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Bulletin de droit comparé du travail et de la sécurité sociale 2006 COMPTRASEC - UMR CNRS 5114 UNIVERSITÉ MONTESQUIEU - BORDEAUX IV

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Bulletin de droit comparé

du travail et de la sécurité sociale

2006

COMPTRASEC - UMR CNRS 5114 UNIVERSITÉ MONTESQUIEU - BORDEAUX IV

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SOMMAIRE ÉTUDES Pierre Etienne Kenfack Un enjeu inattendu dans le Code du travail camerounais : la protection de l’employeur 3 Nouri Mzid Droit de la sécurité sociale et emploi : l’exemple tunisien 23 Marita Körner Relations de travail transfrontalières 41 David Annoussamy La législation du travail dans l’Inde du XXIème siècle 53 Jean Bernier Les disparités de traitement en fonction de l’emploi dans les conventions collectives au Québec 77 DOSSIER THÉMATIQUE Décentralisation de la production et mise en question du droit du travail Mahammed Nasr-Eddine Koriche 101 Décentralisation de la production et mise en question du droit du travail Judy Fudge La segmentation verticale et l’externalisation de l’emploi : Common law, entreprise et théorie de Coase 111 Eladia Garnero de Fazio, Nevy Bonetto de Rizzi Le droit du travail et la nouvelle réalité des entreprises 129 Darcy du Toit Droit du travail et décentralisation productive : quel avenir pour l’externalisation ? 147 Henar Álvarez Cuesta Les obligations des chefs d’entreprises en matière de prévention des risques en cas de décentralisation de la production 179 ACTUALITÉS JURIDIQUES INTERNATIONALES Algérie (p. 203), Allemagne (p. 208), Argentine (p. 214), Australie (p. 218), Brésil (p. 226), Bulgarie (p. 229), Chili (p. 234), Espagne (p. 238), États-Unis (p. 244), France (p. 251), Hongrie (p. 264), Italie (p. 271), Japon (p. 274), OIT (p. 279), Pays-Bas (p. 284), Portugal (p. 290), Québec (p. 295), Roumanie (p. 299), Royaume-Uni (p. 303), Russie (p. 306), Turquie (p. 310), Uruguay (p. 314).

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ÉTUDES

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Pierre Etienne Kenfack Chargé de cours Université de Yaoundé II - Soa

Un enjeu inattendu dans le Code du travail camerounais : la protection de l’employeur

Abstract

The 1992 Cameroon Labour Law, drafted and adopted in the context of a widespread economic crisis, at a time when international lenders and doctrine suggested that there should be fewer constraints on enterprises, was aimed at promoting corporate interests. In fact, it resulted in an excessive strengthening of employers’ managerial powers and made the definition of most working conditions the subject of unrestricted negotiation. As employee protection was firmly relegated to second place, this legislation raised an unusual issue in labour law: employer protection. In view of the objectives inherent in the origins of social law, this curious situation raises the question as to whether Cameroon labour law can continue to function in its present state.

Résumé

Élaboré et adopté dans un contexte de crise économique généralisée où les bailleurs de fonds internationaux et la doctrine suggéraient un allègement des contraintes pesant sur les entreprises, le Code du travail camerounais de 1992 a mis en avant la promotion de l’intérêt de l’entreprise ; en réalité, il a procédé à un excessif renforcement des pouvoirs managériaux de l’employeur et abandonné la fixation de l’essentiel des conditions de travail à la négociation sans pré requis. Reléguant au second plan le souci de protection des salariés, il a ainsi fait émerger un enjeu inattendu pour un code du travail : la protection de l’employeur. Au regard des objectifs ayant présidé à la naissance du droit social, il y a là une curiosité qui conduit à se demander si le Code du travail camerounais peut être maintenu en l’état.

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Pierre-Etienne Kenfack

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Le Code du travail camerounais1 protège-t-il l’employeur2? La question peut surprendre et même choquer pour plusieurs raisons dont deux majeures au moins. D’abord, un Code du travail n’est-il pas un regroupement des solutions de droit du travail ? Et cette discipline, même si elle ne néglige pas les intérêts des employeurs créateurs d’emplois3, n’est-elle pas née avec pour ambition prioritaire de protéger les salariés économiquement faibles et juridiquement dépendants contre la toute puissance des premiers?4 Ensuite, le droit commercial et le droit des obligations ne protègent-ils pas déjà suffisamment l’employeur pour qu’il ait besoin d’un soutien juridique supplémentaire ?

L’interrogation peut néanmoins se justifier, spécialement au Cameroun

où ce sont les employeurs qui, les premiers, ont commencé à revendiquer une réforme de l’ancien code jugé trop protecteur des salariés5. Elle se justifie surtout compte tenu du contexte d’élaboration du nouveau code. Ce dernier a, en effet, été mis en chantier au moment où une crise économique généralisée poussait l’immense majorité de la doctrine à suggérer un

1 Loi n° 92/007 du 14 août 1992, in Juridis Info, n° 12, 1992, p. 7 et s. 2 L’employeur est défini comme la personne juridique, physique ou morale qui conclut le contrat de travail avec le salarié Cf. I. Vacarie, L’employeur, Paris, Sirey, 1979 ; maître des moyens de production, bien que partie au contrat, il donne des ordres, contrôle l’activité ou les résultats produits par son cocontractant, le salarié. Cf. J. Pelissier, A. Supiot et A. Jeammaud, Droit du travail, 22ème éd. Paris, Dalloz, 2004, n° 2, p. 1 et s. 3 Le droit du travail n’a jamais perdu de vue que ce sont les employeurs qui, en créant des entreprises, permettent aux salariés de trouver de l’emploi. Il leur concède à ce sujet trois principaux pouvoirs : le pouvoir de direction et de gestion, le pouvoir réglementaire et le pouvoir disciplinaire. Lire notamment, G. Couturier, Traité de droit du travail, t. 2, les relations collectives de travail, coll. Droit fondamental, Paris, P.U.F. 2001, p. 50 et s. ; J. Pelissier, A. Supiot et A. Jeammaud, Droit du travail, op. cit. , p. 981 et s. 4 J. Pelissier, A. Supiot, A. Jeammaud, Droit du travail, op. cit. p. 42 et s. ; R. de Quenadon, La « doctrine progressiste » : une lecture du droit du travail en crise, D. 2005, Doctrine, p. 1736 ; A. Supiot, Critique du droit du travail, Quadrige, Paris, P.U.F. 2002 ; du même auteur : Pourquoi un droit du travail ?, Dr. soc. 1990, p. 485 ; M. de Virville, Pour un Code du travail plus efficace, Rapport au ministre des Affaires sociales, du travail et de la solidarité, Collection des rapports officiels, Paris, La documentation Française, 2004, p. 7. 5 Sur ces revendications : P.G. Pougoué, Les enjeux du droit du travail en Afrique noire d’expression française, Bulletin du Comptrasec, Bordeaux, 1987/5, p. 7.

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allègement des contraintes sociales pesant sur les entreprises6, au moment où le Cameroun - comme la plupart des pays d’Afrique noire à cette époque - avait conclu un programme d’ajustement structurel avec la Banque mondiale et le Fonds Monétaire International, dont l’une des conditionnalités était la libéralisation des marchés et surtout l’allègement des contraintes pesant sur les entreprises pour attirer des investisseurs7.

Le Code du travail camerounais, élaboré dans un tel contexte, a-t-il fait

de la protection de l’employeur un objectif ? La question n’a pas préoccupée la doctrine, sans doute parce qu’elle apparaît contre nature. En effet, les auteurs, dans leur immense majorité, ont du mal à imaginer que le droit du travail puisse avoir pour objet la protection de l’employeur, partie forte au contrat et contre les excès duquel la discipline a été créée8. Elle mérite cependant d’être posée pour plusieurs raisons.

Sur un plan purement interne, les réformateurs du Code annonçaient leur

intention de faire un droit du travail plus équilibré où aucun intérêt ne devait être négligé. Mais depuis la réforme, la situation des salariés ne cesse de se dégrader non plus pour cause de crise économique, mais du fait de l’aisance avec laquelle les employeurs modifient les conditions de travail, ou procèdent à la rupture des contrats. Ce qui suggère la question de savoir si 6 J.E. Ray, Mutations économiques et droit du travail, Etudes offertes à G. Lyon-Caen, p. 11 ; F. Saramito, Le droit du travail en question, Droit Ouvrier 1986, p. 39 ; B. Teyssié, Propos autour d’un projet d’autodafé, Dr. soc. 1986, p. 559. 7 Pour quelques pays africains se trouvant dans la même situation lire notamment : M. Samb, Réformes et réception des droits fondamentaux du travail au Sénégal, Bulletin de Droit comparé de Travail et de la Sécurité sociale 1999, p. 142 et s. ; O. Sidibé, Réalités africaines et droit du travail, Bulletin de Droit comparé de Travail et de la Sécurité sociale 1999, p. 130 et s. ; A. Emane, Le droit du travail à la croisée des chemins : l’exemple du Gabon, Bulletin de Droit comparé de Travail et de la Sécurité sociale, 1999, p. 154. 8 A. Supiot, Le droit du travail bradé sur le « marché des normes », Dr. soc. 2005, p. 1087 ; R. de Quenadon, La « doctrine progressiste » : une lecture du droit du travail en crise, op. cit. G. Lyon-Caen, Permanence et renouvellement du droit du travail dans une économie globalisée, Droit ouvrier, février 2004, p. 49 et s. ; du même auteur : Les fondements rationnels du droit du travail, Droit ouvrier 1951, repris dans Droit ouvrier 2004, p. 52 et s. ; A. Jeammaud, Le droit du travail en changement. Essai de mesure, Dr. soc. 1998, p. 211 ; I. Pingel, La protection de la partie faible en droit international privé (du salarié au consommateur), Dr. soc. 1986, p. 133.

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l’équilibre annoncé a été atteint. Les résultats produits n’ont-ils pas contredit les objectifs annoncés par les réformateurs ?

Sur un plan plus général, une harmonisation du droit du travail des États

membres de l’Organisation pour l’harmonisation du droit des affaires en Afrique (OHADA), parmi lesquels le Cameroun, est en cours et sans doute certains codes nationaux vont-ils servir de référence. N’est-ce pas l’occasion de s’interroger sur la possibilité pour le Code camerounais d’être ce modèle, sur son aptitude à faciliter la construction d’un droit du travail harmonisé ne négligeant pas les enjeux fondamentaux de la matière ?

Même s’ils n’ont pas abordé la question de savoir s’il vise à la protection

de l’employeur, les travaux des auteurs ayant analysé le Code du travail de 1992 dès sa promulgation, suggèrent une réponse négative. En effet, ils mettent en avant deux finalités majeures poursuivies par ce texte : la protection des travailleurs et la recherche de l’équilibre entre les intérêts des différents partenaires sociaux9 .

L’objectif de protection des travailleurs se dévoile très rapidement à

travers les nombreuses dispositions protégeant la personne humaine au travail. Le Code camerounais comporte ainsi un ensemble de règles visant à protéger la santé, la sécurité physique10 et les libertés fondamentales des travailleurs11, même si on peut regretter que des aspects essentiels de cette 9 On a ainsi écrit: « … Ces diverses préoccupations difficilement conciliables entre elles, aboutissent à un ensemble législatif qui donne au droit du travail camerounais un visage dominé pêle-mêle par le souci de protéger le travailleur, l’exigence de l’emploi et l’efficacité économique », P.G. Pougoué, Le petit séisme du 14 août 1992, Revue Juridique Africaine, 1994, p. 67 et s. ; lire également, P.E. Kenfack, La mobilité du Capital de l’entreprise et le droit social au Cameroun , thèse, 3ème cycle, Université de Yaoundé II, 1994. 10 Ainsi, les articles 95 à 103 du Code imposent aux employeurs d’assurer aux salariés des conditions d’hygiène et de sécurité conformes à celles recommandées par l’organisation internationale du travail. 11 La liberté du travail est consacrée par l’article 2 du Code qui interdit le travail obligatoire ou forcé et l’article 23 qui exige un accord de volonté pour la conclusion du contrat de travail. La liberté syndicale découle de l’article 3 qui reconnaît aux travailleurs et aux employeurs sans restriction et sans autorisation préalable, le droit de créer librement des syndicats professionnels. Le Code protège également la santé par la limitation du temps de travail (article 80), la suspension du contrat pour maladie (article 32), le congé de maternité (article 84), ...

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protection aient été oubliés12. Au delà de ces dispositions qui sont en réalité une reprise des solutions constitutionnelles et internationales protectrices des droits fondamentaux inévitables13, le Code se préoccupe-t-il encore de la protection des salariés, spécialement dans le domaine des rapports aussi bien individuels que collectifs de travail ? Une réponse affirmative devrait être trouvée dans la recherche de l’équilibre entre les intérêts des différents partenaires sociaux, l’autre objectif annoncé par la doctrine qui se traduirait notamment dans le texte par la référence à la notion « d’intérêt de l’entreprise ». Encore faut-il savoir ce que recouvre cette expression.

Le législateur ne l’a pas définie. Le pouvait-il d’ailleurs ? La notion fait

en réalité partie de ces concepts qu’on ne peut enfermer dans une formule brève sans en occulter des aspects fondamentaux. C’est donc à travers son importance et sa fonction que la doctrine s’efforce de la clarifier14. On a ainsi pu écrire que l’intérêt de l’entreprise fait partie des concepts qui permettent d’affirmer qu’« au delà de chacun il est des communautés ; que l’intérêt du groupe est au delà de l’addition des intérêts particuliers »15. Que dans le cercle de l’entreprise, il transcende les intérêts de ceux qui la composent16.

12 Ainsi des mesures de lutte contre les abus d’autorité en matière sexuelle ou de harcèlement moral au travail, de la protection de la personnalité ou de la vie privée. 13 J. Mbendang Ebongue, Les droits fondamentaux des travailleurs dans le nouveau Code du travail du 14 août 1992, Les grandes orientations du droit du travail camerounais après la réforme du 14 août 1992, Revue Juridique Africaine (R.J.A.) 1994, p. 41 et s. 14 Lire notamment : P.G. Pougoué, Le petit séisme du 14 août 1992, Les grandes orientations du droit du travail camerounais après la réforme du 14 août 1992, Revue Juridique Africaine (R.J.A.) 1994 ; B. Teyssié, « L’intérêt de l’entreprise, aspects de droit du travail », D. 2004, doct. Chron. p. 1680 et s. du même auteur, « Droit du travail et droit des affaires », D. 2004, p. 2696 et s ; « l’intérêt de l’entreprise », Les orientations sociales du droit contemporain, Ecrits en l’honneur du Professeur J. Savatier, Paris, P.U.F., 1992, p. 143 et s. S. Fremeaux, « Le concept d’intérêt de l’entreprise et la décision de licenciement », R.R.J. (Droit prospectif) 2005-4, p. 2008 et s. ; H. David, « Le changement temporaire du lieu de travail, mobilité inhérente aux fonctions de salarié et intérêt de l’entreprise : un savant mélange », R.R.J. (Droit prospectif), 2004/4, p. 2335 et s. 15 B. Teyssié, L’intérêt de l’entreprise aspects de droit du travail, Dalloz 2004, op. cit. 16 B. Teyssié, Ibidem, p. 1680 ; lire également : P.G. Pougoué, Le petit séisme du 14 août 1992, op. cit.

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Est-ce comme concept ayant pour fonction de fédérer, de concilier et d’arbitrer les intérêts entre les employeurs et les travailleurs que la notion a été introduite dans le Code du travail camerounais de 1992 ? On l’a soutenu. Ainsi, introduisant une série d’études sur les grandes orientations de ce texte, un éminent auteur écrit : « le législateur de 1992 - si on comprend sa démarche - tente une approche qui ne s’identifie ni au point de vue de l’employeur ni à celui des salariés, mais qui serait celui de l’entreprise en soi : au dessus des chefs d’entreprises et des travailleurs »17. Cette vision optimiste résultant sans doute d’une foi accordée à l’exposé des motifs du texte, est-elle confortée par le produit final ?

L’analyse du contenu laisse plutôt transparaître sur le plan des rapports

de travail un code oubliant la recherche de l’équilibre et assurant la protection du fort contre le faible, la protection de l’employeur contre le travailleur. Elle fait apparaître que loin de corriger le décalage entre la protection des travailleurs et les contraintes pesant sur les employeurs, le Code a adopté une démarche inverse se traduisant par une réduction des droits des salariés, suivie d’une plus grande prise en compte des intérêts de l’employeur. On l’observe à travers l’excessif renforcement de certains aspects des pouvoirs managériaux de l’employeur (I) et l’abandon de la fixation des conditions essentielles de travail aux parties sans pré requis (II).

I - L’excessif renforcement des pouvoirs managériaux de l’employeur La doctrine en droit du travail met en lumière trois pouvoirs qui sont

reconnus à l’employeur : le pouvoir réglementaire, le pouvoir disciplinaire et le pouvoir de direction18. Les pouvoirs managériaux qui permettent à l’employeur de diriger l’activité de l’entreprise constituent un des aspects essentiels du pouvoir de direction. Parler de renforcement des pouvoirs managériaux de l’employeur dans un Code du travail peut paraître surprenant. Mais c’est perdre de vue que la crise économique a mis en avant la nécessité pour le droit du travail de ne plus se contenter seulement de la

17 P.G. Pougoué, Le petit séisme du 14 août 1992, op. cit. p. 13. 18 Lire notamment, G. Couturier, Traité de droit du travail, t. 2, les relations collectives de travail, coll. Droit fondamental, Paris, P.U.F., 2001, p. 50 et s. ; J. Pelissier, A. Supiot et A. Jeammaud, Droit du travail, op. cit. n° 877 et s. p. 981.

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protection des salariés, mais de rechercher aussi la sauvegarde et la bonne marche de l’entreprise pourvoyeuse d’emploi19.

Les anciens codes du travail camerounais adoptés dans un esprit de

protection des salariés ne contenaient que quelques dispositions visant cet objectif. Il en allait ainsi de celles relatives à la compression d’effectifs et à la suspension du contrat de travail20. Adopté dans un contexte de crise, le Code de 1992 qui fait de l’intérêt de l’entreprise un objectif prioritaire, a entrepris de corriger le décalage qui existait entre la protection des salariés et celle de l’employeur par l’accroissement des pouvoirs managériaux de ce dernier.

Le Code a ainsi mis à la disposition de l’employeur des modes de

recrutements permettant d’éviter, par anticipation, les contraintes liées à la rupture des formes classiques d’emploi. Une des hantises des employeurs était de devoir garder à leur service des salariés recrutés pour des tâches précises à la fin de leur mission. Le Code a réglé la difficulté en multipliant les formes d’embauche21. Cette mesure équilibrée est de celles qui contribuent à rétablir l’équilibre entre la protection des salariés et la bonne

19 A. Jeammaud, Flexibilité : le procès du droit du travail , Flexibilité du droit du travail, objectif ou réalité, Paris, éd. Législative et administrative, p. 23 et s. 20 Lire J. Djuikouo, La suspension du contrat de travail en droit privé camerounais, thèse, 3ème cycle, Université de Yaoundé, 1986 ; V. Tchokomakoua, La compression d’effectifs, Juridis info, n° 1, 1990, p. 23 et s. 21 Le Code a revalorisé le contrat à durée déterminée. La législation antérieure ne tolérait à des conditions précises que le contrat à terme fixe. Outre sa reconduction, le Code de 1992 admet d’autres possibilités. Aux termes de l’article 25, le contrat à durée déterminée peut être de plusieurs types. Celui à terme fixe connu et fixé au moment de sa formation. Sa durée ne peut excéder deux ans ; mais il peut être renouvelé une fois. Le Code admet aussi la validité des contrats dont le terme est subordonné à la survenance d’un événement futur et certain dont la réalisation ne dépend pas exclusivement de la volonté des deux parties, mais qui est indiqué avec précision. Il admet enfin la validité des contrats conclus pour un ouvrage déterminé. Cette dernière variété de contrat a été accueillie comme une véritable bouffée d’oxygène par des entreprises de travaux publics qui peuvent désormais se séparer de certains salariés à la fin d’un chantier sans payer des indemnités de rupture. Il a également légalisé les contrats temporaires occasionnels et saisonniers longtemps usités par les entreprises en marge de la loi. (article 25 alinéa 4 du Code du travail ; Décret n° 93/PM du 15 juillet 1993, in P.G. Pougoué et autres, Code du travail camerounais annotée, Yaoundé P.U.A. 1997)

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marche de l’entreprise, autrement dit de celles qui prennent en compte l’intérêt de l’entreprise. On ne peut lui reprocher un quelconque excès dans le renforcement des pouvoirs managériaux de l’employeur. En revanche, l’excès découle des nouvelles mesures relatives à la rupture des contrats de travail prévues par le Code.

En effet, par un élargissement des possibilités de rupture des contrats de

travail pour motif économique sans respect des procédures (A) et par un affaiblissement de la protection des salariés contre le licenciement abusif (B), le Code est finalement parvenu à instaurer une véritable protection de l’employeur.

A - L’élargissement des possibilités de rupture pour motif économique sans respect de la procédure

Le droit du travail distingue la rupture du contrat de travail à l’initiative

du salarié appelée démission de celle à l’initiative de l’employeur appelée licenciement. Pour licencier sans courir le risque d’être condamné pour licenciement abusif, l’employeur doit invoquer un motif légitime. Parfois le motif peut être difficile à trouver alors que l’employeur éprouve le besoin de se séparer de certains salariés dans l’intérêt économique de l’entreprise. Le droit du travail lui a facilité la tâche en admettant qu’il puisse invoquer un motif économique, mais à charge - dans un souci de protection des salariés - de respecter une procédure très stricte. Le législateur camerounais avait admis le recours par l’employeur au licenciement pour motif économique bien avant la réforme de 1992. Mais, par souci de protection des salariés, il avait une conception très restrictive du motif qui ne pouvait être que d’ordre conjoncturel ou structurel22.

Tout en maintenant l’exigence du motif et le respect de la procédure en

général, le texte de 1992 a adopté une conception extensive du motif économique du licenciement23, et ajouté des hypothèses de rupture du 22 V. Tchokomakoua, La compression de personnel, art. op. cit. ; du même auteur, note sous Cour suprême, arrêt n° 6/s du 22 octobre 1987, Juridis info, n°1, 1990, p. 23 et s. 23 Sous l’empire de la législation antérieure, le motif économique était cantonné à des hypothèses où l’entreprise connaissait des difficultés économiques. Le texte de 1992 renforce la protection de l’entreprise en l’étendant désormais à des situations où les difficultés économiques sont à peine perceptibles et parfois inexistantes.

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contrat pour motif économique sans respect de la procédure, renforçant de ce fait la protection de l’employeur au détriment des intérêts des salariés.

La première hypothèse découle de l’article 42 alinéa 2 (a) du Code du

travail qui dispose : « le contrat de travail peut, en cours d’exécution, faire l’objet d’une modification à l’initiative de l’une ou l’autre partie ; si la proposition de modification émanant de l’employeur est substantielle et qu’elle est refusée par le travailleur, la rupture du contrat pouvant en résulter est imputable à l’employeur. Elle n’est abusive que si elle n’est pas justifiée par l’intérêt de l’entreprise »24. Sur la base de ce texte, l’employeur qui souhaite se débarrasser de certains salariés sans respecter la procédure de licenciement pour motifs économiques peut simplement se contenter de leur proposer une modification de contrat à des conditions inacceptables et tirer les conséquences de leur refus.

La seconde hypothèse découle de l’article 42 alinéa 1 b du Code du

travail qui autorise l’employeur à rompre les contrats des travailleurs qui ne souhaitent pas passer au service de l’acquéreur de l’entreprise en leur payant des indemnités de rupture sans respecter la procédure de licenciement pour motif économique. Il suffit que les salariés concernés manifestent devant l’inspecteur du travail leur volonté d’être licenciés avec paiement de leurs droits.

En permettant la rupture des contrats pour motif économique sans respect

de la procédure, le législateur, loin de rétablir l’équilibre entre la protection de l’employeur et celle des travailleurs, s’efforce plutôt de protéger l’employeur. Il va d’ailleurs plus loin en affaiblissant la protection des salariés contre le licenciement abusif. Ainsi, d’après l’article 40, « constitue un licenciement pour motif économique tout licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du travailleur et résultant soit d’une suppression ou transformation d’emploi ou d’une modification du contrat de travail consécutives à des difficultés économiques, à des mutations technologiques ou à des restructurations internes ». 24 Sur la modification du contrat de travail, lire, P.E. Kenfack, La modification du contrat de travail au Cameroun, R.J.A. 1994, p. 199 et s.

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B - L’affaiblissement de la protection contre le licenciement abusif Dans un système qui ne s’est jamais soucié du sort des non travailleurs25,

la sanction du licenciement abusif était la seule occasion d’accorder aux salariés quelques avantages leur permettant de survivre le temps de trouver un nouvel emploi. Les juges s’efforçaient d’étendre le domaine du licenciement abusif et surtout d’indemniser de manière conséquente, les salariés victimes d’une injuste rupture de leur contrat. Ainsi, était considéré comme abusif le licenciement prononcé sans notification par écrit26, même si le motif était légitime. Sans pour autant se préoccuper du sort des sans- emploi, le législateur a réduit cet avantage accordé aux salariés en procédant à une distinction entre illégitimité de forme et de fond.

Relativement à l’illégitimité de forme, abandonnant les solutions

jurisprudentielles protectrices des salariés, le législateur a exclu du champ du licenciement abusif les licenciements prononcés pour inobservation de la forme pour les sanctionner de manière spécifique. C’est du moins ce qui ressort de l’article 39 alinéa 5 du Code qui dispose : « En cas de licenciement légitime d’un travailleur survenu sans observation par l’employeur des formalités prévues, le montant des dommages et intérêts ne peut excéder un mois de salaire ». Bien qu’amoindrissant les droits des salariés, cette solution est logique car, dans cette hypothèse, on n’était plus dans l’abus, mais dans l’irrégularité27.

Ne restent finalement dans la catégorie des licenciements abusifs que

ceux prévus par l’article 39 alinéa premier du Code28, à savoir les

25 Contrairement à la France, par exemple, où le coût des sacrifices humains qui résulte de l’allègement des contraintes pesant sur les entreprises est supporté par l’État via le financement des politiques de l’emploi ou par la Sécurité sociale. Lire sur ce point, A. Supiot, Le droit du travail bradé sur « le marché des normes », Dr. soc. 2005, p. 1087 ; sur l’absence de réaction de l’État au Cameroun : Z. Anazepouo, Le droit du non travail au Cameroun, thèse 3ème cycle, Université de Yaoundé II, 1997 ; P.E. Kenfack, La mobilité du capital de l’entreprise et le droit social au Cameroun, thèse, 3ème cycle, Université de Yaoundé II, 1994, p. 172 et s. 26 Cf. not. P.G. Pougoué et autres, Code du travail camerounais annoté, P.U.A. 1997 27 P.G. Pougoué, Le petit séisme du 14 août 1992, op. cit. 28 Ce texte indique quelques hypothèses de licenciements abusifs en ces termes : « sont notamment considérés comme effectués abusivement les licenciements

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licenciements prononcés sans motifs, et ceux prononcés pour des motifs fallacieux29. Sur ce point, il n’y a pas véritablement innovation.

En revanche, l’innovation, qui aurait du être évitée, porte sur la sanction

de ce licenciement. Le texte antérieur laissait aux juges un pouvoir souverain d’appréciation pour fixer le montant de la réparation. Ceci était doublement protecteur pour les travailleurs. L’incertitude du montant de la condamnation permettait d’éviter les licenciements prononcés à la légère. Par ailleurs, guidés par le souci de réparation intégrale, les juges recherchaient une forme de justice dans les rapports contractuels et les salariés avaient le sentiment de ne pas être totalement délaissés lorsqu’ils avaient perdu leur emploi sans faute.

Abandonnant cette solution, le législateur de 1992 a plafonné le montant

des dommages et intérêts. D’après l’article 39 alinéa 4 b du Code du travail, sans excéder un mois de salaire30 par année d’ancienneté, celui-ci ne peut être inférieur à trois mois de salaire. Cette disposition est une curiosité juridique qui ne se révèle que lorsqu’on l’insère dans le système juridique global. En matière de réparation du préjudice, le droit commun pose le principe de la réparation intégrale d’après lequel il faut réparer tout le préjudice et rien que le préjudice31. Comment dès lors comprendre que le Code du travail qui matérialise une législation spéciale visant à conférer aux salariés une protection négligée par le droit commun cantonne les dommages et intérêts, sans contrepartie ?

motivés par les opinions du travailleur, son appartenance ou sa non appartenance à un syndicat ». Il faut néanmoins noter la curieuse présence dans ces hypothèses de l’appartenance ou de la non appartenance à un syndicat qui est par ailleurs sanctionné de nullité par l’article 4 alinéa 3 du même Code. 29 Cf. J. M. Tchakoua, Libres propos sur le droit camerounais du licenciement, Juridis Périodique, n°, 25, 1996, p. 67 et s. 30 F. Terre, Ph. Simler, Y. Lequette, Droit civil, Les obligations, 8ème édit. Paris, Dalloz, 2004, n°, 900 et s. 31 Cf. Notamment, Ph. Le Tourneau, Droit de la responsabilité et des contrats, Dalloz action, Paris, Dalloz, 2004, n°s 2420 et s. ; G. Viney et P. Jourdain, Traité de droit civil, Les effets de la responsabilité civile, sous la direction de J. Ghestin, 2ème éd. Paris, L.G.D.J. 2001, p. 1 et s. ; Ph. Malaurie L. Aynes et Ph. StoffeL-Munck, Les obligations, Paris, Defrénois, 2004, n° 240 et s. p. 125 et s. ; A. Benabent, Droit civil, Les obligations, 10ème éd. Paris, Montchrestien, 2005, p. 461 et s.

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On a tenté de justifier cette solution par le caractère excessif des condamnations prononcées par les juges sans égard à l’étendu du préjudice et des possibilités réelles de l’entreprise32. Mais il nous semble qu’elle s’inscrit dans une logique globale du nouveau Code qui, sous couvert de la promotion de l’intérêt de l’entreprise, a entrepris de protéger l’employeur, parfois au mépris des droits des salariés. C’est cette même tendance qui se dégage de l’abandon par le Code de la fixation de certaines conditions de travail à la négociation des partenaires contractuels sans pré requis.

II - L’abandon de la fixation des conditions de travail à la négociation sans pré-requis

Lacordaire écrivait : « Entre le fort et le faible, entre le riche et le pauvre,

entre le maître et le serviteur, c’est la liberté qui opprime, c’est la loi qui affranchit »33. Avant la réforme de 1992, le droit du travail camerounais était en parfait accord avec cette formule. En effet, poursuivant d’importants idéaux comme la sécurité et la stabilité de l’emploi et s’efforçant d’éviter l’asservissement du travailleur par l’employeur, il fixait par voie législative et réglementaire les conditions de travail34. Le Code de 1992, mettant en application une pratique de soutien aux entreprises entamée quelques années plus tôt et encouragée par les pouvoirs publics sous l’appellation de « politique contractuelle »35, concrétisant la volonté des bailleurs de fonds imposant aux États africains sous ajustement structurel un droit du travail moins réglementaire36, a opéré un véritable changement d’orientation vers un

32 P.G. Pougoué, Le petit séisme du 14 août 1992, op. cit. 33 Lacordaire, Conférence de notre Dame de Paris, t. 3, p. 473, cité par P. Durand et R. Jassaud, Traité de droit du travail, t. 1, Paris, Dalloz, 1947, p. 90. 34 P.G. Pougoué, Droit du travail et de la prévoyance sociale au Cameroun, t.1, Rescue Afrique et Presses Universitaires du Cameroun, 1988. 35 Cf. sur ce point : P.G. Pougoué, La contractualisation des relations de travail : quel débat …pour quel résultat ?, Juridis info, n° 2 1990, p. 65 et s. 36 Il faut observer que partout dans le monde à cette époque est réclamée une flexibilisation des règles du droit du travail afin que les entrepreneurs retrouvent la productivité et la compétitivité. Cf. J.E. Ray, Mutations économiques et droit du travail, Etudes offertes à G. Lyon-Caen, op. cit. p. 11 ; A. Jeammaud, Flexibilité : le procès du droit du travail, Flexibilité du droit du travail, objectif ou réalité, Paris, éditions législative et administrative, p. 23 et s. Lire cependant : M.

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droit de plus en plus négocié. La manifestation la plus visible de ce changement est l’imposition de la négociation comme procédé de fixation de certains aspects essentiels de la relation de travail.

Au sens strict, la négociation évoque des échanges et des discussions

entre des titulaires d’intérêts différents en vue de trouver une solution à un problème commun. Elle est classique en droit du travail où elle permet l’établissement de la relation de travail et l’aménagement ou le réaménagement des relations existantes37. La nouveauté dans le Code de 1992 est son imposition dans des domaines jugés fondamentaux pour les travailleurs et qui, jusque là, étaient plutôt traités par voie réglementaire. Le législateur impose la négociation en effet pour la détermination des catégories professionnelles et les salaires, ainsi que pour l’évitement des licenciements pour motif économique38.

Les vertus de la négociation sont indéniables : elle permet de passer d’un

droit abstrait à un droit plus concret dans lequel les acteurs sociaux se reconnaissent. En droit du travail, on lui reconnaît la capacité d’améliorer le sort des salariés et d’adapter le droit légal à un environnement spécifique ou aux contraintes de la production39. Simplement on peut parler de négociation dès lors que les partenaires discutent sur un pied d’égalité et, en tous cas, que l’un n’est pas soumis à l’autre, que les deux accèdent aux mêmes informations pour traiter du même problème. Le législateur camerounais de 1992, en imposant la négociation entre employeurs et travailleurs a-t-il pensé à ces pré-requis? On cherche en vain des dispositions prenant en compte un tel souci dans le Code.

Bonnechere, L’ordre public en droit du travail ou la légitime résistance du droit du travail à la flexibilité, Droit ouvrier 1988, p. 171 et s. 37 Cf. J. Cl. Nchimi, La négociation en droit du travail camerounais, art. op. cit. p. 115. L’auteur met en lumière son importance dans la préparation, l’identification et la résolution des problèmes à naître ou posés par une relation contractuelle envisagée ou déjà conclue, fait observer qu’elle est un instrument irremplaçable de la gestion des relations professionnelles qu’on retrouve déjà dans l’ancien Code du travail camerounais. 38 La négociation pour modifier les contrats de travail en cours précédemment analysée (cf. I) ne fait pas partie de ces hypothèses, car elle est simplement suggérée. 39 G. Spyroulos, Le droit du travail à la recherche d’un nouvel équilibre entre le social et l’économique, Dr. soc. 1992, p. 259.

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En imposant la négociation de certaines conditions essentielles du travail, sans se préoccuper ni du rétablissement de l’équilibre rompu par la subordination (A), ni de l’accès aux informations permettant de négocier (B), le Code du travail camerounais loin de rechercher l’équilibre entre les partenaires à la relation de travail, organise plutôt une protection de l’employeur.

A - Le non rétablissement de l’équilibre rompu par la subordination

Comment rétablir l’équilibre entre des travailleurs subordonnés et leurs employeurs pour qu’une négociation ne soit pas une simple adhésion aux idéaux et objectifs du plus fort ? La question, classique en droit du travail, est résolue par la mise en place de représentants protégés ayant pour mission de négocier pour le compte des salariés. Le Code du travail camerounais prévoit deux types de représentants de salariés : les délégués du personnel et les délégués syndicaux. Sur cette base, pourrait-on prétendre qu’il a imposé la négociation sans se préoccuper du rétablissement de l’équilibre rompu par la subordination entre les salariés et les employeurs ? On peut hésiter si on considère la représentation des salariés par les délégués du personnel (1), mais la réponse devient sans équivoque lorsqu’on analyse la représentation des salariés par les délégués syndicaux à la négociation obligatoire (2). 1 - L’hésitation en matière de représentation par les délégués du personnel

Les délégués du personnel sont des salariés élus pour représenter leurs

collègues au sein des entreprises. D’après l’article 122 du Code du travail, ils sont obligatoirement élus dans les établissements où sont occupés au moins vingt travailleurs relevant du Code du travail. Pour leur permettre d’accomplir efficacement leur tâche, le législateur a pris des mesures destinées à assurer leur indépendance et leur autonomie. D’après l’article 130 du Code du travail, leur licenciement ou leur mutation - les mettant dans l’impossibilité d’exercer leur mandat dans leur établissement d’origine sauf accord des intéressés - est, à peine de nullité, soumis à l’autorisation de l’inspecteur du travail du ressort40.

40 Sur la mise en œuvre de cette protection par la jurisprudence : A.D. Tjouen, Les institutions professionnelles, Les grandes orientations du droit du travail camerounais après la réforme du 14 août 1992, R.J.A. 1994, p. 231 et s.

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Cette protection contre le licenciement qui subsiste pendant un délai de six mois après l’expiration de leur mandat, pourrait laisser croire que les travailleurs ont des défenseurs, capables de faire valoir efficacement leurs intérêts en toutes circonstances et que le législateur n’a plus à se préoccuper spécialement du rétablissement d’équilibre pour instituer des cas de négociation obligatoire entre les employeurs et les travailleurs. Mais une telle analyse se heurte à deux objections majeures.

La première provient de ce que malgré leur aptitude à négocier pour le

compte des salariés, les délégués du personnel ne peuvent participer à toutes les négociations imposées du fait de la spécificité de leur mission et de la délimitation par le législateur de leur champ d’intervention. Relativement à la spécificité de leur mission, d’après l’article 128 du Code du travail, le rôle des délégués du personnel se limite à la présentation aux employeurs de toutes les réclamations individuelles ou collectives qui n’auraient pas été satisfaites, concernant les conditions de travail et la protection des travailleurs, l’application des conventions collectives et les taux de salaires ; à la saisine de l’inspection du travail du ressort des plaintes ou réclamations concernant l’application des prescriptions légales et règlementaires dont elle est chargée ; à la surveillance de l’application des règles relatives à l’hygiène, la sécurité et la prévoyance sociale des travailleurs et de faire des suggestions dans ce domaine ; à la communication à l’employeur de toutes suggestions utiles tendant à l’amélioration de l’organisation et du rendement de l’entreprise d’assurer le contrôle. L’énumération étant exhaustive, seule une attribution expresse du législateur comme dans le cas des mesures alternatives au licenciement pour motifs économique peut leur permettre de mener une activité hors du cadre prédéfini par l’article 128 du Code du travail. Quant à la délimitation de leur champ d’intervention, les délégués ne sont admis à représenter les salariés que dans le cadre de l’entreprise, or certaines négociations, imposées par le législateur de 1992, se déroulent hors cadre de l’entreprise. Il en est ainsi de celles relatives aux salaires et aux catégories professionnelles.

La seconde objection concerne la relativité de la présence des délégués du

personnel lors de la négociation des mesures alternatives au licenciement pour motifs économiques. D’après l’article 40 alinéa du Code du travail, celle-ci n’est obligatoire que s’il en existe ; à défaut, la négociation est menée directement entre l’employeur et les salariés. Dans l’hypothèse d’absence de délégués du personnel, on peut aisément imaginer le caractère

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illusoire de la négociation entre des salariés subordonnés et l’employeur qui exerce sur eux les pouvoirs disciplinaire et de gestion. Sans doute pourrait-on soutenir que la présence de l’inspecteur du travail, imposée par l’article 40 du Code du travail, permet de limiter la puissance de l’employeur. Mais, ce serait perdre de vue que cette autorité n’est pas partie à la négociation, qu’elle se contente de surveiller le déroulement de la procédure41

Si on a pu hésiter sur le point de savoir si la représentation des salariés

par les délégués du personnel permet ou non une négociation équilibrée, la réponse est sans équivoque en ce qui concerne leur représentation par les délégués syndicaux.

2 - L’absence d’équivoque en matière de représentation par des délégués syndicaux

Les délégués syndicaux sont des représentants des salariés désignés par

les syndicats qui sont des groupements extérieurs à l’entreprise. Le syndicat est en effet un groupement dans lequel plusieurs personnes exerçant une même activité professionnelle conviennent de mettre en commun, d’une manière durable et au moyen d’une organisation intérieure, leurs activités et une part de leurs ressources en vue d’assurer la défense, le développement et la protection de leurs intérêts et d’améliorer leurs conditions d’existence42. Le droit pour les salariés de se regrouper en syndicat est affirmé par la Convention n° 87 de l’OIT qui stipule que « les travailleurs et les employeurs sans distinction d’aucune sorte ont le droit, sans autorisation préalable, de constituer des organisations de leur choix, ainsi que de s’affilier à ces organisations, à la seule condition de se conformer aux statuts de ces dernières ». Ce texte, ratifié par le Cameroun43, a inspiré la rédaction de l’article 3 du Code du travail qui dispose : « la loi reconnaît aux travailleurs et aux employeurs, sans restriction d’aucune sorte et sans autorisation préalable, le droit de créer librement des syndicats professionnels ».

41 P.G. Pougoué, Le petit séisme du 14 août 1992, op. cit. p. 36. 42 Cf. notamment : J.-M. Verdier, Syndicats et droit syndical, t. V du traité de droit du travail dirigé par G. H. Camerlynck, Paris Dalloz, 1984 ; G. Couturier, Traité de droit du travail, t.2 Les relations collectives de travail, Paris, P.U.F. 2001, p. 317 ; J. Pelissier, A. Supiot, A. Jeammaud, Droit du travail, Paris, Dalloz, 2004, p. 646 et s. 43 Sur cette ratification : J. M. Bendang Ebongue, Le Code du travail camerounais de 1992, analyse critique, Yaoundé, éditions SAAGRAPH, 1997, p. 157 et s.

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Les syndicats sont des organismes dotés de la personnalité morale avec la capacité de contracter et d’ester en justice. Les personnes qu’elles mandatent pour les représenter dans les négociations qu’on appelle délégués syndicaux, sont les représentants des salariés les plus aptes à négocier sans complexe et avec efficacité face aux employeurs ou leurs représentants pour plusieurs raisons. D’abord, l’inter catégorialité des syndicats leur confère plus d’indépendance. Ensuite, leur double casquette : à la fois salariés et membres d’une organisation syndicale, leur permet d’être plus aptes à appréhender les problèmes des salariés et des entreprises en les replaçant dans leur contexte et leur environnement44. On comprend pourquoi la doctrine souhaite qu’ils soient les seuls véritables représentants des salariés dans les négociations, même de celles portant sur les mesures alternatives au licenciement pour lesquels l’article 40 du Code du travail a attribué compétence exclusive aux délégués du personnel, à défaut aux salariés dans leur globalité45.

Le législateur ne leur a cependant attribué compétence que pour les seules

négociations concernant les salaires et les catégories professionnelles. En effet, d’après l’article 62 alinéa 2 du Code du travail, « les catégories professionnelles et les salaires y afférents sont fixés par voie de négociation dans le cadre des conventions collectives ou des accords d’établissement ». L’article 52 précise que ces accords sont conclus entre les représentants d’un ou plusieurs syndicats ou d’une union de syndicats de travailleurs et les représentants d’une ou de plusieurs organisations syndicales d’employeurs ou de tout autre groupement d’employeurs ou un ou plusieurs employeurs pris individuellement. La lecture de ces textes laisse penser qu’au moins, au niveau de la négociation portant sur les salaires et les catégories professionnelles, les salariés ont de bons négociateurs.

Pour autant, peut-on dire que dans ce domaine les salariés camerounais

ont depuis la réforme des représentants capables de négocier sans pression, de manière à garder une totale indépendance vis-à-vis des employeurs ? La réponse positive suppose une liberté syndicale et une pluralité syndicale. Le Code du travail les garantissent-ils ?

44 Cf. P.G. Pougoué, Le petit séisme du 14 août 1992, op. cit. p. 30. 45 J. Cl. Nchimi, La négociation en droit du travail camerounais, op. cit. ; P.G. Pougoué et J.M. Tchakoua, Le difficile enracinement de la négociation collective en droit du travail, Bulletin de Droit comparé de Travail et de la Sécurité sociale 1999, op. cit.

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En reconnaissant aux travailleurs et aux employeurs sans restriction d’aucune sorte et sans autorisation préalable, le droit de créer librement des syndicats professionnels, l’article 3 du Code du travail pose clairement le principe de la liberté syndicale que viennent renforcer les articles 4 et 5 relatifs à la liberté d’affiliation. Malgré cette liberté proclamée, les syndicats sont rares au Cameroun. Certains imputent cette rareté à la dure répression syndicale ayant existé avant et peu après l’Indépendance ainsi qu’au long monolithisme syndical qui n’a pris fin qu’après l’adoption du nouveau Code46. Nous pensons, pour notre part, qu’une explication se trouve dans l’article 6 du Code qui dispose : « Un syndicat professionnel n’a d’existence légale qu’à partir du jour où un certificat d’enregistrement lui est délivré par le greffier des syndicats ; les promoteurs d’un syndicat non encore enregistré qui se comporteraient comme si ledit syndicat avait été enregistré sont passibles de sanction judiciaires ». Grâce à ce texte, qui paralyse la liberté syndicale proclamée par l’article 3 du Code, les pouvoirs publics gardent un contrôle strict sur les syndicats47. On comprend la rareté des syndicats. Si on y ajoute l’absence de structure syndicale et l’absence de protection des représentants syndicaux contre les actes du chef d’entreprise, on comprend que la représentation des salariés dans la négociation qui est de leur compétence reste un vœu. Cette lacune ne permet pas de rétablir l’équilibre rompu par la subordination et réduit la protection des salariés tout comme la difficulté d’accès des représentants des salariés aux informations permettant de négocier.

46 P.G. Pougoué et J.M. Tchakoua, Le difficile enracinement de la négociation collective en droit du travail camerounais, op. cit. p. 198 et s. 47 On a fait observer que sur ce point le Code du travail camerounais marque un recul par rapport à la période coloniale au cours de laquelle un syndicat avait une existence légale dès que ses statuts étaient déposés à la mairie. Cf. P.G. Pougoué, Nouveaux enjeux du droit du travail en Afrique noire francophone et dynamique syndicale, Droit syndical et droits de l’homme à l’aube du 21ème siècle, Mélanges en l’honneur du professeur Jean - Maurice Verdier, Paris, Dalloz, 2001, p. 127 et s. Cette attitude n’est pas isolée en Afrique ; Moussa Samb écrit : « Même si les normes en vigueur en Afrique reconnaissent la liberté syndicale et le droit à la négociation collective, les États développent une politique répressive hostile au mouvement syndical et adoptent des règles restrictives à l’exercice du droit de grève, contraires aux normes des conventions n° 87 et 89 de l’OIT ratifiées dans ces États » (Cf. Réformes et réception des droits fondamentaux du travail au Sénégal, op. cit. p. 152).

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B - La difficulté d’accès des représentants des salariés aux informations permettant de négocier

Outre l’indépendance des parties les unes envers les autres, une

négociation ne peut être menée avec efficacité et équité que si chacun des protagonistes a accès aux informations lui permettant de se prononcer en connaissance de cause. Si la question ne se pose pas pour les employeurs qui sont détenteurs des informations et ont aussi les moyens de s’en procurer, elle est cruciale pour les représentants des salariés ; ceux-ci ne peuvent efficacement négocier que s’ils ont un minimum d’information sur la situation économique et sociale de l’entreprise.

En France, pays qui a souvent servi de modèle à la construction du droit

camerounais, la question a été très tôt résolue par l’obligation imposée à l’employeur d’informer le comité d’entreprise48 sur l’évolution de la situation économique et comptable de l’entreprise49 . Le comité y a reçu le droit de recourir à des experts pour analyser les comptes et apprécier la situation économique et sociale de l’entreprise50. Cette obligation mise à la charge de l’employeur permet aux représentants de mener des négociations équilibrées et efficaces.

On cherche en vain dans les textes camerounais des indices du droit

d’accès des salariés ou de leurs représentants aux informations sur la situation économique et sociale de l’entreprise leur permettant de négocier. Réalisant cette lacune, certains auteurs ont suggéré l’institution à la charge de l’employeur d’une obligation d’information des représentants du

48 Instance de représentation des salariés dont l’objet est d’assurer leur expression collective et la mission « de permettre la prise en compte permanente de leurs intérêts » dans les décisions relatives à la gestion, à l’évolution économique et financière de l’entreprise, à l’organisation du travail, à la formation professionnelle et aux techniques de production. 49 D’après l’article L. 432-4 du Code du travail français, le comité d’entreprise reçoit communication des documents comptables établis par les entreprises et des rapports des commissaires aux comptes des sociétés commerciales et de l’ensemble des documents transmis annuellement à l’assemblée générale des actionnaires et à l’assemblée des associés. 50 J. Pelissier, A. Supiot et A. Jeammaud, Droit du travail, 22ème éd. Paris, Dalloz, 2002, n° 739 et s. p. 862 et s.

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personnel51. L’idée est importante, mais il nous semble qu’elle ne peut être efficacement mise en œuvre que si on ne perd pas de vue le risque que l’employeur délivre des informations erronées. L’obligation d’information doit être complétée par l’octroi des pouvoirs économiques aux représentants des salariés et surtout la reconnaissance à ceux-ci du droit de contrôler la véracité des informations mises à leur disposition par l’employeur.

En attendant cette réforme, il faut prendre acte de ce que le législateur, en

instaurant une négociation obligatoire sur des aspects fondamentaux de la relation de travail sans s’assurer de la possibilité effective pour les salariés d’ y participer efficacement, a renoncé à rétablir l’équilibre permettant une négociation équilibrée et de manière incidente assuré la protection de l’employeur.

Conclusion

En faisant de l’intérêt de l’entreprise une référence fondamentale du Code

du travail, le législateur de 1992 souhaitait, tout au moins dans le domaine des relations de travail, rompre avec la logique de protection au profit de celle de conciliation des intérêts antagonistes52. On se serait attendu à ce que dans la mise en œuvre concrète de cet objectif, il corrige l’écart créé par les précédents codes qui faisaient de la protection des salariés leur priorité, en concédant quelques droits supplémentaires à l’employeur. Mais, renonçant à cette démarche, le nouveau code a plutôt procédé à une réduction des droits des salariés accompagnée d’un excessif renforcement des pouvoirs managériaux de l’employeur. On est loin des préoccupations ayant conduit à la naissance du droit social et, dès lors, peut se poser la question du maintien en l’état de ce Code.

51 P.G. Pougoué et J.M. Tchakoua, Le difficile enracinement de la négociation collective en droit du travail camerounais, op. cit. p. 204 et s. 52 J. C. Nchimi, La négociation en droit du travail camerounais, R.J.A. 1992, p. 115 et s.

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Nouri Mzid Doyen de la Faculté de Sfax

Droit de la sécurité sociale et emploi :

l’exemple tunisien Abstract Throughout the world, the need for relevant labour law policies has become one of the essential parameters of social legislation in order to create a safeguard against the harmful effects of dehumanised globalisation. Based on the Tunisian example, this article analyses how the right to social security, in conjunction with the right to work and the right to professional training, is increasingly influenced by this need, in light of far-reaching changes in traditional jobs and mechanisms. The Tunisian social security law has always benefited from state policies to promote employment and numerous incentive mechanisms, especially those targeting categories of people who suffer from a very selective labour market (the handicapped, young people looking for their first job, higher education graduates, etc.). Changes in the Tunisian social security law have also led to the creation of new functions linked to social assistance for people made redundant for reasons beyond their control. This is accompanied by payment of wage claims owed to people dismissed from their job for economic redundancy by the social security system, as well as providing minimum social cover for these employees thanks to assistance mechanisms compensating for the breakdown in the employment insurance system in Tunisia. Résumé Partout, les exigences des politiques de l’emploi sont devenues, aujourd’hui, l’un des paramètres essentiels de la législation sociale sollicitée dans sa fonction de garde-fou contre les effets néfastes d’une mondialisation déshumanisée. Ainsi, à travers l’exemple tunisien, cet article vise à analyser comment le droit de la sécurité sociale, agissant en synergie avec le droit du travail et le droit de la formation professionnelle, est de plus en plus marqué par cette exigence de l’emploi, impliquant des changements profonds qui affectent ses fonctions et mécanismes traditionnels. En effet, d’une part, le droit tunisien de la sécurité sociale n’a cessé de subir l’attraction de la politique étatique de promotion de l’emploi, par des mécanismes d’incitation multiples s’adressant particulièrement à des catégories de personnes qui souffrent de la sélectivité très poussée du marché du travail ( personnes handicapées, jeunes primo demandeurs d’emploi, diplômés de l’enseignement supérieur, ...). D’autre part, les mutations du droit de la sécurité sociale en Tunisie se manifestent aussi à travers l’émergence de nouvelles fonctions liées à l’assistance sociale des personnes exclues de leur emploi pour des motifs indépendants de leur volonté. Cette tendance se traduit essentiellement par l’institution d’un système de prise en charge, par la Caisse de sécurité sociale, des créances salariales dues aux salariés licenciés pour motif économique, ainsi que l’institution d’une couverture sociale minimale en faveur de ces salariés, par des mécanismes d’assistance venant atténuer la défaillance d’un système d’assurance-chômage en droit tunisien.

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Nouri Mzid

Bulletin de droit comparé du travail et de la sécurité sociale 2006 24

Le droit de la sécurité sociale est avant tout un droit de la solidarité. En effet, cette notion annoncée aujourd’hui par la constitution comme l’une des valeurs qui doivent être ancrées par l’État et la société1, a toujours été, et reste encore, au cœur du droit de la sécurité sociale.

De ce point de vue, la sécurité sociale ne doit pas être conçue simplement

comme une charge économique, mais surtout comme « un ensemble de mécanismes de solidarité collective fondés sur une redistribution des revenus »2. Par cette finalité, le droit à la sécurité sociale se présente aujourd’hui comme l’une des composantes indissociables de l’ensemble des droits de l’homme3.

Cette affirmation est d’autant plus actuelle que les mutations profondes

engendrées par la privatisation et la libéralisation des échanges à l’échelle nationale et internationale ont rendu la sécurité sociale plus que jamais sollicitée dans sa fonction de garde-fou contre les effets néfastes d’une mondialisation déshumanisée.

Traditionnellement, la sécurité sociale est définie par référence à la notion

de « risques inhérents à la nature humaines »4 tels que la maladie, la vieillesse, l’invalidité, le décès, etc.5 Or, aujourd’hui, la sécurité sociale est de plus en plus confrontée à d’autres risques liés à la sélectivité du marché du travail et à la précarité de l’emploi. Ces risques qui sont essentiellement

1 L’article 5 de la constitution, tel que modifié par la loi constitutionnelle n° 2002-51 du 1er juin 2002, annonce que « l’État et la société ouvrent à ancrer les valeurs de solidarité, d’entraide et de tolérance entre les individus, les groupes et les générations ». 2 A. Euzéby, Sécurité sociale : une solidarité indispensable, Revue internationale de sécurité sociale, vol.50, 3/97, p. 3. 3 Cf. J. Rivéro, Sécurité sociale et droits de l’homme, Rev. Fr. des affaires sociales, juillet-septembre 1985, p. 37. 4 Article 1er de la loi n° 60-30 du 14 décembre 1960 relative à l’organisation des régimes de sécurité sociale. 5 Cf. A. Mouelhi, Droit de la sécurité sociale, 2ème éd. Tunis 2005. Du même auteur : Modèles et logiques de la couverture sociale en droit tunisien, th. Bordeaux I, 1989.

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Droit de la sécurité sociale et emploi : l’exemple tunisien

Bulletin de droit comparé du travail et de la sécurité sociale 2006 25

économiques, du point de vue de leurs causes, ont des répercussions sociales évidentes6.

En effet, il n’est pas excessif de dire que le chômage et le sous-emploi

sont devenus aujourd’hui les principaux facteurs qui menacent la stabilité et la cohésion sociale. « Le clivage social est de moins en moins entre le capital et le travail et de plus en plus entre ceux qui travaillent et bénéficient d’un revenu stable et ceux qui sont sous-employés ou en chômage »7.

L’exigence de l’emploi est devenue alors l’un des paramètres essentiels

de la législation sociale8. Elle constitue l’élément moteur de la politique sociale dans tout pays ayant opté pour un développement économique à visage humain.

« Un homme n’est pas pauvre parce qu’il n’a rien, mais parce qu’il ne

travaille pas »9. Cette citation de Montesquieu traduit l’idée que l’emploi est conçu comme un facteur de dignité de la personne10. Il contribue à dessiner ce qui fait l’ « humanité » de l’homme, et constitue le socle qui lui permet d’être reconnu ; le fondement de sa citoyenneté sociale.

En réalité, l’emploi est beaucoup plus que la simple justification d’un

salaire. Il ne désigne pas seulement un objet d’échange, mais surtout un statut professionnel. Sous ce sens, la notion d’emploi se présente comme la traduction d’un lien étroit entre le travail et la sécurité des personnes11. Ainsi, à travers les mécanismes de la sécurité sociale, l’emploi inscrit son

6 Sur l’impact de la crise économique sur la sécurité sociale, voir : T.P. Dumont, L’impact de la crise économique sur les systèmes de protection sociale, éd. Economica 1987, E. Bouslah, Crise de la sécurité sociale et insécurité, R.T.D. 2004, p. 235. 7 M. Ennaceur, Le devenir du travail dans un monde en mutations, Revue tunisienne de Droit social, n° 9, 2004, p. 23. 8 Cf. N. Mzid, Du droit du travail au droit de l’emploi, Etudes juridiques n° 8, p. 115. Voir aussi la revue Travail et développement ; n° 18-19, 2000 (n° spécial sur le thème : législation sociale et emploi). 9 Montesquieu, L’esprit des lois, Flammarion, 1979, p. 134-135. 10 Cf. D. Asquinazi-Bailleux, Droit à l’emploi et dignité, Ethique, Droit et dignité de la personne, Mélanges Christian Bolze, éd. Economica, 1999, p. 123. 11 Cf. A. Supiot, Du bon usage des lois en matière d’emploi, Droit social, 1997, p. 238.

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titulaire dans une solidarité financière face aux risques d’altération de sa capacité de gain.

Il n’est pas étonnant alors de constater que le droit de la sécurité sociale,

agissant en synergie avec le droit du travail et le droit de la formation professionnelle, est de plus en plus tourné vers la promotion de l’emploi et la protection des travailleurs face au risque du chômage. En effet, le droit de la sécurité ne s’adresse plus seulement aux salariés titulaires d’un emploi et bénéficiant d’un statut bien déterminé, mais aussi à ceux qui sont dépourvus d’un tel statut car ils n’ont pas encore eu la possibilité d’accéder à la vie professionnelle ou se trouvent exclus de leur travail pour un motif indépendant de leur volonté.

À cet égard, on a pu parler d’une « instrumentalisation » du droit de la

sécurité sociale par la politique étatique en matière d’emploi12. Il en découle une rénovation du système de sécurité sociale qui se traduit par des changements profonds affectant à la fois ses fonctions et les mécanismes qu’il institue pour les réaliser. Ainsi, le système de sécurité sociale ne repose plus seulement sur la notion d’assurance établissant un lien d’équivalence entre les cotisations payées et les prestations allouées aux assurés sociaux. Il est aussi animé par un esprit de solidarité en faveur des personnes qui risquent d’être exclues du domaine de la couverture sociale, étant exposées à des difficultés d’insertion professionnelle ou menacées de perdre leur emploi pour des raisons économiques.

Une double dimension peut ainsi être dégagée à travers l’analyse de

l’évolution du droit de la sécurité sociale à l’épreuve des problèmes de l’emploi; celle d’inciter à l’accès à l’emploi, d’une part (I) et celle d’instituer une protection sociale en faveur des personnes exclues de leur emploi, d’une autre part (II).

12 Cf. A. Moulhi, Le droit de la sécurité sociale à l’épreuve des problèmes de l’emploi, Revue Travail et Développement, n° 18-19, 2000, p.19 ; R. Achour, La sécurité sociale et l’emploi, mém. master en droit des affaires, Faculté de Droit et des Sciences économiques et politiques de Sousse, 2004-2005.

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Bulletin de droit comparé du travail et de la sécurité sociale 2006 27

I - L’incitation à l’emploi par le droit de la sécurité sociale Dans une conjoncture économique marquée par le phénomène du

chômage, la législation sociale est de plus en plus « instrumentalisée » en vue de promouvoir l’emploi. Cette tendance générale marque aussi bien le droit du travail que le droit de la sécurité sociale. Elle s’exprime par un ensemble de techniques juridiques portant encouragement à l’emploi, se traduisant par des mesures multiples et variables.

Certaines techniques sont d’ordre général, en ce sens qu’elles ne

s’adressent pas à une catégorie particulière de demandeurs d’emploi (A). D’autres techniques sont spécifiques, s’adressant à certaines catégories de demandeurs d’emploi exposés à des difficultés particulières d’insertion ou de réinsertion sur le marché du travail. On peut les qualifier de techniques ciblées d’incitation à l’emploi (B).

A - Les techniques d’incitation à l’emploi à caractère général

On a souvent accusé la sécurité sociale d’être un obstacle à l’emploi à

cause du système de son financement reposant essentiellement sur des cotisations assises sur les salaires13. Ces cotisations sont souvent considérées par les chefs d’entreprise comme étant des charges sociales très lourdes. Elles risquent d’affaiblir la compétitivité de l’entreprise et d’avoir ainsi une incidence négative sur sa capacité d’embauche14.

13 Voir les dispositions de l’article 42 de la loi n° 60-30 du 14 décembre 1960 relative à l’organisation des régimes de sécurité sociale. Notons que, selon le régime général de sécurité sociale, applicable aux salariés du secteur privé, le taux des cotisations sociales est fixé actuellement à 23,75 % du salaire. À cela s’ajoute un taux de cotisation relative au régime des accidents du travail et des maladies professionnelles qui varie selon les secteurs d’activité entre 0, 4 % et 4 % (v. le décret n° 95-538 du 1er avril 1995, modifié par le décret n° 99-1010 du 10 mai 1999). 14 Cf. A. Euzéby, Les charges sociales et l’emploi : allègement ou rationalisation ?, Revue internationale du travail, vol. 134, n° 2, 1995 p. 249 ; du même auteur : L’allègement des charges sociales patronales ; quel espoir pour l’emploi ?, Dr. soc. 2000 p. 368. V. aussi, H. Amouri, L’incidence des cotisations patronales de sécurité sociale sur l’emploi : faux problèmes ou vrai enjeu ? Rev. tunisienne de droit social, n° 10, 2004, p. 129.

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Pour cette raison, l’allègement de ces charges sociales a toujours été présenté comme l’une des principales revendications patronales en matière de politique sociale.

En réponse à cette revendication, le législateur est intervenu, d’abord,

pour introduire plus de souplesse dans les dispositions de l’article 42 de la loi n° 60-30 du 14 décembre 1960. Cet article, dans sa version ancienne, définissait de façon très rigide l’assiette des cotisations sociales, en prévoyant que toutes les sommes directes ou indirectes, en espèces ou en nature, perçues par les salariés sont soumises à cotisations, à l’exception des dommages-intérêts accordés judiciairement à l’occasion de la rupture du contrat de travail. Faisant l’objet d’une modification en 199515, l’article 42 (nouveau) prévoit désormais la possibilité d’exclure certains éléments de l’assiette des cotisations, dans un esprit d’alléger les charges sociales des entreprises. En effet, cet article dispose que « … sont entièrement ou partiellement exclus de l’assiette de cotisations les avantages revêtant un caractère de remboursement de frais, d’indemnisation ou d’action sociale, culturelle et sportive au profit du salarié. La liste des avantages exclus de l’assiette des cotisations, ainsi que les taux et plafonds d’exemption sont fixés par décret ».

En application de cette disposition, les textes se sont succédés pour

arrêter la liste des éléments exclus de l’assiette des cotisations, en élargissant chaque fois d’avantage cette liste16.

Par ailleurs, la quote part patronale aux régimes de sécurité sociale a été

réduite de deux points en vertu de la loi n° 97-4 du 3 février 1997. Cette même loi a prévu la possibilité d’une réduction du taux de cotisation au profit des employeurs « qui assurent à leurs salariés ainsi qu’à leurs ayants droit une couverture totale ou partielle des soins de santé dans le cadre d’un régime conventionnel »17.

15 Loi n° 95-101 du 27 novembre 1995. 16 Le premier décret pris en la matière était le décret n° 96-341 du 6 mars 1996. Il a été modifié par le décret n° 99-1011 du 10 mai 1999, avant d’être abrogé et remplacé par le décret n° 2003-1098 du 19 mai 2003. 17 Article 1er de la loi n° 97-4 du 3 février 1997 ayant modifié l’article 41 de la loi n° 60-30 du 14 décembre 1960. Voir en application de cette disposition, le décret n° 97-1645 du 25 août 1997.

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Outre l’allègement des charges sociales, d’autres mesures d’incitation indirecte à l’emploi sont consacrées par le droit de la sécurité sociale, consistant surtout à agir sur le volume d’emploi existant. Dans ce cadre, on peut mentionner notamment les restrictions relatives à l’emploi des retraités. Ainsi, les agents soumis au droit de la fonction publique sont, en principe, tenus de quitter leur fonction à l’âge de la retraite, fixé normalement à 60 ans, et ne peuvent être maintenus en activité au delà de cet âge qu’exceptionnellement, par décret pris à la lumière d’un rapport motivé du ministère de tutelle18. Quant aux salariés du secteur privé, la loi a prévu un régime plus souple qui laisse à l’assuré social la possibilité d’être maintenu en activité au delà de l’âge de 60 ans, en exigeant éventuellement l’homologation de l’inspection du travail. Mais dans tous les cas, le bénéfice du droit à la retraite est subordonné à la condition de l’arrêt de l’activité professionnelle par le salarié19.

Pour consolider les restrictions relatives à l’emploi des retraités, la loi

n° 87-8 du 6 mars 1987 est venue interdire le cumul entre la pension de retraite et tout revenu permanent sous forme de salaire ou traitement20. L’objectif est clair : il s’agit de libérer des postes d’emploi qui étaient occupés par des personnes âgées en vue de promouvoir l’emploi des jeunes. Cet objectif traduit dans une certaine mesure l’idée de partage de travail en vue d’une régulation du marché de l’emploi par une redistribution du revenu salarial.

Mais les techniques indirectes d’incitation à l’emploi restent souvent peu

efficaces, notamment lorsqu’il s’agit de soutenir l’insertion professionnelle de certaines catégories de demandeurs d’emploi qui souffrent de la sélectivité très poussée du marché du travail. Pour cette raison, le droit de la sécurité sociale a tendance à intervenir de manière ciblée, par des techniques directes portant encouragement à l’emploi de ces personnes.

18 Voir les dispositions de la loi n° 85-12 du 5 mars 1985 portant régime des pensions civiles et militaires de retraite et des survivants dans le secteur public. 19 Articles 14 et 15 de la loi n° 60-30 du 14 décembre 1960. 20 La loi prévoit, toutefois, certaines exceptions à la règle de l’interdiction de cumul entre la pension de retraite et le revenu professionnel. Voir à ce sujet le décret n° 87-338 du 6 mars 1987 pris en application de cette loi.

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B - Les techniques ciblées d’incitation à l’emploi

Parmi les personnes qui sont souvent pénalisées par la sélectivité du marché du travail, on doit mentionner en premier lieu les personnes handicapées. Le législateur leur accorde une attention particulière en vue de faciliter leur insertion professionnelle21. A ce niveau aussi, il procède par la technique d’exonération du versement des charges sociales patronales, comme moyen d’incitation à l’emploi des handicapés. Cette exonération peut être partielle ou totale, selon le degré d’handicap22.

D’autres techniques ciblées s’adressent aux jeunes primo-demandeurs

d’emploi dont l’insertion professionnelle est surtout facilitée par des incitations financières multiples, à travers des contrats de formation et d’adaptation professionnelle réglementés par un arsenal juridique spécifique.

Ainsi, par exemple, en matière d’apprentissage, la loi prévoit que

l’indemnité allouée par l’entreprise à l’apprenti, pendant la durée du contrat, est totalement exonérée des prélèvements au titre de la sécurité sociale23. En outre, l’assurance contre les accidents de travail et les maladies professionnelles des apprentis est prise en charge par l’État et financée par le fonds des accidents du travail24. Du reste, en cas de recrutement de l’apprenti 21 Voir les dispositions de la loi n° 2005-83 du 15 août 2005 relative à la promotion et à la protection des personnes handicapées. Cette loi, ayant abrogé et remplacé la loi n° 81-46 du 29 mai 1981, a prévu un ensemble de dispositions favorisant l’emploi des personnes handicapées. A cet effet, elle dispose que « toute entreprise publique ou privée employant habituellement 100 travailleurs et plus, est tenue de réserver un taux de 1 % au moins des postes de travail à des personnes handicapées munies de la carte d’handicapé « (Art. 30). 22 Article 34 de la loi n° 2005-83 du 15 août 2005. En application des dispositions de cette loi, l’article 9 du décret n° 2005-3087 du 29 novembre 2005 a fixé comme suit les taux d’exonération : - la moitié des contributions patronales pour la personne porteuse d’un handicap léger. - les 2/3 des contributions patronales pour la personne porteuse d’un handicap moyen. - la totalité des contributions patronales pour la personne porteuse d’un handicap profond. 23 Article 24 de la loi n° 93-10 du 17 février 1993 portant loi d’orientation de la formation professionnelle. 24 Article 27 de la loi précitée du 17 février 1993.

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en tant que salarié, à l’issue de son contrat d’apprentissage, l’entreprise bénéficie d’une exonération de la contribution patronale au titre des cotisations sociales durant une année25.

De même, les entreprises qui accueillent des jeunes en stage d’insertion

professionnelle, dans le cadre d’un contrat emploi-formation ou d’un contrat de stage d’initiation à la vie professionnelle, bénéficient d’une exonération de la contribution patronale aux titres des cotisations sociales durant le stage.

Ces jeunes stagiaires sont couverts par le régime de sécurité sociale

applicable aux étudiants tel que défini par la loi n° 65-17 du 28 juin 1965, nonobstant la limite d’âge prévue par cette loi26. Ils sont couverts, en outre, par le régime de réparation des accidents du travail et des maladies professionnelles. Les prestations dues dans le cadre de ce régime sont prises en charge par le fonds des accidents du travail et des maladies professionnelles27. Enfin pour inciter au recrutement de ces jeunes en tant que salariés au terme de leur stage, la loi prévoit en faveur de l’entreprise une exonération de la contribution patronale au titre des cotisations sociales pendant deux ans lorsque le recrutement est effectué après un stage accomplis dans le cadre d’un contrat emploi-formation, et pendant une année si le recrutement est effectué après un stage d’initiation à la vie professionnelle28. Mais le taux d’insertion professionnelle des jeunes stagiaires à l’issue de leur période de stage reste relativement limité29, et il

25 Article 1er de la loi n° 81-75 du 9 août 1981 relative à la promotion de l’emploi des jeunes, telle que modifiée et complétée par la loi n° 93-17 du 22 février 1993. 26 Article 1er al. 2 de la loi n° 88-6 du 8 février 1988 relative à la couverture des stagiaires en matière de sécurité sociale. 27 Article 1er al. 4 de la même loi. 28 Article 1er de la loi n° 81-75 du 9 août 1981 relative à la promotion de l’emploi des jeunes, modifiée et complétée par la loi n° 93-17 du 22 février 1993. Pour consolider cet objectif lié au recrutement des stagiaires, le décret n° 93-1049 du 3 mai 1993 a prévu que l’accueil de nouveaux stagiaires par une entreprise est subordonné à la condition que cette entreprise recrute, parmi ces stagiaires, un nombre correspondant au moins à un taux fixé par arrêté du ministre chargé de l’emploi. (Art. 10). Ce taux est actuellement fixé à 25 % de l’ensemble des jeunes ayant terminé leur stage dans l’entreprise au cours des trois dernières années (Art. 2 de l’arrêté du 15 juin 1995). 29 Ce taux se situe généralement entre 60 et 70 %. Cf. N. Mzid, Le cadre juridique de l’insertion professionnelle des diplômés de l’université, Insertion professionnelle

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Bulletin de droit comparé du travail et de la sécurité sociale 2006 32

s’agit souvent d’une « insertion » temporaire sous forme de contrats de travail à durée déterminée.

Tenant compte des limites du modèle d’insertion professionnelle par les

techniques de pré-emploi, notamment pour les diplômés de l’université, le législateur a prévu en faveur de ces derniers d’autres mesures d’emploi assisté. Ces mesures impliquent une prise en charge par l’État, partiellement ou totalement, de la contribution patronale des cotisations sociales.

Ainsi, le code d’incitations aux investissements dispose qu’en vue

d’améliorer l’encadrement des entreprises et d’assurer une meilleure utilisation de leur capacité de production, l’État peut prendre en charge, durant une période de cinq ans, 50 % de la contribution patronale au régime légal de sécurité sociale. Cette mesure s’applique au titre des recrutements effectués dans le cadre des équipes de travail nouvellement créées et parmi les diplômés de l’enseignement supérieur30.

L’article 43 bis du même code, tel que modifié par la loi de finances pour

l’année 2005, prévoit aussi que les entreprises exerçant des activités relevant du code d’incitations aux investissements peuvent bénéficier, durant une période de sept ans, de la prise en charge par l’État de la contribution patronale au régime légal de sécurité sociale, au titre des nouveaux recrutements d’agents tunisiens titulaires d’un diplôme de l’enseignement supérieur, et ce à compter de la date de recrutement de l’agent pour la première fois31. Ces mesures s’appliquent aux nouveaux recrutements réalisés durant la période allant du 1er janvier 2005 au 31 décembre 200932.

des diplômés de l’université, ouv. collectif, coordonné par A. Ammous, A. Chaabane et A. Ghorbal, pub. Ardès et Fondation Friedrick Ebert, 2006, p. 194. 30 Article 43 du code d’incitations aux investissements. Voir le décret n° 94-493 du 28 février 1994 relatif à la détermination de la liste des activités de services bénéficiant des encouragements prévues par cet article. 31 Le taux de cette prise en charge est fixé comme suit : 100 % durant les deux premières années, 85 % durant la 3ème année, 70 % durant la 4ème année, 55 % durant la 5ème année, 40 % durant la 6ème année, et 25 % durant la 7ème année. 32 Article 20 de la loi de finances pour l’année 2005. Signalons que le décret n° 2005-1857 du 27 juin 2005 est venu fixer les modalités et les procédures d’application des dispositions de l’article 43 bis (nouveau) du Code d’incitations aux investissements.

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L’article 21 de la loi de finances pour l’année 2005 a prévu d’octroyer le même avantage, selon les mêmes conditions, au titre des nouveaux recrutements de diplômés de l’enseignement supérieur par les associations de développement, les associations autorisées à octroyer les micro crédits, les associations de diffusion de la culture numérique et les associations de soutien aux handicapés33.

Par ailleurs, dans le cadre des incitations au développement régional, la

loi a prévu une prise en charge par l’État de la contribution patronale au régime légal de sécurité sociale, durant cinq ans, au titre des salaires versés aux employés tunisiens, et ce à partir de la date d’entrée en activité effective pour les investissements réalisés dans les secteurs de l’industrie, du tourisme et des services34. Cette prise en charge de la contribution patronale est renouvelée pour une période supplémentaire de cinq ans lorsque ces investissements sont réalisés au titre du développement régional pour le tourisme saharien35, ainsi que pour les investissements réalisés dans les zones de développement régional prioritaires36.

Enfin, les salariés ayant perdu leur emploi pour des raisons économiques

ou technologiques ont aussi besoin d’une protection juridique ciblée en vue de faciliter leur réinsertion professionnelle. En effet, ces salariés sont souvent exposés à une double exclusion engendrée par l’impact des aléas économiques : être exclus de leur emploi pour un motif totalement indépendant de leur volonté et par là même être exclus du système de la couverture sociale. Cette situation très précaire a justifié l’intervention du législateur par des mesures spécifiques en vue de faciliter leur réinsertion professionnelle. À cet effet, la loi de finances pour l’année 2005 a prévu que les entreprises du secteur privé qui procèdent dans le cadre d’un contrat de réinsertion professionnelle au recrutement de salariés ayant perdu leur emploi pour des raisons économiques ou techniques ou suite à la fermeture définitive ou subite de l’entreprise, peuvent bénéficier pendant une année 33 Voir le décret n° 2005-1856 du 27 juin 2005 fixant les modalités d’application de l’article 21 de la loi de finances pour l’année 2005. 34 Article 25 du Code d’incitations aux investissements. 35 Ajouté par l’article 2 de la loi n° 99-4 du 11 janvier 1999. 36 Ajouté par l’article 19 de la loi de finances pour l’année 2005. Selon cet article, la prise en charge par l’État est fixée selon un taux dégressif comme suit : 80 % durant la 1ère année, 65 % durant la 2ème année, 50 % durant la 3ème année, 35 % durant la 4ème année, et 20 % durant la 5ème année.

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d’une double prise en charge par l’État : la prise en charge d’un taux de 50% du salaire versé à la recrue, dans la limite de 200 dinars par mois, et la prise en charge de la contribution patronale au titre du salaire alloué par l’entreprise à la recrue37.

Toutes ces mesures directes et indirectes d’incitation à l’emploi attestent

que le droit de la sécurité sociale, comme le droit du travail, n’a cessé de subir l’attraction de la politique étatique de promotion de l’emploi, ce qui a engendré parfois l’aménagement de ses fonctions traditionnelles et l’adaptation de ses principes contraignants en vue de faciliter l’insertion professionnelle des personnes concernées. Mais les mutations du droit de la sécurité sociale ne se limitent pas à cette attraction de la politique de promotion de l’emploi. Elles se manifestent aussi à travers d’autres fonctions nouvelles dictées par l’émergence de nouveaux besoins liés à l’assistance sociale des personnes privées de leur emploi.

II - L’intervention de la sécurité sociale pour l’assistance des personnes privées d’emploi

Si l’accès à l’emploi est considéré comme un facteur de dignité de la

personne humaine38, la perte de l’emploi constitue à l’évidence une source d’insécurité et d’exclusion sociale, menaçant tout salarié sous l’effet des mutations économiques et des contraintes du marché.

Mais la législation sociale ne laisse pas sans protection les travailleurs

privés de leur emploi pour des motifs économiques ou technologiques. À cet effet, la sécurité sociale est aussi sollicitée dans sa fonction du

garde-fou contre les effets néfastes de la perte de l’emploi due aux difficultés économiques aux quelles sont confrontées les entreprises. Cette fonction se traduit, essentiellement, par la prise en charge des créances salariales dues aux travailleurs licenciés pour des raisons économiques (A) ainsi que l’institution d’une couverture sociale minimale en faveur de ces travailleurs

37 Article 22 de la loi n° 2004-90 du 31 décembre 2004 portant loi de finances pour l’année 2005. 38 Cf. D. Asquinazi-Bailleux, op.cit.

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par des mécanismes d’assistance venant atténuer la défaillance d’un système d’assurance-chômage en droit tunisien (B).

A - La prise en charge des créances salariales par la sécurité sociale

La protection des créances salariales repose traditionnellement sur les

mécanismes de privilège et de super-privilège, institués par la loi en raison de la nature alimentaire de ces créances39. Mais cette garantie n’est pas toujours suffisante pour assurer efficacement le paiement des créances salariales. Pour cette raison, la loi n° 96-10 du 18 novembre 199640 est venue introduire un dispositif protecteur spécifique, en attribuant à la caisse nationale de sécurité sociale une fonction nouvelle ; celle de garantir le paiement des créances salariales dues aux travailleurs victimes de licenciement pour cause économique.

Mais cette nouvelle fonction attribuée à la caisse de sécurité sociale revêt

un caractère exceptionnel par rapport à sa fonction traditionnelle qui est la couverture des travailleurs et leurs familles contre les risques sociaux « inhérents à la nature humaine »41.

Aussi, l’intervention de la sécurité sociale dans ce domaine est- elle

tributaire de certaines conditions soulignant le caractère subsidiaire de cette fonction de prise en charge des créances salariales par la C.N.S.S42.

39 Sur ce sujet, voir : ناونعب يعامج مؤّلف نمض ،"ءارجألا زايتمإ" ،يشيشرفلا يبونملا ريشبلا .129.ص 2000 سنوت ،صاخلا يسنوتلا نوناقلا يف نيرشعلا نرقلا ريثأتVoir aussi : K. Baklouti, La protection juridique du salaire, mémoire DEA en droit des affaires, Faculté de Droit de Sfax, 1996-1997. 40 Cette loi a été modifiée et complétée par la loi n° 2002-24 du 27 février 2002. 41 Selon l’expression employée par l’article 1er de la loi n° 60-30 du 14 décembre 1960 relative à l’organisation des régimes de sécurité sociale. 42 Comme l’a précisé le décret n° 97-1926 du 29 septembre 1997 pris en application des dispositions de la loi n° 96-101 du 18 novembre 1996, les créances salariales susceptible d’être prises en charge par la CNSS concernent : les salaires et accessoires impayés, les congés payés non réglés, les préavis de licenciement et la gratification de fin de service dans la limite des sommes fixées conformément aux dispositions du Code du travail (Art. 5 nouveau du décret n° 97-1926 du 29 septembre 1997, tel que modifié par le décret n° 2002-887 du 22 avril 2002).

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Bulletin de droit comparé du travail et de la sécurité sociale 2006 36

En effet, ne peuvent bénéficier de cette prise en charge que les salariés licenciés pour des raisons économiques ou technologiques43. Peu importe le caractère régulier ou non du licenciement, puisque le législateur a élargi, depuis 2002, le domaine d’intervention de la caisse aux travailleurs ayant perdu leur emploi suite à « la fermeture définitive et inopinée de l’entreprise sans respect des procédures prévues au Code du travail »44.

Par ailleurs, le législateur exige que l’entreprise soit en état de cessation

de paiement. L’article 2 (nouveau) de la loi du 18 novembre 1996 dispose, en effet, que « la caisse nationale de sécurité sociale prend en charge les indemnités dues aux travailleurs ainsi que les droits légaux leur revenant, au cas où il est établi qu’ils ne peuvent recouvrer les sommes qui leurs sont dues en raison de cessation de paiement de l’entreprise ». Cette condition implique que l’entreprise se trouve dans l’incapacité de faire face à son passif par son actif disponible45.

Le décret n° 97-1926 limite encore d’avantage le domaine de la prise en

charge des créances salariales par la sécurité sociale. En effet, aux termes de l’article 2 (nouveau) de ce décret, « l’intervention de la caisse nationale de sécurité sociale se limite aux cas suivants :

- la faillite de l’entreprise - la fermeture définitive de l’entreprise et l’inexistence d’un actif

suffisant susceptible de couvrir ses dettes - la liquidation de l’entreprise par la voie judiciaire ou en vertu

d’une décision administrative avec constat des difficultés de cession de son patrimoine de nature à retarder le règlement des indemnités et des droits dus aux travailleurs ».

43 Article 2 de la loi n ° 96-101 du 18 novembre 1996. Mais le domaine d’intervention de la CNSS ne couvre pas les travailleurs licenciés par les entreprises publiques habilitées à bénéficier de l’intervention du fonds de restructuration des entreprises publiques. (Art. 2 nouveau du décret n° 97-1926 du 29 septembre 1997). 44 Article 2 (nouveau) de la loi n° 96-101 du 18 novembre 1996. 45 Selon l’article 18 al. 2 (nouveau) de la loi n° 95-34 du 17 avril 1995 relative au redressement des entreprises en difficultés économiques, telle que modifiée par la loi n° 2003-79 du 29 décembre 2003 : « est considérée en état de cessation de paiement (…) notamment toute entreprise qui se trouve dans l’impossibilité de faire face à son passif exigible avec ses liquidités et actifs réalisables à court terme ».

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Droit de la sécurité sociale et emploi : l’exemple tunisien

Bulletin de droit comparé du travail et de la sécurité sociale 2006 37

Les cas mentionnés sont déterminés d’une manière limitative, ce qui semble exclure l’intervention de la CNSS dans d’autres cas dans lesquels les salariés peuvent être licenciés pour des raisons économiques, tels que les cas de rupture du contrat de travail en période d’observation ou lors de l’élaboration d’un plan de redressement.

