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Le Mag TELQUEL 17 AU 23 OCTOBRE 2009 TELQUEL 17 AU 23 OCTOBRE 2009 La famille du Premier ministre est plus présente que jamais au sommet de l’Etat. Ministres, patrons d’offices publics, caciques de l’Istiqlal, les El Fassi et les Fassi Fihri trustent les postes de premier plan. Que cache la réussite de cette tribu ? Enquête. P arler des El Fassi est de- venu un sport national. On devise sur l’état (poli- tique) du Premier mi- nistre, on s’inquiète pour sa santé lorsqu’il peine à se relever d’une séance de prière aux côtés de Mohammed VI. On plai- sante sur les déjeuners de famille de ce clan très soudé, aux al- lures de Conseil de gouvernement. On débat beaucoup sur les multiples coups de pouce (du destin ?) dont les membres de la “tribu” semblent bénéficier. Dans le top 10 des questions les plus posées : les El Fassi et Fassi Fihri sont-ils une seule et unique famille, issue d’une même lignée ? Pour trouver la bonne ré- ponse, il nous faut remonter au début des années 1950. Les El Fassi doivent, comme tous les Marocains, s’inscrire sur les registres de l’état civil. Les uns optent simplement pour El Fassi, les autres pour Fassi Fihri. Autre question : est-il normal, est-il sain, qu’une même famille bénéficie à ce point des bonnes grâces du roi ? Car l’histoire récente du royaume reflète la même réalité d’une famille qui, par la volonté de la monarchie, a étendu son emprise sur la haute fonction publique. “De 1955 à 1992, note ainsi Hassan Qran- fel dans “Les gens de Fès, l’argent et la PAR SOULEÏMAN BENCHEIKH ET YOUSSEF ZIRAOUI DR 46 47 LE CLAN EL FASSI EN COUVERTURE Enquête sur une famille au cœur du pouvoir De gauche à droite, de haut en bas: Brahim, Fihr, Othman, Nizar (Baraka), Taïeb, Abbas, Yasmina (Baddou) et Ali Fassi Fihri.

Telquel 17 - 23 Octobre 2009 : LE CLAN EL FASSI

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Ce numéro se consacre à la Famille El FASSI au maroc

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Page 1: Telquel 17 - 23 Octobre 2009 : LE CLAN EL FASSI

Le Mag

TELQUEL 17 AU 23 OCTOBRE 2009TELQUEL 17 AU 23 OCTOBRE 2009

La famille du Premierministre est plus

présente que jamais ausommet de l’Etat.Ministres, patrons

d’offices publics, caciques de

l’Istiqlal, les El Fassi etles Fassi Fihri trustentles postes de premier

plan. Que cachela réussite de cette

tribu ? Enquête.

Parler des El Fassi est de-venu un sport national.On devise sur l’état (poli-tique) du Premier mi-nistre, on s’inquiète poursa santé lorsqu’il peine àse relever d’une séancede prière aux côtés deMohammed VI. On plai-sante sur les déjeuners

de famille de ce clan très soudé, aux al-lures de Conseil de gouvernement. Ondébat beaucoup sur les multiples coupsde pouce (du destin ?) dont les membresde la “tribu” semblent bénéficier.

Dans le top 10 des questions les plusposées : les El Fassi et Fassi Fihri sont-ilsune seule et unique famille, issue d’unemême lignée ? Pour trouver la bonne ré-ponse, il nous faut remonter au débutdes années 1950. Les El Fassi doivent,comme tous les Marocains, s’inscriresur les registres de l’état civil. Les unsoptent simplement pour El Fassi, lesautres pour Fassi Fihri.

Autre question : est-il normal, est-ilsain, qu’une même famille bénéficie àce point des bonnes grâces du roi ? Carl’histoire récente du royaume reflète lamême réalité d’une famille qui, par lavolonté de la monarchie, a étendu sonemprise sur la haute fonction publique.“De 1955 à 1992, note ainsi Hassan Qran-fel dans “Les gens de Fès, l’argent et la

PAR SOULEÏMAN BENCHEIKHET YOUSSEF ZIRAOUI

DR

46 47

LE CLAN EL FASSI

E N C O U V E R T U R E

Enquête sur une famille au cœur du pouvoir

De gauche à droite,de haut en bas:

Brahim, Fihr, Othman,Nizar (Baraka),Taïeb, Abbas,

Yasmina (Baddou)et Ali Fassi Fihri.

Page 2: Telquel 17 - 23 Octobre 2009 : LE CLAN EL FASSI

politique”, les El Fassi et Fassi Fihri, avec 9 mi-nistres, se hissent en tête du hit parade des fa-milles les plus représentées au gouvernement,devançant les Benjelloun, Ibn Abdeljalil, Tazi,Bahnini, Boutaleb, Guessous, Bennani, Ben Sli-mane et consorts”. Et encore, le classement netient pas compte des secrétaires d’Etat !

