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5/20/2018 Telv18no3Audit-slidepdf.com http://slidepdf.com/reader/full/telv18no3-audit 1/199  REVUE D’ANALYSE COMPARÉE EN ADMINISTRATION PUBLIQUE L’AUDIT DANS LE SECTEUR PUBLIC Vol. 18 n° 3 automne 2012

Telv18no3 Audit

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  • REVUE DANALYSE COMPARE EN ADMINISTRATION PUBLIQUE

    LAUDIT DANS LE SECTEUR PUBLIC

    Vol. 18 n 3 automne 2012

  • TLESCOPETlescope est une publication universitaire indpendante dite en franais. Elle propose ses lecteurs un clairage sur les problmatiques quaffrontent les tats et les organisations publiques dans un contexte politique et socioconomique mouvant et globalis lchelle de la plante. En mettant en perspective des expriences et des modles de gestion observs travers le monde, Tlescope fait connatre les avances en matire de gouvernance publique. Elle permet lcole nationale dadministration publique du Qubec de promouvoir un message singulier sur la gouvernance la rencontre des univers francophone et anglo-saxon. Elle offre aux praticiens, aux universitaires et aux chercheurs dans le champ de ladministration publique un espace pour changer, se situer sur le plan international et recueillir les savoirs et les repres utiles leur action.

    Tlescope est la revue de LObservatoire de ladministration publique cr en 1993 par lcole nationale dadministration publique du Qubec, un tablissement membre du rseau de lUniversit du Qubec. LObservatoire de ladministration publique est un ple de vigie et de recherche. Il collecte et analyse linformation disponible dans le monde en matire de gouvernance publique. Le lancement de Tlescope rpondait au besoin de disposer dun outil de communication sur les avances du management public. Tlescope a connu une expansion rgulire qui sest acclre au cours des dernires annes en mme temps que sintensifiaient les activits de recherche de LObservatoire.

    COMIT DE RDACTIONSerge Belley (ENAP) ; Pierre Bernier (ENAP) ; Dominique Darbon (Institut dtudes politiques de Bordeaux) ; Bernard Enjolras (Universit dOslo) ; Joseph Facal (HEC Montral) ; Francis Garon (York University) ; David Giauque (Universit de Lausanne) ; Ral Jacob (HEC Montral) ; Maya Jegen (UQAM) ; Isabelle Lacroix (Universit de Sherbrooke) ; Benot Lvesque (UQAM) ; Bachir Mazouz (ENAP) ; Roger J. Ouellette (Universit de Moncton) ; Luc Rouban (Sciences-po Paris) ; Jean-Franois Savard (ENAP) ; Jean Turgeon (ENAP).

    CONSEIL SCIENTIFIQUEJean Bernatchez (UQAR) ; Sandford Borins (Universit de Toronto) ; Geert Bouckaert (Universit catholique de Louvain) ; Fabrizio Cantelli (Universit libre de Bruxelles) ; Jacques Chevallier (CNRS) ; Patrick Gibert (Universit de Paris X) ; Taeb Hafsi (HEC Montral) ; Patrick Hassenteufel (Universit Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines) ; Vincent Hoffmann-Martinot (Universit de Bordeaux) ; Steve Jacob (Universit Laval) ; Peter Knoepfel (Institut de hautes tudes en administration publique) ; Ann Langley (HEC Montral) ; Vincent Lemieux (Universit Laval) ; B. Guy Peters (University of Pittsburgh) ; Jacques Plamondon (Universit du Qubec) ; Donald J. Savoie (Universit de Moncton) ; Jean-Claude Thoenig (CNRS) ; Sabine Urban (Universit Robert Schuman de Strasbourg).

    La revue Tlescope est indexe dans EBSCO, Repre et rudit (www.erudit.org/revue/telescope).

    Directeur de la publication et Rdacteur en chef Stphane Paquin ; Secrtaire de rdaction Patricia Caron ; Pages Repres et Rfrences Marie-Claude Jean ; Recensions Nicolas Charest ; Traduction Donald Kellough, Vincent Laborderie, ric McComber ; Graphisme Danielle Landry ; Impression AGMV Marquis.Pour plus dinformation ou si vous avez des renseignements nous transmettre, communiquez avec

    Danielle Landry, secrtariat de LObservatoire, 418 641-3000 poste 6574, [email protected]. Les publications de LObservatoire peuvent tre consultes ladresse suivante :

    www.observatoire.enap.ca

    TLESCOPE ENAP du Qubec, 555, boulevard Charest Est, Qubec (Qubec) G1K 9E5 CANADA

  • Table des matires TLESCOPE Vol. 18 n 3 automne 2012

    III ditorial Stphane Paquin

    1 Lexplosion de laudit dans le secteur public : le risque dune illusion de contrle Marie-Soleil Tremblay, Bertrand Malsch

    8 Le vrificateur dans le secteur public : le trait dunion de ladministration publique Martin Dees

    33 Comment apprcier la comptence dun auditeur interne ? Lopinion des membres du comit daudit Mlanie Roussy

    53 De la socit de laudit au systme des professions : lhistoire institutionnelle de laudit dans le service public canadien Steve Troupin

    73 Le dveloppement de laudit interne dans le secteur public belge Diane van Gils, Christian de Visscher, Gerrit Sarens

    110 Les auditeurs lgislatifs : hros intouchables ? Danielle Morin

    131 Les vrificateurs internes sur la crte : idologie, politique, thique et lutte contre la fraude et la corruption Jeff Everett, Dean Neu, Abu Shiraz Rahaman

    157 Laudit de la gouvernance : au service dune plus grande transparence Normand Ouellet

  • Dbat

    173 Collusion et corruption dans les administrations : les vrificateurs gnraux seraient-ils condamns n'tre que des tigres de papier ? Bertrand Malsch, Danielle Morin, Marie-Soleil Tremblay

    Recensions

    181 Qualit de l'audit : enjeux de l'audit interne et externe pour la gouvernance des organisations Benot Pig / par Sylvie Harbour

    184 Performance Auditing: Contributing to Accountability in Democratic Government Jeremy Lonsdale, Peter Wilkins, Tom Ling / par Pierre Cliche

    186 Audit interne et contrle de gestion : pour une meilleure collaboration Jacques Renard, Sophie Nussbaumer / par Youssef Slimani

  • III

    ditorialPar Stphane PaquinProfesseur lcole nationale dadministration publique du QubecTitulaire de la Chaire de recherche du Canada en conomie politique internationale et [email protected]

    Chers Lecteurs,

    Lorsque lquipe de Tlescope a choisi il y a dj plus dun an et demi de consacrer un numro au thme de laudit dans le secteur public, elle tait loin de simaginer quel point le thme serait dactualit. Dun ct, Bernard Drainville, ministre responsable des Institutions dmocratiques et de la Parti-cipation citoyenne, affirme que le Vrificateur gnral est une institution qui est trs crdible une poque o il y a beaucoup, beaucoup de cynisme, cest une institution qui inspire encore la confiance auprs des citoyens et il propose den largir le mandat afin quil puisse, notamment, contrler Hydro-Qubec. Dun autre ct, on constate, avec les rvlations de la Commission denqute sur loctroi et la gestion des contrats publics dans lindustrie de la construc-tion, la commission Charbonneau, les limites de cette institution. Les villes comme Montral, mais galement le gouvernement du Qubec sont contr-ls par des vrificateurs qui doivent, en thorie, sassurer de la bonne gestion des ressources publiques et de la conformit avec la loi. Cest cette double situation qui rend aujourdhui la parution de ce numro incontournable. Trop rares sont les travaux qui portent sur laudit et les vrificateurs gnraux. La rflexion est pourtant ncessaire.

    Pour amorcer ce numro, Marie-Soleil Tremblay de lcole nationale dad-ministration publique et Bertrand Malsch de HEC Montral tracent grands traits les contours des pratiques de laudit. Ils peignent le portrait du phno-mne dexplosion qua connu laudit au cours des dernires annes pour sinterroger au final sur le risque dune apparence de contrle. Bien que les programmes et les technologies lis laudit aient voyag travers le monde, ces deux auteurs nous lancent un avertissement en nous faisant comprendre que les promesses faites par la vrification nont pas toutes t honores. Sur cet essai de mise en garde contre les limites de laudit, Martin Dees (Nyenrode Business University, Pays-Bas) poursuit avec un article de nature plus tho-rique. Quest-ce que laudit exactement ? Quels en sont ses aspects institution-nels ? Quels types daudits croise-t-on le plus souvent dans le secteur public ? Et aux Pays-Bas, comment ce concept se dploie-t-il ? Dees fait la lumire sur cette notion en en amenant dautres, comme celles de bonne gestion publique et de reddition de comptes, deux concepts intimement lis laudit.

  • TLESCOPE automne 2012IV

    Plus prs de nous, Mlanie Roussy, de lUniversit Laval, nous dvoile les rsultats dune enqute mene dans le secteur public qubcois qui consis-tait rpondre la question suivante : quelles comptences les membres de comits daudit recherchent-ils chez les auditeurs internes ? En procdant cette tude, lauteure souhaitait vrifier si lindpendance et la comptence taient les principales qualits recherches chez les auditeurs. Ses entrevues montrent que ces deux critres traditionnels ne sont finalement pas les plus recherchs, lintgrit et le courage occupent une place de premier ordre. Un lment rcurrent sillonne chaque article de ce numro : la notion de la socit de laudit de Michael Power est reprise par lensemble de nos auteurs. Larticle de Steve Troupin de la KU Leuven (Belgique) ne fait pas exception puisque cette notion y prend une large place. Par contre, bien quelle claire sur la croissance de laudit au Canada, cette notion ne russirait pas expli-quer son retrait temporaire autour de 1993. La thorie du systme des profes-sions dAndrew Abbott, elle, y parvient. Cest donc laide de cette thorie que Troupin brosse le portrait de laudit dans le service public canadien. Aprs ce tableau du Canada, Diane van Gils et ses collgues Christian de Visscher et Gerrit Sarens de lUniversit Catholique de Louvain nous entranent en Belgique et nous communiquent les rsultats dune tude conduite au sein dentits publiques belges. Ils montrent de quelle manire laudit interne sest dploy dans ces organisations au fil des ans et nous renseignent sur les facteurs qui favorisent ladoption dun service daudit. Mandats obligatoires, dpendance financire, influence normative ou du contrle externe, soutien de la direction gnrale, tous figurent parmi les lments pouvant inciter les acteurs adopter des mesures daudit.

