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_______________________________________ _______________________________________ Valeur et portée juridique du préambule constitutionnel (CE, 27/09/1985, France Terre d’asile)

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Valeur et portée juridique du préambule constitutionnel 2

Table des matières

Table des matières .................................................................................................................................. 2

Introduction ............................................................................................................................................. 3

I - La nature constitutionnelle de la disposition invoquée ..................................................................... 4

A – La valeur juridique de la disposition invoquée ............................................................................. 4

1 – Les précédents ........................................................................................................................... 4

2 – La consécration de la valeur juridique du préambule ............................................................... 4

B – La richesse des règles du préambule ............................................................................................ 6

1 – Les déclarations ......................................................................................................................... 6

2 – Le préambule de 1946 ............................................................................................................... 6

II – La portée juridique de la disposition invoquée ................................................................................ 8

A – La notion d’applicabilité directe .................................................................................................... 8

1 – Les principes .............................................................................................................................. 8

2 – Un parallèle : l’effet direct du droit international ..................................................................... 8

B- L’absence d’applicabilité directe de la disposition invoquée ....................................................... 10

1 – La position du Conseil d’Etat ................................................................................................... 10

2 – Les autres exemples ................................................................................................................ 10

CE, 27/09/1985, France Terre d’asile .................................................................................................... 12

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Introduction

Longtemps, la question de la valeur juridique des préambules constitutionnels n’obtint pas de réponse. Il aura fallu attendre le lendemain de la seconde Guerre mondiale pour que le juge administratif reconnaisse une véritable valeur juridique à l’introduction du texte constitutionnel. Toutes les questions ne sont pas, pour autant, résolues. En effet, le juge administratif fait la distinction entre les dispositions suffisamment précises pour s’appliquer d’elles-mêmes, et celles dont l’application nécessite une loi pour les préciser. C’est un tel problème que l’on rencontre en l’espèce.

Dans cette affaire, l'association France Terre d’asile demande l’annulation de divers articles, dont l’article 9, du décret du décret du 27 mai 1982 pris pour l'application de l'article 5 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 modifiée, relative aux conditions d'entrée et de séjour en France des étrangers. Au terme de son analyse, le Conseil d’Etat rejette la requête le 27 septembre 1985.

L’un des arguments invoqués par l’association requérante consistait dans la violation par l’article 9 du décret de l’alinéa 4 du préambule de la Constitution de 1946, aux termes duquel « tout homme persécuté en raison de son action en faveur de la liberté a droit d’asile sur les territoires de la République ». Il s’agit là de l’un des principes particulièrement nécessaires à notre temps consacrés par le préambule de la Constitution de la IV° République, auquel il est fait renvoie dans le préambule de la Constitution de 1958. Ce dernier est, en effet, d’autant plus riche qu’il est court. Son importance vient du fait qu’il renvoie à différents textes fondamentaux de l’histoire politique française. Bien que ce problème soit réglé depuis longtemps, il importera de s’attacher à démontrer la valeur juridique de ce texte, cette question ayant fait naître de nombreux débats au cours du XX° siècle. Si le préambule a valeur juridique dans son ensemble, toutes ses dispositions ne sont pas, pour autant, applicables. Le juge fait, en effet, la distinction entre les dispositions suffisamment précises pour s’appliquer d’elles-mêmes et celles qui nécessitent une loi d’application. C’est le cas de l’alinéa 4 du préambule de 1946 qui est jugé trop peu précis pour être applicable de lui-même.

Il convient donc d’étudier, dans une première partie, la nature constitutionnelle la disposition invoquée (I), et d’analyser, dans une seconde partie, la portée juridique de cette disposition (II).

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I - La nature constitutionnelle de

la disposition invoquée

En invoquant la violation d’une disposition du préambule de 1946, les requérants se basent sur une longue jurisprudence qui a reconnu la valeur juridique du préambule constitutionnel (A). Cet arrêt est, alors, l’occasion d’évoquer la richesse des règles contenues dans ce préambule (B).

A – La valeur juridique de la disposition invoquée

La confrontation du règlement et du préambule a permis au CE de consacrer ce dernier. Mais, cette confrontation n’a été elle-même possible que parce qu’aucune loi ne faisait écran entre les deux normes. L’absence d’écran législatif (1) apparaît alors comme la condition de la reconnaissance de la valeur juridique du préambule (2).