Le poids d’une familleNul besoin de remonter à 1955, ni de s’arrê-

ter à 1992, pour constater l’omniprésence de la“tribu” El Fassi. Après un court intermède dediscrétion à la toute fin du règne de Hassan II,les El Fassi sont en effet revenus en force sousMohammed VI. Sur le devant de la scène de-puis la nomination du gouvernement Ab-bas El Fassi, la famille du Premierministre occupe ainsi pas moins dequatre sièges au Conseil de gouver-nement. Outre le patriarche et pa-tron de l’Istiqlal, le clan compte unministre de souveraineté, en lapersonne de Taïeb Fassi Fihri (uncousin de Abbas El Fassi), uneministre, Yasmina Baddou, res-ponsable de la Santé et belle-sœur de Taïeb, un ministredélégué, Nizar Baraka, en char-ge des Affaires économiques etgendre de Abbas. Un peu plusloin, le frère de Taïeb FassiFihri, Ali, qui est aussi le maride Yasmina Baddou, est à latête de l’ONE, de l’ONEP et dela Fédération de football. Un

autre cousin, Othmane Fassi Fihri, dirigeAutoroutes du Maroc. Il va sans dire que toutce beau monde est nommé par dahir.

Dans la génération montante, l’un desdeux fils de Abbas El Fassi, Abdelmajid, pasmême trente ans, est déjà pressenti pourprendre la tête d’une nouvelle chaîne de té-

lévision. L’autre, Fihr, de dix ans son aîné,est l’ancien patron de FC COM, l’entreprise deMohamed Mounir Majidi, secrétaire particulierdu roi. Il est également élu communal et a ré-cemment été au cœur d’une polémique, cer-tains médias se faisant l’écho d’un marchéjuteux obtenu de la part de la ministre de laSanté par la petite société du fils du Premierministre. Une version que contestent lesconcernés, Yasmina Baddou et Fihr El Fassi.Pour tati Yasmina, l’octroi du marché n’étaitpas de son ressort mais de celui du ministère del’Intérieur. Quant au bien nommé Fihr, il a dé-claré avoir l’intention de porter plainte contreles titres de presse qui l’auraient diffamé.

Un clan dans le vent La tribu, fermée comme une huître, a depuis

longtemps choisi d’éviter une bonne partie dela presse. Un cousin téméraire se fait néan-moins le défenseur des El Fassi : “Il s’agit d’unvéritable lynchage médiatique. Etre à ce pointsur le devant de la scène ne les sert pas en fin decompte. Ils pourraient très bien se faire beau-coup d’argent dans les affaires, mais la plupartont le goût du service public, ils sont au servicede leur pays”. Au crédit de la famille El Fassi, onpeut aussi mettre un train de vie relativementsimple, pas bling bling pour un sou, comparé àcelui de certains nouveaux riches. Ici, pas outrès peu de BMW rutilantes, de soirées à plu-sieurs millions, ou d’excès affichés. Chez les ElFassi, on cultive une discrétion studieuse. Onen viendrait même à se plaindre d’être à cepoint exposé. De manière générale, on n’aimepas non plus les trublions, les agitateurs et,moins que tout, les nihilistes. Par contre, on ap-précie beaucoup les mondanités. On sait se fai-

LL es El Fassi ont derrièreeux une longue traditionreligieuse à la fois dansles zaouaia et dans l’en-

tourage du sultan. C’est ainsiCheikh Abdelkader El Fassi, unalem très influent, qui légitimele pouvoir des Alaouites aumoment où ceux-ci reprennentle flambeau des Saadiens.Sous la nouvelle dynastie, ilssont au sommet de l’organi-gramme des ouléma et la reli-gion devient leur chassegardée. L’universitaire HassanQranfel est pourtant catégo-rique : parmi les El Fassi hautscommis de l’Etat, Allal est leseul ministre des gouverne-ments post-indépendance àavoir reçu un enseignement re-

ligieux. “Le reste des mi-nistres El Fassi et FassiFihri – tous sont des pa-rents proches – ont suivi uncursus moderne. Et, à l’ex-ception de Allal qui ne par-lait pas le français, tous lesautres El Fassi maîtrisentla langue de Molière et sontdiplômés d’universités fran-çaises ou occidentales”, ex-plique l’auteur de Les Gensde Fès, l’argent et la politique.En prenant le virage de la mo-dernité, les El Fassi, jadis oulé-ma, aujourd’hui technocratespolitisés (parfois sur le tard)ont ainsi amorcé depuis long-temps leur mue pour continuerd’exister dans les hautessphères du pouvoir. �

Le MagE N C O U V E R T U R E

La tribuEl Fassi,fermée commeune huître,a depuislongtempschoisi d’éviterune bonnepartie de lapresse.

EVOLUTION

Allal, le dernier des ouléma

LA TOILE EL FASSI

TELQUEL 17 AU 23 OCTOBRE 2009 49

Abbas El Fassi, GrandVizir du sultan

Moulay Hafid audébut du XXème siècle.

Abdellah El Fassi (neveu de Abbas).Ministres des Affaires étrangères du

sultan Moulay Hafid, ambassadeur duMaroc de 1909 à 1910.

Othmane FassiFihri (neveude Omar).

Directeur générald'Autoroutes du

Maroc.

Abdelmajid El Fassi(fils de Abbas).Pressenti pour

prendre la tête dela chaîne téléAl Ikhbaria.

Nizar Baraka,(gendre de

Abbas El Fassi etpetit-fils de Allal ElFassi). Ministre des

Affaireséconomiques et

générales.

