiates ou directrices. Ce n’est pas ici le lieu de donner plus de développement à cette analyse.

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Nous avons vu naître la constitution dans la seconde époque. Il est clair qu’elle n’est relative qu’au gouvernement. Il serait ridicule de supposer la nation liée elle-même par les formalités ou par la constitution auxquelles elle a assujetti ses mandataires. S’il lui avait fallu attendre, pour devenir une nation, une manière d’être positive, elle n’aurait jamais été. La nation se forme par le seul droit naturel. Le gouvernement, au contraire, ne peut appartenir qu’au droit positif. La nation est tout ce qu’elle peut être, par cela seul qu’elle est. Il ne dépend point de sa volonté de s’attribuer plus de droits qu’elle n’en a à sa première époque, elle a tous ceux d’une nation. À la seconde époque, elle les exerce ; à la troisième elle en fait exercer par ses représentants tout ce qui est nécessaire pour la conservation et le bon ordre de la communauté. Si l’on sort de cette suite d’idées simples, on ne peut que tomber d’absurdités en absurdités. Le gouvernement n’exerce un pouvoir réel qu’autant qu’il est constitutionnel ; il n’est légal qu’autant qu’il est fidèle aux lois qui lui ont été imposées. La volonté nationale, au contraire, n’a besoin que de sa réalité pour être toujours légale, elle est l’origine de toute légalité. Non seulement la nation n’est pas soumise à une constitution, mais elle ne peut pas l’être, mais elle ne doit pas l’être, ce qui équivaut encore à dire qu’elle ne l’est pas.

Elle ne peut pas l’être. De qui, en effet, aurait-elle pu recevoir une forme positive ? Est-il une autorité antérieure qui ait pu dire à une multitude d’individus : « je vous réunis sous telles lois ; vous formerez une nation aux conditions que je vous prescris ? » nous ne parlons pas ici brigandage ni domination, mais association légitime, c’est-à-dire volontaire et libre. Dira-t-on qu’une nation peut, par un premier acte de sa volonté, à la vérité indépendant de toute forme, s’engager à ne plus vouloir à l’avenir que d’une manière déterminée ? D’abord, une nation ne peut ni aliéner, ni s’interdire le droit de vouloir ; et quelle que soit sa volonté, elle ne peut pas perdre le droit de la changer dès que son intérêt l’exige. En second lieu, envers qui cette nation se serait-elle engagée ? Je conçois comment elle peut obliger ses membres, ses mandataires, et tout ce qui lui appartient ; mais peut-elle, en aucun sens, s’imposer des devoirs envers elle-même ? Qu’est-ce qu’un contrat avec soi-même ? Les deux termes étant la même volonté, elle peut toujours se dégager du prétendu engagement.

Quand elle le pourrait, une nation ne doit pas se mettre dans les entraves d’une forme positive. Ce serait s’exposer à perdre sa liberté sans retour, car il ne faudrait qu’un moment de succès à la tyrannie, pour dévouer les peuples, sous prétexte de constitution, à une forme telle, qu’il ne leur serait plus possible d’exprimer leur volonté, et par conséquent de secouer les chaînes du despotisme. On doit concevoir les nations sur la terre comme des individus hors du lien social, ou, comme l’on dit, dans l’état de nature. L’exercice de leur volonté est libre et indépendant de toutes formes civiles. N’existant que dans l’ordre naturel, leur volonté, pour sortir tout son effet, n’a besoin que de porter les caractères naturels d’une volonté. De quelque manière qu’une nation veuille, il suffit qu’elle veuille ; toutes les formes sont bonnes, et sa volonté est toujours la loi suprême. Puisque, pour imaginer une société légitime, nous avons supposé aux volontés individuelles, purement naturelles, la puissance morale de former l’association, comment refuserions-nous de reconnaître une force semblable dans une volonté commune, également naturelle ?

Une nation ne sort jamais de l’état de nature, et au milieu de tant de périls, elle n’a jamais trop de toutes les manières possibles d’exprimer sa volonté. Répétons-le : une nation est indépendante de toute forme ; et de quelque manière qu’elle veuille, il suffit que sa volonté paraisse, pour que tout droit positif cesse devant elle, comme devant la source et le maître suprême de tout droit positif. Mais il est une preuve encore plus pressante de la vérité de nos principes. Une nation ne doit ni ne peut s’astreindre à des formes constitutionnelles, car au premier différend qui s’élèverait entre les parties de cette constitution, que deviendrait la nation ainsi disposée à ne pouvoir agir que suivant la constitution disputée ? Faisons attention combien il est essentiel, dans l’ordre civil, que les citoyens trouvent dans une partie du pouvoir actif une autorité prompte à

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terminer leurs procès. De même, les diverses branches du pouvoir actif doivent pouvoir invoquer la décision de la législature dans toutes les difficultés qu’elles rencontrent. Mais si votre législature elle-même, si les différentes parties de cette première constitution ne s’accordent pas entre elles, qui sera le juge suprême ? Car il en faut toujours un, ou bien l’anarchie succède à l’ordre.

Comment imagine-t-on qu’un corps constitué puisse décider de sa constitution ? Une ou plusieurs parties intégrantes d’un corps moral ne sont rien séparément. Le pouvoir n’appartient qu’à l’ensemble. Dès qu’une partie réclame, l’ensemble n’est plus ; or s’il n’existe pas, comment pourrait-il juger ? Ainsi donc, on doit sentir qu’il n’y aurait plus de constitution dans un pays, au moindre embarras qui surviendrait entre ses parties, si la nation n’existait indépendante de toute règle et de toute forme constitutionnelle. À l’aide de ces éclaircissements, nous pouvons répondre à la question que nous nous sommes faite. Il est constant que les parties de ce que vous croyez être la constitution française ne sont pas d’accord entre elles. À qui donc appartient-il de décider ? À la nation, indépendante, comme elle l’est nécessairement, de toute forme positive. Quand même la nation aurait ces états généraux réguliers, ce ne serait pas à ce corps constitué à prononcer sur un différend qui touche à sa constitution. Il y aurait à cela une pétition de principes, un cercle vicieux.

Les représentants ordinaires d’un peuple sont chargés d’exercer, dans les formes constitutionnelles, toute cette portion de la volonté commune, qui est nécessaire pour le maintien d’une bonne administration. Leur pouvoir est borné aux affaires du gouvernement.

Des représentants extraordinaires auront tel nouveau pouvoir qu’il plaira à la nation de leur donner. Puisqu’une grande nation ne peut s’assembler elle-même en réalité toutes les fois que des circonstances hors de l’ordre commun pourraient l’exiger, il faut qu’elle confie à des représentants extraordinaires les pouvoirs nécessaires dans ces occasions. Si elle pouvait se réunir devant vous et exprimer sa volonté, oseriez-vous la lui disputer, parce qu’elle ne l’exerce pas dans une forme plutôt que dans une autre ? Ici, la réalité est tout, la forme n’est rien.

Un corps de représentants extraordinaires supplée à l’assemblée de cette nation. Il n’a pas besoin, sans doute, d’être chargé de la plénitude de la volonté nationale ; il ne lui faut qu’un pouvoir spécial, et dans des cas rares ; mais il remplace la nation dans son indépendance de toutes formes constitutionnelles. Il n’est pas nécessaire ici de prendre tant de précautions pour empêcher l’abus de pouvoir ; ces représentants ne sont députés que pour une seule affaire, et pour un temps seulement. Je dis qu’ils ne sont point astreints aux formes constitutionnelles sur lesquelles ils ont à décider. 1º cela serait contradictoire ; car ces formes sont indécises, c’est à eux à les régler. 2º ils n’ont rien à dire dans le genre d’affaires pour lequel on avait fixé les formes positives. 3º ils sont mis à la place de la nation elle-même ayant à régler la constitution. Ils en sont indépendants comme elle. Il leur suffit de vouloir comme veulent des individus dans l’état de nature. De quelque manière qu’ils soient députés, qu’ils s’assemblent et qu’ils délibèrent, pourvu qu’on ne puisse pas ignorer (et comment la nation, qui les commet, l’ignorerait-elle ?) qu’ils agissent en vertu d’une commission extraordinaire des peuples, leur volonté commune vaudra celle de la nation elle-même.

Je ne veux pas dire qu’une nation ne puisse donner à ses représentants ordinaires la nouvelle commission dont il s’agit ici. Les mêmes personnes peuvent sans doute concourir à former différents corps. Mais toujours est-il vrai qu’une représentation extraordinaire ne ressemble point à la législature ordinaire. Ce sont des pouvoirs distincts. Celle-ci ne peut se mouvoir que dans les formes et aux conditions qui lui sont imposées. L’autre n’est soumise à aucune forme en particulier : elle s’assemble et délibère, comme ferait la nation elle-même, si, n’étant composée que d’un petit nombre d’individus, elle voulait donner une constitution à son gouvernement. Ce ne sont point, ici, des distinctions inutiles. Tous les principes que nous venons de citer sont

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essentiels à l’ordre social ; il ne serait pas complet, s’il pouvait se rencontrer un seul cas sur lequel il ne pût indiquer des règles de conduite capables de pourvoir à tout.

Il est temps de revenir au titre de ce chapitre. Qu’aurait-on dû faire au milieu de l’embarras et des disputes sur les prochains états généraux ? Appeler des notables ? Non. Laisser languir la nation et les affaires ? Non. Manœuvrer auprès des parties intéressées pour les engager à céder chacune de leur côté ? Non. Il fallait recourir au grand moyen d’une représentation extraordinaire. C’est la nation qu’il fallait consulter. […]

Document n° 2. Extrait du discours du député Frochot sur le mode de révision constitutionnelle, Assemblée constituante, séance du 31 août 1791, Archives parlementaires, t. 30, p. 95

« Messieurs, le législateur satisfait d’avoir constitué un grand peuple et donné des lois à son pays, croirait en vain que sa tâche est remplie. Il n’a rien fait encore, si le caprice ou l’ambition des hommes peuvent à chaque instant menacer et détruire son ouvrage. Il n’a rien fait encore, si l’égide immuable de la raison ne protège pas, contre le délire de l’inconstance, les institutions qu’il a formées ; si enfin il ne leur a pas attaché la garantie sacrée du temps. Mais aussi, Messieurs, les droits des nations ont été proclamés en vain, si l’on ne reconnaît pas ce principe : qu’au peuple appartient le pouvoir de rectifier, de modifier sa constitution, de la détruire même, de changer la forme de son gouvernement, et d’en créer une autre ; ou plutôt, il importe peu au principe en lui-même qu’il soit consacré par la constitution. L’éternelle vérité n’a pas besoin d’être déclarée, elle est préexistante à tous les temps, commune à tous les lieux, indépendante de tous les pactes. Dès en abordant la question, vous apercevez donc, Messieurs, d’une part un grand principe à respecter ; de l’autre, de grandes erreurs à prévenir dans son application. Cependant, laisserai-je sans réponse un argument proposé plus d’une fois contre la prévoyance du législateur à cet égard ? Des hommes inattentifs, mais de bonne foi, ont prétendu qu’ici était la fin de nos pouvoirs, et que tout acte ultérieur deviendrait une atteinte aux droits sacrés du peuple. […]

Nous admettons tous, comme attribut essentiel de la puissance nationale, le droit de modifier ou de changer la constitution ; mais je demande à ceux qui ne veulent rien d’ultérieur à la déclaration de ce principe, je leur demande quels moyens leur restent de provoquer l’exercice d’un tel droit. Je n’en connais que deux : La forme légale et l’insurrection. La forme légale si la constitution a voulu l’indiquer. L’insurrection, lorsque la constitution est muette.

Cela posé, l’argument que je combats se réduit à cette question fort simple : Dans le choix des moyens, l’insurrection vaut-elle mieux que la forme légale ? Présenter ainsi la question, c’est, je crois, la discuter, et c’est aussi la résoudre ; car je ne pense pas qu’une seule voix se fasse entendre pour vanter parmi nous les douceurs de l’insurrection. Mais la souveraineté nationale, a-t-on dit, ne peut se donner aucune chaîne, sa détermination future ne peut être interprétée ou prévue, ni soumise à des formes certaines ; car il est de son essence de pouvoir ce qu’elle voudra et de la manière dont elle voudra. Eh bien, Messieurs, c’est précisément par un effet de cette toute-puissance que la nation veut aujourd’hui, en consacrant son droit, se prescrire à elle-même un moyen légal et paisible de l’exercer ; et, loin de trouver dans cet acte une aliénation de la souveraineté nationale, j’y remarque au contraire l’un des plus beaux monuments de sa force et de son indépendance ».

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Document n° 3. Constitution du 3 septembre 1791 (extraits) TITRE III - Des pouvoirs publics Article 1. - La Souveraineté est une, indivisible, inaliénable et imprescriptible. Elle appartient à la Nation ; aucune section du peuple, ni aucun individu, ne peut s'en attribuer l'exercice. Article 2. - La Nation, de qui seule émanent tous les Pouvoirs, ne peut les exercer que par délégation. - La Constitution française est représentative : les représentants sont le Corps législatif et le roi. Article 3. - Le Pouvoir législatif est délégué à une Assemblée nationale composée de représentants temporaires, librement élus par le peuple, pour être exercé par elle, avec la sanction du roi, de la manière qui sera déterminée ci-après. Article 4. - Le Gouvernement est monarchique : le Pouvoir exécutif est délégué au roi, pour être exercé sous son autorité, par des ministres et autres agents responsables, de la manière qui sera déterminée ci-après. Article 5. - Le Pouvoir Judiciaire est délégué à des juges élus à temps par le peuple. [...]TITRE VII - De la révision des décrets constitutionnels Article 1. - L'Assemblée nationale constituante déclare que la Nation a le droit imprescriptible de changer sa Constitution ; et néanmoins, considérant qu'il est plus conforme à l'intérêt national d'user seulement, par les moyens pris dans la Constitution même, du droit d'en réformer les articles dont l'expérience aurait fait sentir les inconvénients, décrète qu'il y sera procédé par une Assemblée de révision en la forme suivante : Article 2. - Lorsque trois législatures consécutives auront émis un voeu uniforme pour le changement de quelque article constitutionnel, il y aura lieu à la révision demandée. (…) Article 8. - L'Assemblée de révision sera tenue de s'occuper ensuite, et sans délai, des objets qui auront été soumis à son examen : aussitôt que son travail sera terminé, les deux cent quarante-neuf membres nommés en augmentation, se retireront sans pouvoir prendre part, en aucun cas, aux actes législatifs. Les colonies et possessions françaises dans l'Asie, l'Afrique et l'Amérique, quoiqu'elles fassent partie de l'Empire français, ne sont pas comprises dans la présente Constitution. Aucun des pouvoirs institués par la Constitution n'a le droit de la changer dans son ensemble ni dans ses parties, sauf les réformes qui pourront y être faites par la voie de la révision, conformément aux dispositions du titre VII ci-dessus. […]

Document n° 4. Déclaration de l’Indépendance des Etats-Unis, 4 juillet 1776 (traduction de Thomas Jefferson – extraits)

[…] Nous tenons pour évidentes par elles-mêmes les vérités suivantes : tous les hommes sont

créés égaux ; ils sont doués par leur Créateur de certains droits inaliénables ; parmi ces droits se trouvent la vie, la liberté et la recherche du bonheur. Les gouvernements sont établis par les hommes pour garantir ces droits, et leur juste pouvoir émane du consentement des gouvernés. Toutes les fois qu’une forme de gouvernement devient destructive de ce but, le peuple a le droit de la changer ou de l’abolir, et d’établir un nouveau gouvernement, en le fondant sur les principes et en l’organisant en la forme qui lui paraîtront les plus propres à lui donner la sûreté et le bonheur. La prudence enseigne, à la vérité, que les gouvernements établis depuis longtemps ne

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doivent pas être changés pour des causes légères et passagères ; et l’expérience de tous les temps a montré, en effet, que les hommes sont plus disposés à tolérer des maux supportables qu’à se faire justice à eux-mêmes, en abolissant les formes auxquelles ils sont accoutumés. Mais, lorsqu’une longue suite d’abus et d’usurpations, tendant invariablement au même but, marque le dessein de les soumettre au despotisme absolu, il est de leur droit, il est de leur devoir, de rejeter un tel gouvernement et de pourvoir par de nouvelles sauvegardes à leur sécurité future. Telle a été la patience de ces colonies, et telle est aujourd’hui la nécessité qui les force à changer leurs anciens systèmes de gouvernement. L’histoire du roi actuel de la Grande-Bretagne est l’histoire d’une série d’injustices et d’usurpations répétées qui, toutes, avaient pour but direct l’établissement d’une tyrannie absolue sur ces États. […]

En conséquence, Nous, les représentants des États-Unis d’Amérique assemblés en Congrès général, prenant à témoin le Juge suprême de l’univers de la droiture de nos intentions, publions et déclarons solennellement, au nom et par l’autorité du bon peuple de ces colonies, que ces Colonies unies sont et ont droit d’être des États libres et indépendants ; qu’elles sont dégagées de toute obéissance envers la Couronne de la Grande-Bretagne ; que tout lien politique entre elles et l’État de la Grande-Bretagne est et doit être entièrement dissous ; que, comme les États libres et indépendants, elles ont pleine autorité de faire la guerre, de conclure la paix, de contracter des alliances, de réglementer le commerce et de faire tous autres actes ou choses que des États indépendants ont droit de faire […] Document n° 5. Carré de Malberg R., Contribution à la théorie générale de l’État, spécialement d’après les données fournies par le droit constitutionnel français, 1920-1922, t. II, p. 489 et s.

Que faut-il penser de la théorie qui part de l’idée que la souveraineté constituante réside, en principe, dans le peuple ? Pour en apprécier la valeur, il convient d’envisager, d’abord, la première Constitution de l’État, celle même d’où il est né.

On vient de voir qu’il existe, au sujet de cette Constitution initiale, une doctrine fort

répandue, qui s’efforce de lui découvrir une base juridique, et qui prétend trouver cette base dans les volontés individuelles des hommes composant la nation. Mais cette doctrine repose sur une erreur fondamentale, qui est de même nature que celle qui vicie la théorie du contrat social. L’erreur, c’est, en effet, de croire qu’il soit possible de donner une construction juridique aux événements ou aux actes qui ont pu déterminer la fondation de l’État et de sa première organisation. Pour qu’une telle construction fût possible, il faudrait que le droit fût antérieur à l’État : en ce cas, la procédure créatrice de l’organisation originaire de l’État pourrait être considérée comme régie par l’ordre juridique qui lui a préexisté. Cette croyance à un droit antérieur à l’État constitue le fond même des conceptions émises en matière d’organisation étatique, du XVIe au XVIIIe siècle, par les juristes et les philosophes de l’école du droit de la nature ; elle a inspiré pareillement les hommes de la Révolution : comme on l’a vu plus haut, c’est en partant de l’idée d’un droit naturel qu’ils ont été amenés à formuler, à la base de leur œuvre constituante, ces Déclarations de droits, qui, dans leur pensée, devaient, tout à la fois, précéder et conditionner le pacte social et l’acte constitutionnel, en même temps qu’elles leur serviraient de fondement à tous les deux. Mais, s’il n’est pas possible de contester l’existence de préceptes de morale ou de justice supérieurs aux lois positives, il est certain aussi que ces préceptes ne sauraient, par leur seule vertu ou supériorité – encore que celle-ci soit transcendante – constituer des règles de droit. Car, le droit, au sens propre du mot, n’est pas autre chose que l’ensemble des règles imposées aux hommes sur un territoire déterminé par une autorité

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supérieure, capable de commander avec une puissance effective de domination et de contrainte irrésistible. Or, précisément, cette autorité dominatrice n’existe que dans l’État : cette puissance positive de commandement et de coercition, c’est proprement la puissance étatique. Dès lors, il apparaît que le droit proprement dit ne peut se concevoir que dans l’État une fois formé ; et par suite, il est vain de rechercher le fondement ou la genèse juridiques de l’État. L’État, étant la source du droit, ne peut avoir lui-même sa source dans le droit.

Il résulte de là que la formation initiale de l’État, comme aussi sa première organisation, ne

peuvent être considérées que comme un pur fait, qui n’est susceptible d’être classé dans aucune catégorie juridique, car ce fait n’est point gouverné par des principes de droit. Dans l’État une fois constitué, la question de la formation des groupements de droit privé à créer entre ses membres, ou encore celle de la formation unifiée des collectivités publiques inférieures à l’État, est une question parfaitement juridique, parce que ces groupes se forment sous l’empire du droit existant dans l’État, et l’on comprend alors que leur création soit régie par des prescriptions juridiques : on comprend, par exemple, que la création d’une société et de son statut organique exige, de la part des associés fondateurs, un échange contractuel de consentements individuels, intervenant dans certaines conditions fixées par la loi de l’État, et faisant de cette création un acte juridique nettement caractérisé. Au contraire, la formation de l’État n’est commandée par aucun ordre juridique préexistant : elle est la condition du droit, elle n’est point conditionnée par le droit. On ne peut pas affirmer que l’État n’existera qu’à la condition d’avoir été engendré par le consentement de tous les membres de la nation ou même de leur majorité. Il n’est pas sans exemple que la formation de l’État ait été le résultat de la force, ainsi que le déclare M. Michoud (cité supra, t. I, note 8, p. 62). En d’autres termes, à l’origine de l’État, il n’y a place que pour du fait, et non pour du droit. Tout ce que peut faire le juriste, c’est de constater que l’État se trouve formé à partir du moment où la collectivité nationale, fixée sur un certain territoire, possède, en fait, des organes exprimant sa volonté, établissant son ordre juridique et imposant supérieurement sa puissance de commandement. Quant à rechercher par quel processus juridique ces organes primitifs ont été constitués, non seulement ce n’est pas là le problème capital de la science du droit public, mais ce n’est même pas du tout un problème juridique. La doctrine qui prétend, en remontant le cours successif des Constitutions, finir par découvrir la source juridique de l’État, repose sur une erreur complète. La source de l’État, c’est du fait : à ce fait se rattache ultérieurement le droit1.

1 Bien entendu, la possibilité d’une organisation étatique, qui serait fondée sur la force ou sur une volonté ne présentant pas le caractère de volonté nationale, est exclue en France : elle est inconciliable avec le concept de souveraineté de la nation, qui est à la base du droit public français tout entier. Lorsque l’Assemblée nationale de 1789 s’est mise à l’œuvre pour donner au peuple français une Constitution, qui prenait à cette époque et qui a gardé depuis lors un caractère originaire, en ce sens que cette Constitution rénovait de fond en comble l’organisation de l’État français, il était déjà admis et posé en principe que la souveraineté, en France, est un pouvoir essentiellement national, qui ne saurait avoir son siège dans un individu ou un groupe en particulier. Ce principe, proclamé préalablement à toute Constitution positive, devait désormais former le point de départ de toute l’organisation constitutionnelle à élaborer. Il excluait, aussi bien en ce qui concerne le pouvoir constituant que dans l’ordre des pouvoirs constitués, tout système organique qui pût impliquer une mainmise, au profit de quelques-uns, sur la puissance dont est seule titulaire l’universalité nationale. Au point de vue international, le droit public français s’est bien vu obligé parfois de reconnaître l’existence d’États qui devaient leur fondation à la force ; à son point de vue propre, le droit public interne de la France a, dès ses origines modernes, condamné et répudié la force comme mode de formation de la nation et de son organisation étatique. Selon le principe de la souveraineté nationale, les organes étatiques de toute sorte, à

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commencer par l’organe constituant, doivent posséder le caractère d’organes nationaux, en ce sens que, par l’effet, soit de leurs attaches avec le corps national, soit de leur structure ou composition, les volontés qu’ils exprimeront, puissent être considérées comme ayant même nature que celles qui se dégageraient de l’ensemble de la nation, si celle-ci pouvait directement apprécier ses intérêts et formuler en conséquence ses volontés.

Document n° 6. Jouanjan O., « La forme républicaine de gouvernement, norme supraconstitutionnelle ? », in La République en droit français. Actes du colloque de Dijon – 10 et 11décembre 1992 (dir. B. Mathieu et M. Verpeaux), Economica, 1996, p. 280-282

Comment le même pouvoir peut-il être dans un cas « originaire » et dans l’autre cas « dérivé » ? Comme l’exprime parfaitement Olivier Beaud : si par dérivé on veut désigner ce fait que le pouvoir en question est un pouvoir habilité, alors on pose une distinction de nature entre un pouvoir habilité et un pouvoir originaire inconditionné. Les ranger dans une même catégorie, celle du pouvoir « constituant », relève peut-être d’une « faute de logique », cela, en tout état de cause, revient à nier en même temps qu’on l’affirme la distinction entre les deux pouvoirs : ils sont à la fois identiques (expression du pouvoir constituant) et différents (habilité ou originaire). Une telle classification, derrière l’apparence de son caractère logiquement impeccable (la différence spécifique fournit le critère de distinction au-dedans du genre), nous paraît en réalité ne rien trancher et laisser ouvertes toutes les possibilités explicatives qui conviendront à l’interprète : il appuiera sur l’identité de genre (la révision est l’exercice du pouvoir constituant) lorsque cela lui conviendra (le pouvoir constituant ne saurait être matériellement limité), et sur la différence spécifique selon les besoins de la cause (par exemple : la révision de 1962 est inconstitutionnelle). Bref, sur la base d’une telle classification, on peut soutenir tout et son contraire : il suffit de déplacer les accents.

Il est remarquable que la doctrine utilise pour désigner le pouvoir de révision les concepts

de pouvoir constituant « dérivé » ou « institué ». En effet, dès lors que l’on voulait continuer de qualifier le pouvoir de révision de pouvoir constituant, pour désigner un pouvoir établi par la Constitution, il pouvait évidemment apparaître assez contradictoire de le nommer le « pouvoir constituant constitué ». On a certes effacé cette contradiction au plan terminologique en utilisant ces euphémismes que sont les adjectifs « dérivé » ou « institué ». Mais on n’a pas effacé la contradiction conceptuelle que dévoile pleinement l’idée, difficilement acceptable, d’un pouvoir constituant constitué. Quelle signification spécifique peut-on attacher aux adjectifs institué ou dérivé qui les distingueraient de l’adjectif constitué ?

Enfin, dans ce registre des difficultés, il faut encore compter la suivante : on affirme le

caractère « inconditionné » du pouvoir constituant originaire ; il lui est dès lors loisible d’instituer un pouvoir de révision auquel il peut prescrire une procédure ; mais il apparaît alors difficile de lui refuser, dans le même temps, cette liberté de limiter la compétence matérielle de ce pouvoir « conditionné » qu’est le pouvoir de révision. Nous ne trouvons aucune explication juridique de la raison pour laquelle les règles de procédure imposées au pouvoir de révision seraient valides et efficaces mais pas, à l’inverse, les règles matérielles. Très significativement, le doyen Vedel écrivait : la Constitution fixe « les conditions, au moins les conditions de forme dans lesquelles ce pouvoir constituant (dérivé) est exercé ». Que signifie cet « au moins » si l’on refuse (et pour quel motif normatif ?) les limitations constitutionnelles matérielles ?

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Le pouvoir constituant « originaire » nous l’appellerons simplement, avec Olivier Beaud et la doctrine allemande, le pouvoir constituant (verfassunggebende Gewald, litt. : le pouvoir donateur de la Constitution). Il est inconditionné (absence de normes supra-constitutionnelles). Sa fonction consiste à donner à une unité politique déjà constituée ou qui se constitue par le même acte, le statut des pouvoirs politiques qui sont ainsi légitimés en même temps que limités.

Parmi ces pouvoirs constitués, il a le pouvoir de révision qui agit en vertu d’une compétence

établie par la Constitution. Ce pouvoir est habilité (et légitimé) par le Constituant à modifier le texte de la Constitution dans le respect de certaines formes et procédures et dans les limites (matérielles, circonstancielles) établies par cette Constitution.

Le pouvoir constituant étant inconditionné, il est juridiquement libre de permettre la

révision totale de la Constitution (et, comme en Suisse, par exemple, de la soumettre à une procédure différente de la révision partielle) ou de soustraire certains objets à la compétence du pouvoir de révision, comme, d’ailleurs, il est libre de ne pas instituer de pouvoir de révision. La décision sur cette question est une décision de politique constitutionnelle qui relève de l’appréciation souveraine du constituant.

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Université Paris 8

Introduction au Droit constitutionnel (Semestre I)

Séance de travaux dirigés n° 4 : La justice constitutionnelle Document n° 1. Favoreu, L., « Justice constitutionnelle », dans Y. Mény, O. Duhamel, dir., Dictionnaire constitutionnel, PUF, 1992, p. 556-558 (extraits). Document n° 2. Fromont, M., Justice constitutionnelle comparée, Dalloz, 2013, p. 80-81 et 107-108 (extraits). Document n° 3. Cour suprême américaine, Marbury v. Madison (1803) (extraits), cité dans E. Zoller, Les grands arrêts de la Cour suprême des États-Unis, Dalloz, coll. « Grands arrêts », 2010, p. 10-12. Document n° 4. Tocqueville, A., De la Démocratie en Amérique, 1835, Livre I, Chapitre VI, 1ère partie (extraits). Document n° 5. Carcassonne G., Duhamel O., Duffy A., QPC. La question prioritaire de constitutionnalité, Dalloz, 2e éd., 2015 (extraits). Document n° 6. Avril, P., « Le juge et le représentant », Le Débat, 1993, n° 74, p. 151-155 (extraits). Document n° 7. Troper, M., « Le bon usage des spectres. Du gouvernement des juges au gouvernement par les juges », dans Le nouveau constitutionnalisme. Mélanges en l’honneur de Gérard Conac, Économica, 2001, p. 49-65 (extraits).

Dissertation : « Le juge constitutionnel dispose-t-il d’un pouvoir excessif ? »

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Document n° 1. Favoreu, L., « Justice constitutionnelle », dans Y. Mény, O. Duhamel, dir., Dictionnaire constitutionnel, PUF, 1992, p. 556-558 (extraits). Notion. L’expression désigne l’ensemble des institutions et techniques grâce auxquelles est assurée, sans restriction, la suprématie de la Constitution. Il s’agit évidemment d’une première définition qui demande à être affinée et précisée mais est susceptible de fournir un point de départ. Il est difficile de déterminer exactement quand apparaît la notion ; mais on notera que Hans Kelsen et Charles Eisenmann l’utilisent dès 1928 avec le sens qu’on lui connaît aujourd’hui. Pour Kelsen, la justice constitutionnelle, c’est ‘la garantie juridictionnelle de la constitution’. Eisenmann donne une première définition simple, aux termes de laquelle ‘la justice constitutionnelle est cette sorte de justice ou mieux de juridiction qui porte sur les lois constitutionnelles’. Il complètera cette première définition en distinguant ‘justice constitutionnelle’ et ‘juridiction constitutionnelle’, la seconde étant l’organe par lequel s’exerce la première, et en dégageant ensuite le sens juridique de la justice constitutionnelle. ‘Le sens juridique de la justice constitutionnelle… est donc, en dernière analyse, de garantir la répartition de la compétence entre législation ordinaire et législation constitutionnelle, d’assurer le respect de la compétence du système des règles ou de l’organe suprême de l’ordre étatique’. Cela nous paraît être l’élément décisif permettant de déceler l’existence de la justice constitutionnelle : s’il ne rentre pas dans les attributions d’une juridiction de ‘garantir la répartition de la compétence entre législation ordinaire et législation constitutionnelle’, cette juridiction n’exerce pas la justice constitutionnelle et n’est donc pas une juridiction constitutionnelle. C’est le cas en France de toutes les juridictions administratives et judiciaires y compris le Conseil d’Etat et la Cour de cassation. Ce vocabulaire moderne ne sera pas utilisé, pendant longtemps, par la doctrine française qui préférera parler de ‘contrôle de constitutionnalité des lois’. En fait, le contrôle de constitutionnalité des lois n’est qu’une des techniques à la disposition de la justice constitutionnelle. C’est sans doute la plus importante mais elle ne représente que l’un deséléments de la théorie de la justice constitutionnelle et ne s’identifie pas à celle-ci. Missions. La justice constitutionnelle peut assumer quatre missions principales et des missions secondaires : mais il convient de préciser que chaque système de justice constitutionnelle ne comporte pas nécessairement l’ensemble de ces missions et qu’il y a une assez grande variété de situations possibles. Une première mission consiste à veiller à l’authenticité des manifestations de volonté du peuple souverain, soit que celui-ci désigne des représentants par la voie de l’élection, soit qu’il prenne lui-même des décisions par voie de référendum. Le contentieux des votations peut être confié au juge constitutionnel soit directement (comme en Autriche ou en France), soit en appel des décisions de l’assemblée parlementaire procédant elle-même à la vérification des pouvoirs de ses membres (République fédérale d’Allemagne). Il est également des cas où cette mission n’est pas confiée au juge constitutionnel, le système de la vérification des pouvoirs par l’assemblée étant seul concevable (par exemple, aux Etats- Unis). Il entre généralement dans les tâches de la justice constitutionnelle de veiller au respect des répartitions horizontales et verticales des pouvoirs établies par la Constitution. La répartition horizontale des pouvoirs est contrôlée par le juge constitutionnel de diverses manières. Il peut exister, tout d’abord, une procédure particulière permettant aux divers pouvoirs publics de saisir directement la justice constitutionnelle afin de faire trancher les conflits de compétence les opposant entre eux et résultant d’interprétation divergentes de la Constitution (c’est le cas, par exemple, en République fédérale d’Allemagne, Autriche, Italie et Espagne). Mais il est également

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possible que le maintien de l’équilibre entre les divers pouvoirs publics, tel qu’il est voulu par la Constitution, soit assuré, de manière indirecte par le juge constitutionnel : ainsi, en France, peut-on considérer que les diverses procédures permettant au Conseil constitutionnel de faire respecter la répartition des compétences entre le Parlement et le gouvernement, telle qu’elle est établie notamment par les articles 34 et 37 de la Constitution, ont pour résultat d’assurer le respect de la division horizontale des pouvoirs. La répartition verticale des pouvoirs a surtout une importance dans les Etats fédéraux et quasi fédéraux et c’est dans ces Etats que la justice constitutionnelle joue un grand rôle en maintenant l’équilibre entre pouvoir central et pouvoirs locaux. Ainsi en est-il, évidemment, aux Etats-Unis ou au Canada ou encore en République fédérale d’Allemagne ; et aussi dans les Etats parfois appelés régionaux ou autonomiques, tels que l’Espagne ou l’Italie. Mais l’expérience française depuis 1982 montre que ce rôle peut aussi être important dans un pays comme la France. La dernière mission essentielle est la protection des droits et libertés fondamentaux. On a souvent tendance à considérer que l’activité de la justice constitutionnelle est, principalement sinon exclusivement, consacrée à cela, alors que d’autres missions ont une importance très grande. Au Canada, par exemple, la justice constitutionnelle a longtemps eu pour activité essentielle le contrôle de la répartition verticale des pouvoirs et ce n’est qu’à partir de ‘l’enchâssement’ d’une Déclaration des droits dans la Constitution, en 1982, que la protection des droits fondamentaux est devenue une attribution essentielle. Il est vrai cependant que, dès qu’elle se développe, cette mission de la justice constitutionnelle a tendance à reléguer les autres au second plan (exemples de la France, après 1974, et du Canada, après 1982) ». Document n° 2. Fromont, M., Justice constitutionnelle comparée, Dalloz, 2013, p. 80-81 et 107-108 (extraits).

Les procédures permettant l'exercice de la justice constitutionnelle se sont considérablement diversifiées depuis le début du XIXe siècle. A priori, il existe trois grandes masses de contentieux constitutionnel : le contentieux du fonctionnement des pouvoirs publics qui oppose les principales autorités politiques, le contentieux de la constitutionnalité des règles de droit et le contentieux des actes attentatoires aux droits de l'homme, ces deux derniers contentieux pouvant être déclenchés tant par certaines autorités publiques que par de simples particuliers. Mais, en réalité, il y a trop de connexions entre ces deux derniers contentieux pour qu'ils puissent être présentés de façon entièrement distincte.

[...]

Aujourd'hui, l'essentiel du contentieux constitutionnel concerne la constitutionnalité des règles de droit et de leur application aux particuliers. Par règles de droit, il faut entendre principalement les lois. Toutefois, dans certains pays, ce contrôle s'étend à une grande variété de règles de droit : règlements administratifs, traités internationaux et même lois constitutionnelles. Mais les règles de droit ne produisent leur plein effet que lorsqu'elles sont appliquées aux personnes privées soit par les autorités exécutives, principalement les autorités administratives, soit par les autorités juridictionnelles. C'est pourquoi le contrôle de la constitutionnalité de l'application des lois est aussi important que le contrôle de constitutionnalité des lois elles-mêmes.