Du reste, le montant de la créance salariale, légalement dû et impayé, ne

sera pris en charge par la caisse qu’à la condition de « faire l’objet d’un jugement ayant acquis la force de la chose jugée régulièrement notifiée »46. Cette condition a été ajoutée par le décret n° 2002-887 du 27 avril 2002 ayant modifié le décret n° 97-1926 du 29 septembre 1997. Dans sa version initiale, l’article 5 de ce décret prévoyait une solution plus souple selon laquelle la créance salariale est prise en charge par la CNSS du moment où elle a fait « l’objet d’une décision définitive de justice régulièrement notifiée ou d’un procès verbal de l’accord établi par l’inspection du travail ou d’un procès verbal de la réunion de la commission de contrôle du licenciement formellement reconnu et accepté ». La modification apportée à l’article 5 du décret du 29 septembre 1997 confirme le caractère exceptionnel de l’intervention de la CNSS dans ce domaine. Mais la solution consacrée par cet article depuis sa modification en 2002 n’encourage pas les parties à mettre fin à leur conflit par un accord à l’amiable devant l’inspection du travail ou la commission de contrôle du licenciement, ce qui risque de prolonger la procédure et alourdir le fardeau des tribunaux.

Or, le caractère alimentaire des créances salariales exige normalement de

simplifier au maximum la procédure de leur prise en charge par la CNSS. Si les conditions requises sont remplies, la CNSS est tenue de prendre en

charge le paiement des créances salariales. Mais ce paiement ne doit pas dispenser l’employeur d’être toujours débiteur des montants pris en charge par la caisse. C’est la raison pour laquelle, celle-ci « est subrogée aux travailleurs dans leurs droits vis-à-vis de l’entreprise débitrice »47. Cette subrogation entraîne un effet translatif : dès le paiement, la créance due au salarié est transmise avec ses garanties et ses accessoires à la CNSS48. 46 Article 5 (nouveau) du décret n° 97-1926 du 29 septembre 1997. 47 Article 3 de la loi n° 96-101 du 18 novembre 1996. 48 L’article 4 de la loi n° 96-101 du 18 novembre 1996 précise que les créances de la CNSS en la matière bénéficient du privilège accordé aux salariés en vertu de la législation en vigueur.

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Nouri Mzid

Bulletin de droit comparé du travail et de la sécurité sociale 2006 38

La fonction de garantie des créances salariales attribuée à la CNSS

semble se justifier surtout par la finalité sociale de cette institution et par les prérogatives exceptionnelles dont elle dispose pour le recouvrement de ses créances par le moyen des états de liquidation49.

Mais la diversification des fonctions de la sécurité sociale face aux

problèmes d’insécurité de l’emploi ne se limite pas à ce rôle en tant qu’organe d’assurance chargé de garantir le paiement des créances salariales des personnes victimes de licenciement économique. Elle se traduit aussi par l’intervention de la sécurité sociale pour garantir une couverture sociale minimale en faveur de ces personnes se trouvant en chômage indépendamment de leur volonté.

B - L’institution d’une couverture sociale minimale en faveur des personnes privées d’emploi

Le droit de la sécurité sociale s’est préoccupé depuis longtemps des

conséquences fâcheuses aux quelles sont exposés les salariés en cas de perte d’emploi. Ainsi, il a institué, en 1982, un système de retraite anticipée en faveur des personnes victimes de licenciement pour cause économique50.

Mais, contrairement à d’autres pays où le chômage est considéré comme

un risque couvert par la sécurité sociale, le droit tunisien n’a pas prévu en faveur de ces personnes un système d’assurance-chômage.

49 Dès versement des sommes dues aux salariés, la CNSS procède à l’émission d’une mise en demeure à l’encontre de l’entreprise débitrice à l’effet de régulariser sa situation dans un délai de 15 jours. A défaut de paiement des sommes dues, la caisse émet à l’encontre de cette entreprise des états de liquidation rendus exécutoires par le ministre des Affaires sociales. Ces états de liquidation sont exécutoires nonobstant opposition (article 4 de la loi n° 96-101 du 18 novembre 1996 et article 8 du décret n° 97-1926 du 29 septembre 1997). 50 Voir les dispositions de l’article 15 bis du décret n° 74-499 du 27 avril 1974 relatif au régime des pensions de vieillesse, d’invalidité et de survivants dans le secteur non agricole. Cet article a été ajouté par le décret n° 82-1030 du 15 juillet 1982. Voir aussi les dispositions de l’article 21-9 du Code du travail prévoyant la possibilité de départ à la retraite anticipée comme solution alternative au licenciement économique.

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Droit de la sécurité sociale et emploi : l’exemple tunisien

Bulletin de droit comparé du travail et de la sécurité sociale 2006 39

Cependant, la défaillance d’un tel système est aujourd’hui atténuée à travers des mécanismes d’assistance spécifiques aux salariés victimes de licenciement économique, sous forme de maintien des prestations familiales et du droit aux soins, d’une part, et éventuellement l’octroi d’aides sociales, d’autre part.

Le bénéfice des prestations familiales et des prestations de soins est

normalement conditionné par le paiement des cotisations sociales. Or, étant privé de son emploi et de son revenu professionnel, le salarié licencié ne cotise plus à la sécurité sociale et risque alors d’être privé des prestations accordées par celle-ci. Mais, le système moderne de sécurité sociale ne repose plus seulement sur la notion d’assurance qui établit un lien d’équivalence entre les cotisations payées et les prestations escomptées. Il est aussi animé part un esprit de solidarité en faveur des personnes appartenant à des catégories sociales vulnérables, comme c’est le cas des salariés victimes de licenciement pour cause économique.

Ainsi, aux termes de l’article 7 de la loi n° 96-101 du 18 novembre 1996,

« nonobstant les dispositions de la loi n° 60-30 du 14 décembre 1960, relative à l’organisation des régimes de sécurité sociales, le bénéfice des prestations de soins, des allocations familiales et de la majoration pour salaire unique est maintenu au profit des travailleurs régis par la loi susvisés et licenciés pour des raisons citées à l’article 2 de la présente loi, au titre des quatre trimestres suivant celui au cours duquel ils ont cessé leur activité ».

L’octroi de ces prestations est subordonné à la double condition que le

licenciement soit constaté par l’inspection du travail et que le travailleur concerné n’ait pas exercé au cours de l’année suivant son licenciement une activité assujettie à un régime de sécurité sociale ouvrant droit aux mêmes prestations51.

Quoi que précaire, le maintien de ces prestations de façon exceptionnelle

et non contributive atteste à l’évidence la volonté du législateur d’assurer un minimum de sécurité et d’assistance sociale en faveur des travailleurs involontairement privés de leur emploi, en attendant leur réembauchage.

51 Article 7 (nouveau) de la loi n° 96-101 du 18 novembre 1996.

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Nouri Mzid

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La fonction d’assistance sociale exercée par la CNSS en faveur des travailleurs licenciés pour cause économique se traduit aussi par l’institution d’une aide sociale qui peut être accordée à ces travailleurs52.

Le montant de cette aide, qui était fixé initialement à trois mensualités de

salaire, est actuellement plafonné à douze mensualités du salaire d’activité perçu53. Mais le salaire n’est pris en compte que dans la limite du salaire interprofessionnel garanti54.

Du reste, l’octroi de cette aide est subordonné à la réunion d’un ensemble

de conditions assez rigoureuses fixées par l’article 3 (nouveau) du décret n° 97-1925 du 29 septembre 1997. En effet, le bénéficiaire de l’aide doit avoir perdu son emploi pour motif économique ou fermeture définitive et inopinée de l’entreprise, sans bénéficier d’une réparation. Il doit avoir aussi une ancienneté dans son dernier emploi d’au moins trois années successives, et doit être inscrit au bureau de l’emploi durant un mois, au moins, sans qu’un d’emploi ne lui ait été offert. De même, il ne doit pas être titulaire d’une pension de retraite ou d’invalidité.

Ainsi, le législateur a voulu donner à l’octroi de l’aide mentionnée un

caractère exceptionnel, ce qui s’explique surtout par son souci de préserver l’équilibre financier de la caisse de sécurité sociale. Ce choix s’explique aussi par la nature de l’aide dont l’octroi n’est pas systématique, et qui ne constitue pas une allocation de chômage, mais une forme de soutien destiné à garantir d’urgence un revenu minimum à titre provisoire reposant sur la notion de besoin et non celle de risque à assurer.

52 Cette aide sociale a été instituée pour la première fois par le décret n° 82-1029 du 15 juillet 1982 (tel que complété par le décret n° 93-593 du 6 mars 1993). Mais ce décret a été abrogé et remplacé par les dispositions de la loi du 18 novembre 1996 et son décret d’application n° 97-1925 du 29 septembre 1997 (modifié et complété par le décret n° 2002-886 du 22 avril 2002). 53 Décret n° 2006-1025 du 13 avril 2006, modifiant le décret n° 97-1925 du 29 septembre 1997. 54 Article 3 (nouveau) du décret n° 97-1925 du 29 septembre 1997.

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Dr. Marita Körner Professeur Berlin School of Economics

Relations de travail transfrontalières : Règles fondamentales du droit international privé allemand

pour les contrats de travail Abstract

The rules of German international private law applicable to international employment contracts are included in the introduction to the German Civil Code (EGBGB). This reproduces the provisions of the Convention of Rome, dated June 19th 1980, and is, thus, essentially identical to the French solutions. It is, therefore, unsurprising to find the same division between subjective attachment, subject to the will of the parties, and objective attachment, subject to the usual location where the work is carried out. However, as is the case in French law, police regulations have a profound effect on the solution selected and bring it within the jurisdiction of the German judge to whom the case is referred. This principle is demonstrated with reference to a significant ruling of the Federal Labour Court (BAG). Résumé

Les règles de droit international privé allemand touchant la loi applicable au contrat de travail international figurent dans la loi d’introduction au Code civil allemand (EGBGB). Elles reproduisent les dispositions de la Convention de Rome du 19 juin 1980 et sont donc substantiellement identiques aux solutions françaises. On ne s’étonnera donc pas de rencontrer le même partage entre rattachement subjectif, lié à la volonté des parties, et rattachement objectif, attaché au lieu d’accomplissement habituel du travail. Mais ce sont surtout, comme en droit français, les règles de police qui peuvent modifier profondément la solution retenue et ramener en l’occurrence à la compétence du juge allemand saisi. La démonstration est ici faite en s’appuyant sur un arrêt significatif de la Cour fédérale du Travail (BAG).

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Marita Körner

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Déjà l’industrialisation au XIXème siècle avait-elle conduit à revendiquer d’harmoniser la protection des travailleurs, afin d’éviter les distorsions de concurrence entre États. Une première internationalisation institutionnelle de cette protection prit forme avec la fondation de l’Organisation Internationale du Travail en 1919. Par la suite, en 1957, est venue la Communauté économique européenne qui aspira également à une harmonisation juridique concernant les relations de travail.

Au regard de la création de normes du droit du travail uniformes dans les

différents États, le droit international privé relève bien sûr d’un autre point de vue. Ici les droits nationaux restent comme ils sont. Pourtant les relations économiques internationales font que non seulement les entreprises mais aussi les salariés deviennent plus mobiles. La fréquence des voyages, les changements de lieu de travail, la mise à disposition, le détachement ou la mutation de travailleurs à l’étranger conduisent à ce que les relations de travail présentent toujours davantage des liens avec d’autres ordres juridiques et parfois avec plusieurs à la fois. Se pose alors la question du droit applicable mais aussi du statut du travail applicable.

L’affaire suivante doit permettre de prendre en compte cette situation1 : la

défenderesse est la compagnie aérienne internationale United Airlines dont le siège est aux États-Unis, à Chicago. La demanderesse est une Allemande domiciliée en Allemagne qui travaille depuis 1991 pour la défenderesse comme hôtesse de l’air. Elle avait posé sa candidature pour la base de Londres-Heathrow à la suite d’une annonce rédigée en allemand dans un journal allemand. L’annonce mentionnait le bureau de la compagnie à Francfort sur le Main comme adresse de contact en Allemagne. De Chicago la demanderesse avait été invitée à un entretien d’embauche à Francfort. C’est à l’occasion d’une formation qui se tenait à Chicago que la demanderesse signa un contrat en langue anglaise, intitulé « Terms and conditions of employment as a United-Airlines London-Heathrow based Flight Attendant ». L’application de l’accord ente la Compagnie United Airlines et l’Association des Flight Attendants était également rappelée dans le contrat. La demanderesse fut en début de contrat affectée à la base de Londres puis, à sa demande, fut mutée en Allemagne, à Francfort. Depuis

1 BAG, Arrêt du 12 décembre 2001, NZA 2002, 734. Sur cette espèce, voir aussi Gragert/Drenckhahn, NZA 2003, 305. Note du traducteur : BAG pour Bundesarbeitsgericht, Cour fédérale du Travail.

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Relations de travail transfrontalières

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elle était affectée aux lignes de Francfort vers les États-Unis. Une fois enceinte, se réclamant de l’application du droit allemand sur son contrat, la salariée revendiqua le bénéfice d’indemnités légales de maladie2 ainsi qu’un complément de l’employeur au titre d’indemnités maternité prévues au § 14 I de la loi sur la protection de la maternité3. United Airlines rejeta les deux demandes arguant du fait que pour la Compagnie seul le droit américain était applicable. Cette espèce nous permet de nous interroger successivement sur les fondements de droit (I), la liberté de choix de la loi applicable (II), la situation juridique en l’absence de choix de la loi (III), plus spécifiquement sur les normes internationalement impératives du droit allemand (IV), avant de revenir sur la décision de la Cour fédérale du Travail (V). I - Fondements de droit

La Convention de Rome du 19 juin 1980 sur la loi applicable aux

obligations contractuelles contient des règles de conflit de lois qui doivent permettre de régler pareil cas. La République fédérale d’Allemagne a ratifié la Convention de Rome le 25 juin 19864 mais, en dépit d’une recommandation de la Commission européenne5, à l’exception des règles de conflit d’application immédiate. Pourtant la loi sur le droit international privé6, édictée en Allemagne7 en même temps que la ratification de la Convention a repris à quelques détails près les règles de la Convention, de sorte que la loi allemande qui régit le droit international privé, à savoir la loi d’introduction au Code civil8, prévoit deux possibilités de attachement en droit du travail individuel. La première autorise un choix subjectif de la loi, selon l’article 27 de la loi d’introduction au Code civil allemand, la deuxième prévoit selon l’article 30 II de la même loi, qui correspond à l’article 6 de la Convention de Rome, un rattachement objectif.

2 Note du traducteur : en allemand, Entgeltfortzahlunggesetz (EFZG). 3 Note du traducteur : en allemand, Mutterschutzgesetz (MuSchG). 4 BGBl. 1986 II 810. 5 IPRax 85, 178. 6 Note du traducteur : en allemand, Gesetz zum Internationalen Privatrecht (IPRG). 7 BGBl. 1986 II 809. 8 Note du traducteur: en allemand, Einführungsgesetz zum Bürgerlichen Gesetzbuch (EGBGB).

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Marita Körner

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Ces points de rattachement différents font du droit des conflits de lois en matière de travail un domaine juridique difficile et encore négligé en Allemagne. L’article 30 de la loi d’introduction a donné lieu à peu de jurisprudence et la littérature spécialisée en la matière est chiche.

Le droit international privé du travail est seulement applicable aux

relations de travail, il suppose donc qu’il y ait contrat de travail. Le point de savoir si l’on est en présence d’un tel contrat relève en tout cas de la loi locale9. Mais il est un autre point de vue selon lequel le concept de travailleur salarié doit être interprété de façon autonome10. Les deux positions pourraient cependant aboutir en droit au même résultat, puisque le concept de travailleur salarié est interprété substantiellement de façon uniforme dans tout le domaine de compétence de la Convention de Rome. Ce qui est décisif, c’est la dépendance personnelle à l’occasion d’une prestation de travail subordonnée et rémunérée11.

II - La liberté de choix de la loi applicable12 et ses limitations

A - Principes Les règles de conflit du droit international privé sont seulement

applicables à des rapports juridiques ayant un contact avec l’étranger. Ce contact peut être également créé par les parties, dès lors qu’elles choisissent une loi étrangère13. Le principe de liberté de choix n’est certes pas contenu dans l’article 30 EBGBG, qui concerne le droit du travail, mais il vaut aussi en droit du travail puisque l’article 30 I EGBGB pose justement en principe la liberté de choix. De la sorte, un statut du travail étranger peut être choisi aussi bien pour une activité dans une entreprise purement allemande que

9 Schlachter, « Grenzüberschreitende Arbitsverhältnisse », NZA 2000, 57 (58). 10 Firsching/von Hoffmann, Internationales Privatrecht, 1997, 5ème éd., p. 405, Rn 75. 11 Voir sur ce point CJCE, Slg. 1986, 2121 ( Lawrie Blum). 12 Note du traducteur : dans la terminologie du droit international privé français, l’expression de loi applicable est utilisée plus fréquemment que celle de droit applicable. Bien sûr, le terme de loi désigne alors le droit ou l’ordre juridique d’un pays donné et non pas telle ou telle loi particulière à l’intérieur de ce droit ou de cet ordre juridique national. 13 Article 27 I EGBGB. Note du traducteur : voir supra note 8.

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pour une entreprise d’activité internationale ou pour une activité du salarié à l’étranger. De plus la loi peut être choisie seulement pour une partie du contrat, ce qui en droit du travail peut être utile. On songe ainsi au choix de la loi allemande pour les retraites d’entreprise et d’une autre loi pour le reste des conditions de travail et d’emploi.

Si du reste c’est exclusivement le choix d’une loi étrangère qui crée la

relation d’extranéité dans une relation par ailleurs purement interne, les règles impératives internes ne peuvent pas être écartées14. Beaucoup plus fréquemment cependant la liaison avec un autre ordre juridique est fondée sur des circonstances réelles, par exemple sur la localisation du travail à l’étranger, la différence de nationalité des parties ou l’appartenance de l’entreprise employeur à un groupe étranger.

Le choix de la loi ne doit pas nécessairement être exprès, il peut aussi être

implicite15. Dans ce cas le choix de la loi doit résulter de façon suffisamment sûre de l’ensemble des circonstances de l’espèce16. On doit pouvoir reconnaître que les parties ont eu véritablement la volonté de choisir telle loi. Si ce n’est pas le cas, le droit applicable sera déterminé objectivement selon l’article 30II EGBGB17. Fournissent en autres des indices d’un choix pertinent une clause attributive de juridiction ou une clause d’arbitrage, la référence à des normes du travail déterminées d’un État ou encore à des dispositions conventionnelles ou aussi l’engagement du travailleur salarié de travailler dans une entreprise déterminée18.

Le choix de la loi du contrat peut aussi intervenir après la conclusion du

contrat19. Ainsi par exemple la référence d’une partie aux dispositions d’un ordre juridique peut constituer un choix ultérieur si l’autre partie ne s’y oppose pas. De la même façon le choix de la loi peut être modifié par la suite20. Cela d’ailleurs peut être utile dans le cas de relations de travail de

14 Article 27 III EGBGB. 15 Article 27 I 2 EGBGB. 16 Bundesarbeitsgericht 22 juillet 1995, NJW 1996, 741. 17 Landesarbeitsgericht Berlin 20 juillet 1998, NZA 1999, 616. Sur l’article 30II EGBGB, voir infra IV. Note du traducteur : Landesarbeitsgericht, Cour du travail du Land ou Tribunal supérieur du travail. 18 Schlachter, loc. cit., p. 59. 19 Article 27 II 1 EGBGB. Par exemple. BGHZ 103, 84 (86). 20 Schaub, Arbeitsrechtshandbuch, 11ème éd. p. 56.

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longue durée dans l’hypothèse où le salarié vient à être affecté dans une filiale du même groupe dans un autre pays. Plusieurs figures juridiques sont ici envisageables: l’ancienne relation de travail peut être maintenue, elle peut aussi être suspendue et une nouvelle relation de travail avec la filiale (le cas échéant à durée déterminée) peut alors être nouée. Dans ce cas cela peut correspondre à un autre ordre juridique. Enfin l’ancienne relation de travail peut être rompue, avec ou sans possibilité de retour en arrière et alors une nouvelle est conclue dans la filiale. Savoir quelle figure l’emporte dépend du cas particulier, comme le montre le cas mentionné en introduction et à résoudre en conclusion.

B - Exceptions

À l’origine de l’admission de principe d’un choix de la loi même pour un

contrat de travail ayant un lien avec l’étranger réside la considération que le droit du travail dans les autres pays offre aussi un standard minimum de protection des salariés. C’est ce qui d’abord permet le choix de n’importe quelle loi. Mais comme le législateur ne peut pas préjuger de l’équivalence fondamentale du niveau de protection des différents ordres juridiques du travail, la liberté de choix est alors à nouveau limitée. En toute hypothèse les dispositions impératives qui assurent la protection des salariés ne peuvent pas être évitées par le choix d’une loi. D’où il ressort que le choix d’une loi n’est pas souvent le moyen approprié de soustraire les contrats de travail transfrontaliers au domaine de compétence d’ordres juridiques supposés plus coûteux. Au contraire le choix d’une loi peut conduire à des coûts élevés par manque de connaissance du droit choisi.

Les limites à la liberté de choix sont contenues à l’article 30 I combiné

avec l’article 27 EBGBG. Selon ces dispositions, il est impossible d’écarter les règles impératives de protection des travailleurs contenues dans la loi qui s’appliquerait à défaut de choix. À défaut de choix, la loi compétente serait celle du lieu habituel du travail ou de l’établissement d’embauche21. Si l’hypothèse prévue à l’article 30 I EGBGB se présente, le choix de la loi n’est certes pas en lui-même nul mais il est effectué une sorte de comparaison de faveur : sont à comparer les normes de la loi choisie avec les normes impératives de la loi qui s’appliquerait à défaut de choix. Les normes impératives de la loi désignée par le rattachement objectif s’imposent pour

21 Article 30II EGBGB.

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autant qu’elles sont plus favorables au travailleur22. Par normes impératives, il faut entendre toutes les règles qui assurent la protection du travailleur, qu’elles relèvent du droit public ou du droit privé. Pareillement les dispositions d’une convention collective peuvent en faire partie, dès lors que les parties y sont soumises. Constituent des exemples typiques de telles règles impératives le droit du licenciement, le droit à indemnités journalières au cas de maladie, les règles de protection de la mère, les normes relatives à la durée du travail ou les règles de protection des jeunes travailleurs23.

Quand donc le droit choisi heurte ces normes impératives de protection

du salarié, il faut décider selon le principe de faveur : c’est la nome la plus favorable au travailleur qui l’emporte. Sans doute l’application de ce principe suscite-t-elle toute une série de nouveaux problèmes. Ainsi est-il nécessaire de disposer d’une méthode de comparaison de la faveur et a-t-on besoin de mesures pour l’appréciation des différents ordres juridiques. Depuis l’introduction en Allemagne, en 1986, de la comparaison en fonction du principe de faveur il n’y a pas eu de décision judiciaire du plus haut niveau sur cette problématique. En toute hypothèse la comparaison en fonction du principe de faveur ne peut pas se fonder sur des règles isolées des ordres juridiques concernés car le salarié pourrait alors picorer les « raisins » de chaque droit24. Il ne peut pas non plus être question d’une comparaison globale de tout l’ensemble des règles de droit du travail car on manque alors de critères objectifs de comparaison25. On doit souvent procéder, comme en matière de droit des conventions collectives, à une comparaison par groupe de dispositions26 mais la construction des groupes de dispositions peut ici aussi être difficile.

22 Par exemple Bundesarbeitsgericht, 1993, 743. 23 Palant/Heldrich, Kommentar zum Bürgerlichen Gesetzbuch, Article 30 EGBGB, Rn 6. 24 Schaub, Arbeitsrechtshandbuch, 11ème éd., p. 57. 25 Dans le même sens, Thüsing, Betriebs-Berater (BB) 2003, 898, 899. 26 BAG 03.03.1993, NJW 1993, 2767.

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III - Situation juridique en l’absence de choix de la loi Si les parties au contrat de travail n’ont pas choisi de loi, l’article 30

EBGBG retient un rattachement objectif. L’article 30 EGBGB est une règle particulière au regard de l’article 28, applicable en droit général des obligations et qui précise en la matière qu’à défaut de choix de la loi, la loi applicable est celle du pays avec lequel le contrat présente les liens les plus étroits. Par contre, la relation de travail relève, aux termes de l’article 30 II numéro 1EGBGB, de la loi du lieu où le travailleur accomplit habituellement son travail, même s’il a été temporairement dans un autre pays. Ce qui est donc décisif, c’est le lieu du travail, le siège de l’activité du travailleur. Au cas de télétravail, c’est le lieu de situation de l’ordinateur qui est décisif27. Si le lieu du travail se situe dans un espace libre de toute souveraineté, par exemple pour le travail en haute mer, on peut s’en remettre à la souveraineté dont relève le navire lui-même. Un détachement temporaire dans un autre pays ne s’oppose pas au rattachement au lieu du travail. Un détachement sera considéré comme temporaire si la période d’activité à l’étranger est limitée dans sa durée ou si un retour sûr au pays d’origine est prévu. Ce devrait être en droit la règle si le pouvoir de direction et de mutation de l’employeur se situe au siège principal de l’entreprise dans le pays d’origine. Dans ce cas le travailleur détaché reste en effet incorporé du point de vue de l’organisation dans l’entreprise située au pays d’origine28.

Si au contraire un cadre dirigeant est appelé à prendre la direction d’un

établissement situé à l’étranger, il s’agira alors plutôt d’un détachement de longue durée29, ce qui signifie que le centre de gravité de la relation de travail ne se situe plus au pays.

La question de savoir s’il s’agit seulement d’un détachement temporaire

et si en conséquence c’est le droit allemand qui est applicable relève toutefois toujours des circonstances de l’espèce. Une durée précise d’activité à l’étranger ne peut par conséquence pas être fixée et même la stipulation d’une clause de retour peut seulement constituer un indice du caractère temporaire du détachement.

27 Mankowski, DB 1999, 1856. 28 Gerauer, Betriebsberater (BB) 1999, 2083, 2084. 29 Schaub, Arbeitsrechtshandbuch, 11ème éd., p. 57.

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À côté de la référence au lieu du travail, la relation de travail peut aussi relever du lieu de l’établissement qui a embauché le travailleur, si celui-ci n’accomplit pas habituellement son travail dans un seul et même État30. La condition préalable au rattachement à l’établissement est donc qu’un centre de gravité du travail ne puisse pas s’affirmer, dans la mesure où le travailleur exerce son activité dans plusieurs pays. Le point de rattachement doit donc être au lieu où l’employeur conduit son entreprise. Le fondement de cette règle repose sur ce que le travailleur qui travaille dans plusieurs pays ne doit pas voir son statut changer continuellement. D’après le n° 1 de l’article 30 II EGBGB, le rattachement au lieu du travail habituel n’est pas interrompu par une activité temporaire dans un autre pays. Pour délimiter l’un de l’autre les n° 1 et 2 de l’article 30 II EGBGB, il faut donc que l’activité à l’étranger ne soit pas seulement temporaire. Le travailleur doit ainsi travailler régulièrement en au moins deux lieux de travail.

Par exception, la désignation objective de la loi doit s’écarter de ces deux

rattachements s’il apparaît, au vu de l’ensemble des circonstances, que la relation de travail entretient un rapport plus étroit avec un autre pays. « L’ensemble des circonstances » et la « relation plus étroite avec un autre pays » peuvent prendre plusieurs aspects, par exemple la nationalité commune des parties, une longue période d’activité du travailleur dans son pays, le domicile de l’employeur au pays ou l’assurance d’une retraite d’entreprise ou de prestations de sécurité sociale. Ce rattachement vaut compétence du droit allemand pour la main d’œuvre allemande de représentations allemandes à l’étranger ou pour les correspondants à l’étranger de journaux allemands.

Il n’en demeure pas moins que les prescriptions du lieu de travail

temporaire touchant la sécurité du travail, le temps de travail ou les jours fériés et chômés restent applicables, selon l’article 32 II EGBGB.

30 Article 30 II, N°2, EGBGB.

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IV - Normes internationalement impératives31 du droit allemand L’article 34 EGBGB énonce que les dispositions impératives du droit

allemand valent en toute hypothèse, indépendamment du point de savoir quel choix de la loi les parties ont effectué ou quelle est la loi applicable en vertu du rattachement objectif de l’article 30 II EGBGB. L’article 34 vise les nombreuses dispositions impératives du droit du travail qui assurent la protection du travailleur. La Cour fédérale du Travail a conçu la délimitation du champ de telles normes en précisant qu’il ne suffit pas pour l’article 34 qu’une norme du travail soit au service de la protection individuelle du travailleur. Il faut bien plutôt que la norme en question ait été posée dans l’intérêt public et qu’elle entende protéger un intérêt général significatif32.

V - Décision de la Cour fédérale du Travail Dans l’espèce soumise à la Cour fédérale du Travail, il s’agit de

l’applicabilité au rapport de travail entre l’hôtesse de l’air et la compagnie aérienne américaine des règles allemandes des paragraphe 14 de la loi de protection de la maternité (Mutterschutzgesetz) et 3 de la loi d’indemnisation au cas de maladie (Entgeltfortzahlungsgesetz, EFZG). Le paragraphe 14 de la loi de protection de la maternité garantit à la mère contre son employeur un droit à indemnisation partielle des six semaines précédant et des huit semaines suivant l’accouchement. Quant au paragraphe 3 de la loi d’indemnisation maladie, il donne au travailleur malade un droit à indemnités de six semaines et cela même, sous certaines conditions, plusieurs fois par an.

31 Note du traducteur : par normes internationalement impératives, traduction littérale de International Zwingende Rechtsnormen, il faut entendre, dans la terminologie française, les règles d’application immédiate ou les règles de police, en d’autres termes celles des règles impératives d’un ordre juridique donné qui délimitent elles-mêmes leur champ d’application dans l’espace, indépendamment de toute règle de conflit. Il s’agit, pour la doctrine française, de règles si indispensables à l’organisation politique, économique et sociale du pays qu’elles ne peuvent en effet laisser aux règles de conflit classiques le soin de déterminer leur propre champ d’application dans l’espace. 32 BAG 12.12.2001, NZA 2002, 735.

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Relations de travail transfrontalières

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Dans le cas présent, les parties n’avaient pas fait un choix explicite de la loi compétente, mais elles s’étaient décidées de façon suffisante pour l’application du droit américain par la référence à l’accord collectif AFA, qui régit pour l’essentiel les conditions de travail des hôtesses de l’air. La Cour fédérale du Travail énonce que ce choix n’est pas contraire à l’article 30 I EGBGB car même si les parties n’avaient pas fait de choix de la loi, c’est le droit américain qui aurait été applicable. Là-dessus le Tribunal Fédéral du Travail vérifie de façon académique les conditions d’application de l’article 30 II EGBGB et établit que les hôtesses ne peuvent pas avoir un lieu de travail habituel au sens de l’article 30 II EGBGB puisque leur prestation de travail n’est pas effectuée régulièrement dans un seul et même pays. Même le classement dans un établissement d’abord à Londres puis à Francfort ne fonde aucun lieu de travail habituel. Ainsi, pour le Tribunal du travail, on n’arriverait à l’établissement d’aucun lieu habituel du travail ni sur le terrain des dispositions d’organisation du travail ni sur celui de la prestation effective du travail. La règle applicable ne relève donc pas ici du numéro 1 mais bien du numéro 2 de l’article 30 II EGBGB. Selon ce numéro 2, c’est la loi du pays dans lequel se situe l’établissement d’embauche qui est applicable, c’est-à-dire l’endroit où l’employeur mène son activité. Ce qui exclut l’Allemagne puisque, selon la Cour fédérale du Travail, seule s’y est située la conclusion de la relation de travail. C’est Londres et Chicago qui sont alors à prendre en considération car au titre d’embauche il ne faudrait pas voir seulement la conclusion du contrat mais aussi l’installation de la salariée dans un autre endroit aussitôt après la conclusion. À ce stade la Cour fédérale du Travail se convainc un peu trop facilement, ce qui exclut le droit anglais, que les parties ne se sont en rien prononcées en faveur de son applicabilité. Quoi qu’il en soit de la question du choix entre Londres et Chicago – la Cour fédérale du Travail s’est prononcée pour Chicago et donc pour la compétence du droit américain -, le droit allemand n’est en tout cas pas applicable au contrat de travail. L’article 30 II demi-alinéa 2 EGBGB n’y change rien non plus puisque une relation plus étroite avec le droit allemand ne se déduit pas de l’ensemble des circonstances de l’espèce. Selon la Cour fédérale du Travail, la seule considération que la demanderesse est allemande et a son domicile en Allemagne ne suffit pas à fonder une relation « plus étroite ».

La Cour fédérale du Travail accorde néanmoins à la demanderesse les

droits réclamés aux indemnités maladie et au complément des indemnités de maternité. Elle fonde ce résultat sur l’article 34 EGBGB. Selon cet article 34,

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Marita Körner

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même si le droit américain est applicable au contrat de travail, les règles impératives de police du droit allemand ne peuvent pas être contournées et restent applicables quand la relation de travail entretient un rapport avec le droit allemand. Cela signifie que le choix d’une loi ou l’application d’un droit étranger selon l’article 30 II EGBGB ne peut pas exclure les règles allemandes au sens de l’article 34 EGBGB. C’est en référence à cet article que la Cour fédérale du Travail tient pour constitutifs d’un lien avec l’ordre interne la nationalité allemande et le domicile en Allemagne – les conditions requises pour le lien avec l’ordre interne sont donc ici plus minces qu’à l’article 30 II demi-alinéa 2 EGBGB.

Le point de savoir quelles sont les normes impératives de police au sens

de l’article 34 EGBGB ne se déduit pas de cette disposition mais doit être examiné cas par cas. Il faut tenir compte du point de savoir si la protection concerne des intérêts individuels ou généraux. C’est en utilisant cette distinction que la Cour fédérale du Travail considère comme règles de police et donc applicables à la relation de travail de la demanderesse avec United Airlines le § 14 de la loi de protection de la maternité et le § 3 de la loi des indemnités au cas de maladie. Cet exemple montre fort bien que l’article 34 EGBGB peut amener à application des règles nationales particulières tenues pour souhaitables. La délimitation de ce type de règles n’obéit pas pour autant à des critères strictement objectifs, de sorte que beaucoup de règles de droit du travail ont le caractère de règles de police et qu’un intérêt général est souvent relevé. Au total, la compagnie United Airlines devait donc verser les prestations en espèces prévues par le droit allemand.

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David Annoussamy Professeur honoraire à l’université de Pondichéry

La législation du travail dans l’Inde du XXIème siècle

Abstract One would expect the labour law of India to be more or less the blue print

of the ILO conventions. It is so but only in part. The content of conventions has been modified with the objective of their adaptation to local conditions to the extent necessary. That law is applied only to a small portion of the labour force which is called the organised labour. That category of labour force will increase in the course of time and also that law will influence the customs governing the rest of labour. The labour law which has come into existence peace-meal requires rationalisation and codification. It reflects the shortcomings of the norms of ILO which for obvious reasons has been concentrating in removing the glaring forms of exploitation. Time has come for the ILO to shift its outlook and mould the labour law as a part of the organisation of human life.

Résumé On pourrait s’attendre à ce que la législation du travail dans l’Inde soit

une réplique des conventions de l’OIT. Il en est ainsi mais seulement en partie. Le contenu des conventions a été modifié et adapté aux conditions locales dans la mesure du nécessaire. Cette législation est appliquée seulement à une partie du monde du travail, connue sous le nom de salariat organisé. Cette catégorie des travailleurs ira augmentant avec le temps. Cette législation va également influencer les coutumes régissant le reste des travailleurs. La législation a pris forme petit à petit dans l’Inde et demande à être rationalisée et codifiée. Elle reflète les insuffisances des normes de l’OIT qui pour des raisons évidentes a concentré ses efforts sur les formes les plus graves d’exploitation. Le temps est venu pour l’OIT de changer son optique et de modeler la législation du travail comme une part de l’organisation de la vie humaine.

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David Annoussamy

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D’un point de vue historique, les rapports de travail ont été gouvernés en Inde par la coutume, variable selon les métiers et selon les régions. Chacun épousait le métier de sa caste et il en faisait l’apprentissage, plus ou moins long selon les métiers. Le salaire, nul au départ, augmentait très progressivement. Il était payé tous les jours, parfois à la fin de la semaine. Pour ceux qui étaient engagés de façon permanente, le salaire était payé le plus souvent vers le 10 du mois suivant. Le contrat d’engagement était oral et pouvait prendre fin à tout moment. Le plus souvent un salarié travaillait avec le même employeur jusqu’à épuisement de ses forces, avec une occupation de moins en moins lourde. Il n’y avait aucun système de retraite, pas de congés payés ni de congés de maladie, sauf pour les travailleurs mensualisés pour lesquels le patron ne tenait pas rigueur des absences dès lors qu’elles n’étaient pas trop fréquentes. Tout était en demi-teinte. Chaque cas dépendait du caractère respectif de l’employeur et du travailleur. On exerçait son métier en général dans sa localité ; on travaillait tous les jours, sauf les jours de jeûne du calendrier indien, soit environ trois jours par mois. On s’absentait quelques jours à l’occasion des grandes fêtes religieuses ou des fêtes locales.

Une forme de travail obligatoire était en vogue; une personne qui

contractait une dette importante s’engageait à travailler jusqu’à extinction de la dette. En général les intérêts étaient si élevés et le salaire si bas que la dette n’était jamais éteinte. La personne se trouvait obligée de travailler chez la même personne toute sa vie. Cette obligation se perpétuait de génération en génération, de sorte que personne n’en connaissait plus l’origine. On aboutissait à un lien d’une famille avec l’autre, qui dégénérait en une situation voisine du servage.

Le droit moderne du travail a été introduit dans ce système avec

l’installation du pouvoir politique anglais et la création d’usines issues de la révolution industrielle. L’industrie de l’Inde ne pouvait alors se développer que dans la mesure où elle ne gênait pas celle de la métropole, car on était sous le régime du pacte colonial. Les plantations étaient l’activité économique la plus favorisée. Le patronat se composait uniquement de compagnies anglaises bénéficiant du soutien inconditionnel des autorités. Il n’était pas question de protection sociale. Les ouvriers ont bénéficié d’une protection de façon inattendue en matière d’accidents de travail pour faute de l’employeur, sur la base d’une loi de portée générale sur les accidents mortels, qui a vu le jour en 1855.

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La législation du travail dans l’Inde du XXIème siècle

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Petit à petit, à l’instar de ce qui se passait en Angleterre et sous l’impulsion de quelques intellectuels, le monde ouvrier commence à s’organiser. Le premier syndicat est créé à Bombay en 1890, suivi par plusieurs autres dans d’autres villes de l’Inde. Parallèlement le mouvement nationaliste prend de l’ampleur. Les syndicalistes y ont une part active. La lutte ouvrière et la lutte politique se conjuguent contre le patronat qui était en grande partie anglais, avec pour résultat quelques améliorations des conditions du travail.

Pendant la première guerre mondiale, l’Angleterre ne peut pas produire

tout ce qui lui est nécessaire. Elle fait appel à l’Inde dont l’industrie connaît un essor. Mais il est impossible de penser à des revendications en période de guerre. Le droit du travail se développe seulement après la création en 1919 de l’OIT, dont l’Inde est membre dès le départ. En effet, les Anglais tout en considérant l’Inde comme une colonie d’exploitation, lui ont conservé sa personnalité internationale. C’est de cette époque que date la loi sur les syndicats1 qui permettra à la classe ouvrière de s’affirmer de plus en plus.

Le pacte colonial continuant à être en vigueur, l’Inde ne peut pas se

développer beaucoup après la guerre. Les progrès de la législation du travail sont également très lent. La deuxième guerre mondiale donne une forte impulsion à l’industrie indienne qui doit ravitailler la métropole en objets manufacturés. Après l’indépendance, l’État fait d’importants investissements dans l’industrie lourde et les infrastructures. La doctrine socio-économique du nouvel État est le socialisme et l’économie mixte. Au pacte colonial fait place, un protectionnisme à outrance qui devait permettre aux industries naissantes de se développer à l’abri de la concurrence étrangère. Il y a alors une nouvelle floraison du droit du travail sur la base des travaux de l’OIT. Les syndicalistes, qui ont été parmi les plus actifs des militants nationalistes, ont obtenu de nombreuses lois en faveur des travailleurs. Le patronat a accepté cette dernière tendance en raison du protectionnisme dont il bénéficiait.

Au départ, les lois prenaient naissance dans les États fédérés les plus

industrialisés. Maintenant, c’est le gouvernement de l’Union qui prend les devants. Les normes émanant de l’OIT font l’objet de lois fédérales souvent sans consultation préalable des États fédérés, qui de ce fait ne mettent pas 1 Trade Unions Act, 1926.

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beaucoup d’empressement pour leur application. Aussi, le bénéfice pour les ouvriers n’est-il pas à la mesure des espérances créées par les lois.

À partir des années 80, une bonne impulsion est donnée à l’économie par

une politique libérale. La performance du secteur public est passée au crible et une politique de privatisation commence, mettant la classe ouvrière sur la défensive. D’autre part, les investisseurs étrangers trouvent la législation du travail trop élaborée et trop contraignante. Le législateur s’efforce alors de l’assouplir mais n’y parvient pas en raison de la résistance des syndicats bien organisés et dont le poids politique n’est pas négligeable. En revanche, la jurisprudence qui avait renforcé la tendance gouvernementale favorable aux travailleurs revient sur ses positions par touches successives.

La situation économique change avec la mondialisation entrée en jeu

depuis le tournant du siècle. Ce n’est plus l’Inde qui est entièrement maîtresse du degré d’ouverture de son économie. Les accords de mondialisation qui lui sont plus ou moins imposés exposent certains secteurs de l’économie à des dangers réels. Dans certains États, on a assisté à des suicides de fermiers. Le gouvernement issu du suffrage universel est obligé de tenir compte de leurs besoins. Un projet vient d’être mis à exécution qui garantirait 100 jours de travail rémunéré au tarif officiel à la population rurale pour des tâches d’utilité publique. Néanmoins, l’exode rural suit son cours créant une situation de chômage urbain chronique qui augmente le nombre du personnel domestique et alimente l’émigration.

Quelles sont les caractéristiques actuelles de la législation du travail en

Inde ? Les lois relatives au travail sont au nombre de 60 environ ; elles sont de cinq sortes. Les premières se rapportent aux conditions matérielles du travail. Les secondes portent sur la résolution des litiges. Les troisièmes comprennent les mesures spéciales en faveur des groupes fragiles : les enfants, les femmes. Les quatrièmes contiennent les mesures de sécurité financière en faveur des travailleurs âgés, comme la gratuité, le fonds de prévoyance. Les cinquièmes consistent en des lois spéciales pour les travailleurs dans différents secteurs : industrie du tabac, bâtiment, établissements portuaires, presse, mines, transport, plantations etc.

Ces lois, moulées sur le modèle anglais, s’étalent sur trois quarts de siècle

et donnent chacune une définition du travailleur provoquant ainsi des difficultés d’application. La plupart de ces lois créent chacune un juridiction

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La législation du travail dans l’Inde du XXIème siècle

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spéciale pour le règlement du contentieux y relatif. Ainsi, on a une multitude de tribunaux chargés des litiges du travail : tribunal du travail, cour industrielle, tribunal de la sécurité sociale ouvrière, tribunal des salaires, tribunal du salaire minimum, des accidents du travail, de la gratuité, du contentieux de l’enregistrement des syndicats etc. La première commission nationale du travail avait recommandé en 1969 d’uniformiser les définitions et d’intégrer les diverses lois en un texte compact. Un projet de code du travail a été élaboré. On a voulu saisir l’occasion pour ajouter certaines nouvelles dispositions relatives aux syndicats. Cela provoqua une forte opposition de leur part à cette innovation. Le code n’a pas pu être présenté au Parlement. L’avortement de cette tentative a découragé le gouvernement ; le code a été relégué aux oubliettes. La seconde commission nationale a réitéré la même recommandation en 2002. La Cour suprême, dans un jugement de 2004, vient d’attirer l’attention du gouvernement sur l’urgence à donner effet à cette recommandation pour une meilleure application de la loi.

La législation actuelle, bien qu’elle soit abondante, ne couvre pas encore

tous les champs d’activité. Par ailleurs, la plupart des lois précisent qu’elles ne s’appliquent qu’aux entreprises ayant plus de 50 ou 300 salariés. Le monde rural échappe à la plupart des lois. Le personnel domestique n’a aucune reconnaissance législative. La législation ne couvre donc qu’une faible partie du monde du travail. Le reste est régi par des coutumes et des contrats exprès ou tacites.

Même parmi les travailleurs qui sont couverts par la loi, tous n’ont pas les

moyens de la faire prévaloir, faute de syndicats. Ainsi la classe salariale se compose de deux catégories, celle qui est organisée (7 %) et capable d’exercer une pression sur le patronat et celle qui est non organisée et qui ne dispose pas d’un tel pouvoir. Dans la première catégorie, entrent les employés de la fonction publique, des grandes entreprises privées et semi-publiques ; ils bénéficient de conditions de vie convenables et d’avantages sociaux. Ils font figure de privilégiés en comparaison de ceux de la deuxième catégorie qui travaillent dans le secteur agricole, les petites entreprises ou chez les particuliers et qui constituent la grande majorité des travailleurs. Pour les emplois non qualifiés qui sont les plus nombreux, la différence de salaire peut varier facilement de 1 à 10 entre les deux catégories. Cette grande disparité entre les travailleurs est sans doute le problème le plus préoccupant pour qui s’intéresse au monde du travail dans l’Inde.

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Ceci mis à part, quand on cherche à avoir une vision d’ensemble de la législation du travail en Inde, largement inspirée des conventions de l’OIT, on s’aperçoit qu’elle s’intéresse à l’homme aux prises avec son travail et qu’elle a une vision protectrice et, parfois même paternaliste. Cette optique mériterait d’être radicalement modifiée. Il faudrait en effet considérer l’homme non pas comme un simple travailleur, mais comme un être humain dont le travail n’est qu’un aspect qui doit s’harmoniser avec le reste de sa vie. C’est dans cette perspective, que seront analysés quelques aspects de la législation indienne du travail jugés les plus importants, à savoir les conditions relatives à la formation et à la cessation du contrat de travail (I), les conditions de travail et d’emploi et singulièrement celles relatives à certaines catégories de travailleurs - les femmes et les enfants (II) et enfin les modes de résolution des litiges du travail (III).

I - Le contrat de travail Deux aspects seulement du contrat de travail seront analysés, d’une part

la formation du contrat de travail parce qu’elle obéit à des conditions dont les spécificités seront ici analysées au regard du contexte indien (A) ; d’autre part, les conditions de la cessation de la relation de travail dont les caractéristiques sont également particulières (B).

A - Les conditions relatives à la formation du contrat de travail

1 - Le choix du métier

Aucune des deux parties ne prête suffisamment attention au choix du

partenaire contractuel. Du côté salarié, quand le chômage sévit, on accepte n’importe quel travail qui se présente. Du côté employeur, dans la plupart des cas, on recrute sur recommandation. Dans les grandes entreprises, pour les postes de quelque importance, on a l’ambition de chercher les meilleurs candidats ; on procède alors à un grand concours. En fin de compte, il ne reste souvent que l’illusion d’avoir fait un bon choix. En effet, ce choix est empirique, car les tests n’ont pas été bien choisis. Le choix scientifique des candidats exige en premier lieu l’établissement rigoureux du profil du métier. Puis, il faut déterminer les aptitudes nécessaires en fonction de ce profil du métier. Les tests pour mesurer ces aptitudes doivent être finalement

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mis au point. On ne procède jamais ainsi. Pour la plupart des métiers, il n’y a même pas de profil qui soit établi.

Même les tests empiriques connus ne peuvent pas être utilisés

pleinement, étant donné le grand nombre de candidats. On se contente de tests de plus en plus simplistes permettant l’utilisation d’appareils électroniques pour l’évaluation. On sélectionne ainsi des sujets ayant une bonne capacité de mémorisation mais pas nécessairement adaptés au poste. Pour obtenir ce dernier résultat, il faudrait se résoudre à examiner de manière approfondie peu de candidats possédant les qualifications de base, plutôt que de passer en revue rapidement un grand nombre de candidats.

Un bureau de placement bien au courant des métiers et des aptitudes

requises pourrait faciliter la tâche des candidats comme des patrons par un aiguillage approprié. Ce service est encore à l’état embryonnaire. La loi de 1959 portant création d’un bureau de placement dans toutes les villes importantes2 fait obligation aux employeurs d’aviser le bureau de toutes les vacances de postes de travail, exception faite du travail agricole, du travail domestique et des emplois de moins de trois mois. Il n’en résulte aucune obligation pour l’employeur de recruter des travailleurs uniquement par l’intermédiaire du bureau de placement. Le bureau de placement se trouve ainsi en réalité sans grande utilité pratique.

2 - Le lieu de travail

Il existe un autre point qui ne retient pas suffisamment l’attention du

travailleur au moment de choisir l’emploi, c’est le lieu du travail. Dans les conditions actuelles du marché du travail, tout demandeur d’emploi est susceptible d’accepter un poste où qu’il se trouve. Il aura souvent à travailler loin de sa résidence et passera parfois plus de deux heures par jour dans les transports. Il n’est pas rare qu’un ouvrier résidant dans une banlieue sud de Bombay traverse toute la ville pour aller travailler à l’autre extrémité, alors qu’un ouvrier fait le chemin inverse pour faire le même genre de travail. Les syndicats n’ont mis au point aucun mécanisme permettant d’échanger le travail ou le logement. Les employeurs ne tiennent aucun compte du lieu de résidence du salarié. Ils ont cependant intérêt à ce qu’il réside près du lieu du travail, le rendement étant meilleur et l’absentéisme moindre. Certaines

2 Employment Exchanges (compulsory notification of vacancies) Act, 1959.

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institutions ou entreprises nouvelles l’ont compris et prévoient dans leurs investissements le logement pour tout le personnel.

Le problème devient plus aigu avec la généralisation progressive du

travail féminin. L’idéal serait que chacun obtienne un travail qu’il aime dans une localité qu’il aime, qu’il trouve une femme qui partage son amour, qu’elle aime la même localité et qu’elle y trouve un travail qu’elle aime. Ces cinq conditions ne sont presque jamais remplies. Souvent, le lieu de travail de chacun des membres du couple est très éloigné. Le seul remède existant est le rapprochement des conjoints qui fonctionne seulement si tous les deux ont le même employeur, et, même dans ce cas, cela n’est pas toujours résolu de façon satisfaisante. La famille se trouve écartelée pendant de longues années. Parfois, la femme se résigne à abandonner son travail. Ce problème mériterait d’être traité.

3 - Le temps du travail

La durée du travail est en général de huit heures par jour. L’évolution

actuelle réside en une réduction de la durée du travail pour tout le monde et les revendications vont toujours dans ce même sens. Ceci ne tient pas compte des réalités très diverses du monde du travail. Certaines sont pénibles, d’autres répugnantes, ou d’autres sans avoir ces caractéristiques et sans pour autant être exaltantes, peuvent procurer joie et satisfaction. Les salariés qui sont concernés par cette dernière catégorie peuvent travailler plus longtemps (ils le font d’ailleurs spontanément). Quant aux autres, ils devraient être employés à mi temps seulement pour pouvoir se livrer à des activités qui restaurent santé et goût à la vie.

Une distinction devrait être faite aussi selon que le travail est réalisé de

jour ou de nuit. Le travail de nuit est contre nature et nuisible à la longue à la santé du travailleur. Il était peu en usage jusqu’à l’invention de l’éclairage artificiel. Depuis, il a tendance à s’accroître. Dans certains cas, c’est inévitable dans l’intérêt de la société, comme par exemple dans les hôpitaux. Dans l’industrie, on y recourt pour amortir rapidement l’investissement, ce qui n’est pas une justification suffisante pour infliger un tel supplice aux salariés. Si on ne peut pas bannir le travail de nuit, il faut au moins le décourager, par exemple en prescrivant que la durée de travail soit considérablement réduite si elle s’effectue de nuit. Le patronat y renoncerait alors s’il ne pouvait en tirer tous les profits

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La législation du travail dans l’Inde du XXIème siècle

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Quant au nombre de jours de travail par semaine, traditionnellement il y

avait une pause d’une journée. Dans quelques secteurs d’activité, cette pause est passée à deux jours. Quant un jour férié s’y ajoute avec ou sans pont, on a ce qu’on appelle des week-ends prolongés. Dans la mesure où cela détend le travailleur, on pourrait s’en réjouir. Mais, avec la ruée en masse vers la campagne ou la mer ou la localité d’origine, elle cause de nombreux accidents dont les travailleurs font les frais. D’autre part, durant les week-ends la ville devient déserte. Les services essentiels viennent à manquer ; ceux qui restent sont obligés de faire des provisions comme en temps de disette ; les accouchements sont avancés ou retardés; ceux qui tombent malades en week-end courent des risques particuliers, etc. Tout le monde, dont la grande majorité sont des travailleurs, souffre d’une pareille distribution du temps de travail. Il y a lieu d’y porter remède. Une solution pourrait consister à « couper » la semaine. Pas de congé hebdomadaire, le même jour pour tout le monde ; chacun le prendrait au cours de la semaine à tour de rôle. On aurait quand même les jours non travaillés où tout le monde serait au repos.

4 - Le travail obligatoire ou forcé

Il existe deux formes curieuses de contrat, créatrices d’obligation

perpétuelle de travail. La première consiste à mettre un enfant au service d’une tierce personne moyennant le prêt d’une somme déterminée et jusqu’à la restitution de la somme. Cela se produisait en général en période de disette. Le créancier recevait l’enfant chez lui. Le sort de l’enfant dépendait beaucoup du caractère du maître. Quand celui-ci était humain, sa situation ressemblait à certaines formes d’adoption reconnues par l’ancien droit, et encore en pratique aujourd’hui (enfant abandonné et recueilli comme fils, enfant vendu par ses parents, enfant abandonné qui s’offre de sa propre initiative à quelqu’un). Ce genre d’adoption venait parfois à ressembler au travail obligatoire quand l’adoptant était dur ou qu’il ait eu un enfant par la suite.

Dans le but d’éliminer cette pratique déplorable de nantissement d’enfant,

une loi est intervenue en 1933, déclarant un tel contrat nul et de nul effet et prévoyant une amende pour les deux parties3. Une si faible sanction ne

3 Children (pledging of labour) Act, 1933.

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pouvait pas éradiquer une pratique si fortement ancrée. La société a évolué et des changements se sont produits. Les parents ne perçoivent pas d’argent mais confient l’enfant à une famille qui s’engage à le garder jusqu’à l’âge adulte et à l’établir. Cette pratique recule au fur et à mesure que la natalité baisse.

La deuxième pratique de travail obligatoire s’opérait de la manière

suivante. Un homme qui s’est endetté, s’engageait à travailler pour le créancier jusqu’à extinction de la dette. On a vu précédemment comment cette situation dégénérait en servage perpétuel. L’article 25 de la Constitution interdit toute forme de travail obligatoire et le déclare punissable. Une loi de 1976 déclare toute personne engagée dans un travail obligatoire, libérée de son joug et interdit à l’avenir tout prêt d’argent contre une obligation de travailler ou toute autre forme de travail obligatoire4. Elle déclare éteinte toute dette contractée moyennant travail et purge les hypothèques consenties par le travailleur. Cette loi n’a pas produit d’effet, les bénéficiaires n’en ayant pas connaissance ou n’osant pas s’en prévaloir à cause de l’incertitude de l’avenir. Le gouvernement a alors entrepris une campagne de libération des travailleurs soumis au travail obligatoire et les a conduits à leur domicile. Seulement d’autres travailleurs les ont remplacés et, parfois, ceux qui avaient été libérés revenaient sous le joug, parce qu’ils ne trouvaient pas d’autres moyens d’existence. Le gouvernement a alors songé à aider les travailleurs libérés pour qu’ils s’installent normalement dans la vie. L’action du gouvernement a porté quelques fruits mais elle est dispendieuse pour pouvoir être généralisée. Aussi n’a-t-elle pas réussi à éliminer le travail obligatoire. L’institution est en fait basée sur la conjonction de trois facteurs tenaces : la pauvreté de la population, l’incapacité de certaines personnes à gérer le budget familial avec une propension à s’endetter et les difficultés pour les entreprises de trouver une main d‘œuvre pour assurer les travaux pénibles comme par exemple dans les carrières de granit, loin des agglomérations. L’État doit rectifier le tir. Il pourrait déclarer que la dette est éteinte et que le contrat de travail continuerait sous l’empire des lois ordinaires du travail et de veiller à la stricte application de ces lois par le renforcement des agents de d’inspection du travail

4 Bonded Labour System (abolition) Act, 1976.

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La législation du travail dans l’Inde du XXIème siècle

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B - La fin du contrat de travail

La résiliation du contrat de travail, dans le secteur non organisé, peut se

faire du jour au lendemain au gré de l’une des parties ; le salarié se contente de ne pas venir au travail, ou bien l’employeur le congédie sans aucune formalité.

Dans le secteur organisé, concernant les salariés temporaires, chacune des

parties au contrat peut mettre fin au contrat après un préavis. Cela ne se produit presque jamais. Le salarié peut quitter brusquement le travail et l’employeur ne lui en tient pas rigueur. L’employeur quant à lui préfère en règle générale verser le salaire correspondant au préavis et se débarrasser ainsi immédiatement du salarié. Un tel renvoi pur et simple n’est pas possible en ce qui concerne les salariés permanents ou quasi permanents, c’est à dire ceux qui remplissent les conditions prescrites pour être déclarés permanents, bien qu’ils continuent à être qualifiés de temporaires.

En cas de fermeture d’usine, de compression du personnel ou de cession

d’entreprise ou d’établissements employant au moins 50 personnes, le paiement préalable d’une indemnité de licenciement de 15 jours de salaire par année de service est obligatoire en plus du préavis ; cette règle est valable pour tous les salariés ayant plus d’un an de service continu, quel que soit le statut donné par l’employeur. Dans les établissements employant au moins 100 personnes, l’autorisation préalable de l’administration du travail est obligatoire

Le licenciement pour compression de personnel doit commencer par les

derniers embauchés En cas de réembauche, les salariés licenciés pour cette raison ont un droit de préférence. L’employeur ne peut pas embaucher un nouveau salarié sans avoir au préalable offert le poste de travail aux salariés licenciés, par ordre d’ancienneté.

En dehors de ces cas, la rupture du contrat ne peut se faire que par voie de

licenciement pour faute. Ce licenciement ne peut être prononcé qu’à la suite d’une procédure disciplinaire établie par la loi, quel que soit le statut du salarié. C’est à l’employeur de prouver par ses propres moyens que le salarié s’est rendu coupable d’une faute grave. Tout licenciement sans enquête contradictoire est réputé non justifié. L’employeur n’a pas à rapporter la

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preuve de la faute devant le tribunal. Le tribunal ne doit pas juger des conclusions de l’employeur sur la culpabilité et substituer son propre jugement à celui de l’employeur. Il doit seulement s’assurer que l’enquête établissant la faute a été menée de bonne foi, sans esprit vindicatif et conformément aux règles de la justice naturelle.

La décision judiciaire est donc aléatoire et dépend plus de la capacité de

l’employeur à respecter la procédure que de la gravité de la faute. Il serait préférable que chaque type de contrat de travail puisse avoir un mode de résiliation unilatérale, sans évocation de faute, avec indemnité de licenciement substantielle si la rupture est à l’initiative de l’employeur, ce qui mettrait les salariés à l’abri d’actes capricieux de la part des employeurs. Cela permettrait aussi d’éviter un contentieux stérile et abondant.

Concernant l’issue du procès, le tribunal du travail devait en cas de

licenciement abusif ordonner obligatoirement la réintégration du salarié, avec ou sans arriérés de salaire .Cette solution affectait la bonne marche de l’entreprise car l’employeur perdait la face et ne pouvait maintenir la discipline. Il essayait par tous moyens, notamment en saisissant la Cour supérieure de l’État, de retarder l’exécution de la sentence. Il a été mis fin à ce problème par une modification de la loi en 1971 suite à une recommandation n° 119 de l’OIT, en permettant aux juridictions soit d’ordonner la réintégration du salarié, soit d’infliger une punition plus légère, soit d’ordonner une compensation en argent.

Que ce soit pour compression du personnel ou pour faute, l’employeur

n’a plus la faculté de licencier les salariés selon son gré. De même, le salarié après un certain nombre d’années de service, pour ne pas perdre ses avantages dus à l’ancienneté, est forcé d’abandonner toute idée de rechercher un meilleur emploi. La liberté vient donc à manquer au salarié comme à l’employeur, le premier est lié en fait, le second l’est en droit. Il y a ici un blocage qui est loin d’être le signe d’une société saine. Si on y regarde de près, l’employeur est autant intéressé par la stabilité de la main d’oeuvre que le salarié par la sécurité de son emploi. De même le salarié est intéressé par la possibilité d’aller d’un emploi à un autre, comme l’employeur de se délester d’un salarié qui, pour une raison ou une autre, ne lui est plus nécessaire. Sécurité d’emploi et mobilité ne s’excluent pas nécessairement. Tout dépend des circonstances et des modalités. Il serait souhaitable de rechercher à cet effet une réglementation appropriée et souple.

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II - Les conditions de travail

Aux conditions de travail communes aux travailleurs (A) s’ajoutent pour certaines catégories des conditions particulières (B).

A - Conditions générales de travail

1 - Le statut du travailleur

Une grande incertitude régnait à propos des conditions du travail ; c’était

une source perpétuelle de tension, et même de conflits. Pour y mettre fin, en 1946, une loi a été adoptée5. Elle ne définit pas le contrat du travail. Elle prévoit sept catégories de travailleurs : les permanents, les stagiaires, les remplaçants, ceux engagés pour une durée déterminée, les temporaires, les occasionnels, et les apprentis.

La loi s’applique à toute entreprise ayant au moins 100 salariés. Elle

exclut de son champ d’application ceux préposés à des tâches de supervision, d’administration et de management. Elle prescrit que les entreprises doivent soumettre à l’approbation du gouvernement le règlement intérieur fixant les conditions de travail des salariés, faute de quoi le règlement intérieur type annexé à la loi serait applicable. Le texte du règlement doit être mis à la disposition des salariés à l’intérieur de l’établissement dans un endroit accessible. Toute question relative à l’application ou à l’interprétation du règlement sera portée devant le tribunal du travail

Quand un nouveau travailleur est embauché, il est censé avoir accepté

toutes les conditions telles qu’elles se trouvent édictées dans le règlement intérieur et les sentences arbitrales en vigueur. Ce n’est presque jamais le cas dans la réalité ; le travailleur découvre cela au fur et à mesure qu’il est confronté à des situations qui posent problème.

Cette loi est évidemment une grande avancée. Il serait souhaitable qu’elle

s’applique à tous les travailleurs quelle que soit la catégorie à laquelle ils appartiennent et quel que soit le contrat de travail dont ils sont titulaires. Des

5 Industrial Employment (standing orders) Act, 1946.

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contrats modèles pourraient être établis par la voie légale ou réglementaire, en laissant la possibilité aux parties d’y déroger de manière expresse. Ceci n’exclut pas que des contrats individuels de travail « sur mesure » puissent être conclus si nécessaire. Ce serait un peu comme les régimes matrimoniaux. Ainsi secteur organisé ou non, tout les travailleurs auraient des conditions de travail déterminées par un statut.

2 - Le salaire minimum

Le salaire minimum a été préconisé par une convention de l’OIT de 1928.

Il est destiné à assurer un revenu minimum aux travailleurs qui n’ont pas un pouvoir de négociation et dont les salaires sont extrêmement bas. En ce domaine, la législation a lentement pris corps en Inde. Quand le besoin s’est fait sentir de protéger les intérêts du personnel démobilisé après la guerre, une loi a été adoptée6. Elle couvre le travail agricole et les industries où les salaires étaient extrêmement bas, comme les mines, les fabriques de tapis, l’industrie du tabac, les plantations, le bâtiment. La loi laisse donc de côté ceux qui ont un salaire plus élevé que le minimum qui pourrait être prescrit et ceux qui sont employés dans le travail domestique et qui sont très nombreux On ne comprend pas pourquoi les travailleurs domestiques ont été exclus du champ d’application de la loi, si ce n’est parce que faisait défaut une volonté politique de les protéger.

Le salaire minimum est déterminé par les États fédérés sur proposition

des commissions et après avoir recueilli tous les avis qui s’imposent. Le salaire minimum est aujourd’hui fixé en fonction des catégories d’emploi et des régions. Il est périodiquement révisé selon la même procédure pour tenir compte de l’inflation et d’autres facteurs. Dans les secteurs comme l’agriculture où il était d’usage de payer en nature une partie du salaire, le gouvernement peut autoriser cette pratique. Elle est d’ailleurs à l’avantage des travailleurs dans le secteur agricole parce qu’ils obtiennent ainsi des denrées fraîches à un meilleur prix.

En cas de non paiement du salaire minimum, les personnes concernées

peuvent saisir l’inspecteur du travail qui pourra ordonner le paiement de la différence entre le salaire versé et le salaire minimum ainsi qu’une compensation n’excédant pas dix fois ladite différence. L’employeur rebelle

6 Minimum Wages Act, 1948.

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pourra également être poursuivi et condamné à l’emprisonnement ou à une amende ou aux deux. On pourrait penser qu’avec des dispositions si contraignantes, la loi serait correctement appliquée. Ce n’est pas toujours le cas. Il y a à cela plusieurs raisons : ignorance de la loi, difficultés pour les intéressés de saisir les autorités qui sont situées dans les villes et qui sont trop peu nombreuses pour veiller à l’application de la loi dont le champ d’application est très vaste, surtout dans le milieu rural. De plus, certains travaux ne pourraient être effectués avec l’équipement dont ils dotés si le salaire minimum devait être payé ; dans ces cas une application stricte de la loi conduirait au chômage. On saisit ici sur le vif la nécessité pour la loi d’aller de pair avec l’économique, le social et le culturel. La loi pourrait jouer un rôle moteur si elle était juste un peu plus ambitieuse que ce qu’elle est aujourd’hui, quitte à être modifiée progressivement tout en veillant à ce qu’elle soit suivie d’effet, sachant qu’elle « perdrait pied » et deviendrait vaine si elle s’en éloignait trop des réalités économiques,culturelles et sociales. Ceci dit, il est une chose qui peut être généralisée c’est l’indexation obligatoire des salaires. Ainsi, au moins le salaire consenti au moment de l’engagement serait respecté, ce qui n’est pas le cas actuellement.

B - Les conditions de travail particulières à certaines catégories de travailleurs

1 - Le travail des femmes

La loi sur les fabriques de 1934 révisée en 1948, qui s’applique à toute

entreprise employant au moins dix personnes et utilisant l’énergie électrique ou, le cas échéant, aux entreprises d’au moins vingt salariés, contient des dispositions spéciales sur le travail des femmes7. À titre d’exemples : aucune femme ne peut être employée avant six heures du matin et après sept heures du soir ; toute entreprise employant plus de 30 femmes a l’obligation de créer des crèches. Ces dispositions ont été complétées par une loi de 1961 prévoyant un congé de maternité payé de douze semaines dont six semaines au plus après l’accouchement8. Pendant un mois précédant les six semaines avant l’accouchement, la femme ne pourra pas être astreinte à un travail ardu ou exigeant de longues heures de station debout.

7 Factories Act, 1948. 8 Maternity Benefit Act, 1961.

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Une modification de cette loi en 1995 a permis d’accorder aux femmes ayant subi une opération de tubectomie un congé payé pendant les deux semaines qui suivent l’intervention. C’est une mesure de politique démographique.

Le droit des femmes à accéder à tout poste de travail, en application du

principe de l’égalité de traitement, a été consacré 1976 par une loi9. Mais seulement 25 % des femmes travaillent. Beaucoup de femmes préfèrent encore ne pas travailler hors de leur maison. Même celles qui ont travaillé s’arrêtent après le mariage. Certains employeurs ont recours à des moyens détournés pour barrer l’accès de leurs entreprises aux femmes.

On trouve maintenant des femmes presque dans tous les métiers, sauf

ceux où l’emploi des femmes est interdit ou restreint par la loi. Mais dans beaucoup de métiers encore, les femmes sont en minorité ; et dans certains, elles son majoritaires. Le fait est qu’elles évitent certains métiers ou en affectionnent d’autres. Certains employeurs de leur côté préfèrent des femmes pour certains métiers et des hommes pour d’autres.

Le droit à un salaire égal pour un travail égal a fait couler beaucoup

d’encre. Ce principe a été consacré dans la Constitution (art. 39 d) comme un principe directeur de gouvernement. En tant que tel, il n’ouvre pas droit à un recours. En 1962, la Cour suprême a rejeté une requête basée sur ce principe. Vingt ans plus tard la même Cour a combiné cet article avec l’article 14 de la Constitution qui fait de l’égalité un droit fondamental dont on peut obtenir l’application par la voie judiciaire. Cette décision a permis de donner plus de poids au principe de l’égalité des salaires. La portée de cette décision a été atténuée sept ans plus tard, la Cour faisant remarquer que l’article 14 sus évoqué autorise à retenir des distinctions raisonnables pour éviter d’appliquer sans discernement le principe d’égalité de traitement. Par conséquent, si un des éléments relatif au travail est différent, alors la disparité des salaires est permise. Cette décision pourrait ouvrir la voie à des pratiques discriminatoires, sous un prétexte ou un autre jusqu’à ce que la justice tranche chaque cas.

Le législateur s’est également saisi de cette question. La loi susvisée de

1976 prescrit l’égalité des salaires pour les travailleurs des deux sexes. Mais 9 Equal Remuneration Act, 1976.

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il définit le même travail ou un travail similaire comme celui qui exige la même aptitude professionnelle, le même effort et la même responsabilité ou lorsque la différence n’a pas d’importance pratique. Cela ouvre aussi la voie à une appréciation subjective. Pour résoudre les conflits, la loi donne pouvoir aux instances désignées par la loi, dont les Inspecteurs de travail, le pouvoir de décider s’il y a similarité ou pas

Voilà donc le principe de l’égalité des salaires pulvérisé. Les tribunaux

comme le gouvernement se réservent le droit de décider au cas par cas. Cette différence de traitement qui reste ancrée dans les faits est le résultat d’une collusion tacite du législateur, du juge, du patronat et des syndicats. Le salaire de la femme est considéré comme un revenu d’appoint. Le mari n’aime pas trop qu’elle gagne plus que lui. Elle est elle-même prompte à accepter un salaire inférieur. C’est donc une question de mentalité ; la société n’est pas encore mûre pour la reconnaissance sans réserves du principe de l’égalité des salaires entre les hommes et les femmes.

Bien que le législateur ne se soit pas particulièrement intéressé à la

femme au travail, certains aspects de la vie des femmes n’ont pas suffisamment retenu son attention. En premier lieu, on oublie trop facilement que le rôle de la femme dans la perpétuation de l’espèce humaine dépasse de loin les autres considérations qui en conséquence doivent lui être subordonnées. L’intérêt de l’espèce exige que la procréation se fasse à l’âge le plus favorable, soit environ entre 20 et 30 ans. Par conséquent, la législation tout en laissant aux femmes leur liberté d’action, pourrait prévoir l’étalement des études, développer l’enseignement à distance, le travail à domicile, le travail à temps partiel et toutes autres mesures qui permette à la femme de mener de front la maternité et les études ou le travail. Pour bien faire, il faudrait aussi considérer le cas du mari qui pourrait bénéficier lui-même de telles mesures pour soulager la femme ou même la remplacer dans l’éducation des enfants.

L’allègement nécessaire du travail du couple va évidemment exiger de

l’argent. Les dépenses supplémentaires qui en résultent ne doivent pas être laissées à la charge de l’entreprise qui serait alors tentée d’éviter d’employer des femmes en âge de procréer. Elles doivent être prises en charge par la collectivité publique car il s’agit en réalité de dépenses d’intérêt général.

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La deuxième période de la vie des femmes qui est complètement ignorée est la ménopause. Si la majorité des femmes la traverse sans encombre, certaines la vivent très mal et sont même affligées de troubles de santé. S’il leur arrive d’occuper des postes de direction, d’enseignement ou de relations sociales, leur contact est pénible pour les usagers des services auxquels elles sont occupées. Il serait facile d’y remédier, s’il n’y avait pas un tabou en ce domaine. La législation du travail pourrait prendre en considération ces faits et élaborer des mesures en faveur des intéressées pour leur permettre de traverser cette période de leur existence en prenant un congé, ou en travaillant à temps partiel ou en changeant d’activité.

2 - Le travail des enfants

La loi de 1948 prohibe le travail des enfants de moins de 14 ans dans les

fabriques telles qu’elles ont été définies par cette loi et précisées plus haut. Les enfants âgés de 14 à 17 ans doivent posséder un certificat médical pour pouvoir travailler. La prohibition du travail des enfants dans les mines ou à des travaux dangereux a reçu une consécration constitutionnelle en 1950. Une loi de portée générale a été adoptée en1986. Elle interdit l’emploi des enfants de moins de 14 ans dans beaucoup d’emplois. Mais elle exempte de cette prohibition ceux employés dans les familles et les écoles10. Dans les secteurs non interdits, le temps du travail ne doit pas excéder six heures y compris une demi-heure de repos. Pas de travail avant sept heures du matin ni après huit heures du soir. Pas de travail dans un établissement si l’enfant a déjà travaillé dans un autre établissement dans la même journée. Toute violation de la loi entraîne une peine d’emprisonnement de trois mois à un an ou une forte amende.

L’application de cette loi laisse à désirer ; elle n’est pas non plus facile.

On estime à plusieurs millions le nombre d’enfants au travail, le plus souvent partiel. Les parents ont besoin de l’apport en énergie des enfants pour les travaux à l’intérieur de la maison ou aux champs, ou de leurs petits salaires comme complément du budget familial.

Cet ensemble des dispositions prohibitives serait inutile si les enfants

étaient scolarisés. C’est le but de la révision constitutionnelle de 2002 qui a érigé l’instruction jusqu’à l’âge de 14 ans en un droit fondamental et l’a

10 Child Labour (prohibition and regulation) Act, 1986.

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rendu obligatoire. Mais la tâche est gigantesque. Dans quelques États du nord de l’Inde, 20% des enfants en âge scolaire ne reçoive aucune forme d’éducation.

Par ailleurs, les parents qui ont consenti à mettre leurs enfants dans les

écoles ont eu aussi des déboires. Dans les villages, les instituteurs, qui sont des citadins, sont régulièrement absents et n’assurent pas un enseignement efficace. Les parents sont illettrés et ne peuvent pas orienter leurs enfants. L’obligation de scolarisation des enfants peut être réalisée grâce à l’attrait de la cantine scolaire. Mais scolarisation n’est pas synonyme de scolarité réussie. Beaucoup d’élèves après une scolarité de dix ans savent à peine lire, n’ont acquis aucune qualification professionnelle. Ils ont en revanche pris des habitudes de paresse et peinent à s’insérer dans la société. Sur le marché du travail, ils sont moins côtés que leurs camarades qui n’ont pas fréquenté l’école, mais qui savent se servir de leurs mains et qui consentent à travailler.

Pour que l’enseignement universel soit utile pour la société qui est

obligée de fournir à cet effet un gros sacrifice financier, il faut réformer de fond en comble l’enseignement primaire pour les enfants d’illettrés. A l’heure actuelle, l’objet des études a été conçu par des intellectuels habitués à manier les abstractions ; il est transmis par des maîtres du même acabit. Il est facilement accessible seulement à ceux qui ont une tournure d’esprit appropriée. Un nombre non négligeable de jeunes, valables par ailleurs, n’ont pas une tournure d’esprit faite pour ce genre d’études, ils sont rebutés par les leçons qu’on veut leur inculquer de force, se rebellent, deviennent agressifs contre les pontifes d’un tel enseignement qui les condamne à l’échec.

Il semble nécessaire d’élaborer parallèlement au système actuel

d’enseignement un autre système pour ceux qui ne réussissent pas dans le premier avant qu’ils ne s’installent dans une situation d’échec. Ce programme aurait pour objet l’acquisition des aptitudes de base (lecture, calcul et capacité d’écoute), tout en facilitant l’accès à des connaissances qui peuvent être dispensées par les moyens audio visuels. Ce programme devrait également éviter le chemin escarpé vers l’abstraction et inculquer les mêmes notions à l’aide d’autres supports ou activités, images, graphiques, croquis, constructions etc. On peut même prévoir à partir d’un certain âge des activités productives qui motiveraient les enfants qui en auraient besoin. C’est ce type d’enseignement qui a été préconisé par Gandhi. L’abolition du

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travail des enfants passe donc nécessairement par la mise en place d’une éducation rénovée et où l’échec est aboli.

III - Les modes de résolution des conflits du travail

Il a déjà été signalé l’existence d’une multitude de juridictions du travail.

Il s’agira ici non pas de les passer toutes en revue mais simplement de donner une idée du mécanisme judiciaire le plus important et le plus souvent utilisé. La première loi en la matière date de 1929 ; elle a été remplacée en 1947 par une loi plus détaillée11 qui a subi elle-même plusieurs modifications de détail ultérieurement, dont la dernière date de 1996.

Pour la résolution des conflits du travail, la loi prévoit une gamme assez

large d’instances : le comité d’entreprise, l’organe de règlement des griefs, le conciliateur, la commission de conciliation, l’arbitre, le tribunal du travail et la cour industrielle.

Le comité d’entreprise comprenant des représentants en nombre égal de

l’employeur et des salariés a pour mission de promouvoir la paix sociale et les bonnes relations ainsi que de résoudre les différends au niveau de l’entreprise. Il n’existe pas d’études sur l’efficacité de cette institution. Sa suppression n’est pas non plus demandée.

L’organe de règlement des griefs est de création plus récente et date de

1982. L’employeur a l’obligation de mettre sur pied cette instance pour régler au sein même de l’entreprise les conflits individuels. Dans la perspective où les employeurs ne se montreraient pas très d’enthousiasme, la loi prévoit que les autorités gouvernementales ne prendront pas en considération les conflits s’ils n’ont pas été soumis au préalable à cet organe. Les syndicats ne semblent pas non plus témoigner de beaucoup de confiance vis-à-vis de cet organe patronal. En tout cas, le nombre de conflits parvenant jusqu’à l’État ne semblent pas avoir diminué depuis leur création.

Le conciliateur de sa propre initiative ou à la demande des parties doit

prendre des mesures pour les aider à trouver une solution au différend. Le compromis atteint est signé par les parties et contresigné par le conciliateur. 11 Industrial Disputes Act, 1947.

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Si la conciliation échoue, il est établit un procès verbal de non conciliation. En considération de ce procès verbal, le gouvernement peut déférer le conflit devant les instances judiciaires. Les parties peuvent également demander à présenter leur différend devant une juridiction sans avoir préalablement recouru à la conciliation. Cette voie est très rarement empruntée.

Le conciliateur jouit parfois d’un renfort pour régler les questions

urgentes et simples ayant une incidence financière forte et immédiate. Dans ces cas, les syndicats insistent pour que les pourparlers se déroulent devant le ministre du travail ou le premier ministre. Ceux-ci, d’une part sont enclins à intervenir en ces matières pour augmenter leur prestige, (la loi ne prévoit pas leur intervention) et d’autre part il s’agit souvent de mettre fin à des grèves prolongées qui risquent de perturber le cours de la société. Le patronat concède devant le ministre ce qu’il ne ferait pas devant le conciliateur car il ne veut pas contrarier le gouvernement dont il a constamment besoin pour l’entreprise. Le résultat final est consigné sous forme de procès verbal de conciliation signé par les parties et contresigné par le conciliateur.

La commission de conciliation se compose d’un Président et de deux ou

quatre membres désignés en nombre égal par les parties. Elle est constituée par le gouvernement s’il lui semble qu’un conflit peut être résolu par son intermédiaire ou sur demande des parties au litige. Si la conciliation échoue, le gouvernement peut référer ou non le conflit à une instance judiciaire. En pratique la commission de conciliation est rarement constituée.

L’arbitrage est possible si les deux parties tombent d’accord pour

soumettre leur différend à une personne ou à un collège de personnes choisi par elles. L’arbitrage tel qu’il est prévu par la loi est rarement utilisé, car il est rare que les parties tombent d’accord sur les personnes dont la décision va les lier.

Pour statuer judiciairement, coexistent deux sortes de juridictions : le

tribunal du travail au niveau du district et la cour industrielle au niveau de l’État. Celle-ci s’occupe des questions relatives aux conditions du travail, aux salaires etc. qui se posent périodiquement. Le tribunal du travail est compétent pour traiter des affaires courantes dont le licenciement. Même les affaires relevant normalement de la cour industrielle peuvent être portées devant le tribunal du travail si le nombre de salariés concernés est réduit. Ces

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deux instances sont très utilisées. Elles peuvent être saisies soit au vu du procès verbal de non conciliation soit à la demande des parties.

Ce sont les juges ordinaires qui sont nommés pour présider ces

juridictions. Ce n’est pas très heureux car les conflits collectifs du travail ont leur spécificité par rapport aux affaires judiciaires classiques. De plus, les parties au litige ne se quittent pas après la sentence mais sont destinées à oeuvrer ensemble. La solution du litige doit donc viser non seulement l’équité mais aussi la paix sociale ainsi que la survie de l’entreprise. Le besoin de juges spécialisés s’impose.

Ces juridictions après instruction de l’affaire transmettent leur sentence

au gouvernement qui la publie dans le journal officiel. La sentence devient exécutoire à l’expiration de 30 jours à partir de la publication, à moins que dans l’intervalle le gouvernement déclare par voie de notification au journal officiel que la sentence ne sera pas exécutée pour des raisons d’intérêt public. Dans ce cas, dans le délai de 90 jours à partir de la publication de la sentence au journal officiel, le gouvernement doit prendre une décision rejetant entièrement la sentence ou la modifiant. Elle doit déposer au bureau de l’assemblée sa décision à la première occasion et cette décision du gouvernement devient exécutoire 15 jours après ce dépôt. Si le gouvernement n’a pris dans les 90 jours aucune décision rejetant ou modifiant la sentence, celle-ci devient exécutoire. A notre connaissance il n’existe par d’exemple d’intervention du gouvernement de ce type.

En revanche, la sentence du tribunal ou de la Cour est souvent attaquée

pour illégalité, irrégularité ou violation constitutionnelle devant la Cour supérieure de l’État et, en fin de compte, devant la Cour suprême. Celle-ci ne se contente pas de se prononcer sur l’illégalité invoquée. Elle statue souvent sur le fond. De cette manière, la Cour suprême modèle la jurisprudence en matière de travail et établit les normes dans les domaines non couverts par la loi

Mais ces Cours prennent du temps pour trancher les questions et retarde

l’exécution des sentences, ce qui est précisément le but recherché par les patrons. Pour remédier à cela, une modification législative est intervenue en 1982 prescrivant que dans les cas relatifs au licenciement d’un salarié, celui-ci touchera l’intégralité du salaire tant que l’affaire sera pendante.

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On s’aperçoit que le mécanisme mis en place a été conçu pour le règlement des conflits collectifs. D’ailleurs, le conflit de travail a été défini comme un conflit entre salariés ou entre employeurs et travailleurs. Il n’existait pas de recours possible suite au licenciement individuel par exemple, ce qui est cependant à l’origine de la plupart des conflits. On a quand même utilisé à cette fin le mécanisme créé par la loi en recourant à une fiction, à savoir que si un syndicat prenait en main l’affaire, le conflit devenait collectif. Par la suite, trouvant que certains salariés non syndiqués restaient sans possibilité de recours, la loi a été modifiée en 1965 pour permettre au travailleur de saisir individuellement le fonctionnaire chargé de la conciliation. Mais la procédure lourde établie pour résoudre les conflits collectifs qui est parfaitement inutile en ce domaine a été maintenue. Il y aurait lieu de prévoir une procédure spéciale pour les conflits individuels.

Pour conclure, quand on examine dans le détail la législation actuelle, il

apparaît clairement que des solutions dictées par les circonstances ont été érigées en principes et que les institutions se sont sclérosées. Il faut repenser entièrement cette législation. Le travail est une activité normale de l’homme nécessaire à la satisfaction de ses besoins ; il doit être librement consenti, être à la mesure de ses forces et lui permettre de se réaliser ou d’accéder à des loisirs. Toutes les mesures qui tendent à atteindre ce but ont un coût qui va se répercuter sur les biens et les services, ce qui peut poser problème face à la compétitivité internationale. Les pays qui s’engageraient délibérément vers de nouvelles conditions de travail pourraient en effet se trouver temporairement en situation de difficulté sur le marché international. Pour leur permettre de faire face à cette situation, l’OIT pourrait avoir un rôle important à jouer.

