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1 Techniques de production, réputation et qualité des vins Essais économétriques sur les vins rouges du Haut-Médoc par Victor Ginsburgh * CEME, Université Libre de Bruxelles et CORE, Université Catholique de Louvain Published in Les Arts du Vin, Bruxelles: Crédit Communal, 1995. * La plupart des résultats présentés dans cet article sont tirés de deux études auxquelles j'ai participé. Ma dette intellectuelle à l'égard des coauteurs de ces deux études, Muriel et Andras Monzak d'une part et Albert Di Vittorio de l'autre est plus qu'évidente.

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Techniques de production, réputation et qualité des vinsEssais économétriques sur les vins rouges du Haut-Médoc

par

Victor Ginsburgh*

CEME, Université Libre de Bruxelles etCORE, Université Catholique de Louvain

Published in Les Arts du Vin, Bruxelles: Crédit Communal, 1995.

* La plupart des résultats présentés dans cet article sont tirés de deux études auxquelles j'ai participé. Madette intellectuelle à l'égard des coauteurs de ces deux études, Muriel et Andras Monzak d'une part et AlbertDi Vittorio de l'autre est plus qu'évidente.

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1. Introduction

La production de vin est sans doute une des technologies les plus complexes qui

soient pour fabriquer un bien de consommation. En effet, elle nécessite des inputs sur

lesquels le producteur n'a aucun contrôle (les conditions climatiques), des dotations

initiales difficiles à modifier (le terrain, l'exposition du vignoble), des investissements qui

peuvent mettre vingt à trente ans avant de donner leur rendement optimal (la vigne), des

opérations manuelles (la vendange), des opérations mécaniques (le soutirage), des

procédés chimiques délicats (durant la fermentation) et des conditions spéciales de

stockage, une fois le vin en bouteille. La production de vin est aussi le sujet d'un bon

nombre de légendes et de "secrets de fabrication", tandis que la dégustation, accompagnée

de son vocabulaire souvent ésotérique, ne fait que rajouter au "mystère de la vinification".

Quant aux experts-dégustateurs, ils se contredisent les uns les autres, se contredisent eux-

mêmes s'ils goûtent les mêmes vins dans des ordres différents où à plusieurs jours

d'intervalle1 et contredisent, sans que les faits leur donnent toujours raison, les

classements établis dans le passé, notamment le classement des Haut-Médoc de 1855.

Dans cet article, nous essayons de répondre à trois questions. Tout d'abord, dans

la Section 2, nous nous demandons si les techniques de production sont susceptibles

d'expliquer les différences de prix entre les vins, prix qui sont supposés corrélés, même si

c'est de manière imparfaite, à la qualité. La base de données utilisée pour répondre à cette

première question a été construite à partir d'interviews menées dans 102 châteaux du

Haut-Médoc concernant les caractéristiques des vignobles, les techniques utilisées et les

prix des crus encore en vente dans chaque château en 1990. Dans cette étude, Ginsburgh,

Monzak et Monzak (1994) font l'hypothèse que ces caractéristiques permettent de

quantifier le processus technologique et de séparer ses effets de la légende ainsi que des

effets de réputation dont jouissent certains des vins. Cette étude conclut qu'en effet, les

conséquences des techniques sont importantes, mais que les conséquences de la

réputation, et en particulier celles qui résultent du classement de 1855, le sont bien plus

encore.

Cette constatation nous amène à la deuxième question, traitée dans la Section 3. Si

les effets de réputation sont si importants, en quoi la dégustation est-elle utile, en tous cas

pour les vins de grande réputation. Est-il vraiment nécessaire que Robert Parker nous

donne chaque année son avis sur la qualité des vingt dernières années de Château

Mouton-Rothschild, ou bien est-il suffisant de connaître les conditions climatiques de

l'année et l'étiquette d'un vin pour juger de sa qualité. Pour répondre à cette deuxième

1 Conversation avec un expert des plus connus.

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question, Di Vittorio et Ginsburgh (1994) ont utilisé l'information contenue dans quelque

30,000 ventes de Haut-Médoc réalisées par Christie's Londres entre 1980 et 1992. Ce sont

les conclusions de cette étude dont il sera question dans cette section.

Enfin, dans la Section 4, nous chercherons à donner quelques indications sur la

question du "placement financier" en vins.

Les résultats décrits dans le reste de l'article sont basés sur des équations dans

lesquelles le logarithme du prix (supposé représenter la qualité) est régressé sur les

conditions climatiques (ou sur des variables représentant les millésimes) ainsi que sur les

caractéristiques du vignoble et les processus technologiques en vigueur dans chaque

château (Section 2) ou sur des caractéristiques des lots vendus en vente publique (Section

3).

2. Prix, caractéristiques de la production et classement de 1855

Les éléments objectifs qui peuvent contribuer à la qualité d'un vin (et auxquels

nous avons eu accès) peuvent être énumérés comme suit: conditions climatiques, terroir,

cépages, exposition des coteaux, âge des vignes, vinification et élevage, appellations (qui

prennent en compte des éléments régionaux non décrits par ailleurs), et vieillissement du

vin. Nous allons discuter l'effet de chacun de ces groupes de caractéristiques à partir d'une

régression (du logarithme) des prix sur les caractéristiques.2

L'ensemble de ces caractéristique techniques explique quelque 68% de la variance

(du logarithme) des prix et l'erreur de "prévision" faite sur le prix d'une bouteille en

utilisant ces caractéristiques s'élève en moyenne à 12%. Le fait d'ajouter à l'ensemble de

ces variables une représentation du classement de 1855, c'est-à-dire des éléments en

principe subjectifs, fait passer la variance expliquée à 84%, et l'erreur de prévision tombe à

6%. Nous verrons que ce classement s'avère apporter la contribution la plus importante à

l'explication du prix.

Le Tableau 1 donne une vue d'ensemble des caractéristiques qui sont censées

influencer la qualité d'un vin, et dont nous essayons de mesurer l'effet dans la suite.

2 Cette régression est basée sur 808 observations (relatives à 102 châteaux et les prix ex-château de 10millésimes, mais dans plusieurs châteaux certains millésimes ne sont plus disponibles); elle inclut 64variables (plus la constante de régression) qui expliquent 84% de la variance des prix.

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Tableau 1. Caractéristiques techniques et classement

_____________________________________________________________________

Nombre de Description des variablesvariables

_____________________________________________________________________

Toutes variables 64

1. Climat 9 - températures moyennes et précipitations d'avril àseptembre; nombre de jours de grêle en avril.

2. Terroir 9 - quatre types de sol (b); quatre composants chimiques (b); utilisation d'engrais (b).

3. Cépages 3 - quatre types de cépages en % (b),(*).4. Exposition 5 - cinq types d'exposition (b).5. Age des vignes 6 - six classes d'âge (b).6. Vinification et élevage Cueillette, triage, foulage 3 - cueillette manuelle uniquement (b); triage manuel

après cueillette (b); foulage avant égrappage (b). Autres 11 - préchauffe du moût (b); trois types de cuves de

fermentation (b),(*); nombre de pressages; fûts de chêne (b); durée du vieillissement en fûts; nombre de soutirages; collage au blanc d'oeuf frais (b); trois types de filtration (b).