Mounir Chraïbi(neveu de

Abbas El Fassiet cousin de Ali et

Taïeb Fassi Fihri). Ex-wali de la ville deMarrakech, anciendirecteur général

de la CNSS.

Fihr El Fassi,(fils de Abbas).Élu communal,

ex-directeur de FCCOM, entrepriseappartenant àMounir Majidi,

secrétaireparticulier

du roi.

AbdelouahedEl Fassi (frère

de Hanni).Ministre sous

Youssoufi, fils deAllal El Fassi,membre du

comité exécutifde l’Istiqlal.

Ali Fassi Fihri(fils de Mohamed).

Directeur général del'ONE et de l’ONEP,

président de laFédération marocaine

de football.

Zouheir Fassi Fihri (frère deMohamed). Ex-DG du Crédit Agricole

et président de Primarios (filialedu holding royal SIGER).

Brahim Fassi Fihri(fils de Taïeb).

Président de l'IinstitutAmadeus.

Yasmina Baddou(épouse de Ali Fassi

Fihri). Ministre de laSanté.

Abbas El Fassi (petit-fils de Abdellah). Ilépouse la fille deAllal. Plusieursfois ministre et

ambassadeur. Premierministre depuis 2007.

Mohamed Fassi Fihri(petit-fils de Abbas Grand

Vizir et beau-frère deAbbas 1er ministre).

Ambassadeur et secrétairegénéral à la Justice dans les

années 1980.

Taïeb Fassi fihri(frère de Ali).

Ministre des Affairesétrangères.

Mohamed Fassi Fihri (cousingermain de Ali et Taïeb). Wali

inspecteur général del'administration territoriale.

Allal El Fassi (neveude Abdellah).Fondateur de

l'Istiqlal et figurede proue dunationalisme

marocain.

Abdeslam El Fassi (filsde Abdellah). Ancien

recteur de l'universitéAl Qaraouiyine deFès, ministre de

l'Éducation nationalesous le protectorat.

Hani El Fassi(fils de Allal El Fassi).Membre du Conseil

constitutionnel.

Omar Fassi Fihri(fils de Abdeslam).

Ministre del'Enseignement et

de la recherchesous Youssoufi,

membre du bureaupolitique du PPS.

Au début des années1950, les El Fassi

doivent, comme tous lesMarocains, s’inscrire sur

les registres de l’étatcivil. Les uns optent

pour El Fassi, les autrespour Fassi Fihri.

TELQUEL 17 AU 23 OCTOBRE 2009

Filiation.La famille

El Fassirevendique

l’héritagepolitique

de Si Allal.

AFP

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tion. Aujourd’hui, l’enseignement s’étant démo-cratisé, les El Fassi ont opéré un virage straté-gique, misant beaucoup sur le réseautage, setenant informés avant les autres, ce qui leurconfère une avance très utile pour prendre lesbonnes décisions” En somme, pour se placer,quand il faut, là où il faut.

Ancien directeur adjoint au ministère des Fi-nances, Nizar Baraka a été propulsé ministredélégué en 2007. Avant de toucher le graal, ilavait intégré le comité exécutif de l’Istiqlal en1998 et multiplié les activités associatives na-tionales et internationales, avant de contribuerau rapport royal “50 ans de développement hu-main au Maroc et perspectives pour 2025”. Au-tant d’activités qui servent d’accélérateur decarrière. Au final, serviteurs zélés des sultansdepuis des lustres, les El Fassi perçoivent lefruit de leur engagement : des nominations àdes postes de hauts commis de l’Etat. “Un peucomme si le Pouvoir les récompensait par desbons points”, résume Maria Moukrim. Evolu-tion significative, la nouvelle génération, àl’instar des enfants de Abbas El Fassi, sembledécidée à percer dans le monde des affaires,loin de la lumière des projecteurs.

Un nom, une histoireL’origine de l’omniprésence des El Fassi

dans les salons feutrés du pouvoir (et desbonnes affaires) est très certainement à cher-cher dans leur généalogie. Selon le Diction-naire des noms de famille marocains de MounaHachim, l’ascendance des El Fassi remonte àun aïeul du prophète. Ils appartiendraientdonc à une branche parallèle à celle de Mo-hammed, “une lignée profane et non chérifien-ne”, selon la terminologie de Ali Benhaddou,auteur des Elites du royaume (réédité en2009). Le conquérant arabe du Maghreb, Oq-ba Ibnou Nafi’ El Fihri (622-683), serait égale-ment un des aïeux des Fassi Fihri actuels. Laplus grande partie de ses héritiers embarque-ront pour l’Andalousie, mais une partie de salignée s’établira au Maroc avant même la Re-conquista des Rois catholiques. Au 9ème siècle,Fatima Oum El Banine El Fihria, fille d’unriche négociant, a ainsi financé la construc-tion de la très prestigieuse mosquée Qa-raouiyine de Fès. Carrefour des sciences et del'érudition, la mosquée, petite au début, vaconférer à la cité idrisside le titre de capitalespirituelle de l'occident musulman aprèsl'éclipse des villes de Kairouan et Cordoue.Meriem El Fihria, sœur de Fatima, a pour sapart financé la mosquée Al Andalous de la mê-me ville. Quant aux héritiers de Oqba IbnouNafi’ installés en Andalousie, ils s’y faisaient ap-peler Ibnou El Jedd. Cette descendance essai-ma dans l’ancien eldorado arabe d’Espagne, oùelle compta de nombreux ouléma, des hommesd’autorité et de riches propriétaires fonciers.Mais, à l’instar de tous les musulmans dansl’Espagne inquisitrice, la famille Ibnou El Jeddfut confrontée à un dilemme cornélien : seconvertir au christianisme ou fuir.