    Les auditeurs lgislatifs constituent des acteurs incontournables de la scne de laudit et cest prcisment sur le jeu de ces protagonistes que Danielle Morin de HEC Montral braque les projecteurs. En analysant deux pisodes mettant en scne des vrificateurs gnraux, lauteure lve le voile sur laura qui semble entourer les auditeurs lgislatifs. En effet, malgr la controverse laquelle sont mls ces auditeurs, ceux-ci semblent hors datteinte, ils bnfi-cient dune confiance inbranlable dans lopinion publique et leurs dcisions ne sont pas mises en doute. Ils se hissent au rang de hros. De hros intou-chables, nous passons hros tragiques avec Jeff Everett et Dean Neu de lUni-versit York et Abu Shiraz Rahaman de lUniversit de Calgary dans un article o la lutte contre la fraude et la corruption est au cur des proccupations. Adoptant une lentille philosophique, ces trois experts poursuivent lobjectif daider les auditeurs internes mieux saisir, dune part, les limites de leur ind-pendance et intgrit et, dautre part, le courage ncessaire pour vaincre la cor-ruption. Pour illustrer leurs propos, ils recourent deux exemples rvlateurs : le scandale des commandites au Canada et leffondrement de lentreprise amricaine WorldCom. Si laudit peut tre utile la lutte contre la fraude, il remplit galement dautres fonctions comme le maintien du lien de confiance entre ltat et le citoyen. Cest prcisment de cet aspect que nous entretient Normand Ouellet de lUniversit dOttawa. Aprs un tour dhorizon sur le rle de laudit, lauteur traite des enjeux qui conditionnent son volution vers une

  • Vgouvernance collaborative au service dune dmocratie plus participative. Les services de surveillance, que sont les audits et les enqutes, soutiennent les ac-teurs de gouverne. Ils peuvent alors renforcer la transparence, la reddition de comptes et par le fait mme le lien de confiance quentretiennent les citoyens lgard de ltat.

    En guise de conclusion, Bertrand Malsch, Danielle Morin et Marie-Soleil Tremblay nous reviennent, mais cette fois-ci dans la rubrique Dbat, en portant un regard critique sur les activits daudit. Dans la foule de la Commission denqute sur loctroi et la gestion des contrats publics dans lindustrie de la construction, les trois chercheurs appellent un questionnement sur les rles et pratiques des vrificateurs gnraux pour viter que des vnements comme ceux mis en lumire par la commission se reproduisent. Ils nous amnent nous interroger sur le rel pouvoir des vrificateurs de dtecter, corriger et pr-venir les cas de corruption dans les administrations publiques. La commission Charbonneau aurait-elle eu pour effet destomper laura qui entoure les audi-teurs lgislatifs ? Les hros de Morin sont-ils toujours intouchables ?

    Je ne peux terminer cet ditorial sans remercier ma collgue Marie-Soleil Tremblay qui a su nous appuyer tout au long du processus de publication de ce numro. Son aide et ses conseils nous ont guids et nous ont permis de mener terme ce projet sur laudit.

    Bonne lecture !

  • Revue danalyse compare en administration publique

    Appel communicationsSORTIE DE CRISE

    La crise financire qui a pris naissance aux tats-Unis la fin de 2007 laissera une empreinte indlbile tant sur lconomie mondiale que sur la pense conomique. Alors que la grande dpression des annes 1930 avait men lmergence de la macroconomie moderne, la rcession du dbut du XXIe sicle aura plong cette discipline scientifique dans la plus profonde remise en question de sa jeune existence. Si les causes de la crise de 2007-2008 resteront longtemps un objet de recherche et de dbats, linstar de celles de la crise de 1929, ses consquences doivent galement retenir lattention des chercheurs.

    Cinq ans aprs le dbut de la crise, lAmrique du Nord semble enfin engage sur la voie dune reprise mo-deste, reprise certes plus forte dans certaines rgions que dautres. Or les problmes de finances publiques hrits de la rcession handicaperont durablement la capacit daction des gouvernements. Alors que les plans de relance de lconomie viennent chance, les mesures daustrit imposes par tous les paliers de gouvernement ont de multiples rpercussions, que ce soit sur le plan conomique, politique ou social.

    En raison notamment de ses arrangements institutionnels et montaires singuliers, lEurope connat quant elle une sortie de crise particulirement difficile. Ses difficults, en plus de menacer la fragile reprise nord-amricaine, posent une srie de problmes de politiques publiques dont les tenants et les aboutissants dbor-dent largement les frontires europennes : rgles budgtaires, fdralisme fiscal, coordination des politiques sociales et budgtaires au sein dune union montaire, etc.

    Les rponses des gouvernements ces problmes de politiques publiques poss dans la foule de la crise de 2007-2008 formeront, terme, la premire ligne de dfense contre la prochaine crise qui, dans le contexte dune conomie mondiale plus intgre que jamais, apparat dores et dj invitable.

    La revue Tlescope consacrera son numro thmatique de lautomne 2013 la sortie de crise. Nous invitons chercheurs et spcialistes soumettre leur proposition darticle sous la forme dun rsum avant le 22 janvier 2013. Les auteurs dont les propositions auront t retenues devront ensuite remettre larticle complet avant le 3 juin 2013.

    Publi trois fois par an, Tlescope est une revue danalyse compare portant sur des problmatiques spcifi-ques intressant les administrations publiques. En mettant en perspective des expriences et des modles de gestion observs travers le monde, Tlescope fait connatre les plus rcentes avances en matire de gou-vernance publique. Pour le format des articles, les auteurs sont invits consulter le site Internet ladresse suivante : www.telescope.enap.ca

    Pour tous renseignements relatifs ce numro sur la sortie de crise ou pour soumettre des articles, les auteurs doivent prendre contact avec :

    Patricia CaronLObservatoire de ladministration publiquecole nationale dadministration publique du Qubec555, boulevard Charest EstQubec (Qubec) G1K 9E5 Canada

    Tlphone : 418 641-3000, poste 6314Tlcopieur : 418 641-3060Courriel : [email protected]

    Rdacteur invit :

    Marcelin JoanisProfesseur Universit de SherbrookeSherbrooke (Qubec) Canada

  • 1LEXPLOSION DE LAUDIT DANS LE SECTEUR PUBLIC: LE RISQUE DUNE ILLUSION DE CONTRLE

    Par Marie-Soleil Tremblay, Professeure, cole nationale dadministration publique [email protected] Et Bertrand Malsch, Professeur adjoint, HEC Montral [email protected] Traduit de langlais

    RSUM La gestion des administrations publiques fonde sur les rsultats et la transparence est employe frquemment par les politiciens et les fonctionnaires comme une faon de promouvoir lefficacit et les idaux de rforme destins transformer les organisations du secteur public (Hood, 1995, 1990). Le prsent essai porte un regard critique sur lexplosion des pratiques de vrification au sein des organisations du secteur public afin de mieux com-prendre comment ces changements ont t introduits dans les organisations publiques, de sinterroger sur leurs possibles effets involontaires et de souligner les risques dune illusion de contrle.

    ABSTRACT Politicians and public servants have turned to managing by results and increased transparency, rather than policy options, as a way to promote efficiency and ideals of reformability and ultimately to transform public sector organizations, as has been articulated by Hood (1995, 1990). This essay is therefore concerned with the explosion of audits in public sector organizations with a view to better understanding how change has been introduced within the public sector, questioning its possible unintended effects and highlighting the risks of an illusion of control.

    Pour citer cet article : Tremblay, M.-S. et B. Malsch (2012). Lexplosion de laudit dans le secteur public : le risque dune illusion de contrle , Tlescope, vol. 18, n 3, p. 1-7.

    la suite des nombreux scandales financiers de la dernire dcennie, certains ont prtendu que les systmes de contrle des organisations publiques pour-raient se rvler dfectueux et que des rformes semblables la loi Sarbanes-Oxley 1 seraient ncessaires au sein des organisations gouvernementales et sans but lucratif pour viter des dsastres comparables (Brown, 2005 ; Jackson et Fogarty, 2005 ; Roberts et Candreva, 2006). Les conseils dadministration des socits dtat ont ainsi vu leurs responsabilits saccrotre de faon importante en matire de gestion des risques et de contrle interne, lobjectif tant une amlioration de leffi-cacit et de limputabilit (Free et Radcliffe, 2009 ; Gendron, Cooper et Townley, 2007). Limplantation massive des pratiques de vrification dans le secteur public, comme moyen de contrle, a t inspire trs directement des mthodes en cours dans les entreprises du secteur priv. Cependant, limportation de telles pratiques

    1 La loi Sarbanes-Oxley (Sarbanes Oxley Act), ou loi SOX, est une loi fdrale amricaine dicte en 2002 qui fixe de nouveaux standards pour tous les conseils dadministration des socits ouvertes et pour toutes les directions de firmes de gestion et des cabinets comptables des tats-Unis.