7. Appellations 4 - cinq terroirs (Margaux, Pauillac, St Estèphe, St Julien, Moulis-Listrac) (b),(*).

8. Vieillissement en bouteilles 4 - cinq variables, une par appellation (*).

9. Classement de 1855 10 - voir (c).

_____________________________________________________________________Notes.(b) Indique qu'il s'agit d'une variable qui prend la valeur 0 ou 1 (variable binaire).(*) Indique que sur m variables de ce type, seulement m-1 sont introduites dans la régression, l'une d'ellesservant de référence; il peut arriver que toutes les varaibles binaires fassent partie de la régression, si ellesreprésentent des alternatives qui ne sont pas exclusives (ainsi, les six classes d'âges des vignes peuventfaire partie de la régression puisqu'un château peut élever des vignes d'âges différents; il en va de mêmepour les types de sols, les composants chimiques du sol, les expositions, les types de filtration).(c) Le classement de 1855 est représenté par 10 variables (Premiers, Deuxièmes et Troisièmes àCinquièmes Grands Crus pour Margaux et Pauillac; Deuxièmes et Troisièmes à Cinquièmes Grands Cruspour St Estèphe et St Julien. "Autres" est la référence dans chaque cas.)

1. Les conditions météorologiques

La vigne "dort" entre novembre et mars et les conditions météorologiques sont

spécialement importantes entre avril et septembre3. Début avril, la vigne bourgeonne et les

gelées (observées une seule fois entre 1980 et 1989, durant sept jours en 1984) peuvent

encore être un problème. Les grêles d'avril peuvent également provoquer de sérieux

dommages pour l'année en cours, voire pour plusieurs années qui suivent. Précipitations

de printemps, chaleur, ensoleillement et temps sec entre la mi-juillet et la fin des vendanges

3 L'hiver est relativement doux dans le bordelais et les vignes supportent des températures très basses(jusqu'à -16°). Ashenfelter inclut les pluies d'hiver dans son explication.

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sont des facteurs déterminants. Ces facteurs sont représentés par les températures

mensuelles et les précipitations de juin à septembre, et le nombre de jours de grêle durant

le mois d'avril.

2. Le terroir

Dans la région du Haut-Médoc, les sols vont de l'argile épaisse aux gravières

légères. On distingue souvent quatre types de terroirs, présents partout, mais dans des

proportions différentes: les sols argilo-calcareux, les sols graveleux, les sols graveleux-

sablonneux et finalement les sols sablonneux. Certains sont meilleurs que d'autres et les

gravières profondes, présentes à Pauillac, semblent être les meilleures, bien que

d'excellents vins soient produits dans les sols bien moins riches de la région de Margaux.

La composition chimique du sol peut également jouer un rôle important; nous distinguons

quatre éléments essentiels: l'azote, l'acide phosphorique, la chaux (CaO) et la magnésie

(MgO). Bien que les engrais soient traités avec parcimonie, ils sont utilisés pour assurer

l'équilibre complexe de la composition des sols.

3. Les cépages

Les vins du Haut-Médoc résultent d'une combinaison de cinq variétés de cépages,

utilisés dans des proportions variables: le Cabernet Sauvignon (40 à 85%), le Merlot (5 à

45%), le Cabernet Franc (0 à 30%), le Petit Verdot (3 à 8%) et le Malbec, en très faible

proportion (moins de 2%). Ces variétés exercent une influence spécifique sur le vin et de

plus, fleurissent et sont vendangées à des moments différents; elles sont donc souvent

combinées en quantités différentes selon les châteaux. Les cépages sont représentés par

quatre variables mesurant l'excès (ou le déficit) de la proportion utilisée par un château

particulier, par rapport à l'utilisation moyenne dans les 102 châteaux.

4. L'exposition des coteaux

Les coteaux exposés vers l'est et le sud-est sont protégés des vents d'ouest,

dominants dans la région. Ceux qui sont orientés vers l'ouest sont généralement plus

proches de la Garonne et profitent de la chaleur engendrée par le réfléchissement du soleil

sur l'eau du fleuve.

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5. L'âge des vignes

Les vignes plus âgées produisent moins de vin, mais sont censées augmenter la

qualité du vin. Les vignes ont été classées en six groupes, allant de 5 à plus de 50 ans.

6. La vinification et l'élevage

Nous suivons maintenant le processus de production à travers les huit étapes

distinguées, par exemple, dans Parker (1985): (1) cueillette et triage; (2) égrappage et

foulage; (3) pompage vers les cuves de fermentation; (4) fermentation; (5) macération; (6)

pressage et transfert du vin de goutte dans des tonneaux pour assurer la fermentation

malolactique; (7) transfert des vins dans des fûts de chêne pour le vieillissement; (8) mise

en bouteilles.

Cueillette et triage

La cueillette manuelle est en régression parce que moins rapide et plus coûteuse

que la vendange mécanique. Dans la plupart des cas, les deux techniques sont utilisées,

mais dans certains châteaux, seule la vendange manuelle est pratiquée. Les grappes sont

ensuite triées et les fruits endommagés doivent être éliminés avant le foulage. Parfois, ce

triage se fait manuellement, après la cueillette.

Egrappage et foulage

Dans la plupart des châteaux, le foulage et l'égrappage sont effectués de manière

simultanée dans le fouloir-égrappoir. Certains vignobles utilisent encore la technique plus

ancienne qui consiste à fouler avant d'égrapper.

Pompage dans les cuves de fermentation

Les fruits, partiellement écrasés, sont alors pompés dans des cuves et la

fermentation peut commencer. Plusieurs décisions de nature chimique doivent être prises

à ce stade, mais comme tous les propriétaires procèdent de manière similaire, il est

impossible d'évaluer l'effet de ces processus chimiques.

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Fermentation

Plusieurs types de cuves de fermentation peuvent être utilisés: chêne, béton ou

acier inoxydable. La plupart des châteaux utilisent aujourd'hui des cuves en acier et nous

n'avons pas tenu compte des éventuelles différences dans nos calculs. Le raisin écrasé est

parfois mélangé à du moût préchauffé. Durant la fermentation, les peaux, rafles et pépins

remontent à la surface de la cuve et forment le "chapeau" qui doit être aspergé de jus de

raisin afin de rester humide. C'est le remontage du vin pour lequel existent trois

techniques alternatives: remontage en cuve ouverte avec marc flottant; remontage en cuve

fermée; remontage en cuve ouverte avec marc submergé.