La fortune des El FassiC’est donc en 1476, quelques années avant la

chute de Grenade, que les Ibnou El Jedd, aïeuxdes El Fassi, embarquent vers Sebta, d’où ilsprennent la route pour Fès. Leurs descendants,qui commerçaient avec la ville de Ksar El Ké-bir, sont surnommés Fassis par les habitants dela petite cité du nord. Une fois bien installés auMaroc, la plupart se lancent dans le commercede la cire et des cierges. “Une activité à l’époquetrès lucrative puisqu’on s’éclairait à la mèched’huile ou à la cire et, de surcroît, on faisait donde cierges aux différentes zaouaia (lieux de culteou de contemplation)”, explique Mohamed Fas-si Fihri dans son livre biographique, Mongrand-père ambassadeur à Paris, 1909-1910,(Ed. Marsam, 2008). D’autres préfèrent tenterleur chance dans l’agriculture, d’autres enfinsont savants, érudits, enseignants... La sciencedevient en quelque sorte une affaire familiale.Proches du pouvoir, les El Fassi participent àl’éducation des princes, soutiennent les sultanssur le plan religieux, mais ne participent pas àla vie politique. “Ils ne cherchaient pas à s’ap-procher de très près des sultans, malgré la bien-veillance de ceux-ci à leur égard”, expliqueMohamed Fassi Fihri. Exemple édifiant, celuide Abou El Mahassine Youssef El Fassi : le sul-tan saâdien Ahmed Al Mansour (1578-1603) luiproposa le poste de bibliothécaire pour l’un deses enfants. Il déclina l’offre et donna à sesproches ce conseil : “Je ne déteste pas pour vousla lecture des livres et le profit que vous en tire-

re bien voir. Il faut dire qu’en bons héritiersd’une longue lignée de diplomates, les El Fassiont le sens du contact et savent rendre service.“Je connais beaucoup de membres de la famillequi critiquent Abbas en off. Mais, qu’ils l’appré-cient ou pas, ils n’hésitent pas à lui passer uncoup de fil dès qu’ils ont besoin d’un service”,confesse ce proche. Du coup, un Brahim FassiFihri (fils de Taïeb) obtient sans difficulté la

première interview de tonton Abbas, pour lecompte de l’institut Amadeus. Le même thinktank qui, sans doute grâce aux relations de pa-pa, parvient à réunir le gotha du monde sur lesthèmes d’intérêt national les plus divers (Unionpour la Méditerranée, Sahara, Maghreb…).

Les ressorts d’une ascensionMais chez les El Fassi, tout ne fonctionne pas

par népotisme et cooptation. Parmi les hautscommis de l’Etat, ils sont nombreux à disposerdes meilleurs diplômes, des polytechnicienspar-ci, des HEC par-là. Avant d’occuper un pos-te à responsabilité dans la fonction publique,certains ont dû faire leurs preuves dans le pri-vé. Untel dirige une filiale de l’ONA, tel autreest le patron d’une banque privée de la place…

Maria Moukrim, rédactrice en chef del’hebdomadaire arabophone Al Ayam, a plan-ché durant près de deux ans sur les “famillesdu Makhzen”, une enquête journalistique oùla famille El Fassi occupe, comme de juste,une place de choix. Pour elle, le succès des ElFassi est celui d’une élite savante, d’une dy-nastie d’ouléma qui a su opérer le virage de lamodernité, tout en se faisant le chantre de lapréservation des traditions. “Au début du 20ème

siècle, certains El Fassi, une poignée d’hommes,allaient déjà poursuivre leurs études à l’étran-ger, en France ou en Angleterre, et revenaientbardés de diplômes”, explique-t-elle. Commeles chiens ne font pas des chats, Les descen-dants, poursuit notre source, “ont imité leursancêtres, en jouant à fond la carte de l’éduca-

Le MagE N C O U V E R T U R E

TELQUEL 17 AU 23 OCTOBRE 2009 TELQUEL 17 AU 23 OCTOBRE 2009

Représentation. La familleEl Fassi occupe quatresièges au Conseil degouvernement : Abbas(Premier ministre), TaïebFassi Fihri (Affairesétrangères), YasminaBaddou (Santé), NizarBaraka (Affaireséconomiques).