À première vue, on pourrait penser que le contentieux des règles de droit et le contentieux de l'application des règles de droit constituent deux masses bien distinctes. En réalité, il convient de distinguer au moins trois catégories de contentieux. En premier lieu, il y a le

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contentieux de la constitutionnalité de l'application des lois (et autres règles de droit), qu'il soit le fait d'un administrateur ou d'une juridiction ; dans ce cas, le juge qui exerce la justice constitutionnelle contrôle la constitutionnalité des décisions individuelles des autorités administratives et des jugements rendus par les juridictions. En second lieu, il y a le contentieux de la constitutionnalité des lois (et autres règles de droit) lors de leur application ; les juristes allemands appellent ce contentieux celui du contrôle concret des normes, parce que la loi (ou, plus généralement la règle de droit) est contestée à l'occasion de son application à une situation concrète et, le plus souvent à la demande de l'une des parties à un litige interindividuel. En troisième lieu, il y a le contentieux de la constitutionnalité des lois en dehors de toute application à des situations concrètes ; c'est pourquoi les juristes allemands parlent de contrôle abstrait de la constitutionnalité. Le plus souvent, ce contrôle est déclenché par des autorités politiques en dehors de toute application concrète ; il peut l'être soit dès l'adoption de la loi, que celle-ci ait été simplement votée, mais encore inapplicable, soit qu'elle soit promulguée et donc applicable ; enfin, ce contrôle consiste à confronter la règle constitutionnelle non à la solution à laquelle conduit l'application de la loi, mais à la règle abstraite contenue dans la loi.

Ces trois types de contentieux correspondent à trois degrés d'abstraction. Le premier type est principalement concret. Le second est en réalité mixte, c'est-à-dire mi-concret, mi-abstrait, car le juge constitutionnel est amené nécessairement à considérer le problème de compatibilité ou d'incompatibilité avec la constitution en prenant déjà en considération les cas voisins de celui qui est à l'origine de la question de droit constitutionnel. Seul le troisième cas est à peu près totalement abstrait, encore qu'il arrive que le législateur ait été amené à édicter la nouvelle loi en ayant à l'esprit un certain nombre de situations concrètes qu'il a pu observer dans les mois qui ont précédé l'élaboration de la loi.

Document n° 3. Cour suprême américaine, Marbury v. Madison (1803) (extraits), cité dans E. Zoller, Les grands arrêts de la Cour suprême des États-Unis, Dalloz, coll. « Grands arrêts », 2010, p. 10-12. […]La question de savoir si un acte contraire à la Constitution peut devenir la loi du pays est une question d’intérêt essentiel pour les Etats-Unis […]. Pour la résoudre, il n’est besoin que de rappeler certains principes depuis longtemps fermement établis. Que le peuple ait le droit originaire d’établir son futur gouvernement sur les principes qui, d’après lui, permettront d’atteindre son bonheur, est le fondement sur lequel repose toute la société américaine. La mise en oeuvre de ce droit originaire exige une grande énergie et, de ce chef, ne peut, ni ne doit être répétée fréquemment. Aussi bien les principes qui sont ainsi établis sont-ils considérés comme fondamentaux. Et comme l’autorité dont ils émanent est suprême, et ne peut agir qu’exceptionnellement, les principes en question sont conçus pour être permanents.

La volonté originaire et suprême organise le gouvernement, et assigne aux différents pouvoirs leurs compétences respectives. Elle peut soit s’arrêter là, soit établir des limites que ces pouvoirs ne devront pas dépasser.

Le gouvernement des Etats-Unis ressort du deuxième modèle. Les compétences du pouvoir législatif sont définies et limitées ; et c’est pour que ces limites ne soient pas ignorées ou oubliées que la Constitution est écrite. À quoi servirait-il que ces pouvoirs soient limités et que ces limites soient écrites si ces dites limites pouvaient, à tout moment, être outrepassées par ceux qu’elles ont pour objet de restreindre ? Lorsque ces limites ne s’imposent pas aux personnes qu’elles

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obligent et lorsque les actes interdits et les actes permis sont également obligatoires, il n’y a plus de différence entre un pouvoir limité et un pouvoir illimité. C’est une proposition trop simple pour être contestée que, soit la Constitution l’emporte sur la loi ordinaire qui lui est contraire, soit le pouvoir législatif peut modifier la Constitution au moyen d’une loi ordinaire.

Entre ces deux possibilités, il n’y a pas de troisième voie. Ou la Constitution est un droit supérieur, suprême, inaltérable par des moyens ordinaires ; ou elle est sur le même plan que la loi ordinaire et, à l’instar des autres lois, elle est modifiable selon la volonté de la législature. Si c’est la première partie de la proposition qui est vraie, alors une loi contraire à la Constitution n’est pas du droit ; si c’est la deuxième qui est vraie, alors les constitutions écrites ne sont que d’absurdes tentatives de la part des peuples de limiter un pouvoir par nature illimité.

Il est certain que ceux qui élaborent les constitutions écrites les conçoivent comme devant former le droit fondamental et suprême de la nation, et que, par conséquent, le principe d’un tel gouvernement est qu’un acte législatif contraire à la Constitution est nul.

Ce principe est consubstantiel à toute constitution écrite et doit, par conséquent, être considéré par cette Cour comme l’un des principes fondamentaux de notre société […]. Si un acte du pouvoir législatif, contraire à la Constitution, est nul, doit-il, nonobstant sa nullité, être considéré comme liant les juges et oblige-t-il ceux-ci à lui donner effet ? Ou, en d’autres termes, bien qu’il ne soit pas du droit, constitue-t-il une règle qui serait en vigueur ? […]. Ce serait renverser en fait ce qui est établi en théorie ; et cela constituerait, à première vue, une absurdité trop énorme pour qu’on y insistât. Il faut pourtant y consacrer une réflexion plus attentive.

C’est par excellence le domaine et le devoir du pouvoir judiciaire de dire ce qu’est le droit. Ceux qui appliquent la règle à des cas particuliers doivent par nécessité expliquer et interpréter cette règle. Lorsque deux lois sont en conflit, le juge doit décider laquelle des deux s’applique.

Dans ces conditions, si une loi est en opposition avec la Constitution, si la loi et la Constitution s’appliquent toutes les deux à un cas particulier, de telle sorte que le juge doit, soit décider de l’affaire conformément à la loi et écarter la Constitution, soit décider de l’affaire conformément à la Constitution et écarter la loi, le juge doit décider laquelle de ces deux règles en conflit gouverne l’affaire. C’est là l’essence même du devoir judiciaire.

Si donc les juges doivent tenir compte de la Constitution, et si la Constitution est supérieure à la loi ordinaire, c’est la Constitution, et non la loi ordinaire, qui régit l’affaire à laquelle toutes les deux s’appliquent.

Ceux qui contestent le principe selon lequel la Constitution doit être tenue par le juge comme une loi suprême en sont réduits à la nécessité de soutenir que les juges doivent ignorer la Constitution et n’appliquer que la loi […].

Document n°4. Tocqueville, A., De la Démocratie en Amérique, 1835, Livre I, Chapitre VI, 1ère partie (extraits). Le juge américain ressemble donc parfaitement aux magistrats des autres nations. Cependant il est revêtu d'un immense pouvoir politique.

D'où vient cela ? Il se meut dans le même cercle et se sert des mêmes moyens que les autres juges ; pourquoi possède-t-il une puissance que ces derniers n'ont pas ?

La cause en est dans ce seul fait : les Américains ont reconnu aux juges le droit de fonder leurs arrêts sur la constitution plutôt que sur les lois. En d'autres termes, ils leur ont permis de ne point

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appliquer les lois qui leur paraîtraient inconstitutionnelles. (...) Si, en France, les tribunaux pouvaient désobéir aux lois, sur le fondement qu‘ils les trouvaient inconstitutionnelles, le pouvoir constituant serait réellement dans leurs mains, puisque seuls ils auraient le droit d‘interpréter une constitution dont nul ne pourrait changer les termes. Ils se mettraient donc à la place de la nation et domineraient la société, autant du moins que la faiblesse inhérente au pouvoir judiciaire leur permettrait de le faire.

Je sais qu‘en refusant aux juges le droit de déclarer les lois inconstitutionnelles, nous donnons indirectement au corps législatif le pouvoir de changer la constitution, puisqu‘il ne rencontre plus de barrière légale qui l‘arrête. Mais mieux vaut encore accorder le pouvoir de changer la constitution du peuple à des hommes qui représentent imparfaitement les volontés du peuple, qu‘à d‘autres qui ne représentent qu‘eux-mêmes.

Il serait bien plus déraisonnable encore de donner aux juges anglais le droit de résister aux volontés du corps législatif, puisque le parlement, qui fait la loi, fait également la constitution, et que, par conséquent, on ne peut, en aucun cas, appeler une loi inconstitutionnelle quand elle émane des trois pouvoirs.

Aucun de ces deux raisonnements n'est applicable à l'Amérique.

Aux États-Unis, la constitution domine les législateurs comme les simples citoyens. Elle est donc la première des lois, et ne saurait être modifiée par une loi. Il est donc juste que les tribunaux obéissent à la constitution, préférablement à toutes les lois. Ceci tient à l‘essence même du pouvoir judiciaire : choisir entre les dispositions légales qui l‘enchaînent le plus étroitement est, en quelque sorte, le droit naturel du magistrat.

En France, la constitution est également la première des lois, et les juges ont un droit égal à la prendre pour base de leurs arrêts ; mais, en exerçant ce droit, ils ne pourraient manquer d'empiéter sur un autre plus sacré encore que le leur : celui de la société au nom de laquelle ils agissent. Ici, la raison ordinaire doit céder devant la raison d‘État.

En Amérique, où la nation peut toujours, en changeant sa constitution, réduire les magistrats à l‘obéissance, un semblable danger n’est pas à craindre. Sur ce point, la politique et la logique sont donc d‘accord, et le peuple ainsi que le juge y conservent également leurs privilèges.

Lorsqu'on invoque, devant les tribunaux des États-Unis, une loi que le juge estime contraire à la Constitution, il peut donc refuser de l'appliquer. Ce pouvoir est le seul qui soit particulier au magistrat américain, mais une grande influence politique en découle.

Il est, en effet, bien peu de lois qui soient de nature à échapper pendant longtemps à l'analyse judiciaire, car il en est bien peu qui ne blessent un intérêt individuel, et que des plaideurs ne puissent ou ne doivent invoquer devant les tribunaux.

Or, du jour où le juge refuse d'appliquer une loi dans un procès, elle perd à l'instant une partie de sa force morale. Ceux qu'elle a lésés sont alors avertis qu'il existe un moyen de se soustraire à l'obligation de lui obéir: les procès se multiplient, et elle tombe dans l'impuissance. Il arrive alors l'une de ces deux choses: le peuple change sa Constitution ou la législature rapporte sa loi.

Les Américains ont donc confié à leurs tribunaux un immense pouvoir politique ; mais en les obligeant à n'attaquer les lois que par des moyens judiciaires, ils ont beaucoup diminué les dangers de ce pouvoir.

Si le juge avait pu attaquer les lois d'une façon théorique et générale ; s'il avait pu prendre l'initiative et censurer le législateur, il fût entré avec éclat sur la scène politique; devenu le champion ou l'adversaire d'un parti, il eut appelé toutes les passions qui divisent le pays à prendre part à la lutte. Mais quand le juge attaque une loi dans un débat obscur et sur une application particulière, il dérobe en partie l'importance de l'attaque aux regards du public. Son arrêt n'a

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pour but que de frapper un intérêt individuel ; la loi ne se trouve blessée que par hasard.

D'ailleurs, la loi ainsi censurée n'est pas détruite : sa force morale est diminuée, mais son effet matériel n'est point suspendu. Ce n'est que peu à peu, et sous les coups répétés de la jurisprudence, qu'enfin elle succombe.

De plus, on comprend sans peine qu'en chargeant l'intérêt particulier de provoquer la censure des lois, en liant intimement le procès fait à la loi au procès fait à un homme, on s'assure que la législation ne sera pas légèrement attaquée. Dans ce système, elle n'est plus exposée aux agressions journalières des partis. En signalant les fautes du législateur, on obéit à un besoin réel: on part d'un fait positif et appréciable, puisqu'il doit servir de base à un procès.

Je ne sais si cette manière d'agir des tribunaux américains, en même temps qu'elle est la plus favorable à l'ordre public, n'est pas aussi la plus favorable à la liberté.

Si le juge ne pouvait attaquer les législateurs que de front, il y a des temps où il craindrait de le faire; il en est d'autres où l'esprit de parti le pousserait chaque jour à l'oser. Ainsi il arriverait que les lois seraient attaquées quand le pouvoir dont elles émanent serait faible, et qu'on s'y soumettrait sans murmurer quand il serait fort ; c'est-à-dire que souvent on attaquerait les lois lorsqu'il serait le plus utile de les respecter, et qu'on les respecterait quand il deviendrait facile d'opprimer en leur nom.

Mais le juge américain est amené malgré lui sur le terrain de la politique. Il ne juge la loi que parce qu'il a à juger un procès, et il ne peut s'empêcher de juger le procès. La question politique qu'il doit résoudre se rattache à l'intérêt des plaideurs, et il ne saurait refuser de la trancher sans faire un déni de justice. C'est en remplissant les devoirs étroits imposés à la profession du magistrat qu'il fait l'acte du citoyen. Il est vrai que, de cette manière, la censure judiciaire, exercée par les tribunaux sur la législation, ne peut s'étendre sans distinction à toutes les lois, car il en est qui ne peuvent jamais donner lieu à cette sorte de contestation nettement formulée qu'on nomme un procès. Et lorsqu'une pareille contestation est possible, on peut encore concevoir qu'il ne se rencontre personne qui veuille en saisir les tribunaux.

Les Américains ont souvent senti cet inconvénient, mais ils ont laissé le remède incomplet, de peur de lui donner, dans tous les cas, une efficacité dangereuse.

Resserré dans ses limites, le pouvoir accordé aux tribunaux américains de prononcer sur l'inconstitutionnalité des lois forme encore une des plus puissantes barrières qu'on ait jamais élevées contre la tyrannie des Assemblées politiques.

Document n° 5. Carcassonne G., Duhamel O., Duffy A., QPC. La question prioritaire de constitutionnalité, Dalloz, 2e éd., 2015 (extraits). Cela nous aura pris plus de deux siècles. Plus de deux siècles pour admettre qu'une loi puisse être imparfaite, et des représentants du peuple mal inspirés ; qu'un gouvernement et sa majorité agissent trop souvent pressés, et que la Constitution s'en trouve malmenée. Que la protéger fait progresser la liberté. Deux siècles pour admettre que sur ce point la révolution américaine avait vu plus juste que la française. Les révolutionnaires, ici très rousseauistes, ne vénéraient que la loi, « expression de la volonté générale ». Encore convient-il de ne pas caricaturer. Montesquieu les inspirait aussi, puisque l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen affirme rien moins que :

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« Toute société dans laquelle la séparation des pouvoirs n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ». Quant à la loi adulée, le même texte fondateur s'en défiait déjà discrètement, par exemple lorsqu'il éprouvait le besoin de disposer en son article 5 qu'elle « n'a le droit de défendre que les actions nuisibles à la société ». Nos pères fondateurs se faisaient donc bien une plus haute idée de la Constitution, et de la Déclaration des droits qui la fonde, que de la loi. Mais ils n'envisageaient pas de confier le contrôle à un juge, quel qu'il fût. Les Parlements de l'Ancien Régime, composés de magistrats, s'étaient en effet opposés par leurs remontrances aux réformes royales – inconcevable alors de les laisser brider la grande transformation enclenchée par la Révolution. La Déclaration de 1789 confia donc, en son préambule, la protection des droits fondamentaux « à tous les Membres du corps social » et, le cas échéant, par son article 2, à « la résistance à l'oppression ». En termes plus modérés, notre première constitution, celle de 1791, s'achève par un appel « à la vigilance des pères de famille, aux épouses et aux mères, à l'affection des jeunes citoyens, au courage de tous les Français ». La suite de l'Histoire révéla combien cet idéalisme se nourrissait de naïveté. L'idée de garantir le respect de la Constitution subit alors d'autres malheurs. Les Bonaparte, dont les régimes sacrifiaient la liberté à l'autorité, chargèrent un « Sénat conservateur », et plus encore soumis, d'apprécier la constitutionnalité des lois. Du coup, les Républiques qui les remplacèrent se gardèrent bien de reprendre un tel mécanisme. Cela nous aura pris près d'un siècle. En Autriche, grâce à Hans Kelsen, la suprématie de la Constitution fut reconnue et garantie par une cour constitutionnelle dès 1920. En France, nous ignorâmes longtemps jusqu'à la notion d'État de droit, d'État limité par le droit et ne pouvant agir que dans son cadre. Combien de fois lit-on encore « état de droit », sans majuscule, comme s'il s'agissait d'une situation conjoncturelle et non d'un agencement structurel ! La France ne se souciait guère d'établir et de conforter un État de droit – même si, sans le dire, elle commençait à le faire, notamment grâce à la jurisprudence de moins en moins docile du Conseil d'État. La préoccupation première restait de conforter le pouvoir, dès lors qu'il était républicain. Cela nous aura pris un demi-siècle. Nos voisins d'outre-Rhin ou transalpins ont instauré des cours constitutionnelles et des recours pour y accéder dès les lendemains de la Seconde Guerre mondiale – ils sortaient du nazisme et du fascisme, et ne lésinaient pas sur les solutions pour se protéger de la dictature ou, tout simplement, de l'arbitraire. En France, à la Libération, un Comité constitutionnel fut créé. Il avait cependant pour seul objet d'inciter les deux chambres à s'accorder pour rendre une loi conforme à la Constitution – et cela, bien entendu, seulement s'il était saisi, ce qui impliquait une action conjointe du président de la République et de celui du Sénat. Il ne le fut donc qu'une seule fois, le 16 juin 1948, sur une pure question de procédure que les deux chambres s'empressèrent de régler. À tout le moins avait-on introduit le début du commencement du mot – en aucun cas la chose. Cela nous aura pris plus de trente ans. Nos voisins transpyrénéens ont suivi les autres exemples européens dès qu'ils se sont débarrassés du salazarisme ou du franquisme. [...]

En France, il aura donc fallu attendre beaucoup plus longtemps. Dès la fin des années quatre-vingt, le mouvement était lancé, un président social-jacobin se ralliait à une idée pourtant plus associée au libéralisme politique qu'à son républicanisme. Mais parce que cela venait de lui, et de Robert Badinter, les socialistes approuvèrent. Parce que cela s'inspirait de Montesquieu, une partie de la droite tel Édouard Balladur, approuva. Parce que cela venait de la gauche au pouvoir, un autre, tel Nicolas Sarkozy, fit barrage, et, en 1990, la tentative échoua – sous les feux croisés des communistes et des gaullistes. […] Deux ans plus tard, le Comité Vedel pour la révision de la constitution tenta de la relancer. François Mitterrand, président de la République, déposa un ample projet de loi

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constitutionnelle dans lequel, après les élections législatives aussitôt intervenues, le nouveau Premier ministre, Édouard Balladur, picora ce qui l'intéressait, dont l'extension du contrôle de constitutionnalité ne faisait pas partie à l'époque. […]

Le temps ayant passé, les réalités s'étant imposées, les esprits ayant évolué, le sujet était mûr et la victoire finale, tout bien considéré, fut assez aisée. […] Désireux de moderniser et rééquilibrer les institutions, Nicolas Sarkozy créa, par un décret du 18 juillet 2007, un « comité de réflexion et de proposition », présidé par Édouard Balladur, ancien Premier ministre, et composé de treize autres membres (dont les deux auteurs). Le chef de l'État leur adressa une lettre de mission dans laquelle il écrivait notamment : « vous examinerez les conditions dans lesquelles le Conseil constitutionnel pourrait être amené à statuer, à la demande des citoyens, sur la constitutionnalité des lois existantes. Des voix s'élèvent dans notre pays pour regretter que la France soit le seul grand pays démocratique dans lequel les citoyens n'ont pas accès à la justice constitutionnelle [...] ».

La révision dans son ensemble fut adoptée de justesse, grâce aux parlementaires radicaux de gauche, avec seulement une voix de plus que les nécessaires trois cinquièmes des suffrages exprimés […]. La Constitution s'est trouvée ainsi enrichie d'un nouvel article 61-1. Selon le premier alinéa de celui-ci : « Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé ». […]

Au-delà de la communauté juridique, le rapport des citoyens avec la Constitution sera progressivement transformé. Tout ou presque, en France, contribuait à ce qu'il fût placé sous le signe du scepticisme sinon du mépris. Notre première constitution, en 1791, était censée durer quasiment une éternité, et sa révision aurait d'ailleurs pris des décennies. Elle ne dura pas deux ans. La suivante, démocratique en diable, adoptée par référendum, n'entra même pas en vigueur. Les textes constitutionnels, ou équivalents, se succédèrent frénétiquement. Les autres démocraties, au premier chef l'américaine et la britannique, pratiquaient l'alternance politique, nous y substituions l'alternance des régimes. La IIIe République fit exception : elle permit enfin la naissance d'un consensus sur le régime légitime. Et elle dura. Mais elle s'effondra lamentablement en 1940. La IVe était supposée en avoir tiré les leçons, elle disparut au bout de douze petites années. La Ve République, née il y a maintenant plus d'un demi-siècle, paraît avoir mis un terme à cette « constitutionnalite » aiguë et chronique. Sauf que la guérison laisse encore sérieusement à désirer si l'on songe au nombre d'articles constitutionnels fréquemment malmenés. […] Bref, notre Constitution n'ayant qu'une consistance très relative, elle ne pouvait susciter qu'un intérêt et un attachement très relatif. La QPC ne supprimera pas ces anomalies. En tout cas pas directement, pas immédiatement. Personne n'imagine un Premier ministre refusant de céder sa place, un chef de l'État le traînant en justice, et l'accusé poser une QPC… Mais la QPC va tisser petit à petit des liens qui n'existaient pas entre les Français et les principes constitutionnels dont ils se sont dotés au fil du temps. Parce que désormais ils peuvent invoquer ces principes, au moins lorsqu'ils ont maille à partir avec la justice. La Constitution n'était que la chose des gouvernants, par eux

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appliquée ou contournée. Elle est dorénavant appelée à devenir progressivement notre bien commun et indivis.

Document n° 6. Avril, P., « Le juge et le représentant », Le Débat, 1991, n° 64, p. 151-155 (extraits).

Les questions soulevées par Philippe Raynaud concernant les rapports du droit et de la démocratie peuvent être discutées sur le mode théorique […] : compte tenu à la fois des termes contemporains du débat et de la situation que nous avons sous les yeux, est-il vraiment nécessaire de déplacer le curseur dans un sens ou dans l’autre et dans lequel ? Est-ce même raisonnable ? Cette démarche conduit à parler moins du droit que du juge, moins de la démocratie que du représentant – et du citoyen –, pour apprécier l’infléchissement éventuel de leurs statuts respectifs (je m’en tiendrai à l’ordre interne, bien que le développement communautaire rende de plus en plus difficile de l’isoler). Sur le fond, il suffit de constater que le présent engouement pour l’idée de droit et pour son incarnation, la figure du juge, tend à attribuer une légitimité pour le moins équivalente à la démocratie, c’est-à-dire à la souveraineté de la volonté populaire, et à l’Etat de droit, identifié au contrôle juridictionnel de cette volonté. Pierre Pescatore, qui joua un rôle décisif à la cour de justice des Communautés, parle ainsi de ‘légitimités plurielles’, et Dominique Rousseau, spécialiste du Conseil constitutionnel, évoque à son propos ‘un régime d’énonciation concurrentiel de la volonté générale’. Si l’on comprend la satisfaction des juristes devant la promotion de leur discipline et, plus généralement, le sentiment sécurisant qui s’attache à la revalorisation du droit, cet enthousiasme n’en soulève pas moins quelques problèmes parce qu’il suppose que la démocratie et l’Etat de droit sont les deux branches d’un même tronc. Or s’il est vrai que nos régimes peuvent être correctement décrits par leur combinaison, il n’en existe pas moins une antinomie latente entre le représentant qui fait la loi et le juge qui l’applique : le principe démocratique implique la supériorité de la volonté du premier sur celle du second, mais l’idéal de l’Etat de droit suppose aussi que le législateur respecte la justice, les droits de l’homme, etc. Lorsque tel n’est pas le cas au regard du juge, celui-ci cherchera à interpréter la loi de façon à en concilier l’application avec les valeurs qui sont au fondement de son office. Mais si la volonté exprimée clairement par le législateur ne permet pas une telle conciliation ? L’institution du contrôle de constitutionnalité de la loi est censée résoudre la difficulté en rappelant au législateur qu’il doit respecter les principes sur lesquels repose le pacte social et en l’empêchant d’y déroger subrepticement. L’apparente clarté de cette solution ne résiste cependant guère à une analyse réaliste du concept d’interprétation qui montre que la question est simplement déplacée, car le contrôle s’exerce sur la conformité à la constitution telle que l’interprète le juge, dont l’appréciation tend à prévaloir en dernière instance sur celle du représentant. Si l’on n’y prend garde, le développement inconsidéré de ce qui nous est présenté de manière rassurante comme un perfectionnement de l’ordre démocratique (et qui l’est effectivement dans la plupart des cas) risque d’apporter une justification théorique à ce qui s’esquisse sous nos yeux : les techniciens de l’administration produisent des normes ; ils le font en interaction avec les groupes de pression spécialisés dans la défense des intérêts (matériels ou idéologiques) ; le tout sous l’arbitrage du juge. Un tel schéma ne relève pas de l’utopie futuriste, il est déjà l’oeuvre dans le système de la Communauté européenne, et ce n’est pas un hasard si l’on a pu citer Pierre Pescatore comme avocat des ‘légitimités plurielles’. Au stade présent, il n’est évidemment pas question d’évacuer la légitimité démocratique, et telle n’est certainement pas l’intention des adeptes de la promotion du juge, mais il faut bien en voir les implications dans un contexte qui remet en cause le principe et la pratique de la représentation démocratique […].

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Une telle orientation tend évidemment à la dévalorisation de la figure du citoyen, éclatée entre les rôles du consommateur-producteur en ce qui concerne la représentation, du téléspectateur en ce qui concerne un gouvernement largement occupé par des vedettes médiatiques, du plaideur, enfin, auquel on propose de saisir le juge des lois dont il estime qu’elles briment ses droits. Si l’on ajoute que le juge constitutionnel est, par définition pourrait-on dire, l’agent des minorités, lesquelles voient en lui le recours naturel à leurs revendications, et sauf à susciter un improbable « patriotisme constitutionnel », cet ensemble d’indices risque de consacrer la dégradation du lien social au moment même où il apparaît menacé de toutes parts […]. Littéralement, le texte de la Constitution ne veut rien ‘dire’, ce sont ses lecteurs qui le font parler, et plus précisément les lecteurs qu’elle a désignés elle-même en les habilitant à l’appliquer. Ces lecteurs privilégiés sont d’abord les pouvoirs publics, mais aussi, et en fin de compte, les électeurs qui tranchent par leurs votes les conflits portant sur l’application de la Constitution comme ils tranchent les autres conflits. En d’autres termes, la signification de la Constitution se révèle à travers son application. La ‘lecture’ dont il s’agit est une lecture à plusieurs voix, parce que la Constitution a établi des organes séparés dont l’interaction détermine le sens et la portée de ses dispositions, le tout sous l’arbitrage du corps électoral. Le ressort en est la responsabilité politique. On voit immédiatement que la lecture par le juge constitutionnel se situe sur un autre plan ; elle est unilatérale, car ses décisions s’imposent en dernière instance, elle se fonde sur le raisonnement juridique, elle tend enfin à un arbitrage qui ne censure qu’en faveur de la minorité puisque ce sont les lois adoptées par la majorité qui lui sont déférées. Mais le juge, lui aussi, fait parler la Constitution en l’interprétant, car il choisit nécessairement entre plusieurs possibilités que lui propose le texte […] Document n° 7. Troper, M., « Le bon usage des spectres. Du gouvernement des juges au gouvernement par les juges », dans Le nouveau constitutionnalisme. Mélanges en l’honneur de Gérard Conac, Économica, 2001, p. 49-65 (extraits). […] Le concept de gouvernement des juges stricto sensu est employé à propos des seuls juges constitutionnels, dès lors qu’ils exercent le pouvoir législatif. Mais les concepts d’exercice du pouvoir législatif sont eux aussi nombreux et le gouvernement des juges est ou n’est pas réalisé selon qu’on emploie tel ou tel d’entre eux. Certains auteurs, à vrai dire assez rares, admettent que les juges exercent le pouvoir législatif dès lors qu’ils peuvent interpréter la constitution, parce que l’interprétation est toujours une fonction de la volonté et que celui qui interprète peut ainsi donner au texte la signification qui lui permettra d’obtenir la décision souhaitée. Ainsi, Édouard Lambert, qui cite la formule de l’évêque Hoadley, souvent invoquée par les réalistes américains : « quand quelqu’un a une autorité absolue pour interpréter des lois écrites ou orales, c’est lui qui est en réalité le législateur à tous égards et à toutes fins, et non pas la personne qui la première les a écrites ou prononcées ». Dans ces conditions, il n’y a pas de système de contrôle de constitutionnalité qu’on ne puisse appeler gouvernement des juges.C’est pourquoi la plupart des auteurs préfèrent réserver cette appellation à certaines situations où le pouvoir d’appréciation des cours est plus important. Ainsi, quelques-uns, comme Léo Hamon, considèrent qu’il y aurait en France un gouvernement des juges si le Conseil constitutionnel pouvait s’auto-saisir, comme il en avait été question en 1974. Celui lui permet de considérer que, puisque l’auto-saisine n’existe pas, il n’y a pas de gouvernement des juges, si bien que le ‘spectre a été écarté’ […]. D’autres estiment que le juge constitutionnel ne dispose du pouvoir législatif que s’il est en mesure de créer lui-même les principes qu’il est censé appliquer.

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Ces auteurs peuvent se réclamer du premier Kelsen, qui estimait que le contrôle de constitutionnalité ne devait pas être exercé conformément à des Déclarations des droits, parce que ces textes sont nécessairement vagues et que le juge peut les interpréter librement. On sait que l’auteur de la Théorie pure s’est par la suite rallié à une théorie réaliste de l’interprétation et qu’il a considéré que l’autorité qui dispose d’un pouvoir d’interprétation authentique dispose de la même liberté quelle que soit la précision du texte à interpréter. Mais son influence sur ce terrain s’est principalement exercée dans la première période et l’on peut retrouver des thèses analogues dans les écrits de Charles Eisenmann […]. Il s’agirait d’une usurpation de l’autorité judiciaire et la cour aurait un pouvoir constituant. Faut-il alors en conclure que, puisque en France le bloc de constitutionnalité comprend des principes énoncés d’une manière vague, le Conseil constitutionnel serait en mesure d’énoncer lui-même les principes applicables, et qu’on serait bien en présence d’un gouvernement des juges ? Rares sont ceux qui adoptent une pareille thèse […]. Le plus souvent, les auteurs ajoutent un nouveau critère. Il ne suffit pas, pour qu’on doive parler de gouvernement des juges, que le juge dispose d’un pouvoir important dans la détermination des normes de référence. Encore faut-il que ces normes ne soient pas rattachées à des textes. Or, le Conseil constitutionnel prend toujours soin de rattacher à des textes les principes qu’il invoque […]. Pour d’autres, le critère supplémentaire n’est pas un lien entre le principe applicable et un texte, mais seulement l’usage qu’en fait le juge constitutionnel. Il n’y a gouvernement des juges que si le juge fait un mauvais usage de son pouvoir, c’est-à-dire s’il l’emploie contre la volonté du législateur […]. Cependant, les cours constitutionnelles, même si elles peuvent interpréter librement les textes applicables, c’est-à-dire déterminer les normes de référence, dès lors qu’elles ne peuvent pas s’auto-saisir, ne peuvent être considérées que comme des autorités législatives partielles. C’est pourquoi, Jean Gicquel, après avoir noté que le Conseil constitutionnel représente un ‘authentique pouvoir politique’, peut écrire que ‘ce pouvoir, même lorsqu’il est entièrement actif, ne peut être qualifié de gouvernemental, car il ne représente qu’une faculté d’empêcher. Il contribue à équilibrer le moteur principal, ou à rétablir, comme en 1974, l’équilibrage du système constitutionnel’. Il rejoint ainsi la théorie du législateur négatif de Hans Kelsen, qui estime que si le juge est bien un législateur (car ‘la décision de la cour constitutionnelle annulant une loi avait le même caractère qu’une loi abrogeant une autre loi […], il est néanmoins un législateur d’un autre type, parce qu’il y a une grande différence entre faire seul une loi et s’opposer à une loi déjà faite’. Il est donc facile pour ces auteurs d’écarter encore l’appellation de gouvernement des juges, puisque, en France au moins, le Conseil constitutionnel ne peut faire office de législateur positif.

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Université Paris 8

Introduction au Droit constitutionnel(Semestre I)

Séance de travaux dirigés n° 5 : L'État – notion et formes Document n° 1. Duguit, L., Traité de droit constitutionnel, t. I, La règle de droit – le problème de l’Etat, de Boccard, 1927, p. 655-670 (extraits). Document n° 2. Hauriou, M., Précis de droit constitutionnel, Sirey, 1929, p. 85-97 (extraits). Document n° 3. Rousseau, J.J, Du Contrat social,1762, Chapitre VI, Du pacte social, (extraits) Document n° 4. Duhamel, O., Droit constitutionnel, Seuil, coll. « Essais », t. II, Les démocraties, 3e édition, 2000, p. 16-18. Document n° 5. Esmein, A., Éléments de droit constitutionnel français et comparé, Sirey, 1914, p. 1-9 (extraits). Document n° 6. Rouvillois, F., Droit constitutionnel. 1. Fondements et pratiques, 2e éd., 2005, p. 53-78 (extraits).

Document n° 7. Scelle, G., Cours de droit international public, 1946, p. 256.

Document n° 8. Masclet J.-C. et Valette J.-F., Droit constitutionnel et institutions politiques, 1997, p. 67. Document n° 9. Constitution espagnole de 1978 (extraits)

Commentaire : Document n° 9

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Document n° 1. Duguit, L., Traité de droit constitutionnel, t. I, La règle de droit – le problème de l’Etat, de Boccard, 1927, p. 655- 670 (extraits). Dans tous les groupes sociaux qu’on qualifie d’États, les plus primitifs et les plus simples, comme les plus civilisés et les plus complexes, on trouve toujours un fait unique, des individus plus forts que les autres qui veulent et qui peuvent imposer leur volonté aux autres. Peu importe que ces groupes soient ou ne soient pas fixés sur un territoire déterminé, qu’ils soient ou ne soient pas reconnus par d’autres groupes, qu’ils aient une structure homogène ou différenciée, le fait est toujours là identique à lui-même : les plus forts imposent leur volonté aux plus faibles.

Cette plus grande force s’est présentée sous les aspects les plus divers : tantôt elle a été une force purement matérielle, tantôt une force morale et religieuse, tantôt une force intellectuelle, tantôt (et cela bien souvent) une force économique. La puissance économique n’a pas été le seul facteur de la puissance publique, comme l’enseigne l’école marxiste […] ; mais elle a joué assurément dans l’histoire des institutions politiques un rôle de premier ordre. Enfin cette plus grande force a été souvent et aujourd’hui tend à être presque partout la force du nombre en attendant qu’elle soit la force des groupes sociaux organisés.

Ainsi, dans tous les pays et dans tous les temps, les plus forts, matériellement, religieusement, économiquement, moralement, intellectuellement ou numériquement, ont voulu imposer et ont imposé en fait leur volonté aux autres. Les gouvernants ont toujours été, sont et seront toujours les plus forts en fait. Ils ont bien essayé souvent, avec le concours de leurs fidèles, de légitimer cette plus grande force ; mais ils n’ont pu inventer que deux explications aussi artificielles l’une que l’autre et qui ne doivent tromper personne.

Souvent, ils se sont présentés comme les délégués sur la terre d’une puissance surnaturelle. L’idée théocratique a eu une grande force aux époques et dans les pays de foi profonde ; elle a été un moyen commode pour justifier toutes les tyrannies. Mais aux époques de tiédeur religieuse comme la nôtre, elle est devenue insuffisante. De plus, on l’a déjà dit, pour tout esprit positif, elle ne vaut même pas la peine d’une discussion.

On a imaginé alors la fiction de la volonté sociale : le chef qui commande, roi, empereur, protecteur, président ; les chefs qui délibèrent ou ordonnent, majorité d’un parlement ou d’une assemblée du peuple, ne sont, dit-on, que les organes de la volonté collective qui s’impose aux volontés individuelles, précisément parce qu’elle est la volonté collective […].

Droit divin, volonté sociale, souveraineté nationale, autant de mots sans valeur, autant de sophismes dont les gouvernants veulent leurrer leurs sujets et se leurrent souvent eux-mêmes. Assurément, ces conceptions ont, à certaines époques, pénétré profondément la masse des esprits ; à ce titre, elles sont des faits sociaux qui ne doivent point échapper à l’observateur ; mais ils forment ces croissances artificielles que connaît bien le sociologue et dont il importe de dégager le fait simple et irréductible ; ce fait, c’est la distinction positive des gouvernants et des gouvernés ; c’est la possibilité pour quelques-uns de donner aux autres des ordres sanctionnés par une contrainte matérielle ; c’est cette contrainte matérielle monopolisée par un certain groupe social ; c’est la force des plus forts dominant la faiblesse des plus faibles […].

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Document n° 2. Hauriou, M., Précis de droit constitutionnel, Sirey, 1929, p. 85-97 (extraits). Il y a dans l’État un principe d’unité. Encore faut-il le bien connaître. Est-ce la domination d’un même pouvoir sur tous les sujets et sur les organes ? Est-ce, au contraire, le consentement volontaire de tous les sujets et de tous les organes à un même état de choses ? Est-ce une combinaison de domination de pouvoir et de consentement, de telle sorte que l’État soit à moitié coercitif et à moitié volontaire ? Mais, dans ce dernier cas, l’État est-il plus coercitif que volontaire ou plus volontaire que coercitif ?