Macération

Une fois la fermentation alcoolique achevée, le vin est macéré avec les peaux

durant une à deux semaines. La durée de cette opération, réalisée de façon similaire par

tous les châteaux est cruciale pour le vin, mais son effet ne peut être isolé

économétriquement.

Pressage

Après ces dernières étapes qui constituent la cuvaison, le vin est séparé des

composants solides (la lie et le marc); il en résulte le vin de goutte; la lie et le marc sont

ensuite pressés une ou plusieurs fois, et donnent, comme résultat, du vin de presse, plus

coloré et plus tannique que le vin de goutte et dont une partie, qui varie suivant l'année et le

château, est intégrée au vin de goutte pour ajuster couleur et tannin. Le vin peut être

influencé par le nombre de pressages.

Vieillissement en barriques et soutirage

Le jeune vin est ensuite transféré dans des fûts, où la fermentation alcoolique peut

se poursuivre, mais où la fermentation malolactique se poursuit pendant trois à cinq mois;

cette fermentation ajoute au vin sa rondeur et son caractère. La plupart des châteaux

utilisent pour ce faire un mélange de fûts de chêne neufs et vieux; certains utilisent

cependant d'autres matériaux que le chêne. Le vieillissement en fûts varie de 12 à 24 mois

(selon l'année); durant cette période, plusieurs opérations doivent être réalisées. Tout

d'abord, le vin s'évapore et produit de l'oxyde de carbone: les fûts se vident et ils doivent

être complétés régulièrement (ouillage); cette opération est effectuée par tous les châteaux.

Ensuite, le vin doit être soutiré plusieurs fois durant la première année pour le clarifier,

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c'est-à-dire pour séparer le vin de la lie, tombée dans le fond du fût; ce nombre de

soutirages peut différer selon les châteaux. Enfin, tous les châteaux procèdent au collage,

qui est censé séparer le vin des particules en suspension; ce collage peut être réalisé avec

du blanc d'oeuf, frais ou non. Le nombre de mois passé en fûts, le nombre de soutirages,

et l'utilisation de blanc d'oeuf frais sont pris en compte comme variables dans la

régression.

Mise en bouteilles

Durant le mois de janvier qui suit la vendange, les châteaux séparent le vin qui sera

mis en bouteille sous l'étiquette du château de celui qui sera vendu comme second vin, ou

en gros. Les vins provenant de vignes d'âges différents ou de cépages différents sont

mélangés: c'est l'étape d'assemblage. Avant la mise en bouteilles, les vins sont filtrés4.

Trois techniques peuvent être utilisées: l'une utilise des filtres en kieselguhr, la deuxième

des filtres cellulosiques; chacune d'elles peut être utilisée isolément; une troisième

méthode procède par adsorption, mais celle-ci doit être utilisée conjointement à l'un des

deux autres processus de filtration.

7. Influence des appellations

Dans les sections qui précèdent, nous nous sommes efforcé de décrire et

d'analyser le plus finement possible, et étant donné l'information disponible, la technologie

de production du vin. Ici, nous faisons l'hypothèse qu'il existe d'autres éléments qui

caractérisent la région de production (les appelllations Margaux, Moulis-Listrac, Pauillac,

Saint-Estèphe ou Saint-Julien) et dont nous n'avons pas pu tenir compte jusqu'ici.

8. Vieillissement en bouteilles

Pour déterminer si le vieillissement influence les prix, nous avons, pour chaque

appellation, introduit une variable qui donne l'âge du vin, par rapport à l'année de la récolte

(1990-t, où t est l'année de récolte).

9. Le classement de 1855

Les vins du Haut-Médoc ont été classés en 1855. Soixante châteaux ont à ce

moment été sélectionnés et classés sur base de leur qualité (en fait, dit-on, sur base de leur

prix); ce classement comprend cinq catégories qui vont du Premier au Cinquième Grand

4 Il faut noter que certains châteaux commencent déjà à filtrer le vin avant l'élevage.

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Cru. Pour éviter de créer trop de catégories, nous avons distingué quatre classes: les

Premiers Grands Crus, les Deuxièmes Grands Crus, les Troisièmes à Cinquièmes Grands

Crus et les Autres (Crus Bourgeois et non classés), et ceci pour chacune des appellations.

Nous nous intéressons maintenant à l'effet sur la qualité de la régression de

chaque groupe de variables. Pour ce faire, nous commençons par calculer une régression

dans laquelle figurent toutes les variables du Tableau 1, y compris les variables

représentant le classement (c'est ce que nous appellerons la Régression Complète) et

otons un à un des groupes de variables, ce qui conduit dans chaque cas à une régression

dans laquelle manquent les variables du groupe considéré (nous qualifions chacune de ces

régressions de Régression Contrainte): le climat, le terroir, les cépages, l'exposition des

coteaux, l'âge des vignes, la vinification (dans ce dernier cas, nous distinguons les étapes

qui précèdent la fermentation, comme la cueillette, le triage, l'égrappage et le foulage, de

celles qui ont lieu après la fermentation en fûts), les appellations, le vieillissement en

bouteilles et finalement, le classement.

L'on peut aisément comparer les deux régressions en construisant la variable

suivante:

F =

SSR-SSCp

SSCn-p-q

,

où SSC et SSR représentent respectivement la somme des carré résiduels de la

Régression Complète et de la Régression Contrainte; n représente le nombre

d'observations, p le nombre de variables qui ne figurent pas dans la Régression

Contrainte, mais bien dans la Régression Complète et (p+q) est le nombre de variables

qui apparaissent dans la Régression Complète. Sous les hypothèses habituelles (normalité

et homoscédasticité des résidus), ce rapport est distribuée comme une variable F, avec p et

(n-p-q) degrés de liberté.

Ces tests (souvent appelés analyses de variance) nous indiquent ce qui est

important dans la détermination du prix (considéré comme substitut de la qualité) et ce qui

l'est moins. Bien entendu, ceci n'implique pas que les facteurs qui apparaîtront comme

moins importants puissent être négligés: ils font partie d'une technologie de production et

sont dès lors inévitables (il n'y a pas de vin sans cueillette, même s'il s'avérait que cette

dernière contribue moins que, par exemple, l'âge des vignes!), ou peuvent contribuer de

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façon jointe à d'autres facteurs (terroir et exposition, par exemple, peuvent être considérés

comme des facteurs joints).

Les résultats figurent dans le Tableau 2, qui donne, dans chaque cas, la variance

résiduelle de la régression, le nombre de degrés de liberté cédé par les variables exclues de

la régression, et compare la valeur calculée de la variable F à la valeur tabulée au niveau de

probabilité de 1%.