L’OIT s’est appliquée jusqu’à présent à élaborer des normes de travail de

plus en plus décentes ; c’est une perspective naturelle et louable face aux conditions de travail souvent très dures qui existent encore de nos jours. Mais tout en allant plus loin, l’institution internationale pourrait envisager, à l’aube du siècle nouveau, un changement d’orientation. Tout en restant préoccupée par les réalités actuelles, l’OIT pourrait concevoir l’idéal à atteindre, et pour cela prendre en compte l’être humain dans son intégralité et viser à une harmonie entre lui et son travail.

Pour remplir pleinement ce rôle, cette institution devrait d’abord devenir

aussi représentative que possible des divers intérêts en présence.

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Actuellement, chaque État membre envoie à la Conférence internationale du Travail quatre délégués. Les employeurs et les salariés ont droit à un délégué chacun. Ils ne répercutent que les problèmes des grandes entreprises et indirectement seulement ceux du monde de travail informel qui est plus important en nombre de travailleurs occupés. Les autres délégués représentent les gouvernements censés représenter l’intérêt général. La faveur en termes de nombre de représentants accordée au profit des gouvernements a été adoptée dans l’idée que la ratification des conventions par les gouvernements serait plus facile. Cela ne s’est pas avéré vrai puisque en 1998 l’OIT a été obligée de déclarer applicables à tous les États membres huit conventions relatives à quatre droits jugés fondamentaux, que ces conventions soient ou non ratifiées. Si le système de représentation des gouvernements n’a pas eu les résultats escomptés, il serait peut être temps de repenser la composition de la Conférence.

Le deuxième défaut de représentativité dans l’OIT, c’est l’importance

égale donnée à tous les États. Certains n’ont que quelques milliers de travailleurs alors que d’autres en ont des centaines de millions. Si la parité de voix entre tous les États quelle que soit leur dimension est de mise dans une organisation comme l’UNESCO où toutes les cultures ont besoin d’être reconnues, elle fausse le jeu à l’OIT où les problèmes et les enjeux ne sont pas les mêmes. En effet, la majorité des 2/3 requise pour l’adoption des conventions pourrait être acquise avec les voix des États, petits et moyens qui ne représentent que 25% des travailleurs du monde. Dans ces conditions, les décisions de l’OIT n’ont pas le poids moral nécessaire sur le plan mondial. Pour y remédier, on pourrait exiger que les conventions soient adoptées par deux tiers des membres et que ceux qui ont voté en faveur de la convention représentent les deux tiers de la population du monde.

En toute hypothèse, pour mettre l’homme au centre de la législation du

travail sur le plan mondial, le chemin sera long et escarpé car il faudra vaincre la masse de préjugés et des idées reçues ainsi que surmonter l’obsession des luttes passées. Ce qui est nécessaire aujourd’hui, c’est un mouvement d’idées qui analyse en toute objectivité, sans inhibition aucune, les bases des rouages actuels et qui propose des solutions nouvelles.

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Bulletin de droit comparé du travail et de la sécurité sociale 2006 77

Jean Bernier Professeur associé Département des relations industrielles Université Laval, Québec

Les disparités de traitement en fonction de l’emploi dans les conventions collectives au Québec

Abstract

Unlike European law and national law in European countries, Quebec legislation, like labour law in other parts of Canada and North America, does not impose any principle of equal treatment on the basis of employment status. Nothing in the current legislative framework prohibits collective bargaining agreements from defining less-favourable working conditions for atypical workers than those applicable to permanent, full-time employees. The contents of 156 collective bargaining agreements were systematically analysed to assess the extent and diversity of differences in treatment arising from these practices. The study investigated collective bargaining agreements currently applicable in Quebec in companies in five business sectors known to make extensive use of atypical workers. These observations certainly raise a number of questions, in terms not only of legality but also fairness. Résumé

Contrairement aux droits européens, communautaire et nationaux, la législation québécoise, pas plus d’ailleurs que les autres droits du travail canadiens et nord-américains, n’impose pas le principe de l’égalité de traitement en fonction du statut d’emploi. Rien dans le cadre législatif actuel n’interdit que les conventions collectives puissent définir, pour les travailleurs atypiques, des conditons de travail moins favorables que celles dont bénéficient les salariés permanents à temps complet. L’analyse systématique du contenu de 156 conventions collectives a permis d’apprécier l’importance et la diversité des disparités de traitement auxquelles ces pratiques donnent lieu L’étude porte sur des conventions collectives en vigueur au Québec dans des entreprises appartenant à cinq branches d’activité réputées pour avoir largement recours à des travailleurs atypiques. Ces constats ne manquent pas de soulever de nombreuses questions tant au plan juridique qu’à celui de l’équité.

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L’évolution du marché du travail a donné lieu à une diversification des formes d’emploi et à une augmentation considérable de ce qu’il est convenu d’appeler les emplois atypiques. Ces emplois se distinguent de la notion classique ou traditionnelle de la « relation de travail dans laquelle on trouve un salarié qui travaille pour un seul employeur dans une relation de subordination juridique, sur le site même de l’entreprise et la plupart du temps à temps plein et pour une durée indéterminée». Selon Statistique Canada (Enquête sur la population active), la proportion de personnes qui se retrouvent avec un emploi atypique a plus que doublé au Québec au cours des trente dernières années. Elle touche maintenant environ le tiers de la population active1. De phénomène marginal qu'il était, l'emploi atypique est devenu pour beaucoup de personnes une façon de « vivre leur vie de travail ». Ces emplois sont souvent synonymes de précarité pour beaucoup de travailleurs2, notamment en raison de la disparité de traitement au plan de la rémunération et des autres conditions de travail entre salariés permanents à temps complet et salariés atypiques, qu’ils soient ou non couverts par une convention collective de travail.

Ce problème connaît une solution, partielle à défaut d’être parfaite, par

l’affirmation de l’égalité de traitement dans certains instruments du droit

1 J. Bernier, G. Vallée et C. Jobin, Les besoins de protection sociale des personnes en situation de travail non traditionnelle, Québec, ministère du Travail, 2003, 807 p. wwwwww..ttrraavvaaiill..ggoouuvv..qqcc..ccaa 2 Le générique masculin est utilisé sans aucune volonté de discrimination.

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international du travail3, du droit communautaire européen4 et dans le droit de certains États, notamment dans le droit français5.

Ce principe de l’égalité de traitement en fonction du statut d’emploi n’est

pas reconnu par le droit québécois6 ni dans le droit des autres provinces du Canada, pas plus que dans le Code canadien du travail7 ou les autres droits nord-américains.

S’agissant des salariés couverts par convention collective, ce problème

avait déjà attiré l’attention de certains chercheurs québécois. Dès 1986, une étude de Michel Brossard et Marcel Simard8 mettait en lumière, à partir d’une analyse du contenu de 131 conventions collectives, des traitements différenciés en fonction de ce qu’ils appellent « les situations et statuts de travail ».

3 Convention n° 175 sur le travail à temps partiel (1994), Recommandation n° 182 sur le travail à temps partiel (1994), Convention n° 177 sur le travail à domicile (1996), Recommandation n° 184 sur le travail à domicile (1996) 4 Voir notamment : Directive 91/383/CEE – JOCE n° L 206/19- 29 juillet 91, Directive 97/81/CE du Conseil du 15 décembre 1997 concernant l’accord-cadre sur le travail à temps partiel conclu par l’UNICE, le CEEP et la CES - Annexe : Accord-cadre sur le travail à temps partiel, JOCE n° L 014 du 20 janvier 1998, CONSLEG - 97L0081 – 05 mai 1998 - 13 p., modifié par 398L0023 ( JOCE n° L 131, 05 mai 1998, p. 10). Directive 1999/70/CE du Conseil du 28 juin 1999 concernant l’accord-cadre CES, UNICE et CEEP sur le travail à durée déterminée, JOCE n° L 175 du 10 juillet 1999, Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative aux conditions de travail des travailleurs intérimaires (présentée par la Commission), Commission des Communautés Européennes, Bruxelles, le 20 mars 2002, COM (2002) 149 final, 2002/0072 (COD). 5 J. Pélissier, A. Supiot, et A. Jeammaud, Droit du travail, 23e édition, Paris, Dalloz, 2006, 1387 p. 6 Si ce n’est de façon bien partielle et bien imparfaite par les articles 41.1 et 74.1 de la Loi sur les normes du travail, L.R.Q., c. N-1.1, relatifs au salaire du travailleur à temps partiel qui gagne moins de deux fois le salaire minimum et à l’indemnité de congé annuel de ce salarié. 7 L.R.C. (1985), c. L-2 8 M. Brossard et M. Simard, Les Statuts de travail. Une analyse socio-institutionnelle de la population active québécoise, Gouvernement du Québec, Commission d’étude sur le travail, 1986, 121 p. (sp. p. 75 à 98).

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Plus tard, en 1999, Guylaine Vallée posait ainsi le problème : « On peut penser que ces clauses ont été élaborées dans un contexte où les statuts atypiques étaient marginaux, qu’ils ne représentaient qu’une petite proportion des salariés assujettis à la convention collective et qu’ils ne constituaient qu’un passage dans la carrière d’un individu dans l'attente d’un poste régulier à temps plein : les exclusions qu’elles instauraient à l’égard de ces salariés étaient donc temporaires »9.

En 2003, le Comité d’experts chargé d’étudier les besoins de protection

sociale des personnes en situation de travail non traditionnelle s’est longuement penché sur cette question. Dans son rapport, il notait que « Rien dans le cadre législatif actuel n’empêche cependant les conventions collectives de contenir des clauses établissant des catégories différentes de salariés aux fins de l’octroi des avantages qu’elles contiennent »10. « Le contenu de la convention collective peut comprendre toute disposition portant sur des conditions de travail qui n’est pas prohibée par la loi ou contraire à l’ordre public (C.t., art. 62). Par ailleurs, l’établissement de catégories distinctes de salariés dans les conventions collectives en ce qui concerne les conditions de travail ne serait pas contraire à l’obligation de représentation juste et égale du syndicat à l’égard des salariés qu’il représente11 (C.t., art. 47.2)»12.

C’est ainsi que, « des salariés qui effectuent le même travail pour un

même employeur pourront, suivant qu’ils sont considérés comme « réguliers », « permanents », « à contrat », « temporaires » ou « à temps partiel », pour reprendre le vocable usuel des conventions collectives, avoir un accès différencié aux règles relatives à la protection de l’emploi, au rappel au travail, aux assurances collectives, aux congés de maladie ou autres congés, etc. Des employés temporaires peuvent être exclus du cumul de l’ancienneté ou de la procédure d’arbitrage des griefs. Des salariés

9 G. Vallée « Pluralité des statuts de travail et protection des droits de la personne: quel rôle pour le droit du travail ? », (1999) 54, Relations industrielles, p. 277-302. 10 J. Bernier, G. Vallée et C. Jobin , op. cit., p. 171. 11 Sur l’obligation de représentation du syndicat, voir : Tremblay c. Syndicat des employées et employés professionnels et de bureau, section locale 57 (SIEPB-CTC-FTQ), 2002 CSC 44; D.T.E. 2002T-455 (C.S.C.). Voir aussi les distinctions apportées par R.P. Gagnon, L. Le Bel et P. Verge, Droit du travail, 21e éd., Sainte-Foy, Les Presses de l’Université Laval, 1991, 1065, aux pages, p. 364 et s. 12 Ibidem, p. 171, note 303.

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permanents à temps plein peuvent aussi avoir priorité sur les salariés à temps partiel ou occasionnels, peu importe la durée véritable de leur lien d’emploi, pour déterminer l’ordre des mises à pied pour manque de travail ou l’attribution du temps supplémentaire »13.

Toutefois, mis à part l’étude de Brossard et Simard de 1986, aucune

analyse systématique du contenu des conventions collectives n’avait été effectuée en vue d’apprécier l’étendue de ces disparités de traitement de même que les diverses formes qu’elles sont susceptibles de revêtir. Tel est l’objet de la recherche réalisée au printemps 2006 en partenariat avec le Ministère du travail du Québec et dont nous allons présenter les principaux résultats14.

L’étude porte sur 156 conventions collectives, conclues au niveau de

l’entreprise ou de l’établissement selon le régime défini au Code du travail du Québec15. Elles s’appliquent à des unités d’accréditation syndicale comptant 75 travailleurs et plus, couvrant au total 34 307 salariés dans cinq branches d’activité réputées pour avoir largement recours à des travailleurs atypiques, soit l’hôtellerie et la restauration, l’alimentation (grande distribution), les autres commerces de détail, le secteur manufacturier et les municipalités16. Il s’agit de conventions qui ont été déposées en 2004, dernière année pour laquelle des données complètes étaient disponibles. La 13 J. Bernier et G. Vallée, Pluralité des situations de travail salarié et égalité de traitement en droit du travail québécois, Analyse juridique et valeurs en droit social, Études offertes à Jean Pélissier, 2004, Dalloz, 631 p., p. 69 à 91. 14 Cette recherche réalisée par l’auteur de cette contribution a été rendue possible grâce à la participation de Lise Boisclair, agente de recherche et de planification socio-économique et Louis-Antoine Côté, assistant de recherche ; y ont également collaboré Bernard Pelletier et Diane Boisvert, agents de recherche et de planification socio-économique. 15 Code du travail, L.R.Q., c C-27. 16 Ont donc été exclues de cette étude les conventions applicables dans les entreprises des secteurs suivants : agriculture, pêche, exploitation forestière, mines, construction, intermédiaires financiers et assurances, transport, communication, commerce de gros, services immobiliers, services aux entreprises. Ont également été exclues toutes les conventions collectives des secteurs public (fonctionnaires) et para-public (éducation, santé et services sociaux) : non qu’on y retrouve pas de travailleurs atypiques, au contraire, mais, ces conventions sont régies par un cadre juridique particulier de telle sorte qu’elles devraient faire l’objet d’une étude distincte.

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quasi-totalité est encore en vigueur au moment de la publication des résultats.

Au plan de la rédaction, on observe deux techniques distinctes. Certaines

conventions réservent l’exercice de certains droits aux salariés permanents à temps complet sans référence aux salariés atypiques alors que le texte de la convention ne laisse aucun doute quant à la présence de tels salariés dans le champ d’application de la convention. D’autres conventions excluent nommément certaines catégories ou prévoient explicitement un traitement différent selon le statut d’emploi. Pour les fins de la présente étude, les deux types de situation ont été considérés comme porteurs de disparité.

L’étude permet d’abord de constater que certaines catégories de

travailleurs atypiques sont totalement exclues des avantages que procure la convention collective ou encore de la procédure de réclamation qui est préalable au recours à l’arbitrage des griefs, forum exclusif17 en matière de plaintes relatives à l’interprétation et à l’application des conventions collectives. Le plus souvent cependant, le travailleur atypique demeure couvert par la convention collective sans pour autant bénéficier des mêmes avantages que les salariés à temps complet et à contrat à durée indéterminée.

Les conventions collectives étudiées désignent sous une multitude de

vocables les travailleurs atypiques. Lors de la collecte des données, le vocabulaire utilisé par les parties aux conventions a été respecté et nous avons identifié, en fonction de chacun des vocables, les disparités de traitement observées. Toutefois, pour la présentation des résultats et à des fins de clarté, les données ont été regroupées en quatre catégories non mutuellement exclusives : les salariés à temps partiel, les occasionnels18, les étudiants et les autres19.

17 Code du travail, art. 100 et s. Voir aussi R. Blouin et F. Morin, Droit de l’arbitrage de grief, 5e édition, 2000, Les éditions Yvon Blais inc., 763 p. (sp. p. 23). 18 Nous avons appelé occasionnels, les salariés à contrat à durée déterminée qui sont susceptibles de travailler avec une certaine régularité : occasionnels, temporaires, surnuméraires, sur appel, remplaçants. 19 Nous avons regroupé sous cette catégorie, ceux dont le lien d’emploi risque d’être plus sporadique : auxiliaires, réservistes, contractuels, saisonniers, pigistes, suppléants.

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I - L’exclusion des travailleurs atypiques de la protection conventionnelle

Certaines conventions collectives (17 conventions sur 156, soit 11 %) excluent spécifiquement certaines catégories de salariés de l’application de la convention collective, notamment les étudiants (15) et les salariés occasionnels (5).

Un nombre plus important de conventions, soit le tiers, limite l’accès à la

procédure de réclamation. C’est ainsi que 21 conventions (13%) privent totalement d’un tel recours certaines catégories de salariés : les étudiants et les salariés occasionnels. D’autres en restreignent l’accès (20 %), en excluant certains sujets, notamment en matière de mesures disciplinaires ou de licenciement, ou en assujettissant l’exercice d’un tel recours à certaines conditions, le plus souvent une période d’ancienneté ou l’obligation pour des salariés occasionnels, sur appel ou à temps partiel d’avoir accumulé un nombre déterminé d’heures de travail. Ces « temps d’attente » peuvent varier de façon importante d’une convention à l’autre, par exemple, 420 heures dans une convention et 2080 dans une autre.

Cette exclusion de l’application des dispositions de la convention

collective ou du recours à la procédure de règlement des griefs soulève une double question. En effet, selon Code du travail, l’employeur doit retenir à la source un montant égal à la cotisation syndicale pour chacun des salariés compris dans le champ d’application de la convention collective, qu’il soit membre ou non du syndicat20. Est-ce donc à dire que certains salariés financent le syndicat qui les représente sans bénéficier pour autant des avantages de la convention collective applicable à l’unité de négociation à laquelle ils appartiennent ou sans pouvoir exercer les recours qui naissent de cette convention en leur faveur ?

20 Code du travail, art. 47.

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II - La prise en compte de l’ancienneté dans les conventions collectives de travail

L’ancienneté, définie habituellement comme la durée du service continu d’un salarié chez son employeur, joue un rôle important dans une multitude de situations relatives à la carrière du salarié dans l’entreprise ou à la jouissance de certains avantages. Ainsi, par exemple, le congé annuel sera plus long pour les salariés ayant accumulé plus d’ancienneté ; certaines conventions prévoient que l’employeur doit verser une prime à l’ancienneté aux salariés ayant atteint un certain nombre d’années d’ancienneté. Mais, l’ancienneté est aussi largement utilisée comme régulateur dans les situations où les salariés se trouvent en concurrence, par exemple pour le choix de la période annuelle de congés payés, pour le choix d’un quart de travail en situation de travail posté, pour la postulation d’un trajet comme conducteur de bus. Le travail à effectuer en temps supplémentaire et rémunéré à un taux majoré sera offert aux salariés par ordre d’ancienneté, la préférence allant à ceux qui en cumulent le plus.

L’ancienneté chez l’employeur sera souvent un critère, voire le critère

déterminant pour postuler à un emploi. Un poste nouvellement créé ou devenu vacant devrait être accordé en priorité au salarié qui a le plus d’ancienneté dans la mesure où, évidemment, il satisfait aux exigences requises. La convention pourra aussi prévoir qu’à compétence égale entre deux ou plusieurs salariés, le poste vacant sera accordé au postulant qui a le plus d'ancienneté. En cas de réduction de personnel pour des motifs reliés à la baisse de l’activité économique de l’entreprise, les licenciements et les mises au chômage partiel se feront en respectant l’ordre inverse d’ancienneté. Comme il est dit familièrement : « dernier entré, premier sorti ».

C’est dire combien les clauses relatives à l'ancienneté occupent une place

prépondérante dans les conventions collectives et constituent un enjeu important pour tous les travailleurs, compte tenu des avantages et des droits qu'elles procurent. C’est à ce chapitre que l’étude révèle les disparités de traitement les plus importantes entre la situation des salariés permanents à temps complet et les salariés ayant un emploi atypique, ce qui confirme la situation de précarité de ces derniers, même dans les entreprises où ils « bénéficient » des avantages d’une convention collective de travail. En effet, 145 conventions sur 156 (93 %) introduisent de telles disparités qui se

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manifestent sur le plan du calcul de l’ancienneté (60 %), des modes d’application du critère de l’ancienneté dans certaines décisions (87 %) ou encore des règles de conversion de l’ancienneté (37 %), notamment dans le cas où un salarié à temps partiel, par exemple, accéderait à un poste de salarié à temps complet.

A - Le calcul de l’ancienneté

Plus de la moitié des conventions collectives (60 %) prévoient que certaines catégories de salariés n’accumulent aucune ancienneté ou en accumulent au prorata des jours ou des heures travaillées. En fait, toutes les catégories d’emplois atypiques sont touchées d’une manière ou d’une autre : temps partiel (22 conventions), occasionnels (66), étudiants (26), autres (8). Ce sont, selon le cas, soit tous les salariés qui n’occupent pas un emploi permanent à temps complet, soit certaines catégories identifiées, telles que les étudiants, les salariés à temps partiel, les occasionnels, voire tous ceux là. Ainsi les salariés dont l’ancienneté n’est pas reconnue par la convention collective ne peuvent prétendre exercer aucun des droits liés à son application.

Dans d’autres conventions, les modes de cumul de l’ancienneté sont

définis différemment de l’acception usuelle. Ils sont fondés le plus souvent sur une forme ou une autre de proratisation du temps travaillé. Par exemple, l’ancienneté du salarié à temps partiel et du salarié occasionnel se calcule en termes d’heures régulières travaillées. Certaines formulations ne sont pas dépourvues d’arbitraire et même d’ambiguïté : « une semaine d’ancienneté correspondant à trois (3) jours et plus travaillés par semaine de calendrier ». Faut-il alors comprendre que le salarié à temps partiel qui travaille moins de trois jours par semaine ne se voit reconnaître aucune ancienneté ?

B - L’application de l’ancienneté

Lorsque les conventions collectives incluent des règles particulières régissant l’exercice de droits liés à l’ancienneté, elles sont rédigées le plus souvent de façon à mieux protéger les salariés permanents à temps complet et à limiter l’accès des salariés atypiques aux avantages découlant de l’ancienneté ainsi qu’aux postes permanents à temps complet.

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La quasi totalité des conventions analysées (135, soit 87 %) contient de telles dispositions et toutes les catégories de salariés occupant des emplois atypiques sont susceptibles d’être visées : temps partiel (73 conventions), occasionnels (71), étudiants (29), autres (10).

C’est ainsi, par exemple, qu’une convention prévoira qu’en cas de conflit

de droits entre un salarié à temps complet et un salarié à temps partiel, les droits du salarié régulier21 sont toujours considérés comme prioritaires sur ceux du salarié à temps partiel. Une autre stipulera que « l’ancienneté des salariés à temps partiel ne s’applique qu’entre eux sauf disposition contraire », ou encore, sans exclure les salariés à temps partiel de la procédure de d’accès à un poste, la convention prévoira que, dans le cas où le poste n’aura pu être pourvu par un salarié à temps plein, l’employeur accordera le poste au salarié à temps partiel ayant le plus d’ancienneté. Le salarié à temps plein ayant moins d’ancienneté qu’un salarié à temps partiel aura néanmoins toujours priorité sur ce dernier.

C - La conversion de l’ancienneté

Les règles de calcul de l’ancienneté étant différentes selon qu’il s’agit d’un salarié à temps complet ou d’un salarié à temps partiel, les parties aux conventions collectives prévoient des règles de conversion. C’est le cas du salarié à temps partiel qui accède à un poste à temps complet. On reconnaîtra ainsi aux salariés à temps partiel qui accèdent à un poste à temps complet un pourcentage, souvent 50 %, de l’ancienneté accumulée dans son statut de salarié à temps partiel. Parfois, cette règle s’accompagne d’un plafond. Par exemple, l’ancienneté ainsi transférée d’un statut à l’autre est limitée à un maximum de deux ans. Cela n’est pas indifférent puisque ce déficit ne sera en aucune façon récupérable, de sorte qu’il demeure possible qu’un salarié embauché dans un statut à temps complet à une date postérieure à un salarié à temps partiel se verra toujours reconnaître une ancienneté plus grande que ce dernier qui était là avant lui mais qui n’a pu transférer qu’une partie de son ancienneté.

D’autres règles sont plus limitatives encore lors de l’accès d’un salarié à

temps partiel à un poste à temps complet. C’est ainsi qu’une convention

21 L’expression « salarié régulier » est fréquemment utilisée dans les conventions collectives québécoises pour désigner le salarié à contrat à durée indéterminée.

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prévoit que le nouveau venu est réputé occuper le dernier rang dans l’échelle de l’ancienneté dans son département pour ce qui est des vacances annuelles et pour choisir son horaire de travail (en cas de travail posté, par exemple).

D - Préavis de mise à pied

Plus du tiers (35 %) des conventions analysées prévoient des préavis de mise à pied en cas de réduction dans l’activité de l’entreprise d’une durée qui varie en fonction du statut d’emploi, qu’il s’agisse des salariés à temps partiel (33 conventions), des occasionnels (20), des étudiants (11) ou des autres (4)

III - La rémunération dans les conventions collectives de travail

La présente analyse de conventions collectives s’est intéressée à certains aspects de la rémunération globale. Sauf dans le cas où le texte de la convention est très explicite, la seule analyse de contenu des conventions ne permet pas de déterminer si un écart de salaire entre certains salariés à temps complet et ceux ayant des emplois atypiques est le résultat d’une véritable discrimination en fonction du statut de l’emploi ou bien s’il correspond au fait que les occupations des uns et des autres sont différentes. Il aurait fallu, pour cela, prendre en compte des définitions de tâches auxquelles nous n’avions pas accès dans le cadre de la présente étude. C’est pourquoi, le choix a été fait de vérifier s’il existe des écarts inter statuts pour les augmentations annuelles de salaire, le versement de primes, la rémunération minimale garantie, la rémunération des heures supplémentaires. Enfin, l’accès aux régimes complémentaires de protection sociale (assurances collectives, régimes de retraite, congés parentaux) sera examiné ci-après.

A - La disparité salariale

Mis à part les écarts possibles entre les taux de salaire que la présente étude n’aurait pas permis de déceler, la moitié des conventions étudiées (76) contient une forme ou une autre de disparité salariale.

C’est ainsi que le tiers des conventions collectives déterminent des taux

d’augmentation de salaire différents selon le statut d’emploi. Dans un cas, au terme de la période d’essai, le salarié à temps complet voit son salaire

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augmenter de 2 % alors que le travailleur à temps partiel, dans la même situation, voit son salaire augmenter de 1 %. Une autre convention stipule que le salaire des étudiants est fixé à 70 % du salaire d’un salarié permanent qui fait le même travail. Dans un autre cas, il y a un écart systématique et inscrit à la convention de l’ordre 7,15 % (en l’espèce : 0,75 $/heure) entre salarié à temps complet et salarié à temps partiel pour le même type d’emploi.

B - Les primes

Quarante-sept conventions analysées (30 %) ne reconnaissent pas le droit aux salariés occupant un emploi atypique de recevoir les mêmes primes que les salariés permanents à temps complet. Souvent, les étudiants n’ont droit â aucune prime, les surnuméraires n’ont pas droit à la prime versée pour le travail du dimanche, seuls les salariés permanents à temps complet auront droit au bonus de Noël.

C - La rémunération minimale garantie

Selon les dispositions d’ordre public régissant les conditions minimales de travail22, un salarié qui se présente au travail à la demande de son employeur ou qui, dans le cours normal de son emploi, travaille moins de trois heures consécutives a droit à une indemnité égale à trois heures de travail. Or, sur ce point, près du tiers (29 %) des conventions analysées prévoient un traitement différent selon le statut de l’emploi. Le salarié à temps complet aura droit à une indemnité équivalente soit à quatre heures de travail, voire à une journée entière selon la convention, alors que le salarié à temps partiel ou occasionnel recevra le minimum légal, soit l’équivalent de trois heures de travail.

D -La disponibilité sans garantie

Certains salariés occasionnels sont assujettis à une astreinte, c’est-à-dire à des périodes, en dehors de leur temps de travail où ils doivent demeurer à la disposition de l’employeur au cas où ils seraient appelés au travail. Habituellement, il s’agit de périodes non rémunérées même si le salarié doit être prêt à intervenir en cas de besoin, ce qui a évidemment pour effet de

22 Loi sur les normes du travail, L.R.Q., c. N-1.1, art. 58

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limiter sa liberté dans l’emploi de son temps ; ces périodes d’astreinte pouvant parfois s’étendre sur plusieurs jours.

En contrepartie, l’indisponibilité du salarié au moment voulu sera

sanctionnée soit par une perte d’ancienneté, soit par la perte de l’emploi. Le texte de la convention stipulera, par exemple, qu’un salarié occasionnel perd son emploi « s’il refuse ou n’est pas en mesure de répondre positivement à deux reprises sur une période de un mois ». Un salarié occasionnel qui, sans raison valable, refuse « de manière répétée » de répondre à la demande sur une période de trois mois pourra, dans un premier temps, être placé au bas de la liste de rappel. En cas de nouveaux refus, l’employeur pourra mettre fin à la relation de travail. Toutefois, certaines conventions prévoient un préavis de rappel au travail, par exemple de vingt-quatre heures. À défaut pour l’employeur de respecter ce délai, le refus du salarié, même sans motif, ne peut donner lieu à sanction.

E - Les heures supplémentaires

Le travail effectué en heure supplémentaire est rémunéré à un taux majoré. La loi qui définit les conditions minimales de travail établit cette majoration à 50 % du salaire de base pour tout travail effectué au-delà de la durée hebdomadaire normale de travail, qui est de quarante heures. La loi ne prévoit pas de durée journalière normale de travail, c’est-à-dire de durée au-delà de laquelle, le travail devrait être rémunéré au taux majoré23. L’employeur peut également, soit à la demande du salarié, soit selon ce que prévoit la convention collective, remplacer le paiement des heures supplémentaires par un congé payé d’une durée équivalente aux heures supplémentaires effectuées, majorée de 50 %24.

En cette matière également, on observe une disparité de traitement en

fonction du statut de l’emploi dans près de la moitié des conventions (74). Dans 26 conventions (17 %), les salariés ayant un emploi atypique se voient privés du droit de conversion des heures supplémentaires en congés payés. De plus, dans 40 % des conventions, les dispositions régissant la majoration pour le temps supplémentaire sont rédigées de façon telle que, tout en respectant les règles d’ordre public, elles permettent à l’employeur de faire

23 Ibidem, art. 55, al. 1 24 Ibidem, art. 55, al. 2

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travailler certains salariés à temps partiel ou occasionnel de longues heures dans une même journée sans qu’ils puissent bénéficier de la majoration, contrairement aux travailleurs à temps complet. C’est ainsi que dans certaines conventions collectives, les salariés permanents et à temps complet ont droit à la majoration pour les heures travaillées au-delà de la journée normale de travail telle que définie par la convention (par exemple, huit heures de travail), alors que les salariés à temps partiel ou occasionnels n’y auront droit que s’ils travaillent au-delà de la durée hebdomadaire normale de travail. Un employeur pourrait exiger d’un salarié à temps partiel ou occasionnel de travailler douze heures par jour durant trois jours, sans qu’il puisse toucher la majoration alors que le travailleur à temps complet dans la même situation aurait droit à quatre heures par jour rémunérées au taux applicable aux heures supplémentaire.

IV- Les avantages sociaux dans les conventions collectives de travail

Il est fréquent que la convention collective conclue au niveau de l’entreprise ou de l’établissement soit utilisée comme base juridique pour mettre en place des régimes complémentaires de protection sociale pour l’ensemble des salariés compris dans son champ d’application, qu’il s’agisse d’assurances collectives, (santé, soins dentaires, médicaments, médecines douces, etc.), de régimes complémentaires de retraite, d’avantages supplémentaires ou complémentaires au régime public des congés parentaux (congé de maternité plus long, indemnités plus substantielles, etc.). La plupart des conventions collectives (77 %) excluent explicitement de ces avantages les salariés occupant des emplois atypiques, qu’il s’agisse de salariés à temps partiel comme des occasionnels. La cotisation versée par l’employeur pour ces divers régimes faisant partie de ce qu’il est convenu d’appeler la rémunération globale, il en résulte une perte relativement importante pour le salarié.

A - Les assurances collectives et les régimes de retraite

Le plus souvent (selon 73 % des conventions analysées), les salariés atypiques n’auront pas accès aux assurances collectives. Pour ce qui est des régimes complémentaires de retraite, il faut regarder avec prudence les résultats découlant de la présente analyse. En effet, selon les données observées, seulement 27 conventions (17 %) excluraient ces salariés de la

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Les disparités de traitement en fonction de l’emploi dans les conventions collectives …

Bulletin de droit comparé du travail et de la sécurité sociale 2006 91

participation aux régimes de retraite. Il s’agit ici sans doute d’un pourcentage sous-estimé par rapport à la réalité. En effet, le champ d’application du régime de retraite étant le plus souvent défini dans le règlement du régime auquel la convention se réfère (et auquel les auteurs de la recherche n’avaient pas accès), il est raisonnable de croire que l’exclusion des salariés occupant des emplois atypiques est beaucoup plus élevée.

B - Les congés parentaux

Lorsque la convention définit des avantages supérieurs à ce qui est prévu par la loi en matière de congés parentaux, l’exclusion touche encore une fois les salariés qui ne sont pas permanents et à temps complet. C’est le cas pour le quart des conventions (27). On ne saurait en conclure qu’il y aurait égalité de traitement dans les autres conventions collectives. En effet, la plupart des conventions ne contiennent tout simplement de disposition visant à améliorer le régime public.

C - La compensation pour avantages sociaux

Seulement six conventions sur 156 font obligation à l’employeur de verser aux salariés une compensation pour les avantages sociaux dont ils sont privés. Il s’agit d’une compensation qui prendra la forme d’une majoration du salaire de base, celle-ci pouvant varier beaucoup d’une entreprise à l’autre et ne pas équivaloir forcément au montant des cotisations que l’employeur aurait dû verser à ces régimes, le salarié eut-il été admissible. Elle pourra s’établir à 6 % du salaire dans certaines conventions, à 10 % ou à 12 % dans d’autres. L’admissibilité au versement de cette compensation sera parfois assujettie à la satisfaction d’une condition de durée de la prestation de travail : le salarié temporaire pourra toucher la compensation après avoir accompli un certain nombre d’heures de travail, parfois très élevé, par exemple quatre mille cent soixante (4160) heures, c’est-à-dire deux ans de travail.

V- Les congés payés

La quasi-totalité des conventions (92 %) définissent des conditions qui diffèrent en fonction du statut de l’emploi pour ce qui est de l’accès à certains types de congés payés, du nombre ou de la rémunération de ces congés. Si certaines de ces disparités reposent sur une certaine rationalité,

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par exemple un accès ou une rémunération des congés au prorata du temps travaillé, le caractère arbitraire d’autres mesures soulève davantage de questions.

Les conventions comportant de telles disparités se distribuent ainsi en

fonction du type de congés payés : Type de congé N. c.c. % Congés de maladie 100 64% Congés pour événements familiaux (mariage, naissance, décès d’un proche, etc.) 80 51% Jours fériés et payés 71 46% Vacances annuelles 74 47% Congés pour affaires judicaires (salarié appelé à agir comme juré ou comme témoin) 45 29% Congés mobiles (congé payé, habituellement court, pris à la discrétion du salarié après avis à l’employeur) 38 24% Ces disparités peuvent se conjuguer de différentes manières. Par exemple,

en matière de congés de maladie, certains salariés occupant des emplois atypiques n’y ont pas droit alors que, dans d’autres cas, les salariés à temps partiel pourront se constituer une banque de jours d’absence en cas de maladie. Le rythme d’accumulation sera fonction du nombre d’heures travaillées dans la semaine. Par exemple, le salarié à temps complet aura droit à un crédit de sept jours de congés de maladie après une année de service alors que le salarié à temps partiel qui aura travaillé « en moyenne 20 heures par semaine » durant une année aura droit à un crédit de seize heures de congés de maladie. Et qu’en est-il de celui qui travaille toute l’année mais qui n’atteint pas la moyenne des « vingt heures » ?

Les règles sont souvent plus restrictives pour ce qui est des congés pour

événements familiaux des travailleurs ayant un emploi atypique. Soit ils n’y ont pas droit, soit ils doivent satisfaire à des conditions très précises : par exemple, que le décès survienne la veille du jour ou des jours où le salarié devait normalement travailler.

Il arrive également que les travailleurs permanents à temps complet aient

droit à un nombre de jours fériés payés plus important (10, 12 voire 14

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Les disparités de traitement en fonction de l’emploi dans les conventions collectives …

Bulletin de droit comparé du travail et de la sécurité sociale 2006 93

jours). La convention reconnaît aux salariés occasionnels ou ceux à temps partiel le droit aux seuls congés prévus dans la loi (8 jours incluant la Fête nationale).

En ce qui concerne les vacances annuelles, il arrive que les titulaires d‘un

emploi atypique n’aient droit qu’au minimum légal de deux semaines après un an de travail et de trois semaines après cinq ans, alors que les salariés permanents auront droit à des congés annuels payés substantiellement plus longs conformément à ce qui aura été convenu entre les parties à la convention collective.

Par ailleurs, certaines conventions prévoient que lorsqu’un salarié est

appelé comme juré ou comme témoin, l’employeur lui verse la différence entre le montant des honoraires ou de la taxe qu’il reçoit à ce titre et le salaire qu’il aurait gagné, eut-il été présent au travail. Ce privilège est souvent réservé aux seuls salariés permanents.

De la même manière, le droit aux congés mobiles, lorsqu’ils existent, est

le plus souvent réservé aux salariés permanents. Certaines conventions collectives prévoient des régimes de congés sans

solde, lesquels peuvent parfois s’étendre sur une année, pour permettre aux salariés qui désirent s’en prévaloir de suivre un programme de formation, de perfectionnement, de conversion ou de recyclage ou pour tout autre motif personnel jugé pertinent. Même s’il s’agit d’un congé non rémunéré, il s’accompagne du droit pour le salarié de réintégrer son emploi avec tous ses droits et privilèges, notamment son ancienneté, au terme du congé. Le droit à un tel congé est le plus souvent réservé aux salariés permanents.

VI - Les équipements personnels de sécurité au travail

Il existe aussi une disparité dans le traitement des uns et des autres pour ce qui est du remboursement par l’employeur, de tout ou partie, des équipements personnels de sécurité (par exemple, des chaussures de sécurité). Cette contribution de l’employeur se fait souvent sous forme de versement d’un montant forfaitaire annuel. Sur ce sujet, 35 des 156 conventions analysées traitent différemment les salariés permanents et les travailleurs atypiques, réservant cet avantage aux premiers. Dans certains

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cas, la contribution financière de l’employeur sera liée à un nombre d’heures travaillées par le salarié occasionnel, par exemple, 2080 heures, ce qui permet de douter du statut véritablement « occasionnel » d’un tel salarié ou de la possibilité pour un salarié qu’on qualifie d’occasionnel d’effectuer autant d’heures sur une année. En effet, il s’agit là du temps consacré au travail par un salarié à temps complet durant 52 semaines à 40 heures par semaines, y compris la durée du congé annuel payé.

Conclusion

Comme les résultats de cette analyse le démontrent, les objets de disparité

entre salariés traditionnels et salariés atypiques sont nombreux et touchent de multiples aspects des conditions de travail, à telle enseigne qu’il n'est pas exagéré d'affirmer que les salariés ayant un emploi atypique sont en quelque sorte les parents pauvres du régime québécois de la négociation collective. Non seulement, ils n’ont pas un accès égal à certains avantages à caractère pécuniaire (salaires, congés payés, avantages sociaux différenciés) mais, plus important encore, dans une perspective de carrière, certaines dispositions ont pour effet de les priver de l’accès à des emplois permanents de qualité ou à tout le moins de rendre cet accès plus qu’incertain.

Il peut être intéressant de rappeler que dès 1984 et 1985, les organisations

de travailleurs, syndiqués ou non, revendiquaient devant la Commission consultative sur le travail et la révision du code du travail25 que des modifications aux lois québécoises du travail prennent en compte la situation particulière des travailleurs atypiques. Elles réclamaient toute une série de mesures afin d’assurer l’égalité de traitement entre les salariés à temps plein et les salariés atypiques, et entre autres l’accès aux régimes complémentaires d’avantages sociaux, l’uniformisation de l’application du critère de l’ancienneté, l’accès prioritaire des travailleurs à temps partiel aux postes à temps plein26.

25 Le travail une responsabilité collective, Rapport de la Commission consultative sur le travail et la révision du code du travail, Gouvernement du Québec, 1985, 490 p. 26 Voir Michel Brossard et Marcel Simard, loc. cit., p. 108 et s.

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Mais, très peu a été fait pour réduire les écarts observés entre salariés ayant des statuts de travail différents si ce n’est eu égard aux disparités en fonction de la date d’embauche27.

On peut se poser légitimement la question de savoir comment s’explique,

d’une part, cet absence d’encadrement juridique du travail atypique, dans le droit québécois et plus généralement dans les droits nord-américains, et d’autre part, l’existence d’une réglementation visant à assurer l’absence de discrimination des conditions de travail essentielles en fonction du statut de l’emploi, dans les droits européens, -communautaire et nationaux-. Les acteurs sociaux étant soumis aux mêmes pressions économiques et les entreprises à la même recherche de flexibilité de part et d’autre de l’Atlantique dans le contexte de la mondialisation, il semble bien que c’est davantage du côté des institutions qu’il faille chercher les hypothèses d’explication les plus fécondes.

Plusieurs facteurs ont favorisé cette éclosion de règles dont bénéficient

aujourd’hui les travailleurs européens en situation dite non traditionnelle28. Au premier chef le fait que, dans plusieurs de ces pays, la représentation syndicale et la négociation collective s’exercent à plusieurs niveaux dont celui de la branche d’activité. Cette structure de négociation est parfois doublée d’un mécanisme d’extension juridique des conventions collectives qui a permis, malgré un taux de pénétration syndicale parfois beaucoup faible qu’au Canada et au Québec, de négocier des conditions de travail et des avantages complémentaires qui s’appliquent à toute une branche d’activité.

Au plan européen, il faut ajouter aussi l’effet des dispositions à caractère

social du Traité de Rome (1952) dont on ne retrouve pas l’équivalent dans l’ANACT29 et par lesquelles les États membres se sont obligés à procéder non seulement à une harmonisation de leur droit social, mais à effectuer cette 27 Loi sur les normes du travail, L.R.Q., c. N-1.1, art. 87.1 à 87.3 (relatifs aux clauses des conventions collectives ayant pour objet de définir des conditions de travail différentes uniquement en fonction de la date d’embauche.). 28 J. Bernier, G. Vallée et C. Jobin, op. cit., p. 402 à 404. Sur ces hypothèses, voir aussi J. Bernier et G. Vallée, loc. cit, sp. p. 88 à 90. 29 Accord nord-américain de coopération dans le domaine du travail entre le Gouvernement du Canada, le Gouvernement des États-Unis d'Amérique et le Gouvernement des États-Unis du Mexique (ANACT), 13 septembre 1993.

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Bulletin de droit comparé du travail et de la sécurité sociale 2006 96

harmonisation « vers le haut », c’est-à-dire dans un sens favorable aux travailleurs.

De plus, l’Union européenne en tant que telle dispose, par ses divers

organes, notamment la Commission, le Conseil et le Parlement, d’un pouvoir législatif important qui lui permet d’adopter des instruments qui peuvent être juridiquement contraignants pour l’ensemble des États membres.

Du côté nord-américain, force est de constater que les modes d’exercice

de la représentation des travailleurs de même que l’élaboration des normes minimales de travail opèrent dans un tout autre contexte institutionnel. La négociation collective fondée sur le monopole de la représentation syndicale au niveau de l’entreprise a, de toute évidence, ses mérites. Mais il faut reconnaître qu’elle constitue un mode peu adapté à la résolution de problèmes qui dépassent largement le cadre de l’unité de négociation. Le Québec dispose bien d’une loi unique en Amérique du Nord permettant la négociation et l’extension de certaines conditions de travail à l’ensemble des employeurs et des salariés d’un secteur d’activité30. Mais il semble bien que, ces dernières années, elle ait cessé de faire l’unanimité des parties et n’ait pas eu la faveur des récents gouvernements.

Enfin, les parties signataires de l’ANACT ne se sont donné aucun des

moyens dont disposent les partenaires européens pour procéder à une véritable harmonisation des lois nationales du travail dans un sens qui vise à la fois à améliorer les conditions de travail des salariés et à ne pas placer les entreprises dans une position défavorable sur le plan de la concurrence.

Cela dit, il est urgent d’apporter une solution aux problèmes que pose la

situation des travailleurs atypiques. C’est pourquoi, le Comité d’experts chargé d’étudier les besoins de protection sociale des travailleurs atypiques a fait de l’égalité de traitement un des principes directeurs qui a guidé ses recommandations. Après avoir rappelé les diverses formes prises par la disparité, le Comité écrivait notamment : « Cette situation ne peut qu’inciter certaines entreprises qui recherchent des économies faciles à favoriser le recours aux emplois atypiques. Ce faisant, elles ne font que reporter sur les épaules des salariés en cause les économies ainsi réalisées.

30 Loi sur les décrets de convention collective, L.R.Q., c. D-2.

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Les disparités de traitement en fonction de l’emploi dans les conventions collectives …

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Le Comité estime que cette situation est inacceptable et qu’elle rompt l’équilibre qui existait dans un marché de travail homogène entre la recherche de flexibilité d’une part, et la protection sociale, d’autre part. Elle montre que le seul fait d’être salarié et d’accéder aux régimes de protection sociale ne suffit plus à garantir une protection effective. Cette disparité de traitement est d’autant plus préoccupante qu’elle atteint les salariés les plus vulnérables de notre société. Le travail atypique est souvent synonyme de précarité économique et de pauvreté. Il est aussi synonyme d’isolement, les salariés atypiques étant souvent peu intégrés aux milieux de travail dans lesquels ils pourraient trouver un certain support. Encore aujourd’hui, le travail atypique touche particulièrement les femmes; les disparités de traitement dont elles sont victimes du fait de leur sur-représentation dans ces types d’emploi risquent d’anéantir les efforts consentis au cours des dernières années pour qu’elles accèdent à la pleine égalité sur le marché du travail. C’est pourquoi le Comité a fait de l’égalité de traitement entre les salariés exécutant un travail similaire pour un même employeur, peu importe le nombre d’heures travaillées, la durée limitée du contrat ou le lieu d’exécution du travail, un principe directeur régissant ses recommandations »31.

Le Comité a estimé qu’il est illusoire de croire que c’est par la seule

négociation collective qu’une relative égalité de traitement pourra être introduite dans les conventions collectives, étant entendu que l’égalité absolue n’est pas réaliste et qu’il y aura lieu de laisser place à une proratisation en certaines matières.

Néanmoins, aucune action législative n’a encore été proposée à

l’Assemblée nationale depuis que le rapport a été rendu public en février 2003.

31 J. Bernier, G. Vallée et C. Jobin, op. cit., p. 446.

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DOSSIER THÉMATIQUE

Décentralisation de la production et mise en question du droit du travail

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Mahammed Nasr-Eddine Koriche Maître de conférences Université d’Alger

Décentralisation de la production et mise en question du droit du travail

Le thème de ce dossier invite à s’interroger pour savoir dans quelle

mesure les transformations que connaît depuis quelques années le système productif mettraient en question les modèles de relation individuelle et du rapport collectif de travail tels qu’ils ont été forgés par le droit du travail dans la grande entreprise industrielle intégrée (entreprise fordienne).

Les transformations dont il s’agit, et qui sont désignées, désormais, par la

notion de décentralisation productive, correspondent à des stratégies de réorganisation flexible de la production : « L’entreprise post-fordiste concentre sa production sur un cœur de compétence, c'est-à-dire sur les activités qui constituent ses atouts dans la concurrence, et elle externalise (et même délocalise en dehors des frontières nationales) les activités traditionnellement intégrées, qui ne représentent pas l’essence de sa spécialisation et de sa vocation productive »1.

Comme le montrent les contributions réunies dans le cadre de ce dossier,

il est largement reconnu que la décentralisation productive, justifiée ou imposée par des considérations économiques, peut remettre en cause le statut individuel et collectif des travailleurs salariés, dans la mesure où, par des mécanismes divers d'externalisation, l'entreprise principale transfère sur l’entreprise sous-traitante ou fournisseur les risques économiques liés aux fluctuations de marché et à la gestion des salariés, dans des conditions d’emploi et de travail qui pourraient s’avérer moins favorables.

1 R. De Luca-Tamajo et A. Perulli, Droit du travail (dans ses dimensions individuelle et collective) et décentralisation de la production, Rapport général présenté lors du XVIIIéme Congrès mondial de droit du travail et de la sécurité sociale (Paris, 5 - 8 septembre 2006).

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Mahammed Nasr-Eddine Koriche

Bulletin de droit comparé du travail et de la sécurité sociale 2006 102

Nous réalisons bien, aujourd’hui, qu’en rapport avec les stratégies de réorganisation flexible de la production, les nouvelles formes de travail salarié s’éloignent sensiblement du modèle typique de la relation de travail de l’ouvrier productif de l’usine fordienne.

Ces évolutions produisent, d’une part, des effets majeurs en terme de

transformation des structures de l’emploi, des statuts professionnels, et surtout des formes de subordination; d’autre part, elles changent tout aussi sensiblement les contours du cadre traditionnel de l’exercice des droits collectifs.

I - Dimension individuelle

La sphère de l’emploi typique, c'est-à-dire stable et à plein temps, occupé

en vertu d’un contrat de travail à durée indéterminée, conclu directement entre le salarié et un seul employeur, se rétrécit considérablement. Avec les phénomènes d’externalisation des activités économiques, de mise en réseau d’entreprises, de décentralisation de l’emploi, on sort du modèle typique, à la base de la construction du droit du travail. On découvre l’émergence irrésistible d’une multitude de formes de travail différentes, ce qui pose bien sûr un défi tout a fait considérable au droit du travail.

Les retombées de la décentralisation de la production sur les formes de

travail peuvent être distinguées selon trois tendances fortes :

A - Une remise en cause de la stabilité des rapports de travail Dans la nouvelle organisation économique, les normes de protection des

salariés se retrouvent au centre de pressions divergentes entre les intérêts économiques liés à la réorganisation de l'entreprise, et les objectifs de protection des salariés. En effet, si à l’intérieur du réseau d’entreprise, des rapports de travail stables sont dans une certaine mesure garantis dans l’entreprise principale, il n’en est pas nécessairement ainsi dans les entreprises auxiliaires où ces rapports sont généralement plus précaires.

La décentralisation de la production semble justifier comme inhérent au

processus d’externalisation, le recours systématique au contrat à durée limitée, alors que l’objectif des travailleurs est d’obtenir des garanties de stabilité de l’emploi. C’est ainsi que Judy Fudje constate qu’ « Il existe une

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Décentralisation de la production et mise en question du droit du travail

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relation étroite entre le travail précaire, la protection des travailleurs et la désintégration verticale, tout particulièrement l’expansion des différentes formes de travail sous-traité et des intermédiaires du marché du travail »2.

B - Un dualisme des statuts professionnels

Les processus d'externalisation peuvent déboucher sur un dualisme, si ce

n'est, plus largement encore, sur une segmentation des statuts professionnels, selon qu’il s’agisse des travailleurs salariés rattachés à l’entreprise principale ou de ceux travaillant pour le compte d’entreprises auxiliaires ; alors même que l’ensemble concoure à des activités traditionnellement intégrées dans la même grande entreprise. Pour Eladia Garnero de Fazio et Nevy Bonetto de Rizzi, il s’agit d’une nouvelle réalité caractérisée par la fragmentation du marché du travail « car, d’un côté nous trouvons les travailleurs qui prêtent leurs services dans l’entreprise centrale et, de l’autre, ceux qui travaillent pour les prestataires ou sous-traitants »3.

C - Le renouveau du travail indépendant

Au-delà de la précarisation des rapports de travail et de la différentiation

des statuts professionnels de ceux qui restent malgré tout des travailleurs salariés, donc protégés par le droit du travail, c'est surtout le statut des travailleurs qualifiés d’indépendants qui est une cause d’inquiétude. En effet, en rapport avec la décentralisation de la production, on assiste à un renouveau remarquable de l’emploi considéré comme non salarié, particulièrement dans le secteur des services aux entreprises ; alors – et c’est important de le rappeler - que c’est par opposition au travail indépendant que s’est construit historiquement le travail salarié, doté d’un statut protecteur du droit du travail. Ainsi, les contrats pour certaines prestations, notamment à durée limitée, peuvent prendre aussi bien la forme de contrat de travail, que de contrat commercial ou civil avec des « indépendants ».

Les frontières entre le travail salarié et le travail indépendant sont

brouillées. Il existerait donc désormais une sorte de continuum entre le

2 J. Fudge, La segmentation verticale et l’externalisation de l’emploi : Common law, entreprise et théorie de Coase, dans le présent Bulletin, p. 111. 3 E Garnero de Fazzio et N. Bonetto de Rizzi, Le droit du travail et la nouvelle réalité des entreprises, dans le présent Bulletin, p. 129.

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travail salarié et le travail non salarié qui passerait du travail salarié stable et protégé au travail salarié précaire, au travail faussement indépendant ou économiquement dépendant, au travail indépendant. Cette diversité de statuts, sans frontières définies mérite toute notre attention. II - Dimension collective

Avec l’externalisation des activités de l’entreprise et du recrutement, les

délocalisations, le travail en réseau, le développement du travail indépendant, on observe que les nouvelles formes d’organisation de la production, et donc du travail, participent à l’éclatement du collectif de travail. Ce qui rend difficile bien sûr l’action collective.

On peut craindre que ces transformations dans l’organisation de la

production n'affectent les relations professionnelles par la désyndicalisation, mais aussi par le risque pour le syndicalisme de se cantonner dans les segments du salariat de l’entreprise principale qui seule continue à réunir les meilleures conditions pour la représentation et la défense des intérêts des travailleurs, selon le cadre et les modes d’actions collectives traditionnels. Ces tendances peuvent déjà être observées dans les pays où le phénomène de décentralisation économique est bien enraciné.

Ces transformations amènent à poser la question des droits et pouvoirs

des syndicats, non seulement dans leur dimension sociale, mais aussi dans leur dimension économique, pour les adapter à de nouvelles formes de représentation des salariés et de conduite de l’action collective, en adéquation avec le dynamisme de la décentralisation productive.

Pour la loi et la négociation collective, la question est également celle de

nouvelles constructions sociales à promouvoir pour les salariés ayant une appartenance commune (une même entreprise, branche…), mais aussi et surtout pour les salariés étroitement liés dans le processus de production, sans appartenir pour autant à la même entité juridique (répartition entre donneur d’ordre et sous traitant).

Cette évolution ne peut pas laisser indifférent les juristes du travail. Elle

oblige à une réflexion sur les défis de la décentralisation productive au droit du travail.

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Décentralisation de la production et mise en question du droit du travail

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III - Les défis de la décentralisation productive au droit du travail Pour débattre des effets de la décentralisation productive sur le droit du

travail, il est d’abord utile de clarifier les notions qui sont utilisées pour désigner les différentes manifestations de ce nouveau phénomène organisationnel : externalisation, tertiarisation, sous-traitance, groupement d’entreprise… car, ainsi que le font observer E. Garnero de Fazio et N. Bonetto « toutes les tâches qui sont réalisées hors du cadre de l’entreprise ne signifient pas une décentralisation, mais seulement lorsque celles qui peuvent être réalisés en son sein sont externalisées, déplacées à l’extérieur »4.

La clarification de ces notions est surtout nécessaire à l’élaboration des

institutions juridiques par lesquelles le droit du travail intervient dans la régulation de la décentralisation productive de façon adaptée, c’est à dire en tenant compte des différentes formes de l’action organisationnelle décentralisatrice. La question de savoir, par exemple, ce qu’il faut entendre par externalisation peut soulever des problèmes importants lorsqu’il s’agit d’organiser juridiquement la protection des salariés touchés par des actions de démembrement de l’entreprise ainsi dénommées. Peut-on garantir aux salariés des protections de même nature quels que soient les modes juridiques par lesquels se réalise l’externalisation : transfert, franchise, télétravail, etc. ? Les difficultés auxquelles on peut être confrontés en rapport avec cette matière reçoivent dans ce dossier une illustration dans les analyses que fait Darcy du Toit de trois arrêts rendus récemment par les Cours Sud africaines dans trois affaires d’externalisation5. La question soumise aux juges, dans chacune de ces affaires, concerne l’applicabilité de la législation (similaire au droit européen) protégeant les droits des employés, à la suite de transferts d’activités ou de parties d’activités, à des transactions d’externalisation. La réponse à cette question étant, à chaque fois, déterminante pour le sort réservé aux contrats de travail.

La réflexion devrait ensuite concerner les réactions aux stratégies de

réorganisation flexible de la production.

4 E Garnero de Fazzio et N. Bonetto de Rizzi, op. cit. 5 D. du Toit, Droit du travail et décentralisation productive. Quel avenir pour l’externalisation ? Une perspective sud-africaine, dans le présent bulletin p. 147.

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Le point de départ de la réflexion serait que la décentralisation productive n’aurait pas pour but, dans toutes les situations, la suppression des garanties des salariés, mais seulement l’optimisation de l’organisation productive. E. Garnero de Fazio et N. Bonetto de Rizzi notent que « Ce changement dans l’organisation patronale obéit à une nécessité impérieuse des entreprises d’accéder au marché dans des conditions de compétitivité, ce qui est certainement une fin louable »6. Il n’est pas sûr d’ailleurs que l’efficacité de processus productifs complexes et évolutifs puisse être obtenue par la généralisation de la précarité de l’emploi.

Dans cette perspective, la recherche des meilleures voies pour assurer la

protection des salariés, dans ce contexte, n’est pas toujours dans la mobilisation du droit pour faire obstacle aux mécanismes d’un phénomène -la décentralisation - qui semble relever d’une tendance historique irrésistible. La question serait donc de savoir comment valablement continuer à assurer des garanties aux salariés, sans contrarier les processus de décentralisation productive, dans toutes leurs manifestations, en agissant avec une ample réglementation sur leurs mécanismes.

Il s’agirait, dans ce cas, plutôt pour le droit du travail de continuer à

assurer - comme il l’a toujours fait - sa fonction qui est de composer la liberté d’initiative économique avec les droits sociaux des travailleurs ; mais dans un contexte très différent de celui qui a présidé historiquement à sa construction.

La réflexion pourrait porter ici sur les normes et les institutions juridiques

à promouvoir, en tant qu’instruments de régulation de la décentralisation productive, pour accompagner les processus d’externalisation réels (en évitant des contraintes excessives dues au respect du droit du travail), tout en préservant les garanties des salariés des effets négatifs d’un phénomène dont la première caractéristique est précisément de mettre en cause le cadre et les modes traditionnels de leur protection.

Comment, sans faire obstacle au choix économique d’externalisation de

segments de la production et du recrutement de la force de travail, garantir néanmoins que ce choix n’obéit qu’à des préoccupations de type

6 E. Garnero de Fazzio et N. Bonetto de Rizzi, op. cit.

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Décentralisation de la production et mise en question du droit du travail

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économique, et pas nécessairement à des objectifs de réduction des coûts du travail salarié, par la diminution des garanties du droit du travail.

Dans ce contexte, la réflexion doit surtout porter sur le défi le plus

important de la décentralisation productive au droit du travail : la destruction du travail subordonné classique et la dilution du pouvoir patronal - et donc de la responsabilité - dans les entreprises travaillant en réseau.

L’évolution des relations entre les entreprises, et celle des modes de

division du travail, a des retombées juridiques concernant des catégories conceptuelles structurantes du droit du travail. Il est principalement question d’une dislocation du pouvoir patronal, avec une redistribution de la responsabilité, et d’une destruction du travail subordonné.

Le droit du travail est traditionnellement fondé sur une relation juridique -

définie par la subordination - entre un responsable identifié et individualisé, qualifié employeur, et un travailleur salarié. Toutefois, comme le remarque Judy Fudje « l’identification de l’employeur dans des situations où la responsabilité de l’emploi a soit été divisée entre plusieurs entités ou sous-traitée à des entreprises indépendantes est un problème étant donné la conception courante assimilant la relation de travail à un contrat bilatéral et personnel »7.

La réflexion aujourd’hui porte sur les difficultés que doit surmonter le

droit du travail pour saisir la substance des rapports de travail qui se nouent dans un modèle organisationnel où les entreprises sont intégrées dans des processus de production par delà leur statut juridique qui implique de considérer chacune d’elle comme une entité juridiquement autonome. La décentralisation de la production oblige certainement à reconsidérer la notion d’ « employeur », autant que la notion de « subordination ».

On peut aussi valablement se demander si les réponses aux questions que

pose la décentralisation de la production sont à chercher, malgré tout, en se fondant uniquement sur le droit du travail tel qu’il s’est construit au siècle dernier, ou bien si l’ampleur des bouleversements est telle qu’elle imposerait d’engager plutôt la réflexion juridique sur la possibilité de développer un

7 J. Fudge, op. cit.

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Mahammed Nasr-Eddine Koriche

Bulletin de droit comparé du travail et de la sécurité sociale 2006 108

droit nouveau qui supprimerait la distinction entre le travail salarié et les autres formes d’activités professionnelles.

Dans l’immédiat, comme le montre l’ensemble des contributions à ce

dossier, les interrogations les plus pressantes, auxquelles la législation et la jurisprudence tentent d’apporter des réponses, sont celles qui concernent la menace que la décentralisation de la production fait peser sur les règles substantielles et les règles procédurales qui assurent traditionnellement la protection des salariés. Cette évolution est particulièrement préoccupante lorsqu’il est porté atteinte à la protection de la sécurité physique et de la santé des travailleurs, qui constitue historiquement la pierre angulaire du droit social. C’est la contribution de Henar Álvarez Cuesta, dans ce dossier, qui attire notre attention sur ce problème important8. Il constate, en effet, que les nouvelles formes d’organisation de la production créent les conditions d’un accroissement significatif des risques professionnels et posent des problèmes nouveaux pour leur prévention et la détermination des personnes responsables en cas d’accident du travail ou de maladie professionnelle. C’est le résultat d’une plus grande complexité de la relation entre le chef d’entreprise et le travailleur, en raison de l’interposition de tiers sous des formules juridiques et économiques très différentes : « La présence également [dans l’entreprise] de travailleurs pour le compte d’autrui [sous traitants ou fournisseurs], et d’indépendants (surtout dépendants), a multiplié les problèmes à affronter en matière de prévention de risques ».

En conclusion En prenant en compte cette évolution que connaît l’organisation de la

production, on est conduit à quelques interrogations essentielles, d’une part, sur les solutions que le droit devrait apporter dans l’immédiat pour continuer à assurer la protection des salariés ; d’autre part, sur les perspectives d’évolution du droit du travail en rapport avec ce qui semble être une tendance historique lourde :

8 H. Álvarez Cuesta, Les obligations des chefs d’entreprise en matière de prévention des risques en cas de décentralisation de la production, dans le présent Bulletin, p. 179.

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Décentralisation de la production et mise en question du droit du travail

Bulletin de droit comparé du travail et de la sécurité sociale 2006 109

Comment garantir qu’une plus grande flexibilité du statut des travailleurs, résultant du mouvement de la décentralisation, ne remette en cause les règles substantielles, qu’il s’agisse de l’emploi, des salaires, du temps de travail, de la sécurité et de la santé des travailleurs ?

Comment, par delà le mouvement de l’entreprise qu’induit le phénomène

de la décentralisation, garantir les règles qui organisent les modes d’interaction entre les acteurs sociaux : systèmes de représentation des travailleurs, négociation collective, modes de règlement des conflits ?

Dans l’une et l’autre de ces matières (dimension individuelle et

dimension collective), quelle est la meilleure voie pour asseoir les garanties des travailleurs : technique législative ou technique contractuelle ? La question mérite d’être posée, si l’on considère que d’un côté la rigidité de la technique normative de source étatique n’est pas la mieux indiquée pour apporter des solutions adéquates aux problèmes posés par un phénomène dont la principale caractéristique est justement la flexibilité ; alors que d’un autre côté, on observe bien que ce phénomène a des effet négatifs sur le cadre traditionnel d’élaboration des normes contractuelles.

La réflexion porte ici sur les bouleversements que les effets de la

décentralisation de la production sont susceptibles d’entraîner dans les rapports entre la réglementation de source étatique et les normes issues de la négociation collective.

Par ailleurs, il faut bien avoir en vue que la décentralisation de la

production conduit, dans un contexte de mondialisation économique, à réfléchir aussi sur l’opportunité d’interventions régulatrices de nature supranationale.

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30/01/2007Bulletin de droit comparé du travail et de la sécurité sociale 2006 111

Judy Fudge Professeur École de droit Osgoode Hall, Université de York

La segmentation verticale et l’externalisation de l’emploi : Common law, entreprise et théorie de Coase

Abstract The emergence of flexible firms and corporate networks undermines the large vertically integrated firm and leads to more complex employment relationships that do not resemble the standard bilateral contract that traditionally has been the focus of labour and employment law. This paper examines the conceptual framework that the common law uses for attributing responsibility for employment-related obligations, focusing on two key elements: the conception of the employment relationship as a personal and bilateral contract and the equation of the employer with the corporate form. It explores how economic and legal models of the firm reinforce a conception of the employer that bears little resemblance to how employing functions are organised, and it emphasises the practical consequences of this conceptual framework by showing how firms are able to externalise the responsibility for, and risks of, employing workers’ services in their enterprises. It also describes the International Labour Organisation’s tentative response to the problem of the externalisation of responsibility for employment-related risks and costs. Résumé L’émergence des entreprises flexibles et des réseaux collectifs mine la grande entreprise à intégration verticale et conduit à l’apparition de relations de travail plus complexes qui ne ressemblent pas au contrat bilatéral personnel normalisé traditionnellement pivot du droit du travail et de l’emploi. Cette contribution examine le cadre conceptuel utilisé en Common Law pour l’attribution de la responsabilité des obligations liées à l’emploi, en axant l’étude sur deux éléments clés : la conception de la relation d’emploi en tant que contrat personnel et unilatéral et l’équation de l’employeur avec le mode d’organisation. Il explore de quelle manière les modèles économiques et légaux de l’entreprise renforcent une conception de l’employeur qui ressemble peu à l’organisation des fonctions d’employeur, et soulignent les conséquences pratiques de ce cadre conceptuel en faisant apparaître comment les sociétés sont capables d’externaliser la responsabilité et les risques d’emploi des services de travailleurs dans leurs entreprises. Il décrit également la tentative initiée par le Bureau international du travail en réponse au problème d’externalisation de la responsabilité des risques et des coûts liés à l’emploi.

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Judy Fudge

Bulletin de droit comparé du travail et de la sécurité sociale 2006 112

La segmentation verticale, l’émergence d’une entreprise flexible, ainsi que les réseaux collectifs, minent l’un des piliers supportant la relation d’emploi normalisée – la grande entreprise à intégration verticale. La fragmentation de l’entreprise et le déclin des marchés hiérarchiques internes du travail1 ont conduit à l’émergence de relations du travail plus complexes qui ne conviennent pas à la conception de l’emploi comme étant un contrat bilatéral et personnel. Il existe une grande variété de situations incluant, par exemple, les agences d’emploi, le franchisage, la sous-traitance, et le contrat de travail unique, dans lesquelles les différentes fonctions inhérentes à l’emploi de main-d’oeuvre ont été distribuées entre un certain nombre d’entités distinctes2. Les groupes collectifs interconnectés3 concurrencent l’entreprise à intégration verticale comme méthode d’organisation des services et de la production, et les chaînes intégrées de production et de distribution ont depuis longtemps constitué la méthode d’organisation privilégiée des entreprises dans certains secteurs.

Les changements dans la façon dont les entreprises sont organisées ont

provoqué une transformation des relations d’emploi, ainsi que la polarisation de ces relations. Dans la partie supérieure du spectre se trouvent les travailleurs du savoir, lesquels sont associés à l’apparition de la « nouvelle économie » et des organisations matricielles4. Ces travailleurs fonctionnent à l’instar des entrepreneurs de l’entreprise sans frontières, construisant leurs 1 S. Deakin, “Enterprise Risk”: The Juridical Nature of the Firm Revisited. Industrial Law Journal 32(2), 2003, p. 97-113. D. Grimshaw, M. Marchington, J. Rubery et H. Willmott, Introduction: Fragmenting Work Across Boundaries. In M. Marchington, D. Grimshaw, J. Rubery, H. Wilmott (eds.). Fragmenting Work: Blurring Organizational Boundaries and Disordering Hierarchies, Oxford, 2005, Oxford U.P. 2 J. Earnshawand, J. Rubery and F. L. Cooke, Who is the Employer? Institute of Employment Rights, London, 2002. 3 M. Castells, The Rise of the Network Society. Oxford: Blackwell Publishers, et Collins, Hugh. 1990 Independent Contractors and the Challenge of Vertical Disintegration to Employment Protection Laws. Oxford Journal of Legal Studies 10(3), 1996, p. 353-80. 4 L. Dickens, Problems of Fit: Changing Employment and Labour Regulation. British Journal of Industrial Relations 42(4), 2004, p. 595-616. Stone, Katherine V.W. From Widgets to Digits: Employment Regulation for the Changing Workplace, Cambridge University Press, 2004.

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La segmentation verticale et l’externalisation de l’emploi …

Bulletin de droit comparé du travail et de la sécurité sociale 2006 113

propres réseaux, qui, lorsqu’ils sont liés à la propriété du savoir, peuvent inverser les relations de pouvoir et de subordination qui ont traditionnellement structuré l’emploi5. Employé initialement sur les postes de direction, professionnels et technologiques, ces travailleurs d’information démentent le « mythe de l’emploi du secteur des services caractérisé par de faibles compétences, de bas salaires, et une faible stabilité »6.

Dans la partie opposée du spectre, se trouvent les travailleurs

« précaires »7 ou vulnérables, lesquels sont associés à l’économie informelle et le travail sous-traité8. Ces travailleurs sont peu payés et employés sur des postes atypiques et instables, qui se situent le plus souvent hors de portée de la représentation collective et de la réglementation légale. Initialement identifié avec le travail à domicile dans les petites entreprises familiales dans les pays en développement, le secteur informel s’est développé au plan mondial alors que les sociétés recherchent des formes de travail flexibles, telles que la main d’œuvre temporaire, la main d’œuvre contractuelle, l’externalisation, le travail à domicile et autres formes de sous-traitance offrant l’avantage de minimiser les coûts fixes non salariaux. Tant dans les pays développés qu’en développement, ce travail est effectué principalement

5 A. Hyde, Working in Silicon Valley: Economic and Legal Analysis of a High-Velocity Labor Market, Armonk, NY, 2003. 6 Y. Aoyama et M. Castells, An Empirical Assessment of the Informational Society: Employment and Occupational Structures of G-7 Countries, 1920-2000. International Labour Review 141, 2002, p. 123-59. 7 Le travail précaire est marqué par la diversité des formes d’emploi - incluant le travail à temps partiel, le travail indépendant, le travail à durée déterminée, le travail temporaire, le travail intermittent, le travail à domicile, et le télétravail - plus unies par leurs divergences par rapport à la relation d’emploi normalisée (travail à temps complet, indéterminé et avec un seul employeur) que par des caractéristiques communes. Tandis que chaque catégorie d’emploi précaire présente des défis particuliers pour le travailleur, toutes sont caractérisées par les bas salaires, les faibles avantages, l’absence de représentation collective, et la sécurité d’emploi limitée. G. Rodgers et J. Rodgers (eds.). Precarious Jobs in Labour Market Regulation: The Growth of Atypical Employment in Western Europe, International Institute for Labour Studies, Genève, 1989. 8 J. Fudge and R. Owens, Precarious Work, Women, and the New Economy: The Challenge to Legal Norms, in J. Fudge and R. Owens (eds), Precarious Work, Women and the New Economy: The Challenge to Legal Norms, Oxford Hart, 2006.

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Judy Fudge

Bulletin de droit comparé du travail et de la sécurité sociale 2006 114

par les femmes9, et dans certains pays la minorité visible des salariés est surreprésentée dans les rangs des travailleurs précaires10. Ce sont précisément ces travailleurs que le BIT estime devoir bénéficier d’une protection11.

La structure des entreprises détermine quelle entité endosse la

responsabilité d’employer une main d’oeuvre et les obligations correspondantes liées à l’emploi et, ainsi, son importance est essentielle pour déterminer la portée de la protection des travailleurs. Il existe une relation étroite entre le travail précaire, la protection des travailleurs et la désintégration verticale, tout particulièrement l’expansion des différentes formes de travail sous-traité et des intermédiaires du marché du travail12. Le 9 K. Sankaran, The ILO, Women and Work: Evolving Labor Standards to Advance Women’s Status in the Informal Economy. The Georgetown Journal of Gender and the Law 3, 2002, p. 851-69. G. Standing, Global Feminisation Through Flexible Labor: A Theme Revisited. World Development 27, 1999, p. 583-602. 10 J. Fudge and R. Owens, Precarious Work, Women, and the New Economy: The Challenge to Legal Norms. In Judy Fudge and Rosemary Owens (eds). Precarious Work, Women and the New Economy: The Challenge to Legal Norms. Oxford Hart, 2006. 11 ILO, Meeting of Experts on Workers in Situations Needing Protection (The Employment Relationship: Scope). Basic Technical Document. ILO, Genève, 2000. 12 C. Becker, Labour Law Outside the Employment Relation. Texas Law Review 74, 1996, p. 1527-1562. G. Davidov, Joint Employer Status in Triangular Employment Relationships. British Journal of Industrial Relations 42(4), 2004, p. 727-746. S. Deakin, The Changing Concept of ‘Employer’ in Labour Law. Industrial Law Journal 30(1), 2001, p. 72-84. M. Freedland, The Personal Employment Contract. Oxford University Press, 2003. J. Fudge, New Wine into Old Bottles? Updating Legal Forms to Reflect Changing Employment Norms. University of British Columbia Law Review 33(1), 1999, p. 129-152. ILO, Report V: The Scope of the Employment Relationship. International Labour Conference, 91st Session. ILO, Genève, 2003. F. Raday, The Insider-Outsider Politics of Labour-Only Contracting, Comparative Labour Law & Policy Journal 20, 1999, p. 413-445. G. Vallée, What is Corporate Social Responsibility? The case of Canada, Managerial Law, vol. 47, 2005, p. 20-46. L. F. Vosko, Temporary Work: The Gendered Rise of a Precarious Employment Relationship, University of Toronto Press, Toronto, 2000.

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La segmentation verticale et l’externalisation de l’emploi …

Bulletin de droit comparé du travail et de la sécurité sociale 2006 115

flou des frontières organisationnelles affecte non seulement l’entité qui endosse la responsabilité des obligations légales dues aux employés dans différents contextes juridiques, mais également l’égalité dans les conditions d’emploi13. Toutefois, l’identification de l’employeur dans des situations où la responsabilité de l’emploi a soit été divisée entre plusieurs entités ou sous-traitée à des entreprises indépendantes est un problème étant donné la conception courante assimilant la relation de travail à un contrat bilatéral et personnel.

Retraçant le travail des universitaires en Angleterre14, la présente

contribution examine le cadre traditionnel d’attribution de la responsabilité des obligations liées à l’emploi, axant l’étude sur deux éléments clés : la conception de la relation d’emploi en tant que contrat personnel et unilatéral et l’équation de l’employeur avec le mode d’organisation. Il explore de quelle manière les modèles économiques et légaux de l’entreprise renforcent une conception de l’employeur qui ressemble peu à l’organisation des fonctions d’employeur, et soulignent les conséquences pratiques de ce cadre conceptuel en faisant apparaître comment les sociétés sont capables d’externaliser la responsabilité et les risques d’emploi des services de travailleurs dans leurs entreprises. Il décrit également la tentative du BIT en réponse au problème d’externalisation de la responsabilité des risques et des coûts liés à l’emploi.

13 H. Collins, Multi-Segmented Workforces, Comparative Fairness, and the Capital Boundary Obstacle, in G. Davidov and B. Langilee (eds), Boundaries and Frontiers of Labour Law: Goals and Means of Regulation of Work. Oxford Hart, 2006. J. Earnshaw, J. Rubery et F. L. Cooke, Who is the Employer? Institute of Employment Rights, London, 2002. 14 H. Collins, Ascription of Legal Responsibility to Groups in Common Patterns of Economic Integration, Modern Law Review 53, 1990, p. 731-44. S. Deakin, The Changing Concept of ‘Employer’ in Labour Law. Industrial Law Journal 30(1), 2001, p. 72-84. M. Freedland. The Personal Employment Contract, Oxford University Press, Oxford, 2003.

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Judy Fudge

Bulletin de droit comparé du travail et de la sécurité sociale 2006 116

I - La relation d’emploi : un contrat personnel et bilatéral La loi des rapports de dépendance entre commettant et préposé continue d’exercer une profonde influence sur la conceptualisation juridique de l’emploi ; selon Mark Freedland, ce sont les racines de dépendance employeur et employé qui forgent sa caractérisation en tant que contrat personnel et bilatéral. Tandis que cette caractérisation s’adapte aux situations dans lesquelles un employeur humain dirige personnellement son employé, elle supporte peu de ressemblance avec les situations dans lesquelles l’employé est salarié d’un large réseau bureaucratique, soumis à de nombreuses sources d’autorité et de direction, et dans lesquelles le contrat lie le salarié à une organisation et non à un être humain. Pourtant, malgré les changements dans les relations de travail et dans les entreprises, le cadre conceptuel de la relation est resté intact. Freedland15 aide à expliquer sa durabilité ; selon lui, « la rationalisation continue de l’emploi contractuel en termes bilatéraux et personnels depuis le dix-neuvième siècle a principalement dépendu de la personne collective juridique, à savoir la compagnie constituée en personne morale, assimilée à l’équivalent direct de l’employeur ou du commettant individuel humain ». Bien que l’assimilation de l’employeur collectif et de l’employeur humain ait résous le problème conceptuel, « elle impose une vision entièrement simplifiée de l’organisation institutionnelle de la relation d’emploi »16.

Plus encore, il attribue en profondeur la « personnalité humaine du commettant » à l’« entité légale en construisant la conception contractuelle de l’employeur collectif »17. Freedland illustre ce point en faisant référence à l’affaire Nokes c. Doncaster Amalgamated Colleries18, dans laquelle la

15 M. Freedland, The Personal Employment Contract. Oxford University Press, Oxford, 2003. 16 Idem 17 Idem 18 [1940] AC 1014 (HL). Cette jurisprudence est souvent citée en ce qu’elle protège les employés parce que la conceptualisation du contrat d’emploi comme personnel signifiait que le mineur de charbon qui s’absentait du travail échappait à la responsabilité pénale prévue par la Loi sur les employeurs et l’ouvrier de 1875 pour rupture de contrat de service. Elle continue (à tort) d’être invoquée par les tribunaux canadiens en vertu de la version selon laquelle elle est utile aux employés, lorsque, en réalité, son impact est résolument contraire. Par exemple, dans l’affaire Stone c. H.J. Hotels Ltd. Partnership Ltd. (2001), 12 C.C.E.L. (2d) 229, la Cour d’appel de

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La segmentation verticale et l’externalisation de l’emploi …

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Chambre des Lords avait statué que le contrat de service était trop personnel pour être attribué par une société à une autre qui exploitait la même mine et de la même manière sans l’accord de l’employé concerné.

La relation multilatérale complexe entre les individus dans une

organisation de travail est assimilée à une relation bilatérale simple entre un employé et un employeur. Selon Freedland19, « non seulement le modèle de contrat bilatéral et individuel conserve la boîte noire de Coase parfaitement scellée, mais il écrit également une description fictive sur son couvercle. »

En développant la notion des coûts de transaction, R.H. Coase expliquait

pourquoi certaines activités commerciales sont organisées au sein des sociétés tandis que d’autres sont conduites sur les marchés20. L’intégration verticale remplace la hiérarchie par le mécanisme du prix et l’autorité par les aiguillons du marché21. Aux fins de minimiser les coûts des prix de découverte et des contrats de négociation, l’entrepreneur souscrit des contrats autorisant la direction, et cette autorisation constitue la société. Coase invoque « la relation juridique communément appelée celle du « commettant et du préposé » et de l’« employeur et de l’employé » pour vérifier si son concept de la société correspond à celui qui existe dans le monde réel »22. New Brunswick rejetait l’argument selon lequel le transfert des dispositions d’engagements dans la législation sur les normes d’emploi donnait à l’employé licencié une cause d’action contre le nouvel employeur au motif que ce successeur n’avait pas embauché l’employé. La cour a statué en p. 224 : « Plus simplement, la loi ne vise pas à perpétuer la conviction que les employeurs sont habilités à créer un marché sur lequel les travailleurs peuvent être achetés et vendus comme cela se produisait dans cette province dans la première moitié du dix-neuvième siècle…. En conséquence, la loi n’autorise pas qu’un employé soit transféré d’un employeur à un autre, sous réserve qu’un contrat d’emploi existant soit résilié et remplacé par un nouveau contrat entre l’employé et le nouvel employeur. » 19 M. Freedland, The Personal Employment Contract. Oxford University Press, Oxford, 2003. 20 R. Coase, The Firm, the Market and the Law, University of Chicago Press, Chicago, 1988. 21 G. A. Williams, Contract as Organisation: An Economic Analysis of the Joint Contracts Tribunal’s Standard Form of Building Contract 1980, Ph.D. Thesis, University of Newcastle upon Tyne, Newcastle, 1992. 22 Coase cite Batt selon lequel c’est « ce droit de contrôle ou d’interférence, de posséder le pouvoir de dire à un préposé quand travailler (durant les heures de

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Bulletin de droit comparé du travail et de la sécurité sociale 2006 118

Tandis qu’il peut être utile d'illustrer la nature de l'autorité d'une firme,

l'analogie entre le commettant/l'employeur et l’entreprise crée un problème considérable d'après la perspective d'identification de l'employeur, parce qu’elle tend à occulter ce qui se passe au sein de l’entreprise. Cela n’est pas surprenant étant donné que l’objectif de Coase était axé sur la frontière entre les firmes et les marchés, et non pas sur la manière dont la production et les services sont organisés au sein des firmes. Différents modèles économiques sont axés sur différentes relations, et traitent d’ensembles de questions bien spécifiques23. Dans son article 1937, Coase se préoccupa peu de la production au sein des firmes. Toutefois, si la question est de comprendre de quelle façon la main d’oeuvre est employée dans le processus de production, il est important de s’intéresser au plan interne de l’entreprise. Dans ce contexte, l’analogie de Coase, sous réserve qu’il est possible d’assimiler toutes les firmes aux seuls propriétaires ou contractants indépendants (ce qui n’est pas le cas), est inutile puisqu’elle renforce une conception unitaire de l’employeur.

Freedland ouvre la boîte et observe l’intérieur de l’entreprise. Il identifie

quatre fonctions qui dressent l’idée d’employer des travailleurs ou d'être un employeur :

• engager des travailleurs et résilier un emploi ; • les rémunérer et leur fournir d’autres prestations ; • gérer la relation d’emploi et le processus de travail ; • utiliser les services des travailleurs dans le processus de production

ou la fourniture de services. Il complique également la notion simple de Coase sur l’entreprise en expliquant comment les différentes fonctions liées à l’emploi de main d’œuvre « peuvent être exercées tant au sein d'une entité unique, ou séparément par différentes entités d’emploi »24. Toutefois et malgré le pauvre fondement conceptuel et empirique de la notion service) et quand ne pas travailler, et que faire et comment le faire (au sens des conditions dudit service), qui constitue la caractéristique dominante de la relation et démarque le préposé du contractant indépendant ». 23 S. Deakin, “Enterprise Risk”: The Juridical Nature of the Firm Revisited, Industrial Law Journal 32(2), 2003, p. 97-113. R. Flannigan, The Economic Structure of the Firm. Osgoode Hall Law Journal 33(1), 1995, p. 105-150. 24 M. Freedland, The Personal Employment Contract, Oxford University Press, Oxford, 2003.