1 – Les précédents Ce n’est qu’au sortir de la seconde Guerre mondiale que le Conseil d’Etat a s’est penché sur

le problème de la valeur juridique du préambule de la Constitution. Jusque là, aucun acte administratif n’avait été annulé pour contrariété avec l’introduction du texte constitutionnel. Il est vrai que la position du Conseil d’Etat fut facilitée par le texte constitutionnel lui-même, puisque ce dernier disposait, en son article 81, que la Constitution assure à tous les nationaux « la jouissance des droits et libertés garantis par le préambule de la présente Constitution ». Ainsi, bien que la solution ne fut pas de doutes, la solution du Conseil d’Etat n’en était pas, pour le moins, attendu.

La première solution fut implicite (CE, ass., 18/04/1947, Jarrigion). Le Conseil d’Etat ne se réfère pas à une disposition précise du préambule, mais note, à propos du droit de grève, l’état du droit en vigueur en 1938, ce qui signifiait que s’était produit entre les deux dates un changement qui ne pouvait résulter que du préambule de la Constitution. Cette solution fut explicitée trois ans plus tard, lors d’un arrêt célèbre sur la reconnaissance du droit de grève et ses modalités d’application (CE ass, 7/07/1950, Dehaene).

Bien qu’allant dans le sens de l’évolution des mentalités, la transposition de cette solution au préambule de la Constitution de 1958 n’était pas évidente. En effet, le texte constitutionnel ne fait aucune référence au préambule et les auteurs de la constitution avaient clairement manifesté l’intention de ne pas y accorder de valeur juridique. C’est, pourtant, la continuité qui fut choisie.

2 – La consécration de la valeur juridique du préambule C’est, à l’occasion, d’un arrêt sur le principe de la non-rétroactivité de la loi pénale que le

Conseil d’Etat consacre, pour la première fois, la valeur juridique du préambule de la Constitution de 1958 (CE, sect., 12/02/1960, Soc. Eky). En confrontant les différents articles du code pénal attaqués à l’article 8 de le Déclaration de 1789, auquel le préambule de 1958 renvoie, le Conseil d’Etat confirme la ligne jurisprudentielle qu’il suit depuis 1947. Cette solution sera soutenue par le Conseil constitutionnel lui-même qui prendra une position identique au terme d’une décision fondamentale sur la liberté d’association où il consacrera le premier principe fondamental reconnu par les lois de la République (CC, 16/07/1971, Liberté d’association).

Récemment, le Conseil d'Etat est venue confirmer la valeur constitutionnelle de la Charte de l'environnement introduite dans le préambule de la Constitution par la révision constitutionnelle de mars 2005 (CE, ass., 3/10/2008, Com.d'Annecy; décision précédée par CC, 19/06/2008, Loi relative

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aux OGM). Cette décision confirme, si besoin est, que tous les textes qui procèdent du préambule ont une valeur constitutionnelle.

Par le renvoi qu’il opère à différents textes fondamentaux, dont le préambule de la Constitution de 1946 invoqué en l’espèce, c’est toute une multitude de règles qui se trouve, ainsi, juridicisée.

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B – La richesse des règles du préambule

L’introduction du texte constitutionnel renvoie à trois textes majeurs de l’histoire politique française : deux sont des déclarations (1), et un est un autre préambule constitutionnel (2).

1 – Les déclarations Le préambule de 1958 est d’autant plus riche qu’il est court. Il ne tire donc pas son

importance du nombre de lignes qu’il contient, mais bien plutôt du renvoi qu’il opère à des textes aussi fondamentaux que la Déclaration de 1789, le préambule de la Constitution de 1946, et récemment la Charte de l’environnement de 2004. En effet, c’est à cet ensemble de textes que « le peuple français proclame solennellement son attachement ». Deux déclaration sont, ainsi, consacrées.

La première est emblématique de l’histoire de France. Il s’agit de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Il serait trop long d’en faire une analyse détaillée, les principes essentiels étant, de plus, fort connus. Tout au plus, peut-on noter que ce texte fondamental concerne essentiellement les droits et les libertés et qu’il faisait déjà l’objet d’une consécration constitutionnelle puisque le préambule de 1946 y faisait référence. Il se trouve ainsi à nouveau réaffirmé.