Tableau 2. Importance des différents facteursAnalyses de variance

_________________________________________________________________

Somme des carrés Degrés de Variable Frésiduels liberté calculée tabulée (à5%)

_________________________________________________________________

Toutes variables 45,232 64

Toutes variable sauf

1. Climat 64,925 9 36,00 2,43

2. Terroir 51,801 9 12,00 2,43

3. Cépages 47,350 3 11,61 3,78

4. Exposition 46,120 5 2,92 3,02

5. Age des vignes 48,149 6 8,00 2,80

6. Vinification et élevage Cueillette, triage, foulage 47,763 3 13,88 3,78 Autres (vinification) 53,538 11 12,42 2,24 Ensemble (vinification) 56,761 14 13,54 2,07

2 à 6. Terroir, cépages, expo- sition, âge des vignes, et vinification 71,523 37 11,70 1,61

7. Appellations 47,312 4 8,55 3,32

8. Vieillissement en bouteilles 46,278 4 4,30 3,32

9. Classement de 1855 91,644 10 76,33 2,32

_________________________________________________________________Source: Ginsburgh, Monzak and Monzak (1994).

Comme nous l'avons signalé plus haut, le classement de 1855 revêt une importance

considérable: c'est en fait le facteur qui contribue le plus à expliquer les prix; il y a peu de

doute quant au fait que ce classement capte également l'influence de variables absentes,

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parce que non mesurables (l'"art" de fabriquer un bon vin), mais il est évident aussi que ce

classement permet aux châteaux d'extraire des rentes.

Les variables météorologiques constituent le second groupe en importance, ce qui

n'est pas vraiment surprenant: il y a de bonnes et de mauvaises années, qui dépendent

essentiellement des conditions climatiques.

Le terroir, les cépages et la vinification (tant ses étapes mécaniques que chimiques)

viennent ensuite et sont suivies par les appellations et l'âge du vin.

Le vieillissement en bouteilles a un effet faible; et ceci est surprenant puisque l'âge

du vin fait l'objet d'un grand nombre d'écrits. Une des raisons peut être due au choix de la

forme fonctionnelle de la relation dans laquelle les prix sont supposés croître

exponentiellement avec l'âge (ln p = α(1990-t) + autres variables), alors que la

dépendance devrait avoir une forme concave (en fonction de l'âge, la qualité passe par un

maximum). Nous n'avons pas cherché à poursuivre la recherche dans cette direction; en

effet, les vins considérés ici sont tous relativement jeunes (10 ans au plus) et beaucoup

d'entr'eux sont loin d'avoir atteint leur maturité en si peu de temps.

Finalement, il y a l'exposition des coteaux, dont l'influence est à peine

significative5. La raison peut être liée au fait (purement statistique) que la plupart des

châteaux possèdent des coteaux bénéficiant d'expositions variées, en tiennent compte pour

décider où élever tel ou tel cépage (puisque ceux-ci viennent à maturité à des moments

différents) et procèdent à des mélanges en conséquence lors de l'étape d'assemblage. Il

n'est dès lors pas trop étonnant que l'influence de l'exposition des sols soit faible,

puisqu'elle est "corrigée" par le château dans sa manière de choisir les cépages et dans sa

façon de procéder à l'assemblage des vins.

3. Dégustations, classement par les prix et classement de 1855

L'ouvrage récent de Renvoisé (1994) évoque bien ce qu'il faut penser des pratiques

récentes d'un grand nombre de dégustateurs plus ou moins célèbres: le chapitre sur la

dégustation porte comme sous-titre "la dégustation actuelle, un art et beacoup de bluff", et

décrit en détail les "mascarades de dégustations" notamment celles "faites à la propriété

par quelques journalistes très en vue (...) tels Robert Parker (...) [qui] ne sont pas plus

5 L'influence est non significative au niveau de probabilité de 1%; elle est significative au niveau de 5%(la valeur tabulée de la F vaut 2,21).

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crédibles (...), sans pour autant que leur bonne foi puisse être mise en doute". Il se fait

simplement que leurs préférences (pour le bois neuf ou les vins tanniques ou la

coloration) sont bien connues et qu'on leur donne à déguster ce qu'ils veulent trouver, sans

que le reste de la cuvée ressemble nécessairement à ce qu'ils ont dégusté!

Rien de particulièrement étonnant dès lors à ce que les grands experts se

contredisent. Dans un article6 de Liquid Assets l'on trouve une comparaison des

classements faits par deux des experts les plus connus (Broadbent (1991) et Parker

(1991)). Si les deux experts s'accordent raisonnablement bien sur le classement des

millésimes (le coefficient de corrélation des rangs de Spearman7 vaut 0,86), il est par

contre négatif (et vaut -0,22) lorsque l'on compare le 14 crus retenus dans l'étude.

Dans une étude récente, Di Vittorio et Ginsburgh (1994) analysent les prix des

Grands Crus classés du Haut-Médoc lors de 101 parmi 300 ventes publiques chez

Christie's Londres entre 1980 et 1992. Ceci leur a permis de récolter 29.911 lots

provenant des millésimes 1949 à 1989. Pour chaque lot, le prix, ainsi qu'un certain nombre

de caractéristiques ont été relevées, notamment le millésime, le château et l'année de vente.

L'analyse est proche de celles d'Ashenfelter et al. (1993)8 et de Landon et Smith

(1994), où des techniques de régression hédonistique sont utilisées pour analyser la

qualité des vins. A l'instar d'Ashenfelter (1989), Di Vittorio et Ginsburgh supposent que

les prix obtenus lors de ventes publiques, comme celles de Londres, où le nombre

d'acheteurs est suffisamment important, sont "libérés" des éléments non concurrentiels et

sont représentatifs de la qualité (ou du moins de la vraie valeur) des vins, telle qu'elle est

perçue par les consommateurs informés. Aussi les prix sont-ils, dans la suite, utilisés

comme indicateurs de la qualité. L'équation estimée est de la forme:

(*) ln pit = Σjαjuji + Σ1992τ=1980γτyτi + Σ

1989τ=1949δτvτi + Σhφhzhi + εi.

Dans cette équation, pit représente le prix de vente d'une bouteille de 75 cl dans le

lot i durant l'année t ∈ [1980,1992]; les uj sont des variables telles que l'âge du vin, le

nombre de bouteilles dans un lot, les différents types de bouteilles (bouteille standard de

75 cl, magnum, jeroboam, etc.); les yτ, les vτ et les zh sont des variables muettes

6 Critiquing the wine critics: Broadbent vesus Parker, Liquid Assets 9, December 1992.7 Ce coefficient se calcule à partir des rangs des deux séries d'observations; il vaut: R = 1 - 6Σid

2i /(n3-n);

dans cette formule, n est le nombre d'observations, di est la différence relative à l'observation i entre lesrangs des deux séries.8 En ce compris les articles parus dans la revue Liquid Assets qu'il dirige.