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    et techniques a gnr des dbats critiques sur leur ncessit, leur pertinence et leur valeur ajoute (Clatworthy, Mellett et Peel, 2000 ; Vermeer, Raghunandan et Forgione, 2006).

    LES PROGRAMMES ET LES TECHNOLOGIES DE VRIFICATIONMiller et Rose (2008) prtendent que lexercice du gouvernement implique

    la fois lusage de programmes et de technologies. Dune part, les programmes sont des idaux qui reprsentent et problmatisent des activits de telle faon quelles deviennent gouvernables , cest--dire contrlables. Ces programmes prennent gnralement la forme de rapports, darticles ou de livres blancs. Dautre part, les technologies constituent les divers instruments et outils qui rendent les programmes oprationnels. Cependant, les frontires entre les programmes et les technologies sont parfois floues. Les ides et les concepts qui faonnent les tech-nologies et les pratiques sont souvent attachs des programmes plus vastes (Mil-ler et Rose, 2008 ; Ogden, 1997 ; Power, 1997 ; Preston, Cooper et Coombs, 1992). La vrification, par exemple, peut tre vue comme programmatique ou alors comme une technologie tributaire de certains programmes.

    Labstraction des ides est lune des caractristiques majeures de la socit moderne (Giddens, 1991 et 1990). Dans notre univers globalis, les ides, les mo-dles et les normes transgressent les barrires du temps et de lespace ; les discours mergent dans un contexte local pour se transformer un niveau global en formes abstraites prtes tre rinsres dans dautres contextes (Czarniawska et Sevn, 2005). Ladoption dides, ou dans ce cas particulier le dveloppement des pra-tiques de vrification au sein du secteur public, dpend ainsi en grande partie de leur thorisation, cest--dire de leur transformation en concepts abstraits pr-sentant lide comme une solution un problme prcis (Greenwood, Suddaby et Hinings, 2002). En dautres termes, le processus de thorisation constitue une tape cruciale qui permet une ide de se rpandre dans la socit. Il implique la dfinition des problmes que la rglementation propose entend rsoudre de mme que la justification du traitement propos (Tolbert et Zucker, 1996). Comme le font remarquer Strang et Meyer (1993), la thorisation joue galement un rle trs important pour traduire et lgitimer les ides complexes en des formats facile-ment comprhensibles et convaincants.

    Ladoption des pratiques de vrification dans le secteur public canadien sest ainsi construite partir dun programme centr et thoris autour des notions def-ficacit et de modernisation. En agissant de la sorte, les autorits lgislatives du Canada et des provinces nont fait quemboter le pas de nombreux autres gou-vernements dans lhmisphre occidental qui ont su se faire lire en sengageant moderniser leur secteur public en faisant la promotion des pratiques du secteur priv (Broadbent et Guthrie, 2008 ; English et Skrbk, 2007 ; Hood et Peters, 2004 ; Lapsley, 2008 et 2009). Ainsi, la gestion par rsultats, plutt que par activits, a en-tran une forte demande de vrification dans le secteur public comme un moyen indispensable de responsabilisation et une garantie de qualit. Par consquent, le refus de se soumettre une vrification, ou un manque de coopration, est

    Lexplosion de laudit dans le secteur public : le risque dune illusion de contrle

  • L'audit dans le secteur public

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    dsormais considr comme une tentative grave de dissimuler un secret ou des activits frauduleuses (Power, 1994).

    Fer de lance de la modernisation du secteur public, la vrification est deve-nue un slogan essentiel dans la bouche de ceux qui souhaitent accrotre la respon-sabilisation des administrateurs (Roe, 1994). Sur la scne internationale, lOCDE offre depuis 1999 des standards caractre non obligatoire sur la faon de grer des entreprises et en a produit une version rvise en 2004 (OCDE, 2004). Dans ces documents, les systmes de gouvernance des entreprises prives et leurs techno-logies de vrification sont prsents comme des outils performants pour accrotre la confiance dans les marchs financiers et rduire le cot du capital des entre-prises. En se basant sur ces standards, des experts du monde entier ont ainsi encourag le dploiement de ces systmes et de ces technologies, en particulier dans le secteur public. En 2005, lOCDE a publi les Lignes directrices de lOCDE sur le gouvernement dentreprise des entreprises publiques (OCDE, 2005), dont lobjectif tait d assister les gouvernements dans le dfi reprsent par lvaluation et lamlio-ration de leur manire dexercer le contrle de ces entreprises :

    [L]es entreprises publiques posent un certain nombre de problmes spcifiques de gouvernement dentreprise. Lune de ces difficults tient au fait que les entre-prises publiques peuvent souffrir au moins autant dingrences politiques directes indues que de la passivit totale ou de la distance de ltat actionnaire. On assiste quelquefois aussi une dilution des responsabilits. Les entreprises publiques sont souvent labri de deux menaces qui sont essentielles au contrle de la gestion dans le secteur priv, savoir la menace dune [offre publique dachat] et celle dune faillite (OCDE, 2005, p. 3).

    Inspires par les pratiques du secteur priv, les lignes directrices dont lOCDE fait la promotion font lapologie des fonctions daudit interne supervises par des comits de vrification indpendants, des vrificateurs externes indpendants, de la publication des facteurs de risque et des mesures destines grer ces risques. Ces idaux ont trouv des chos divers tels que la publication de livres blancs sur les bonnes pratiques (par exemple le rapport Saucier Canadian Institute of Chartered Accountants, 2001) et llaboration de standards innovants en matire de rgle-mentations pour les socits cotes en Bourse.

    LA VRIFICATION DANS LE SECTEUR PUBLIC : UNE ILLUSION DE CONTRLE ?

    Comme la budgtisation et la comptabilit dexercice (Carlin, 2005) ou les mesures de rendement dans le secteur public (Townley, Cooper et Oakes, 2003), les promesses lies la vrification ne semblent pas avoir t tenues et semblent avoir t avances essentiellement sur des bases idologiques. Lanalyse des d-bats publics montre que ladoption de lidal de vrification par le lgislateur sest faite partir dune apprciation superficielle de la ralit, sans analyses empiriques srieuses. Comme le suggrent Flottes et Gendron (2010), la superficialit est lune des principales caractristiques du processus par lequel les lois et les rglementa-tions ont actuellement tendance stablir dans la socit contemporaine.

    Lexplosion de laudit dans le secteur public : le risque dune illusion de contrle

  • TLESCOPE automne 20124

    Clarke et Dean (2007) se montrent trs sceptiques face aux diverses proc-dures de gouvernance et de vrification mises sur pied la suite des checs des entreprises prives, procdures destines, selon eux, sauver les apparences (cest--dire lgitimer) plutt qu rectifier les problmes de fond. Comment la gestion des risques, les procdures de contrle interne, laugmentation des audits internes et ltalonnage peuvent-ils empcher les scandales locaux de se produire ? Comment devrait-on dployer des technologies afin de sassurer de leurs bienfaits sur la gouvernance des socits ? Power (2009) soutient que les technologies de vrification communiquent aux diffrentes parties prenantes une fausse impres-sion de scurit. Les experts en vrification et en gestion de risque continuent tou-tefois de vendre les technologies associes ces programmes comme si la socit du risque dans laquelle nous vivons tait mesurable, quantifiable et contrlable (Gabe, 1995).

    En thorie, lobjectivit et lindpendance du vrificateur ainsi que la rigueur quasi scientifique des processus daudit sont essentiels ltat et, de manire plus gnrale, la confiance que tmoigne lopinion publique envers le mcanisme de surveillance. Cependant, comme le remarque Pentland :

    Chaque vrification est en quelque sorte une exprience sans contrle et il nexiste pas de manire de savoir ce qui se serait pass si une vrification navait pas t faite. Il nest pas tonnant que les vrifications soient obscures sur le plan pis-tmologique les vrificateurs ont adopt la rhtorique de la mthode scientifi-que sans vritablement parvenir en adopter beaucoup de substance (Pentland, 2000, p. 311).

    En somme, quelles que soient lillusion de contrle en cours et son apparence de puissance, le rapport du vrificateur nest pas bas sur des certitudes mathma-tiques. Les vrifications sont fondamentalement subjectives, elles sont matire interprtation (Francis, 1994), imprvisibles (Morin, 2002) et incontrlables.

    DISCUSSION ET CONCLUSIONLes programmes et les technologies de vrification sont parvenus voyager

    travers le monde avec succs, davantage en raison de leur rhtorique sous-jacente quen raison de leur efficacit prouve transformer positivement le fonctionne-ment du secteur public (Parker et Gould, 1999). De tels programmes ne se d-placent pas sans aide ; ils sont vhiculs par diffrentes rationalits puissantes. La difficult consiste cependant distinguer les caractres conomiques, politiques, sociaux ou comptables de ces diffrents types de rationalits impliqus dans la construction de ce qui est dsirable (Hopwood, 1984, p. 171).

    la lumire de cet essai et des tudes prcdentes sur le sujet (comme Lapsley et Pong, 2000), il apparat que les ides et les rformes de gouvernance publique seraient mises en march laide darguments trs simplistes. Il arrive frquemment que les dfis et la ncessit de prendre en compte la complexit du monde soient vits, ce qui soulve la question suivante : comment rendre visible ce qui est complexe et ce qui est problmatique ? Ironiquement, dmontrer la com-plexit est une tche complexe. Non seulement parce que la dmarche requiert des

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  • L'audit dans le secteur public

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    connaissances tendues et une rflexion approfondie, mais galement parce que la plupart des citoyens sattendent ce que les politiciens fournissent des certi-tudes sous la forme de solutions simples et faciles.