Nous allons nous efforcer de répondre à ce questionnaire. Mais nous ne procéderons pas au hasard. Il ne s’agira pas de n’importe quel État, mais de l’État conforme au type classique. J’appelle ainsi celui qui est la conclusion du développement historique d’une nation, qui a été une nation avant d’être un État, et qui, sous la forme État, ne cesse pas d’être une nation. Pour plus de sûreté, je le définirai de la façon suivante : c’est une nation dans laquelle un gouvernement central a fait l’entreprise d’une chose publique, d’une res publica au sens latin du mot. Ainsi, dans les nations antiques, le gouvernement central a créé la cité avec la chose publique ; ainsi, dans les nations modernes, le gouvernement central est venu créer l’État avec toute sa chose publique.

Rappelons également, avant d’aller plus loin, que les nations sont unanimement considérées comme des unités spirituelles, fondées à la fois sur des affinités mentales, sur des habitudes communes, sur la volonté de vivre ensemble, et que, finalement, elles prennent la figure d’unités consensuelles. Bref, nous sommes en présence de trois éléments très différents, déposés ensemble dans le berceau de l’État : le pouvoir du gouvernement central ou puissance publique, élément de coercition ; l’unité spirituelle de la nation, élément consensuel ; l’entreprise de la chose publique, élément idéal, propre à polariser les consentements, aussi bien des organes du gouvernement que des membres de la nation.

Ces trois éléments sont tellement importants qu’ils constituent l’équilibre fondamental de l’État, celui d’où résultent à la fois la qualité de son gouvernement, la qualité de la liberté dont il fait jouir ses sujets, la qualité des buts qu’il poursuit. Et la valeur de cet équilibre sera elle-même rendue saisissante par le fait que chacun de ces éléments peut être projeté en une forme de la souveraineté. A certains égards, la souveraineté de l’État est une ; nous ne chercherons pas à savoir ici si elle est absolue ou relative, si elle est ou non affranchie du droit ; nous la croyons plutôt relative et soumise au droit ; nous ne voyons pas pourquoi une souveraineté ne serait pas relative aussi bien qu’une liberté. Mais là n’est pas, pour le moment, la question. Elle est de savoir si la souveraineté ne peut pas être à la fois une et complexe ; une dans de certaines circonstances, lorsque ses formes diverses convergent en une même action ; complexe et décomposable en plusieurs formes, lorsqu’il s’agit d’analyser sa nature intime […].

Sans doute, l’institution de l’État peut être fondée en outre sur des lois, et, dans les pays à constitution écrite, elle l’est certainement sur les lois constitutionnelles. Mais, de même que des institutions constitutionnelles ont existé en tant que coutumières, avant d’exister en vertu de constitutions écrites, de même l’État a existé comme coutumier avant d’être consacré par les constitutions écrites. Même quand il possède une constitution écrite et tout un ordonnancement de lois organiques, l’État n’a-t-il pas encore besoin d’un consentement coutumier lui constituant une sorte de tréfonds juridique ? J’ai peine à croire qu’il puisse s’en passer. Les constitutions formelles, les lois écrites, sont des actes juridiques qui ne vivent que dans l’actuel. Combien de temps une constitution écrite reste-t-elle en vigueur et combien de temps dure une loi sur le mode de scrutin pour l’élection des députés ? Serait-il admissible que l’existence juridique de l’État ne fût consacrée que d’une façon aussi momentanée et aussi discontinue ? Il faut donc convenir que les lois écrites et les lois organiques règlent d’une façon actuelle certains éléments

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de l’État, certaines organisations et certaines procédures, mais que l’institution de l’État, envisagée dans ses réalités profondes et dans ses équilibres fondamentaux, continue d’être consacrée juridiquement par un consentement coutumier, dans lequel baignent constitutions et lois organiques. D’ailleurs, les objets de ce consentement coutumier apparaissent sous le nom de principes constitutionnels. Il est rare que les principes soient consacrés par les constitutions et par les lois et il est certain qu’ils dominent constitutions et lois. Cela apparaît nettement dans les pays à contrôle juridictionnel de la constitutionnalité des lois. Ce n’est pas au nom de la lettre de la constitution que les déclarations d’inconstitutionnalité sont prononcées ; pratiquement, c’est presque toujours au nom des principes dominant la constitution, et qui constituent une véritable légitimité constitutionnelle. C’est à ces principes fondamentaux, et non pas aux détails d’organisation, que s’attache le consentement coutumier des sujets […].

Document n° 3. Rousseau, J.-J., Du Contrat social (1762) Chapitre VI, Du pacte social (extraits)

Je suppose les hommes parvenus à ce point où les obstacles qui nuisent à leur conservation dans l'état de nature l'emportent par leur résistance sur les forces que chaque individu peut employer pour se maintenir dans cet état. Alors cet état primitif ne peut plus subsister, et le genre humain périrait s'il ne changeait sa manière d'être. Or comme les hommes ne peuvent engendrer de nouvelles forces, mais seulement unir et diriger celles qui existent, ils n'ont plus d'autre moyen pour se conserver que de former par agrégation une somme de forces qui puisse l'emporter sur la résistance, de les mettre en jeu par un seul mobile et de les faire agir de concert. Cette somme de forces ne peut naître que du concours de plusieurs: mais la force et la liberté de chaque homme étant les premiers instruments de sa conservation, comment les engagera-t-il sans se nuire, et sans négliger les soins qu'il se doit ? Cette difficulté ramenée à mon sujet peut s'énoncer en ces termes : " Trouver une forme d'association qui défende et protège de toute la force commune la personne et les biens de chaque associé, et par laquelle chacun s'unissant à tous n'obéisse pourtant qu'à lui-même et reste aussi libre qu'auparavant. " Tel est le problème fondamental dont le contrat social donne la solution. Les clauses de ce contrat sont tellement déterminées par la nature de l'acte que la moindre modification les rendrait vaines et de nul effet ; en sorte que, bien qu'elles n'aient peut-être jamais été formellement énoncées, elles sont partout les mêmes, partout tacitement admises et reconnues ; jusqu'à ce que, le pacte social étant violé, chacun rentre alors dans ses premiers droits et reprenne sa liberté naturelle, en perdant la liberté conventionnelle pour laquelle il y renonça. Ces clauses bien entendues se réduisent toutes à une seule, savoir l'aliénation totale de chaque associé avec tous ses droits à toute la communauté. Car, premièrement, chacun se donnant tout entier, la condition est égale pour tous, et la condition étant égale pour tous, nul n'a intérêt de la rendre onéreuse aux autres. De plus, l'aliénation se faisant sans réserve, l'union est aussi parfaite qu'elle ne peut l'être et nul associé n'a plus rien à réclamer : car s'il restait quelques droits aux particuliers, comme il n'y aurait aucun supérieur commun qui pût prononcer entre eux et le public, chacun étant en quelque point son propre juge prétendrait bientôt l'être en tous, l'état de nature subsisterait et l'association deviendrait nécessairement tyrannique ou vaine. Enfin chacun se donnant à tous ne se donne à personne, et comme il n'y a pas un associé sur lequel on n'acquière le même droit qu'on lui cède sur soi, on gagne l'équivalent de tout ce

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qu'on perd, et plus de force pour conserver ce qu'on a. Si donc on écarte du pacte social ce qui n'est pas de son essence, on trouvera qu'il se réduit aux termes suivants : Chacun de nous met en commun sa personne et toute sa puissance sous la suprême direction de la volonté générale ; et nous recevons en corps chaque membre comme partie indivisible du tout.

À l'instant, au lieu de la personne particulière de chaque contractant, cet acte d'association produit un corps moral et collectif composé d'autant de membres que l'assemblée a de voix, lequel reçoit de ce même acte son unité, son moi commun, sa vie et sa volonté. Cette personne publique qui se forme ainsi par l'union de toutes les autres prenait autrefois le nom de Cité, et prend maintenant celui de République ou de corps politique, lequel est appelé par ses membres Etat quand il est passif, Souverain quand il est actif, Puissance en le comparant à ses semblables. À l'égard des associés ils prennent collectivement le nom de Peuple, et s'appellent en particulier citoyens comme participants à l'autorité souveraine, et sujets comme soumis aux lois de l'État. Mais ces termes se confondent souvent et se prennent l'un pour l'autre ; il suffit de les savoir distinguer quand ils sont employés dans toute leur précision. Document n° 4. Duhamel, O., Droit constitutionnel, Seuil, coll. « Essais », t. II, Les démocraties, 3e édition, 2000, p. 16-18. La définition de l’État L’État est caractérisé par trois éléments constitutifs qui permettent de reconnaître son existence : un territoire, une population, un pouvoir de contrainte. Le droit de contraindre est l’élément décisif, le privilège suprême de l’État, sa marque. L’État a seul le pouvoir de fixer des règles de comportement et d’en imposer légitimement le respect – privilège que l’on baptise traditionnellement « souveraineté ». Le grand sociologue allemand Max Weber a ainsi défini l’État comme l’institution qui revendique avec succès pour son propre compte le « monopole de la violence physique légitime ». Cela ne signifie évidemment pas que l’État exerce quotidiennement la violence à l’encontre de ses administrés, mais qu’il peut toujours le faire, dans les conditions par lui prescrites, pour imposer le respect des règles collectives ou sanctionner leur violation. L’État détient ainsi un double pouvoir, normatif et coercitif, ou, si l’on préfère, il détient un vrai pouvoir normatif, c’est-à-dire le pouvoir d’edicter des règles de droit et de punir ceux qui ne les respectent pas. Si des entités infra-étatiques peuvent posséder un pouvoir normatif, si des personnes physiques et/ou morales peuvent édicter des règles de droit qui les lient, elles ne le font que de façon subordonnée, c’est-à-dire dans le respect des règles fixées par l’État, dans l’exacte mesure où l’État consent à ce qu’elles les édictent, et elles ne peuvent recourir elles-mêmes à la force mais doivent s’adresser à l’État pour imposer l’application des règles dont elles étaient convenues ou la sanction de leur irrespect. Si une entité supra-étatique se développe, soit qu’elle procède des seuls transferts consentis et révocables par les États qui y participent, soit elle ébauche un nouvel État. La population est la deuxième composante de l’État. L’ordre normatif évoqué ci-dessus régit une communauté d’hommes. Le point commun entre l’ensemble limité que sont les êtres humains ressortissants d’un État peut fort bien n’être que la soumission à ce pouvoir normatif, par-delà la diversité culturelle, linguistique, ethnique, nationale. Nation et État ne coïncident pas nécessairement. Une nation peut préexister à l’État, les Allemands le savent bien. Un État peut préexister à une nation, les Français le savent bien. Une même nation peut être divisée en deux États, comme le fut de l’après-guerre à 1990 la nation allemande ou comme l’est encore la nation coréenne. Un même État peut regrouper différentes nations, comme le firent les empires

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ottoman, austro-hongrois, soviétique, comme le font encore la Fédération russe, le Canada, la Suisse ou l’Espagne. En France, puisque l’État y fit la nation et craignit que les nations ne le défissent, la tendance dominante fut longtemps d’identifier État et nation. Ce franco-centrisme est explicable, pas justifiable. Le territoire est la troisième et dernière condition d’existence de l’État. La naissance de l’État va de pair avec la sédentarisation, l’avènement de frontières et l’apparition de la cartographie. Le territoire peut être minuscule, comme celui du Lieschtenstein ou d’Andorre. Il peut être discontinu, comme entre la France métropolitaine et les départements et territoires d’outre-mer, ou comme le Pakistan avant la sécession du Bangladesh en 1971, les Etats-Unis avec l’Alaska et Hawaï. Il peut être amputé, comme lors de la constitution de nouveaux États. Mais il doit être pour que l’État soit.

Document n° 5. Esmein, A., Éléments de droit constitutionnel français et comparé, Sirey, 1914, p. 1-9 (extraits) L’État est la personnification juridique d’une nation : c’est le sujet et le support de l’autorité publique. Ce qui constitue en droit une nation, c’est l’existence, dans cette société d’hommes, d’une autorité supérieure aux volontés individuelles. Cette autorité, qui naturellement ne reconnaît point de puissance supérieure ou concurrente quant aux rapports qu’elle régit, s’appelle la souveraineté. Elle a deux faces : la souveraineté intérieure, ou le droit de commander à tous les citoyens composant la nation, et même à tous ceux qui résident sur le territoire national ; la souveraineté extérieure, ou le droit de représenter la nation et de l’engager dans ses rapports avec les autres nations.

Le fondement même du droit public consiste en ce qu’il donne à la souveraineté, en dehors et au-dessus des personnes qui l’exercent à tel ou tel moment, un sujet ou titulaire idéal et permanent, qui personnifie la nation entière : cette personne morale, c’est l’État, qui se confond ainsi avec la souveraineté, celle-ci étant sa qualité essentielle. Mais cette abstraction puissante et féconde est un produit lentement dégagé de la civilisation : souvent et longtemps les hommes ont confondu la souveraineté avec le chef ou l’assemblée qui l’exerçait. Cependant l’antiquité classique s’était élevée déjà la véritable conception de l’État ; les Romains en particulier, grâce peut-être au génie juridique qui les distingue, semblent l’avoir dégagée de très bonne heure et presque d’instinct. Mais dans la décomposition lente, qui produisit la société féodale, cette idée disparut, subit une longue éclipse, et c’est par une nouvelle élaboration qu’elle a repris sa place dans le droit moderne.

L’État est aussi la traduction juridique de l’idée de patrie : il résume tous les devoirs et tous les droits qui s’y rattachent. On ne saurait même établir autrement un rapport direct et précis entre le citoyen et sa patrie, sauf dans une monarchie absolue, où la patrie s’incarne et s’absorbe en quelque sorte dans le monarque. L’État suppose nécessairement un territoire déterminé dans les limites duquel il exerce son autorité, à l’exclusion de toute autre, sur les personnes et sur les choses […]. De cette conception découlent deux conséquences capitales :

1° L’autorité publique, la souveraineté, ne doit jamais être exercée que dans l’intérêt de tous : c’est ce qu’on atteste en lui donnant pour sujet une personne fictive, distincte de tous les individus qui composent la nation, distincte des magistrats et des chefs aussi bien que des simples citoyens.

2° L’État, de sa nature, est perpétuel et son existence juridique n’admet aucune discontinuité. Personnifiant la nation, il est destiné à durer autant que la nation elle-même. Sans doute la forme de l’État, les personnes réelles en qui la souveraineté s’incarne momentanément, peuvent changer

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avec le temps et par l’effet des révolutions. Mais cela n’altère pas l’essence même de l’État, cela ne rompt pas la continuité de son existence, pas plus que la vie nationale ne se fractionne ou ne s’interrompt par le renouvellement des générations successives. De cette perpétuité découlent un certain nombre de conséquences secondaires.

a) Les traités qui ont été conclus avec les puissances étrangères au nom de l’État, alors que celui-ci avait une certaine forme, demeurent valables et obligatoires, malgré les changements de forme qui peuvent l’affecter dans la suite.

b) Les lois, régulièrement édictées et promulguées au nom de l’État, sous une forme d’État déterminée, restent en vigueur, alors même que cette forme d’État vient à changer, à moins qu’elles ne soient abrogées ou qu’elles soient inconciliables avec les lois nouvelles, ce qui équivaut à une abrogation. C’est ainsi qu’on applique encore aujourd’hui en France certaines lois qui datent de l’ancien régime.

c) Les obligations pécuniaires, contractées au nom de l’État, subsistent et restent obligatoires, alors même que disparaît la forme d’État sous laquelle elles ont été contractées.

Mais si l’État persiste ainsi, perpétuel et immuable, identique toujours à lui-même, tant que subsiste la nation, la forme de l’État, comme je viens de le dire, peut changer au contraire. Que faut-il entendre par là ? L’État, sujet et titulaire de la souveraineté, n’étant qu’une personne morale, une fiction juridique, il faut que la souveraineté soit exercée en son nom par des personnes physiques, une ou plusieurs, qui veuillent et agissent pour lui. Il est naturel et nécessaire que la souveraineté, à côté de son titulaire perpétuel et fictif, ait un autre titulaire actuel et agissant, en qui résidera nécessairement le libre exercice de cette souveraineté. C’est celui-là que l’on appelle proprement le souverain en droit constitutionnel et déterminer quel est le souverain, ainsi compris, c’est déterminer la forme de l’État […].

Document n° 6. Rouvillois, F., Droit constitutionnel. 1. Fondements et pratiques, 2e éd., 2005, p. 53-78 (extraits) Section III. La forme de l'État Plus décisive est la question de la structure, ou encore de la forme de l'État. À cet égard, on peut noter pour commencer que les États se répartissent en deux catégories : les États unitaires, et les États composés ou fédératifs. Deux catégories, et deux seulement : les multiples variantes que l'on rencontre en droit positif s'avèrent au fond toujours susceptibles de rentrer dans l'une ou dans l'autre. Sous-section 1. L'État unitaire « Au regard de la technique constitutionnelle, observait Georges Burdeau, cette forme d'État présente l'avantage de la simplicité, et c'est bien pourquoi, chez les publicistes, l'État unitaire est le prototype de l'État. » Mais cet auteur le considérait déjà, il y a un demi-siècle, comme un prototype menacé, dont il jugeait le déclin possible, et d'ailleurs souhaitable. L'évolution contemporaine lui a partiellement donné raison.

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A. Un prototype ? L'État unitaire est « celui qui, sur son territoire et pour la population qui y vit, ne comporte qu'une seule organisation politique et juridique (…) dotée, et elle seule, de la plénitude de sa souveraineté ». Comme le précise un auteur, il s'agit d'un État où « la loi est la même pour tous. La volonté politique s'y exprime d'une seule et même voix. Elle s'impose à tous : individus ou groupes ou collectivités politiques ». Ces éléments de définition suscitent un certain nombre de questions, car cet État unitaire est susceptible d'être organisé suivant des modalités distinctes : il pourra être centralisé, ou décentralisé. 1. L'État centralisé

L'État est dit centralisé lorsque le gouvernement central dispose de façon exclusive de l'autorité politique, au détriment des collectivités locales. Le pouvoir est alors monopolisé par le centre, et « partout où s'exerce la puissance publique, c'est au nom de l'État et sous son autorité. » [...]

2. L'État décentralisé Tout autre est le schéma de la décentralisation, puisque, dans ce cas, ce ne sera plus « le même marteau ». Une activité est décentralisée « si c'est une multitude d'organes non centraux qui en ont la maîtrise, c'est-à-dire (qui) décident en fin de compte quelles normes seront édictées, chacun pour une fraction distincte de la collectivité » : en son nom, et non plus au nom de l'État.

La décentralisation territoriale, contrairement à la déconcentration, ne se situe donc plus dans le cadre de l'État – personne morale. Elle implique l'existence, à côté de celui-ci, de collectivités territoriales également dotées de la personnalité morale, et bénéficiant par rapport à lui d'une relative autonomie. […]

Toutefois, cette autonomie qui caractérise la décentralisation est forcément relative et limitée. « La décentralisation, observait Georges Burdeau, est un régime de liberté surveillée. » Elle se situe en effet, on ne saurait l'oublier, dans le cadre de l'État unitaire. Or, celui-ci ne peut admettre le développement en son sein de petits « États dans l'État », libres de leurs décisions, de leurs mouvements, de leurs relations internationales, et susceptibles le cas échéant de s'opposer à l'intérêt général de l'ensemble. Il est donc inévitable que l'État central se réserve un droit de regard, plus ou moins rigoureux, que l'on qualifie juridiquement de tutelle, sur les décisions prises par les collectivités décentralisées.

C'est à ce niveau que vont apparaître les variations les plus notables, la décentralisation étant susceptible de degrés et de gradations – suivant l'intensité du contrôle exercé par l'État. […]

Au-delà encore, on rencontre un cas qui tend à devenir de plus en plus fréquent, où la décentralisation atteint un degré extrême – au point qu'on en vient à se demander s'il s'agit toujours de décentralisation, et si l'on se situe encore dans le cadre classique de l'État unitaire. C'est à ce propos que l'on peut s'interroger sur le déclin annoncé de ce modèle.

B. Un prototype menacé 1. La question de l'« État régional »

Ce qu'on appelle désormais communément l'« État régional » manifeste en effet une décentralisation poussée à son paroxysme, et suscite une certaine perplexité : s'agit-il d'un État unitaire, ou d'une forme nouvelle d'État, d'une forme transitoire, assimilable à une quasi-fédération ?

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[…] c'est à partir de la Constitution italienne du 27 décembre 1947 que l'« État régional » a pu être conceptualisé : celle-ci dispose en effet dans son article 5 que « la République, une et indivisible, reconnaît et favorise les autonomies locales ; réalise dans les services qui dépendent de l'État la plus ample décentralisation administrative ; adapte les principes et les méthodes de sa législation aux nécessités de l'autonomie et de la décentralisation ». Ainsi, tout en conservant formellement le principe d'un État unitaire, la Constitution de 1947 promeut les autonomies locales, reconnaissant aux (dix-neuf) régions le caractère d'« organismes autonomes ayant des pouvoirs particuliers et des fonctions particulières selon les principes fixés par la Constitution » (art. 115). Dans certaines matières énumérées par le texte constitutionnel, et « dans les limites des principes fondamentaux fixés par les lois de l'État », les régions établissent en particulier des règles « législatives », « à condition que ces mêmes règles ne soient pas en opposition avec l'intérêt national et avec celui d'autres régions ». […]

Depuis quelques décennies, cette tendance s'est répandue dans toute l'Europe, en particulier dans la Constitution espagnole du 27 décembre 1978, ou dans le cadre britannique, avec la dévolution des pouvoirs en Écosse et au pays de Galles en 1997, puis avec le nouveau statut de l'Irlande du Nord en 1998.

[…]

Sous-section 2. L'État composé Avant d'évoquer plus précisément l'État composé, qui de nos jours se confond à peu près avec l'État fédéral, il faut s'arrêter brièvement sur deux points : la question de la confédération, et celle des « unions d'États ».

Malgré sa dénomination, la confédération ne constitue pas, en principe, un État composé, mais un ensemble d'États, qui conservent leur nature et leur souveraineté, et dont, par suite, « les relations restent d'ordre international, parce qu'il n'est créé aucun organisme politique qui soit un super-État » par-dessus ces différentes composantes.

Ce mode de relations, assez courant dans l'Antiquité, est précisément celui qu'adoptent, en 1778, les treize États américains qui viennent de proclamer leur indépendance, et qui, comme tels, se montrent jaloux de leur souveraineté fraîchement acquise. Mais cette organisation « confédérale » ne durera que peu de temps, s'avérant bientôt insuffisante et inefficace : c'est pour y mettre bon ordre que la Constitution de 1787 établira un système fédéral. C'est également ainsi que s'organisent les cantons suisses, du XIVe siècle à 1848, date à laquelle la « Confédération suisse » va adopter, elle aussi, une Constitution fédérale.

Même si elle se situe dans l'ordre international, la confédération instaure entre ses membres une relation relativement étroite, qui se manifeste par la création d'organes communs, réunissant des représentants des différents États. Ces organes, permanents ou siégeant périodiquement, sont chargés de traiter des affaires communes expressément prévues par le traité créant la confédération ; cependant, ils ne peuvent en principe prendre de décisions qu'à l'unanimité (chaque État membre conservant ainsi un droit de veto), et ils ne forment donc pas un nouvel État souverain, distinct des confédérés – lesquels peuvent à tout instant sortir de la confédération. Cette dernière apparaît ainsi comme une structure assez incertaine, et plutôt fragile. Il s'agit souvent d'une forme de transition, préalable à un retour à l'indépendance complète des États membres ou, au contraire, à l'accession à une structure fédérale. Telle est du reste la question posée par l'évolution actuelle de l'Union européenne, initialement confédérale, mais qui, de plus en plus vite, tend à se rapprocher du modèle fédéral.

Si la confédération n'est pas un État composé, appartiennent en revanche à cette catégorie les « unions d'États » : unions « personnelles », quand deux États sont unis par la personne de leur

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monarque (comme l'Angleterre et le royaume de Hanovre de 1714 à 1837), ou unions « réelles », lorsque deux États sont réunis non seulement par le même chef, mais par un gouvernement et un appareil étatique partiellement communs (par exemple, l'union entre l'empire d'Autriche et le royaume de Hongrie de 1865 à 1918). Mais ces États composés constituent des formes archaïques, désormais à peu près disparues. De nos jours, les fédérations restent le seul exemple significatif d'État composé. Un exemple qui suscite d'ailleurs d'innombrables difficultés, tant pratiques que théoriques.

A. Modalités d'organisation Par définition, un système fédéral apparaît plus complexe qu'un État unitaire, dans la mesure où il associe des collectivités étatiques distinctes, qui vont former en quelque sorte le premier étage de la fédération, avant de leur superposer un second étage : l'État fédéral, situé au-dessus des États fédérés. C'est ainsi que les États-Unis comptent cinquante États fédérés, réunis dans et dominés par un État fédéral.

La fédération se caractérise toujours par cette superposition d'ordres juridiques et institutionnels : ceux des différents États fédérés, et celui de l'État fédéral, qui recouvre l'ensemble du territoire et s'impose à la population des différents États fédérés. La particularité du système vient de ce que chacun des États fédérés demeure en théorie un véritable État, avec sa constitution propre, son organisation politique, sa capitale, son drapeau, et même sa nationalité spécifique, chaque citoyen bénéficiant ainsi d'une double nationalité, celle de l'État fédéré où il réside, et celle de la fédération. La seule différence, mais elle est essentielle, entre un État fédéré et un État unitaire « classique » vient de ce que le premier ne dispose pas de la plénitude de la souveraineté, qui se trouve divisée, ou répartie, entre lui et la fédération.

En l'occurrence, la question cruciale est donc celle des rapports entre les deux étages, entre les États fédérés et la fédération, et naturellement, celle de leur équilibre. Il faut en effet, pour que le système fédéral soit efficace et viable, que les institutions de la fédération puissent prendre un certain nombre de décisions importantes sans être constamment entravées par l'opposition d'un ou de plusieurs États fédérés. Telle fut même la raison pour laquelle les treize premiers États américains renoncèrent à une organisation confédérale pour adopter, en 1787, un système fédéral. Mais à l'inverse, il faut également que les États fédérés conservent un certain pouvoir, et un droit de contrôle sur l'État fédéral – sans quoi celui-ci prendrait inévitablement le dessus : il ne s'agirait plus d'une véritable fédération, mais d'un nouvel État unitaire.

Pour parvenir à perpétuer cet équilibre, les constitutions fédérales proposent d'ordinaire deux séries de moyens cumulatifs : l'organisation de la répartition des compétences entre la fédération et les États fédérés ; et la possibilité, garantie à ces derniers, de participer à l'exercice du pouvoir fédéral.

[…] 2. Les difficultés théoriques C'est parce que la souveraineté ne parvient pas à se scinder que surgissent les difficultés pratiques que l'on vient d'évoquer. Mais cette division de la souveraineté suscite également de graves difficultés d'ordre théorique. « La constitution d'un pays fédéré, constatait Léon Duguit, est en elle-même contradictoire ; elle impose sur le même territoire et aux mêmes hommes deux autorités souveraines ; or, par définition même, la souveraineté politique ne peut être limitée par une autre souveraineté ; la conception de l'État mi-souverain imaginée par les juristes n'est qu'une

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hypothèse commode. Dans deux souverainetés rivales, l'une absorbera l'autre fatalement (…). La loi est générale. » Si, en effet, on définit l'État par sa souveraineté, et celle-ci, par sa suprématie et son indivisibilité, comment admettre que les deux niveaux du système fédéral constituent des États au sens propre ? En fait, on peut imaginer plusieurs réponses.

Première réponse : on conserve la souveraineté comme critère de l'État. Mais cela signifie alors que l'un des deux éléments du système, n'étant pas souverain, n'est pas réellement un État – celui-ci pouvant être l'étage supérieur (comme c'est encore le cas de l'Union européenne), ou à l'inverse, le niveau inférieur, qui ne forme plus, malgré le nom et les apparences, qu'une collectivité non souveraine, infra-étatique, à l'intérieur d'un État devenu unitaire. Les cantons suisses, par exemple, sont considérés par la doctrine helvétique comme des « quasi-États » : tout se passe comme s'ils étaient « des États à part entière », à cette différence près que leur « autonomie est relative, c'est-à-dire qu'elle ne peut se déployer que dans le cadre tracé par l'État central (…). L'ensemble des attributions des États fédérés et la manière dont ils en font usage sont soumis aux exigences d'une ordre juridique supérieur ». En d'autres termes, les États fédérés « ne sont pas souverains » : ils ne sont donc pas véritablement des États. Plus généralement, on doit en conclure que seuls des États unitaires peuvent exister.

Seconde réponse possible : la notion de la souveraineté comme critère essentiel de définition de l'État est abandonnée. On peut alors concevoir sans difficulté l'idée d'une fédération, combinant un État fédéral et des États fédérés. Mais en ce cas, malheureusement, on ne sait plus trop, faute d'un critère fiable, ce que c'est qu'un État, de même qu'on ne peut plus distinguer l'État fédéral de l'État « régional » ou de l'État unitaire décentralisé.

C'est pourquoi la solution la plus satisfaisante sur un plan théorique est peut-être celle qu'évoquaient Léon Duguit ou Carl Schmitt. Celle-ci présente l'intérêt d'envisager le problème non plus sur un mode statique, comme les précédentes, mais de manière dynamique. L'État fédéral, explique Schmitt, est fondé sur des antinomies, des contradictions logiques et politiques : et en premier lieu, sur l'irréductible contradiction entre la souveraineté des États et celle de la fédération. Ce que souligne Schmitt, c'est, précisément, que le système fédéral se caractérise par le fait que la question de la souveraineté n'a pas encore été résolue, qu'elle « reste toujours pendante entre fédération et États membres », et que la fédération n'existe qu'aussi longtemps qu'elle demeure posée. Lorsqu'elle ne se pose plus, parce qu'elle a été tranchée irrévocablement dans un sens ou dans l'autre, on a affaire en réalité à un, ou à une pluralité, d'États unitaires souverains. C'est ainsi que la question, aux États-Unis, resta posée jusqu'à la guerre de Sécession, soit pendant trois quarts de siècle : mais, après la guerre, elle fut tranchée au profit de l'État central. C'est pourquoi, même sans être explicitement révisée en ce sens, la Constitution a alors « changé de nature (…), et la fédération en tant que telle a cessé d'exister ».

Document n° 7. Scelle, G., Cours de droit international public, 1946, p. 256 (extrait).

[…] Les traits juridiques essentiels du fédéralisme

Sans vouloir faire ici la théorie constitutionnelle du fédéralisme qui varie d'ailleurs avec chacune des modalités de l'association, il est cependant un certain nombre de traits caractéristiques du fédéralisme institutionnel qui doivent être soulignés parce qu'ils ont des répercussions internationales. Parmi ces traits, nous noterons la « participation institutionnelle » et « l'autonomie gouvernementale ».

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a) Loi de participation ou de collaboration

Nous savons que le fédéralisme implique l'apparition d'un ordre juridique superposé à ceux des collectivités préexistantes pour répondre à des phénomènes de solidarité communs. Pour la mise en œuvre de l'ordre juridique de superposition, une ou plusieurs institutions publiques communes, ou « organes fédéraux » sont institués : corps législatif fédéral ; juridictions fédérales ; services publics fédéraux et, notamment, services publics de relation, tels que la diplomatie, les consulats, les transports, etc. ; services publics de défense extérieure (armée, etc.) ou d'exécution interne (police, etc.). Or, il n'y a vraiment fédéralisme que si les collectivités associées participent par leurs représentants à la constitution de ces organes fédéraux et à l'élaboration de leurs décisions (1). À défaut de cette participation – par exemple si les organes fédéraux ne sont l'émanation que d'un seul des États ou collectivités associés – il y aurait « droit de subordination » et non « droit de collaboration » et c'est la collaboration qui est la caractéristique du Droit fédéral, qui distingue le fédéralisme de la vassalité, de la tutelle, de la colonisation.

Cela ne signifie pas que cette participation doive être égale ou identique, quels que puissent être l'importance ou le volume des collectivités (États) fédérées. Réintroduire ici le dogme de l'égalité absolue des États parce qu'États, c'est retomber dans l'erreur de l'égalité fonctionnelle, qui est en correspondance directe avec l'idée de souveraineté et incompatible avec toute organisation effective (2).

b) Loi d'autonomie

La seconde caractéristique, c'est l'autonomie garantie des collectivités associées. Cette « décentralisation gouvernementale » est essentielle, sans quoi les collectivités perdraient leur caractère étatique et l'organisation fédérale ne tarderait pas à évoluer vers l'État unitaire. Le fédéralisme suppose non pas une fusion, mais une association de collectivités distinctes conservant chacune sa législation, son système juridictionnel, administratif, sanctionnateur, pour tout ce qui correspond à leurs domaines respectifs de solidarité particulière. Tant qu'il ne se dégage pas un besoin d'unification correspondant à un intérêt commun, les collectivités composantes restent individualisées. La compétence fédérale ne s'applique qu'à la gestion des affaires d'intérêt commun, notion d'ailleurs évolutive.

C'est la raison fondamentale pour laquelle les collectivités politiques fédéralisées continuent à être considérées comme des États, même dans le cas où leurs gouvernements ont abdiqué toute compétence internationale.

1. C'est ce que les auteurs qualifient souvent de « participation à la formation de la volonté fédérale ». Il n'y a pas plus de volonté fédérale que de volonté étatique, mais seulement, au sein des organes institutionnels, formation de majorités conditionnant la validité juridique des décisions.

2. Jamais une collectivité de valeur 1000 ne consentira à être mise sur le même pied qu'une collectivité de valeur ou de volume 10, à laisser prendre des décisions majoritaires par une majorité de 5 X 10 contre 1000 X 1. La constitution normale des organes fédéraux (et c'est aussi l'équité), doit donc partir du principe de la proportionnalité. Sans doute peut-il y avoir des difficultés pratiques considérables à établir la base de cette proportionnalité : le volume n'est pas tout (notamment le chiffre de la population), d'autres facteurs doivent entrer en ligne de compte : richesse, industrialisation, culture, etc. Comme dans toute « société » il y a lieu de tenir compte des « apports ». C'est une question de dosage et d'équité, non d'arithmétique. Répétons-le, la solution – difficile – exige, au moment de la conclusion du Pacte fédéral ou de ses modifications, un esprit de volonté d'accord et de bonne volonté en vue de réaliser un équilibre par des sacrifices mutuels, équilibre qui d'ailleurs, sera sujet à révisions.

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Document n° 8. Masclet J.-C. et Valette J.-F., Droit constitutionnel et institutions politiques, 1997, p. 67 (extrait).

B. Une formule évolutive et parfois menacée

Les tendances antagonistes font du fédéralisme une formule évolutive et parfois menacée. Les équilibres internes de l'État fédéral sont en constante évolution. La pérennité de l'État fédéral est parfois mise en cause.

La constitution fédérale enregistre un équilibre valable à un moment donné : elle distribue les compétences et les pouvoirs en fonction de ce qui paraît acceptable. Mais les données politiques, économiques, sociales et culturelles sont appelées à changer. Ainsi les États fédéraux modernes connaissent-ils une certaine évolution des pratiques de pouvoir. À une répartition rigide des compétences succède un fédéralisme coopératif. Celui-ci repose sur la négociation et l'entente préalable. Il conduit à des décisions concertées et à des financements communs. Mais il correspond à une immixtion de l'État fédéral dans les matières réservées. Il est facteur de centralisation.

Cette tendance à la centralisation est à l'œuvre dans plusieurs États fédéraux modernes sous l'influence de divers facteurs : la structuration de l'opinion publique et la constitution des partis qui s'opère généralement au niveau fédéral, l'impératif de dimension qui s'impose à l'économie moderne et rend nécessaire la constitution de grands ensembles, l'interventionnisme économique, les nécessités de la protection sociale qui ne peuvent s'accommoder de trop grandes différences d'un État fédéré à l'autre, l'harmonisation culturelle apportée par les moyens modernes de communication, le poids des relations extérieures qui met en valeur les institutions fédérales seules aptes à en connaître.

Inversement, la revendication à plus d'autonomie peut être nourrie par l'irrédentisme culturel, les différences ethniques, ou le sentiment d'une inégalité de traitement et d'influence au sein de l'État fédéral. Elle peut soumettre ce dernier à de vives tensions, conduisant à modifier le pacte initial : tel est le cas pour le Québec au sein de la Fédération canadienne. Les « indépendantistes » revendiquent une souveraineté-association qui s'analyse en un relâchement du lien fédéral. Elle peut aussi briser l'État fédéral comme en Union soviétique, en Tchécoslovaquie et en Yougoslavie. La formule fédérale ne se maintient pas là où elle résulte d'un phénomène de domination : poids d'un parti unique, idéologie impérialiste ou pratiques dictatoriales.

Malgré les crises et les échecs on observe toutefois une persistance du modèle constitutionnel. Comment alors ne pas s'interroger sur les conditions de son succès. Il est permis de se demander si la réussite de l'État fédéral n'est pas liée à l'existence ou non d'un sentiment national.