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13

représentant respectivement l'année de vente t (yτ prend la valeur un si le lot i a été vendu

dans le courant de l'année τ = t, 0 autrement), le millésime τ ∈ [1949,1989] (vτ vaut un si

le vin du lot i est du millésime τ, 0 autrement) et le château h (zh vaut un si le vin provient

du château h, 0 autrement); εi est un terme d'erreur et les αj, γτ, δτ et φh sont des

coefficients à estimer. L'équation est estimée sur base de l'échantillon complet des 29.911

observations; elle inclut 122 variables (4 caractéristiques générales, 8 tailles de bouteilles,

12 années de vente, 40 millésimes, 58 châteaux9); l'ajustement est excellent (R2 = 0,91).

Nous discuterons ici uniquement des effets "millésimes" (Tableau 3) et des effets

"châteaux" (Tableau 4); les effets "année de vente" sont décrits dans la Section 4 sur la

rentabilité.

Les millésimes

Les effets millésimes résultent des coefficients δτ de l'équation (*) et sont détaillés

dans la dernière colonne du Tableau 3.10 Il apparaît que les prix peuvent varier entre 16

(indice pour le millésime 1965, un des plus médiocres depuis 1949) et 136 (en 1961, la

meilleure année)11. Les prix obtenus en vente publique varient donc de un à huit et,

comme nous l'avons souligné plus haut, de nombreux vins provenant d'années médiocres

ne se retrouvent plus dans les ventes après un certain nombre d'années.

Le Tableau 3 et les Figures12 1 à 4 présentent les classements faits par Tastet &

Lawton (T&L)13, les plus anciens courtiers du Quai des Chartrons (leurs archives

remontent à 1740), par Parker (1990), le gourou des amateurs de vin américains (et

européens aussi d'ailleurs) et par la revue américaine Wine Spectator (1994), et les

compare à notre classement basé sur les prix.

9 Il y a 60 Grands Crus Classés, mais il n'y a aucune vente de Château Desmirail ni de Château Ferrière,qui sont des propriétés de taille modeste (3 000 et 1 000 caisses respectivement).10 Les indices sont obtenus en prenant l'exponentielle des coefficients δτ.11 Nous excluons 1954, connue pour être une mauvaise année. Le coefficient élevé que nous obtenons estsans doute du à des observations dirrimantes ou à une erreur (ou à certains premiers grands crus qui sevendent encore exceptionnellement).12 Les Figures 1 à 7 sont tirées de Di Vittorio and Ginsburgh (1994).13 Voir Dubourdieu (1992).

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14

1009 08 07 06 05 04 00

10

20

30

Figure 1Comparaison des millésimes (T&L et Parker)

Parker

T&L

1501005 000

10

20

30

Figure 2Comparaison des millésimes (T&L et Prix)

Prix

T&L

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15

1501005 0040

50

60

70

80

90

100

Figure 3Comparaison des millésimes (Parker et Prix)

Prix

Parker

1401201008 06 04 02 050

60

70

80

90

100

Figure 4Comparaison des millésimes (Wine Sp. et Prix)

Prix

Wine Sp.

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16

La Figure 1 montre que les classements de T&L et de Parker ont beaucoup en

commun14. Cependant, alors que les notes15 de T&L varient entre 3 (pour les millésimes

1963 et 1965) et 20 (pour 1961), l'intervalle de variation des notes de Parker entre le pire

et le meilleur est beaucoup plus étroit (50 à 95 pour les mêmes années). L'intervalle de

qualité engendré par les prix des ventes publiques va de 16 en 1965 (19 en 1963) à 136 en

1961.

La relation entre les notes des experts (T&L, Parker et Wine Spectator) et les prix

et non linéaire; les experts ont une tendance à surestimer la "qualité". La Figure 2 par

exemple, montre que des notes de 15 ou plus sont attribuées par T&L à des vins pour

lesquels les prix varient entre 50 et 136. La performance de Parker est pire encore, comme

on peut le voir d'après la Figure 3. Ces comparaisons semblent montrer que les

consommateurs discriminent davantage entre millésimes que les experts; mais, dans les

grandes lignes, les classements sont tous concordants.

14 La relation linéaire entre les deux s'écrit T&L = -12 + 0,335 Parker (R2 = 0,88).15 La notation de T&L porte sur l'ensemble des vins rouges de la région de Bordeaux, et pas seulementsur les Haut-Médoc, tandis que le classement de Parker est spécifique aux Haut-Médoc. Mais comme lemontre la corrélation entre les deux classement, même cela ne semble pas très important.

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17

Tableau 3 Classements des millésimes

______________________________________________________

T&L Parker1 Wine Spect.2 Prix3

______________________________________________________

1 9 4 9 18 nd nd 100 1 9 5 0 16 nd nd 30 1 9 5 1 8 nd nd 22 1 9 5 2 17 nd nd 45

1 9 5 3 18 nd nd 84 1954 9 nd nd 1734

1 9 5 5 18 nd nd 58 1 9 5 6 9 nd nd 19 1 9 5 7 12 nd nd 29 1 9 5 8 12 nd nd 27 1 9 5 9 19 nd nd 87 1 9 6 0 12 nd nd 27 1 9 6 1 20 95 99 136 1 9 6 2 17 86 nd 59 1 9 6 3 3 50 nd 19 1 9 6 4 17 75 80 50

1 9 6 5 3 50 nd 16 1 9 6 6 17 86 89 89 1 9 6 7 14 79 nd 41

1 9 6 8 6 60 nd 29 1 9 6 9 12 60 nd 28 1 9 7 0 18 90 91 89 1 9 7 1 17 82 80 62 1 9 7 2 10 61 60 28 1 9 7 3 12 74 68 46 1 9 7 4 12 73 58 34 1 9 7 5 17 88 85 79 1 9 7 6 16 84 80 68 1 9 7 7 11 71 60 33 1 9 7 8 17 90 86 82 1 9 7 9 16 85 83 65 1 9 8 0 13 77 78 42 1 9 8 1 16 85 82 64 1 9 8 2 19 93 94 - 1 9 8 3 17 92 86 71 1 9 8 4 12 78 70 42 1 9 8 5 18 88 93 76 1 9 8 6 18 91 95 84 1 9 8 7 13 82 76 52 1 9 8 8 18 86 93 70 1 9 8 9 nd nd 98 110

______________________________________________________1 Parker distingue le Nord et le Sud du Médoc; nous calculons une moyenne lorsque les notes sont distinctes.2 Toutes régions confondues.3 1949 = 100.

4 1954 est considérée comme une mauvaise année; le coefficient obtenu est sans doute du à une erreur dans les données. Source: Di Vittorio and Ginsburgh (1994).