    Des recherches plus avances pourraient se pencher sur les consquences volontaires et involontaires lies aux rformes de laudit dans le secteur public. Les experts de la recherche applique pourraient suivre des vrificateurs et chercher amliorer leurs technologies, en se concentrant sur les moyens plutt que sur les rsultats. Dautres, plus critiques ou remettant en doute les avantages de ces technologies, prfreront mettre en lumire le rseau des intrts sans cesse en expansion des connexions darrire-scne qui soutiennent lvolution des techno-logies de la vrification.

    Comme le souligne Power (1997, p. 144), ce serait faire fausse route de conclure cet essai en affirmant quil est souhaitable de diminuer les pratiques de vrification dans le secteur public. Plutt que de brler ce qui a t ador, il faut au contraire chercher donner sa juste place la vrification et la considrer pour ce quelle est, cest--dire une technique la fois srieuse et faillible qui per-met dans certaines circonstances damliorer lefficacit des services rendus au citoyen.

    BIBLIOGRAPHIE

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    Carlin, T. M. (2005). Debating the Impact of Accrual Accounting and Reporting in the Public Sector , Financial Accountability & Management, vol. 21, n 3, p. 309-336.

    Clarke, F. et G. Dean (2007). Indecent Disclosure: Gilding the Corporate Lily, Cambridge, Cambridge University Press.

    Clatworthy, M., H. Mellett et M. Peel (2000). Corporate Governance under New Public Management: An Exemplification , Corporate Governance: An International Review, vol. 8, n 2, p. 166-176.

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    Lexplosion de laudit dans le secteur public : le risque dune illusion de contrle

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  • TLESCOPE automne 20128

    LE VRIFICATEUR DANS LE SECTEUR PUBLIC: LE TRAIT DUNION DE LADMINISTRATION PUBLIQUE

    Par Martin Dees, Professeur, Nyenrode Business University, Pays-Bas [email protected] Traduit de langlais

    RSUM Cet article entend dfinir le concept de vrification dans le secteur public en fonc-tion de son importance, des aspects institutionnels et de ses particularits dans lenviron-nement nerlandais. Les liens quentretient le domaine avec les notions de bonne gouver-nance et de reddition de comptes et les perspectives davenir sont discuts. Larticle dcrit galement lessence de la vrification publique en tant quexcution des activits lies la gestion de lassurance dans le secteur public par des professionnels indpendants issus dune grande varit de disciplines, denvironnements et de positions. Les audits financiers, de performance et de conformit constituent les principaux types dactivits de vrification. On considre comme lobjectif essentiel de la vrification publique, sa contribution une amlioration de la gouvernance publique, en premier lieu par la dfense et la promotion de la reddition de comptes.

    ABSTRACT Against the background of the establishment of a new chair in public sector auditing in the Netherlands, this paper aims to define the concept of public sector auditing in consideration of its scope, institutional aspects and specificities in the Dutch context. Public sector auditing and its ties to notions of good public governance and accountability are also discussed, and future directions are explored. The paper describes the essence of public sector auditing as the execution of assurance-oriented activities in the public sector by independent professionals from a rich variety of disciplines, backgrounds and positions. Financial audits, performance audits and compliance audits are the main types of audit work. Contributing to good public governance, primarily through upholding and promoting accountability, is considered the essential purpose of public sector auditing.

    Pour citer cet article : Dees, M. (2012). Le vrificateur dans le secteur public : le trait dunion de ladministration publique , Tlescope, vol. 18, n 3, p. 8-32.

    En 2010, les Pays-Bas ont cr le Center for Public Auditing & Accounting 1 (centre pour la comptabilit et la vrification publique) ainsi quune chaire associe. Le centre a pour principales activits lducation spcialise et la re-cherche dans le domaine de la vrification publique. Dans cet article, nous dres-sons le portrait de lenvironnement entourant ce centre et de ses ambitions, puis dvoilons lapproche nerlandaise de ce nouveau domaine de recherche. Plus prcisment, nous rpondrons aux questions suivantes : quelle est la dfinition nerlandaise de la vrification publique et que considre-t-elle comme sa subs-tance principale ? Dans quel secteur institutionnel se positionne-t-elle ? Quel est son contexte et quels objectifs poursuit-elle? Nous dcrirons ensuite ltat de la vrification publique nerlandaise avant dvoquer ses perspectives davenir.

    1 Le centre est situ Breukelen et fait partie intgrante de la Nyenrode Business University.

    Le vrificateur dans le secteur public : le trait dunion de ladministration publique

  • L'audit dans le secteur public

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    LAUDIT DANS LE SECTEUR PUBLIC, UN NOUVEAU DOMAINE DTUDES AUX PAYS-BAS

    Ladministration des secteurs public et priv est semblable uniquement dans tous les aspects sans importance , dit la citation clbre du politologue amricain Wallace Sayre (Allison, 1983). Autrement dit, ladministration publique diffre de la gestion prive dans tous les aspects importants. Alors que les entreprises sont lafft de profits pour leurs investisseurs, les organisations publiques cherchent bien se gouverner dans lintrt du public. Les caractristiques institutionnelles du secteur public et son importance majeure sur les plans social et financier n-cessitent une approche particulire de la vrification, faite sur mesure pour les besoins du secteur.

    Aux Pays-Bas, les programmes dtudes comme ceux des comptables agrs et des vrificateurs de gestion ne se proccupent gure du secteur public. De nom-breux vrificateurs lemploi du secteur public souffrent dun manque dorienta-tion pour la sphre publique. Par ailleurs, le secteur public compte de nombreux vrificateurs nayant pas t forms dans lune des disciplines tablies de la vri-fication ; ceux-ci ont entrepris leur carrire de vrificateur dans ce secteur arms uniquement dun diplme de matrise en administration publique, en sociologie, en philosophie ou en histoire, et quelques-uns jouissaient dune exprience en tant que fonctionnaires chargs des politiques. Le besoin dun apport de ces disciplines sest considrablement accru au cours des dernires annes en raison de ltendue grandissante des sujets faisant lobjet daudits. Mais ces vrificateurs nont que rare-ment t forms aux postulats, aux concepts et aux techniques de la vrification, quelle soit interne ou externe.

    Ladministration publique et la fonction de vrificateur qui en fait partie int-grante ont une importance trop fondamentale pour quon puisse laisser de pa-reilles lacunes sur le plan des connaissances. Les vrificateurs internes et externes travaillant dans la sphre publique doivent en matriser les spcificits afin de contribuer de manire significative sa bonne gouvernance.

    En 2010, les Pays-Bas ont mis sur pied le Center for Public Auditing & Accoun-ting et une chaire pour la vrification et la comptabilit dans le secteur public afin doffrir une certaine reconnaissance au domaine de la vrification dans ce secteur et de proposer un programme de formation professionnelle ceux qui auraient lintention de sy spcialiser, leur permettant de devenir des vrificateurs certifis. Le programme comprend des modules sur les lois europennes et nationales, les rglementations administratives, les finances publiques, la gestion publique, les politiques gouvernementales, lvaluation des politiques, la gestion des risques, ainsi que sur les contrles, la comptabilit et ltablissement de rapports lin-terne. Les vrificateurs externes et internes font partie des mmes programmes, dans lesquels les concepts thoriques, les normes de vrification (principalement les normes internationales des Institutions suprieures de contrle des finances publiques ISSAI) et les pratiques de vrification dans le secteur public aux che-lons national et international sont prsents et expliqus en dtail.

    Le vrificateur dans le secteur public : le trait dunion de ladministration publique

  • TLESCOPE automne 201210

    Le centre offre galement un appui dautres programmes de formation en vrification en proposant des modules sur laudit dans le secteur public. Lun de ceux-l est le programme pour les comptables agrs aux Pays-Bas. Les audits financiers de nombreuses entits publiques y compris les provinces et les muni-cipalits sont gouverns par le rgime de vrification lgale, ce qui implique que ces audits sont soumis des exigences de qualit complexes, ainsi qu une super-vision indpendante. Pour se conformer ces exigences, les vrificateurs concer-ns doivent comprendre les mcanismes de lenvironnement public et savoir les traduire en termes de planification, dexcution et de production de rapports de vrification. Les connaissances requises sont loin de faire partie du programme r-gulier des aspirants comptables agrs. Le centre entend cooprer avec les parties concernes dans des initiatives ducatives comparables en Europe cest le cas de lAutriche, du Danemark et du Luxembourg 2 ainsi quailleurs dans le monde. En plus de ces activits, il se consacre la recherche universitaire multidiscipli-naire dans les domaines de la vrification, de la gestion des risques et de la comp-tabilit dans le secteur public.

    Dans les prochaines sections, il sera question de laudit dans le secteur public en tant que sujet de recherche et de formation universitaire.

    DFINITION DE LAUDIT

    Quest-ce que laudit?

    Le terme audit vient du mot latin audire qui signifie couter . Un sage le vrificateur devait couter attentivement la description orale dune situation, appliquer sa sagesse et son jugement professionnel pour parvenir se faire une opinion (Kocks, 2003, p. 2). Avec le temps, laudit est devenu une tche systma-tique dont les activits couvrent tant le secteur priv que public, la fois linterne et lexterne. Lessence de son rle est de comparer des ralits des normes. Plusieurs dfinitions de vrification ont t releves dans la littrature.

    Pour Everard et Wolter (1989), la vrification est un examen des activits et des oprations dune organisation qui vise sassurer que celles-ci sont conduites selon les objectifs, les budgets, les rgles et les normes qui lui ont t impartis. Lobjectif de cette vrification est de cibler intervalles rguliers les possibles transgressions qui pourraient ncessiter des actions de redressement .