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LL a politologue Amina El Messaou-di, auteure d’une étude sur Lesministres dans le système poli-tique marocain de 1955 à 1992,

livre une analyse sociologique de lasphère gouvernementale : âge moyendes ministres, niveau d’études, prove-nance géographique, origine familiale,affiliation politique… La population mi-nistérielle est passée au crible : un peumoins de 300 ministres depuis l’indé-pendance, dont 67 Fassis (compreneznés à Fès ou de parents fassis). Enmoyenne, entre 1955 et 1985, les Fassisont représenté 34% des gouverne-ments. Selon l’étude d’Amina El Mes-

saoudi, en 1955, le premier gouverne-ment du Maroc compte 16 ministresfassis, soit 39 % des strapontins. LesFassis distancent de loin les Rbatis,Marrakchis et autres Casablancais. Aumilieu des années 1980, ils ne sont plusque 27%, mais conservent leur “avance”sur les autres régions marocaines. Om-niprésents, les ministres fassis ont oc-cupé les gouvernements successifsdurant 5111 mois, soit 43% du “tempsde jeu”. Les deux-tiers sont istiqlaliensissus de la bourgeoisie et ont fait leursétudes supérieures en France. Un déno-minateur commun avec les membres dela tribu des El Fassi… �

GOUVERNEMENTS

Fès en force

Une famille qui pèseUn rapide calcul permet d’évaluer le total des budgets allouésaux ministères, offices et fédérations dirigés par des membresde la famille El Fassi et Fassi Fihri.BUDGETS ET CHIFFRES D'AFFAIRES (exprimés en millions de dirhams pour l’année 2008)

Budget dela primature 1205

79

1676

9802

4760300

19 032

Budget des Affairesgénérales et économiques

Budget du ministèredes Affaires étrangères

Budget du ministèrede la Santé

Chiffres d'affaires cumulésde l'ONE et de l'ONEP*

1210Chiffre d'affairesd’Autoroutes du Maroc

Budget de la FRMF**

* Office national de l’électricité et Office national de l’eaupotable ** Fédération royale marocaine de football

Ali FassiFihri

OthmanFassi Fihri

En bonshéritiers

d’une longuelignée de

diplomates,les El Fassiont le sensdu contact

et saventrendre

service.

LE CLAN EL FASSI

YasminaBaddou

TaïebFassi Fihri

NizarBaraka

AbbasEl Fassi

Total

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zir Abbas El Fassi conseille le sultan et comp-te parmi ses familiers. “Au point que MoulayHafid envisagea d’épouser l’une des filles deson Grand Vizir”, écrit Mohamed Fassi Fihri.Mais cette proximité affichée cache une cer-taine méfiance, certes larvée, entre les deuxhommes. Une anecdote illustre parfaitementcette facette de la relation entre le vizir et sonsultan : “Un jour, le roi et lui-même conversaientd’une manière informelle dans les jardinsroyaux, en marchant aux abords d’une excava-tion aménagée en fosse aux lions. Il n’y avait pasde garde-fou et Abbas El Fassi se trouvait à côtéde la trappe. Soudain, une idée effrayante lui ef-fleura l’esprit : et si on le poussait… Il ne put ca-cher son trouble. Intelligent comme il l’était, lesultan s’en aperçut et éclata de rire en lui ordon-nant de passer de l’autre côté”. Ambiance…

La gloire de mon grand-pèreLe cas de Abdallah El Fassi est embléma-

tique de la place grandissante des El Fassidans le champ politique, au tournant du siècledernier. Ce neveu de Abbas El Fassi Senior, quia été ambassadeur en France et ministre desAffaires étrangères, a tout fait pour être dansles bonnes grâces des trois sultans qu’il aconnus. Le biographe Mohamed Fassi Fihri at-teste ainsi qu’en 1892, par le truchement deson grand-père Allal, chef religieux respecté,Abdallah, alors âgé de 21 ans, adresse à Has-san 1er son premier livre, Pages précieuses de ceque les rois ne doivent pas ignorer. En contre-partie, le sultan récompense son fidèle lauda-teur à coups de centaines de rials. Quand, à lamort de Hassan 1er, Moulay Abdelaziz, le jeuneprince héritier, est intronisé, Abdallah El Fassis’empresse d’exprimer au nouveau sultantout le bien qu’il pense de lui. Il soutient la lé-gitimité de cette intronisation dans un ou-vrage intitulé L’accession au trône sansavoir atteint la puberté. Quand songrand-père Allal passe l ’arme àgauche, i l le remplace lors desprêches en présence du sultan et dugouvernement, entrant ainsi lentementmais sûrement dans le sérail, et entraî-nant toute sa famille dans son sillage.

Dans l’antre du MakhzenDevenus proches parmi les proches du

sultan Moulay Hafid, Abbas et Abdallah ontdes pouvoirs très étendus. Les négociationsentre une France en pleine conquête colonialeet un Maroc ultra-endetté, au bord de la ban-queroute, sont entamées en 1909. “Souvent, lesultan Moulay Hafid négociait seul avec l’am-bassadeur français. En cas d’empêchement, Ab-bas El Fassi et Abdallah El Fassi prenaient larelève”, écrit Mohamed El Fassi. Le sort duroyaume se joue ainsi entre les trois hommes,un Alaouite et deux El Fassi. Mais dans tous lescas, les pourparlers se font en la présence d’uninterprète. Le sultan et les El Fassi ne sont pasencore francophones… Preuve de sa marge demanœuvre, dans les correspondances passées

rez, mais je déteste pour vous un travail quivous oblige à être solliciteurs à la porte desrois”. Pour la petite histoire, il s’agit du mêmeCheikh El Mahassine qui lèguera à sa descen-dance un vaste domaine agricole sur l’OuedSebou près de Fès, dont l’exploitation conti-nue à aujourd’hui.