A cette déclaration est venue s’ajouter en 2005, suite à la volonté du Président Chirac, la Charte de l’environnement. Si elle n’innove pas puisqu’elle reprend pour l’essentiel des principes contenus dans diverses conventions internationales, cette Charte a le mérite d’être l’un des premiers textes relatifs à l’environnement à être ainsi constitutionnalisé. Est ainsi consacré un droit à l’environnement. Mais, sont aussi créées des obligations pour les pouvoirs publics ou les personnes privées, au titre desquelles figure le principe de précaution.

Le préambule de 1958 fait aussi référence à celui de 1946.

2 – Le préambule de 1946 Ce texte consacre deux grands types de principes. Il dresse, d’abord, une liste exhaustive de

principes politiques, économiques et sociaux particulièrement nécessaires à notre temps. C’est ici toute la philosophie progressiste, qui se fait jour au lendemain de la guerre, qui se voit consacrée. Le constituant entend encrer dans le texte le plus important de la hiérarchie juridique un ensemble de valeurs et de principes qu’il juge essentiel pour l’ère qui s’ouvre. Sont ainsi consacrés différents principes intéressant les droits du travailleur, comme le droit de grève, la liberté syndicale ou encore la participation à la détermination collective des conditions de travail. C’est ici que prend place le principe en cause, en l’espèce et qui stipule « tout homme persécuté en raison de son action en faveur de la liberté a droit d’asile sur les territoires de la République » (al.4).

Le préambule de 1946 proclame en outre une autre catégorie de principe que sont les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République (PFRLR). Il s’agit pour le constituant de tirer tout le profit possible de l’œuvre juridique libérale accomplie sous la III° république. Cette fois-ci aucune liste n’est donnée. C’est alors au juge constitutionnel qu’il revient de les découvrir à travers l’ensemble des lois précédant 1958 : sont ainsi visées les lois adoptées sous la III°, mais aussi celles adoptées sous la IV° République. Ainsi, quand il constatera qu’un principe est repris par plusieurs lois, le juge pourra considérer qu’il fait partie intégrante de la tradition juridique républicaine et ainsi le consacrer. L’on peut citer le fameux principe de la liberté d’association, le principe de la liberté de l’enseignement, le principe des droits de la défense, ou encore le principe de l’indépendance de la juridiction administrative. Si le Conseil constitutionnel est la seule autorité à pouvoir découvrir ces principes, il peut arriver que le juge administratif décide de s’y aventurer, comme ce fut le cas en 1996 au sujet de l’extradition d’un étranger dans un but politique (CE, ass., 3/07/1996, Koné).

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L’ensemble des règles qui viennent d’être citées ont pleine valeur juridique. Leur portée peut, cependant, varier, en fonction du contenu même de la règle, comme c’est le cas en l’espèce.

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II – La portée juridique de la

disposition invoquée

Le juge administratif relève, en l’espèce, que la disposition du préambule invoquée ne se suffit pas à elle-même pour produire des effets de droit (B). Il s’agit là du problème de l’applicabilité directe des dispositions juridiques, dont la définition devra nous retenir en premier lieu (A).

A – La notion d’applicabilité directe

Il importe de définir, au préalable, ce qu’il faut entendre par applicabilité directe (1), puis, de relever le parallèle avec la question de l’effet direct du droit international (2).

1 – Les principes

Les préambules constitutionnels sont marqués par la généralité des règles qu’ils énoncent. En effet, ces derniers sont souvent l’occasion d’énoncer des règles imprécises en des termes généraux. C’est ce constat qui explique que beaucoup d’auteurs lui déniaient une valeur juridique. Il y là, cependant, deux problèmes différents. Dénoncer la généralité des règles du préambule revient non à dénoncer sa valeur juridique, mais son applicabilité. En d’autres termes, la disposition en cause est-elle suffisamment précise, énonce-t-elle une règle dont le sens est suffisamment déterminé pour produire des effets de droit. C’est la problème de l’applicabilité directe.