    Une vrification est une procdure par laquelle un tiers indpendant tudie de faon systmatique les preuves de ladhsion dune pratique quelconque des

    2 LAutriche a cr un programme dtudes suprieures professionnelles de M.B.A. en vrification publique, en collaboration avec lAustrian Court of Audit et lExecutive Academy de lUniversity of Economics and Business Administration de Vienne. Au Danemark, il existe un programme dtudes suprieures de vrificateur certifi du secteur public, conu par lInstitution suprieure de contrle du Danemark, et dont les aspects thoriques sont assurs par de nombreuses universits. Au Luxembourg, lInstitut universitaire international Luxembourg offre un programme de vrification oprationnelle, en coopration avec la Cour des comptes europenne.

    Le vrificateur dans le secteur public : le trait dunion de ladministration publique

  • L'audit dans le secteur public

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    normes tablies pour cette pratique et produit un rapport professionnel sur son opinion (Mathison, 2005, p. 23).

    Laccumulation et lvaluation des preuves propos dinformation destine dterminer et rapporter le degr de correspondance entre une information et un critre tabli (Elder, Beasley et Arens, 2010, p. 4).

    Selon Michael Power (1997, p. 4), une dfinition simple nest ni facile obte-nir ni ncessairement souhaitable ; malgr ses vocations gnrales de la remise et de la vrification des comptes, il ne voit aucun accord prcis sur ce quest rel-lement la vrification comparativement dautres types de pratiques dvaluation telles que linspection ou lexpertise. Les dfinitions officielles, crit-il, expriment ce que la vrification pourrait devenir, plutt que ce quelle est vraiment : les dfi-nitions sont des tentatives de fixer une pratique au sein dun ensemble de normes ou didaux particuliers (p. 5). Il reconnat cependant quatre lments de base la vrification (p. 4) :

    lindpendance par rapport laudit ; un travail technique sous forme de collecte de donnes et dexamen de

    documents ; lexpression dune opinion base sur des preuves ; une matire sujette la vrification clairement dlimite.Pour Lindeberg (2007), il faut ajouter aux lments ci-dessus celui de critre

    appropri. Power fait rfrence lapproche conomique bien connue voulant associer

    laudit une forme de surveillance, engendre par la relation complexe de reddi-tion de comptes entre lagent et le principal. Le principal opre une certaine dis-tance des activits de lagent et nest pas en mesure de les vrifier. Laudit est une vrification requise par les activits de lagent lorsque celui-ci expose le principal des dangers moraux car ils pourraient agir contre les intrts du principal et engendre de linformation asymtrique car il en sait plus que le principal. Dans le cadre de cette approche, laudit est un exercice de rduction des risques qui in-hibe les actions non conformes des agents. Le principal aura recours laudit aussi longtemps que ses avantages dpasseront les cots. Les diffrentes communauts institutionnalisent diverses formes de reddition de comptes et il pourrait exister diverses catgories dagents et de principaux (Power, 1997, p. 4-5).

    Cutt (1988) dit de la vrification quelle est un procd surimpos sur une obligation de rendre des comptes afin de fournir lassurance que linformation est dvoile de manire approprie et prsente de faon juste . De manire plus g-nrale, il dcrit la vrification comme un procd systmatique denqute visant obtenir et valuer objectivement des donnes propos dactions conomiques et dvnements dfinis au sein dune obligation de rpondre, pour dterminer, en employant des critres tablis, le degr auquel lautorit dlgue dans cette relation exerce selon les conditions de lobligation, pour ensuite communiquer ces rsultats des utilisateurs prdtermins . Le vrificateur agit comme un tiers indpendant engag par le principal pour valuer linformation fournie par lagent. Les vrifications externes sont donc concernes par lchange dinformation entre les directeurs dune organisation et ses actionnaires ou le systme parlementaire.

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  • TLESCOPE automne 201212

    La vrification interne est quant elle concerne par le flot dinformation liant les diffrentes composantes dune organisation (Cutt, 1988, p. 12-13).

    La forme de vrification externe la plus connue et la plus professionnalise est laudit des tats financiers historiques, menant un rapport du vrificateur. Lobjectif de tels audits est de renforcer par le truchement dune opinion la confiance que des usagers peuvent avoir dans les tats financiers prpars par les cadres suprieurs dune organisation. Dans le secteur public, les audits de perfor-mance et les audits de conformit deviennent de plus en plus la forme dominante de vrification externe. La vrification interne est une autre forme daudit haute-ment dveloppe et institutionnalise. On la dfinit comme une activit indpen-dante et objective dassurance et de consultation conue pour ajouter de la valeur et amliorer les oprations dune organisation. Cette fonction aide lorganisation atteindre ses objectifs en lui fournissant une mthode systmatique et discipline dvaluation et damlioration de lefficacit des processus de gestion du risque, de contrle et de gouvernance (Institute of Internal Auditors, 2012).

    Dans le cadre de leurs activits dassurance, les vrificateurs internes et ex-ternes mettent des opinions sur des sujets au sein du contexte prcis dune orga-nisation et de son obligation de rendre compte, de manire indpendante, experte et systmatique, sur la base de normes acceptes et de preuves judicieuses. Le vrificateur agit comme un trait dunion entre un principal et un agent ; par son travail dvaluation, il relie les deux parties et contribue la confiance qui carac-trise leur relation.

    Une analyse plus approfondie de la vrification rvle que cette fonction na pas ncessairement se limiter la relation entre lagent et le principal. Elle pour-rait lier un agent dautres intervenants. Le rapport dun vrificateur sur les tats financiers dune organisation, par exemple, est important non seulement pour les actionnaires, mais galement pour les investisseurs, le personnel et dautres parties prenantes. Dans ce contexte, la Fdration internationale des comptables (International Federation of Accountants IFAC) considre le fait daccepter la responsabilit dagir dans lintrt du public comme une marque distinctive de la profession comptable (IFAC, 2010b, p. 9). Elle estime aussi que sa mission est dagir dans lintrt du public, en partie en renforant la profession (IFAC, 2010a, p. 3).

    La fonction de vrificateur a donc le potentiel de rapprocher les composantes de la socit et daccrotre, ainsi, la confiance du public. Linsertion de certaines tches de vrification au sein de la loi souligne quels aspects de la fonction de vrification sont considrs en apparence comme essentiels la socit un moment particulier.

    Quest-ce que laudit dans le secteur public?

    Le secteur public comprend les organisations internationales publiques, les pays, les organisations publiques individuelles faisant partie du secteur administra-tif dun pays, ainsi que les rseaux des organisations publiques nationales et inter-nationales. On peut galement inclure les alliances runissant des organisations publiques et des entreprises prives, pour autant que ces dernires aient t mises sur pied et fonctionnent lintrieur de balises dtermines par le gouvernement

    Le vrificateur dans le secteur public : le trait dunion de ladministration publique

  • L'audit dans le secteur public

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    (approche descendante) (Monfort, 2008, p. 9 et 35). Aux Pays-Bas, il est habituel de faire la distinction entre le gouvernement central (les ministres et les organismes qui sy rapportent), les provinces, les municipalits, puis les offices des eaux 3 (water boards) et les organismes administratifs autonomes.

    Dans sa construction dune philosophie de la vrification au sein dun gou-vernement, Dittenhofer (1996, p. 103-104) considre la vrit comme llment principal fondateur de la vrification, ainsi que la condition sine qua non du proces-sus daudit. Il dtermine ensuite quatre types de valeurs guidant ce processus dans le secteur public :

    les valeurs sociales : comment le processus de vrification amliore-t-il le bien-tre de la communaut audite ?

    les valeurs thiques : comment le processus de vrification influence-t-il les structures thiques au sein dune communaut ?

    les valeurs conomiques : comment le processus de vrification ajoute-t-il la prosprit conomique ?

    les valeurs politiques : quelles sont les consquences de la vrification pour lorganisme audit ?

    la base, laudit est un outil de recherche de la vrit liant les organisations publiques et les institutions lues envers lesquelles elles sont imputables ou, dans le cas des audits internes, les ministres et les groupes de cadres suprieurs envers lesquels ils sont imputables.

    La substance de laudit dans le secteur public

    Les principales catgories daudit dans le secteur public sont laudit financier, laudit de la performance et laudit de conformit. Ces catgories sont dfinies par lINTOSAI (Organisation internationale des Institutions suprieures de contrle des finances publiques) comme suit :

    Laudit financier est une valuation indpendante aboutissant la formulation dune opinion, assortie dune assurance raisonnable, concernant la question de savoir si une entit prsente fidlement sa situation financire, ses rsultats et son utilisation des ressources conformment au rfrentiel dinformation financire applicable. (ISSAI 4 1003, 2010, p. 59)

    Laudit de la performance est lexamen indpendant et objectif des entreprises, systmes, programmes ou organisations du secteur public, sous langle de lun ou plusieurs des trois aspects que sont lconomie, lefficience et lefficacit, dans la perspective de raliser des amliorations. [] la diffrence de ce qui est exig pour les opinions concernant les tats financiers, lauditeur na pas, normalement, exprimer une opinion gnrale sur la question de savoir si lentit audite a respect les principes dconomie, defficience et defficacit. (ISSAI 3100, 2010, p. 4 et 10)

    3 Les offices des eaux sont des autorits publiques qui ont comme objectif de contrler et de grer l'eau selon un dcoupage du pays en zones. [NDLR]

    4 Toutes les citations ISSAI sont issues du site www.issai.org

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  • TLESCOPE automne 201214

    Laudit de conformit concerne la responsabilit incombant lISC [Institution suprieure de contrle] de sassurer que les activits des entits du secteur public sont conformes aux dispositions des lois, des rglements et des autres textes lgis-latifs et rglementaires qui les rgissent (ISSAI 4000, 2010, p. 4). En fonction du mandat de lISC, un audit de conformit peut porter sur la rgularit ou sur la bonne administration, ou sur les deux notions la fois. La rgularit [est une] notion indiquant que les activits, les transactions et les informations relevant dune entit audite sont conformes aux autorisations lgislatives, aux rglements publis en vertu dune lgislation en vigueur, ainsi quaux autres lois, rglements et conventions applicables, y compris aux lois budgtaires, et quelles sont d-ment approuves ; la bonne administration [est une] notion incluant les principes gnraux de bonne gestion financire du secteur public et de bonne conduite des fonctionnaires. [] Les auditeurs du secteur public valuent si, sur la base des lments probants collects, ils ont obtenu une assurance raisonnable que les informations sur le sujet considr sont, dans tous leurs aspects significatifs, conformes aux critres dfinis. (ISSAI 4100, 2010, p. 14 et 39)

    Dans le secteur public, les audits financiers sont frquemment combins des audits de conformit. Ceux-ci comprennent lvaluation des activits, des trans- actions financires et des informations refltes ou contenues dans les comptes ou les tats financiers de manire sassurer quelles sont en accord avec les rso-lutions applicables de la loi, y compris les rgles budgtaires et les dcisions sy appliquant pour les fonds, les contrats, les octrois de bourses, etc. (ISSAI 1000, 2010, p. 15).