Abbas SeniorMohamed Fassi Fihri explique la longue

absence des siens du pouvoir exécutif : “Legouvernement était chargé principalement dumaintien de l’ordre, de la défense du territoireet du recouvrement des impôts, le tout confor-mément aux ordres du sultan. L’équations’avère on ne peut plus simple : le sultan pense,

le gouvernement exécute. Il n’y avait pas là deplace pour les ouléma, et donc pour les El Fas-si, dont le métier consistait aussi à penser”.Mais l’absence des El Fassi du pouvoir exé-cutif devait bien prendre fin un jour : à l’aubedu 20ème siècle, un certain Abbas El Fassi (ar-rière grand-père de l’actuel ministre des Af-faires étrangères) est nommé Grand Vizirauprès de Moulay Hafid, qui vient de détrô-ner son frère Moulay Abdelaziz. Pour sa pre-mière mission, le dit Abbas est chargé de“préparer le terrain” pour l’intronisation dunouveau sultan à Fès et d’emporter l’adhé-sion des ouléma. Sa mission accomplie, il enest remercié dans une lettre adressée parMoulay Hafid. Ministre puissant, le Grand Vi-

LL a tribu des El Fassi a aussi sesgrandes matrones, ces mater fa-milias qui perpétuent autantqu’elles brisent les traditions et

les valeurs. Avec les historiques FatimaOum El Banine et Meriem, Malika ElFassi a par exemple sa place aupanthéon national. Seule fem-me signataire du Manifestede l’indépendance, elle a,jusqu’à sa mort en2007, compté commeune figure morale dumouvement nationa-liste. Plus proche denous, Yasmina Baddou,militante aguerrie, est

devenue l’égérie de l’Istiqlal, et illustreparfaitement le syncrétisme réussientre politique, technocratie et famille,à savoir les trois meilleurs atouts pourdurer en politique. Et qu’on se le dise,les El Fassi sont fiers de leurs filles.

Comme papa Abbas qui, en confé-rence de presse, était tout fier

d’annoncer que sa fille (parailleurs épouse de Nizar

Baraka) avait signé (souspseudonyme) un ex-

cellent papier sur laréforme de la justi-

ce dans les colonnesde L’Opinion, organede l’Istiqlal. �

FEMMES

Les Fassiate d’abord

TELQUEL 17 AU 23 OCTOBRE 2009

Le MagE N C O U V E R T U R E

DR

Initiative. Fatima OumEl Banine El Fihria, filled’un riche négociant, afinancé la construction

de la mosquéeQaraouiyine de Fès.

Au début duXXème siècle,Le sort duroyaume sejoue entre troishommes : unAlaouite etdeux El Fassi.

52

CC omme ailleurs au Maroc,l’endogamie est, à Fès,une pratique courante :en 1990, un mariage sur

cinq s’y faisait encore entremembres d’une même famille. Lafamille El Fassi ne déroge pas à larègle. A force de mariagesconsanguins, il est devenu trèsdifficile de se retrouver dans lesliens tentaculaires qui relient tel

ou tel membre. Un exemple pourillustrer cela : Nizar Baraka, mi-nistres des Affaires économiqueset générales, a épousé Radia ElFassi, fille de Abbas. Baraka estaussi le petit-fils de Allal El Fassi,qui a donné la main de sa filleOum El Banine à son neveu de mi-nistre Abbas El Fassi. Un clas-sique dans la famille El Fassi :Yasmina Baddou, par exemple,

est une Fassi Fihri par son maria-ge avec Ali, ainsi que par sagrand-mère. Mais l’endogamieaccouche parfois de drôle d’en-fants : car il y a aussi les canardsboiteux qu’on ne peut pas inviteraux repas de famille, parce quetrop subversifs, comme HassanKettani, figure emblématique dusalafisme marocain, embastilléà Kénitra, qui n’est aussi que

l’arrière-petit-fils de Abdallah ElFassi, ou encore le neveu du mi-nistre Omar Fassi Fihri. Commequoi, le monde est petit… �

ENDOGAMIE

Jamais sans mon Fassi

TELQUEL 17 AU 23 OCTOBRE 2009 53

Égérie.YasminaBaddoureprésente lagente fémininedes El Fassi augouvernementAbbas.

Subversif. Hassan Kettani,figure emblématique dusalafisme marocain.