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d’employeur unitaire, il continue d’exercer une profonde influence sur l’attribution de la responsabilité des obligations liées à l’emploi. II - L’employeur, l’entreprise et la société

La fiction juridique relative à la nature personnelle et bilatérale de la relation fut soutenue par le développement de la personne collective juridique et de la firme à intégration verticale. La théorie de Coase sur les coûts de transaction établissait des raisons pour que l’organisation des relations de production dépende de l’entreprise ou d’un marché, et offrait une raison d’être pour la croissance de l’entreprise à intégration verticale et l'expansion de la relation d'emploi normale25. Bien qu’elle n’ait jamais été universelle, à la suite de la seconde Guerre mondiale, l’entreprise à intégration verticale à commencé de dominer les autres formes d'entreprises et « imprimé sa culture dans la vie quotidienne même »26. Le droit du travail était largement basé sur ce modèle.

25 R. Coase, The Firm, the Market and the Law. Chicago, op. cit. H. A. Simon, A Formal Theory of the Employment Relationship. Econometrica 19(3), 1951, p. 293-305. O. E. Willamson, M. L. Wachter, J. E. Harris. Understanding the Employment Relation: The Analysis of Idiosyncratic Exchange. The Bell Journal of Economics 6(1), 1975, p. 250-278. 26 W. W. Powell, The Capitalist Firm in the Twenty-First Century: Emerging Patterns in Western Enterprise, in Paul DiMaggio (ed), The Twenty-First-Century Firm: Changing Economic Organization in International Perspective. Princeton University Press, Princeton, NJ, 2001, p. 33-68. La dominance des grandes firmes à intégration verticale pousse certains universitaires à surestimer l’étendue de l’intégration de toutes les fonctions dans l’entreprise. Voir A. Supiot, (Beyond Employment: Changes in Work and the Future of Labour Law in Europe, Oxford University Press. Oxford, 2001, p. 18), qui soutient que « les sociétés fordistes exécutaient l’ensemble des fonctions requises pour la fabrication de leurs produits. L’un des avantages de la solution était d’éliminer les coûts de transactions engagés dans les négociations avec les fournisseurs et permettait également un processus de travail entier, incluant les aspects principaux et auxiliaires ». Ainsi que Paul Davies me l’avait fait remarquer, cette description n’est pas totalement exacte, parce que même durant leur époque bénie, les sociétés fordistes paradigmatiques, les usines automobiles, ne produisaient pas l’ensemble des composants – comme les pneus, par exemple.

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Les grandes entreprises à intégration verticale possédant un marché du travail interne ont fourni un soutien à la relation d'emploi standardisée. Le contrat d’emploi est devenu une plateforme de législation, et le mécanisme de gouvernance clé, reliant l'entreprise à l’État providence27 .

Lorsque la production était organisée au sein de grandes sociétés à

intégration verticale et que la majorité des employés bénéficiait d’une relation d’emploi normalisée, il semblait logique d’assimiler l’employeur à la société pour les besoins des obligations liées à l’emploi. Il y a eu un ajustement entre l’entreprise au motif de gouvernance collective et l’entreprise au motif de droit du travail du fait de situations dans lesquelles « les relations productives sont contrôlées et dirigées au sein d'une unité centrale »28.

Toutefois, les frontières de l’entreprise se sont révélées relativement

poreuses, « rendant difficile de savoir où s'arrête l’entreprise et où commence le marché ou les firmes »29. La sécurité des passations relationnelles de marchés et des coopérations entre les firmes s’est développée au détriment de l’organisation des activités au sein des firmes. De nombreuses organisations économiques complexes fonctionnent comme des quasi-firmes30. Des formes organisationnelles émergentes – comme les réseaux – se sont combinées aux formes organisationnelles anciennes, pré-Fordistes – particulièrement les agences de sous-traitance et d'emploi – pour estomper les frontières traditionnelles de l’entreprise31. Récemment, des chercheurs du R.U. ont suggéré qu’« il semble plus plausible de considérer le « marché », la « hiérarchie », et le « réseau » comme des concepts précieux pour différencier les éléments ou les dimensions des pratiques

27 S. Deakin, “Enterprise Risk”: The Juridical Nature of the Firm Revisited. Industrial Law Journal 32(2), 2003, p. 97-113. 28 H. Collins, Independent Contractors and the Challenge of Vertical Disintegration to Employment Protection Laws. Oxford Journal of Legal Studies 10(3), 1990, p. 353-380. 29 W. W. Powell, op. cit. 30 H. Collins, op. cit. 31 A. Supiot, Beyond Employment: Changes in Work and the Future of Labour Law in Europe, Oxford University Press, Oxford, 2001.

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La segmentation verticale et l’externalisation de l’emploi …

Bulletin de droit comparé du travail et de la sécurité sociale 2006 121

organisationnelles au sein et entre les établissements, plutôt que comme des alternatives d'organisation économique »32.

Ainsi, Collins argumente que, « contrairement à de nombreuses théories

de l’entreprise, les considérations de rendement permettent une discrétion considérable aux employeurs en déterminant les formes des relations contractuelles par lesquelles le travail est acquis. » Aucun ajustement n'est nécessaire entre l’organisation d’une entreprise poursuivant un objectif de production et de fourniture de services et sa structure organisationnelle. Les sciences économiques proposent différentes théories ou modèles de l’entreprise focalisés sur différentes relations, et tente d’expliquer différents aspects de comportement économique33. Ces modèles sont particulièrement pertinents, mais ne sauraient pour autant déterminer la structure juridique de l’entreprise. L’une des fonctions d’un modèle économique est de « faire connaître les évaluations d’efficience d’une structure juridique. La nature de la structure juridique elle-même est toutefois une autre question, dans l’hypothèse que les règles juridiques ont des sources principales autres que l'efficience »). Lorsque Coase utilisait la relation juridique de commettant et préposé et d’employeur et employé pour vérifier sa conception de l’entreprise, il admettait que « le concept juridique de l’« employeur et employé » n’est pas identique au concept économique de l’entreprise, en ce que l’entreprise peut impliquer une notion de contrôle sur la propriété d’autres personnes de même que sur leur travail. » Malgré cette opposition, il concluait que « les identités de ces deux concepts sont suffisamment proches pour qu’un examen du concept juridique ait valeur d’appréciation quant à l’intérêt du concept économique »34. Coase utilisait la relation juridique de l’emploi comme garante de sa notion de l’entreprise ; il ne proposait pas un modèle économique de l’entreprise pour déterminer la portée de la responsabilité légale des obligations liées à l'emploi.

La suggestion de Simon Deakin, selon lequel le droit, à l’instar des

sciences économiques, propose différents modèles de l’entreprise, aide à expliquer cette séparation entre la façon dont l’entreprise est conceptualisée 32 D. Grimshaw, M. Marchington, J. Rubery et H. Willmott, Introduction: Fragmenting Work Across Boundaries, in M. Marchington, D. Grimshaw, J. Rubery, H. Wilmott (eds), Fragmenting Work: Blurring Organizational Boundaries and Disrdering Hierarchies. Oxford University Press, Oxford, 2005, p. 16. 33 S. Deakin, ‘Enterprise Risk’: The Juridical Nature of the Firm Revisited, op. cit. 34 R. Coase, op. cit.

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en vue de l’application du droit corporatif, d’une part, et le droit du travail, d’autre part. Selon lui, aucun des modèles juridiques de l’entreprise n’est complet, puisque chacun d’entre eux est conçu pour saisir l’entreprise d’après la perspective des intérêts spécifiques. Il considère comment l'entreprise est définie dans le droit corporatif et le droit du travail. Bien que les deux « décrivent l’entreprise du point de vue des relations de l’entreprise en ce que nous pouvons tous être ses « partenaires internes », à savoir, actionnaires, employés et créditeurs », Deakin35 souligne que les perspectives et les intérêts des actionnaires « et des employés » sont relativement différents. La forme corporative se concentre sur les apporteurs de capital ; elle se rapporte aux créances et aux apports continus de revenus, et ne s’intéresse pas directement aux relations de production et à l'intégration du travail36. Ainsi, bien que le droit du travail s’appuie sur la société pour identifier l’employeur, il complète cette conception formelle en faisant référence à d’autres notions, telles que l’engagement et l’établissement, de manière à mieux saisir l’idée de l’entreprise d’après la perspective d'emploi de main d'œuvre. Il a également développé une série de techniques visant à garantir que les firmes ne structurent pas leurs entreprises aux fins d’éviter les coûts, ou les risques, d’emploi de main d’œuvre37.

III - Externalisation de la responsabilité de l’emploi

Autre implication de l’analyse de Coase sur les coûts de transaction, l’estimation du rôle du droit était « essentielle à la détermination des activités exécutées par l’entreprise et sur le marché.

Dans quelle mesure la conception juridique du contrat d’emploi personnel

et bilatéral influence-t-elle l'organisation des entreprises ? Quels sont les effets d'assimilation de la société en tant qu'employeur en vue de l'application du droit du travail ?

35 S. Deakin, op. cit. 36 Idem. Voir également G. A. Williams, Contract as Organisation: An Economic Analysis of the Joint Contracts Tribunal’s Standard Form of Building Contract 1980, op. cit. 37 H. Collins, Ascription of Legal Responsibility to Groups in Common Patterns of Economic Integration, Modern Law Review 53, 1990, p. 731-744.

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La segmentation verticale et l’externalisation de l’emploi …

Bulletin de droit comparé du travail et de la sécurité sociale 2006 123

L’approche bilatérale de la relation d’emploi est mise à mal lorsque plusieurs entités se partagent les fonctions impliquées par l’emploi de main d’oeuvre. Le point de départ juridique n’est pas de tenir chacune des entités conjointement et solidairement responsable des employés ; au lieu de cela, il appelle un contrat avec l’employeur en tant que base d’attribution des obligations liées à l’emploi. Seul l’employeur avec lequel l’employé a un contrat est responsable des obligations et risques liés à l'emploi. La conception juridique de la relation d’emploi en tant que contrat personnel et unilatéral autorise (et peut-être, invite) les firmes à déplacer les risques associés à l'emploi de main d'œuvre38. Au lieu de retenir les services des travailleurs directement, les firmes peuvent recourir à différentes formes d’intermédiaires aux fins de faire exécuter le travail.

Collins nomme cela le problème limitrophe capital ; « lorsque le travail

est organisé au travers de nombreuses entités légales distinctes plutôt qu’une seule firme, les limites de la responsabilité légale définie par référence aux frontières des unités capitales établissent les conditions d'injustices potentielles39». Cela parce que l’entreprise est libre d’organiser les activités comme elle le juge opportun, que ce soit par l’intégration verticale au sein d’une entité corporative ou via des contrats externes. Une firme peut organiser son entreprise pour éviter les obligations statutaires telles que parité salariale, santé et sécurité, et indemnités de cessation d’emploi, ou aux fins de minimiser sa justiciabilité.

Vallée40 décrit les pratiques telles que la sous-traitance et l’utilisation des

agences d’emploi comme l'externalisation de la responsabilité liée au statut d'employeur. Le problème pausé par ces pratiques est qu'il devient difficile d’identifier les réels bénéficiaires de la richesse produite par le travail de quelqu’un, et de déterminer qui doit être tenu responsable des

38 P. Davies et M. Freedland, Employees, Workers, and the Autonomy of Labour Law, in D. Simon and M. Weiss (eds), Zur Autonomie des Individuums. Nomos Verlagsgellschaft, Baden-Baden, p.31-46. S. Deakin, The Changing Concept of ‘Employer’ in Labour Law, Industrial Law Journal 30(1), 2001, p. 72-84. J. Fudge, New Wine into Old Bottles?: Updating Legal Forms to Reflect Changing Employment Norms, University of British Columbia Law Review 33(1), 1999, p. 129-52. 39 H. Collins, op. cit. 40 G. Vallée, op.cit.

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risques liés à ce travail. Par exemple dans un réseau de production où le travail dangereux est sous-traité ou confié à des employés d’une agence de placement, l’entreprise qui fournit le travail est le bénéficiaire du travail, mais elle n’en assume pas les risques. Dans l’analyse finale, le réel bénéficiaire de la richesse produite par les travailleurs n’assume pas les coûts liés à la protection de ces travailleurs41.

Le modèle bilatéral traditionnel d’emploi et la tendance à assimiler

l’employeur et la société autorise les firmes à déplacer la responsabilité et les risques d’emploi de la main d’œuvre sur des firmes moins importantes et moins stables. En fin de compte, ces risques sont supportés par certains des groupes de travailleurs les plus vulnérables. Les sous-traitants sont bien plus susceptibles de défaillance que les grandes firmes, et la division de la force de travail en composants principaux et auxiliaires tend à fixer les marchés segmentés du travail et à miner l’égalité dans l’emploi42.

Ce problème n’a pas échappé à l’attention du Bureau international du

travail, lorsqu’il est apparu devant la Conférence internationale du travail en 1997 et 1998 sous la forme de débats sur la « main d’œuvre contractuelle ». Dans le projet de convention, le terme « main d’œuvre contractuelle » s’applique au travail réalisé pour une entreprise par des travailleurs qui n'avaient pas de relation d'emploi avec l'entreprise, ou bien des travailleurs fournis à l'entreprise par des sous-traitants ou des intermédiaires de même que des travailleurs qui exécutaient le travail sur la base d'une relation contractuelle directe43. De manière significative, était prévu que les travailleurs contractuels doivent bénéficier d’une garantie d’égalité de traitement avec les employés de l’entreprise utilisatrice, y compris lorsque le travail « contractuel » est principalement utilisé afin d’éviter le droit du travail ou celui de la sécurité sociale. Une autre disposition prévoyait la responsabilité conjointe (ou secondaire) de l'utilisateur pour certaines obligations dues aux travailleurs par le sous-traitant. 41 G. Vallée, op.cit. 42 J. Earnshaw et J. Rubery and F. L. Cooke, Who is the Employer? Institute of Employment Rights, London, 2002. A. Supiot, Beyond Employment: Changes in Work and the Future of Labour Law in Europe, Oxford University Press, Oxford, 2001. 43 ILO, Report of the Committee on Contract Labour, Provisional Record, International Labour Conference, 86th Session. ILO, Genève, 1998. F. Raday, The Insider-Outsider Politics of Labour-Only Contracting. Op. cit.

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La segmentation verticale et l’externalisation de l’emploi …

Bulletin de droit comparé du travail et de la sécurité sociale 2006 125

Le projet de Convention sur le travail contractuel s'est révélé très controversé ; la définition du terme était particulièrement litigieuse. Le vice-président des travailleurs souligna que le « travail contractuel » peut revêtir des hypothèses très différentes. Pour la plupart, il signifie sous-traitance ou externalisation. Dans le secteur public, le terme peut suggérer la décentralisation de services publics ou bien la privatisation. La sous-traitance peut en effet donner lieu à un partage de tâche dans le cadre d’un ou plusieurs contrats. Le terme est également appliqué à une « prestation extérieure de services » qui implique le recours aux agences de travail temporaire, agences de prêts de personnels, agences d’expédition et autres entreprises fournissant des travailleurs occasionnels. Le « travail contractuel » peut également renvoyer aux moyens d'organisation du travail dans le secteur informel par le biais d'accords informels convenus par les intermédiaires, ce qui est particulièrement courant dans le secteur agricole. Plus encore, le terme pourrait s’appliquer aux travailleurs migrants, aux systèmes de fabrication à la pièce, certaines formes de travail à domicile, et de nombreux types de travail atypique, incluant l’emploi temporaire et le travail assimilé à l’emploi autonome44.

La conférence n'a pas adopté d’instrument pour le travail contractuel,

dans la mesure où les membres employeurs ont souligné leur « position inflexible sur l’adoption de quelque instrument que ce soit sur le travail contractuel, quel qu’il soit »45. Comme compromis, « les travailleurs ayant besoin d’une protection » sont devenus le centre de l'attention : une assemblée d'experts fut conviée et la mission de recherche fut commissionnée. En 2003, la Conférence internationale du travail a tenu un débat général sur la portée de l’emploi et, en 2005, le BIT a issu un rapport sur la relation d’emploi, en préparation à l’adoption d’une recommandation lors de la Conférence de 2006.

Durant ce processus, l’attention portée par le BIT sur le travail

contractuel et la sous-traitance en général s’est déplacée tout particulièrement sur les relations d'emploi triangulaires. Les relations triangulaires en matière d’emploi se produisent lorsque les employés d’une personne, le « fournisseur », travaillent pour une autre personne,

44 ILO, Report of the Committee on Contract Labour, Provisional Record, International Labour Conference, 86th Session. ILO, Genève, 1998, § 14. 45 Idem, § 13.

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l’« utilisateur » ; elles peuvent être objectivement ambiguës (impliquant un contrat commercial entre le fournisseur et l’utilisateur) ou correspondre à une relation d’emploi triangulaire déguisée (le fournisseur n’est pas une entreprise à proprement parler, mais un intermédiaire de l’utilisateur)46. Les relations triangulaires peuvent revêtir de nombreuses formes, comme les contractants ou les franchisés, bien que la plus connue soit constituée par les agences de placement privées. Quoi qu’il en soit, elles n’incluent pas les formes de sous-traitance telles que celles impliquées dans la production vestimentaire. Selon le BIT (2005 : para. 56), le défi des relations d’emploi triangulaires réside non seulement dans la détermination de la question de savoir qui est l’employeur, mais plus encore, dans « la garantie que les employés d'une telle relation bénéficient de la protection communément assurée par la loi aux salariés situés dans une relation d'emploi bilatérale, sans pour autant empêcher les initiatives légitimes privées et publiques ».

Conclusion

L’attribution de la responsabilité des coûts et des risques liés à l’emploi teste les limites de l’analyse contractuelle de l’emploi47. Au plan conceptuel, il existe un déséquilibre entre la conception traditionnelle binaire et personnelle du contrat d’emploi dans laquelle l’employeur est vu comme entité unitaire, et la série de moyens complexes permettant l’emploi de main d’œuvre dans des entreprises souvent composées de plusieurs entités48. Plus important, l’insistance sur le lien juridique et la personnalité légale corporative séparée, comme fondement de la responsabilité, crée un certain nombre de problèmes normatifs et distributifs. Bien que les employés aient peu de prérogatives quant à l’organisation des entreprises et la structuration des relations d’emploi et, en conséquence, peu d‘influence sur la distribution des risques entre les entités dans l’entreprise, ils supportent les conséquences liées à la distribution de ces risques. Plus encore, la base juridique actuelle

46 ILO. Report V (1): The Employment Relationship. International Labour Conference, 95th Session. ILO, Genève, 2005. 47 M. Freedland, The Personal Employment Contract. Oxford University Press, Oxford, 2003. 48 D. Grimshaw, M. Marchington, J. Rubery and H. Willmott, Conclusion: Redrawing Boundaries, Reflecting on Practice and Policy, in M. Marchington, D. Grimshaw, J. Rubery, H. Wilmott (eds). Fragmenting Work: Blurring Organizational Boundaries and Disrdering Hierarchies. Oxford University Press, Oxford, 2005, p. 285.

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La segmentation verticale et l’externalisation de l’emploi …

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d’attribution des obligations liées à l’emploi opère auprès des firmes comme une incitation à l’externalisation de leur responsabilité pour l’emploi de main d’oeuvre. Il est nécessaire d’aller au-delà de la forme contractuelle et corporative, et de défendre une approche relationnelle et fonctionnelle afin d’assurer que ceux qui bénéficient de l'emploi de main d'œuvre supportent les coûts sociaux et économiques liés à cette main d'oeuvre49.

49 H. Collins, op. cit. Deakin, op. cit. 2001, 2003. G. Vallée, op. cit.

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Eladia Garnero de Fazio Magistrate Nevy Bonetto de Rizzi Magistrate, doyenne de l'Université Nationale de Cordoba

Le droit du travail et la nouvelle réalité des entreprises

Abstract

We can go on the assumption that globalisation is here to stay, and are beginning to see certain consequences of this phenomenon on the labour market – especially in the various types of decentralisation manifested by the tertiarisation of activities and jobs. This decentralisation (at least in developing countries) has had a clear and direct impact on the labour market, creating two types of workers: the “primary” ones, who work for the main company, and “peripheral” ones, who work for subsidiaries or sub-contractors, who offer less coverage. The working hypothesis was that current substansive law in Argentina does not take this new reality into account. Our conclusions proved this to be the case, and it has become necessasry to pass specific laws adapted to these new situations.

Résumé

Si l’on suppose que le phénomène de la mondialisation est une réalité qui s’est installée pour durer, on commence à observer certaines conséquences de ce phénomène dans le monde du travail, notamment les différents types de décentralisation pouvant se manifester par une terciarisation de l’activité ou des postes de travail. La conséquence directe de cette décentralisation sociale, du moins dans les pays en voie de développement, a eu une incidence franche et absolue sur le travail, créant ainsi deux types de travailleurs, les « primaires » qui exercent leurs fonctions au sein de l’entreprise principale, et les « périphériques » qui, pour leur part, exercent les leurs dans des entreprises filiales ou sous-traitantes qui offrent une moindre protection. L’hypothèse de travail consiste à savoir si le droit positif en vigueur en Argentine tient compte de cette nouvelle réalité. La réponse est négative ; il s’avère indispensable de promulguer des lois spécifiques adaptées à ces nouvelles situations.

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Nous assistons actuellement à une profonde reformulation du droit du Travail qui doit se développer au sein de nouvelles réalités que nous ne pouvons pas esquiver. Cette situation obéit à des facteurs de différentes natures : la globalisation et le nouvel ordre économique mondial, l’intégration des nouvelles technologies, la fragmentation de l’activité patronale. Il faut y ajouter, paradoxalement, des taux de plus en plus élevés de chômage. Le monde du travail doit faire face à ce nouveau panorama, ainsi qu’à toutes ses répercussions. En effet, cette décentralisation de l’activité patronale est un phénomène qui va perdurer et qui « reflète également un changement profond dans l’organisation de nos sociétés confrontées en tous lieux à la complexité croissante des événements économiques et sociaux et du propre cadre législatif ou réglementaire »1. Tout ceci rend indispensable la promulgation de nouvelles normes, ou l’adaptation de celles existantes, aux réalités variables qui ont un impact sur le monde du travail.

Le processus de globalisation a opéré d’importantes transformations dans

l’ordre économique, en particulier dans le monde des entreprises. Il a produit une régionalisation de l’économie, traversé les frontières et vise à une unification entre les pays. Ce changement doit naturellement être accompagné d’un système réglementaire qui prendra en compte la réalité actuelle et laissera de côté le droit régional. La globalisation doit également s’étendre au droit puisque la décentralisation ne se caractérise pas précisément par l’apparition de nouvelles formes d’embauche mais principalement par sa tendance généralisatrice, comme le soutient Pérez de los Cobos Orihuel2.

Il est indubitable que nous assistons à une nouvelle modalité de

production dans les entreprises. Les grandes sociétés industrielles, ou de services, qui répondaient au modèle fordiste, ont été transvasées par ces nouvelles organisations qui produisent les biens et les services indispensables et délèguent à des tiers une partie de leur activité. Ces organisations doivent néanmoins répondre, dans des cas ponctuels et par 1Sánchez Fierro, El fenómeno de la descentralización productiva, Cuadernos de Derecho Judicial, Consejo General del Poder Judicial, separata, 1994, p.14, cité par R. Carcavallo Hugo, El artículo 30 de la R.C.T- sus antecedentes, alcances y problemas, Revista de Derecho Laboral 2001-1 p. 135. 2 Cité par Confalonieri Juan Angel dans « Descentralización productiva », Derecho del Trabajo, 2005, p. 1695.

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Le droit du travail et la nouvelle réalité des entreprises

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impératif légal, d’obligations qui ne leur incombent pas réellement, face aux travailleurs de ces tiers. Cependant, comme nous le verrons plus loin, elles ne peuvent pas les éluder.

Ce changement dans l’organisation patronale obéit à une nécessité

impérieuse des entreprises d’accéder au marché de façon compétitive, ce qui est certainement une fin louable. Mais ceci ne doit pas nous amener à négliger les intérêts du travailleur qui s’acquitte toujours de ses tâches sous le parapluie protecteur ou la cuirasse réglementaire afférent au principe protectionniste, pilier de notre droit. La coexistence et la coïncidence de ces deux principes, à savoir la compétitivité des entreprises et la protection du travailleur, est le véritable défi des ces temps nouveaux. I - Décentralisation – différents types

La fragmentation de l’activité patronale, de plus en plus prononcée, est ce

que nous dénommons la « décentralisation ». Nous pouvons la définir comme « une forme d’organisation du processus de production pour l’obtention de biens et de services, basée sur une technique de gestion qui consiste à confier à des structures externes certaines phases de production, ou activités de l’entreprise qui ne sont pas considérées comme des compétences essentielles » 3. Autrement dit, une partie de la production est dérivée vers des tiers, ce qui « affine »4 le processus productif par opposition justement aux entreprises fordistes qui, ne distribuant rien vers l’extérieur, sont qualifiées d’usines « en gros », « ne comprenant qu’un seul centre intégré de production »5.

En suivant le concept de l’école de régulation française qui a forgé le

terme « fordiste » à la fin des années 80, début 90, nous entendons par cette expression « le système productif... qui aurait caractérisé la croissance des 3 R. Lamas, La descentralización productiva y las nuevas formas organizativas de trabajo, X Congrès National du droit du Travail et de la Sécurité sociale, ministère du Travail et des Affaires sociales, Madrid, 2000, p. 23, cité par J. A. Confalonieri, op. cit., p. 1697. 4 R. Robinson, Extensión de la responsabilidad laboral a las empresas en los casos de cesión y fraccionamiento de la actividad productiva, Derecho del Trabajo, 2005-B, p. 1737. 5 R. Robinson, op. cit. note 4.

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industries à l’apogée du capitalisme de l’après-guerre dans des économies capitalistes centrales que l’on pensait relativement imperméables à l’influence internationale »6.

Il s’agit donc d’entreprises qui auparavant concentraient toute leur

activité et développaient toutes les facettes de leur production dans un même cadre de travail et qui sont maintenant segmentées, déléguant tout ou partie de leur processus productif à des tiers, à des PME en règle générale. Elles prétendent ainsi se dégager du rôle d’employeurs, vis à vis des personnes qui réalisent ces tâches pour ces tiers. Lorsque nous nous référons à « décentralisation » ou encore à son synonyme « externalisation », cela signifie que l’entreprise a transféré à des tiers l’exécution de certains cycles de sa production, qu’elle les a déplacés vers l’extérieur, hors site et que, en conséquence, l’activité qu’elle réalisait précédemment sera effectuée par d’autres.

La décentralisation que nous évoquons peut se manifester tant par

l'externalisation d’une partie de l’activité patronale, que des postes ou des lieux de travail. Dans le premier cas, nous nous trouverons devant des situations d’embauche ou de sous-traitance, dans le deuxième cas devant des situations telles que le travail à domicile et le télétravail. Nous n’analyserons dans ce rapport uniquement l'externalisation par embauche ou sous-traitance, dans le droit positif de notre pays. Nous n’ignorons pas que la scission, la filialisation, la co-embauche entre petites et moyennes entreprises font également partie de cette décentralisation par externalisation, mais ces figures dépassent le cadre de ce que nous sommes tenus de développer dans cette étude.

Nous aborderons cette problématique dans le contexte du droit du Travail

en soulignant que la législation du travail de notre pays contient des dispositions tendant à éviter la fraude et à protéger le travailleur, lesquelles sont indiquées dans la loi sur le contrat de travail nº 20.744, dont l’entrée en vigueur date de 1974. Des modifications significatives y ont été introduites en 1976 avec l’arrivée du gouvernement militaire ; d’autres changements sont intervenus par la suite, mais d’une importance moindre.

6 V. Rubio, El proceso de descentralización de la empresa y sus efectos sobre el derecho del Trabajo, Revista de Derecho Laboral 2001-1, p. 180.

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Le droit du travail et la nouvelle réalité des entreprises

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Nous ne nous référons pas à la décentralisation interne ou « internalisation », qui désigne un changement dans la structure patronale où l’on passe de la verticalité hiérarchique à un contrôle horizontalisé. Ceci marque sans aucun doute un contraste par rapport à la forme organisationnelle précédente et implique une plus grande responsabilité pour les travailleurs puisque ce type de contrôle va de pair avec la polyfonctionnalité. Dans la pratique, ceci est démontré par des faits mineurs apparemment dépourvus de signification mais qui portent le germe de l’horizontalisation évoquée : par exemple, une salle à manger commune pour les employés hiérarchiques et les ouvriers industriels, une tenue de couleur identique pour les deux catégories, etc.

L’autre forme est l’exécution de certaines tâches, auparavant au sein de

l’entreprise et qui sont maintenant transposées chez l’employeur ou dans un lieu autre que l’entreprise. C’est le travail à domicile ou télétravail.

Il s’agit là d’un nouveau mode de décentralisation qui s’est imposé ces

derniers temps, et qui n’est pas encore intégrée à la législation de notre pays. Avec la promulgation de la loi n° 25.800, en novembre 2003, la République d’Argentine a ratifié la Convention de l’OIT n° 177 souscrite lors de la 83ème réunion de la Conférence Internationale du Travail (1996), sur le travail à domicile. Néanmoins, dans notre pays, la législation qui réglemente cette activité, et qui est toujours en vigueur, date de l’année 1941 et octroie à ce type de travail le caractère de relation de dépendance. Par conséquent, cette norme apporte bien peu à la législation existante mais peut être appliquée en revanche au télétravail pour lequel, comme nous l’avons précisé, notre pays ne dispose d’aucune législation spécifique pour la réglementation de cette activité.

Ceci dit, toutes les tâches qui sont réalisées en dehors de l’entreprise ne

désignent pas une décentralisation. Cette définition est appliquée seulement lorsque les tâches qui peuvent être réalisées au sein de l’entreprise sont externalisées, déplacées à l’extérieur. Par conséquent, le travail à domicile aussi bien que le télétravail sont des expressions de décentralisation ou d’externalisation.

Une autre expression très usitée actuellement en référence à la

fragmentation de l’activité patronale, outre celles citées précédemment, est l’outsourcing. Si nous nous permettons de traduire ce terme dans notre

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langue, il signifie ce qui est « hors de la source, hors de son origine », ce qui rejoint donc le sens donné aux termes d’externalisation, décentralisation ou délocalisation, utilisés jusqu’à maintenant.

II - Conséquences de la décentralisation Les effets de ce phénomène qui a modifié, comme nous l’avons vu,

l’organisation patronale, ont un impact non seulement sur le marché du travail, mais aussi sur l’économie, la sociologie et d’autres disciplines. Cependant, nous limiterons notre étude à ses répercussions dans la matière qui nous intéresse.

Cette nouvelle réalité patronale frappe le marché du travail en le

fragmentant car, d’un côté nous trouvons les travailleurs qui offrent leurs services dans l’entreprise centrale, et de l’autre, ceux qui travaillent pour les prestataires ou sous-traitants, ou « périphériques », pour emprunter l’heureuse expression de Valentín Rubio. La différence entre les deux groupes est significative : le premier groupe bénéficie d’une stabilité, d’une affiliation décente et de salaires avantageux, tandis que le deuxième a des salaires inférieurs et des conditions de sécurité précaires.

Pour Harrison7, ces nouveaux grands réseaux de production constitués

par plusieurs entreprises sont à l’origine de discriminations puisque « dans les grandes entreprises, chez leurs partenaires et fournisseurs de confiance, ainsi que dernièrement, dans l’économie en général, les employés de base et fondamentaux se distinguent des employés moins importants et périphériques. C’est ce que l’auteur (Harrison) appelle « le côté obscur de la production flexible»8.

Ces modifications technologiques et organisationnelles de l’entreprise ont

amélioré sans aucun doute la compétitivité, ce qui aboutit à une élévation des indicateurs de croissance d’un pays. Concrètement, dans le nôtre, nous constatons ce même phénomène, « mais il ne se traduit pas par une mobilité

7 Cité par V. Rubio, op. cit., p. 188. 8 V. Rubio, op. cit., note 7.

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Le droit du travail et la nouvelle réalité des entreprises

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sociale, encore moins, par le sauvetage de millions de personnes plongées dans la misère et la pauvreté »9.

Cette configuration, intégrée par une entreprise centrale et des entreprises

satellites, estompe à tel point l’employeur que parfois, le travailleur ne peut pas l’identifier. L’employeur s’avère parfois inaccessible pour le travailleur. Comme conséquence de l’effet des contrats qui lient les différentes entreprises, que Lorenzetti10 qualifie de « relatif », « il en résulte que le travailleur sait, et nous le savons tous, qu’il n’y a un seul employeur qui organise qu’une seule affaire, pour laquelle il utilise une multiplicité de figures sociétaires et contractuelles. En revanche, le travailleur est l’employé que d’une seule d’entre elles, et par le fait du principe « relatif » des contrats, il ne peut se retourner contre les autres »11.

La décentralisation patronale a eu un impact direct sur les relations

professionnelles, raison pour laquelle il y a lieu de déterminer si la plate-forme juridique actuellement en vigueur est en mesure de couvrir la casuistique de cette nouvelle réalité économique ou si, au contraire, il est nécessaire d’échafauder un système de droit positif. Pour l’exprimer avec les mots de Rivero Lamas, il appartient de « déterminer de quelle façon sont utilisés les instruments disponibles pour reconstruire un ordre systématique du droit du Travail, altéré par les changements »12.

Nombreuses sont les conséquences professionnelles qui peuvent être

provoquées par la décentralisation de l’activité productive d’une entreprise. Nous pouvons noter entre autres, et en particulier, la diminution du travail pour le compte d’autrui et l’augmentation résultante du travail indépendant, l’embauche temporaire des travailleurs au détriment du principe de continuité de la relation professionnelle, la modification des conditions de travail qui liée au transfert des travailleurs de l’entreprise contractante vers l’entreprise prestataire, la mobilité du personnel limitant la prolongation des contrats de travail. 9 La Voz del Interior dans son Éditorial du lundi 26 décembre de l’année 2005. Section A, p. 12. 10 R. L. Lorenzetti, El fraccionamiento de la responsabilidad laboral, Revista de Derecho Laboral 2001-1, p. 114. R. L. Lorenzetti, op. cit. note 10. 12 H. R. Carcavallo, El artículo 30 de la L.C.T. sus antecedentes, alcances y problemas, Revista de Derecho Laboral 2001-1, p. 135.

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III - La réalité dans la république d’Argentine Dans notre pays, l'externalisation est licite et elle est visée et réglementée

par la loi sur le contrat de travail (LCT), en vigueur depuis 1974, avec les réformes déjà mentionnées. Autrement dit, le chef d’entreprise a toute latitude pour intégrer dans son cadre de travail la totalité de l’activité de son entreprise, d’en réaliser une partie et d’externaliser l’autre, ou encore d’en céder la totalité à des tiers. Néanmoins, la loi établit certaines limites de responsabilité, puisqu’elle rend l’employeur principal solidairement responsable en ce qui concerne les obligations professionnelles et sociales qui n’ont pas été satisfaites par le prestataire ou le sous-traitant, à condition toutefois que l’activité externalisée soit celle normale, et spécifique de l’établissement.

Dans le cadre de la segmentation du processus de production, la solidarité

est employée pour agir sur le plan des garanties personnelles et fonctionne comme une nouvelle version du principe protectionniste du travailleur, avec un élargissement de la figure du débiteur afin d’augmenter et d’améliorer les possibilités de recouvrement de la créance.

D’après Justo López13, nous pouvons extraire les caractéristiques des

obligations solidaires, à savoir : • Pluralité des sujets actifs, passifs ou des deux catégories, • Unité de prestation, c’est-à-dire que tous sont débiteurs ou

créanciers selon le cas, eu égard à la même prestation • Unité de cause : le droit de tous les créanciers et le devoir de tous les

débiteurs en ce qui concerne la même prestation, sont dérivés au même titre ou fait justificatif. Il est indéniable que dans les obligations solidaires il existe plusieurs créanciers ou débiteurs qui ne perdent pas leur individualité juridique ni ne viennent intégrer collectivement une entité de droit unique. Par conséquent, si chaque créancier ou débiteur maintient son individualité juridique, il en découle qu’il y a autant de liens que de créanciers ou débiteurs différents existants. Soulignons que chacun des liens dont nous faisons mention ne fonctionne pas de façon isolée mais qu’ils forment un tout. Autrement dit, dans le premier cas, s’ils fonctionnaient de façon isolée,

13 Cf. J. López, La solidaridad en las relaciones obligatorias laborales, Revista de Derecho Laboral 2001-1, Rubinzal Culzoni Editores, p. 10.

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nous nous trouverions devant une obligation conjointe et, dans le deuxième cas, nous serions au contraire devant une obligation solidaire qui se caractérise par ce squelette unitaire de l’obligation.

Le principe de solidarité dans notre droit positif, dont nous faisions mention dans un rapport présenté dans la Ciudad de Paraná14, doit toujours être énoncé et son titre constitutif peut être la loi, la volonté des parties, ou bien elle peut être établie par convention, c’est-à-dire qu’elle peut être le fruit d’une négociation collective. En ce qui concerne la solidarité volontaire, c’est le régime commun du fardeau de la preuve qui régit, autrement dit, elle doit être prouvée par celui qui l’allègue ; dans le cas contraire, l’obligation en question n’accède pas à la catégorie de solidaire. Puisque, de par le principe iura novit curia, le Juge connaît le droit, il va de soi que la solidarité imposée par la loi ou la convention n’exige aucune preuve.

Nous allons toujours trouver la solidarité dans le cas du sujet employeur,

c’est-à-dire que la solidarité dans le droit du travail est toujours passive et permet au travailleur de se retourner contre des sujets avec lesquels il n’a pas de lien contractuel direct. Nous affirmons qu’elle est toujours passive parce que l’une des normes de typification du contrat de travail est le caractère absolument personnel de la prestation. Autrement dit, puisqu’il s’agit toujours d’une prestation non-fongible, nous pourrions difficilement établir la solidarité active. Si la prestation pouvait être échangée entre plusieurs sujets, le caractère absolument personnel qui identifie le contrat de travail serait dans ce cas dénaturalisé.

Les normes relatives à la solidarité dans le régime du contrat de travail

apparaissent comme des normes anti-fraude dont l’intention est d’octroyer de plus grandes garanties de recouvrement aux créances des travailleurs car actuellement, et du fait des nouvelles formes économiques, la figure de l’employeur est souvent floue. Par le contenu de ces normes, nous observons que, dans certains cas, la responsabilité du débiteur solidaire est « directe » et que dans d’autres, elle est « auxiliaire ». Nous appelons « directe » celle

14 M. E. Piña et N. Bonetto de Rizzi, Solidaridad y Franchising, rapport présenté au XV Congrès national du droit du Travail et de la Sécurité sociale et XIII Journées de Rio de la Plata sur le droit du Travail et de la Sécurité sociale, 26-28 août 2004, Paraná, Entre Ríos.

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où le travailleur peut se retourner directement contre l’obligé solidaire sans diriger à la fois l’action à l’encontre de son employeur direct, et « auxiliaire » l’obligation par laquelle l’assujetti direct doit être également condamné à répondre pour que le débiteur solidaire puisse répondre.

Dans le cadre de la loi sur le contrat de travail, corpus législatif de notre

sujet, il existe différents cas de solidarité puisque nous avons des cas de solidarité imposée par relation directe (art. 29), d’autres par relation d’interposition et d’intermédiation (art. 29), des cas de sous-traitance (art. 30) d’interrelation patronale (art. 31), ainsi que de cas de solidarité imposée par des transferts d’établissement (art. 225 et 228). Pour des raisons de méthodologie, et pour ne pas sortir du sujet de notre étude, nous nous référerons à la solidarité pour embauche ou sous-traitance.

IV - Le traitement législatif dans notre pays

Nous traiterons sous cette rubrique la solidarité imposée par l’article 30

de la Loi sur le Contrat de Travail. Comme nous l’avons indiqué, la nouvelle forme de fonctionnement des entreprises a un impact direct sur le droit du travail, et l’une des caractéristiques de la norme que nous étudions, dans laquelle apparaît très particulièrement le principe protectionniste contre la fraude professionnelle, traite justement la fragmentation dans la forme de production, puisqu’elle se réfère à ceux qui : « cédant totalement ou partiellement à d’autres l’établissement ou l’exploitation habilités en leur nom, ou engageant ou sous-traitant, pour quelque cause que ce soit, des travaux ou des services correspondants à l’activité normale et spécifique à l’établissement, à l’intérieur ou à l’extérieur de leur cadre habituel, devront exiger de leurs prestataires ou sous-traitants le respect adéquat des normes relatives au travail et aux organismes de la sécurité sociale ».

La norme se réfère alors aux relations qui sont nouées entre les

travailleurs qui dépendent de prestataires et de sous-traitants et l’entreprise principale, en établissant la solidarité entre l’employeur direct (l’entreprise prestataire et sous-traitante) et l’employeur indirect (entreprise principale), sans qu’il n’existe de limites dans les degrés d’embauche « puisque, quel que soit le système utilisé, l’entreprise en tant qu’organisation instrumentaire

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pour l’obtention des fins économiques devra répondre, comme bénéficiaire de l’activité, du personnel engagé par les prestataires ou sous-traitants » 15.

Au regard de l’importance que nous donnons à cette disposition, nous

nous devons d’indiquer brièvement son évolution puisqu’elle a été soumise à plusieurs réformes depuis sa rédaction initiale.

Dans la loi n° 20.744 de 1974, la solidarité était imposée dans son

expression maximale, puisqu’elle comprenait l’activité principale ou accessoire, avec ou sans but lucratif. Il s’agissait d’un système large, généreux, pratiquement automatique qui a été réduit et restreint à partir des réformes successives, comme nous le verrons immédiatement.

La loi n° 21.297 de 1976, imposée par le régime militaire qui régnait à

cette époque, réforme le système précédent et impose la solidarité, selon sa rédaction actuelle, uniquement à la cession de l’activité normale et spécifique. Autrement dit, l’activité accessoire est abandonnée et la solidarité n’est pas imposée dans ce cas.

Dans la loi n° 25.013 de 1998, par laquelle la dernière réforme de la

norme analysée a été introduite, il est établi que ceux qui cèdent tout ou partie de l’activité normale et spécifique de leur établissement ou exploitation devront exiger, en outre, aux concessionnaires, ce qui suit :

• C.U.I.L. (code unique d’identification professionnelle) des

travailleurs employés, • Justification du paiement des salaires, • Copie signée du paiement de la C.U.S.S. (contribution unique à la

Sécurité sociale), • Compte courant bancaire • Couverture des risques professionnels.

15 V. Rubio, La reforma laboral - ley 25.013, Rubinzal Culzoni Editores, p. 61.

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V - L’activisme judiciaire Il est clair que toutes les questions formulées ont fait couler des torrents

d’encre dans la doctrine et dans la jurisprudence, avec l’intention d’interpréter les termes, « normal » et « spécifique », agitation que la Cour a voulu « calmer » depuis l’affaire « Rodríguez Juan c/ Embotelladora Argentina S.A. y otro », et une décision en date du 15 avril 1993, sans y parvenir complètement.

Dans l’attendu numéro dix de l’affaire en question, la Cour a soutenu

que : « L’article 30 de la loi sur le contrat de travail inclut l’hypothèse dans laquelle un chef d’entreprise charge un tiers de la réalisation des aspects ou facettes de la même activité qu’il réalise dans son établissement. Il s’agit de cas dans lesquels les prestations engagées complètent ou sont un complément de l’activité de l’établissement, à savoir, « l’unité technique ou d’exécution destinée à l’obtention des fins de l’entreprise, à travers une ou plusieurs exploitations » (art. 6 de la LCT), mais dans les contrats de concession, distribution et autres mentionnés, l’activité normale du fabricant ou concédant exclut les étapes réalisées par le distributeur ou le concessionnaire », et elle signale ensuite dans l’attendu numéro onze que « l’article 30 de la LCT ne se réfère pas à l’objet ni à la capacité sociétaire mais à l’activité réelle propre à l’établissement ».

Il faut souligner que la doctrine de la Cour à laquelle nous faisons

référence demeure inaltérable, même après la réforme de la norme en question, instaurée par la loi n° 25.013 de 1998, puisque dans la décision « Escudero, Segundo R. y otros c/ Nueve A. SA » du 14 septembre 2000, elle affirme sa doctrine sous une forme encore plus rigoureuse, en rejetant ouvertement les activités coadjuvantes, et parle plutôt d’ « inhérence » en faisant ainsi sienne l’interprétation de la Cour suprême de l’Espagne.

Il est indéniable que la décision que nous analysons a fait date en ce qui

concerne la responsabilité solidaire entre contractant et prestataire dans le cas de la décentralisation de l’activité du premier : le contractant qui confie son activité au prestataire est alors libéré de sa responsabilité. Le Tribunal supérieur a soutenu, en cette occasion, qu’ « il n’y a pas lieu d’appliquer l’article 30 de la loi sur le contrat de travail puisque le chef d’entreprise fournit à un autre un produit déterminé, en se déliant de façon expresse de son traitement, de son élaboration et de sa distribution ultérieurs. Cet effet

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est obtenu dans la pratique commerciale par des contrats de concession, distribution, franchise et autres qui permettent aux fabricants ou le cas échéant aux concédants d’une franchise commerciale, de se lier exclusivement à une entreprise déterminée sans contracter un quelconque risque de crédit pour les activités de cette dernière, qui agit en son propre nom et à ses propres risques », tout cela sans préjudice des droits du travailleur dans les cas de fraude. La Cour suprême, à travers la décision mentionnée, a posé une limite à la responsabilité imposée par l’article 30 de la LCT.

Le Tribunal cité, comme il semble le soutenir, a tenté de donner le « coup

de grâce » aux diverses tendances judiciaires existantes en ce moment. Cependant, cet objectif, comme nous l’avons déjà indiqué, n’a pas été atteint. Car, même si les critères établis par la Cour dans ses décisions s’imposent aux tribunaux inférieurs, sous peine de tomber dans l’arbitraire, tous les juristes n’ont pas accepté les directives tracées par la Cour Supérieure sans les remettre en question. Différentes interprétations demeurent pour ce qui doit être entendu comme « activité normale et spécifique » de l’entreprise, lorsque les activités externalisées ou extériorisées abandonnent le qualificatif de l’activité propre au principal.

Dans la décision en question et dans celles qui lui ont succédé, la Cour a

établi la différenciation suivante. D’une part, l’entreprise qui délègue à une autre tout ou partie des travaux propres à son activité, lesquels après avoir été traités par cette autre entreprise reviennent à la première qui est celle qui clôture le processus de production : dans ce cas, il existerait une solidarité entre les deux. D’autre part, l’entreprise qui délègue également une activité, comme la première, mais où le produit ne revient pas à son origine et suit la chaîne de commercialisation, c’est-à-dire que la première entreprise se dégage des risques qui sont assumés par la deuxième : dans ce dernier cas, d’après la Cour, il n’y a pas de solidarité entre les deux sociétés.

Nous devons préciser que la responsabilité solidaire de l’entreprise

principale ne signifie pas qu’il existe une relation de dépendance du personnel embauché par les prestataires et les sous-traitants par rapport à celle-ci, mais que cette responsabilité porte sur le paiement des dettes sociales et de celles envers la sécurité sociale, contractées par ces derniers.

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Guibourg16, auteur reconnu, soutient que la solidarité établie à l’article 30 de la LCT est importée du droit civil en tenant compte des particularités propres au droit du travail, il s’agit en somme d’une solidarité passive, dont la source est la loi et où il existe un responsable direct qui est le prestataire, et un responsable auxiliaire qui est le chef d’entreprise qui a sous-traité. Cependant, la jurisprudence est divisée à ce sujet puisque dans une décision récente des Chambres nationales, dans le dossier « Ramírez, María Isidora c/ Ruso Comunicaciones e Insumos S.A. y otro s/despido », où la question de si l’article 705 du Code civil était applicable à la responsabilité de l’article 30 de la LCT était posée, la réponse a été majoritairement affirmative. Ceci signifie que l’article 30, de même que l’article 705 du Code civil, n’admettent que la responsabilité solidaire directe et non pas auxiliaire.

Les conséquences pratiques de la conclusion à laquelle a abouti la séance

plénière indiquée, n° 309 du 3 février 2006, impliquent que tous les débiteurs solidaires peuvent être mis en cause, quelques-uns, voire un seul d’entre eux. Dans son vote, le Docteur Guibourg a soutenu : « le schéma est similaire à celui de la caution solidaire dans le droit civil : il existe un responsable direct (l’employeur sous la dépendance duquel l’obligation prend naissance) et un autre indirect ou auxiliaire (le prestataire principal, le successeur dans l’exploitation, l’intermédiaire dans l’embauche, l’entreprise liée, l’employeur permanent dans le cas de cession temporaire) »... Se référant à la caution solidaire, régie par l’article 2004 du Code civil, il ajoutait : « De la même façon, le responsable solidaire (auxiliaire) d’une obligation de travail ne devient pas un employeur ni ne remplace celui-ci dans toutes ses fonctions. Par exemple, l’ouvrier d’un prestataire pourra réclamer au chef d’entreprise principal les indemnités correspondantes en cas de licenciement indirect ; mais s’il résilie le contrat en vertu d’un manquement de son employeur - par exemple, refus de travail - il devra tout d’abord mettre en demeure le responsable direct de lui accorder ce travail, puisque le débiteur auxiliaire n’est pas en mesure de remplir cette obligation et ignore peut-être la nature du contrat de travail en vertu duquel la réclamation est effectuée ».

16 Guibourg, Las obligaciones solidarias en el derecho laboral, L.T XXVI B-969/981 cité par Hugo Carcavallo, El artículo 30 de la L.C.T. - sus antecedentes, alcances y problemas, Revista Derecho Laboral 2001-1, p. 152.

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Après intervention de la séance plénière mentionnée, le principe de la solidarité a été élargi. Ainsi, il ne sera plus nécessaire, par exemple, d’adresser une réclamation au débiteur direct qui se trouverait en faillite, l’action pouvant être dirigée uniquement à l’encontre du débiteur auxiliaire. La doctrine française marquée par Demolombe est donc suivie ; celui-ci soutenait qu’il n’y a qu’une seule espèce de solidarité, celle que la loi elle-même reconnaît et en dehors de laquelle « il n’en existe aucune ».

Ce n’est pourtant pas l’interprétation que nous adoptons car, dans celle de

cette norme, l’article 30, il s’agit d’étendre la responsabilité à qui ne fait pas partie de la relation juridique substantielle, raison pour laquelle l’interprétation doit être restrictive. Nous considérons, tout en respectant la hiérarchie intellectuelle de ceux qui ont voté de façon affirmative, que l’embauche et la sous-traitance licites permises par la loi sont assimilées aux situations frauduleuses, où sans aucun doute l’action peut être intentée auprès de l’employeur direct ou auxiliaire. Nous pensons que la réalité sous-jacente dans la norme est celle d’une garantie accessoire de l’employeur principal, à savoir l’entreprise prestataire, qui a externalisé le service en question. Ceci nous conduit, par une nécessité logique, à soutenir que ceux qui ont dans la relation une position différente, doivent également occuper des positions différentes, face à l’exercice de l’action par la personne lésée. Nous soutenons en somme que, pour pouvoir condamner le débiteur auxiliaire, il faudrait, préalablement ou conjointement, condamner le débiteur principal.

La fraude la plus typique à la loi qui se produit dans le domaine du

travail, dans notre pays, est celle des travailleurs “au noir” qui ne sont pas enregistrés sur la documentation professionnelle que doit tenir obligatoirement tout employeur, ni auprès des organismes de la sécurité sociale. Cette situation d’irrégularité a proliféré notablement dans la République d’Argentine ces dernières années, suite à la crise économique qu’elle a traversée et dont elle n’a pas encore pu se libérer. Ceci a obligé le gouvernement à promulguer une série de normes tendant à la combattre, moyennant des sanctions financières, qui arrivent dans certains cas, à quadrupler l’indemnité qui appartiendrait au travailleur en cas de licenciement injustifié. Malgré ces mesures, il n’est pas arrivé à faire diminuer le taux élevé de travailleurs irréguliers qui, d’après les statistiques, s’élève actuellement à quarante pour cent (40 %) de la masse travailleuse.

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VI - Conclusions L’expérience de ceux qui, depuis la magistrature, doivent faire face au

quotidien à des conflits de travail, conduit à affirmer que les travailleurs qui sont employés dans les entreprises prestataires ou sous-traitantes, se trouvent dans des conditions salariales inférieures à celles des employés dans l’entreprise principale. En effet, ces premières entreprises éludent généralement l’exécution de leurs obligations sociales et de prévoyance, ce qui augmente le travail clandestin, puisque c’est dans ces petites entreprises où l’on constate le plus grand nombre de travailleurs « au noir », ainsi dénommés en opposition au « travail décent ».

Le système protectionniste institué par notre régime juridique, relatif aux

différentes formes de décentralisation de l’activité patronale, devrait être complété par d’autres normes qui prendraient en compte la réalité que le nouvel ordre économique a implantée. À cet effet, il serait bon d’avoir recours à certaines expériences du droit comparé qui pourraient nous servir de guide pour concevoir une législation du travail conforme à l’époque dans laquelle nous vivons et aux nouvelles conceptions qui sont apparues et qui continueront à apparaître dans le monde du travail et des entreprises.

Certains pays, afin de protéger les intérêts du travailleur, ont décidé

d’exiger que les entreprises qui cèdent ou sous-traitent une partie ou la totalité de leur activité, soient enregistrées auprès d’un organisme public ou que celui-ci les autorise à fonctionner comme telles. C’est-à-dire que la décentralisation fonctionnerait dans la mesure où certaines conditions seraient accomplies.

Les dispositions légales en vigueur dans notre pays ne sont pas

totalement aptes à envisager, d’une façon adéquate, les situations des travailleurs qui sont employés dans des entreprises liées par un contrat de franchise, une modalité contractuelle qui s’est développée intensément ces derniers temps et qui n’a pas été prise en compte lors de la promulgation de la loi sur le contrat de travail qui, comme nous l’avons indiqué, date de l’année 1974, ni non plus par les importantes modifications qui y ont été introduites en 1976. L’avantage de ce type de contrat est celui de réussir à distribuer massivement un produit, ce qui, d’une autre façon, exigerait un réseau de commercialisation extrêmement coûteux et difficile à administrer. Mais, en même temps, il se prête à ce que le franchisant se dégage de sa

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responsabilité en utilisant ce type de contrats pour occulter des manœuvres d’évasion et de fraude à caractère fiscal ou envers la sécurité sociale, et pour dissimuler le manquement aux devoirs qui incombent à l’employeur par rapport à ses employés.

Toutes les figures contractuelles décrites ci-dessus, à travers lesquelles la

fragmentation du processus de production est obtenue, sont licites dans notre législation, dans la mesure où elles ne sont pas utilisées pour violer la loi ou nuire à des tiers, parmi eux les travailleurs. Dans le cas où cette dernière hypothèse se produirait, la protection légale cesserait et, de ce fait, l’exonération de la responsabilité solidaire cesserait également pour les entreprises contractantes et pourrait même arriver, dans certains cas, à atteindre ses associés et ses administrateurs.

Pour conclure, il faut souligner que, dans une récente décision concernant

les plafonds d’indemnisation établis dans la loi, la Cour a affirmé que « l’homme ne doit faire l’objet d’un quelconque marché mais doit être le maître et seigneur de tous, car ces marchés ne trouvent un sens et une validité que s’ils contribuent à la réalisation des droits de l’homme et du bien commun ». Voici donc, à notre avis, les principes directeurs qu’il ne faut pas perdre de vue lors de l’application du principe de responsabilité solidaire.

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Darcy du Toit Professeur de droit du travail Université de Western Cape, Cape Town

Droit du travail et décentralisation productive :

quel avenir pour l’externalisation ? Une perspective sud-africaine

Abstract

In terms of the law of contract, employees enjoy no protection if the business (enterprise) where they work is sold or transferred. With a growing tempo of mergers, acquisitions, fusions and externalisation of work, South African legislation to protect employees upon the transfer of a business or part of a business (as defined) closely resembles EC Directive 2001/23. The article deals especially with the legal and practical problems arising in the context of outsourcing. Both in Europe and South Africa a crucial question is whether outsourcing transactions can be regarded as “transfers” of part of a business falling within the protection of the legislation. The article looks critically at recent South African labour court decisions involving the outsourcing of ancillary services, criticising the restrictive approach followed in one matter, questioning the open-ended approach adopted in a second and supports the purposive approach (consistent with European law) adopted in the third.

Résumé Selon les dispositions prévues par le droit contractuel, les employés ne

bénéficient d’aucune protection lorsque l’entreprise dans laquelle ils travaillent est vendue ou transférée. En raison de l’augmentation du rythme des fusions, acquisitions, regroupements et de l’externalisation du travail, la législation sud-africaine qui vise à protéger les employés dans le cadre d’un transfert de tout ou partie d’une activité (telle que définie) est étroitement apparentée à la Directive européenne 2001/23. Cet article traite particulièrement des difficultés juridiques et pratiques apparaissant dans le contexte d’externalisation. Tant en Europe qu’en Afrique du Sud, la question essentielle reste de savoir si les transactions d’externalisation sont assimilables aux « transferts » de parties d’activités couvertes par les dispositions de protection législative. Le texte propose une analyse critique de récentes décisions adoptées par les tribunaux sud-africains, sur l’externalisation de services auxiliaires, en dénonçant l’approche restrictive suivie dans un premier cas d’espèce, en s’interrogeant sur l’approche apparemment ouverte adoptée dans un second cas, et en soutenant l’interprétation de cohérence avec le droit européen adoptée dans un troisième cas.

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Darcy du Toit

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Avec l’accélération du rythme des fusions, acquisitions, regroupements et de l’externalisation du travail expérimentée au cours des récentes décennies, les employés ont été confrontés à une insécurité d’emploi grandissante. Le droit contractuel leur offre très peu de protection lorsque l'entreprise dans laquelle ils travaillent est vendue ou transférée. Le cédant (ancien employeur) est libre de résilier leurs services avant la cession, tandis que le cessionnaire (nouvel employeur) n’est tenu par aucune obligation de les employer. Une réglementation légale s’en est ensuivie, l’Europe ayant pris les devants. À la suite des initiatives législatives marquées par le Royaume-Uni1 et l’Allemagne2, le Conseil Européen a adopté la Directive 77/187/EC (la « Directive des droits acquis ») afin de réglementer la protection des droits des employés à la suite de transferts d’activités ou de parties d’activités3 en Afrique du Sud, une législation similaire – significativement influencée par le précédent européen – fut promulguée sous la forme de la section 197 de la Loi sur les relations du travail de 19954 (telle que modifiée en 2002).

Sur cette toile de fond, l'externalisation (ou « impartition ») du travail a

soulevé des problèmes particuliers tant en Europe qu’en Afrique du Sud. Par « externalisation » s’entend un accord par lequel une activité ou service exécuté par des employés au sein de l'entreprise d'un employeur (habituellement des services « non essentiels » ou « auxiliaires » tels que le nettoyage, la restauration ou l’entretien) est « sous-traitée » pour être exécutée par une partie externe (le « contractant »). Dans ce processus, les intérêts des employés et des employeurs sont souvent en balance. De nombreux employeurs, tant dans le secteur public que dans le secteur privé, en sont venus à considérer l’externalisation comme un moyen important non seulement d’augmenter leur effectivité (leur permettant de se concentrer sur les activités « essentielles »), mais aussi de réaliser des économies (en se départissant d’employés, et en ayant la même activité ou le même service assuré à moindre prix par un contractant). De plus, il n’est pas rare pour les contractants d’offrir d’embaucher les travailleurs qui avaient précédemment assuré ce service pour l’employeur, mais sous conditions moins favorables. 1 Loi sur les contrats d’emploi de 1972 ; voir McMullen, Business Transfers and Employment Rights (Butterworths, looseleaf) Intro [9]. 2 Article 613a du Code civil, promulgué en 1972. 3 Après avoir été modifiée par la Directive 98/27/EC, elle fut remplacée en 2001 par la Directive 2001/23/EC. 4 Loi n° 66 de 1995 dénommée ci-après la « LRT ».

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Droit du travail et décentralisation productive : quel avenir pour l’externalisation ?

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Ainsi, les employés n’ont que le choix entre faire le même travail pour une moindre rémunération, ou ne plus avoir d’emploi.

Il n’est pas surprenant que l’externalisation soit devenue une source de

tensions importantes entre les employeurs et les syndicats et, tant en Europe qu’en Afrique du Sud, ait donné lieu à un corps de jurisprudence significatif. La question centrale concerne l’applicabilité de la législation protectrice – à savoir, la section 197 de la LRT ou, en Europe, les actes législatifs édictés conformément à la Directive 2001/23 – adaptée aux transactions de cette nature. Lorsqu’une opération d’externalisation peut être homologuée comme le « transfert d’un élément d’une activité » au sens de la loi correspondante, le contractant (nouvel employeur) sera tenu d’accepter les employés affectés à ses services aux mêmes termes et conditions que ceux dont ils bénéficiaient avant le transfert. Il n’est pas nécessaire de préciser que les employés et les syndicats aient tout intérêt à obtenir cette conclusion, tandis que du point de vue des employeurs, cela peut dans de nombreux cas annuler l’objet même de l’externalisation5. La question est, par conséquent, de savoir si les transactions d’externalisation peuvent être incluses dans la définition statutaire du « transfert d’une activité ou d’un élément d’activité », et le cas échéant, dans quelles circonstances. Cet article examine la façon dont les cours sud-africaines ont fait front à la question, d’après le précédent européen de fond.

Trois arrêts récents impliquant l’externalisation de services auxiliaires

forment l’axe central des débats : Éducation nationale de la santé & Syndicat des travailleurs c/Université de Cape Town & autres6, SAMWU & autres c/la Société Rand Airport Management Company (Pty) Ltd & autre7 et COSAWU c/Zikhethele Trade (Pty) Ltd & autre8. Ce texte critique

5 En Europe, selon Wallis, « le résultat final (…) s’est soldé par un conflit entre les cours de justice d’un côté et les entités commerciales de l’autre côté, quant à ce qui constitue le transfert d’une activité au sens de [la Directive des droits acquis] ou [des Règlementations des transferts d’entreprises (protection de l’emploi)]. Ainsi que cela doit inévitablement se produire dans ce type de bataille unilatérale, les cours de justice ont gagné, mais au prix de l’émasculation du concept entier du transfert d’activité » : « S’agit-il d’externalisation ? Une question continue » (2006) 27 ILJ 1 à 5. 6 [2000] 7 BLLR 803 (LC); [2002] 4 BLLR 311 (LAC); 2003 (2) BCLR 154 (CC). 7 [2005] 3 BLLR 241 (LAC). 8 (2005) 9 BLLR 924 (LC).

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l’approche restrictive suivie par le Tribunal du travail à propos de la première espèce relative à la détermination de l’applicabilité de la section 197 ; il s’interroge sur l’approche apparemment ouverte adoptée par la Cour d’Appel dans une seconde espèce et soutient l’interprétation adoptée dans une troisième9. Fondamentalement, il souligne le recours à une distinction entre l’externalisation de « première génération » et « seconde génération »10 et critique l’opinion selon laquelle la section 197 n’est pas applicable à cette dernière. Enfin, on tente ici de chercher à identifier les principes cohérents qui peuvent découler du débat, en plaidant pour une approche similaire à l’interprétation dégagée par la jurisprudence européenne.

Au préalable, il faut rappeler que la section 197 (1) et (2) de la LRT est

rédigée comme suit : « (1) dans la présente section et dans la section 197A11, (a) « activité » s’entend tout ou partie de toute activité, commerce, engagement ou service, (b) « transfert » s’entend le transfert d’une activité par un employeur (« l’ancien employeur ») à un autre employeur (« le nouvel employeur ») en tant qu’entité en exploitation. (2) si un transfert d’activité est effectué, sauf dispositions contraires en vertu de la sous-section

9 La Cour d’appel et la Cour constitutionnelle n’ont pas eu l’occasion de statuer sur cet aspect du jugement. 10 Par « première génération », externalisation s’entend l’action par un employeur de sous-traiter à un contractant externe. Par « seconde génération », externalisation s’entend la résiliation d’un contrat avec le contractant initial et la conclusion d’un contrat avec un second contractant pour l’exécution du même service. Wallis établit que l’ « externalisation de seconde génération » ne correspond à « rien de la sorte. Elle ne naît pas d’une partie cessant d’assurer un travail avec ses propres employés elle-même et décidant de passer un contrat avec une tierce partie pour l’exécution dudit travail en son nom, ce qui constitue la quintessence de l’externalisation. L’expression « impartition de seconde génération » (…) n’établit rien de plus que la décision d’une partie de changer de fournisseur. (…) purement, qu’il y ait pu avoir certaine décision d’externalisation préalable de la part du mandant ne fait pas du changement de contractant une externalisation de quelque génération que ce soit » : Voir Wallis « S’agit-il d’externalisation ? Une question continue (2006) 27 Industrial Law Journal (SA) 1 à 2. Dans ce document, l’expression est assimilée à un terme technique dont la signification (comme la description de Wallis le met en évidence) ne soulève pas de doute. 11 La section 197A règlemente les transferts d’activités dans des circonstances d’insolvabilité.

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(6)12, (a) le nouvel employeur est automatiquement substitué à l’ancien employeur en regard de l’ensemble des contrats d’emploi existants immédiatement avant la date du transfert ; (b) tous les droits et obligations liant l’ancien employeur à un employé au moment du transfert sont réputés rester en vigueur comme s’il s’agissait de droits et obligations définis entre le nouvel employeur et l’employé ; (c) toute action exécutée préalablement au transfert, par ou en relation à l’ancien employeur, incluant le licenciement d’un employé ou une pratique de travail déloyale ou un acte de discrimination déloyale, est considérée avoir été commise par ou en relation avec le nouvel employeur ; et (d) le transfert ne saurait interrompre le caractère de continuité de l’emploi du salarié, et le contrat d’emploi d’un employé se poursuit avec le nouvel employeur sous les mêmes conditions qu’avec l’ancien employeur.

Il est important de souligner l’une des différences apparentes entre la

signification de la section 197 et celle de ses équivalents européens. L’objet établi de la Directive 2001/23, et par conséquent de la législation nationale qui la rend exécutoire, est d’« assurer la protection des employés dans le cas de changement d’employeur, en particulier, aux fins de garantir la sauvegarde de leurs droits »13. En Afrique du Sud, la Cour constitutionnelle a établi que la section 197 devait être interprétée dans le cadre du droit constitutionnel sur les « pratiques loyales en matière d’emploi », lequel est applicable aux employeurs et aux salariés, et que sa finalité est double : « protéger l’emploi des travailleurs et faciliter la vente d’activités en tant qu’entités en exploitation en permettant au nouvel employeur de reprendre les travailleurs ainsi que d’autres actifs en certaines circonstances »14. Ce

12 La disposition exécutoire du § 6 prévoit : (a) Un accord projeté au sens du § 2 doit être écrit et conclu entre : (i) l’ancien employeur, le nouvel employeur, ou l’ancien et le nouvel employeur agissant conjointement, d’une part ; et (ii) la personne ou l’entité pertinente mentionnée à la section 189 (1), d’autre part. (b) Quelles que soient les négociations visant à conclure un contrat prévu au paragraphe a, l’employeur ou les employeurs prévus au sous-paragraphe (i), ont pour obligation de communiquer à la personne ou l’entité prévue au sous-paragraphe (ii), l’ensemble des informations pertinentes qui lui permettront d’engager effectivement les négociations. 13 Cf. § 3, préambule de la Directive. Le préambule de la Directive 77/187/EEC prévoyait une disposition identique. 14 NEHAWU c/ University of Cape Town and Others 2003 (2) BCLR 154 (CC) au § 53. Celui-ci marque un changement comparativement aux jurisprudences

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point peut être interprété comme mandatant les cours sud-africaines pour équilibrer la protection des salariés contre les critères commerciaux des employeurs, jusqu’à l’application de la section 197 au sens plus restreint que celui enjoint par la Directive européenne. En revanche, on peut plaider que les droits des salariés ne sont pas nécessairement mis en balance avec les intérêts commerciaux appuyés par la section 197 et que le dernier objet, étant additionnel au précédent, n’empiète pas sur celui-ci. Ainsi que nous pourrons le voir, il est certainement difficile de discerner un changement défini de direction dans l’interprétation de la section 197 par les tribunaux depuis qu’est intervenu le jugement de la Cour constitutionnelle, cité ci-dessus.

La tension entre les intérêts des employeurs et des salariés dans le

contexte des transferts d’activités fut résumée par la Cour constitutionnelle comme suit : « Le choc entre, d’une part, l’intérêt de l’employeur en termes de rentabilité, rendement ou survie de l’activité, ou si besoin est de sa cession effective, et d’autre part, l’intérêt du travailleur en termes de sécurité d’emploi et de droit à choisir librement un employeur constitue le coeur des litiges relatifs aux transferts d’activités »15.

Cette tension est encore plus prononcée et tangible dans le cas de

l’externalisation. L’une des finalités de l'externalisation, et parfois son principal objet, est précisément de réduire le coût du service imparti ce qui, bien trop souvent, se traduit par une réduction de la rémunération ou un

précédentes qui établissaient la section 197 comme étant initialement une mesure de protection des salariés : voir, p.ex., Schutte & others c/ Powerplus Performance (Pty) Ltd & another [1999] 2 BLLR 169 (LC). Il convient de se rappeler que le Mémoire explicatif du Projet de loi des relations de travail de 1995 (Government Gazette 16259 daté du 10 février 1995) présentait les droits et obligations des employeurs en cas de transfert d’une entreprise comme constituant l’objet de la réglementation légale. L’explication poursuit : « Cela permet de résoudre l’exigence de droit commun selon laquelle les contrats en cours d’exécution doivent (sic) être résiliés et que de nouveaux contrats doivent être souscrits, ce qui conduit au licenciement des employés, au paiement de prestations de fin d’emploi, etc, et indexe les coûts dans une mesure propre à décourager ces transactions commerciales » (at 141). Grogan déclare à tort que la Cour constitutionnelle dans NEHAWU c/ Université de Cape Town a « soutenu que la section 197 avait pour objet initial de protéger les emplois » : Workplace Law 8 ed Juta & Co, 2005, p. 246. 15 NEHAWU v UCT § 52-53.

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appauvrissement des conditions de service pour les salariés qui l'exécutent - ce que la section 197 est sensée empêcher en cas de transfert d’activité.

En principe, il n’existe pas de raison expliquant pourquoi la section 197

(à l'instar de la Directive 2001/23) ne serait pas appliquée à une transaction d’impartition, sous réserve que les critères de définition d'une transaction en tant que « transfert » soient satisfaits. Les trois questions suivantes résument le test :

• Y a-t-il eu « transfert » ?

Il est parfaitement évident, tant en Afrique du Sud qu’en Europe, que le « transfert » n’est pas limité à la vente, mais inclut également toutes transactions susceptibles de résulter des conséquences décrites ci-dessous et peut revêtir différentes formes16. Un contrat d’externalisation de services est par conséquent susceptible de tomber dans cette définition générale.

• L'objet du transfert était-il une « activité » ?

« activité » est définie dans la section 197 et s’entend « tout ou partie de toute affaire, commerce, entreprise ou service ». De manière similaire, la Directive 2002/23 est applicable à « tout transfert d’une entreprise, activité, ou partie d’une entreprise ou activité ». À des fins pratiques, une fonction externalisée peut aussi bien être considérée comme une « partie d’une activité », un « service » ou une « partie d'un service ». Le terme « partie de », toutefois, s’est trouvé soumis à d’intenses interprétations juridiques. La réponse à laquelle les tribunaux européens sont parvenus est résumée à l’article 1 de la Directive 2001/23 : pour avoir qualité de « partie d’une activité », une entité transférée doit être « un groupement de ressources organisées ayant pour objet la poursuite d'une activité économique, qu'il 16 Voir Todd et al Business Transfers and Employment Rights in South Africa LexisNexis Butterworths (SA) 2004 p. 24-32. Wallis commente : La nature de cette transaction est immatérielle dans la mesure où il est clair que le transfert ne nécessite pas d’être une vente mais peut revêtir toute forme et pourrait inclure une transaction susceptible de ne pas être légalement exécutoire : Op. cit. 15. En Europe, la Directive 2001/23 est applicable à tout transfert d’une entreprise « comme résultat d’un transfert ou d’un regroupement légal ». En Allemagne, un transfert peut naître d’un acte juridique, excluant de ce fait les transferts résultant de l’application de la loi (par exemple, la loi successorale) : § 613a, Code civil allemand.

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s'agisse d'une activité centrale ou auxiliaire. » Les tribunaux sud-africains ont suivi une interprétation similaire17. Elle considère que toutes les activités externalisées ne répondront pas à cette description. Ainsi, un groupe de salariés transféré de leur employeur à un sous-traitant, sans qu’il y ait transfert concomitant des équipements sur lesquels ils exécutent leur travail, ne constitue pas une « partie de l’activité »18.

• L’activité a-t-elle été transférée en qualité d’ « entité en

exploitation » ?

Il va de soit que ni la section 197 ni la Directive ne trouveraient d’application, ou ne serviraient aucune finalité, en regard d’activités commerciales résiliées du fait de la transaction en question – par exemple, une vente d’actifs19. Bien que la Directive n’utilise pas le terme d’« entité en exploitation », la nécessité selon laquelle l’entité économique transférée doit « conserver son identité » une fois sous l’égide du nouvel employeur produit un résultat similaire. Dans la jurisprudence d'Afrique du Sud, la Cour constitutionnelle explique le terme comme suit :

L’appellation « entité en exploitation » n’est pas définie par la LRT. Par

conséquent, il doit répondre à sa signification habituelle sauf indication contraire du contexte. Ce qui est transféré doit être une activité en exploitation « de façon à ce que l’activité reste la même, mais dans d'autres mains »

20. De manière générale, les tribunaux (en Europe et en Afrique du

17 Voir, par exemple, SAMWU & others c/ Rand Airport Management Co (Pty) Ltd & others [2002] 12 BLLR 1220 (LC) aux § 25-26, avec référence à Société Perrier Vittel France c/ Comité d’établissement de la source Perrier de Vergeze 20 ILLR 157 et Süzen c/ Zehnacker Gebaudereinigung GmBH Krankenhause Service 1997 IRLR 255 (ECJ); NUMSA v Staman Automatic CC & another [2003] 11 BLLR 1167 (LC) à 1173 avec référence à Whitewater Leisure Management Ltd c/ Barnes [2000] IRLR 456 (EAT). 18 NUMSA c/ Staman Automatic CC. 19 Schutte & others c/ Powerplus Performance (Pty) Ltd & another [1999] 2 BLLR 169 (LC) au § 34. Cf McMullen Business Transfers and Employee Rights LexisNexis Butterworths (UK) Issue 6 (August 2005) § 3.4. 20 National Education Health & Allied Workers Union c/ University of Cape Town au § 56, avec référence à Lloyd c/ Brassey [1969] 1 All ER 382 à 384H, cité avec l’approbation de la Chambre des Lords dans Melon and Others c/ Hector Powe Ltd [1981] 1 All ER 313 à 314c.

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Sud) acceptant que, en considération de ladite question, tous les facteurs pertinents doivent être étudiés et aucun facteur unique ne saurait être décisif. Ceux-ci incluent « le type d’entreprise ou d’activité, que les biens corporels de l’entité tels que les bâtiments ou les propriétés mobilières soient transférés ou non, la valeur de ses biens corporels au moment du transfert, que la majorité de ses salariés soient ou non repris par le nouvel employeur, que sa clientèle soit ou non transférée ainsi que le degré de similarité entre les activités réalisées avant et après le transfert et la période, le cas échéant, pendant laquelle ces activités ont été suspendues. Il est nécessaire de noter, toutefois, que toutes ces circonstances sont à proprement parler des facteurs uniques dans l'évaluation générale devant être effectuée, et qui ne sauraient par conséquent être considérés de manière isolée»21.

Dans le cas d'activités à fort coefficient de main d’œuvre, la Cour

européenne de Justice a établi que le transfert de l’activité en question n’était pas suffisant22. Cette exigence, généralement confirmée en Europe et en Afrique du Sud, a été expliquée comme suit : « La Directive (…) ne s'applique pas dans une situation dans laquelle une personne ayant confié le nettoyage de ses locaux à une première entreprise résilie son contrat avec cette dernière et, engage un nouveau contrat avec une seconde entreprise pour l’exécution de travaux similaires, s’il n’y a pas transfert concomitant de la première entreprise à la seconde de biens corporels ou incorporels significatifs ou la reprise par le nouvel employeur de la majeure partie des effectifs, en terme de nombre et de compétences, affectée par le prédécesseur à l'exécution du contrat »23.

Dans la mesure où l’externalisation a tendance à concerner des services à

fort coefficient de main d’oeuvre, cette exigence est hautement pertinente dans le contexte présent. Toutefois, cela ne va pas sans difficultés. La stipulation de conditions formelles en regard de règles juridiques ouvre aux parties des opportunités de structurer leurs transactions de manière à éviter l’application de cette règle. Si, nonobstant le principe selon lequel aucun facteur unique ne saurait être décisif, il est accepté qu’une partie 21 Spijkers c/ Gebroeders Benedik Abattoir (ECJ 1986) ; avalisé par le Tribunal du travail d’Afrique du Sud dans Schutte c/ Powerplus Performance (ci-dessus) et par la Cour constitutionnelle dans NEHAWU c/ University of Cape Town (ci-dessus). 22 Süzen v Zehnacker Gebaudereinigung [1997] IRLR 255 (ECJ). Il est important de noter que cette jurisprudence traitait d’externalisation de « seconde génération ». 23 Cf. § 33.

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significative des actifs ou la majeure partie des effectifs doit passer du cédant au cessionnaire de manière à ce qu’une transaction soit sous la portée de la Directive (ou de la section 197), néanmoins le cédant et le cessionnaire d'un service à fort coefficient de main-d'oeuvre sont autorisés à convenir qu'aucun salarié du cédant ne soit repris par le cessionnaire. Le cas échéant, l’application de la législation peut être évitée en vertu des mêmes circonstances que celles pour lesquelles elle était établie. Confrontée à ce problème, la Cour d’appel anglaise a statué que lorsqu’il s’agissait de déterminer si un transfert d'activité avait été opéré ou non, le motif du cessionnaire à ne pas reprendre les salariés du cédant était l’un des facteurs qu’il convenait de prendre en compte. Lorsque le motif principal est « de contrecarrer l’application des réglementations, le tribunal de l’emploi est habilité à décider qu'il y a un transfert d'[activité] nonobstant l’absence du transfert des salariés »24.

La Cour poursuivit, néanmoins, pour ajouter une importante disposition

restrictive : Je ne saurais accepter (…) qu’il y ait de conclusion irréfutable sur la personne plaidant contre le transfert pour établir le motif de ne pas reprendre les effectifs, à défaut duquel un transfert serait avéré fondé. Je ne considère pas non plus que le motif … de ne pas reprendre les effectifs doive être limité à des motifs économiques techniques ou organisationnels nécessitant une modification des effectifs du cessionnaire (…). Il peut y avoir d’autres possibilités en fonction des faits »25.

Une illustration desdites « autres possibilités » fut apportée par la

jurisprudence de Carlisle Facilities Group c/(1) Matrix Events (2) Sea France Ltd (3) Mr C Carr26. Dans cette affaire, la partie cédante stipulait le non-emploi de certains salariés de l’ancien contractant par le nouveau contractant comme une condition d’externalisation de seconde génération d’un service de sécurité. Cette demande était motivée par le fait que la gestion du personnel de l'ancien contractant était l'élément principal de la décision de résilier ce contrat. En l’occurrence, il fut établi que la « pression 24 McMullen (Ed) Business Transfers and Employee Rights Bulletin N° 10 (August 2005) p. 8, avec référence à ECM (Vehicle Delivery Services) v Cox [1999] ICR 162 (CA) et ADI (UK) Ltd v Willer [2001] IRLR 542 (CA). La référence est faite aux Règlementations de 1981 sur le Transfert d’entreprises (Protection de l’emploi) (telle que modifiée) promulguant, au R.U., la Directive 2001/23. 25 ADI (UK) Ltd v Willer, op. cit. 26 (EAT 0380/04), discuté dans McMullen Bulletin (août 2005) p. 8-9.

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de la clientèle » constituait un motif légitime de non reprise de salariés, plaçant ainsi la transaction en dehors de la portée des réglementations TUPE. Quoi qu’il en soit, McMullen soulève une note de prudence : « [L] orsque le tribunal de l’emploi est autorisé à entendre un motif de non reprise de salariés déterminé par la pression de la clientèle visant à ne pas employer des salariés qui autrement auraient été transférés, il est important de garder à l’esprit certaines questions. L’on espère qu’en cas d’espèce, nonobstant Carlisle, un tribunal serait rapidement alerté par la possibilité d’une collusion entre le client et le nouveau contractant visant à contourner les dispositions de la loi TUPE dans ce contexte»27.

Même lorsqu’il n’est pas question de collusion d’employeur, toutefois, la

règle de Süzen peut nécessiter d’être interprétée souplement afin de tenir compte de circonstances spécifiques. Ainsi, dans Abler & ors c/ Sodexho Catering Gesellschaft mbH28 un service de restauration dans un hôpital fut transféré d’un premier contractant à un nouveau contractant, dans des circonstances ne comportant ni le transfert d’actifs ni le transfert d’effectifs entre l’ancien contractant et le nouveau contractant. La Cour européenne de justice applique la règle comme suit : « 31. Sodexho soutient, en premier lieu, que le défaut de reprise du personnel de Sanrest en lui-même empêche tout transfert d’une entité économique qui maintient son identité au sens de la Directive 77/187 (…) 36. La restauration ne saurait être considérée comme une activité essentiellement basée sur la main-d’œuvre dans la mesure où elle requiert un équipement matériel significatif. Dans les procédures principales (…) les biens corporels nécessaires à l’activité en question – nommément, les locaux, l’eau et l’énergie ainsi que les matériels légers et lourds (…) - furent repris par Sodexho. Plus encore, l’un des définiteurs de la situation en cause lors des principales procédures correspond à l’obligation expresse et fondamentale de préparer les repas dans la cuisine de l’hôpital et ainsi donc, de reprendre ces biens corporels. Le transfert des locaux et du matériel fourni par l’hôpital, lequel est indispensable à la préparation et à la distribution de repas aux patients et au personnel, est suffisant, dans les circonstances pour faire de l’opération un transfert d’une entité économique. Il est de plus évident que (…) le nouveau contractant a nécessairement repris la majeure partie de la clientèle de son prédécesseur. 37. Il s’ensuit que le défaut de reprise du contractant,

27 Ibid. 28 [2004] IRLR 168 (ECJ).

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en terme d’effectifs et de compétences, d’une partie essentielle du personnel que son prédécesseur employait pour l’exécution de la même activité n’est pas suffisant pour empêcher l’existence du transfert d’une entité au sens de la Directive 77/187 dans un secteur tel que celui de la restauration, dans lequel l’activité est basée essentiellement sur le matériel ».

Le fait que le matériel ait été mis à la disposition (« transféré ») du

nouveau contractant non pas par son prédécesseur, mais par l’hôpital, en d’autres termes, n’a pas empêché la cour d’interpréter cette opération comme un transfert de l’ancien contractant au nouveau contractant.

En établissant le bilan de ce qui a été dit jusqu’ici, il faut conclure que les

trois questions posées ci-dessus sont étroitement interconnectées en ce qu’elles sont relatives à la forme et au fond d’une seule opération. Dans le même temps, chaque opération d’impartition est différente, et les circonstances de chaque employeur et de chaque contractant sont différentes, nécessitant un examen détaillé de la nature de chaque opération. En pratique, il est précisé que les deux questions suivantes exigeront un examen minutieux :

• Le « service » imparti équivaut-il (dans le langage de la Directive) à « un

groupement de ressources organisées ayant pour objet la poursuite d'une activité économique », ou s’agit-il purement d’une fonction isolée ou d’un ensemble de fonctions indépendantes les unes des autres (avec ou sans matériel coexistant). Et,

• s’agit-il d’une « entité en exploitation » en termes de « maintien de son

identité » à la suite de son transfert au cessionnaire – c'est-à-dire, utilisée aux fins de poursuivre substantiellement la même activité économique que précédemment ?

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I – Une analyse de trois cas d’espèce

Trois cas ont en particulier dominé la jurisprudence sud-africaine relativement à l’application de la section 197 en matière d’externalisation de services auxiliaires – et, ainsi que nous le verrons, ont abouti à des réponses divergentes.