    LINTOSAI souligne la nature diffrente des audits de conformit (ou vrifica-tion de rsultats) par rapport aux audits financiers :

    Alors que le contrle financier a tendance appliquer des normes relativement fixes, la vrification de rsultats est plus souple dans le choix de ses sujets, ob-jets de contrle, mthodes et opinions. La vrification de rsultats nest pas un contrle rgulier comportant des opinions formalises et ses racines ne sont pas dans laudit du secteur priv. Il sagit dun examen indpendant non rcurrent. Par nature, il couvre un grand nombre de sujets et laisse la voie libre aux jugements et interprtations multiples. Il doit disposer dun grand nombre de mthodes dinves-tigation et dvaluation et a recours une base de connaissances trs diffrente de celle utilise par le contrle classique. Il ne sagit pas dune forme de contrle ba-se sur les listes de vrification. La spcificit de la vrification de rsultats rside dans la diversit et la complexit des questions lies son travail. La vrification de rsultats doit tre libre, dans les limites de son mandat lgal, dexaminer sous diffrents angles toutes les activits du secteur public. (ISSAI 3000, 2004, p. 13)

    La Dclaration de Lima (p. 6) accorde autant dimportance aux audits finan-cier et de conformit qu laudit de la performance :

    Traditionnellement, les Institutions suprieures de contrle des finances pu-bliques ont pour tche de contrler la conformit aux lois et la rgularit de la ges-tion financire et la comptabilit. En plus de ce genre de contrle, dont la signi-fication demeure intacte, il existe un autre genre de contrle dgale importance visant mesurer la performance, lefficacit, le souci dconomie, lefficience et lefficacit de ladministration publique. Le contrle du rendement porte non seu-lement sur des oprations financires spcifiques, mais galement sur lensemble

    Le vrificateur dans le secteur public : le trait dunion de ladministration publique

  • L'audit dans le secteur public

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    des activits du secteur public, y compris les systmes dorganisation et dadmi-nistration. Les objectifs de contrle des Institutions suprieures de contrle des finances publiques conformit aux lois, rgularit, souci dconomie, deffi-cience et defficacit dans la gestion financire ont tous, fondamentalement, la mme importance. Cependant, il appartient lInstitution suprieure de contrle des finances publiques dtablir limportance relative chacun.

    Les trois principales catgories de vrification ont en commun la ncessit pour le vrificateur de dterminer ltendue et limportance de laudit en tudiant la fiabilit des contrles internes un concept refltant le principal critre daudit vu de la perspective de la responsabilit de la direction. Lvaluation du contrle interne est une phase au cours de laquelle la coordination et la coopration entre les vrificateurs internes et externes sont cruciales.

    LES ASPECTS INSTITUTIONNELS DE LA VRIFICATION DANS LE SECTEUR PUBLIC

    Les vrificateurs

    On peut dfinir un vrificateur du secteur public comme une personne se livrant des activits daudit dans le secteur public sur une base professionnelle. Selon cette dfinition vaste, le groupe des vrificateurs dans le secteur public com-prend (Dees, 2011) :

    ceux qui se livrent des activits traditionnelles de vrification (attestations des tats financiers, rvision des engagements, audits des bourses, etc.) et ceux qui mnent des audits dans un sens plus large (par exemple, les vri-fications de gestion, les valuations qui sont de manire prdominante des expertises par nature, les audits de conformit, les audits informatiques et les audits environnementaux) ;

    les vrificateurs employs par une organisation publique fonctionnant dans une position extrieure (tels les vrificateurs lemploi des Institutions suprieures de contrle, les bureaux locaux de vrification ou les firmes prives dvaluation) ;

    les vrificateurs chargs dvaluer les questions de direction et dinforma-tion au sein des organisations publiques (par exemple, les vrificateurs internes menant des audits de conformit au sein dune organisation) et les vrificateurs qui, pour le compte dune organisation publique qui les emploie, mnent des vrifications sur la gestion et linformation opration-nelles de tiers (par exemple, les vrificateurs qui travaillent au bureau des enqutes de limpt et des douanes chargs dvaluer les contrles internes et les dclarations de revenus dune organisation) ;

    les personnes offrant leur expertise technique ou leurs connaissances obte-nues dans des formations spcifiques de vrification (tels que les comptables agrs, les vrificateurs en informatique, les vrificateurs de gestion et les v-rificateurs judiciaires) et celles qui en font autant de la perspective dautres disciplines (comme ladministration publique, le droit ou la psychologie) ;

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    les vrificateurs lemploi de tous les niveaux administratifs du secteur public, y compris les organisations internationales, les gouvernements cen-traux (ministres et organismes), les provinces et municipalits, les offices des eaux et les autorits administratives autonomes.

    La communaut des vrificateurs publics est donc riche dune varit de dis-ciplines, de formations, de postes et de types de travail de vrification.

    Les organisations professionnelles

    La vrification dans le secteur public possde sa propre place au sein de nom-breuses organisations professionnelles. Certaines ont t mises sur pied dans le seul but de se livrer des activits de vrification dans le secteur public. LINTOSAI se prsente sur son site Web comme lorganisation parapluie du contrle externe des finances publiques 5 . Sa devise est Experientia Mutua Omnibus Prodest (lexp-rience mutuelle bnficie tous) et lorganisme tablit des normes profession-nelles 6, fait la promotion dchange de savoir et offre un soutien aux organismes de vrification mergents. Parmi les organisations de vrification dans le secteur public figurent EUROSAI (Organisation des Institutions suprieures de contrle des finances publiques dEurope) et, aux Pays-Bas, lAssociation of Audit Offices. Au Royaume-Uni, le Chartered Institute of Public Finance and Accountancy (Institut agr des finances et de la comptabilit dans le secteur public) est un organisme spcialis qui reprsente la vrification dans le secteur public.

    Dautres organisations professionnelles de comptabilit reconnaissent jusqu un certain point que laudit dans le secteur public occupe une place particulire dans le domaine de la vrification. Au niveau europen, par exemple, la Fdra-tion des experts-comptables europens possde un comit du secteur public. Aux Pays-Bas, le secteur public jouit dune position particulire dans les codes de gou-vernance et les codes professionnels de lorganisation nationale de la comptabilit (Royal NIVRA). LInstitute of Internal Auditors (IIA) compte un comit du secteur public ainsi quun programme dvaluation conu pour les vrificateurs internes dans ce secteur (Certified Government Auditing Professional Examination).

    En revanche, la Fdration internationale des comptables ne compte plus de comit particulier pour le secteur public. Ses activits lies cette sphre sont dsormais concentres au sein du Conseil des normes comptables internationales du secteur public (IPSASB), un institut charg dtablir des normes et de dvelop-per des standards internationaux de comptabilit dans le secteur public.

    Les normes internationales de vrification

    La majorit des normes internationales relatives laudit dans le secteur public sont tablies par lINTOSAI. En 2010, lorganisme a endoss un ensemble complet de normes baptis ISSAI (Normes internationales des Institutions suprieures de

    5 Voir www.intosai.org/fr/sur-lintosai.html6 Pour plus dinformation voir www.issai.org/composite-275.htm

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  • L'audit dans le secteur public

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    contrle des finances publiques), ainsi que le Guide sur la bonne gouvernance 7. LINTOSAI demande ses membres de sen servir comme cadre de rfrence pour la vrification publique en lemployant en accord avec leurs mandats et leurs lois et rglements nationaux. Les normes peuvent galement renforcer la qualit des engagements en vrification offerts par des socits prives dans le secteur public. Elles peuvent de plus inspirer des activits internes de vrification dans le secteur public, qui est principalement rgi par les standards professionnels de lIIA. Les ISSAI sont classi-fies en quatre niveaux (voir tableau 1).

    TABLEAU 1 : LES QUATRE NIVEAUX DES NORMES INTERNATIONALES DES INSTITUTIONS SUPRIEURES DE CONTRLE

    NIVEAU DESCRIPTION

    Niveau 1 Les principes fondateurs

    Ce niveau contient les principes fondateurs de lINTOSAI. On trouve ceux-ci dans la Dclaration de Lima (ISSAI 1).