LE CLAN EL FASSI

TNIO

UN

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Page 5: Telquel 17 - 23 Octobre 2009 : LE CLAN EL FASSI

au crible par Mohamed El Fassi, Abdallahtransmet les comptes rendus de ses rencontresavec les représentants des corps diplomatiquesétrangers, avise le sultan des rébellions dans leRif, le prévient que tel journaliste du Timessouhaite le rencontrer, gère les créances duMakhzen, lui fait part des besoins de son mi-nistère en mobilier et fournitures… Bref, lesdeux hommes sont des intimes, si bien que Ab-dallah El Fassi peut se permettre de s’adresserau sultan avec une certaine dose de familiarité.A la veille de l’Aïd El Kébir, n’ayant pas reçu lemouton habituellement offert aux notables,Abdallah écrit ainsi ce poème facétieux : “Sire,le bélier a bêlé, dans toutes les demeures, seulereste muette, la maison de votre serviteur, puis-siez-vous lui en envoyer un, à la chair couleur dejasmin, et l’accompagner mêmement, du prixdes condiments”. Impensable aujourd’hui…

Relations de travailIl n’est pas anodin de rappeler qu’un siècle

plus tard, les héritiers de Abbas et Abdallah ElFassi occupent les mêmes postes de Premierministre et ministre des Affaires étrangères.Si l’histoire se répète, quasi à l’identique, “unchassé-croisé interviendra néanmoins entre les

deux branches familiales : le petit-fils de Abdal-lah El Fassi s’appelant Abbas, sera Premier mi-nistre, tandis que l’arrière-petit-fils de l’ancienGrand Vizir, Taïeb, sera ministre des Affairesétrangères dans le gouvernement nommé parMohammed VI le 15 octobre 2007”, constateMohamed Fassi Fihri. C’est cependant l’évo-lution, en un siècle, des relations de travailentre le chef de l’Etat et ses ministres qui estla plus révélatrice. Abdallah correspondaitainsi souvent avec Moulay Hafid et le rencon-trait encore plus fréquemment. “Il voyait lesultan dans des briefings qu’il présidait tous lesmatins et auxquels assistaient les ministres, oubien en milieu d’après-midi à titre personnel.En cas d’urgence, le sultan le mandait chez lui,et, de son côté, Abdallah avait toute la latitudede lui faire parvenir des notes ponctuelles, àn’importe quel moment de la journée ou de luidemander audience”, affirme Mohamed FassiFihri. Certes, comparaison n’est pas raison,mais, un siècle plus tard, le Premier ministreAbbas El Fassi est tout fier d’annoncer, dansune interview accordée à Jeune Afrique, qu’illui arrive de recevoir des coups de fil de SaMajesté. A bon entendeur !

Génération indépendanceCinq siècles après avoir posé leurs valises au

Maroc, après une période de vaches maigresnommée Protectorat, les El Fassi sont, dans lesannées 1950, plus que jamais sous les feux dela rampe. Allal El Fassi est le leader incontestédu mouvement nationaliste et est parvenu àrallier à sa cause le sultan Mohammed BenYoussef. Déjà, le 11 janvier 1944, le clan des ElFassi et Fassi Fihri comptait 6 signataires par-mi les 66 nationalistes qui ont paraphé le Ma-nifeste de l’indépendance. C’est sans douteaussi à cette période que l’étoile des El Fassi at-teint son firmament. Allal, leader de l’Istiqlal, aun agenda politique indépendant du sultan.Encore en exil au Caire quand MohammedBen Youssef recouvre son trône, c’est lui quidéveloppe, le premier, la thèse d’un Grand Ma-roc devant englober une bonne partie de l’Al-gérie, du Mali et la totalité de la Mauritanie.L’idée sera par la suite récupérée par Moham-med V, puis abandonnée par Hassan II. Autrepreuve de l’aura des El Fassi, c’est Abdeslam ElFassi, fils de Abdallah, ancien recteur de l'uni-versité Al Qaraouiyine de Fès, et ministre del'Education nationale sous le protectorat, quifut chargé de laver le corps de Mohammed V àsa mort. Sous Hassan II, l’étoile des El Fassi pâ-lit quelque peu, mais ne s’éteint pas. De géné-ration en génération, ils restent dans lesbonnes grâces du pouvoir. Hassan II l’a rappe-lé lui-même en recevant, au début des années1990, les enfants de l’ancien militant nationa-liste Mohamed Ben Abdelouahed El Fassi suiteau décès de leur père : “Il s’agit d’une qualité dela famille El Fassi, qui a œuvré depuis des sièclesaux côtés de notre famille. Nous prions pour queces liens perdurent”, avait alors déclaré le dé-funt monarque. Dont acte.

Tradition et modernitéC’est bien avant l’indépendance,

la famille El Fassi a compris l’inté-rêt qu’elle pouvait tirer de sa légiti-mité historique. En fait, commel’explique Ignace Dalle dans Lerègne de Hassan II, 1961-1999 : uneespérance brisée, deux courants,moderniste et traditionaliste, s’op-posent au sein du mouvement in-dépendantiste. L’un est incarné parMehdi Ben Barka, Ahmed Balafrejou Mohamed Benhima, le ministrede l’Education nationale, l’autrepar les El Fassi, à travers Allal ElFassi et, à un degré moindre, Mo-hamed El Fassi, ancien ministre del’Education nationale. “Les pre-miers, écrit Dalle, estimaient quel’enseignement était d’abord unmoyen d’accroître l’efficacité dessecteurs économiques grâce à un en-seignement moderne et ouvert sur lemonde. Les seconds étaient convain-cus que la question de l’enseigne-ment était avant tout un problèmed’identité nationale qu’il fallait re-trouver par un retour aux sourcesarabo-islamiques de la culture ma-rocaine”. L’auteur rappelle à cepropos que Abdeslam Yassine, fu-tur leader d’Al Adl Wal Ihsane, qui,au moment de l’indépendance, estinspecteur général de l’enseigne-ment primaire, s’oppose à l’arabi-