1 - NEHAWU c/Université de Cape Town : un drame en trois actes

Le premier fut NEHAWU c/Université de Cape Town et autre (ci-dessus). L’action fut introduite par un syndicat confronté à l’externalisation échelonnée des services de nettoyage, d’entretien et de jardinage par l’employeur à divers contractants, provoquant le licenciement d’un grand nombre de ses membres. Le syndicat réclamait un arrêté déclarant :

1. Que l’impartition des activités susmentionnées constituait le transfert d’un élément de l’activité, du commerce ou d’une entité de l’université en tant qu’entité en exploitation au sens de la section 197 ;

2. Que les contrats d’emploi établis entre l’université et les salariés étaient transférés automatiquement aux différents contractants ;

3. Que le licenciement des employés se posait en contravention de la section 197 ;

4. Un arrêté interdisant et limitant l’université de passer des contrats avec différents contractants, à moins que lesdits contrats, sous réserve que tous les droits et obligations entre l’université et chaque employé salarié pour les services externalisés ainsi que ceux qui ont été licenciés, demeurent en vigueur en tant que droits et obligations entre chacun desdits employés et les contractants respectifs.

L’affaire fit l’objet de trois audiences, et une disposition différente fut

statuée à chacune des audiences. Elle donna lieu tout d’abord à la saisine du Tribunal du travail29 qui, sur la base d’une interprétation étroite de la section 197, débouta le syndicat de sa demande. Après s’être référé à la jurisprudence européenne30, le Juge Mlambo conclut qu’« une interprétation uniforme [en Europe] s’était révélée problématique », mais attachait une 29 NEHAWU c/ Université de Cape Town [2000] 7 BLLR 803 (LC). 30 En particulier, Schmidt c/ Spar-und Leihkasse der fruheren amter Bordesholm, Kiel et Croshagen (1994) IRLR 302 (ECJ); Süzen c/ Zehnacker Gebaudereinigung Gmbh Krankenhaus Service (1997) IRLR 255 (ECJ); et Spijkers c/ Gebroeders Benedik Abbattoir CV (1986) (2) CMLR 296 (ECJ).

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certaine importance à l’« interprétation du cas Süzen d’un transfert concomitant de biens corporels ou incorporels »31. La Cour poursuivit alors pour aboutir à une conclusion de grande portée : « À mon opinion la vente d’une activité, par conséquent le transfert légal à un autre employeur ou groupement, est sensiblement différente de l’externalisation. L’externalisation ou impartition implique un appel d’offres pour l’exécution de certains services contre une rétribution. Le contractant exécute les services externalisés et en retour perçoit une rétribution de l’employeur. Lorsque l’externalisation est opérée, l’employeur paye au contractant des droits contre les services impartis par opposition au règlement de salaires ou gages à un groupe d’employés pour l’exécution du service imparti. Une opération d’externalisation est habituellement fixée pour une période donnée à l’expiration de laquelle elle fait de nouveau l’objet d’un appel d’offres et le contractant existant est susceptible de perdre le contrat au profit d’un autre contractant.

« La vente d’une activité pour tout ou partie, donne par conséquent

naissance à des conséquences différentes de celles naissant de l’externalisation. Assimiler l’externalisation à un transfert ou une vente légale me pose un problème fondamental. Dans le cas d’une vente ou d’un transfert légal, l’activité change pour tout ou partie de mains de manière permanente et l’entité cédante reçoit une contrepartie pour l’activité transférée. La situation est différente en matière d’externalisation. La partie cédante conserve un certain contrôle sur les services externalisés, par exemple, la norme de performance ou de livraison du service doit satisfaire à certains critères définis par la partie cédante. À l’expiration de la période contractuelle, la partie cédante peut décider d’exécuter les services elle-même et de ne pas lancer de nouveaux appels d’offres»32.

Par là même, la Cour a ajouté deux critères complémentaires déterminant

l’existence d’une opération de « transfert » : L’externalisation doit être permanente, et l’ancien employeur est tenu de renoncer au contrôle de l’activité impartie (par ex., il doit transférer le contrôle au contractant). Malgré l’incidence, la Cour poursuivit pour exclure l’externalisation de « seconde génération » de la portée de la section 197 : « [D]ans une impartition, ce qui est transféré n’est rien de plus que l’opportunité

31 Cf. § 29. 32 Cf. § 30-31; voir également § 33 de la décision.

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d’exécuter les prétendus services externalisés. Selon mon opinion, la partie cédante conserve la prérogative de décider qui obtient le contrat d’exécution des services externalisés. Si l’externalisation correspond au transfert d’une activité au sens de la section 197, je ne vois pas comment le contractant qui perd un contrat peut transférer ses salariés au nouveau contractant dans la mesure où il n’a pas voie au chapitre en termes d’attribution du contrat. Cette décision reste acquise à la partie cédante. Pareillement, je ne vois pas comment la partie cédante peut obliger le nouveau contractant sélectionné à reprendre les salariés du contractant sortant. Ce scénario illustre les difficultés présentées par l’assimilation de l’externalisation à un transfert d’activité »33.

Sur ces bases, les opérations d’externalisation seront virtuellement

exclues de la protection prévue par les dispositions de la section 197. Le cas échéant, les opérations d’externalisation seront permanentes, et par la même symbolique, il serait inouï qu’un mandant laisse l’exécution d’un service externalisé à la seule discrétion du contractant. Que ce soit expressément ou par implication, le contrat d’externalisation devra inévitablement proposer l’exécution du service aux conditions définies au contrat par le client, et en cas de productivité insatisfaisante de la part du contractant, le client sera en principe habilité à imposer les conditions du contrat ou à le dénoncer. L’implication du raisonnement du tribunal, en l’espèce, est que les opérations d’externalisation ne pourraient pratiquement jamais être assimilées à des « transferts »34, au sens de la section 197.

Le syndicat porta ensuite l’affaire devant la Cour d’appel35, laquelle le

débouta également – non pas sur le fond, mais pour un motif différent et hautement controversé. Il s’appuya sur le fait que la section 197, dans sa formulation initiale (à savoir, avant qu’elle ne soit amendée en 2002),

33 Cf. § 32. 34 Wallis paraît adopter une position similaire : Ces mesures statutaires ne sont, ni sur la conception, ni sur le principe, [par ex., les Directives 77/187 et 2001/23 et les lois du R.U. ] adressées à l’externalisation ou à la sous-traitance. Au lieu de cela, leur objet est différent. De telles mesures trouvent leur origine dans des situations factuelles très simples dans lesquelles [a] l’activité, plus que l’entité légale à laquelle l’activité appartient, change de mains » : op. cit. 4. Ailleurs, toutefois, l’auteur accepte la notion de « sous-traitance de première génération à laquelle la section [cad., s 197] devrait s’appliquer » : op. cit. 15. 35 NEHAWU c/ Université de Cape Town & Autres [2002] 4 BLLR 311 (LC).

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n’établissait pas de manière explicite que les contrats d’emploi des salariés transférés automatiquement de l’ancien au nouvel employeur en cas de transfert d’activité ; le tribunal décida à la majorité que l’accord des deux employeurs était nécessaire préalablement au transfert des contrats d’emplois36. Ce raisonnement, adopté à la majorité, en arriva à cette conclusion extraordinaire, nonobstant l’opinion contraire précédemment affirmée par la Cour d’appel37, n’est pas directement opportun pour le sujet examiné. Il suffit de citer que la Cour constitutionnelle38 a accueilli la nouvelle requête en appel du syndicat, statuant que la Cour d’appel avait eu tort d’interpréter que le transfert des salariés au sens de la section 197 dépendait de l’accord conclu par le cédant et le(s) cessionnaire(s) de l’activité. L’affaire fut ensuite renvoyée devant la Cour d’appel du travail pour que soit entendu l’appel porté par le syndicat contre la décision du Tribunal du travail. Néanmoins, les parties ont réglé le litige avant que cette audience ait pu avoir lieu, laissant par conséquent sans réponse les questions juridiques nées de l’interprétation affirmée par le Tribunal du travail quant au « transfert »39.

2 - SAMWU & others c/ Rand Airport Management Company : un drame en deux actes

Les enjeux en l’affaire SAMWU & others c/ Rand Airport Management Company (Pty) Ltd & others40 étaient très similaires à ceux de l’affaire NEHAWU c/ UCT. Ici, aussi, l’employeur proposait d’externaliser ses services de sécurité, de jardinage et d’entretien à des contractants et avisa les employés assurant ces fonctions de « de contacter le repreneur des services

36 Ce fut également l’opinion exprimée par le Juge Mlambo J à la cour a quo, mais qui fut exprimée obiter en ce que la cour se considérait liée à l’opinion contraire affirmée par la Cour d’Appel dans Foodgro c/ Keil (fn 36 ci-dessous). 37 Voir Foodgro (une entité de Leisurenet (Pty) Ltd c/ Keil [1999] 9 BLLR 875 (LAC). 38 National Education Health & Allied Workers Union c/ University of Cape Town 2003 (2) BCLR 154 (CC). 39 Une incidence supplémentaire : partiellement en raison de l’interprétation adoptée à la majorité par la Cour d’appel du travail en l’espèce, les amendements de la LRT introduits en 2002 comportent une modification de la section 197 établissant expressément que le transfert des contrats d’emploi des salariés au nouvel employeur est automatique (voir ci-dessus). 40 [2002] 12 BLLR 1220 (LC); [2005] 3 BLLR 241 (LAC).

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afin d’obtenir un poste »41. Ici, également, le syndicat réclamait un arrêté déclarant que le transfert des services de jardinage et de sécurité au second défendeur (cad. Turnkey Facility Management (Pty) Ltd) et au troisième défendeur constituait un transfert d’un élément d’activité en tant qu’entité en exploitation au sens de la section 197. Et là encore, le Tribunal du travail statua contre le syndicat, mais sur des motifs quelque peu différents de ceux ayant motivé la décision adoptée en l’affaire NEHAWU par le Tribunal du travail.

Quant au service de sécurité, il fut révélé que l’accord d’externalisation

n’avait pas encore été signé, mais restait en suspens dans l’attente du résultat de la demande. En regard de cette opération, par conséquent, le tribunal a refusé de se déclarer « sur un ensemble de faits susceptibles de ne pas être réalisés ».42 En regard du service de jardinage (qui faisait l’objet d’un accord signé, mais non encore mis en place), le Juge Landman a tenu compte du fond et a statué comme suit : « Les faits et circonstances suivants considérés de manière cumulée me persuadent que les services de jardinage de Rand Airport ne constituent en aucun cas un élément de l’activité (telle qu’elle est définie) et qu’il ne peut y avoir de transfert de ladite fonction en tant qu’entité en exploitation.

• Les fonctions de jardinage font partie des services d’entretien ; • Ces services font partie des activités secondaires de Rand Airport43 ; • Rand Airport a imparti les fonctions de jardinage à Turnkey. Les

services de jardinage que Turnkey est tenu d’exécuter incluent la tonte de l’herbe, l’élagage des arbres, le désherbage, l’aménagement et l’arrosage. Des services de nettoyage sont également fournis. Ce contrat court jusqu’au 31 avril 2004 et peut ensuite être résilié avec préavis de trois mois ;

41 L’employeur estima qu’il était habilité à licencier les employés affectés à ces services pour des motifs opérationnels et (sensiblement contradictoires) et traitait l’externalisation, ainsi que la retraite anticipée, comme une alternative au licenciement : Arrêt rendu à la majorité au § 4. 42 Cf. § 33. 43 En référence à la décision de la Cour de cassation dans l’affaire Societe Perrier Vitel France c/ Comite d’établissement de la source Perrier de Vergeze 20 IRLR 157. Cette question fut abordée avant que ne soit promulguée la Directive 2001/23, laquelle supprime toute distinction entre activités principales et activités secondaires.

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• Rand Airport et Turnkey, selon leur version, laquelle doit être acceptée, n’avaient pas pour intention de transférer les demandeurs travaillant dans les jardins44 ;

• Les services de jardinage ne constituent pas une entité. Ils ne bénéficient pas d’une structure de gestion distincte, n’ont pas d’objectifs propres, ne possèdent pas de biens, n’ont pas de clientèle ni de fonds commercial. Il s’agit purement d’une activité qui restera telle entre les mains de Turnkey, et qui ne vise pas à la réalisation de profits ou autres avantages;

• La fonction de jardinage a été externalisée pour une durée limitée ». Plus encore, même si les services formaient une « partie d’une activité »,

le Tribunal a estimé qu’à la lumière du jugement rendu par la Cour d’appel dans l’affaire NEHAWU c/University of Cape Town (ci-dessus) ces services n’étaient pas transférés en tant qu’« entité en exploitation »45.

En appel, la Cour constituée différemment a infirmé le jugement rendu

par le Tribunal du travail, mais sur des motifs attendus. Sans considération du critère lié à l’interprétation du Tribunal du travail selon laquelle les services ne constituaient pas une « partie de l’activité »46, la cour s’est attachée à examiner le fait que la section 197 (1) amendée incluait explicitement « un service ou une partie d’un service » dans la définition de l’activité. À compter de là, la Cour poursuivit pour statuer que « les services

44 Dans la mesure où la Cour constitutionnelle n’a pas encore statué dans l’affaire NEHAWU c/ University of Cape Town (ci-dessus), le tribunal a estimé que sur ce point il était lié par la décision discutable de la Cour d’appel du travail sur la même espèce. 45 Au § 35, il est précisé que cette interprétation qui ne pouvait être soutenue plus longtemps, compte tenu que le raisonnement à la majorité de la Cour d’appel était renseigné par le postulat erroné selon lequel le cédant et le cessionnaire avaient la liberté de définir l’objet du transfert (« entité en exploitation ») sans égard aux droits des salariés à prétendre à la poursuite de leur contrat d’emploi au sens de la section 197. En infirmant le jugement rendu par la Cour d’appel, la Cour constitutionnelle affirmait que « rien, du contexte ou du langage de la section 197 ne pouvait suggérer que le terme « entité en exploitation » devait être interprété selon la définition qui lui avait été attribué par la majorité [de la Cour d’appel]. À l’inverse, l’objet de la section et le contexte de cette terminologie suggère une autre interprétation » : NEHAWU c/ University of Cape Town, § 57. 46 Mais rejetant l’interprétation d’entité en exploitation motivant la décision du Tribunal du travail (§ 21-25).

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de jardinage et de sécurité tombaient dans la portée du terme « service » au sens de la section 197 » et que en conséquence, « pourrait être transféré selon les dispositions prévues à la section 197 »47. La seule question en suspens, posée par le Juge Davis était de savoir s’il s’agissait en l’espèce d’« un transfert d’activité en tant qu’entité en exploitation »

À première vue, ce raisonnement peut paraître irréprochable. Il est

entièrement cohérent avec la jurisprudence européenne et sud-africaine pour conclure qu’un « service » a la capacité d’être transféré au sens juridique du terme et, cela étant, il reste à établir dans les cas d’espèce si ledit transfert a été opéré dans les faits. En ce cas, la Cour a évoqué que, puisque l’un des deux contrats en question n’avait pas encore été signé, aucun « transfert » ne pouvait avoir été opéré en regard de cette transaction. Néanmoins, en regard du contrat effectivement signé, mais non entré en vigueur, la Cour a statué que, s’il devait être exécuté, la section 197 serait applicable à la transaction décrite. Si on l’examine de plus près, cette décision apparemment explicite se révèle problématique. En effet, il sera noté, la seconde des trois questions définies ci-dessus48 est passée ; c'est-à-dire que la question de savoir si le service devant être transféré forme en réalité une « partie de l’activité » n’est pas traitée. La résolution reconnaissant qu’un « service » a la « capacité » d’entrer dans le cadre de la définition d’« activité » paraît, à toutes fins et intentions, avoir conduit tout au plus à conclure que les services répondaient effectivement à cette définition. Tout en considérant les qualifications placées dans le concept de « partie d’une activité » dans un contexte d’externalisation49, le Juge Davis a souligné que « dans les deux affaires Betts et Süzen il n’était pas demandé à la Cour d’appliquer la définition d’une activité laquelle inclut expressément le concept de « service » »50. Il poursuivit alors en se disant « satisfait que les fonctions reprises par le second défendeur aux conditions de leur accord entrent dans le cadre des « services » au sens de la section 197 (…) et qu’il s’agît d’un accord de transfert de service situé dans la portée de la section 197 (…) en tant qu’entité en exploitation»51.

47 Cf. § 19-20. 48 Cf. p. 4-5. 49 En référence à Betts & others c/ Brintel Helicopters Ltd & another 1997 IRLR 361 (CA) et Süzen c/ Zehnacker Gebaudereinigung Gmbh 1997 IRLR 255 (ECJ). 50 § 30. 51 § 35.

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Mais était-ce le cas ? L’utilisation du terme « activité » dans la section 197 ne signifie pas que chaque activité qui répond à la définition du dictionnaire doive automatiquement homologué comme « activité » au sens juridique – à savoir, « un groupement organisé de ressources ayant pour objectif la poursuite d’une activité économique ». De nombreux cas jurisprudentiels se sont développés, tant en Europe qu’en Afrique du Sud, en cherchant à clarifier le critère permettant de décider si une entité donnée entre dans ce cadre descriptif. Par la même symbolique, l’inclusion du terme « service » dans la définition d’« activité » ne peut signifier que chaque activité décrite comme un « service » au sens grammatical devienne automatiquement « partie d’une activité ». Tout en ayant capacité à être « partie d’une activité », le critère défini par la jurisprudence doit toujours être appliqué pour décider s’il s’agit en fait d’une « activité ». À cet égard, il est précisé que le Juge Landman de la cour a quo a correctement résumé la position : « Selon mon opinion, l’ajout du terme « service » ne modifie pas de manière significative la portée de la section 197. Il clarifie purement … qu’une activité, pour utiliser un terme général, peut consister principalement ou uniquement dans la production de services à une autre ou à d’autres personnes à des fins de rentabilité ou autres »52.

Le problème ne réside pas tant dans l’arrêté rendu par la Cour d’appel,

mais dans le raisonnement qui le motive. Cela pourrait bien être que, sur considération régulière des faits de l’espèce (et sans tenir compte du précédent erroné établi par la Cour d’appel dans l’affaire NEHAWU c/University of Cape Town), un tribunal peut à juste titre aboutir à la conclusion que le service décrit dans l’accord et faisant l’objet du litige est en réalité partie d’une « activité ». Malheureusement, aucune requête de ce type ne fut maintenue, laissant la place à de dangereux postulats selon lesquels l’ensemble des services forme automatiquement pour tout ou partie (à l’inverse des autres parties des entreprises) une « partie d’une activité » au sens de la section 197. Si tel était le cas, il semblerait que seules de rares transactions n’entreraient pas dans le cadre de la portée de la section 197 – l’opposée véritable de l’interprétation adoptée par le Juge Mlambo J dans l’affaire NEHAWU c/ University of Cape Town et le Juge Landman à la cour a quo.

52 SAMWU & others c/ Rand Airport Management Co (Pty) Ltd & others [2002] 12 BLLR 1220 (LC) § 19.

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3 - COSAWU c/ Zikhethele Trade : un drame en un acte (à ce jour) COSAWU c/ Zikhethele Trade (Pty) Ltd & another53 est remarquable pour

être le premier cas dans lequel la Cour sud-africaine fut « appelée à se prononcer sur la sous-traitance de seconde génération »54. Les faits quelque peu alambiqués peuvent être résumés comme suit :

1. En 2000, une compagnie de manutention appelée Fresh Produce

Terminals (FPT) décida d’externaliser ses services. Certains employés de FPT furent transférés à une société appelée SHMS. SHMS fusionna alors avec deux autres entreprises aux fins de former une compagnie nommée Khulisa, laquelle souscrivit avec FTP un contrat d’exécution de services de contrôle terminal et de manutention à Cape Town, Port Elizabeth et Durban.

2. À la suite de litiges internes au sein de Khulisa, la société intimée (Zikhethele) fut formée, et à la suite d’un processus d’appel d’offres, FPT attribua le marché à Zikhethele pour l’exécution des services de contrôle terminal et de manutention.

3. Suivant les procédures de la Haute cour de justice, le syndicat demandeur (COSAWU) interrogea Zikhethele sur la question de savoir si les anciens salariés de FPT devaient lui être transférés ou licenciés pour cause de suppression d’emploi. Zikhethele informa les salariés qu’ils lui seraient « détachés » dans l’attente de l’arrêté de la Cour, mais resteraient employés de Khulisa, et les invita à postuler auprès de Zikhethele (indiquant qu’il n’existait pas de projet de transfert au sens de la section 197).

4. Tous les employés de Khulisa aux Port Elizabeth et Durban furent transférés chez Zikhethele. À Cape Town, Zikhethele informa les employés de Khulisa qu’elle déciderait lesquels d’entre eux elle souhaitait embaucher. COSAWU informa Zikhethele que ses membres avaient postulé auprès de Zikhethele sans qu’il soit porté atteinte à leurs droits, dans la mesure où elle pensait que leurs contrats d’emploi avaient été transférés automatiquement chez Zikhethele en raison du transfert de l’activité de Khulisa à Zikhethele au sens de la section 197.

5. Finalement, Zikhethele a employé 104 des 147 salariés concernés. Bien que Zikhethele argumenta qu’elle ne pouvait être comparée à Khulisa du fait d’une « structure totalement nouvelle », COSAWU invoqua que l’activité était restée exactement identique excepté qu’elle se trouvait en des

53 [2005] 9 BLLR 924 (LC). Les faits sont présentés § 7 à 26. 54 § 27.

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mains différentes et qu’elle était exploitée sous un nom différent. De plus, elle précisa que l’« entité économique comprenant l’activité chez Khulisa avait été transférée à Zikhethele en tant qu’entité en exploitation avec pour résultat que les contrats d’emploi dépendant de Khulisa avaient été automatiquement transférés au sens de la section 197 à Zikhethele »55.

Le principal obstacle à une résolution en faveur du syndicat réside dans l’énoncé de la section 197 (1) (b), lequel – à l’inverse de la Directive 2001/23 et, par exemple, les lois TUPE – définit le « transfert » comme « le transfert d’une activité par un employeur … à un autre employeur » (ce que nous soulignons). Dans une opération d’externalisation de seconde génération, typiquement, il n’existe pas d’opérations entre les deux contractants. Ainsi, dans le cas COSAWU c/ Zikhethele Trade les opérations étaient réalisées entre FPT et Khulisa d’une part, et FPT et Zikhethele d’autre part.

Voici de quelle manière le Juge Murphy a statué sur la question : « Bien

que l’argumentation qui m’a été présentée en l’espèce ait manqué de pertinence, un argument probant peut être apporté, sur la base de l’énoncé express de la section 197 de la LRT, que l’exigence contenue à la section 197 (1) (b) selon laquelle le transfert d’une activité est effectué entre deux employeurs écarte de ce fait son application à la sous-traitance de seconde génération, du fait que lesdits accords ne prévoient aucun transfert entre l’ancien et le nouvel employeur. De plus, la sous-traitance de seconde génération est effectivement dispensée de l’application de la section 197 (…) d’autre part, la Cour a soutenu en une autre espèce que l’absence de lien contractuel entre le cédant et le cessionnaire ne constitue pas une précondition nécessaire à l’application de la section 19756. « De même, je suis persuadé qu’une approche moins littérale et plus pertinente est justifiée dans le contexte de la section 197. Ainsi qu’il a été précédemment établi, la section vise à protéger les salariés dont la sécurité d’emploi et les droits sont menacés en conséquence de transferts d’activité. Une application mécanique de la signification littérale du terme « par » dans la section 197 (1) (b) conduirait à l’anomalie suivante, qui serait que les travailleurs transférés en tant que partie d’une sous-traitance de première génération seraient protégés,

55 Cf. § 26. 56 Nokeng Tsa Taemane Local Municipality & another c/ Metsweding District Municipality & others (2003) 24 ILJ 2179 (LC) à 2183.

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tandis que les travailleurs entrant dans le cadre d’un schéma de seconde génération ne le seraient pas, alors que tous sont également habilités à bénéficier d’une protection. La possibilité d’abus et de contournement des protections juridiques par des employeurs peu scrupuleux est facile à imaginer. (…) en conséquence, je tombe d’accord avec Todd et al Business Transfers and Employment Rights in South Africa Butterworths 2004 à 27 (transferts d’activités et droits à l’emploi en Afrique du Sud), sur le fait que la section 197 (1) (b) pourrait être mieux interprétée aux fins d’être appliqués aux transferts réalisés « d’» un employeur à un autre, en opposition à ceux effectués uniquement « par » l’ancien employeur. Une interprétation pragmatique de cette sorte permet une résolution selon laquelle une activité en réalité peut être transférée par l’ancien employeur dans de telles circonstances, mais que le transfert est opéré en deux phases : dans la première, l’activité est rendue au cédant ; et dans la seconde, elle est attribuée à un nouvel employeur. Véritablement, cette interprétation serait conforme aux dispositions prévues par la section 39 (2) de la Constitution (…) imposant aux tribunaux de statuer en privilégiant l’esprit, la portée et les objectifs de la Déclaration des droits. En accordant la même protection aux employés affectés par les accords de sous-traitance de première et de seconde génération, les tribunaux favoriseront l’esprit et avanceront la portée du traitement égal ainsi que les pratiques loyales en matière d’emploi »57.

57 Cf. § 28-29, avec référence à l’affaire Dines c/ Initial Services [1994] IRLR 336 (CA), Süzen c/ Zehnacker Gebaudereinigung [1997] IRLR 255 (ECJ), Betts c/ Brintel Helicopters Ltd (t/a British International Helicopters [1997] IRLR 361 (CA) et Kelman c/ Care Contract Services Ltd [1995] ICR 260 (EAT). « En conséquence », il a été établi, « par comparaison étroite entre les activités réelles et la situation d’emploi réelle dans les deux sociétés avant et après que FPT attribue le marché à Zikhethele, que l’activité en tant qu’entité en exploitation avait maintenu son identité à un degré suffisant aux fins de constituer un transfert d’activité », (§ 37).

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II - Une interprétation téléologique et une approche comparative

L’interprétation ci-dessus de la section 197 a été rigoureusement critiquée par Wallis58, premièrement aux motifs qu’aucun dictionnaire « n’assimile « par » et « de » quelles qu’en soient les significations »59 et, plus important, en affirmant une conception plus limitée de la notion d’« interprétation téléologique ». En particulier, l’auteur s’appuie sur une opposition extensive du jugement de la Cour suprême d’appel60 particulièrement dans le passage suivant du jugement de l’éminente Cour d’appel américaine Learned Hand, dans Borella et al c/ Borden Co 61 : « Nous pouvons mieux comprendre la portée [juridique] ici, en ayant comme toujours recours au motif implicite en tant que principe conducteur, et en essayant de projeter en l’occurrence de quelle façon nous pensons que les personnes, conduites par ledit motif, y auraient donné suite s’il leur avait été présenté à ce moment-là. Dire qu’il s’agit là d’un procédé hasardeux est une vérité de la Palisse, mais nous ne pouvons y échapper, une fois que nous décidons d’abandonner l’interprétation littérale – une méthode bien moins fiable (…) Nous n’insinuons pas qu’ici, ou dans quelque interprétation du langage que ce soit, les termes utilisés ne sont pas la source la plus fiable d’apprentissage de l’objet d’un document ; la notion selon laquelle la « politique d’un acte législatif » n’est pas intrinsèque tant dans ses limitations que dans ses affirmations, est intenable ».

En portant sur le contraste entre les termes « par » et « de » dans le

contexte de la section 197 (1) (b), l’auteur cite différents jugements de la Cour européenne de justice62 où l’application de la Directive 2001/23 aux

58 Wallis « S’agit-il d’externalisation ? Une question continue » (2006) 27 ILJ 1 à 5. 59 Ibid 12. 60 Dans l’affaire Standard Bank Investment Corporation c/ The Competition Commissioner and others 2000 (2) SA 797 (SCA), § 16-22. 61 145 Fed Rep 2d Series 63 à 64–65. Pour tous les autres débats, voir De Ville « Interprétation constitutionnelle et statutaire » Interdoc Consultants 2000, p. 244-254 et p. 263-264; Woolfrey in Du Toit et alii, op. cit., p. 55–63. 62 En particulier, Landsorganisatioen i Danmark for Tjenerforbundet i Danmark c/ Ny Mølle Kro [1987] ECR 5465; [1989] ICR 396; [1989] IRLR 37; Foreningen af Arbejdslederei i Danmark c/ Daddy’s Dance Hall A/S [1988] IRLR 315 (ECJ); P Bork International A/S in liquidation c/ Foreningen af Arbejdslederei i Danmark [1986] ECR 1119; Merckx c/ Ford Motor Company Belgium SA [1996] ECR 1253; Dr Sophie Redmond Stichting c/ Bartol [1992] IRLR 447 (ECJ).

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opérations d’externalisation de seconde génération a conduit, sur ce point, à une position dans laquelle « presque toute concaténation d’évènement peut potentiellement constituer un transfert d’activité »63. Sur ces bases, l’auteur suggère que l’énoncé le plus restrictif adopté dans la section 197 (1) (b) est délibéré64 et qu’en conséquence, l’invocation par le Juge Murphy de la position du législateur dans l’affaire COSAWU c/ Zikhethele n’est « simplement pas une excuse pour modifier les termes choisis par l’autorité législative à la suite de nombreux débats et de rigoureuses considérations »65.

Qu’il soit pertinent que les tribunaux d’Afrique du Sud adoptent une

interprétation des actes législatifs fondée sur l’objet visé et, ce faisant, « privilégient l’esprit, la portée et les objectifs de la Déclaration des droits »66 ne constitue plus une question en sérieux litige. Le fait que la Loi sur les relations de travail soit le produit d’un processus de négociation productif entre les organisations d’employeurs et d’employés, résultant en différentes formulations de « conséquences (juridiques) non intentionnelles », est également bien connu. Le véritable conflit, tel que précisé, réside principalement entre l’idée selon laquelle l’objet d’un texte législatif constitue purement une aide interprétative à laquelle les tribunaux peuvent recourir en cas d’ambiguïté textuelle, par opposition à l’idée selon laquelle l’objet de la législation, interprété selon la Déclaration des droits, est d’importance primordiale et doit prévaloir sur sa signification littérale67, allant jusqu’à rendre cette dernière nulle et non avenue (« inconstitutionnelle »). Nous ne tenterons pas de résoudre le litige aux présentes68. Il sera suffisant de noter que le degré de confiance placé dans la

63 Ibid 5. 64 « L’expérience européenne suggère qu’il serait peut être approprié de limiter la portée de telles dispositions en raison des anomalies et de la confusion qui naissent d’une approche plus large » : Wallis, op. cit., p. 16. 65 Ibid 11. 66 Section 39 (2), Constitution de la République d’Afrique du Sud Loi 108 de 1996. 67 Comme articulé dans la résolution adoptée par le Juge Landman selon laquelle un acte législatif « doit être interprété pour en venir à ses fins et qu’aucune maladresse de formulation ne saurait constituer un obstacle à cela » : NUMSA c/ CCMA & others [2000] 11 BLLR 1330 (LC), § 34. 68 En général, voir Rautenbach « Introduction à la Déclaration des droits » Bill of Rights Compendium LexisNexis Butterworths Loose-leaf, Issue 17) au 1A–17 : « Conformément à l’interprétation pertinente souvent citée et établie par la décision canadienne en l’affaire R v Big M Mart Ltd, le langage du texte, le caractère et les

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loi européenne quant à déchiffrer l’objet et la portée de la section 197 joue un rôle significatif. Wallis, sans surprise, traite cette question avec prudence et résume l’espèce ainsi : « Au plus, ainsi que le LAC l’a exprimé, et ainsi que la Cour constitutionnelle l’a réaffirmé dans l’affaire NEHAWU, la jurisprudence étrangère peut offrir un certain aperçu pour une interprétation et une application pertinentes de la section 197 ».

L’élever, ainsi que ce fut le cas dans le jugement le plus récent sur le

sujet, au rang de guide évident du contenu de notre loi – incluant dans un respect essentiel une dérogation à la formulation claire de la section 197 – est une erreur fondamentale». En réalité, une approche relativement différente ressort de deux passages auxquels Wallis fait allusion. Dans l’affaire Foodgro c/Keil69, la Cour d’appel avait restreint ses références aux dispositions pertinentes prévues par la Directive européenne et à deux actes législatifs du Royaume uni70 établissant l’observation suivante : « L’utilité de ces dispositions comparatives ne devrait pas être surestimée. Les différences des énoncés dans la section 197 sont relativement évidentes, comme l’est le fait qu’ils trouvent leurs applications dans des sociétés différentes des nôtres en termes d’historique et de développement. Il serait inutilement mesquin, toutefois, de ne pas tâcher de savoir si le traitement de ces dispositions dans ces juridictions propose un aperçu quant à l’interprétation et l’application pertinentes de la section 197 de la Loi ».

Le tribunal en est ensuite venu à considérer, sans aucune réserve

supplémentaire, un certain nombre de décisions européennes71. De manière similaire, le juge Ngcobo, s’exprimant pour une Cour constitutionnelle unanime dans l’affaire NEHAWU c/University of Cape Town, a « contextualisé » le passage ci-dessus comme suit : « Les instruments étrangers comparables et que j’ai à l’esprit sont ceux qui ont été examinés dans le contexte de la section 197, nommément, la Directive des droits

objets au sens large d’une déclaration de droits, l’origine historique du concept, et le cas échéant, la signification et la finalité des autres droits doivent être pris en compte aux fins d’identifier l’objet d’un droit (l’intérêt qu’il vise à protéger). » Rapport du jugement cité : (1985) 13 CRR 64 103; (1985) 18 DLR (4th), p. 321, p. 395-396. 69 [1999] 9 BLLR 875 (LAC), § 18. 70 Lois TUPE 5 et 8(1) et section 218 de la loi sur les droits à l’emploi de 1996. 71 Foreningen af Arbejdsledere I Danmark c/ Daddy’s Dance Hall (ci-dessus); Wilson c/ St Helens Borough Council [1996] IRLR 320 (EAT); [1997] IRLR 505 (CA); Macer c/ Abafast Ltd [1990] IRLR 137 (EAT).

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Bulletin de droit comparé du travail et de la sécurité sociale 2006 173

acquis 77/187 EEC … et la Loi anglaise sur le transfert d’entreprises (Protection de l’emploi), 1981/1794 (TUPE) qui fut promulguée à la suite de la Directive. Bien qu’il existe des différences des langages et des contextes dans lesquels ces instruments sont appliqués, ils « fournissent néanmoins une certaine idée de l’interprétation et de l’application adaptées de la section 197 »72.

Il est précisé que l’intention du tribunal dans les deux passages cités

n’était pas tant de minimiser la signification du précédent européen dans l’interprétation de la section 197 ainsi que Wallis l’avait suggéré, mais plutôt d’affirmer sa pertinence sans que les différences de formulation et de contextes soient prises en compte. Il est également significatif que dans aucun de ces jugements, ni aucune des espèces rapportées, la Cour n’ait rencontré de conflit réel de la sorte suggérée par Wallis entre la portée et l’objet de la législation européenne et de la section 19773.

Cela étant dit, il est certain que le précédent établi par l’affaire COSAWU

c/Zikhethele devra affronter de sérieuses contestations. Les opinions exprimées par Wallis sont sans aucun doute indicatives des questions expérimentées plus largement, certainement parmi les employeurs, et presque certainement, susceptibles de peser lourd sur les sections du système judiciaire. Il reste par conséquent à voir de quelle façon la Cour d’appel, la Cour suprême d’appel et/ou la Cour constitutionnelle traiteront la question

72 Cf. § 47. Ce fut dans ce contexte que la cour poursuivit de dessiner la distinction entre l’objet de la section 197 et celui de la législation européenne comparable, mentionné ci-dessus. Ainsi que nous l’avons toutefois déjà souligné, la distinction fut dérivée du droit constitutionnel aux « pratiques loyales en matière de travail » (section 23), lequel est aussi apprécié des employeurs que des salariés, plutôt que des différences textuelles entre les actes législatifs respectifs. Il est tout aussi important que le tribunal n’ait pas nié l’applicabilité de l’objet de la Directive européenne dans l’interprétation de la section 197, nonobstant les différentes formulations, mais ait discerné un motif complémentaire (facilitant les opérations commerciales) découlant de la section 23 de la Constitution. 73 Benjamin pousse jusqu’à voir dans les lois TUPE « non seulement le modèle que nous avons utilisé mais aussi comme la source de notre jurisprudence » : « Une question permanente : L’interprétation et la fausse interprétation juridique de la section 197 de la Loi sur les relations du travail » 2005 (2) Law, Democracy & Development, p. 169 à 179.

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d’externalisation de seconde génération dans le contexte de la section 197 (1) (b) lorsqu’elles y seront confrontées.

III – Conclusion

À la suite de la décision hâtive statuée dans l’affaire Schutte c/ Powerplus Performance (Pty) Ltd74, l’application de la section 197 aux opérations d’externalisation par les tribunaux sud-africains a – sauf exceptions notables – fait preuve d’un manque de cohérence regrettable75. D’une part, la preuve d’une forte réticence à étendre la protection de la section 197 aux employés affectés par des transactions d’externalisation – par exemple, le critère strict imposé par le Juge Mlambo J dans le cas NEHAWU c/ University of Cape Town (ci-dessus) et la décision arbitraire adoptée à la majorité par la Cour d’appel en la même espèce (ci-dessus)76, de même que l’idée récusée par Wallis dans l’article discuté ci-dessus.

En balance, se trouve le jugement de la Cour d’appel en l’affaire de

SAMWU c/Rand Airport Management (ci-dessus), offrant potentiellement aux tribunaux carte blanche pour inclure ou non les transactions d’externalisation dans la portée de la section 197.

La décision de la Cour d’appel à la majorité dans NEHAWU c/University

of Cape Town, ayant été délaissée par la Cour constitutionnelle et les amendements de 2002 à la section 197, ne nécessite pas de nous retenir plus longtemps. Il est précisé que la décision du Juge Mlambo en l’espèce, bien que techniquement toujours intacte77, était contraire à la tendance de la

74 [1999] 2 BLLR 169 (LC). 75 Pour tout commentaire général, se reporter à Benjamin op. cit. 76 Poussant Benjamin à demander : « Pourquoi donc deux juges distingués et respectés ont-ils adopté une interprétation si clairement inopportune et inadaptée à la formulation de la section ? Pourquoi ont-ils été jusqu’à exclure l’externalisation de la qualification de transfert alors qu’ils n’y sont pas autorisés par la Loi ? » : op. cit. p. 172-173. L’auteur tente alors d’établir de possibles réponses. 77 Le Juge Gering dans l’affaire Western Cape Workers Association c/ Halgang Properties CC [2001] 6 BLLR 693 (LC), § 12-15 a désapprouvé l’interprétation obiter du Juge Mlambo selon laquelle l’accord des deux employeurs était nécessaire à la constitution d’un transfert au sens de la section 197.

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Bulletin de droit comparé du travail et de la sécurité sociale 2006 175

jurisprudence, en Afrique du Sud78 et certainement – en tenant compte de la prudence conseillée par Wallis – au plan international. Il est vrai que le Juge Landman a réaffirmé dans l’affaire SAMWU c/Rand Airport Management (ci-dessus) l’un des deux critères controversés introduits par le Juge Mlambo J,79 bien qu’il n’est pas fait référence au jugement de ce dernier. Il est toutefois respectueusement suggéré que le critère sur lequel le Juge, Landman s’est basé, à une exception80 ne résisterait pas plus à un examen détaillé quant à une interprétation rigoureuse de la section 197 que ceux introduits par le Juge Mlambo. Une meilleure approche de la question apparaît dans le jugement de la Cour constitutionnelle sur le même cas d’espèce (ci-dessus), localisant fermement l’interprétation de la section 197 dans le contexte du droit aux pratiques loyales dans le domaine du travail, et la manière dont le juge Murphy a appliqué cette interprétation dans l’affaire COSAWU c/ Zikhetele (ci-dessus). De la même façon que les employés affectés par des accords de sous-traitance de seconde génération sont habilités à bénéficier de la même protection que ceux affectés par des sous-traitances de première génération, aux fins de « privilégier l’esprit et d’avancer la portée du traitement égal et les pratiques loyales en matière d’emploi »81, les employés affectés par l’externalisation de première génération ne sauraient être traités moins favorablement que ceux affectés par le transfert d’activités n’entrant pas dans le cadre des limites amorphes de l’« externalisation ». Dans la mesure où les opérations d’externalisation méritent une considération particulière, il est suggéré que l’approche développée par les tribunaux européens, et régulièrement avalisée par les tribunaux sud-africains, crée une souplesse adéquate. Les règles introduites par les tribunaux anglais aux fins de prévenir les collusions d’employeurs semblent constituer l’un des éléments importants de cette évolution. Il a été suggéré de manière probante82 que ces réglementations sont entièrement cohérentes avec l’objet de la section 197 et que les tribunaux sud-africains ne devraient pas hésiter à les adopter. À la suite de cette interprétation, la latitude excessive constatée dans la décision de la Cour d’appel dans l’affaire SAMWU c/Rand Airport Management (ci-dessus) ne devrait probablement pas résister à un examen scrupuleux. Dans la mesure où sa finalité est de 78 En particulier, Schutte c/ Powerplus (ci-dessus) et Foodgro c/ Keil (ci-dessus). 79 C’est à dire qu’un transfert ne peut être effectué pour « une période limitée » : § 34. 80 C’est à dire, si le service en question était une « entité » : Ibid. 81 COSAWU c/ Zikhetele § 29. 82 Cf. Bosch dans Todd et alii, op. cit., p. 52-53.

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placer les travailleurs employés pour l’exécution d’un « service » dans une catégorie particulièrement protégée, cela semblerait clairement contraire au droit constitutionnel des pratiques loyales en matière d’emploi (et le droit au traitement égal), tel qu’il est appliqué dans le contexte de transferts d’activités par la Cour constitutionnelle dans l’affaire NEHAWU c/University of Cape Town (ci-dessus). Le transfert d’une prétendue « activité » doit être testé sur le critère explicitement et implicitement prévu par la définition du terme « activité » de la section 197 (1) qu’elle est catégorisée comme un « service » ou non. Il est important de noter que la Cour d’appel n’a pas explicitement infirmé cette position dans l’affaire SAMWU c/Rand Airport Management, non plus qu’elle n’a expressément distingué les services des autres catégories d’activité. Ainsi qu’il a été souligné ci-dessus, le Juge Davis a réaffirmé avec justesse qu’un service possède la « capacité » d’être transféré de la manière prévue par les dispositions de la section 197 ». Il est précisé que jusque-là, le Tribunal du travail poursuit l’application du test élaboré par le cas de jurisprudence cité ci-dessus aux fins de déterminer les circonstances dans lesquelles le transfert d’un service sera assimilé avec certitude à un transfert au sens de la section 197.

La question d’externalisation de seconde génération est à l’étude, alors

que le présent document est rédigé. Il est présenté que l’approche du Juge Murphy dans l’affaire COSAWU c/ Zikhethele, tout en étant courageuse, est essentiellement conforme aux principes constitutionnels contenus à la section 197 et qu’il serait difficile de soutenir l’exclusion des employés faisant l’objet de transactions d’externalisation de seconde génération de la protection de la section 197 – en conservant à l’esprit l’immense variété et les nuances subtiles de différences caractérisant la gamme de transactions répondant au terme d’« externalisation ». D’un autre côté, elle ne soutient pas que l’introduction passe-partout de transactions d’externalisation de seconde génération dans la portée de la section 197, ainsi que le suggérait Wallis, soit nécessairement présagée par le jugement dans l’affaire Zikhethele. Au contraire, considérée dans le contexte d’une approche générale des transactions d’externalisation telle qu’il est abordé ci-dessus et de l’objet de la section 197 tel qu’il est interprété par la Cour constitutionnelle (ci-dessus), elle soutiendrait que l’externalisation de seconde génération d’un simple service – par exemple, lorsque le contrat initial d’impartition n’était pas assimilé à un transfert en ce qu’il était lié à la fourniture d’un service qui ne faisait pas précédemment partie des activités

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Bulletin de droit comparé du travail et de la sécurité sociale 2006 177

de l’employeur – ne pourrait être considérée comme un transfert aux fins de la section 197. Pour constituer un transfert, la transaction vue dans son ensemble doit intégrer les caractéristiques suffisantes pour indiquer que le service ou l’opération en question formait à l’origine une partie distincte et cohérente de l’activité de l’employeur et dont l’exécution était assurée par une partie de la main d’œuvre de l’employeur83.

Il est intéressant et peut-être significatif de noter que dans ce contexte, la

distinction entre l’approche de Wallis et celle du Juge Murphy paraît plus philosophique que pratique. Wallis conclut sa critique comme suit : « [Les faits dans l’affaire COSAWU c/ Zikhethele] démontrent qu’une approche basée sur le langage de la section aurait mené à la même conclusion sans qu’il soit nécessaire d’examiner le sujet d’externalisation de seconde génération ou de modifier la formulation de la section. Après tout, le tribunal traitait avec deux sociétés contrôlées par la même partie, la seconde étant formée expressément aux fins de poursuivre le travail que la première avait exécuté. Les deux sociétés fonctionnaient avec les mêmes bureaux sur trois centres, la même infrastructure (téléphones, aménagements et équipements), la même direction et surtout les mêmes travailleurs. Certaines transactions étaient clairement opérées entre les deux sociétés en considération de tous les éléments, excepté les employés. La nature de cette transaction est immatérielle dans la mesure où il est clair que le transfert ne nécessite pas d’être une vente, mais peut revêtir toute forme et pourrait inclure une transaction qui peut ne pas être légalement exécutoire. Un transfert doit être opéré par une partie à une autre partie, et ce fait a clairement été établi. Sans tenir compte de l’appel d’offres et de l’attribution subséquente d’un contrat, l’activité de l’ancien employeur (Khulisa) a été transférée par Khulisa au nouvel employeur (Zikhethele)»84. L’objet de la critique, en d’autres mots, n’est pas l’éventualité qu’une transaction d’externalisation de seconde génération soit assimilée à un transfert au sens de la section 197. Plutôt, la volonté est que le contractant initial doit porter la transaction dans le champ d’application de la formulation stricte de la section 197 (1) (b) – assortie, évidemment, de limitations éventuelles de la liberté commerciale pouvant résulter de la latitude interprétative affirmée par la cour dans l’affaire COSAWU c/ Zikhethele.

83 À défaut de quoi, bien sur, la protection de l’employé ne serait pas nécessaire. Cf. Bosch dans Todd, op. cit., p. 38-44. 84 Op. cit.

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Bulletin de droit comparé du travail et de la sécurité sociale 2006 178

Il n’est néanmoins en aucun cas certain que cette opinion soit dominante. Il est difficile de voir quel bénéfice peut-être réalisé en insistant sur une conformité explicite avec plusieurs formulations dans la section 197 laquelle (nonobstant la suggestion contraire exprimée par Wallis) peut bien ne pas avoir été intentionnelle. À cet égard, il est instructif de noter les commentaires de l’un des législateurs auteurs des amendements de 2002 à la section 197 dans un article écrit peu de temps avant que soit rendu le jugement dans l’affaire Zikhethele : « [M]on opinion est que la section 197 serait applicable lorsqu’un employeur cherche à remplacer un contractant ou un service temporaire par un autre. Dans un tel cas, le transfert du travail d’un contractant ou d’un service d’emploi peut intégrer le transfert d’une « entité en exploitation » et le nouveau contractant sera tenu de reprendre les employés de l’ancien contractant ».

C’est ce qu’il est convenu d’appeler la sous-traitance de « seconde

génération » et il est probable qu’il s’agisse d’une question à laquelle nos tribunaux seront confrontés dans un proche avenir, puisque les contractants soumissionnent à nouveau pour le renouvellement des contrats. Dans ces circonstances, l’application de la section 197 offre aux employés leur seul espoir de sécurité d’emploi »85. Il semblerait que la considération exprimée dans la dernière phrase doive peser très lourd pour tout tribunal confronté à cette question à l’avenir.

85 Benjamin, op. cit.

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Henar Álvarez Cuesta Professeur assistant de droit du travail et de la Sécurité sociale Université de Léon

Les obligations des chefs d’entreprises en matière de prévention des risques en cas de décentralisation de la production

Une étude jurisprudentielle espagnole

Abstract Faced with an alarming number of accidents at work (one of the highest

in Europe), Spanish lawmakers decided to introduce new laws concerning decentralised production, especially sub-contracting, by establishing a series of obligations for employers and defining their degree of responsiblity in the event of a labour law offense. The following pages analyse this legislation, relying on interpretation by the courts in terms of social order, and highlight the most conflictual cases with regard to this subject.

Résumé Le législateur espagnol, confronté à un nombre alarmant d’accidents du

travail, l’un des plus élevés d’Europe, a décidé de légiférer sur les cas de décentralisation productive, notamment par le recours à sous-traitance, en établissant une série d’obligations de coordination pour les employeurs concernés, et en définissant leur degré de responsabilité en cas d’infraction. Les pages suivantes s’attachent à étudier cette législation en recourant pour ce faire à l’interprétation donnée par les tribunaux en matière d’ordre social de la législation en vigueur, en reprenant les cas les plus conflictuels soulevés à ce sujet.

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Henar Álvarez Cuesta

Bulletin de droit comparé du travail et de la sécurité sociale 2006 180

Le concept d’entreprise est essentiel pour le droit du travail, il acquiert la valeur d’un paradigme et devient une référence constante et nécessaire pour le spécialiste en droit du travail1. Qui plus est, « le droit du travail n’est pas seulement le droit applicable aux relations singulières du travail, il est surtout le droit du travail de l’entreprise »2. Les nouvelles tendances déterminent « l’évanouissement ou l’estompement de l’entreprise », la « disparition de l’usine du paysage productif et sa substitution par un type d’entreprise plus volatile, plus immatérielle »3.

Une plus grande complexité de la relation est accusée entre le chef

d’entreprise et le travailleur, motivée par l’interposition de tiers sous des formules juridiques et économiques très différentes. Cette situation provoque des incertitudes et de nouvelles exigences en ce qui concerne le statut professionnel du travailleur et l’identification de la figure patronale4. Le domaine de la prévention des risques ne peut pas être étranger à cette tendance, attendu que la présence de différentes entreprises dans un même lieu physique implique que tous les travailleurs puissent se voir concernés par les conditions des autres et que c’est également l’un des contextes où le plus grand nombre de sinistres se produit. Ces raisons ont conduit le législateur à développer un ensemble complexe de normes pour obtenir la protection la plus complète de la santé et de la vie des ouvriers.

I - L’obligation des nouveaux modèles de chef d’entreprise en matière de sécurité et de santé

La Loi sur la Prévention des Risques Professionnels (LPRL) a établi un

devoir de coordination entre les chefs d’entreprises qui réalisent leurs activités en un même lieu ou qui sous-traitent la réalisation de certaines tâches. Cette obligation « existait déjà dans notre système juridique repris à l’article 17 de la Convention n° 155 de l’OIT du 22 juin 1981, ratifiée par Espagne le 26 juillet 1985 et publiée au Journal Officiel du 11 novembre de la même année, ce qui a permis de l’intégrer en droit interne. Cette norme 1 A. Supiot, Crítica de Derecho del Trabajo, Madrid (MTAS), 1996, p. 204. 2 C. Miñambres Puig, El centro de trabajo, REDT, n° 100, 2000, p. 128. 3 A. Desdentado Bonete, ¿Qué hacer con el Derecho del Trabajo, Las móviles fronteras de la relación laboral y las nuevas formas de empleo , RPJ, n° 55, 1999, p. 446. 4 M. C. Ortiz Lallana, Innovación tecnológica y nuevas tecnologías en la empresa: un « factor de competitividad », Revista de Trabajo y Seguridad Social (CEF), n° 274, 2006, p. 74.

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Les obligations des chefs d’entreprises en matière de prévention des risques…

Bulletin de droit comparé du travail et de la sécurité sociale 2006 181

dispose que chaque fois que deux ou plusieurs entreprises réaliseront simultanément des activités sur un même lieu de travail, elles auront le devoir de collaborer dans l’application des mesures prévues dans cette Convention; parmi celles-ci, figure l’exigence faite aux employeurs, à l’article 16, « dans la mesure où cela est raisonnable et pratiquement réalisable » de faire en sorte que « les lieux de travail, les machines, les matériels et les procédés de travail placés sous leur contrôle ne présentent pas de risque pour la sécurité et la santé des travailleurs »5.

A - Entreprises dans un même lieu

La simple présence de plusieurs entreprises dans le même lieu ou centre

de travail n’est aucunement étrange, tout au contraire, elle s’est généralisée ces derniers temps en raison de la concentration d’usines dans des zones industrielles dans le but de réduire les frais. Cette situation génère une série de risques communs aux travailleurs des différentes entreprises.

Pour cette raison, le législateur, lorsque des travailleurs de deux ou

plusieurs entreprises réalisent leurs activités dans un même espace de travail, impose à toutes les entreprises un devoir de coopération dans l’application de la réglementation sur la prévention des risques professionnels, qu’il existe ou non des relations juridiques entre celles-ci. À cette fin, les moyens de coordination nécessaires doivent être réunis en ce qui concerne la protection et la prévention de risques professionnels et l’information sur ces risques des travailleurs respectifs des différentes entreprises6 ; autrement dit, au préalable, chaque entreprise doit fournir l’information nécessaire à ses propres travailleurs.

En premier lieu, pour considérer applicable la législation exposée ci-

après, il faut préciser le concept de « centre de travail ». La Convention de l’OIT n° 155 de 1981, sur la sécurité et la santé des travailleurs et l’environnement de travail, inclut dans l’expression « lieu de travail » tous les endroits où les employés doivent séjourner ou auxquels ils doivent se rendre en raison de leur travail et qui se trouvent sous le contrôle direct ou indirect de l’employeur, dans lesquels ils réalisent des activités pour le

5 Article 16, Convention n°155 de l’OIT ; voir STSJ Pays Basque du 9 octobre 2001 (AS 4548). 6 Art. 24.1 LPRL.

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Bulletin de droit comparé du travail et de la sécurité sociale 2006 182

compte d’autrui7. La Cour suprême retient cette définition et, par exemple, considère que « bien que les lignes électriques se trouvent à la campagne et en plein air, ce sont des installations propres à l’entreprise, [car] une interprétation rationnelle et logique oblige à assimiler ces installations à l’idée de « centre de travail » qui est utilisée dans les normes ci-devant citées »8.

En deuxième lieu, il convient de préciser le contenu de cette information.

Celle-ci aura trait aux « risques spécifiques relatifs au poste de travail ou fonction, et aux mesures de protection et de prévention applicables à ces risques », ou bien de façon plus large, en cas d’absence de représentants, aux « risques pour la sécurité et la santé des travailleurs dans le travail, tant ceux qui touchent l’entreprise dans son ensemble que chaque type de poste de travail ou de fonction, et les mesures et activités de protection et de prévention applicables aux risques signalés »9.

Ces moyens de coordination auront principalement une incidence sur les

matières rattachées aux procédures, équipements et méthodes de travail, ainsi que sur les risques dérivés de l’activité. D’après les tribunaux, « collaborer équivaut à aider les entreprises tierces à pouvoir adopter les mesures de sécurité nécessaires, mais n’implique en aucune façon le transfert de responsabilités en ce qui concerne le respect des normes qui incombe à chacune d’entre elles »10.

Mais exception faite de ces indications, les chefs d’entreprises ont toute

liberté pour concrétiser les mécanismes de coordination adéquats à chaque centre de travail, afin d’obtenir une prévention correcte des risques professionnels pour l’ensemble des employés. Néanmoins, et faute de contenu précis, la LPRL en propose un, à savoir : permettre des réunions

7 Article 3.c de la convention n°155 de l’OIT. 8 STS du 18 avril 1992 (RJ 4849). En se référant à la doctrine, le tribunal de Justice de Castille et Léon a conclu qu’un accident survenu sur des clôtures « s’est produit dans le centre de travail, car l’entreprise s’occupait de la publicité extérieure, et la pose de publicité sur des clôtures faisait partie de ses activités ; elle était la propriétaire de la clôture sur laquelle l’accident s’est produit ; ladite clôture fait donc partie de l’établissement de travail », STSJ Castille et Léon/Burgos, du 30 septembre 1997 (AS 3269). 9 Article 18 LPRL. 10 STSJ Castille et Léon/Valladolid du 28 octobre 2003 (AS 534/2004).

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Les obligations des chefs d’entreprises en matière de prévention des risques…

Bulletin de droit comparé du travail et de la sécurité sociale 2006 183

conjointes des comités de sécurité et de santé ou à défaut, des délégués de prévention et des chefs d’entreprises ne disposant pas de ces comités, ou encore d’autres mesures d’action coordonnée11. Ceci est, par conséquent, facultatif pour les entreprises présentes et n’empêche pas la possibilité d’adopter d’autres voies.

Le manquement à ce devoir de coordination -léger et indéterminé-

entraînera des responsabilités, dans les différents cadres : civil, pénal, administratif et en ce qui concerne la Sécurité sociale. Les plus spécifiques sont celles imposées par les articles 12.13 et 13.7 LISOS, dans la mesure où ils qualifient, respectivement, de grave « que les chefs d’entreprises qui réalisent des activités dans un même centre de travail, n’adoptent pas les mesures nécessaires de coopération et de coordination pour la protection et la prévention des risques professionnels » et de très grave, lorsqu’il s’agit d’activités réglementairement considérées comme dangereuses ou comportant des risques spéciaux.

Ces entreprises commettraient également une infraction cataloguée

comme grave à l’article 12.8 LISOS pour manquement aux obligations en matière de formation et d’information -suffisante et adéquate- sur les risques du poste de travail susceptibles de nuire à la sécurité et à la santé des travailleurs, et les mesures préventives applicables.

La sanction administrative sera infligée solidairement aux chefs

d’entreprises ayant commis l’infraction. Elle sera constituée, pour les fautes graves, par une amende : degré minimum de 1 502,54 € à 6 010,12 €, degré moyen de 6 010,13 € à 15 025,30 € et degré maximum de 15 025,31 € à 30 050,61 €. Pour les fautes très graves, une amende sera également imposée : d’un montant minimum de 60 050,61 € à 120 202,42 €, d’un montant moyen de 120 202,43 € à 300 506,05 € et d’un montant maximum de 300 506,06 € à 601 012,10 €12.

Cette « obligation d’indemniser au titre du contrat de travail et même s’il

ne s’agit pas de l’employeur du travailleur accidenté, concerne également le chef d’entreprise qui ne s’acquitte pas des devoirs qui lui incombent, par le fait de réaliser des activités conjointes dans un même centre de travail, dans

11 Article 39.3 LPRL. 12 Article 40.2 LISOS.

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Henar Álvarez Cuesta

Bulletin de droit comparé du travail et de la sécurité sociale 2006 184

la mesure où son manquement s’avère être un facteur décisif dans la survenance de l’accident ou de ses effets dommageables. L’un de ces éléments est celui d’une coopération mutuelle dans l’application de la réglementation préventive, avec la transmission de l’information précise et la mise en place de moyens de coordination nécessaires »13.

Néanmoins, la solidarité dans l’indemnisation ne peut pas être établie

iuris et de iure, car « la complexité de la nouvelle réglementation n’admet pas une réponse uniforme ; il faudra, dans chaque cas, analyser les circonstances présentes pour déterminer l’origine du risque qui a causé l’accident ou la maladie, quels ont été les mécanismes adoptés ou dont l’adoption a été omise, pour identifier et prévenir ce risque et, en définitive, quel a été le rôle de chacun dans cet événement et quel il aurait dû être, en vertu de ses obligations légales et réglementaires »14.

B - Chef d’entreprise officiel du centre de travail

Au regard du devoir de coordination imposé aux chefs d’entreprises qui

se retrouvent dans le même espace physique, le législateur impose des obligations plus importantes lorsqu’il existe, parmi tous ceux qui réalisent leur activité économique sur le lieu, un chef d’entreprise officiel du centre de travail. Ce dernier devra alors adopter les mesures nécessaires pour que les autres chefs d’entreprises qui réalisent des activités dans son centre de travail reçoivent l’information et les instructions adéquates. L’obligation d’information concerne trois points : les risques existants dans le centre de travail, les mesures correspondantes de protection et de prévention et les mesures d’urgence à appliquer, qui doivent être communiquées aux travailleurs respectifs15.

Cette norme fait retomber sur cet employeur une plus grande

responsabilité tant dans la coordination des activités que dans la prévention des risques, ces obligations devant être accomplies avant que les travailleurs des différentes corporations ne commencent leurs prestations. La raison de cette charge supérieure réside dans la position de cet employeur qui détient,

13 STSJ Canaries/Santa Cruz de Tenerife du 10 décembre 2004 (AS 3920). 14 STSJ Cantabrie du 26 mai 2004 (JUR 76493). 15 Article 24.2 LPRL.

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Les obligations des chefs d’entreprises en matière de prévention des risques…

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par rapport aux autres, de plus grandes connaissances et possibilités de contrôler les risques sur le lieu de travail.

Une précision importante réside dans le contenu de l’information qu’il

doit transmettre dans la mesure où elle se réfère aux risques communs au centre et non pas à ceux spécifiques à l’activité particulière de chaque entreprise. Au-delà de ces indications, le devoir s’avère imprécis ; mais, il semble toutefois nécessaire de communiquer l’information par écrit.

L’article 24 de la LPRL a été développé par le décret-royal n° 171 du 30

janvier 2004, lequel distingue et précise les différents concepts ; ainsi, il considère comme chef d’entreprise officiel du centre de travail la personne qui a la capacité de mettre à disposition et de gérer le centre de travail. Il établit, par ailleurs, un devoir renforcé de coordination entre cet employeur et ceux avec qui il partage les installations et appelle à adopter les mesures suivantes : l’échange d’informations et de communications entre les entreprises présentes; la tenue de réunions périodiques; les réunions conjointes des comités de sécurité et de santé des entreprises présentes ou à défaut, des chefs d’entreprises ne disposant pas de ces comités avec les délégués de prévention; la diffusion des instructions; l’établissement conjoint de mesures spécifiques de prévention des risques existants dans le centre de travail qui pourraient toucher les travailleurs des entreprises présentes ou de procédures ou de protocoles d’intervention; la présence dans le centre de travail de moyens préventifs des entreprises présentes; ou finalement, la désignation d’une ou plusieurs personnes chargées de la coordination des activités préventives16.

La pierre angulaire de cette réglementation s’avère être la désignation

d’une ou plusieurs personnes chargées de la coordination des activités préventives. Pour cette raison, elle est considérée prioritaire dès lors que sont réunies deux ou plusieurs des conditions suivantes : lorsque dans le centre de travail, l’une des entreprises réalise des activités ou des processus réglementairement considérés comme dangereux ou qui comportent des risques particuliers pouvant porter atteinte à la sécurité et à la santé des travailleurs, il existe une difficulté certaine pour contrôler les interactions des différentes activités réalisées, une difficulté spéciale pour empêcher la réalisation de façon successive ou simultanée d’activités incompatibles au

16 Cf. article 11 du décret-royal n°171 du 30 janvier 2004.

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regard des impératifs de santé et de sécurité ; enfin, en cas de difficulté particulière s’attachant à la coordination des activités préventives relative au nombre d’entreprises et de travailleurs présents, du type d’activités réalisées et des caractéristiques du centre de travail17.

La personne chargée de la coordination des activités préventives sera

désignée par le titulaire du centre de travail et devra disposer de la formation préventive minimum, correspondante à des fonctions du niveau intermédiaire. La liste de ces sujets pourra être intégrée par les travailleurs désignés pour la réalisation des activités préventives par le chef d’entreprise titulaire du centre de travail ou par les autres chefs d’entreprises présents; les membres du service de prévention appartenant à l’entreprise titulaire du centre de travail ou des autres entreprises présentes; les composants du service de prévention externe ordonné par l’entreprise titulaire du centre de travail ou par les autres entreprises présentes; les employés qui ont les connaissances, la qualification et l’expérience nécessaires; ou finalement des travailleurs d’entreprises vouées à la coordination des activités préventives.

Ces personnes exerceront les fonctions suivantes : favoriser

l’accomplissement des objectifs prévus par le décret-royal n° 171 de 2004 ; contribuer à l’échange des informations obligatoires par les entreprises présentes dans le centre de travail et enfin, comme clause ouverte, toutes autres confiées par le chef d’entreprise titulaire du centre de travail18.

Conjointement aux personnes chargées d’assumer cette coordination, il

convient de ne pas laisser de côté la participation des travailleurs en matière de leur propre sécurité et santé, laquelle sera menée à bien à travers des organes de représentation unitaire et plus spécifiquement des délégués de prévention et du comité de sécurité et de santé. En conséquence, ces représentants seront informés lorsqu’un contrat de prestation de travaux sera souscrit et ils seront consultés, dans la mesure où ceci aura une répercussion sur la sécurité et la santé des travailleurs qu’ils représentent, sur l’organisation du travail dans le centre, dérivée de la présence d’autres entreprises dans celui-ci.

17 Article 13. 18 Article 14.

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Les obligations des chefs d’entreprises en matière de prévention des risques…

Bulletin de droit comparé du travail et de la sécurité sociale 2006 187

De leur côté, les comités de sécurité et de santé des entreprises présentes ou, à défaut, les chefs d’entreprises qui ne disposeront pas de ces comités, ainsi que les délégués de prévention, pourront convenir de l’organisation de réunions conjointes ou d’autres mesures d’intervention coordonnée ; en particulier lorsque, compte tenu des risques existants dans le centre de travail et l’incidence sur la coïncidence des activités, il est considéré nécessaire de les consulter pour analyser l’efficacité des moyens de coordination établis par les entreprises présentes ou pour procéder à leur mise à jour19.

Ce décret royal trouve son fondement ultime « dans le fait que toutes les

entreprises concernées réalisent des activités dans un même centre, ce qui détermine des risques, non seulement pour les travailleurs de chacune d’entre elles, mais aussi pour les autres présentes dans le même centre, raison pour laquelle une coordination mutuelle s’impose afin de prévenir et, dans la mesure du possible d’éviter de tels risques »20.

En ce qui concerne la responsabilité administrative visée dans la loi sur

les infractions et sanctions en matière sociale (LISOS), l’article 2.8 considère « les chefs d’entreprises titulaires de centre de travail » comme des sujets responsables en matière de prévention des risques professionnels. En ce qui concerne cette norme, il qualifie la conduite des chefs d’entreprises qui réalisent des activités dans un même centre de travail, sans adopter les mesures nécessaires de coopération et de coordination pour la protection et la prévention de risques professionnels, comme une infraction grave21.

Cette même qualification est reçue lorsque le chef d’entreprise titulaire

du centre de travail ne prend pas « les mesures nécessaires pour garantir que les autres entreprises qui y réalisent des activités reçoivent l’information et les instructions appropriées sur les risques existants et les mesures de protection, prévention et urgence, sous la forme et avec le contenu établis dans la réglementation de prévention des risques professionnels »22. Les conduites précédentes deviennent des fautes très graves quand « il s’agit d’activités réglementairement considérées comme dangereuses ou comportant des risques spéciaux »23. 19 Cf. article 16 du décret-royal n°171 du 30 janvier 2004. 20 STSJ Estrémadure du 2 décembre 2004 (AS 3170). 21 Article 12.13 LISOS. 22 Article 12.14 LISOS. 23 Art. 13.7 et 8.a LISOS.

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En ce qui concerne la responsabilité civile et malgré les doutes qui

pourraient surgir, les décisions judiciaires établissent la solidarité entre l’entreprise principale et l’employeur du travailleur accidenté24, même si dans la plupart des cas cette situation résulte d’une relation de marché et sous-marché.

Néanmoins, les jugements des tribunaux de Justice ont atténué cette

responsabilité en considérant que, lorsque les entreprises ne réalisent pas des activités coïncidentes dans le cadre du processus de production, et l’accident ayant eu lieu dans des installations qui ne sont pas partagées, les entreprises qui auraient leur centre de travail dans le même lieu n’ont enfreint aucune mesure de sécurité et il n’est pas pertinent de les mettre en cause25.

C - Marchés et sous-marchés

Le recours à la sous-traitance pour les entreprises s’avère être une

pratique habituelle et consolidée, mais le système du marché du travail doit encore avancer dans la construction juridique des marchés et sous-marchés (voire arriver à une dénomination indistincte et à leur octroyer la même protection26). La sous-traitance est définie comme un « accord contractuel par lequel un prestataire ou le titulaire d’un marché confie à un autre prestataire l’exécution de certains travaux ou services qui font partie d’un ordre de production plus complexe que celui qu’il s’est engagé à réaliser »27 et aussi, « l’entreprise principale qui confie une partie de l’activité de

24 STSJ Andalousie/Séville du 21 février 2003 (AS 2694). 25 STSJ Castille et Léon/Valladolid du 23 juin 2003 (JUR 178696); dans cette affaire, un travailleur est décédé suite à l’immersion dans la boue d’une habitation séparée du reste du centre de travail où d’autres entreprises ont également leur siège. 26 Dans la mesure où le sous-marché serait un marché sur un marché ou un marché de seconde main, - A. Martín Valverde : La protección jurídica del trabajo en contratas: delimitación de los supuestos de hecho , AA.VV. (F. J. Sánchez Pego, Dir.): Cesión de trabajadores. Empresas de trabajo temporal. Responsabilidad empresarial en caso de contratos de trabajos o servicios. Sucesión de empresas, Madrid (CGPJ), 1994, p. 109-110. 27 A. Martín Valverde : La protección jurídica del trabajo en contratas: delimitación de los supuestos de hecho , AA.VV. (F. J. Sánchez Pego, Dir.): Cesión de trabajadores. Empresas de trabajo temporal. Responsabilidad empresarial en caso de contratos de trabajos o servicios. Sucesión de empresas, Madrid (CGPJ), 1994, p. 107.

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Bulletin de droit comparé du travail et de la sécurité sociale 2006 189

production à une entreprise auxiliaire, alors que celle-ci sous-traite à son tour avec une deuxième entreprise auxiliaire une sous-parcelle de ce marché et ainsi de suite »28.

La motivation est évidente, les entreprises se centrent sur les activités

dans lesquelles elles sont les plus compétentes et isolent ou sous-traitent celles qu’elles ne considèrent pas comme indispensables au sein de leur activité29.

Mais ce recours à l’externalisation de la part des entreprises comporte le

taux de sinistres le plus élevé. En 2002, les accidents survenus dans les marchés et sous-marchés constituaient 54 %30. La présence également de travailleurs pour le compte d’autrui et indépendants (surtout dépendants), rend la prévention de risques très complexe.

Devant une réalité si décourageante, la loi de prévention (LPRL) impose

de nouvelles obligations partagées. Ainsi, les entreprises qui engagent ou sous-traitent avec d’autres la réalisation de travaux ou de services correspondants à leur propre activité et qui se déroulent dans leurs propres centres de travail devront s’assurer que la réglementation sur la prévention des risques professionnels31 est bien respectée par ces prestataires et sous-traitants. Pour cela, la loi s’appuie sur la présence de trois cas de figure : les entreprises engagent ou sous-traitent avec d’autres des travaux ou des services; ces travaux ou ces services appartiennent à leur « propre activité », et les prestataires réalisent leur tâche dans le centre de l’entreprise principale.

Le concept qui a posé le plus de doutes dans la pratique, face à la clarté

des autres, est celui de « propre activité », en entendant comme telle « l’activité inhérente à son cycle de production »32. Les tribunaux, face à d’autres interprétations plus restrictives ou exigeantes, ont proposé une 28 J. Cruz Villalón: Descentralización productiva y responsabilidad laboral por contratas y subcontratas , RL, n° 2, 1992, p. 19. 29 A. (de la) Puebla Pinilla : La empresa como objeto de transmisión en la nueva economía. Aspectos laborales, Cizur Menor (Thompson-Aranzadi), 2005, p. 33. 30 Source : ministère du Travail et des Affaires sociales : Institut national de Sécurité et d’Hygiène dans le Travail. 31 Article 24.3 LPRL. 32 SSTS du 18 janvier 1995 (RJ 514) et du 24 novembre 1998 (RJ 10034).

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interprétation suffisamment large de ce concept, en faisant la différence entre « ces activités et les activités centrales, et celles qui sont complémentaires du système de production (…). En effet, le critère de la Cour suprême à l’heure d’appliquer le critère d’entente d’une même activité, distingue ces deux secteurs. Il considère que lorsque le système de production d’une entreprise subit un préjudice si l’activité sous-traitée n’est pas réalisée, nous nous trouvons alors devant un cas d’identité dans l’activité. Dans le cas contraire, lorsqu’il s’agit d’une activité complémentaire et non reliée au processus de production, il s’agit alors d’un service qui n’est pas essentiel au système de production de l’entreprise »33.

Par conséquent, ils soutiennent que l’identité existe dans les cas où

l’activité, bien que complémentaire, s’avère absolument essentielle à l’activité réalisée par le chef d’entreprise principal34 ou bien quand « il est suffisant que la sous-traitante réalise une activité qui pourrait être incluse dans le domaine de l’activité de l’entreprise principale ou contractante ou, pour le dire d’une autre façon, que toutes deux font partie du même cadre fonctionnel de la réglementation sectorielle en vigueur »35. Par exemple, « il impossible de nier le caractère essentiel de l’utilisation de la grue lorsque, avant montage et après démontage, il est évident qu’il s’agit là d’un élément sans lequel l’activité de construction » ne peut être accomplie36.

Dans le cas où ces trois conditions requises seraient remplies, l’entreprise

principale assumera un devoir renforcé de garantir, moyennant le contrôle direct et l’exigence aux autres entreprises, que les travailleurs du prestataire disposent des niveaux de sécurité nécessaires. Il s’agit d’un comportement positif visant à contrôler le respect des normes préventives par les

33 SSTS du 24 novembre 1998 (RJ 10034) et du 18 janvier 1995 (RJ 514); dans un cas particulier, la Cour Suprême signale que « l’on ne conçoit pas le développement de l’activité de téléphonie sans ses propres lignes, qui font partie de l’entreprise elle-même et qui, en outre, exigeront toujours des soins et une maintenance pour la protection correcte du service de téléphonie. La pose de la ligne que réalise l’entreprise prestataire est par conséquent quelque chose qui fait partie du cycle de production de l’entreprise principale pour être inhérente aux activités propres à la protection des services de téléphonie », STS du 22 novembre 2002 (RJ 510/2003). 34 STSJ Castille et Léon/Burgos du 24 juillet 2002 (AS 439/2003). 35 STSJ Castille et Léon/Burgos, Contentieux-Administratif du 14 février 1997 (RJCA 1942). 36 STSJ Castille et Léon/Valladolid du 28 octobre 2003 (AS 534/2004).

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Bulletin de droit comparé du travail et de la sécurité sociale 2006 191

prestataires et sous-traitants, plutôt que surveiller directement les employés de ces entreprises.

Cette surveillance doit être totale et permanente. Elle comprend,

généralement, une action initiale, visant à vérifier les conditions en matière de prévention du prestataire et d’autres successives de contrôle périodique durant l’exécution du contrat.

Le législateur décide d’élargir le domaine de contrôle du chef

d’entreprise principal, en lui imposant les obligations précédentes, relatives aux opérations contractuelles, également dans les cas où les travailleurs de l’entreprise prestataire ou sous-traitante ne prêteraient pas les services dans les centres de travail de l’entreprise principale, dans la mesure où ces travailleurs doivent opérer avec des machines, équipements, produits, matières premières ou outils fournis par l’entreprise principale37.

Il exige, par conséquent, trois conditions : premièrement, les entreprises

doivent avoir souscrit un contrat de bail ou d’exécution d’ouvrage sans exiger aucun degré de coïncidence entre leurs activités ; deuxièmement, l’entreprise principale est dépourvue de contrôle sur les prestataires parce qu’ils réalisent leur activité hors du centre; et enfin, les prestataires doivent réaliser leur travail en utilisant des machines ou des outils mis à leur disposition par l’entreprise principale.

De plus, conformément à l’article 41.1 LPRL, le chef d’entreprise

principal sera également obligé d’assurer que ces dispositifs ne constituent pas une source de danger pour le travailleur, pour autant qu’ils soient installés et utilisés dans les conditions, sous la forme et pour les fins recommandées par ses soins (...) ; les emballer et les étiqueter sous une forme permettant leur conservation et leur manipulation dans des conditions de sécurité et identifier clairement leur contenu et les risques pour la sécurité ou la santé des travailleurs qui sont concernés par leur entreposage ou leur utilisation; finalement, « il devra fournir l’information qui indiquera leur utilisation correcte par les travailleurs, les mesures préventives complémentaires qu’il faut prendre et les risques professionnels liés tant par leur utilisation que par leur manipulation ou emploi inapproprié ».

37 Article 24.4 LPRL.

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Ces normes « imposent au chef d’entreprise un devoir de protection qui est concrétisé par la garantie de la sécurité et de la santé des travailleurs à son service, sous tous les aspects relatifs au travail. Ce devoir de protection, que la jurisprudence a qualifié d’inconditionnel et pratiquement illimité, ne concerne pas seulement l’employeur mais s’étend aussi au chef d’entreprise principal dans les cas des sous-marchés »38. La règle instaurée est clairement révélatrice : dans ces cas-là, le devoir de sécurité qui incombe normalement au chef d’entreprise concerne également tous ceux qui assument la réalisation d’un ouvrage ou d’un service à travers un contrat avec un tiers. Par conséquent, l’utilisation de ce moyen contrairement à la réalisation directe de cet ouvrage n’exonère pas l’entreprise principale de sa responsabilité vis-à-vis de tous ceux qui y travaillent pour le compte de ces autres chefs d’entreprise39.

En ce qui concerne le contenu de l’information qui doit être transmise

aux représentants unitaires, l’entreprise principale doit la leur fournir sur les mesures prévues pour la coordination des activités en matière de prévention40. Les deux entreprises doivent informer leurs représentants de ces mesures de coordination avant le début de l’exécution du marché41.

Le décret-royal n°171 de 2004 développe également les devoirs exposés

ci-dessus dans l’objectif ambitieux d’obtenir l’application correcte des méthodes de travail par les entreprises présentes dans le centre de travail; le contrôle des interactions entre les différentes activités réalisées dans le centre de travail en particulier lorsqu’elles peuvent générer des risques qualifiés de graves ou de très graves, ou lorsque des activités incompatibles sont réalisées dans le centre de travail, pour leur incidence sur la sécurité et la santé des travailleurs; et, enfin, l’adéquation entre les risques existants dans le centre de travail qui peuvent toucher les travailleurs des entreprises présentes et les mesures appliquées pour leur prévention42.

Outre les minimums imposés à tous ceux qui sont présents sur le même

lieu de travail, il s’agit cette fois de faire un pas de plus et d’avancer sur le 38 STS du 8 octobre 2001 (RJ 1424/2002) et STSJ Castille et Léon/Burgos du 24 juillet 2002 (AS 439/2003). 39 STSJ Castille et Léon/Valladolid du 27 juillet 2001 (AS 3602). 40 Article 42.4.e du Statut des travailleurs. 41Article 42.5 du Statut des travailleurs. 42 Article 3 du décret-royal n° 171, op. cit.

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Bulletin de droit comparé du travail et de la sécurité sociale 2006 193

chemin de la protection complète. Dans un tel cas, les mesures à adopter sont les suivantes :

• En premier lieu, le chef d’entreprise titulaire devra informer les

autres par écrit sur les risques propres au centre de travail et qui peuvent concerner les activités qu’ils réalisent, les mesures relatives à la prévention de ces risques et les mesures d’urgence qui doivent être appliquées. Cette communication devra être suffisante et devra être fournie avant le début des activités ainsi que dans le cas d’un changement en ce qui concerne les risques propres au centre de travail et qui serait important sur les effets de la prévention43.

• En deuxième lieu, et une fois l’information reçue, le chef

d’entreprise titulaire du centre de travail -dans la mesure où ses travailleurs y réalisent des activités-, donnera au reste des employeurs des instructions (suffisantes, appropriées et par écrit) avant le début de l’activité pour la prévention des risques existants dans le centre de travail et sur les mesures qui doivent être appliquées en cas de situation d’urgence.

• Comme corollaire du système conçu, une obligation plus concrète

apparaît, le principal non seulement devra exécuter les mesures établies mais il devra également s’assurer du respect de la réglementation sur la prévention des risques professionnels de la part des entreprises prestataires ou des sous-traitants des travaux et services. Pour ce faire, et avant le début de l’activité dans son centre, il exigera aux prestataires et aux sous-traitants la justification écrite qu’ils ont réalisé, pour les travaux et les services contractuels, l’évaluation des risques et la planification de leur activité de prévention, et qu’ils ont rempli leurs obligations en matière d’information et de formation pour les travailleurs qui vont prêter leurs services dans le centre de travail.

Finalement, le chef d’entreprise principal devra vérifier que les

entreprises prestataires et les sous-traitantes présentes dans son centre de travail ont établi les moyens nécessaires de coordination entre elles44.

43 Article 7 du décret-royal n° 171 de 2004. 44 Article 9 du décret-royal n° 171 de 2004.

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Bulletin de droit comparé du travail et de la sécurité sociale 2006 194

Ces devoirs sont imposés à toute la chaîne des marchés, dans la mesure où les justificatifs devront être exigés par la prestataire à la sous-traitante pour être remis au chef d’entreprise principal.

En ce qui concerne la responsabilité dans le cas de manquement aux

obligations ci-dessus, les tribunaux exigeront au principal une culpabilité directe pour ne pas avoir établi les mesures pertinentes de sécurité et d’hygiène, et pour le manque de surveillance dans son centre de travail des activités du chef d’entreprise contractuel45. Cependant la prévision la plus spécifique est peut-être donnée par l’imposition de la responsabilité solidaire entre le principal et le prestataire.

L’article 42.3 de la LPRL « établit, d’une façon catégorique et

formelle »46, une responsabilité solidaire entre l’entreprise prestataire et la sous-traitante dans le cas où le fait se produirait dans le centre de travail de la principale47. Cette prévision est réitérée à l’article 42.3 de la LISOS : « l’entreprise principale répondra solidairement avec les prestataires et les sous-traitants… de l’exécution, durant la période du marché, des obligations imposées par la LPRL par rapport aux travailleurs qu’ils emploient dans les centres de travail de l’entreprise principale, dans la mesure où l’infraction se sera produite dans le centre de travail dudit chef d’entreprise principal »; en avertissant que « les accords qui auraient pour objet le manquement, en infraction à la loi, aux responsabilités établies sous cette rubrique sont nuls et non avenus et ne produiront aucun effet »48. 45 STSJ Pays Basque du 14 février 1995 (AS 519). 46 STS, Contentieux-Administratif, du 7 octobre 1997 (RJ 7209). 47 SSTSJ Castille et Léon/Valladolid du 28 octobre 2003 (AS 534/2004) et du 18 octobre 2004 (AS 2765) ; en matière de responsabilité administrative, STSJ Castille et Léon/Valladolid, Contentieux-Administratif, du 31 janvier 2001 (JUR 122850). 48 Par exemple, lorsque l’ « entreprise principale a convenu avec le prestataire que celle-ci s’engageait, comme unique responsable de la réalisation des travaux contractuels, à satisfaire les obligations de sécurité et d’hygiène dans le travail, et qu’elle est strictement et rigoureusement responsable avec un caractère exclusif du manquement à l’une quelconque de ces obligations, ainsi que de tous les dommages et intérêts ou dommages à de tierces personnes causés par l’exécution des travaux, la propriété étant exonérée de toute obligation ou responsabilité », STSJ Canaries/Santa Cruz de Tenerife du 10 décembre 2004 (AS 3920). De cette façon, « l’entreprise principale a des obligations légales dans la prévention des risques professionnels à caractère impératif qu’elle ne peut pas éluder en vertu d’un accord ou d’un pacte », STSJ Madrid du 8 novembre 2001 (AS 475/2002).

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Cette responsabilité solidaire se produit dans les cas de marchés d’une

même activité et dans le centre de travail du chef d’entreprise principal car il existe une obligation de surveillance pour le chef d’entreprise principal, qui s’étend à son tour au prestataire par rapport au sous-traitant, dérivée du fait qu’ils sont tous débiteurs de la sécurité49.