Dès lors, le juge est conduit à faire la distinction entre deux types de dispositions. Celles qui sont suffisamment précises sont pleinement applicables immédiatement. Alors que celles qui sont rédigées en des termes vagues et généraux doivent d’abord faire l’objet d’une loi d’application pour s’imposer. Autrement dit, elles ne se suffisent pas à elles-mêmes. Elles ne peuvent, seules, créer des droits ou des obligations au profit ou à la charge des administrés. C’est la loi d’application, ou une convention internationale, comme c’est le cas en l’espèce, qui modifiera la situation juridique des administrés. Au titre de cette dernière catégorie l’on peut citer la disposition prévoyant que « la nation proclame la solidarité et l’égalité de tous les Français devant les charges qui résultent des calamités nationales ». Cette disposition ne peut être invoquée tant qu’une loi n’a pas précisé ses modalités d’application. Et, le recours devra mentionner la disposition constitutionnelle, ainsi que la loi d’application.

Il faut, cependant, préciser que même si certaines dispositions du préambule ne sont pas d’applicabilité directe, elles n’en conservent pas leur valeur juridique.

Ces principes se retrouvent en droit international.

2 – Un parallèle : l’effet direct du droit international Une convention internationale est dite d’effet direct si elle a une influence sur la situation

juridique des administrés, en créant des droits ou des obligations à leur profit ou à leur charge. Ce n’est pas le cas le cas des conventions ne créant d’obligations qu’entre les Etats, et, surtout, des engagements trop vagues et généraux. Cette question pose beaucoup de problèmes s’agissant, notamment, de la convention des Nations-Unies relative aux droits de l’enfant du 26 janvier 1990. La Cour de cassation lui dénie un effet direct (Civ. 1°, 10/03/1993), alors que la jurisprudence administrative distingue selon ses stipulations.

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Mais, c’est en matière de droit communautaire dérivé, et notamment de directive, que la question de l’effet direct a posé le plus de problème. Pour comprendre pourquoi, la directive n’avait pas d’effet direct, il faut rappeler son mécanisme. Celui-ci peut se résumer de la façon suivante : la directive fixe aux Etats qu’elle désigne un résultat à atteindre et l’Etat est tenu de réaliser cet objectif dans le délai imparti, mais il est libre de choisir les moyens qui lui semblent le plus appropriés (voie législative ou réglementaire). Ce qui doit retenir l’attention est que la directive ne concerne que les Etats, et non les administrés. Elles ne créent donc pas de droits et d’obligations à leur profit ou à leur charge. Elle ne peut donc avoir d’effet direct à leur égard, c’est-à-dire influencer leur situation juridique. Pour que les objectifs de la directive trouvent à s’appliquer concrètement aux individus, il faut que l’Etat transpose la directive, c’est-à-dire crée en droit interne les normes conformes aux objectifs de la directive ; et, ce sont ces normes qui s’appliqueront aux individus et qui pourront être invoquées par eux. En d’autres termes, la directive ne se suffit pas à elle-même. Elle a besoin d’une norme nationale de transposition pour pouvoir produire des effets. Ainsi s’explique, l’impossibilité initiale d’obtenir de la part du juge administratif l’annulation d’un acte administratif individuel directement incompatible avec les objectifs de la directive (CE, ass., 22/12/1978, Cohn Bendit).

Mais cette jurisprudence a été abandonnée par le Conseil d'Etat en 2009. En effet, celui-ci a jugé que les dispositions inconditionnelles et suffisamment précises d'une directive sont dotées de l'effet direct dès lors que l'Etat n'a pas procédé à leur transposition dans les délais prévus (CE, 30/10/2009, Mme. P.)

Le mécanisme de l’effet direct est donc semblable à celui de l’applicabilité directe des dispositions du préambule constitutionnel. Ainsi, s’explique la décision du Conseil d’Etat qui fait l’objet de cette analyse.

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B- L’absence d’applicabilité directe de la disposition

invoquée

Le juge administratif considère en l’espèce que l’alinéa 4 du préambule de 1946 n’est pas d’applicabilité directe (1). Cette décision s’inscrit dans la lignée de celles où le Conseil d’Etat a eu à se prononcer sur l’applicabilité directe de dispositions relevant du préambule constitutionnel (2).

1 – La position du Conseil d’Etat Le Conseil d’Etat relève d’abord l’absence d’applicabilité directe de la disposition invoquée,

puis en tire les conséquences. C’est, ainsi, qu’il note « les dispositions …aux termes desquelles " tout homme persécuté en raison de son action en faveur de la liberté a droit d'asile sur les territoires de la République " ne s'impose au pouvoir réglementaire, en l'absence de précision suffisante, que dans les conditions et limites définies par les dispositions contenues dans les lois ou dans les conventions internationales incorporées au droit français ». En d’autres termes, l’alinéa constitutionnel, dont la valeur juridique n’est pas en cause ici, n’est pas doté d’une précision suffisante pour produire des effets de droit par lui-même. Il a besoin d’une loi d’application ou d’une convention internationale pour préciser son contenu. Et, ce sont ces dispositions qui devront être invoquée pour bénéficier d’une protection en la matière. En d’autres termes, l’alinéa 4 du préambule de 1946 ne produit, par lui-même, aucun effet de droit.