sation mise en place par le clan ElFassi en des termes très virulents :“Cette mesure, comme nous l’avionsprédit, s’est avérée catastrophique”,explique-t-il en défendant ardem-ment le maintien de la langue fran-çaise dans les programmes. C’estAli Benhaddou, sans doute, qui ré-sume le mieux la “schizophrénie”des El Fassi : “Ils se proclament de latradition pour gouverner, mais seréservent pour eux-mêmes la mo-dernité (études, voyages, mœurs…).Ils sont parmi les premiers à avoireu accès à l’enseignement supérieuren France, ce sont pourtant eux quiont prôné l’arabisation”. Selon l’au-teur des Elites du royaume, “rienn’a changé depuis 1999 : les élites duroyaume sont les mêmes, le mêmesystème de reproduction perdure, etle Maroc reste figé dans ses struc-tures”. De toute façon, pour les ElFassi, en dépit d’une sortie toujourspossible du gouvernement, la relè-ve est assurée. Le problème, c’estqu’en dessous, une élite intellec-tuelle, pas forcément bien née,piaffe d’impatience. Pas sûr que lamonarchie de Mohammed VI ait dela place pour tout le monde : il enfaut du temps pour prouver sa fidé-lité et sa loyauté envers le trône !Et, sur ce point, les El Fassi sontencore largement en avance. �

TELQUEL 17 AU 23 OCTOBRE 2009 TELQUEL 17 AU 23 OCTOBRE 2009

Abbas El Fassiest tout fierd’annoncer, dansune interviewaccordée à JeuneAfrique, qu’illui arrive derecevoir descoups de filde Sa Majesté.

Le MagE N C O U V E R T U R E

““EEncore un dossier sur les Fassis ?”,“Qu’est-ce qu’ils ont fait encore ?”,“Vous n’en avez pas assez de parlerd’eux ?”, sont les questions les plus

fréquentes qu’on nous a posées à la réalisation dece dossier. Du coup, ça fait réfléchir : aurions-nousun tropisme fassi ? Nous tromperions-nous de sujet?Ces interrogations légitimes sont pourtant bien vitebalayées par l’air du temps. Il n’y a qu’à discuteravec l’épicier du coin (souvent un Soussi) pour serendre compte de ce que représentent les Fassis etparmi eux, le clan El Fassi. Il n’y a qu’à parcourir lapresse arabophone pour se rendre compte de l’inté-rêt porté à la famille El Fassi. Et puis, n’est-il pasnormal, après tout, qu’une famille si soudée, si puis-sante et si visible, suscite tant de passions contra-dictoires ? Jalousés, enviés et craints par certains,les El Fassi sont aussi accusés par d’autres de né-potisme, de traditionalisme schizophrène, de “bien-pensance” nationaliste. Côté famille, on regarde cebattage médiatique et populaire, avec de moins enmoins d’indifférence. “Certains, comme Abbas ElFassi, ont choisi de faire le dos rond, par expérienceet de guerre lasse. Mais tous n’ont pas la même pa-tience”, a déjà prévenu un avocat proche de la fa-mille. C’est que le désamour entre la tribu El Fassiet les médias indépendants est profond. Le déficitde com’ dont souffre le clan est flagrant. Ce n’estpas Abbas qui dira le contraire, lui qui, selon d’an-ciens collaborateurs, aurait “une communication in-gérable”. D’autant que, question image, les El Fassipartent avec un handicap sérieux : d’abord il y a lacomparaison avec les “historiques”, dont souffrentles “actuels”. Et puis il y a, bien sûr, la symboliquedu premier de la classe, arrogant et chanceux, néavec une cuillère d’argent dans la bouche. Les ElFassi, pour le sens commun, sont aussi l’incarnationd’une noblesse marocaine immémoriale, bénie desdieux. Le problème, c’est qu’ils sont plus que desKennedy marocains, leur généalogie remonte à plusloin. Mais contrairement à la dynastie américainetour à tour incarnée en trois frères, John, Bob etTed, les El Fassi sont depuis longtemps en manquede leadership. Au fil du temps, ayant troqué leur lé-gitimité historique et populaire d’ouléma contre cel-le, correspondant davantage à l’agenda royal, detechnocrates bon teint, ils sont devenus une éliteaffidée à la monarchie, sans relais dans la société.Ils sont en somme la meilleure illustration que lesélites du royaume sont, elles aussi, en crise : boucs

émissaires de la vindicte populaire,elles peinent à trouver la voie d’unnouveau magistère moral, jadis in-carné par Allal El Fassi. �

SOULEÏMAN BENCHEIKH

PLUS LOIN

Comme lesKennedy (zaâma)

LE CLAN EL FASSI

Généalogie. Abdellah El Fassi (rouge) avec sa femme,ses enfants et son neveu Allal (blanc) : un clan soudé.

Omniprésents. La famille El Fassi compte un ministre de souveraineté en la personnede Taïeb Fassi Fihri, cousin de Abbas et tout-puissant chef de la diplomatie.

DR

AFP

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