L’Administration, par conséquent, pourra réclamer le montant intégral de

l’amende à l’un quelconque des sujets responsables. Néanmoins, cette solidarité n’est pas exigée, de ce fait, à toute la chaîne des sous-marchés, mais concerne uniquement le sous-marché particulier où la contingence s’est produite avec le principal. Elle ne l’est pas non plus lorsque, même dans le cas d’une infraction de l’entreprise principale, il n’y a aucun manquement du prestataire50.

La jurisprudence en a décidé ainsi : « il y a lieu d’exiger la responsabilité

du chef d’entreprise principal, comme solidaire, dans les cas de marchés et il est décisif, dans ces cas-là, que le travail soit réalisé sous le contrôle et l’inspection de l’entreprise principale ou dans des lieux, centres de travail, dépendances ou installations de celle-ci et que, en outre, les fruits et les conséquences de ce travail aient une répercussion sur cette entreprise principale. Il se produit alors une situation particulière dans laquelle participent les employés du prestataire, le prestataire et aussi l’entreprise principale, situation dans laquelle des connexions et des interférences mutuelles sont présentes entre ces trois parties intégrées. Dans ce cas, il est parfaitement possible qu’une action négligente ou incorrecte du chef d’entreprise principal cause des dommages ou des préjudices à l’employé de la prestataire, voire que ce comportement soit la cause déterminante de l’accident de travail subi par ce dernier. C’est par conséquent, le fait de la survenance de l’accident dans la sphère de la responsabilité du chef d’entreprise principal en matière de sécurité et hygiène qui détermine, en cas de manquement, l’extension à celui-ci de la responsabilité dans la réparation 49 STSJ Galice du 26 novembre 2004 (JUR 2148272005). 50 « En définitive, si aucune responsabilité n’est attribuée, de la sous-traitante, entreprise pour laquelle les accidentés prêtaient directement les services..., cela ne pourra pas être fait en ce qui concerne la prestataire, ni la promotrice de l’ouvrage, raison pour laquelle il serait vain de faire un prononcé de responsabilité solidaire, lorsqu’il n’y a pas de responsabilité de l’employeur direct », STSJ Andalousie/Grenade du 16 juillet 2002 (AS 2781).

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du dommage causé. Mais il ne s’agit pas là d’un mécanisme d’élargissement de la garantie en fonction du marché, mais d’une responsabilité qui est dérivée de l’obligation de sécurité du chef d’entreprise pour tous ceux qui prêtent leurs services dans un ensemble de production qui se trouve sous son contrôle »51.

Telle est la conclusion aboutie dans l’unification de la doctrine, attendu

« qu’elle n’exclut pas que, lorsque l’activité sera réalisée dans le centre de travail de l’entreprise principale, avec ses instruments de production et sous son contrôle, il sera envisageable qu’une intervention négligente ou incorrecte du chef d’entreprise principal occasionne des dommages et intérêts à l’employé du marché, voire que cette action soit la cause déterminante de l’accident, et que de ce fait et, dans de tels cas, le chef d’entreprise principal puisse être en infraction. Il sera décisif dans ce cas, non pas que le marché soit constitué par la même activité mais que l’accident se soit produit pour une infraction imputable à l’entreprise principale et dans sa sphère de responsabilité »52.

Il semble clair que la responsabilité solidaire est exigée en cas

d’infraction administrative reprise dans la LISOS mais en ce qui concerne les autres aspects - civil, pénal, et de sécurité sociale - en l’absence de normes qui le considèrent ainsi, les tribunaux imposent la solidarité dans le domaine civil, jamais dans celui pénal.

D’autres difficultés apparaissent pour l’imposer pour les majorations,

dans la mesure où cette question a subi une importante évolution. Car, même si le Tribunal Central de Travail déclarait que la responsabilité solidaire du chef d’entreprise commettant ne s’étendait pas à cette majoration, (parce que l’accent était mis sur le caractère personnel et la nature de sanction de la responsabilité53), cette ligne jurisprudentielle, qui entendait que la responsabilité réglementée à l’article 123 de la loi générale sur la sécurité sociale (LGSS) ne pouvait pas être transférée à une entreprise autre que celle du travailleur accidenté a été rompue. En effet, la référence de l’article 42.2 du Statut des travailleurs à la responsabilité solidaire concernant les 51 SSTS du 18 avril 1992 (RJ 4849) et du 5 mai 1999 (RJ 4705) ou SSTSJ Castille et Léon/Valladolid du 4 juillet 2000 (AS 3396/2001) et Burgos du 18 novembre 2004 (AS 1693). 52 SSTS du 18 avril 1992 (RJ 4849) et du 16 décembre 1997 (RJ 9320). 53 STCT du 1er mars 1988 (RTCT 326).

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Les obligations des chefs d’entreprises en matière de prévention des risques…

Bulletin de droit comparé du travail et de la sécurité sociale 2006 197

obligations de la Sécurité sociale devait être entendue comme étant seulement faite à celles spécifiées à l’article 126.2 de la LGSS (à savoir, affiliation, inscription, radiation et cotisation).

Ainsi donc, la doctrine judiciaire plus moderne54, « étend cette

responsabilité au chef d’entreprise principal lorsqu’il est associé à l’infraction, en décrétant, en de nombreuses occasions, la condamnation solidaire des deux chefs d’entreprises mais à condition que des travaux ou services de la même activité aient été engagés, en consonance avec l’article 42 du Statut des travailleurs. Dans d’autres cas, il est exigé que l’accident se soit produit dans le centre de travail de l’entreprise principale et que celle-ci ait assumé les fonctions de surveillance et de contrôle »55.

Le critère déterminant de l’imposition de la majoration, selon la Cour

suprême, est le concept de chef d’entreprise infracteur et non pas celui d’employeur. Autrement dit, il s’agit de déterminer quels sont les chefs d’entreprises qui ont manqué à leurs obligations de prévention, dans la mesure où ce manquement se trouve dans la chaîne causale de l’accident. Il faut donc déclarer responsables solidaires de la majoration tous les chefs d’entreprise auxquels un manquement dans cette chaîne causale serait imputable et non pas ceux auxquels ce type de manquement ne serait pas 54 « La question est donc de savoir si cette extension de la responsabilité à tous les sujets obligés doit être étendue dans les mêmes termes à la majoration des prestations. Nous devons préciser, bien entendu, que dans la mesure où il s’agit d’une responsabilité solidaire, celle-ci peut être exigée par le créancier de l’un ou de tous les sujets, jusqu’à la satisfaction complète de la dette et ceci n’empêche pas que celui qui fera face au paiement puisse se retourner contre les codébiteurs en fonction de leurs relations internes. Par conséquent, rien n’empêche que la majoration soit imposée seulement à l’un des sujets éventuels responsables, puisque que si celui-ci estime que, en vertu de ses relations internes, il doit réclamer le paiement à un autre sujet, ainsi il pourra le faire à travers les procédures légales pertinentes dans chaque cas. Il pouvait avoir été entendu que la majoration des prestations devait continuer liée à la responsabilité des prestations, aussi absurde que ce soit du point de vue préventif et contre-indiqué sous la perspective de son efficacité pour encourager les mesures qui permettront d’éviter les accidents. De cette façon, la logique de l’année 1900 serait maintenue, en considérant la prestation comme une simple manifestation de responsabilité entrepreneuriale et la majoration de celle-ci comme obligation purement accessoire pour des cas déterminés », STSJ Cantabrie du 26 mai 2004 (JUR 76493). 55 STSJ Communauté de Valence du 29 juin 2004 (AS 3600).

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Bulletin de droit comparé du travail et de la sécurité sociale 2006 198

imputable. Ceci rend même possible la non-imposition de la majoration, comme cela s’est produit dans ce cas, à l’employeur mais à un autre chef d’entreprise, parce que ce dernier était l’infracteur56.

Les exemples fournis par les décisions judiciaires sont nombreux, il y a

donc lieu d’en citer quelques-uns : « l’accident de travail s’est produit, en premier lieu, à cause de l’absence des mesures de sécurité exigibles, dont l’observance et l’exécution étaient exigibles tant à l’entreprise prestataire pour laquelle l’accidenté travaillait, qu’à la propriétaire de l’ouvrage, puisque l’activité était réalisée en vertu du marché et appartenait au domaine de la propre activité de l’entreprise principale »57.

Dans le cas de marché et de sous-marché de travaux, la doctrine judiciaire

de certains tribunaux supérieurs de Justice affirme « que la responsabilité solidaire du chef d’entreprise principal doit être nuancée, en la rattachant à l’idée de chef d’entreprise infracteur de l’article 123 de la LGSS et, de cette façon, la responsabilité du chef d’entreprise principal doit être unie à une conduite négligente ou inappropriée, ou à l’absence de soins précis de sa part, ou à la non-adaptation de mesures pour éviter le risque qui, d’une certaine façon, lui seraient imputables »58.

En conséquence, le Tribunal suprême a déclaré que « c’est le fait de la

survenance de l’accident dans la sphère de la responsabilité du chef d’entreprise principal en matière de sécurité et d’hygiène qui détermine, en cas de manquement, l’extension à celui-ci de la responsabilité dans la réparation du dommage causé, car il ne s’agit pas d’un mécanisme d’élargissement de la garantie en fonction du marché, mais d’une responsabilité qui est dérivée de l’obligation de sécurité du chef d’entreprise pour tous ceux qui prêtent des services dans un ensemble de production qui se trouve sous son contrôle »59.

56 SSTS du 18 avril 1992 (RJ 4849) ou du 16 décembre 1997 (RJ 9320) ; SSTSJ Castille et Léon/Burgos du 8 juillet 2003 (AS 2590) et du 18 novembre 2004 (AS 1693). 57 STS du 22 novembre 2002 (RJ 510/2003). 58 STS du 5 mai 1999 (RJ 4705) et SSTSJ Castille et Léon/Valladolid du 29 décembre 2003 (AS 377/2004) et du 20 janvier 2004 (AS 645). 59 SSTS du 5 mai 1999 (RJ 4705) et du 22 novembre 2002 (RJ 510/2003).

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Les obligations des chefs d’entreprises en matière de prévention des risques…

Bulletin de droit comparé du travail et de la sécurité sociale 2006 199

Quoi qu’il en soit, la responsabilité de l’entreprise prestataire n’exonère pas la sous-traitante de sa responsabilité, comme il apparaît signalé par les tribunaux : « la responsabilité de l’entreprise qui, en sa qualité de constructrice de l’ouvrage qui était exécuté, devait vérifier, et ne l’a pas fait, que les techniciens qu’elle avait engagés avaient demandé les études préalables et les informations les plus élémentaires sur les conditions du terrain et sélectionné par conséquent la méthode de travail la plus adéquate; mais ceci n’exonère pas non plus de sa responsabilité l’autre entreprise, employeur direct du travailleur décédé, puisque c’est cette dernière qui l’avait engagé, pour laquelle il prêtait des services et celle qui le rémunérait. Elle était donc aussi garante de sa sécurité, même si cette protection des services était effectuée dans le centre de travail d’une autre entreprise, et elle avait l’obligation de s’assurer que le travail était réalisé dans des conditions de sécurité nécessaires. Or, cette obligation qui n’a pas été accomplie car elle ne s’était pas assurée de l’existence d’information préalable sur le type de terrain qui avait été creusé avant le début des travaux de construction du mur de soutènement »60.

De cette façon, « l’entreprise prestataire répond directement de

l’exécution des obligations établies en matière de prévention des risques professionnels et ce, indépendamment de la responsabilité solidaire qui pourrait être exigée à l’entreprise principale; responsabilité solidaire qui s’étend également en ce qui concerne les manquements encourus dans cette matière par les sous-traitants »61.

Au travers de cas concrets, les tribunaux ont estimé qu’il n’y pas de

responsabilité solidaire lorsque « l’entreprise commettante informe l’entreprise prestataire sur les risques professionnels et les mesures préventives des activités à réaliser dans les installations de celle-ci; elle remet une étude de sécurité à la prestataire pour l’engagement des travaux, afin que celle-ci élabore un plan de sécurité avec les critères qui y sont établis (…) ; et elle contrôle, moyennant des visites sur les lieux de travail, l’exécution des obligations en matière de sécurité »62.

60 STSJ Castille et Léon/Valladolid du 7 juin 1999 (AS 2723). 61 STSJ Castille et Léon/Valladolid, Contentieux-Administratif, du 16 mars 2004 (JUR 238486). 62 STSJ Castille et Léon/Valladolid du 20 janvier 2004 (AS 645).

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Il n’en va pas ainsi dans le cas paradigmatique, dans lequel on relève que « l’obligation de sécurité non exécutée ne lui est en aucun cas étrangère puisqu’elle a sous-traité l’ouvrage qui correspondait à sa propre activité et que l’accident s’est produit dans ses installations, même si l’accidenté appartenait à l’entreprise sous-traitante; en outre cet accident a été causé par une machine fournie par elle-même, et l’accident résulte précisément de l’état de déficience technique de cette machine (...) au sujet de laquelle elle n’a même pas donné les instructions les plus élémentaires »63.

« À certaines occasions, on ira y compris jusqu’à retenir la responsabilité

exclusive du chef d’entreprise principal pour déterminer la majoration de charges ; il faut alors démontrer que le chef d’entreprise sous-traitant avait mis tous les moyens et les éléments contractuels à sa portée, sans aucune infraction de sa part et que le travailleur accidenté prêtait ses services en suivant les ordres et les instructions de l’entreprise principale, exécuter son travail dans le cadre exclusif du pouvoir de direction et d’organisation de celle-ci »64.

63 STSJ Castille et Léon/Valladolid du 29 décembre 2003 (AS 377/2004). 64 Idem.

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ACTUALITÉS JURIDIQUES INTERNATIONALES

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Bulletin de droit comparé du travail et de la sécurité sociale 2006 203

ALGERIE L’actualité juridique de l’année 2006 est marquée en Algérie par la

promulgation, très attendue, du statut général de la fonction publique. La réforme de ce statut était annoncée depuis 1990 (année de la grande réforme du droit du travail), sans avoir pu aboutir jusque là. C’est désormais chose faite avec la publication au journal officiel de l’ordonnance n° 06-03 du 15 juillet 20061. Cette réforme était considérée comme nécessaire depuis l’adoption de la Constitution de 1989 (révisée en 1996), et l’abrogation de la loi du 5 août 1978 relative au Statut Général du Travailleur (SGT).

Le droit des agents de l’État, en Algérie, vient de connaître ainsi le

troisième changement depuis l’indépendance (année 1962). Le premier changement, qui marquera un début de rupture avec le droit français, s’était produit en 1966 avec l’ordonnance du 2 juin 1966. Le deuxième aura lieu en 1978 avec la loi relative au SGT.

La publication de ce texte fournit l’occasion d’apprécier dans quelle

mesure les réformes libérales, engagées depuis la fin des années 1980, auraient influencé la pénétration du droit commun du travail dans les relations de travail entre personnes publiques - employeurs - et agents de l’État - travailleurs -.

En effet, dans les rapports préliminaires annonciateurs de cette réforme, il

avait été fortement question de s’orienter vers un rétrécissement de la sphère de la fonction publique soumise aux règles de droit public, au profit d’une introduction plus large des normes et institutions du droit commun du travail dans les relations entre les agents de l’État et les administrations publiques qui les emploient. C’est d’ailleurs, au moins pour partie, en raison de cette orientation que la réforme du statut de la fonction publique a rencontré des résistances qui ont contribué à retarder son aboutissement. En tout cas, les syndicats se sont montrés farouchement hostiles au projet d’élargissement du champ de la contractualisation dans le secteur de la fonction publique, sans préjuger d’ailleurs de la nature publique ou privée du droit à appliquer.

Pour comprendre l’intérêt de ce débat, en Algérie, il est nécessaire de

rappeler brièvement l'évolution du rapport entre le droit des agents de l’État

1 Journal officiel de la République algérienne n°46, du 16 juillet 2006, p. 3.

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Algérie

Bulletin de droit comparé du travail et de la sécurité sociale 2006 204

et le droit du travail au cours de quatre décennies au gré de l’orientation idéologique dominante.

Dans un premier temps, l’évolution de l’encadrement juridique des

relations de travail dans l’Algérie post-indépendance a d’abord été marquée, par une différentiation entre le droit applicable aux agents de l’État et le droit applicable aux salariés dans les entreprises privées. La mise en place progressive du secteur public économique s'est, par contre, traduite en matière de statut des travailleurs par des dispositions éparses et incomplètes et parfois sans cohérence.

Dans une deuxième période, l’affirmation de l’orientation socialiste, se

traduit par l’unification totale des régimes juridiques de la relation individuelle de travail. Ce sont les mêmes textes (le SGT et les lois et règlements pris pour son application) qui s’appliquent indifféremment aux Agents publics (fonctionnaires ou contractuels), aux travailleurs des entreprises d’État et aux salariés des entreprises privées. Les institutions et techniques juridiques mises en œuvre par le S.G.T sont influencées aussi bien par le droit public que par le droit privé. La différentiation subsiste, par contre, dans l’organisation juridique des rapports collectifs de travail, entre le secteur public (comprenant la fonction publique et les entreprises d’État), d’une part, et le secteur privé d’autre part.

La réforme du droit du travail intervenue en 1990 ouvre une troisième

période qui change le tracé par lequel passe la frontière séparant les systèmes juridiques d’encadrement des relations de travail. Ainsi, le droit du travail, dans sa dimension individuelle, a vocation à s’appliquer exclusivement et de façon indifférenciée aux salariés des entreprises privées et à ceux des entreprises publiques. La loi du 21 avril 1990, par contre, renvoie à des dispositions législatives et réglementaires spécifiques pour régir les agents publics. Cette distinction n'est pas aussi nettement affirmée lorsqu’il s’agit de l’application du droit du travail dans sa dimension collective. Certains régimes juridiques (négociation collective, droit des conventions collectives) ont vocation à s’appliquer exclusivement aux rapports entre salariés et employeurs privés ou publics, dans le secteur économique. Alors que pour certaines matières (exercice du droit syndical, droit de grève) le droit est totalement unifié. Le législateur ne prend pas ici en considération le statut juridique de l’employeur. Et c’est finalement cette tendance qui est confirmée, quinze ans après, par l’ordonnance de juillet 2006.

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Relation individuelle de travail. Dans les matières qui intéressent la

relation individuelle de travail, l’alignement du régime juridique du personnel de la fonction publique sur le droit commun du travail reste limité.

L’ordonnance de juillet 2006 ne consacre pas la substitution de la

fonction publique de l’emploi à la fonction publique de carrière, comme il en avait été question lors des discussions sur la réforme. Le principe est que la personne nommée dans un emploi public est fonctionnaire. Elle est de ce fait, vis-à-vis de l’administration qui l’emploi dans une situation statutaire et réglementaire. La mission au service de l’État reste par ailleurs, exceptionnellement, exclusive de toute activité lucrative, à titre privé, de quelque nature que ce soit. Ainsi la situation statutaire ne peut être cumulée avec un contrat de travailleur salarié ou de dirigeant d’entreprise, fusse-t-elle publique2.

La contractualisation n’a pas connu finalement une avancée considérable.

Le recours à des agents contractuels au service de l’État, ne concerne que les emplois correspondants à des activités d’entretien, de maintenance ou de service : c’est-à-dire les emplois communs à tous les secteurs d’activités.3 Si l’on devait s’en tenir aux dispositions de l’ordonnance précitée (en attendant d’éventuelles précisions dans les textes d’application), on relèvera que le choix du type de contrat n’est pas soumis aux contraintes qu’impose le droit commun du travail. Les institutions et administrations publiques peuvent recruter au moyen de contrats à durée indéterminée ou à durée déterminée, à temps plein ou à temps partiel, sans être tenues par aucune condition particulière quant à la détermination de la durée du contrat, ou de celle du temps de travail. Ainsi, même s’il est limité à certains types d’emploi, le régime contractuel dans la fonction publique est bien plus libéral que celui du droit du travail.

2 Seuls les fonctionnaires appartenant aux corps des enseignants de l’enseignement supérieur, des chercheurs et des praticiens médicaux spécialistes peuvent exercer une activité lucrative, à titre privé, en rapport avec leur spécialité. 3 À titre exceptionnel, il peut être procédé au recrutement d’agents contractuels sur des emplois destinés à des fonctionnaires en vue de pourvoir à la vacance momentanée d’un emploi, ou en attendant le recrutement d’un fonctionnaire. Le recours au contrat est également destiné au recrutement d’agent « pour la prise en charge d’opérations revêtant un caractère conjoncturel ».

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Il est remarquable que le fait que le contrat soit destiné à pourvoir des emplois qui ne sont pas caractéristiques de la fonction publique, mais commun à tous les secteurs d’activité, n’a pas conduit le législateur à le soumettre au régime de droit privé. Ainsi, les agents contractuels sont exclus du statut général de la fonction publique, tout en restant des personnels de droit public. Ni fonctionnaires, ni salariés contractuels de droit privé, ils sont appelés à être régis, en dehors du champ du statut de la fonction publique et de celui du droit du travail, par une réglementation appropriée annoncée par l’ordonnance précitée. C’est donc une question à suivre.

Rapport collectif de travail. Dans la fonction publique, les dispositions

légales et réglementaires se suffisent à elles-mêmes. La situation des fonctionnaires et des agents contractuels reste déterminée unilatéralement et exclusivement par l’État. Contrairement à ce qui a pu être envisagé -et en tout cas discuté- au moment de la préparation de la réforme, l’ordonnance qui vient d’être promulguée ne fait aucune place à la négociation collective et aux conventions et accords collectifs de travail lorsqu’il s’agit de déterminer les conditions de travail des agents de l’État -les contractuels y compris- même s’il y a consultation des organisations syndicales, et concertation avec elles, sur nombre de questions. C’est ainsi que les syndicats sont appelés à être fortement impliqués dans l’élaboration des statuts particuliers qui viendront préciser pour les différents corps de fonctionnaires les dispositions du statut général.

Mais dans d’autres matières importantes, intéressant les rapports

collectifs de travail, s’affirme l’unité du droit, sans considération pour le statut juridique de l’employeur. Ainsi le syndicalisme et la grève sont admis dans la fonction publique sans aucun particularisme. C’est le droit commun du travail qui s’applique.

L’ordonnance de juillet 2006 dispose que le fonctionnaire exerce le droit

syndical et le droit de grève dans le cadre de la législation en vigueur. Cette législation n’est autre que celle promulguée en 1990, à la faveur de la réforme du droit du travail. On doit toutefois observer que les agents publics et les travailleurs salariés ne sont pas concernés par les mêmes procédures de règlement des conflits collectifs de travail qui s’appliquent obligatoirement avant que ne puisse être envisagé légalement le recours à la grève. Mais une fois ces procédures satisfaites, ces deux catégories de personnel sont soumises au même régime juridique légal de la grève. Il est vrai cependant

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que l’énumération faite par le législateur des cas d’organisation obligatoire du service minimum, et aussi des cas d’interdiction de la grève fait apparaître que les services et les personnels concernés appartiennent pour la plupart au secteur de la fonction publique.

Finalement, il apparaît que l’orientation libérale des réformes

institutionnelle et économique engagées depuis la fin des années 80, n’a pas eu pour effet d’unifier, dans le sens d’une plus grande domination du droit privé, l’ensemble des régimes juridiques des travailleurs salariés, indépendamment du statut juridique de leur employeur, comme, en son temps, l’orientation socialiste l’avait fait dans le sens d’une plus grande emprise du droit public. Au plan de l’encadrement juridique des relations individuelles de travail, la réforme du droit du travail d’avril 1990 d’abord, et celle du droit des agents de l’État de juillet 2006, ensuite, consacrent le retour à la dualité, en distinguant d’une part, les agents publics, qu’ils soient vis-à-vis de l’administration dans une situation statutaire ou contractuelle, et d’autre part, les salariés de droit privé, qu’ils soient employés par une entreprise privée ou une entreprise d’État. Par contre, au plan des rapports collectifs de travail, l’orientation libérale a revalorisé et unifié les régimes juridiques relatifs à l’exercice du droit syndical et du droit de grève. Dans ces matières, les employeurs publics et privés, les agents publics et les salariés du secteur marchand sont soumis aux mêmes normes.

L'adoption d'un statut général de la fonction publique, en 2006, après tant

d'atermoiements et une résistance farouche des fonctionnaires et de leurs représentants, met fin à ce que l'on a appelé « un vide juridique ». Il conforte les différentes catégories de fonctionnaires dans leurs statuts particuliers et il consacre les acquis des fonctionnaires en matières de droits collectifs.

Mahammed Nasr-Eddine Koriche

Université d’Alger

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ALLEMAGNE

L’année 2006 a été surtout marquée, en droit du travail, par l’arrivée au pouvoir de la deuxième « grande coalition » entre le parti social-démocrate (SPD) et les deux partis chrétien-démocrates (CDU et CSU)1 aux élections fédérales de septembre 2005 qui ont conduit à l’échec l’ancien gouvernement fédéral social-démocrate/vert de Gerhard Schroeder (SPD). Après une phase d’activité extrême, pour ne pas dire fiévreuse, en matière de droit du travail sous l’ancienne majorité, force est de constater que le nouveau gouvernement de la chancelière Angela Merkel (CDU) a ralenti significativement le développement législatif dans ce domaine.

I - L’agenda de la grande coalition en droit du travail

Cela peut étonner, si l’on considère que la réforme du marché du travail

et du droit du travail a joué un rôle très important pendant la campagne électorale de l’été 2005. En particulier, la protection contre le licenciement telle qu’elle est fixée dans la loi relative à la protection contre le licenciement (Kündigungsschutzgesetz) avait fait l’objet de critiques du parti libéral (FDP) et de la CDU/CSU. Les chrétiens-démocrates, par exemple, avaient proposé de relever le seuil d’effectif de la protection contre le licenciement (section 23 al. 1 de la loi relative à la protection contre le licenciement) de 10 salariés à 20 salariés (calculées en fonction de leur temps de travail). Cela entraînait qu’un grand nombre de salariés ne soient plus couverts par le régime légal de la protection contre le licenciement. Le parti social-démocrate, en revanche, s’était fortement opposé à une telle déréglementation de la protection contre le licenciement. Un autre thème de la campagne électorale était la légalisation des accords dérogatoires passés entre un employeur et le conseil d’établissement (Betriebsrat) et la réduction du niveau de protection déterminé par la convention de branche applicable. Ces accords sont souvent appelés des « alliances pour l’emploi » (Bündnisse für Arbeit). Comme le tribunal fédéral du travail, dans une importante décision du 20 avril 19992, a déclaré illicites les accords dérogatoires, à

1 La première « grande coalition » s’est établie dans les années 1966-1969, sous le Chancelier Kurt Geog Kiesinger (CDU). 2 Arbeitsrechtliche Praxis (AP) n° 89 zu Art. 9 Grundgesetz. Sur la problématique des nombreuses « alliances pour l’emploi » au niveau de l’entreprise, v. A. Seifert,

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moins qu’ils soient autorisés par une clause d’ouverture insérée dans une convention de branche, les chrétiens-démocrates, aussi bien que les libéraux, voulaient « flexibiliser » le régime des conventions collectives en autorisant l’employeur et le conseil d’établissement à conclure un accord dérogatoire lorsque l’entreprise connaît des difficultés économiques sérieuses. En revanche, les sociaux-démocrates s’opposaient vivement à une déréglementation du régime des conventions collectives. Un troisième domaine du droit du travail débattu pendant la campagne électorale était le régime de cogestion, qui est soumis à de fortes pressions politiques depuis quelques années3 : les chrétiens-démocrates se sont déclarés en faveur d’une réforme, tandis que le parti social-démocrate voulait maintenir le régime de la cogestion.

En raison de ces différences politiques profondes entre les chrétiens-

démocrates et les sociaux-démocrates sur la réforme du droit du travail, il n’est pas étonnant que la « grande coalition » soit bâtie sur un compromis politique très fragile, qui conduit à écarter les sujets les plus controversés entre les partenaires. C’est la raison pour laquelle l’accord passé entre la CDU/CSU et la SPD du 11 novembre 20054 ne prévoit que peu de réformes concrètes en droit du travail. Quant à la protection contre le licenciement, l’un des domaines les plus controversés entre les chrétiens-démocrates et les sociaux-démocrates, il a été décidé de prolonger de six mois à deux ans la période d’essai prévue par la section 1 al. 1 de la loi relative à la protection

La durée du travail à l’origine de l’évolution des niveaux de négociation collective en Allemagne : I. Daugareilh et P. Iriart (dir.), Leçons d’une réduction de la durée du travail, MSHA, 2004, p. 158 et s. 3 V. la loi relative à la cogestion de 1976 (Mitbestimmungsgesetz) qui garantit une participation à nombre égal des salariés dans les conseils de surveillance des S.A., des S.A.R.L., des sociétés coopératives et des mutuelles comportant au moins 2.000 salariés. Une forte critique de la cogestion a été formulée dans un rapport de la confédération allemande de l’industrie (Bund der Deutschen Industrie – BDI) et de la confédération allemande des groupements patronaux (Bundesvereinigung Deutscher Arbeitgeberverbände – BDA) : v. Bericht der Kommission Mitbestimmung von BDI und BDA, Mitbestimmung modernisieren, en ligne sur : http://www.bda-online.de/www/bdaonline.nsf/id/Unternehmensmitbesti. 4 Gemeinsam für Deutschland. Mit Mut und Menschlichkeit. Koalitionsvertrag zwischen CDU, CSU und SPD. En ligne sur : http://koalitionsvertrag.spd.de/servlet/PB/menu/-1/index.html.

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contre le licenciement5. En contrepartie, le régime des contrats à durée déterminée devra être règlementé plus strictement : la possibilité de recourir à ce type de contrat sans que l’indication du motif précis soit nécessaire, jusqu’à une durée de deux ans (section 14 al. 2 de la loi relative au travail à temps partiel et aux contrats à durée déterminée [Teilzeit- und Befristungsgesetz]) devrait être abrogée. Mais jusqu’à présent, le gouvernement fédéral n’a pas présenté de projet de loi visant à modifier la loi relative à la protection contre le licenciement et la loi relative au travail à temps partiel et aux contrats à durée déterminée. Cette inactivité du gouvernement fédéral s’explique notamment par le mouvement de protestation du printemps 2006 contre le contrat première embauche (CEP) en France, que l’on a bien observé en Allemagne ; elle s’explique aussi par la déclaration faite par les groupements patronaux en défaveur d’une limitation des contrats à durée déterminée conclus sans motif précis selon la section 14 al. 2 de la loi relative au travail à temps partiel et aux contrats à durée déterminée. Bien que de temps en temps revienne le débat sur la réforme de la protection contre le licenciement, il n’y a pas à attendre du gouvernement fédéral, dans un avenir proche, un nouveau projet de réforme.

En ce qui concerne le régime de la cogestion, la « grande coalition » s’est

mis en accord de « maintenir le régime de la cogestion et de le mettre à jour »6. Toutefois, l’accord de coalition ne prévoit pas de projets concrets de réforme. Il se limite à déclarer son intention de reprendre les recommandations – faites à l’unanimité – par la commission gouvernementale sur la réforme de la cogestion, présidée par Kurt Biedenkopf (CDU), l’ancien premier ministre de Saxe et professeur de droit du travail et de droit économique7. Le rapport de la commission est attendu

5 Art. n° 2.7.1 de l’accord de coalition. 6 Art. n° 2.7.4 de l’accord de coalition. 7 Biedenkopf présidait déjà une commission gouvernementale sur la cogestion (Mitbestimmungskommission) en 1969 et 1970, qui avait été créée par le gouvernement fédéral social-démocrate et libéral de Willy Brandt pour analyser les expériences faites dans le domaine de la cogestion dite « paritaire » dans le secteur minier et sidérurgique (Montanmitbestimmung) ; le rapport de cette commission a servi de base pour l’élaboration de la loi de 1976 sur la cogestion. Dans la nouvelle (deuxième) commission sur la cogestion créée également sous l’ancien gouvernement de Gerhard Schroeder, participent en nombre égal (3) des représentants du mouvement syndical appartenant à la confédération allemande des

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Bulletin de droit comparé du travail et de la sécurité sociale 2006 211

pour la fin de l’année 2006. D’autres réformes en discussion portent sur la réduction de la taille des conseils de surveillance – selon l’industrie, les conseils cogérés comportent trop de membres – et sur l’intégration des salariés employés dans des établissements à l’extérieur de l’Allemagne dans le système de cogestion. Une solution en discussion consisterait à reprendre le modèle de la société européenne et d’autoriser par la loi des négociations sur la cogestion.

L’accord de coalition prévoit également l’extension aux services de

nettoyage de la loi du 26 février 1996 relative au travail détaché (Arbeitnehmer-Entsendegesetz)8. Pour l’instant, la loi ne prévoit la possibilité de déterminer un salaire minimum que pour les travailleurs détachés du secteur de la construction. En août 2006, le gouvernement fédéral a lancé un projet de loi visant à étendre la loi au secteur du nettoyage 9 : la procédure parlementaire n’est pas encore terminée à ce jour (octobre 2006).

II - La loi relative au remboursement des frais d’employeurs

La seule loi du travail qui ait été adoptée par la nouvelle majorité depuis son arrivée au pouvoir est la loi du 22 décembre 2005 relative au remboursement des frais d’employeurs (Aufwendungsausgleichsgesetz)10. Elle réforme la procédure de remboursement à payer par l’assurance-maladie aux employeurs lorsqu’ils maintiennent la rémunération du salarié en cas de maladie ou de grossesse. syndicats (Deutscher Gewerkschaftsbund – DGB) et du patronat appartenant à la confédération des groupements patronaux allemands (Bundesvereinigung Deutscher Arbeitgeberverbände – BDA), plus deux membres neutres. 8 Art. n° 2.7.2 de l’accord de coalition. 9-Le texte du projet de loi peut être obtenu en ligne : http://dip.bundestag.de/brd/2006/0620-06.pdf. 10 Gesetz über den Ausgleich von Arbeitgeberaufwendungen und zur Änderung weiterer Gesetze, Bundesgesetzblatt (J.O.) Partie I, pp. 3686 et s. Pour une analyse plus approfondie de la nouvelle loi, v. R. Giesen, Arbeitsmarktpolitische Maßnahmen der großen Koalition – Neuregelungen 2006, in: Neue Juristische Wochenschrift (NJW) 2006, p. 721-728, et H. Buchner, Sicherung des Mutterschaftsgeldzuschusses durch das Aufwendungsausgleichsgesetz – Beseitigung der Verfassungswidrigkeit des § 14 MuSchG – Neues Umlageverfahren, in: Neue Zeitschrift für Arbeitsrecht (NZA) 2006, p. 121-126.

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D’après la loi relative au maintien de la rémunération

(Entgeltfortzahlungsgesetz), l’employeur est tenu de maintenir la rémunération contractuelle en cas de maladie du salarié pendant six semaines maximum. Afin d’atténuer les charges financières résultant de cette obligation pour les petites entreprises, l’ancienne loi (section 10 Lohnfortzahlungsgesetz) prévoyait que les employeurs de moins de 20 salariés – effectif calculé en fonction du temps de travail – devaient obtenir de la part de l’assurance-maladie un remboursement à hauteur de 80% de la rémunération payée à un ouvrier malade : le remboursement des rémunérations payées à des employés malades n’était pas prévue. Cette distinction entre ouvriers et employés était fortement critiquée par la doctrine, qui considérait qu’il constituait une violation du principe constitutionnel de non discrimination (art. 3 al. 1 de la Constitution de la R.F.A.)11. L’ancienne loi assurait le financement du remboursement par un prélèvement, auquel étaient soumis tous les employeurs de moins de 20 salariés. Il s’agit donc d’un mécanisme d’assurance. La nouvelle loi relative au remboursement des frais d’employeurs a en revanche élargi le remboursement aux dépenses de l’employeur pour les salaires des employés en cas de maladie et a relevé le seuil d’effectif pour le remboursement de 20 à 30 salariés, calculé pro rata temporis (section 1 al. 1). Malgré ses bonnes intentions de renforcer la protection des petites entreprises, la nouvelle loi est fortement critiquée par les groupements patronaux comme un instrument qui augmente la « bureaucratisation » des petites entreprises : car l’employeur est tenu de suivre la procédure de prélèvement et de remboursement non seulement avec une seule assurance-maladie mais avec toutes les assurances-maladie dans lesquelles ses salariés sont assurés.

La nouvelle loi réforme également le remboursement au profit des

employeurs, lorsqu’ils sont tenus de maintenir le paiement du salaire en raison de la grossesse d’une salariée. Selon la loi relative à la protection des mères (Mutterschutzgesetz), l’employeur est obligé de maintenir la rémunération d’une salariée enceinte lorsqu’un médecin interdit son emploi pour des raisons de santé (section 11). En outre, l’employeur doit verser la différence entre la rémunération habituelle des salariées enceintes et 11 V. par ex. C.-W. Canaris, Das Fehlen einer Kleinbetriebsregelung für die Entgeltfortzahlung an kranke Angestellte als Verfassungsverstoß, in: Recht der Arbeit (RdA) 1997, p. 267-277.

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Allemagne

Bulletin de droit comparé du travail et de la sécurité sociale 2006 213

l’allocation payée par l’administration publique (Mutterschaftsgeld) pendant six semaines avant et huit semaines après l’accouchement (section 14 al. 1). L’ancienne loi ne prévoyait le remboursement des frais de rémunération que pour les petits employeurs, de 20 salariés au plus (section 10 Lohnfortzahlungsgesetz). La réforme de la loi a été rendue nécessaire par un arrêt du tribunal constitutionnel en date du 18 novembre 200312, déclarant inconstitutionnelle l’obligation de l’employeur de payer la différence entre l’allocation payée par l’administration publique et la rémunération habituelle d’une salariée enceinte ayant le droit de refuser le travail pour raisons de santé. D’après le tribunal constitutionnel, cette obligation peut inciter à une discrimination sur le marché du travail à l’encontre des jeunes femmes et viole l’obligation de l’Etat de promouvoir l’égalité des chances entre les sexes (art. 3 al. 2 de la Constitution de la R.F.A.). La nouvelle loi relative au remboursement des frais d’employeurs tente d’éviter ce risque de discrimination en ne limitant plus le remboursement en faveur des petites entreprises, mais en visant tous les employeurs quelle que soit leur effectif salarié. En conséquence, d’après la nouvelle règle, chaque employeur a droit à un remboursement à hauteur de 100% des rémunérations versées aux salariées enceintes libérées de leur obligation de travail pour des raisons de santé.

Achim Seifert Johann Wolfgang-Goethe Universität, Francfort/Main

12 Neue Juristische Wochenschrift (NJW) 2004, p. 146 et s.

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Bulletin de droit comparé du travail et de la sécurité sociale 2006 214

ARGENTINE

Après la très grave crise déclenchée à la fin de l’année 2001, l’Argentine a pris, à partir de la deuxième moitié de 2003, le chemin de la reprise et de la croissance. Pour l’année 2006, la croissance estimée est de l’ordre de 9 %1. Le chômage, qui à la fin du deuxième trimestre de 2005 atteignait les 12.1%, est passé à 10,4 % à la fin du mois de juin 2006.

Une amélioration est également enregistrée par les indicateurs du travail

irrégulier et du salaire réel. Le taux d’irrégularité - travail non déclaré - se situe aujourd’hui autour de 44,1 %, alors que l’année auparavant - en juin 2005 - il s’élevait à 47,5 %2. Le salaire réel, après la clôture du premier semestre de 2006, montre à son tour une hausse de l’ordre de 4,4 % pour toute l’économie, et qui s’élève à 6,2 % si l’on considère seulement le secteur privé formel.

Le salaire minimum vital (salaire minimum absolu auquel a droit un

travailleur dépendant), qui atteignait en juillet 2005 la somme de $630 (autour de 160 euros, au taux de change actuel) a été augmenté - après une nouvelle intervention du Conseil national de l’emploi du 28 juillet 2006 - et s’élève ainsi à la somme totale de $ 800 (soit une hausse d’environ 200 Euros).

Sur le plan législatif, entre octobre 2005 et octobre 2006, le droit du

travail argentin a connu les modifications suivantes : Le 10 avril 2006 a été promulguée la loi n° 24522 portant sur la réforme de la législation sur les procédures de redressement judiciaire et les faillites. La nouvelle loi renforce la protection des créances de travail dans la procédure de redressement et restitue aux juridictions du travail leurs compétences pour l’instruction des procédures à l’encontre du failli, alors que selon le régime

1 Dans notre rapport de l’année 2005, nous donnions pour cette année une projection de 8 %, mais les chiffres définitifs ont atteint 9,2 %. 2 L’Argentine avait eu, jusqu’à la décennie des années 80, des taux d’irrégularité qui ne dépassaient pas 25 %; c’est dans les années 90 que les niveaux proches de 48 % et, à leur tour, de la moyenne latinoaméricaine ont été atteints.

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Argentine

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légal précédent, cette instruction relevait de la compétence du tribunal de commerce devant lequel était engagée la procédure de redressement judiciaire. Le 19 avril 2006 a été promulguée la loi n° 26089. Elle a déclaré jours non ouvrés pour tous les habitants de la Nation argentine de confession juive, les jours du Nouvel An juif (deux jours), le jour du Pardon (un jour) et les jours de la Pâques juive (les deux premiers et les deux derniers jours de la semaine). Peu après, le 21 avril 2006, la loi n° 26088 a été promulguée. Elle a établi que, dans le cas où l’employeur outrepasserait ses fonctions dans l’exercice de son “ius variandi” – à savoir, s’il modifiait les conditions essentielles de travail du salarié, ou s’il le faisait de manière déraisonnable, ou encore s’il causait un dommage moral ou patrimonial suite à l’exercice de son pouvoir de direction, – le travailleur pourrait opter le fait de se considérer en situation de licenciement indirect ou de rester à son poste et de demander au juge le rétablissement des conditions altérées. Le régime en vigueur jusqu’alors ne l’autorisait qu’à mettre fin au contrat. La loi n° 25561 avait majoré de 100 % les indemnités pour licenciement injustifié des travailleurs embauchés avant le 1er janvier 2003. Cette mesure avait été adoptée dans le cadre de l’énorme crise qu’a connue l’Argentine à partir de 2001. Il s’agissait de décourager les licenciements qui s’étaient alors généralisés. Cette majoration reste en vigueur. Mais elle a subi des « coupures » successives, la dernière en date de novembre 2005 la réduisait à 50 %. Il est prévu que ce processus de limitation se poursuivra jusqu’à la suppression de ladite majoration.

Dans le rapport publié l’an passé dans cette revue, nous présentions deux

questions qui se trouvaient alors en attente et dont le traitement législatif ou réglementaire avait été retardé. Il s’agissait,

1. de la réforme de la loi sur les risques professionnels, après la déclaration d’inconstitutionnalité de son article 39, qui ne permettait au travailleur que de poursuivre le recouvrement de l’indemnité tarifée prévue dans le régime spécial et non d’ouvrir une procédure civile pour accéder à une réparation intégrale du dommage subi et

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Argentine

Bulletin de droit comparé du travail et de la sécurité sociale 2006 216

2. de la réglementation de la grève dans les services essentiels pour la communauté, sachant que le décret 843/00 d’application de la loi n°25.250, pourtant abrogée, restait en vigueur.

Lors de l’élaboration de ce rapport, la loi sur les risques professionnels

(LRT) n’a pas été réformée car le gouvernement n’est pas encore parvenu à élaborer un projet qui dispose du soutien des interlocuteurs syndicaux et des chefs d’entreprise.

En revanche, le 10 mars 2006 a été adopté le décret n° 272 sur la grève

dans les services essentiels. En vertu de ce texte, a été mise en place la Commission des Garanties composée de cinq membres « dont la réputation technique, professionnelle ou académique est reconnue en matière de relations professionnelles, de droit du travail ou de droit constitutionnel… ». Ils sont désignés par le pouvoir exécutif sur proposition des organisations d’employeurs et de travailleurs les plus représentatives, de la fédération argentine des Barreaux d’Avocats et du Conseil Interuniversitaire National (...) ». Chacune des entités mentionnées propose 3 candidats dont l’un sera choisi et désigné par le pouvoir exécutif qui, en outre, désignera directement le cinquième membre de la Commission.

Cette Commission des Garanties dispose de la faculté de qualifier

exceptionnellement comme service essentiel une activité qui n’aurait pas été ainsi qualifié expressément par la loi. La commission a aussi pour fonction de conseiller l’autorité chargée d’établir les services minimums nécessaires quand les parties ne parviennent pas à se mettre d’accord. Elle a pour rôle également de se prononcer – à la demande du ministère de Travail – sur des questions relatives à l’usage de mesures d’action directe. Elle doit aussi faire le nécessaire, sur demande de l’autorité compétente quand les parties impliquées dans le conflit le demanderont d’un commun accord. Enfin, la Commission a pour mission de consulter les organismes régulateurs des services impliqués par le conflit, les associations de défense des usagers ou les institutions nationales et étrangères expertes dans le domaine considéré.

La norme pose l’obligation pour la partie au conflit qui propose de

recourir à la grève de respecter un délai de préavis d’au moins cinq jours. Durant ce délai, les parties au conflit devront trouver un accord sur les services minimums à assurer, ou communiquer à l’autorité compétente ceux qui auraient été ainsi qualifiés préalablement par accord collectif. À défaut

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Argentine

Bulletin de droit comparé du travail et de la sécurité sociale 2006 217

d’accord, les services minimums seront fixés par l’autorité compétente après consultation de la Commission des Garanties. Des sanctions sont prévues en cas de manquement aux normes établies par ce décret.

Adrián O. Goldin Université de San Andres et Université de Buenos Aires

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Bulletin de droit comparé du travail et de la sécurité sociale 2006 218

AUSTRALIE

I - La loi sur les choix dans le travail – (Work Choices Act)

La modification de la Loi sur les relations de travail adoptée en 2005,

Workplace Relations Amendment (Work Choices) Act 2005, (Cth) (Loi sur les choix dans le travail) a éclipsé toutes les autres réformes législatives en Australie durant la période 2005-20061. Elle marque le changement le plus extrême qui soit intervenu en droit du travail en Australie depuis plus d’un siècle. Elle poursuit la mise en œuvre d’une politique, adoptée de longue date par le gouvernement conservateur, qui tend à décloisonner les marchés du travail et à renforcer la flexibilité, la productivité et la compétitivité de l’industrie.

La promulgation de cette loi s’inscrit dans un contexte politique

particulier dû au fait que le gouvernement de coalition libérale du premier ministre John Howard a obtenu une majorité sans précédent dans les deux Chambres du Parlement lors des élections de 2004. La déclaration (Bill) fut présentée au Parlement le 2 novembre 2005 et, après plusieurs modifications mineures, a été adoptée la loi du 14 décembre 2005, la plupart des dispositions de fond n’étant pas entrées en vigueur avant le 27 mars 2006.

La loi Work Choices Act marque la fin du système de conciliation et

d’arbitrage pour la prévention et le règlement des différends en place depuis plus d’un siècle en Australie2. La radicalité de cette réforme tient au fait qu’elle met en cause des dispositions constitutionnelles3. Cette réforme a été principalement soutenue par le Parlement fédéral en charge de la réglementation des sociétés étrangères, des sociétés commerciales et financières4, et dans une moindre mesure de la réglementation du commerce inter-étatique et Outre-mer, de la fonction publique australienne, des

1 Voir l’analyse de la législation in Australian Journal of Labour Law, vol. 19, n° 2, 2006. 2 Voir la Loi de 1904 de conciliation et d’arbitrage du Commonwealth (Cth). 3 Le 13 Novembre 2006, la Haute Cour a néanmoins décidé que la loi sur les choix dans le travail est conforme à la Constitution: New South Wales v Commonwealth [2006] HCA 52. 4 Constitution Australienne, s 51(xx).

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Australie

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territoires d’Australie et des affaires étrangères5. Les lois relatives à la conciliation et à l’arbitrage6 font désormais partie des dispositions transitoires.

Un système national

La loi Work Choices Act établit un nouveau système national de réglementation visant à éliminer les difficultés soulevées par le partage fédéral du pouvoir. Le droit du Commonwealth prévaut désormais sur le droit des États dans le domaine du travail7. De manière générale, à l’exception des travailleurs des services publics des États, l’ensemble des employeurs et des salariés est régi par la nouvelle loi8. Les travailleurs qui relevaient du droit des États avant le 27 mars 2006 relèvent désormais du champ d’application du système juridique fédéral. La loi des États reste applicable aux employeurs et aux employés fédéraux sur certains aspects (loi contre les discriminations par exemple) ou sur des questions « non exclues » par la loi, dont les pensions de retraite, la santé et la sécurité au travail, le travail indépendant et le travail des enfants.

Un nouveau système de réglementation

La loi Work Choices Act crée une nouvelle commission australienne, Fair Pay Commission (AFPC)9, approximativement calquée sur la Commission britannique, Low Pay, dont la mission est de proposer un niveau minimum de rémunération. Cette commission est habilitée à revaloriser le salaire minimum fédéral et à réglementer les salaires précédemment régis par décisions arbitrales industrielles.

Ce pouvoir d’arbitrage industriel, véritable pilier du système de

réglementation australien traditionnel, a profondément été modifié par la nouvelle loi10. La Commission australienne des relations industrielles (AIRC) n’est plus habilitée à rendre de sentences arbitrales ni à les modifier, et les causes qui, par le passé, permettaient aux syndicats, aux employeurs,

5 Ibid, ss 51(i), 51(xxix), 52(ii), et 122. 6 Ibid, s51 (xxxv). 7 Loi sur les relations en milieu de travail de 1996, Workplace Relations Act 1996, (Cth), ss 16-18. 8 Ibid, ss 5-7. 9 Ibid, Pt 2. 10 Ibid, Pt 10.

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Australie

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au gouvernement et aux organismes communautaires d’avoir voix au chapitre pour actualiser les normes ont disparu avec la nouvelle loi. Un Comité d’examen des décisions aura pour mission de conseiller le ministre aux fins de rationaliser et de simplifier ces décisions, une procédure qui sera mise en place par l’AIRC sous le contrôle du ministre.

L’AIRC joue encore un rôle dans le règlement des conflits. Mais elle

n’encadre plus ni ne supervise les accords de travail, une fonction désormais assumée exclusivement par le Bureau de défense de l’emploi. Le gouvernement dispose désormais d’un pouvoir discrétionnaire pour établir les règlements d’application et le ministre est autorisé à intervenir directement sur les questions relatives au travail. C’est pour cette raison, que la nouvelle législation est regardée comme constitutive d’une réglementation de « direction et de contrôle » sur de nombreux aspects.

Le dispositif de protection

La loi Work Choices Act détermine l’application de la norme australienne en matière de rémunération et de conditions équitables (Australian Fair Pay and Conditions Standard (AFPCS) sur le temps de travail, les congés annuels, le congé pour personne à charge, le congé parental, et les salaires11. L’AFPCS établit un niveau de protection inférieur à celui d’autres normes existantes dans le domaine travail/famille. Par exemple, elle n’assure que 10 jours de congé payé par an pour personne à charge avec possibilité de prorogation en congé sans solde après accord avec l’employeur, et 12 mois de congé parental sans solde après la naissance ou l’adoption d’un enfant12. L’AFPCS dispose de marges de manœuvre qui lui permettent de limiter les normes. La disposition relative au temps de travail, à savoir 38 heures par semaine avec en plus « un nombre d’heures supplémentaires raisonnable », est la norme en vigueur. Toutefois, les employeurs et les salariés ont la possibilité de convenir d’un temps de travail moyen annuel. Les salariés peuvent également obtenir le paiement de deux des quatre semaines de congé annuel auxquelles ils ont droit.

La législation détermine deux nouveaux droits minima : d’une part, le

droit à une demi-heure de pause après 5 heures de travail consécutives, sous réserve de dispositions contraires établies par sentence arbitrale d’industrie 11 Ibid, Pt 7. 12 Se reporter au cas type relatif aux dispositions sur la famille (2005) 143 IR 245.

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Australie

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ou par convention collective de travail13 ; et d’autre part le droit de refuser de travailler les jours de fête légale pour « raisons valables »14.

Les droits des salariés en matière de licenciements abusifs ont été réduits

de manière significative15. Désormais, seuls les salariés des entreprises de plus de 100 travailleurs ont accès à l’AIRC16. En outre, il n’existe plus de recours pour contester des licenciement dont la cause résiderait dans « de réelles nécessités d’exploitation», définies de telle manière que cela comprend tout motif « économique, technologique ou assimilé »17. La législation ne reconnaît pas le droit d’obtenir réparation pour le préjudice moral causé par un licenciement abusif (y compris discriminatoire) ou par un licenciement injustifié18.

Choix dans le travail et négociations

La loi Work Choices Act altère la loi sur la négociation collective de travail19. Les conventions collectives sont possibles, qu’elles soient directement conclues par des travailleurs ou par un syndicat. Mais la législation favorise les négociations individuelles de convention AWAs (Australian Workplace Agreements). La négociation collective n’est pas obligatoire pour les employeurs, et un employeur peut toujours y compris établir une convention AWA individuelle avec un salarié (ou décider d’embaucher exclusivement les travailleurs acceptant une convention AWA). La convention AWA prévaut sur la convention collective de travail. Il existe aussi deux formes de « conventions nouvelles» pour les firmes établissant de nouveaux projets, ayant de nouvelles activités, ou créant de nouveaux établissements. Une « convention collective nouvelle » peut être établie entre un employeur et un syndicat ouvrier. Mais en cas de « nouvelle convention d’entreprise», l’employeur est l’unique partie à ce qui est regardé

13 Loi sur les relations en milieu de travail de 1996 – Workplace Relations Act 1996 (Cth), ss 607-10 14 Ibid, ss 611-19. 15 Ibid, ss 635-58. 16 The AIRC conciliates or arbitrates between the employer and the employee, even though this power depends on the constitutional power to make laws with respect to corporations. 17 Ibid, ss 6439. 18 Ibid, ss 654(9) & 655(2). 19 Ibid, Pt 8.

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Australie

Bulletin de droit comparé du travail et de la sécurité sociale 2006 222

comme un accord. C’est lui qui écrit seul un document nommé « nouvelle convention d’entreprise » à propos de laquelle personne d’autre que lui n’aura donné son accord. Cette nouvelle convention d’entreprise s’imposera aux travailleurs. En conséquence de quoi, il s’agit en réalité d’un accord entre l’employeur et lui-même !! Le champ d’application est limité à une seule entreprise. Les accords couvrant plusieurs activités doivent obtenir une autorisation administrative pour entrer en vigueur. Ils sont à cet effet assujettis à un test d’intérêt public. La négociation type, par laquelle les syndicats tentent d’établir un accord cadre par secteur d’activité, est interdite.

La loi Work Choices Act impose de nouveaux contrôles sur le contenu

des conventions pour identifier clairement les « clauses prohibées ». Les clauses visant à réglementer les conditions de travail des salariés pour réduire la flexibilité, celles établissant des recours en cas de licenciements abusifs ou celles interdisant l’établissement de conventions AWAs sont interdites. De lourdes pénalités sont applicables aux parties qui intègreraient ces clauses interdites dans une convention collective.

Les conventions ne sont plus soumises à un « test de « non-

désavantage » 20», ce qui affaiblit le dispositif de protection des travailleurs. Désormais, toute disposition d’un règlement d’industrie peut être négociée « à la baisse », et tout accord peut être substitué à ce règlement. Le pouvoir de négociation des employeurs est de plus en plus important puisque ce n’est qu’en cas de résiliation unilatérale de l’accord que le règlement d’industrie est à nouveau applicable aux salariés.

Les conventions ont force obligatoire et entraînent des obligations

juridiques dès lors qu’elles sont déposées devant le Bureau de défense de l’emploi qui les analyse minutieusement afin de vérifier si elles ne contiennent pas de clause prohibée. Autrement dit, les procédures d’établissement des conventions ont été simplifiées et forment en grande partie une auto réglementation, comprenant de rares dispositions de protection des salariés qui préexistaient à la réforme en matière d’information et de délais. 20 Il s’agit d’une procédure qui consiste à vérifier que les dispositions d’une convention ne contiennent pas des droits « à la baisse », comparé à ce qui est prévu par les dispositions d’un règlement d’industrie « award ».

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Liberté syndicale

La loi Work Choices Act individualise la liberté syndicale21. Les employeurs ne sont plus tenus d’informer les salariés de leurs droits à bénéficier d’une représentation syndicale au moment de la conclusion d’une convention. Les décisions ou conventions interdisent l’intégration de clauses soutenant le syndicalisme (frais de négociations, congés pour formations syndicales, déduction des cotisations syndicales). Du fait de la nouvelle obligation de vote à scrutin secret, il est désormais plus difficile d’obtenir une immunité permettant d’échapper à la responsabilité en vertu de la Common Law pour tout effet économique durant la négociation de conventions collectives. Le gouvernement est aussi nouvellement habilité à suspendre ou à mettre un terme à une période de négociation, et les tierces parties lésées sur le plan économique peuvent aussi requérir une suspension de la négociation. Les droits des syndicats de pénétrer sur les lieux de travail sont plus stricts que jamais22.

II - Les autres législations fédérales

La loi Work Choices Act est complétée par des mesures législatives régissant des secteurs spécifiques. Depuis la loi de 2005, modifiant la législation relative à l’enseignement supérieur ( Higher Education Legislation Amendment (Workplace Relations Requirements) Act 2005 (Cth)), les universités sont financées par le gouvernement en fonction des conventions AWAs qu’elles proposent. Cette disposition permet de forcer efficacement les universités à adopter le programme du gouvernement dans un secteur où le syndicalisme et les conventions collectives de travail sont forts. La loi de 2005 relative au secteur du Bâtiment et de la Construction (« Building and Construction Industry Improvement Act 2005 » (Cth)) vise à mettre en œuvre les recherches de la Commission Cole Royal23 et à mettre un terme aux pratiques de corruption en créant un commissariat australien au bâtiment et aux travaux publics (« Australian Building and Construction Commissioner ») de « contrôle et de promotion des normes de conduite appropriées ». Cette loi édicte des pénalités extrêmement lourdes en cas 21 Ibid, Pt 16. 22 Ibid, Pt 15. 23 Voir http://www.royalcombci.gov.au/.

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Australie

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d’effets économiques jugés illégaux, dont les retards dans l’exécution des travaux en raison de l’absence de travailleurs sur un chantier (sauf s’il existe une menace imminente pour leur sécurité)24. La législation a été critiquée parce qu’elle est manifestement une agression contre les syndicats25.

La loi sur l’emploi et les relations de travail (bien-être au travail et autres

mesures, Employment and Workplace Relations Legislation Amendment (Welfare to Work and Other Measures) Act 2005 » (Cth)) traduit également la rigidité du gouvernement en ce sens qu’elle impose des obligations rigoureuses aux bénéficiaires d’avantages sociaux, particulièrement les parents isolés et les handicapés, afin de les pousser à rechercher et à accepter au moins des postes de travail à temps partiel.

III - La Législation d’État Dans tous les États, le Parti Travailliste est au pouvoir, et leurs

législations reflètent l’amère contestation politique relative à la réglementation du travail sur la période. La Nouvelle-Galles-du-Sud a transféré les travailleurs employés par des entreprises publiques sur des emplois relevant directement de services publics de l’État afin qu’ils ne soient pas couverts par la loi Work Choices Act26.

Plusieurs États ont augmenté les salaires minima proposés aux

travailleurs relevant des lois nationales. La loi relative aux relations industrielles (« Industrial Relations Amendment Act 2006 » N° 1 (NSW)) institue une protection accrue des travailleuses à domicile, à savoir des femmes qui travaillent dans l’industrie du vêtements et du textile.

Dans le Queensland, les nouvelles lois instaurent des restrictions plus

strictes en matière de temps de travail ; reconnaissent le congé parental prolongé (jusqu’à 96 semaines) et imposent une obligation pour les

24 Voir la loi « Building and Construction Industry Improvement Act 2005 » (Cth), s 36. 25 D. Noonan « The ABCC: Industrial Umpire or union buster? » CCH Industrial Law News, 10, octobre 2005. 26 Loi de modification de la législation de l’emploi dans le secteur public (« Public Sector Employment Legislation Amendment Act 2006 » (NSW)).

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Australie

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employeurs de prendre en compte et de ne pas refuser sans motif valable une demande de travailler à temps partiel par un salarié suite à un congé parental27. Le Queensland a également promulgué différentes lois visant à augmenter la protection des enfants au travail28. L’État de Victoria a mis en place un Bureau de défense des droits du travail (« Office of the Workplace Rights Advocate ») visant à « informer, favoriser et contrôler le développement de pratiques équitables dans les relations industrielles dans l’État de Victoria »29.

Rosemary Owens Université d’Adélaïde

27 Loi de modification des relations industrielles – « Industrial Relations Amendment Act 2005 » (Qld) ; et Loi sur l’emploi des enfants – « Child Employment Act 2006 » (Qld), ss45-59. 28 Loi sur l’emploi des enfants – « Child Employment Act 2006 » (Qld). 29 Loi sur la défense des droits dans le milieu de travail – « Workplace Rights Advocate Act 2005 » (Vic).

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BRÉSIL Durant l’année 2006, il n’y a pas eu de grandes réformes législatives au

Brésil, y compris en ce qui concerne le Droit du travail. Des réformes qui ont fait l’objet de débats, comme la réforme syndicale, n’ont pas connu de suite au Congrès national. Et cela car il s’agit d’une année électorale.

Toutefois, un thème nouveau et important peut être mentionné. C’est la

nouvelle réglementation sur la faillite et la création d’une nouvelle institution juridique, celle du redressement judiciaire d’entreprises, par la loi nº 11.101/05. Même cette nouvelle loi qui a été approuvée en février 2005 et est entrée en vigueur en juin de la même année, n’a connu de véritables applications judiciaires qu’à partir de 2006 que ses instituts seront vraiment appliqués et débattus par le Pouvoir judiciaire. Dans ce contexte, un des cas les plus discutés a été celui d’une grande entreprise brésilienne de transports aériens, VARIG, employant un grand nombre de salariés.

Selon l’article 47 de la loi n° 11.101/05, le redressement judiciaire a pour

but d’aider à surmonter la situation de crise économique-financière du débiteur, afin de permettre le maintien de la production, et la sauvegarde des emplois des travailleurs et des intérêts des créanciers, favorisant ainsi la préservation de l’entreprise et de sa fonction sociale tout en encourageant l’activité économique

Avec le processus de redressement judiciaire, il a été institué que par

assemblée générale, les principaux créanciers de l’entreprise se trouvant en difficulté économique, y compris les travailleurs, doivent évaluer le plan proposé par l’entreprise. S’il est approuvé en assemblée, le plan de redressement sera homologué par le pouvoir judiciaire. En cas de refus, l’entreprise sera déclarée la faillite.

À cette assemblée générale, les syndicats peuvent représenter les

travailleurs titulaires de créances issues de leur prestation de travail, au cas où ceux-ci n’y participeraient pas personnellement, ou ne nommeraient pas de représentants.

En outre, un comité de créanciers, dont un des membres doit être un

représentant indiqué par les travailleurs, peut être constitué pour veiller à la bonne marche du redressement judiciaire.

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Brésil

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Parmi les moyens de redressement judiciaire, la loi indique explicitement

la possibilité de réduire les salaires, de compenser les heures de travail et de réduire la durée du travail, si cela est négocié avec le syndicat via un accord ou une convention collective.

Par le plan de redressement peuvent également être négociés les créances

du fait du travail. Néanmoins, la loi détermine qu’il ne peut pas être fixé de délai dépassant un an pour le paiement desdits crédits. Aussi, le plan ne peut pas établir de délai supérieur à trente jours pour le paiement des créances de salaire cumulés dans les trois mois précédant la demande de redressement judiciaire jusqu’à la valeur de cinq salaires minimums par travailleur.

D’un autre côté, avec la déclaration de faillite, au moment de l’exécution

et du paiement, les créances salariales sont les premières dans l’ordre de préférence, ce qui était déjà le cas sous le régime de la législation précédente. Cependant, ce privilège des créances salariales peut être limité à un total de cent cinquante fois le salaire minimum par créancier. En plus, les créances salariales cumulées dans les trois mois précédant la déclaration de faillite et dans la limite de cinq salaires minimums, doivent être payées dès que les moyens sont disponibles.

Un des principaux points les plus controversés de la loi n° 11.101/05

concerne le maintien ou non du contrat de travail dans le cas de la vente totale ou partielle des actifs ou des établissements de l’entreprise en redressement judiciaire, ou dont la faillite aurait été déclarée. En d’autres termes, l’acheteur doit-il ou non prendre en charge les débits du travail précédant le transfert de l’entreprise. Selon le Code du travail, le changement de propriété ou de structure juridique de l’entreprise ne doit pas affecter les droits acquis et les contrats de travail des salariés. Alors, dans le cas de transferts d’entreprises ou d’établissements, les contrats de travail sont maintenus et l’entreprise cessionnaire doit prendre en charge l’éventuel passif du travail.

En cas de faillite, la loi n° 11.101/05 a explicitement établi que dans le

cas de la vente d’actifs, y compris ceux de l’entreprise et de ses établissements, il n’y aura pas de transfert des obligations du débiteur, y compris celles relatives au travail. En outre, cette même loi établit que les salariés de l’entreprise en faillite, s’ils sont engagés par l’acheteur, seront

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Brésil

Bulletin de droit comparé du travail et de la sécurité sociale 2006 228

soumis à de nouveaux contrats de travail. Le but de ce dispositif légal est de rendre plus attrayante la vente des actifs de l’entreprise liquidée, de façon à obtenir les moyens pour acquitter les dettes, y compris celles du travail.

Dans le cas du redressement judiciaire, il est aussi possible de procéder à

la vente judiciaire des établissements ou des unités de production isolées du débiteur, de façon à obtenir les fonds nécessaires pour aider au processus de redressement de l’entreprise. Dans ce cas, la loi établit aussi qu’il n’y aura pas transfert des obligations de l’entreprise débitrice. Néanmoins, cela ne se rapporte explicitement qu’aux obligations fiscales et non pas aux obligations du travail, comme dans le cas de la faillite.

C’est pour cette raison que dans le processus de redressement judiciaire

de l’entreprise VARIG, il y a eu de nombreuses controverses judiciaires sur le maintien ou non des contrats de travail comme conséquence de la vente d’une partie de l’entreprise. Dans un premier temps, les Tribunaux du travail ont compris qu’il y aurait transfert des obligations du travail. Toutefois, dans un deuxième temps, les Tribunaux civils, responsables du redressement judiciaire de l’entreprise ont déterminé qu’il n’y aurait pas ce transfert.

Ce sujet est très polémique et peut susciter de nouveaux différends dans

les futurs processus de redressement judiciaire et même de faillite, car il n’y a pas encore de position bien établie des tribunaux. Aux prochaines décisions, il faudra soupeser, d’un côté, les droits acquis des travailleurs par leurs contrats de travail et, de l’autre, la possibilité de maintenir l’entreprise ou des établissements en activité et, ainsi, permettre la préservation des postes de travail.

En conclusion, on peut affirmer que la loi n° 11.101/05, si elle est bien

appliquée, pourra représenter une bonne solution pour aider au processus de redressement d’entreprises en difficultés économiques, permettant la participation des principaux intéressés, les créanciers, y compris les travailleurs.

Cristiana Lapa Wanderley Sarcedo Université de São Paulo (USP)

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Bulletin de droit comparé du travail et de la sécurité sociale 2006 229

BULGARIE

I - Actualité législative en droit du travail

En 2006 le Code du travail bulgare a subi cinq modifications. Les

changements les plus importants ont été effectués avec la loi modificatrice du 13 juin 2006, en vigueur depuis le 1er juillet 20061. Cette loi est étroitement liée à la préparation de la Bulgarie à l'adhésion à l’Union Européenne et marque la fin du processus de transposition des directives européennes dans le domaine du droit du travail. Elle apporte surtout des précisions à certaines normes dont l’application a posé des problèmes et, dans certains cas, elle développe la réglementation existante. Ainsi en est-il de la proclamation de l’égalité des droits et des obligations des travailleurs employés par contrats à durée déterminé et à durée indéterminé et de l’interdiction de traiter les premiers d’une manière défavorable. Ce point découle de l’interdiction générale des discriminations dans le travail et du fait que les droits et les obligations que le Code du travail prévoit pour les deux types de contrats sont les mêmes. Mais jusqu’à présent ce principe d’égalité n’était pas exprimé de manière explicite. Malgré cette égalité en droit, toutefois, le travail à durée déterminée demeure une forme d’emploi moins souhaitée par les salariés. On a donc introduit l’obligation de l’employeur d’informer les travailleurs précaires des possibilités de travail permanent et l'obligation de prendre des mesures facilitant leur l’accès à une formation professionnelle ouvrant des perspectives de carrière. Par un règlement spécial, le Gouvernement a aussi transposé la Directive 91\383 complétant les mesures visant à promouvoir l’amélioration de la sécurité et la santé au travail des travailleurs ayant une relation de travail à durée déterminée ou une relation de travail intérimaire.

Par ailleurs, le législateur a dû revenir une fois encore sur la norme qui

règle la durée maximale du travail hebdomadaire des personnes cumulant plusieurs emplois. En 2005, il avait été décidé que la durée maximale de 40 heures par semaine, valable pour un seul contrat de travail, pouvait être dépassée en cas de cumul d’emplois, sans autre limite que le respect des repos journaliers et hebdomadaires minima obligatoires et à condition d'avoir le consentement écrit du travailleur. Ce changement législatif n’assurait pas une protection suffisante aux travailleurs car il favorisait l'allongement des

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Bulgarie

Bulletin de droit comparé du travail et de la sécurité sociale 2006 230

durées du travail. C’est pourquoi, en 2006 a été restauré le plafond de 48 heures pour le travail en cumul d'emplois, mais complété avec le droit du travailleur de consentir ou de refuser de travailler au-delà de cette limite. Quelques petites retouches ont aussi été apportées à d’autres règles concernant le temps de travail, le travail à temps partiel, le travail de nuit. L'article 154a du Code du Travail est une nouvelle disposition qui a immédiatement reçu de vives critiques. Cette disposition délègue au Gouvernement le pouvoir de fixer la durée du travail et les repos des catégories de travailleurs dont la nature ou l’organisation du travail sont spécifiques, à la seule condition de respecter les normes de santé et de sécurité au travail.

Les règles concernant les droits des travailleurs en cas de transfert

d’entreprises et de changement de l’employeur ont été développées en application de la Directive 2001\23. Elles complètent la disposition fondamentale déjà existante selon laquelle le transfert de l’entreprise ne met pas un terme aux contrats de travail du personnel. Ont aussi été introduites des dispositions complétant la protection spéciale des jeunes au travail, en application de la Directive 94\33, notamment la règle proclamant que le temps consacré à la formation professionnelle des travailleurs entre 16 et 18 ans fait partie de leur temps de travail.

La transposition de la Directive 98\59 concernant les licenciements

collectifs a toujours posé des problèmes au législateur bulgare, en particulier la définition de licenciement collectif qui a été modifiée plusieurs fois. La difficulté vient de la nécessité de préciser quels sont les licenciements dus à des raisons économiques. La solution finalement adoptée en 2006 consiste à introduire mot à mot le texte de l’article 1, point « a » de la Directive 75\129 qui est assez large et flexible. Il s'agit en effet « des licenciements, décidés par l’employeur et dont la cause ne se trouve pas dans la personne du travailleur ».

Cependant, l'intérêt majeur de la loi du 13 juin 2006 modifiant le Code du

travail réside dans l’introduction d’une institution tout à fait nouvelle pour le droit du travail collectif bulgare. Il s’agit de la transposition de la Directive 2002\14 CE du Parlement européen et du Conseil établissant un cadre général relatif à l’information et la consultation des travailleurs dans la Communauté européenne. Avant le changement, le Code du travail prévoyait deux types d’organes représentatifs des travailleurs dans l’entreprise : des

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Bulgarie

Bulletin de droit comparé du travail et de la sécurité sociale 2006 231

représentants syndicaux et des représentants élus par l’assemblée générale du personnel. Un troisième type d'organe a été créé : les représentants pour l’information et la consultation. Ces représentants sont aussi élus par l’assemblée générale du personnel, mais leurs fonctions sont liées aux problèmes du fonctionnement quotidien de l’entreprise, de son état financier, de la politique de l’emploi et de l’organisation du travail. L’employeur est obligé de les informer et de les consulter sur ces question, mais le contenu de l’information et les procédures d’information et de consultation doivent être précisés dans un accord. Par contre, dans le cas où le Code du travail prévoit la consultation ou le consentement des représentants du personnel sur des questions comme les licenciements collectifs, la prolongation du temps du travail etc., la compétence demeure attribuée à l’autre type de représentants. Les représentants pour l’information et la consultation ont des droits et des obligations spécifiques à leur fonction, mais jouissent des mêmes facilités et protections que celles reconnues aux représentants syndicaux et aux représentants du personnel, notamment de la protection contre le licenciement.

La loi d’information et de consultation des travailleurs des entreprises multinationales

Parallèlement à l’introduction des textes concernant l’information et la consultation des représentants du personnel dans le Code du travail, l’Assemblée nationale a voté une nouvelle loi transposant les directives 94\45 CE, 2001\86 CE et 2003\73 CE. Elle règle l’institution d’un comité d’entreprise européen ou d’une procédure d’information et de consultation des travailleurs dans les entreprises et les groupes d’entreprises de dimension communautaire et l’implication des travailleurs des sociétés européennes et des sociétés coopératives européennes. C’est une matière absolument nouvelle pour l’ordre juridique bulgare, car adaptée aux problèmes spécifiques du droit du travail suscités par le fonctionnement du marché commun européen. C’est pourquoi, la loi entrera en vigueur en même temps que le Traité d’adhésion de la Bulgarie à l’UE.

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Bulgarie

Bulletin de droit comparé du travail et de la sécurité sociale 2006 232

Modifications du Règlement concernant les conditions et l’ordre d’admission des étrangers, en Bulgarie dans le cadre d’une prestation de service

Les modifications de ce règlement sont elles aussi directement liées à la future adhésion à l’UE. Elles ont été imposées par les recommandations formulées dans le rapport de monitoring de la Commission du mois de mai 2006 sur le chapitre 2 « Libre circulation des personnes ». A présent, la législation bulgare est en totale conformité avec la Directive 96\71.

La Convention n° 181 de l’OIT concernant les bureaux (agences) privés de placement

La Convention n° 181 de l’OIT, ratifiée par la Bulgarie au début de 2005, est entrée en vigueur le 24 mars 2006. Cette ratification, ainsi que la nécessité d’harmonisation avec l’acquis communautaire dans le domaine du droit de séjour et de la libre prestation de services ont imposé des changements dans la règlementation concernant l'activité des intermédiaires pour l’embauche. II - Droit de la sécurité sociale Le Code de procédure fiscale et des assurances sociales

Ce nouveau Code est entré en vigueur le 1er janvier 2006. Il crée une Agence nationale des recettes qui est chargée désormais de recevoir tous les prélèvements obligatoires (impôts et cotisations sociales), et de rassembler toutes les informations nécessaires sur les contribuables. Le but du Code est d'unifier et de simplifier les procédures en matière de prélèvements, d'augmentation du contrôle et de mettre fin aux tentatives, spécialement de la part des employeurs, d’échapper au paiement des cotisations obligatoires. Les résultats des premiers mois du fonctionnement de l’Agence et de l’application du Code sont considérés comme très satisfaisants.

Le Code de la sécurité sociale

L’année 2006 a été très dynamique pour le droit de la sécurité sociale bulgare. Parmi les nombreux amendements apportés au Code de la sécurité

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Bulgarie

Bulletin de droit comparé du travail et de la sécurité sociale 2006 233

sociale, on doit mentionner tout d’abord les modifications des règles concernant les investissements des sociétés gérant des fonds de retraites complémentaires, qui entreront en vigueur en même temps que le traité d’adhésion à l’UE. Il y a aussi la nouvelle retraite complémentaire facultative assurée par des plans professionnels et financée surtout par les entreprises. Et puis toute une série de mesures ayant pour but de faciliter la possibilité des assurés de remplir les conditions d'ouverture des droits de pension, et aussi d’augmenter le montant des pensions, comme par ex. la nouvelle règle d’indexation des retraites sur le coût de la vie et le nouveau montant minimal de la pension contributive de vieillesse. En dernier lieu, il faut mentionner un changement très positif dans le domaine des prestations de maternité : la femme en congé de grossesse et d’accouchement recevra désormais une indemnité égale à 90 % de son salaire pendant 315 jours au lieu de 135 jours comme auparavant.

Yaroslava Genova

Université de Plovdiv « Paissii Hilendarski »

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Bulletin de droit comparé du travail et de la sécurité sociale 2006 234

CHILI La loi nº 20.087 sur la nouvelle procédure du travail a été approuvée et

publiée au mois de janvier 2006 et entrera en vigueur à partir du 1er mars 2007. Cette loi établit une procédure du travail orale, publique et concentrée, faisant prévaloir les principes suivants : immédiateté, saisine d’office, célérité, bonne foi, contradictoire, et gratuité. Par cette réforme, le législateur chilien finalise un processus de création de nouveaux tribunaux et d’accélération de la procédure prud’homale. Cette réglementation consacre, en outre, une nouvelle procédure tendant à protéger les droits fondamentaux des travailleurs.

I - Champ d’application

Cette procédure est applicable à toute question suscitée par l’application des normes du travail, lorsque les droits de l’homme qui y sont mentionnés de façon expresse font l’objet d’une violation par l’employeur dans le cadre de l’exercice de ses pouvoirs. Il s’agit des droits fondamentaux suivants : droit à la vie, intégrité physique et psychique, vie privée et honneur, secret des communications privées, liberté de conscience et de culte, liberté d’opinion et liberté de travail. La procédure est aussi applicable en cas de discrimination en cours d’exécution ou au moment de la cessation du contrat de travail, à l’exclusion expresse des offres d’emploi.

Ces droits et ces garanties sont lésés lorsque l’employeur dans l’exercice

de ses facultés y apporte des limitations sans justification suffisante, de manière arbitraire ou disproportionnée, ou encore sans respecter leur contenu essentiel. C’est le même sort qui est réservé aux représailles dirigées contre des travailleurs à l’origine de contrôles effectués par l’Inspection du travail ou ayant exercé leur droit d’agir en justice.

II - Droit d’agir Le droit d’agir appartient à tout travailleur ou organisation syndicale qui

invoqueraient un droit ou un intérêt légitime. L’organisation syndicale à laquelle la victime est affiliée pourra également comparaître comme partie dans la procédure en qualité de tiers.

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Chili

Bulletin de droit comparé du travail et de la sécurité sociale 2006 235

Dans ces cas-là, l’Inspection du travail, à la requête du tribunal, devra émettre un rapport sur les faits dénoncés. Elle pourra également être partie au procès.

De plus, si l’Inspection du travail, agissant dans le domaine de ses

attributions et sans préjudice de ses facultés de contrôle, prend connaissance d’une violation des droits fondamentaux, elle devra dénoncer les faits auprès du tribunal compétent et accompagner cette dénonciation du procès verbal correspondant. Cette dénonciation peut servir de requête pour enclencher formellement une procédure judiciaire. L’Inspection du travail pourra comparaître comme partie dans la procédure engagée. Néanmoins, l’Inspection du travail devra mener à bien, préalablement au dépôt de la plainte, une médiation entre les parties afin d’épuiser toutes les possibilités de cessation des infractions constatées.

III – Délai

Ces plaintes devront être déposées dans un délai de soixante jours à

compter de la survenance de la violation alléguée des droits fondamentaux.

IV – Procédure La procédure sera orale et elle sera prioritaire par rapport à toutes les

autres affaires du tribunal. Les recours qui seraient interjetés bénéficieront également de cette priorité.

Le juge, saisi d’office ou suite à la demande d’une partie, dispose, de la

faculté de décider de la suspension des effets de l’acte contesté, lorsque les éléments du dossier font apparaître qu’il s’agit de lésions d’une particulière gravité ou lorsque la violation peut causer des effets irréversibles et ce, sous peine d’amende, qui pourra être répétée jusqu’à l’exécution en bonne et due forme de la mesure décrétée. Aucun recours ne pourra être présenté contre ces décisions.

Sur la base du rapport de contrôle, s’il y a lieu, des déclarations des

parties et des autres preuves jointes au procès, le juge prononcera un jugement lors de l’audience ou dans les cinq jours qui suivront.

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Chili

Bulletin de droit comparé du travail et de la sécurité sociale 2006 236

V - Preuve

En matière probatoire, lorsque les antécédents apportés par la partie plaignante font apparaître des indices suffisants démontrant que la violation de droits fondamentaux s’est effectivement produite, il appartient au défendeur d’expliquer les fondements des mesures adoptées et leur proportionnalité.

VI - Jugement définitif Le jugement définitif établit ou non la violation des droits fondamentaux. Dans le cas où elle l’est, il peut ordonner les mesures suivantes :

• Il ordonne, si le comportement délictueux persiste à la date du

prononcé du jugement, sa cessation immédiate sous peine d’amende, laquelle peut être répétée jusqu’à l’obtention de l’exécution en bonne et due forme de la mesure décrétée.

• Il indique concrètement les mesures auxquelles doit se soumettre l’auteur de l’infraction pour réparer les conséquences de la violation des droits fondamentaux, sous peine de se voir infliger la sanction susmentionnée, voire y compris le versement de dommages et intérêts.

• Il applique les amendes conformément aux dispositions du Code du travail.

• Le juge doit veiller à la remise en l’état et évite toute décision qui conduirait à laisser se poursuivre des conduites à l’origine de la violation des droits fondamentaux.

Une copie du jugement devra être envoyée à la Direction du Travail pour

être enregistrée.

VII – Le licenciement et la violation des droits fondamentaux Il existe une hypothèse particulière qui réside dans la violation des droits fondamentaux à l’occasion d’un licenciement. Dans cette situation, l’action procédurale appartiendra exclusivement au travailleur concerné. La plainte devra être déposée dans un délai de soixante jours, à compter du licenciement. Le juge pourra demander un rapport à l’Inspection du travail.

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Chili

Bulletin de droit comparé du travail et de la sécurité sociale 2006 237

Dans le cas où la plainte est jugée recevable, le juge ordonne le paiement des indemnités légales (relatives au préavis et à l’ancienneté), avec les majorations correspondantes et, il ordonne le paiement d’une indemnité qui ne peut pas être inférieure à six mois ni supérieure à onze mois de salaire mensuel brut.

En tout état de cause, lorsque le juge déclare le licenciement

discriminatoire et lorsque ceci est, en plus, qualifié de grave, le travailleur peut opter entre la réintégration ou le versement des indemnités susmentionnées.

Sergio Gamonal

Université Adolfo Ibáñez Santiago - Viña del Mar

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Bulletin de droit comparé du travail et de la sécurité sociale 2006 238

ESPAGNE Après la Déclaration pour le dialogue social intervenue en 20041, la

négociation sociale s’est indéniablement intensifiée notamment à propos des contrats précaires, de l’amélioration de la création d’emploi et de la réforme de la Sécurité sociale. Dans ces derniers mois, le Gouvernement et les partenaires sociaux ont conclu deux nouveaux accords : l’un concerne l’amélioration de la croissance et de l’emploi, l’autre des mesures en matière de Sécurité sociale.

Amélioration de la croissance et de l’emploi

Après un processus de négociation long et complexe, le Gouvernement,

les syndicats CC.OO. et UGT ainsi que les organisations patronales CEOE et CEPYME ont signé, le 9 mai dernier, un accord pour l’amélioration de la croissance et de l’emploi. L’accord vise le maintien de la création d’emploi et l’amélioration du fonctionnement du marché de travail, mais aussi une plus grande stabilité dans l’emploi, cette dernière étant regardée comme favorisant une croissance économique équilibrée et durable, fondée sur la compétitivité des entreprises, l’augmentation de la productivité et la cohésion sociale. L’accord comporte trois séries de mesures. En premier lieu, il prétend encourager l’embauche à durée indéterminée, ceci à travers des exonérations accordées aux nouveaux contrats à durée indéterminée ainsi que des réductions des cotisations patronales au Fonds de garantie salariale et de chômage. En deuxième lieu, l’accord limite l’utilisation des contrats à durée déterminée successifs ; il introduit une plus grande transparence dans la sous-traitance des travaux et services. Il inclut, par ailleurs, le renfort des moyens matériels et humains de l’Inspection du travail et de la Sécurité sociale. En troisième lieu, l’accord vise à améliorer d’une part l’efficacité des politiques actives de l’emploi et l’intervention du Service national de l’emploi, d’autre part la protection des personnes au chômage et les prestations du Fonds de garantie salariale.