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18

Les châteaux

La dernière colonne du Tableau 4 donne le détail des effets "châteaux", obtenus à

partir des coefficients φh de l'équation (*).16 Les prix varient entre 73 (pour Château

Dauzac, un Cinquième Grand Cru de Margaux) à 452 (pour Mouton-Rothschild, le

célèbre Premier Grand Cru de Pauillac). Il est intéressant de noter que l'effet "château"

cause des écarts de prix moins importants (un à six) que l'effet "millésime" (un à huit). Il

est cependant clair que les écarts deviendraient plus importants si l'on incluait les crus non

classés en 1885.

Les autres colonnes du Tableau 4 donnent les rangs des châteaux qui résultent du

classement de 1855 (à l'exception de Mouton-Rothschild, reclassé en 1973), ainsi que des

classements faits par des dégustateurs (Parker (1990), Dussert-Gerber (1988) et le Wine

Spectator (1994)).

La Figure 5 qui compare le classement de 1855 au nôtre, montre qu'il y a trois

valeurs aberrantes - le Troisième Cru Château Palmer, le Quatrième Cru Château

Beychevelle et le Cinquième Cru Château Lynch-Bages - qui devraient tous trois être

reclassés comme Deuxièmes Crus.

La Figure 6 compare notre classement avec trois autres classements: celui de 1855,

celui établi par Parker et celui de Dussert-Gerber17. Parker et Dussert-Gerber corrigent

les trois "erreurs" de 1855 (Palmer, Beychevelle et Lynch-Bages), mais tous deux placent

manifestement beaucoup trop de vins parmi les Premiers Crus et en déclassent un certain

nombre qui ne semblent pas faire moins bien que la plupart des Troisièmes, Quatrièmes et

Cinquièmes Grands Crus que, par contre, ils retiennent comme tels.

16 Les indices sont obtenus en prenant l'exponentielle des coefficients φh.17 Dans la Figure 7, nous avons ajouté une sixième classe qui correspond à des vins classés en 1855,mais déclassés par Parker et/ou Dussert-Gerber. Wine Spectator classe les 50 meilleurs vins de Bordeaux;cette liste inclut seulement 25 vins du Haut-Médoc et nous n'avons pas considéré utile de représenter ceclassement dans notre graphique.

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19

50040030020010000

1

2

3

4

5

6

Figure 5Classement châteaux (1855 et Prix)

Prix

1855

50040030020010000

1

2

3

4

5

6

7

1855

Parker

D-G

Figure 6Classements châteaux (1855, Parker, DG et Prix)

Prix

1855Parker D-G

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20

Tableau 4Classements des châteaux

__________________________________________________

1 8 5 5 Parker D.Gerb. W.Sp Prix1

__________________________________________________

MargauxCh. Margaux 1 1 1 96.6 371Brane-Cantendc 2 5 1 nd 126Durfort-Vivens 2 5 2 nd 101Lascombes 2 4 2 nd 113Rausan-Segla 2 4 2 nd 114Rauzan-Gassies 2 5 - nd 106Boyd-Cantendc 3 3 3 nd 102Cantendc-Brown 3 5 3 nd 107Desmirail 3 - - nd ndd'Issan 3 3 3 nd 113Ferrière 3 - - nd ndGiscours 3 3 1 nd 142Kirwan 3 5 5 nd 85Malescot-St-Exupéry 3 5 3 nd 105Marquis-d'Alesme B. 3 - - nd 106Palmer 3 1 2 92.2 263Marquis de Terme 4 5 3 nd 93Pouget 4 5 - nd 75Prieuré-Lichine 4 4 4 nd 102Dauzac 5 - - nd 73du Tertre 5 5 - nd 100

PauillacLafite-Rothschild 1 1 1 94.3 443Latour 1 1 1 93.6 417Mouton-Rothschild 1 1 1 95.8 452Pichon L. (Baron) 2 4 3 92.0 128Pichon L. (Comtesse) 2 1 1 93.3 225Duhart-Milon Roth. 4 5 4 90.0 104Batailley 5 5 4 nd 104Clerc-Milon 5 5 3 92 89Croizet-Bages 5 - 4 nd 95Grand-Puy-Ducasse 5 5 4 nd 96Grand-Puy-Lacoste 5 3 2 90.1 132Haut-Bages-Libéral 5 5 4 nd 96Haut-Batailley 5 5 2 nd 118Lynch-Bages 5 2 1 93.8 172Lynch-Moussas 5 - - nd 80Mouton Bar. Philippe 5 5 - nd 18Pédesclaux 5 - - nd 99Pontet-Canet 5 5 2 nd 98

__________________________________________________1 Château du Tertre (Margaux) = 100.- means not classified as Grand Cru Classé (class 6 in Figure 5).Source: Di Vittorio and Ginsburgh (1994).

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Tableau 4 (suite)Classements des châteaux

__________________________________________________

1 8 5 5 Parker D.Gerb. W.Sp Prix1

__________________________________________________

Saint-EstèpheCos d'Estournel 2 1 1 92.0 174Montrose 2 2 1 90.7 148Calon-Ségur 3 4 2 nd 131Lafon-Rochet 4 5 4 nd 86Cos-Labory 5 - 3 nd 85

Saint-JulienDucru-Beaucaillou 2 1 1 90.2 201Gruaud-Larose 2 1 3 89.7 150Léoville Barton 2 2 2 nd 137Léoville Las Cases 2 1 1 92.7 202Léoville Poyferré 2 4 2 nd 125Lagrange 3 - - 90.6 90Langoa-Barton 3 3 - 90.7 109Beychevelle 4 3 2 89.2 162Brandire-Ducru 4 3 2 nd 128Saint-Pierre-Sevestre 4 4 - nd 115Talbot 4 3 4 90.1 130

Haut-MédocLa Lagune 3 2 90.8 144La Tour Carnet 4 - nd 79Belgrave 5 - nd 78Camensac 5 5 nd 90Cantemerle 5 3 nd 116

__________________________________________________1 Château du Tertre (Margaux) = 100.- signifie non classé comme Grand Cru Classé (classe 6 dans la Figure 7).

Source: Di Vittorio and Ginsburgh (1994).

Il est intéressant aussi de noter qu'il y a peu de différence dans les prix entre les

Troisièmes, Quatrièmes et Cinquièmes Grands Crus: les prix varient entre 50 et 150,

quelle que soit la classe à laquelle les vins appartiennent. Par contre, les quatre Premiers

Grands Crus (Margaux, Lafite, Latour et Mouton-Rothschild) sont considérablement (de

trois à quatre fois) plus chers que les autres crus.