    Niveau 2 Les conditions pralables au fonctionnement des Institutions suprieuresde contrle

    Ce niveau sappuie sur les principes fondateurs et contient des dclarations et des principes gnraux portant sur les questions institutionnelles et sur le bon fonctionnement et la conduite professionnelle des Institutions suprieures de contrle (ISSAI 10, 11, 20, 21, 30 et 40).

    Niveau 3 Les principes fondamentaux de contrle

    Ces documents contiennent les principes et les concepts fondamentaux ncessaires la conduite daudits dans les organisations publiques. Ils comprennent des exigences de base en termes de qualification, dindpendance, de conflits dintrts, de comptence, ainsi que des conseils sur la planification des poursuites, les preuves, lanalyse des tats financiers, les contrles internes et la rdaction des rapports (ISSAI 100, 200, 300 et 400).

    Niveau 4 Les directives de contrle

    Les documents de ce niveau contiennent un plus grand nombre de lignes directrices spcifiques, dtailles et oprationnelles pouvant tre employes sur une base quotidienne dans le cadre des tches de vrification. Ce niveau, de loin le plus volumineux, compte des lignes directrices pour la mise en uvre des trois types daudit (laudit financier, laudit de performance et laudit de conformit), ainsi que des lignes directrices sur des sujets prcis (ISSAI 1000-1810, 3000, 3100, 4000, 4100, 4200 et 5000-5600).

    Pour fixer ses normes de niveau 4, lINTOSAI travaille sur une base de pro-tocole dentente en consultation intime avec lorganisme responsable de crer les normes pour les audits des tats financiers historiques : lInternational Auditing

    7 Voir www.issai.org/composite-275.htm

    Le vrificateur dans le secteur public : le trait dunion de ladministration publique

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    and Assurance Standards Board (IAASB), une filiale de la Fdration internationale des comptables. Le conseil a adopt, sans les modifier, les normes internationales daudit de lorganisme. Cependant, en ajoutant des notes pratiques pour chaque norme, le conseil a publi des explications supplmentaires et des lignes direc-trices pour les audits financiers dans le secteur public. Il a par ailleurs dvelopp et publi des normes pour les audits de conformit et de performance, les respon-sabilits additionnelles les plus communes en vrification dans le domaine public.

    Les Institutions suprieures de contrle : des chefs de file

    Les Institutions suprieures de contrle agissent en tant que vrificateurs ex-ternes pour les organisations nationales et internationales. Ils fonctionnent sous diffrents modles en accord avec les lgislations nationales sous lesquelles leurs mandats sont dfinis. Leurs responsabilits en matire de vrification peuvent tre limites aux organismes et aux ministres du gouvernement central ou inclure dautres entits du secteur public.

    En 2011, lAssemble gnrale des Nations Unies a reconnu expressment que le rle important de ces institutions dans la promotion de lefficience, du prin-cipe de responsabilit, de lefficacit et de la transparence des administrations publiques favorisait lavnement des priorits et des objectifs nationaux de dve-loppement ainsi que des objectifs ayant fait lobjet dententes internationales 8. Dans le cadre de cette rsolution, les Nations Unies encouragent ses tats membres respecter, dune manire cohrente aux structures de leurs institutions nationales, les principes labors dans deux documents fondamentaux de lINTOSAI, la Dcla-ration de Lima (ISSAI 1, 1977) et la Dclaration de Mexico sur lindpendance des Institutions suprieures de contrle (ISSAI 10, 2007). La Dclaration de Lima considre comme la Magna Carta de laudit gouvernemental inclut lnonc suivant sur le thme de la vrification dans le secteur public :

    [Les] objectifs spcifiques du contrle des finances publiques, cest--dire luti-lisation approprie et efficace des fonds publics, la recherche dune gestion fi-nancire rigoureuse, ladquation de laction administrative et information des pouvoirs publics et de la population par la publication de rapports objectifs, sont ncessaires la stabilit et au dveloppement des tats tout en respectant les objectifs des Nations Unies ;

    []

    Linstitution du contrle est immanente ladministration des finances publiques laquelle constitue une gestion fiduciaire. Le contrle des finances publiques nest pas une fin en soi mais il est un lment indispensable dun systme rgulatoire qui a pour but de signaler en temps utile les carts par rapport la norme ou les atteintes aux principes de la conformit aux lois, de lefficience, de lefficacit et de lconomie de la gestion financire de manire ce que lon puisse, dans chaque cas, prendre des mesures correctives, prciser la responsabilit des parties en cause, obtenir rparation ou prendre des mesures pour empcher, ou du moins rendre plus difficile, la perptration dactes de cette nature (ISSAI 1, 1977, p. 5).

    8 Voir www.intosai.org/fileadmin/downloads/downloads/0_news/2012/UN_Resolution_A_66_209_F.pdf

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    Cette dclaration positionne clairement la vrification dans le secteur public en tant que pouvoir institutionnel au sein de la structure dun tat. Elle tablit ga-lement ses objectifs dans une perspective de bonne gouvernance et de reddition de comptes, une perspective qui sera dveloppe plus loin.

    LA VRIFICATION AUX PAYS-BAS

    Le gouvernement central

    Dans le systme de vrification du gouvernement central nerlandais, on trouve deux principales institutions : la Cour nerlandaise de vrification (Netherlands Court of Audit NCA), qui est le vrificateur externe se rapportant la Chambre des reprsentants, et le dpartement de la vrification interne du gouvernement central, qui fait rapport aux ministres.

    La NCA est un Haut Comit dtat fond par la Constitution. Elle possde une position indpendante par rapport au gouvernement et aux tats gnraux. Sa position, son mandat et ses pouvoirs sont dcrits dans la Government Accounts Act. Sa tche fondamentale est de fournir une dclaration annuelle dapprobation des comptes du gouvernement central. Il est galement de son devoir dapprouver les tats financiers des ministres en exprimant une opinion de vrification sur limage fidle et la conformit des transactions financires. De plus, la NCA vrifie la bonne sant de la gestion financire et matrielle ainsi que le rendement et leffi-cacit des politiques et de la gestion du gouvernement. Au cours de la dernire dcennie, la NCA a entrepris une nouvelle tche, la vrification des donnes sur le rendement publies par les ministres dans leurs rapports annuels.

    La NCA dtient des pouvoirs pour auditer les organisations lies financire-ment au gouvernement central (par exemple, par des prts, des bourses ou des garanties) et les organisations qui remplissent un mandat lgal financ par les de-niers publics. Le principal objectif est de veiller ce que les ministres demeurent imputables de leurs responsabilits par rapport ces organisations. Ainsi, laudit financier (y compris les tests de conformit des transactions financires) et les audits de performance figurent parmi les tches de vrification de la NCA dfinies lgalement. Laudit de conformit est pour le moment limit la gestion financire et matrielle.

    Afin dviter les chevauchements, la NCA a recours au travail du dpartement de la vrification interne du gouvernement central. En particulier dans ses audits financiers, cette pratique est systmatique et rendue possible par le fait que le d-partement fournit des opinions de vrification interne sur les tats financiers des ministres. La Government Accounts Act force galement le dpartement couvrir les autres domaines de vrification de la NCA, sauf une exception : le dpartement de la vrification ne possde pas de tche daudit de performance dans la loi. De tels audits peuvent cependant tre mens la demande de la direction.

    Tant pour la NCA que pour le dpartement de la vrification interne, il existe une forme relativement nouvelle de vrification, celle des fonds de lUnion euro-penne. Ce travail est ralis dans le but de garantir la Commission europenne,

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  • TLESCOPE automne 201220

    ainsi quau Parlement nerlandais et aux parties prenantes, la qualit de la gestion, la lgalit et la conformit dans le cadre des dpenses de ces subventions.

    Les provinces, les municipalits et les offices des eaux

    Aux paliers provincial et local et pour les offices des eaux, les tats financiers sont vrifis par des cabinets daudit privs. Cependant, dans les villes dAmsterdam et de La Haye, les dpartements de vrification internes des cits se chargent ga-lement de certifier les comptes en tant que vrificateurs externes. Tous les vrifica-teurs responsables des certifications sont nomms formellement par les instances dmocratiquement lues. Les opinions de lauditeur comprennent un paragraphe sur la conformit des transactions financires.

    Quant aux autres types de vrification audit de performance et de confor-mit , chaque province et municipalit est tenue lgalement de crer soit un comit de vrification public (dont les membres du conseil peuvent faire partie), soit un bureau indpendant de vrification (excluant les membres du conseil).

    Pour linstant, il nexiste pas de tche lgale de vrification de la fiabilit des donnes sur le rendement incluses dans les rapports annuels pour ces paliers de gouvernement. Les seuls tests daudit que les firmes incluent dans leurs activits daudit financier ont trait la cohrence des donnes sur le rendement avec la situation financire telle quelle est dclare.

    Dans tous les organismes, un dpartement de vrification interne peut tre mis sur pied comme partie intgrante du systme de gouvernance, mais aucune obligation lgale nexiste en cette matire.

    Les entits administratives autonomes

    Laudit financier des entits administratives autonomes est aussi men par des cabinets daudit privs. Leurs opinions de vrification couvrent galement la conformit des transactions financires rapportes dans les tats financiers. De plus, les cabinets doivent galement faire tat de leurs rsultats sur le rendement de la gestion des entits. Il nexiste pas dautres exigences en matire daudit de conformit ou de performance. Quant aux donnes sur le rendement fournies dans le rapport annuel, la vrification financire inclut les mmes tests de confor-mit mentionns dans la section sur les provinces, les municipalits et les offices des eaux.

    La NCA est dote de pouvoirs lgaux lui permettant de vrifier de nombreuses entits administratives. Ces pouvoirs servent renforcer les activits daudit de conformit et de performance de la NCA au niveau du gouvernement central.