Pour être plus précis, il s’agissait, dans cette affaire, de savoir si un étranger qui demande la qualité de réfugié peut être autorisé à demeurer sur le territoire français jusqu’à ce qu’il ait été statué sur sa demande. Il est vrai que la disposition invoquée ne contient pas en elle-même une telle affirmation. Mais, il faut noter que le Conseil d’Etat a déjà déduit de dispositions du préambule des règles qui n’en découlaient que plus lointainement. L’on peut, alors, être étonné que le juge administratif n’est pas jugé cette règle comme nécessairement induite par la disposition du préambule. Le juge administratif n’admettra cette règle que lorsque seront invoqués, à la fois, des dispositions législatives et conventionnelles. C’est, ainsi, qu’il jugera, six ans plus tard, que la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés et la loi du 25 juillet 1952 portant création de l’office français de protection des réfugiés et apatrides impliquent nécessairement une telle règle (CE, ass., 13/11/1991, Nkodia et Dakoury).

Afin de mieux apprécier la décision du Conseil d’Etat, il y a lieu de relever l’attitude qu’il a observé à l’égard d’autres dispositions du préambule.

2 – Les autres exemples Il faut ici insister sur de cas dans lesquels le Conseil d’Etat a jugé la disposition du préambule

invoquée applicable par elle-même, alors qu’elle semblait, pourtant, tout aussi imprécise, sinon plus, que celle qui pose problème en l’espèce.

Le premier concerne l’alinéa 10 du préambule de 1946 au terme duquel « la nation assure à l’individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement ». Bien que très imprécise, le Conseil d’Etat l’a jugé d’applicabilité directe (CE, ass., 8/12/1978, GISTI). Il a considéré que cet alinéa impliquait le droit pour les étrangers de mener une vie familiale normale, ce qui a justifié l’annulation d’un décret limitant les possibilités de regroupement familial.

Est également jugé applicable par elle-même, l’alinéa 11 du préambule de 1946 qui énonce que « la nation garantit à tous, notamment à l’enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs » (CE, sect., 23/04/1997, GISTI).

Il semble que le Conseil d’Etat fasse intervenir des jugements de valeur dans les choix qu’il opère. Ainsi, si une disposition lui semble particulièrement importante au regard de certaines valeurs qu’il juge importante, le juge sera enclin à reconnaître facilement l’applicabilité directe de la

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disposition. A l’inverse, si la règle lui semble plus secondaire, il ne l’admettre qu’à la condition qu’elle ait été reprise par une loi ou une convention internationale, cette reprise constituant pour lui le gage que la règle en question est jugée important par d’autres autorités. Ainsi, s’explique peut-être la jurisprudence peu cohérente du Conseil d’Etat en la matière.

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CE, 27/09/1985, France Terre

d’asile

Requête de l'association France Terre d'Asile et autres, tendant à ce que le Conseil d'Etat annule les articles 2-3°, 3, 4, 5, 6, 9, 11 et 12 du décret n° 82-442 du 27 mai 1982 pris pour l'application de l'article 5 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 modifiée, relative aux conditions d'entrée et de séjour en France des étrangers ;

Sur la légalité de l'article 9

Cons., d'une part, que le principe posé par les dispositions du préambule de la constitution du 27 octobre 1946, auquel se réfère la constitution du 4 octobre 1958, aux termes desquelles " tout homme persécuté en raison de son action en faveur de la liberté a droit d'asile sur les territoires de la République " ne s'impose au pouvoir réglementaire, en l'absence de précision suffisante, que dans les conditions et limites définies par les dispositions contenues dans les lois ou dans les conventions internationales incorporées au droit français ; que, par suite, les associations requérantes ne sauraient utilement, pour critiquer la légalité de l'article 9 du décret attaqué, invoquer ce principe indépendamment desdites dispositions ;

DECIDE : [rejet].