Le lien fédéral est-il vécu comme citoyenneté commune, ses chances de persister, à travers d'inévitables transformations, sont grandes. Est-il vécu comme une contrainte imposée par les hasards de l'histoire ou la force des armées, elles sont faibles. La question est bien de savoir s'il existe dans l'opinion une véritable adhésion à la communauté politique nouvelle qui a été constituée.

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Document n° 9. Constitution espagnole de 1978 (extraits)

TITRE VIII – DE L’ORGANISATION TERRITORIALE DE L’ÉTAT

CHAPITRE PREMIER – PRINCIPES GÉNÉRAUX Article 137. L’État, dans son organisation territoriale, se compose de communes, de provinces et des Communautés autonomes qui se constitueront. Toutes ces entités jouissent d’autonomie pour la gestion de leurs intérêts respectifs. Article 138. 1. L’État garantit l’application effective du principe de solidarité consacré à l’article 2 de la Constitution, en veillant à l’établissement d’un équilibre économique approprié et juste entre les différentes parties du territoire espagnol, compte tenu tout particulièrement des circonstances propres au caractère insulaire. 2. Les différences entre les statuts des diverses Communautés autonomes ne pourront impliquer, en aucun cas, des privilèges économiques ou sociaux. Article 139. 1. Tous les Espagnols ont les mêmes droits et les mêmes obligations dans n’importe quelle partie du territoire de l’État. 2. Aucune autorité ne pourra adopter des mesures qui directement ou indirectement entraveraient la liberté de circulation et d’établissement des personnes et la libre circulation des biens sur tout le territoire espagnol. CHAPITRE 3 – DES COMMUNAUTÉS AUTONOMES Article 143. 1. En application du droit à l’autonomie reconnu à l’article 2 de la Constitution, les provinces limitrophes ayant des caractéristiques historiques, culturelles et économiques communes, les territoires insulaires et les provinces ayant une entité régionale historique pourront se gouverner eux-mêmes et se constituer en Communautés autonomes, conformément aux dispositions du présent titre et des statuts respectifs. 2. Le droit d’initiative, en matière d’autonomie, incombe à tous les Conseils généraux intéressés ou à l’organe interinsulaire correspondant et aux deux tiers des communes dont la population représente au moins la majorité du corps électoral de chaque province ou de chaque île. Ces conditions devront être remplies dans le délai de six mois à partir de l’adoption du premier accord en la matière par l’une des collectivités locales intéressées. [...] Article 146. Le projet de statut sera élaboré par une assemblée composée des membres du Conseil général ou de l’organe interinsulaire des provinces concernées et par les députés et les sénateurs élus dans chacune d’elles; il sera transmis aux Cortès générales pour qu’il lui soit donné cours en tant que loi.

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Article 147. 1. Selon les termes de la présente Constitution, les statuts seront la norme institutionnelle de base de chaque Communauté autonome et l’État les reconnaîtra et les protégera comme partie intégrante de son ordre juridique. 2. Les statuts d’autonomie devront contenir: a) le nom de la Communauté qui correspondra le mieux à son identité historique; b) la délimitation de son territoire; c) la dénomination, l’organisation et le siège des institutions autonomes propres; d) les compétences assumées dans le cadre établi par la constitution et les bases pour le transfert des services correspondant a ces compétences. 3. Toute révision des statuts suivra la procédure établie par ceux-ci et exigera, en tout cas, l’approbation des Cortès générales, au moyen d’une loi organique. Article 148. 1. Les Communautés autonomes pourront assumer des compétences dans les matières suivantes: 1) l’organisation de leurs institutions de gouvernement autonome; 2) les modifications des limites des communes comprises dans leur territoire et, en général, les fonctions qui incombent à l’administration de l’État en ce qui concerne les collectivités locales et dont le transfert est autorisé par la législation sur le régime local; 3) l’aménagement du territoire, l’urbanisme et le logement; 4) les travaux publics intéressant la Communauté autonome sur son propre territoire; 5) les chemins de fer et les routes dont le parcours se trouve intégralement sur le territoire de la Communauté autonome et, dans les mêmes conditions, le transport assuré par ces moyens ou par câble; 6) les ports de refuge, les ports et les aéroports de plaisance et, en général, ceux qui n’ont pas d’activités commerciales: 7) l’agriculture et l’élevage conformément à l’organisation générale de l’économie; 8) les forêts et l’exploitation forestière; 9) la gestion en matière de protection de l’environnement; 10) les projets, la construction et l’exploitation des installations hydrauliques, des canaux et des systèmes d’irrigation présentant un intérêt pour la Communauté autonome, et les eaux minérales et thermales; 11) la pêche dans les eaux intérieures, l’exploitation des fruits de mer et l’aquiculture, la chasse et la pêche fluviale; 12) les foires locales; 13) le développement de l’activité économique de la Communauté autonome dans le cadre des objectifs fixés par la politique économique nationale; 14) l’artisanat; 15) les musées, les bibliothèques et les conservatoires de musique présentant un intérêt pour la Communauté autonome; 16) le patrimoine monumental présentant un intérêt pour la Communauté autonome; 17) le développement de la culture, de la recherche et, s’il y a lieu, de l’enseignement de la langue de la Communauté autonome; 18) la promotion et l’aménagement du tourisme sur leur territoire; 19) la promotion du sport et l’utilisation adéquate des loisirs; 20) l’assistance sociale; 21) la santé et l’hygiène; 22) la surveillance et la protection de leurs édifices et de leurs installations. La coordination et d’autres fonctions en rapport avec les polices locales selon les dispositions que déterminera une loi organique.

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2. Au terme d’une période de cinq ans et par la révision de leurs statuts, les Communautés autonomes pourront étendre successivement leurs compétences dans le cadre établi à l’article 149. Article 149. 1. L’État jouit d’une compétence exclusive dans les matières suivantes: [suit une longue énumération] 3. Les matières qui ne sont pas expressément attribuées à l’État par la Constitution pourront incomber aux Communautés autonomes, conformément à leurs statuts respectifs. La compétence dans les matières qui ne figurent pas dans les statuts d’autonomie incombera à l’État, dont les normes prévaudront, en cas de conflit, sur celles des Communautés autonomes dans tous les domaines qui ne sont pas attribués à leur compétence exclusive. Le droit étatique aura, dans tous les cas, un caractère supplétif par rapport au droit des Communautés autonomes. [...]

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Université Paris 8

Introduction au Droit constitutionnel (Semestre I)

Séance de travaux dirigés n° 6 : La participation au pouvoir Document n° 1. Bidégaray, Ch., « Élection », dans Y. Mény, O. Duhamel, dir., Dictionnaire constitutionnel, PUF, 1992, p. 372-373. Document n° 2. Manin, B., Principes du gouvernement représentatif, Flammarion, coll. « Champs », 1995, p. 279-302 (extraits). Document n° 3. Fonbaustier, L., « Élection », dans D. Alland, S. Rials, dir., Dictionnaire de la culture juridique, PUF/LAMY, 2003, p. 604-607. Document n° 4. De Villiers M. et Le Divellec A., « Référendum », dans Dictionnaire du droit constitutionnel, Sirey, 10e éd., 2015, p. 313-314. Document n° 5. Hamon F., Troper M., Droit constitutionnel, LGDJ, 2012, p. 194-197 (extraits). Document n° 6. Carré de Malberg, R., « Considérations théoriques sur la question de la combinaison du référendum avec le parlementarisme », Revue du droit public, 1931, p. 236 et s. Document n° 7. Intervention d'Émile Combes, président du Conseil, devant la Chambre des députés, 21 janvier 1903 (extrait de Mopin M., Les grands débats parlementaires de 1875 à nos jours, La Documentation française, 1988, p. 183). Dissertation : « La nécessité du référendum dans une démocratie

moderne »

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Document n° 1. Bidégaray, Ch., « Élection », dans Y. Mény, O. Duhamel, dir., Dictionnaire constitutionnel, PUF, 1992, p. 372-373. L’élection est un mode de dévolution du pouvoir reposant sur un choix opéré par l’intermédiaire d’un vote ou suffrage. La démocratie athénienne, la République romaine ont utilisé ce mode de choix des gouvernants. Les premiers chrétiens y recourent pour désigner les évêques et le pape. Au Moyen Age, ce procédé est connu dans le monde anglo-saxon (choix des rois teutoniques ou Saint Empire romain). Certaines villes et guildes peuvent également s’en servir. L’organisation financière de la France d’Ancien Régime reconnaît aussi un régime distinct de perception de l’impôt pour les ‘pays d’élection’. Toutefois, l’émergence progressive de la Chambre des Communes à côté des lords en Grande-Bretagne et la naissance du régime parlementaire entraînent le développement du procédé électif. Il connaît un succès définitif avec la généralisation de l’idée démocratique à partir de la fin du XVIIIe siècle. Deux options s’affrontent. Celle de la souveraineté nationale abstraite, indivisible, dans laquelle le citoyen a pour fonction d’exprimer la volonté nationale – mission qui ne saurait être confiée à n’importe qui : c’est la démocratie représentative. Celle de la souveraineté populaire selon laquelle chaque citoyen, détenteur d’une parcelle de souveraineté, doit l’exercer directement. Le corps des citoyens exerce alors lui-même les trois fonctions législative, exécutive, judiciaire. Par impossible, il se gouverne par l’intermédiaire de représentants élus mais contrôlés et révocables : c’est la démocratie directe. Ces deux conceptions qui déterminent l’étendue du droit de suffrage se sont opposées tout au long du XIXe siècle et du XXe siècle à travers le conflit entre suffrage restreint et suffrage universel. Avec le ralliement de la communauté internationale au suffrage universel et la prise en compte des limites de la démocratie politique au regard des exigences de la démocratie économique et sociale, le débat s’est prolongé par l’alternative entre démocratie libérale et pluraliste et démocratie socialiste ou unanimiste. Dans les démocraties constitutionnelles pluralistes le débat porte sur le vote individuel (ou politique) et le vote social (ou économique). Le suffrage plural ou familial essaie de répondre à ces préoccupations. Même dans le cas du suffrage universel, l’élection peut connaître un certain nombre de limites. Tout d’abord celles tenant à la capacité électorale (âge, sexe, condamnations, etc.).D’autres tiennent aussi au type de suffrage retenu : suffrage direct (chambre législative, président) ou indirect (deuxième chambre, chef de l’Etat). D’autres découlent de la taille et du découpage des circonscriptions à l’intérieur desquelles se déroulent les élections. D’autres enfin résultent du mode de scrutin retenu : scrutin majoritaire qui déforme la réponse électorale mais assure l’efficacité des majorités victorieuses ; scrutin de liste, plus représentatif des nuances de l’opinion mais conduisant à des coalitions souvent impuissantes. Ces traits sont plus ou moins forts selon qu’on privilégie dans le scrutin majoritaire un, ou deux tours (ou plus) et dans le scrutin de liste, la représentation proportionnelle intégrale, approchée, le vote préférentiel, le vote unique transférable, ou des systèmes mixtes.A supposer résolues ces difficultés techniques, il n’en reste pas moins que la démocratie se réduit essentiellement à une lutte concurrentielle de professionnels de la politique sur les votes du peuple (J. Schumpeter). Hors les cas de primaires, le choix des candidats relève bien souvent de la cooptation par les appareils des partis. Malgré la réglementation des campagnes électorales et de leur financement, le poids de l’argent secret, le marketing politique et les sondages viennent altérer souvent la réalité de la consultation. Reste alors à se demander si ‘les élections sont la démocratie ?’. L’abstentionnisme, le poids du marais et du vote flottant, la faible compétence politique du citoyen, privent l’élection d’une large part de son efficacité supposée. Que dire alors des élections non compétitives (liste unique) ou semi-compétitives (cas d’une très grande majorité de pays) où l’élection, plus qu’un ‘piège’, est une trahison ?

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Document n° 2. Manin, B., Principes du gouvernement représentatif, Flammarion, coll. « Champs », 1995, p. 279-302 (extraits). « L’élection des gouvernants – Une inflexion remarquable se manifeste depuis plusieurs années dans l’analyse des résultats électoraux. Jusque dans les années 70, la plupart des études électorales arrivaient à la conclusion que le comportement électoral s’expliquait pour l’essentiel par les caractéristiques sociales, économiques et culturelles des citoyens. Or de nombreux travaux soulignent qu’il n’en va plus ainsi aujourd’hui. Les résultats du vote peuvent varier significativement d’une élection à l’autre alors même que les caractères sociaux, économiques et culturels des électeurs restent à peu près identiques pendant la période considérée.

La personnalisation du choix électoral – La personnalité des candidats en présence apparaît comme un des facteurs essentiels de cette variation. Les électeurs votent différemment, d’une élection à l’autre, selon la personnalité des candidats offerts à leurs choix. Les électeurs votent de plus en plus pour une personne, et non plus seulement pour un parti ou un programme. Ce phénomène marque une transformation par rapport à ce que l’on avait considéré comme le comportement normal des électeurs dans une démocratie représentative. Il crée ainsi l’impression d’une crise de la représentation. En réalité, on l’a vu, le rôle prédominant des étiquettes partisanes dans la détermination du vote était seulement la caractéristique d’un type particulier de représentation, la démocratie de partis. On peut aussi bien voir dans la transformation actuelle un rapprochement avec l’un des traits constitutifs du parlementarisme originel : le caractère personnel de la relation représentative.

Quoique l’importance croissante des personnalités se manifeste aussi dans la relation entre les parlementaires et les électeurs de leur circonscription, elle est surtout sensible au niveau national, dans la relation entre le pouvoir exécutif et l’ensemble de l’électorat. Depuis quelques décennies, les analystes observent dans tous les pays occidentaux une tendance à la ‘personnalisation’ du pouvoir. Dans les pays où le chef de l’exécutif est directement élu au suffrage universel, l’élection présidentielle tend à devenir l’élection principale et à structurer l’ensemble de la vie politique. Dans les pays où le chef de l’exécutif est le leader de la majorité parlementaire, les élections législatives s’organisent autour de sa personne. Les partis continuent de jouer un rôle central, car la possibilité de mobiliser une structure préalablement organisée avec son réseau de relations et d’influences, ses capacités à collecter des fonds et sa main-d’œuvre bénévole demeurent un atout décisif dans la compétition électorale. Mais ils tendent à devenir les instruments au service d’un leader. A la différence de ce qui se passe dans le parlementarisme classique, le chef du gouvernement, plutôt que le parlementaire, apparaît donc ici comme le représentant par excellence. Il reste que le lien entre le représentant ainsi défini et ses électeurs retrouve son caractère essentiellement personnel.

Ce nouveau caractère du lien représentatif résulte principalement, semble-t-il, de deux causes qui, quoique indépendantes l’une de l’autre, exercent cependant des effets convergents. Les techniques de communication jouent, tout d’abord, un rôle essentiel : la radio et la télévision, qui tendent à devenir les moyens de communication principaux, confèrent un caractère direct et sensible à la perception des candidats et des élus par les électeurs. Le candidat peut – de nouveau – se faire connaître sans passer par la médiation d’organisations militantes. L’âge des militants et des hommes d’appareil est passé. En un sens, la télévision ressuscite le face-à-face qui marquait le lien entre représentants et représentés dans la première forme de gouvernement représentatif. Mais la télévision et les moyens de communication de masse sélectionnent un certain type de qualités et de talents : ceux qui parviennent à se faire élire ne sont pas des notables locaux, mais des individus qui maîtrisent mieux que les autres les techniques de communication, ce qu’on appelle des ‘figures médiatiques’. Nous assistons aujourd’hui, non pas à une crise du gouvernement représentatif, mais seulement à un changement du type d’élites sélectionnées. Les

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élections continuent de désigner des individus possédant des caractères distinctifs que les autres n’ont pas, elles conservent le caractère élitiste qu’elles ont toujours eu. Mais une nouvelle élite de spécialistes de la communication prend la place des militants et des hommes d’appareil. La démocratie du public est le règne de l’expert en communication.

D’autre part, le rôle croissant des personnalités au détriment des programmes constitue une réponse aux conditions nouvelles dans lesquelles s’exerce l’activité des gouvernants. L’ampleur de la tâche des gouvernants s’est considérablement accrue au cours du dernier siècle : le gouvernement ne règle plus seulement les conditions générales de la vie sociale, il intervient dans toute une série de domaines (en particulier dans le domaine économique) par des décisions ponctuelles et singulières. Or, sauf à devenir immense, illisible et, partant, inutile pour la mobilisation des électeurs, un programme ne peut pas contenir le catalogue de toutes les mesures singulières qu’entend prendre un candidat. Mais surtout, les différents Etats sont devenus de plus en plus interdépendants en matière économique, en particulier depuis la Seconde Guerre mondiale. Cela signifie que l’environnement auquel chaque gouvernement est confronté résulte des décisions prises par un nombre de plus en plus grand d’acteurs. Cet environnement devient ipso facto de moins en moins prévisible. En se proposant comme gouvernants, les hommes politiques savent qu’ils devront faire face à l’imprévisible, ils n’ont donc pas intérêt à se lier les mains par avance en s’engageant sur un programme détaillé.

La nature de l’activité gouvernementale contemporaine et l’environnement dans lequel elle est conduite appellent ainsi de plus en plus l’exercice de ce qu’on pourrait appeler, pour utiliser un terme ancien, un pouvoir de ‘prérogative’ […]. Les électeurs doivent aujourd’hui accorder aux gouvernants une marge de discrétion par rapport aux promesses faites pendant la campagne électorale. En fait, il en a toujours été ainsi dans le gouvernement représentatif, une fois la décision prise d’interdire les mandats impératifs. La situation présente rend seulement plus visible un trait permanent de la représentation. Mais un pouvoir pour partie discrétionnaire ne signifie pas un pouvoir irresponsable. Les électeurs contemporains conservent la faculté de démettre les gouvernants au terme de leur mandat si les décisions que ceux-ci ont prises de leur propre chef ne satisfont pas la majorité. L’âge des programmes politiques détaillés est sans doute passé, mais celui des bilans commence peut-être.

Et en tout cas, il reste possible, comme il l’a toujours été depuis les origines du gouvernement représentatif, de juger les gouvernants sur leurs actions passées […]. Le rôle de l’offre électorale en général – La personnalité des candidats ne constitue toutefois qu’un des facteurs dont les études électorales soulignent aujourd’hui les effets sur le vote, indépendamment des caractéristiques sociales, économiques et culturelles des électeurs. On note aussi que le comportement électoral varie selon la configuration des candidatures (selon que, par exemple, seuls deux camps s’affrontent, la majorité sortante et l’opposition, ou qu’au contraire les électeurs ont le choix entre plusieurs partis à l’intérieur de chaque camp). De même encore, de nombreux électeurs votent différemment selon la perception qu’ils ont de ce qui est institutionnellement mis en jeu à chaque élection : l’orientation de leur vote change selon qu’il s’agit d’une élection locale ou nationale, présidentielle ou législative, d’une élection législative générale ou partielle, etc. Il semble enfin que le comportement électoral change en fonction des problèmes ou des thèmes sur lesquels l’accent est mis dans la campagne électorale. Les résultats des élections varient significativement, même dans les courts intervalles de temps, selon les questions qui ont dominé la campagne électorale. Les électeurs semblent répondre aux termes du choix offert par les hommes politiques, plutôt qu’exprimer leur identité sociale ou culturelle. Les préférences politiques semblent aujourd’hui se former autrement que dans la démocratie de partis. La dimension réactive du vote paraît prendre le pas. Se présenter à une élection revient toujours à proposer un élément de partage et de différenciation entre les électeurs. D’une part, en effet, l’élection a pour objet de départager et de séparer ceux qui soutiennent un candidat et

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ceux qui ne le soutiennent pas. D’autre part, les individus se mobilisent et se rassemblent politiquement d’autant mieux qu’ils ont des adversaires et perçoivent la différence qui les sépare d’eux. Le candidat doit dès lors s’identifier lui-même, mais il doit aussi définir ses adversaires. Il ne se présente pas seulement lui-même, il présente une différence. Il propose en fait un principe de partage. Dans toute élection, les hommes politiques ont donc besoin de différences leur permettant de départager ou de séparer leurs partisans et leurs adversaires. Les clivages sociaux qui, en dehors des élections, partagent la masse des citoyens constituent à cet égard des ressources essentielles.

Dans des sociétés où un clivage social, économique et culturel prend le pas sur tous les autres et s’impose à l’évidence comme le clivage primordial, les hommes politiques savent par avance et avec une relative certitude qu’ils ont intérêt à faire fonds sur lui pour mobiliser et départager les électeurs. Ils sont, dès lors, conduits à proposer des termes du choix reflétant ce clivage central. L’offre politique apparaît donc comme la transposition d’un clivage préexistant. C’est ce qui se passe dans la démocratie de partis. Or, dans nombre de sociétés occidentales, la situation est aujourd’hui différente. Aucun clivage social, économique ou culturel n’est beaucoup plus important que tous les autres et ne s’impose a priori avec évidence comme la division primordiale. Les citoyens ne constituent sans doute pas une masse homogène que les termes offerts au choix pourraient faire se partager de n’importe quelle façon. Mais les lignes de clivage préexistant à l’élection sont multiples et ne coïncident pas les unes avec les autres. Ces lignes de clivage changent en outre rapidement.

L’électorat se prête, dès lors, à plusieurs découpages politiques, il comporte la virtualité de plusieurs partages différents. L’offre électorale peut actualiser (ou activer) l’un ou l’autre d’entre eux. Ceux qui contribuent à formuler l’offre (les gouvernants sortants et leurs opposants) ont donc une autonomie relative dans le choix du clivage sur lequel ils jouent et dans celui des termes qu’ils proposent pour l’activer. Ils ne savent pas à l’avance quel est, parmi les partages possibles, celui qu’ils ont intérêt à promouvoir. Dans une telle situation, l’initiative des termes offerts au choix appartient donc aux hommes politiques, non pas à l’électorat. Cela explique que le vote apparaisse aujourd’hui principalement comme une réaction de l’électorat. En fait, dans toutes les formes de gouvernement représentatif, le vote constitue pour partie une réaction de l’électorat face aux termes qui lui sont proposés ».

Document n° 3. Fonbaustier, L., « Élection », dans D. Alland, S. Rials, dir., Dictionnaire de la culture juridique, PUF/LAMY, 2003, p. 604-607. L’élection n’a jamais, historiquement, abandonné les contrées éclairantes de l’étymologie. Eligere signifie choisir et l’élection correspond en effet, en français vieilli, à cette faculté. Maître-mot précoce du vocabulaire théologique, l’élection renvoie dès l’origine à l’idée directrice de peuple élu, désigné librement par amour de Dieu et consentant à être fidèle à ses promesses. Dans ce sillage, les orientations plus mondaines d’une élection recomposée garderont trace de ces caractères. Une fois exclue la signification particulière que revêt le terme en histoire financière – un pays dit « d’élection » est alors le siège du contentieux de la taille et des principales impositions indirectes – le terme peut être défini assez simplement.

Offrant certains points de ressemblance avec les notions de désignation et de nomination, l’élection se particularise comme un mode de dévolution du pouvoir supposant un choix (donc plusieurs possibles) opéré au sein d’un groupe (donc un corps électoral) au moyen de mécanismes appropriés permettant d’assurer la mise en œuvre du vote. Historiquement, et de manière idéale, l’élection est apparue comme le moyen adéquat, le plus juste (sinon le plus

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efficace) pour assurer la représentation (des gouvernés par les gouvernants), avec laquelle l’élection entretient d’ailleurs un rapport quasiment symbiotique. A quelques exceptions près (le pouvoir, au sein de l’Union européenne par exemple, n’est pas entièrement exercé ou assumé par des organes directement élus ; le droit de la fonction publique fait souvent, c’est compréhensible, la part belle aux nominations…), l’élection s’est donc progressivement généralisée, les mécanismes assurant sa mise en œuvre se sont également affinés, et sa signification s’est profondément renouvelée.

La généralisation progressive de l’élection

En tant qu’instrument de désignation des gouvernants, l’élection a conquis ses lettres de noblesse aux dépens d’autres modes de dévolution du pouvoir. Elle s’est ainsi imposée comme un possible substitut au tirage au sort, invention de la démocratie grecque qui choquerait aujourd’hui mais fut longtemps la marque d’un idéal républicain. Elle est également ressentie comme une alternative viable, limitant le « bon plaisir », aux modes de gouvernement par nominations ; elle est enfin, c’est historiquement très net à travers le passage des monarchies héréditaires aux régimes représentatifs de type parlementaire, un instrument de participation des citoyens à la chose publique, à la différence d’une transmission héréditaire du pouvoir, qui en confisque la dévolution au profit d’une famille ou d’une lignée et peut toujours faire craindre l’arbitraire et l’incompétence de la descendance.

L’extension des corps électoraux apparaît comme un caractère historique remarquable de l’élection. Déjà au siècle de Périclès, aucune condition de cens n’était requise pour être élu magistrat. A Rome, le droit de prendre part aux élections varia sous la République et sous l’Empire, mais en principe, comme dans toutes les cités antiques, les esclaves, les femmes et les étrangers étaient exclus du processus électoral (comme électeurs et comme candidats).

Une même réduction du corps électoral et de la possibilité d’accéder aux charges publiques se manifeste pendant une grande partie du Moyen Age, pendant lequel les conceptions hiérarchiques et aristocratiques du corps social ont pour effet de confier les élections à des corps étroits, composés d’électeurs que leur position dans l’espace social permet de réputer capables ou sages. Dans l’Eglise, où la notion de sanior et maior pars renvoie directement à l’inégalité devant les élections, des mouvements fondamentaux apparaissent précocement en faveur d’un droit de suffrage plus largement partagé, dans les ordres religieux notamment puis, comme conséquence du phénomène politique que représenta le conciliarisme, dans l’Eglise séculière. Le suffrage universel ne réapparaît, dans son principe, que progressivement.

En Grande-Bretagne, l’extension du droit de suffrage masculin ne fut réelle qu’à partir de la réforme de 1832 et nécessita près d’un siècle. Même la Révolution française, qui proclama énergiquement les droits universels, distingua en 1791 entre les citoyens passifs et les citoyens actifs, qui seuls avaient accès au vote (sur fond de débats larvés entre électorat-droit et électorat-fonction). La concrétisation des principes électoraux n’a en effet rien de linéaire : furent ainsi longtemps exclus du vote d’une part les femmes, dont la capacité était mise en cause et qui n’ont conquis ce droit que tardivement, souvent grâce à leur rôle actif pendant les guerres (Autriche : 1918 ; Etats-Unis : 1920 ; France : 1944) ; d’autre part les non propriétaires et les pauvres, souvent considérés comme manquant des lumières indispensables (sous la Restauration, le suffrage censitaire imposait un cens électoral était fixé à 300 francs de contribution directe et à 250 francs sous la Monarchie de Juillet). La question du vote des étrangers, enfin, laisse entrevoir le rapport historique entre nationalité et citoyenneté. Si en Grande-Bretagne, les ressortissants des pays du Commonwealth disposent du droit de vote pour toutes les élections, cette faculté est généralement réduite, dans la plupart des pays qui en acceptent le principe, aux élections locales et sous condition de résidence (comme c’est le cas en Suède depuis 1976 ou aux Pays-Bas depuis

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1985). Le Traité de Maastricht, ratifié par la France en septembre 1992, confère aux étrangers citoyens d’un Etat membre de l’Union un droit de vote aux élections européennes et municipales. Par ailleurs, d’autres circonstances viennent encore restreindre le droit de suffrage : des conditions d’âge (dix-huit ans est, actuellement, le seuil fixé pour la majorité électorale dans de nombreuses démocraties représentatives) ; des interdictions liées à l’incapacité (notion utile mais dangereuse car reposant parfois sur des motifs discutables, comme l’analphabétisme en Italie jusqu’en 1912) ou l’indignité d’un électeur (privé du droit de vote en raison de condamnations judiciaires). L’élargissement du corps électoral peut, au même titre que la libéralisation des conditions de la candidature, être analysé comme le signe d’une démocratisation de l’élection.

À l’extension progressive du corps électoral fait écho l’amplification du phénomène général de l’élection. Par une sorte d’effet irradiant, les principes électoraux ont progressivement gagné (sans qu’il soit facile de préciser le sens du rayonnement entre espaces public et privé) la plupart des sphères sociales où la représentation joue un rôle. Sous la République romaine déjà, l’élection était le mode habituel – à quelques exceptions près – de désignation des magistrats. Dans la mouvance d’idées libérales et individualistes, elle s’est historiquement étendue à de nombreuses fonctions politiques. Mais loin d’être réductible à l’univers politique, national ou local, l’élection a gagné l’ensemble des collectivités humaines : les associations et certaines sociétés élisent leurs présidents, les entreprises désignent ainsi les représentants du personnel, les cardinaux le pape, l’Académie française un nouvel académicien, etc. L’élection est devenue un mode privilégié et incontesté d’émergence des représentants et d’accès à des fonctions de direction. Son extension à la désignation des juges est même préconisée par les optimistes qui, prenant exemple sur la Suisse (pour les magistrats cantonaux et fédéraux) ou sur les Etats-Unis (où le juge est depuis longtemps considéré comme agent de l’Etat de droit), y voient le seul mécanisme susceptible de garantir l’impartialité et la compétence morale de la magistrature. Dans la sphère du droit public, l’élection est tellement attachée à la démocratie que les constitutions modernes écrites lui consacrent souvent des dispositions (constitution française du 4 octobre 1958, art. 3 ; constitution des Etats-Unis du 17 septembre 1787, art. 1er, section II ; loi fondamentale de la République fédérale d’Allemagne du 23 mai 1949, art. 20.2 ; constitution italienne du 27 décembre 1947, art. 48). Par-delà le droit interne, la communauté internationale, qui dépêche souvent à ce titre d’importantes missions d’observation, voit dans l’élection, lorsqu’elle n’est pas qu’une simple vitrine, un indice fort autant qu’un gage du caractère démocratique d’un Etat, ainsi qu’une condition indispensable de reconnaissance officielle.

L’évolution des techniques électorales

La lecture cursive d’un code électoral surprend par les précautions qu’il révèle et la rigueur qu’il impose. Les procédures électorales sont en effet complexes et variées. La concrétisation des idées électorales supposait l’invention de techniques susceptibles d’assurer la conformité des élections aux principes les gouvernant. Significatives, ces modalités sont orientées par et peuvent rejaillir sur les différentes conceptions de la vie démocratique. Leur élaboration historique n’est pas linéaire, mais plusieurs périodes ont été particulièrement fructueuses pour leur découverte et leur mise au point. Certes, l’Antiquité offre des illustrations de l’ingénierie électorale. Les règlements de l’ecclesia, dans les temps forts de la démocratie grecque, mirent au point des mécanismes de vote sophistiqués. De son côté, Rome favorisa également le développement d’un droit électoral rigoureux et précis, permettant la désignation efficace des magistrats et d’un grand nombre de représentants du peuple. Après une période incertaine où le formalisme perdit du terrain, le Moyen Age, encore une fois faussement obscur, rationalisa efficacement les techniques électorales. Les structures séculières doivent ici beaucoup à l’Eglise, qui mit au point, dès le IIIe siècle, les premiers codes électoraux. On lui doit en effet d’importantes conquêtes (ou redécouvertes) : capacité électorale, incompatibilités, tours de scrutin, élections à plusieurs

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degrés, vote à bulletin secret (permettant la liberté de l’électeur), scrutateurs (garantissant la transparence de l’élection et assurant la comptabilisation des voix), etc.. Qu’il s’agisse des communes italiennes, des Etats généraux en France, des Cortes en Espagne ou du Parlement anglais, les expériences séculières ultérieures ont vraisemblablement, à la faveur d’une transmission des pratiques et des savoirs électoraux, bénéficié des perfectionnements réalisés dans les différents laboratoires ecclésiaux. Sans idéaliser ces mécanismes de l’ère pré-moderne, on peut noter que leur efficacité contraste parfois avec la lourdeur d’opérations électorales plus tardives, comme sous la Révolution. Dans l’urgence et parce que les acteurs semblaient démunis et ignorants de procédures oubliées, les auteurs du règlement électoral de 1789, inventant assez peu, ont d’ailleurs en ce domaine emprunté à l’Ancien Régime, assurant ainsi une certaine continuité formelle sur la longue durée. Pour assurer le respect des règles électorales prescrites, les démocraties libérales se sont dotées d’instances non juridictionnelles (certaines autorités administratives indépendantes en France, et leur équivalent à l’étranger) de surveillance des opérations électorales. Les institutions juridictionnelles (juges constitutionnels, répressifs ou ordinaires) ont également la mission, dans le cadre d’un contentieux électoral complexe, de favoriser la transparence des élections. Les juges procèdent à la vérification des régularités externe et interne du processus électoral. L’histoire des élections est celle d’un enchâssement croissant de leurs modalités dans un système de règles contraignantes et de leur soumission à un contrôle juridictionnel serré. Non que le contentieux électoral soit une invention entièrement moderne. Au Moyen Age déjà, certains docteurs de l’Eglise (Guillaume de Mandagout, Bellemère) avaient appris à distinguer tous les vices susceptibles d’affecter l’acte électoral et de nuire à la transparence du choix fait par les électeurs. On doit cependant à l’époque moderne d’avoir insisté sur le lien entre l’effectivité des règles électorales et l’intervention juridictionnelle, sans lequel la volonté du corps électoral ne peut qu’être trahie. Dans les démocraties parlementaires, afin d’éviter certains abus (on pense aux députés poujadistes, grossièrement évincés du Parlement en 1956) les juridictions ont généralement remplacé les assemblées parlementaires pour effectuer le contrôle des élections de leurs membres. En n’acceptant de censurer une élection que dans le cas où le nombre de votes douteux a pu influencer le résultat du scrutin, les juges prouvent qu’ils sont gardiens de la sincérité et non de la moralité du vote, conception réaliste sans laquelle d’incessants scrutins auraient lieu, qui fragiliseraient l’acte même de l’élection.

L’évolution historique a consacré la variété des modes de scrutin, dont chacun répond à des considérations politiques différentes. Historiquement le plus ancien, le scrutin majoritaire (uni- ou plurinominal) repose sur l’attribution du ou des sièges à pourvoir à celui ou ceux arrivés en tête (l’exigence de majorité variant selon que le scrutin est à un ou à deux tours). Il peut être utilisé seul ou associé à la représentation proportionnelle, dont l’invention, plus récente, a donné lieu à des aménagements subtils. Comme l’indique son nom, elle repose sur le principe d’une répartition des sièges à pourvoir au prorata des suffrages obtenus. Le contraste entre ces deux modes principaux de scrutin (il y en a beaucoup d’autres, plus ou moins apparentés à eux) se manifeste à un triple point de vue : concernant la représentation, l’effet simplificateur du scrutin majoritaire est évident, puisqu’il évince des institutions des minorités parfois très fortes et peut même conduire (les expériences anglaise et américaines en témoignent) à une éviction totale de courants politiques essentiels en offrant une « prime à la majorité ». La représentation proportionnelle permet, au nom d’une certaine éthique de la représentation (en dépit d’incontournables effets de seuils : par exemple plancher de 5% de voix imposé pour participer à la répartition des sièges), une photographie plus fine de la sociologie électorale. S’agissant du fonctionnement des institutions, le scrutin majoritaire présente l’avantage (à nuancer notamment lorsque le scrutin est à deux tours) de faciliter l’apparition d’une majorité stable et d’un mode de gouvernement efficace, alors que la proportionnelle favorise, par la multiplication des groupes représentatifs, des coalitions souvent hétérogènes et incontrôlables rendant la tâche de et du

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gouvernement délicate. Leurs effets sur les partis politiques accusent encore l’opposition entre les deux modes de scrutin : simplificateur, le scrutin majoritaire concentre la représentation. Il encourage généralement le vote utile et le bipartisme (scrutin à un tour) et un multipartisme limité (scrutin à deux tours). Au contraire, la proportionnelle, au risque de pulvériser la représentation, stimule la formation de courants d’opinion, même minoritaires, qui se traduisent souvent par l’émergence de partis politiques espérant participer à la répartition des sièges. Combinés, ces divers éléments posent la question de la signification de l’élection du point de vue démocratique.

La transformation de la signification de l’élection

Si actuellement, le droit d’élire et celui d’être élu sont classés parmi les droits fondamentaux, comme expressions majeures des « droits-participation », cette conception est plutôt récente. En tant que forme, les élections existent depuis l’Antiquité, mais elles ne renvoient au modèle du citoyen-électeur et à l’univers démocratique-individualiste que depuis l’ère moderne. Pendant très longtemps, le geste électoral, teinté d’organicisme, fut indissociable de l’idée d’un peuple comme corps social, et la désignation par un agrégat d’individus est apparue récemment. Lorsque existait l’élection des rois ou des évêques, elle était un acte de reconnaissance (du meilleur, du plus sage) plus qu’un événement institutif ou constitutif réellement autonome. En Occident tout au moins, certaines ruptures culturelles et métamorphoses de la représentation ont transformé la signification de l’élection : de choix divin auquel elle renvoyait à l’origine, elle est devenue un instrument de désignation des gouvernants dans une logique où, même humaine, elle réalisait l’esprit de concorde et révélait les meilleurs, les plus aptes à servir le bien commun. Elle est ensuite devenue un outil de lutte entre les volontés individuelles ou les intérêts particuliers, eux-mêmes progressivement canalisés avec l’émergence cruciale des partis politiques modernes, aux XVIIIe et XIXe siècles. Ce qu’ont en commun les procédures n’ôte donc rien aux bouleversements en profondeur de l’élection. Reposant sur des mécanismes de base analogues, les élections à Rome, au Moyen Age, à l’époque moderne et à l’heure actuelle ne renvoient pas au même univers mental ; elles reflètent des problématiques du pouvoir et de l’être ensemble fondamentalement différentes. La sociologie politique nous enseigne que l’autonomie individuelle galopante, dans la prise de décision électorale, permet de nos jours, par le truchement des partis politiques, de choisir entre des programmes de gouvernement et de départager des équipes en compétition (à cet égard, la formule de Schumpeter, pour qui le rôle du peuple est de produire un gouvernement, reste actuelle), tout en faisant, en quelque sorte, allégeance envers le type de régime politique dans le cadre duquel œuvrent les électeurs.