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22

4. Le vin est-il un bon placement

Krasker (1979) et Jaeger (1981) sont, à notre connaissance, parmi les premiers à

avoir examiné la rentabilité d'un placement en vins, mais leurs études sont sans doute un

peu trop anciennes que pour être utiles aujourd'hui.

L'étude de Weil (1993) est particulièrement intéressante, puisqu'elle se base sur les

transactions réelles d'un "amateur-investisseur" en vins, entre 1976 et 1990. L'auteur

examine 68 transactions (achats dans des ventes publiques ou chez des marchands, suivis

de ventes en vente publique quelques années plus tard) réalisées aux Etats-Unis et à

Londres et qui ont porté sur 33 Bordeaux rouges, 19 Bourgognes rouges, 3 Cotes du

Rhone rouges, 11 Bourgognes blancs et 2 autres vins blancs. Le taux de rendement sur

ces transactions s'est élevé à 9,9% par an (11% pour les Bordeaux rouges, dont la plupart

sont des Grands Crus du Haut-Médoc, c'est-à-dire les mêmes que ceux de nos deux

bases de données); les commissions payées aux salles de ventes lors des ventes publiques

(15%) ramènent ce taux à 7,9%; si l'on soustrait également un coût de stockage de

0,25$/an (environ 7 à 8 FEB), la rentabilité annuelle tombe à 7.2%. Weil compare ensuite

cette rentabilité à celle qu'aurait procuré un investissement en bourse de New York (en

achetant et en vendant l'indice NYSE) exactement aux mêmes dates que celles où ont eu

lieu les transactions sur les vins: un pareil investissement aurait rapporté 18% par an,

c'est-à-dire plus du double.

Le jugement de Weil (et son conseil) est par conséquent d'éviter d'acheter des vins

plus âgés et de les garder avant de les boire. Il faut donc ou bien, acheter le vin jeune, le

garder et le boire quand il est prêt (stratgégie (a)), ou bien, acheter le vin au moment où il

est à maturité (stratégie (b)). La stratégie (a) rapporte sans doute moins qu'une stratégie

boursière, mais l'acheteur est en mesure de contrôler la qualité, alors que l'achat de vins

arrivés à maturité peut être risqué (un vendeur ne se débarasse que rarement de ses

meilleurs vins et plus souvent des moins bons). La stratégie (b) est plus rentable: les

montants rendus libres par le non-stockage du vin peuvent être investis en bourse, mais la

stratégie est plus risquée en termes de qualité.

La stratégie (a) est cependant mise en doute par Liquid Assets qui montre que, très

souvent, les prix des primeurs sont fortement surfaits et qu'il vaut mieux attendre quelques

années avant d'acheter. La stratégie (b) de Weil semble donc être la meilleure, à condition

d'être sûr de la qualité, ce qui est sans aucun doute le cas dans les salles de ventes

sérieuses.

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23

Di Vittorio et Ginsburgh (1994) ont également exploité la base de données des

ventes Christie's décrite plus haut pour calculer l'évolution des prix d'un Haut-Médoc

"moyen". En effet, les coefficients γτ de l'équation (*) captent l'effet du temps, et peuvent

être traduits en un indice des prix, dont l'évolution est représentée dans la Figure 7. Cet

indice est libéré de tous les effets autres que celui du "temps qui passe", puisqu'il est

construit sur base de l'équation (*), qui retire du prix la plupart des autres effets,

notamment ceux dus à la variation de la composition des ventes (millésimes et/ou châteaux

différents vendus au cours du temps). Cet indice représente donc l'évolution du prix d'un

vin de qualité et d'âge constants. La Figure 7 permet de constater que les prix (en livres

anglaises et inflation comprise) ont sensiblement augmenté jusqu'en 1985, pour retomber

de quelque 15% en 1986 et se stabiliser par la suite18. Les prix semblent s'être remis à

augmenter après 1992, mais nous n'avons pas les éléments suffisants pour en juger.

1995199019851980197580

100

120

140

160

180

200

Figure 7Indice des prix 1980-1992 (1980=100)

année de vente

indice

Les résultats varient cependant fortement selon les châteaux. Le Tableau 5 montre

que les Premiers Grands Crus ont fait mieux que les Deuxièmes; en particulier, les prix

des Deuxième Crus de Margaux ne se sont pas fortement appréciés durant ces treize

18 En 1986, Christie's Londres a introduit un "buyer's premium" of 10%, qui n'est pas inclus dans lesprix. Ceci peut expliquer la raison pour laquelle les prix ont chuté en 1986, puisque cette augmentationétait anticipée par les acheteurs.

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24

dernières années. L'évolution des prix de Cos d'Estournel, par contre, reflète sans doute les

efforts tant vantés réalisés sur ce vignoble par Bruno Prats.

Tableau 5Indices de prix 1980-1992 (1980=100)

________________________________________________________________________

1980 1981 1982 1983 1984 1985 1966 1987 1988 1989 1990 1991 1992________________________________________________________________________

Premiers Grands Crus

Margaux

Margaux 100 113 134 169 205 222 193 197 177 194 216 203 193

Pauillac

Lafite 100 113 138 172 205 216 182 175 164 183 204 177 171Latour 100 106 123 148 186 193 169 166 172 175 187 175 156Mouton 100 111 141 182 245 262 242 251 253 278 321 296 292

Deuxièmes Grands Crus

Margaux

Brane-Cantenac 100 103 106 133 149 149 126 122 99 103 - 92 77Dufort-Vivens1

Lascombes 100 121 105 127 109 128 138 109 112 79 104 114 88Rausan-Ségla 100 104 114 121 125 112 98 111 97 87 72 69 57Rauzan-Gassies 100 113 108 115 121 125 99 121 97 93 78 88 79

Pauillac

Pichon-L. (Bon) 100 111 145 172 163 182 161 153 144 149 147 146 130Pichon-L. (Ctse) 100 99 120 148 169 182 169 179 192 190 208 178 167

Saint-Estèphe

Cos-d'Estournel 100 112 140 181 231 252 237 257 273 282 319 302 296Montrose 100 109 114 143 175 183 163 163 159 155 166 143 136

Saint-Julien

Ducru-Beauc. 100 101 123 152 176 170 156 154 145 150 156 143 116Gruaud-Larose 100 118 134 147 174 170 162 166 165 168 182 187 174Léoville-Barton 100 110 124 157 176 176 163 161 176 170 168 164 146Léoville L. C. 100 106 118 141 149 149 124 116 105 101 - 81 69Léoville Poyf. 100 102 119 125 160 159 143 130 138 129 138 130 125________________________________________________________________________1 Il y a eu seulement 25 lots vendus, un nombre insuffisant pour calculer les coefficients.Source: Di Vittorio and Ginsburgh (1994).