1 Cf. Competitividad, empleo estable y cohesión social. Declaracion para el Diálogo Social 2004, sur le site http://www.ugt.es/dialogosocial/declaracionsocial.pdf. Avant de commencer les négociations, un rapport d’une commission d’experts pour le dialogue social avait été présenté : Más y mejor empleo en un nuevo escenario socioeconómico. Por una flexibilidad y seguridad laborales efectivas, ministère du Travail et des Affaires sociales, Madrid, 2005.

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Espagne

Bulletin de droit comparé du travail et de la sécurité sociale 2006 239

Un décret-loi royal n° 5 du 9 juin 2006, relatif à l’amélioration de la croissance et de l’emploi, a repris les dispositions de l’accord2. Le Gouvernement a justifié le recours à ce type d’instrument au titre d’une situation extraordinaire et urgente, afin de ne pas retarder les décisions d’embauche des entreprises3. Le décret-loi royal modifie différentes lois, et prévoit une entrée en vigueur échelonnée4.

En ce qui concerne plus particulièrement les mesures visant à augmenter

l’embauche à durée indéterminée et réduire le travail précaire, le décret-loi royal prévoit essentiellement des avantages en cas de recours dès le début de la relation de travail à un contrat à durée indéterminée initiaux. On poursuit le double objectif d’encourager l’embauche à durée indéterminée et de promouvoir l’emploi de groupes ayant des difficultés particulières pour trouver un emploi. Le nouveau programme, qui remplace celui institué par la loi n° 30 du 29 décembre 2005, est applicable aux contrats conclus depuis le 1er juillet 2006 ; il introduit différentes nouveautés importantes qui renforcent son caractère d’instrument pour promouvoir l’embauche à durée indéterminée. Ainsi, la réduction des cotisations patronales en cas de conclusion de contrats à durée indéterminée est limitée à l’embauche à durée indéterminée initiale, et ne concerne pas l’hypothèse de transformation de

2 Le décret-loi royal a été publié au BOE du 14 juin 2006 ; il a été validé par la Chambre des Députés le 29 juin 2006 (BOE du 5 juillet 2006). 3 L’article 86.1 de la Constitution espagnole de 1978 précise qu’en cas « d’urgence ou de situation extraordinaire, le Gouvernement peut prendre des dispositions ayant, à titre provisoire, valeur législative au travers de décrets-lois ». Sur l’abus dans l’utilisation de la figure du décret-loi royal dans le domaine du travail et de la sécurité sociale : V. Ph. Auvergnon, et , J.-L. Gil, Le droit social espagnol au temps des gouvernements Aznar, Dr. soc 2004, p. 1013. 4 Concrètement, le décret-loi royal modifie : le Statut des Travailleurs, en matière d’embauche temporaire, les prestations du Fonds de garantie salariale, la sous-traitance de travaux et services et la cession illégale de travailleurs; la loi générale sur la Sécurité sociale, pour améliorer la protection en cas de chômage de catégories spécifiques; la loi sur les infractions et sanctions dans l’ordre social; la loi sur les entreprises de travail temporaire; la loi n° 12 du 9 juillet 2001, toujours en vigueur, sur les mesures urgentes de réforme du marché du travail pour l’augmentation de l’emploi et l’amélioration de sa qualité, en ce qui concerne la conversion de contrats temporaires en contrats à durée indéterminée de promotion, et la loi n° 30 du 29 décembre 2005, sur les budgets généraux de l’État pour 2006, en ce qui a trait au système de soutien à l’embauche à durée indéterminée et à la réduction des cotisations patronales.

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Espagne

Bulletin de droit comparé du travail et de la sécurité sociale 2006 240

contrats à durée déterminée en contrats à durée indéterminée qui, jusqu’à maintenant, constituait un cas de réduction dans les programmes annuels de promotion de l’emploi. Un autre changement concerne le remplacement des pourcentages de réduction des cotisations patronales à la sécurité sociale par des taux forfaitaires. Une troisième modification prévoit l’extension à quatre ans de la période d’application des réductions de cotisations. Un autre dispositif important concerne l’inclusion de nouvelles catégories, telles que les hommes sans emploi de seize à trente ans et les femmes réintégrant le marché du travail après une longue période d’inactivité.

Par ailleurs, le décret-loi royal met en œuvre un plan extraordinaire,

limité dans le temps, de transformation d’emplois à durée déterminée en emplois à durée indéterminée, avec réduction des cotisations patronales à la Sécurité sociale. Ainsi, les contrats conclus avant le 1er juin 2006, qui seront transformés en contrats à durée indéterminée avant janvier 2007 pourront bénéficier d’un montant de réduction de cotisation patronale de l’ordre de 800 euros par an durant trois ans. Il y a lieu de penser que la mesure suscitera un bon nombre de transformations en contrats à durée indéterminée durant les six mois où elle sera en vigueur. Elle permet également la conversion de contrats à durée déterminée en « contrats à durée indéterminée de promotion », c’est-à-dire ceux assortis d’une indemnité pour licenciement inférieure à celle des contrats à durée indéterminée ordinaires5. Ainsi, les contrats à durée déterminée, y compris ceux de formation, qui seront conclus avant le 31 décembre 2007, pourront être transformés en contrats à durée indéterminée par décision des parties. Cette possibilité disparaîtra pour les contrats conclus ultérieurement. Par ailleurs, le décret-loi royal réduit les cotisations patronales pour chômage dans les contrats à durée indéterminée. La réduction est prévue sous une forme échelonnée dans le temps : 0,25 points à partir du 1er juillet 2006 et 0,25 points de plus à partir du 1er juillet 2008. Par ailleurs, la cotisation patronale au Fonds de garantie salariale est réduite de moitié, quelle que soit la modalité contractuelle, et est de 0,2% et 5 Le contrat pour la promotion de l’embauche à durée indéterminée, réglementé dans la disposition additionnelle première de la loi n° 12 du 9 juillet 2001, prévoit un régime spécial d’indemnité en cas de licenciement objectif (causes étrangères à la volonté du travailleur) : trente-trois jours de salaire par année de service, calculé au prorata mensuel pour les périodes inférieures à un an, et avec un maximum de vingt-quatre mensualités. Dans les contrats à durée indéterminée ordinaires, l’indemnité pour licenciement objectif non justifié s’élève à quarante-cinq jours de salaire par année de service, avec un maximum de quarante-deux mensualités.

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Espagne

Bulletin de droit comparé du travail et de la sécurité sociale 2006 241

la majoration de la cotisation pour le chômage, appliquée jusqu’à présent aux entreprises de travail temporaire, est supprimée.

Afin d’améliorer les conditions d’emploi, le décret-loi royal limite le

temps durant lequel une entreprise peut embaucher un même travailleur sur le même poste de travail, à travers deux ou plusieurs contrats à durée déterminée, à un maximum de 24 mois sur une période de 30. Si cette période maximale est dépassée, le contrat est estimé à durée indéterminée. En même temps, il est prévu que les conventions collectives fixeront des conditions pour prévenir l’utilisation abusive des contrats à durée déterminée avec des travailleurs différents pour un même poste de travail. Le décret-loi royal supprime le contrat de travail d’insertion et modifie les limites maximales d’âge des travailleurs éligibles pour les contrats de formation.

Par ailleurs, l’accord intègre des mesures qui répondent à la réalité

croissante de décentralisation productive et d’externalisation de la production. Dans ce sens, il actualise les règles relatives aux droits d’information et d’utilisation de locaux, pour assurer que la sous-traitance des travaux et services ne porte pas préjudice à la protection des travailleurs, surtout lorsque l’entreprise principale et le prestataire ou sous-traitant partagent de façon continue un même lieu de travail. Le décret-loi royal précise clairement la distinction entre la sous-traitance de travaux et de services et la cession illégale de travailleurs. À cette fin, il ajoute au Statut des travailleurs une définition de la fourniture illégale de travailleurs, codifiant par là même l’évolution jurisprudentielle en la matière. À sa façon, l’accord intervenu démontre l’importance du dialogue social comme instrument d’élaboration et de promotion de mesures participant à l’amélioration du fonctionnement du marché de travail, à la compétitivité des entreprises ainsi qu’à la cohésion sociale.

Mesures en matière de sécurité sociale

Le droit de la Sécurité sociale se trouve plongé dans un processus de

réforme permanente. La dernière étape de l’évolution est marquée par les recommandations du Pacte de Tolède, approuvé par le Congrès en 1995 et renouvelé en 20036. Plusieurs accords ont été conclus par les partenaires

6 Le Pacte de Tolède concernait l’analyse du système de Sécurité sociale et les réformes devant être entreprises (Cf. Chambre des Députés, du 6 avril 1995, BOCG,

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Espagne

Bulletin de droit comparé du travail et de la sécurité sociale 2006 242

sociaux dans ce domaine7. Le plus récent, en date du 14 juin 2006, concerne la Sécurité sociale. Il a été signé par le Gouvernement, CC.OO., UGT, CEOE et CEPYME. Il ne constitue pas une réforme radicale, mais un nouvel ajustement du système. Il comprend des mesures de nature et de portée diverses, ayant une incidence dans cinq domaines : la garantie d’une relation entre recettes et dépenses du système, l’amélioration de la protection, liée ou non aux contributions sociales, l’âge de la retraite et la prolongation de la vie professionnelle et, in fine, la structure du système de la Sécurité sociale.

L’accord cherche à améliorer le système de prestations sociales non liées

à des contributions sociales. Il représente ainsi une avancée vers la concrétisation du principe de solidarité, à travers l’amélioration progressive et l’extension des garanties minimales des allocations d’invalidité permanente et de veuvage. Pour les familles à revenus modestes, il prévoit l’amélioration des déductions fiscales par enfant à charge, ainsi que des prestations économiques de Sécurité sociale. D’autres modifications concernent des prestations liées à des contributions ; elles visent notamment à garantir une plus grande proportionnalité entre l’effort de cotisation réalisé et les droits de Sécurité sociale. Dans cette perspective, les régimes juridiques des prestations de retraite, d’invalidité permanente, de décès et de survie ainsi que d’invalidité temporaire sont modifiés. À titre d’exemple, pour bénéficier d’une pension de retraite, l’accord fixe une condition de période minimale de cotisation de 5475 jours, c’est-à-dire de 15 ans de travail effectif. Actuellement, et par application de la jurisprudence, 4700 jours de cotisation (13 ans) sont exigés. L’élargissement de la période effective sera graduelle : 77 jours tous les 6 mois. Par ailleurs, l’accord modifie bon nombre d’aspects du régime juridique des veuves et des

Congrès, Série E, n° 134, 12 avril 1995). Le Pacte a été renouvelé (Cf. Chambre des Députés, du 2 octobre 2003, BOCG, Congrès, Série D, n° 596, du 2 octobre 2003). 7 En octobre 1996 déjà, le Gouvernement, les CC.OO et l’UGT avaient signé un accord sur la consolidation et la rationalisation du système de la Sécurité sociale, qui avait donné lieu à l’adoption de la loi n° 24 de 1997. Un accord pour l’amélioration du système de protection sociale est intervenu en avril 2001 entre le Gouvernement, les CC.OO. et la CEOE ; il est à l’origine de la loi n° 35 du 12 juillet 2002 concernant un système de retraite progressif et flexible. Après le renouvellement du Pacte de Tolède en 2003, et sur la base de la Déclaration pour le dialogue social de 2004, un accord sur la prise en charge des situations de dépendance, a été conclu en décembre 2005 par le Gouvernement, les syndicats (CC.OO., UGT) et les organisations d’employeurs (CEOE et CEPYME).

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Espagne

Bulletin de droit comparé du travail et de la sécurité sociale 2006 243

orphelins. Il tend à accentuer le caractère substitutif des revenus de ce type de prestation. De façon générale la tendance se poursuit à voir gommer le fondement purement contributif de ces prestations pour les rapprocher, de plus en plus, du schéma des prestations de solidarité. De plus, des changements ont été introduits pour adapter les conditions d’accès à l’allocation de veuvage à des situations familiales de plus en plus fréquentes, comme l’existence d’unions de fait ou de ruptures matrimoniales.

Sur un autre plan, l’accord se veut incitatif à la prolongation volontaire de

la vie professionnelle, sans oublier l’amélioration des garanties des travailleurs plus âgés exclus prématurément du marché de travail. Il faut également souligner les modifications du régime juridique de la retraite partielle, visant à adapter ce cas de figure aux caractéristiques et exigences des processus productifs. En conformité avec les orientations de l’Union européenne, l’accord augmente le montant de la pension qui passe de 2 à 3% pour chaque année supplémentaire de cotisation à partir de 65 ans, avec un minimum de 35 ans de cotisation. Dans la même logique, l’accord prévoit des conditions plus rigoureuses d’accès à la retraite partielle, en particulier dans les cas où elle est liée à la conclusion d’un « contrat de relève ». La condition d’âge actuelle de 60 ans, est maintenu pour les seuls travailleurs ayant cotisé avant le 1er janvier 1967. Pour les autres travailleurs, elle passe à 61 ans. Par ailleurs, de nouvelles exigences concernant le travailleur seront appliquées progressivement : une ancienneté minimale dans l’entreprise de 6 ans ; la justification d’une période de cotisation minimale supérieure qui, en 4 ans, augmentera de dix-huit à trente ans, et la diminution de la réduction maximale de la journée de travail habituelle du retraité partiel, qui passera de 85 à 75 %. Dans le cas de retraite anticipée, le coefficient réducteur du montant de la pension, pour les travailleurs qui justifient de 30 à 34 ans de cotisations, est fixé à 7,5 %, ce qui représente une légère amélioration pour ceux qui justifient de 30 ans de cotisations : jusqu’alors le taux était de 8 %.

L’accord, encore en attente de mise en vigueur, s’inscrit nettement dans

les orientations de l’Union européenne concernant notamment la pérennisation financière du système et sa modernisation en réponse aux modifications des besoins de l’économie, de la société et des individus.

José Luis Gil y Gil Université d’Alcalá de Hénares

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ÉTATS - UNIS

I - La jurisprudence de la Cour suprême Durant la période 2005-2006, la Cour suprême des États-Unis a statué sur

plusieurs affaires relatives à des questions d’emploi. Les décisions, qui portent sur un ensemble d’enjeux législatifs et constitutionnels, ne révèlent pas que la nouvelle Cour présidée par M. Roberts ait adopté un mode de raisonnement différent relatif à l’emploi. Les résultats sont divers et vont de considérations visant à étendre les droits légaux des salariés à des considérations réduisant la portée des droits constitutionnels des employés de la fonction publique. La première décision adoptée relativement à l’emploi correspond également à la première plaidoirie entendue par le nouveau président de la Cour suprême, le juge John G. Roberts, Jr1. Dans l’affaire IBP, Inc. c/Alvarez, la Cour suprême dans son ensemble a considéré que les employeurs sont tenus d’indemniser les salariés en vertu de la Loi fédérale sur les normes de travail équitables de 1938 (FLSA - Fair Labor Standards Act)2 pour le temps passé à marcher et à attendre avant et après le port et le retrait de vêtements de protection3. Cette loi (FLSA) exige que les employeurs versent une indemnité équivalente au salaire minimum pendant le temps de service, avec une majoration de cinquante pour cent pour les heures supplémentaires.

Dans l’affaire IBP, la Cour a estimé que dans la mesure où le port de

vêtements de protection est « entier et essentiel » à la poursuite des activités principales des salariés4, le temps qu’ils passent à aller et venir du secteur de la production après avoir mis et avant d’enlever ces vêtements est également indemnisable comme faisant partie d'une « journée de travail continue »5. De plus, les employeurs sont tenus d’indemniser les salariés pour le temps passé

1 Michael R. Triplett, Justices Hear Arguments Over Compensation Of Walking, Waiting Between Work Activities, DAILY LABOR REPORT, Vol. 191, en AA-1 (4 oct. 2005). 2 29 U.S.C.A. Sec. 201 et suiv. 3 546 U.S. 21, 126 S.Ct. 514 (2005). Le juge Stevens a formulé la position de l'ensemble de la Cour. 4 Steiner c/ Mitchell, 350 U.S. 247, 256 (1956). 5 126 S.Ct. à 527.

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à attendre pour pouvoir retirer les vêtements de sécurité, puisque cette activité fait partie intégrante de leur journée de travail, bien que la durée d’attente avant de pouvoir mettre ces vêtements ne soit pas indemnisable, dans la mesure où il s'agit là d'une activité préliminaire au commencement de leur journée de travail6.

Le Juge Alito, nouvellement nommé, a pris part à la seconde décision

adoptée par la Cour suprême relative aux questions d'emploi durant la période 2005-2006. À l’instar du président John Roberts, l’on s’attendait à ce que le juge Alito adopte une philosophie conservatrice au plan politique. Dans l’affaire Burlington Northern & Santa Fe Railway Co. c/ White7, toutefois, la Cour suprême dans son ensemble s’est à nouveau engagée dans une interprétation législative étendant les droits des salariés, cette fois en vertu du Titre VII de la Civil Rights Act de 19648, lequel condamne la discrimination relative à l’emploi aux motifs de la race, du sexe, de l’origine nationale ou de la religion. La Cour a interprété la Section 704 (a)9, à savoir la « disposition anti-représailles », laquelle vise à garantir la finalité antidiscriminatoire du Titre VII « en empêchant un employeur de contrecarrer (par le biais de représailles) les efforts d’un salarié cherchant à faire appliquer les garanties de base [du Titre VII] »10. Ainsi, tandis que la Section 703 (a)11 protège les salariés contre la discrimination interdite dans les décisions relatives à l'emploi, telles que l'embauche, le licenciement, les promotions ou les salaires, la Section 704 (a) protège le droit des travailleurs de s'opposer à la conduite illégale d'un employeur, qu’il s’agisse de plaintes en milieu de travail, d’accusations officielles ou de témoignages d’employés au plan juridique.

Dans le cas Burlington Northern, la Cour a estimé que la conduite

illégale d’un employeur en vertu de la Section 704 (a) n’est pas confinée aux « actions et aux préjudices (…) liés à l’emploi ou [qui] se produisent sur le lieu de travail »12. Par exemple, le fait qu’un employeur porte de fausses

6 Idem à 527-28. 7 548 U.S., 126 S.Ct. 2405 (2006). 8 42 U.S.C. § 2000e et s. 9 42 U.S.C. § 2000e-3(a). 10 126 S.Ct. à 2412. 11 42 U.S.C. § 2000e-2(a). 12 126 S.Ct. à 2409.

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accusations criminelles contre un ancien salarié qui se serait plaint de discrimination peut constituer des représailles illégales au sens de la Section 704 (a)13. La Cour a soutenu, de plus, que les actions de l’employeur seraient réputées relever de représailles illégales seulement si elles « avaient été matériellement défavorables à un salarié ou à un candidat raisonnable, » signifiant ainsi qu’elles « pourraient bien dissuader un travailleur raisonnable de porter plainte ou de soutenir une plainte, au motif de discrimination »14. Le juge Alito a soutenu une opinion distincte, désapprouvant que la Cour étende les réclamations pour représailles aux actions des employeurs intervenues hors du milieu de travail15. Dans la mesure où, dans l’affaire concernée, le demandeur avait subi des « actions matérielles défavorables », toutefois, incluant une mutation et une suspension, le juge Alito s'est rallié au jugement en faveur du plaignant16.

Les difficultés de la Cour suprême sont réapparues dans la troisième

affaire relative à l'emploi, laquelle réduisait la portée de la liberté d’expression des employés du secteur public, en vertu du premier amendement de la Constitution des États-Unis. Dans l’affaire Garcetti c/Ceballos17, la Cour, à 5 voix contre 4, a estimé que les employés du secteur public ne sont pas protégés par la Constitution contre les sanctions disciplinaires que l’employeur pourrait appliquer contre eux en raison de déclarations faites « dans le cadre de leurs fonctions officielles »18. En raison des faits de l'espèce, la Cour a établi qu'un procureur appartenant à un bureau du ministère public ne saurait être protégé de sanctions disciplinaires par le premier amendement pour avoir soumis une recommandation à son supérieur hiérarchique dans le cadre de ses fonctions. Dans ce texte, le ministère public recommandait le classement d’une affaire criminelle, car il avait conclu que la police avait produit de fausses déclarations pour obtenir un mandat de perquisition. Après que les instances supérieures aient rejeté sa recommandation puis procédé à la mise en accusation du suspect, le demandeur prétendit qu’il faisait l’objet de représailles du fait de ses paroles,

13 Idem à 2412, soutenant Berry c/. Stevinson Chevrolet, 74 F.3d 980, 984 (10th Cir. 1996). 14 Idem à 2409. 15 Idem à 2421-22. 16 Idem. 17 126 S.Ct. 1951 (2006). 18 126 S.Ct. à 1960.

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et qu’il avait subi notamment une réaffectation, une mutation, et un refus de promotion19.

Le jugement de l’affaire Garcetti est la dernière d’une série de décisions

adoptées par la Cour suprême, qui réduisent sévèrement la liberté d’expression constitutionnelle des employés de la fonction publique20. Les employés du secteur privé ne peuvent revendiquer de droits constitutionnels à l’encontre de leurs employeurs, puisque le premier amendement ainsi que les autres dispositions de protection prévues par la Déclaration des droits interdisent seulement les actions portées par le ministère public. Bien que les employés de la fonction publique soient théoriquement protégés par le Premier amendement contre les violations de leurs droits à la liberté d’expression par leurs employeurs, l’effectivité et la portée de ces droits se sont trouvées restreintes par les décisions adoptées par la Cour suprême21.

La Cour a créé un test constitutionnel pour la liberté d’expression des

employés du secteur public visant à équilibrer les « intérêts de l'employé du secteur public, en tant que citoyen, en commentant les questions d’intérêt public et l’intérêt de l’état, en tant qu’employeur, en soutenant l’efficacité des services publics exécutés par ses employés »22. Ce test a servi à protéger la liberté d’expression de certains employés du secteur public, par exemple une lettre à l’éditeur d’un enseignant de l’éducation publique publiée dans le journal local23.

Plus récemment, néanmoins, dans une série de décisions prises à la

majorité de 5 voix contre 4, la Cour a régulièrement restreint la liberté d’expression des employés du public par une mise en application du test en faveur du gouvernement en sa qualité d’employeur. Par exemple, la Cour a appliqué ce test en faveur des intérêts de l’hôpital public en tant qu’employeur quand une infirmière avait été renvoyée pour avoir critiqué les

19 126 S.Ct. à 1956. 20 Voir Risa L. Lieberwitz, The Corporatization of the University : Distance Learning at the Cost of Academic Freedom? (La corporatisation de l’université : l'enseignement à distance au prix de la liberté académique ?) 12 B.U. PUB. INT. L.J. 73, 90-92 (2002). 21 Idem. 22 Pickering c/ Bd. of Educ., 391 U.S. 563, 568 (1968). 23 Idem.

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pratiques de formation de la direction hospitalière24. L’affaire Garcetti constitue le point culminant de ce resserrement de la liberté d’expression, soutenant que les employés du secteur public ne sauraient bénéficier d’une protection en vertu du Premier amendement, quelles que soient les déclarations faites dans l’exercice de leurs fonctions. Les quatre juges dissidents auraient appliqué le test susmentionné à la parole de tout employé du secteur public, y compris les déclarations prononcées dans l’exercice de leurs fonctions25.

II - Le Conseil national des relations de travail (National Labor Relations Board)

La décision la plus importante du Conseil national des relations de travail

(le NLRB) et la plus attendue au cours de l’année passée concerne l’affaire Oakwood Healthcare, Inc26, revisitant la définition des « responsables de services, cadres ou contremaîtres », qui sont exclus des droits à la liberté syndicale et à la négociation collective au sens de la Section 2 (11)27 de la Loi nationale sur les relations de travail (NLRA). La tension existante entre la Section 2 (11) et la Section 2 (12)28, laquelle protège les travailleurs

24 Waters c/. Churchill, 511 U.S. 661 (1994). 25 126 S.Ct. 1962-76 (opinions dissidentes des juges Stevens, Souter, Ginsburg, et Breyer). 26 348 NLRB No. 37 (2006). 27 La Section 2(11) précise que « le terme « superviseur » désigne tout individu ayant autorité, dans l’intérêt de l’employeur, pour embaucher, transférer, suspendre, licencier, rappeler, promouvoir, renvoyer, assigner, récompenser ou sanctionner d’autres employés, ou chargé de les diriger ou d’arbitrer d’éventuelles réclamations, ou effectivement de recommander une action si, relativement à ce qui précède, l’exercice de ladite autorité n’est pas de nature purement routinière ou administrative, mais requiert une capacité de jugement indépendant. » 29 U.S.C. Sec. 152. 28 La Section 2(12) établit, notamment : « Le terme « employé professionnel » désigne : (a) tout employé engagé dans un travail (i) principalement intellectuel et diversifié par opposition à un travail de routine mentale, manuelle, mécanique ou physique ; (ii) intégrant l’exercice constant de qualités de discrétion et de jugement dans son exécution ;…(iv) requérant des connaissances de nature avancée dans un domaine scientifique ou un savoir acquis par le suivi d’une longue instruction intellectuelle spécialisée et des études dans une

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États-Unis

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professionnels en vertu de la NLRA, a occasionné un contentieux historique et long, notamment sur la question de savoir si les fonctions des infirmières pour « désigner » ou « diriger » d’autres salariés font d’elles des « cadres ou responsables de service ». Ces fonctions donneraient un pouvoir de supervision si les infirmières les exerçaient « dans l’intérêt de l’employeur » en usant de capacités de « jugement indépendant. »

Dans l’affaire NLRB c/Kentucky River Community Care Inc.29, la Cour

suprême a rejeté l’approche précédemment adoptée par le NLRB, estimant que les infirmières exerçaient un jugement professionnel en gérant et en dirigeant d’autres salariés, et non pas un jugement indépendant lié à une autorité de supervision30. Suivant le mouvement de la Cour suprême, le NLRB a, dans l’affaire Oakwood Healthcare, largement défini la fonction de « désignation » comme intégrant la désignation des lieux de travail des salariés, des périodes de travail, ou « l’ensemble des tâches ou fonctions significatives »31. Le NLRB a défini que « chargé de diriger » incluait le choix des tâches attribuées aux salariés, sous réserve que la personne dirigeante soit tenue responsable de cette fonction de direction par l’employeur32. En dernier lieu, le Conseil a déterminé que le « jugement indépendant » n’appartenait pas à la notion de « contrôle effectif exercé par une autre autorité » et se situait au-delà d’une fonction de « routine ou administrative »33. Le Conseil a également soutenu qu’un individu était considéré comme responsable de service dès lors qu’il consacrait « une partie importante et régulière de son temps de travail à l’exercice de fonctions de contrôle/supervision », qui peut représenter de 10 à 15 pour cent

institution d’enseignement supérieur ou un hôpital, par opposition à une éducation générale académique ou à un apprentissage ou une formation par la réalisation de procédures de routine mentale, manuelle ou physique ; (…) ». 29 U.S.C. Sec. 152. 29 532 U.S. 706 (2001). 30 Voir également NLRB c/. Health Care and Retirement Corporation of America, 511 U.S. 571 (1994) ; (La Cour suprême a rejeté la distinction opérée par le NLRB entre la direction d’un travail dans l’intérêt professionnel de la santé du patient, par opposition à l’« intérêt de l’employeur », ce qui constitue un élément essentiel de la définition des superviseurs au sens de la Section 2 (11)). 31 348 NLRB n° 37 du 29 septembre 2006 (décision majoritaire du Président Battista et des membres Schaumber et Kirsanow). 32 Idem. 33 Idem.

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de la totalité du temps de travail34. Les deux membres dissidents du NLRB ont critiqué la décision adoptée à la majorité parce qu’elle prive de nombreux salariés professionnels et quelques responsables de service du droit de liberté syndicale35. Le désaccord aurait restreint la portée de la définition d’encadrement en excluant la désignation de « l’ensemble des tâches » des fonctions prévues par la Section 2 (11), et limiterait la fonction de « direction » aux individus exerçant des fonctions « de discrétion et de jugement dans la direction d’une unité de travail »36.

La décision rendue dans l’affaire Oakwood a été franchement critiquée

par le mouvement ouvrier en ce qu’elle menace d’annuler effectivement la liberté syndicale des employés professionnels. La FAT-COI (Fédération américaine du travail et Congrès des organisations industrielles) a réagi en déposant une plainte auprès du Bureau international du travail (BIT) alléguant que Oakwood violait le droit fondamental des travailleurs à la liberté syndicale37.

Risa L. Lieberwitz

Université de Cornell - École des relations industrielles et du travail

34 Idem. 35 Idem (opinion dissidente des membres Liebman et Walsh). 36 Idem. 37 http://blog.aflcio.org/2006/10/23/afl-cio-files-complaint-to-un-labor-organization-against-anti-worker-nlrb-ruling/

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FRANCE

L’actualité juridique du Droit du travail français a principalement été

marquée en 2006 par l’adoption mouvementée de la loi pour l’égalité des chances1. Cette dernière affiche principalement cinq objectifs : créer un service civil volontaire, renforcer le pouvoir des maires face aux incivilités, aider les parents à exercer leur autorité parentale, renforcer l’égalité des chances et la lutte contre les discriminations - au moyen notamment de l’instauration de mesures garantissant l’anonymat lors du recrutement - ainsi que favoriser l’emploi des jeunes connaissant des difficultés d’insertion.

Ce dernier objectif qui retiendra seul notre attention repose sur deux

axes : la formation professionnelle (I) et la création d’un contrat de travail réservé aux jeunes de moins de 26 ans, le contrat première embauche (CPE). Ce dernier, ayant suscité un soulèvement populaire d’importance, a finalement été retiré sur ordre du Président de la République au mépris du fonctionnement des institutions françaises. En effet, la loi ayant été promulguée, l’article 8 relatif au CPE était dès lors en vigueur. S’il paraît étrange d’étudier ici ce contrat mort-né, il semble utile de comprendre le rejet dont il a fait l’objet, et ce d’autant qu’il est la réplique quasi exacte d’un contrat toujours en vigueur aujourd’hui : le contrat « nouvelles embauches » (CNE) (II).

I - Les mesures relatives à la formation professionnelle Outre un certain nombre de mesures aménageant le financement de la

formation professionnelle2 et incitant les entreprises à s’investir dans celle-ci3, la loi s’intéresse aux questions de l’apprentissage et du stage en entreprise, modes privilégiés d’accès au marché du travail pour les jeunes.

1 Loi n° 2006-396 du 31 mars 2006 pour l’égalité des chances, JO n° 79 du 2 avril 2006, p. 4950. 2 Articles 13, 14 et 17. 3 Articles 16 et 18.

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France

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Concernant l’apprentissage, la loi instaure un « apprentissage junior »4 ouvert aux jeunes de 14 ans révolus (contre 16 auparavant), se déroulant en deux étapes : un parcours d’initiation aux métiers, effectué sous statut scolaire dans un lycée professionnel ou un centre de formation d’apprentis, puis une formation en apprentissage. Un projet pédagogique établi par une équipe pédagogique assure l’accompagnement individualisé du jeune tout au long de sa formation. Ce dernier est suivi par un tuteur lors de la phase d’initiation aux métiers dont le but est d’acquérir un socle minimum de connaissances et de compétences. Le jeune alterne enseignements généraux et stages en milieu professionnel qui ouvrent droit à une gratification au-delà d’une certaine durée. L’entreprise, quant à elle, bénéficie d’un crédit d’impôt, quelle que soit la durée du stage. Celle-ci peut dès lors décider d’une durée de stage inférieure à celle ouvrant droit à gratification tout en bénéficiant du crédit d’impôt ! À la fin du parcours d’initiation, dès lors qu’il est âgé de quinze ans, que le projet est suffisamment avancé et qu’il est jugé apte à obtenir une qualification professionnelle, le jeune entre dans la seconde phase5 menant à la conclusion d’un contrat d’apprentissage, s’apparentant au dispositif jusque là existant6.

En matière de stages, le législateur ne s’était intéressé jusqu’à présent

qu’à ceux effectués dans le cadre d’enseignements en alternance ou réalisés dans le cadre de la formation professionnelle continue, ignorant les stages non obligatoires qui permettent pourtant à un très grand nombre de jeunes d’accéder au monde du travail. Ce vide juridique ayant contribué à des abus de la part des entreprises, la loi impose la conclusion d’une convention de stage entre le stagiaire, l’entreprise d’accueil et l’établissement d’enseignement7. Par ailleurs, la durée du stage ne pourra excéder 6 mois, renouvellements compris. Les stages excédant une durée de trois mois consécutifs ouvriront droit à une gratification au profit du stagiaire. On peut alors craindre la multiplication de stages de courte durée dans le seul but d’éviter le versement de cette gratification. Les stagiaires (hormis ceux effectuant leur stage dans le cadre de la formation professionnelle continue) seront dorénavant couverts par la législation sur les accidents du travail, à

4 Articles 1 à 7. 5 Une possibilité de retour dans un cursus scolaire traditionnel lui est offerte. 6 La loi prend soin cependant de renforcer la protection de l’apprenti, compte tenu de son jeune âge. 7 Article 9.

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l’exception de l’article L. 434-1 du Code de la sécurité sociale relatif au versement d’un capital au salarié invalide à la suite d’un accident du travail. Cette réglementation des stages ne peut évidemment qu’améliorer le statut des stagiaires. Malheureusement, aucune disposition ne permet de lutter contre le recours abusif aux stages. Or, il est indéniable que certaines entreprises considèrent le système des stages comme un « vivier de travailleurs » peu coûteux, ce qui ne favorise ni la création d’emploi, ni une insertion professionnelle satisfaisante.

II - Le contrat première embauche (CPE) Introduit par amendement gouvernemental, l’article 8 de la loi pour

l’égalité des chances portant création du CPE était destiné à favoriser l’insertion professionnelle des jeunes de moins de 26 ans. Il a donné lieu à un débat parlementaire houleux sur fond de révolte populaire, ce qui obligea le Président de la République à en demander le retrait, confirmant ainsi la dérive présidentialiste de nos institutions. Cependant, si le CPE n’a jamais été applicable et a d’ores et déjà été remplacé par un dispositif d’insertion professionnelle des jeunes8, ce dernier constitue dans son régime une copie quasi conforme du CNE9 qui, lui, n’a pas été retiré. Si leurs régimes étaient presque identiques, leurs champs d’application étaient quant à eux différents. En effet le CPE avait vocation à être conclu dans les entreprises de plus de 20 salariés avec des jeunes de moins de 26 ans, tandis que le CNE peut être conclu avec n’importe quel salarié mais seulement dans les entreprises de 20 salariés au plus. L’hostilité de l’opinion publique, et particulièrement de la jeunesse et des syndicats, à l’institution du CPE réside dans l’extrême précarité qui le caractérisait. En effet, c’était un contrat hybride qui a réussi le tour de force de mettre à mal à la fois la protection offerte aux salariés titulaires d’un contrat de travail à durée indéterminée (CDI) et celle offerte aux salariés titulaires d’un contrat de travail à durée déterminée (CDD).

Le CPE était en effet une échappatoire à la protection des salariés établie

par la législation sur le CDI. L’article 8–II rattachait expressément le CPE à la catégorie des CDI, auxquels il empruntait l’essentiel de son régime 8 Loi n° 2006-457 sur l’accès des jeunes à la vie active en entreprise du 21 avril 2006, JO du 22 avril 2006, p. 5993. 9 Institué par l’ordonnance du 2 août 2005, JO du 3 août 2005, p. 12689.

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juridique. Cependant, pendant une période de deux ans, appelée fallacieusement « période de consolidation de l’emploi », le législateur excluait l’application d’un certain nombre de dispositions du Code du travail10. Étaient d’une part écartées les règles relatives à la procédure encadrant la rupture du contrat de travail. En effet, pendant la période de consolidation, la rupture du CPE était seulement notifiée au salarié par l’envoi d’une lettre recommandée avec accusé de réception. Etait donc évincé l’entretien préalable au cours duquel l’employeur énonce au salarié les raisons pour lesquelles il désire rompre le contrat. Dès lors, aucune discussion contradictoire permettant au salarié de répondre aux griefs allégués par l’employeur n’était prévue, au mépris du respect des droits de la défense et du principe du contradictoire. Les ruptures de CPE étaient prises en compte dans le calcul de l’effectif déclenchant les procédures de licenciement collectif. Mais, paradoxalement, les salariés engagés sous CPE ne bénéficiaient ni du plan de sauvegarde de l’emploi, ni de l’avis des représentants du personnel, ceux-ci n’étant pas consultés sur le cas de ceux-là. Ainsi, aucune procédure n’était exigée pour rompre un CPE, si ce n’était la lettre recommandée qui, à la différence d’une lettre de licenciement classique, n’avait pas à comporter les motifs de la rupture. Le législateur opérait donc un retour à la situation antérieure à 1973. En effet, en l’absence d’exigence d’une cause réelle et sérieuse de rupture, le seul recours du salarié était la preuve, pour le moins difficile, de l’abus de droit. De surcroît, le législateur enfermait la contestation de la rupture dans un délai particulièrement bref : un an à compter de l’envoi de la lettre recommandée11, contre trente ans pour les salariés sous CDI ou CDD. Ces dispositions étaient d’autant plus contestables qu’il est permis de douter de leur conformité à la Convention n° 158 de l’OIT. En effet, cette dernière impose une obligation de motivation de la rupture, et n’autorise à y déroger que dans deux cas : pendant la période d’essai et pendant une période constituant une condition d’ancienneté requise, périodes qui ne doivent cependant pas excéder un délai raisonnable. Peut-on considérer qu’une durée de deux ans est un délai raisonnable ? Le Conseil d’Etat a répondu par l’affirmative concernant le CNE soumis à un régime de rupture identique12.

10 Articles L. 122-4, L. 122-11, L. 122-13, L. 122. 14-4, L. 321-1 à L. 321-17 du Code du travail. 11 Ce délai n’était opposable au salarié qu’à la condition d’être mentionné dans la lettre de rupture. 12 CE, 19 octobre 2005, D. 2005, IR, p. 2627 et 2631.

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Toutefois, une solution contraire pourrait être adoptée par la Cour de cassation, ce d’autant que le Conseil de prud’hommes de Longjumeau a jugé ce délai non raisonnable et écarté l’application de l’ordonnance du 2 août 2005 pour violation de la Convention n°15813.

À noter cependant que le législateur n’est pas allé jusqu’à écarter les

dispositions relatives à l’interdiction des discriminations, au respect des droits fondamentaux et à la protection offerte à certaines catégories de travailleurs (salariés protégés, femmes enceintes, …).

Le CPE était une échappatoire non seulement aux règles de protection

des salariés sous CDI, mais aussi aux règles protégeant les salariés sous CDD. En effet, alors que le recours aux CDD est strictement limité, le recours au CPE était libre, à l’exception des emplois pour lesquels il n’est pas d’usage de recourir à un CDI. Le recours au CPE était également facilité par l’absence de formalisme particulier. Ainsi, si un écrit était exigé, aucune mention obligatoire à peine de requalification en CDI, ni de sanction en cas d’absence d’écrit n’étaient prévues. D’autre part, un délai de carence de trois mois entre deux CPE conclus avec le même salarié était exigé. Mais aucune disposition n’imposait de délai de carence pour la conclusion de CPE successifs avec des salariés différents, ce qui n’incitait pas à garder le salarié au-delà de la période de consolidation d’emploi. Enfin, en cas de rupture du CPE au cours de la période de consolidation, le salarié avait droit à une indemnité, semblable à l’indemnité de précarité prévue pour les CDD. Cependant, alors que l’employeur doit verser au salarié à l’issue du CDD une indemnité de 10% de sa rémunération brute, le salarié titulaire d’un CPE ne bénéficiait que d’une indemnité de 8% - la justification de cette différence restant obscure -, l’employeur versant une contribution de 2% aux Assedic. Il faut rappeler que l’ensemble de ces développements est valable pour le CNE qui est toujours de droit positif.

Ainsi, pendant la période de consolidation, cette nouvelle sorte de contrat

n’offre au salarié ni la stabilité de l’emploi inhérente au CDI de droit commun, ni la garantie d’emploi propre au CDD, ce dernier ne pouvant être rompu avant terme (sauf en cas de faute grave, force majeure ou accord des parties). On assiste alors, au prétexte fort louable de lutter contre le chômage, à une véritable précarisation de la situation des salariés. L’épée de 13 CPH Longjumeau, 28 avril 2006, JCP S 2006, 1424, note P. Morvan.

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Damoclès que constitue l’extrême allègement des conditions de rupture fait douter, notamment, de la possibilité pour eux d’exercer leurs droits fondamentaux dans l’entreprise (droit de grève, droit syndical…), mais aussi hors de l’entreprise. En effet, comment trouver un logement ou obtenir un prêt dans une telle situation ? Autant de raisons expliquant la coalition intergénérationnelle sans précédent qui a entraîné le retrait du CPE.

Magali Gadrat et Bérangère Lacombe

Comptrasec UMR 5114 Université Montesquieu - Bordeaux IV

II - La Convention d’assurance chômage du 18 janvier 2006 et la Convention tripartite État-ANPE-Unedic du 5 mai 2006

En France, l’indemnisation du chômage est organisée en dehors de la sécurité sociale. En effet, si le chômage est l’un des neuf risques de sécurité sociale admis par la convention n°102 et même si, en 1945, les auteurs du Plan français de sécurité sociale considéraient que l’indemnisation du chômage devait intégrer la sécurité sociale, l’influence des idées libérales, la crainte que cette indemnisation favorise le développement d’un chômage volontaire et la pénurie de main-d’œuvre firent apparaître la protection contre ce risque moins urgente et la retardèrent. N’existait alors qu’un régime d’aide publique aux chômeurs, fondé sur une logique d’assistance, qui servait des allocations forfaitaires par des mécanismes proches de l’aide sociale. Aussi, en 1958, à la faveur du renouvellement politique, des perspectives d’intégration de la France dans le marché commun et de mutations industrielles, la volonté de favoriser la mobilité de la main-d’œuvre et la fluidité du marché du travail conduisit les partenaires sociaux à mettre en place une protection contre le chômage par accord interprofessionnel14. Depuis cette époque, le système français d’assurance chômage est fondé sur la négociation collective et il est géré à parité par des institutions syndicales et patronales. Ces dernières négocient un protocole d’accord qui débouche sur l’adoption d’une convention pluriannuelle, laquelle n’entre en vigueur qu’après un arrêté d’agrément du ministre chargé de l’emploi15. Les prestations d’assurance chômage sont versées par les 14 Accord national interprofessionnel du 31 décembre 1958. 15 Les textes permettent au ministre chargé de l’emploi de refuser de donner son agrément. Cela se produisit pour la Convention de 2001 que le ministre refusa

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associations pour l’emploi dans l’industrie et le commerce (ASSEDIC) qui ont une compétence territoriale16 et qui sont fédérées en Union nationale (UNEDIC). Elles sont complétées par un régime dit de solidarité, financé et décidé par l’État, dont les prestations sont également versées par les ASSEDIC. Par ailleurs, le placement des chômeurs est confié à des institutions publiques, les agences nationales pour l’emploi (ANPE).

Le système français d’indemnisation du chômage combine donc les deux

volets complémentaires d’indemnisation. Il ressemble en cela à la plupart des systèmes nationaux. Il est d’abord constitué d’un volet assurantiel, financé par des cotisations, qui organise la protection des salariés titulaires d’un contrat de travail et, donc, des personnes juridiquement subordonnées à leur employeur dans l’exercice de leur activité. Il comprend ensuite un volet assistantiel et verse, sous condition de ressources, des prestations non contributives aux demandeurs d’emploi considérés en très grande difficulté. Les allocations qui leur sont versées sont financées par un fonds de solidarité, alimenté par une subvention de l’État et par une contribution de solidarité payée par certains actifs17. Le système français d’indemnisation du chômage se singularise néanmoins par l’originalité de ses sources normatives. Si les allocations du régime de solidarité sont d’origine légale, les dispositions relatives aux prestations d’assurance chômage sont d’origine conventionnelle et entrent en vigueur après l’intervention du règlement d’agrément pris par les pouvoirs publics. Depuis la création du régime, les partenaires sociaux sont confrontés à des crises récurrentes, tant institutionnelles que financières, lors de l’élaboration de la convention pluriannuelle. 2006 ne fait pas exception à la règle. Le nombre des chômeurs reste élevé (près de 2, 4 millions fin 2005), le déficit cumulé du régime est abyssal (14 milliards d’euros) et il est probable qu’il persistera à l’horizon 2008 si les règles de fonctionnement du régime ne sont pas modifiées. Dans ce contexte, le protocole d’accord auquel sont parvenus syndicats de salariés et patronat au mois de décembre 2005 et la convention d’assurance chômage du 18 janvier 2006, soucieux du retour à l’équilibre financier, relèvent

d’agréer, notamment au motif qu’elle risquait de compromettre l’équilibre financier de l’assurance chômage. 16 Il existe 53 ASSEDIC en France, mais une ASSEDIC peut comporter plusieurs bureaux appelés « antennes ». 17 Agents de l’État, des collectivités locales, des établissements publics administratifs, …

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légèrement les cotisations d’assurance chômage (+ 0,08 point) et réaménagent les filières d’indemnisation en modifiant les durées d’indemnisation tout en durcissant les conditions d’accès au régime d’assurance. Par ailleurs, le 5 mai 2006, l’État, l’ANPE et l’UNEDIC ont conclu une convention sur la coordination des actions du service public de l’emploi, l’objectif étant d’atténuer les désagréments liés au partage des rôles entre les services compétents pour le placement des chômeurs (ANPE) et ceux compétents pour leur indemnisation (ASSEDIC).

A - Le réaménagement du suivi du chômeur et des filières d’indemnisation

Les organismes de l’assurance chômage, les ASSEDIC, versent aux demandeurs d’emploi une prestation nommée depuis 2001 allocation d’aide au retour à l’emploi (ARE). Cette dénomination est significative de l’objectif qui accompagne l’attribution de l’aide financière : la réinsertion du chômeur. La rédaction du premier article relatif aux garanties de ressources des travailleurs privés d’emploi est également édifiant à cet égard : « en complément des mesures tendant à faciliter leur reclassement ou leur conversion, les travailleurs involontairement privés d’emploi, aptes au travail et recherchant un emploi, ont droit à un revenu de remplacement (…) »18. Aussi, le versement de l’ARE, présenté comme un complément, soutient l’engagement de l’allocataire dans son effort d’insertion. Outre les actes positifs de recherche d’emploi qu’il doit accomplir, l’allocataire doit préparer un projet personnalisé d’accès à l’emploi (PPAE) avec l’agence nationale pour l’emploi (ANPE) et s’investir dans son exécution. L’ASSEDIC examine les conditions de réalisation de ce projet. Si le PPAE est une création de la convention de 2006, il ne constitue pas une innovation majeure. La précédente convention d’assurance chômage imposait en effet au chômeur indemnisé de respecter les dispositions de ce qui se nommait alors le projet d’action personnalisé (PAP). Le PPAE exprime la volonté d’accentuer encore l’individualisation de l’accompagnement afin d’orienter le demandeur d’emploi vers des parcours spécifiques et d’accélérer ainsi son retour à l’emploi. La nouvelle convention prévoit d’ailleurs l’élaboration d’un « diagnostic initial » de la situation du demandeur d’emploi, dès l’inscription par l’ASSEDIC, l’objectif étant ici encore de différencier les parcours des demandeurs d’emploi et de personnaliser les mesures : 18 Article L 351-1 C. trav.

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propositions d’actions de reclassement immédiat, réalisation d’un bilan de compétences, action de validation des acquis de l’expérience, prescription d’une formation complémentaire, conclusion d’un contrat de professionnalisation… Enfin, le versement de l’allocation reste suspendu ou interrompu si le chômeur n’effectue pas des actes positifs de recherche d’emploi ou s’il refuse d’accepter un emploi, compatible professionnellement et normalement rétribué.

Les montants et durées de l’indemnisation dépendent de la durée

d’affiliation préalable des salariés. Sur ce point, la nouvelle convention a aussi apporté des modifications19. Les filières d’indemnisation, qui permettent de distinguer les différentes situations d’indemnisation, sont maintenues et, sous réserve de leurs nouvelles appellations et de l’introduction d’une filière dite II, elles restent sensiblement les mêmes. La filière I20 concerne les salariés qui réunissent 6 mois d’affiliation dans une période de référence de 22 mois ; ils ont droit à une durée d’indemnisation de 12 mois. La filière II, ajoutée par le protocole de décembre 2005, est une voie intermédiaire nouvelle. Elle permet aux salariés qui justifient de 12 mois d’affiliation dans une période de référence de 20 mois d’avoir droit à une indemnisation pendant 12 mois. La filière III21 prévoit une indemnisation de 23 mois pour les assurés qui ont 16 mois d’affiliation dans une période de référence de 26 mois (contre 24 mois auparavant). Enfin, dans la filière IV22 qui concerne les chômeurs âgés de 50 ans et plus, la durée d’indemnisation est maintenue à 36 mois sur la base d’une affiliation inchangée de 27 mois durant les 36 derniers mois. Seuls les chômeurs âgés de 57 ans et demi à l’entrée dans la filière (contre 57 ans dans la convention précédente) sont dispensés, s’ils le demandent, de l’obligation de recherche d’emploi. Cet âge est ramené à 55 ans s’ils justifient d’au moins 160 trimestres validés dans les régimes de base obligatoires d’assurance vieillesse.

19 Nouvel article R. 351-1 C. trav. relatif aux durées minimales de service des allocations. Décret n° 2006-188 du 21 février 2006, arrêté d’agrément du 23 février 2006. 20 Ancienne filière A. 21 Ancienne filière B. 22 Ancienne filière C.

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Enfin, une aide spécifique à la création ou à la reprise d’entreprise est créée pour développer de nouveaux parcours de reclassement en faveur des chômeurs. L’allocataire qui crée ou reprend une entreprise peut obtenir le versement, sous forme de capital, d’une somme égale à la moitié du montant du reliquat de ses droits à l’ARE. Il faut néanmoins qu’il ait préalablement obtenu l’aide aux chômeurs créateurs d’entreprise ou à la validation d’un projet de reprise d’entreprise.

B - La convention tripartite sur la coordination des actions du service public de l’emploi

Prévue par la loi de cohésion sociale du 18 janvier 2005 aux fins de rénovation du service public de l’emploi, la convention tripartite attendue durant l’été 2005 a finalement vu le jour le 5 mai 2006, au terme d’un processus d’élaboration lent et laborieux. Même si, contrairement à l’ambition initiale et malgré l’installation de guichets uniques d’ici à la fin de l’année 2006, elle n’a pas réellement réussi à rapprocher l’ANPE et l’UNEDIC, elle affiche des ambitions élevées : simplifier les démarches des demandeurs d’emploi, dynamiser la recherche d’emploi et optimiser le service rendu aux chômeurs et aux entreprises. L’enjeu porté par la convention est important et la réussite de sa mise en œuvre sera déterminante pour l’avenir de l’ANPE, compte tenu du contexte particulier dans lequel elle intervient. Des expérimentations ont en effet été lancées en 2005, consistant à confier le suivi de demandeurs d’emploi présentant un risque maximal de chômage de longue durée à des opérateurs privés, à la place de l’ANPE. À ce jour, environ 7 000 chômeurs ont bénéficié d’une aide à la recherche d’emploi plus poussée qu’à l’ANPE. Cette atteinte au monopole de placement des ANPE nourrit une belle polémique entre les défendeurs du monopole, craignant une « privatisation du placement des chômeurs », et les partisans de l’ouverture du marché du placement à des cabinets privés. Si pour l’heure, l’UNEDIC a présenté un premier bilan financier selon lequel ces expérimentations auraient permis de réaliser 24 millions d’euros d’économies du fait du retour à l’emploi des chômeurs23, plusieurs syndicats de salariés rétorquent qu’alors que le coût moyen de suivi de chômeur est de 650 € à l’ANPE, il s’élève à plus de 3 000 € quand il est effectué par une structure privée. Dans ce contexte, les résultats, bon ou mauvais, de la mise 23 Les durées d’indemnisation seraient raccourcies de plus de six mois en moyenne et l’économie atteindrait 6 730 € par allocataire.

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en œuvre de la convention tripartite auront nécessairement une portée amplifiée et, pour l’heure, les ambitions affichées montrent qu’elle est résolument tournée vers l’amélioration de l’accompagnement des demandeurs d’emploi.

L’amélioration passe d’abord par la simplification des démarches

auxquelles doit se livrer le demandeur d’emploi. Une des difficultés majeures auxquelles il est souvent confronté est l’éloignement géographique des bureaux auprès desquels il doit se rentre pour effectuer ses démarches. Aussi, dès la fin 2006, un guichet unique devra être ouvert dans chaque région, ce qui devrait permettre de procéder aux opérations d’inscription et aux entretiens professionnels au cours de la même journée. Ce lieu commun regroupera les agents ANPE et ASSEDIC qui conserveront leurs statuts et leurs missions. Il s’agit donc avant tout d’un rapprochement opérationnel devant permettre aux demandeurs d’emploi et aux entreprises d’accéder plus facilement et plus rapidement aux services respectifs des deux organismes. Par ailleurs, à l’avenir, toute opération immobilière devra être précédée de la recherche d’un site commun ou contigu. Des « Maisons de l’emploi » pourront même être créées à l’initiative des communes afin de fédérer les actions publiques et privées en faveur de l’emploi sur leur territoire. Leur constitution est subordonnée à la participation de l’État, de l’ANPE et des ASSEDIC. Elles doivent permettre l’association des moyens au niveau territorial pour observer et anticiper les besoins de main-d’œuvre, adapter le territoire aux mutations économiques, favoriser l’accès, le retour à l’emploi et la création d’entreprises. Par ailleurs, l’inscription sur la liste des demandeurs d’emploi et son actualisation seront désormais réalisées par les ASSEDIC pour le compte de l’ANPE. Ceci va dans le sens d’une centralisation de la prise en charge du demandeur d’emploi. Dans le même esprit et pour favoriser la continuité de son parcours, la convention prévoit la création du « dossier unique » du demandeur d’emploi et, à l’horizon 2008, la convergence des systèmes d’information de l’ANPE et des ASSEDIC. Dans l’immédiat, le dossier unique doit réunir l’ensemble des données pertinentes relatives au demandeur d’emploi, collectées par les services et les institutions relevant du service public de l’emploi ou y contribuant. Mis à jour en temps réel, il permet un accès direct aux données pour les services et institutions qui assurent le service public de l’emploi.

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L’amélioration passe ensuite par le perfectionnement du suivi du demandeur d’emploi. Depuis le 1er janvier 2006, l’ANPE doit recevoir le demandeur d’emploi pour un entretien professionnel, dans les 8 jours de son inscription. Ce délai sera ramené à 5 jours le 1er janvier 2007. Lors de cet entretien, l’ANPE doit établir le profil du demandeur d’emploi et le projet personnalisé d’accès à l’emploi (PPAE). À titre expérimental, depuis le 1er septembre 2006, des agents de l’ANPE interviennent au sein des ASSEDIC pour réaliser l’entretien professionnel concomitamment à l’inscription du demandeur d’emploi, puisque c’est lors de cette inscription qu’est effectué le diagnostic initial qui permet de faire le point sur la situation du demandeur d’emploi et d’apprécier sa distance à l’emploi. Pour cette évaluation, l’ASSEDIC utilise d’ailleurs un outil d’analyse élaboré conjointement par l’ANPE et l’UNEDIC. L’intéressé doit ensuite bénéficier d’un entretien de suivi mensuel à partir du 4e mois de chômage et être suivi par le même conseiller tout au long de son parcours. La fréquence de ces entretiens peut être augmentée pour les chômeurs en difficulté. Compte tenu du surcroît de travail que cet encadrement entraîne, l’ANPE peut désormais déléguer l’élaboration et la mise en œuvre du PPAE à des organismes qu’elle conventionne ou qui ont été conventionnés par l’UNEDIC. La sélection des prestataires est effectuée après mise en concurrence sur la base d’un cahier des charges qui précise l’organisation des échanges d’information au sein du service public de l’emploi.

Le projet personnalisé d’accès à l’emploi24, qui s’inspire du projet

d’action personnalisé (PAP) précédemment instauré par la convention d’assurance chômage de 2004, est véritablement placé au cœur de l’accompagnement des demandeurs d’emploi. Il formalise les services, conseils et prescriptions nécessaires au retour à l’emploi et est élaboré et actualisé avec le demandeur d’emploi. De la sorte, il tente de pallier les dysfonctionnements mis en lumière par l’évaluation de l’ancien PAP. Il était en effet apparu que lors du premier entretien qu’ils effectuaient, les conseillers ANPE avaient souvent du mal à déterminer le risque de chômage de longue durée du demandeur, ce qui les empêchait de l’orienter vers l’accompagnement adéquat. Par ailleurs, l’évaluation avait montré que le service rendu n’était pas assez personnalisé, sans doute en raison du flux très important des demandeurs d’emploi. Le nouveau projet personnalisé, élaboré au vu du diagnostic initial devrait permettre d’améliorer notablement la 24 Articles R. 311-3-11 et R. 311-3-12 du Code du travail.

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situation. Outre la concertation des intervenants de l’ASSEDIC et de l’ANPE qu’ils supposent, ils devraient éviter la standardisation des prestations et, dans le meilleur des cas, favoriser une insertion professionnelle rapide.

Maryse Badel

Comptrasec UMR 5114 Université Montesquieu Bordeaux IV

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HONGRIE La période entre octobre 2005 et septembre 2006 fut relativement calme

en termes de réforme légale du droit du travail, en comparaison aux années précédentes. Cela ne signifie pas pour autant que le monde du travail fonctionne parfaitement. Il semble plutôt qu’il s’agisse d’une pause après une période de travail législatif intense consacrée à l’élaboration de réformes nécessaires à l’harmonisation du droit du travail hongrois avec les directives européennes.

Deux principaux sujets seront ici examinés. Il s’agira en premier lieu

d’analyser les modifications les plus importantes ; en second lieu des observations seront faites sur la mise en place d’une nouvelle institution en Hongrie : l’Autorité pour l’égalité de traitement qui est entrée en fonction le 1er février 2005.

Les principaux changements normatifs ont été adoptés par le Parlement

en 2005 ; ils sont entrés en vigueur le 1er janvier 2006 et ont concernés vingt-quatre paragraphes du Code du travail. Quelles en ont été les raisons ? D’une part, les réglementations n’étaient pas correctement formulées et laissaient place à de fortes interrogations sur leur mise en œuvre et leur usage éventuellement abusif. D’autre part, la réglementation en vigueur posait questions quant à son application.

Le premier groupe de règles modifiées concerne les domaines suivants :

a) Le transfert d’entreprise, b) L’organisation du temps de travail c) L’information des salariés sur les conditions d’emploi.

Le second groupe introduisait les modifications suivantes :

a) Un amendement a permis de mettre un terme à la controverse existant entre le Code du travail et les règles du droit international privé (intégré dans le décret nº 13 de 1979) concernant le champ d’application territorial du Code du travail hongrois.

b) La nouvelle loi a établi des règles détaillées afin de préciser ce qu’il était entendu par « exigences de performance » (règles de

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mesure de la performance pour les travailleurs dont le salaire est déterminé, à défaut de rendement, au temps).

c) Depuis son introduction dans le droit du travail hongrois, le licenciement des travailleurs est très pratiqué, et de nombreuses questions pratiques (et théoriques) n’ont pas été correctement résolues. La nouvelle loi a donc tenté de préciser la réglementation existante aux fins de protéger les salariés.

Ces modifications sont d’une certaine importance. Les objectifs de la

nouvelle réglementation visent essentiellement l'accessibilité et l’applicabilité des règles antérieures.

Par ailleurs, la création d’une « Autorité » en matière d’égalité de

traitement mérite de retenir l’attention. Bien que l’égalité de traitement ait été abordée par la Constitution hongroise suite aux transformations économiques et politiques de 1989 et par le Code du travail hongrois en 1992, l’égalité de traitement et l’égalité des chances n’étaient en aucun cas une question pratique. La déclaration du principe d’égalité de traitement fondée sur le genre, l’origine ethnique, la langue, les opinions politiques ou autre, la situation financière, etc. est restée une déclaration formelle.

Sur la question du principe d’égalité de traitement, la réglementation

hongroise du travail a énormément bénéficié de son entrée dans l'Union européenne. Du fait de l’adoption de l’« acquis communautaire », les directives ont non seulement influencé la réglementation hongroise, mais c’est aussi la jurisprudence communautaire qui a eu un grand impact. Le fait que ce droit présente des aspects pratiques et exécutoires constituait (et constitue toujours) une nouvelle expérience. Sur la base des directives communautaires y relatives, une nouvelle loi fut adoptée sur le principe d’égalité de traitement et d’égalité des chances (Loi CXXV de 2003, dénommée loi sur l’égalité de traitement) ; on a ainsi reconnu que la violation de ce principe concernait une part sensible de la vie professionnelle ; la loi a mis en place une organisation gouvernementale compétente pour recevoir les plaintes des victimes.

Cette « Autorité » est entrée en fonction le 1er février 2005. C’est une

organisation indépendante, habilitée à recevoir et à traiter les plaintes individuelles relatives aux illégalités en matière de traitement, et à mettre en

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œuvre les principes d’égalité et de non-discrimination. L’Autorité est constituée de 17 membres comprenant le Président, le Vice-président, le législateur, les services administratifs et financiers. Son personnel est constitué d’avocats et d’experts en sciences politiques, en administration publique et en affaires européennes. La loi sur le principe d’égalité de traitement nécessitait la mise en place d’un organisme de conseil pour assister l’Autorité sur les questions d’importance stratégique. Le Conseil est composé d’experts en droit sur l’égalité de traitement. Le 30 juin 2005, les 6 membres du Conseil furent nommés après un processus de consultation au cours duquel 63 O.N.G. ont présenté 24 candidats. Le Conseil possède des pouvoirs de codécision avec l’Autorité sur l’adoption des propositions soumises au gouvernement et des avant-projets de loi, sur le principe d'égalité de traitement et, de manière générale sur l’établissement de rapports.

La tâche de l’Autorité est d'analyser les requêtes reçues afin de

déterminer si le principe d'égalité a effectivement été enfreint aux motifs suivants :

a) sexe b) origine raciale c) couleur d) nationalité e) origine nationale ou ethnique f) langue maternelle g) handicap h) état de santé i) convictions religieuses ou idéologiques j) opinion politique ou autre k) statut familial l) maternité (grossesse) ou paternité m) orientation sexuelle n) identité sexuelle o) âge p) origine sociale q) statut financier r) nature à temps partiel ou à durée déterminée de la relation d’emploi ou

de toute autre relation liée à l’emploi s) appartenance à une organisation représentant les intérêts des salariés t) autres statuts, attributs ou caractéristiques.

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Comme on peut le constater, la liste comprend bien plus de motifs que les directives européennes suivantes :

- Directive du Conseil 76/207/EEC sur l’établissement du principe de

traitement égal entre les hommes et les femmes relativement à l’accès à l’emploi, la formation professionnelle et à la promotion, et les conditions de travail, (amendée par la Directive du Conseil 202/73/EC) ;

- Directive du conseil 79/7/EEC sur la mise en place progressive du principe d’égalité de traitement pour les hommes et les femmes en matière de sécurité sociale ;

- Directive du conseil 86/378/EEC sur la mise en place progressive du principe d’égalité de traitement pour les hommes et les femmes dans les systèmes de sécurité sociale professionnels ;

- Directive du Conseil 86/613/EEC sur l’application du principe de traitement égal entre les hommes et les femmes relativement à une activité, y compris dans l’agriculture, et sur la protection des femmes exerçant une activité autonome durant la grossesse et la maternité ;

- Directive du Conseil 2000/43/EC sur l’instauration du principe de traitement égal entre les personnes sans distinction en raison de l’origine raciale ou ethnique.

Ces directives ont pour finalité l’égalité de traitement relativement au

genre, à l’origine raciale ou ethnique en général et au-delà de ces trois motifs spécifiques dans le cadre de l’emploi, relativement à la religion, aux croyances, au handicap, à l’âge et à l’orientation sexuelle.

La loi hongroise n’est pas seulement applicable à l’emploi, ainsi que

l’énonce la Directive du Conseil 2000/78/EC concernant l’établissement d’un cadre général pour l’égalité du traitement dans l’emploi, mais aussi dans les domaines suivants :

a) l’éducation, b) la formation professionnelle, c) la vente de biens et de services, d) la sécurité sociale et la santé, e) le logement.

Les dispositions légales relatives à l’égalité de traitement ne sont pas

applicables au sein de la famille et dans le cadre de la vie privée, aux

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Hongrie

Bulletin de droit comparé du travail et de la sécurité sociale 2006 268

relations directement liées aux activités religieuses des Eglises, internes aux partis, excepté pour ce qui est des opinions politiques ou autres, aux relations entre les membres de personnes morales dotées ou non de la personnalité juridique, aux relations liées au statut d’appartenance à un groupe.

L’Autorité étudie les cas concernant : la discrimination directe et

indirecte, le harcèlement, la ségrégation illégale, les sanctions. La loi sur l’égalité de traitement établit une liste des circonstances dans lesquelles l’employeur est particulièrement tenu de se conformer au principe de l’égalité de traitement ; il s’agit de :

a) l’accès à l’emploi, spécifiquement en cas d’annonce publique de

poste à pourvoir, le recrutement, et les conditions d’emploi, b) la garantie d’un salaire égal à travail égal. c) l’égalité en matière de conditions de travail, de qualification ou de

formation professionnelle, doivent être appliquées à tout salarié ou agent public dans l’organisation d’un travail ou d’un service public,

d) les conditions doivent être établies avant le début de la relation de travail ou de toute autre relation liée à l’emploi

Aucune sanction ne saurait être appliquée vis-à-vis de ceux ayant porté

plainte pour discrimination. Si l’on s’intéresse aux questions de procédures, la loi sur l’égalité de

traitement énonce que toute personne physique ou morale est habilitée à déposer plainte auprès de l’Autorité compétente pour violation du principe de l’égalité des droits.

Si l’Autorité constate que le principe d’égalité de traitement a bel et

bien été enfreint, elle peut : a) ordonner la cessation de la situation créant la violation de la loi; b) interdire que la situation créant la violation de la loi se poursuive ; c) publier la décision établissant la violation de la loi ; d) infliger une amende, de 50 milles à 6 millions d’HUF (environ 185

euros à 22 000 euros).

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Hongrie

Bulletin de droit comparé du travail et de la sécurité sociale 2006 269

Seul le tribunal est habilité à accorder des dommages et intérêts. Pour obtenir une compensation, la victime doit entamer une procédure de poursuites judiciaires auprès des tribunaux compétents.

Ainsi que les statistiques le montrent durant la première année de son

fonctionnement, l’Autorité a enregistré environ 500 plaintes dont la majorité avait pour motif la discrimination ethnique. Les droits à l’égalité ont principalement été enfreints dans la sphère de l’emploi. L’Autorité a estimé qu’il y avait violation du principe d’égalité de traitement dans 9 cas ; les parties au litige sont parvenues à un accord avec l’aide de l’Autorité dans 6 cas ; l’Autorité a condamné les auteurs de discrimination à payer des amendes dans 3 cas ; 125 plaintes pour discrimination ont été rejetées et dans 24 cas, l’Autorité a abandonné les poursuites, en partie du fait du retrait des plaintes, en partie parce que l’affaire était parallèlement jugée par les tribunaux pour les mêmes motifs1.

Le nombre de cas portés devant l’Autorité (500 durant la première année)

semble très prometteur et démontre qu’une telle institution publique est réellement nécessaire. Il faut aussi mentionner que la discrimination dans la relation d’emploi en raison de l’appartenance à un sexe, de l’âge, de la nationalité, de la race, de l’origine, de la relation, des convictions politiques, de l’appartenance à des organisations syndicales, ainsi que toutes autres circonstances non liées à l’emploi, est interdite depuis le 1er juillet 1992 (Code du travail, paragraphe 5). Toutefois, le nombre de cas de discrimination portés devant les tribunaux est resté extrêmement faible, et seulement quelques dossiers ont été déposés chaque année.

1 http://www.egyenlobanasmod.hu/index.php?g=ebh_aboutEN.htm et http://www.egyenlobanasmod.hu/index.php?g=cases.htm

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Hongrie

Bulletin de droit comparé du travail et de la sécurité sociale 2006 270

Les attentes européennes relatives à l’harmonisation du droit du travail ont été satisfaites ; l’objectif est désormais d’appliquer correctement les réglementations établies. Éveiller la conscience des personnes quant à leurs droits dans le travail est une tâche importante ; la mise en place ainsi que le fonctionnement de l’Autorité pour l’égalité de traitement constitue un immense pas en avant.

Krisztina Rúzs Molnár Université de Szeged

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Bulletin de droit comparé du travail et de la sécurité sociale 2006 271

ITALIE

I - Une des réformes législatives importantes adoptées en Italie fin 2005 porte sur la Sécurité sociale (loi du 5 décembre 2005 n° 252) et concerne précisément le système des retraites dit « complémentaire ». La loi vise à établir les règles relatives aux sources et aux instruments permettant de mettre en place les fonds financiers (convention collective ou accord d’entreprise signés par les organisations syndicales nationales ; accords syndicaux signés par les organisations syndicales représentant les travailleurs indépendants et ceux qui exercent une profession libérale ; règlement unilatéral de l’employeur à défaut de convention collective ; loi régionale comprenant des dispositions cadre en ce domaine). Le nouveau système est basé sur l’adhésion volontaire du travailleur subordonné ou indépendant et sur l’autorisation administrative préalable à l’exercice de la gestion financière de ces fonds par des associations privées dont les règles de fonctionnement pour ce qui est des organes d’administration, de contrôle et de responsabilité ont été fixées par la loi. Un organisme public nommé COVIP a une fonction de surveillance du fonctionnement des associations qui administrent les fonds de pensions complémentaires.

La même loi a modifié le régime de la rémunération du salarié au

moment de la résiliation unilatérale du contrat de travail (démission ou licenciement), dénommée traitement de fin de relation (TFR) et correspondant à une rémunération mensuelle pour chaque année de durée du contrat de travail. Selon la réforme, le salarié peut choisir de donner son TFR à la gestion du fonds de pension complémentaire. Deux possibilités sont prévues : si l’employeur et le travailleur ont conclu un accord, le TFR sera transféré au fonds indiqué dans cet accord. À défaut d’accord, le TFR sera transféré au fonds géré par l’Institut national de la Sécurité sociale.

Une loi très importante du 4 août 2006 (loi n° 223), a été adoptée,

d’abord par arrêté (dit arrêté Bersani), par le nouveau gouvernement de centre-gauche. Ce texte s’inspire de l’idée qu’il faut laisser une marge de liberté de concurrence dans la gestion de certains services et de professions libérales pour que les consommateurs aient une liberté de choix plus importante conformément aux principes de l’Union européenne. La finalité

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Italie

Bulletin de droit comparé du travail et de la sécurité sociale 2006 272

de la loi est de créer des effets positifs pour l’économie et l’emploi. Certaines dispositions de cette loi affectent le droit du travail.

Il s’agit de lutter contre le travail clandestin, très développé en Italie, et

de sauvegarder l’intégrité et la sécurité du salarié. On constate en effet que les accidents de travail sont plus nombreux et plus fréquents dans les entreprises qui recourent, même si ce n’est qu’en partie, au travail au noir. L’article 36 de la loi (qui s’applique notamment au secteur du bâtiment) établit une présomption de péril pour la sécurité au travail si les salariés sont employés de manière clandestine car ils ne bénéficient pas de la formation spécifique obligatoire en matière de sécurité. La loi dispose que si l’inspecteur du travail a constaté le recours au travail au noir, il peut décider de deux sanctions, la suspension des travaux et la fermeture de l’établissement, si au moins 20% des effectifs employés sur chaque chantier, et non dans l’entreprise globalement, sont en situation irrégulière. La sanction sera annulée si les salariés sont titulaires d’un contrat de travail régulier. La même sanction s’applique en cas de violations fréquentes des dispositions sur la durée maximale de travail et sur les repos journalier et hebdomadaire. Le non respect de la mise en demeure de l’inspecteur du travail déclenche la responsabilité pénale de l’employeur. D’autres dispositions sont venues renforcer la protection des salariés dans les entreprises sous-traitantes de services, via l’obligation solidaire entre le commettant et le sous-traitant en matière de cotisation sociale.

Le panorama législatif est actuellement dominé par le débat sur des

propositions de modification de la loi portant réforme du marché du travail (dite « loi Biagi ») de 2003. Certains souhaitent limiter le recours aux contrats de travail atypiques et modifier le système de Sécurité sociale ; d’autres, par contre, cherchent à multiplier les possibilités de conclure des contrats de travail non subordonnés.

II - Le Conseil constitutionnel a eu l’occasion de se prononcer sur le contrat de travail à durée déterminée. Dans un arrêt du 16 février 2006, il a confirmé l’opinion selon laquelle le contrat type de travail subordonné est le contrat de travail à durée indéterminée. La violation des conditions requises pour conclure un contrat de travail temporaire (contrat écrit et indication du terme fixé) qui selon la loi 388/2001 se traduisait par la transformation du contrat en contrat de travail à durée indéterminée a été considérée comme

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Italie

Bulletin de droit comparé du travail et de la sécurité sociale 2006 273

conforme au principe d’égalité (proportionnalité) et de protection du salarié établie par l’article 35, 1 alinéa de la Constitution. La Cour de cassation partage le même point de vue. Les exigences, de fond comme de forme, de la loi sur les contrats à durée déterminée, sont à interpréter de manière stricte. Leur non respect emporte la requalification du contrat en un contrat à durée indéterminée (Cf. Cass. n° 26989/2005, n° 26679/2005, n° 26677/2005 concernant les services postaux).

Stefania Scarponi Université de Trento

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Bulletin de droit comparé du travail et de la sécurité sociale 2006 274

JAPON

Deux domaines ont fait l’objet de modifications législatives importantes entre octobre 2005 et octobre 2006. Il s’agit de la sécurité au travail et de l’égalité des chances et de traitement entre hommes et femmes dans l’emploi. De manière générale, l’on avait vu l’an passé que l’augmentation des conflits individuels du travail a mené à l’aménagement de nouvelles procédures pour leur résolution. Une nouvelle législation est en cours de préparation fixant un cadre pour la conclusion des contrats de travail individuels. La relation du travail suit donc son courant d’individualisation, lentement mais sûrement.

I - La loi amendant en partie la loi sur la sécurité et la santé dans le travail, adoptée le 26 octobre 2005.

Le nombre d’accidents du travail, bien qu’en diminution, reste tout de même préoccupant au Japon : 530.000 victimes en moyenne par an, soit environ 0,8% de la population salariée, avec en 2004, 1.620 décès et 122.804 suspensions de travail d’au moins 4 jours. Ces dernières années c’est surtout l’augmentation d’accidents graves, tels qu’incendies et explosions, survenus dans des entreprises de grande envergure censées représenter l’industrie japonaise, qui est inquiétante. C’est ainsi que le ministère de la santé et du travail a adopté récemment un certain nombre de mesures concernant la sécurité dans les grands sites industriels, tels que des sessions d’auto-inspection, la création et mise en oeuvre de groupes d’étude inter-ministériels, etc. Un autre facteur de danger pourtant identifié depuis de longues années, reste bien sûr les heures de travail toujours très (trop) longues au Japon. La très forte pression exercée par les concurrences nationale et internationale domine encore le rythme de travail des japonais, et les efforts des autorités pour réduire les heures prestées, bien que réels, semblent ne produire que de maigres résultats. Il semble en fait se produire une polarisation entre le sous-emploi de la main-d’oeuvre peu qualifiée, et le sur-emploi de celle compétente et productive. Selon des statistiques de 2003, 310 décès ont été reconnus par l’inspection du travail comme étant liés au surmenage et plus de 100 suicides ont été reconnus comme provoqués par le stress au travail. Les amendements de la loi d’octobre 2005 à la loi sur la sécurité et la santé au travail portent sur deux aspects : les accidents graves

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Japon

Bulletin de droit comparé du travail et de la sécurité sociale 2006 275

sur les grands sites, et les troubles de santé, y compris mentaux, provoqués par l’excès de travail.

- Le nouvel article 28 §2 de la loi incite tout employeur à effectuer une

analyse détaillée de risque sur les sites, équipements et appareillages, matières premières, gaz, vapeurs, etc. ainsi que ceux liés aux actes de production, les évaluer et prendre les mesures de sécurité requises.

- Les articles 57 et 57 bis de la loi adaptent la réglementation en vigueur

aux normes internationales du système général harmonisé de classification et d’étiquetage des produits chimiques (SGH) des Nations Unies.

- Obligation d’information vis-à-vis des sous-traitants : lorsque

l’employeur négocie un contrat de sous-traitance ou d’entretien, il a l’obligation de communiquer à ses cocontractants toutes informations qu’il possède sur la sécurité et les risques inhérents au contrat (article 31bis).

- Mesures contre le surmenage et concernant la santé mentale des

travailleurs : il est médicalement démontré qu’une accumulation de la fatigue physique et mentale due à l’excès de travail provoque des troubles du cerveau et du cœur. L’employeur a l’obligation de prendre les mesures nécessaires pour identifier rapidement les travailleurs surmenés, leur fournir un suivi médical et prendre les mesures nécessaires. L’article 66.8 prévoit une consultation médicale pour les travailleurs dont le nombre d’heures supplémentaires (au-delà de 40 heures par semaine) dépasse 100 heures par mois... La loi ne prévoit pas d’obligation pour l’employeur de réduire les heures de travail d’un tel travailleur. Cependant, il risque de voir engager sa responsabilité civile, si les risques de santé encourus par le travailleur considéré venaient à se réaliser.

La loi sur la protection contre les accidents du travail a été amendée

également pour couvrir les accidents survenus au travailleur se déplaçant entre ses deux résidences, lorsque celui-ci vit séparé de sa famille en raison d’obligations professionnelles (article 7 al. 2 et 3).

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Japon

Bulletin de droit comparé du travail et de la sécurité sociale 2006 276

II - La loi amendant en partie la loi sur l’égalité des chances et de traitement entre les hommes et les femmes dans l’emploi, adoptée le 15 juin 2006 entrera en vigueur le 1er avril 20071.

Les derniers amendements de la loi sur l’ égalité des chances et de traitement des hommes et des femmes dans l’emploi qui ont été adoptés tout récemment sont importants et reflètent l’évolution lente mais sûre des mentalités dans la société japonaise en matière d’égalité professionnelle entre les sexes2.

- Bilatéralité : L’ancien article 5 de la loi interdisait à l’employeur de

discriminer « à l’égard des femmes » en matière de recrutement et d’embauche. Dorénavant, l’article est formulé de telle manière que ce n’est plus seulement la discrimination envers les femmes, mais celle qui se base sur le sexe, qui est interdite. Il s’agit donc de ne plus considérer la femme seulement comme devant faire l’objet d’une protection particulière, mais d’interdire simplement de prendre en considération le sexe comme critère de sélection. L’article 6 est modifié dans le même sens également, et interdit toute discrimination en matière de placement, promotion ou déclassement, de formation professionnelle, ainsi que de tout autre avantage et bénéfice octroyé en relation avec le travail. Le changement de type de contrat est également interdit, ainsi que l’incitation à partir à la retraite, l’âge de la retraite, le licenciement ainsi que le renouvellement du contrat de travail, s’ils sont faits en considération du sexe du travailleur.

- La discrimination indirecte fait également pour la première fois l’objet

d’une interdiction spécifique dans la loi, avec l’insertion de l’article 7, qui énonce que l’employeur, lorsqu’il prend des mesures telles que le

1 Voir F. Obata, « Danjo Koyou-kikai kintou hou oyobi Roudou-kijun hou no ichibu kaisei to koyou shakai » (Amendement des lois sur l’égalité des chances dans la profession et des normes du travail, et le contexte social du travail), Jurist, n° 1317 (8. 2005), p. 2-5. 2 Voir aussi sur cette réforme, la note du département de la politique de l’égalité du ministère de la santé et du travail : « Koyou no bunnya ni okeru danjo no kintou na kikai oyobi taiguu no kakuho tou ni kansuru houritsu oyobi roudou kijun hou no ichibu wo kaisei suru houritsu » (La loi amendant une partie de la loi sur l’ égalité des chances et de traitement entre les hommes et les femmes dans l’emploi et la loi sur les normes de travail), Jurist, n° 1319, p. 87-92.

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Japon

Bulletin de droit comparé du travail et de la sécurité sociale 2006 277

recrutement, l’embauche ou tout acte énuméré à l’article 6, de manière apparemment neutre sans considération du sexe du travailleur, mais qui en considération de la proportion des travailleurs hommes et femmes qui remplissent les conditions exigées, risque de constituer une discrimination basée sur le sexe, ne peut prendre cette mesure à moins qu’elle ne soit objectivement justifiée par les nécessités des travaux effectués ou de l’organisation du travail. De telles mesures seront énumérées dans les arrêtés pris à cet effet par le ministère de la santé et du travail.

La loi comportait déjà l’interdiction pour l’employeur de licencier une

travailleuse du fait du départ en congé de maternité, de la grossesse ou de l’accouchement. A cela a été ajoutée l’interdiction de licenciement en raison de la demande faite par une travailleuse de prendre ce type de congé, ainsi que l’interdiction de toute mesure discriminatoire autre que le licenciement. En outre, tout licenciement d’une travailleuse enceinte ou dans l’année suivant l’accouchement et présumé nul, à moins d’être justifié par des raisons objectives indépendantes du sexe (article 9).

- Harcèlement sexuel : le nouvel article 11 de la loi rend obligatoire les

mesures prises par l’employeur pour éviter que tout travailleur subisse des dommages sur le lieu du travail en raison d’actes verbaux ou physiques à connotation sexuelle. En outre, la nouvelle disposition protège tant les hommes que les femmes vis-à-vis de tels actes alors que seules les femmes étaient protégées.

- Mesures positives : En vertu du nouvel article 14, le gouvernement est

tenu d’assister tout employeur qui souhaite prendre des mesures positives en vue d’améliorer l’égalité entre les travailleurs en éliminant d’éventuels obstacles à la réalisation de cette égalité. Le gouvernement vise ainsi à promouvoir de telles initiatives dans les entreprises de taille moyenne et les petites entreprises, encore en retard par rapport aux grandes entreprises dans ce domaine.

Dans son article dans la revue Jurist, le professeur Obata (voir note) fait

remarquer que face aux craintes exprimées par certains, que la promotion de l’égalité des femmes et des hommes dans la profession ne provoque la dévalorisation des femmes qui font le choix de rester au foyer, il est nécessaire d’insister sur le fait que ces mesures visent à garantir le libre choix du style de vie de tout homme et de toute femme, tout en étant

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Japon

Bulletin de droit comparé du travail et de la sécurité sociale 2006 278

pleinement conscient des risques que comportent actuellement la dépendance financière à une seule source de revenus pour la famille ou pour le couple. Nous ne pouvons qu’adhérer complètement à son opinion, en ajoutant que se développe un débat regrettable en matière de sécurité sociale visant à éliminer les avantages financiers accordés aux conjoints à charge de leur conjoint, ce indépendamment de leur sexe. Il s’agit là d’une protection financière nécessaire et justifiée par de réels besoins financiers, dont l’élimination serait un réel obstacle à un tel libre choix. La notion d’égalité est toujours et en constante évolution.

Yuki Sekine

Faculté de Droit de l’Université de Kobe

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Bulletin de droit comparé du travail et de la sécurité sociale 2006 279

ORGANISATION INTERNATIONALE DU TRAVAIL

Trois années se sont écoulées durant lesquelles aucune convention n’a été

adoptée sous l’égide de l’OIT. La 94ème et 95ème session de la Conférence ont mis fin à cette somnolence par l’adoption le 23 février 2006 de la « Convention du travail maritime », et celle de la « Convention sur le cadre promotionnel pour la sécurité et la santé au travail », le 15 juin 2006 (1). L’actualité des organes de contrôle n’est pas en reste. Comme chaque année, ceux-ci apportent leur utile contribution à l’approfondissement du droit universel du travail (2).