Les mécanismes électoraux interrogent enfin la démocratie. Les élections sont une condition sine qua non de la démocratie, en tant qu’elles constituent l’alternative moderne à la légitimité charismatique ou historique ; par elles, la raison d’être du pouvoir des gouvernants tient au fait qu’ils représentent (certes de manière fictive) la volonté du peuple, à tout le moins du corps électoral. L’élection est ainsi devenue le procédé d’expression de la volonté des électeurs et de leur choix des dirigeants chargés de décider en leur nom. Elle pose à cet égard le problème général du civisme et de l’abstentionnisme. En faire le fondement technique autant que le principe d’expression de la démocratie implique en retour, de la part des citoyens, une éducation politique suffisante, un sens exacerbé de la collectivité pour ne pas dire une certaine vertu civique, d’ailleurs parfois aidée (comme en Belgique, en Italie ou en Australie) par le caractère obligatoire du vote. Ces conditions idéales étant supposées remplies, l’élection n’en constitue pas pour autant l’élément suffisant de la réalisation d’une démocratie. Non seulement en raison du maintien sclérosant, et toujours possible, de véritables oligarchies politiques (déjà perceptibles sous la Révolution), mais également parce qu’elle expose le peuple à une éventuelle confiscation de son pouvoir et de sa souveraineté par les représentants. La formule de Rousseau est, à cet

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égard significative, lorsqu’il affirme : “Le peuple anglais pense être libre, il se trompe fort ; il ne l’est que durant l’élection des membres du parlement : sitôt qu’ils sont élus, il est esclave, il n’est rien” (Contrat social, III, XV). Par ailleurs, si l’élection apparaît comme la seule alternative à la démocratie directe, elle s’éloigne de la démocratie lorsqu’elle ne s’accompagne pas d’un authentique pluralisme politique, lui-même reflet de la variété des opinions au sein du corps social et facteur du maintien d’une véritable liberté de choix. Enfin, concrètement, les élections ne sont susceptibles de véhiculer une certaine idée de la démocratie que si elles traduisent transparence et sincérité, dans un cadre où l’alternance et le débat structurent l’opinion des électeurs.

Le désenchantement du monde et la perte bien connue de référence à la transcendance ont transformé l’élection en moyen de légitimation des gouvernants. L’on peut toujours craindre qu’une désaffection généralisée et le développement d’un électorat si flottant qu’il ne se déplace plus jusqu’aux urnes portent au pouvoir un dictateur ou un tyran. Dès lors qu’elle n’est plus un mécanisme « environné » par des valeurs éthiques et qu’elle dessine simplement la clôture de la relation gouvernants/gouvernés, l’élection s’apparente à l’autodétermination d’un peuple ou d’un groupe et peut en cela jouer, même dans le respect de la démocratie formelle, contre la démocratie réelle. La grandeur de l’élection est donc indissociable de l’inquiétude qu’elle génère, puisque à travers les gouvernants, elle tend à toute société le miroir souvent déformant de ses propres choix.

Document n° 4. De Villiers M. et Le Divellec A., « Référendum », dans Dictionnaire du droit constitutionnel, Sirey, 10e éd., 2015, p. 313-314. Le référendum, c’est le peuple législateur, ainsi que l’expose Jean-Jacques Rousseau : « Toute loi que le peuple en personne n’a pas ratifiée est nulle, ce n’est pas une loi ». Introduit dans la pratique constitutionnelle française par la Convention (premier référendum en juillet 1793 pour adopter la Constitution dite « montagnarde », et deuxième deux ans plus tard pour adopter celle du régime du Directoire), le référendum fera ensuite l’objet d’une utilisation plébiscitaire par les deux Bonaparte. Après une longue éclipse, de Gaulle le rétablira, d’abord en 1945 (référendum constituant du 21 octobre, qui sera suivi de deux autres – de Gaulle étant parti – les 5 mai et 13 octobre 1946), puis en 1958 (28 septembre pour adopter la Constitution de la Ve République et depuis, neuf autres, huit au titre de l'art. C. 11 et un dans le cadre de l'art. C. 89).).

Le référendum ne correspond pas à un modèle unique :

1. selon la procédure, il peut être d’initiative populaire (Italie : 500 000 signatures ; Suisse : 50 000), d’initiative parlementaire (France, art. C. 11, jusqu’ici sans succès), ou d’initiative gouvernementale, le président de la République ayant l’exclusivité de la décision d’organisation – et en pratique l’initiative elle-même – (tous les référendums organisés sous la Ve république) ; la révision de 2008 ouvre, de façon originale, la voie à un référendum d'initiative jumelée, à la fois parlementaire et populaire : la proposition déposée par un cinquième des membres du Parlement doit être soutenue par un dixième des électeurs inscrits (art. C. 11, al. 3 à 6) ;

2. selon l’objet, le référendum peut être constituant (1945, 1946, 1958, octobre 1962, 1969, 2000, avec beaucoup de contestations pour ceux d'oct. 1962 et 1969 en raison du choix de la procédure) ou législatif (en ce qui concerne les autres référendums de la Ve République) ;

3. selon le caractère du recours au référendum, il sera dit obligatoire ou facultatif (ainsi est obligatoire le référendum prévu à l’article C. 53 al. 3 : « Nulle cession, nul échange, nulle adjonction de territoire n’est valable sans le consentement de populations intéressées », mais, dans cette hypothèse, il ne s'agit pas d'un référendum national) ;

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4. selon la portée du vote, le référendum peut être, d’une part, national ou local (les Etats fédérés américains ou Cantons suisses ainsi que les collectivités territoriales françaises, art. C. 72-1, al. 2) ; et, d’autre part, décisionnel ou consultatif : dans le premier cas, il s’agira, soit d’abroger une loi en vigueur (Italie), soit de faire adopter un projet de loi (art. C. 11) et dans le second cas, de donner un avis dont le gouvernement fera l’usage qu’il jugera bon.

Le référendum permet au peuple de décider lui-même. Lorsqu’une Constitution accorde une place à la procédure référendaire parallèlement à l’élection de représentants, la démocratie pourra être qualifiée de semi-directe ». Document n° 5. Hamon F., Troper M., Droit constitutionnel, LGDJ, 2012, p. 194-197 (extraits). « […] Dans le système représentatif, les gouvernants exercent une souveraineté, dont ils ne sont pas les titulaires. Il faut donc déterminer qui est le titulaire véritable et en quoi consiste cette mystérieuse puissance. Il existe à ce sujet un débat très ancien et rendu confus par l’imprécision du vocabulaire.

Il faut, pour le clarifier, distinguer quatre significations des mots souveraineté et souverain […].

En quatrième lieu, la souveraineté est la qualité de l’être, réel ou fictif, au nom de qui est exercé le pouvoir de l’organe souverain […]. C’est en ce sens qu’on dit que seul la nation ou le peuple est souverain […]. Puisque le législateur n’est qu’un représentant, qu’il ne fait qu’exercer la souveraineté, à qui appartient réellement cette souveraineté ? Puisque l’exercice de la souveraineté a été délégué à des représentants, à qui appartient son essence ?

Sur ce point, on oppose traditionnellement deux doctrines, la souveraineté nationale et la souveraineté populaire.

1. La souveraineté populaire

Selon cette tradition, la doctrine de la souveraineté populaire enseigne que la souveraineté appartient au peuple, conçu comme l’ensemble des hommes vivant sur un territoire donné. Ce peuple serait donc un être réel. Il peut donc exercer lui-même sa souveraineté. La doctrine de la souveraineté populaire serait donc compatible avec la démocratie directe. Cependant au cas où il apparaîtrait que cette démocratie directe est peu praticable, le peuple pourrait déléguer l’exercice de la souveraineté.

Mais comme le peuple est un être réel, il est parfaitement capable d’avoir et d’exprimer une volonté distincte de celles des gouvernants. Tous ceux qui composent le peuple peuvent et ont le droit de choisir ces gouvernants et de contrôler leurs actions. Aussi, la doctrine de la souveraineté populaire implique-t-elle trois conséquences :

- le principe de l’électorat-droit, c’est-à-dire le suffrage universel,

- des éléments de démocratie directe, c’est-à-dire l’institution du référendum,

- le mandat impératif.

2. La souveraineté nationale

Au contraire, la doctrine de la souveraineté nationale postulerait que le titulaire de la souveraineté est la nation, c’est-à-dire une entité tout à fait abstraite, qui n’est pas composée

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seulement des hommes vivant sur le territoire à un moment donné, mais qu’on définit en prenant en compte la continuité des générations ou un intérêt général qui transcenderait les intérêts particuliers. Comme il s’agit d’une entité abstraite, il ne pourrait évidemment pas exercer la souveraineté. La démocratie directe est impossible. Elle ne peut vouloir que par ses représentants.

Elle ne peut d’ailleurs même pas les choisir, puisqu’elle n’a pas pour éléments des hommes réels. Elle est donc contrainte de confier ce soin à certains hommes. Le suffrage n’est pas un droit, mais une fonction confiée par la nation. Elle ne doit pas d’ailleurs être confiée à tous, mais à ceux qui sont capables de l’exercer et il se peut que seuls en soient capables certains, notamment parmi ceux qui, possédant des biens, exerçant une profession ou payant des impôts, ont un intérêt à défendre. Une fois élus, les représentants, qui ne représentent pas leurs électeurs mais cette nation abstraite, ne peuvent évidemment être soumis à aucun contrôle.

La souveraineté nationale entraînerait donc des conséquences symétriquement inverses de celles que l’on suppose à la souveraineté populaire :

- refus de la démocratie directe ou semi-directe,

- théorie de l’électorat-fonction et possibilité du suffrage restreint,

- prohibition du mandat impératif.

Ainsi, les constituants procéderaient toujours à un choix fondamental entre les deux doctrines de la souveraineté. Ce choix présenterait d’ailleurs un caractère idéologique marqué : la doctrine de la souveraineté populaire serait démocratique et progressiste, la doctrine de la souveraineté nationale conservatrice. On pourrait donc classer les constitutions selon qu’elles se rattachent à l’une ou l’autre doctrine : souveraineté nationale en 1791, populaire en 1793, nationale à nouveau en l'an III, etc. À l'Assemblée constituante de 1946, les deux doctrines auraient eu leurs partisans, de sorte qu'il aurait fallu réaliser un compromis, en énonçant que : « la souveraineté nationale appartient au peuple ». Cette formule, reproduite à l'article 3 de la Constitution de 1958, entraînerait ainsi certaines des conséquences de la souveraineté nationale et certaines conséquences de la souveraineté populaire ». Document n° 6. Carré de Malberg, R., « Considérations théoriques sur la question de la combinaison du référendum avec le parlementarisme », Revue du droit public, 1931, pp. 236 et s. Il est banal de rappeler que, dans les intentions des fondateurs du régime représentatif, le but effectif de ce régime devait être d'établir et d'assurer la maîtrise prépondérante de la classe bourgeoise sur la masse populaire, le régime électoral étant organisé, à l'époque révolutionnaire, de façon à ce que la Législature fût composée d'élus appartenant à cette classe. On ne peut donc pas dire que les hommes de la Révolution se soient laissé dominer par des théories dogmatiques du genre de celles du Contrat Social. En réalité, leur dessein était d'ordre fort pratique : reléguer le peuple dans un rôle simplement électoral. Ils n'ont fait intervenir les concepts philosophiques, en particulier celui de la souveraineté de la volonté générale, que pour colorer leur œuvre constituante d'une teinte qui parût la mettre d'accord avec le principe initial suivant lequel la nation seule possède le caractère souverain. À l'époque révolutionnaire, il n'y a que la Constitution de 1793 qui ait vraiment pratiqué l'idéologie, en déduisant, du principe posé dans l'article 4 de sa Déclaration des Droits : « La loi est l'expression libre de la volonté générale », la conséquence logique que les lois ne sont parfaites que par la sanction qui leur est donnée,

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silencieusement ou expressément, par le peuple ; mais aussi, cette Constitution n'est-elle point sortie du domaine de la spéculation abstraite dans lequel elle avait été conçue ; elle n'est point entrée en application.

Cet échec de la Constitution de 1793 lui a valu, par la suite, d'être traitée avec dédain. Il y a pourtant une justice qu'il faut savoir lui rendre : c'est que, seule, elle s'est tenue en accord avec les prémisses sur lesquelles elle était édifiée. Du moment, en effet, que l'on base la puissance de l'État et de ses organes sur l'idée de souveraineté de la volonté générale, il devient manifestement impossible de refuser voix délibérante, et même voix décisive, à ceux en qui la volonté générale prend sa source et sa consistance, c'est-à-dire aux citoyens s'assemblant à cet effet en un collège unique et indivisible. Surtout, il devient manifestement contradictoire de justifier l'énormité de la puissance parlementaire par un argument tiré de ce que le Parlement énonce la volonté populaire, et, en même temps, de maintenir contre le peuple une exclusive, qui implique que cette volonté se forme en dehors de lui, sans qu'il ait la ressource de contester l'expression que le Parlement en a donnée. De ce point de vue donc, et plus encore que du point de vue des idées de représentation populaire, l'on est obligé de conclure que non seulement le référendum et le parlementarisme ne sont pas inconciliables l'un avec l'autre, mais qu'il y a une relation immédiate et inéluctable entre les concepts qui ont servi à fonder la puissance parlementaire et les institutions démocratiques permettant à la communauté des citoyens de faire entendre sa voix.

On voit, par les observations qui précèdent, que la question de l'introduction du référendum dans le régime parlementaire ne répond pas seulement à des préoccupations de convenance technique se rapportant à la valeur comparée des procédés pratiques qui peuvent être mis en œuvre pour la formation de la volonté nationale dans chaque État ; mais les problèmes que cette question engage, touchent aux concepts mêmes sur lesquels repose, d'une façon essentielle, l'organisation étatique de la nation. C'est en vain qu'on chercherait à se dérober à la nécessité de tenir compte de ces concepts. Si la puissance du Parlement est représentative de celle qui appartient à la volonté populaire, ainsi qu'on le répète couramment, la question du référendum se trouve d'avance jugée, sans qu'il reste place pour une discussion sur les avantages ou les inconvénients de ce mode de consultation populaire : car il est de principe que les pouvoirs du représentant sont nécessairement limités par les droits du représenté.

Ainsi, les motifs mêmes qui sont ordinairement invoqués pour justifier l'absolutisme parlementaire, tel qu'il fonctionne présentement en France, portent en eux la condamnation de cet absolutisme, comme aussi ils fournissent l'indication des moyens qui doivent servir à le limiter et à le modérer. Et le premier de ces moyens, dans le concept de la représentation populaire, c'est précisément le référendum. À dire vrai, l'admission du référendum produirait même plus qu'un effet limitatif sur le parlementarisme : elle entraînerait une transformation radicale dans l'échelle hiérarchique des pouvoirs. Sans doute, le Parlement continuerait à représenter le peuple, tant qu'il délibère ; mais, une fois la loi votée par les Chambres, la volonté générale recouvrerait ses droits inaliénables, et la parole passerait au peuple, à supposer qu'il veuille la prendre. S'il la prenait, ce serait en souverain. La puissance populaire ne se bornerait donc pas à limiter celle du Parlement : elle la dominerait, de la même façon que le souverain domine toutes autorités fonctionnant sous sa suprématie. Peu importe, d'ailleurs, qu'en fait les demandes de référé au peuple doivent demeurer rares ou même exceptionnelles : pas plus dans la démocratie que dans la monarchie, la qualité de souverain ne se reconnaît ou ne se mesure à la fréquence des interventions. Dès qu'il est constaté que le peuple est mis par la Constitution en possession de moyens qui lui permettent d'intervenir chaque fois qu'il le désire, notamment en ce qui concerne la législation, et qui, de plus, lui assurent, s'il intervient, la possibilité de faire prévaloir sa volonté, cela suffit pour que l'on doive affirmer que la Constitution l'a érigé en organe suprême, et même qu'elle le traite en souverain.

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Document n° 7. Débat à la Chambre des députés, 21 janvier 1903 (extrait de Mopin M., Les grands débats parlementaires de 1875 à nos jours, La Documentation française, 1988, p. 183). Contexte : Georges Berthoulat, député de Seine-et-Oise, avait déposé une résolution invitant le Gouvernement à organiser un référendum sur la question du budget des cultes. Le président du Conseil est alors Émile Combes (1835-1921 ; député puis sénateur radical, ministre de l'instruction publique et des cultes dans le cabinet Léon Bourgeois en 1895-1896, et enfin président du Conseil de juin 1902 à janvier 1905). M. le Président du Conseil

Un mot maintenant sur le référendum.

Je repousse au nom du Gouvernement la doctrine du référendum. Si, comme y consent M. le président de la commission du budget, on veut la faire étudier par une commission spéciale, je ne m'y oppose pas. Mais d'ores et déjà, je déclare que le Gouvernement ne pourra pas s'y rallier. (Interruptions à l'extrême gauche.)

On veut, dit-on, consulter les électeurs, parce qu'on ne peut pas préjuger avec certitude quelles sont sur le budget des cultes les pensées de la majorité. Mais à ce compte pourquoi restreindre la consultation à cette question unique, quelque importante qu'elle soit ?

À chaque pas, à chaque phase de nos débats parlementaires, nous sommes exposés à rencontrer des questions importantes, des questions essentielles dans l'ordre des faits qu'elles concernent…

M. Massabuau1. Pourquoi n'aurait-on pas recours au référendum dans ce cas ?

M. le Président du Conseil. … dont nous ne pouvons dire avec certitude que la majorité des électeurs adopterait telle solution plutôt que telle autre. Le Parlement va-t-il se détourner de l'examen de ces questions et en ajourner le débat pour s'enquérir, par la voie du référendum, des opinions professées sur ces divers points par la masse des électeurs ? Mais une telle pratique est le renversement absolu du régime représentatif.

M. Massabuau. Ce serait la démocratie organisée.

M. le Président du Conseil. Il n'y a qu'à l'étendre progressivement aux sujets essentiels pour arriver rapidement à la suppression de ce régime.

M. Georges Berthoulat. M. Millerand et M. Jaurès eux-mêmes ont été partisans du référendum.

M. le président [de la Chambre]. Cela est inexact. Il est inutile de mettre en cause le président, qui ne peut pas répondre sur des faits personnels.

M. Georges Berthoulat. Cela a été la doctrine constante du parti socialiste.

M. le Président du Conseil. Je vois bien que les adversaires du gouvernement parlementaire et les partisans du pouvoir personnel gagneraient à ce système : je ne vois pas quel profit en

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retirerait la nation. Si le référendum se substituait aux grands débats et ne laissait aux représentants de la nation que les débats peu importants, le pays ne tarderait pas à penser, sans doute, qu'il est inutile de se donner des mandataires. (Très bien ! très bien!) Et peut-être alors se trouverait-il quelqu'un pour proposer de fermer la porte de cette enceinte à ce qu'il appellerait un bavardage superflu. (Très bien ! très bien!)

M. Massabuau. Je n'ai jamais voulu dire cela, monsieur le Président du Conseil : je ne suis pas plébiscitaire.

M. le président. Ce n'est pas contre vous que M. le Président du Conseil argumente, monsieur Massabuau.

M. le Président du Conseil. Messieurs, sans aller jusque-là, on peut dire que le référendum est la négation du principe qui sert de base à notre organisation politique. C'est par la délégation des pouvoirs de la nation à ses représentants au Parlement que s'exerce la souveraineté nationale. Les représentants sont responsables devant le pays de leurs actes parlementaires. (Très bien ! très bien!)

La conscience de cette responsabilité les tient et doit les tenir constamment en éveil sur leurs devoirs. Toute mesure, qui tendrait à l'affaiblir, irait à l'encontre de l'intérêt national.

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Université Paris 8

Introduction au Droit constitutionnel(Semestre I)

Séance de travaux dirigés n° 7 : Devoir sur table – « Galop d’essai »

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Université Paris 8

Introduction au Droit constitutionnel (Semestre I)

Séance de travaux dirigés n° 8 : La séparation des pouvoirs Document n° 1. Montesquieu, De l’esprit des lois, livre XI, chapitre VI (« De la constitution d’Angleterre »), dans Œuvres complètes, Gallimard, 1951, t. II, p. 396-407 (extraits). Document n° 2. Avril, P., Les Français et leur Parlement, Casterman, 1972, p. 34-40 (extraits). Document n° 3. Le Fédéraliste, n° 48 (James Madison), 1788 (extraits). Document n° 4a. De Villiers, M., Le Divellec A., « Séparation des pouvoirs », dans Dictionnaire du droit constitutionnel, 10e éd., Sirey, 2015, p. 341-344. Document n° 4b. De Villiers M., Le Divellec A., « Fusion des pouvoirs », dans Dictionnaire du droit constitutionnel, 10e éd., Sirey, 2015, p. 172-173. Document n° 5. Turpin D., Droit constitutionnel, PUF, 2003, p. 240 et s.

Commentaire : document n° 3

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Document n° 1. Montesquieu, De l’esprit des lois, livre XI, chapitre VI (« De la constitution d’Angleterre »), dans Œuvres complètes, Gallimard, 1951, t. II, p. 396-407 (extraits). Il y a dans chaque Etat trois sortes de pouvoirs : la puissance législative, la puissance exécutrice des choses qui dépendent du droit des gens, et la puissance exécutrice de celles qui dépendent du droit civil.

Par la première, le prince ou le magistrat fait des lois pour un temps ou pour toujours, et corrige ou abroge celles qui sont faites. Par la seconde, il fait la paix ou la guerre, envoie ou reçoit des ambassades, établit la sûreté, prévient les invasions. Par la troisième, il punit les crimes, ou juge les différends des particuliers. On appellera cette dernière la puissance de juger, et l’autre simplement la puissance exécutrice de l’Etat.

La liberté politique, dans un citoyen, est cette tranquillité d’esprit qui provient de l’opinion que chacun a de sa sûreté ; et pour qu’on ait cette liberté, il faut que le gouvernement soit tel qu’un citoyen ne puisse pas craindre un autre citoyen.

Lorsque dans la même personne ou dans le même corps de magistrature, la puissance législative est réunie à la puissance exécutrice, il n’y a point de liberté ; parce qu’on peut craindre que le même monarque ou le même sénat ne fasse des lois tyranniques, pour les exécuter tyranniquement.

Il n’y a point encore de liberté, si la puissance de juger n’est pas séparée de la puissance législative et de l’exécutrice. Si elle était jointe à la puissance législative, le pouvoir sur la vie et la liberté des citoyens serait arbitraire ; car le juge serait législateur. Si elle était jointe à la puissance exécutrice, le juge pourrait avoir la force d’un oppresseur.

Tout serait perdu, si le même homme, ou le même corps des principaux, ou des nobles, ou du peuple, exerçaient ces trois pouvoirs : celui de faire des lois, celui d’exécuter les résolutions publiques, et celui de juger les crimes ou les différends des particuliers.

Dans la plupart des royaumes de l’Europe, le gouvernement est modéré ; parce que le prince, qui a les deux premiers pouvoirs, laisse à ses sujets l’exercice du troisième. Chez les Turcs, où ces trois pouvoirs sont réunis sur la tête du sultan, il règne un affreux despotisme.

Dans les républiques d’Italie, où ces trois pouvoirs sont réunis, la liberté se trouve moins que dans nos monarchies. Aussi le gouvernement a-t-il besoin, pour se maintenir, de moyens aussi violents que le gouvernement des Turcs ; témoins les inquisiteurs d’Etat, et le tronc où tout délateur peut, à tous les moments, jeter avec un billet son accusation.

Voyez quelle peut être la situation d’un citoyen dans ces républiques. Le même corps de magistrature a, comme exécuteur des lois, toute la puissance qu’il s’est donnée comme législateur. Il peut ravager l’Etat par ses volontés générales ; et, comme il a encore la puissance de juger, il peut détruire chaque citoyen par ses volontés particulières.

Toute la puissance y est une ; et, quoiqu’il n’y ait point de pompe extérieure qui découvre un prince despotique, on le sent à chaque instant.

Aussi, les princes qui ont voulu se rendre despotiques ont-ils toujours commencé par réunir en leur personne toutes les magistratures, et plusieurs rois d’Europe toutes les grandes charges de leur Etat.

Je crois bien que la pure aristocratie héréditaire des républiques d’Italie ne répond pas précisément au despotisme de l’Asie. La multitude des magistrats adoucit quelquefois la magistrature ; tous les nobles ne concourent pas toujours aux mêmes desseins ; on y forme

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divers tribunaux qui se tempèrent. Ainsi, à Venise, le grand conseil a la législation ; le prégady, l’exécution ; les quaranties, le pouvoir de juger. Mais le mal est que ces tribunaux différents sont formés par des magistrats du même corps ; ce qui ne fait guère qu’une même puissance.

La puissance de juger ne doit pas être donnée à un sénat permanent, mais exercée par des personnes tirées du corps du peuple, dans certains temps de l’année, de la manière prescrite par la loi, pour former un tribunal qui ne dure qu’autant que la nécessité le requiert.

De cette façon, la puissance de juger, si terrible parmi les hommes, n’étant attachée ni à un certain état, ni à une certaine profession, devient, pour ainsi dire, invisible et nulle. On n’a point continuellement des juges devant les yeux ; et l’on craint la magistrature, et non pas les magistrats.

Il faut même que, dans les grandes accusations, le criminel, concurremment avec la loi, se choisisse des juges ; ou, du moins, qu’il en puisse récuser un si grand nombre, que ceux qui restent soient censés être de son choix.

Les deux autres pouvoirs pourraient plutôt être donnés à des magistrats ou à des corps permanents ; parce qu’ils ne s’exercent sur aucun particulier ; n’étant, l’un, que la volonté générale de l’État ; et l’autre, que l’exécution de cette volonté générale […].

Comme, dans un Etat libre, tout homme qui est censé avoir une âme libre doit être gouverné par lui-même, il faudrait que le peuple en corps eût la puissance législative. Mais comme cela est impossible dans les grands Etats et est sujet à beaucoup d’inconvénients dans les petits, il faut que le peuple fasse par ses représentants tout ce qu’il ne peut faire par lui-même […]. Le grand avantage des représentants, c’est qu’ils sont capables de discuter les affaires. Le peuple n’y est point du tout propre ; ce qui forme un des grands inconvénients de la démocratie […].

Ainsi, la puissance législative sera confiée, et au corps des nobles, et au corps qui sera choisi pour représenter le peuple, qui auront chacun leurs assemblées et leurs délibérations à part, et des vues et des intérêts séparés.

Des trois puissances dont nous avons parlé, celle de juger est en quelque façon nulle. Il n’en reste que deux ; et comme elles ont besoin d’une puissance réglante pour les tempérer, la partie du corps législatif qui est composée de nobles est très propre à produire cet effet.

Le corps des nobles doit être héréditaire […]. Mais comme une puissance héréditaire pourrait être induite à suivre ses intérêts particuliers et à oublier ceux du peuple, il faut que dans les choses où l’on a un souverain intérêt à la corrompre, comme dans les lois qui concernent la levée de l’argent, elle n’ait de part à la législation que par sa faculté d’empêcher, et non par sa faculté de statuer.

J’appelle faculté de statuer, le droit d’ordonner par soi-même, ou de corriger ce qui a été ordonné par un autre. J’appelle faculté d’empêcher, le droit de rendre nulle une résolution prise par quelque autre ; ce qui était la puissance des tribuns de Rome. Et quoique celui qui a la faculté d’empêcher puisse avoir aussi le droit d’approuver, pour lors cette approbation n’est autre chose qu’une déclaration qu’il ne fait point d’usage de sa faculté d’empêcher, et dérive de cette faculté.

La puissance exécutrice doit être entre les mains d’un monarque, parce que cette partie du gouvernement, qui a presque toujours besoin d’une action momentanée, est mieux administrée par un que par plusieurs ; au lieu que ce qui dépend de la puissance législative est souvent mieux ordonné par plusieurs que par un seul.

Que s’il n’y avait point de monarque, et que la puissance exécutrice fût confiée à un certain nombre de personnes tirées du corps législatif, il n’y aurait plus de liberté, parce que les deux puissances seraient unies ; les mêmes personnes ayant quelquefois, et pouvant toujours avoir part à l’une et à l’autre.

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Si le corps législatif était un temps considérable sans être assemblé, il n’y aurait plus de liberté. Car il arriverait de deux choses l’une : ou qu’il n’y aurait plus de résolution législative, et l’Etat tomberait dans l’anarchie ; ou que ces résolutions seraient prises par la puissance exécutrice, et elle deviendrait absolue. Il serait inutile que le corps législatif fût toujours assemblé. Cela serait incommode pour les représentants, et d’ailleurs occuperait trop la puissance exécutrice, qui ne penserait point à exécuter, mais à défendre ses prérogatives, et le droit qu’elle a d’exécuter […].

Si la puissance exécutrice n’a pas le droit d’arrêter les entreprises du corps législatif, celui-ci sera despotique ; car, comme il pourra se donner tout le pouvoir qu’il peut imaginer, il anéantira les autres puissances. Mais il ne faut pas que la puissance législative ait réciproquement la faculté d’arrêter la puissance exécutrice. Car l’exécution ayant ses limites par sa nature, il est inutile de la borner ; outre que la puissance exécutrice s’exerce toujours sur des choses momentanées. Et la puissance des tribuns de Rome était vicieuse, en ce qu’elle arrêtait non seulement la législation, mais même l’exécution : ce qui causait de grands maux.

Mais si, dans un Etat libre, la puissance législative ne doit pas avoir le droit d’arrêter la puissance exécutrice, elle a droit, et doit avoir la faculté d’examiner de quelle manière les lois qu’elle a faites ont été exécutées […]. Mais, quel que soit cet examen, le corps législatif ne doit point avoir le pouvoir de juger la personne, et par conséquent la conduite de celui qui exécute. Sa personne doit être sacrée, parce qu’étant nécessaire à l’Etat pour que le corps législatif n’y devienne pas tyrannique, dès le moment qu’il serait accusé ou jugé, il n’y aurait plus de liberté. Dans ce cas l’Etat ne serait point une monarchie, mais une république non libre. Mais comme celui qui exécute ne peut exécuter mal sans avoir des conseillers méchants, et qui haïssent les lois comme ministres, quoiqu’elles les favorisent comme hommes, ceux-ci peuvent être recherchés et punis […].

Si le monarque prenait part à la législation par la faculté de statuer, il n’y aurait plus de liberté. Mais comme il faut pourtant qu’il ait part à la législation pour se défendre, il faut qu’il y prenne part par la faculté d’empêcher.

Voici donc la constitution fondamentale du gouvernement dont nous parlons. Le corps législatif y étant composé de deux parties, l’une enchaînera l’autre par sa faculté mutuelle d’empêcher. Toutes les deux seront liées par la puissance exécutrice, qui le sera elle-même par la législative.

Ces trois puissances devraient former un repos ou une inaction. Mais comme, par le mouvement nécessaire des choses, elles sont contraintes d’aller, elles seront forcées d’aller de concert […] ». Document n° 2. Avril, P., Les Français et leur Parlement, Casterman, 1972, p. 34-40 (extraits). […] Le premier effort a consisté à distinguer parmi les fonctions dont le pouvoir politique était investi. C’est le domaine de la fameuse ‘séparation des pouvoirs’ dont la théorie a été formulée par le philosophe anglais Locke et surtout par Montesquieu. Celui-ci, on le sait, analyse trois ‘pouvoirs’ (ou fonctions) : légiférer, exécuter et juger. Les trois fonctions incombent à l’Etat, mais le génie de Montesquieu a été de distinguer ces fonctions elles-mêmes des organes qui étaient chargés de les assurer – nous dirions en termes sociologiques : des structures correspondantes. Non seulement L’Esprit des lois annonce sur ce point l’analyse sociologique contemporaine qui distingue précisément les fonctions et les structures, mais il a encore pressenti le principe dégagé par l’école fonctionnaliste selon lequel fonctions et structures ne coïncident pas nécessairement : une structure déterminée peut contribuer à plusieurs fonctions, une fonction déterminée peut

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être assurée par plusieurs structures. La théorie de la séparation des pouvoirs ne signifie pas, en effet, qu’aux fonctions législative, exécutive et judiciaire correspondent des organes qui les exercent chacune exclusivement et intégralement, elle exclut seulement qu’aucun organe les détienne toutes. En revanche, elle appelle la participation d’organes différents à l’accomplissement d’une même fonction car le principe selon lequel ‘le pouvoir arrête le pouvoir’ ne pourrait s’appliquer si chaque organe détenait exclusivement une fonction et s’il n’était amené à participer à la décision avec un autre.

Mais participer comment ? Montesquieu distingue à ce propos la faculté de statuer, c’est-à-dire de décider, et la faculté d’empêcher. Ainsi l’organe qui sera chargé principalement de la fonction législative (disons : le Parlement) détiendra la faculté de statuer dans ce domaine, mais l’organe chargé de la fonction exécutive (disons : le gouvernement) disposera de la faculté de l’empêcher. En ce qui concerne la fonction exécutive, le gouvernement décide, mais le Parlement doit avoir la faculté d’examiner de quelle manière les lois qu’il a faites ont été exécutées. Les deux pouvoirs sont ainsi conduits à aller de concert, chacun réagissant sur l’autre.

La théorie de la séparation des pouvoirs reflétait un besoin de la société du XVIIIe siècle dans la mesure où le développement social appelle la diversification des fonctions et la spécialisation des structures. Mais en partant d’une réflexion sur l’exemple de l’Angleterre où ce processus était politiquement plus avancé qu’en France, elle proposait en même temps la formulation doctrinale qui allait dominer la pensée constitutionnelle et inspirer en particulier les auteurs de la constitution américaine de 1787. On voit par cet exemple comment la solution de besoins confusément ressentis se cristallise en une formule dont on ne retient plus que le caractère normatif, juridique, alors que ses fondements sociaux ne sont pas moins importants […].

Document n° 3. Le Fédéraliste, n° 48 (James Madison), 1788 (extraits).

On a prouvé, dans le dernier article, que l'axiome politique, examiné ici, n'exige pas une séparation absolue des départements législatif, exécutif et judiciaire. Je vais essayer maintenant de montrer que si, entre ces départements, il n'existe pas une liaison et une union qui donne, à chacun d'eux, un contrôle constitutionnel sur les autres, le degré de séparation que requiert le principe, comme essentiel à un gouvernement libre, ne sera jamais, en pratique, efficacement maintenu.

Il est généralement reconnu que les pouvoirs, qui appartiennent en propre à l'un des départements, ne doivent pas être exercés directement et complètement par l'un ou l'autre des autres départements. Il est également évident qu'aucun d'eux ne doit posséder directement ou indirectement une influence prépondérante sur les autres dans l'exercice de leurs pouvoirs respectifs. On ne contestera pas qu'il doit être mis efficacement dans l'impossibilité de franchir les limites qui lui sont assignées. Ainsi donc, après avoir classé, en théorie, les différentes sortes de pouvoirs suivant qu'ils peuvent être de nature législative, exécutive ou judiciaire, la chose la plus importante et la plus difficile est de les garantir pratiquement contre leurs usurpations mutuelles. Quelle doit être cette garantie ? Voilà le grand problème à résoudre.

Sera-t-il suffisant de marquer avec précision les frontières de ces départements dans la constitution du gouvernement, et de compter sur ces barrières de papier pour prévenir l'esprit d'usurpation ? C'est la garantie que semblent avoir prise ceux qui ont rédigé la plupart des Constitutions américaines. Mais l'expérience nous apprend que l'efficacité de cette mesure s'est trouvée grandement en défaut ; et qu'il faut, de toute nécessité, des armes plus sûres pour défendre les plus faibles membres du gouvernement contre les plus puissants. Le département législatif étend partout la sphère de son activité et engloutit tous les pouvoirs dans son impétueux tourbillon.

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Les fondateurs de nos Républiques méritent tant d'éloges pour la sagesse qu'ils ont montrée, qu'aucune tâche ne peut être moins agréable que celle de relever les erreurs dans lesquelles ils sont tombés. Le respect pour la vérité nous oblige pourtant à faire observer qu'ils semblent avoir cru voir toujours la liberté menacée par la prérogative toujours croissante et toujours usurpatrice d'un magistrat héréditaire, soutenu et fortifié par une branche héréditaire de l'autorité législative. Ils ne semblent jamais s'être rappelé le danger des usurpations législatives qui, en rassemblant tous les pouvoirs dans les mêmes mains, doivent mener à la même tyrannie que les usurpations de l'exécutif.