    Comme dans le cas des provinces, des municipalits et des offices des eaux, un dpartement de vrification interne nest pas obligatoire.

    Le vrificateur dans le secteur public : le trait dunion de ladministration publique

  • L'audit dans le secteur public

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    LA BONNE GOUVERNANCE PUBLIQUE ET LA REDDITION DE COMPTES

    Comme il a t mentionn prcdemment, la vrification est un lment es-sentiel de la bonne gouvernance publique. Les organisations des vrificateurs du secteur public (comme ltat, les bureaux locaux et rgionaux de vrification, les firmes de vrification et les dpartements internes de vrification) ont des man-dats, des pouvoirs et des responsabilits prcis, mais la perspective demeure la mme : participer la saine gestion publique, en particulier par la dfense et la promotion de la reddition de comptes (accountability) (Dees, 2011 ; ISSAI 100, 2001).

    La bonne gouvernance publique

    Par le rle quils jouent dans lobligation de rendre des comptes, les vrifica-teurs du secteur public aident les organisations satisfaire un ensemble de cri-tres. Il est possible de classer ces critres en cinq catgories (Dees, 2011, p. 20-22).

    TABLEAU 2 : LES CRITRES DE LA BONNE GOUVERNANCE PUBLIQUE

    CRITRES DESCRIPTION

    Critres de performance

    yRendement : les politiques labores produisent-elles les effets escompts ? yconomie et efficience : les biens et les services sont-ils acquis de manire conomique? Les meilleurs rsultats possible sont-ils atteints en consommant le moins de ressources possible? En dautres mots, loptimisation des ressources est-elle pousse son maximum ?

    Critres dediligence requise

    yRactivit : la formulation des politiques et leur mise en uvre sappuient-elles sur les besoins du public ? yDmocratie : les citoyens peuvent-ils participer la formulation des politiques et influencer leur mise en uvre? Sont-ils suffisamment informs pour le faire ? yConformit : les traits internationaux et les rgles en vertu des lois sont-ils respects? Les transactions financires sont-elles conformes aux conditions des contrats et des accords de subventions ? yBien-fond : les normes crites et non crites de la bonne gouvernance sont-elles respectes ? y Intgrit : les activits sont-elles thiques et responsables ?

    Critres financiers ySolidit financire et viabilit budgtaire : la formulation et la mise en uvre des politiques sont-elles financirement bien fondes et conformes aux cadres de travail budgtaires prvus par les ententes ? Toutes les exigences et consquences financires court et long terme sont-elles prises en compte ? Les intrts des gnrations futures ont-ils t considrs ?

    Le vrificateur dans le secteur public : le trait dunion de ladministration publique

  • TLESCOPE automne 201222

    CRITRES DESCRIPTION

    Critres organisationnels

    yQualit de la gouvernance interne : la gestion linterne est-elle saine (y compris la gestion des risques, les contrles internes, la vrification interne et la surveillance) et le personnel possde-t-il lexpertise requise ? yQualit de la coopration avec les autres organisations : les responsabilits et les pouvoirs sont-ils clairement distribus aux organisations et sont-ils exercs correctement ? yCapacit dinnovation : de nouvelles approches et pratiques de travail sont-elles mises en uvre lors de llaboration des politiques ? yCapacit dapprentissage : lorganisation apprend-elle de ses expriences et de celles des autres ? yDurabilit : les intrts du peuple et de la plante sont-ils pris en compte ?

    Critres de reddition de comptes et de transparence

    yTransparence : linformation pertinente est-elle accessible et les parties prenantes y ont-elles un accs direct ? Les dcisions sont-elles prises, mises en uvre et excutes en accord avec les procdures convenues ? Linformation contenue dans les budgets, les tats financiers et autres sources est-elle pertinente, rcente, fiable, comprhensible et prsente de manire en permettre la comparaison avec dautres informations de type semblable ? yQualit de la reddition de comptes face au public : les aspects de fond et procduraux des diverses modalits de reddition de comptes publique tant verticales quhorizontales sont-ils appropris ? Le contenu complet des rapports de reddition de comptes publique et les rapports externes bass sur ces derniers refltent-ils ltendue des pouvoirs et des responsabilits de lorganisation publique et toutes les exigences de qualit requises pour une saine gestion publique (Dees, 2009) ? yQualit des vrifications externes : les donnes essentielles sur la reddition de comptes publique et les autres donnes essentielles sont-elles sujettes des vrifications adquates menes par des vrificateurs qualifis et indpendants ? yDcisions imputables : lorsque surgit un dilemme entre les camps divers, des dcisions raisonnables sont-elles prises ? Peut-on en justifier les motivations par lintrt public (Bemelmans-Videc, 1993, p. 29-30) ?

    En incluant les dcisions imputables parmi ces critres, on reconnat expli-citement la nature controverse de la gestion publique et lexistence de valeurs pu-bliques contradictoires. La conformit avec les rgles des finances et dquit peut entraver le rendement, de mme que la recherche du meilleur rendement peut mettre le niveau de la conformit sous pression. Cette ralit engendre un dilemme en matire de reddition de comptes : lopposition entre la reddition de comptes sur le plan des finances et de lquit, dune part, et sur celui du rendement, de

    Le vrificateur dans le secteur public : le trait dunion de ladministration publique

  • L'audit dans le secteur public

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    lautre (Behn, 2001, p. 10-11). La lgitimit de ladministration publique dpend de la capacit des politiciens et des fonctionnaires survivre ce dilemme. Ils doivent fonctionner lintrieur de ce primtre de tension et se montrer sensibles au mlange des valeurs qui dominent en un certain endroit et un moment prcis (Bovens et autres, 2001, p. 34). Il leur faut mnager dmocratie et efficience : La dmocratie et lefficience ne peuvent pas se passer lun de lautre. Un gouverne-ment efficient sert la dmocratie, et les gouvernements dmocratiques ncessitent un certain effort defficience (Raadschelders, 2003, p. 108-109). Le choix de la priorit accorde ces valeurs, qui sont souvent stipules dans les critres par les reprsentants de certaines disciplines (Bemelmans-Videc, 1993, p. 17), est bas sur des approches et idologies sociales et politiques dominantes (Bemelmans-Videc et Fenger, 1999, p. 18-19). On sattend des administrateurs quils soient des gnralistes , capables dvaluation (jugement apprciatif), de coordination et dintgration, ce qui est cens engendrer un jugement politiquement et adminis-trativement ralisable (Bemelmans-Videc, 1993, p. 11-12). Rsoudre les dilemmes opposant des valeurs divergentes requiert souvent une thique administrative : un ensemble de nouvelles valeurs formant la base pour un choix gnraliste. Ces finales devraient tre lies de prs la notion de lintrt public.

    La bonne gouvernance publique nest pas un concept statique, mais dyna-mique. Elle ne sera jamais accomplie, puisquelle se trouve dans un tat dentretien perptuel et de constante amlioration. Cest une forme intangible de dveloppe-ment du territoire qui concerne au final le bonheur du public. La vrification dans le secteur public est lune des nombreuses forces mme daider amliorer la qualit de la gestion des affaires publiques. travers lensemble des critres par-tiellement contradictoires, le vrificateur sert de trait dunion entre les organisa-tions du secteur public, dune part, et les reprsentants lus dmocratiquement ainsi que les citoyens, dautre part (Dees, 2011, p. 13).

    Lengagement de la vrification vers la bonne gouvernance et la reddition de comptes est reflt dans la description des missions, les stratgies et le travail des Institutions suprieures de contrle. Dans le mme temps, tant donn les mandats lgaux restreints des Institutions suprieures de contrle, tous les critres de saine gestion ne sont pas reprsents dans leurs activits daudit. titre dexemples, voici quelques Institutions suprieures de contrle dimportance.

    La Cour nerlandaise de la vrification (NCA) vrifie et amliore la rgularit, lefficience, lefficacit et lintgrit avec lesquelles ltat et ses divers organismes associs fonctionnent. Elle vrifie galement la conformit des obligations ner-landaises en matire de traits internationaux. Le travail de la Cour est ax sur la saine gestion de manire amliorer les capacits dapprentissage de ladminis-tration publique.

    Pour sa part, le National Audit Office (NAO) au Royaume-Uni aide le pays dpenser avec sagesse et appuie le Parlement et le gouvernement dans leurs qutes de piloter des amliorations durables des services publics, en vrifiant les tats financiers de tous les ministres et dune vaste gamme dorganismes publics, tout en publiant une soixantaine de rapports chaque anne.

    Le vrificateur dans le secteur public : le trait dunion de ladministration publique

  • TLESCOPE automne 201224

    Au Canada, le Bureau du vrificateur gnral (BVG) vrifie les activits du gouvernement fdral et fournit au Parlement des donnes, des conseils et des assurances de nature indpendante en ce qui a trait la gestion des fonds publics par le gouvernement fdral. Le Bureau conduit trois principaux types daudits lgislatifs : les audits financiers, les examens spciaux et les audits de performance.

    Enfin, le Government Accountability Office des tats-Unis (GAO) aide le Congrs sacquitter de ses responsabilits constitutionnelles et amliorer son rendement et il assure la reddition de comptes du gouvernement fdral, au bn-fice du peuple amricain, par les moyens suivants :

    vrification du fonctionnement des organismes afin de dterminer si les fonds fdraux sont dpenss de manire efficiente et efficace ;

    enqutes sur toute allgation dactivits illgales ou inappropries ; production de rapports sur lefficacit des programmes et politiques du gou-

    vernement par rapport leurs objectifs ; production danalyses des politiques et cration de listes doptions qui sont

    ensuite proposes au Congrs ; publication dopinions et de dcisions lgales, tels les jugements sur les

    rclamations et les rapports conce