I – Actualités des normes internationales du travail : la Convention du travail maritime

Si chacune des conventions citées relance utilement l’action normative dans des domaines largement couverts par le droit international du travail, une attention toute particulière doit être portée sur la Convention du travail maritime. Cet instrument, atypique à maints égards, met en lumière les efforts de l’Organisation pour moderniser l’instrument conventionnel et répond à trois qualificatifs bien mérités. Elle est ambitieuse, originale et équilibrée.

Ambitieuse, cette convention l’est particulièrement. Elle est destinée à

occuper un rang significatif au sein du droit international. Elle est appelée à former le « quatrième pilier » du droit universel en matière maritime, puisqu’elle prend place aux côtés des 3 conventions maritimes fondamentales adoptées sous l’égide de l’Organisation maritime internationale. Au sein du droit international du travail, elle reprend des normes universelles établies dans 68 instruments normatifs et révise pas moins de 37 conventions ou protocoles, c'est-à-dire la quasi-intégralité des conventions de l’OIT en matière maritime, qu’elle reprend, organise, actualise et a vocation à remplacer. Les objectifs attachés à la convention sont aussi ambitieux. La Conférence, prenant acte du constat que l’activité maritime constitue l’activité mondialisée par excellence, a souhaité codifier, rassembler de manière pédagogique et compréhensible les instruments existants. La convention fait figure de « convention pilote ». Par l’approche globale qui la caractérise, elle vise à atteindre de manière effective le travail

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OIT

Bulletin de droit comparé du travail et de la sécurité sociale 2006 280

décent en matière maritime, et l’objectif d’une mondialisation juste. La préoccupation d’effectivité des normes a été prise en compte en tant qu’objectif, et mis en œuvre non seulement en aval, mais aussi en amont, l’effectivité passant aussi par l’adhésion des acteurs aux règles édictées par la convention. On notera, à cet égard, le consensus exceptionnel qui a présidé à son adoption par la Conférence : 314 voix pour, 0 voix contre, 4 abstentions. Ces différentes ambitions affichées par la convention sont soutenues par des moyens originaux.

Originale, la convention met en lumière une réelle tentative de

modernisation de l’instrument conventionnel. On s’en convaincra facilement par l’examen de la structure de la convention. Elle se compose de trois parties : les articles énonçant les obligations fondamentales des Etats membres, les règles énonçant les droits et principes fondamentaux que ceux-ci doivent mettre en œuvre, et le code se divisant en normes obligatoires (partie A) et principes directeurs non obligatoires (partie B). La présentation est des plus pédagogique : la convention énonce une règle. La manière dont celle-ci doit être mis en œuvre est détaillée dans une norme obligatoire. Des principes directeurs non obligatoires viennent ensuite fournir des indications détaillées sur la manière dont la norme ou la règle devraient être mises en œuvre. La convention prévoit la création d’une commission tripartite maritime chargée de suivre en permanence l’application de la convention et qui sera amenée à jouer un rôle déterminant dans le cadre des dispositions novatrices concernant la révision de la convention. Des procédures souples de révision sont instituées à travers la technique des amendements. Nul n’est besoin de réviser la convention dans son ensemble lorsque telle disposition paraît obsolète ou pose un problème particulier. Une procédure allégée est prévue concernant les amendements au code qui sont adoptés au sein de la commission tripartite et soumis à approbation de la Conférence. L’amendement au code, une fois adopté et approuvé, est notifié aux Etats ayant déjà adhéré à la convention. Ceux-ci ont deux ans pour exprimer formellement leur désaccord. A défaut, leur silence vaut acceptation. Seul le désaccord formel de 40% des Etats représentant le même pourcentage de la jauge brute mondiale peut remettre en cause l’entrée en vigueur de l’amendement.

Equilibrée, cette convention ne l’est pas moins. Si l’objectif de

codification attaché à cette convention n’a pas permis la consécration de nouveaux droits substantiels, on ne doit pas occulter les profondes avancées

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OIT

Bulletin de droit comparé du travail et de la sécurité sociale 2006 281

qu’elle recèle, en vue d’assurer l’effectivité des droits qu’elle énonce. Certes, afin de permettre la plus large ratification de la convention, certaines dispositions détaillées auparavant obligatoires ont été transformées en principes directeurs, car elles constituaient un frein à la ratification pour de nombreux Etats. Aussi, on remarquera que les normes obligatoires sont pour certaines supplétives, puisqu’il est permis à un Etat membre qui n’est pas en mesure de les appliquer, de satisfaire à ses obligations par des mesures équivalentes dans l’ensemble. Si la souplesse est de mise dans la mise en œuvre des droits, les moyens d’une application effective et efficace sont renforcés. Tous les acteurs sont sollicités. Les marins eux-mêmes, peuvent déposer des plaintes alléguant des infractions à la convention, à bord ou à terre. Les armateurs doivent élaborer et mettre en œuvre des plans, afin de garantir le respect de la réglementation. Ceux-ci sont mis en œuvre par le personnel de commandement. L’Etat du pavillon contrôle, vérifie l’exécution et certifie les plans. Les Etats dans les ports desquels un navire fait escale peuvent opérer une inspection visant à vérifier que le navire respecte les prescriptions de la convention. Les pouvoirs octroyés aux fonctionnaires du for, s’étendent à tout navire étranger peu important la ratification par l’Etat du pavillon et vont jusqu’à la faculté d’interdire à un navire de prendre la mer. Ils font de chaque Etat membre un agent de contrôle de la convention, et sont de nature à neutraliser les avantages concurrentiels qui pourraient naître de la non ratification ou application de la convention pour un Etat membre. Ainsi, la souplesse accordée aux Etats dans la mise en œuvre des droits substantiels est largement équilibrée par le panel de moyens, renforcés par la convention en vue d’assurer l’effectivité de ces droits.

Laurent Perrin Comptrasec UMR 5114

Université Montesquieu – Bordeaux IV

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OIT

Bulletin de droit comparé du travail et de la sécurité sociale 2006 282

II - Actualités des organes de contrôle Le 31 mars 2006, le Conseil d’administration du Bureau international du

travail a résumé le sentiment général vis-à-vis de la situation en matière de travail forcé au Myanmar : « fondamentalement au point mort »1. A la suite de ce constat, le Conseil d’administration a décidé que la question devait être renvoyée, une nouvelle fois, à la Conférence internationale du travail (en séance plénière), afin que celle-ci adopte de nouvelles2 mesures.

La Commission de l’application des normes, qui a tenu une nouvelle

séance spéciale sur l’application par le Myanmar de la Convention n° 29 sur le travail forcé, est arrivée à des conclusions quasiment identiques. La Commission a certes pris note des informations fournies par le gouvernement du Myanmar indiquant qu’il avait décidé d’un « moratoire de 6 mois sur le travail forcé, à titre expérimental ». Mais elle a aussi souligné que ces paroles devraient être suivies d’effets, ce qui n’a jamais été véritablement le cas jusqu’ici. Elle a demandé à ce que cette déclaration d’intention soit confirmée et complétée de toute urgence par des actions concrètes dans tous les domaines pertinents. En particulier, elle a exigé l’acquittement et la libération de toutes les personnes poursuivies parce qu’elles avaient déposé des plaintes auprès de l’OIT.

En séance plénière, la Conférence a rappelé qu’aucun progrès ne pouvait

être réalisé sans un véritable engagement gouvernemental. Elle a demandé à ce que 2 actions soient rapidement menées par le Myanmar de manière tangible et vérifiable :

- Avant la fin du mois de juillet 2006, la libération de toute personne

emprisonnée à la suite de ses relations avec l’OIT et l’abandon des poursuites en cours.

- Avant la fin du mois d’octobre 2006, la mise en place avec l’OIT d’un

mécanisme crédible permettant de traiter les plaintes relatives au travail forcé avec toutes les garanties nécessaires pour la protection des plaignants.

1 Communiqué de presse, Vendredi 31 mars 2006 (BIT/06/10) 2 Voir, déjà, Bulletin de droit comparé du travail et de la sécurité sociale 2005, p. 295-296.

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OIT

Bulletin de droit comparé du travail et de la sécurité sociale 2006 283

Pour assurer le suivi de ces mesures, la Conférence a décidé de « déléguer toute l’autorité voulue » au Conseil d’administration (qui doit se réunir en novembre 2006), pour évaluer les actions engagées et décider de la ligne d’action la plus appropriée.

Outre le cas récurrent du Myanmar, la Commission de l’application des

normes a examiné 25 cas individuels considérés comme constitutifs de violations graves des normes internationales du travail. En particulier, elle a relevé de nombreuses violations par le Bélarus des Conventions n° 87 et 98 relatives à la liberté syndicale. Selon la Commission, il existe dans cet Etat-membre de graves divergences entre la législation nationale, la pratique et les conventions concernées.

Après avoir à de nombreuses reprises mis en lumière les difficultés

d’application des conventions relatives à la liberté syndicale en Colombie, la Commission est parvenue à un accord, qualifié d’ « historique »3, entre le gouvernement, les employeurs et les travailleurs de cet Etat-membre. Les partenaires tripartites ont convenu d'une présence permanente de l'Organisation internationale du travail dans le pays, l’Organisation fournissant l'assistance technique dans le cadre d’un programme national de promotion du travail décent et de défense des droits fondamentaux des travailleurs.

Nicolas Mingant

Comptrasec UMR 5114 Université Montesquieu – Bordeaux IV

3 Communiqué de presse, vendredi 16 juin 2006, BIT/06/35

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Bulletin de droit comparé du travail et de la sécurité sociale 2006 284

PAYS-BAS

I - Temps de travail

L’arrêt Jaeger1 de la Cour de Justice européenne, selon lequel un service

de garde effectué par un médecin dans un hôpital doit être intégralement considéré comme temps de travail, a suscité beaucoup de réactions aux Pays-Bas. En automne 2005, le gouvernement décida de ne pas attendre un accord européen en vue d’une modification de la directive sur l’aménagement du temps de travail, mais d’adapter le droit néerlandais sur les horaires de travail aux services de garde. Selon cette nouvelle réglementation, le temps moyen de travail ne doit pas dépasser 48 heures par semaine ; ceci inclut les services de garde. Mais un opting-out est possible sur accord du salarié. Dans ce cas, un horaire maximum de 60 heures par semaine est admis. Le temps de travail moyen est calculé par période de 26 semaines. Les nouvelles dispositions légales sont entrées en vigueur le 1er juin 20062.

Cette réforme de la réglementation sur le temps de travail n’est pas la

seule. Un projet de loi visant à simplifier la loi sur le temps de travail (Arbeidstijdenwet) et à permettre plus de flexibilité vient d’être adopté par la deuxième chambre du Parlement3. Le texte de ce projet de loi suit de près l’avis du Conseil Économique et Social sur ce sujet4. À l’avenir, un maximum de 12 heures de travail par jour et de 60 heures par semaine sera admis. Pendant une période de 4 semaines, le maximum sera de 55 heures par semaine en moyenne et pour une période de 16 semaines, le maximum équivaudra à 48 heures de travail par semaine. Les normes sur le travail de nuit seront plus souples. La loi vise surtout à établir les normes générales pour la protection de la sécurité, la santé et le bien-être des travailleurs. Les partenaires sociaux pourront davantage préciser les normes applicables au niveau des secteurs d’activité et des entreprises. Depuis longtemps déjà, les partenaires sociaux néerlandais jouissent d’une relative forte influence sur le temps et les horaires de travail et celle-ci sera encore plus importante à l’avenir. 1 CJCE 9 septembre 2003, C-151/02. 2 Journal officiel (Stb.) 2005, 605 et 2006, 111. 3 Kamerstukken 30 532. 4Avis 2005/03, Sociaal Economische Raad (SER), Vereenvoudiging Arbeidstijdenwet, février 2005, voir : www.ser.nl.

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Pays-Bas

Bulletin de droit comparé du travail et de la sécurité sociale 2006 285

II - Conditions de travail Non seulement la législation sur le temps de travail, mais également celle

régissant les conditions de travail sera simplifiée. En ce domaine également, flexibilité et adaptation des réglementations aux circonstances particulières d’un secteur d’activité ou d’une entreprise sont les mots clés. Le point de départ du projet de loi récemment adopté par la deuxième chambre du Parlement est d’éviter une réglementation nationale spécifique en plus des normes européennes, sauf cas nécessaire5. La législation indiquera les objectifs à atteindre en matière de protection de la sécurité, de l’hygiène et de la santé des salariés. Là aussi, les partenaires sociaux auront une plus grande liberté et responsabilité dans la définition des modalités à adopter pour mettre en œuvre ces normes. Les employeurs et les salariés ou leurs organisations au niveau sectoriel par exemple, devront élaborer des catalogues de conditions de travail, indiquant les différentes manières de réaliser les objectifs prescrits par l’État. Ces catalogues peuvent inclure des méthodes et des techniques à suivre, des normes spécifiques ou des prescriptions définies à respecter. Dès qu’un tel catalogue sera établi pour un secteur donné, les normes existantes seront abrogées. La gestion des conditions de travail dans les entreprises formera le sujet de consultations entre le comité d’entreprise ou la représentation du personnel et l’employeur. Le contrôle des normes légales, des réglementations contenues dans les catalogues, des conventions et des pratiques au niveau des entreprises est confié à l’inspection du travail (Arbeidsinspectie). Les montants maximums des amendes que l’inspection du travail peut imposer aux employeurs et y compris aux salariés seront doublés.

III - Maladie et incapacité (partielle) de travailler Il existe souvent un rapport direct entre les causes de maladies de salariés

et leurs conditions de travail. L’incapacité de travailler d’un quart des salariés en congé de maladie est due à leurs conditions de travail6. Les causes les plus souvent nommées d’absentéisme pour raisons liées au travail sont le rythme de travail élevé et des conditions stressantes. Le taux d’absentéisme a

5 Kamerstukken 30 552. 6 Voir Bulletin de Presse du Ministère des Affaires Sociales 06/084 du 13 juin 2006, www.minszw.nl.

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baissé ces dernières années et équivaut à 4, 6 % dans le secteur particulier (en 2004) et 5, 4 % dans le secteur public (en 2003).

Une évaluation de l’effet des obligations imposées aux employeurs et aux

salariés dans le Code civil depuis 2002 visant à faire baisser le taux d’absentéisme et l’incapacité de travailler à long terme est positive7. Durant les deux premières années d’incapacité de travail pour cause de maladie, l’employeur et le salarié doivent faire de leur mieux pour que le salarié reprenne son travail. Le salarié a droit à au moins 70 % de son salaire durant deux ans au maximum. Les partenaires sociaux ont établi un plafond de 170% pour le salaire total durant cette période. Les employeurs et les salariés ont fait de nets efforts pour réaliser une réintégration plus rapide. Il faut signaler que les sanctions en cas d’infraction sont dissuasives. Un employeur court le risque de devoir payer jusqu’à un an de salaire supplémentaire et un salarié peut se voir confronté à une perte partielle ou totale de salaire ou même à un licenciement s’il refuse de collaborer à sa réintégration.

Depuis le 29 décembre 2005 la loi sur le travail et le revenu en rapport à

la capacité de travail (WIA, Wet werk en inkomen naar arbeidsvermogen) est entrée en vigueur8. Elle a remplacé la loi sur l’incapacité de travailler qui continue d’être appliquée aux personnes incapables de travailler bénéficiant déjà d’une allocation. Les dispositions de la nouvelle loi s’appliquent aux salariés devenus malades après le 1er janvier 2004 au cas où l’incapacité de travailler dure plus de deux ans. Un contrôle médical a lieu après ces deux ans, ainsi qu’une estimation des capacités restantes du salarié. Les critères de ce contrôle médical sont devenus plus sévères.

Les capacités restantes du salarié forment le point de départ de la

nouvelle loi. Un régime différent s’applique selon le taux d’incapacité de travailler. Les personnes (presque) complètement incapables de travailler ont droit à 70 % de leur dernier salaire jusqu’à l’âge de 65 ans (IVA, Regeling inkomensvoorziening volledig arbeidsongeschikten). Un régime différent s’applique aux personnes partiellement incapables de gagner entre 35 et 80 % de leur ancien salaire (WGA, Werkhervatting Gedeeltelijk Arbeidsgeschikten). Si elles travaillent partiellement, elles ont droit en plus

7 Voir Bulletin de Presse du Ministère des Affaires Sociales 06/051 du 30 mars 2006, www.minszw.nl. 8 Journal officiel (Stb.) 2005, 572 et 619.

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Bulletin de droit comparé du travail et de la sécurité sociale 2006 287

de leur nouveau salaire à une allocation de 70 % sur la différence entre leur ancien et leur nouveau salaire. Les personnes partiellement incapables de travailler qui ne travaillent pas, ont droit à 70 % de leur ancien salaire. De cette manière, l’État espère encourager les salariés partiellement incapables de travailler à rester dans leur emploi ou à en trouver un nouveau. La durée de cette allocation dépend du nombre d’années de travail effectuées ; elle peut être de six mois à cinq ans. Après, un complément de salaire peut être versé aux personnes ayant une incapacité partielle qui travaillent. Les personnes ne travaillant pas ou moins de la moitié de leur capacité restante ont seulement droit à 70 % du salaire minimum9 multiplié par leur taux d’incapacité. L’employeur des personnes dont ce pourcentage est de moins de 35% doit en principe les garder à son service et elles n’ont droit à aucune allocation. Différentes mesures de réintégration font également partie de cette nouvelle loi. Les primes pour financer cette nouvelle loi sont 0, 85 % moins élevées que celles de la loi qu’elle remplace10.

IV - Chômage Avec l’entrée en vigueur de la loi sur le travail et le revenu en rapport à la

capacité de travail, beaucoup de personnes partiellement incapables de travailler pour une longue période et ne trouvant pas d’emploi se verront à l’avenir obligées de requérir une allocation de chômage. Mais les conditions d’accès à cette assurance sont devenues bien plus strictes à partir du 1er octobre 200611.

La nouvelle loi sur le chômage donne droit à des allocations plus élevées

en début de période de chômage, mais pour une durée moins longue. Ainsi une personne voulant bénéficier d’une allocation devra avoir travaillé comme salarié au moins un jour par semaine durant 26 semaines sur les 36 précédant la perte de l’emploi. Elle aura droit durant trois mois à une allocation de 75 % de son dernier salaire, suivie d’une allocation de 70 % du dernier salaire. Les personnes qui ont, de plus, travaillé au moins 4 ans sur les 5 ans précédant la perte de l’emploi ont droit à une allocation dont la

9 Le salaire minimum brut était de 1284, 60 euros au 1er juillet 2006. 10 Voir Bulletin du Ministère des Affaires Sociales 05/187 du 8 novembre 2005, www.minszw.nl. 11 Journal officiel (Stb.) 2006, 303.

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Pays-Bas

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durée en mois correspond au nombre d’années que cette personne a travaillé avec un maximum de 38 mois. Il faut avoir travaillé au minimum 52 jours par année. Les années durant lesquelles une personne s’est occupée de ses enfants de moins de cinq ans peuvent être également prises partiellement en compte. Un bénéficiaire ayant travaillé 18 ans, aura par exemple droit au maximum à une allocation de 75 % les deux premiers mois et de 70 % les 16 mois suivants.

Les personnes ayant perdu leur emploi ne sont, sauf quelques exceptions,

plus obligées de protester contre leur licenciement pour être sûres d’avoir droit à une allocation. Cette mesure devrait limiter le nombre d’affaires judiciaires pro forma. La nouvelle loi offre aussi plus de possibilités de créer une entreprise tout en bénéficiant d’une assurance chômage.

V - Gardes d’enfants La plupart des ménages (60 %) avec des enfants de moins de douze ans

n’utilisent aucune forme de garde d’enfants12. Dans seulement 14 % des ménages, les enfants sont gardés selon des formes de gardes professionnelles comme les crèches, les garderies d’enfants ou des gardiennes agrées à domicile. Un ménage sur cinq (21 %) confie ses enfants à des membres de la famille ou des amis et un ménage sur vingt embauche une personne pour garder les enfants à domicile ou les emmène dans un jardin d’enfants préscolaire.

Le problème du financement des gardes d’enfants professionnelles est un

des thèmes politiques en vue des élections d’un nouveau Parlement en novembre 2006. Plusieurs partis, dont deux des trois plus grands (le parti socialiste PvdA et le parti libéral VVD), ont inclus dans leur programme politique des gardes d’enfants professionnelles gratuites. On est encore loin de là, mais la loi sur les gardes d’enfants (Wet kinderopvang), qui est entrée en vigueur le 1er janvier 2005, va probablement être adaptée de telle façon que les gardes d’enfants deviendront moins coûteuses pour les parents13. Un 12 Bureau Central des Statistiques, Webmagazine 28 août 2006, voir http://www.cbs.nl/nl-nl/menu/themas/arbeid-inkomen-sociale-zekerheid/arbeidsmarkt/publicaties/artikelen/2006-2002-wm.htm 13 Kamerstukken 30 804, voir http://home.szw.nl/navigatie/dossier/dsp_dossier.cfm?set_id=793&link_id=71769

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Pays-Bas

Bulletin de droit comparé du travail et de la sécurité sociale 2006 289

projet de loi vise à augmenter la contribution de l’État aux parents pour financer les gardes d’enfants professionnelles, qui remplacerait la contribution bénévole des employeurs prévue par la législation actuelle. Environ un tiers des salariés ne reçoit à présent aucun apport ou une somme insuffisante de la part de son employeur. Le nouveau projet de loi comprend une répartition des coûts sur tous les employeurs. Ces mesures devraient surtout aider à baisser les dépenses des parents disposant d’un revenu moyen ou élevé. L’introduction de la loi sur les gardes d’enfants a surtout touché ce groupe et a restreint l’utilisation de gardes d’enfants14. Des mesures de compensation des parents à revenus modestes ont déjà été prises.

Les écoles seront obligées à partir de l’année scolaire 2007-2008 d’offrir

des gardes d’enfants avant et après les heures d’école si les parents le désirent. C’est aux écoles de décider des modalités de ces gardes d’enfants. Depuis le 1er janvier 2006, le budget annuel de l’État pour financer les gardes d’enfants professionnelles a augmenté de 200 millions d’euros, dont 27 millions d’euros sont prévus pour les gardes d’enfants dont les écoles seront responsables. En tout, le budget annuel de l’État pour toutes les formes de gardes d’enfants professionnelles s’élève à environ un milliard d’euros.

Susanne Burri

Université d’Utrecht

14 7, 5 % des parents ont utilisé moins de gardes d’enfants professionnelles et 6 % ont arrêté d’en faire usage après le 1er janvier 2005, Bulletin de Presse du Ministère des Affaires Sociales et de l’Emploi 06/032 du 28 février 2006.

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Portugal

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PORTUGAL Le droit social au Portugal a été marqué essentiellement par la maintien

d’une interrogation concernant le Code du travail (I), par l’intervention d’un accord portant réforme de la Sécurité sociale (II), enfin par la création d’un collège d’arbitres (III)

I - Le sort du Code du travail

A - Trois ans après son entrée en vigueur, l’impact réformateur du Code du travail reste toujours aussi peu évident. Certes, la codification intervenue visait essentiellement à une systématisation du droit précédent. Néanmoins, elle comportait un certain nombre d’innovations dont au moins deux ont pu être qualifiées de « structurelles » ; il s’agissait de l’introduction généralisée du mécanisme de l’opt out individuel et de la consécration de la « caducité » (caducidade) des conventions collectives de travail, c’est-à-dire de la cessation des effets des conventions passé un certain délai, ceci même en ce qui concerne les conventions à durée indéterminée. Ces deux modifications ont fait l’objet d’une contestation certes générale mais sans conséquences, concrètes. C’est en 2006 qu’ont été produits les premiers arrêts de la Cour Suprême se référant explicitement aux normes du Code. La lenteur des procédures et les règles sur l’application des lois dans le temps ainsi que des dispositions spécifiques à la loi de promulgation du Code, expliquent en partie l’enregistrement jurisprudentiel relativement tardif de l’intervention du Code du travail ; on se doit également de rappeler que les normes appliquées par cette « nouvelle » jurisprudence, appartiennent surtout à des parties du Code ne faisant que reprendre des lois antérieures ; dans ces matières, il y a donc sur le fond continuité des orientations jurisprudentielles.

B - L’innovation qui avait, de loin, provoqué le plus de réactions est le mécanisme de la « caducité » des conventions collectives de travail. Plusieurs conventions plus ou moins « anciennes » ont été « mises en crise » par le déclenchement du mécanisme prévu par le Code, via les dénonciations effectuées par les organisations d’employeurs. Le régime de « caducité » initialement instauré par le Code du travail, pouvait conduire en matière de droits collectifs l’existence de véritables « vides », pour un secteur ou une entreprise. Le Code prévoyait la cessation des effets d’une convention passé

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Portugal

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un certain délai, et abandonnait à leur sort, c’est-à-dire au régime général du même Code, les relations de travail couvertes par la convention disparue. Bien évidemment, quelques effets de l’ancien dispositif conventionnel étaient sauvegardés par référence aux mécanismes dits des « droits acquis » et de l’incorporation au contrat individuel.

Suite aux élections législatives anticipées au printemps 2005, un nouveau

gouvernement a été formé par le parti socialiste qui avait affirmé son opposition à la réforme du droit du travail, réalisée précédemment. Le programme de gouvernement, présidé par M. José Sócrates, tout en écartant la possibilité de « révocation » du Code - exigée par l’extrême gauche -, prévoyait d’une part de modifier en urgence certains aspects du Code, d’autre part de lancer une opération de révision globale de ce même Code, révision d’ailleurs initialement prévue au bout de quatre ans d’application.

C’est ainsi qu’une loi n° 9 du 20 mars 2006 a entendu réformer en

urgence quelques questions. Le régime des conventions collectives est apparu clairement comme sa cible principale. Sans mettre en cause le principe de la « caducité », cette loi a voulu donner une solution « constructive » au problème de « vide » de droits collectifs. Si les parties ne se montrent pas capables de trouver un accord remplaçant la convention « finissante », le ministre du Travail peut imposer un arbitrage. C’est seulement en cas d’abstention du ministre qu’une « caducité » sans substitution peut intervenir ; toutefois, dans cette hypothèse, certains effets de la convention cessante sont explicitement maintenus, ainsi des régimes de la rémunération, des classifications professionnelles et du temps de travail.

C - Un « Livre vert sur les relations de travail », élaboré au sein du ministère du Travail, a été publié au printemps 2006. Celui-ci rassemble des données objectives sur le contexte économique et social des relations de travail, sur les acteurs, la négociation collective, la durée du travail, les salaires, les conflits collectifs, … y sont de plus développées un certain nombre de possibles réponses qui pourraient être apportés à certains problèmes dans le cadre d’une réforme de la législation sociale, sans qu’il s’agisse véritablement d’avancer de claires orientations en matière de politique législative.

Ce « Livre vert » a été conçu, en réalité, comme une étape préalable à la mise en place d’une commission - dite du « Livre blanc » ! - ; cette dernière

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Portugal

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aura à sa charge d’évaluer l’impact réel du Code du travail et d’élaborer un projet de révision soumis à l’appréciation politique du gouvernement. On peut estimer que cette opération, même si elle se déroule dans un cadre académique largement pluraliste, pourrait induire un certain degré d’inquiétude sociale. La crispation des deux dernières décennies autour de l’évolution du droit du travail est toujours bien réelle. Le Code, dans sa forme actuelle, est mis en cause pour des raisons radicalement opposées, tant par les employeurs que par les syndicats.

II - Un accord sur la réforme de la Sécurité sociale

A - Les perspectives financières du système des pensions sont devenues, au Portugal comme ailleurs, un objet de débat politique et technique depuis plusieurs années. Déjà à la fin de la dernière décennie un « Livre blanc » avait été publié à l’issue des travaux d’une commission nommée par le gouvernement ; mais, cette commission loin de proposer une analyse et des propositions cohérentes, s’était divisée et avaient proposé deux analyses et deux types de conclusions profondément incompatibles. Le Portugal a une population âgée dont le renouvellement est très lent et, pour le moment, insuffisant : le taux de natalité reste parmi les plus bas d’Europe. La « supportabilité » du système de Sécurité sociale, particulièrement en ce qui concerne les pensions de vieillesse, exige donc l’adoption de mesures urgentes, qu’elles soient relatives aux ressources ou aux bénéfices, ou aux deux aspects à la fois.

B - Au terme d’un processus de négociation tripartite - gouvernement,

syndicats, organisations patronales - , développé au sein de la Commission Permanente de Concertation Sociale, un « Accord sur la Réforme de la Sécurité sociale » a été conclu, sans toutefois recevoir la signature de la « CGTP-Intersindical », confédération syndicale d’inspiration communiste. Il s’agit d’un document assez développé, contenant un nombre important d’orientations que le gouvernement doit mettre en œuvre au travers de propositions législatives au Parlement. L’accord prévoit notamment :

- l’introduction d’un facteur de « supportabilité » lié à l’espérance de vie,

dans le calcul des pensions futures ;

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Portugal

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- l’accélération de la transition vers une nouvelle formule de calcul des pensions, fondée sur la prise en compte de l’ensemble des temps de contribution ;

- la protection des plus longues « carrières contributives » ; - des règles nouvelles pour la révision annuelle des pensions ; - l’introduction du principe de limitation des pensions les plus élevées ; - la promotion de l’activité des travailleurs vieillissants ; - la convergence des différents régimes de protection sociale ; - la modification du mode de financement, notamment à travers la prise

en charge par le budget de l’État des prestations non-contributives.

III - Un nouveau « collège » d’arbitres

A - Dans le cadre de la concertation sociale - les partenaires sociaux sont arrivés à un accord sur la composition de trois listes d’arbitres mises à la disposition des organisations syndicales et patronales ainsi que des entreprises, en cas de conflit collectif. Si un recours à l’arbitrage est convenu entre les parties en conflit (arbitrage volontaire), celles-ci auront chacune la possibilité de choisir un arbitre dans « leur » liste respective (arbitres indiqués par les organisations syndicales ou par les organisations patronales), puis de se mettre d’accord sur un troisième arbitre, en se référant à la troisième liste dite des « arbitres-présidents »). Bien sûr, en cas d’arbitrage volontaire, les parties gardent la possibilité de choisir les arbitres en dehors des listes. Le Code du travail prévoit également l’hypothèse de l’arbitrage obligatoire, imposé par décision du ministre du Travail, dans des situations estimées graves. Si l’arbitrage est déterminé par acte d’autorité, et si les parties en conflit refusent de coopérer, en indiquant des arbitres respectifs, le Tribunal arbitral est constitué par tirage au sort d’un nom dans chacune des trois listes, opération réalisée dans le cadre du Conseil Économique et Social.

B - L’adoption de ces listes d’arbitres était en projet depuis plus d’une

décennie. Elle était prévue dans plusieurs accords sociaux, notamment ceux qui ont été conclus en 1996. Mais, plusieurs obstacles ont toujours empêché la concrétisation de ce projet. Une des raisons tient au fait que, depuis près de trente ans, les méthodes classiques de prévention et résolution « pacifique » des conflits collectifs ont été régulièrement ignorées, à l’exception de la conciliation réalisée par les services du ministère du

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Portugal

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Travail. L’adoption de cette réforme aujourd’hui peut s’expliquer par un contexte de faible conflictualité sociale ; mais, des conflits collectifs n’en existent pas moins ; ils sont alors parfois extrêmement radicaux et concernent souvent des secteurs ou activités d’intérêt public. La disponibilité de listes d’arbitres, si elle n’offre aucune solution immédiate, permet au moins de surmonter des difficultés de procédure pouvant contribuer aux difficultés de résolution des conflits collectifs.

Antonio Monteiro Fernandes

Institut Supérieur des Sciences du Travail ISCT Lisbonne

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QUÉBEC

I - Réforme législative en matière de travail

Le rapport sur l’examen des normes du travail fédérales du professeur

émérite Harry Arthurs devrait bientôt être rendu public. Le 1er octobre 2004, le ministre du Travail et du Logement, en la personne de M. Joe Fontana, lui a confié un mandat de taille. Seul commissaire à cette commission d’étude, le professeur Arthurs était assisté cependant par un groupe consultatif d’experts composé du professeur Daphne Taras, du professeur Gilles Trudeau et de l’arbitre Sherry Liang et par un groupe consultatif de représentants des associations patronales et syndicales. Le professeur Arthurs a été ainsi appelé à réaliser un examen approfondi de la Partie III du Code canadien du travail et à fournir des recommandations quant aux modifications législatives à apporter pour moderniser et améliorer la pertinence et l’efficacité des normes du travail, y compris leur rapport avec les conventions collectives et les définitions pertinentes relatives à l’emploi prévues dans les parties I et II du Code canadien du travail. La partie I de cette loi prévoit l’encadrement juridique de la négociation collective dans les entreprises fédérales. La partie II établit les règles en matière de santé et sécurité du travail applicables dans ces entreprises. La partie III vise, quant à elle, les normes du travail dans les entreprises fédérales, notamment les heures de travail, le salaire minimum, les jours fériés, l’indemnité de départ, des congés de diverse nature, ainsi qu’un recours à l’encontre d’un congédiement injuste. Dans la réalisation de son mandat, le professeur Arthurs, accompagné du groupe consultatif d’experts, a procédé à des audiences publiques à travers le Canada et a confié plusieurs mandats de recherche à des universitaires. Son rapport est très attendu puisque les normes du travail dans les entreprises fédérales n’ont pas été révisées en profondeur depuis une bonne vingtaine d’années.

Depuis le 1er janvier 2006, le régime québécois d’assurance parentale

remplace les prestations de maternité et parentales du régime fédéral d’assurance emploi. Le régime québécois est institué par la loi modifiant la loi sur l’assurance parentale (L.Q. 2005 c. 13). Toutes les travailleuses et les travailleurs, qu’ils soient salariés ou travailleurs autonomes, ont droit à des prestations d’assurance parentale lorsque ces personnes se prévalent d’un congé de maternité, de paternité, d’adoption ou d’un congé parental durant

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Québec

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lequel elles cessent d’être rémunérées. Ces différents congés sont prévus dans la loi sur les normes du travail (LNT). L’article 81.1 de la LNT accorde, depuis le 1er janvier 2006, cinq journées de congé à l’occasion de l’adoption d’un enfant de son conjoint, dont les deux premières sont rémunérées si la personne justifie de 60 jours de service continu. De plus, cette personne a droit à un congé parental d’au plus 52 semaines non rémunéré par l’employeur (art. 81.10). L’article 81.14.1 de la LNT prévoit le fractionnement du congé de maternité, de paternité ou du congé parental lorsque l’enfant est hospitalisé ou lorsque les conditions prévues aux articles 79.1 ou 79.8 sont remplies. Le congé peut être suspendu pendant la durée de l’hospitalisation de l’enfant et il peut être prolongé si l’état de l’enfant le justifie ou encore celui de la mère s’il s’agit d’un congé de maternité (art. 81.14.2). De façon à l’harmoniser avec le nouveau régime d’assurance parentale, la loi sur la santé et sécurité du travail prévoit maintenant à l’article 42.1 qu’une travailleuse enceinte, en situation de retrait préventif et admissible à ce nouveau régime, a droit, à compter de la quatrième semaine précédant celle de la date prévue pour l’accouchement, aux prestations payables en vertu de la loi sur l’assurance parentale (L.R.Q. c. A-29.011).

La loi concernant les conditions de travail dans le secteur public (L.Q. c.

43), adoptée le 15 décembre 2005, impose le renouvellement des dernières conventions collectives du secteur public et établit leur date d’expiration au 31 mars 2010. Toute grève, lock-out ou ralentissement de travail est interdit pendant cette période, les contrevenants étant par ailleurs passibles d’amendes sévères. Pendant les deux premières années d’application des conventions collectives, les salariés sont soumis à un gel salarial. Une augmentation de 2 % par année est ensuite prévue, pour un total de 8 %.

Dans le secteur de la construction, des modifications ont été apportées

principalement aux règles relatives à la liberté syndicale par la loi modifiant la loi sur les relations du travail, la formation professionnelle et la gestion de la main d’œuvre dans l’industrie de la construction (L.Q. c.42), adoptée le 8 décembre 2005. Les interdictions d’intimidation et de discrimination prévues aux articles 101 et 102 sont renforcées. Un syndicat ne peut notamment agir de manière arbitraire ou discriminatoire dans les références qu’il fait à des fins d’embauche. Il ne peut non plus exercer des mesures discriminatoires pour la seule raison du refus d’un salarié d’adhérer au syndicat. Le législateur reconnaît maintenant compétence à la Commission des relations du travail pour recevoir les plaintes alléguant contravention à la liberté

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Québec

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syndicale. L’arbitre de griefs reste compétent pour décider des mésententes relatives à l’interprétation et l’application de la convention collective de travail. L’article 62 inclut le harcèlement psychologique dans son champ de compétence.

II - Jurisprudence en droit du travail Adopté en 1994, le Code civil du Québec (C.c.Q.), qui a remplacé le

Code civil du Bas-Canada, prévoit, dans son préambule, qu’il régit en harmonie avec la Charte des droits et libertés de la personne les rapports entre les personnes et que l’ensemble des règles qui le constitue établit le droit commun. De plus, le C.c.Q. prévoit les règles du contrat individuel de travail. Dans l’arrêt Isidore Garon Ltée c. Tremblay, [2006] 1 R.C.S. 27, la Cour suprême du Canada a décidé que tout ce qui est inscrit au C.c.Q. n’est pas incorporé implicitement dans la convention collective de travail. Seules les règles compatibles avec l’encadrement juridique des rapports collectifs peuvent faire partie de la convention collective. C’est ainsi que le plus haut tribunal au Canada a déclaré l’article 2091 C.c.Q., imposant un délai congé raisonnable à la suite d’une rupture du lien d’emploi sans motif sérieux, incompatible avec le régime collectif. Aucun salarié régi par une convention collective de travail ne peut donc réclamer, au moment de sa fin d’emploi sans motif sérieux, un délai de congé raisonnable ou l’indemnité compensatrice en tenant lieu, à moins que la convention collective qui le régit le prévoie expressément. Dans l’affaire Garon, les salariés syndiqués n’ont donc pas eu droit à une indemnité visant à compenser leur perte d’emploi pour un motif économique.

La Cour suprême du Canada, dans Bisaillon c. Université Concordia,

2006 CSC 19, a constaté l’irrecevabilité d’un recours collectif à l’égard d’un groupe de salariés représenté par le requérant Bisaillon au motif de la compétence exclusive de l’arbitre de griefs. Le litige, dans cette affaire, est fort complexe puisqu’il vise le régime de retraite comptant 4,100 participants, soit tous des salariés de Concordia. Plus de 80 % d’entre eux sont syndiqués et se trouvent liés par l’une ou l’autre des neuf conventions collectives conclues entre Concordia et neuf syndicats accrédités. Dans chacune des neuf conventions collectives, on retrouve un renvoi au régime de retraite créé par Concordia et régi par la loi sur les régimes complémentaires de retraite, L.R.Q. c. R-15.1. Certaines modifications du

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Québec

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régime de retraite ont suscité des désaccords entre Concordia et la plupart des syndicats. C’est à la suite de ces désaccords que le requérant Bisaillon a demandé à la Cour supérieure l’autorisation d’exercer un recours collectif. La Cour suprême a jugé qu’il irait à l’encontre du régime des rapports collectifs de travail d’autoriser un tel recours puisque le monopole de représentation syndicale proscrit toute négociation individuelle des conditions de travail. Elle constate qu’en vertu du monopole qui lui est conféré par son accréditation, toute négociation des conditions de travail non mentionnées dans la convention collective en vigueur devra nécessairement être menée par le syndicat accrédité.

La Cour d’appel du Québec a également rendu des arrêts particulièrement

importants en ce qui concerne l’obligation d’accommodement d’un employeur et les conditions de travail prévues dans la convention collective. Dans Québec (P.G.) c. Syndicat de professionnelles et professionnels du Gouvernement du Québec (SPGQ), [2005] R.J.D.T.639, la Cour d’appel annule la décision d’un arbitre de griefs ayant conclu que la période d’assurance-salaire de 104 semaines prévue dans la convention collective constituait un accommodement raisonnable au sens de la Charte des droits et libertés de la personne. La Cour d’appel retourne le dossier à l’arbitre pour qu’il décide si, dans ce cas particulier, d’autres accommodements auraient pu être offerts par l’employeur. La Cour d’appel conclut aussi dans Syndicat des employées et employés de techniques professionnelles et de bureau d’Hydro-Québec, section locale 2000 (SCFP-FTQ) c. Hydro-Québec, [2006] R.J.D.T. 1, à l’excès de compétence de l’arbitre de griefs parce qu’il a décidé qu’il n’y avait pas d’accommodement possible de la part de l’employeur en faveur d’une salariée ayant subi une fin d’emploi en raison de longues périodes d’absence maladie entre 1994 et 2001. La Cour d’appel note qu’un employeur doit être proactif et innovateur pour remplir son obligation d’accommodement. Il ne peut se limiter à affirmer qu’il n’a pas trouvé d’autres solutions en vue d’un accommodement. Il doit en faire la preuve et démontrer un fardeau excessif.

Diane Veilleux

Université de Montréal

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Bulletin de droit comparé du travail et de la sécurité sociale 2006 299

ROUMANIE

I - Le Code du Travail – à nouveau sur la sellette

Après les débats menés l’année passée par le patronat et qui ont débouché sur la modification d’importantes dispositions du Code du travail roumain1, une autre modification a été apportée au Code durant l’année 2006, cette fois à l’initiative du Ministère du Travail, de la Solidarité Sociale et de la Famille qui, dans les considérants du nouvel acte normatif2, invoque la nécessité de respecter les engagements pris au cours des négociations pour l’adhésion à l’Union Européenne, concernant notamment l’harmonisation de la législation nationale avec l’acquis communautaire dans le chapitre 13 - « Emploi et politique sociale ».

La nouvelle réglementation opère un remaniement des règles concernant

le licenciement collectif défini comme dans la directive 98/59/CE3. Il s’agit « des licenciements effectués par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du travailleur lorsque le nombre de licenciements intervenus est au moins égal à 10 dans les établissements employant habituellement plus de 20 et moins de 100 travailleurs, au moins égal à 10 % du nombre des travailleurs dans les établissements employant habituellement au moins 100 et moins de 300 travailleurs ou au moins égal à 30 dans les établissements employant habituellement au moins 300 travailleurs ».

Les règles de calcul du nombre de salariés licenciés sont repris à la lettre

de la directive européenne, toute comme les dispositions concernant la consultation des syndicats ou des représentants des travailleurs ainsi que la notification systématique à l’autorité compétente, à savoir l’inspection du travail en Roumanie. Pour assurer l’effectivité de la consultation, la nouvelle

1 Adopté par la loi 53/2003 publié au Journal Officiel de la Roumanie n° 72 du 5 février 2003, Première partie. 2 Le décret-loi 55/2006 publié au Journal Officiel de la Roumanie n° 788 du 18 septembre 2006, Première partie. 3 Directive 98/59/CE du Conseil du 20 juillet 1998 concernant le rapprochement des législations des États membres relatives aux licenciements collectifs.

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Roumanie

Bulletin de droit comparé du travail et de la sécurité sociale 2006 300

réglementation indique qu’elle doit être préalable à la notification adressée à l’inspection du travail.

Une autre modification concerne la redéfinition du contrat de travail à

temps partiel. En introduisant cette notion en 2003, le nouveau Code du travail avait considérablement réduit la possibilité d’utiliser des contrats de droit civil dans des situations dans lesquelles les critères d’existence d’un contrat de travail4 sont présents. La version originelle du Code contenait toutefois une limite importante : le contrat de travail à temps partiel pouvait être conclu uniquement lorsque la durée du travail dépassait 2 heures par jour, voir 10 heures par semaine. La doctrine en déduisait que pour un travail qui ne dépassait pas la durée journalière ou hebdomadaire énoncé par le Code, on pouvait conclure uniquement un contrat civil, même si les trois critères (travail, lien de subordination et rémunération étaient réunis). La justification de cette disposition résidait dans la conception ancrée dans l’histoire du droit du travail roumain selon laquelle il devait y avoir une insertion du travailleur dans le collectif de travail de l’entreprise. Le décret-loi 55/2006 abolit cette limite. Il est dorénavant à la charge du juge d’établir, au cas par cas, si la durée journalière très réduite du travail influence ou non la qualification juridique du contrat.

La législation roumaine se veut harmonisée avec l’acquis

communautaire, et notamment les derniers arrêts de la CJCE, concernant la notion de temps de travail. Le nouvel article 108 du Code, tel que modifié par le décret-loi, définit le temps de travail de la manière suivante. Il s’agit de « toute période pendant laquelle le salarié effectue son travail, reste à la disposition de son employeur et accomplit ses tâches et ses fonctions, conformément au contrat individuel de travail, à l’accord collectif de travail applicable et/ou aux dispositions de la loi en vigueur ». A contrario, la période de repos est « toute période qui n’est pas un temps de travail ».

4 Le Code du travail roumain définit à l’article 10 le contrat de travail comme étant « le contrat sur la base duquel une personne physique, dénommée salarié, s’oblige à accomplir un travail pour le compte et sous l’autorité d’un employeur, personne physique ou morale, en contrepartie d’une rémunération dénommée salaire ».

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Roumanie

Bulletin de droit comparé du travail et de la sécurité sociale 2006 301

II - Le troisième pilier du système des pensions est enfin mis en place

Depuis quelques années, les Gouvernements roumains successifs se sont efforcé de finaliser la réforme des pensions, en introduisant un deuxième et un troisième pilier, selon une conception d’ensemble qui figurait déjà en 1996 dans tous les documents de stratégie internes et de négociations avec la Banque Mondiale et l’Union européenne. Plusieurs lois ont été adoptées et publiées au Journal Officiel5. Mais la date de leur entrée en vigueur a toujours été reportée. Le 1 juin 2006, une nouvelle loi 204/2006 sur les fonds de pension facultatives (troisième pilier) est finalement entrée en vigueur6.

Le participant à un fond de pension de retraite facultative peut être : un

salarié, un fonctionnaire, un travailleur indépendant, une personne qui a un mandat électif ou qui est nommée par le pouvoir exécutif, législatif ou judiciaire, un membre d’une société coopérative7 ou tout autre personne qui tire des revenus de ses activités professionnelles ou agricoles. Cette personne adhère à un fond de pension de retraite facultative et contribue ou pour laquelle on contribue à un fond de pension de retraite facultative, et qui, de ce fait, a un droit futur à une pension facultative.

La contribution à un fond de pension de retraite facultative peut aller

jusqu'à 15% du revenu salarial brut/mois ou du revenu assimilé de la personne qui adhère à un fond de pension de retraite facultative. Les contributions à un fond de pension de retraite facultative sont établies conformément aux règles du schéma de pension facultative ; elles sont retenues et versées par l’employeur ou, selon le cas, par la personne elle-même, en même temps que le sont les contributions aux assurances sociales obligatoires. La contribution peut être répartie entre l’employeur et le salarié selon les dispositions de l’accord collectif de travail ou, à défaut, sur la base d’un protocole signé avec les représentants des salariés.

5 Les réformes successives ont été régulièrement présentées dans cette revue. 6 La procédure d’autorisation des opérateurs a déjà été déclenchée, et on estime que les premiers fonds privés de pensions commenceront à fonctionner le 1er janvier 2007. 7 Loi no 1/2005 concernant l’organisation et le fonctionnement de la coopérative.

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Roumanie

Bulletin de droit comparé du travail et de la sécurité sociale 2006 302

La somme représentant les contributions aux fonds de pension de retraite facultative est déductible pour chaque participant du revenu salarial brut /mois ou du revenu assimilé, dans la limite d’une somme représentant l’équivalent de 200 euros, sur une année fiscale. Pour le salarié, la somme payée par lui est déductible des revenus imposables, dans la limite d’une somme représentant, pour chaque participant, l’équivalent de 200 euros sur une année fiscale.

Le salarié et le syndicat ou, selon le cas, les représentants des salariés, par

le contrat collectif de travail au niveau de l’entreprise, du groupe ou de la branche, l’employeur seul ou en association avec d’autres et des représentants des salariés, à défaut de contrat collectif de travail et/ou en l’absence de syndicat, peuvent proposer la participation à un fond de pension de retraite facultative.

Les participants peuvent, à tout moment, suspendre ou cesser les

versements à un fond de pension de retraite facultative, en prévenant par écrit l’administrateur et l’employeur, selon le cas, au moins 30 jours calendaires avant la date de suspension ou de cessation des versements.

Le droit à la pension de retraite facultative s’ouvre, à la demande du

participant, si les conditions suivantes sont remplies : a) La personne a déjà l’âge de 60 ans ; b) La personne a versé au moins 90 mensualités ; c) La personne dispose d’un actif personnel au moins égal à la somme

nécessaire pour obtenir une pension de retraite facultative minimale établie par les dispositions du CSSPP.

Les organismes de pension de retraite, les groupes financiers et les

sociétés d’assurance peuvent administrer des fonds de pension de retraite facultative. Les groupes financiers et les sociétés d’assurance sont constitués et autorisées à le faire en vertu de la législation qui réglemente leur domaine d’activité. Les organismes de pension de retraite ont besoin, pour la constitution et l’administration, de l’autorisation de la Commission de Surveillance du Système des Pensions Privées, organisme indépendant placé sous l’autorité du Parlement.

Loredana Alexandru Université de Bucarest

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Bulletin de droit comparé du travail et de la sécurité sociale 2006 303

ROYAUME-UNI La migration économique des travailleurs des pays A8 au Royaume-Uni

présente un phénomène de très grande importance et a pour effet de transformer le marché du travail britannique de plusieurs points de vue, notamment, du point de vue économique, de la main-d’œuvre, des droits des travailleurs, de la philosophie du travail, des syndicats, etc... Il se produit actuellement une transformation au Royaume-Uni et ainsi de nouvelles frontières s’installent dans le domaine du droit du travail. C’est la plus grande vague migratoire au Royaume-Uni depuis 300 ans ! Actuellement, 600 000 de ces travailleurs proviennent des pays A8.

La migration économique des travailleurs des pays A8 est, par

conséquent, un point d’actualité très sensible, puisque le Royaume-Uni (avec la Suède et l’Irlande) a adopté à partir du 1er mai 2004, (jour de l’accession des pays A8) une politique dite de « portes ouvertes » (an open door approach) à tout travailleur provenant de ces pays qui désire émigrer pour travailler. La migration économique ayant dominé les relations industrielles au cours de l’année 2005-2006 au Royaume-Uni, ce rapport ne traitera que de cet aspect.

Les travailleurs migrants ont le droit de travailler dans n’importe quel

secteur de l’économie et contribuent ainsi à la productivité de l’économie nationale. Leur mobilité a, en général, des effets positifs, en particulier dans les secteurs qui souffrent d’un manque de main-d’œuvre tels que le bâtiment, l’agriculture, les chaînes alimentaires, la pêche, la restauration, la transformation des aliments et leur conditionnement et les services de santé.

Bien qu’il ait tous les droits accordés au travailleur britannique, le

travailleur migrant n’est pas toujours protégé contre les abus des employeurs peu scrupuleux (unscrupulous gangmasters) et des agences de travail. Le travailleur migrant est par conséquent, exploité et soumis à la discrimination. L’exploitation et la discrimination ne sont pas la règle générale mais sont néanmoins des pratiques assez fréquentes. Notons-en quelques-unes.

Les agences de travail et de recrutement dans les pays A8 dépeignent un

tableau utopique des conditions de travail au Royaume-Uni : promesses de salaires élevés, de bons emplois, de bonnes conditions de logement,

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Royaume-Uni

Bulletin de droit comparé du travail et de la sécurité sociale 2006 304

d’emplois de haut niveau, etc. Outre ces promesses mirobolantes, elles exigent des migrants des sommes exorbitantes pour couvrir les frais de voyage et leurs coûts de gestion.

Une fois au Royaume-Uni, ces travailleurs se trouvent confrontés à la

brutale réalité de l’exploitation par leur employeur. C’est là qu’ils prennent conscience du revers de la médaille de la politique britannique des « portes ouvertes ». Les exemples ne manquent pas : certains employeurs les obligent à se loger dans des maisons ou appartements aux loyers exorbitants et dans de piètres conditions, partageant une chambre à coucher ou même un lit ! Le coût des transports jusqu’au lieu de travail est élevé. Les travailleurs ne sont pas rémunérés pour ce temps de déplacement du logement au lieu de travail, qui peut aller d’une à deux heures de trajet. On les oblige – et ceci est illégal – à payer leur matériel de sécurité, des bottes ou des vêtements de sécurité, par exemple. Les travailleurs migrants sont quelquefois obligés de travailler de longs horaires sans pause, sans même pouvoir aller aux toilettes, ce qui déroge aux dispositions de la loi sur le temps et les horaires de travail. Il arrive souvent qu’ils soient licenciés sans cause et qu’ils soient obligés de quitter leur logement sans préavis. Ils sont obligés de payer leur déplacement au lieu de travail dans le bus de l’employeur, même quand il n’y a pas de travail et qu’ils ne sont donc pas payés. Ces quelques exemples, pris parmi tant d’autres, illustrent la situation : l’employeur s’enrichit au détriment des migrants et toutes les déductions qu’il impose au travailleur migrant ne lui laissent qu’un salaire de misère, illégal, de £1,34 de l’heure ! Il arrive souvent que les employeurs insultent les migrants, qu’ils pratiquent l’intimidation et le harcèlement moral (bullying), qu’ils fassent violence contre eux et leur confisquent leur passeport. Notons aussi que les travailleurs migrants n’ont pas droit aux prestations de la sécurité sociale de l’Etat tant qu’ils n’ont pas travaillé et payé de contributions à l’assurance nationale pendant un an au moins. Ceux qui sont licenciés n’ont donc pas les moyens de payer le voyage de retour dans le pays d’origine.

Il est alors justifié de conclure que les pratiques vis-à-vis des migrants de

certains employeurs et de certaines agences pour l’emploi peu scrupuleux s’apparentent à du travail forcé (forced labour). L’OIT définit le travail forcé comme : l’intimidation, la restriction de mouvement, le harcèlement moral et physique, les déductions de salaire excessives, la confiscation du passeport ou de la carte d’identité et autres pratiques irrégulières. Voilà donc un système d’esclavage moderne !

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Royaume-Uni

Bulletin de droit comparé du travail et de la sécurité sociale 2006 305

Le gouvernement a déjà réagi pour combattre les abus de certains employeurs mais la situation est loin d’être satisfaisante. L’affaire des 23 ramasseurs de coquillages et coques dans la Baie de Morecambe qui y trouvèrent la mort en février 2004 quand la marée montante les a pris par surprise au beau milieu de la nuit, a fait un tel scandale que le gouvernement a promulgué le « Gangmasters (Licensing) Act » de 2004 qui est entré en vigueur en octobre 2006. Toutes les agences d’emplois et employeurs de l’industrie et des chaînes de l’agroalimentaire et des pêcheurs de coquillages sont dans l’obligation d’obtenir une licence avant de pouvoir recruter des travailleurs. Les agences et employeurs seront soumis à la réglementation d’une commission créée par la loi de 2004 et qui a les pouvoirs nécessaires pour examiner tout aspect de ce travail dans ces secteurs et ainsi empêcher les abus. Cette loi aidera sans doute aussi à améliorer la situation dans ces secteurs déterminés, à savoir, l’agroalimentaire, l’horticulture et le ramassage des coquillages. Néanmoins, les travailleurs migrants des pays A8 travaillent aussi dans d’autres secteurs, celui du bâtiment, par exemple, celui de la logistique des transports, comme chauffeurs de camions ou d’autobus, dans l’industrie de l’hôtellerie et de la restauration et dans les hôpitaux, etc. Dans ces secteurs, ils ne sont pas protégés par la loi de 2004, bien que des abus s’y produisent aussi.

Les statistiques démontrent que depuis le 1er mai 2004, jour de

l’accession des pays A8 à l’U.E., les accidents du travail ont augmenté soit parce que les travailleurs migrants ne comprennent pas suffisamment l’anglais pour lire les panneaux indiquant les précautions à prendre et les dangers sur les lieux de travail, soit parce que les employeurs ne les ont pas informés de ces dangers et de la façon de s’en protéger. Le TUC et le Health and Safety Executive, (organe chargé de la sécurité au travail), ont traduit les dispositions de la loi (Health and Safety at Work Act, 1974) dans toutes les langues des pays A8. Ce document remis à chaque travailleur migrant décrit les droits relatifs à la sécurité au travail, les précautions à prendre, les devoirs de l’employeur envers eux, l’obligation de l’employeur de fournir au travailleur migrant, gratuitement, tout équipement nécessaire à sa protection personnelle, toute information sur les dangers qui existent sur les lieux de travail et le fait que le travailleur migrant a le droit de porter plainte et de suggérer des améliorations s’il estime que des conditions dangereuses continuent d’exister sur les lieux de travail.

Jo Carby-Hall Université de Hull

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Bulletin de droit comparé du travail et de la sécurité sociale 2006 306

FÉDÉRATION DE RUSSIE Le Code du travail de la Fédération de Russie (FR) est entré en vigueur le

1er février 2002, se substituant au code de l’époque soviétique qui fut appliqué durant près de trente ans. Le nouveau Code contient beaucoup d’innovations. Selon une opinion doctrinale, il est entré en vigueur de manière hâtive sans faire l’objet d’un examen approfondi. Une telle rapidité est symptomatique d’une tendance de l’État à adapter le plus vite possible l’encadrement juridique des relations de travail aux exigences du marché, et spécialement à un phénomène nouveau en Russie, le marché du travail. En même temps, les droits des travailleurs ont été considérablement limités comparés à ceux établis par le code précédant.

Le nouveau Code étant entré en vigueur en février 2002, depuis, tous les

efforts déployés ont porté sur sa mise en œuvre. En d’autres termes, des défauts, des lacunes voire des incohérences ont été mis en lumière.

Simultanément, on a ouvert un chantier pour améliorer le texte du Code

actuel. On a créé un groupe de travail comprenant des membres de la Chambre des Députés (Douma) représentant tous les groupes politiques, et des représentants de la Commission tripartite de Russie chargée de régler les relations sociales et de travail (le Gouvernement de la Fédération de Russie, des unions des employeurs, des unions de syndicats de Russie), l’Administration du Président de FR, la Cour suprême de FR.

On a pris en considération les observations et les propositions émises par

les experts du Département des normes de travail du Bureau International du Travail.). Après une période de quatre ans de préparation, de nombreux changements et des ajouts à la législation du travail de FR ont été réalisés par l’adoption de la Loi fédérale portant réforme du Code du travail de FR, entrée en vigueur le 6 octobre 2006. Les principales modifications peuvent être présentées comme suit.

I - Généralités

Selon la loi russe, un employeur peut être, soit une personne physique,

soit une personne morale. Les employeurs, personnes physiques, avaient un grand avantage sur les employeurs, personnes morales. Actuellement, des

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Fédération de Russie

Bulletin de droit comparé du travail et de la sécurité sociale 2005 307

relations de travail avec des employeurs, personnes physiques sont bien différenciées en raison de l’objet de l’embauche: Toutefois, lorsqu’il s’agit d’avoir une activité individuelle (après enregistrement par l’État) ou de rendre des services à la personne ou de réaliser des travaux de ménage à domicile, le statut d’un entrepreneur individuel comme employeur est très comparable à celui d’un employeur ayant une organisation collective. C’est notamment le cas s’agissant de la gestion des livrets de travail des salariés ou de la possibilité de signer des contrats collectifs entre employeur et salariés. Reste toutefois des particularités relatives à la résiliation du contrat de travail, à l’établissement des termes de la décision de licenciement d’office, à la détermination des cas de licenciement et du montant des indemnités liées à la rupture du contrat de travail (indemnités de licenciement ou autres indemnités).

II - Partenariat social

Il existe une possibilité de conclure des accords entre des représentants des travailleurs, des employeurs et l’État au niveau de quelques unités administratives de la Fédération de Russie.

Des mécanismes de représentation des travailleurs ont été déterminés de

manière plus claire et plus logique. Un travailleur qui n’est pas membre d’un syndicat a la possibilité d’autoriser une instance syndicale de base à représenter ses intérêts individuels dans la relation qu’il a avec son employeur et selon des conditions admises par le syndicat. Auparavant, ce droit n’était fixé clairement qu’en cas de défense d’intérêts collectifs.

Une question très discutée jusqu’à présent a été résolue. Il s’agit des

conditions d’application d’un accord professionnel déjà conclu au niveau fédéral, à des employeurs qui n’ont pas pris part à sa conclusion. Premièrement, l’employeur qui refuse d’y participer, doit motiver son refus par écrit après consultation d’une institution élue par des instances syndicales de base réunissant les travailleurs de l’employeur considéré. Deuxièmement, le chef d’un organe fédéral du pouvoir exécutif, chargé de la gestion de la législation ouvrière, a le droit d’inviter des représentants d’employeur qui refusent de participer à la conclusion d’un accord, et des représentants syndicaux des travailleurs de cet employeur, pour procéder à des consultations avec la participation des représentants des parties à l’accord collectif.

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Fédération de Russie

Bulletin de droit comparé du travail et de la sécurité sociale 2006 308

III - Contrat de travail

La liste des cas de recours au contrat de travail à durée déterminée a été modifiée. Au cours de l’année 2001, le Département des normes internationales du BIT a formulé des observations sur la possibilité de conclure un contrat de travail à durée déterminée avec des retraités (55 ans pour les femmes et 60 ans pour homme) qui, selon les experts internationaux, avait un caractère discriminatoire. La disposition légale en cause n’a pas été abrogée. Mais on a dû préciser qu’il était possible de conclure un contrat à durée déterminée avec des retraités, à condition qu’ils ne reprennent le travail qu’après un certain âge.

En même temps, d’autres modifications ont été apportées. Il est

désormais possible de conclure des contrats de travail à durée déterminée dans des entreprises de petite taille. Cette faculté n’est offerte qu’aux employeurs dont l’entreprise a un effectif inférieur à 35 salariés (contre 40 auparavant), dans le domaine du commerce de détail et des service courants au public avec des employeurs dont l’entreprise ne comprend pas plus de 20 salariés (auparavant 25). IV - Rémunération

Les dispositions du code relatives à la rémunération contiennent des éléments supplémentaires du fait de la mise en conformité avec les engagements internationaux (Conventions OIT ratifiées) de la Fédération de Russie. En particulier, le Code du travail interdit la rémunération sous forme de créances, de quittances ou de coupons. Le code prévoit l’obligation de l’employeur de compenser chaque jour de retard dans le paiement du salaire. Cette obligation était considérée comme une responsabilité matérielle d’employeur. La modification a consisté à exclure toute faute de l’employeur comme condition de la réparation qui est désormais automatique. V - Particularités pour certaines catégories des travailleurs

Des garanties particulières sont établies en cas de missions, de travaux supplémentaires, de travail de nuit, de travail pendant des jours fériés, pour les femmes ayant des enfants de moins de trois ans ou pour des parents isolés ayant des enfants de moins de cinq ans.

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Fédération de Russie

Bulletin de droit comparé du travail et de la sécurité sociale 2005 309

VI - Protection des droits ouvriers

Les pouvoirs de l’Inspection fédérale du Travail ont été complétés par une fonction d’inspection et de contrôle des droits des travailleurs en cas de remboursement des assurances obligatoires contre les accidents au travail et les maladies professionnelles ainsi que pour l’obtention d’indemnités en cas d’invalidité temporaire. Afin d’assurer aux travailleurs le droit de percevoir une pension de retraite honorable, le Code du travail comprend désormais l’obligation de l’employeur de délivrer à la demande des travailleurs la copie des documents contenant des données relatives au calcul et au versement réel des cotisations dues à la caisse d’assurance des pensions obligatoires.

On a pris en considération les observations et les propositions de l’OIT

concernant la nécessité de réviser à la baisse les conditions imposées par la loi aux organisateurs de grèves. Une coalition de travailleurs est légale si sont présents plus de la moitié des effectifs (contre plus des 2/3 auparavant).

Le déclenchement d’une grève par une union professionnelle (association

de syndicats) peut faire suite à des efforts de conciliation dans chaque organisation concernée qui n’ont pas donné de résultats. La décision des travailleurs de participer à une grève contre un employeur doit être prise au cours d’une réunion (conférence) des travailleurs l’employeur concerné par le conflit collectif.

Les grèves ont fait l’objet de nouvelles limitations. Dans la notification

d’une grève, la date de début de conflit ne pas se situer au-delà de deux mois à partir du jour où la décision a été prise. Si la grève ne débute pas au jour du terme établi par la décision, la résolution du litige collectif se fera selon des procédures générales de conciliation.

Si une grève ne peut pas être déclenchée, on prend obligatoirement la

décision de procéder à un arbitrage de travail ; les décisions d’arbitrage ont un caractère obligatoire pour les parties au litige. Si les parties ne parviennent pas à un accord sur le choix de l’arbitre, sur sa composition, sur ses pouvoirs, c’est alors un organe de conciliation qui prendra les décisions.

Fatima Dzgoeva Académie de droit de Moscou

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Bulletin de droit comparé du travail et de la sécurité sociale 2006 310

TURQUIE La réforme du système de la Sécurité sociale était à l’ordre du jour depuis

des années. Finalement, elle est intervenue, avec deux lois : la loi n° 5502, datée du 16 mai 2006, sur « l’Organisme de la sécurité sociale » (Sosyal Güvenlik Kurumu Kanunu) entrée en vigueur dès sa publication au journal officiel (du 20 mai 2006); d’autre part et surtout, la loi n° 5510, datée du 31 mai 2006, sur les « Assurances sociales et l’assurance générale santé » (Sosyal Sigortalar ve Genel Sağlık Sigortası Kanunu) publiée au Journal Officiel du 16 juin 2006, qui entrera en vigueur le 1er janvier 2007.

I - Les problèmes auxquels fait face le système de la Sécurité sociale De manière générale, le vieillissement de la population, le chômage,

l’accroissement des dépenses de santé, figurent parmi les causes de la crise de la sécurité sociale. Ces problèmes, très présents en Turquie, se trouvent aggravés par certaines tendances d’ailleurs sévèrement critiquées par les milieux doctrinaux : l’absence d’autonomie des organismes de sécurité sociale qui restent ouverts aux influences politiques, l’utilisation des revenus à des fins politiques, les pratiques allant en contradiction avec les principes de base régissant les assurances sociales et qui mènent à des fuites de fonds. Il faut y ajouter les difficultés rencontrées lors du recouvrement des cotisations, l’insuffisance des moyens de financement, notamment en raison du secteur informel (travail non déclaré) fort important, accompagné de l’accroissement du chômage. L’équilibre entre les assurés passifs et inactifs est défavorable, en proportion de 1,7 ; ce qui mène à un découvert financier qui va en augmentant régulièrement, de manière à former un gouffre financier depuis de longues décennies. L’État essaye de combler ce déficit par des transferts à partir du budget général (11 % du produit national brut en 2003).

II - Caractères généraux de la réforme La nouvelle loi met fin à la législation préexistante, en abrogeant la

précédente loi n° 506 sur les assurances sociales, ainsi que la loi sur les assurances sociales des travailleurs indépendants, la loi sur les caisses de

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Turquie

Bulletin de droit comparé du travail et de la sécurité sociale 2006 311

retraite des fonctionnaires, et la loi sur les assurances des travailleurs de l’agriculture. Avec cette réforme, désormais une loi unique régira le système.

Les anciens organismes jusqu’alors distincts, disparaîssent et une

couverture unique est ainsi apportée. Notons que l’ancien Organisme des assurances sociales des salariés (Sosyal Sigortalar Kurumu) et la Caisse de retraite des fonctionnaires (T.C. Emekli Sandığı) existaient depuis soixante années ; l’Organisme des assurances sociales des commerçants, artisans et autres travailleurs indépendants (Bağ-Kur), relativement plus récent, était lui, âgé de 35 ans.

Désormais, tous ces organismes seront refondus en un seul, appelé

« Organisme de la sécurité sociale » (Sosyal Güvenlik Kurumu). Cette institution est, comme ses prédécesseurs, dotée de la personnalité morale, de l’autonomie administrative et financière, tout en gardant le statut d’organisme concerné en liaison avec le ministère du travail et de la sécurité sociale. Elle est désormais soumise au contrôle de la Cour des comptes. Du point de vue du financement, ses ressources continuent à reposer principalement sur les cotisations de l’assuré et de son employeur. Ainsi unifié, l’Organisme de la sécurité sociale va posséder le deuxième budget en importance, après le budget général de l’État.

III - Exposé des motifs et principales dispositions de la réforme Les buts énoncés de la réforme sont, d’assurer une couverture générale de

la population entière contre les risques sociaux de manière efficace et suffisante ; de mettre fin aux inégalités et disparités entre les trois groupes, à savoir, les salariés, les fonctionnaires publics et les professions libérales ; et enfin, de remédier au déficit grandissant de la sécurité sociale.

Ainsi, les caractères généraux de la réforme peuvent être énumérés en

quatre composantes : - Une assurance générale santé couvrant la totalité de la population; - Un régime unique d’assurance vieillesse pour tous les travailleurs; - L’unification des aides sociales; - L’établissement d’une nouvelle structure institutionnelle,

permettant de mettre en effet les fonctions et les prestations visées.

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Turquie

Bulletin de droit comparé du travail et de la sécurité sociale 2006 312

Sans pouvoir énoncer la totalité des nouvelles dispositions, fort

nombreuses et détaillées, il est possible de brosser en quelques traits un tableau plutôt schématique de la réforme.

A - Les montants et sources des cotisations se trouvent partiellement modifiés

Le financement de l’assurance invalidité, vieillesse et décès se fait sur les 20 % des revenus de l’assuré ; 9 % cotisés par l’assuré et 11% par l’employeur. Ces taux restent inchangés par rapport à la législation précédente. En ce qui concerne l’assurance accidents et maladies de travail, maternité et invalidité au travail, dont la totalité est financée par l’employeur, la cotisation va de 1 à 6,5 % du revenu, selon le degré du risque (alors que ces taux étaient précédemment de 1,5 à 7 %).

Pour l’assurance générale santé, le montant total de la cotisation se trouve

augmenté, désormais de 12,5 % du revenu; alors qu’il était de 11 % auparavant. La part de contribution incombant à l’employeur s’accroît, remontant à 7,5 % (en comparaison avec les précédents taux de 5 % pour le travailleur et 6 % pour l’employeur). Ainsi, l’assurance générale santé fera l’objet d’une cotisation uniforme de 12,5 %. Les personnes dans le besoin bénéficient d’une exonération, grâce à une contribution provenant de l’État.

De manière générale, l’État participera désormais à une partie (3 %) du

financement dans le domaine de l’assurance générale santé. Une autre nouveauté importante est la contribution de l’État, au taux de 5 %, au financement de l’assurance vieillesse.

B - Le domaine d’application de l’assurance générale santé se trouve élargi

À côté des citoyens turcs dans leur totalité, les personnes de nationalité étrangère résidant en Turquie depuis plus d’un an, ainsi que les apatrides et les réfugiés feront désormais partie des personnes couvertes par le système d’assurance sociale. Les jeunes âgés de 18 ans et moins, bénéficieront de toutes les prestations de santé sans prise en considération du paiement ou non des cotisations par leurs parents, ni de la durée d’emploi de ces derniers.

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Turquie

Bulletin de droit comparé du travail et de la sécurité sociale 2006 313

C - L’âge de la retraite se trouvera progressivement relevé

Pour ceux qui entrent pour la première fois dans le régime sous la nouvelle législation, l’âge de retraite demeure de 58 ans pour les femmes et 60 ans pour les hommes. Le nombre de jours cotisés (la durée d’assurance) requis se trouvera néanmoins augmenté, puisque de 7000 jours, il est amené à 9000 jours (25 ans). L’âge de retraite sera plus élevé à partir de 2036; s’élevant de deux ans tous les 2 ans, pour enfin atteindre 65 ans en 2048. Notons qu’une telle réglementation visant une époque si éloignée (30 et 42 années à partir de ce jour) paraît assez surprenante.

Il va de soi que certaines catégories, comme celles des salariés travaillant

sous terre dans les mines et des handicapés, ne sont pas soumises aux mêmes conditions, en particulier en ce qui concerne l’âge de retraite et la durée d’assurance.

En conclusion, la participation de l’État au financement de la sécurité

sociale dans le domaine de la vieillesse et de la santé va bien dans le sens des développements contemporains et correspond aux devoirs sociaux de l’État. Une augmentation des contributions patronales dans le domaine de la santé peut également être notée. Le plan à très long terme qu’a choisi le législateur pour la mise en application du nouvel âge de retraite est un autre trait de la réforme. Il est à remarquer que l’unification des systèmes des retraites va aux dépens des fonctionnaires publics qui verront le montant de leur pension vieillesse sérieusement amoindri, amené au niveau des pensions, assez bas, des salariés.

La réforme concernant les aides et prestations sociales (sans cotisation)

de l’État est toujours en cours et constitue le volet manquant de cette nouvelle législation. Dans ce domaine, les lois existantes restent en vigueur et continuent à régir la matière.

Notons enfin que certains articles et dispositions de la réforme, estimés

contraires à la Constitution, ont fait l’objet, par le Président de la République, d’un recours pour annulation auprès de la Cour constitutionnelle.

Melda Sur

Université Dokuz Eylül, Izmir

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Bulletin de droit comparé du travail et de la sécurité sociale 2006 314

URUGUAY Entre octobre 2005 et octobre 2006, le système des relations

professionnelles en Uruguay a connu des modifications substantielles. Le nouveau gouvernement a convoqué les Conseils de Salaires (par décret 105/05 du 7 mars 2005), organes tripartites qui étaient tombés en désuétude sous les gouvernements précédents. Les développements qui suivent seront consacrés à l’incidence du fonctionnement des Conseils des salaires sur l’ensemble du système de relations professionnelle, et l’adoption de nouvelles réglementations, telles que la loi sur la liberté syndicale et le décret sur la prévention et la résolution des conflits et la régulation des occupations d’établissements.

I - Conseils des salaires et promotion de la négociation collective Au cours de la période 2005-2006, les Conseils des salaires ont achevé

deux séries de négociations, en établissant les salaires pour les périodes allant du 1er juillet 2005 au 30 juin 2006 et du 1er juillet 2006 au 30 juin 2007.

Les Conseils des salaires sont des organes tripartites qui ont pour mission

de fixer le montant minimum des salaires par branche d’activité, nonobstant le respect de lignes directrices établies par le pouvoir exécutif. Le système présente plusieurs particularités. Pour que la convention souscrite dans le cadre des Conseils de Salaires soit appliquée à tous les secteurs d’activité (et pas seulement à ceux qui y ont adhéré), les effets de la convention sont étendus par décret à toute la branche d’activité, en précisant qu’elle est contraignante pour les employeurs et les travailleurs du secteur considéré.

L’importance du fonctionnement des Conseils des salaires réside dans le

fait que non seulement, ils établissent les augmentations obligatoires de salaires, mais ils facilitent aussi la négociation collective en général. Ainsi, des salaires ont été négociés dans ce cadre, de même que divers avantages ou plus largement divers sujets sociaux comme par exemple : les procédures de prévention et de résolution des conflits, les clauses de paix industrielle, les commissions bipartites et tripartites (hygiène et sécurité, égalité des chances, etc.).

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Uruguay

Bulletin de droit comparé du travail et de la sécurité sociale 2006 315

Actuellement, le ministère du Travail et de la Sécurité sociale étudie un projet de loi sur la négociation collective, ce qui faisait traditionnellement l’objet d’opposition de la part des organisations de travailleurs et de la doctrine travailliste qui soutenaient qu’aucune réglementation n’était nécessaire à ce sujet.

II - La protection de la liberté syndicale (loi n° 17.940 du 2 janvier 2006) Un des changements les plus marquants de cette année a résidé dans la

promulgation de la loi n° 17.940 du 2 janvier 2006 sur la protection de la liberté syndicale. Pour la première fois, un régime juridique est prévu pour assurer la réintégration à son poste de travail de tout travailleur licencié ou ayant subi une discrimination en raison de son activité syndicale.

La Cour suprême de Justice refusait la réintégration du travailleur

licencié pour des raisons syndicales, en se fondant sur une disposition constitutionnelle qui établissait qu’aucun ressortissant de la République ne serait obligé de faire ce qui n’était pas imposé par la loi (article 10). La nouvelle loi ordonne la réintégration et contient d’autres dispositions importantes, concernant le congé pour activité syndicale, le cartel syndical, et la retenue de la cotisation syndicale.

La portée de la protection de la liberté syndicale est large et se réfère à

« toute discrimination » tendant à porter atteinte à la liberté syndicale des travailleurs, ayant un emploi ou voulant accéder à un emploi. Sont particulièrement visées, toute action ou omission, qui aurait pour objet de:

- soumettre l’emploi d’un travailleur à la condition de ne pas s’affilier à un syndicat ou de cesser d’en être membre,

- licencier un travailleur ou lui causer un tort à cause de son affiliation syndicale ou de sa participation à des activités syndicales.

La protection établie par la loi n° 17.940 s’étend à tous les travailleurs et

pas seulement aux dirigeants syndicaux. Les mécanismes de protection sont les suivants:

1. Nullité absolue de l’acte discriminatoire, et réintégration effective du

travailleur licencié ou discriminé, avec le droit de percevoir la totalité des salaires jusqu’à la réadmission effective. La norme prévoit deux procédures :

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Bulletin de droit comparé du travail et de la sécurité sociale 2006 316

une procédure générale (procédure extraordinaire des articles 346 et 347 du Code Général de la Procédure) et une procédure de protection spéciale (article 4 à 10 de la loi nº 16.011), utilisable pour certains travailleurs (dirigeants, délégués, etc.). La loi établit que la légitimation active revient au travailleur qui « agit conjointement avec son organisation syndicale », ce qui est une innovation majeure dans notre droit.

2. Sanctions ou injonctions pécuniaires, prévues à l’article 374 du Code

Général de la Procédure, pour chaque jour de retard dans l’exécution. 3. Sanctions administratives (amendes). 4. Réparation du dommage moral. Il y a lieu à réparation pécuniaire du

dommage moral. La réintégration ne permet pas de réparer intégralement le dommage moral, étant donné qu’il n’est pas possible de replacer la victime dans une situation absolument identique à celle dans laquelle elle se trouvait avant l’acte discriminatoire. C’est ce qui semble être la posture de la loi, qui indique que les injonctions à caractère pécuniaires sont indépendantes du droit d’obtenir réparation du dommage (art.3 lit. F).

Un des points ayant fait l’objet du plus grand rejet de la part des

employeurs a été la question de la preuve. La loi n° 17.940 établit que le travailleur doit « établir» les faits qui lui permettent d’estimer qu’il a été licencié ou lésé pour des raisons syndicales, et l’employeur doit prouver l’existence d’une « cause raisonnable » qui justifiant la décision adoptée (liée à la capacité ou à la conduite du travailleur, ou aux nécessités de l’entreprise ou autre). On a considéré que la loi susmentionnée avait renversé la charge de la preuve. Il ne semble que le changement soit aussi radical. En effet, avant la loi précitée, dans les actions en justice en cas de licenciement antisyndical, les juges exigeaient de l’employeur qu’il apporte la preuve d’une cause raisonnable justifiant le licenciement. La nouvelle loi ne fait donc qu’intégrer ce qui était pratiqué par une jurisprudence dominante.

Le premier jugement1 qui avait décidé de la réintégration de deux

travailleurs mis au chômage en représailles pour leur activité syndicale a été

1 Jugement du Tribunal de Première Instance du Travail, 1er rôle, nº 34 du 8 août 2006.

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Bulletin de droit comparé du travail et de la sécurité sociale 2006 317

tout récemment confirmé (confirmé par une décision de la Cour d’appel du Travail)2.

III - La prévention et la résolution des conflits collectifs de travail (décret 165/006 du 30 mai 2006)

Le maintien des occupations d’établissements de travail pour de longues

périodes a conduit à mettre en œuvre des actions d’expulsion. Les juges ont rejeté la pertinence des décisions d’expulsion des grévistes, en se basant sur le fait que l’occupation est une modalité de l’exercice du droit de grève. Le décret n° 145/005 du 2 mai 2005 déroge le décret nº 512/966 du 19 octobre 1966 qui admit que l’expulsion des lieux de travail occupés par des grévistes puisse être mise en œuvre par la force publique. Mais on ne disposait pas d’un mécanisme de résolution de conflits dans le cas où les parties ne trouvaient pas de solution par la négociation.

L’absence de raison de certaines occupations (décidées par un petit

groupe de travailleurs contre l’avis du syndicat et de la grande majorité des travailleurs) ou l’abus dans d’autres cas (actes de violence, utilisation des biens au bénéfice des occupants, etc.) a conduit le Ministère du travail et de la sécurité sociale à promouvoir une réglementation de l’occupation, ce qui a été finalement réalisé par décret 165/06 du 30 mai 2006. Ce décret contient des normes importantes:

1. Il établit l’obligation de promouvoir des instances de consultation et de

négociation avant de mettre en oeuvre les mesures de conflit, dans un délai raisonnable, bien qu’il n’indique pas les effets juridiques du non suivi de ces instances. Le texte rappelle que travailleurs et employeurs peuvent avoir recours à la médiation ou à la conciliation par la Direction nationale du travail ou par le Conseil des salaires.

2. Il reconnaît l’occupation comme une modalité d’exercice du droit de

grève, mais établit des limites : elle doit être pacifique ; il faut faire un constat de l’état des biens ; l’organisation syndicale la plus représentative doit prendre des mesures pour prévenir les dommages, préserver les biens périssables. 2 Deuxième rôle, nº 105 du 13 septembre 2006.

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Bulletin de droit comparé du travail et de la sécurité sociale 2006 318

3. Une procédure est prévue pour l’expulsion des grévistes, autorisant le

Ministère du travail et de la sécurité sociale et le Ministère de tutelle du secteur d’activité de l’entreprise concernée, à intimer un ordre d’expulsion dans un délai de 24 heures, sous menace de recourir à la force publique (ce délai écoulé, l’expulsion est demandés au ministère de l’Intérieur). La norme limite cette faculté, en indiquant qu’elle est pertinente lorsque le maintien de l’occupation suppose « un risque grave pour la vie, la sécurité ou la santé de tout ou partie de la population, ou porterait un grave préjudice à l’ordre public ».

Récemment, le premier jugement, admettant l’expulsion a été prononcé,

et a été confirmé en deuxième instance. En l’espèce, les travailleurs non-occupants avaient intenté une procédure en demande de protection contre les travailleurs qui occupaient l’entreprise et contre le syndicat. Dans ce jugement, une importance a été donnée à la non-exécution des formalités prévues par décret n° 165/006 (instances de négociation et de consultation préalablement à l’adoption de la mesure), pour conclure qu’il existait une « illicéité de forme dans le comportement », lésant des droits protégés par la Constitution, à savoir le droit de la propriété, la liberté de l’industrie et du commerce, la liberté du travail des entreprises et le droit des travailleurs non-occupants3.

IV - La participation des travailleurs dans les Conseils tripartites L’an passé, plusieurs Conseils de composition tripartite ont fonctionné

dans le cadre du Ministère du travail et de la sécurité sociale et ont été consultés sur différents sujets. À titre d’exemple, il faut mentionner le Conseil Supérieur Tripartite et le Conseil National Consultatif Assesseur dans les politiques d’Inspection du Travail.

3 Jugement du Tribunal de Première Instance en matière civile, 5ème rôle, nº 59/006, du 21 septembre 2006.

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V - Le contrôle du respect des normes professionnelles dans les entreprises qui prêtent des services à l’État (Décret 475/005 du 21 novembre 2005)

Le décret n° 475/005 dispose que, dans les cahiers des charges relatifs à la conclusion de contrat de prestation de services entre l’Etat et des entreprises, des clauses doivent être incluses garantissant aux travailleurs le respect des normes professionnelles (droit d’exiger la documentation justifiant du respect des normes et de retenir sur les paiements le montant des salaires des travailleurs du prestataire).

Conclusion Le modèle uruguayen des relations professionnelles a subi, durant cette

période d’importantes modifications qui rangent dans le passé l’ancien système caractérisé par l’absence de normes. Dans ce contexte, l’importance des décisions judiciaires va croissant. Elles sont venues délimiter le concept de grève dans notre pays, et c’est de la position des juges que dépendra la protection effective de la liberté syndicale consacrée par la toute récente loi ici commentée.

Cristina Mangarelli

Université de la République de Montevideo