Dans un gouvernement où des prérogatives nombreuses et étendues sont placées dans les mains d'un Monarque héréditaire, le département exécutif est très justement considéré comme la source du danger, et surveillé avec toute la jalousie que doit inspirer le zèle pour la liberté. Dans une démocratie, où la multitude exerce en personne les fonctions législatives et est continuellement exposée, par son incapacité de prendre des délibérations régulières et des mesures réfléchies, aux ambitieuses intrigues de ses magistrats exécutifs, on peut bien craindre que, dans une occasion favorable, la tyrannie ne s'ensuive. Mais dans une République représentative, où la magistrature exécutive est soigneusement limitée dans l'étendue et dans la durée de son pouvoir, où le pouvoir législatif est exercé par une assemblée animée, à cause de l'influence que l'on suppose qu'elle a sur le peuple, d'une confiance inébranlable dans sa propre force, assez nombreuse pour éprouver toutes les passions qui agissent sur une multitude, trop peu nombreuse cependant pour être incapable d'employer, pour la satisfaction de ses passions, des moyens dictés par la raison, c'est contre l'entreprenante ambition de ce département que le peuple doit diriger toute sa jalousie et épuiser toutes ses précautions.

Le département législatif tire une supériorité dans nos gouvernements d'autres causes. Ses pouvoirs constitutionnels étant à la fois plus étendus et moins susceptibles d'être renfermés dans des limites précises, il peut, avec plus de facilité, voiler, sous des mesures compliquées et indirectes, les usurpations qu'il commet aux dépens des départements coordonnés. Quelquefois, il est réellement difficile de dire, dans des corps législatifs, si l'effet d'une mesure particulière s'étendra ou non au-delà de la sphère législative. D'un autre côté, le pouvoir exécutif étant circonscrit dans un espace plus resserré et étant plus simple par sa nature, le pouvoir judiciaire étant limité par des lignes de démarcation encore moins incertaines, des projets d'usurpation ne pourraient être formés par ces départements sans qu'ils fussent à l'instant découverts et renversés. Ce n'est pas tout : comme le département législatif peut, seul, puiser dans les poches du peuple et qu'il a, dans quelques Constitutions, une autorité illimitée et, dans toutes, une influence prépondérante sur les rétributions pécuniaires des agents des autres départements, il en résulte, vis-à-vis du législatif, une dépendance qui facilite encore ses usurpations.

Document n° 4a. De Villiers, M., « Séparation des pouvoirs », dans Dictionnaire du droit constitutionnel, 10e éd., Sirey, 2015, p. 341-344. « Séparation des pouvoirs. Expression traditionnelle dans le droit constitutionnel occidental pour désigner les enseignements dégagés, principalement, de l’ouvrage de Montesquieu, De l’Esprit des Lois (1748). Le retentissement de ces enseignements fut tel, dans un contexte politique extraordinairement porteur, que la séparation des pouvoirs a souvent été présentée comme une théorie alors qu’il s’agit plus exactement d’une doctrine. Il faut distinguer :

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1. Ce que Montesquieu a écrit

Dans le chapitre VI du livre XI de son ouvrage cité, on trouve une analyse, un principe et une ordonnance.

– L’analyse (pour une part reprise d’auteurs plus anciens, notamment Locke, Essai sur le gouvernement civil, 1690) : il y a dans chaque État trois sortes de pouvoirs, ou plutôt trois puissances : la puissance de faire la loi, celle d’exécuter les ‘résolutions publiques’ et celle de juger les crimes ou les différends des particuliers.

– Le principe, qui est un principe de non-cumul : ‘Tout serait perdu si le même homme, ou le même corps des principaux […] exerçaient ces trois pouvoirs […]’.

– L’ordonnance : la puissance de juger étant mise de côté (elle est en quelque façon ‘nulle’), il y a une constitution idéale, ou plutôt, fondamentale : ‘Le corps législatif y étant composé de deux parties, l’une enchaînera l’autre par sa faculté mutuelle d’empêcher. Toutes les deux seront liées par la puissance exécutrice, qui le sera elle-même par la législative’.

Où l’on voit par conséquent que la séparation des pouvoirs, non seulement ne signifie pas antagonisme, mais exige au contraire la collaboration pour aboutir à ce ‘concert’ dont parle explicitement Montesquieu, toujours dans ce même chapitre VI. Simplement, le concert résultera des freins et contrepoids : les célèbres checks and balances du régime présidentiel américain.

2. Les interprétations et applications dont la doctrine de la séparation des pouvoirs a été l’objet

Le régime de monarchie absolue, et sans constitution écrite, que connaît la France au XVIIIe siècle (alors que le régime anglais, observé et admiré par Montesquieu entre 1729 et 1731, est celui de la monarchie limitée), explique que la séparation des pouvoirs ait été reçue comme exprimant la raison d’être de toute Constitution, d’où la rédaction de l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen : ‘Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution’. Mais les constituants de 1789 ont durci le principe d’organisation énoncé par Montesquieu au point d’en faire un ‘dogme de philosophie politique’, devant enfermer chaque pouvoir dans sa sphère. Les Américains en ont donné une autre interprétation, n’excluant pas par exemple que le juge puisse refuser d’appliquer une loi qu’il jugerait contraire à la Constitution.

Sur un autre plan, le principe de la séparation des pouvoirs a acquis une telle autorité dans le droit constitutionnel occidental qu’il a rapidement été utilisé en doctrine en tant que critère de classement des régimes politiques, et plus particulièrement de ces deux modes d’organisation et de fonctionnement du pouvoir politique que sont le régime présidentiel et le régime parlementaire. Ces deux modes sont pourtant postérieurs à Montesquieu : la Constitution américaine date de 1787, et le régime parlementaire ne peut être considéré établi en Angleterre que le jour où le Premier ministre démissionne ainsi que tous les membres de son cabinet (principe de la solidarité ministérielle) parce que la chambre des Communes refuse sa confiance (principe de la responsabilité politique) : or cela se produit pour la première fois nettement en 1782 avec la démission du cabinet North. Cependant, la distinction entre les pouvoirs que comportent ces deux régimes peut justifier qu’ils soient présentés l’un et l’autre comme des applications de la doctrine de la séparation, séparation dite (de façon réductrice) stricte en régime présidentiel, et (de façon non moins réductrice) souple en régime parlementaire, en raison de l’indépendance des organes délibératif et exécutif dans le premier cas, et des procédures de révocabilité mutuelle (engagement de responsabilité et dissolution) dans le second, mais à la condition de ne pas s’en tenir à cette présentation très formelle, et de discerner qu'il s'agit plutôt, dans les régimes parlementaires, d'une « fusion des pouvoirs » (v. ce mot). Ainsi les facultés d’empêcher dont sont aux Etats-Unis dotés le président et le Congrès (droit de veto,

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refus de vote du budget, refus d’approbation de nominations ou de traités) sont-elles autant de moyens pour chaque pouvoir de s’ingérer dans l’exercice des compétences de l’autre pouvoir, et l’idée de pouvoirs enfermés chacun dans sa sphère est, en soi, irréaliste, et, de fait, contraire à toute réalité observée.

Quant au régime parlementaire, le phénomène partisan a substantiellement modifié le contenu de la séparation, ce que Montesquieu avait d'ailleurs parfaitement anticipé : « Que s'il n'y avait point de monarque, et que la puissance exécutrice fut confiée à un certain nombre de personnes tirées du corps législatif, il n'y aurait plus de liberté, parce que les deux puissances seraient unies ; les mêmes personnes ayant quelque fois, et pouvant toujours avoir part à l'une et à l'autre » (De l'Esprit des Lois, livre XI, chap. VII). Or n'est-ce pas exactement ce qui se passe lorsqu'un parti, majoritaire à la chambre basse, place son équipe dirigeante aux leviers de commande de l'exécutif ? Mais c'est le génie des institutions politiques britanniques d'avoir, par l'institutionnalisation de l'opposition et la pratique de l'alternance, engendré une autre forme de séparation entre la majorité et l'opposition. Définir le régime parlementaire comme un régime de séparation souple pouvait se concevoir tant que le gouvernement était encore étroitement lié au chef de l'État (régime parlementaire dualiste), cela devient beaucoup plus discutable avec l'avènement depuis plus d'un siècle des régimes parlementaires monistes (logique d'interpénétration ou de fusion des pouvoirs).

3. La doctrine de Montesquieu n’est-elle plus alors d’actualité ?

Si, car ce qui est au-delà des modes, c’est ce qui fonde la doctrine : le pouvoir est dangereux pour la liberté (« C’est une expérience éternelle que tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser… Pour qu’on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir »). La doctrine de la séparation est d’ailleurs totalement étrangère à tous les régimes de dictature, quelles que soient les formes de cette dernière. La séparation des pouvoirs est en effet une recette de liberté, or le propre d’une dictature, c’est de supprimer la liberté comme fondement du pouvoir.

Tout ce qui va dans le sens d’une distinction des domaines (la laïcité), d’une répartition respectée et sanctionnée des compétences (ainsi des réalisations de l’Etat de droit), des institutions et procédures qui permettent l’alternance au pouvoir, est conforme à la doctrine de la séparation. Et à l’inverse, tous les phénomènes de cumul en sont la négation (que l’on songe par exemple à la pratique très française du cumul des mandats…) ».

Document 4b. De Villiers M., Le Divellec A., « Fusion des pouvoirs », dans Dictionnaire du droit constitutionnel, 10e éd., Sirey, 2015, p. 172-173. Fusion des pouvoirs – Expression due à l'essayiste anglais Walter Bagehot (The English Constitution, 1867) pour exprimer le principe d'organisation des pouvoirs de la Constitution britannique, mais qui peut être généralisé mutatis mutandis à tous les régimes représentatifs de type parlementaire. À l'idée répandue mais caricaturale et illusoire d'une « séparation des pouvoirs » entendue comme impliquant l'indépendance absolue des organes et leur spécialisation respective dans une seule fonction étatique, Bagehot oppose, en s'appuyant sur l'exemple anglais, l'idée de la fusion (qui n'est pas la confusion) : tout en jouissant d'une certaine autonomie, chaque organe dépend dans une large mesure des autres tant au plan organique (par l'influence sur la nomination ou la révocation notamment) qu'au plan fonctionnel (un même organe participe simultanément à l'exercice de plusieurs fonctions). Ainsi le Premier ministre britannique est-il

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désigné de facto par la Chambre des Communes (fonction élective) ; ainsi le Cabinet peut-il faire dissoudre cette Chambre par le Roi ; le Roi peut nommer de nouveaux Lords (« fournées de pairs ») ; le Parlement peut destituer un ministre (impeachment) ; les ministres sont soit eux-mêmes membres des chambres, soit ont un droit d'entrée et de parole devant elles ; la fonction législative est exercée en commun par le cabinet et les chambres. Cette logique d'interpénétration juridique des organes constitutionnels se retrouve à des degrés divers dans tous les systèmes de type parlementaire et va donc au-delà de l'idée de « séparation souple des pouvoirs » couramment utilisée par la doctrine française. Elle peut être accrue dans ses effets pratiques en cas d'harmonie politique entre les titulaires des différents organes (notamment entre le cabinet et les assemblées), si bien que le clivage entre majorité et opposition est presque plus important que celui, essentiellement formel, maintenu entre le gouvernement et les assemblées. L'expression de fusion des pouvoirs rend, en somme, bien mieux compte du droit et de la pratique des systèmes représentatifs. Document n° 5. Turpin D., Droit constitutionnel, PUF, 2003, p. 240 et s. La remise en cause du principe « Grande erreur de notre temps » selon l'appréciation formulée par J. Grévy en 1848, la séparation des pouvoirs demeure, deux siècles et demi après la publication de L'Esprit des lois, le credo des démocraties libérales, en dépit de toutes les négations et déviations dont elle a été l'objet, ou peut-être à cause de celles-ci. A. Les négations du principe D'abord la preuve de ses vertus pour assurer la liberté des gouvernés a été apportée a contrario par les régimes qui l'ont niée en se fondant sur la notion d'unité du pouvoir d'État, qu'il s'agisse des régimes « conventionnels » basés sur une pyramide de délégations, du peuple souverain à une assemblée sous contrôle tenant elle-même en lisière un exécutif commis, qui a débouché sur la Terreur en 1793 et sur le totalitarisme en Union soviétique après 1917, la Convention ayant dû céder la place au Comité de salut public et à Robespierre tout comme les Soviets au Parti unique et à Staline ; ou de ceux ayant cherché à regrouper toutes les énergies en un « faisceau » convergent pour assurer la supériorité d'un État (fascisme) ou d'une race (nazisme) sur les autres, derrière un chef charismatique (Duce, Führer) concentrant entre ses mains tous les pouvoirs. Aujourd'hui, à l'Est comme dans le tiers monde, on commence à remplacer le parti unique par des expériences de pluralisme (en Afrique noire notamment, à l'exemple du Sénégal mais aussi du Bénin depuis février 1990) et à rétablir le principe de séparation des pouvoirs dans les Constitutions (par exemple en Algérie, après celle du 19 novembre 1976 qui le niait, dans celle du 23 février 1989, malheureusement suspendue depuis). B. Les déviations du principe Certes, les régimes fondés sur la séparation des pouvoirs ont aussi connu des déviations qui les ont parfois quelque peu déconsidérés en détruisant l'équilibre initial sur lequel ils étaient fondés : sous les IIIe-IVe Républiques françaises à partir de la crise du 16 mai 1877 par exemple, la désuétude dans laquelle est tombé le droit de dissolution alors même que la mise en jeu de la responsabilité gouvernementale était facilitée a transformé le régime parlementaire en une espèce de « régime d'assemblée », dans la République des députés (R. Priouret), lorsque les

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représentants de la nation souveraine se sont mués en représentants souverains de la nation, à la fois tout-puissants pour détruire (renverser les gouvernements) et impuissants pour conduire une politique cohérente du fait de la division des partis et de l'absence de majorité stable1. À l'inverse, le régime présidentiel s'est bien souvent dévoyé en « présidentialismes » caractérisés par la prépondérance de chefs d'État élus plus ou moins démocratiquement au suffrage universel et des Parlements réduits au rôle de chambres d'enregistrement2.

D'autre part, on a soutenu que cette classification des régimes à partir des modalités d'application du principe de séparation des pouvoirs « présente toutes sortes de faiblesses : elle heurte la logique ; elle n'enseigne rien ; elle repose sur le pré-supposé absurde que les régimes purs sont des êtres réels »3. Et il est vrai qu'après avoir d'abord construit les catégories à partir de régimes concrets – le régime américain étant baptisé « présidentiel » et le britannique du XVIIIe siècle « parlementaire » – on a ensuite présenté ces régimes comme des applications plus ou moins parfaites de ces sortes de « types idéaux », expliquant de surcroît qu'ils n'étaient viables en pratique que parce qu'ils s'écartaient du modèle : par exemple, des régimes présentant des structures apparemment analogues, tels les régimes prétendus « conventionnels » de la Suisse et de l'Union soviétique jusqu'en 1988, n'ont en réalité aucun point commun. Par ailleurs, si l'on définit le régime parlementaire comme étant celui qui assure la responsabilité politique du gouvernement devant le Parlement, on s'aperçoit que celle-ci existe de facto aux États-Unis mais non en Grande-Bretagne, du fait du « two-party system » et du mode de scrutin (le Premier ministre, sûr de sa majorité, ne redoutant nullement d'être censuré). De même, si l'on définit le régime présidentiel comme étant celui qui assure aux deux pouvoirs, législatif et exécutif, spécialisation et indépendance, on constate que cela ne correspond pas au régime américain, qui en constitue cependant le seul exemple d'application (pas plus que le président n'y est élu au suffrage universel direct, second critère du régime présidentiel). Enfin, de nombreux régimes politiques ne peuvent rentrer dans cette classification théorique, possédant à la fois l'élection présidentielle au suffrage universel et la responsabilité politique du gouvernement, telle la Ve République française notamment, et on doit alors se réduire à les qualifier de régimes « mixtes », « bâtards », sui generis, « mi-parlementaires, mi-présidentiels », voire « ni parlementaires ni présidentiels », ou encore « semi-présidentiels » ou « parlementaires à correctif présidentiel »4, ce qui n'est guère satisfaisant et pousse certains esprits à exiger la révision de la Constitution afin de la faire coïncider au modèle théorique (soit par retour au régime parlementaire après suppression de l'élection présidentielle, soit par accession au « véritable » régime présidentiel après suppression du poste de Premier ministre, de la responsabilité gouvernementale et du droit de dissolution).

Maurice Hauriou5, pour sa part, envisageait une séparation entre, par ordre hiérarchique, les pouvoirs « exécutif », « délibératif » et enfin « de suffrage », « consistant à accepter ou à ne pas accepter une proposition faite ou une décision prise par un autre pouvoir », selon une conception réductrice qui limite le pouvoir du peuple à une fonction épisodique de nomination ou d'approbation.

Mais, en fin de compte, quel que soit l'intérêt de ces critiques, il reste que, si ses modalités ont pu

1 Cf. également l'Italie, l'Israël, l'Union indienne (où 40 partis sont représentés au Parlement), etc. 2 Cf. Lambert (J.), « La transposition du régime présidentiel hors des États-Unis : le cas de l'Amérique latine », RFSP, 1963/3, p. 577 et s. ; Conac (G.), « Pour une théorie du présidentialisme : quelques réflexions sur les présidentialismes latino-américains », Mélanges Burdeau, 1977, p. 115 et s. [...] 3 Troper (M.), « Les classifications en droit constitutionnel », RDP, 1989, p. 945. 4 Cf. de Gaulle, le 11-4-1961 : « Notre Constitution est à la fois parlementaire et présidentielle. » Ibid, G. Pompidou, le 16 mars 1972, se félicitant du caractère « bâtard » du régime (dans Le Nœud gordien, 1974, p. 68, il confirmait que « les » corniauds « sont souvent plus intelligents que les chiens de pure race »). [...] 5 Précis de droit constitutionnel, Sirey,

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changer, l'intention fondamentale qui a présidé à l'instauration de la séparation des pouvoirs chez Aristote, Locke ou Montesquieu est aujourd'hui plus actuelle que jamais : la vieille distinction entre pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire a peut-être fait long feu, du moins pour les deux premiers à cause du phénomène majoritaire, mais c'est bien toujours la séparation des pouvoirs qui constitue le critère permettant de distinguer les démocraties des autres régimes politiques : séparation entre pouvoir majoritaire et opposition tout d'abord, c'est-à-dire entre régimes pluralistes ou de parti unique. Séparation entre pouvoir politique et contre-pouvoirs ensuite : partis, associations, groupes de défense, collectivités locales, presse, audiovisuel, intelligentsia, pouvoir de l'argent, etc., dans les « polyarchies » modernes. Séparation enfin entre pouvoir d'action (unique par définition) et pouvoirs de contrôle, le Parlement devant à notre avis chercher à renforcer cette fonction plutôt que de s'épuiser à concurrencer les gouvernements dans l'exercice d'une fonction normative à laquelle ils paraissent de moins en moins bien adaptés.

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Université Paris 8

Introduction au Droit constitutionnel (Semestre I)

Séance de travaux dirigés n° 9 : Les systèmes de gouvernement

• Le système des États-Unis d’Amérique Document n° 1. Tunc, A., « Le couple Président-Congrès dans la vie politique des États-Unis d’Amérique », dans Mélanges Burdeau, LGDJ, 1977, p. 561-571 (extraits). Document n° 2. Rials, S., « Régime ‘congressionnel’ ou régime ‘présidentiel’ ? Les leçons de l’histoire américaine », Pouvoirs, 1984, n° 29, p. 35-47 (extraits). Document n° 3. De Villiers M., Le Divellec A., « Régime présidentiel », dans Dictionnaire du droit constitutionnel, 10e éd., Sirey, 2015, p. 319. Document n° 4. Constitution du 17 septembre 1787, tiré de S. Rials, D. Baranger, prés., Textes constitutionnels étrangers, PUF, coll. ‘Que sais-je ?’, 2001, p. 26-36 (extraits).

• Les régimes parlementaires Document n° 5. Capitant R., « Régimes parlementaires », Mélanges Carré de Malberg, 1933, reproduit in Écrits d’entre-deux-guerres (1928-1940), Éd. Panthéon-Assas, 2004, p. 305 et s. Document n° 6. De Villiers M., Le Divellec A., « Régime parlementaire », dans Dictionnaire du droit constitutionnel, 10e éd., Sirey, 2015, p. 315-318. Document n° 7. Constant B., Principes de politique, 1815 (chapitre 2 – De la nature du pouvoir royal dans une monarchie constitutionnelle) Document n° 8. Walter Bagehot, La Constitution anglaise, traduit par M. Gaulhiac, Paris, Germer Baillière, 1869, p. 14 et 21 Document n° 9. « Au service de sa Majesté », dans Les institutions de la Grande-Bretagne, La documentation française, 1994, p. 29.

Commentaire : document n° 7

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• Le système des États-Unis d’Amérique Document n° 1. Tunc, A., « Le couple Président-Congrès dans la vie politique des États-Unis d’Amérique », dans Mélanges Burdeau, LGDJ, 1977, p. 561-571 (extraits). […] ‘Le régime américain, écrit Jacques Cadart dans l’intéressant bilan qu’il établit de la vie politique des Etats-Unis, fonctionne de manière curieuse au moyen de techniques constitutionnelles ou paraconstitutionnelles qui sont souvent sources de conflits et de crises’. Il note le ‘fonctionnement très saccadé du régime… Il n’y a pratiquement jamais, écrit-il, de période prolongée de fonctionnement véritablement souple tant les saccades sont permanentes’.

Les tensions habituelles dans le couple Président-Congrès pourraient être bénéfiques. Nous avions suggéré que le système politique américain offrait un excellent schéma de conciliation des deux éléments de la vie publique : le ‘techniquement désirable’ et le ‘politiquement possible’. Seule l’administration, à nos yeux et nous avons dit pourquoi, semble susceptible de trouver le techniquement désirable. Mais, en son sein même, des avis divergents peuvent se faire jour. Après arbitrage à l’intérieur de chaque département ministériel, il appartient éventuellement au Président de départager ses secrétaires. De toute manière, le Président, l’élu du peuple en pratique, est un animal essentiellement politique (sauf le cas exceptionnel où il est mis en place par un parti, comme ce fut le cas d’Eisenhower). Il est donc susceptible de pressentir que le techniquement désirable n’est pas politiquement possible et de bloquer un projet ou demander à ses techniciens de le revoir.

Il est bon, pourtant, que le techniquement désirable, même contrôlé par un Président politique, ne puisse devenir loi sur un fiat de celui-ci. D’abord parce qu’il arrive aux techniciens de se tromper. Et, d’autre part, parce que la démocratie, selon le mot bien connu, n’est la forme de gouvernement la plus mauvaise qu’après toutes les autres. Une participation du citoyen à la vie publique est souhaitable, autre que celle qui résulte de défilés, de manifestations de masse et de votes à 99%. Autrement, le citoyen laisse un maître disposer de son destin. Il est donc heureux que le programme présidentiel, essentiellement contenu au début de chaque année dans le discours sur l’état de l’Union, soit soumis, sinon au peuple, du moins au Congrès, qui reflète les sentiments de celui-ci. Le Congrès n’est d’ailleurs pas plus purement politique que l’administration n’est purement technicienne. Ses commissions sont capables d’un travail sérieux – exceptionnellement, d’élaboration d’une loi, mais plus couramment de contrôle, et éventuellement, d’amendements d’un projet gouvernemental. Ses floor leaders se voient expliquer la politique présidentielle, et parfois confier des informations qui leur permettent de la mieux comprendre.

Les institutions politiques américaines offrent donc l’image d’une ogive. Les deux piliers du ‘technique’ et du ‘politique’ se rapprochent l’un de l’autre à partir d’une certaine hauteur, trouvant leur clé de voûte dans le Président. C’est à ce dernier qu’il incombe d’assurer l’équilibre entre des forces souvent opposées. Non content de présenter au Congrès un programme d’action, il doit le faire comprendre, aider à son adoption par les multiples moyens de pression dont il dispose, de la conférence de presse ou du discours télévisé à la promesse ou à la menace confidentielle, élaborer des compromis, manœuvrer sans cesse. Convaincre et persuader le Congrès revient, en gros, à convaincre et persuader l’opinion publique, donc à assurer à la fois la direction de la Nation et le mouvement dans la nation d’idées diverses.

Ce tableau – dont on voit la place qu’il donne au Président – est, sinon idyllique, car il ne cache pas les tensions de la vie politique, au moins très séduisant. Dès la première édification de notre

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ouvrage, nous n’avions pas caché ses imperfections, en particulier la faiblesse du Congrès et la pauvreté des débats, la médiocrité de la presse lue par l’immense majorité des citoyens, l’importance enfin du Président, dont la qualité est susceptible des plus grandes variations […].

Il est une autre possibilité qu’il ne faut pas absolument rejeter : c’est que le monde, dans les décennies à venir, devienne de plus en plus ingouvernable, tant au niveau des nations que sur le plan international. Un nombre considérable de facteurs pourraient produire le phénomène : l’interdépendance d’une multitude d’éléments dans tous les grands problèmes de l’heure, la montée des exigences impatientes, intolérantes et intransigeantes, souvent intrinsèquement contradictoires, le refus du partage de la plupart des possédants, le déclin relatif de l’écriture au profit d’une diffusion audio-visuelle ou purement auditive des idées, la contestation systématique de toute autorité dans les pays où cette contestation peut s’exprimer, la puissance des moyens de destruction dont peuvent s’emparer des minorités radicales. Il n’est pas certain que nous retournions à la barbarie, fût-ce pour quelques décennies. Mais, si l’avenir de la vie politique américaine peut susciter l’inquiétude, est-il un pays sur terre qui offre aujourd’hui un spectacle réconfortant ? Document n° 2. Rials, S., « Régime ‘congressionnel’ ou régime ‘présidentiel’ ? Les leçons de l’histoire américaine », Pouvoirs, 1984, n° 29, pp. 35-47 (extraits). […] Pour un esprit cartésien, les armes des partenaires institutionnels étant assez clairement posées dans le texte de 1787, il ne saurait être impossible de bâtir un modèle stable des relations entre le Président et le Congrès. Ce modèle, c’est peu douteux, devrait à bon droit être dit ‘congressionnel’. Et pourtant, aujourd’hui, en dépit des secousses récentes, une telle qualification – certes grosse d’enseignements qu’on aurait tort d’oublier – ne rend pas compte de la réalité. L’on se prend à songer, par analogie, à la fameuse phrase de Tocqueville sur le judiciaire américain : ‘Ce qu’un étranger comprend avec le plus de peine, aux Etats-Unis, c’est l’organisation judiciaire. Il n’y a pour ainsi dire pas d’événement politique dans lequel il n’entende invoquer l’autorité du juge ; et il en conclut naturellement qu’aux Etats-Unis le juge est une des premières puissances politiques. Lorsqu’il vient ensuite à examiner la constitution des tribunaux, il ne leur découvre, au premier abord, que des attributions et des habitudes judiciaires. A ses yeux, le magistrat ne semble jamais s’introduire dans les affaires publiques que par hasard ; mais ce même hasard revient tous les jours’.

N’en va-t-il pas en gros de même pour la présidence ? Les prérogatives du Congrès sont écrasantes. Il peut refuser de voter les textes ou de consentir les crédits nécessaires à l’action présidentielle. Il peut harceler l’administration par le truchement de ses puissantes commissions. Le Sénat a le loisir de ne pas ratifier les traités ou de ne pas entériner un nombre de plus en plus nombreux de nominations (celle par exemple du directeur de l’Office of Management and Budget depuis 1974). Par le veto législatif, le Congrès peut s’immiscer dans l’exécution des lois qui prévoient cette procédure. Il est vrai que cette technique a été mise à mal par la Cour suprême en juin 1983 (arrêt Chadha). Dans des cas limites – mais assez vagues puisque la Constitution vise les high crimes and misdemeanors –, la procédure d’impeachment peut être mise en oeuvre et les précédents de Andrew Johnson et Richard Nixon montrent que Hauriou n’avait pas tort de juger que la responsabilité dite ‘pénale’ est en vérité toujours ‘politico-pénale’.

En face, le président est nu – ou presque. Le droit de message n’est qu’une occasion de persuader. Le veto est une prérogative limitée et, par son caractère global, assez peu maniable, même s’il est vrai que la menace de son emploi joue un rôle permanent auprès des chambres. Les executive agreements, dont la technique a été légèrement aménagée par le Case Act de 1972 (inégalement appliqué), ne sont qu’une tolérance, certes fort large. Le ‘privilège de l’exécutif’ –

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cette autre invention de la pratique – s’est sérieusement effiloché depuis la décision de la Cour suprême US v. Nixon de 1974 qui, en dépit de la doctrine des questions politiques, a dénié au Président traqué la possibilité de se réfugier derrière son invocation pour refuser de livrer les fameuses bandes.

La question se pose donc de savoir pourquoi le Congrès consent au Président une latitude d’action qui, même si elle a décliné dans les années soixante-dix par rapport à la période antérieure, demeure aussi consistante. Et à quelles conditions ? La réponse nous semble devoir être recherchée essentiellement dans les relations de la Maison-Blanche avec le peuple. Il est notable que la ‘présidentialisation’ ait accompagné la démocratisation de l’élection présidentielle, qu’au XIXe siècle les Présidents forts aient été ceux qui jouissaient d’un large appui populaire – ainsi Jackson – et que le développement de la présidence moderne ait suivi celui des moyens de communication de masse qui favorisent la personnalisation du pouvoir. Le Président, tant qu’il ne fait pas d’erreur majeure et s’il jouit d’une suffisante envergure, bénéficie du relatif discrédit dans lequel sont tenus les politiciens aux Etats-Unis et du fait que l’esprit national de ce pays fédéral s’incarne volontiers dans un homme, surtout depuis que la mission extérieure de la grande démocratie est mieux ressentie par les citoyens. On ajoutera enfin que de guerres en crises, certaines habitudes mentales ont été prises qui demeurent à l’état un capital historique favorable au leadership présidentiel.

C’est dire l’importance du facteur personnel. On le retrouve dans l’aptitude au 'marchandage’ qui est l’une des qualités essentielles du Président efficace, quelle que soit la couleur politique du Congrès. Truman se voyait ainsi : ‘Je reste assis toute la journée à essayer de persuader des gens de faire ce qu’ils devraient avoir le bon sens de faire sans que j’aie besoin de les persuader’. La ‘carotte’ et le ‘bâton’ doivent être utilisés alternativement. Tous les moyens informels sont mis en oeuvre – invitations, favoritisme, lobbying… Où l’on comprend que dans un régime que l’on dit ‘présidentiel’, le Congrès apparaisse aussi puissant. Incapable d’agir sans doute, il peut tout empêcher. Si le soutien populaire au Président s’estompe durablement, ou si ce dernier commet trop d’erreurs dans le maniement des chambres, la lettre de la Constitution peut reprendre à tout moment une certaine actualité. Document n° 3. De Villiers M., Le Divellec A., « Régime présidentiel », dans Dictionnaire du droit constitutionnel, 10e éd., Sirey, 2015, p. 319.

Régime présidentiel. Appellation relativement récente, ayant remplacé entre les deux guerres celle de gouvernement présidentiel, et, bien que trompeuse, ne s’appliquant rigoureusement qu’au seul régime politique des Etats-Unis. Il faut ajouter que la théorie du régime présidentiel n’a été faite que bien après que la Constitution de 1787 qui, selon les termes mêmes employés par John Quincy Adams, ‘fut extorquée sous l’empire de la nécessité à une nation récalcitrante’, ait été adoptée.

Dégagé de sa relation au fédéralisme, et en laissant de côté le rôle si important cependant de la Cour suprême, le principe mis en oeuvre par la Constitution de 1787, qui est une transposition républicaine de la monarchie limitée, est que le président ne peut agir si un accord n’est pas trouvé entre trois organes élus distinctement, pour des durées différentes (le président pour 4 ans, les représentants pour 2 ans, et les sénateurs pour 6 ans), et entre lesquels n’existent pas de procédures de révocabilité mutuelle : l’exécutif n’est pas responsable devant le législatif, qui ne peut être dissous. En d’autres termes, il y a contrairement à la plupart des régimes parlementaires, deux expressions de la souveraineté, données par les élections présidentielles et les élections législatives (et même trois si on distingue les élections à la chambre des

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représentants et les élections au Sénat). L’exécutif n’est donc pas l’émanation du Parlement, et la séparation ainsi établie est complétée par une règle d’incompatibilité absolue qui interdit à tout agent de l’exécutif d’être membre du Congrès. Mais parce que le président ne peut gouverner si le Congrès ne lui en donne pas les moyens (notamment financiers), et que les lois votées par le Congrès ne peuvent être appliquées si le président leur oppose son veto, ils sont obligés de s’entendre, ce qui finit toujours par se produire. Montesquieu, définissant sa constitution idéale (devant comporter un roi, une chambre haute et une chambre basse) avait lumineusement anticipé cette logique du régime présidentiel : ‘ces trois puissances devraient former un repos ou une inaction, mais comme, par le mouvement nécessaire des choses, elles sont contraintes d’aller, elles iront de concert’ (De l’Esprit des Lois, livre XI, chapitre VI). Il est donc paradoxal que la fonction présidentielle ait été retenue pour qualifier le régime américain, alors que c’est beaucoup plus sûrement un régime de négociation permanente entre le président et le Congrès, ou encore, selon une formule classique, un régime de ‘freins et contrepoids’ (checks and balances).

Document n° 4. Constitution du 17 septembre 1787, tiré de S. Rials, D. Baranger, prés., Textes constitutionnels étrangers, PUF, coll. ‘Que sais-je ?’, 2001, p. 26-36 (extraits).

« Article premier [Département législatif].

Section 1 [Congrès]

Tous les pouvoirs législatifs accordés par la présente constitution seront attribués à un Congrès des Etats-Unis, qui se composera d’un Sénat et d’une chambre des Représentants.

Section 2 [Chambre des représentants]

La chambre des Représentants sera composée de membres choisis tous les deux ans par le peuple des divers Etats, et les électeurs dans chaque Etat devront posséder les qualifications requises des électeurs de la branche la plus nombreuse de la législature de l’État.

Nul ne pourra être représentant s’il n’a atteint l’âge de vingt-cinq ans, s’il n’est depuis sept ans citoyen des Etats-Unis, et s’il ne réside, au moment de son élection, dans l’Etat où il est désigné

La chambre des représentants désignera son président (speaker) et ses autres agents ; et elle aura le pouvoir exclusif de mise en accusation devant le Sénat (power of impeachment).

Section 3 [Sénat]

Le Sénat des Etats-Unis sera composé de deux sénateurs de chaque Etat, élus par le peuple de cet Etat pour six ans1 ; et chaque sénateur aura une voix.

Immédiatement après qu’ils se seront assemblés par suite de leur première élection, les sénateurs seront partagés, aussi également que possible, en trois classes. Les sièges des sénateurs de la première classe seront vacants à l'expiration de la seconde année, ceux de la deuxième classe à l'expiration de la quatrième année et ceux de la troisième classe à l'expiration de la sixième année, de telle sorte qu'un tiers soit désigné tous les deux ans.

Nul ne pourra être sénateur s’il n’a atteint l’âge de trente ans, s’il n’est depuis neuf ans citoyen

1 . Avant la révision constitutionnelle de 1913 (27e amendement à la Constitution), les sénateurs étaient « choisis pour six ans par la législature de chacun [des Etats] ».

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des Etats-Unis, et s’il ne réside, au moment de son élection, dans l’Etat pour lequel il est désigné.

Le vice-président des Etats-Unis sera président du Sénat, mais n’aura pas de droit de vote, à moins d’égal partage des voix.

Le Sénat désignera ses autres agents, ainsi qu’un président pro tempore pour remplacer le vice-président en l’absence de celui-ci ou quand il exercera les fonctions de Président des Etats-Unis.

Le Sénat aura le pouvoir exclusif de juger toutes les mises en accusation (all impeachments). Quand il siégera à cet effet, ses membres prêteront serment ou feront une déclaration solennelle. Quand le Président des Etats-Unis est jugé, le président de la Cour suprême (Chief Justice) présidera. Et nul ne sera déclaré coupable sans l’accord des deux tiers des membres présents.

La sentence dans les affaires d’impeachment ne pourra excéder la destitution et l’incapacité de tenir et de bénéficier de toute fonction honorifique, de confiance ou rémunérée relevant des Etats-Unis. Toutefois, la partie déclarée coupable n’en sera pas moins responsable et sujette à accusation, procès, jugement et punition, conformément à la loi […].

Section 7 [Procédure législative et veto]

Toutes propositions de lois (Bills) concernant la levée d’un impôt devront émaner de la Chambre des représentants ; mais le Sénat pourra proposer ou consentir des amendements, comme pour les autres propositions de loi.

Chaque proposition de loi adoptée par la Chambre des représentants et par le Sénat devra, avant d’acquérir force de loi (become a law), être présentée au Président des Etats-Unis ; si celui-ci l’approuve, il la signera ; sinon, il la renverra, avec ses objections, à la chambre dont elle émane, laquelle consignera lesdites objections intégralement dans son procès-verbal et procédera à un nouvel examen de la proposition. Si, après ce nouvel examen, les deux tiers des membres de cette chambre s’accordent pour faire passer la proposition de loi, elle sera transmise, avec les objections l’accompagnant, à l’autre chambre, qui l’examinera de la même manière à nouveau, et si les deux tiers des membres de celle-ci l’approuvent elle aura force de loi. Mais en pareil cas, les votes des deux chambres seront comptés par ‘oui’ et par ‘non’, et les noms des membres votant pour et contre le projet seront consignés au procès-verbal de chaque chambre respectivement. Si une proposition n’était pas renvoyée par le Président dans les dix jours (dimanches non compris) après qu’elle lui eut été présentée, elle deviendrait loi, comme si le Président l’avait signée, à moins que le Congrès, par son ajournement, n’en empêche le renvoi, auquel cas la proposition n’aurait pas force de loi.