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L'âge du vin

L'âge d'une bouteille est mesuré par la différence entre t, l'année de vente et τ, le

millésime. Cette variable a également été incluse dans l'équation de régression (*). Les

résultats montrent que chaque année supplémentaire accroit le prix d'une bouteille

d'environ 3,7%; ceci constitue bien entendu une moyenne et il peut y avoir des différences

très marquées d'une château à l'autre. De plus, exception faite des Premiers et de certains

Deuxièmes Grands Crus, les vins produits lors d'années médiocres ne se retrouvent plus

dans les ventes au delà d'un certain nombre d'années. Par conséquent, le taux de 3,7%

s'applique sans doute aux vins produits durant les bonnes années uniquement.

Si l'on souhaite calculer l'évolution des prix d'un vin d'un millésime donné, il faut

donc également prendre en compte l'effet de l'âge α1(t-τ), où α1 = 0,037 est le coefficient

associé à l'âge, t est l'année de vente et τ le millésime; la formule est donc:

ln pit = 0,0366(t-τ) + γtxti + constante.

La rentabilité que nous obtenons pour la décennie 1980-1990 est donc du même

ordre de grandeur que celle obtenue par Weil: un bouteille achetée en 1980 à 100 vaut

environ 240 en 1990, ce qui équivaut à un rendement annuel de quelque 9%, sans tenir

compte des frais de transaction et de stockage.

5. Conclusions

Les conditions météorologiques sont, comme on l'a souvent dit, le facteur variable

le plus important qui contribue à la qualité d'un millésime, mais il paraît clair que parmi les

facteurs fixes, les effets de réputation (en l'occurrence, l'étiquette) sont extrêmement, si pas

les plus puissants. La qualité (et/ou le prix) d'un vin est loin d'être entièrement expliquée

par les techniques de cueillette et de vinification, l'exposition des coteaux, le terroir et la

qualité chimique des sols.

De même qu'en peinture où le nom de l'artiste est capital, l'étiquette d'un vin semble

faire partie de la qualité de celui-ci et se reflète dans le prix. L'on peut se demander ce qui,

dans le cas des vins, tient le rôle joué par l'importance "historique" d'un artiste et qui

"justifie" la différence de qualité et de prix entre un Van Gogh et un artiste mineur. Pour

les Grands Crus du Haut-Médoc, l'on peut penser qu'il s'agit du classement réalisé en

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1855, auquel font référence (presque) tous les châteaux classés, encore que ceci soit

souvent fait de manière modeste19.

L'importance historique d'un artiste est cependant parfois mise en doute par les

critiques ou par les faits et beaucoup de peintres, célèbres de leur vivant, sont tombés dans

l'oubli alors que nombre d'entr'eux, au contraire, sont devenus célèbres après leur mort

seulement. Les vins, quant à eux, sont soumis à des critiques et à des révisions de qualité

annuelles par un grand nombre de dégustateurs. Et avec raison, puisque si la qualité

intrinsèque d'un tableau peint en 1800 ne change en principe pas (sauf détérioration

physique), un vin est produit chaque année, les propriétaires des châteaux passent et les

techniques de production se sont évidemment sérieusement modifiées depuis 1855.

Il paraît dès lors particulièrement intéressant de se demander si le classement de

1855 a résisté au temps, ou si les critiques et dégustateurs ont eu raison de lui. Pour

examiner cette question, nous avons utilisé des données portant sur quelque 30.000 lots

de vin provenant de plus de 40 millésimes (1949-1989) vendus lors de 101 ventes

publiques entre 1980 et 1992.

L'approche que nous avons suivie nous a permis d'estimer l'effet sur les prix des

millésimes et des châteaux. La corrélation entre les classements obtenus sur base des prix

et ceux des experts est assez bonne, bien que les écarts sur base des prix sont beaucoup

plus grands entre "grands" vins et "autres" vins et entre grands et petits millésimes: les

experts sont nettement plus réservés dans leurs jugements de ce qui est "moins bon" et

sont sans doute trop généreux. A l'exception de trois vins qui méritent d'être montés de

classe, la classement basé sur les prix en vente publique est bien plus proche du

classement de 1855 que des classements modernes, tels que ceux de Parker ou de

Dussert-Gerber, qui devraient en principe tenir compte de la qualité contemporaine des

vins. Est-ce à dire que leur rôle est inutile? Non, s'il permet d'inciter les propriétaires

classés il y a 140 ans à ne pas dormir sur les lauriers hérités du passé.

19 Bien que les Premiers et Deuxièmes Grands Crus devraient avoir de solides incitations à être plusprécis quant à la mention de leur rang, seule la mention "Grand Cru Classé en 1855" figure sur l'étiquettede la plupart des châteaux. Il faut noter que les Premiers et Deuxièmes GC ont davantage tendance àmentionner leur rang que les autres. Latour (un Premier GC de Pauillac), Margaux (le seul Premier GC deMargaux), Dufort-Vivens, Rausan-Ségla, Rauzan-Gassies (trois des cinq Deuxièmes GC de Margaux) etLéoville-Poyferré (un des cinq Deuxièmes GC de Saint-Julien) mentionnent leur rang sur l'étiquette.Toutes les autres étiquettes (à l'exception de Ducru-Beaucaillou et de Léoville-Las-Cases, deux DeuxièmesGC de Saint-Julien, qui ne mentionnent rien ) portent uniquement l'indication "Grand Cru Classé en1855", sans mention de rang. Il y a peu de doute que les propriétaires font l'hypothèse que les "vrais"consommateurs sont informés et trouvent inélégant, voire superflu, de donner les détails de leur rang.

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Nos conclusions rejoignent celle d'Ashenfelter. Si les prix en vente publique sont

les vrais indicateurs de qualité, ce qu'il y a toute raison de croire, alors un peu

d'économétrie extrêmement simple fait tout aussi bien, si pas mieux, que les avis des

experts les plus connus.20 Dans sa préface à l'élégant petit ouvrage de Dubourdieu (1992),

René Pijassou, professeur émérite à l'Université de Bordeaux, note que "la performance, le

mot n'est pas trop fort, de Franck Dubourdieu représente 6.750 dégustations de bouteilles

différentes". Ceci est, sans conteste, autrement plus agréable que l'économétrie, mais

combien moins efficace.

Enfin, la rentabilité des placements en vins est inférieure aux placements en bourse,

en tous cas au cours de ces dernières années. Le vin, comme l'art, doit être considéré, à titre

principal, comme un (délicieux) bien de consommation et non comme un substitut aux

actifs financiers.

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20 Il est cependant clair que les prix peuvent eux-mêmes être influencés par les experts. Les "conseils"Parker en particulier semblent jouer ce rôle aux Etats-Unis. C'est pourquoi Ashenfelter conseille decomparer les prix anglais aux prix américains et d'acheter en conséquence, et non pas de suivre les avis deParker.

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