Chaque ordre, résolution ou vote pour lequel le concours du Sénat et de la Chambre des représentants peut être nécessaire (sauf en matière d’ajournement) devra être présenté au Président des Etats-Unis ; et avant de devenir exécutoire, il devra être approuvé par lui, ou, s’il le désapprouve, être voté à nouveau par les deux tiers du Sénat et de la Chambre des représentants suivant les règles et les limitations prescrites pour les propositions de loi […].

Article 2 [Département exécutif]

Section 1 [Nomination du Président]

Le pouvoir exécutif sera confié à un Président des Etats-Unis d’Amérique. Il occupera ses fonctions pendant un mandat de quatre ans et, conjointement avec le vice-président, dont le mandat sera de même durée, sera élu de la manière suivante :

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Chaque Etat désignera, de la manière décidée par sa législature, un nombre d’électeurs égal au nombre total de sénateurs et de représentants auquel il a droit au Congrès ; mais aucun sénateur ou représentant, ni aucune personne tenant des Etats-Unis une fonction de confiance ou rémunérée ne pourra être désigné comme électeur […].

Le Congrès pourra fixer l’époque où les électeurs seront choisis et le jour où ils devront voter ; lequel jour sera le même dans toute l’étendue des Etats-Unis.

Nul ne sera éligible aux fonctions de Président s’il n’est citoyen de naissance, ou citoyen des Etats-Unis au moment de l’adoption de la présente Constitution, s’il n’a trente-cinq ans révolus et n’est résident aux Etats-Unis depuis quatorze ans.

En cas de destitution, de mort, de démission ou d’incapacité du président à s’acquitter des pouvoirs et devoirs de sa charge, ceux-ci seront dévolus au vice-président. Et le Congrès pourra, par une loi, pourvoir en cas de destitution, de mort, de démission ou d’incapacité à la fois du Président et du vice-président en désignant l’agent qui fera alors fonction de Président, lequel agent remplira ladite fonction jusqu’à cessation de l’incapacité ou élection d’un Président.

Le Président recevra, à échéances fixes, pour ses services, une indemnité qui ne sera ni augmentée ni diminuée pendant son mandat, et il ne recevra, pendant cette période, aucun autre émolument des Etats-Unis ou de l’un des Etats.

Avant d’entrer en fonctions, il prêtera le serment ou prononcera la déclaration solennelle qui suit : ‘Je jure (ou déclare) solennellement que je remplirai fidèlement les fonctions de Président des Etats-Unis et que, dans toute la mesure de mes moyens, je sauvegarderai, protégerai et défendrai la Constitution des Etats-Unis’.

Section 2 [Pouvoirs du Président].

Le Président sera commandant en chef de l’armée et de la marine des Etats-Unis, et de la milice des divers Etats quand celle-ci sera appelée au service actif des Etats-Unis ; il peut requérir l’opinion, par écrit, du principal agent de chacun des départements exécutifs, sur tout sujet relatif aux responsabilités de ses services, et il aura le pouvoir d’accorder des remises de peine et des grâces pour délits (offences) contre les Etats-Unis, sauf dans les affaires d’impeachment.

Il aura le pouvoir, sur l’avis conforme (with advice and consent) du Sénat, de conclure des traités, pourvu que les deux tiers des sénateurs présents donnent leur accord ; et il présentera au Sénat et, sur l’avis conforme de ce dernier, nommera les ambassadeurs, les autres ministres et les consuls, les juges de la Cour suprême, et tous les autres agents des Etats-Unis dont la nomination n’est pas autrement prévue par la présente Constitution, et qui seront établis par la loi ; mais le Congrès peut, s’il le juge opportun, investir par une loi le Président seul, les cours de justice ou les chefs de départements, de la nomination de tels agents inférieurs.

Le Président aura le pouvoir de pourvoir à toutes vacances qui viendraient à se produire dans l’intervalle des sessions du Sénat en accordant des commissions qui expieront à la fin de la session suivante.

Section 3 [Obligations et pouvoirs du Président].

Il informera périodiquement le Congrès de l’état de l’Union, et recommandera à sa réflexion telles mesures qu’il estimera nécessaires et opportunes ; il peut, dans des circonstances extraordinaires, convoquer les deux chambres ou l’une d’elles et, en cas de désaccord entre elles en ce qui concerne le moment de leur ajournement, il peut les ajourner à tel moment qu’il juge convenable ; il recevra les ambassadeurs et autres ministres ; il veillera à ce que les lois soient fidèlement exécutées, et commissionnera tous les agents des Etats-Unis.

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Section 4 [Impeachment].

Le Président, le vice-président et tous les agents civils des Etats-Unis seront destitués de leurs fonctions sur mise en accusation (impeachment) et condamnation pour trahison, corruption ou autres hauts crimes et délits (treason, bribery, or other high Crimes and Misdemeanors).

• Les régimes parlementaires

Document n° 5. Capitant R., « Régimes parlementaires », Mélanges Carré de Malberg, 1933, reproduit in Écrits d’entre-deux-guerres (1928-1940), Éd. Panthéon-Assas, 2004, p. 305 et s.

Le régime parlementaire correspond à une phase du grand conflit qui, dans les temps modernes, oppose le monarque et l’assemblée. Dans ce long conflit, les pouvoirs du monarque – ou du président, lorsque l’élection remplace l’hérédité du chef de l’État, – n’ont cessé de diminuer, cependant que l’assemblée n’a cessé de conquérir de nouvelles prérogatives. Ainsi la monarchie absolue s’est dégradée en monarchie limitée ou séparation des pouvoirs ; la séparation des pouvoirs, à son tour, a cédé la place au régime parlementaire ; le régime parlementaire lui-même a donné naissance à diverses variétés de régimes politiques dont la succession accompagne la décadence, puis la disparition du chef d’État ; enfin le gouvernement d’assemblée semble être l’aboutissement logique, sinon historique, de cette évolution, réalisant, après élimination du chef de l’État, la monarchie de l’assemblée.

C’est dans le cadre, assurément très schématique, de cette évolution que nous voudrions retracer la naissance et les transformations du régime parlementaire.

Le régime parlementaire est issu de la séparation des pouvoirs. La séparation des pouvoirs n’est pas, ce qu’on y voit souvent, un principe abstrait, une sorte de légitimité qui s’imposerait aux constitutions et dont l’interprète ne saurait nier la présence sans retirer toute valeur et presque toute existence à celles-ci. Sans doute, comme toute doctrine, elle a eu ses fidèles, et, comme tels, ceux-ci lui accordaient une valeur absolue, dont témoigne la Déclaration des droits en affirmant qu’à défaut de séparation des pouvoirs il ne saurait y avoir de constitution. En réalité, la séparation des pouvoirs n’est qu’un régime politique parmi d’autres régimes. C’est en ce sens que l’on peut dire qu’elle précède historiquement le régime parlementaire.

Ce régime n’est autre que la monarchie limitée, réalisée en Angleterre dès 1688, que Montesquieu prit pour exemple dans son célèbre chapitre sur la Constitution de l’Angleterre, et qui, après qu’il en eut fait la théorie et lui eut donné pour fondement idéologique l’idée de la protection de l’individu contre la tyrannie, devint le régime présidentiel, tel que l’adoptèrent les constituants américains. Elle se caractérise par l’indépendance respective de l’assemblée et du monarque. Elle est essentiellement un gouvernement à deux têtes, où les décisions étatiques doivent résulter de l’accord de deux organes opposés, dont aucun n’a le pouvoir de contraindre l’autre à se ranger à son avis. Chacun, par son dissentiment, détient le pouvoir d’empêcher l’autre de statuer, en sorte que s’établisse un régime de constante discussion, où la diversité des points de vue, garantie par la diversité de organes, conduise à des décisions longuement délibérées et mûries, empreintes de la modération et de la sagesse des transactions. Sans doute, la machine sera lente, et risquera de s’immobiliser au point mort d’une opposition irréductible ; mais Montesquieu se fie à la force des choses pour réaliser à la fin le « concert » des organes et assurer ainsi le mouvement de l’État. Participation du monarque à la législation, contrôle de l’assemblée sur le gouvernement, en sorte que partout monarque et assemblée se trouvent affrontés et tenus de se conjuguer, tels sont les traits caractéristiques de ce régime d’égalité et

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d’indépendance des pouvoirs, où Montesquieu crut découvrir les suprêmes garanties du libéralisme. Nous y voyons surtout l’égalité conquise, première étape victorieuse de l’assemblée dans sa longue lutte pour s’emparer des prérogatives gouvernementales.

La monarchie limitée ne possède encore aucune des caractéristiques du régime parlementaire ; car les ministres subordonnés au monarque et au président, s’absorbent dans l’unité de l’Exécutif et l’indépendance des pouvoirs exclut leur responsabilité politique.

Mais le régime parlementaire va bientôt s’annoncer par l’apparition d’un nouveau pouvoir, que Benjamin Constant appelle « le pouvoir ministériel » par opposition au « pouvoir royal », et qui, réalisant une scission au sein de l’Exécutif, vient rompre le dualisme de la monarchie limitée. Les ministres s’émancipent, se libèrent du monarque et forment un organe de gouvernement distinct. En même temps ils se groupent en collège, deviennent un conseil, un « cabinet », afin de retrouver dans leurs délibérations en commun le principe d’unité qu’ils recevaient autrefois de leur subordination individuelle au chef d’État. Enfin ils conquièrent une zone de compétence propre qui se trouve retranchée à la compétence du monarque, et qui, par son étendue, fait d’eux l’organe prépondérant du gouvernement. Alors se trouve réalisé le gouvernement de cabinet.

À lui seul, lorsqu’il n’est pas accompagné de la responsabilité politique des ministres, le gouvernement de cabinet n’est pas encore le régime parlementaire ; il n’est qu’un acheminement vers celui-ci. Il eut, d’ailleurs, sa période d’application sous la Restauration et forma alors vraiment la transition entre la monarchie de 91, limitée de Montesquieu, et la monarchie parlementaire de juillet. À la même époque, il eut ses théoriciens, dont le premier est Benjamin Constant. Cet auteur ne connaît et ne revendique d’autre responsabilité pour les ministres qu’une responsabilité pénale et tout au plus une responsabilité morale. Ni dans son œuvre, ni d’ailleurs dans le droit positif de la Restauration, n’existe ce qu’on appelle aujourd’hui la responsabilité politique des ministres qui est la condition du régime parlementaire. Le seul apport vraiment original, et d’ailleurs capital, de Benjamin Constant est la distinction entre « pouvoir ministériel » et « pouvoir royal ». Il est donc bien le théoricien du gouvernement de cabinet.

Mais, si la Restauration ne connut pas pleinement le régime parlementaire, elle en prépara pourtant l’avènement d’une autre façon encore. C’est qu’elle vit se développer chez le monarque, pour autant du moins qu’on songe à Louis XVIII, un esprit de conciliation, qui, sans aller jusqu’à le faire renoncer aux prérogatives de l’Exécutif, le porta du moins à n’en faire usage qu’avec une modération qui bien souvent permit le développement d’un véritable parlementarisme de fait, sinon de droit. Sans doute, l’Exécutif a conservé toutes ses prérogatives. Il reste indépendant en face des assemblées. Le régime s’inspire toujours de cet idéal d’opposition et de discussion cher à Montesquieu ; mais, après l’expérience de la période révolutionnaire, après les crises qui, soit pendant le règne de Louis XVI, soit sous le Directoire, ont montré le danger des conflits irréductibles, on comprend enfin l’idée profonde de l’auteur chez qui le conflit des pouvoirs n’est que le moyen de leur « concert », et pour qui la divergence des opinions doit précéder leur synthèse. La sagesse du Roi lui fait apercevoir que la Charte lui commande en fait, sinon en droit, de céder parfois, de ne jamais abuser de ses prérogatives, de pousser lui-même à ces transactions dont sera faite la vie du régime. Il comprend le danger du veto obstiné de Louis XVI et il recherche l’accord avec la majorité des Chambres comme une condition du fonctionnement paisible et normal de la Charte. Il n’est pas – et les ministres non plus – juridiquement tenu de se soumettre ; mais il préfèrera bien souvent se séparer des cabinets qui n’ont pas su garder la confiance des assemblées, plutôt que de les maintenir au pouvoir contre le gré de celles-ci. Ainsi se développe une sorte de parlementarisme octroyé par la sagesse du Roi, mais toujours révocable. Les doctrinaires, en 1816, n’en ont pas encore pris conscience, dans le célèbre débat où Royer-Collard et de Serre prennent la parole pour exalter les prérogatives royales ; mais Guizot, le plus jeune et le premier parmi eux, écrira bientôt que « l’harmonie des pouvoirs » est la condition du fonctionnement de la Charte. Déjà, d’ailleurs, et avec un incomparable éclat,

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Chateaubriand avait affirmé l’impérieuse obligation de fait qui, sous l’empire de la Charte, impose aux ministres de « disposer de la majorité ». Sans majorité, ni budget, ni législation, ni gouvernement possibles. Si la majorité change de camp, écrit-il, « le ministre reste et le gouvernement s’en va ». Toute la théorie de la Restauration est dans ces quelques mots. « Le gouvernement s’en va » avec la confiance de l’assemblée ; c’est bien ce qu’a compris Louis XVIII, c’est bien ce que les 221 rappelleront à Charles X. « Mais le ministre reste », car juridiquement et en droit strict il peut rester : « la majorité, comme dit encore Chateaubriand, ne peut pas physiquement le prendre par le manteau et le mettre dehors ». C’est le signe que le régime parlementaire n’est pas encore entièrement constitué.

C’est de 1830 que date la responsabilité politique des ministres, et du même coup le

régime parlementaire. Thiers l’a constaté au lendemain même de la Révolution, le véritable résultat de celle-ci a été d’introduire « le principe de la déférence au vœu de la majorité des Chambres ». Ce principe, le nouveau roi, Louis-Philippe, « l’a admis et irrévocablement fondé le jour où, dans le Palais-Bourbon, tête nue, la main levée, entouré de sa famille, des pairs, des députés, des chefs de l’armée, de tous les Français enfin qu’il n’était possible de faire assister à ce contrat auguste, il a accepté la couronne aux conditions de la Charte ». « Pour ce principe, ajoute-t-il, il valait la peine de faire une révolution »1.

Ce principe, nous l’appelons aujourd’hui la responsabilité politique des ministres, et nous entendons par là l’obligation juridique pour ceux-ci de se démettre s’ils perdent la confiance de l’assemblée. On ne remarque pas toujours à quel point cette appellation est mal choisie. Elle fait penser à une sorte de diminutif de la responsabilité pénale ; elle évoque l’idée de faute et de sanction, comme si la perte du pouvoir était pour le ministre une première et légère peine que viendra renforcer, si la gravité de l’infraction l’exige, la mise en jeu d’une responsabilité pénale véritable. Or, rien ne serait plus faux qu’une telle interprétation. Responsabilité pénale et responsabilité politique se développent, en réalité, malgré la similitude des dénominations, dans des plans bien distincts. La responsabilité politique a pour but de maintenir l’accord entre la politique ministérielle et la politique de la majorité de l’assemblée ; elle entre en jeu dès qu’un désaccord se manifeste, et ce serait évidemment méconnaître profondément la réalité politique que d’apercevoir une faute en une telle divergence. Le premier devoir d’un gouvernement parlementaire est de rester fidèle à son programme ; il n’y aurait de faute de sa part qu’à vouloir l’imposer à une majorité hostile et, s’il se retire devant un vote de défiance, c’est pour se conformer à la règle, non pour subir une peine ni pour la prévenir.

L’expression étymologiquement désigne, en réalité, une institution du gouvernement de cabinet, antérieure à la règle que l’arbitraire de la langue politique lui fait aujourd’hui désigner. Les ministres, maîtres de leurs actes, en ont la responsabilité morale. Ils ont, en outre, l’obligation d’en répondre devant l’assemblée, c’est-à-dire de s’expliquer sur eux, de répondre aux questions qui leur sont posées : c’est la responsabilité politique. Mais, si la responsabilité ministérielle ne signifiait aujourd’hui rien de plus, il serait bien erroné d’y voir l’institution caractéristique du régime parlementaire. Le mot a changé de sens et désigne, nous l’avons dit, une nouvelle prérogative du Parlement, le droit pour celui-ci d’obliger à la retraite les ministères qui ont perdu sa confiance.

Le régime parlementaire est donc le gouvernement d’un cabinet responsable devant

l’assemblée. Gouvernement de cabinet et responsabilité ministérielle en sont les traits essentiels. Le chef d’État, au contraire, vestige du régime de la séparation des pouvoirs, sans doute arrive encore à s’y faire place, mais n’est plus qu’une institution accessoire qui va déclinant et puis disparaissant à mesure qu’évolue le régime. […]

1 A. THIERS, La Monarchie de 1830, Paris, 1831, p. 46.

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Document n° 6. De Villiers M., Le Divellec A., « Régime parlementaire », dans Dictionnaire du droit constitutionnel, 10e éd., Sirey, 2015, p. 315-318. 1. Origines Le régime parlementaire (appelé également « gouvernement parlementaire » ou « gouvernement de cabinet ») s'inscrit dans une longue évolution dont l'origine est, en Angleterre, le développement des prérogatives du Parlement, prérogatives arrachées de haute lutte au monarque à l'occasion de crises successives sur plusieurs siècles (XIIIe – XVIIIe siècles) : c'est la monarchie limitée, qui débouche peu à peu sur un système de balance des pouvoirs. Mais au Parlement il faut un bras exécutif : l'effacement progressif du monarque conduit, en quelque sorte par compensation, à l'affirmation du pouvoir ministériel. Si l'histoire constitutionnelle anglaise échappe aux césures trop nettes (car simplistes), on peut néanmoins considérer que le précédent que constitue la première démission collégiale d'un cabinet, celui de Lord North, en 1782, marque une étape capitale : le principe de la responsabilité politique du gouvernement devant le Parlement est désormais consacré, même s'il faudra encore du temps pour que toutes ses implications apparaissent clairement. Montesquieu a visité l'Angleterre en 1729-1731, précisément à l'époque où s'annonçait cette transformation. Mais la Constitution qu'il analyse dans le célèbre chapitre VI du titre XI de De l'Esprit des Lois est bien celle de la monarchie limitée, en passe de disparaître quand l'ouvrage est publié en 1748. et ce sont les constituants américains réunis à Philadelphie qui recueilleront l'héritage du publiciste français et l'inscriront dans la Constitution de 1787. Ainsi s'explique que sera défini comme un régime de séparation accentuée (on dit souvent, de façon exagérée, « rigide ») des pouvoirs le régime américain (plus tard qualifié de présidentiel), alors que le régime parlementaire renvoie à une conception beaucoup plus souple de la même séparation (ou plutôt la balance) des pouvoirs, au point qu'il est plus juste de parler de fusion des pouvoirs, celle-ci s'accentuant encore pratiquement lorsqu'est atteinte la symbiose politique entre cabinet et la majorité parlementaire. 2. Agencement statique Les réalisations contemporaines du régime parlementaire sont multiples. Aussi sa définition peut varier en fonction des éléments que l'on veut privilégier.La définition juridique traditionnelle consiste, après le rappel d’un cadre institutionnel pratiquement immuable (comportant – sauf exception – un chef d’Etat, un gouvernement et un Parlement – bicaméral ou monocaméral), à montrer que le régime parlementaire est un régime de collaboration et de dépendance réciproque entre le gouvernement et le Parlement sous l’arbitrage plus ou moins formel du chef de l’Etat. La collaboration s’exprime dans le fait que les ministres sont généralement choisis au sein du Parlement et participent au travail parlementaire : dépôt de projets de lois, droit de parole, droit d’amendement, débats de politique générale, séances de questions orales… La dépendance réciproque se traduit par des procédures de révocabilité mutuelle : mise en jeu de la responsabilité du gouvernement par les procédures de la question de confiance et de la motion de censure, et, le plus souvent (mais pas toujours), droit de dissolution de la chambre élue par l’exécutif. 3. Logique institutionnelle du régime parlementaire Cette définition, juridique et procédurale, du régime parlementaire, qui est fondée sur un certain type de rapports entre les organes du pouvoir, doit, à l'époque contemporaine, être complétée en y ajoutant la dimension électorale et le jeu des partis politiques. Le régime parlementaire apparaît alors comme le régime dans lequel les seules élections législatives pourvoient de manière

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décisive à la désignation du personnel parlementaire et gouvernemental : dans un premier temps, élection des députés dont la majorité, dans un second temps, se saisit du gouvernement : la majorité gouverne. C’était d’ailleurs la définition du régime parlementaire donnée par Boris Mirkine-Guetzévitch (« Le fait que cette majorité a le droit de choisir 'son' ministère responsable devant elle »), en quoi il confirmait l'analyse de l'Anglais Walter Bagehot qui parlait du gouvernement de cabinet comme système dans lequel le Parlement désigne le premier ministre, autrement dit exerce une fonction élective. Les différences entre les régimes parlementaires tiennent alors à la plus ou moins grande aptitude du système des partis à dégager une telle majorité.En fonction de cette aptitude, les procédures juridiques du régime parlementaire n’ont plus la même signification. Ainsi la responsabilité du gouvernement devant le Parlement n’est qu’une simple procédure de vérification de l’accord entre le Parlement et le cabinet. Si cet accord existe, elle ne joue pas, ou alors de façon purement formelle (en Grande-Bretagne, un seul gouvernement, le gouvernement Callaghan en 1979, a été renversé par la Chambre des Communes depuis 1921). Et si l’accord n’existe pas, ou n’existe que difficilement, la mise en jeu répétée de la responsabilité du gouvernement traduit plutôt la crise du régime parlementaire que son bon fonctionnement (ainsi des IIIe et IVe Républiques qui sont devenues au fil du temps des régimes d’assemblée de fait). 4. De multiples variantes Les classifications des régimes parlementaires expriment ce renouvellement de l’analyse. Là où, d’un point de vue historique, on avait l’habitude de distinguer entre régime parlementaire dualiste et régime parlementaire moniste (selon que le gouvernement avait ou n’avait pas de compte à rendre au chef de l’Etat), la distinction la plus pertinente s’établit aujourd’hui entre les régimes parlementaires qui obéissent à la logique majoritaire sortie des urnes et ceux qui, rebelles à cette logique, n’ont pas réglé le problème de la stabilité gouvernementale. Ainsi s’explique que ces derniers fassent avec plus ou moins de bonheur l’expérience des différents moyens recommandés par la science constitutionnelle pour obtenir cette stabilité tant recherchée. Ce pourra être le parlementarisme rationalisé (depuis une soixantaine d’années dans beaucoup de constitutions européennes), l’élection du chef de l’Etat au suffrage universel direct (Autriche, Finlande, France, Irlande, Portugal, Pologne, Slovaquie, République Tchèque, Lituanie...), le recours au scrutin majoritaire (Italie, de 1994 à 2005), ou les trois à la fois. Tel a été le choix du constituant français en 1958-1962. Mais si la France de la Ve République peut être classée formellement dans la catégorie des régimes parlementaires, c'est sous la réserve que la variante dualiste qu'elle pratique tend à aboutir à un leadership présidentiel sans équivalent ailleurs et en partie contradictoire avec le principe de l'exécutif responsable devant le Parlement.

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Document n° 7. Constant B., Principes de politique, 1815 (chapitre 2 – De la nature du pouvoir royal dans une monarchie constitutionnelle) Notre constitution, en établissant la responsabilité des ministres, sépare clairement le pouvoir ministériel du pouvoir royal. Le seul fait que le monarque est inviolable, et que les ministres sont responsables, constate cette séparation. Car on ne peut nier que les ministres n’aient pas là un pouvoir qui leur appartient en propre jusqu’à un certain point. Si on ne les considérait que comme des agents passifs et aveugles, leur responsabilité serait absurde et injuste, ou du moins il faudrait qu’ils ne fussent responsables qu’envers le monarque, de la stricte exécution de ses ordres. Mais la constitution veut qu’ils soient responsables envers la nation, et que dans certains cas les ordres du monarque ne puissent leur servir d’excuse. Il est donc clair qu’ils ne sont pas des agents passifs. Le pouvoir ministériel, bien qu’émané du pouvoir royal, a cependant une existence réellement séparée de ce dernier : et la différence est essentielle et fondamentale, entre l’autorité responsable, et l’autorité investie de l’inviolabilité.

Cette distinction étant de la sorte consacrée par notre constitution même, je crois devoir l’entourer de quelques développements. Indiquée dans un ouvrage que j’ai publié avant la promulgation de la charte de 1814, elle a paru claire et utile à des hommes dont l’opinion est à mes yeux d’un grand poids. C’est en effet, selon moi, la clef de toute organisation politique.

Le pouvoir royal (j’entends celui du chef de l’état, quelque titre qu’il porte), est un pouvoir neutre. Celui des ministres est un pouvoir actif. Pour expliquer cette différence, définissons les pouvoirs politiques, tels qu’on les a connus jusqu’ici.

Le pouvoir exécutif, le pouvoir législatif, et le pouvoir judiciaire, sont trois ressorts qui doivent coopérer, chacun dans sa partie, au mouvement général : mais quand ces ressorts dérangés se croisent, s’entrechoquent et s’entravent, il faut une force qui les remette à leur place. Cette force ne peut pas être dans l’un des ressorts, car elle lui servirait à détruire les autres. Il faut qu’elle soit en dehors, qu’elle soit neutre, en quelque sorte, pour que son action s’applique nécessairement partout où il est nécessaire qu’elle soit appliquée, et pour qu’elle soit préservatrice, réparatrice, sans être hostile.

La monarchie constitutionnelle crée ce pouvoir neutre, dans la personne du chef de l’état. L’intérêt véritable de ce chef n’est aucunement que l’un des pouvoirs renverse l’autre, mais que tous s’appuient, s’entendent et agissent de concert. Document n° 8. Walter Bagehot, La Constitution anglaise, traduit par M. Gaulhiac, Paris, Germer Baillière, 1869, p. 14 et 21

L’efficacité secrète de la Constitution anglaise réside, on peut le dire, dans l’étroite union, dans la fusion presque complète du pouvoir exécutif et du pouvoir législatif. Suivant la théorie traditionnelle qu’on trouve dans tous les livres, ce qui recommande notre Constitution c’est la séparation absolue du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif ; mais en réalité ce qui en fait le mérite, c’est précisément la parenté de ces pouvoirs. Le lien qui les unit se nomme le Cabinet. [...] Cette fusion du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif peut sembler à ceux qui n’y ont pas suffisamment réfléchi beaucoup trop simple et trop mesquine pour expliquer le mécanisme latent et l’efficacité secrète de la Constitution britannique ; mais on n’en peut apprécier

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l’importance réelle qu’en observant quelques-uns de ses effets principaux et en comparant ce système avec le grand système rival dont la marche semble, si l’on n’y prend garde, destinée à devancer la sienne dans le monde. Ce système rival, c’est le système présidentiel. Le trait caractéristique de ce dernier, c’est que le président y est élu par le peuple d’une certaine manière et la Chambre des représentants d’une autre façon. C’est l’indépendance mutuelle du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif qui est la qualité distinctive du gouvernement présidentiel, tandis qu’au contraire la fusion et la combinaison de ces pouvoirs sert de principe au gouvernement de Cabinet. Document n° 9. « Au service de sa Majesté », dans Les institutions de la Grande-Bretagne, La documentation française, 1994, p. 29. L’essentiel de la vie politique en Grande-Bretagne est mené au nom de la Couronne. Le Parlement ne gouverne pas. C’est la reine en son Parlement qui gouverne. Lorsque le Parlement se réunit en début de session, la reine en personne, le nez curieusement chaussé de lunettes sous la couronne scintillante, lit à haute voix la liste des lois que le gouvernement espère faire voter. Chaque projet de loi proposé au Parlement doit recevoir le consentement royal avant de devenir une loi proprement dite : aucun monarque, depuis la reine Anne en 1707, ne l’a refusé. La reine nomme les évêques, les juges et les officiers supérieurs, mais seulement sur avis du Premier Ministre. En théorie, toutes les distinctions et promotions sont décernées par le souverain ; dans la pratique, fort peu procèdent effectivement de son choix. Bien que les affaires de l’Etat soient officiellement conduites au nom de la Reine, celle-ci est contrainte par la constitution, dans presque tous les cas, à agir sur avis de ses ministres. Lorsqu’un gouvernement stable est en place, les seuls droits de la Reine, selon les termes mêmes de Bagehot, sont ‘le droit d’être consultée, le droit d’encourager, le droit de mettre en garde’. Ces droits confèrent une influence plutôt qu’un pouvoir ; ils n’en sont pas pour autant négligeables.

A travers eux, l’influence cachée de la Reine se fait jour. Chaque mardi, elle accorde audience au Premier Ministre. Personne d’autre n’assiste à l’entretien, si bien qu’aucun compte rendu n’est rédigé […]. Un Premier Ministre qui pense que l’audience hebdomadaire est pure formalité risque de tomber de haut. L’expérience de la Reine compte. La souveraine a vu passer tous les dossiers ministériels et toutes les décisions importantes du Foreign Office depuis trente-cinq ans et s’est entretenue chaque semaine avec huit premiers ministres successifs. Elle a rencontré la plupart des chefs d’Etat et s’est plainte au Foreign Office du caractère trop sommaire des informations que lui transmet ce ministère. Elle peut exposer sa manière de voir au Premier Ministre, mais elle est tenue d’accepter la décision finale […]

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Université Paris 8

Introduction au Droit constitutionnel (Semestre I)

Séance de travaux dirigés n° 10 : Aperçu d'histoire constitutionnelle française : la consécration de la République Document n° 1a. Loi du 17 février 1871, ayant pour objet de nommer M. Thiers, Chef du pouvoir exécutif de la République française, dans S. Rials, prés., Textes constitutionnels français, PUF, coll. « Que sais-je ? », 15e édition, 2001, p. 71 ; 1b. Loi du 31 août 1871, portant que le chef du pouvoir exécutif prendra le titre de Président de la République française, ibid., pp. 71-72 ; 1c. Loi du 13 mars 1873, ayant pour objet de régler les attributions des pouvoirs publics et les conditions de la responsabilité ministérielle, ibid., pp. 72-73 (extraits) ; 1d. Loi du 20 novembre 1873, ayant pour objet de confier le pouvoir exécutif pour sept ans au Maréchal de Mac-Mahon, ibid., p. 73.

Document n° 2a. Loi du 24 février 1875 relative à l’organisation du Sénat (extraits). ; Document n° 2b. Loi du 25 février 1875 relative à l’organisation des pouvoirs publics (extraits) ; Document n° 2c. Loi du 16 juillet 1875 sur les rapports des pouvoirs publics (extraits).

Document n° 3a. Loi du 21 juin 1879, révisant l’article 9 de la loi constitutionnelle du 25 février 1875 ; 3b. Loi du 14 août 1884, portant révision partielle des lois constitutionnelles.

Document n° 4a. Lettre du maréchal de Mac-Mahon à Jules Simon, le 16 mai 1877 ; 4b. Ordre du jour de la Chambre des députés, le 17 mai 1877 ; 4c. Message de Jules Grévy au Sénat, le 6 février 1879.

Document n° 5. Constitution du 27 octobre 1946 (extraits).

Document n° 6. Révision du 7 décembre 1954 (extraits).

Document n° 7. Godechot, J., prés., Les constitutions de la France depuis 1789, chapitre XIV, La constitution de la IVe République, Garnier-Flammarion, 1979, pp. 357-369 (extraits).

Dissertation : « Le Président de la République sous les IIIe et IVe

Républiques »

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Document n° 1a. Loi du 17 février 1871, ayant pour objet de nommer M. Thiers, Chef du pouvoir exécutif de la République française, dans S. Rials, prés., Textes constitutionnels français, PUF, coll. « Que sais-je ? », 15e édition, 2001, p. 71 . « L’Assemblée nationale, dépositaire de l’autorité souveraine, – Considérant qu’il importe, en attendant qu’il soit statué sur les institutions de la France, de pourvoir immédiatement aux nécessités du gouvernement et à la conduite des négociations, Décrète : – M. Thiers est nommé chef du pouvoir exécutif de la République française. Il exercera ses fonctions sous l’autorité de l’Assemblée nationale, avec le concours des ministres qu’il aura choisis et qu’il présidera ». Document n° 1b. Loi du 31 août 1871, portant que le chef du pouvoir exécutif prendra le titre de Président de la République française, ibid., pp. 71-72. « L’Assemblée nationale, – Considérant qu’elle a le droit d’user du pouvoir constituant, attribut essentiel de la souveraineté dont elle est investie, et que les devoirs impérieux que tout d’abord elle a dû s’imposer, et qui sont encore loin d’être accomplis, l’ont seuls empêchée jusqu’ici d’user de ce pouvoir ; – Considérant que, jusqu’à l’établissement des institutions définitives du pays, il importe aux besoins du travail, aux intérêts du commerce, au développement de l’industrie, que nos institutions provisoires prennent, aux yeux de tous, sinon cette stabilité qui est l’oeuvre du temps, du moins celle que peuvent assurer l’accord des volontés et l’apaisement des partis ; – Considérant qu’un nouveau titre, une appellation plus précise, sans rien changer au fond des choses, peut avoir cet effet de mettre mieux en évidence l’intention de l’Assemblée de continuer franchement l’essai loyal commencé à Bordeaux ; – Que la prorogation des fonctions conférées au Chef du Pouvoir exécutif, limitée désormais à la durée des travaux de l’Assemblée, dégage ces fonctions de ce qu’elles semblent avoir d’instable et de précaire, sans que les droits souverains de l’Assemblée en souffrent la moindre atteinte, puisque dans tous les cas la décision suprême appartient à l’Assemblée, et qu’un ensemble de garanties nouvelles vient assurer le maintien de ces principes parlementaires, tout à la fois la sauvegarde et l’honneur du pays ; – Prenant, d’ailleurs, en considération les services éminents rendus au pays par M. Thiers depuis six mois et les garanties que présente la durée du pouvoir qu’il tient de l’Assemblée ; – Décrète :

Article premier. – Le Chef du Pouvoir exécutif prendra le titre de Président de la République française, et continuera d’exercer, sous l’autorité de l’Assemblée nationale, tant qu’elle n’aura pas terminé ses travaux, les fonctions qui lui ont été déléguées par décret du 17 février 1871.

Article 2. – Le Président de la République promulgue les lois dès qu’elles lui sont transmises par le président de l’Assemblée nationale. – Il assure et surveille l’exécution des lois. – Il réside au lieu où siège l’Assemblée. – Il est entendu par l’Assemblée nationale toutes les lois qu’il le croit nécessaire, et après avoir informé de son intention le président de l’Assemblée. – Il nomme et révoque les ministres. Le Conseil des ministres et les ministres sont responsables devant l’Assemblée. – Chacun des actes du Président de la République doit être contresigné par un ministre. – Le Président de la République est responsable devant l’Assemblée ».

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Document n° 1c. Loi du 13 mars 1873, ayant pour objet de régler les attributions des pouvoirs publics et les conditions de la responsabilité ministérielle, ibid., pp. 72-73 (extraits). « L’Assemblée nationale, – Réservant dans son intégrité le pouvoir constituant qui lui appartient, mais voulant apporter des améliorations aux attributions des pouvoirs publics, décrète :

Article premier. – La loi du 31 août 1871 est modifiée ainsi qu’il suit : – Le Président de la République communique avec l’Assemblée par des messages qui, à l’exception de ceux par lesquels s’ouvrent les sessions, sont lus à la tribune par un ministre. – Néanmoins, il sera entendu par l’Assemblée dans la discussion des lois, lorsqu’il le jugera nécessaire, et après l’avoir informée de son intention par un message. – La discussion à l’occasion de laquelle le Président de la République veut prendre la parole est suspendue après la réception du message, et le Président sera entendu le lendemain, à moins qu’un vote spécial ne décide qu’il le sera le même jour. La séance est levée après qu’il a été entendu, et la discussion n’est reprise qu’à une séance ultérieure. La délibération a lieu hors la présence du Président de la République.

Article 2. – Le Président de la République promulgue les lois déclarées urgentes dans les trois jours, et les lois non urgentes dans le mois après le vote de l’Assemblée. – Dans le délai de trois jours, lorsqu’il s’agira d’une loi non soumise à trois lectures, le Président de la République aura le droit de demander, par un message motivé, une nouvelle délibération. – Pour les lois soumises à la formalité des trois lectures, le Président de la République aura le droit, après la seconde, de demander que la mise à l’ordre du jour pour la troisième délibération ne soit fixée qu’après le délai de deux mois […].

Article 4. – Les interpellations ne peuvent être adressées qu’aux ministres et non au Président de la République. – Lorsque les interpellations adressées aux ministres ou les pétitions envoyées à l’Assemblée se rapportent aux affaires extérieures, le Président de la République aura le droit d’être entendu. – Lorsque ces interpellations ou ces pétitions auront trait à la politique intérieure, les ministres répondront seuls des actes qui les concernent. Néanmoins, si, par une délibération spéciale, communiquée à l’Assemblée avant l’ouverture de la discussion par le vice-président du Conseil des ministres, le Conseil déclare que les questions soulevées se rattachent à la politique générale du Gouvernement et engagent ainsi la responsabilité du Président de la République, le Président aura le droit d’être entendu dans les formes déterminées par l’article premier. – Après avoir entendu le vice-président du Conseil, l’Assemblée fixe le jour de la discussion […] ».

Document n° 1d. Loi du 20 novembre 1873, ayant pour objet de confier le pouvoir exécutif pour sept ans au Maréchal de Mac- Mahon, ibid., p. 73. « Article premier. – Le pouvoir exécutif est confié pour sept ans au maréchal de Mac- Mahon, duc de Magenta, à partir de la promulgation de la présente loi ; ce pouvoir continuera à être exercé avec le titre de Président de la République et dans les conditions actuelles jusqu’aux modifications qui pourraient y être apportées par les lois constitutionnelles.

Article 2. – Dans les trois jours qui suivront la promulgation de la présente loi, une commission de trente membres sera nommée en séance publique et au scrutin de liste, pour l’examen des lois constitutionnelles ».

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Document n° 2a. Loi du 24 février 1875 relative à l’organisation du Sénat (extraits). Article premier. – Le Sénat se compose de trois cents membres : – Deux cent vingt-cinq élus par les départements et les colonies, et soixante-quinze élus par l’Assemblée nationale

[…].

Article 3. – Nul ne peut être sénateur s’il n’est Français, âgé de quarante ans au moins et s’il ne jouit de ses droits civils et politiques […].

Article 7. – Les sénateurs élus par l’Assemblée sont inamovibles. – En cas de vacance par décès, démission ou autre cause, il sera, dans les deux mois, pourvu au remplacement par le Sénat lui-même.

Article 8. – Le Sénat a, concurremment avec la Chambre des députés, l’initiative et la confection des lois. – Toutefois, les lois de finances doivent être, en premier lieu, présentées à la Chambre des députés et votées par elle.

Article 9. – Le Sénat peut être constitué en Cour de justice pour juger soit le président de la République, soit les ministres, et pour connaître des attentats commis contre la sûreté de l’État.

Article 10. – Il sera procédé à l’élection du Sénat un mois avant l’époque fixée par l’Assemblée nationale pour sa séparation. – Le Sénat entrera en fonction et se constituera le jour même où l’Assemblée nationale se séparera.

Article 11. – La présente loi ne pourra être promulguée qu’après le vote définitif de la loi sur les pouvoirs publics.

Document n° 2b. Loi du 25 février 1875 relative à l’organisation des pouvoirs publics (extraits). Article premier. – Le pouvoir législatif s’exerce par deux Assemblées : la Chambre des députés et le Sénat. – La Chambre des députés est nommée par le suffrage universel, dans les conditions déterminées par la loi électorale. – La composition, le mode de nomination et les attributions du Sénat seront réglés par une loi spéciale.

Article 2. – Le Président de la République est élu à la majorité absolue des suffrages par le Sénat et par la Chambre des députés réunis en Assemblée nationale. Il est nommé pour sept ans. Il est rééligible.

Article 3. – Le Président de la République a l’initiative des lois, concurremment avec les membres des deux Chambres. Il promulgue les lois lorsqu’elles ont été votées par les deux chambres ; il en surveille et en assure l’exécution. – Il a le droit de faire grâce ; les amnisties ne peuvent être accordées que par une loi. – Il dispose de la force armée. – Il nomme à tous les emplois civils et militaires. – Il préside aux solennités nationales ; les envoyés et les ambassadeurs des puissances étrangères sont accrédités auprès de lui. – Chacun des actes du Président de la République doit être contresigné par un ministre […].

Article 5. – Le président de la République peut, sur l’avis conforme du Sénat, dissoudre la chambre des députés avant l’expiration légale de son mandat. – En ce cas, les collèges électoraux sont convoqués pour de nouvelles élections dans le délai de trois mois.

Article 6. – Les ministres sont solidairement responsables devant les Chambres de la politique générale du gouvernement, et individuellement de leurs actes personnels. – Le Président de la

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République n’est responsable que dans le cas de haute trahison.

Article 7. – En cas de vacance par décès ou pour toute autre cause, les deux Chambres réunies procèdent immédiatement à l’élection d’un nouveau président. – Dans l’intervalle, le Conseil des ministres est investi du pouvoir exécutif.

Article 8. – Les Chambres auront le droit, par délibérations séparées prises dans chacune à la majorité absolue des voix, soit spontanément, soit sur la demande du président de la République, de déclarer qu’il y a lieu de réviser les lois constitutionnelles. – Après que chacune des deux Chambres aura pris cette résolution, elles se réuniront en Assemblée nationale pour procéder à la révision. – Les délibérations portant révision des lois constitutionnelles, en tout ou en partie, devront être prises à la majorité absolue des membres composant l’Assemblée nationale. – Toutefois, pendant la durée des pouvoirs conférés par la loi du 20 novembre 1873, à M. le Maréchal de Mac-Mahon, cette révision ne peut avoir lieu que sur la proposition du président de la République.

Article 9. – Le siège du pouvoir exécutif et des deux chambres est à Versailles.

Document n° 2c. Loi du 16 juillet 1875 sur les rapports des pouvoirs publics (extraits). Article premier. – Le Sénat et la Chambre des députés se réunissent chaque année le second mardi de janvier, à moins d’une convocation antérieure faite par le président de la République. – Les deux chambres doivent être réunies en session de cinq mois au moins chaque année. La session de l’une commence et finit en même temps que celle de l’autre. – Le dimanche qui suivra la rentrée, des prières publiques seront adressées à Dieu dans les églises et dans les temples pour appeler son secours sur les travaux de l’Assemblée.

Article 2. – Le président de la République prononce la clôture de la session. Il a le droit de convoquer extraordinairement les Chambres. Il devra les convoquer si la demande en est faite, dans l’intervalle des sessions, par la majorité absolue des membres composant chaque Chambre. – Le président peut ajourner les Chambres. Toutefois, l’ajournement ne peut excéder le terme d’un mois ni avoir lieu plus de deux fois dans la même session.

Article 3. – Un mois au moins avant le terme légal des pouvoirs du président de la République, les Chambres devront être réunies en Assemblée nationale pour procéder à l’élection du nouveau président. – A défaut de convocation, cette réunion aurait lieu de plein droit le quinzième jour avant l’expiration de ces pouvoirs. – En cas de décès ou de démission du président de la République, les deux Chambres se réunissent immédiatement et de plein droit. – Dans le cas où, par application de l’article 5 de la loi du 25 février 1875, la Chambre des députés se trouverait dissoute au moment où la présidence de la République deviendrait vacante, les collèges électoraux seraient aussitôt convoqués, et le Sénat se réunirait de plein droit.

Article 4. – Toute Assemblée de l’une des deux Chambres qui serait tenue hors du temps de la session commune et illicite est nulle de plein droit, sauf le cas prévu par l’article précédent et celui où le Sénat est réuni comme Cour de justice ; et, dans ce dernier cas, il ne peut exercer que des fonctions judiciaires […].

Article 6. – Le président de la République communique avec les Chambres par des messages qui sont lus à la tribune par un ministre. – Les ministres ont leur entrée dans les deux Chambres et doivent être entendus quand ils le demandent. Ils peuvent se faire assister par des commissaires désignés, pour la discussion d’un projet de loi déterminé, par décret du président de la République.

Article 7. – Le président de la République promulgue les lois dans le mois qui suit la transmission

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au gouvernement de la loi définitivement adoptée. Il doit promulguer dans les trois jours les lois dont la promulgation, par un vote exprès de l’une et l’autre Chambre, aura été déclarée urgente. – Dans le délai fixé pour la promulgation, le président de la République peut, par un message motivé, demander aux deux Chambres une nouvelle délibération qui ne peut être refusée.

Article 8. – Le président de la République négocie et ratifie les traités. Il en donne connaissance aux Chambres aussitôt que l’intérêt et la sûreté de l’Etat le permettent. – Les traités de paix, de commerce, les traités qui engagent les finances de l’Etat, ceux qui sont relatifs à l’état des personnes et au droit de propriété des Français à l’étranger, ne sont définitifs qu’après avoir été votés par les deux Chambres. Nulle cession, nul échange, nulle adjonction de territoire ne peut avoir lieu qu’en vertu d’une loi.

Article 9. – Le Président de la République ne peut déclarer la guerre sans l’assentiment préalable des deux Chambres […].

Article 12. – Le président de la République ne peut être mis en accusation que par la Chambre des députés, et ne peut être jugé que par le Sénat. – Les ministres peuvent être mis en accusation par la Chambre des députés pour crimes commis dans l’exercice de leurs fonctions. En ce cas, ils sont jugés par le Sénat. – Le Sénat peut être constitué en Cour de justice par un décret du président de la République, rendu en Conseil des ministres, pour juger toute personne prévenue d’attentat contre la sûreté de l’État. – Si l’instruction est commencée par la justice ordinaire, le décret de convocation du Sénat peut être rendu jusqu’à l’arrêt de renvoi. – Une loi déterminera le mode de procéder pour l’accusation, l’instruction et le jugement.

Article 13. – Aucun membre de l’une ou de l’autre Chambre ne peut être poursuivi ou recherché à l’occasion des opinions ou votes émis par lui dans l’exercice de ses fonctions.

Article 14. – Aucun membre de l’une ou de l’autre Chambre ne peut, pendant la durée de la session, être poursuivi ou arrêté en matière criminelle ou correctionnelle qu’avec l’autorisation de la Chambre dont il fait partie, sauf le cas de flagrant délit. – La détention ou la poursuite d’un membre de l’une ou de l’autre Chambre est suspendue pendant la session, et pour toute sa durée, si la Chambre le requiert.

Document n° 3a. Loi du 21 juin 1879, révisant l’article 9 de la loi constitutionnelle du 25 février 1875. Article unique. – L’article 9 de la loi constitutionnelle du 25 février 1875 est abrogé. Document n° 3b. Loi du 14 août 1884, portant révision partielle des lois constitutionnelles. Article premier. – Le paragraphe 2 de l’article 5 de la loi constitutionnelle du 25 février 1875, relative à l’organisation des pouvoirs publics, est modifié ainsi qu’il suit : – « En ce cas, les collèges électoraux sont réunis pour de nouvelles élections dans le délai de deux mois et la Chambre dans les dix jours qui suivront la clôture des opérations électorales ».

Article 2. – Le paragraphe 3 de l’article 8 de la même loi du 25 février 1875 est complété ainsi qu’il suit : – « La forme républicaine du gouvernement ne peut faire l’objet d’une proposition de révision. – Les membres des familles ayant régné sur la France sont inéligibles à la présidence de la République ».

Article 3. – Les articles 1 à 7 de la loi constitutionnelle du 24 février 1875, relatifs à l’organisation du Sénat, n’auront plus le caractère constitutionnel.

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Article 4. – Le paragraphe 3 de l’article premier de la loi constitutionnelle du 16 juillet 1875, sur les rapports des pouvoirs publics, est abrogé.

Document n° 4a. Lettre du maréchal de Mac-Mahon à Jules Simon, le 16 mai 1877. Monsieur le Président du Conseil. Je viens de lire dans le Journal officiel le compte rendu de la séance d’hier. J’ai vu avec surprise que ni vous, ni le Garde des Sceaux n’aviez fait valoir à la tribune toutes les graves raisons qui auraient pu prévenir l’abrogation d’une loi sur la presse votée, il y a moins de deux ans, sur la proposition de M. Dufaure et dont tout récemment vous demandiez vous-même l’application aux tribunaux ; et cependant dans plusieurs délibérations du Conseil et dans celle d’hier matin même, il avait été décidé que le Président du Conseil et le Garde des Sceaux se chargeraient de la combattre. Déjà on avait pu s’étonner que la Chambre des députés, dans ses dernières séances, eût discuté toute une loi municipale, adopté même une disposition dont au Conseil des Ministres vous avez vous-même reconnu tout le danger, comme la publicité des délibérations des conseils municipaux, sans que le ministre de l’Intérieur eût pris part à la discussion. Cette attitude du Chef du cabinet fait demander s’il a conservé sur la Chambre l’influence nécessaire pour faire prévaloir ses vues. Une explication à cet égard est indispensable, car si je ne suis pas responsable comme vous envers le parlement, j’ai une responsabilité envers la France, dont aujourd’hui plus que jamais je dois me préoccuper. Agréez, monsieur le Président du Conseil, l’assurance de ma plus haute considération » (le Président de la République, Maréchal de Mac-Mahon). Document n° 4b. Ordre du jour de la Chambre des députés, le 17 mai 1877. « La Chambre. Considérant qu’il lui importe dans la crise actuelle et pour remplir le mandat qu’elle a reçu du pays, de rappeler que la prépondérance du pouvoir parlementaire, s’exerçant par la responsabilité ministérielle, est la première condition du gouvernement du pays par le pays, que les lois constitutionnelles ont eu pour but d’établir ; Déclare que la confiance de la majorité ne saurait être acquise qu’à un cabinet libre de son action et résolu à gouverner suivant les principes républicains qui peuvent seuls garantir l’ordre et la prospérité au-dedans et la paix en-dehors, Et passe à l’ordre du jour » […] (le scrutin est ouvert et les votes sont recueillis) M. le Président, voici le résultat du scrutin. Nombre de votants : 496 ; majorité absolue : 249 ; pour l’adoption : 437 ; contre : 149. Document n° 4c. Message de Jules Grévy au Sénat, le 6 février 1879. Messieurs les sénateurs,

L’Assemblée nationale, en m’élevant à la présidence de la République, m’a imposé de grands devoirs. Je m’appliquerai sans relâche à les accomplir, heureux si je puis, avec le concours du Sénat et de la Chambre des députés, ne pas rester en-dessous de ce que la France est en droit d’attendre de mes efforts et de mon dévouement.

Soumis avec sincérité à la grande loi du régime parlementaire, je n’entrerai jamais en lutte contre la volonté nationale, exprimée par ses organes constitutionnels.

Dans les projets de lois qu’il présentera au vote des chambres et dans les questions soulevées par l’initiative parlementaire, le Gouvernement s’inspirera des besoins réels, des vœux certains du

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pays, d’un esprit de progrès et d’apaisement ; il se préoccupera surtout du maintien de la tranquillité, de la sécurité, de la confiance, le plus ardent des voeux de la France, le plus impérieux de ses besoins.

Dans l’application des lois, qui donne à la politique générale son caractère et sa direction, il se pénétrera de la pensée qui les a dictées ; il sera libéral, juste pour tous, protecteur de tous les intérêts légitimes, défenseur résolu de ceux de l’État.

Dans sa sollicitude pour les grandes institutions qui sont les colonnes de l’édifice social, il fera une large part à notre armée, dont l’honneur et les intérêts seront l’objet de ses plus chères préoccupations.

Tout en tenant un juste compte des droits acquis et des services rendus, aujourd’hui que les deux grands pouvoirs sont armés du même esprit, qui est celui de la France, il veillera à ce que la République soit servie par des fonctionnaires qui ne soient ni ses ennemis, ni ses détracteurs.

Il continuera à entretenir et à développer les bons rapports qui existent entre la France et les puissances étrangères, et à contribuer ainsi à l’affermissement de la paix générale.

C’est par cette politique libérale et vraiment conservatrice, que les grands pouvoirs de la République, toujours unis, toujours animés du même esprit, marchant toujours avec sagesse, feront porter ses fruits naturels au gouvernement que la France, instruite par ses malheurs, s’est donné comme le seul qui puisse assurer son repos, et travailler utilement au développement de sa prospérité, de sa force et de sa grandeur.

Document n° 5. Constitution du 27 octobre 1946 (extraits). Préambule

Au lendemain de la victoire remportée par les peuples libres sur les régimes qui ont tenté d’asservir et de dégrader la personne humaine, le peuple français proclame à nouveau que tout être humain, sans distinction de race, de religion ni de croyance, possède des droits inaliénables et sacrés. Il réaffirme solennellement les droits et les libertés de l’homme et du citoyen consacrés par la Déclaration des droits de 1789 et les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République.

Il proclame, en outre, comme particulièrement nécessaires à notre temps, les principes politiques, économiques et sociaux ci-après :

La loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l’homme.

Tout homme persécuté en raison de son action en faveur de la liberté a le droit d’asile sur les territoires de la République.

Chacun a le devoir de travailler et le droit d’obtenir un emploi. Nul ne peut être lésé, dans son travail ou dans son emploi, en raison de ses origines, de ses opinions ou de ses croyances.

Tout homme peut défendre ses droits et ses intérêts par l’action syndicale et adhérer au syndicat de son choix. Le droit de grève s’exerce dans le cadre des lois qui le réglementent.

Tout travailleur participe, par l’intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu’à la gestion des entreprises.

Tout bien, toute entreprise, dont l’exploitation a ou acquiert les caractères d’un service public national ou d’un monopole de fait, doit devenir la propriété de la collectivité.

La Nation assure à l’individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement.

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Elle garantit à tous, notamment à l’enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs. Tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l’incapacité de travailler a le droit d’obtenir de la collectivité des moyens convenables d’existence.

La Nation proclame la solidarité et l’égalité de tous les Français devant les charges qui résultent des calamités nationales.

La Nation garantit l’égal accès de l’enfant et de l’adulte à l’instruction, à la formation professionnelle et à la culture. L’organisation de l’enseignement public gratuit et laïque à tous les degrés est un devoir de l’État.

La République française, fidèle à ses traditions, se conforme aux règles du droit public international. Elle n’entreprendra aucune guerre dans des vues de conquête et n’emploiera jamais ses forces contre la liberté d’aucun peuple.

Sous réserve de réciprocité, la France consent aux limitations de souveraineté nécessaires à l’organisation et à la défense de la paix.

La France forme avec les peuples d’outre-mer une Union fondée sur l’égalité des droits et des devoirs, sans distinction de race ni de religion.

L’Union française est composée de nations et de peuples qui mettent en commun ou coordonnent leurs ressources et leurs efforts pour développer leurs civilisations respectives, accroître leur bien-être et assurer leur sécurité.

Fidèle à sa mission traditionnelle, la France entend conduire les peuples dont elle a pris la charge à la liberté de s’administrer eux-mêmes et de gérer démocratiquement leurs propres affaires ; écartant tout système de colonisation fondé sur l’arbitraire, elle garantit à tous l’égal accès aux fonctions publiques et l’exercice individuel et collectif des droits et libertés proclamés ou confirmés ci-dessus.

Des institutions de la République

Titre premier. De la souveraineté

Article 3. – La souveraineté nationale appartient au peuple français.

Aucune section du peuple ni aucun individu ne peut s’en attribuer l’exercice.

Le peuple l’exerce, en matière constitutionnelle, par le vote de ses représentants et par le référendum.

En toutes autres matières, il l’exerce par ses députés à l’Assemblée nationale, élus au suffrage universel, égal, direct et secret.

Titre II. Du Parlement

Article 5. – Le Parlement se compose de l’Assemblée nationale et du Conseil de la République.

Article 6. – La durée des pouvoirs de chaque Assemblée, son mode d’élection, les conditions d’éligibilité, le régime des inéligibilités et incompatibilités sont déterminés par la loi.

Toutefois, les deux Chambres sont élues sur une base territoriale, l’Assemblée nationale au suffrage universel direct, le Conseil de la République par les collectivités communales et départementales, au suffrage universel indirect. Le Conseil de la République est renouvelable par moitié.

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Néanmoins, l’Assemblée nationale peut élire elle-même à la représentation proportionnelle des conseillers dont le nombre ne doit pas excéder le sixième du nombre total des membres du Conseil de la République.

Le nombre des membres du Conseil de la République ne peut être inférieur à deux cent cinquante ni supérieur à trois cent vingt.

Article 7. – La guerre ne peut être déclarée sans un vote de l’Assemblée nationale et l’avis préalable du Conseil de la République […].

Article 8. – Chacune des deux chambres est juge de l’éligibilité de ses membres et de la régularité de leur élection ; elle peut seule recevoir leur démission […].

Article 11. – […].

Lorsque les deux Chambres se réunissent pour l’élection du président de la République, leur bureau est celui de l’Assemblée nationale […].

Article 13. – L’Assemblée nationale vote seule la loi. Elle ne peut déléguer ce droit.

Article 14. – Le président du Conseil des ministres et les membres du Parlement ont l’initiative des lois […].

Article 17. – Les députés à l’Assemblée nationale possèdent l’initiative des dépenses.

Article 18. – L’Assemblée nationale règle les comptes de la Nation.

Article 19. – L’amnistie ne peut être accordée que par une loi […].

Article 21. – Aucun membre du Parlement ne peut être poursuivi, recherché, arrêté, détenu ou jugé à l’occasion des opinions ou votes émis par lui dans l’exercice de ses fonctions […].

Article 24. – Nul ne peut appartenir à la fois à l’Assemblée nationale et au Conseil de la République […].

Titre V. Du président de la République

Article 29. – Le président de la République est élu par le Parlement […].

Article 30. - Le président de la République nomme en Conseil des ministres les conseillers d'Etat, le grand chancelier de la Légion d'honneur, les ambassadeurs et les envoyés extraordinaires, les membres du Conseil supérieur et du Comité de la défense nationale, les recteurs des universités, les préfets, les directeurs des administrations centrales, les officiers généraux, les représentants du Gouvernement dans les territoires d'outre-mer.

Article 31. - Le président de la République est tenu informé des négociations internationales. Il signe et ratifie les traités.

Le président de la République accrédite les ambassadeurs et les envoyés extraordinaires auprès des puissances étrangères ; les ambassadeurs et les envoyés extraordinaires étrangers sont accrédités auprès de lui.

Article 32. - Le président de la République préside le Conseil des ministres. Il fait établir et conserve les procès-verbaux des séances.

Article 33. - Le président de la République préside, avec les mêmes attributions, le Conseil supérieur et le Comité de la défense nationale et prend le titre de chef des armées.

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Article 34. - Le président de la République préside le Conseil supérieur de la magistrature.

Article 35. - Le président de la République exerce le droit de grâce en Conseil supérieur de la magistrature.

Article 36. – Le président de la République promulgue les lois dans les dix jours qui suivent la transmission au gouvernement de la loi définitivement adoptée. Ce délai est réduit à cinq jours en cas d’urgence déclarée par l’Assemblée nationale.

Dans le délai fixé pour la promulgation, le président de la République peut, par un message motivé, demander aux deux Chambres une nouvelle délibération, qui ne peut être refusée.

À défaut de promulgation par le président de la République dans les délais fixés par la présente Constitution, il y sera pourvu par le président de l’Assemblée nationale.

Article 37. – Le président de la République communique avec le Parlement par des messages adressés à l’Assemblée nationale.

Article 38. - Chacun des actes du président de la République doit être contresigné par le président du Conseil des ministres et par un ministre. […]

Article 42. - Le président de la République n'est responsable que dans le cas de haute trahison.

Il peut être mis en accusation par l'Assemblée nationale et renvoyé devant la Haute Cour de justice dans les conditions prévues à l'article 57 ci-dessous. [...]

Titre VI. Du Conseil des ministres

Article 45. - Au début de chaque législature, le président de la République, après les consultations d'usage, désigne le président du Conseil.

Celui-ci soumet à l'Assemblée nationale le programme et la politique du Cabinet qu'il se propose de constituer.

Le président du Conseil et les ministres ne peuvent être nommés qu'après que le président du Conseil ait été investi de la confiance de l'Assemblée au scrutin public et à la majorité absolue des députés, sauf cas de force majeure empêchant la réunion de l'Assemblée nationale.

Il en est de même au cours de la législature, en cas de vacance par décès, démission ou toute autre cause, sauf en ce qui est dit à l'article 52 ci-dessous.

Aucune crise ministérielle intervenant dans le délai de quinze jours de la nomination des ministres ne compte pour l'application de l'article 51.

Article 46. - Le président du Conseil et les ministres choisis par lui sont nommés par décret du président de la République.

Article 47. - Le président du Conseil des ministres assure l'exécution des lois.

Il nomme à tous les emplois civils et militaires, sauf ceux prévus par les articles 30, 46 et 84.

Le président du Conseil assure la direction des forces armées et coordonne la mise en oeuvre de la défense nationale.

Les actes du président du Conseil des ministres prévus au présent article sont contresignés par les ministres intéressés.

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Article 48. – Les ministres sont collectivement responsables devant l’Assemblée nationale de la politique générale du Cabinet et individuellement de leurs actes personnels.

Ils ne sont pas responsables devant le Conseil de la République.

Article 49. – La question de confiance ne peut être posée qu’après délibération du Conseil des ministres. Elle ne peut l’être que par le président du Conseil.

Le vote sur la question de confiance ne peut intervenir qu'un jour franc après qu'elle a été posée devant l'Assemblée. Il a lieu au scrutin public.

La confiance ne peut être refusée au Cabinet qu'à la majorité absolue des députés à l'Assemblée.

Ce refus entraîne la démission collective du Cabinet.

Article 50. - Le vote par l'Assemblée nationale d'une motion de censure entraîne la démission collective du Cabinet.

Ce vote ne peut intervenir qu'un jour franc après le dépôt de la motion. Il a lieu au scrutin public.

La motion de censure ne peut être adoptée qu'à la majorité absolue des députés à l'Assemblée.

Article 51. – Si, au cours d’une même période de dix-huit mois, deux crises ministérielles surviennent dans les conditions prévues aux articles 49 et 50, la dissolution de l’Assemblée nationale pourra être décidée en Conseil des ministres, après avis du président de l’Assemblée. La dissolution sera prononcée, conformément à cette décision, par décret du président de la République.

Les dispositions de l’alinéa précédent ne sont applicables qu’à l’expiration des dix-huit premiers mois de la législature. […]

Article 53. - Les ministres ont accès aux deux Chambres et à leurs commissions. Ils doivent être entendus quand ils le demandent.

Ils peuvent se faire assister dans les discussions devant les Chambres par des commissaires désignés par décret. […]

Titre VII. De la responsabilité pénale des ministres

Article 56. – Les ministres sont pénalement responsables des crimes et délits commis dans l’exercice de leurs fonctions.

Article 57. – Les ministres peuvent être mis en accusation par l’Assemblée nationale et renvoyés devant la Haute Cour de justice.

L'Assemblée nationale statue au scrutin secret et à la majorité absolue des membres la composant, à l'exception de ceux qui seraient appelés à participer à la poursuite, à l'instruction et au jugement.

Article 58. - La Haute Cour est élue par l'Assemblée nationale au début de chaque législature.

Article 59. - L'organisation de la Haute Cour de justice et la procédure suivie sont déterminées par une loi spéciale.

[...]

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Titre XI. De la révision de la Constitution

Article 90. – La révision a lieu dans les formes suivantes.

La révision doit être décidée par une résolution adoptée à la majorité absolue des membres composant l’Assemblée nationale.

La résolution précise l’objet de la révision.

Elle est soumise, dans le délai minimum de trois mois, à une deuxième lecture à laquelle il

doit être procédé dans les mêmes conditions qu’à la première, à moins que le Conseil de la République, saisi par l’Assemblée nationale, n’ait adopté à la majorité absolue la même résolution.

Après cette seconde lecture, l’Assemblée nationale élabore un projet de loi portant révision de la Constitution. Ce projet est soumis au Parlement et voté à la majorité et dans les formes prévues pour la loi ordinaire.

Il est soumis au référendum, sauf s’il a été adopté en seconde lecture par l’Assemblée nationale à la majorité des deux tiers ou s’il a été voté à la majorité des trois cinquièmes par chacune des deux Assemblées.

Le projet est promulgué comme loi constitutionnelle par le président de la République dans les huit jours de son adoption.

Aucune révision constitutionnelle relative à l’existence du Conseil de la République ne pourra être réalisée sans l’accord de ce Conseil ou le recours à la procédure de référendum

[…].

Document n° 6. Révision constitutionnelle du 7 décembre 1954 (extraits). Article 14. – Les projets de loi sont déposés sur le bureau de l’Assemblée nationale ou sur le bureau du Conseil de la République. Toutefois, les projets de loi tendant à autoriser la ratification des traités prévus à l’article 27, les projets de lois budgétaires ou de finances et

les projets comportant diminution de recettes ou création de dépenses doivent être déposés sur le bureau de l’Assemblée nationale.

Les propositions de loi formulées par les membres du Parlement sont déposés sur le bureau de la Chambre dont ils font partie, et transmises après adoption à l’autre Chambre. Les propositions de loi formulées par les membres du Conseil de la République ne sont pas recevables lorsqu’elles auraient pour conséquence une diminution des recettes ou une création de dépenses […].

Article 20. – Tout projet ou proposition de loi est examiné successivement dans les deux Chambres du Parlement en vue de parvenir à l’adoption d’un texte identique.

À moins que le projet ou la proposition n’ait été examiné par lui en première lecture, le Conseil de la République se prononce au plus tard dans les deux mois qui suivent la transmission du texte adopté en première lecture par l’Assemblée nationale.

En ce qui concerne les textes budgétaires et la loi de finances, le délai imparti au Conseil de la République ne doit pas excéder le temps précédemment utilisé par l’Assemblée nationale pour leur examen et leur vote. En cas de procédure d’urgence déclarée par l’Assemblée nationale, le délai est le double de celui prévu pour les débats de l’Assemblée nationale par le règlement de celle-ci.

Si le Conseil de la République ne s’est pas prononcé dans les délais prévus aux précédents alinéas,

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la loi est en état d’être promulguée dans le texte voté par l’Assemblée nationale.

Si l’accord n’est pas intervenu, l’examen se poursuit devant chacune des deux Chambres. Après deux lectures par le Conseil de la République, chaque Chambre dispose, à cet effet, du délai utilisé par l’autre Chambre lors de la lecture précédente, sans que ce délai puisse être inférieur à sept jours ou à un jour pour les textes visés au troisième alinéa.

A défaut d’accord dans un délai de cent jours à compter de la transmission du texte au Conseil de la République pour deuxième lecture, ramené à un mois pour les textes budgétaires et la loi de finances et à quinze jours en cas de procédure applicable aux affaires urgentes, l’Assemblée nationale peut statuer définitivement en reprenant le dernier texte voté par elle ou en le modifiant par l’adoption d’un ou plusieurs des amendements proposés à ce texte par le Conseil de la République.

Si l’Assemblée nationale dépasse ou prolonge les délais d’examen dont elle dispose, le délai prévu pour l’accord des deux Chambres est augmenté d’autant.

Les délais prévus au présent article sont suspendus pendant les interruptions de session. Ils peuvent être prolongés par décision de l’Assemblée nationale […].

Article 49. – Le vote sur la question de confiance ne peut intervenir que vingt-quatre heures après qu’elle a été posée devant l’Assemblée. Il a lieu au scrutin public.

La confiance est refusée au Cabinet à la majorité absolue des députés à l’Assemblée.

Document n° 7. Godechot, J., prés., Les constitutions de la France depuis 1789, chapitre XIV, La constitution de la IVe République, Garnier-Flammarion, 1979, p. 357-369 (extraits).

Le gouvernement de Vichy avait supprimé la Constitution de 1875 parce qu’il la trouvait trop démocratique. Son projet de constitution était, en effet, nettement en retrait sur les lois de 1875. Sans aller jusqu’à revenir au régime de ‘l’Empire autoritaire’, encore moins jusqu’à l’absolutisme monarchique de Charles X, il s’était efforcé de codifier les pratiques constitutionnelles de ‘l’ordre moral’.

Les organisations de la Résistance, qu’elles fussent implantées à l’intérieur du territoire métropolitain, ou qu’elles se fussent développées à l’extérieur (Londres, Alger), reprochaient au contraire à la Constitution de 1875 de n’être pas assez démocratique. Le général de Gaulle avait proclamé, dès juin 1940, sa volonté de rétablir en France la légalité républicaine, mais non la Constitution de 1875. Aussi, les organisations de Résistance réfléchirent-elles, dès leur fondation, aux caractéristiques qu’il conviendrait de donner à la nouvelle Constitution. Ces organisations étaient, en général, dominées par des hommes ‘de gauche’, et, à partir de 1942, les communistes y acquièrent de plus en plus d’influence. Tous ces hommes ont, en commun, l’hostilité envers les classes ‘riches’ où se sont recrutés beaucoup de ‘collaborateurs’, le désir de donner satisfaction aux revendications anciennes et nouvelles du ‘peuple’ conçu, comme Michelet, de manière assez vague, l’admiration pour la Convention et le gouvernement révolutionnaire de l’an II, qui dans des circonstances peut-être aussi graves qu’en 1940, ont su provoquer un sursaut populaire et sauver la patrie, qui était en danger. De manière plus concrète, au point de vue politique, la Résistance semble désirer une Assemblée unique, munie de grands pouvoirs […].

Dès 1942, en accord avec les chefs de la Résistance intérieure, le général de Gaulle avait admis que le peuple français libéré aurait à choisir un régime nouveau, en élisant une Assemblée constituante. L’ordonnance d’Alger, du 21 avril 1944, précisa que le peuple français déciderait de ses institutions futures en pleine liberté, et qu’à cet effet, une Assemblée nationale constituante serait convoquée, dès que des élections libres seraient possibles.

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Le général de Gaulle, par contre, inclinait personnellement vers un régime présidentiel, inspiré des Etats-Unis, et dans lequel le Pouvoir exécutif serait prépondérant. Nommé président du « gouvernement provisoire de la République française » à Alger le 3 juin 1944, entré à Paris dès la libération de la capitale, le 25 août suivant, le général de Gaulle va essayer de faire prévaloir ses conceptions. Mais il est soumis à la pression très forte de certains chefs de la Résistance, et après la fin de la guerre et le retour des prisonniers, à celle des hommes politiques de la troisième République, notamment d’Edouard Herriot, rentré en France en mai 1945, et qui plaide pour le rétablissement de la Constitution de 1875 avec une telle chaleur que de Gaulle en fut, paraît-il, ébranlé.

Dans une conférence de presse, le 3 juin 1945, le général expliqua qu’il y avait trois solutions possibles au problème constitutionnel : « Ou bien revenir aux errements d’hier, faire élire séparément une Chambre et un Sénat, puis les réunir à Versailles en une Assemblée nationale qui modifierait, ou non, la Constitution de 1875. Ou bien considérer que cette Constitution est morte et procéder à des élections pour une Assemblée constituante qui ferait ce qu’elle voudrait. Ou bien, enfin, consulter le pays sur des termes qui serviraient de base à sa consultation et auxquels ses représentants auraient à se conformer ».

De Gaulle était partisan de la troisième hypothèse, il n’avait, disait-il, aucun doute sur le résultat du référendum, qui abolirait la Constitution de 1875. Mais il espérait que ce vote permettrait de restreindre les pouvoirs de la Constituante. « Grâce au référendum, écrit-il dans ses Mémoires de Guerre, on pourrait d’abord imposer quelque équilibre entre ses pouvoirs et ceux du gouvernement, et, ensuite, faire en sorte que la constitution qu’elle aurait élaborée soit soumise à l’approbation du suffrage universel ».

Le général de Gaulle se heurta à l’opposition des partis socialiste et communiste […]. Les partis furent, bien entendu, divisés sur les réponses à apporter […]. Le projet de constitution fut soumis, ainsi qu’il avait été prévu, au référendum, le 5 mai 1946. Seuls les socialistes et les communistes firent campagne pour le « oui » […]. C’est la première fois, en France, qu’un référendum aboutissait à un résultat négatif, ce qui prouvait la maturité politique des citoyens […]. Il faut chercher les raisons profondes du refus dans la répugnance pour le « régime d’Assemblée » qu’on identifiait, trop facilement peut-être, sinon avec le régime communiste, du moins avec la possibilité donnée aux communistes de s’emparer facilement du pouvoir. Le résultat du référendum entraînait en tout cas l’élection d’une deuxième constituante […].

Avant même que les discussions aient commencé, le général de Gaulle prononce, le 16 juin, à Bayeux, un discours dans lequel il esquisse ce que devrait être, selon lui, la nouvelle constitution française pour avoir des chances de durer : trois pouvoirs nettement séparés et équilibrés, mais prépondérance de l’exécutif jouant le rôle d’un arbitrage national qui maintienne la continuité de l’action politique. En conséquence, pour faire contrepoids à l’Assemblée nationale, il faudrait, d’une part, que le chef de l’Etat joue un rôle important, d’autre part qu’il y ait une seconde chambre qui fasse entendre « la voix des grandes activités du pays » […]. La Constituante ne tint guère compte de ce schéma. Les communistes et les socialistes s’y montrèrent nettement hostiles, les radicaux, d’ailleurs peu nombreux, firent de graves réserves, ils voyaient en germe, dans le projet, le « pouvoir personnel ». Le MRP ne peut obtenir de ses associés que quelques concessions. Le projet de constitution fut voté, par la Commission, après de laborieuses négociations […]. Le 22 septembre, le général de Gaulle faisait connaître, par le discours d’Epinal, à la presse que le projet lui paraissait inacceptable, parce qu’il ne contenait pas le mot gouvernement et ignorait tout autant la chose, parce qu’il ne fixait au chef de l’Etat que des attributions pratiquement « inopérantes », parce qu’il lui refusait les moyens d’assurer le fonctionnement « régulier » des institutions, de telle sorte que le pays soit « toujours effectivement gouverné ».